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 ZÉNOB DE KLAG

 

HISTOIRE DE DARÔN

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

HISTOIRE DE DARÔN,

PAR

ZÉNOB DE KLAG,

EVEQUE SYRIEN.

PRÉFACE.

La biographie de Zénob, de même que celle de tous les historiens arméniens en général, à quelque époque qu'ils appartiennent, manque presque complètement, et nous n'en connaissons guère, à vrai dire, que ce qu'il lui a plu de nous apprendre lui-même, ce qui se réduit à fort peu de chose. Nous savons seulement qu'il était Syrien, originaire de Klag, ville dont la position géographique n'est pas bien connue, mais qui devait être située dans le voisinage de la frontière d'Egypte, et disciple de saint Grégoire l'Illuminateur, qui le sacra plus tard évêque et abbé du monastère des Neuf-Sources, dont, suivant le témoignage de Jean Mamigonien, son trente-cinquième successeur, il conserva le gouvernement pendant vingt ans.[1] Quoiqu'il ne le dise pas formellement, il résulte de l'ensemble de son livre qu'il dut vivre avec son maître dans une assez grande intimité, en remplissant auprès de lui des fonctions fort semblables à celles de secrétaire, car nous le voyons constamment à ses côtés.

Il ne nous reste rien autre chose de Zénob que son Histoire de Daron, district de la province de Douroupéran, sur les limites de l'Arménie et du monde syriaque, et berceau primitif du christianisme arménien. Cette histoire, qu'il écrivit par ordre et sous la dictée de saint Grégoire, à la prière de plusieurs évêques, ses compatriotes, se compose, à proprement parler, de deux lettres, dont la première est consacrée plus particulièrement à l'introduction belliqueuse du christianisme dans le district de Darôn.

Lorsque Tiridate II, vaincu par la patience autant que par la parole enthousiaste et persuasive de Grégoire, eut enfin consenti à embrasser la religion qu'il avait proscrite par ses édits et persécutée par ses bourreaux, son premier soin fut de renverser les divinités nationales. En compagnie de l'apôtre et suivi d'une armée considérable, il parcourut une grande partie de son royaume, détruisant tous les monuments de l'ancien culte, et les remplaçant par des croix. Nulle part sur son passage il ne se manifesta de résistance, et lorsque, venant de recevoir, à Césarée de Cappadoce, la consécration épiscopale, l'Illuminateur apprit qu'il restait encore des idoles debout dans le district de Darôn, il put croire qu'il suffirait sans doute de l'effroi du nom de Tiridate pour les faire tomber, il en fut autrement. Ce pays était occupé, depuis plus de quatre cents ans, en partie du moins, par une colonie sacerdotale nombreuse venue de l'Inde, sous la conduite de deux frères, Kiçanê et Témétr. Sincèrement attachés à leurs dieux, soutenus d'ailleurs par le prince de Haschdiank' et favorisés par l'accès difficile de leurs montagnes, les Indiens résolurent de défendre, les armes à la main, le culte de leurs pères et leur nationalité. Quand Grégoire se présenta à l'entrée de leur territoire, secrètement instruits de ses projets, ils l'attaquèrent avec vigueur et mirent même sa vie en danger. La victoire fut chaudement disputée, et il ne fallut rien moins que la supériorité des princes arméniens dans le métier de la guerre, pour venir à bout de leur résistance. Les Indiens furent vaincus, leurs idoles et leurs temples détruits, et, sur leurs débris, Grégoire éleva des églises et des monastères, qu'il plaça sous la direction de moines ou de prêtres syriens et grecs venus avec lui de Césarée et de Sébaste. Ceux qui refusèrent d'adopter l'Evangile furent tués ou jetés en prison loin de leur pays. Ces faits, joints au récit sommaire des événements accomplis en Arménie depuis la mort d'Ardévan, de la naissance et de l'éducation de saint Grégoire, ainsi que de quelques autres d'un non moindre intérêt, comprennent l'espace écoulé entre les années 205 et 304

De Darôn, Grégoire écrivit à l'évêque de Césarée pour lui demander des collaborateurs. Celui-ci répondit par une lettre où, après quelques conseils, il l'informait qu'à sa prière un certain nombre de prêtres étaient déjà partis pour se rendre en Arménie, pendant que d'autres, chassés par les hérétiques, avaient été forcés de s'exiler. Cette nouvelle causa à Tiridate et à Grégoire une douleur profonde. Sur le champ ils écrivirent à ces derniers une lettre chaleureuse dans laquelle ils leur reprochaient leur départ, leur peignaient l'état d'abandon religieux où se trouvait l'Arménie, et leur adressaient les offres les plus séduisantes pour les engager à venir sans retard les aider de leur ministère. Ils ne vinrent que plus tard, et encore pas tous.

En 318, Tiridate, ayant appris que Constantin s'était converti au christianisme, partit accompagné de saint Grégoire pour se rendre à Rome, dans le but de contracter un traité d'alliance avec le puissant empereur. Pendant ce temps-là, soit par haine de la religion nouvelle, soit par mécontentement de Tiridate, plusieurs de ses nakharars, poussés par cet esprit de rébellion qui fut si fatal à l'Arménie à toutes les époques de son histoire, se liguèrent contre leur souverain avec le roi des Huns, qui, désireux de venger de précédentes défaites, envahit le territoire arménien à la tête d'une armée considérable. Rentré dans le district de Darôn, à son retour de Rome, le roi d'Arménie fut cerné tout à coup, au milieu de la nuit, par cinquante-huit mille hommes qui, grâce à la trahison de ses princes, avaient pénétré jusque-là sans rencontrer d'obstacle, et manœuvraient à son insu pour s'emparer de sa personne. La lutte fut vive et meurtrière, car les soldats du Nord, étaient aguerris et doubles en nombre de l'armée arménienne. Cependant, à force de courage et d'habileté, Tiridate triompha. Les ennemis furent complètement défaits et rentrèrent chez eux plus que décimés. Telle est en substance, avec la fondation d'un monastère célèbre qui est encore de nos jours un des sanctuaires les plus vénérés de l'Arménie, la deuxième lettre de Zénob.

Ces deux guerres, l'une de religion, l'autre d'invasion, dont Agathange ne dit pas un mot, et dont Moïse de Khoren mentionne à peine en passant la seconde, sont racontées par Zénob, qui en avait été témoin oculaire, pour ne pas dire acteur, et faillit en devenir avec son maître la victime, avec des détails longuement circonstanciés, une variété et une vérité de traits qui donnent à son livre un très haut degré d'intérêt, et font de ses récits autant de peintures vivantes des mœurs du temps.

La nationalité de l'auteur et des évêques à qui ses lettres sont adressées, jointe à cette autre circonstance, qu'au commencement du ive siècle le syriaque était la langue en usage dans le pays de Darôn et dans presque tout le midi de l’Arménie, prouve qu'elles durent être écrites par lui dans cette langue. Nous avons vu plus haut, d'après le témoignage de Jean Mamigonien, que Zénob resta pendant vingt ans abbé du monastère des Neuf-Sources, ce qui porte la date de sa mort à la fin de 323 ou au commencement de 324. Si, d'un autre côté, nous considérons que le dernier fait mentionné dans son livre ne dépasse pas l’année 320, nous serons autorisé à placer la date de sa rédaction dans l'intervalle qui sépare ces deux termes.

Tous les manuscrits de cet ouvrage portent pour titre: Histoire de Darôn traduite par Zénob le Syrien, d'où il paraît naturel de conclure qu'après l'avoir rédigé d'abord en syriaque, il le traduisit aussitôt lui-même en arménien. Ce point toutefois n'est pas établi d'une manière certaine. Ce qui est incontestable, comme nous le verrons tout à l'heure, c'est qu'il a existé successivement deux traductions arméniennes de ce livre: l'une, dont l'auteur doit être contemporain de Zénob (cf. Soukias Somal, Quadro della storia letteraria di Armenia, p. 12), si ce n'est pas Zénob lui-même, qui avait encore cours à la fin du xe siècle, et fut remplacée, à une date indéterminée, par une deuxième accompagnée d'une retouche partielle du texte primitif, ainsi qu'il est aisé de s'en convaincre par une inspection tant soit peu attentive de celui que nous possédons, et l'examen de plusieurs fragments que j'ai trouvés dans un écrivain arménien récemment découvert, nommé Oukhthanès d'Edesse, qui a écrit vers la seconde moitié du xe siècle, à la prière d'Anania, abbé du couvent de Nareg, dans la province de Vasbouragan, une Histoire de la séparation religieuse des Arméniens et des Géorgiens, à la fin du sixième siècle, dont la Bibliothèque impériale possède, depuis 1857, sous le n° 47 du supplément au catalogue arménien, une copie exécutée par les soins de M. Ed. Dulaurier, sur le manuscrit du musée asiatique de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, qui n'est lui-même qu'une copie du manuscrit unique existant au couvent patriarcal d'Edschmiadzin. En effet, ces fragments, qui sont disséminés dans la première partie du livre d'Oukhthanès, consacrée à l'histoire ancienne de l'Arménie aux pages 68, 69, 93-94 (l'un d'eux est surtout intéressant en ce qu'il contient lui-même un fragment très court, il est vrai, d'une composition historique de Bardesane, dont on connaissait déjà quelques extraits par Moïse de Khoren), et affectent exclusivement le commencement de la première lettre de Zénob, offrent le sens et quelquefois la lettre d'une rédaction complètement différente sur plusieurs points de la portion qui lui correspond dans le texte imprimé. Les faits qui y sont consignés sont presque partout en conformité parfaite avec ce qu'ont écrit sur le même sujet Agathange et Moïse de Khoren, avec lesquels au contraire ceux fournis par les fragments en question sont ou en dissidence ou en opposition formelle. De là résulte, ce me semble, cette conséquence que le texte de Zénob, tel qu'il nous est parvenu, provient d'une seconde traduction accompagnée d'un remaniement de la rédaction originale, pour la mettre d'accord avec Agathange et Khorenatsi, là où il en était besoin, à une époque qu'il paraît impossible de préciser avec les données imparfaites que nous avons entre les mains.

L'auteur de l'édition de Venise, se fondant sur une certaine ressemblance observée par des Mékhitharistes tout à fait compétents entre la manière de Zénob et celle de Jean Mamigonien, son continuateur jusqu'à l’an 640, pense qu'on pourrait peut-être, sans erreur, attribuer à celui-ci la traduction de l'œuvre de son prédécesseur, traduction qui, dans tous les cas, ne serait que la seconde, et à laquelle il faudrait ajouter aussi la correction. Cette ressemblance, qui a une valeur réelle dans la littérature arménienne, où le style varie souvent profondément d'un siècle et même d'un auteur à un autre dans le même siècle, valeur qui s'augmente encore de ce fait que tous les manuscrits de l’Histoire de Darôn de Jean Mamigonien, connus jusqu'à ce jour, sont précédés de celle de Zénob, mérite sans doute d'être prise en sérieuse considération. Toutefois il est une circonstance qui nous commande beaucoup de réserve et doit même nous inspirer, pour le moment du moins, de la défiance: c'est que Oukhthanès, écrivain postérieur de trois siècles, même en discutant les opinions de Zénob, n'ait pas dit un mot du travail de révision de Jean Mamigonien, omission dont on a peine à se rendre compte si ce travail existait réellement dans cet état de la question, le mieux paraît donc d'attendre la découverte de nouveaux documents qui permettent de se prononcer en pleine connaissance de cause.

L'Histoire de Darôn de Zénob, suivie de la continuation de Jean Mamigonien, a obtenu à Constantinople, en 1719, une première édition qui, suivant Monseigneur Soukias Somal (Quad. della stor. letter. di Arm. p. 12), laisse à désirer sous le rapport de la fidélité; je ne l'ai pas vue. En 1843, les Révérends Pères Mékhitharistes de Saint-Lazare en ont donné à Venise, en un petit volume in-8°, avec celle de son continuateur, d'après cinq manuscrits de leur riche bibliothèque, une seconde accompagnée de variantes, qui, comme toutes celles sorties de leurs presses, se distingue par l'exactitude et le soin qui ont présidé à son établissement. C'est elle qui m'a servi pour faire la traduction que je soumets aujourd'hui au jugement du monde lettré.

Ev. Prud’homme.


 

LETTRE ENVOYÉE PAR SAINT GRÉGOIRE À LÉONCE, À CÉSARÉE.

Au seigneur trois fois béni, honoré d'en haut et préconisé par les hommes, au divin et saint pontife Léonce, archevêque de la grande, illustre et magnifique ville de Césarée, que cette première lettre de la faiblesse de notre esprit, en reconnaissance de la sainte consécration que vous nous avez donnée,[2] parvienne, avec nos salutations et avec sainteté, à votre gloire et ensuite à tout l'univers.

Nous rendons de vives actions de grâces à Dieu qui, dans sa paternelle sollicitude, a manifesté sa miséricorde au genre humain par l'envoi de son fils unique, qui a appelé toutes les nations à la cité céleste par la prédication apostolique, laquelle a été pour ce pays la source d'une très grande part de gloire, car deux compagnons sont venus ici, dans cette contrée qui leur était échue en partage, conduits par la grâce et l'ordre de l'Esprit-Saint.[3] Quoique de leur temps le pays eût repoussé la vérité, néanmoins la bienveillante miséricorde de Dieu a eu pitié de notre abjection; c'est pourquoi il a opéré de nos jours des prodiges qui vous sont connus par le récit que vous en avez entendu de notre bouche. Mais par-dessus tout nous offrons à Dieu de doubles actions de grâces, et à vous particulièrement notre reconnaissance, pour avoir octroyé à la terre d'Arménie le trésor de vie, le médiateur entre Dieu et les hommes, les reliques de saint Jean-Baptiste.[4] L'Arménie se réjouit de leur arrivée avec la même allégresse qu'autrefois le Jourdain de la venue du Christ. Et nous portons à votre connaissance, comme une chose certaine, que, de même que par la descente du Christ dans l'eau la mort a été anéantie, ainsi, lorsqu’arrivèrent ici les reliques du saint, les portes de l'enfer furent brisées. En effet, il existe sur le sol d'Arménie, dans la quatrième division de ce nom, et à l'extrémité de la troisième, dans la montagne appelée Taurus, un coin de terre d'où un rameau, se détachant, se prolonge jusqu'aux portes de Balhav, en Perse; autour s'étend le territoire des Mamigoniens,[5] pays abondant en lieux charmants et planté d'arbres pour tous les besoins: c'est là, en deux endroits différents, que la mort habitait comme dans un antre.

Elle s'était même si bien établie dans l'un d'eux que, suivant une révélation du Saint-Esprit, cet endroit était réellement la porte de l'enfer. Les Indiens et les Persans l'appellent les Neuf-Sources. Les habitants étaient très fiers de l'idole Kiçanê et de son frère Témétr;[6] aussi Satan y avait-il fixé solidement sa demeure. Nous avons renversé le simulacre de Satan, et déposé, dans une chapelle élevée au même endroit, les reliques du saint précurseur Jean et celles du martyr Athanakinès, par quoi la mort a été détruite avec sa puissance; et maintenant Dieu y est honoré et adoré.

Audit lieu des Neuf-Sources, j'ai laissé les deux hommes vivant en Dieu, Antoine et Cronidès, dont ton amitié a fait présent à l'Arménie, qui ont livré leurs corps vivants pour être crucifiés avec le Christ pour le profit de l'esprit des autres qui sont en vie, présent que je considère à l’égal de perles d'un prix inestimable. Confiant dans la tendresse et l'affection que tu as pour nous, je te supplie d'en ajouter d'autres, car la moisson est abondante, mais les ouvriers en petit nombre. Je te conjure donc d'envoyer des ouvriers dans cette moisson. L'un de ceux que nous désirons est Éléazar; l'autre, le frère de Jacques le Syrien, que j'ai amené avec moi et sacré évêque de la maison des Mamigoniens. Fais-le donc partir avec d'autres ouvriers, et particulièrement Timothée, évêque d'Acten, dont tu vantais l'habileté littéraire; il serait vraiment d'un très grand secours pour notre pays, étant aidé de tes prières et de tes conseils.

Modèle de plusieurs par tes pénitences continuelles, et leur précepteur par la grâce de Dieu, tu vivras avec l'aide de nos prières pour l'utilité d'un grand nombre dans le Seigneur. Ainsi soit-il.

SECONDE LETTRE. REPONSE À LA LETTRE DE SAINT GRÉGOIRE, ENVOYÉE PAR L'ARCHEVÊQUE DE CÉSARÉE, À L'ÉPOQUE DE SA MORT.

Au bienheureux et divin seigneur frère.

Nous avons reçu ta sainte et agréable lettre qui m'a rempli de la joie la plus parfaite, au milieu de mes tribulations. Par suite de la tristesse qui nous était survenue, j'étais dans l'affliction, mais votre lettre de remerciement a secoué notre paresse. Après l'avoir lue, j'ai rendu grâces à Dieu de ce que, ainsi que tu l'écris, il n'a pas rejeté les nations du nord, qui, privées pendant longtemps de la vérité, regardaient comme dieux les auteurs de leurs errements, selon qu'ils l'avaient appris de l'ennemi de la vérité, Satan; car, marchant dans les ténèbres, elles étaient exclues de la connaissance de Dieu. Mais à elles s'appliquent ces paroles du prophète: Le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu la grande lumière de la connaissance de Dieu. Quoique le soleil de justice eût lui depuis longtemps déjà sur les créatures, tes peuples marchaient à tâtons en plein jour, comme si c'eût été la nuit. C'est pourquoi Dieu a jeté récemment un regard sur eux, et il est descendu pour les délivrer du Pharaon incorporel. En effet, par les tourments que tu as endurés, tu es devenu supérieur à Moïse, puisque tu n'as pas épargné ton corps, jusqu'à ce que tu les aies délivrés et conduits dans un désert de Sin, inaccessible aux bêtes, fauves, et d'où étaient bannis les douleurs et les soupirs! [7]

Ainsi donc, puisque par toi le soleil de justice, le Christ, a lui sur eux, et que tu as été choisi pour remplacer les saints apôtres Barthélémy et Thaddée qui avaient été élus les premiers, souviens-toi de leurs travaux et n'oublie jamais leurs traces. Au reste il n'y a pas de raison pour cela, car le Seigneur les a donnés pour édifier et non pour détruire; et toi, nouveau précurseur, tu ne fais que commencer à entrer dans ta terre d'Arménie. Inscris aussi mon nom dans ton livre; écris-le afin que par là je reçoive une part de bénédiction après toi.

Voici un bon conseil que je te donne. Au lieu appelé les Neuf Sources, que plusieurs disent fertile en bons fruits, construis une habitation pour des moines; tu les institueras sur le modèle des moines de ce pays que tu as vus dans notre diocèse, et tu apprendras du bienheureux Antoine les règles de la vie monastique, car il n'est inférieur en rien au premier. J'estime que cela te sera utile, car j'ai persuadé à Epiphane, disciple du bienheureux Antoine, d'aller aux Neuf-Sources; il emmène avec lui quarante hommes d'élite, pénitents couverts de calices, chastes de mœurs, et morts au monde; quand tu les auras reçus, tu établiras Epiphane leur supérieur et celui des autres frères. Puis rédige un contrat à perpétuité afin que personne, dans les bourgades ou les villages, à l'exemple de ceux d'Alexandrie, ne se construise chacun un temple au Seigneur et ne se crée une demeure à part. Tu réuniras au même lieu cent hommes; tu leur assigneras des bourgs, et de très grands villages pour subvenir aux besoins du couvent, afin que les moines vaquent uniquement à la prière et à la pénitence.

Recommande aussi à tes princes d'orner les églises, d'aimer les pauvres et les moines, et d'avoir la crainte de Dieu. Ne construis pas les bâtiments de la chapelle pour servir d'habitation à tes moines, mais établis y des prêtres et un chorévèque; assigne-lui le village, et élèves-y un hôpital pour les pauvres, afin que ceux qui iront y chercher leur guérison ne murmurent pas comme autrefois ceux qui portaient des offrandes, qu'on laissait dormir à la porte du tabernacle.[8] Fais faire tout cela de la manière que je viens de le dire.

Pour ce qui est des évêques Timothée et Eléazar que tu m'as demandés avec instance, ils étaient déjà partis avant que tu eusses renversé les autels des idoles et que vous nous eussiez répondu. Eléazar a quitté en fuyant sa ville épiscopale, contraint par les hérétiques, qui se sont soulevés contre lui et l'ont chassé sur le territoire de Rome. Relativement à Timothée, j'ai appris qu'il était allé à Jérusalem au sujet de la traduction de l'Evangile. En proie aux douleurs de la mort, j'ignore combien de temps encore se prolongera mon existence; c'est pourquoi je diffère de leur écrire. Ecris-leur donc toi-même pour leur faire connaître les hommes que vous avez avec vous et les charmes de vos localités. Mais par-dessus tout faites-leur l'histoire exacte de la guerre que vous avez soutenue contre les prêtres, après que vous vous fûtes séparés de nous. Tu leur indiqueras aussi pat; une lettre secrète les endroits où tu as déposé les reliques, afin qu'en l'apprenant ils ne refusent pas d'y croire, pensant qu'elles n'ont pas encore été découvertes.[9]

Si après cela ils désirent (savoir quel est notre état, nous sommes dans l'attente de la mort et de la fin de notre existence. L'homme extérieur, à la vérité, s'en va se corrompant en nous; mais l’homme intérieur commence à reprendre une vie nouvelle. Que le Seigneur Dieu vous accorde ce qui nous manque à nous-même, pour que vous puissiez conduire le troupeau qui vous a été confié au bercail spirituel de la céleste Sion, afin que, par là et par tes prières, le Christ étende sa miséricorde sur notre propre troupeau, et que, quand paraîtra le Pasteur, nous recevions, nous aussi, la récompense des premiers ouvriers.

Salut dans le Seigneur.

Lorsque les messagers retournèrent vers saint Grégoire, ils ne le trouvèrent plus à Darôn; poursuivant donc leur route, ils traversèrent la contrée de Haschdiank'[10] et poussèrent dans la province d’Ararad jusqu'à la ville de Vagh'arschabad;[11] là, tirant la lettre, ils la produisirent devant le peuple. Après qu'elle eut été lue, tous, y compris le roi, furent saisis d'une profonde tristesse, principalement à cause des persécutons d'Eléazar et de son éloignement le leur pays,

Saint Grégoire, de concert avec le roi et les quatre princes-préfets,[12] écrivit à Eléazar, évêque de Nystra; et à Timothée, évêque d'Acten, une lettre ainsi conçue:

Au seigneur Eléazar, aux frères bien-aimés, aux ouvriers éloignés à cause de la parole de vie, nous offrons nos salutations dans le Seigneur, avec Dërtad (Tiridate) et tous les princes.

Quiconque entreprend de travailler à l'œuvre de Dieu doit être persécuté, parce qu'il est impossible que sa prédication soit accueillie par tous. C'est pour le même motif, ainsi que nous l'apprenons aujourd'hui à votre sujet, que vous avez quitté votre résidence et pris le parti d'abandonner les lieux qui vous étaient confiés et vos amis, sans songer à votre éloignement. Suivant votre résolution, vous êtes partis sans savoir où vous alliez. C'est pourquoi nous vous félicitons pour votre exil, mais pour votre sagesse, non. En effet, puisque vous saviez le roi rempli de foi chrétienne et le culte de Dieu en honneur dans le pays, pourquoi vous êtes-vous enfuis dans une terre étrangère et lointaine, sachant surtout que dans tous les districts il est besoin d'un évêque et de prêtres? Plusieurs, il est vrai, se sont rassemblés ici de divers côtés; mais qu'est-ce que leur nombre comparé aux six cent vingt districts d'Arménie? C'est à peine si dans chacun il se rencontre un prêtre ou deux. Les jeunes gens du pays.sont encore à l'école, et aucun d'eux n'est en état de recevoir le sacerdoce.[13] Et vous, avec tant de prêtres que vous avez emmenés, vous vous êtes aventurés dans un long et lointain voyage, et vous ne devez pas retourner dans ce pays qui est le vôtre.

Nous vous en conjurons donc, ne nous dédaignez pas, mais prenez confiance et hâtez-vous de revenir avec les messagers que nous vous avons envoyés. Que si vous venez, nous mettons devant vous les contrées à Ëguégh'iats et de Hark'.[14] Quel que soit le lieu que vous choisissiez pour résidence, il sera à vous et à vos successeurs après vous, aussi longtemps que nous vivrons vous et nous. Quant au territoire des Mamigoniens, s il vous agrée, ainsi que tu l’as manifesté autrefois en me demandant les Neuf-Sources, comme c'est là que j'ai sacré ton frère évêque et que, grâce à ses pressantes instances, j'ai changé le nom de cette localité en son propre surnom;[15] comme d'ailleurs, dans l'ardeur de son zèle pour le service du saint Précurseur, il a construit en pierres et à la chaux tous les bâtiments du couvent, et qu'il ne me paraît pas qu'il veuille le céder à qui que ce soit avant sa mort, il n'est pas digne à nous de le lui ôter, car il a supporté la fatigue sans l'aide de personne autre, et a achevé lui-même l’église dont je n'avais fait que jeter les fondements. Mais, s'il le cède de lui-même, nous y consentons pleinement; j'y ajouterai même de nouveaux villages; sinon, tout le pays est devant vous. Le lieu qui vous plaira le mieux est à vous. Vous ne trouverez rien de notre part qui soit au-dessous de nos paroles.

Salut dans le Seigneur.

ENVOI DE LA LETTRE.

Les messagers qui étaient venus de Césarée prirent la lettre et l'emportèrent à Edesse, puis à Césarée, où ils ne le trouvèrent point. De là ils allèrent à Jérusalem, où ils ne le rencontrèrent pas davantage; là, ils apprirent qu'ils étaient partis tous deux pour Rome. Arrivés à Rome, Eléazar était retourné dans la Mésopotamie syrienne pour la traduction des douze Prophètes. Victor, Anastase et Caius, évêque d'Egypte,[16] ayant vu la lettre, furent inondés d'une grande joie, parce qu’eux aussi voyageaient par toutes les routes à la recherche d'Eléazar.

Sur le champ ils écrivirent dans les mêmes termes une autre lettre et l'envoyèrent à Timothée, a Corinthe, en mandant avec lui le diacre Achicus, qui était un homme profondément instruit, et prirent eux-mêmes le chemin de la Mésopotamie. N'y ayant point rencontré Eléazar, ils retournèrent à Jérusalem pour deux raisons: la première, dans l'espoir de l'y trouver; la seconde, pour une enquête au sujet de la secte de Ménandre[17] car, à cette époque, il existait encore nombre de personnes infectées de son venin. Parvenus au terme de leur voyage, ils ne trouvèrent point Eléazar. Or, dans ces jours-là, mourut le patriarche de Jérusalem; les fidèles choisirent Caius pour le remplacer, et le sacrèrent archevêque de la ville sainte. Quant à Victor et à Anastase, ils retournèrent à Césarée. Cependant Eléazar, en revenant de Rome, rencontra en chemin saint Grégoire et Dërtad; ivre de joie, il retourna avec eux jusqu'à Rome.[18] Au bout d'un assez long séjour dans cette ville, saint Grégoire demanda une portion des reliques des saints apôtres, la main gauche d'André l'apôtre, et celle de Luc l'évangéliste. Les ayant obtenues, ils s'en retournèrent remplis d'une grande joie en Arménie. Dërtad gagna sa province et rentra dans sa ville de l'Ararad.

Saint Grégoire resta quelque temps à Darôn, ayant avec lui les reliques des saints apôtres, et demeura vingt-cinq jours dan le couvent de Klag au lieu des Neuf-Sources et de l'idole Kiçanê, ou reposaient les reliques du saint Précurseur. Il envoya les princes de la maison de Mamigon à la recherche d’un lieu convenable dans les montagnes. Ceux-ci cherchèrent plusieurs jours durant, et s en revinrent sans avoir découvert aucun endroit commode dans tous les districts. Alors saint Grégoire recommanda à ses ministres de faire des prières le soir; lui-même, étant entré dans l'église, étendit les mains devant les 'reliques des saints apôtres et le tombeau du saint Précurseur, et adressa à Dieu cette prière:

« Seigneur, Dieu très clément et miséricordieux, qui scrutes la justice et récompenses la charité, qui t'es souvenu, du genre humain oublié de tes miséricordes, qui ne t'es pas irrité pour toujours et ne l’a pas abandonné à jamais, tu m'as ordonné dans le ministère du sacerdoce que je remplis, et tu nous as donné le temps pour payer la dette de nos premiers pères qui ont résisté à la prédication du saint Evangile. Tombés sous l'empire de la mort, du péché et de l'abîme de corruption, la mort en s'emparant d'eux les a tous enveloppés dans la malédiction et rendus dignes du séjour de l'enfer, et le malin les a persuadés de persister dans le néant de l'erreur comme si c'était la vérité. Mais à nous, tu as accordé la grâce de connaître ton nom et de devenir les héritiers de ton royaume céleste, en compagnie de tes saints apôtres qui se sont partagé le monde entier pour y propager l'Evangile. Plus qu'ailleurs, tu as accompli dans ce pays les desseins de ta miséricorde par l'intermédiaire du saint Précurseur, qui s'est réservé par son corps toute cette contrée. Par-dessus, tout cela, ta miséricorde a daigné habiter dans ce temple, dont la Providence m'a fait la grâce de jeter ici même les fondements, dans lequel la base de noire foi demeurera solidement établie et inébranlable jusqu'au dernier jour, quand tu viendras le renouveler incorruptible, Seigneur. C'est lui qui est intermédiaire entre l'ombre et la vérité, et il sera assis à la droite de ton fils unique dans la gloire inénarrable. Toi, Seigneur des armées, regarde du haut du ciel, ton éternelle demeure, et fais-moi connaître le lieu où tu veux que reposent les restes de tes saints apôtres dans cette terre, pour la louange de ta grande puissance, l'honneur de ta divinité et la gloire de ta très sainte Trinité. »

Lorsqu'il eut achevé sa prière, un ange du Seigneur lui apparut et lui dit: « Lève-toi, va au pied de la montagne du Taurus, je te montrerai le lieu que le Seigneur a choisi pour être la demeure de ses saints. » Grégoire partit plein de joie, emportant les reliques des apôtres, et se rendit dans le lieu qui lui avait été indiqué par l'ange du Seigneur. Après y avoir prié, il fit préparer des matériaux pour la construction d'une sainte chapelle et y déposa les reliques des saints apôtres qu'il avait apportées avec lui. Il établit en ce lieu des ministres de l'Eglise au nombre de douze, et le donna à Eléazar du nom de qui on l'appela Monastère d'Eléazar.[19] Saint Grégoire célébra une grande fête dans l'endroit le jour même où les restes des saints y furent déposés, en présence d'une multitude de peuple; de nombreuses guérisons y furent opérées.

Dans ce même temps, Victor et Anastase ayant rencontré à Byzance plusieurs personnes d'Aschdischad de Darôn, qui étaient venues jusqu'en cette ville, celles-ci leur racontèrent l'histoire de la première guerre soutenue par saint Grégoire à son retour à Darôn, comment il avait été attaqué avec les siens par les prêtres païens habitant Kiçanê, ainsi que la deuxième guerre qui eut lieu entre Dërtad et le prince du Nord;[20] ce qu'apprenant, les Grecs furent émerveillés de la bravoure du roi d'Arménie. En entendant toutes ces choses, Victor, Anastase, Achylas et Marcel restèrent dans l'admiration. S'étant donc arrêtés quelques jours à Byzance, ils écrivirent à saint Grégoire une lettre ainsi conçue:

« Au saint, divin et glorieux patriarche de la Grande Arménie, salut dans le Seigneur.

Saint patriarche, nous avons lu, dans la ville de Rome, avec dès sentiments de parfaite amitié et de cordialité, spirituelle, la lettre écrite par ta main vénérable. Dans l'abondance de notre joie, nous avons rendu grâces à Dieu et avons été sur le point de suivre tes messagers; mais nous en avons été empêchés par l'absence d'Eléazar, qui voyageait en Mésopotamie. Y étant venus de Rome, nous ne le rencontrâmes pas. Force nous fut donc, tant à cause de lui que des saints lieux de Jérusalem, de nous rendre auprès de saint Symmaque. Celui-ci étant venu à mourir, les fidèles, guidés par l'inspiration de la providence de Dieu, ont sacré Caius patriarche de Jérusalem en sa place. Or voilà que nous sommes en ce moment à Byzance, parce que l'évêque d'Acten est allé en Egypte et essaye d'apaiser ceux qui nous ont chassés. Voici ce qu'il nous écrit: Les habitants d'Acten ont remis leur ville entre mes mains, mais ceux de Nystra ont refusé; demeure donc à Byzance pendant que j'irai dans une autre ville. Voilà pourquoi nous différons notre départ; car ton pays est loin, notre mauvaise santé et les voyages nous ont rendus impotents. Victor souffre considérablement de la chaleur, et le bienheureux Marcel a la vue très affaiblie.

Nous te conjurons donc, bienheureux ouvrier de Dieu, de donner l'ordre à l'un de tes ministres de nous envoyer par écrit le récit de votre voyage, de votre arrivée en ton pays d'Arménie, de la première guerre que vous avez eu à soutenir de la part des prêtres païens du pays, celui de votre second retour en revenant de Rome, et de la guerre suscitée par les peuples du nord. Relativement aux reliques que tu as apportées avec toi, fais-nous connaître où tu les as déposées et quels ministres tu y as laissés pour les garder; si l'endroit en est connu de quelqu'un, comme plusieurs le prétendent, ou s'il ne l'est pas; où tu as laissé Cronidès et Antoine de la sainteté desquels se glorifient leurs églises; ce qu'est devenu Epiphane, leur disciple; enfin où sont Eléazar et Zénob. Nous te supplions de nous écrire toutes ces choses exactement, afin que, quand nous irons trouver l’évêque Timothée, nous puissions l'instruire lui et les siens par un écrit. Tout ceci est important pour nous; ne tarde donc pas. Que la grâce du Saint-Esprit demeure sur ceux qui croient. »

Lorsque saint Grégoire eut pris lecture de cette lettre, il ordonna à Zénob le Syrien de rédiger par écrit le récit exact de la première et de la seconde guerre, de faire connaître l'endroit où avaient été déposés les restes, comment vivaient Antoine et Cronidès et où ils étaient. Quant à la description des collines et de la montagne, et aux hommes qui ont provoqué la guerre pour ne vouloir pas détruire les idoles, ajouta-t-il, tu écriras ce qui les concerne en indiquant chaque chose en détail, et tu l'enverras. Zénob demanda à commencer son récit à: la mort de Khosrov, et, en partant de ce point, à raconter tous les faits dans leur ordre. Saint Grégoire n'y consentit pas, estimant que ce qu'il avait prescrit suffisait. Il ne convient pas, répondit-il, d'écrire une histoire aussi longue dans une lettre; adressée à des Syriens et de faire mention des Arméniens. Envoie-leur seulement ce qu'ils ont demandé. Zénob obéit et se contenta, d'écrire aux évêques syrien le récit des événements accomplis sur-leurs frontières.

RÉPONSE DE ZÉNOB POUR FAIRE CONNAÎTRE L'ORIGINE DE CETTE HISTOIRE.

Au seigneur Victor, aux chers et bienheureux évêques, salut dans le Seigneur, et profonde amitié de la part de Zénob, indigne serviteur de votre sainteté, et des Arméniens.

Lorsque la lettre écrite par votre main vénérable eut été lue devant le saint archevêque Grégoire, nous avons rendu grâces à Dieu, avec une joie parfaite, de ce qu'il a fait cesser les persécutions dans vos parages. Sur le champ il donna l'ordre de mettre la main à l'œuvre et de répondre à chacune de vos questions. Quelques-uns voulaient empêcher qu'on ne vous répondît à cause de votre départ; mais il n'en a pas tenu compte, et a mis de coté tout ressentiment pour ne se souvenir que de vos explications.

Ne méprisez pas ce récit soit à cause de sa brièveté, soit parce que Agathange ne mentionne pas les faits qui y sont relatés; la raison en est que j'ai écrit avant lui.[21] Si je n'ai pas rédigé l'histoire des rois, c'est parce que saint Grégoire m'a prescrit de n'écrire rien de plus que ce que vous avez demandé, et qu'il à jugé particulièrement convenable de laisser de côté ce qui concernait les vaillants rois arsacides de la maison d'Arménie, pour vous adresser simplement une lettre de réponse, lettre qu'il a intitulée lui-même Histoire des Syriens.

Je prendrai donc votre demande pour point de départ de cette histoire.

RÉPONSE À LA LETTRE DES SYRIENS, CONTENANT L'HISTOIRE DE L'ENDROIT NOMMÉ LES NEUF-SOURCES, ET DE LA GUERRE SUSCITÉE PAR ARTZAN, PAR ZÉNOB LE SYRIEN, ÉVÊQUE.

Pendant le cours de son règne, Khosrov, fils de Vagh'arsch,[22] voulut venger la mort d'Ardévan, son frère.[23] Les hostilités ayant donc éclaté entre les deux rois celui d'Arménie et celui de Perse, la guerre sévit avec fureur, et le roi d'Arménie eut le dessus. Dix ans durant il dévasta le territoire perse, qu'il s'efforçait de ruiner de fond en comble par l'extermination et l'esclavage. Le roi des Djéns intervint,[24] mais il ne put dompter son ressentiment et l'amener à faire la paix. Khosrov vengea, par la famine et le glaive, la mort de son frère mis à mort par le roi de Perse.[25] Sur ces entrefaites, un homme du nom d'Anag, de la famille même des Arsacides,[26] proposa au roi d'aller tuer Khosrov, à la condition qu'il lui donnerait, à titre de récompense, Balhav de Bardav.[27] La proposition ayant été agréée par le roi, le Parthe ne recula point devant le meurtre de Khosrov. Il part donc, emmenant avec lui son frère, sa femme et ses enfants, et s'en va trouver Khosrov, simulant l'amitié et feignant d'être en fuite.[28] Au bout de la seconde année, le roi manifesta le projet de faire une expédition en Perse. Un jour qu'ils étaient à la chasse, Anag prit Khosrov à part, comme s'il eût eu quelque chose à lui dire en secret; puis, levant tout à coup sur lui son épée, il étendit le roi mort par terre. Ses conjurés périrent submergés dans les flots avec lui et tous les siens, avant d'avoir pu atteindre la Parthie. Quant au roi de Perse, il érigea en fête le jour de la mort de Khosrov,[29] et donna Bardav aux membres survivants de la famille d'Anag.[30]

Lorsque Anag, venant de Perse, était arrivé dans le district d'Ardaz,[31] il s'était arrêté auprès du tombeau du saint apôtre Thaddée; c'est là, dit-on, qu'eut lieu la conception de saint Grégoire, qui compléta l'œuvre de Thaddée. Pendant que Khosrov était en paix, un homme nommé Pourtar, d’une famille distinguée de Perse, étant parti à la suite d'Anag, était venu jusqu'à Ardaz, d'où il avait émigré en Cappadoce. Etant allé à Césarée, il s'était marié dans une famille chrétienne, à une femme du nom de Sophie, sœur d'un riche habitant appelé Euthale. Au bout d'un séjour d'un an dans cette ville, Pourtar avait emmené sa femme et repris le chemin de la Perse. Euthale, qui le suivait par derrière, lavait rejoint dans la province d'Ararad. Ils s'étaient arrêtés dans la ville de Vagharschabad, et Sophie avait été prise pour nourrice du jeune Grégoire. Elle éleva librement notre Illuminateur.[32]

Après avoir reçu d'Anag le coup mortel, le roi, respirant encore, avait prescrit de passer au fil de l'épée la maison entière du meurtrier. En apprenant retordre de Khosrov, Pourtar entra précipitamment chez Okohi,[33] épouse d'Anag, prit l'enfant de ses bras et le donna à sa femme Sophie. Quant à son frère, nommé Sourên, ses gouvernantes le firent transporter à la porte des Perses, où il fut élevé auprès de la sœur de son père, femme du roi Dschevanschir,[34] Heph'thal.[35] Devenu grand, il passa sur le territoire des Djéns, après la mort de Rhosrovouhi, et y resta dix ans, au bout desquels il régna sur le pays dix-neuf ans.[36] Plusieurs publient que le frère de Grégoire est surnommé Zkôn (sage), et l’appellent Jacques; mais ils ignorent la vérité. En effet, ce Jacques était fils de la sœur du père de saint Grégoire, et le nom de sa mère était Khosrovouhi. Lorsque celle-ci fut morte, et que Diran, son père, eut perdu la couronne (il fut tué dans une bataille par R'ékès, roi des Leph'nis), Jacques, avec sa sœur Askednê, continua de rester dans le même endroit. Au bout d'un certain temps, le fils de sa sœur s'en alla dans le pays des Goths et y devint roi.[37] Plus tard, Dërtad, étant chez les Grecs (les Romains), s'en empara,[38] car c'est lui qui fît la guerre contre Dioclétien, empereur des Grecs, ainsi que le raconte Agathange.[39] Si tu veux connaître exactement toutes ces choses, ô bienheureux Victor, lis l'histoire du royaume des Heph'thaïs écrite en grec ou [le livre qui] traite du royaume des Djéns, que tu trouveras à Edesse, dans l'historien Bard.[40]

Pourtar, ayant pris sa femme et le jeune Grégoire, s'en retourna à la suite d'Euthale, son beau-père, dans la province de Cappadoce. Il envoya l’enfant à l'école et le fit instruire dans la littérature et les langues syriaque et grecque. Grégoire s'exerçait en même temps à la piété. Lorsqu'il eut atteint l'âge de douze ans, un homme pieux, nommé David, lui donna en mariage sa fille Marie. Devenue mère de deux enfants, dont l'aîné se nommait Verthanès et le plus jeune Rhesdaguès, Marie entra dans un couvent de femmes, et son plus jeune fils suivit un moine appelé Nichomaque; l’aîné demeura avec son gouverneur et se maria plus tard.[41]

Quant à Grégoire, il se rendit auprès de Dërtad pour payer la dette de son père; il y resta jusqu'à ce que Dërtad remplaçât le sien sur le trône.[42] Comme il refusait de sacrifier aux idoles, celui-ci le livra à d'effroyables tourments. Enfin, ayant appris de la sœur du beau-père de Grégoire qu'il était fils d'Anag, le meurtrier de son père Khosrov, Dërtad le jeta dans une fosse profonde et l'y retint quinze ans durant.[43] Au bout de ce temps, l'Arménie entière devint la proie des démons, et le roi lui-même s'en alla vivre en compagnie des porcs;[44] mais, par l'ordre de Dieu, ses nakharars allèrent le chercher et le ramenèrent. Dërtad, revenu, les réunit autour de sa personne et les garda cinq jours en sa présence, sans manger, écoutant l'enseignement que leur prêchait le saint. Ce fut le premier jeune institué du temps de Grégoire. Silvestre l'adopta à Rome, et il fut observé par Constantin lui-même et par toutes les villes d'Egypte. Nous l'appelons « préliminaire ».

Lorsque les jours de leur jeûne furent achevés, l'enveloppe grossière, sous forme de porc, qui couvrait Dërtad, tomba, et ses soldats, dont les corps étaient devenus la demeure des démons, furent guéris.[45] Alors Grégoire, se mettant à l'œuvre, leur enseigna à élever des temples au Seigneur et leur dit: « Il faut faire venir des prêtres pour vous diriger. » Mais un ange du Seigneur leur persuada de le prendre lui-même pour pasteur. Dërtad agréa leur choix; en conséquence il lui donna des princes et des soldats en grand nombre, et l'envoya ainsi escorté en Cappadoce, à la ville de Césarée, pour y être sacré parle saint archevêque Léonce.[46] Étant donc partis de Vagh'arschabad, ils traversèrent le district de Pacen et arrivèrent au village d'Erêz, dans le district d'Eguégh'iats, où saint Grégoire détruisit les idoles.[47] Ensuite ils se rendirent à Césarée. Là, il fut sacré par l'illustre archevêque Léonce, en grande pompe.[48] Léonce le traita avec distinction, et lui fit présent des reliques du saint précurseur Jean et du martyr Athanakinès.[49]

Mais qui donc avait apporté à Césarée les restes du Précurseur? Jean l’Evangéliste. Etant dans l'île de Patmos, il vint à Ephèse et alla de là à Jérusalem, où, par une disposition de la Providence divine, il découvrit son tombeau. Il enleva, pendant la nuit, le corps saint du Précurseur, et le donna à l’évêque Polycarpe, son disciple, pour le transporter à Ephèse, dans l'église qu'il avait construite lui-même, sous le nom de Sainte Mère de Dieu. Après la mort de l'Evangéliste, les saintes reliques du Précurseur restèrent à Ephèse jusqu'au temps de l'empereur Dèce. Sous le règne de ce dernier siégeait à Ephèse un disciple d’Acténus, Ph'armélus (Firmilianus),[50] qui, ayant été chassé déjà, vint à Césarée, emportant avec lui les reliques entières du saint Précurseur, à l'exception du chef. Il les déposa dans une étoffe de lin immaculée, non en secret, mais à la vue de tous; elles demeurèrent dans le même endroit jusqu'au règne de Dioclétien.

Lorsque saint Grégoire alla trouver Léonce, archevêque de Césarée, pour être sacré par lui, il demanda nombre de fois des reliques du saint Précurseur avant que celui-ci cédât à ses instances, jusqu'à ce que Léonce reçût l'ordre du Seigneur, pendant la dernière nuit, de les partager et de lui en donner la moitié. Le lendemain, des luttes eurent lieu en grand nombre. Enfin les nakharars pesèrent 12.000 tahégans à l'archevêque, et, étant ainsi entrés en possession des reliques par force, ils sortirent de la ville. Le prince de la maison d'Ankegh'[51] osa proposer d’y mettre le feu à la faveur de la nuit. L'archevêque, informé de ce projet, réussit, par des paroles persuasives, à les ramener à des sentiments pacifiques; en retour des 12.000 tahégans, il leur donna les reliques d'Athanakinès, et ne put qu'avec peine rétablir la concorde et l'amitié avec eux avant de les congédier. Il offrit en outre à saint Grégoire deux pierres éclatantes de lumière qu'il avait reçues de l'archevêque de Rome.

Ayant quitté Césarée, il demeura pendant quelque temps à Sébaste, pour y réunir des moines. Il manda aussi quelques docteurs d'Alexandrie, avec d'excellents ministres, dont il sacra l'un, Tëglarius, évêque de la plaine de Tévïn;[52] il en fit venir également de Syrie. Quant à moi, il ne me permit pas de retourner à Nystra, et me força de me séparer de mon frère Eléazar. Etant partis de là, nous gagnâmes Thortan,[53] où nous laissâmes Sourdinus d'Ephèse, en qualité de vartabed de tous les districts.

De Thortan, nous formâmes le projet de traverser Garin et Hark'. Mais plusieurs d'entre les princes informèrent saint Grégoire que, dans le district de Darôn, il restait deux temples où l'on sacrifiait encore aux démons. En conséquence il prit la résolution de se diriger de ce côté dans le but de les détruire. Lorsqu'il parvint sur le territoire de Balounik',[54] au grand bourg de Kiçanê, au village de Guëvar'k', il se trouvait là quelques prêtres païens. Ayant appris du prince de Haschdiank' qu'on devait renverser le lendemain les grandes divinités Kiçanê et Témétr, ils se rendirent, pendant la nuit, sur les lieux, enfouirent les trésors dans des maisons souterraines, et adressèrent aux prêtres d'Aschdischad un avis ainsi conçu: « Rassemblez les guerriers, et hâtez-vous de venir nous rejoindre demain, parce que le grand Kiçanê doit livrer bataille aux princes apostats. Ils excitèrent également ceux de Guëvar'k' à dresser des embuscades dans les clôtures des vignes, et en placèrent quelques-uns dans une forêt en arrière. Le chef des prêtres, nommé Artzan, et son fils, Témétr, à la tête des troupes du territoire de Guëvar'k', au nombre de quatre cents hommes environ, se portèrent sur une montagne, en face du village, et attendirent en cet endroit que d'autres troupes arrivassent d'ailleurs à leur secours. Ils en partirent le lendemain et traversèrent le bas de la montagne, comme s'ils eussent été habitués à faire des expéditions.

Saint Grégoire, escorté du prince des Ardzrouni,[55] du prince d'Antzévatsik',[56] du prince de la maison d'Ankègh', et d'une petite troupe composée d'environ trois cents hommes, passait, à la troisième heure du jour, dans le voisinage de la colline où Artzan se tenait caché. Ils marchaient sans crainte et sans le moindre soupçon. Lorsqu'ils arrivèrent près du pied de la pente, Artzan et Témétr, s'avançant, firent sonner par les trompettes le signal de l'attaque et s'élancèrent hardiment contre eux. Au son des trompettes, les princes bondirent, les chevaux se mirent à hennir et à chercher la bataille. Le prince de la maison d'Ankegh', élevant la voix, disait: « Prince de Siounik',[57] porte-toi en avant, et vois si ce sont les troupes du prince du Nord. » Celui-ci partit; mais il ne put reconnaître quelles elles étaient. De retour, il dit: « Fais conduire Grégoire en sûreté quelque part avec ceux qui l’accompagnent, de peur que les ennemis ne le saisissent, et que nous n'ayons à subir des reproches de la part du roi. Envoie aussi prévenir les nôtres qu'ils reviennent, parce qu'il y a un corps considérable de troupes rangées en bataille, et l'on aperçoit flotter des drapeaux en grand nombre. »

En conséquence, le prince de la maison d'Ankegh confia saint Grégoire à la garde du prince de Mogk',[58] en lui disant: « Hâte-toi d'atteindre la forteresse d'Ogh'gan, et restes-y jusqu'à ce que nous sachions ce qui adviendra. » Puis il envoya avertir les nôtres. Le prince de Mogk', ayant donc pris saint Grégoire, revint par le bas de la colline, dans le but de descendre à Guèvar'k'. Mais les hommes du lieu se mirent à occuper l'endroit par où passait la route. Saint Grégoire, voyant la grandeur du péril de ce côté, descendit les reliques auprès d'une source de l'autre côté de la vallée, en face du village et marqua l'endroit où il les déposa. Le Seigneur les tint cachées, et personne ne put les découvrir jusqu'au retour de saint Grégoire.

Cependant les hommes du village se jetèrent à notre poursuite. Alors chacun de nous étant monté à cheval, nous primes la fuite dans la direction de la forteresse d'Ogh'gan, où, étant arrivés avant eux, nous entrâmes. Des hommes du lieu étaient venus au-devant de nous et nous y avaient introduits. Ceux du village, survenant, pénétrèrent par l'autre extrémité dans la ville de Guëvar'k', dont les habitants les renseignèrent à notre sujet. A cette nouvelle, ils traversèrent de ce côté et se mirent à investir la forteresse. Vivement tourmentés, nous expédiâmes, pendant la nuit, un courrier au prince de la maison d'Ankegh', et nous l'instruisîmes par lettre de l'état des choses. Il envoya quatre mille hommes armés d'épées; le lendemain ils passèrent le fleuve; trois jours après ils assiégèrent la ville, qu'ils ruinèrent, détruisirent les remparts de fond en comble et transportèrent les habitants à Mégh'di.

Lorsqu'ils connurent ce qui en était, les princes montèrent en haut de la colline et virent qu’Artzan n'avait avec lui que quatre cents hommes environ, un peu plus ou moins. Sans plus attendre, ils les attaquèrent bravement et contraignirent Artzan à battre en retraite. En entendant des cris, le reste des troupes arméniennes atteignit en un instant le sommet de la colline. Alors Artzan, se portant en avant, se mit à injurier les princes arméniens: « Avancez, disait-il, apostats qui avez renié les dieux de vos pères, ennemis du très glorieux Kiçanê; ne savez-vous pas qu'aujourd'hui Kiçanê est entré en guerre avec vous, qu'il va vous livrer entre nos mains, et vous frapper d'aveuglément et de mort? Le prince des Ardzrouni, passant au milieu, répondit: « Hé, toi qui nous provoques avec arrogance, si c'est pour les dieux que tu combats, tu es dans l'erreur; si c'est pour la possession du territoire, tu es véritablement insensé, car voici le prince de la maison d'Ankegh', le prince de Siounik', et autres également honorables que vous connaissez bien. » Témétr, fils d'Artzan, reprit: « Ecoutez-nous, princes d'Arménie; il y a quarante ans que nous servons les grands dieux, nous connaissons leur force, et nous savons qu'ils combattent en personne contre les ennemis de leurs ministres. Nous ne sommes certes pas en état de vous résister, car ici est la maison du roi d'Arménie, et vous êtes ses princes. Mais sachez bien ceci: c'est que quoique nous ne puissions pas vous vaincre, cependant il vaut mieux mourir aujourd'hui pour nos dieux que de voir leur temple profané par vous; c'est pourquoi nous avons fait l'abandon de notre vie, et nous désirons la mort. Toi, prince de la maison d'Ankegh', approche, que nous combattions seul à seul. »

Aussitôt le prince de la maison d'Ankegh' et Artzan, s'avançant au milieu, commencèrent à tournoyer l'un autour de l'autre. Artzan, par un mouvement rapide, frappa son adversaire de sa lance à la cuisse et fut sur le point de le terrasser. Alors le prince, se retournant contre lui: « Sache, lui dit-il, qu'on appellera ce lieu Artzan (Pierre), parce qu'on va te dresser une pierre ici même. Puis, élevant la main, il lui asséna un coup de son épée sur l'épaule droite, et détacha le cou avec le bras et la jambe gauches. Artzan roula par terre. On érigea une pierre sur son tombeau, qui est en cet endroit. Aujourd'hui encore, la montagne se nomme Artzan.

Sur ces entrefaites, arrivèrent en hâte les troupes des prêtres de la ville de Vischab,[59] suivies des hommes de Bardikh et de ceux de Mégh'di; d'autres, venus d'Asdgh'ônk', se joignirent aussi à elles. Tous ces contingents réunis formaient, ainsi qu'ils le racontaient eux-mêmes plus tard, un effectif de cinq mille quatre cent cinquante hommes

Lorsque ces renforts atteignirent le sommet de la montagne, un cri se fit entendre entre les deux corps de l'armée ennemie. Toutes les bandes des prêtres, après avoir opéré leur jonction, s'élancèrent sur les troupes arméniennes, les mirent en fuite et les refoulèrent jusqu'au bas de la montagne, dans la direction du village. Les habitants, qui étaient en embuscade, s'étant avancés à la rencontre de nos troupes, les ennemis cernèrent les Arméniens dès deux côtés et commencèrent à les massacrer. Mais le prince de la maison d'Ankegh', s'étant ouvert un chemin à travers les rangs des soldats des prêtres, passait par derrière et tournait ses efforts vers une colline, parce que des fantassins, postés sur le flanc de la montagne, causaient beaucoup de mal aux chevaux avec des pierres. Témétr, en l'apercevant au sommet, quitta sa division pour se diriger de son côté; d'autres corps commencèrent également à se masser sur ce point au galop de leurs chevaux. Lorsqu'ils furent parvenus sur la colline, on se rangea de nouveau des deux côtés en bataille. Nos princes se trouvaient seuls en face de l'armée ennemie, parce que les autres corps de nos troupes n'étaient pas encore réunis: quatre mille hommes gardaient à Mégh'di nos prisonniers; trois mille étaient en route à travers les districts de Pacen et de Hark'; d'autres, disséminés dans la plaine, parcouraient le pays. Lorsque les deux armées furent en présence, au moment où la mêlée allait s'engager, la nuit survint. Les troupes mirent pied à terre et campèrent en cet endroit jusqu'au lendemain. Au point du jour, les restes de l'armée arménienne arrivèrent sur le champ de bataille, en même temps que cinq cents hommes environ venaient de la ville de Diragadar au secours des prêtres. Lorsque des deux côtés on eut reçu des renforts, les prêtres comptaient sous leur commandement six mille neuf cent quarante-six hommes, et les princes arméniens cinq mille quatre-vingts. Aussitôt les trompettes sonnèrent le signal de l'attaque, et chaque soldat se précipita sur le soldat qui lui faisait face. D'abord les Arméniens battirent les prêtres. Mais le prince de Haschdiank', qui était de la famille de Témétr, et se trouvait dans nos rangs, ayant déserté avec sept cents hommes pour passer du côté des prêtres, se mit à combattre contre les princes arméniens. Ce que voyant, les nôtres perdirent courage et restèrent consternés, parce que c'était un homme victorieux dans les combats, habile au métier des armes, et robuste, au point que tous les princes arméniens tremblaient de crainte devant lui. Il répandit avec barbarie des ruisseaux de sang. Alors l'armée entière appela à grands cris le prince de Siounik'. Celui-ci, s'adressant au prince de Haschdiank': « Louveteau, lui dit-il, tu t'es souvenu des mœurs de ton père, et tu as tourné, comme lui, à dévorer les cadavres. — Hé, aiglon, répondit l'autre, tu es fier de tes ailes; mais si tu tombes dans quelqu'un de mes pièges je te montrerai ma force. » Le prince de Siounik' ne supporta pas ses injures; mais, se précipitant sur lui, il lui asséna sur son casque un coup de sa masse d'armes, le sépara de l'armée, et le contraignit de prendre la fuite sur la montagne, dans la direction de l'est. Enfin l'ayant poussé en face des Neuf-Sources, à force de le presser, il le renversa de cheval; puis, mettant pied à terre, il lui trancha la tête avec son coutelas, et fit rouler en bas son cadavre en disant: « Les vautours te verront et sauront que l'aigle a tué le lièvre »; après quoi il s'en revint. Cet endroit se nomme encore aujourd'hui Ardzvik'.

Le prince des Ardzrouni, passant au milieu, détacha des rangs le chef des prêtres d'Aschdischad, qu'on appelait Médaguès, et le poursuivit jusqu'au point le plus élevé du sommet de la montagne. Il l'avait atteint, lorsque Médaguès, se retournant contre lui, le frappa à la cuisse. Mais le prince des Ardzrouni, irrité par le sang qui coulait de sa blessure, fond sur lui, lui fend d'un coup de son épée la tête et le cou, et précipite du haut en bas son cadavre. Ce lieu est appelé Médagogh'.

Cependant le prince d'Ardschouk', réfugié dans le même endroit, s'y tenait caché. Le prince des Ardzrouni, l'ayant aperçu, fit comme s'il ne l'eût pas vu, et, se dirigeant de son côté, il arriva près de sa cachette et fondit sur lui à l'improviste; mais l'autre se sauva dans la forêt; là, un tronc de bois lui ayant traversé le cœur et le foie, il mourut. Alors le prince des Ardzrouni prit les deux chevaux et s'en retourna. Cette localité fut nommée vallée d'Ardschouk'.

De retour sur le champ de bataille, il rencontra Témétr et le prince de la maison d'Ankegh' luttant ensemble. Il fond sur Témétr, lui fend l'épaule droite, le renverse par terre, lui tranche la tête, la jette dans son sac et s'en va. Ils s'élancent ensuite tous les deux sur les troupes ennemies, massacrent sans pitié, étendent par terre les cadavres de mille trente-huit hommes environ et en dépouillent d'autres. Dans ce combat, Témétr tua le fils du prince de Mogk', ce fut un grand deuil pour les princes arméniens.

Témétr étant mort, le prince de Siounik' fit sonner par les trompettes la fin de la lutte. Des deux côtés on cessa de s'exterminer. Ce que voyant, les prêtres supplièrent les princes d'accorder la paix, afin qu'ils pussent enterrer leurs morts. Les princes y consentirent. Ils rassemblèrent donc de part et d'autre tous ceux qui avaient succombé, puis ayant creusé des fosses, ils les y déposèrent, et sur leur tombe ils érigèrent une pierre sur laquelle ils gravèrent ce qui suit:

PREMIERE GUERRE QUI FUT TRES MEURTRIÈRE.

LE GÉNÉRAL EN CHEF ÉTAIT LE PONTIFE ARTZAN

QUI EST ENTERRÉ ICI AVEC MILLE TRENTE-HUIT HOMMES.

NOUS AVONS FAIT CETTE GUERRE À CAUSE DU DIEU KIÇANÊ

ET À CAUSE DU CHRIST.

Ils écrivirent ceci en syriaque et en grec, avec des caractères grecs et arabes.[60] Ensuite les princes descendirent prendre leurs quartiers de nuit aux Neuf-Sources et expédièrent en toute vitesse à saint Grégoire un courrier pour l'inviter à revenir; quant à eux, ils demeurèrent en cet endroit Une portion des troupes resta sur la hauteur, les autres campèrent dans une prairie marécageuse sur le bord d'une fontaine d'eau savoureuse, dans la forêt.

Nous sortîmes de la forteresse et reprîmes le chemin que nous avions suivi dans notre fuite. Arrivés aux abords du village; nous nous égarâmes parce qu'il faisait nuit. Mais pendant que nous longions la lisière des vignes, tout à coup il jaillit des reliques que saint Grégoire avait conservées une lumière plus éclatante que les rayons du soleil, au point que tous les habitants du village, hommes, femmes, vieillards, enfants, sortirent à leurs portes pour la contempler; émerveillés de ce spectacle, ils commencèrent à se repentir. En un instant, ils apportèrent les reliques au milieu du village, et restèrent en prières accompagnées de démonstrations de joie jusqu'au point du jour; le lendemain, les ayant reprises, nous vînmes à Artzan et y lûmes l'inscription. Saint Grégoire pleura pendant plusieurs heures l'inutile, massacre dont cette bourgade avait été le théâtre; puis, prenant le bras droit du Baptiste, il bénit le district en faisant successivement de tous les côtés le signe de la croix et disant: « Que la droite du Seigneur soit sur ce pays, et le préserve de l'ennemi; maintenant qu'il a été châtié par le Seigneur à cause de ses péchés, que ses ennemis cessent de le tourmenter et qu'ils soient exterminés avec leurs iniquités. Que les hérétiques n'habitent point dans cette contrée; que la droite du saint Précurseur soit son sceau et son gardien, et que cet édifice se perpétue éternellement de générations en générations. »

A peine eûmes-nous achevé de parler, que le bruit d'un tremblement parvint à nos oreilles. Lorsque nous descendîmes aux Neuf-Sources, les princes arméniens vinrent à notre rencontre et nous annoncèrent la bonne nouvelle de la destruction de Témétr. Etant arrivés sur les lieux, nous vîmes le temple renversé, et l'idole, qui avait quinze coudées de hauteur,[61] brisée en quatre morceaux; les ministres poussaient des cris et se lamentaient misérablement, les démons eux-mêmes fatiguaient les oreilles de leurs plaintes: « Malheur à nous, disaient-ils, des ossements de morts nous chassent de ce pays »; puis ils allèrent, sous une forme humaine, comme s'ils eussent eu des ailes, se réfugier dans l'idole d'Aschdischad.[62] Les autres, semblables à une multitude de guêpes sans nombre ou à une averse épaisse, se jetèrent sur la foule, et maltraitèrent cruellement les prêtres, qu'ils laissèrent presque morts. Mais saint Grégoire s'approcha d'eux et les guérit; ensuite il donna l'ordre d'abattre l'idole Kiçanê, qui était de cuivre et haute de douze coudées. Lorsque les hommes chargés de cette mission entrèrent dans le temple, à leur vue, les ministres du dieu se précipitèrent avec force lamentations, en disant: « Mourons avant que le grand Kiçanê soit détruit »; mais les soldats cernèrent les prêtres et en tuèrent six; après quoi ils renversèrent les portes de la mort. Alors les démons, élevant la voix, crièrent: « Vous avez beau nous chasser d'ici, il n'y aura jamais de repos pour ceux qui voudront y habiter. » Mais cela n'est pas croyable. Semblable aux portes des villes par où pénètrent des masses de soldats, cet endroit était la porte des démons, dont le nombre à Kiçanê n'était pas moindre que dans.les profondeurs de l'abîme.

Lorsque les soldats eurent détruit l’idole, saint Grégoire jeta les fondements d'une église. Comme il n'existait point de matériaux préparés dans l'endroit, il prit des pierres brutes; puis, ayant trouvé de la chaux dans les temples des idoles, il commença la construction de l'église sur l'emplacement de celui de Témétr, et dans les mêmes proportions. Il séjourna douze jours en cet endroit, et voulait même y déposer les reliques entières du saint Précurseur; mais il n'en reçut pas l'ordre du Seigneur. Il les enferma toutes dans une bière en terre et non dans une bière d'or, parce qu'on ne doit pas envelopper d'or les restes mortels des hommes. Ensuite il les déposa dans une autre bière en cuivre, et y joignit une des pierres brillantes de lumière qu'il avait apportées de Césarée, nommée améthyste. Il ne laissa rien voir à personne; mais, ayant choisi un endroit en secret, l'évêque Alpien et moi nous emportâmes des bêches pendant la nuit, nous creusâmes une fosse de la grandeur de deux hommes, nous jetâmes dedans de petites pierres et nous y déposâmes les reliques du saint Précurseur: le bras droit jusqu'au coude, la main gauche avec le bras, l'os de la cuisse droite avec d'autres petits os du corps. Quant à celles d'Athanakinès, nous divisâmes par moitié la tête et le bras droit jusqu'à la ceinture, et nous les enfermâmes dans une bière d'argile. Si vous voulez connaître exactement toutes ces choses, interrogez Bicidon, interprète syrien; il vous les donnera de vive voix. Le Précurseur est à l'angle de la porte Arsacide; à une palme de distance on trouve des clous pour marque, à l'entrée, à une demi-palme au-dessus du sol, à droite de l'église. Ensuite saint Grégoire fit graver sur une plaque de cuivre, qu'il plaça dans l'estrade, la défense suivante: « Qu'aucune femme n'ose franchir la porte de cette église, de peur qu'elle ne marche sur des reliques vénérables, et que la colère implacable de Dieu ne tombe sur celles qui entreront et les regarderont. » Bicidon a lu lui-même l'inscription.

Les restes d'Athanakinès sont à la même porte, près de l'angle gauche. L'endroit où ces reliques sont déposées est tellement secret, qu'il n'est pas possible de le trouver par l'indice des clous, quand même on creuserait quarante coudées bas. Voici pourquoi: lorsque nous eûmes enfermé les reliques du saint, saint Grégoire, ayant fléchi trois fois le genou avec nous, se releva; puis, étendant les mains du coté de l'Orient, il dit: « Dieu des dieux et Seigneur des seigneurs, qui exécutes la volonté de ceux qui te craignent, et ne rejettes pas les prières de ceux qui te sollicitent; toi, Seigneur, qui as conservé ces reliques et les as amenées jusqu'en ces lieux, étends ta droite sur ces bières, et scelle de ta force indélébile les ossements qu'elles contiennent, afin que personne ne puisse les enlever d'ici ni les trouver jusqu'à la fin du monde, lors de leur renouvellement et de celui de tous les saints. Que si quelqu'un des saints essaye de les en extraire, je te supplie de ne pas écouter ses prières; mais ceux qui, avec espérance et avec foi, demanderont leur guérison, à la porte du saint Précurseur, guéris-les, à moins que ta volonté ne soit de les laisser souffrir, afin qu'ayant été affligés dans leur corps ils vivent en esprit au jugement à venir. Conserve les ministres qui te serviront avec zèle et avec piété dans celte sainte église, car toi seul tu es puissant en toutes choses, et à toi appartient la gloire éternellement. »

Lorsque nous eûmes achevé notre prière, il vint une voix du ciel qui dit: « Il sera fait selon tes désirs; personne ne trouvera les saints pour les enlever, et ceux qui me serviront dans ce lieu par une vie pure et dans la sincérité de leur cœur seront faits participant de leurs biens. Aussitôt la terre remua et recouvrit l'endroit où les reliques étaient déposées. Le lendemain on amena un prêtre païen en présence du prince de Siounik'; ils le pressèrent de leur indiquer le lieu où les trésors étaient cachés, et de leur montrer la porte de la maison souterraine. Il refusa et mourut dans les tortures du gibet. En conséquence il ne fut pas possible de les découvrir, quoiqu'ils soupçonnassent bien qu'ils dussent être enfouis sous les fondements de l'église, qui était auparavant le temple de Témétr; car elle avait été construite sur le même emplacement, et exactement dans les mêmes proportions de largeur et de longueur, à l'exception seulement que les Indiens adoraient à l'occident. Ils fouillèrent également le temple de Kiçanê, situé tout près d'une source abondante, du côté de l'orient, à deux pas d'homme environ de distance, dans l'espoir de les mettre au jour; mais ils ne réussirent pas davantage.

Après avoir passé neuf jours en cet endroit, le prince de Siounik' s'en alla à Guëvar'k', et persuada aux soldats de la bourgade de venir recevoir le baptême; ils v consentirent et le suivirent. Saint Grégoire les conduisit au fond de la vallée d’Aïdzsan,[63] située en face de Gadjgônk', à l'est de la forteresse d'Asdgh'ônk'. Il les baptisa, les oignit de l'onction du Christ et les fit croyants à la sainte Trinité. Le Seigneur fit paraître une grande lumière sous la forme d'une colonne de feu au-dessus des néophytes; elle se tint pendant trois heures au-dessus de l'endroit témoin du merveilleux baptême, après quoi elle disparut à la vue. Le nombre de ceux qui furent baptisée, hommes et enfants, était de cinq mille cinquante. De la il les mena au temple du Seigneur et fit célébrer une fête en l'honneur du saint Précurseur; ce jour-là était le premier de navaçart. Puis il les confia aux soins de prêtres qui, par sou ordre, les reconduisirent dans leurs villages, et recommanda à ceux-ci d'élever une croix de bois sur le lieu où il avait trouvé les reliques, une autre au milieu du village, et de baptiser les femmes dans cet endroit. Quand tout ceci fut terminé, saint Grégoire rassembla les enfants des prêtres païens avec les ministres des idoles, et les exhorta à se convertir au Seigneur Dieu. Ceux-ci refusèrent et dirent aux princes: « Retenez bien ceci: si nous survivons, nous vous rendrons la pareille, et si nous mourons, les dieux nous vengeront. » Ce qu'entendant, le prince de la maison d'Ankegh' les fit transporter a Ph’aïdagaran,[64] et renfermer en prison au nombre de quatre cent trente-huit hommes, après qu'on leur eut rasé les cheveux.

Ils avaient un aspect étrange; ils étaient noirs, chevelus et difformes, étant Indiens de nation. Voici du reste l'origine des idoles existant en ces lieux. Témétr et Kiçanê étaient princes dans l'Inde et frères tous deux. Ils ourdirent une trahison contre Dinaskè, leur souverain; celui-ci en fut informé et envoya des troupes à leur poursuite, avec ordre de les tuer ou de les expulser du territoire. Ils ne s'échappèrent qu'avec peine, et se réfugièrent auprès du roi Vagh'arschag, Celui-ci leur donna le pays de Darôn en toute propriété; ils y élevèrent une ville qu'ils nommèrent Vischab. Étant venus à Aschdischad, ils y érigèrent ces idoles sous le nom de celles qu'ils adoraient dans l'Inde. Au bout de quinze ans, le roi mit à mort les deux frères, je ne sais pour quel motif, et partagea leurs domaines entre leurs trois fils, Guëvar', Mégh'dès et Hor'iàn. Guëvar construisit le village de Guëvar'k', qui fut ainsi appelé de son nom; Mégh'dès construisit, dans une plaine, une bourgade qu'il appela de son nom Mégh'di, Hor'ian en bâtit une autre dans le district de Balounik', et l'appela de son nom Hor'iank'.

Au bout d'un certain temps, s'étant concertés ensemble, Guëvar, Mégh'dès et Hor'ian se rendirent sur le mont K'arkê, qu'ils trouvèrent fort agréable et charmant, parce qu'il offrait un vaste terrain pour la chasse, des lieux ombreux, de l'herbe et du bois en abondance. Ils y élevèrent des villages, érigèrent deux idoles, lune sous le nom de Kiçanê, l'autre sous celui de Témétr, et consacrèrent leur famille à leur service. Kiçanê portant toute sa chevelure, ses ministres avaient, pour cette raison, laissé croître la leur, que le prince de Siounik' avait ordonné de leur couper. Lorsque ces populations se convertirent au Christ, leur foi n'était pas parfaite; ne pouvant suivre ouvertement les usages de leurs pères, elles avaient imaginé la ruse que voici: c’était de laisser pousser les cheveux sur la tête de leurs enfants seulement, afin que leur vue leur rappela leur culte immonde. Je vous en prie, tenez-vous sur vos gardes, de peur qu'il ne se répande sur votre territoire, et que vous ne tombiez sous le coup de la malédiction. Mais revenons à notre sujet et reprenons le fil de notre récit.

Après avoir jeté les fondements de l'église et y avoir déposé les reliques, saint Grégoire éleva le signe en bois de la croix du Seigneur à la porte même, sur l'emplacement de l'idole Kiçanê, et laissa, pour administrer l'église, Antoine et Cronidès. Il établit Epiphane[65] supérieur du couvent, sous sa propre direction, lui donna quarante-trois moines et lui assigna douze villages pour subvenir aux besoins de la communauté. Du nombre étaient Guëvar'k', Mégh'di, Prekb, Mousch, Khorni,[66] Guégh'k' et Pouzou, tous villages très considérables, ainsi qu'il est dit dans les archives des princes mamigoniens. En effet, Guëvar'k' comptait trois mille douze maisons et mille cinq cents cavaliers; Doum,[67] neuf cents feux et quatre cents cavaliers; Khorni,[68] mille neuf cent six feux, sept cents cavaliers[69] et mille sept fantassins; Prekh[70] mille six cent quatre-vingts feux, mille trente cavaliers et quatre cents fantassins; Guédégh'k',[71] mille six cents maisons, huit cents cavaliers et six cents fantassins; Pouzou,[72] dont la signification est demeure de beaucoup d'hommes, trois mille deux cents feux, mille quarante cavaliers, huit cent quarante fantassins armés d'arcs,[73] six cent quatre-vingts armés de lances, et deux cent quatre-vingts de frondes. Ils envoyaient paître leurs troupeaux jusque dans le district de Haschdiank'. Tous ces villages avaient été, dès le principe, affectés au service des idoles. Les princes en confirmèrent la cession en faveur de l'église, en l'an 32.[74] Ainsi l’a réglé saint Grégoire. Douze jours après nous descendîmes au village de Mégh'di et y couchâmes. Au milieu de la nuit, un messager vint nous annoncer la fâcheuse nouvelle que les hommes du Nord s'avançaient contre nous. Sur-le-champ nous prîmes le parti de traverser le fleuve et de nous renfermer dans une forteresse nommée Thartzénk'.[75]

Les princes poussèrent une reconnaissance jusqu'aux portes de la ville de Mousch;[76] puis s'étant assurés qu'il n'y avait rien, ils s'en retournèrent sur leurs pas et vinrent au-devant de nous; nous ayant fait laisser en arrière les rives de l'Aradzani,[77] quelques-uns prirent les devants et entrèrent dans la ville, quelques autres nous accompagnèrent. Lorsque nous fûmes éloignés d'une distance de deux ou trois courses de cheval environ, nous arrivâmes près d'un petit vallon et voulûmes le traverser ensemble, pour gagner le lieu des temples, où l'on avait songé à déposer le reste des reliques; mais les mulets des chars ne purent atteindre l'autre bout de la vallée et restèrent en place. Dans ce moment apparut un ange qui arrêta Grégoire, et lui dit: « Il a plu au Seigneur que les saints reposent ici pour manifester, jusque dans les lieux les plus éloignés, la puissance de Dieu, afin qu'en la voyant les hommes croient aux miracles. » Nous n'avons point entendu d'autres raisons de la bouche de saint Grégoire.

Nous étant donc mis à l'œuvre, nous commençâmes la construction d'une église; puis, pendant la nuit, nous préparâmes, de la même manière que précédemment, un endroit pour recevoir les reliques, que nous déposâmes dans une bière de grandeur d'homme, près de la porte de l'église, du côté droit. Saint Grégoire plaça dans cette bière la seconde pierre brillante, à cause de la lumière qui en jaillissait continuellement. Voici les reliques qu'elle contenait: la moitié du corps d'Athanakinès, l'os de la cuisse gauche du Précurseur, les deux jambes et une portion des os de l'épine dorsale. Le reste, c'est-à-dire les deux pieds et le pouce de la main gauche, était conservé à Césarée. Après que nous les eûmes enfouies à la même profondeur qu'aux Neuf-Sources, saint Grégoire fléchit le genou avec nous, et adressa la même prière à Dieu que personne n'osât les enlever. Une voix vint également du ciel, disant: « Ce que tu as demandé sera fait, personne ne pourra les découvrir. » Ensuite nous nous en allâmes en paix. Un clou marque l'endroit pour ceux qui désireraient le savoir.

Quant aux événements qui suivirent, nous laissons à d'autres le soin de les raconter jusqu'à ce que l'ordre de l'histoire nous ramène de nouveau à Darôn. Car de même que je n'ai point écrit touchant d'autres localités, de même personne ne peut écrire l'histoire de la mienne, parce que c'est l'histoire des rois.

Tel est l'exposé de la première guerre d'Artzan et des événements accomplis de mon temps.

DEUXIÈME LETTRE CONCERNANT LA GUERRE QUI EUT LIEU DANS ARTZAN.

Vers ce temps-là arriva à la Porte du roi la nouvelle que l'empereur Constantin avait cru au Christ Dieu, qu’il avait fait cesser la persécution contre les églises et qu'il signalait son gouvernement par beaucoup de bravoure. Ayant formé le projet de se rendre à la Porte de l'empereur pour conclure avec lui un traité de paix, Dërtad partit avec saint Grégoire[78] et arriva dans le district d'Abahounik', au village de Mandzguerd.[79] Le roi du Nord réunit une armée et marcha centre le prince de Géorgie,[80] le mit en fuite et le chassa jusque dans la ville de Garin, réduisit le pays en servitude et emmena environ quarante-huit mille personnes. Sur ces entrefaites, un ambassadeur du prince de Géorgie vint trouver Dërtad pour solliciter l'appui de ses armes, et le conjurer de ne pas laisser dépeupler le territoire.[81] Le roi réunit trente mille hommes sous le commandement du prince d'Abahounik' et les envoya à son secours. Ces troupes restèrent un mois, reprirent un certain nombre de prisonniers, s'emparèrent de trois princes et les emmenèrent. Le prince d'Abahounik', ayant laissé quelqu'un pour garder le pays[82] s'en revint avec ses troupes vers le roi.

Cependant je suppliai saint Grégoire de venir voir mon couvent, dont il avait jeté en personne les fondements, sous le nom du saint Précurseur, et qui était encore dans le même état. Le roi, ayant consenti également à visiter les lieux fondés par saint Grégoire,[83] partit d'Aschdëk'[84] et traversa les montagnes, parce que plusieurs personnes, ayant aperçu des troupes grecques, avaient publié que les princes du roi du Nord s'avançaient avec une armée considérable pour se venger de ce que Dërtad leur avait ruiné nombre de districts et de villes, et envoyé soixante mille de leurs sujets en esclavage à Tévïn. Mais lorsqu'il eut appris que c'étaient des troupes grecques, il retourna dans le district de Haschdiank' et vint établir son camp au sommet d'Artzan, à cause de l'étendue du terrain.

Lorsque nous fûmes arrives aux Neuf-Sources avec le roi, nous demandâmes Antoine et Cronidès. Les ministres répondirent: « Il y a un peu moins d'une année que nous ne les avons pas vus. Le roi fut extrêmement affligé de cette nouvelle, parce qu'il y avait longtemps qu'il désirait les voir. En conséquence saint Grégoire envoya l’évêque Alpien avec deux diacres à leur recherche, et lui adressa cette recommandation: « Dès le matin ils sortiront de la forêt pour monter quelque part sur la colline; prends garde qu'ils ne t'aperçoivent, de peur qu'ils ne prennent la fuite. » Ils furent pendant quatre jours sans pouvoir les découvrir. A l'aurore du cinquième jour, ils entendirent la voix de leur psalmodie, au moment où ils sortaient de la forêt, à l'ouest de la source d'eau savoureuse. Lorsqu'ils furent arrivés sur la colline, que nous appelons Colline du soleil, à l'orient, à l'endroit du temple de Témétr (des cavernes qui s'ouvraient dans les flancs de la montagne, à l'est, leur servaient de cellules), ils se rapprochèrent de la fontaine et se mirent à psalmodier: « Fais-moi entendre dès l'aurore, Seigneur, la voix de ta miséricorde. » Alpien répondit: « Ton esprit plein de bonté me conduira.[85] » Après qu'ils eurent achevé la prière en cet endroit, Antoine dit à Alpien: « Tu es le bienvenu, voyageur pacifique. » Alpien répondit: « Nous sommes heureux de vous avoir trouvés, ô sanctuaires du Saint-Esprit et flambeaux lumineux. Nous vous apportons une bonne nouvelle: saint Grégoire et le roi Dërtad sont dans votre couvent et vous demandent instamment. — Et nous, nous vous annonçons, reprirent Antoine et Cronidès, que Satan a été détruit et que Dieu a rempli aujourd'hui le monde d'une joie double par la descente du Saint-Esprit. » Ce lieu fut nommé Colline des bonnes nouvelles. Alpien nous envoya ses deux diacres pour nous annoncer la nouvelle. En l'entendant nous fumes remplis de joie. Saint Grégoire envoya les deux mêmes diacres la porter à Dërtad, au pied du mont Artzan. Le roi, en l'apprenant, éprouva une vive satisfaction, et vint au couvent, suivi des princes les plus marquants. Dans l'endroit où les nouvelles avaient été échangées, il donna l'ordre de rassembler des rochers en forme de monticule et fit dresser dessus une croix, que nous appelons Croix des bonnes nouvelles.

Saint Grégoire partit accompagné de toute la foule des moines, de la croix du Seigneur et des ministres portant des torches, au milieu des suaves parfums de l'encens et dune grande pompe religieuse. La forêt retentissait des chants d'allégresse des prêtres. Lorsque nous approchâmes de la colline, Antoine et Cronidès vinrent à nôtre rencontre; y étant montés tous ensemble, nous y priâmes. Après l'échange des salutations, saint Grégoire dit: « Je suis heureux de vous avoir trouvés, aurores de paix. » Ils répondirent: « Tu es le bienvenu, ô soleil de justice qui éclaires le monde, ouvrier irréprochable, tour plus élevée que les cieux ! » Nous nous embrassâmes à plusieurs reprises les uns les autres, puis nous les emmenâmes avec nous, et nous nous acheminâmes dans la direction de l'église, non loin de la colline, qui n'en est séparée que par une petite distance, du côté du nord; cette colline regarde l'orient, dans une position très agréable, et forme une sorte d'observatoire que l'on aperçoit d'un grand nombre de lieux. Quand nous les eûmes conduits en présence du roi, celui-ci les supplia de le bénir; s'étant levé, il les embrassa; ensuite ils s'assirent devant l'église. Ils s'entretinrent longuement ensemble sur des points de doctrine; puis Antoine et Cronidès leur enseignèrent les règles de la vie monastique. Au bout d'un séjour de quinze jours en cet endroit, le roi érigea une croix de grands blocs de pierre polis sur l'emplacement même du temple de Ricané, en avant de la fontaine où saint Grégoire avait guéri les malades. Lorsque l'instrument sacré eut été planté, on célébra une fête en signe de réjouissance. Toutes les populations qui s'étaient rassemblées de divers lieux s'élevaient au nombre de cent mille quatre cent cinquante hommes, non compris les troupes du roi et les gens de la suite de saint Grégoire. Le roi donna l'ordre de les compter et d'en graver le chiffre sur le fût de la croix, pour servir de témoignage aux générations à venir.

A l'issue des jours de fête, les troupes cantonnées en Géorgie rejoignirent le roi, amenant avec elles les trois princes et quatre cents hommes de marque. Le roi, en les voyant, fut rempli de joie, rendit grâces à Dieu de ce qu'il avait livré ses ennemis entre ses mains, et envoya les princes enchaînés dans la forteresse d'Ogh'gan. Dërtad et Grégoire, de leur côté, continuèrent leur voyage, et, après un petit nombre de stations, arrivèrent jusqu'à Rome. Ils restèrent peu de jours dans cette ville et s'en revinrent comblés des plus magnifiques honneurs.[86] Ils ressentirent une grande joie en entrant dans le district d'Eguégh'iats, au village de Thil;[87] ils le quittèrent au bout de trois jours et pénétrèrent dans le district de Balounik'; ils séjournèrent trois jours dans le grand bourg de Hor'iank', gagnèrent ensuite le village de Guëvark', et, comme ils étaient fatigués, ils se reposèrent ce jour-là.

Les troupes qui étaient allées en Géorgie, qui avaient délivré des prisonniers et renfermé dans la forteresse d'Ogh'gan les trois princes qu'elles avaient amenés avec elles, avaient laissé pour gouverner le pays le prince d'Agh’tzënik avec quatre mille hommes.[88] Mais celui-ci, corrompu par l'or du roi du Nord, des mains de qui il avait reçu 60.000 tahégans, se retira sur le territoire d'Abahounik'. Le prince du Nord, en effet, essayait par toutes sortes de ruses de se saisir de Dërtad, qui ignorait ses machinations hostiles. Il s'emparait des soldats qui marchaient isolés, les faisait lier et conduire dans son camp. Grâce à ce stratagème et à ses éclaireurs, il arriva jusque dans le voisinage du roi et le serra étroitement. Les troupes que Dërtad avait avec lui se composaient seulement de trente mille hommes; le reste était allé occuper le village de Mousch. Au milieu de la nuit, pendant que nous étions occupés à célébrer l'office devant la croix sacrée érigée.par le prince de Siounik', à la recommandation de saint Grégoire (dans le même temps que Dërtad avait élevé la croix des Neuf-Sources, le prince de la maison d'Ankegh' avait dressé celle de Horiank', et le prince de Siounik' celle de Guëvar'k; saint Grégoire était allé les bénir toutes deux et avait jeté les fondements d'une église dans chacun des villages), dans ce même village de Guëvar'k', au milieu de l'office de la nuit, pendant que nous récitions le cantique d'actions de grâces des trois enfants,[89] en présence du roi et de tous les princes qui faisaient leur prière, sans que nous eussions le moindre soupçon de ce qui se passait, tout à coup une voix terrible comme celle des nuages dont le son ébranle fortement, vint frapper nos oreilles: « Des fantassins cernent le haut du village et des cavaliers occupent le bas. » Puis les trompettes commencèrent à sonner le signal du combat; alors nous pûmes entendre un violent fracas autour de nous, et les hennissements des chevaux.

Nos princes se disposèrent à marcher à l'ennemi et à engager la bataille, parce que la lune était au milieu de sa course; mais Dërtad les arrêta: « Il fait nuit, leur dit-il, et nous ne connaissons pas le chiffre de l'armée. Si vous voulez agir avec prudence, que six mille hommes se cachent au milieu des vignes, au sommet d'Artzan, et y restent jusqu'au matin; que quatre mille gagnent le territoire de Haschdiank; que quatre mille autres, passant au milieu, aillent se poster autour des vignes sur le point culminant et nous attendent; mais prenez garde que l'ennemi ne vous aperçoive, et que, par une fuite simulée, il ne vous cerne et ne vous mette en danger. » Il partagea les troupes et les envoya prendre les positions qu'il avait imaginées.

Cependant le roi, Grégoire et nous, renfermés ensemble dans une petite forteresse, nous priions. Sur ces entrefaites, un soldat des troupes de Siounik' s'empara d'un jeune homme de l'armée du Nord et le conduisit au roi. Lorsque Dërtad apprit que c'étaient ses soldats et ses princes qui étaient les auteurs de ce qui se passait, que le chef de l'armée ennemie était Kétrébon et qu'il était venu avec cinquante mille hommes pour s'emparer de sa personne, il recommanda aux siens de se tenir prêts à une lutte à mort comme si ce devait être leur dernier jour. Dès le matin, ses soldats se mirent à lui préparer la route pour monter à Artzan. Mais le roi du Nord donna l'ordre à ses troupes de se porter en avant; il voulait arrêter Dërtad avec six mille hommes armés de toutes pièces. Ceux-ci, ayant pris les devants, arrêtèrent Dërtad, qui resta pendant de longues heures dans l'impossibilité d'atteindre le sommet. A cette vue, saint Grégoire, fondant en larmes, éleva la voix et dit: « Baptiste et Précurseur du Christ, vois ce qu'ils font; viens à notre secours et fais que ce jour soit signalé parmi les nations. » Puis, prenant les reliques des saints apôtres qu'il avait apportées de Rome, il fit avec elles le signe de la croix sur les ennemis. Sur le champ, Dërtad reprit courage, poussa un cri à la manière des guerriers, en appelant à son aide le saint Précurseur, se fraya un passage à travers l’avant-garde ennemie et gagna le haut de la colline. Les troupes qui étaient restées cachées pendant la nuit, ayant fait leur apparition, cernèrent ce corps d'armée, le forcèrent de battre en retraite et l'acculèrent dans une forêt au sud; l'ayant pris comme dans un filet, elles levèrent dessus leur sabre et l'exterminèrent. Cet endroit fut nommé Thagarthk' (Filet).

Cependant l'armée du Nord, jugeant le moment favorable, se porta sur le village et allait nous obliger à quitter la forteresse. A cette vue, les quatre mille hommes qui étaient postés au-dessus du village s'élancèrent à sa rencontre, la mirent en fuite et la repoussèrent jusqu'en bas. Les vignerons lancèrent des pierres à la tête des chevaux, et quelques cavaliers qui en furent atteints en moururent.

D'un autre côté, nos soldats l'ayant dispersée au milieu des vignes très peu échappèrent. Six cents étaient restés morts à Thagarthk'; il en avait été massacré deux mille sept cents autres, plus huit cents tués à coups de fronde; en tout, quatre mille deux cent douze hommes.

Le roi, revenant de ce petit massacre, monta au sommet d'Artzan et fit sonner de la trompette jusqu'à ce que toutes ses troupes fussent rassemblées au même lieu. Lorsqu'elles furent réunies, on conduisit saint Grégoire dans la forêt et on lui laissa une garde de six cents hommes. Cependant le roi du Nord emmena son armée dans le district de Haschdiank'; de là, il expédia à Dërtad une lettre conçue en ces termes: Viens demain, que nous livrions bataille et que ce jour soit éternellement mémorable entre nous deux; rends-moi mes princes et paye-moi tribut pendant quinze ans; sinon, je dévasterai ton territoire par le glaive, l'esclavage et la mort, afin que tu saches que tu as été un porc devant tes soldats. Réponds à ce sujet. Le roi, ayant lu la lettre, ne répondit point; mais il partit à la tête de ses trente mille hommes pour livrer combat, et alla camper en face de l'ennemi, à Mouschegh'amark de Haschdiank'. Le lendemain ils commencèrent leurs préparatifs et disposèrent l'ordre d'attaque. Dërtad laissa deux portes pour servir de passage, et en confia la garde au prince des Pakradouni;[90] puis il donna le commandement de l'aile droite de l'armée au prince.de Siounik', celui de l'aile gauche au prince de la maison d'Ankegh'. Quant aux princes-préfets, il les réserva pour sa garde personnelle. Les dispositions étant terminées des deux côtés, on se prépara à la lutte.

Mais au moment où les deux armées allaient s'aborder, le roi du Nord, élevant la voix, dit: « Roi d'Arménie, approche. » Arrivés en présence l'un de l'autre, ils se mirent à frapper comme des tailleurs de pierres ou comme des forgerons autour d'un brasier; l'un retirait le bras, l'autre l'abaissait. Car le roi du Nord était de grande taille et non moins robuste que Dërtad. Ils échangèrent nombre de coups sans résultat. Cependant le roi du Nord commença à faiblir et comprit qu'il allait succomber. Comme il était muni d'un lacet il le lança brusquement à son adversaire, lui serra l'épaule avec le cou; puis tournant rapidement, il noua le lacet jusqu'à ce que Dërtad fût dans l'impossibilité de remuer la main. Celui-ci, éperonnant le flanc de son cheval, le pousse contre Kétrébon avec une force telle qu'il ne lui laissa pas le temps de faire dix pas devant lui. Lorsqu'il l'eut atteint: « Chien enragé, lui dit-il, tu tes attaché à ta chaîne »; puis, levant la main droite sur la tête de Kétrébon, il lui asséna un coup d'épée sur l'épaule gauche, le pourfendit jusqu'à la ceinture, sépara en deux le dos du cheval avec la tête et les fit rouler par terre. Spectacle horrible! la tête, le bras et le pied droit se tenant ensemble, et le dos du cheval, fendu par le milieu, gisaient sur le sol.[91] A cette vue, le prince de la maison d'Ankegh' se porta en avant avec l'aile gauche, en criant: « Prince de Siounik', fais avancer les chèvres, le bouc hun est mort. » Celui-ci se mit en marche, traversa les rangs ennemis et se dirigea du côté du chef de l'aile droite de l'armée du Nord. « Toi qui aboies contre les astres, dit-il, approche, que nous luttions seul à seul. » Ils s'abordèrent; le général du Nord fondit sur le prince de Siounik' et abattit la tête de son cheval. Celui-ci, tirant son épée, trancha les jambes de devant du cheval de son adversaire. Renversés tous deux également par terre, ils combattirent corps à corps. Cependant un des gens du prince de Siounik' culbuta un cavalier et présenta le cheval à son maître, en disant: « Levez-vous, maître, et montez. » Le prince se hâta de sauter dessus; puis se tournant contre le général, il lui trancha la tête, la jeta dans son sac et s'en revint. Le prince de la maison d'Ankegh', voyant ce qui se passait et les ennemis battre en retraite, entra en ligne à son tour, et on s'assaillit des deux côtés avec vigueur. Le roi les poursuivit jusqu'au coucher du soleil et massacra sans pitié tout ce qui résista. Arrivées dans un lieu étroit, les deux armées demandèrent à passer la nuit sur le bord d'une petite rivière qui traverse le district de Haschdiank' au nord-est; les ennemis campèrent de l'autre côté et les nôtres en deçà. Au point du jour, les restes de l'armée du Nord firent leurs préparatifs et se précipitèrent sur les troupes arméniennes qu'ils commencèrent à massacrer impitoyablement. Ils les poussèrent avec tant de hardiesse qu'ils cernèrent le prince de Dzoph'k'[92] avec nombre d'autres; réduit à l'extrémité, il s'écria: « Ou es-tu, prince de Siounik? Viens à mon secours ! » Celui-ci, arrivant comme un aigle au vol rapide, le dégagea de ceux qui le pressaient. Lorsqu'il vit qu'il était blessé grièvement à l'aine, il le prit par la main et le reconduisit au camp, où il mourut. Cependant le général du Nord, qui s'était tenu à l'écart jusque-là, excita pendant la nuit les autres princes à marcher contre le roi.

Ceux-ci firent selon qu'ils étaient convenus. Ils fondirent à l'improviste sur les tentes du roi, rompirent les ailes, et, arrivant sur lui, ils allaient s'emparer de sa personne, si un corps de troupes, celui des braves Mehnouniens, n'était accouru à temps pour lui permettre d'atteindre les restes de l'armée du Nord. Dërtad et le général s'abordèrent avec fureur, et le général blessa grièvement le roi au bras gauche. Irrité et rugissant comme un lion, Dërtad fondit sur son adversaire, le frappa à la tête et la lui fendit en deux, mit en déroute les troupes qu'il avait devant lui et les poursuivit jusque sur le territoire de Hark'; quelques autres les poussèrent jusqu'à la ville de Garin. De retour à Artzan, le roi et les princes descendirent auprès de saint Grégoire, au lieu où était le saint Précurseur; ils rendirent ensemble de solennelles actions de grâces à Dieu, lui offrir eût en holocauste des taureaux blancs, des boucs et nombre d'agneaux, et distribuèrent aux pauvres d'abondantes aumônes. Lorsque toute l'armée et les princes furent réunis, on en fit le dénombrement et l'on trouva qu'il avait été tué mille huit cents hommes des nôtres, tandis que ceux du Nord en avaient perdu quinze mille neuf cent quarante-deux.

Ceux qui s'étaient enfuis jusque dans le district de Hark' furent attaqués en six endroits différents par le prince de Hark', qui leur tua mille six hommes. De là, ayant pénétré en Géorgie, ils furent exterminés en nombre de lieux. Six mille hommes seulement rentrèrent dans leur pays; quand ils avaient envahi Darôn, ils s'élevaient à cinquante-huit mille. Tout ceci se passa au retour de Rome de Dërtad et de Grégoire, par suite de la trahison du prince d'Agh’tzenik'. Ils restèrent trois jours aux Neuf-Sources, ensuite de quoi ils partirent ensemble pour le district d'Abahounik', emmenant avec eux les princes qui étaient renfermés dans la forteresse d'Oghgan; quant aux quatre cents hommes, Dërtad les fit transporter à la cour. Lorsque nous eûmes rejoint les troupes qu'il avait envoyées devant, il leur donna l’ordre de s'emparer du prince d'Agh’tzenik'. Lorsqu'il fut arrivé devant lui, il voulait lui trancher les pieds et les mains. Saint Grégoire l’en empêcha et lui conseilla, en place de ce châtiment, de le dépouiller de sa dignité et de l'expulser du territoire arménien

Quant aux événements qui suivirent, si quelqu'un veut les connaître, il les trouvera dans un autre historien. Cette réponse de notre part doit vous suffire? Que si vous désirez venir dans ce pays, le sol en est fertile, la température douce; les eaux y abondent, il est uni comme une plaine, et autour des montagnes se dressent de nombreuses forteresses. Il produit en grande quantité de l'herbe et du miel. Semblable à la manne qui tombait du ciel pour les Juifs, une rosée plus douce que le miel se dépose ici sur les arbres; on l'appelle kazabén. Desséché par un vent: brûlant, il est pauvre en blé; les animaux y sont en petit nombre; c'est un pays regorgeant de toutes sortes de richesses, excellent et salubre. Les princes sont amis des moines, purs de désordres, bienveillants pour les pauvres; ils prennent soin des orphelins, protègent les églises et sont pleins de sollicitude pour tous. Que par vos prières le Seigneur conserve en paix notre troupeau et le vôtre avec sa grâce.

Salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ.


[1] Cf. Jean Mamigonien, Histoire de Darôn, Venise, 1832, in-8°, p. 7.

[2] Voir plus loin la première lettre de Zénob.

[3] Saint Barthélémy et saint Thaddée, auxquels il faut ajouter Jude, frère de Jacques, suivant une tradition qui nous a été conservée par Jean Vanagan, célèbre docteur et historien arménien du xiiie siècle.

Le même auteur ajoute que lorsque l'Arménie échut en partage à Thaddée, il en manifesta sa tristesse en se plaignant de ce que le pays était froid et les habitants grossiers, et que pour le consoler et l'aider les autres disciples lui donnèrent l'huile à onction bénite par le Christ et la lance qui lui avait ouvert le coté. (Cf. Jean Vanagan, Discours sur l’établissement de l’Église arménienne, manuscrit arménien de la Bibliothèque impériale, n° 12 ancien fonds, f° 50 recto.)

[4] Voir plus loin la première lettre de Zénob.

[5] Sur l'origine chinoise de cette famille et son établissement dans le pays de Daron, voir Moïse de Khoren, Histoire d’Arménie, II, chap. lxxxi et lxxxv; Sébéos, Histoire d'Héraclius, p. 28-30; Saint Martin, Mémoires sur l'Arménie. t. II, p. 23 et suiv.

[6] Voir plus loin la première lettre de Zénob.

[7] Voir plus loin la première lettre de Zénob.

[8] Les Rois liv. I, chap. ii, v. 22.

[9] Voir plus loin la première lettre de Zénob.

[10] District de la Quatrième Arménie, à l'extrémité orientale, et voisin de celui de Darôn.

[11] Voir Saint-Martin, Mém. sur l’Arm. t. I, p. 115-116.

[12] On nommait ainsi les commandants chargés de la garde des frontières.

[13] Sur la recommandation de Grégoire, Tiridate avait établi en nombre de lieux des écoles où la jeunesse arménienne était initiée, dans les langues grecque et syriaque, à l'étude de la nouvelle doctrine. (Cf. Agathange; traduction italienne, deuxième partie, ch. xvii.)

[14] Sur ces deux districts, voir ma traduction de l’Histoire d'Arménie d'Arisdaguès de Lasdiverd, dans la Revue de l'Orient; cahier de juin, p. 350, note 2, et p. 352, note.3.

[15] De là le nom de Couvent de Klag donné fréquemment par les écrivains arméniens au monastère fondé d'abord par saint Grégoire sous l'invocation du saint Précurseur.

[16] Non pas d'Egypte,' niais de Syrie. Cette confusion s'explique naturellement par le fait que les résidences des trois évêques en question, de même qu'Acten et Nystra (v. plus haut), étaient située sur les frontières de Syrie, limitrophes de celles d'Egypte. Pour Acten et Nystra, le doute n'est pas possible. Quant aux évêchés de Victor, d'Anastase et de Caius, la réponse faite par Zénob à la lettre qu'ils écrivirent plus tard à saint Grégoire prouve qu'ils appartiennent également à cette contrée.

[17] Sur cet hérétique, consulter Fleury, Histoire ecclésiastique, t. I, p. 276-277.

[18] Voir plus loin la deuxième lettre de Zénob.

[19] Ce couvent, nommé aussi Monastère des saints Apôtres, existe encore; il est situé à deux heures de Mousch, dans le Kurdistan ottoman. A l'intérieur sont deux églises, l'une petite, dédiée à saint Grégoire, à qui on en attribue la construction; la seconde, grande et surmontée d'une coupole, est couverte en dalles de pierre dont plusieurs sont chargées d'inscriptions qui sont restées inconnues jusqu'à ce jour. (Cf. Indjidj, Arménie moderne, p. 188-189.)

[20] Voir plus loin la deuxième lettre de Zénob.

[21] Cet appel à l'indulgence des lecteurs ne peut évidemment pas être sorti de la plume de Zénob, et doit être l'œuvre postérieure ou de son correcteur ou d'un copiste.

[22] Khosrov I, surnommé le Grand, de la dynastie des Arsacides, monta sur le trône d'Arménie en l’année 214, et régna quarante-cinq ans, suivant Tchamitch. (Hist. d'Arm. t. I, p. 359 et 366; t. III, dans les Tables, p. 46 et 48.)

[23] Ardévan ou Ardavan, l'Artaban des Grecs et des Latins, dernier roi arsacide de Perse, fut tué, en combattant, par Ardeschir, le fondateur de la dynastie des Sassanides, en 225.

Le texte grec d'Agathange, Zénob et après eux Procope prétendent à tort qu'Ardévan était frère de Khosrov; il n'existait entre ces deux rois d'autre lien que celui d'une simple parenté. (Cf. Oukhthanès d'Edesse, Histoire de la séparation religieuse des Arméniens et des Géorgiens, manuscrit arménien de la Bibliothèque impériale, n° 47, supplément, p. 67.)

[24] A plusieurs reprises, suivant le témoignage d'Oukhthanès d'Edesse, loc. laud.

[25] Voir, pour plus de détails sur ces expéditions de Khosrov contre Ardeschir, Agathange, trad. ital. première partie, chap. il; Moïse de Khoren, Hist. d’Arménie, II, chap. lxxii et lxxiii; Oukhthanès d'Edesse, p. 60, 61, 62 et 67.

[26] De la branche Sourên-Bahlav, dont les membres avaient fait leur soumission à Ardeschir. (Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm. II, chap. lxxi et lxxiv.)

[27] Ici comme à la page 400, par le mot de Balhav ou Bahlav, il faut entendre la ville de Pahla, capitale de la province du même nom, Ses Arabes et des Perses. Quant à l'expression Bardav, je n'hésite pas à y voir, avec M. Patcanian (Essai d'une histoire de la dynastie des Sassanides, d’après les témoignages fournis par les écrivains arméniens, en russe, p. 23), la transcription du mot Parthaiea des inscriptions cunéiformes de l'ancienne Perse, c'est-à-dire la Parthie qui formait, avant Ardeschir, le domaine particulier de la famille Sourên-Bahlav.

[28] Pour plus amples détails, voir Agathange, 1re partie, chap. iii.

[29] Cf. Agathange, 1re partie, chap. iv et v; Oukhthanès d'Edesse, p. 63-64 et 67.

[30] C'est-à-dire à Sourên, qui en était en Perse le représentant unique. (Cf. Oukhthanès d'Edesse, p. 68.)

[31] Dans la province de Vasbouragan au nord, et au sud-est du mont Macis, près de l’Araxe. (Cf. Indjidj, Géographie de l'Arménie ancienne, p. 202.)

[32] Pour tous ces faits, consulter Moïse de Khoren, Hist. d'Arm. II, chap. lxxx. Vartan, Epitome historique, p. 36-37. Suivant Oukhthanès d'Edesse, p. 67, ce serait à Ardaschad, et non à Vagharschabad, qu'Euthale aurait arrêté son beau-frère.

[33] R'okohi, la seconde des deux leçons données par Tchamitch, Hist. d’Arm. t. I, p. 336; t. III, dans les Tables, p. 176), paraît devoir être rejetée; car tous les écrivains arméniens qui ont reproduit le nom de la mère de saint Grégoire l’Illuminateur rappellent, comme Zénob, Okohi ou Okouhi.

[34] Khosrovouhi, sœur d’Anag, était épouse de Diran, fils de Dschévanschir, et non de Dschévanschir lui-même. (Cf. Oukhthanès d'Edesse, Hist. de la sépar. rel. des Arm. et des Géorg. p. 68; Vartan, Epit. hist. p. 37; le même, Panégyrique de saint Grégoire l’Illuminateur, dans sa Petite Bibliothèque arménienne, t. V, p. 48.)

[35] Dans son Mémoire sar les relations politiques et commerciales de l’empire romain avec l'Asie orientale, pendant les cinq premiers siècles de l'ère chrétienne, mémoire si remarquable par la nouveauté des aperçus et de leurs résultats (Journal asiatique, cahier de mai-juin 1863, p. 433-434) le savant M Reinaud identifie complètement les Hephtalites aux Yue-Tchi ou Indo-Scythes, autrement dits les Bactriens. Le récit de Zénob, joint au fait de l'existence certaine d'un royaume arsacide dans la Bactriane à la même époque (cf. Moïse de Khoren, Hist. d'Arm. II, chap. LXXII), ne permet pas, à mon avis, d'admettre cette identification.

Suivant le témoignage de Sébéos, les Hephtalites, qu'il nomme aussi Thétals, occupaient depuis un certain temps déjà, avant la révolte d'Arsace, dont le père en était roi (Histoire d’Héraclius, p. 10), une portion du pays situé entre le Khoraçan au sud, et l'Oxus au nord.

[36] Voici comment Oukhthanès s'exprime sur le même sujet: Zénob le Syrien a raconté exactement [ce qui concerne Sourên] dans son histoire. Cependant l'enfant, ayant grandi et atteint l'âge de jeune homme, leva l'étendard de la révolte avec un grand nombre de troupes, et passa sur le territoire des Djéns et de Derbend. Là, ayant trompé les princes à l'aide d'un stratagème, il régna sur les deux pays, qu'il réunit sous son autorité, et garda la couronne pendant dix-neuf ans. (Hist. de la sép. rel. des Arm. et des Géorg. p. 68.)

On lit dans Vartan (Epit. hist. p. 37): « Devenu grand, il (Sourên) s'en alla sur le territoire des Djéns et de Derbend, et ailleurs (Panég. de saint Grég. l’Illum. p. 68).

Il devint un homme tellement habile et illustre qu'on l'emmena et qu'on le fit roi du pays des Djéns, de Derbend et de toutes ces contrées. » Suivant un autre manuscrit de Zénob, cité par Tchamitch (Hist. d’Arm. t. I, p. 614), Sourên aurait régné trente-neuf ans.

[37] Lorsque sa mère fut morte, dit Oukhthanès, et que Diran, son père, eut perdu la couronne (il fut tué par R'itès, roi des Lephnis), Jacques, avec sa sœur Saktén et son neveu Hratchê, passa dans le pays des Goths. Au bout de quelques années, les Goths conférèrent la couronne à Hratchê et se le donnèrent pour roi. (Hist. de la sép. rel. des Arm. et des Géorg. p. 68.)

Le roi des Léphnis (les Lepones de Pline) est appelé de même Ri’tès ou Aritès par Vartan, suivant les manuscrits.

Vartan ajoute, d'accord avec Oukhthanès: « Après la mort de ses parents, Jacques prit sa sœur Saktên et Hratchê son neveu, et s'en alla dans le pays des Goths où, par un événement heureux, Hratchê devint roi. » (Epit. hist. p. 37.)

Le nom de Saktên, donné à la sœur de Jacques par Oukhthanès et Vartan, au lieu d'Askëdnê, est confirmé par un manuscrit de Zénob, cité dans Tchamitch. (Hist. d’Arm. t. I, p. 614)

Au lieu de Hratchê, leçon qui se trouve aussi dans le Panég. de saint Grég. l’Illum. par Vartan, p. 47, on lit Hêrtché dans les Vies des saints en arménien, aux 19 et 29 novembre.

Jacques, devenu plus tard évêque de Nisibe, est rangé au nombre des Pères les plus illustres de l'Eglise arménienne. On a de lui dix-huit homélies sur des sujets de dogme et de morale, qui ont été publiées pour la première fois à Rome, en 1756, avec une traduction latine et de très savantes notes par le cardinal Antonelli. (Cf. Soukias Somal, Quad. della stor. letter. di Arm.)

[38] Ici devait être placé dans l'original le récit de la défaite et de la prise de Hratchê par Dërtad. Ce récit, à en juger par celui que nous lisons aux pages 69-70 du livre d'Oukhthanès, qui parait en avoir emprunté tout au moins le fond à l'auteur, différait essentiellement de celui qu'Agathange nous a laissé sur le même sujet (trad. ital. première partie, chap. vr) en ce que les faits y consignés étaient rapportés faussement par Zénob au règne de Probus.

[39] Ce que j'ai dit à la note précédente prouve clairement que cette phrase a été ajoutée de toutes pièces par le correcteur de Zénob, pour le concilier avec Agathange, comme je l'ai expliqué dans la préface

[40] Ici la rédaction primitive doit être préférée à la correction, qui est on ne peut plus malheureuse. Ces faits, écrit Oukhthanès à Anania, abbé du couvent de Nareg, Zénob les raconte à des hommes dignes de foi, ses nationaux et ses compatriotes; ces faits, vous les savez parfaitement vous-même par les récits de nos pères. Il ajoute, pour en confirmer la vérité: « Mais si vous voulez connaître exactement ces choses, lisez le dernier livre de Bardesane d'Edesse. L'auteur narre très bien aussi le colloque qu'échangèrent entre eux Sêrtad et Hratchê. Que fit-on ensuite de Hratchê ? je l'ignore, dit l'historien. » (Oukhthanès, Hist. de la sép. rel. des Arm. et des Géorg. p. 68.) Sur Bardesane, consulter Moïse de Khoren, Hist. d'Arm. II, chap. lxvi.

[41] Voir également Moïse de Khoren, Hist. d’Arm. II, chap. lxxx; Oukhthanès, p. 72; Vartan, Epit. hist. p. 37.

[42] Zénob prétend que Dërtad fut couronné par Probus, après qu'il eut fait prisonnier le roi des Goths. Probus, dit il, pour marquer sa reconnaissance à Dërtad, lui posa la couronne sur la tête, le déclara roi et le renvoya en Arménie, escorté d'une partie de son armée. (Cf. Oukhthanès, p. 93-94.)

Ici Zénob était en opposition avec Moïse de Khoren. Cet auteur nous apprend en effet (Hist. d'Arm. II, chap. lxxxii) que ce fut Dioclétien qui plaça Dërtad sur le trône d'Arménie, dans la troisième année de son règne, laquelle, comme l'a démontré M. Ed. Dulaurier dans ses Recherches sur la chronologie arménienne technique et historique, t. I, p. 45-47 correspond à l'année 287, date déjà connue, du reste, par Mékhithar d'Aïrivank', Hist. d’Arm. p. 45.

[43] Pour les détails, voir Agathange, 1re partie, chap. vii-xiii; Oukhthanès d'Édesse, p. 75-77.

[44] Agathange, 1re partie, chap. xxii; deuxième partie, chap. iii.

[45] Cf. Agathange, 2e partie, chap. viii.

[46] Pour l'élection de Grégoire, la pompe vraiment royale avec laquelle Tiridate le fit escorter jusqu'à Césarée, et les honneurs qui lui furent rendus en cette ville par l'archevêque et son clergé, voir Agathange, trad. ital. deuxième partie, chap. xi, xii et xiii.

D'après une tradition rapportée par Jean Vanagan, et reproduite par son disciple Vartan, ainsi que par Etienne Orbélian, saint Thaddée, en partant pour évangéliser l'Arménie, se rendit à Césarée, et commença en cette ville son ministère apostolique en sacrant évêque un certain Théophile. C'est pour cette raison, jointe à cette autre, que Césarée faisait alors partie intégrante de l'Arménie, que Grégoire et ses successeurs, après lui, allèrent y recevoir la consécration épiscopale, jusqu'à Schahag, que le roi Bah fit sacrer catholicos par les évêques arméniens, et déclara indépendant, en 374.

(Cf. Jean Vanagan, Discours sur l'établissement de l'Eglise arménienne, manuscrit arménien de la Bibliothèque impériale, n° 12, ancien fonds, fol. 50 v°; Vartan, Epit. hist. p. 41; le même, Panég. de saint Grég. l'Illum. p. 49-50o; Etienne Orbélian. Histoire de la maison de Siçag, chap. VI.)

[47] Cf. Agathange, trad. ital. première partie, chap. vu, et deuxième partie, chap. x; Moïse de Khoren, Hist. d'Arm. II; chap. xiv.

[48] M. Ed. Dulaurier, qui a discuté dans sa Chronologie arménienne, p. 45-47, la date de l'avènement de saint Grégoire comme patriarche, assigne à cet événement l'espace compris entre la fin de septembre 303, au même quantième mensuel, 304. J'adopte pleinement son calcul.

[49] Il est dit dans tes Vies des saints, à la date du 17 juillet, qu'Athanakinès était un évêque de Sébaste qui fut martyrisé sous Dioclétien. Vartan le qualifie de frère de Marie, épouse de Grégoire, et Mékhithar d'Aïrivank' de beau-père, dans le même sens, sans doute, que nous avons vu plus haut Zénob appeler Euthale beau-père de Pourtar, le mari de sa sœur.

[50] Au lieu d’Acténus, il faut lire Origène, dont nous savons d'une manière certaine par Moïse de Khoren, Hist. d'Arm. II, chap. lxxv, et les Vies des saints, à la date du 11 août, que Firmilianus avait été disciple dans son enfance.

[51] Sur l'origine de cette famille, l'une des plus anciennes et des plus illustres de l'Arménie, consulter Moïse de Khoren, Hist. d'Arm. I, chap. xxiii; II, chap. viii.

[52] Au sujet de cette ville, voir ma traduction de l’Hist. d'Arm. d'Arisdaguès de Lasdiverd, dans la Revue de l’Orient, cahier de septembre, p. 182, note 2.

[53] Bourgade du district de Taranagh'i, province de Haute Arménie; il y existait un temple fameux consacré à Parscham, le Jupiter des Syriens, que saint Grégoire détruisit avec la statue du dieu, en allant a Césarée. (Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm. I, chap. xiv; Agathange, 1re partie, chap. x.)

[54] Petit pays du district de Darôn; il n'est pas mentionné par le P. Indjidj.

[55] Ce prince se nommait Dirots; il avait reçu le baptême des mains de saint Grégoire avec tous les nakharars arméniens. (Cf. Thomas Ardzrouni, Histoire de la famille Ardzrouni, p. 62.) Sur l'origine de la puissante famille des Ardzrouni, consulter ma traduction de l’Hist. d’Arm. d'Arisdaguès Lasdiverdtsi dans la Revue de l’Orient, cahier de juillet, p. 43, note 5.

[56] District de la province de Vasbouragan, à l'est du lac Van, entre le district d’Ar’pérani, à l'ouest, et celui de Kogh’thên à l’est, ainsi nommé à cause des cavernes et vallées qu'il renfermait en grand nombre; c'était en outre un pays hérissé de forteresses. (Cf. Carte de l'Arménie ancienne, Venise, 1849; Indjidj, Géographie de l’Arm. anc. p. 196-197.)

[57] Sur l'origine de cette famille, consulter Moïse de Khoren, Hist. d'Arm. I, ch. xii; Saint-Martin, Mém. sur l’Arm. t. II; et pour son histoire complète, Etienne Orbélian, Hist. de la maison de Siçag, édition de Paris, 2 vol. in-12, 1859; édition de Moscou, 1 vol. in 8°, 1861. La province de Siounik', qui formait le domaine de cette puissante famille, était située entre la province d'Ararad, à l'ouest, et celle d'Oudi à l'est. (Cf. Géogr. de l'Arm. anc. p. 231, et Carte de l’Arm. anc.)

[58] Ce prince descendait d'un chef de brigands en faveur de qui Vagh'arschag créa, vers le milieu du n siècle avant Jésus-Christ, la satrapie de Mogk, province situé à l’est de la Sophène et de la Quatrième Arménie, au nord de la province de Gordjék, à l'est et au sud du Vasbouragan. (Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arménie, II, ch. viii; Carte de l’Arm. anc. Aujourd'hui cette province est tout entière aux mains des Kurdes.

[59] Vischab en arménien signifie dragon. Il est clair que c'est dans le syriaque et même plus haut dans le sanscrit, comme ou le verra plus loin, qu'il faudrait aller chercher le nom véritable de cette ville, de même que celui de plusieurs des localités mentionnées dans le livre de Zénob, sous forme arménienne. En l'absence de documents positifs, et pour ne pas m'exposer à de trop faciles erreurs, je laisse à de plus autorisés que moi le soin de cette identification partout où il pourrait en être besoin.

[60] L'inscription d'un fait en langue syriaque, à cette époque, par des Arméniens, n'a rien qui doive étonner.

Il faut bien observer en effet que si, politiquement, le territoire de Daron faisait partie intégrante du royaume d'Arménie, il était, par sa position géographique, sous le rapport des mœurs et de la langue, beaucoup plus syrien qu'arménien. On sait, en effet, qu'avant la découverte de leur alphabet par saint Mesrob, au commencement du ve siècle, les Arméniens se servaient du grec et du syriaque, et que cette dernière langue subsista dans le pays de Darôn longtemps après qu'elle eut cédé la place à la langue arménienne dans celles des provinces où elle était en usage auparavant.

J'ai traduit <arménien> (littéralement ismaélien) par arabe. Que si l'on voulait voir dans le second membre de phrase une répétition en d'autres termes du premier, je répondrais que cela ne paraît pas admissible, d'abord parce qu'en traduisant <arménien> par syriaque, on se mettrait en contradiction avec tous les lexicographes et historien, arméniens sans exception, pour qui ce mot n’a jamais eu d’autre sens que celui de arabe, son synonyme, comme je l’ai entendu moi-même; ensuite, parce qu'on ne corn-prendrait pas pourquoi l'auteur aurait, ici en particulier et contrairement à ce que nous avons vu précédemment dans plusieurs cas du même genre cherché à expliquer des expressions parfaitement claires d’elles-mêmes par une addition de mots qui ne pouvaient servir qu’à dénaturer et à obscurcir sa pensée.

Restent à examiner deux autres questions, savoir: quels pouvaient être ces caractères arabes employés pour écrire un texte syriaque? où les Arméniens les avaient-ils appris ?

Relativement à la première, je pense qu'il ne peut s'agir ici que des caractères appelés sinaïtiques, caractères incontestablement arabes, qui constituent la masse d'inscriptions découvertes dans la presqu’île du Sinaï, à Pétra, à Bostra et dans le Hauran.

Quant à Seconde, remarquons que, depuis un demi-siècle les Arméniens n’avaient pas cessé d'être en rapports intimes avec les Arabes; que pendant les dix ans que Khosrov dévasta les domaines d’Artaxerxés I, il avait eu pour auxiliaires les Arabes qui l'aidèrent à ravager l’Assyrie; qu'un peu plus tard Tiridate avait dirigé plusieurs expéditions, au-delà de l'Euphrate, dans l'Arabie dont il avait dû certainement conquérir une portion, puisque des quatre préfets de sa cour, chargés de la défense des frontières et ses conseillers, deux étaient, l’un d’Assyrie, l'autre d'Arabie (Agathange, trad. 1re partie, ch. iii et xxi; 2e partie, ch. xii). Ne serait-il pas surprenant que, pendant un aussi long intervalle de temps et avec de semblables relations, les Arméniens n'eussent pas apprit à connaître l'écriture arabe ?

Cette inscription fut détruite, en l'année 603, par un neveu de Khosrov Parviz, roi de Perse, nommé Mihran, qui vint envahir le district de Darôn à la tête de trente mille hommes. (Cf. Jean Mamigonien, Hist. de Darôn)

[61] Suivant deux manuscrits: trente coudées de hauteur, deux coudées et une palme de largeur, et en cuivre.

[62] Sur les idoles adorée à Aschdischad, consulter Agathange (2e partie, chap. xiv). Cette ville, ainsi nommer à cause du grand nombre de sacrifices qu'on y offrait aux idoles, était située au sommet du mont Karkê, près de l'Euphrate.

[63] Dans un manuscrit on lit, au fond de la vallée d’Eman; dans un autre ces mots sont écrits à la marge.

[64] Capitale de la province de même nom, à cinq mille de Vartanaguerd et de la mer Caspienne, sur le Gour, près de remplacement de la ville actuelle de Salian. (Cf. Topographie de la Grande Arménie, par le R. P. Léon Alischan, p. 92.)

[65] Il y a ici une erreur évidente qui parait ne pouvoir être attribuée qu'à la maladresse de copistes peu soucieux de dates. En effet, la lettre de Grégoire à Léonce et la réponse de ce dernier prouvent qu'Epiphane n'arriva en Arménie que plu tard, et il est certain, d'après Jean Mamigonien, que ce ne fut qu'en 324 qu'il succéda à Zénob dans la direction du monastère des Neuf-Sources.

[66] Patrie de Moïse, le père de l'histoire arménienne.

[67] Doump, suivant deux manuscrits; Khèrdoam, d'après un troisième

[68] Kkerdoni, d'après deux manuscrits.

[69] Mille sept cents, d'après trois manuscrits; mille huit, suivant un autre.

[70] Barekh, suivant deux manuscrits.

[71] Guédgh’êk, d'après un manuscrit; manque dans trois autres.

[72] Dans deux manuscrits Pazoum.

[73] Dans deux manuscrits: deux mille quarante cavaliers et sept cent quarante fantassins armés d’arcs.

[74] La date manque dans quatre manuscrits; en l'an trente-huit, suivant un autre. Ni l'une ni l'autre de ces dates, qui évidemment ont été prises à partir de l'avènement de Tiridate au trône, n'est exacte. Au lieu de trente-deux ou de trente-huit, suivant les manuscrits, je pense qu'il faut lire dix-huit, ce qui nous reporte à l’année 305, époque véritable a laquelle dut avoir lieu le fait mentionné par l'auteur.

[75] Horiank', d'après un manuscrit.

[76] Ville principale du district de Darôn et du pachalik actuel de même nom.

[77] L'Euphrate oriental, aujourd'hui Mourad-Tchaï.

[78] Suivant Tchamitch (Hist. d’Arm. t. I, p. 407-408), c'est en 318 que Tiridate entreprit son voyage de Rome, accompagné de saint Grégoire, des grands personnages de la cour, et escorté d'une armée de soixante et dix mille hommes. (Cf. Agathange, 2e partie, chap. xix.)

[79] Pour ces deux noms géographiques, voir ma traduction de l’Hist. d’Arm. d'Arisdaguès de Lasdiverd, dans la Revue de l’Orient, cahier de juin, p. 352, note 4.

[80] Mirtan (appelé par les historiens arméniens Mihran), fils de Kasré-Ardachir, il régna sur la Géorgie de 265 à 342. (Cf. M. Brosset, Histoire de la Géorgie, trad. franc, t. I, p. 83 et suivantes.) Il est le vingt-quatrième dans la liste des rois de Géorgie.

[81] Tiridate était déjà arrivé dans le district de Darôn lorsqu'il fut rejoint par l'ambassadeur du roi de Géorgie. (Cf. Tchamitch, Hist. d’Arm. l. I, p. 407.)

[82] Le prince d'Agh'tzënik' avec quatre mille hommes, ainsi qu'on le verra un peu plus loin.

[83] S'il faut en croire le témoignage de Faustus de Byzance, cette visite de Tiridate fut convertie en coutume par ses successeur, qui allaient sept fois par an honorer les lieux sacrés de Darôn fondés par saint Grégoire, en compagnie des patriarches, des princes, des nakharars et d'une foule dépeuple. (Cf. Faustus de Byzance, III, chap. iii et xiv; Tchamitch, Hist. d’Arm. t. I, p. 632.)

Quelques auteurs, parmi lesquels le P. Indjidj, pensent que c'est à l'église dont il est parlé à la fin de la lettre précédente qu'il convient d'appliquer le fait mentionné par Faustus.

[84] C'est la même localité qu'Aschdischad.

[85] Ces paroles font partie d'un psaume que l’on chante dans l'Eglise arménienne aux heures canoniales appelées Office de la nuit et Lever du soleil.

[86] Pour plus amples détails, voir Agathange, 2e partie, chap. xix; Vartan, Panég. de saint Grég. l’Illum. p. 65-69.

[87] Il y existait un temple fameux consacré à Nanê que Tiridate avait détruit quelque temps après sa conversion. (Cf. Agathange, 2e partie, chap. x.)

[88] Suivant trois manuscrits: le prince d'Agh'tiênik' nommé Trov. Cette leçon, qui a été reproduite par Tchamitch {Hist. d’Arm. l. I, p. 408 et suiv.), est erronée; en effet le mot <arménien> dont le savant Mékhitariste a fait un nom propre, parait ne pas être autre chose que l’abréviation de quatre mille, au cas instrumental.

[89] Ce cantique se chante dans l'Église arménienne à l'office appelé Heure de l’aurore.

[90] Pour l'origine de cette famille, voir ma traduction de l’Hist. d'Arm. d'Arisdaguès de Lasdiverd, dans la Revue de l’Orient, cahier de juin, p. 354, note 3.

[91] Moïse de Khoren, qui raconte cette même bataille (Hist. d’Arm. II, ch. lxxiv), lui assigne pour théâtre la plaine des Karkarésiens dans la province d'Oudi, au nord-est de l'Arménie.

Pour concilier cette divergence des deux auteurs, je pense qu'il faut admettre l'existence de deux campagnes successives, l’une dans la province d'Oudi, la seconde dans le district de Darôn, campagnes dont le récit de Zénob nous présente l'histoire longuement circonstanciée, mais non distincte, tandis que Moïse de Khoren, passant par-dessus la première qu'il indique à peine, n'a raconté que la seconde, et encore sous une forme très abrégée.

[92] La Sophène, Sophanène ou Tzophanène des Grecs et de Latins.