HISTOIRE DE NORMANDIE
DEUXIEME PARTIE : LIVRE III (PARTIE II)
Œuvre mise en page par Patrick Hoffman
Texte latin de Migne.
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE.
HISTOIRE DE NORMANDIE,
PAR ORDERIC VITAL, TOME II.
XI. Sequitur Uticensis historia. Robertus de Grentemaisnilio, abbas. Anno ab Incarnatione Domini 1059 indictione XII, Uticenses Rodbertum de Grentemaisnilio sibi elegerunt abbatem: rationabiliter considerantes in praefati viri electione multimodam commoditatem, tam propter ejus claram generositatem, quam ardentem monasticae rei procurationem, et in agendis rebus efficaciam et strenuitatem. Hunc itaque confirmato totius congregationis consensu Ebroas duxerunt, ibique Willelmo duci praesentaverunt, eique monachorum electionem atque petitionem intimaverunt. Dux autem eorum petitioni acquievit, et praefato viro, qui electus erat, per cambutam Ivonis episcopi Sagiensis exteriorem abbatiae potestatem tradidit. Willelmus vero Ebroicensis episcopus interiorem animarum curam per pontificalem benedictionem XI Kalendas Julii spiritualiter commendavit. Rotbertus itaque, jam abbas effectus, res monasterii coepit diligenter tractare, et ex parentum suorum divitiis necessarium servis Dei subsidium sufficienter administrare; justas observationes, quas pius praedecessor ejus instituerat, non solum non imminuit, sed etiam, pro ratione et tempore, auctoritate majorum, vel exemplo vicinorum percitus augmentavit. Ipse quidem, dum adhuc neophytus erat, permissu venerabilis Theoderici Cluniacum perrexerat, ubi tunc monasticae phalangi Hugo abbas, temporibus nostris speciale monachorum decus, praeerat. Unde cum post aliquot tempus rediret, magnanimi Hugonis munificentia Bernefridum illustrem monachum, qui postmodum episcopus factus est, secum adduxit; eumque, ut mores Cluniacensium Uticensibus intimaret, aliquandiu honorifice retinuit. Sub eo ad conversionem Mainerius Gunscelini de Escalfoio filius venit; qui post aliquot annos ejusdem coenobii regimen suscepit, annisque XXI et mensibus VII utiliter tenuit. Eodem tempore Rodulfus, cognomento Mala-Corona Uticum venit, ibique cum Rodberto abbate, suo videlicet nepote, diutius habitavit. Hic nimirum, ut paulo superius breviter meminimus, ab infantia litteris affatim studuit, et Galliae Italiaeque scrutando scholas secretarum indaginem rerum insigniter attigit. Nam in grammatica et dialectica, in astronomia quoque nobiliter eruditus est, et musica. Physicae quoque scientiam tam copiose habuit ut in urbe Psalernitana, ubi maximae medicorum scholae ab antiquo tempore habentur, neminem in medicinali arte, praeter quamdam sapientem matronam, sibi parem inveniret. At, quamvis tanta litterarum peritia polleret, non tamen otio, sed militiae labori diu mancipatus est, et tam manu quam consilio in bellico discrimine praeclarus inter coessentes suos multoties probatus est. Multa adhuc, quae nobis mira videntur, Mosterolenses referunt, quae de subtilibus experimentis ejus contra morbos vel alios insperatos eventus vel ipsi viderunt, vel a patribus suis, quibus ipse longa comitate notissimus fuit, audierunt. Ipse tandem titubantis mundi ruinam metuens, et prudenti tergiversatione praecavens, saeculi luxu calcato, Majus Monasterium Sancti Martini Turonensis expetiit, et sub Alberto venerabili abbate monachili Regulae septem annis militavit. Qui, postquam in ordine confirmatus fuit, abbate suo permittente, Uticum venit, nepotem scilicet solatiari suum, quia jam novellae regimen ecclesiae suscepit. Et quia idem heros pro multis flagitiis, quibus se graviter onustum sentiebat, a Domino morbum leprae multis precibus sibi obtinuerat, quamdam in honore Sancti Ebrulfi constructam capellam a nepote suo recepit, ibique Goscelinum monachum ad Dei servitium suique solatium habens, plurimo tempore deguit, multisque, qui ad eum pro sapientia et nobilitate sua confluebant, consilio pietatis profuit. Ipso multum hortante, Rodbertus abbas Hugonem Lexoviensem episcopum, monachorum fidelem magistrum et Patrem accersiit, a quo praedictam capellam in honore sanctorum confessorum Ebrulfi, Benedicti, Mauri et Leudfredi, II Nonas Maii, dedicari fecit. Tradunt hanc ecclesiam a temporibus sancti Ebrulfi conditam fuisse, ipsumque, dum supernae ardentius inhaerere volebat theoriae, intermissis exterioribus curis, ad ipsam confugere solitum fuisse. Locus ipse est amoenus et solitariae vitae satis congruus. Nam in valle rivus sterilis Carentonae defluit, et Lexoviensem episcopatum ab Ebroicensi dirimit. In cacumine vero montis silva crebris frondibus ventorum flabra suscipit; in declivo autem montis, inter rivum et silvam, viridarium ecclesiam circumcingit. Ante portas ecclesiae Uticus fons oritur; a quo omnis circumjacens regio Uticensis dicitur. Ne miretur quis quod Lexoviensium praesulem in Ebroicensi praesulatu dedicationem fecisse diximus. In diebus illis tres generosi praesules, magnaeque civilitatis tribus praeerant conterminis parochiis. Hugo Willelmi Aucensis comitis filius praeerat Lexoviensibus, et Willelmus Gerardi Fleitelli filius ecclesiastica jura dabat Ebroicensibus, et Ivo Willelmi Belesmensis filius aeternae salutis curam exhibebat Sagiensibus. Hi tres in Normannia tunc maxime pollebant divini cultus fervore et unanimi consensu, tantoque nectebantur amore, ut quisquis eorum in dioecesi confinis sui velut in propria, prout tempus et ratio poscebat, omne divinum opus exerceret sine litigio et livore. |
L'an de l'Incarnation du Seigneur 1059, les moines d'Ouche élurent pour abbé Robert de Grandménil, considérant avec raison que son élection leur serait avantageuse de plus d'une manière, à cause de la noblesse de son origine, de son zèle ardent pour les intérêts de la maison, de son activité et de son habileté pour conduire ses entreprises. Les religieux le conduisirent à Evreux aussitôt que sa nomination eut été confirmée par le consentement de tout le couvent; ils le présentèrent au duc Guillaume, et lui firent connaître l'élection des moines et leurs vœux. Le prince y acquiesça, et fit donner la puissance extérieure de l'abbaye au nouvel elu, par la crosse d'Ives de Seès. Guillaume, évoque d'Evreux, lui confia spirituellement le soin intérieur des ames, par la bénédiction pontificale, le ri des calendes de juillet (21 juin). Robert étant ainsi devenu abbé, s'occupa avec beaucoup de diligence des affaires du monastère; il fournit suffisamment aux serviteurs de Dieu, à l'aide des richesses de ses parens, tout ce qui pouvait leur être nécessaire: non seulement il ne diminua rien des sages observances que son pieux prédécesseur avait instituées, mais il les augmenta suivant la raison et le temps, en se déterminant par l'autorité des anciens ou par l'exemple de ses voisins. Pendant qu'il avait été néophyte, il était allé à Cluni avec la permission du vénérable Théoderic: c'était le temps où l'abbé Hugues, cet honneur spécial des moines de notre siècle, y présidait la phalange monastique. A son retour de Cluni, au bout de quelque temps, il ramena avec lui, par la munificence du magnanime Hugues, l'illustre moine Bernefrid, qui peu de temps après devint évêque, et le retint quelque temps honorablement, pour qu'il introduisît dans le couvent d'Ouche les règles de Cluni. Ce fut auprès de lui que vint se convertir Mainier, fils de Gunscelin d'Echaufour qui, quelques années après, gouverna le couvent et le gouverna utilement pendant vingt-un ans et sept mois. A cette époque Raoul, surnommé Male-Couronne, arriva à Ouche, et y demeura quelque temps avec l'abbé Robert, qui était son neveu. Ce seigneur, comme nous en avons fait mention ci-dessus, se livra aux lettres dès l'enfance, et, parcourant les écoles de la France et de l'Italie, parvint à acquérir avec distinction la connaissance des choses les plus secrètes. En effet, il était noblement instruit dans l'astronomie, de même qu'en grammaire et en dialectique, ainsi qu'en musique; il possédait même si complétement la science de la médecine, que, dans la ville de Salerne, où florissaient depuis les temps anciens de célèbres écoles de médecins, il ne trouva personne qui pût l'égaler dans cet art, si ce n'est une certaine dame très-savante. Quoiqu'il excellât par une si grande connaissance des lettres, il ne s'abandonna pas cependant à l'oisiveté: il se livra long-temps aux travaux de la chevalerie, et donna de fréquentes preuves de sa vaillance et de son habileté dans les affaires militaires, où il se distingua parmi ses rivaux. Les habitans de Montreuil rapportent de lui encore aujourd'hui beaucoup de choses, qui nous semblent merveilleuses, et qu'ils ont vues eux-mêmes, ou qu'ils ont apprises de leurs pères pour lesquels il fut plein de bonté; car il avait fait de savantes expériences sur les maladies et d'autres accidens inattendus. Enfin redoutant la ruine du monde chancelant, et par une sage précaution faisant un retour sur lui-même, après avoir foulé aux pieds le luxe du siècle, il se rendit à Marmoutiers qui dépend de Saint-Martin de Tours, et, durant sept ans, combattit pour les règles monacales sous le vénérable abbé Albert. Après qu'il eut été confirmé dans cet ordre, il vint à Ouche avec la permission de son abbé, pour y seconder son neveu, qui venait d'y être mis à la tête de la nouvelle église. Comme ce héros, qui se sentait gravement chargé de beaucoup de péchés, avait enfin, à force de prières, obtenu la maladie de la lèpre, son neveu lui confia une certaine chapelle, fondée en l'honneur de Saint-Evroul; il y resta long-temps, ayant auprès de lui le moine Goscelin, pour le service de Dieu et sa propre consolation. Il y rendit beaucoup de services, par les conseils pieux qu'il donnait à ceux qu'attiraient vers lui et sa sagesse et sa noblesse. D'après ses conseils, l'abbé Robert invita Hugues, évêque de Lisieux, père des moines et leur maître fidèle, à faire le 2 des nones de mai (6 mai) la dédicace, de la chapelle dont nous venons de parler en l'honneur des saints confesseurs Evroul, Benoît, Maur et Leufroi. On assure que cette église avait été bâtie dès le temps de saint Evroul, qui avait coutume de s'y refugier en abandonnant tous soins extérieurs, lorsqu'il voulait avec plus d'ardeur s'attacher aux célestes contemplations. Ce lieu est agréable et très-propre à la vie solitaire; car la petite rivière de Charentone coule dans une vallée inculte, sur les limites des évêchés de Lisieux et d'Evreux; sur le sommet d'un mont s'élève une forêt, qui reçoit le souffle des vents sous ses épais ombrages; un verger entoure l'église sur le penchant des coteaux, entre la rivière et la forêt. Devant les portes de l'église, coule la fontaine d'Ouche, qui a donné son nom à toute la contrée circonvoisine. Il ne faut pas qu'on s'étonne qu'un évêque de Lisieux ait fait une dédicace dans l'évêché d'Evreux. A cette époque trois généreux prélats gouvernaient chacun une cité importante et des paroisses limitrophes. Hugues, fils de Guillaume, comte d'Eu, était évêque de Lisieux; Guillaume, fils de Gérard Fleitel, dictait les lois ecclésiastiques aux habitans d'Evreux, et Ives, fils de Guillaume de Bellême, prodiguait aux gens de Seès les soins du salut éternel. Ces trois prélats se distinguaient alors en Normandie, par leur ferveur pour le culte divin, autant que par leur parfait accord; et ils étaient unis par les nœuds d'une telle amitié, que chacun d'eux, pourvu que le temps ou la raison ne s'y opposassent pas, vaquait sans litige et sans exciter l'envie à toutes les œuvres divines, dans le diocèse de son voisin. |
XII. Bella inter Francos et Normannos. Eventus varii. Stimulante Satana, qui nunquam humano generi nocere desistit, nimia inter Francos et Normannos seditio exarsit. Henricus enim rex Francorum, et Goisfredus Martellus, fortissimus Andegavensium comes, Normannorum fines cum forti manu intraverunt, et detrimenta quamplurima Normannis intulerunt. Porro Willelmus acerrimus dux Normannorum injurias multoties non segniter ultus est. Nam plerosque Gallorum et Andegavensium cepit, nonnullos occidit, multos autem in carcere diu clausos afflixit. Qui singulos conflictus et damna, quae sibi vicissim intulerunt, diligenter voluerit perscrutari, legat libros Willelmi Gemmeticensis coenobitae, cognomento Calculi, et Willelmi Pictavini Lexoviensis ecclesiae archidiaconi, qui de gestis Normannorum studiose scripserunt, et Willelmo jam regi Anglorum favere cupientes praesentaverunt. Sub ea tempestate, Rodbertus Geroii filius contra Willelmum ducem rebellavit, et, accersitis Andegavensibus, castra sua, Sanctum scilicet Serenicum et Rupem Ialgiensem, fortiter munivit, et contra ducem, cum Normannico exercitu obsidentem, aliquandiu tenuit. Sed quia mortalium robur labile est, subitoque ceu flos feni marcet, praefatus heros, post innumeras probitates, dum ad ignem in hieme laetus sederet, conjugemque suam Adelaidem, quae ducis consobrina erat, quatuor mala manu gestare videret, duo ex illis familiariter jocando ei rapuit, et nesciens quod venenata erant, uxore contradicente, comedit. Qui mox veneno infectus est, et post V dies, cum multo moerore suorum, VIII Idus Februarii [1060] defunctus est. Quo mortuo, Ernaldus Willelmi Geroiani filius in loco patrui sui surrexit, oppidanos precibus monitisque corroboravit, ducique viriliter resistere pro paterna haereditate imperavit. Cujus animositatem callidus dux blandis hortatibus lenivit, pacemque secum facere cum pluribus promissis persuasit. At ille, consilio ab amicis accepto, duci acquievit, eique fidelitatem fecit, et ab eo Monasteriolum et Escalfoium ac Sanctum Serenicum, totamque patrum suorum haereditatem recepit. Deinde Rodbertus abbas pace facta a duce requisivit ut avunculi sui corpus, quod apud Sanctum Serenicum tribus septimanis humatum jacuerat, Uticum transferri concederet. At ille hostilis memor odii primo denegavit, postmodum erubescens quod in mortuum saeviret, concessit. Mox impiger abbas Rodberti Geroiani glebam in trunco Uticum transtulit, ibique in claustro monachorum honorifice sepelivit. Cuncti qui aderant mirabantur quod nullus de corpore tribus jam septimanis exanimi fetor sentiretur. Tradunt quidam quod vis veneni, quo idem interferat, omnem defuncti cadaveris humorem exsiccaverat, ideoque nullus inde fetor vivorum naribus effundi moleste poterat. Redeunte ad naturale jus Ernaldo Uticenses monachi gavisi sunt, et in vicinos insolentes, qui inermes injuste opprimebant, illius ope erecti sunt. Temporibus Theoderici abbatis et Rodberti successoris ejus, Baldricus et Wigerius de Balgenzaio et homines sui contra monachos insolenter agebant, et non solum eis ut dominis [non] obediebant, verum etiam plurimis inquietudinibus ipsos hominesque eorum saepius constristabant. Quod Rodbertus, postquam abbatiae regimen suscepit, diutius ferre indignum duxit. Nam, accepto fratrum consilio, praefatos rebelles pro contumacia Ernaldo consanguineo suo tradidit, ut ipse cervicositatem eorum, qui monachorum mansuetudinem pacifice pati dedignabantur, quandiu viveret, militari manu protereret. At ille multis diversisque servitiis eos aggravavit, et ipsos hominesque eorum munitiones suas apud Escalfoium et Sanctum Serenicum custodire coegit. Unde ille Rodbertum abbatem et monachos obnixe petierunt ut iterum potestati eorum restitui mererentur, promittentes eis omnem subjectionem et emendationem. Abbas vero cum monachis eorum precibus acquievit, et Ernaldum, ut eos Ecclesiae servituti, quae humilibus et mansuetis vere libera est, redderet, petiit. His diebus Rogerius primogenitus Engenulfi de Aquila filius occisus est. De cujus morte Engenulfus et Richuerada uxor ejus valde afflicti Uticum venerunt, et beneficium atque orationes monachorum pro sua, filiique sui Rogerii salute petierunt et acceperunt, optimumque ejusdem Rogerii equum Deo et monachis pro ejus anima obtulerunt. Hunc ergo equum, quia pretiosus erat, Ernaldus ut sibi donaretur petiit, et Baldricum, hominesque suos et terram de Balgenzaio pristinae monachorum potestati concessit. Quod et ita factum est. Ernaldus equum consobrini sui Rogerii a Rodberto abbate accepit, et Baldricum totamque terram de Balgenzaio ecclesiae dominio reddidit. Baldricus autem quod gravia evaserat Ernaldi servitia gaudens, dominatum suum, quem in villa Sancti Ebrulfi habebat, monachis dedit, et terram, quam supra rivulum Ductus Villaris habebat, et terram Normanni Micae et Benigni tradidit. Tunc Baldricus Rodberto abbati junctis manibus fidelitatem fecit, et subjectionem justitiamque de se suisque hominibus promisit, et summopere ne honorem ejus de potestate monachorum amplius projiceret, poposcit. Hoc itaque monachis confirmantibus ratum fuit, et tam ipse quam Rodbertus filius ejus usque in hodiernum diem pro terra de Balgenzaio solummodo monachis militavit. Uticensis quippe abbatia in feudo de Balgenzaio consistit, et saepefatus Baldricus nobilitatis fuit. Nam Gislebertus comes Brionnae, nepos Richardi ducis Normannorum, Baldrico Teutonico, qui cum Wigerio fratre suo in Normanniam venerat Richardo duci servire, neptem suam in conjugium dedit, ex qua nati sunt sex filii et plures filiae, Nicolaus scilicet de Baschevilla et Fulco de Alnou, Rodbertus de Curceio et Richardus de Nova-Villa, Baldricus de Balgenzaio et Wigerius Apuliensis. Hi nimirum sub duce Willelmo magna strenuitate viguerunt, multisque divitiis et honoribus ab eo ditati fuerunt, et haeredibus suis amplas possessiones in Normannia dimiserunt. Baldricus, qui honorem de Balgenzaio cum Wigerio fratre suo possedit, Elisabeth sororem suam Fulconi de Bona-Valle strenuo militi in conjugium dedit, et ecclesiam Sancti Nicolai, quam pater suus construxerat, cum adjacenti fundo in mariagio concessit. Fulco autem, futuri temporis memor, Theodericum filium suum, quem Theodericus abbas de sacro fonte levaverat, Deo ad monachatum in coenobio Uticensi obtulit, ipsumque puerum et praefatam ecclesiam Sancti Nicolai pro anima sua, amicorumque suorum salute, in praesentia Rodberti abbatis, Sancto Ebrulfo concessit. Hoc etiam Baldricus et Wigerius et Willelmus de Bona-Valle, aliique parentes eorum gratanter concesserunt, et ipsi, aliique multi qui adfuerunt, legitimi testes suprascriptae concessionis ad utilitatem ecclesiae exstiterunt. Tunc Rogerius, Tancredi de Alta-Villa filius, in Italiam pergens ibidem adfuit, qui postea, juvante Deo, Siciliam magna ex parte obtinuit, et Afros Siculosque et alias gentes in Christum non credentes, quae praefatam insulam devastabant, armis invasit, protrivit et superavit. Puer autem Theodericus mundo substractus, Deoque donatus, LVII annis in monachili schemate vixit, et per singulos gradus usque ad sacerdotium legitime ascendens honeste Deo militavit. Eodem tempore Wido, cognomento Bollein, senioris Geroii pronepos, cum Hodierna conjuge sua in pago Corboniensi honorabiliter vigebat, et in ordine militari divitiis ampliatus rem suam honeste regebat. Huic erant plures filii, Normannus et Walterius, qui militiae laboribus deservierunt, Goisfredus quoque et Willelmus cognomento Gregorius, qui litteris imbuti stemma sacerdotii nacti sunt. Praefatus Wido nutu Dei et instinctu Rodberti abbatis, cognati videlicet sui, Uticenses multum dilexit, et Willelmum filium suum, qui tunc ferme novem annorum erat, mundo sibique abdicavit, Deoque sub monachili jugo in ecclesia Uticensi serviturum, in die festivitatis Omnium Sanctorum tradidit. Tunc Willelmus praepositus miles egregius, praedicti pueri avunculus, ecclesiam de Algeron cum tota villa Sancto Ebrulfo dedit, et se totamque substantiae suae partem in fine suo eidem patrono fideliter devovit. Gratia Dei Willelmum puerum bonis moribus adornavit, et in bonis studiis vigilantem effecit; unde a praelatis suis Gregorius cognominari meruit. Hic in gremio sanctae matris Ecclesiae diligenter educatus, et omnino a mundi strepitu et carnali luxu remotus, utili scientia, quae hujusmodi Ecclesiae filiis maxime competit, nobiliter floruit. Nam peritus lector fuit et cantor, praecipuusque scriptor et librorum illuminator. Opera manuum ejus ad legendum et canendum nobis adhuc valde prosunt, et per similis exercitii probitatem nos a nobis otiositatem depellere erudiunt. In orationibus et vigiliis ab infantia fuit assiduus, et usque ad senectutem jejuniis aliisque macerationibus carnis moderate intentus, observator monastici ordinis diligens, et ad redarguendum sanctae Regulae transgressores fervens. Epistolas Pauli et Proverbia Salomonis, aliaque quamplura sanctae Scripturae syntagmata tenaci memoriae contradiderat, et in quotidianis locutionibus suis ad exhortationem eorum, quibus confabulabatur, proferebat. Hujuscemodi studiis intentus jam LIV annos in monachili ordine transegit, et adhuc ut per bonum finem ad aeternae quietis stabilitatem pertransire possit, sub Rogerio abbate, bonis actibus solito more insistit. Dum Uticense coenobium aucto conventu XL monachorum gloriose corroboraretur, et ordo monasticus secundum normam divinae legis ibidem regulariter observaretur, longe lateque procedens fama volitabat, et multos ad amorem ejusdem ecclesiae invitabat. Quidam autem pestifero livore inficiebantur, propriaeque malitiae vulnifico missili puniebantur. Rodbertus vero abbas genuina largitate praeditus, undecunque venientes ad conversionem libenter suscipiebat, et quaeque fratribus ad victum seu vestitum necessaria erant viriliter procurabat. Redditus nimirum Uticensis ecclesiae, quae in sterili pago surgebat, ad tantam dapsilitatem praefati Patris non sufficiebat; sed ipse, ut diximus, ex generosis parentibus prodierat, et opes eorum ad usum monachorum, prout volebat, amica familiaritate consentiente, plerumque accipiebat. Idem in primo anno sui regiminis, quia vetus ecclesia, quam sanctus Ebrulfus construxerat, parva et rusticani operis erat, ingentem basilicam insigni opere coepit, quam in honore sanctae Dei genitricis Mariae construere, multisque sanctorum altaribus ampliare decrevit. Nam propter reliquias sanctorum, quae in veteri ecclesia temporibus sancti Ebrulfi conditae sunt (sed eorum nomina, vel gesta, seu loca depositionis pro antiquitate ignorantur ab his qui supersunt) disposuit novam aedem tam magnam facere ut vetustam omnino circumdaret, et ossa seu mausolea sanctorum, quae ibidem latent, semper honorifice contineret. Sed, procellis tribulationum incumbentibus, cessare ab incoepto opere coactus est, quod nullus successorum ejus ea mensura vel ordine seu loco, quo ipse destinaverat, prosequi ausus est. Anno ab Incarnatione Domini 1059, indictione XIII, Henricus rex Francorum post multas probitates, quibus in regno gloriose viguit, potionem a Joanne medico Carnotensi, qui ex eventu Surdus cognominabatur, spe longioris et sanioris vitae accepit. Sed quia voto suo magis quam praecepto archiatri obsecundavit, et aquam, dum veneno rimante interiora nimis angeretur, clam a cubiculario sitiens poposcit, medicoque ignorante ante purgationem bibit: proh dolor! in crastinum cum magno multorum moerore obiit. Sceptra Francorum Philippo filio suo, qui adhuc puerilibus annis detinebatur, reliquit, et Balduino Flandrensium duci puerum cum regno ad tutandum commendavit. Hujusmodi tutela tanto duci bene competebat, quippe qui Adalam Rodberti regis Francorum filiam in conjugium habebat; ex qua Rodbertum Fresionem, reginam Anglorum, et Udonem Treverensium metropolitam, aliosque magnae nobilitatis viros genuerat. Eodem anno Fridericus filius Gothelonis ducis, qui et Stephanus papa dictus est, obiit; cui Gerardus, qui et Nicolaus, successit. Hic annus erat tertius Henrici quarti, filii Henrici Conradi imperatoris et Agnetis imperatricis, qui LXXXVII loco ab Augusto regnare coepit, et annis quinquaginta regnavit. Anno ab Incarnatione Domini 1063 Nicolaus papa obiit; cui Alexander Lucensis episcopus successit. Quo tempore Sigifridus Magontiae et Gunterus Babenbergae, aliique quamplures episcopi vel nobiles multo comitatu Jerusalem perrexerunt. |
Par l'inspiration de Satan, qui ne cesse jamais de nuire au genre humain, il s'éleva une excessive animosité entre les Français et les Normands. Henri, roi des Français, et Geoffroi Martel, vaillant comte d'Anjou, pénétrèrent avec une puissante armée sur le territoire normand, et commirent les ravages les plus funestes au peuple. Cependant Guillaume, courageux duc des Normands, ne tarda pas à se venger à diverses reprises de ces injurieuses attaques: il prit beaucoup de Français et d'Angevins, en tua un certain nombre, et pendant long-temps en retint plusieurs dans les fers. Celui qui voudra connaître tous les combats et les ravages qui eurent lieu de part et d'autre, doit lire les livres de Guillaume, surnommé Calcul, moine de Jumiège, et de Guillaume de Poitiers, archidiacre de l'église de Lisieux, qui ont mis beaucoup de soin à écrire les exploits des Normands, et qui ont présenté leurs ouvrages à Guillaume, alors roi des Anglais, auquel ils desiraient se rendre agréables. Dans ce temps, Robert, fils de Giroie, se révolta contre le duc Guillaume, et, s'étant joint aux Angevins, fortifia puissamment ses châteaux, savoir, Saint-Céneri50 et La Roche d'Igé51. Il tint bon quelque temps contre le duc qui vint l'assiéger avec une armée normande. Comme la puissance des mortels est fragile, et qu'elle se flétrit en peu de temps, de même que les fleurs du foin, le héros dont nous avons parlé, après beaucoup de belles actions, se trouvait pendant l'hiver assis gaîment auprès du feu; il vit dans la main de sa femme Adelaïde, qui était cousine du duc, quatre pommes, dont il prit deux en riant familièrement, et, sans savoir qu'elles étaient empoisonnées, les mangea malgré elle. Le poison fit de rapides progrès, et cinq jours après, le 8 des ides de février (6 février), il mourut au grand regret des siens. A sa mort Ernauld, fils de Guillaume Giroie, succéda à Robert son oncle52; il encouragea la garnison de Saint-Céneri, à force de prières et de bons avis, et lui prescrivit de défendre courageusement son héritage paternel, contre le duc Guillaume. Ce duc habile calma l'animosité d'Ernauld par des paroles séduisantes, et le détermina par ses promesses à faire la paix avec lui. Sur l'avis de ses amis il y consentit, et jura fidélité. Le prince lui rendit alors les terres de Montreuil, d'Echaufour, de Saint-Céneri, et enfin tout l'héritage de ses pères. Ensuite l'abbé Robert profita de la paix qui venait d'être conclue, pour demander au duc l'autorisation de transférer au monastère d'Ouche le corps de son oncle, qui restait inhumé à Saint-Céneri, depuis trois semaines. Le prince conservant encore l'aigreur de la haine, fit d'abord un refus, puis s'en désista, rougissant de sévir contre un homme mort. Bientôt l'abbé, plein d'activité, transféra à Ouche, dans un tronc d'arbre, les restes de Robert Giroie, et lui fit donner une sépulture honorable dans le cloître des moines. Tous ceux qui étaient présens à cette cérémonie furent fort étonnés de ce que ce corps, privé de la vie depuis trois semaines, n'exhalait aucune mauvaise odeur. Quelques personnes prétendent que la force du poison qui l'avait fait périr avait desséché toutes les humeurs du cadavre, et que c'est pour cela qu'il ne pouvait exhaler aucune odeur fétide capable d'offenser l'odorat. Ernauld étant rentré dans ses droits naturels, les moines d'Ouche furent comblés de joie, et, secondés par lui, ne craignirent pas de résister à des voisins insolens, qui opprimaient injustement ceux qui étaient désarmés. Du temps de l'abbé Théoderic et de Robert son successeur, Baudric et Wiger de Bauquencei et leurs hommes se conduisaient avec insolence envers les moines, et non seulement refusaient de leur obéir comme à leurs seigneurs, mais encore les fatiguaient de tracasseries, eux et les hommes de leur dépendance. Aussitôt que Robert eut pris les rênes de l'abbaye, il crut indigne de lui de souffrir plus long-temps ces outrages. Il prit conseil de ses frères, et pour punir l'arrogance des rebelles les livra à son cousin Ernauld, afin qu'il contînt militairement, tant qu'il vivrait, l'opiniâtreté de ces gens qui dédaignaient de se soumettre pacifiquement à la douceur des religieux. Mais Ernauld les accabla de charges nombreuses et diverses, et leur imposa à eux et à leurs hommes la garde de ses fortifications d'Echaufour et de Saint-Céneri. C'est ce qui les détermina à demander instamment à l'abbé Robert et aux moines la faveur d'être de nouveau soumis à leur pouvoir, promettant toute soumission et tout amendement. L'abbé et ses moines se rendirent à ces prières et sollicitèrent Ernauld de rendre Baudric et Wiger au servage de l'église, qui est une vraie liberté pour les hommes humbles et doux. Dans ce temps, Roger, fils aîné d'Engenulf de L'Aigle, fut tué. Engenulf et sa femme Richverède, vivement affligés de cette mort, allèrent à Ouche, demandèrent et obtinrent les bontés et les prières des moines, pour leur propre salut ainsi que pour celui de leur fils Roger, dont ils offrirent le cheval, qui était de grand prix, à Dieu et aux religieux, pour le salut de l'ame de ce jeune homme. Comme ce cheval était excellent, Ernauld en fit la demande et remit Baudric, ses hommes et la terre de Bauquencei sous l'ancien pouvoir du couvent. C'est ce qui fut accordé: Ernauld reçut de l'abbé Robert le cheval de son cousin Roger et rendit au domaine de l'église Baudric et toute la terre de Bauquencei dont il est question. Baudric, satisfait d'être soustrait au service onereux d'Ernauld, fit don au monastère du domaine qu'il possédait dans la terre de Saint-Evroul et livra en outre amicalement et de bonne grâce une terre dont il était propriétaire sur le douet de Villers53 et la terre du normand Mica et Bénigne. Alors Baudric, ayant joint les mains, prêta serment de fidélité à l'abbé Robert, lui promit, pour lui et ses hommes, soumission et justice, et demanda instamment que son fief ne sortît plus dorénavant du domaine des moines. C'est ce qui fut ratifié par eux, et, jusqu'à ce jour, tant lui que son fils Robert n'ont servi que les moines pour la terre de Bauquencei. L'abbaye d'Ouche se trouve dans le fief de Bauquencei, et ce Baudric était d'une grande noblesse. En effet, Gislebert, comte de Brionne, neveu de Richard duc des Normands, donna sa nièce en mariage à Baudric le Teuton, qui était venu avec son frère Wiger en Normandie, pour y servir le duc. Il sortit de cette union six fils et plusieurs filles, savoir: Nicolas de Baqueville, Foulques d'Aunou54, Robert de Courci, Richard de Neuville, Baudric de Bauquencei, et Wiger de la Pouille. Ils se distinguèrent par leur grande bravoure sous le duc Guillaume, furent comblés par lui de richesses et de dignités, et laissèrent à leurs héritiers de vastes possessions en Normandie. Baudric, qui posséda avec son frère Wiger le fief de Bauquencei, donna sa sœur Elisabeth en mariage à Foulques de Bonneval, chevalier distingué, et lui accorda pour dot l'église de Saint-Nicolas55 que son père avait bâtie, avec le terrain adjacent. Foulques, songeant à l'avenir, offrit à Dieu dans le couvent d'Ouche, pour y devenir moine, son fils Théoderic que l'abbé Théoderic avait tenu sur les fonts sacrés, en présence de l'abbé Robert, pour le salut de son ame et des ames de ses amis, et concéda à Saint-Evroul l'enfant lui-même et l'église de Saint-Nicolas, dont nous venons de parler. Baudric, Wiger et Guillaume de Bonneval, ainsi que leurs parens, ratifièrent avec plaisir ces dons; eux et beaucoup de personnes qui étaient présentes, assistèrent comme témoins légitimes à cette concession, pour la plus grande sûreté de l'Eglise. Là, se trouva Roger, fils de Tancrède de Hauteville, qui se rendait en Italie, où il conquit depuis, avec l'aide de Dieu, une grande partie de la Sicile, attaqua, battit et dompta les Africains, les Siciliens, et d'autres peuples qui ne croyaient pas au Christ et qui dévastaient cette île. Le jeune Théoderic, enlevé au monde pour être donné à Dieu, vécut cinquante-sept ans sous l'habit monacal, et, montant légitimement de grade en grade jusqu'au sacerdoce, combattit pour Dieu avec beaucoup d'honneur. Dans le même temps, Gui, surnommé Bolleim, arrière petit-fils du vieux Giroie, vivait honorablement avec sa femme Hodierne dans le Corbonnois56 et jouissant de grandes richesses, il se distinguait beaucoup dans les rangs de la chevalerie. Ils avaient plusieurs fils, Normand et Gaultier, qui se livrèrent aux travaux de la chevalerie; Geoffroi et Guillaume surnommé Grégoire, qui, instruits dans les lettres, prirent l'habit sacerdotal. Ce Gui, inspiré par Dieu, et à la persuasion de l'abbé Robert son cousin, aima beaucoup les moines d'Ouche; il éloigna du monde et de lui-même son fils Guillaume qui avait alors près de neuf ans, et le jour de la Toussaint le livra à Dieu, pour servir dans l'église d'Ouche sous le joug monacal. Alors Guillaume le Prévost, chevalier illustre, oncle de l'enfant, fit don à Saint-Evroul de l'église des Augerons, avec toute la terre du lieu, et se voua fidèlement au même patron, vers la fin de ses jours, lui et une partie de sa fortune. La grâce de Dieu accorda au jeune Guillaume de bonnes mœurs et le rendit actif à s'instruire dans les bonnes études: ce qui lui mérita de ses supérieurs le surnom de Grégoire. Elevé soigneusement dans le giron de sa sainte mère Eglise, retiré loin du fracas du monde et des charnels plaisirs, il brilla noblement dans les sciences utiles, qui conviennent si parfaitement aux dignes fils de l'Eglise: car il fut lecteur et chantre habile, distingué dans l'art de l'écriture et bon enlumineur de livres. Les ouvrages de ses mains nous servent encore beaucoup, pour la lecture ainsi que pour le chant, et par ces profitables exercices nous enseignent à éloigner l'oisiveté. Assidu dès l'enfance aux prières et aux veilles, il s'est livré modérément jusqu'à la vieillesse aux jeûnes et autres macérations de la chair, toujours observateur exact de l'ordre monastique, toujours ardent à reprendre les transgresseurs des saintes règles. Il avait confié à sa mémoire tenace les Epîtres de saint Paul, les Proverbes de Salomon et plusieurs autres traités de la Sainte-Ecriture; il les a employés dans ses entretiens journaliers, pour exhorter ceux avec lesquels il conversait. Livré à de telles études, il a déjà passé cinquante-quatre ans dans l'ordre monacal, et pour pouvoir parvenir, au moyen d'une bonne fin, à la jouissance de l'éternelle tranquillité, il continue, comme de coutume, la pratique de ses bonnes œuvres, sous l'abbé Roger. Pendant que le monastère d'Ouche s'était renforcé glorieusement d'un surcroît de quarante moines, et que l'ordre monastique y était régulièrement observé, selon les règles de la loi divine, sa renommée se répandait au loin, volant de tous côtés, et portant tout le monde à l'amour de cette église. Toutefois certaines personnes étaient atteintes par la contagion de l'envie, et restaient blessées du trait déchirant de leur propre méchanceté. L'abbé Robert, naturellement généreux et bienfaisant, n'en accueillait pas moins de bonne grâce ceux qui accouraient de toutes parts à la conversion, et fournissait dignement aux frères tout ce qui leur était nécessaire pour la subsistance et l'habillement. Comme les revenus de l'église d'Ouche, qui était située dans une contrée stérile, étaient loin de suffire à la libéralité de ce père, il recevait souvent des parens illustres dont il était issu, comme nous l'avons dit, autant de secours qu'il en voulait, pour assister les moines, avec le consentement amical de sa famille. Considérant que l'ancienne église, qui avait été bâtie par saint Evroul, était petite et d'un travail grossier, l'abbé Robert se détermina la première année de son gouvernement à bâtir une grande et belle église en l'honneur de Marie, sainte mère de Dieu; et il voulut qu'elle fût décorée de beaucoup d'autels, en l'honneur des saints. Les reliques de plusieurs saints du temps de saint Evroul avaient été déposées dans l'ancienne église; mais, par l'effet d'un grand laps de temps, on ignorait leurs noms, leurs gestes et le lieu où ils étaient placés: c'est ce qui porta Robert à comprendre tout le vieil édifice dans la nouvelle église, qu'à cet effet il fit assez grande pour pouvoir ainsi contenir toujours honorablement les ossemens ou les mausolées des bienheureux qu'elle recèle. Les tempêtes des tribulations s'étant élevées, il fut forcé de suspendre son entreprise, qu'aucun de ses successeurs n'osa continuer dans la proportion, l'ordre et l'emplacement qu'il avait adoptés. L'an de l'Incarnation du Seigneur 105957, Henri, roi des Français, après beaucoup de belles actions qui honorèrent glorieusement son règne, demanda une potion à Jean, médecin de Chartres, qui par suite d'un accident fut surnommé le Sourd. Le prince attendait de ce remède une plus longue vie et une meilleure santé. Comme il céda plutôt à sa fantaisie qu'à l'ordonnance de son médecin, il demanda de l'eau à son chambellan, pour calmer la soif qui le tourmentait, pendant que la médecine qui parcourait ses entrailles le faisait beaucoup souffrir; avant qu'elle eût produit son effet, il se mit à boire à l'insu du médecin, et par malheur il mourut le lendemain, à la grande affliction de beaucoup de personnes. Il laissa le sceptre des Français à Philippe son fils, qui était encore dans l'incapacité de l'enfance, et le recommanda à Baudouin, duc des Flamands, pour qu'il le protégeât ainsi que le royaume. Cette tutèle appartenait convenablement à un si grand prince, puisqu'il avait épousé Adèle, fille de Robert, roi des Français, de laquelle il avait eu Robert le Frison, Mathilde, reine des Anglais, Odon, archevêque de Trêves, et quelques autres grands personnages. La même année, Frédéric, fils du duc Gothelon, qui fut appelé le pape Etienne, vint à mourir, et eut pour successeur Gérard, qui prit le nom de Nicolas. Cette année est la troisième de Henri IV, fils de l'empereur Henri Conrad et de l'impératrice Agnès: il fut le quatre-vingt-septième depuis Auguste, et régna cinquante ans. L'an de l'Incarnation du Seigneur 1063, le pape Nicolas mourut; Alexandre, évêque de Lucques, lui succéda. Dans ce temps-là, Sigefroi, évêque de Mayence, Gontier, évêque de Bamberg, et plusieurs autres prélats ou nobles se rendirent à Jérusalem, avec de nombreux compagnons. |
XIII. Dissensiones in Normannia. Osbernus abbas Uticensibus monachis imponitur Roberti loco. Robertus abbas in Apuliam transit ad Robertum Viscardum. Eventus varii. Eodem tempore inter Willelmum Normanniae ducem et proceres ejus dissensio gravis exorta est. Nam, cupiditate furente, unus alium supplantare conabatur, gravesque seditiones ad detrimenta miserorum diversis ex causis oriebantur. Unde quidam crudelioris animi laetabantur, alii pietatis et modestiae amatores nimis contristabantur. Tunc Rogerius de Monte-Gomerici et Mabilia uxor ejus exorta simultate gaudebant, et blandis adulationibus sibi ducem alliciebant, et contra vicinos suos callidis factionibus commotum acrius ad iram concitabant. Animosus autem dux, plus aequo irae frena relaxans, praecipuos milites Rodulfum de Toenia et Hugonem de Grentemaisnilio atque Ernaldum de Escalfoio et barones eorum exhaereditavit, et sine probabilibus culpis diu exsulare coegit. Tunc etiam Rodbertus Uticensium abbas ad curiam ducis accitus est. et ad diem statutum de quibusdam reatibus, unde falso accusatus fuerat, respondere jussus est. Hunc nimirum Rainerius Castellionensis monachus, quem ipse priorem Uticensibus praefecerat, et ad intima consilia sua velut fidelem amicum indubitanter accersierat, de quibusdam ludibriis et improvidis dictis, ducique privatim derogantibus apud ipsum accusaverat. Ille vero, ut ducem contra se totamque suam parentelam vehementer furentem et nocere cupientem sensit, indicioque amicorum suorum malevolentiam ducis sibi damna membrorum inferre volentis veraciter agnovit, consilio Hugonis Lexoviensis episcopi imminentem furiam declinare prius quam damnum irreparabile pateretur, elegit. Tertio itaque regiminis sui anno, VI Kalendas Februarii postquam Sabbato ad vesperas Antiphonam, Peccata mea, Domine, pronuntiaverat, discessit, ascensisque equis cum duobus monachis, Fulcone et Urso, Galliam expetiit, et inde Nicolao papae eventus suos revelaturus adiit. Interea Normannicus dux, per consilium venerabilis Ansfridi Pratellensium abbatis et Lanfranci Beccensium prioris, aliarumque personarum ecclesiasticarum, Osbernum Cormeliensium priorem a Rainerio abbate Sanctae Trinitatis de Monte Rothomagi requisivit, eique nil tale suspicanti per cambutam Maurilii archiepiscopi in synodo Rothomagensi curam Uticensis abbatiae commendavit. Deinde Hugo episcopus jussu ducis eum Pratellis adduxit, ibique subito, nescientibus monachis Sancti Ebrulfi, abbatem consecravit, secumque postea Uticum adduxit, et moestis Uticensibus ex imperio ducis imposuit. Illi autem ancipiti discrimine anxiati sunt. Nam, vivente abbate suo, qui praefatam ecclesiam fundaverat, eosque ad monachatum susceperat, et sine probabilibus culpis non per judicium synodi, sed per tyrannidem furentis marchisi expulsus fuerat, alium abbatem suscipere dubitabant, nec palam refutare propter ducis animositatem audebant. Tandem consilio praedicti praesulis elegerunt pati violentiam, gratisque dato sibi magistro exhibere obedientiam, ne si sine jugo permanerent, Dei offenderent potentiam, et ad destructionem novelli coenobii graviorem ducis contradicendo excitarent malevolentiam. Porro Ernaldus de Escalfoio injuriam exhaereditationis suae acriter vindicabat, et rapinis, incendiisque, hominumque capturis vel occisionibus Lexoviensem pagum per triennium inquietabat. Quadam nocte cum quatuor militibus Escalfoium venit, et in castrum cum suis clam ingressus, in magnam vociferationem prorupit Quam ut LX milites ducis audierunt, magnum cum Ernaldo exercitum adesse putaverunt, territique castrum quod custodire debebant relinquentes, aufugerunt. At ille ignem injecit, et damnum ingens hostibus suis intulit. Burgum quoque Uticensem igne combussit, et per omnes angulos ecclesiae cum satellitibus suis nudos enses in dextris vibrantibus Osbernum abbatem ad occisionem diu quaesivit. Sed ille Dei nutu defuit. Post aliquot autem dies Hermannus cellararius Ernaldum privatim adiit, ipsumque quod abbatiam, quam pater suus pro salute animae suae construxerat, destruere niteretur, benigniter redarguit. At ille monita servi Dei pie suscepit, memorque paternae pietatis pro malefactis contra coenobium Sancti Ebrulfi ploravit, poenitensque congruam emendationem promisit. Non multo post Uticum venit, pro male gestis super aram vadimonium posuit, indulgentiam petiit, abbatique Osberno securitatem dedit. Praefatus enim monachus subtili relatu ei veraciter intimavit quod praedictus abbas cognati sui locum non per cupiditatem invaserit, sed vi principis et instinctu magistrorum suorum compulsus, desolatae ecclesiae regimen invitus susceperit. Denique Rodbertus abbas Nicolaum papam Romae invenit, eique causam itineris sui diligenter intimavit. At ille compatriotam suum, nam genere Francus erat, benigniter suscepit, querimoniam ejus cum pietate audivit, fidumque suffragium in sua necessitate spopondit. Rodbertus autem ad parentes suos in Apuliam, ubi urbes et oppida quamplura vi armorum obtinuerant, transivit, et completa cum eis locutione, cum litteris apostolicis et duobus cardinalibus clericis Normanniam repetiit, et Juliam-Bonam, ubi tunc temporis Willelmus dux curiam suam tenebat, audacter adiit. Audiens vero dux quod Rodbertus abbas cum legatis papae abbatiam Uticensem quaesiturus advenisset, et Osbernum ducis jussu substitutum abbatem velut invasorem alieni juris calumniaturus esset, vehementer iratus dixit se quidem legatos papae de fide et religione Christiana, ut communis patris, libenter suscepturum; sed si quis monachorum de terra sua calumniam sibi contrariam inferret, ad altiorem quercum vicinae silvae per capitium irreverenter suspensurum. Quod audiens Hugo praesul Rodberto intimavit, et ut furibundi principis praesentiam declinaret admonuit. At ille festinanter inde discessit, et in pagum Parisiensem ad venerandum Hugonem abbatem coenobii Sancti Dionysii Gallorum apostoli secessit, et apud ipsum, cognatus quippe suus erat, et apud alios amicos ac parentes suos, qui inter Gallorum proceres pollebant, aliquandiu honorifice habitavit. Inde Osberno abbati mandavit ut coram Romanis cardinalibus in pago Carnotensi ambo adessent, ibique, negotio utriusque diligenter indagato, a personis ecclesiasticis definitum judicium secundum ordinationem sanctorum canonum indubitanter subirent. Diem quoque et locum quando et ubi convenirent designavit. At ille mandatum quidem suscepit, et ad curiam Romanam se libenter iturum dixit; sed, alio consilio accepto, ad statutum tempus et locum minime accessit. Unde Rodbertus per quemdam famulum Uticensium, quem Ernaldus ceperat, litteras misit, in quibus ex auctoritate papae Osbernum invasorem excommunicavit, omnesque monachos Uticensis coenobii ut se sequerentur imperiose invitavit. Quis referre potest quot tribulationibus Uticensis ecclesia intus et exterius tunc quatiebatur? En Rodbertus ejusdem fundator et rector de sede sua injuste fugatus, cogebatur vagari per externas domus, et ejusdem in loco saeculari potestate successit vir extraneus; qui, licet solers esset ac religiosus et in ordine fervidus, suspectus tamen et meticulosus non satis credebat indigenis fratribus. Unde quidam ex ipsis audita excommunicatione, qua suffectus abbas percussus fuerat, et hortatu patris Rodberti, quo filios suos ex consensu papae post se venire jusserat, Normanniam relinquentes abbatem suum comitati sunt, et apostolicam sedem expetierunt. Pene omnes discedere voluerunt; sed infantes et infirmiores, qui arctiori custodia constringebantur, inviti remanserunt. Alii vero qui fortiores erant, et majorem licentiam usurpabant, patrem suum secuti sponte exsularunt, quorum nomina haec sunt: Herbertus et Hubertus de Mosterolo, et Berengarius Ernaldi filius scriptor praecipuus (hi tres a pueritia in domo Domini solerter educati, studiisque bonis imbuti, omni vita sua utiles permanserunt divino cultui), Rainaldus Magnus grammaticae artis peritus, et Thomas Andegavensis nobilitate famosus, et Rodbertus Gamaliel cantor egregius, Turstinus, Rainaldus Capreolus et Walterius Parvus. Hi Neustriam natale solum deseruerunt, variosque casus perpessuri Sicaniam expetierunt; unde quidam eorum postmodum redierunt, nonnulli vero pastorem suum fine tenus juvantes in Calabria ultimum diem clauserunt. Porro domnus Mainerius, quem Rodbertus abbas ante primam discessionem suam priorem claustralem constituerat, quia post paucos dies profectionis ejus Beccum perrexerat, primusque de substituendo alio abbate cum Lanfranco Beccensium priore tractaverat, eumdem cui professionem fecerat implacabiliter offenderat. Unde minis ejus territus, et improperiis fautorum ejus dedecore lacessitus, consilio et permissu Osberni abbatis Cluniacum perrexit, ibique per unum annum rigorem Cluniacensium experiri sub venerando Hugone archimandrita ferventer edidicit. Uticensis autem ecclesia in hujusmodi mutatione vehementer desolata est, multisque possessionibus, quas prius possederat, spoliata est. Vicini enim milites, qui homines seu cognati Geroianorum fuerant, naturalibus expulsis haeredibus, monachis Sancti Ebrulfi graves molestias et damna inferebant. Nam unusquisque terram, vel ecclesiam, seu decimam auferebat; et novus abbas ut advena rerum donationes ignorabat, et indagare ab his, in quibus minime confidebat, certitudinem rerum, quas Rodbertus filius Helgonis, et Geroius filius Fulcoii de Mosterolo, seu Rogerius Gulafra, aliique perversi affines rapiebant, dubitabat. Unde multa Uticensis ecclesia tunc perdidit, quae usque hodie recuperare nullatenus potuit. Defuncto Nicolao papa, Alexander successit, ad quem Rodbertus abbas cum XI monachis Sancti Ebrulfi accessit, eique suas, suorumque injurias luculenter deprompsit. At ille paterno solamine benigniter eos refocillavit, eisque in urbe Roma ecclesiam Sancti Pauli apostoli tradidit, ut ibi habitantes ordinem suum tenerent, donec sibi congruam habitationem invenirent. Deinde Rodbertus Willelmum de Mosterolo consobrinum suum ad auxilium sui requisivit, promptissimumque ad subveniendum invenit. Praedictus quippe miles papae signifer erat, armisque Campaniam obtinuerat, et Campanos, qui diversis schismatibus ab unitate Catholica dissidebant, sancto Petro apostolo subjugaverat. Hic exsulanti consanguineo cum monachis suis medietatem antiquae urbis, quae Aquina dicitur, dedit. Postea Rodbertus Richardum principem Capuae filium Anschetilli de Quadrellis adiit. Ipse vero multis blanditiis ei favit; sed promissorum blandimenta operum completione non peregit. Rotbertus autem, ut frivolis promissionibus delusum se perspexit, iratus degenerem parentelam ejus, quam bene noverat, ei exprobravit, ipsumque relinquens ad Rodbertum Wiscardum Calabriae ducem se contulit. Ille vero ut dominum naturalem eum honorifice suscepit, multumque ut ipse cum monachis suis semper secum permaneret, rogavit. Hujus pater Tancredus de Alta-Villa de pago Constantino exstitit, qui de duabus legitimis uxoribus, quas desponsaverat, XII filios, pluresque filias habuit; quorum uni, nomine Goisfredo, paternae haereditatis agros concessit, aliosque omnes ut extra solum ea quibus indigerent, viribus et sensu sibi vindicarent, admonuit. Illi autem non simul, sed diverso tempore sub specie peregrinorum peras et baculos portantes, ne a Romanis caperentur, in Apuliam abierunt, omnesque variis eventibus aucti, duces aut comites in Apulia seu Calabria vel Sicilia effecti sunt; de quorum probis actibus et strenuis eventibus Goisfredus monachus, cognomento Malaterra, hortatu Rogerii comitis Siciliae elegantem libellum nuper edidit. Horum sublimior et potentior Rodbertus Wiscardus exstitit, qui post obitum fratrum suorum Drogonis et Unfridi principatum Apuliae diu tenuit, et Langobardis Graecisque, qui magnis in urbibus et oppidis confidentes jus antiquum pristinamque libertatem defendere nitebantur, virtute bellica subactis, ducatum Calabriae obtinuit. Ionio mari transfretato cum modica, sed forti Normannorum Cisalpinarumque gentium manu, Macedoniam invasit, contra Alexium imperatorem Constantinopolitanorum bis conflixit, ipsumque terra marique victum bello, cum ingenti multitudine fugavit. Praefatus heros, ut diximus, Rodbertum abbatem cum monachis suis honorabiliter suscepit, et ecclesiam Sanctae Euphemiae, quae super littus Adriatici maris, ubi ruinae antiquae urbis, quam Brixam nominabant, adhuc parent, sita est, ei tradidit, ibique monachile coenobium in honore sanctae Dei genitricis Mariae construi praecepit. Magnas possessiones tam ipse dux quam alii Normanni praedictae ecclesiae dederunt, et orationibus fidelium, qui illic congregati seu congregandi erant ad militiam Christi, sese commendaverunt. Ibi Fredesendis uxor Tancredi de Alta-Villa sepulta est; pro qua Wiscardus filius ejus quemdam magnum fundum eidem ecclesiae largitus est. Idem princeps coenobium Sanctae Trinitatis in civitate Venusia praedicto Patri commendavit. Ille autem Berengarium, filium Ernaldi filii Helgonis, Uticensem monachum elegit, et ad suscipiendum regimen Venusiensis coenobii Alexandro papae praesentavit. Qui post perceptam benedictionem, quandiu Alexander et Gregorius ac Desiderius apostolicam sedem rexerunt, curam Venusiensis abbatiae honorabiliter tenuit; deinde temporibus Urbani papae a plebe electus episcopatum ejusdem urbis suscepit. Hic nobili parentela exortus, ab infantia sub Theoderico abbate apud Uticum Christo militavit, peritiaque legendi et canendi, optimeque scribendi floruit. Deinde, ut diximus, abbatem suum secutus, et ab ipso ad pastoralem curam assumptus, pusillum gregem XX monachorum quem recepit, mundanisque vanitatibus vehementer occupatum, et in Dei cultu valde pigrum invenit, postmodum gratia Dei juvante, ad numerum centum monachorum augmentavit. Tanto etiam bonarum studio virtutum nobilitavit eos ut ex ipsis plures episcopi et abbates assumerentur, sanctaeque matri Ecclesiae ad honorem veri regis pro salute animarum praeficerentur. Praeterea magnanimus dux tertium coenobium in honore sancti Michaelis archangeli in urbe Mellito constructum Rodberto abbati tradidit, quod ipse Willelmo Ingranni filio, qui apud Uticum natus et ad clericatum promotus fuerat, sed apud Sanctam Euphemiam monachatum susceperat, commendavit. In his itaque tribus monasteriis Italiae Uticensis cantus canitur, et monasticus ordo usque hodie. prout opportunitas illius regionis et amor habitantium permittit, observatur. Duae sorores uterinae Rodberti abbatis, Judith et Emma, apud Uticum in capella Sancti Ebrulfi morabantur, et sub sacro velamine mundo renuntiasse, Deoque soli per munditiam cordis et corporis inhaerere credebantur. Quae cum Rodbertum fratrem suum in Apulia saeculari potentia sat vigere audissent, seseque in Normannia despicabiles et sine adjutorio perspexissent, iter in Italiam inierunt, et, relicto velamine sanctitatis, totis nisibus mundum amplexatae sunt, et ambae maritis ignorantibus quod Deo dedicatae essent nupserunt. Nam Rogerius Siciliae comes Judith in conjugium accepit, aliusque comes, cujus nomen non recolo, Emmam matrimonio suo conjunxit. Sic ambae velamen, sanctae religionis specimen, pro mundi amore reliquerunt, et quia primam fidem irritam fecerunt, ambae in hoc saeculo steriles permanserunt, et in brevi puncto temporali felicitate functae coelestem sponsum offenderunt. Post discessionem Rodberti abbatis, Rodulfus Mala-Corona avunculus ejus videns acerbam tribulationem in parentes suos graviter saevire, et extraneos in Uticensi domo, quam ipse, fratresque sui Deo construxerant, dominationem exercere, relicta capella Sancti Ebrulfi, ubi supra diximus eum habitasse, Majus-Monasterium, in quo monachilem professionem fecerat, expetiit; ibique non multo post, completis in ordine monastico VII annis, XIV Kalendas Februarii glorioso fine quievit. Per idem tempus, Goisfredus Martellus Andegavensium comes post multa in rebus saeculi fortia gesta obiit, et quia liberis caruit, Goisfredo nepoti suo Alberici Wastinensium comitis filio honorem suum reliquit. Quem Fulco frater ejus cognomento Richinus post aliquot tempus fraudulenter cepit, principatum ejus arripuit, ipsumque in castro, quod Chinon vocatur, per triginta annos carceri mancipavit. His temporibus, Willelmus Normanniae dux probitate et potestate valde crescebat, cunctisque vicinis suis liberalitate et magnificentia supereminebat. Hic generosam Mathildem, Balduini ducis Flandrensium filiam, neptem scilicet ex sorore Henrici regis Francorum, conjugem accepit; ex qua dante Deo filios et filias habuit Rotbertum videlicet et Richardum, Willelmum et Henricum, Adelizam et Constantiam, Caeciliam et Adalam. De his ingentem historiam dicaces historiographi texere possunt, si, otio remoto studioque admoto, varios illustrium eventus posteris promulgare satagunt. Nos autem, quia saecularibus curiis non insistimus, sed in claustris monasterii degentes monasticis rebus incumbimus, ea quae nobis competunt breviter adnotantes, ad incoeptam materiam redeamus. Bello Normannis contra vicinos Britones et Cenomannenses insurgente, Willelmus dux consilio seniorum statuit inter dissidentes proceres suos pacem firmare et exsules revocare. Igitur optimates suos Rodulfum de Toenia et Hugonem de Grentemaisnilio, quos supra diximus eum exhaereditasse et extra solum cum suis satellitibus fugasse, supplicationibus Simonis de Monteforti et Waleranni de Britolio Belvacensi, aliorumque potentum amicorum et vicinorum delinitus revocavit, eisque paternas haereditates restituit. Ernaldus quoque post triennalem guerram trevias a duce accepit, et in Apuliam ad amicos et parentes suos, qui magnis ibidem opibus pollebant, perrexit; unde non multo post cum ingenti pecunia rediit, ducique pallam pretiosam detulit. |
Dans ce même temps, il s'éleva de grandes difficultés entre Guillaume duc de Normandie et ses seigneurs. Dans l'excès de leur ambition et de leur cupidité, ils voulaient se supplanter les uns les autres, et il en résultait de graves séditions, par diverses causes, mais toujours au détriment des malheureux. Quelques hommes d'un cœur cruel s'en réjouissaient; mais les amis de la paix et de la piété en étaient vivement contristés. Roger de Mont-Gomeri et sa femme Mabille prirent plaisir à voir naître ces troubles, cherchèrent à capter la bienveillance du duc par leurs adulations, et employèrent un art perfide à le porter plus fortement à la colère contre ses voisins. Le duc, naturellement violent, donnant une trop libre carrière à son courroux, dépouilla et força, sans preuves, de s'exiler pour long-temps quelques chevaliers des plus illustres, tels que Radulphe de Toëni, Hugues de Grandménil, Ernauld d'Echaufour, et leurs barons. En même temps, Robert, abbé d'Ouche, fut mandé à la cour du duc, et, le jour fixé, reçut l'ordre de répondre sur divers griefs, dont il était faussement accusé. En effet, Rainier, moine de Châtillon58, le même qu'il avait établi prieur d'Ouche, et qu'il avait toujours sans défiance appelé, comme un ami fidèle, à ses plus intimes conseils, l'avait accusé auprès du duc de quelques plaisanteries et de quelques paroles légères, dirigées contre la personne de ce prince. Quand Robert vit le duc irrité contre lui, et toute sa propre famille, animée de fureur, cherchant à lui nuire, il reconnut facilement, d'après l'avis de ses amis, que le duc voulait le frapper, même dans ses membres. De l'avis de Hugues, évêque de Lisieux, il aima mieux éviter la colère qui le menaçait, que de s'exposer à un mal irréparable. C'est pourquoi la troisième année de son gouvernement, le 6 des calendes de février (27 janvier 1061), il se retira après avoir chanté le samedi à vêpres l'antienne Peccata mea, Domine; et montant à cheval avec les deux moines Foulques et Ours, il passa en France, et se rendit ensuite auprès du pape Nicolas, auquel il raconta ce qui lui était arrivé. Cependant le duc de Normandie, par le conseil du vénérable Ansfroi, abbé de Préaux, de Lanfranc prieur du Bec, et d'autres personnes ecclésiastiques, demanda à Rainier, abbé de la sainte Trinité-du-Mont à Rouen, de lui donner Osbern, prieur de Cormeille, et, sans que celui-ci s'y attendit, il lui confia le soin de l'abbaye d'Ouche, dans un synode tenu à Rouen, sous la crosse de l'archevêque Maurille. L'évêque Hugues conduisit ensuite Osbern à Préaux, par l'ordre du duc, et là soudainement, à l'insu des moines de Saint-Evroul, le consacra abbé, le mena à Ouche, et l'imposa de parle prince aux moines affligés. Ils furent en proie à un grand embarras. En effet, leur abbé vivait encore, et c'était lui qui avait fondé leur église, et qui les avait introduits dans la vie monastique; il était chassé sans preuves, non par le jugement d'un concile, mais parla tyrannie d'un prince en fureur59: en conséquence, ils hésitaient à recevoir un autre abbé, et cependant ils n'osaient le refuser ouvertement, à cause de la violence du duc. Enfin, sur les remontrances du prélat dont nous venons de parler, ils préférèrent souffrir la violence, et se montrèrent obéissans au chef qu'on leur donnait, plutôt que de rester sans joug, d'offenser la puissance de Dieu, et d'exciter par leur résistance un surcroît de malveillance qui pourrait tourner à la destruction du nouvel établissement. Cependant Ernauld d'Echaufour se vengeait cruellement de l'outrage qu'on lui avait fait eu le dépouillant. Il ravagea pendant trois ans tout le pays de Lisieux, soit par le pillage et l'incendie, soit en enlevant des hommes et les frappant de mort. Une certaine nuit, il arriva à Echaufour avec quatre chevaliers, et, ayant pénétré secrètement dans le bourg avec ses hommes, il jeta tout à coup de grands cris. Aussitôt que les soixante chevaliers du duc l'entendirent, ils pensèrent qu'il était accompagné d'une forte troupe, et, saisis d'effroi, ils prirent la fuite en lui abandonnant le château qu'ils devaient garder. Ernauld y mit le feu et causa un grand dommage à ses ennemis. Il brûla aussi le bourg d'Ouche, et chercha long-temps, pour le tuer, l'abbé Osbern, en parcourant avec ses satellites tous les coins de l'église, et frappant partout avec des épées nues. Osbern était absent par la permission de Dieu. Quelques jours après, le célérier Herman alla trouver en particulier Ernauld. Il le reprit avec douceur de ce qu'il s'efforçait de détruire une abbaye que son père avait fondée pour le salut de son ame. Ernauld reçut pieusement les remontrances du serviteur de Dieu, se ressouvint de la piété de son père, déplora ses entreprises criminelles contre le couvent de Saint-Evroul, et, plein de repentir, promit de s'amender comme il le devait. Peu de temps après, il se rendit à Ouche, déposa un gage sur l'autel pour racheter ses mauvaises actions, implora la miséricorde, et rendit la sécurité à l'abbé Osbern. Le célérier lui avait insinué adroitement et selon la vérité que cet abbé n'avait pas usurpé par cupidité la place de son cousin, mais que forcé par le prince et pressé par ses supérieurs, il avait pris malgré lui le gouvernement de l'église désolée. Enfin, l'abbé Robert trouva à Rome le pape, et lui raconta exactement la cause de son voyage. Ce pape reçut avec bonté son compatriote (car ce pontife était né en France); il entendit patiemment ses plaintes, et lui promit de le protéger fidèlement dans la position difficile où il se trouvait. Cependant Robert se rendit auprès de ses parens en Pouille, où ils avaient conquis par la force des armes plusieurs villes et places fortes. Après avoir eu avec eux une entrevue, il se rendit en Normandie, muni de lettres apostoliques, et accompagné de deux cardinaux clercs. Il alla hardiment à Lillebonne, où le duc Guillaume tenait alors sa cour. Le duc, ayant appris que l'abbé Robert était arrivé avec les légats du pape, pour réclamer l'abbaye d'Ouche, pour accuser Osbern substitué par son ordre, et pour le faire considérer comme usurpateur des droits d'autrui, entra dans une violente colère et dit: «Qu'il recevrait volontiers les légats du pape, comme père commun des fidèles, lorsqu'ils lui parleraient de la foi et de la religion chrétienne; mais, que si quelque moine se permettait une entreprise contre son pouvoir, il le ferait pendre sans ménagement par son capuchon, au plus haut chêne de la forêt voisine.». L'évêque Hugues, ayant entendu ces paroles, en fit part à Robert, et l'engagea à éviter la présence de ce prince irrité. L'abbé s'éloigna en toute hâte et se retira dans le pays de Paris chez le vénérable Hugues, abbé du monastère de Saint-Denis, apôtre des Gaulois. Il habita quelque temps honorablement chez ce religieux qui était son cousin, chez quelques amis et plusieurs parens, qui appartenaient aux premières maisons de France. Il écrivit ensuite à l'abbé Osbern pour qu'il se trouvât avec lui dans le pays Chartrain, devant les cardinaux romains, afin que leur différend, soigneusement examiné par ces personnes ecclésiastiques, amenât un jugement définitif, conforme à ce que prescrivent les saints canons. Il lui désigna le jour et le lieu où ils pourraient avoir une entrevue. Osbern reçut la lettre et répondit qu'il irait volontiers en cour de Rome; mais s'étant déterminé pour un autre parti, il ne se rendit point au lieu ni dans le temps désignés. C'est ce qui fit que Robert expédia des lettres, au moyen d'un certain homme attaché à la maison de Saint-Evroul, lequel avait été pris par Ernauîd: elles avaient pour objet d'excommunier, de l'autorité du pape, l'abbé Osbern comme intrus, et d'inviter impérieusement tous les moines du couvent d'Ouche à se ranger de son côté. Qui pourrait rapporter quelles furent les tribulations auxquelles se trouva livrée l'église d'Ouche, à l'intérieur et à l'extérieur? Robert, son fondateur et son chef, fut injustement chassé de son siége, obligé d'errer dans les contrées étrangères, et de voir la puissance séculière substituer à sa place un homme étranger, qui, quoique habile et religieux, et même ardent pour les intérêts du monastère, soupçonneux cependant et craintif, n'osait se confier aux frères du couvent. Il en résulta qu'ayant connu l'excommunication dont avait été frappé l'abbé remplaçant, exhortés d'ailleurs par Robert leur père, qui prescrivait à ses fils de venir le rejoindre avec la permission du pape, quelques moines, quittant la Normandie, accompagnèrent leur abbé, et se rendirent auprès du siége apostolique. Presque tous les religieux voulaient partir; mais les enfans et les infirmes furent obligés de rester malgré eux, parce qu'ils étaient retenus et surveillés exactement. Quant aux autres qui étaient plus forts et qui se donnaient plus de liberté, ils s'exilèrent volontairement, pour suivre leur pure. Voici quels sont leurs noms: Herbert et Hilbert de Montreuil, et Béranger fils d'Ernauld, copiste distingué. Ces trois moines élevés avec soin dos l'enfance dans la maison du Seigneur, et formés par de bonnes études, furent toute leur vie utiles au culte divin; Renauld le grand, habile dans l'art de la grammaire, Thomas d'Angers, fameux par sa noblesse, Robert Gamaliel, chantre illustre, Turstin, Rainauld, Chevreuil, et Gaultier le petit. Ils abandonnèrent la Neustrie, leur pays natal, et partirent pour la Sicile, s'exposant à souffrir les vicissitudes des événemens; quelques-uns revinrent peu après, tandis que plusieurs autres servant leur pasteur jusqu'à la fin, terminèrent leur carrière en Calabre. Cependant le seigneur Mainier, que l'abbé Robert, après son premier départ, avait établi prieur du monastère, s'étant rendu peu de jours après à l'abbaye du Bec, s'était le premier de tous occupé avec Lanfranc, prieur de cette maison, de la substitution d'un autre abbé, et par conséquent avait implacablement offensé celui entre les mains duquel il avait fait profession. Effrayé des menaces de Robert, et honteusement mis en butte aux reproches de ses partisans, il se rendit à Cluni, de l'avis et avec la permission de l'abbé Osbern: et là il se soumit avec ferveur, durant un an, à tonte la rigueur de ce monastère, sous Hugues son vénérable abbé. L'église d'Ouche fut violemment désolée par ces événemens: elle fut dépouillée aussi de plusieurs propriétés qu'elle possédait: car quelques chevaliers voisins, qui étaient les hommes ou les parens des Giroie, voyant l'expulsion des héritiers naturels, suscitèrent beaucoup de tracasseries aux moines de Saint-Evroul, et leur firent essuyer de grands dommages. En effet, chacun s'emparait d'une terre, d'une église ou d'une dîme. Le nouvel abbé, qui était étranger, ne connaissait pas tous les biens de l'abbaye; et il hésitait d'ailleurs à demander à des hommes dans lesquels il avait peu de confiance, des renseignemens sur les objets que Robert fils de Helgon, Giroie fils de Foulques de Montreuil, ou Roger Goulafre, et quelques mauvais voisins avaient usurpés. En conséquence, l'église d'Ouche perdit beaucoup de biens, que jusqu'à ce jour elle n'a pu recouvrer. Le pape Nicolas étant mort, Alexandre lui succéda. Ce fut auprès de lui que l'abbé Robert se rendit avec onze moines de Saint-Evroul, et il lui raconta en détail tout ce que lui et les siens avaient eu à souffrir d'injures. Le pontife les accueillit avec bonté, leur prodigua ses paternelles consolations, et leur confia dans la ville de Rome l'église de l'apôtre saint Paul, afin qu'ils pussent s'y fixer et y observer leurs règles, jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé une habitation convenable. Robert réclama l'assistance de Guillaume de Montreuil son cousin, et le trouva disposé et très-empressé à venir à son secours. Ce chevalier était porte-enseigne du pape; il avait conquis la Campanie et soumis à l'apôtre saint Pierre les habitans de cette contrée, que divers schismes avaient séparés de l'unité catholique. Il donna à son cousin, dépouillé par l'exil, ainsi qu'à ses moines, la moitié des revenus d'une antique ville que l'on appelle Aquina. Robert passa ensuite auprès de Richard, prince de Capoue, fils d'Ansquetil de Quarel. Il en reçut beaucoup de caresses; mais ses gracieuses promesses ne furent suivies d'aucun fait. Quand Robert s'aperçut qu'il était le jouet de protestations frivoles, il reprocha à Richard d'avoir dégénéré de sa race, qui lui était bien connue, et, le quittant aussitôt, il porta ses pas vers Robert Guiscard, duc de Calabre. Ce prince reçut l'abbé avec de grands honneurs, comme son seigneur naturel, et le pria instamment de se fixer auprès de lui, et pour toujours, avec ses moines. Son père Tancrède de Hauteville était originaire du Cotentin: de deux femmes légitimes qu'il avait épousées, il eut douze fils et plusieurs filles. Il abandonna à l'un d'eux, nommé Goisfred, les terres de son patrimoine, et prévint tous les autres qu'ils eussent à se procurer hors du pays, par la force ou par leur industrie, ce dont ils manqueraient. Ces jeunes gens, non pas ensemble, mais à diverses époques, passèrent dans la Fouille sous l'habit de pélerin et portant le sac et le bâton, afin de n'être pas arrêtés par les Romains. Parvenus tous à la fortune par diverses voies, ils devinrent tous ducs ou comtes, soit dans la Pouille, soit en Calabre, soit en Sicile. C'est sur leurs exploits et leurs entreprises courageuses que le moine Geoffroi, surnommé Male-Terre, a récemment écrit un bon ouvrage, d'après l'invitation de Roger, comte de Sicile. Robert Guiscard fut le plus habile et le plus puissant de ses frères; il posséda long-temps la principauté de la Pouille après la mort de ses frères Drogon et Onfroi; il conquit le duché de Calabre après avoir courageusement vaincu, les armes à la main, les Lombards et les Grecs qui, fortifiés dans leurs villes et leurs grandes places, voulurent défendre leurs droits antiques et leur antique liberté. Ayant passé la mer d'Ionie avec une petite mais vaillante troupe de Normands et de Cisalpins, il envahit la Macédoine, livra deux batailles à Alexis, empereur de Constantinople, et, l'ayant vaincu par mer et par terre, il mit en fuite ses nombreuses armées. Le héros dont nous parlons accueillit honorablement, comme nous l'avons dit, l'abbé Robert ainsi que ses moines; il lui donna l'église de Saint-Euphémie située sur le rivage de la mer Adriatique, où l'on voit encore aujourd'hui les ruines d'une ville antique qui s'appelait Brixia, et l'engagea à y construire un couvent, en l'honneur de sainte Marie, mère de Dieu. Ce duc, ainsi que quelques autres Normands, donnèrent à cette église de grands biens et se recommandèrent aux prières des fidèles qui s'y étaient réunis ou qui s'y réuniraient, afin de combattre pour le Christ. C'est là que Frédesensis, femme de Tancrède de Hauteville, est ensevelie; Guiscard son fils donna à cet effet à l'église un grand fonds de terre. Ce prince confia à l'abbé Robert le couvent de la Sainte-Trinité dans la ville de Venosa; et l'abbé fit choix de Béranger, fils d'Ernauld Helgon, moine d'Ouche, elle présenta au pape Alexandre pour qu'il lui confiât l'abbaye de Venosa. Après avoir reçu la bénédiction du pontife, Béranger gouverna honorablement son abbaye, tant qu'Alexandre, Grégoire et Didier furent assis sur le siége apostolique; ensuite du temps du pape Urbain, le peuple l'élut évêque de la même ville. Issu d'une noble parenté, il combattit pour le Christ à Ouche, depuis son enfance, sous l'abbé Théoderic, et se distingua beaucoup par son habileté dans l'art de lire, de chanter et d'écrire. Ayant ensuite, comme nous l'avons dit, suivi son abbé dans l'exil, choisi par lui pour le soin pastoral, il trouva le petit troupeau de vingt moines qui lui fut remis, fort occupé de vanités mondaines et fort paresseux à s'acquitter du culte de Dieu; mais ensuite, aidé par la grâce divine, il en porta le nombre à cent. Il leur inspira noblement un zèle si grand pour toutes les vertus, que plusieurs évêques et abbés furent pris parmi eux et servirent la sainte mère Eglise dans des postes élevés pour l'honneur du vrai roi et le salut des ames. Ce duc magnanime confia à l'abbé Robert un troisième couvent dédié à saint Michel archange et bâti dans la ville de Mella: cet abbé le remit à Guillaume, fils d'lngran, qui était né à Ouche et y avait été fait clerc, mais avait été élevé au monacat à Sainte-Euphémie. Dans ces trois monastères d'Italie on suit le chant de l'abbaye d'Ouche, et on y observe encore aujourd'hui les règles de cette maison, autant que le lieu et la volonté des habitans le permettent. Deux sœurs utérines de l'abbé Robert demeuraient à Ouche dans la chapelle de Saint-Evroul et avaient cru devoir renoncer au monde, en prenant le voile sacré et s'attacher à Dieu seul, dans toute la pureté du cœur et du corps. Lorsqu'elles apprirent que leur frère Robert jouissait dans la Pouille d'un certain pouvoir séculier et qu'elles virent qu'en Normandie elles seraient dédaignées et sans appui, elles passèrent en Italie, abandonnèrent le voile de la sainteté et embrassèrent le monde avec ardeur; puis toutes deux épousèrent des maris, qui ne se doutaient pas qu'elles eussent été consacrées à Dieu. Roger, comte de Sicile, prit Judith en mariage, et un autre comte, dont je ne me rappelle pas le nom, épousa Emma. Ainsi toutes les deux, pour l'amour du monde, quittèrent le voile, emblême de la sainte religion; mais comme elles avaient détruit leur première foi, toutes deux restèrent stériles dans le siècle, et n'ayant joui qu'un moment de la félicité temporelle, elles offensèrent leur céleste époux. Après le départ de l'abbé Robert, son oncle Raoul surnommé Male-Couronne, voyant s'élever contre ses parens toutes les fureurs d'une cruelle tribulation, et des étrangers exercer le pouvoir dans la maison d'Ouche, que ses frères et lui avaient construite à Dieu, abandonna la chapelle de Saint-Evroul où nous avons dit qu'il s'était retiré, et se rendit à Marmoutier, où il avait fait sa profession monacale; peu de temps après, au bout de sept années d'exercice dans l'ordre religieux, il mourut glorieusement le quatorze des calendes de février (19 janvier) de l'année 1068. Dans ce même temps Geoffroi-Martel, comte trèsbrave des Angevins, après avoir fait beaucoup de belles actions dans les affaires du siècle, mourut en 1062. Comme il n'avait pas d'enfans, il laissa ses Etats à Geoffroi, son neveu, fils d'Alberic60 comte de Gâtinois. Il fut pris par artifice quelque temps après, par son frère Foulques, surnommé Réchin, qui s'empara du comté et le retint en prison durant trente ans, dans le château que l'on appelle Chinon. En ces temps-là, Guillaume, duc de Normandie, se faisait de plus en plus remarquer par ses qualités et sa puissance, et surpassait tous ses voisins en générosité comme en magnificence. Il épousa la généreuse Mathilde, fille de Baudouin, duc des Flamands, et nièce de Henri, roi des Français, par une sœur de celui-ci. Il en eut par la faveur de Dieu des fils et des filles, savoir, Robert et Richard, Guillaume et Henri, Adelise et Constance, Cécile et Adèle. Les historiographes éloquens ne manquent pas de matière pour s'étendre à cet égard, s'ils veulent, en renonçant à l'oisiveté et se livrant à l'étude, faire connaître à la postérité les divers événemens qui concernent ces grands personnages. Quant à nous qui ne fréquentons pas les cours du siècle, mais qui résidons au fond des cloîtres monastiques, après avoir fait une courte mention des choses qui nous concernent, reprenons le fil de notre discours. La guerre s'étant élevée entre les Normands et leurs voisins, les Bretons et les Manseaux, le duc Guillaume résolut, de l'avis de ses conseillers, de rétablir la paix entre les grands de ses Etats et de rappeler les bannis. En conséquence, ayant pris le parti de la douceur, d'après les supplications de Simon de Montfort61, de Valeran, de Breteuil et de quelques autres amis et voisins très-puissans, il rappela Radulphe de Toëni, et Hugues de Grenteménil62, qu'il avait dépouillés de leurs héritages, comme nous l'avons dit, et bannis de Normandie avec leurs partisans, et leur restitua leur patrimoine. Après avoir fait la guerre pendant trois ans, Ernauld obtint aussi une trêve du duc et se rendit dans la Pouille, où il trouva ses amis et ses parens qui jouissaient de grands biens. Il en revint quelque temps après avec des sommes d'argent considérables, et rapporta au duc un manteau précieux.
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XIV. Sequitur Uticensis historia. Osbernus abbas. Sedatis aliquantulum procellis quibus Uticensis ecclesia graviter impulsabatur, Osbernus rector ejusdem, qui magnis curarum tumultibus angebatur, et mordaci conscientia, pro apostolico anathemate quo percussus fuerat, intus affligebatur, consilio consensuque fratrum, damnum Mainerium Cluniaco revocavit, et eum Fulcherio, quem Rotbertus abbas priorem constituerat, deposito subrogavit. Erat idem Osbernus Herfasti filius, de pago Calcegio (46) oriundus, ab infantia litteris admodum eruditus, sermone facundus, ingenio acer ad omnia artificia, scilicet sculpendi, fabricandi, scribendi et multa his similia faciendi; statura mediocris, perfectae aetatis, capite affatim onusto nigris canisve capillis. Asper erat ineptis et contumacibus, misericors infirmis et pauperibus, et competenter largus privatis et extraneis, in ordine fervidus, et eorum quibus fratres corporaliter seu spiritualiter indigebant procurator solertissimus. Juvenes valde coercebat, eosque bene legere et psallere atque scribere verbis et verberibus cogebat. Ipse propriis manibus scriptoria pueris et indoctis fabricabat, operisque modum singulis constitutum ab eis quotidie exigebat. Sic otia depellens juveniles mentes intentione utili sagaciter onerabat, easque futuro tempore scientiae divitiis ditatas praeparabat. Hic canonicus Lexoviensis sub domno Herberto antistite fuerat; postea volens arctiori norma constringi, habitum saecularem reliquerat, et ad novum coenobium, quod Goscelinus de Archis in monte Rodomi sanctae Trinitati constituerat, ubi tunc venerabilis Isembertus abbas, vir mirae peritiae nostris temporibus incomparabiliter, pollebat, mores emendare secundum beneplacitam voluntatem Dei confugerat. Hunc Rainerius abbas, Isemberti successor, jam in ordine probatum ad construendum coenobium Cormelias misit, ubi tunc temporis praeclarus heros Willelmus Osberni filius dapifer Normannorum abbatiam Sanctae Dei genitrici Mariae condere coepit. Depulso autem Rodberto abbate de loco suo, ut supra satis dictum est, Osbernus ignarus et invitus ad regimen Uticensis ecclesiae assumptus est; quo per quinque annos et menses tres, prout saevitia iniqui temporis permisit, diligenter et utiliter potitus est. Hinc quemdam Ecclesiae suae monachum valde sapientem et religiosum, nomine Witmundum, permissu abbatis sui secum adduxit; cujus monitis et auxiliis usus est quandiu apud Uticum vixit. Praefatus monachus grammaticae artis et musicae peritissimus erat; quod nobis adhuc testantur antiphonae et responsoria quae ipse condiderat. Plures enim dulcisonos cantus in trophario et antiphonario edidit. Hic historiam Sancti Patris Ebrulfi, additis novem antiphonis et tribus responsoriis, perfecit. Nam ad vesperas super psalmos quatuor antiphonas condidit, et in secundo nocturno tres ultimas adjecit, quartum etiam responsorium et octavum et duodecimum, et antiphonam ad cantica, et ad secundas vesperas ad canticum de Evangelio pulcherrimam antiphonam condidit. Ipsam nimirum historiam Arnulfus cantor Carnotensis, Fulberti episcopi discipulus, secundum usum clericorum hortatu Rodberti abbatis jam ediderat, et duobus juvenibus monachis, Huberto et Rodulfo, a praedicto Patre Carnotum missis primitus cantaverat. Porro Rainaldus Calvus responsorium ad laudem Domini, quod ad vesperas canitur, et septem antiphonas edidit, quae in Uticensibus antiphonariis scriptae reperiuntur. Hymnos quoque plures de eodem Patre Rogerius de Sappo, aliique studiosi fratres ex devotione pia dictaverunt, suisque posteris in bibliotheca Uticensi commendaverunt. Nimia sollicitudine anxius Osbernus abbas propter apostolicum anathema, cui coactus erat subjacere, consilio sapientium decrevit legatum Romam mittere, et apostolicae sedis benedictionem humiliter expetere. Witmundo itaque sapienti monacho supplices jussit litteras dictare, et Bernardo juveni, cognomento Matthaeo, nobili antiquario diligenter scriptitare. Textus autem epistolae hujusmodi est: « Domino apostolico ALEXANDRO , vice beati Petri totius orbis Patri excellentissimo, quidam abbas longe positus nomine OSBERNUS coenobii Sancti Ebrulfi in Normannica patria, salutem veram, subjectionem humillimam, et orationem pro posse devotam. « Quoniam ante omnes et super omnes Ecclesiae praelatos, domine Pater, vestrum est in universo orbe totius Christianitatis sollicitudinem gerere, animarum lucra ardenti desiderio quaerere, discordantes ad concordiam vestra auctoritate revocare, idcirco ego abbas ignotus intra gremium tamen vetrae custodiae manens, ad vos tanquam ad clementissimum consolatorem aperta voce, ex toto nisu mentis exclamo, preces fundo, solatium imploro, ut me per gratiam vestram a quadam ordinis nostri fluctuatione quam patior, secundum rectitudinem auctoritatis eripere dignemini. Cujus fluctuationis causa haec est: Sancti Ebrulfi abbatiam, quam ego nunc teneo, quondam ante me domnus abbas Rodbertus, consanguineus Willelmi Normanni militis fidelis vestri, tenuerat; sed quodam contrario sibi contingente, eam reliquit et discessit. Princeps autem provinciae et praelati Ecclesiae me in eodem loco abbatem constituerunt, et ut mihi super hoc trepidanti asseruerunt et asserunt, recte ac secundum Deum me ordinaverunt; nescio si verum dicunt. Hoc solum ex mea conscientia firmiter scio, quia non prece, non pretio, non familiaritate, non obsequio, nec ullius calliditatis ingenio, sed solo obedientiae praecepto, quantum ad me, abbatis nomen et onus suscepi, et suscipiendo nullam calumniam audivi. Praefatus ergo Rodbertus abbas a nobis longe transportatus in provincia Calabriae cujusdam monasterii Pater est effectus, et ibi graviter adversum me ira odioque movetur, calumniatur, comminatur, dicens me locum suum invasisse contra Deum. Ex qua dissensione et animae subditorum utique periclitantur, et ego inter utramque partem valde fluctuans haesito. Videlicet quia et praelatis meis me bene loco stare asseverantibus ac persistere jubentibus inobediens fore non audeo; et fratris calumniantis iram odiumque vehementer formido, praesertim cum sacerdotes et monachi simus ambo. Dum enim vox apostolica terribiliter omnibus intonet dicens: Omnis qui odit fratrem suum homicida est (I Joan. III, 15) , quis enarrare sufficit quam grave homicidium perpetrat monachus sacerdos fratrem suum odiens? Et si ita ad altare sacrificat, eum animam suam damnare quis ignorat? Proinde, domine apostolice, totius Christianitatis Pater reverendissime, terra tenus prostratus ad pedes misericordiae vestrae lacrymosis gemitibus praecordialiter efflagito ut vos, qui in loco beati Petri summa vigilantia oves Dominicas alere et a luporum insidiis custodire debetis, hujus lupinae discordiae malum inter me et fratrem hunc, de quo loquor, Rodbertum ex zelo Dei per judicium aequitatis abolere festinetis, et omnem hanc fluctuationem a corde meo penitus auferatis; ita scilicet ut ex imperio vestrae auctoritatis, et me et ordinationis meae auctores, et eumdem Rodbertum calumniatorem ad justissimam rei discussionem coram idoneis legitimisque judicibus in unum convenire faciatis; quatenus si in abbatia bene positus repertus fuero, persistam, si male, discedam. Quod si per gratiam vestram feceritis, et officium quidem vestrum laudabiliter implebitis, et nos ambos fratres in pacis dulcedinem conducetis. Nam sive persistere sive discedere mihi contingat, profecto et fratris iracundia ex judicii definitione mitigata quiescet, et ego, a fluctuatione liberatus, Deo postmodum famulari potero securus. O rectorum Ecclesiae rector et Patrum Pater, qui omnibus tribulatis ad refugium constitutus estis, per beatam potestatem ligandi et solvendi, quam supra omnes terrigenas possidetis, haec verba mea cordis aure percipite, et in quantum recte sonant agite quod poscunt. Et ut me simpliciter loqui credatis, ad testimonium conscientiae meae omnia scientem Deum appello, qui me ex toto corde et ore quae loquor intuetur proferre. Hoc tandem in fine verborum, pie domine, pronus et supplex summopere deposco, ut per hunc eumdem quem vobis dirigo legatum, in litteris sigillo vestro signatis mihi remandare paterna pietate curetis, qualiter haec verba mea sentitis vel recipitis, et quid inde acturus estis, et quando et ubi; quatenus, dum certum dederitis responsum fluctuationi meae, ad clementissimum consolatorem me gaudeam exclamasse. Valete, Pater gloriose, rector excellentissime, summum in terra caput Ecclesiae. Valete et super ovilia Dominica vigilate. Quod utinam sic agatis, ut ad ultimum judicium securus veniatis. Amen. » Hanc epistolam Willelmus presbyter Sancti Andreae de Escalfoio detulit, Romaeque Alexandro papae praesentavit. Qua coram Romano senatu perlecta, et prudenti examinatione diligenter discussa, venerandus papa, rogante Rodberto abbate, qui praesens erat, Osbernum absolvit, et praefatae legationis bajulum cum benedictione apostolica gaudentem ad suos remisit. Rodbertus enim jam de reditu in Normanniam propter ferocitatem Willelmi ducis diffisus, et in Calabriae partibus, ut supra diximus, a Guiscardo aliisque Normannis alienas divitias usurpantibus honorabiliter retentus, mitigato furore quem contra Osbernum prius habuerat, nunc apud papam pro eo benignus intercessor existit, quem antea subtiliter accusando crudeliter impugnaverat. Completa vero legatione, Willelmus presbyter ad eos, a quibus directus fuerat, prospere remeavit, et relatis quae Romae viderat vel audierat, Uticenses laetificavit. Securior itaque Osbernus curam ecclesiae, quam susceperat, intus et exterius laudabiliter exercebat. Neophytos ad conversionem non nisi quatuor susceperat, propter procellas persecutionum quas perpessus fuerat; sed illos, quos a praedecessoribus suis susceptos invenerat, diligenter et utiliter in sanctis artibus educabat. Hic constituit generale anniversarium fieri singulis annis VI Kal. Julii pro patribus et matribus, pro fratribus et sororibus omnium monachorum Uticensis coenobii. In rotulo quidem longissimo omnium fratrum, dum vocante Deo ad ordinem veniunt, nomina scribuntur; deinde patrum et matrum eorum, fratrumque ac sororum vocabula subscribuntur. Qui rotulus penes aram toto anno servatur, et sedula commemoratio inscriptorum in conspectu Domini agitur, dum ei a sacerdote in celebratione missae dicitur: Animas famulorum famularumque tuarum, quorum nomina ante sanctum altare tuum scripta adesse videntur, electorum tuorum jungere digneris consortio. Anniversarium vero de quo loquimur, VI Kal. Julii sic agitur. Omnia signa sero et mane ad officium defunctorum diu pulsantur; volumen mortuorum super altare dissolutum palam expanditur, et deprecatio prius pro defunctis, postea pro vivis parentibus et benefactoribus, cunctisque fidelibus Deo fideliter offertur. Missa vero matutinalis ab abbate celebriter canitur, cum quo sacratis indumentis omnes ministri revestiuntur. Ab eleemosynario autem tot pauperes quot monachi sunt, ipsa die in coenobio colliguntur, et in xenodochio pane et potu vinoque generali sufficienter a cellario pascuntur, et post capitulum ab omni conventu mandatum pauperum sicut in coena Domini peragitur. Hoc sicut Osbernus abbas constituit, Uticensis ecclesia usque in hodiernum diem vigilanter custodit, et Nogionensibus atque Balcherensibus, aliisque sequacibus suis ardenter tradidit. Saepe nominatus vir Dei pauperes, ut supra diximus, et aegrotos valde amabat, et eorum indigendo et necessaria largiendo subveniebat. Unde constituit ut septem leprosi pro amore Dei perenniter ab Uticensibus alerentur, eisque de cellario fratrum panis et potus septem monachorum quotidie largiretur. Quod ipse et Mainerius successor ejus libenter tenuerunt, quandiu in regimine vitales auras hauserunt. Sed haec a Serlone successore eorum, prout voluntas hominum variatur, constitutio postea mutata est, iterumque a Rogerio, qui successit eis, ternarius infirmorum numerus in nomine Domini reformatus est. |
Quand les tempêtes qui avaient apporté de si grands malheurs à l'église d'Ouche furent un peu calmées, Osbern qui était à la tête de la maison, qui avait éprouvé toutes les agitations de l'inquiétude, et qui au fond avait de grands remords de conscience, à cause de l'anathême apostolique qui l'avait frappé, rappela de Cluni, sur l'avis et du consentement des frères, le seigneur de Mainier, que l'abbé Robert avait établi prieur, et le mit à la place de Foucher qu'il déposa. Ce même Osbern, fils d'Erfast, était originaire du pays de Talon, très-instruit dans les lettres depuis son enfance, éloquent dans ses discours, et propre par la force de son esprit à toutes sortes d'arts, tels que la sculpture, l'écriture, les travaux manuels, et beaucoup de choses de ce genre. C'était un homme d'un stature médiocre, d'un âge avancé, ayant la tête bien garnie de cheveux noirs et blancs; il était sévère pour les sots et les insolens, miséricordieux envers les faibles et les pauvres, et convenablement libéral envers les particuliers et les étrangers. Plein d'ardeur pour la profession monastique, il s'appliquait de tous ses moyens à procurer à ses frères tout ce dont ils pouvaient avoir besoin, spirituellement et corporellement. Il savait contenir à merveille les jeunes gens et les forçait très bien à lire, à psalmodier ainsi qu'à écrire, en employant comme il fallait les réprimandes et les corrections. Il fabriquait lui-même des écritoires pour les enfans et les ignorans, préparait des tablettes cirées, et ne négligeait pas de faire remettre tous les jours par chaque individu la tâche de travail qu'il lui avait imposée. C'est ainsi qu'en chassant l'oisiveté, il avait l'art d'appliquer utilement l'esprit de la jeunesse, et lui préparait pour l'avenir les moyens d'acquérir les richesses de la science. Chanoine de Lisieux, sous le prélat Herbert, Osbern, voulant ensuite se lier par des nœuds plus étroits, quitta l'habit séculier et se retira, pour perfectionner ses mœurs selon le bon plaisir de la volonté de Dieu, au nouveau couvent que Goscelin d'Arques avait fondé sur le mont de la Sainte-Trinité de Rouen, et dans lequel se distinguait alors d'une manière incomparable le vénérable abbé Isembert, homme d'un grand mérite. L'abbé Rainier, successeur d'isembert, l'envoya à Cormeilles, après qu'il eut fait ses preuves dans l'ordre, pour établir le régime monacal en ce lieu, où l'illustre héros de ce temps, Guillaume, fils d'Osbern, et sénéchal de Normandie, avait commencé de fonder une abbaye en l'honneur de sainte Marie, mère de Dieu. L'abbé Robert ayant été chassé de son abbaye, comme nous l'avons suffisamment expliqué, Osbern, qui manquait des connaissances nécessaires, fut appelé malgré lui au gouvernement de l'église d'Ouche, dont il s'acquitta avec soin et succès, autant que pouvait le permettre la cruauté de cette époque d'injustice, pendant l'espace de cinq ans et trois mois. Il avait amené avec lui, d'après la permission de son abbé, un moine de son église, qui était très-sage et religieux, nommé Witmond63. dont il ne négligea ni les avis ni l'assistance, tant qu'il fut à Ouche. Ce moine était très-habile dans l'art de la grammaire et de la musique, ce que nous attestent encore aujourd'hui les antiennes et les répons qu'il avait faits. Il donna plusieurs chants, pleins de douceur, dans l'antiphonaire et le Recueil de versets64; il termina l'histoire du saint père Evroul, en y ajoutant neuf antiennes et trois répons; on lui doit quatre antiennes sur les psaumes pour les vêpres, et dans le second nocturne les trois dernières; il est encore l'auteur du huitième et du douzième répons, sur ces dernières antiennes, d'une autre antienne pour les cantiques et les secondes vêpres, et d'une très-belle pour le cantique de l'Evangile. Le chantre Arnulfe, disciple de Fulbert, évêque de Chartres, avait composé cette histoire d'Evroul65 pour l'usage des clercs, d'après les exhortations de l'abbé Robert; il l'avait d'abord enseignée à deux jeunes moines, Hubert et Radulphe, envoyés à Chartres par cet abbé. Cependant Rainauld-le-Chauve mit au jour un répons à la gloire du Seigneur, lequel se chante à vêpres, et sept antiennes qu'on trouve encore écrites dans le recueil des antiennes d'Ouche. Roger du Sap et quelques autres frères très-studieux firent aussi plusieurs hymnes dictées par une pieuse dévotion, en l'honneur de saint Evroul, et les déposèrent dans la bibliothèque d'Ouche, pour l'instruction de la postérité. L'abbé Osbern tourmenté d'un excessif chagrin, à cause de l'anathême apostolique auquel il était forcé de se soumettre, prit l'avis des hommes sages, et résolut d'expédier un envoyé à Rome, pour y demander humblement la bénédiction du siége apostolique. Il fit écrire des lettres de supplication par Witmond, moine plein de sagesse, et les fit copier avec un grand soin par le jeune Bernard, surnommé Matthieu, dont l'écriture était fort belle. Voici le texte de cette lettre. «Au Seigneur apostolique Alexandre, vicaire du bienheureux Pierre, père très-excellent de tout l'univers: «Son inférieur à une grande distance, certain abbé, nommé Osbern, du couvent de Saint-Evroul, dans son pays de Normandie, salut véritable, soumission très-humble, et selon son pouvoir prières dévotes. «Seigneur père, puisque, avant et sur tous les prélats de l'Eglise, il vous appartient d'étendre votre sollicitude sur l'univers de toute la chrétienté, de rechercher avec un zèle ardent ce qui est profitable aux ames, et de rappeler par votre autorité ceux qui s'écartent de votre concorde, je dois donc, moi, abbé inconnu, demeurant toutefois dans le giron de votre surveillance, recourir à vous comme à un consolateur plein de clémence, m'adresser à vous à haute voix et de toutes les forces de mon ame, diriger vers vous mes prières, implorer vos consolations, afin que par votre grâce, et selon la rectitude de votre autorité, vous daigniez me tirer de certaine agitation de laquelle j'ai beaucoup à souffrir. L'abbaye de Saint-Evroul, que je tiens maintenant, fut occupée avant moi par l'abbé Robert, cousin de Guillaume, chevalier Normand, votre féal; ayant éprouvé quelques contrariétés, il la quitta et partit. Cependant le prince de la province, et les prélats de l'Eglise me constituèrent abbé en sa place. Comme ils me rassurèrent, et me rassurent encore dans mes craintes à cet égard, comme ils m'ordonnèrent régulièrement et selon Bien, j'ai lieu de croire qu'ils ne m'ont pas trompé. Je sais seulement, d'après ma conscience, que ce n'est ni par prières, ni par argent, ni par l'effet de l'amitié ou de la condescendance, ni par aucun esprit de ruse, mais seulement pour l'exécution du précepte d'obéissance, autant que je le peux, que j'ai pris le titre et la charge d'abbé, et qu'en les recevant j'ai été exempt de toute supercherie. L'abbé Robert, dont nous venons de parler, s'étant éloigné de nous à une grande distance, est devenu le père d'un certain monastère, dans la province de Calabre. C'est là que, mû contre moi de colère et de haine, il m'accuse et me menace, disant que j'ai envahi au mépris de Dieu la place qu'il occupait. Cette dissension est cause que les ames des sujets sont partout en péril, et que, flottant entre les partis, je reste dans l'hésitation. En effet, comme mes prélats m'assurent que je suis régulièrement en place, et m'ordonnent de persister, je n'ose me montrer désobéissant; je crains beaucoup le courroux et la haine du frère qui m'accuse, étant surtout l'un et l'autre prêtres et moines. En effet, pendant que la voix apostolique, tonnant horriblement, dit à chacun: tout homme qui hait son frère est un homicide, qui est-ce qui osera dire combien est grand l'homicide que consomme un moine-prêtre qui hait son frère, et si dans cet état il ose sacrifier à l'autel, qui petit ignorer que son ame est damnée? «C'est pourquoi, seigneur apostolique, très-révérend père de toute la chrétienté, prosterné jusqu'à terre aux pieds de votre miséricorde, dans mes gémissemens mêlés de larmes, je vous prie du fond du cœur, vous qui, mis en la place du bienheureux Pierre, devez avec une grande vigilance nourrir les brebis du Seigneur, et les garder des embûches des loups, je vous supplie de mettre promptement, par l'effet de l'amour de Dieu, et par un jugement de votre équité, un terme à la calamité de la discorde cruelle, qui existe entre moi et Robert, ce frère dont je vous parle. Faites disparaître aussi entièrement toute cette fluctuation qui agite mon cœur. Ainsi, par le commandement de votre autorité, faites réunir en présence de juges capables et légitimes, pour y discuter équitablement l'affaire, et moi-même et les auteurs de mon ordination, et Robert qui m'accuse. Si l'on trouve que c'est à bon droit que j'occupe l'abbaye, j'y resterai jusqu'à la fin; si c'est à tort, je la quitterai. Que si vous employez votre grâce à cet effet, et qu'ainsi vous remplissez votre devoir d'une manière digne d'éloges, vous nous procurerez à tous deux, vous assurerez à deux frères les douceurs de la paix. Effectivement qu'il m'arrive, soit de rester, soit de partir, la colère de mon frère se reposera, calmée certainement par le résultat du jugement; et moi, libre d'incertitude, je pourrai désormais me livrer avec sécurité au service de Dieu. «O gouverneur des gouverneurs de l'Eglise, père des pères, vous qui avez été constitué le refuge de tous ceux qui éprouvent des tribulations! par le bienheureux pouvoir de lier et de délier que vous exercez sur tous les habitans de la terre, prêtez l'oreille à ces paroles de mon cœur, et en tant que l'expression en est droite, accordez-moi ce qu'elles demandent. Afin que vous soyez convaincu que je parle avec simplicité, j'appelle comme témoin de ma conscience ce Dieu qui sait toutes choses, et qui voit que je parle de cœur, comme de bouche. Enfin, pour terminer,je demande instamment, prosterné et suppliant, que vous veuillez, pieux seigneur, dans votre bonté paternelle, m'adresser par le même envoyé que j'ai dirigé vers vous, et dans des lettres munies de votre sceau, une réponse qui m'indique en quel sens et comment vous avez pris mes paroles, ce qu'en conséquence vous allez faire, en quel temps et en quel lieu: si par votre réponse vous faites cesser mon incertitude, je n'aurai qu'à me réjouir d'avoir élevé la voix vers un consolateur plein de clémence. «Adieu, père glorieux, directeur très-excellent, chef suprême de l'Eglise sur la terre! Adieu! veillez sur tous les bercails du Seigneur! Plaise à Dieu que vous agissiez ainsi afin d'arriver avec sécurité au jugement dernier. Ainsi soit-il!» Guillaume, prêtre de Saint-André d'Echaufour, porta cette lettre, et la présenta dans Rome au pape Alexandre. Ce vénérable pontife la lut en présence du sénat romain66, l'examina prudemment après une discussion approfondie, et, à la prière de l'abbé Robert qui était présent, donna l'absolution à Osbern, et renvoya le porteur des dépêches dont nous venons de parler fort satisfait, et lui donna sa bénédiction apostolique. Quant à Robert, il craignait que la violence du duc Guillaume ne s'opposât à son retour en Normandie; il se trouvait retenu, comme nous l'avons dit, dans la Calabre par Guiscard et les autres Normands, qui avaient usurpé de riches domaines. Aussi le courroux qui l'avait animé contre Osbern s'adoucit, et il devint lui-même auprès du pape un bienveillant intercesseur en faveur de celui que précédemment il avait cruellement poursuivi par d'adroites accusations. Après avoir terminé sa mission, le prêtre Guillaume retourna heureusement vers ceux qui l'avaient envoyé, et, par le rapport qu'il fit des choses qu'il avait vues ou entendues à Rome, combla de joie les religieux d'Ouche. Rassuré en conséquence, Osbern mérita beaucoup d'éloges pour la manière dont il s'occupa, à l'intérieur comme à l'extérieur, des soins de l'église qui lui avait été confiée. Il n'admit à la conversion que quatre néophytes, à cause des tempêtes auxquelles les persécutions l'avaient mis en butte; mais il instruisit diligemment et utilement dans les sciences sacrées ceux qui avaient été admis par ses prédécesseurs, et qu'il avait trouvés dans le couvent. Il institua un anniversaire au 6 des calendes de juillet (26 juin), en faveur des pères et des mères, ainsi que des frères et des sœurs de tous les moines du monastère d'Ouche. C'est pourquoi il y a un très-long registre, où l'on inscrit le nom de tous les frères, quand, appelés par Dieu, ils viennent se réunir à l'ordre. Ensuite on écrit au dessous les noms de leurs pères et de leurs mères, de leurs frères et de leurs sœurs. Ce registre est conservé près de l'autel toute l'année, et l'on fait en présence du Seigneur une soigneuse commémoration des personnes inscrites, pendant que le prêtre dit dans la célébration de la messe: Animas famulorum famularumque tuarum etc., «daignez unir à la société de vos élus les ames de vos serviteurs et de vos servantes, dont on voit les noms inscrits devant votre saint autel.» L'anniversaire dont nous parlons se célèbre le 6 des calendes de juillet (26 juin). On sonne long-temps soir et matin toutes les cloches pour l'office des morts; on ouvre sur l'autel, après l'avoir délié, le livre des morts, et l'on offre fidèlement à Dieu des prières, d'abord pour les défunts, ensuite pour les parens et bienfaiteurs vivans, et enfin pour tous les fidèles. La messe du matin est chantée avec solennité par l'abbé, assisté de tous les ministres, revêtus de leurs habillemens sacrés. L'aumônier réunit ce jour-là au couvent autant de pauvres qu'il y a de moines; le célerier leur donne dans l'infirmerie le pain, le vin et la boisson qui leur sont nécessaires; et, après le chapitre, tout le couvent s'occupe des pauvres, comme dans la Cène du Seigneur. Cette institution de l'abbé Osbern est encore aujourd'hui pratiquée avec soin dans l'église d'Ouche, qui l'a transmise avec zèle aux religieux de Noyon, de B......... 67, et autres qui suivent nos règles. L'homme de Dieu que nous avons souvent nommé, aimait beaucoup, comme nous l'avons dit ci-dessus, les pauvres et les malades; il leur fournissait libéralement tout ce qui était nécessaire à leurs besoins. C'est ce qui le porta à statuer que les moines d'Ouche nourriraient à perpétuité et pour l'amour de Dieu, sept lépreux, et leur donneraient tous les jours par les mains du cellérier, sept portions égales à celles des frères du couvent, tant en pain qu'en boisson. Cette fondation fut volontiers observée par Osbern et par son successeur Mainier, tant qu'ils vécurent et gouvernèrent la maison: mais comme la volonté des hommes est sujette à varier, leur successeur Serlon changea cette institution; et depuis, Roger qui leur succéda, réduisit à trois, au nom du Seigneur, le nombre des infirmes.
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XV. Guillelmus Normannorum dux. Robertus de Vitot, seu de Waceio. Geroianorum progeniei exstinctio. Anno ab Incarnatione Domini 1064, post mortem Herberti juvenis, Cenomannensium comitis, Willelmus dux cum valida manu armatorum Sartam fluvium transiit, multosque Cenomannorum sese illius manui subdentes clementer suscepit, et quandiu postea vixit, annis scilicet XXIV, subjectos jure possedit. Praefatus nimirum juvenis post obitum Herberti senioris patris (qui vulgo Evigilans-Canem cognominabatur, propter gravissimas infestationes quas a perfidis affinibus suis Andegavensibus incessanter patiebatur) consilio Berthae matris suae, se suumque patrimonium fortissimo duci Normannorum commendaverat, et Margaritam sororem suam Rodberto, ejusdem ducis filio, in conjugium dederat, cum qua haereditatem suam, comitatum scilicet Cenomannensem, si sine liberis obiret, concesserat. Sed quia Walterius Pontesiensium comes, filius Drogonis comitis, qui cum Rodberto seniore Normannorum duce in Jerusalem ierat, et in illo itinere peregrinus obierat, Biotam Hugonis Cenomannensium comitis filiam, quae amita praedicti juvenis erat, in conjugium habebat, totum comitatum Cenomannensem calumniabatur, et ex parte possidebat. Nam ipsam urbem, quae caput est provinciae, Goisfredus de Meduana et Hubertus de Sancta Susanna, aliique potentes in fidelitate Walterii acriter tenebant; quia Normannicum jugum his, quibus imminet gravissimum est, subire nimis formidabunt. Itaque dum magnanimus dux frequenti expeditione rebelles impeteret, et ipse ut bellica sors expetit damna pateretur, et damna hostibus inferret, praedictus comes Walterius et Biota conjux ejus per inimicorum machinamenta simul, ut ferunt, lethali veneno fraudulenter infecti obierunt. Quibus defunctis, securior dux cum magno robore rebelles expetiit, Cenomannicam urbem civibus ultro sese dedentibus cum ingenti tripudio recepit, eique domnus Ernaldus ejusdem urbis praesul, cum clericis et monachis revestitis, textus crucesque ferentibus, honorabiliter obviam processit. Porro Goisfredus de Meduana tantae felicitati ducis invidit, eique quantum potuit adversarios excitando, aliisque modis mala machinando nocere studuit. Unde dux, postquam proterviam ejus, ut per se sine multorum detrimento corrigeretur, aliquandiu toleravit, contra perseverantem in nequitia ingentem exercitum movit, Ambreras oppidum ejus cepit, et Meduanam post diutinam obsidionem combussit. His itaque duobus castellis sibi subactis, Goisfredi contumaciam fregit, sibique ipsum, qui fortissimus Cenomannorum alios tumentes secum resistere suadebat, servire coegit. Quo superato, pene omnes illius complices et ad rebellandum fautores, terrore curvati sunt, et Willelmum principem, quem divina manus protegebat, timere, eique obsecundare coacti sunt. Ipse speciosam virginem Margaritam Stigando potenti viro de Mansione Odonis ad nutriendum commendavit; sed ipsa, priusquam nubiles annos attingeret, saeculi ludibriis erepta feliciter obiit, et Fiscanni, ubi monachile coenobium Sanctae et individuae Trinitatis gloriose pollet, humata quiescit. Eodem tempore Rodbertus de Waceio, filius Rodulphi filii Rodberti archiepiscopi, sine liberis mortuus est, et Willelmus dux cognatus ejus totam haereditatem ejus in domino suo nactus est. Tunc ipse terram Rodberti de Witot, qui propter occisionem Gisleberti comitis exsulabat, Goisfredo Mancello fratri vicecomitis Huberti dedit; a quo domnus Osbernus abbas S. Ebrulfi villam, quae Ductus Ertu dicitur, et Trunchetum et Maisnil Roscelini emit. Hoc Willelmus dux concessit, et in charta confirmavit coram optimatibus Normanniae, Willelmo Osberni filio, Richardo de Abrincis Turstini filio, Rogerio de Monte-Gomerici, et multis aliis in charta notatis. Rodbertus vero de Witot post longum tempus duci reconciliatus est, et, honore suo recuperato, praefatam terram S. Ebrulfo calumniatus est. Sed non multo post bello Anglico, ubi et ipse in genu vulneratus est, peracto, lethiferam aegritudinem incurrit. Qui dum mortem sibi appropiare sensit, totam terram, quam ab ipso calumniatam esse jam diximus, bono animo fidelibus Dei pro redemptione animae suae concessit. Hoc autem apud Doveram coram Odone Bajocensi episcopo et Hugone de Grentemaisnilio, Hugone quoque de Monteforti et Hugone filio Fulcoldi, aliisque multis magnis et mediocribus S. Ebrulfo concessum est. Deinde quia idem miles fere XI nepotes militiae titulis feroces habuit, ipsis inter se saevientibus, vix unquam usque in praesentem diem haereditas ejus in pace permanere potuit. Nam Matthiellus et Richardus frater ejus ac Nigellus atque Rualodus Brito Nigelli gener diversis temporibus successerunt, multasque malitias infortuniis comitantibus exercuerunt. Unusquisque eorum praefatam possessionem S. Ebrulfo calumniatus est; sed judicio Dei, qui Ecclesiam suam potenter ubique protegit, imminente, ab injusta calumnia cessare coactus est. Matthiellus enim, sub magno duce Willelmo, et Richardus, aliique calumniatores sub duce Rodberto, ejusque fratribus Willelmo Rufo et Henrico, Ecclesiam Dei rebus habitis spoliare cum multis minis conati sunt; sed, Rege regum suos adjuvante, quod nequiter optabant perpetrare nequiverunt. Ernaldus de Escalfoio, Willelmi Geroiani filius, postquam de Apulia prospere remeavit, Willelmum ducem adiit, eique pretiosissimam pallam praesentavit, suamque ab ipso humiliter haereditatem requisivit. Dux autem considerans nobilitatem viri et ingentem probitatem, recolensque suam contra Cenomannos et Britones, aliosque sibi resistentes proborum militum paucitatem, jam lenior effectus ei reatus indulsit, datisque induciis, patrimonium suum se illi redditurum spopondit, et usque ad statutum terminum per terram suam eundi et redeundi liberam securitatem concessit. Ernaldus itaque vana ducis promissione percepta laetatus est, sed frustra, ut paulo post dilucidatum est. Nam Mabilia Talavacii filia lethali veneno cibum et potum infecit, eumque dum de curia ducis in Galliam remearet, refici jussit; sed illi per quemdam amicum suum doli conscium tantum nefas innotuit. Unde dum apud Escalfoium ad quosdam amicos suos colloqueretur, et a clientibus praefatae mulieris ad convivium cum summa prece invitaretur, memor amici jussionis nullatenus acquievit, sed omnino cibum et potum, in quo lethum inesse metuebat, repudiavit. Verum Gislebertus, frater Rogerii de Monte-Gomerici, qui praedictum Ernaldum conducebat, utpote qui penitus doli nescius erat, scyphum accepit, super equum residens merum bibit, et veneno infectus apud Raimalastum (49) tertia die obiit. Sic perfida mulier dum mariti sui aemulum exstinguere putavit, mariti sui unicum fratrem, qui multa honestate in annis adolescentiae et equestri probitate pollebat, occidit. Non multo post, dum primo conatu se delusam esse ingemuit, ad concupitum facinus perpetrandum alio nisu non minus ferali denuo insurrexit. Nam Rogerium militem cognomento Gulafram, qui Ernaldi cubicularius erat, precibus et promissis circumvenit, citoque fraudulentum satellitem nefariis votis inclinavit. Deinde pestiferas potiones haec praeparavit; ille autem Ernaldo domino suo et Geroio de Corbaevilla atque Willelmo cognomento Goiet de Monte-Miralio propinavit. Sic una tabe tres proceres apud Corbaevillam simul infecti sunt. Sed Geroius atque Willelmus, qui ad proprias domus delati sunt, ibique sui curam ad libitum suum exercere potuerunt, Deo effectum remediis medicorum praestante, convaluerunt. Porro Ernaldus, qui exsulabat, nec sui curam in extraneis penatibus sufficienter exercere poterat, aliquantis diebus aegrotavit, tandemque ingravescente morbo Kal. Januarii exspiravit. Hic pridie quam obiisset, dum solus in camera lecto decumberet, quemdam seniorem pulcherrimum, quem S. Nicolaum praesulem ratus est, manifeste, non in somniis vidit; a quo hujuscemodi mandata audivit: « De sanitate corporis tui, frater, sollicitus esse noli, quia cras sine dubio morieris; sed toto nisu procura qualiter anima tua salvetur in examine justi et aeterni judicis. » His dictis, senex repente disparuit, et aeger mox Uticum misit, et ab ejusdem loci fratribus visitari rogavit. Illi autem Fulconem de Warlenvilla cito miserunt Corbaevillam. Ibi namque praefatus miles cum Geroio ejusdem oppidi domino, cujus propinquus et amicus erat, exsulationis suae tempore per triennium moratus fuerat, et inde per Corbonienses et Drocenses atque Morinos, aliosque quos in auxilium sui advocare potuerat, injuriam expulsionis suae forti guerra vindicaverat. Illuc Fulcone confestim adveniente, aeger valde gavisus est, et manifestata revelatione quam pridie viderat, saeculoque relicto cum benigna devotione animi monachus effectus est. Deinde peccata sua lugens et in Deo gaudens, eodem die mortuus est, et corpus ejus Uticum delatum est, ibique in claustro monachorum a domno abbate Osberno et a conventu S. Ebrulfi honorifice sepultum est. Defuncto itaque Ernaldo, tota Geroianorum nobilitas pene corruit, nec ullus posterorum stemma priorum ex integro usque hodie adipisci potuit. Hic Emmam, Turstini cognomento Halduc filiam, uxorem duxerat, ex qua Willelmum et Rainaldum ac Petronillam atque Gevam, aliosque filios et filias habuerat. Qui patre, dum adhuc viridi juventa maxime floreret, in teneris annis destituti, et in externis domibus ut supra satis ostendimus constituti, coacti sunt inopias, pluresque injurias ab infantia perpeti. Mater ad Eudonem fratrem suum Normannici ducis dapiferum, qui in pago Constantino divitiis et potestate inter Normanniae proceres eminebat, secessit, et tam apud illum quam apud alios amicos suos in viduitate pene XXX annis honeste vixit. Castitate et mansuetudine. aliisque bonis honestatibus laudabilis exstitit, ac ad ultimum prope finem suum saeculare schema reliquit, et a domno Rogerio abbate Sanctae Trinitatis Exaquii sacrum velamen cum devotione accepit. Willelmus de Excalfoio, primogenitus Ernaldi filius, ut annos adolescentiae attigit, curiam Philippi regis Francorum adiit, regisque armiger factus, ei servivit donec ab eo arma militaria accepit. Deinde Apuliam, ubi parentes magnae sublimitatis habebat, appetiit; a quibus amicabiliter retentus, per plurimas probitates multipliciter excrevit. Ibi nobilem de genere Langobardorum conjugem accepit, et possessionem triginta castellorum sub Rotberto comite Lorotelli, nepote scilicet Wiscardi, obtinuit. Ex fecunda muliere multiplicem utriusque sexus sobolem recepit, et Normannorum oblitus, inter Winilos fere XL annis honorabiliter vixit. Rainaldus autem, minimus filiorum Ernaldi, tribus mensibus ante patris obitum Osberno abbati traditus est, et in Uticensi ecclesia sub regulari disciplina diligenter educatus est, et a praefato abbate Benedictus dulcedinis gratia cognominatus est. Pater ejus, dum ipsum Deo ad monachatum obtulit, terram unius carrucae apud S. Germanum in parochia Escalfoii S. Ebrulfo concessit; quam pro infortuniis quae ipsum haeredesque ejus perpessos esse retulimus, ecclesia jamdudum perdidit. Praefatus puer quinquennis erat cum monachile jugum subiit, et LII annis sub quatuor abbatibus per adversa et prospera fortiter portavit. Eruditionem legendi et canendi et ipse affatim didicit, et aliis, postquam ad virile robur pervenit, sine fraudis litura gratis intimavit. Memoria vero narrandi quae viderat vel audierat magnifice viguit, delectabilique relatu rerum, quas in divinis voluminibus seu peritorum assertionibus rimatus est, socios multoties lenivit. Mitibus et modestis, indoctisque neophytis affabilitate et obsequiis semper placere studuit; sed superbis et simulatoribus, novitatumque commentoribus audaci contradictione viriliter resistere decrevit. Bis in Apuliam permissu Rogerii abbatis propter utilitatem Uticensis ecclesiae perrexit, ibique Willelmum fratrem suum, aliosque multos ex parentela sua, qui in extera regione divitiis abundabant, invenit. Cum Willelmo abbate S. Euphemiae filio Unfridi de Telliolo fere tribus annis in Calabria mansit, et inde remeans praedicti abbatis, cujus ipse consobrinus erat, dono cappam ex alba purpura S. Ebrulfo detulit. Hic ab infantia monasticas observationes laudabiliter tenuit, divinoque cultui nocte dieque ferventer inhaesit. Psalmodiam tam infatigabiliter vidimus eum plerumque tenere, ut vix unus versiculus ab aliis in choro suo psalleretur ipso tacente. Sed sicut scriptum est: Multae tribulationes justorum (Psal. VII, 20) , hic multas adversitates perpessus est importunitate tumultuum interiorum et exteriorum. Nam quia rigidus et asper erat temerariis, atque adulari dedignabatur hypocritis, saepe conturbatus est eorum infestationibus multimodis. Et quia oculus Dei omnia intuetur, subtilique judicio redarguit ea etiam quae hominibus laudanda videntur, praedictum fratrem ab infantia infirmitate corporis corripuit, et huc usque, ut justus justificetur adhuc, membrorum debilitatem augmentare non desistit. Is enim in pueritia, quia immoderatus erat, et ad omne opus, ut reliquis fratribus fortior videretur, toto nisu insurgebat, ruptura intestinorum, dum terram gestaret, laesus est, ipsoque sibi non parcente, laesura eadem insanabilis effecta est. Denique jam per septem annos tam gravi oppressus est passione ut nec manum ad os nunc possit erigere, nec propria vi quodlibet officium sibi exhibere. Summe Deus, qui sanas contritos corde, clementer illius miserere, ipsumque ab omni expurgans scelere, ereptum de carnis molesto carcere, in aeterna requie famulorum tuorum collegio insere! Duae Ernaldi filiae post mortem patris et desolationem suorum optaverunt magis Deo placere modesta compositione morum quam saeculo subjacere corruptibili pulchritudine corporum. Unde virginitatem ambae Deo dicaverunt, mundoque spreto, sanctimoniales effectae sunt. Nam Petronilla in coenobio S. Mariae Andegavis velum suscepit, diuque secundum morem aliarum virginum diligenter sacrum ordinem servavit, ac deinde per X annos jam inclusa, fama sanctitatis et virtutis exemplo longe lateque multis innotescit. Porro Geva soror ejus in coenobio S. Trinitatis, quod Mathildis regina apud Cadomum construxit, sub Beatrice abbatissa sacram seriem diu gerendo et docendo, sibi et aliis laudabiliter profecit. Haec de fundatoribus Ecclesiae nostrae, et eorum dicta sunt progenie. |
L'an de l'Incarnation du Sauveur 1064, après la mort de Herbert-le-Jeune, comte du Mans, le duc Guillaume passa la rivière de Sarthe avec une forte armée, et reçut avec clémence un grand nombre de Manceaux qui se soumirent à son pouvoir. Tant qu'il vécut, c'est-à-dire, pendant vingt-quatre ans, ils lui restèrent légitimement soumis. Le jeune comte, en effet, après la mort de Herbert-le-Vieux, son père (que l'on appelle communément Herbert Eveille-Chien, à cause des vexations très-graves qu'il eut sans cesse à souffrir des Angevins, ses voisins perfides); le jeune Herbert, par le conseil de sa mère Berthe, s'était, lui et ses Etats, mis sous la protection du vaillant duc des Normands. Il avait donné en mariage à Robert, fils de ce prince, sa sœur Marguerite, à laquelle il avait transmis son héritage, c'est-à-dire, le comté du Maine, dans le cas où il mourrait sans enfans. Gaultier comte de Pontoise, fils du comte Drogon, qui avait fait avec Robert-le-Vieux, duc de Normandie, le voyage de Jérusalem pendant lequel il mourut comme pélerin, avait épousé Biote, fille de Hugues, comte du Mans, laquelle était la tante du côté paternel de Herbert-le-Jeune: il prétendait à tout le comté du Mans, et en occupait même une partie. Geoffroi de Mayenne, Hubert de Sainte-Suzanne, quelques autres seigneurs attachés à Gaultier, occupaient avec opiniâtreté la ville même, qui est la capitale de la province; car ils craignaient vivement de subir le joug normand, qui est toujours très-lourd pour ceux auxquels il est imposé. En conséquence, pendant que le magnanime duc attaquait les rebelles avec activité, et, comme le veut le sort de la guerre, causait de grands dommages à l'ennemi et en éprouvait à son tour, le comte Gaultier et sa femme Biote vinrent à mourir en même temps par les machinations de l'inimitié, après avoir reçu, à ce qu'on dit, un poison mortel, qu'on eut l'art de leur faire prendre. Dès qu'ils eurent cessé d'exister, le duc, plus assuré du succès, attaqua les révoltés avec de grandes forces, et prit possession avec une grande joie de la ville du Mans, dont les citoyens se soumirent sans résistance. Le seigneur Ernauld, évêque de cette ville, vint honorablement au devant du duc, avec les clercs et les moines marchant en grande pompe, et portant les croix et les bannières. Cependant Geoffroi de Mayenne jaloux du bonheur du duc, chercha tant qu'il put à lui nuire, soit en lui suscitant des ennemis, soit en ourdissant des trames dangereuses. C'est pourquoi le duc, après avoir supporté quelque temps son insolence, pour lui fournir les moyens de se corriger sans entraîner la ruine de personne, voyant qu'il persévérait dans son opiniâtreté, leva une grande armée, prit la place forte d'Ambrières68, et mit le feu à Mayenne à la suite d'un long siége. Après avoir soumis ces deux forteresses, il abattit l'audace de Geoffroi, et contraignit à lui rendre hommage ce seigneur, qui, le plus brave des Manceaux, persuadait aux autres orgueilleux de résister comme lui. Quand il fut dompté, presque tous ses complices et les fauteurs de sa rébellion furent frappés de terreur et se virent forcés de craindre et de servir le prince Guillaume, que la main de Dieu protégeait. Le duc envoya la belle Marguerite à Stigand, seigneur puissant de Mésidon69 pour être élevée par lui; mais, avant d'avoir atteint l'âge nubile, elle fut heureusement soustraite aux séductions du siècle, et reposa inhumée à Fécamp, où brille glorieusement le monastère de la sainte et indivisible Trinité. En même temps Robert de Gacé, fils de Rodolphe, qui était fils de l'archevêque Robert, mourut sans enfans: le duc Guillaume son cousin réunit son héritage à son domaine. Alors il donna à Geoffroi-le-Mancel, frère du vicomte Hubert, la terre de Robert de Guitot70, qui était exilé à cause du meurtre du comte Gislebert. C'est de ce Geoffroi que le seigneur Osbern, abbé de Saint-Evroul, acheta les terres que l'on appelle le Douet-Artus71, le Tronguet, et Le-Ménil-Rousselin. Le duc Guillaume y consentit et confirma l'acquisition en présence des seigneurs de Normandie, Guillaume fils d'Osbern, Richard d'Avranches, fils de Turstin, Roger de Mont-Gomeri, et plusieurs autres dont il est fait mention dans la charte. Robert de Guitot, long-temps après cet événement, se réconcilia avec le duc, et, ayant recouvré ses fiefs, réclama de Saint-Evroul la terre dont nous avons parlé: mais peu après, la guerre d'Angleterre, où il fut blessé au genou, étant terminée, il fut frappé d'une maladie mortelle. Sentant sa fin approcher, il donna de bon cœur aux fidèles de Dieu et pour la rédemption de son ame, toute la terre qu'il avait revendiquée. comme nous l'avons dit. Ce don fut fait à Douvres72 en présence d'Odon, évêque de Bayeux, de Hugues de Grandménil, de Hugues de Montfort, de Hugues fils de Foulcauld, et de plusieurs autres personnages, de condition tant grande que médiocre. Comme ce chevalier avait près de quarante neveux, tous fiers de leurs titres, ils se firent cruellement la guerre, et l'héritage de Robert de Guitot ne put jamais jusqu'à ce jour rester paisible. En effet, Mathiel et Richard son frère, le Noir et Rualod le Breton, gendre de le Noir, l'attaquèrent en différens temps, et commirent beaucoup de méchantes actions, qui furent accompagnées de grands désastres. Chacun d'eux contesta cette possession à Saint-Evroul; mais par le jugement de Dieu, qui protège puissamment son église, ils furent forcés de mettre un terme à leurs injustes chicanes. Effectivement, Mathiel, sous le grand duc Guillaume, Richard et quelques autres prétendans, sous le duc Robert et ses frères Guillaume-le-Roux et Henri, s'efforcèrent avec beaucoup de menaces de dépouiller l'église de Dieu des biens qu'elle avait acquis; mais le Roi des rois ayant porté secours aux siens, ils ne purent venir à bout de leurs entreprises perverses. Ernauld d'Echaufour, fils de Guillaume Giroie, étant heureusement revenu de la Pouille, alla trouver le duc Guillaume, lui présenta un manteau magnifique et lui demanda humblement la remise de son héritage. Le duc ayant égard à la noblesse de ce personnage et à sa grande valeur, se rappelant d'ailleurs que ses soldats avaient bravement attaqué les Manceaux, les Bretons et les autres ennemis, adoucit son ressentiment, lui pardonna ses attentats, lui accorda une trêve, lui promit de lui rendre son patrimoine, et, jusqu'au terme prescrit, lui donna toute liberté, toute sécurité, pour aller et venir sur ses terres. Dans cette circonstance, Ernauld se réjouit beaucoup de la promesse du duc; mais c'était en vain, comme il ne tarda pas à s'en éclaircir. En effet Mabille, fille de Talvas, prépara des alimens et un breuvage empoisonnés; elle engagea Ernauld à son retour de la cour du duc, lorsqu'il repassait en France, à prendre chez elle des rafraîchissemens; mais un de ses amis, complice du crime, le lui fit connaître. Comme Ernauld s'entretenait à Echaufour avec quelques-uns de ses amis, il fut invité avec de grandes prières de se mettre à table, par les gens de la susdite dame; comme il se souvenait de l'avis de son ami, il se garda bien de s'y rendre et refusa positivement les alimens et les boissons, dans lesquels il craignait de trouver la mort. Cependant Gislebert, frère de Roger de Mont-Gomeri, qui accompagnait Ernauld, ignorant le piége que l'on avait tendu, prit la coupe, et sans descendre de cheval but le vin: dévoré par le poison, il mourut trois jours après à Rémalard. Ainsi cette femme perfide, pensant détruire le rival de son mari, fit mourir son frère unique, qui, dans l'âge de l'adolescence, se faisait remarquer par une grande honnêteté et par sa valeur de chevalier. Peu après, Mabille gémissant d'avoir été déçue dans sa première tentative, en fit de nouvelles et de non moins criminelles, pour parvenir à consommer l'attentat qui faisait l'objet de ses vœux. A force de prières et de promesses, elle séduisit le chevalier Roger, surnommé Goulafre, qui était le chambellan d'Ernauld, et fit consentir le perfide satellite à ses desirs criminels. Puis elle prépara des breuvages de mort que Roger présenta à son seigneur Ernauld, à Giroie de Courville et à Guillaume, surnommé Goiet73 de Montmirail. Ainsi dans Courville, un seul poison fut présenté à la fois à trois grands personnages; mais Giroie et Guillaume, qui se firent porter chez eux, et qui purent à leur gré faire ce qui était nécessaire, se guérirent avec le secours que Dieu prêta aux remèdes des médecins. Quant à Ernauld qui était exilé, et qui dans la maison d'autrui ne pouvait suffisamment prendre soin de sa santé, il fut malade pendant quelques jours, et, comme le mal s'aggravait de plus en plus, il mourut le jour des calendes de janvier (ier janvier). La veille de sa mort, étant seul au lit dans sa chambre, il vit clairement, et non en songe, un beau vieillard qu'il prit pour l'évêque saint Nicolas, et qui lui donna les avertissemens suivans: «Mon frère, ne t'inquiète pas de la santé de ton corps, parce que, sans nul doute, tu mourras demain; mais fais tous tes efforts pour trouver les moyens de sauver ton ame, lors de l'examen du juge équitable et éternel.» A ces mots, le vieillard disparut soudain, et aussitôt le malade envoya à Ouche, pour demander la visite des frères de cette abbaye. Ils lui envoyèrent sans retard à Courville Foulques de Warlenville. C'est là que le chevalier dont nous parlons avait passé pendant trois ans le temps de son exil chez Giroie, seigneur du lieu, son parent et son ami; c'est de ce fort qu'il allait venger l'outrage de son éloignement, par une guerre opiniâtre et avec l'aide des habitans de Corbon74, de Dreux, de Mortagne et de tous ceux qu'il pouvait appeler à son secours. Foulques étant arrivé en toute hâte, le malade s'en réjouit beaucoup; puis après avoir raconté la révélation qu'il avait eue la veille, et renonçant au siècle, il se fit moine avec une tendre dévotion de cœur; il pleura ses péchés, se réjouit en Dieu et mourut le même jour. Son corps fut transporté à Ouche, et enseveli honorablement dans le cloître des moines, par le seigneur abbé Osbern et par les moines de Saint-Evroul. Après la mort d'Ernauld, toute la noblesse des Giroie tomba pour ainsi dire en ruine, et aucun de leurs descendans n'a pu jusqu'à ce jour recouvrer l'éclat de sa race. Ernauld avait pris pour épouse Emma, fille de Turstin Halduc, de laquelle il avait eu Guillaume et Rainauld, Pétronille et Gève, et d'autres fils et filles. Ils devinrent orphelins dès leurs plus jeunes années, pendant que leur père était encore dans tout l'éclat de sa jeunesse; placés dans des maisons étrangères, comme nous l'avons déjà annoncé, ils furent exposés dès l'âge le plus tendre à souffrir la pauvreté et toutes sortes de calamités. Leur mère se retira chez Eudes son frère, sénéchal du duc de Normandie, et qui par ses richesses et sa puissance tenait le premier rang dans le Cotentin, parmi les seigneurs du pays: elle vécut honnêtement dans le veuvage pendant près de trente ans, soit chez son frère, soit chez quelques autres de ses amis. Par sa chasteté, sa douceur et ses autres bonnes qualités, elle mérita beaucoup de louanges; vers la fin de sa carrière, elle quitta l'habit séculier, et reçut avec beaucoup de dévotion le voile sacré de la main de Roger, abbé de la Sainte-Trinité de Lessai. Guillaume d'Echaufour, fils aîné d'Ernaùld, avait à peine atteint l'âge de l'adolescence, qu'il se rendit à la cour de Philippe, roi des Français, dont il devint écuyer, et qu'il servit si bien qu'il fut par lui armé chevalier. Il partit ensuite pour la Pouille, où il avait des parens d'une grande distinction; bien accueilli par eux, il augmenta sa bonne réputation par plusieurs actions d'éclat: il y prit pour femme une femme noble de Lombardie, et obtint la possession de trente châteaux sous Robert, comte de Loritello75, neveu de Robert Guiscard. D'une seconde femme il eut une nombreuse lignée de l'un et l'autre sexe; puis, oublié des Normands, il vécut près de quarante ans chez les Lombards. Rainauld, le plus jeune des fils d'Ernauld, trois mois avant la mort de son père, fut remis à l'abbé Osbern qui le fit élever avec soin dans l'église d'Ouche, sous la discipline régulière: il fut surnommé Benoît par ce religieux à raison de sa douceur. Son père, en l'offrant à Dieu pour l'état monastique, donna à Saint-Evroul une terre d'une charrue, près de Saint-Germain, dans la paroisse d'Echaufour: notre église l'a perdue dès long-temps, dans les désastres qu'Ernauld et ses héritiers eurent à souffrir, ainsi que nous l'avons rapporté. Rainauld était âgé de cinq ans, lorsqu'il subit le joug monacal, qu'il porta courageusement dans le malheur comme dans la prospérité, pendant cinquante-deux ans et sous quatre abbés. Il apprit parfaitement la science de lire et de chanter, et l'enseigna volontiers, quand il fut parvenu à l'âge viril, à ceux qui s'adressèrent à lui. Il fut remarquable par le don de la mémoire, qui lui faisait raconter exactement tout ce qu'il avait vu ou entendu; il charmait souvent ses compagnons par le récit agréable qu'il savait faire des choses qu'il avait apprises, ou dans les livres divins ou dans les conversations des savans. Sans cesse il s'appliqua à plaire, par son affabilité et ses bons soins, aux novices qui avaient de la douceur, de la modestie et le desir de s'instruire. Mais il avait pris le parti de tenir courageusement, en les contredisant avec hardiesse, contre les orgueilleux, les artificieux et les partisans des nouveautés. Par la permission de l'abbé Roger, et pour l'avantage de l'église d'Ouche, il se rendit deux fois dans la Pouille, et il y trouva son frère Guillaume et beaucoup d'autres de ses parens, qui possédaient de grandes richesses dans cette contrée étrangère. Il passa près de trois ans en Calabre avec Guillaume abbé de Sainte-Euphémie, fils d'Onfroi du Tilleul; à son retour il apporta en don à Saint-Evroul une chape de pourpre76 blanche, dont cet abbé, qui était son cousin, lui avait fait présent. Rainauld fut dès l'enfance fidèle aux observances monastiques, auxquelles il s'attacha parfaitement jour et nuit, dans le service divin. Nous l'avons vu souvent psalmodier d'une manière si infatigable, qu'à peine les autres religieux trouvaient, quand il se taisait, le temps de dire un verset dans le chœur; mais comme il est écrit que les justes sont exposés à de grandes tribulations, aussi éprouva-t-il de nombreuses adversités, dans le malheur des guerres et des troubles, tant intérieurs qu'extérieurs. Comme il était ferme et sévère pour les hommes téméraires, et qu'il dédaignait de flatter les hypocrites, il fut souvent en butte à leurs attaques multipliées. L'œil de Dieu voit tontes choses; et dans ses jugemens équitables le ciel condamne ce qui paraît aux hommes digne de louange: il frappa Rainauld des infirmités corporelles dès son enfance; et pour justifier encore plus le juste, il ne cessa d'augmenter la faiblesse de son corps. Dans sa jeunesse, comme il avait peu de modération, et que pour toutes sortes de travail il paraissait plus fort que les autres frères, il faisait usage de tous ses moyens: pendant qu'il portait de la terre, il fut atteint d'une hernie, et n'ayant pas voulu cesser de travailler, le mal finit par devenir incurable. Pendant sept années, il soutînt de si grandes douleurs qu'il ne pouvait pas même porter la main à la bouche, ni faire la moindre chose sans l'assistance d'autrui. Dieu suprême, qui guérissez ceux qui sont contrits de cœur, ayez dans votre clémence pitié de ce religieux! Purgez-le de toute espèce de crime! Enlevez-le à l'affligeante prison de la chair! Admettez-le à la société de vos serviteurs dans le repos de l'éternité! Deux filles d'Ernauld, après la mort de leur père, aimèrent mieux plaire à Dieu par la bonté de leurs mœurs que se montrer dans le siècle, avec la beauté corruptible du corps. C'est ce qui les détermina toutes deux à consacrer à Dieu leur virginité, et à se faire religieuses, loin du monde qu'elles méprisaient. Pétronille prit le voile dans le couvent de Sainte-Marie d'Angers, et observa avec soin les saintes règles, selon l'usage des autres vierges. Déjà, depuis dix ans, elle habitait le cloître, quand la réputation de sa sainteté et l'exemple de ses vertus la firent connaître au loin. Quant à sa sœur Gève, elle fit son salut, et rendit de grands services dans le couvent de la Sainte-Trinité, que la reine Mathilde avait fondé à Caen: ce fut sous l'abbesse Béatrix qu'elle se distingua longtemps par ses pieuses actions et ses sages instructions. Telles sont les choses que j'avais à dire sur les fondateurs de notre église et leur famille. Maintenant je reprends le fil de mon histoire.
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XVI. Guillelmus Normannorum comes seu marchio. Contentio inter Hugonem de Grentemaisnilio et Radulfum Medantensium comitem. Osberni abbatis mors. Nunc ad narrationem redeamus historiae. Inclytus Normanniae marchio Willelmus, contra Belvacenses, qui fines suos depopulari conabantur, castrum quod Novus-Mercatus dicitur, expulso pro quadam levi offensa Goisfredo naturali haerede, ad tuendum plurimis baronum suorum commendavit; sed vix ullus eorum propter infestantes Milliacos et Gerberritos, aliosque confines uno anno tutari potuit. Tandem magnanimus dux Hugoni de Grentemaisnilio, qui audaci probitate et dapsilitate praecipuus erat, consilio Rogerii de Monte-Gomerici, qui sibi nimis vicinae fortitudini ejus invidebat, eique scandalum qualibet arte vel eventu praestruere cupiebat, praedictum oppidum cum Geroldo dapifero commendavit, et medietatem dedit. At ille tuitionem praefatae munitionis gratanter suscepit, Deoque juvante, intra unum annum duos Belvacensium maximos optimates cepit, conterritisque reliquis hostibus, totam regionem in illo climate pacificavit. Novo-Mercato quatuor canonici ecclesiam S. Petri apostoli possidebant, sed Dei cultum negligenter agebant, vitamque suam multum saeculariter ducebant. Unde magnanimus Hugo medietatem, quae sibi competebat, ecclesiae, monachis S. Ebrulfi concessit tali tenore ut, dum morte vel alio quolibet casu canonici deficerent, monachi succederent. Quod et ita factum est. Nam duobus canonicis, qui in parte Hugonis erant, inde discedentibus, monachi successerunt, et ecclesiae medietatem usque hodie possederunt; ibique Rotbertus Calvus et Radulfus de Rosseria necnon Joannes de Belnaio, aliique probi modo habitaverunt. Quodam tempore inter saepe nominatum Hugonem et Radulfum comitem Medantensium, Philippi regis Francorum vitricum, gravis seditio exorta est, cumque Hugo cum praedicto consule audacter congressus est, quia militum impar ei numerus erat, fugere compulsus est. In hac fuga Richardus de Heldrici-Corte, nobilis miles de pago Vilcassino, vulneratus est. Nam dum vadum Eptae fluminis equo velociter fugiens ingressus est, persequentis militis lancea super equum a tergo acerrime percussus est. Qui mox ad Novum-Mercatum delatus est a commilitonibus suis; morique metuens, consilio Hugonis, in cujus familia servierat in armis, devovit amodo se militaturum sub monachili norma virtutum exercitiis. Uticenses ergo monachos accersiit, et Osberni abbatis magisterio se mancipavit. Postea, donante Deo, qui peccatores diversis occasionibus de barathro perditionis retrahit, Richardus aliquantulum, non tamen ex integro, convaluit, et fere VII annis in ordine fervidus vixit, atque pluribus modis Ecclesiae profecit. Hic etenim patrimonium suum, quod in pago Vilcassino possederat, quia uxorem et liberos non habuerat, post vulneris laesionem Sancto Ebrulfo sponte secum contulit, et a Fulcone patruo suo atque Herberto Pincerna, qui capitalis dominus erat, aliisque parentibus suis integram hujus rei concessionem obtinuit. Ipse nimirum, quamvis plaga ejus nunquam clausa esset, et inde sanies, quantum testa ovi anseris capere posset, ut refertur ab his qui viderunt, quotidie deflueret, conventum ordinate sequi ardenter studebat, et ministeria, quae ordini competebant, alacriter exhibebat. Eundo vel equitando quo sibi jubebatur ibat, et ecclesiasticis utilitatibus pro posse suo verbis et actionibus instanter deserviebat. Hunc nimirum Osbernus abbas plus aliis diligebat, et in ipso valde velut in suo proprio confidebat. Unde ad novam basilicam, quam inchoare disponebat, curam et impensas, magisteriumque latomorum ei commendabat. Praefatus pater, hujus Richardi precibus et hortatu, Franciam adiit, et Rodbertum eloquentem ac Herbertum de Serranz et Fulcoium de Caldreio, aliosque milites et plebeios Vilcassinienses ad sui notitiam dulci colloquio invitavit, fundumque Heldrici-Cortis, praefatis proceribus et vicinis annuentibus et congaudentibus, in dominium S. Ebrulfi recepit. Inde rediens in lectum decidit. Post aliquot dies, morbo ingravescente, in capitulum deductus venit, et epistolam, quam Alexandro papae misisse eumdem supra diximus, palam recitari jussit. Quod ita factum est ut cunctis manifestum fieret quod ipse abbatiam Rodberto abbati non subripuisset, sed invitus ac violentia coactus regimen suscepisset. Denique fratres hortatu corroboravit, ac ut sibi errata indulgerent, suique memores essent, obsecravit. Sicque data confessione, ac sacrosancta Dominici corporis percepta communione, postquam moderamen Uticensis ecclesiae quinque annis et tribus mensibus tenuit, VI Kal. Junii [1066] inter manus fratrum litanias pro eo pie canentium obiit. In crastinum vero Vitalis Bernaicensium abbas ad tumulandum amicum suum accessit, et in claustro coenobiali juxta ecclesiam S. Petri apostolorum principis sepelivit; unde Mainerius successor ejus ipsum post annos XVII cum ossibus Witmundi socii sui in capitulum novum transtulit. |
Guillaume, illustre marquis de Normandie77, voyant que les habitans de Beauvais faisaient tous leurs efforts pour ravager les frontières du duché, confia à plusieurs de ses barons, pour le défendre, le château de Neuf-Marché, après en avoir expulsé pour une légère offense Geoffroi, qui en était l'héritier naturel. L'entreprise des barons ne réussit guères qu'une année, à cause des habitans de Milli, de Gerberoi, et d'autres lieux voisins qui infestaient le pays. Enfin le magnanime duc confia ce fort, en lui accordant la moitié de son revenu, à Hugues de Grandménil, qui tenait le premier rang par son intrépidité et sa générosité, ainsi qu'à Gérold qui était grand sénéchal: il suivit en cela le conseil de Roger de Mont-Gomeri, qui était très-jaloux de la valeur de son voisin, et cherchait à lui nuire et à lui susciter des désagrémens, de quelque manière que ce fût. Hugues accepta avec plaisir la défense de la place dont il s'agit, et, avec l'aide de Dieu, dans le cours d'un an, fit prisonniers les deux principaux seigneurs du Beauvaisis, et rétablit dans le pays une tranquillité parfaite, après avoir partout battu les autres ennemis. Quatre chanoines occupaient l'église de l'apôtre saint Pierre à Neuf-Marché; mais ils s'acquittaient avec négligence du service de Dieu et vivaient trop dans le monde. C'est ce qui détermina le généreux Hugues à concéder la moitié du revenu que lui produisait l'église aux moines de l'abbaye de Saint-Evroul, à la condition que des religieux succéderaient à chacun des chanoines qui viendrait à manquer, par décès ou par tout autre événement: ce qui fut accepté. En conséquence, deux chanoines qui étaient du parti de Hugues s'étant retirés, ils furent remplacés par des moines, qui jusqu'à ce jour ont possédé le revenu dont il est question ci-dessus. Ce lieu fut occupé par Robert-le-Chauve, par Radulphe de La Rousserie, par Jean de Beaunai78, et par d'autres hommes valeureux. En un certain temps, il s'éleva de grands débats entre Hugues de Grandménil et Raoul, comte de Mantes, beau-père de Philippe, roi des Français. Hugues en vint courageusement aux mains avec Raoul; mais comme ses forces étaient moins considérables que celles de son ennemi, il fut obligé de se retirer. Dans cette retraite Richard de Heudricourt, noble chevalier du Vexin, reçut une blessure: il fuyait à toute bride, et tentait de passer à gué la rivière d'Epte, quand un chevalier qui le poursuivait l'atteignit d'un rude coup de lance dans le dos. Transporté bientôt à Neuf-Marché par ses frères d'armes, et craignant la mort, il suivit les avis de Hugues à la maison duquel il avait toujours été attaché par le service militaire, et, sans tarder, fit vœu qu'il combattrait dans l'exercice des vertus, sous les lois monacales. Il se rendit donc chez les moines d'Ouche, et se mit sous la direction de l'abbé Osbern. Par un don de Dieu, qui par divers moyens retire les pécheurs du gouffre de la perdition, Richard se rétablit un peu, sans toutefois recouvrer toute sa santé, et vécut près de sept ans dans le couvent, rempli de ferveur et servant l'Eglise de plusieurs manières. Après sa blessure il apporta volontairement à Saint-Evroul, le produit du patrimoine qu'il possédait dans le Vexin, parce qu'il n'avait ni femme ni enfant. Il obtint l'entière concession de cette donation de Foulques, son oncle, de Herbert l'échanson qui était un seigneur considérable, et de ses autres parens. Quoique sa plaie ne se fût jamais fermée, et qu'il en coulât journellement, comme le rapportent ceux qui l'ont vu, autant de matière qu'en pourrait contenir la coquille d'un œuf d'oie, il s'appliquait avec ardeur à suivre la règle du couvent, et s'acquittait gaîment des fonctions qui étaient de son ressort. Il allait où l'ordre lui en était donné, soit à pied, soit à cheval, et rendait à l'église de constans services selon ses moyens, et non moins par ses actions que par ses paroles. Aussi l'abbé Osbern l'aimait plus que les autres moines, et se fiait à lui tout autant qu'à soi-même; pour ce qui concernait la nouvelle église, qu'il avait résolu de commencer, il lui confia le soin, les dépenses et la surveillance de la taille des pierres. Sur les instances, et d'après les exhortations de Richard, l'abbé Osbern inspira le desir de le connaître, pour l'agrément de son entretien, à l'éloquent Robert, à Herbert de Séran79? à Foulques de Chaudri80, et à d'autres chevaliers et roturiers du Vexin; il reçut pour le domaine de Saint-Evroul la terre d'Heudricourt, du consentement et à la satisfaction des seigneurs et des voisins. A son retour il tomba malade: quelques jours après le mal ayant fait des progrès, il se fit conduire au chapitre, et se fit lire publiquement la lettre que, comme nous avons dit ci-dessus, il avait adressée au pape Alexandre. Il en agit ainsi pour prouver à tout le monde qu'il n'avait pas soustrait l'abbaye à l'abbé Robert, mais qu'il en avait pris le gouvernement malgré lui, et même contraint par la violence. Il fortifia ensuite ses frères par ses exhortations, et les pria de lui pardonner ses erreurs et de se souvenir de lui. S'étant ainsi confessé et ayant reçu la sainte communion du corps du Seigneur, après avoir gouverné l'église d'Ouche pendant cinq ans et trois mois, il mourut le 6 des calendes de juin (27 mai) entre les mains de ses frères, qui chantaient pieusement pour lui des litanies. Le lendemain, Vital, abbé de Cernai, arriva pour inhumer son ami, et l'ensevelit dans le cloître, auprès de l'église, de saint Pierre, prince des apôtres, d'où son successeur Mainier le transféra dix-sept ans après dans le nouveau chapitre, avec les ossemens de Witmond son compagnon. |
XVII. Cometes. Eventus in Anglia. Heraldi usurpatio. Guillelmus Normannorum marchio ad transfretandum in Angliam se parat. Anno ab Incarnatione Domini 1066, indictione IV, mense Aprili, fere XV diebus a parte Circii apparuit stella quae cometes dicitur, qua, ut perspicaces astrologi, qui secreta physicae subtiliter rimati sunt, asseverant, mutatio regni designatur. Eduardus enim, rex Anglorum, Edelredi regis ex Emma Richardi senioris Normannorum ducis filia filius, paulo ante obierat, et Heraldus, Goduini comitis filius, regnum Anglorum usurpaverat, jamque tribus mensibus ad multorum detrimentum perjurio et crudelitate, aliisque nequitiis pollutus tenuerat. Injusta nempe invasio nimiam inter quasdam gentes dissensionem commovit, multisque matribus filiorum et conjugibus maritorum necem et luctum peperit. Eduardus nimirum propinquo suo Willelmo duci Normannorum primo per Rodbertum Cantuariorum summum pontificem, postea per eumdem Heraldum, integram Anglici regni mandaverat concessionem, ipsumque concedentibus Anglis fecerat totius juris sui haeredem. Denique ipse Heraldus apud Rothomagum Willelmo duci, coram optimatibus Normanniae, sacramentum fecerat; et homo ejus factus, omnia quae ab illo requisita fuerant super sanctissimas reliquias juraverat. Tunc etiam dux eumdem Heraldum in expeditione secum contra Conanum comitem Britonum duxerat, armisque fulgentibus et equis, aliisque insigniis cum commilitonibus suis spectabiliter ornaverat. Erat enim idem Anglus magnitudine et elegantia, viribusque corporis, animique audacia et linguae facundia, multisque facetiis et probitatibus admirabilis. Sed quid ei tanta dona sine fide, quae bonorum omnium fundamentum est, contulerunt? In patriam nempe suam ut regressus est, pro cupiditate regni Domino suo fidem mentitus est. Nam regem Eduardum, qui, morbo ingravescente, jam morti proximus erat, circumvenit, eique transfretationis suae et profectionis in Normanniam ac legationis seriem retulit. Deinde fraudulentis assertionibus adjecit quod Willelmus Normanniae sibi filiam suam in conjugium dederit, et totius Anglici regni jus utpote genero suo concesserit. Quod audiens aegrotus princeps miratus est, tamen credidit et concessit quod vafer tyrannus commentatus est. Post aliquot temporis piae memoriae rex Eduardus, XXIV anno regni sui, Nonas Januarii Lundoniae defunctus est, et in novo monasterio, quod ipse in occidentali parte urbis condiderat, et tunc praecedenti septimana dedicari fecerat, prope altare quod beatus Petrus apostolus tempore Melliti episcopi cum ostensione signorum consecraverat, sepultus est. Tunc Heraldus ipso tumulationis die, dum plebs in exsequiis dilecti regis adhuc maderet fletibus, a solo Stigando archiepiscopo, quem Romanus papa suspenderat a divinis officiis pro quibusdam criminibus, sine communi consensu aliorum praesulum et comitum procerumque consecratus, furtim praeripuit diadematis et purpurae decus. Audientes autem Angli temerariam invasionem quam Heraldus fecerat, irati sunt, et potentiorum nonnulli fortiter obsistere parati a subjectione ejus omnino abstinuerunt. Alii vero nescientes qualiter tyrannidem ejus, quae jam super eos nimis excreverat, evaderent, et econtra considerantes quod nec illum dejicere, nec alium regem ipso regnante ad utilitatem regni substituere valerent, colla ejus jugo submiserunt, viresque facinori, quod inchoaverat, auxerunt. Mox ipse regnum, quod nequiter invaserat, horrendis sceleribus maculavit. Edwinus vero et Morcarus comites, filii Algari praecipui consulis, Heraldo familiaritate adhaeserunt, eumque juvare toto conamine nisi sunt, eo quod ipse Edgivam, sororem eorum, uxorem habebat, quae prius Gritfridi fortissimi regis Guallorum conjux fuerat, eique Blidenum regni successorem, et filiam nomine Nest pepererat. Tunc Tosticus Goduini comitis filius, advertens Heraldi fratris sui praevalere facinus, et regnum Angliae variis gravari oppressionibus, aegre tulit, contradixit, et aperte repugnare decrevit. Unde Heraldus patris consulatum, quem Tosticus, quia major natu erat, longo tempore sub Eduardo rege jam tenuerat, ei violenter abstulit, ipsumque exsulare compulit. Exsul igitur Tosticus Flandriam expetiit, ibique socero suo Balduino Flandrensium satrapae Judith uxorem suam commendavit, deinde festinus Normanniam adiit, et Willelmum ducem, cur perjurum suum regnare sineret, fortiter redarguit, seque fideliter, si ipse cum Normannicis viribus in Angliam transfretaret, regni decus obtenturum illi spopondit. Ipsi nempe jamdudum se invicem multum amaverant, duasque sorores, per quas amicitia saepe recalescebat, in conjugio habebant. Willelmus autem dux advenientem amicum cum gaudio suscepit, amicabili redargutioni ejus gratias egit, ejusque exhortationibus animatus Normanniae proceres convocavit, et de tanto talique negotio quid agendum esset, palam consuluit. Eo tempore Normannia praeclare vigebat sapientibus ecclesiarum praelatis et optimatibus. Nam sacer Maurilius, ex monacho metropolitanus, praesidebat episcopus cathedrae Rothomagensi, et Odo Willelmi ducis uterinus frater Bajocensi, Hugo frater Rodberti Aucensis comitis Lexoviensi et Willelmus Ebroicensi, Goisfredus Constantiniensi, et Joannes filius Radulfi Bajocarum comitis Abrincatensi, atque Ivo Belesmensis Willelmi filius Sagiensi. Omnes hi pollebant et excellentia praeclare generositatis et claritudine religionis, multimodaeque probitatis. Personae nihilominus laici ordinis praeeminebant: Richardus comes Ebroicensis, Rodberti archiepiscopi filius; Rodbertus comes, Willelmi Aucensis satrapae filius; Rodbertus comes Moritoliensis, Willelmi ducis uterinus frater; Rodulphus de Conchis Rogerii Toenitis filius, Normannorum signifer; Willelmus Osberni filius, ducis cognatus et dapifer; Willelmus de Warenna et Hugo Pincerna; Hugo de Grentemaisnilio et Rogerius de Molbraio; Rogerius de Bello Monte et Rogerius de Monte-Gomerici; Balduinus et Richardus Gisleberti comitis filii, et alii plures militari stemmate feroces, sensuque sagaci consilioque potentes, qui Romano senatui virtute seu maturitate non cederent, sed ad laborem tolerandum, hostemque tam ingenio quam fortitudine vincendum, aequiparari studerent. Omnes hi ad commune decretum jussu ducis acciti sunt, et audita re tam grandi, utpote diversi diversa senserunt. Animosiores cupido duci favere volentes, ad certamen ire socios incitabant, tantumque negotium sine mora incipere laudabant. Alii vero laboriosum opus inire dissuadebant, nimiumque ausis et in necem praecipitibus multa importuna et discrimine plena praetendebant, pericula maris et difficultatem classis opponebant, Normannorumque paucitatem non posse vincere Anglorum multitudinem asserebant. Tandem Gislebertum Lexoviensem archidiaconum Romam misit, et de his quae acciderant, ab Alexandro papa consilium requisivit. Papa vero, auditis rebus quae contigerant, legitimo duci favit, audacter arma sumere contra perjurum praecepit, et vexillum Sancti Petri apostoli, cujus meritis ab omni periculo defenderetur, transmisit. Interea Tosticus in Angliam remeandi licentiam a duce accepit, eique auxilium suum tam per se quam per omnes amicos suos firmiter spopondit. Sed, sicut scriptum est: « Homo cogitat, Deus ordinat, » evenit multo aliter quam sperabat. Nam de Constantino pelagus intravit, sed Angliam attingere nullatenus potuit. Heraldus enim mare navium militumque copia munierat, ne quis hostium sine gravi conflictu introiret in regnum quod fraudulenter invaserat. Tosticus itaque magnis undique premebatur angustiis; utpote qui nec Angliam per bellum cum paucis contra innumeros invadere, nec Normanniam propter contrarietatem ventorum poterat repetere. Unde Zephyro, Notoque, aliisque ventis alternatim impellentibus angores multos pertulit, et per aequora vagabundus discrimina plura metuit; donec tandem post plurimos labores ad Heraldum regem Nortwigenarum, qui Harafagh cognominabatur, accessit. Cui, cum ab eo honorifice susceptus fuisset, videns quod promissa, quae Willelmo duci fecerat, complere non posset, mutata intentione ait: « Sublimitatem vestram, magnifice rex, supplex adeo, et me servitiumque meum majestati vestrae fideliter offero, ut possim restitui per vestrum suffragium honori ex paterna successione debito. Nam Heraldus frater meus, qui jure mihi, utpote primogenito, debuisset parere, fraudulenter insurrexit contra me, et regnum Angliae perjuriis praesumpsit usurpare. Unde a vobis, quos viribus et armis, omnique probitate praecipue vigere cognosco, viriliter adjuvari, utpote homo vester, exposco. Proterviam perfidi fratris bello proterite, medietatem Angliae vobis retinete, aliamque mihi, qui vobis inde fideliter serviam, dum advixero, obtinete. » His auditis, avidus rex valde gavisus est. Deinde jussit exercitum aggregari, bellica instrumenta praeparari, et regiam classem per sex menses diligenter in omnibus aptari. Erroneus exsul ad tantum laborem tyrannum excivit, eumque callida tergiversatione taliter illexit, ne ab eo quasi explorator regni sui caperetur, sed ut per eum quoquomodo injuriam expulsionis suae de malefido fratre ulcisceretur. Nihilominus Normannorum marchio parabat suam profectionem, nescius infortunii quod praeoccupaverat suum praecursorem, et extra statutum cursum longe propulerat ad septentrionem. In Neustria multae naves cum utensilibus suis diligenter paratae sunt; quibus fabricandis clerici et laici studiis et sumptibus adhibitis pariter intenderunt. Exactione principali de Normannia numerosi bellatores acciti sunt. Rumoribus quoque viri pugnaces de vicinis regionibus exciti convenerunt, et bellicis instrumentis ad praeliandum sese praeparaverunt. Galli namque et Britones, Pictavini et Burgundiones, aliique populi Cisalpini ad bellum transmarinum convolarunt, et Anglicae praedae inhiantes variis eventibus et periculis terrae marique sese obtulerunt. |
L'an de l'Incarnation du Seigneur 1066, on vit une étoile qu'on appelle comète paraître au mois d'avril pendant près de quinze jours, du côté du nord-ouest: ce qui, comme l'assurent les savans astrologues, qui ont approfondi les secrets de la physique, désigne une révolution. En effet, Edouard, roi des Anglais, fils d'Ethelred et d'Emma, fille de Richard-le-Vieux, duc des Normands, venait de mourir peu de temps auparavant. Hérald81, fils du comte Godwin, avait usurpé le trône des Anglais; déjà trois mois s'étaient écoulés depuis que ce prince, souillé de parjures, de cruautés et d'autres iniquités, s'y maintenait au détriment de beaucoup de personnes; car son injuste usurpation avait excité de grandes dissensions dans la nation, et occasionnait la mort des fils et des maris, objets d'un deuil considérable pour beaucoup de mères et d'épouses. Il est bon de savoir qu'Edouard avait fait la concession entière du royaume d'Angleterre à Guillaume, duc des Normands, son proche parent; qu'il l'avait fait héritier de tous ses droits, avec l'aveu des Anglais eux-mêmes, et qu'il avait informé le duc de ses dispositions, d'abord par Robert, souverain pontife de Cantorbéry, et ensuite par Hérald lui-même. Cet Hérald avait prêté serment de fidélité au duc Guillaume, à Rouen, en présence des seigneurs de Normandie; devenu ainsi l'homme du prince, il avait juré tout ce qu'on lui avait demandé sur les très-saintes reliques. Guillaume avait conduit avec lui Hérald dans l'expédition qu'il dirigeait contre Conon82, comte des Bretons; en présence de l'armée, il lui avait fait don d'armes brillantes, de chevaux et d'autres objets d'un grand prix. Cet Anglais était remarquable par sa taille, par ses belles manières, par la force du corps et la hardiesse du caractère, par l'éloquence, par les grâces de l'esprit et par d'autres bonnes qualités. Mais à quoi lui servirent tant de dons sans la bonne foi, qui est la base de toutes les vertus? De retour dans sa patrie, le desir qu'il avait de régner lui fit trahir la foi par lui jurée à son seigneur. Il parvint à circonvenir le roi Edouard, qui, accablé par le mal, était près de mourir; il lui fit part de tout ce qui était relatif à son voyage, à son arrivée en Normandie et à sa mission. Il ajouta, par une frauduleuse assertion, que Guillaume de Normandie lui avait donné sa fille en mariage et transmis, comme à son gendre, ses droits sur tout le royaume d'Angleterre. A ce rapport, le prince malade éprouva beaucoup d'étonnement; cependant il crut Hérald et lui accorda ce que cet adroit tyran lui demandait. Quelque temps après, le roi Edouard, de pieuse mémoire, mourut à Londres la vingt-quatrième année de son règne, le jour des nones de janvier (5 janvier); il fut inhumé dans le nouveau monastère83 qu'il avait bâti dans la partie occidentale de la ville et fait dédier la semaine précédente, près de l'autel que le bienheureux apôtre Pierre avait illustré par de grands miracles, du temps de l'évêque Mélitus. Le jour même de l'inhumation, pendant que le peuple était baigné de larmes aux obsèques de son roi chéri, Hérald se fit consacrer par le seul archevêque Stigand, que le pape avait suspendu de ses fonctions pour certains crimes: n'ayant pu réunir le consentement des autres prélats, ni des comtes et des grands, il avait ravi furtivement les honneurs du diadême et de la pourpre. Les Anglais ayant appris la téméraire usurpation dont Hérald s'était rendu coupable, entrèrent dans une grande colère, et quelques-uns des plus puissans seigneurs, déterminés à une courageuse résistance, se refusèrent entièrement à toute marque de soumission. Quelques-uns ne sachant comment fuir la tyrannie qui déjà pesait grandement sur eux, considérant d'ailleurs qu'ils ne pouvaient le renverser, ni tant qu'il vivrait, ni tant qu'il régnerait, ni lui substituer un autre monarque pour l'avantage du royaume, soumirent leur tête au joug et augmentèrent ainsi la puissance de l'attentat qui commençait. Bientôt Hérald souilla par d'horribles crimes le trône qu'il avait méchamment envahi. Les comtes Edwin et Morcar84, fils d'Algar premier comte du pays, s'attachèrent intimement à Hérald; ils employèrent tous leurs efforts pour le seconder, d'autant plus qu'il avait épousé Edgive85 leur sœur, mariée précédemment à Gritfrid, puissant roi des Gallois: ce dernier en avait eu Bliden86, qui lui succéda, et une fille nommée Nest. Alors Tostic87, fils du comte Godwin, voyant le succès de l'attentat de son frère Hérald, et le royaume d'Angleterre accablé par toutes sortes d'oppressions, s'en affligea beaucoup, résolut de s'y opposer, et même de combattre ouvertement. C'est pourquoi Hérald lui enleva avec violence le comté de son père que Tostic, comme aîné, avait long-temps possédé sous le roi Edouard, et le força de s'exiler. Tostic, en conséquence, gagna la Flandre, recommanda sa femme Judith à son beau-père Baudouin, comte des Flamands, puis se rendit en toute hâte en Normandie, et fit de grands reproches au duc Guillaume de ce qu'il laissait un parjure occuper son trône; il lui promit qu'il obtiendrait la couronne s'il voulait passer en Angleterre, avec une armée de Normands. Ces deux princes s'aimaient beaucoup depuis long-temps; ils avaient épousé les deux sœurs, ce qui entretenait beaucoup leur amitié. Cependant le duc Guillaume reçut avec joie son ami à son arrivée; il le remercia de son reproche amical, et, animé par ses exhortations, il convoqua les grands de la Normandie et les consulta publiquement sur l'affaire importante qu'il s'agissait d'entreprendre. Dans le même temps, la Normandie était illustrée par plusieurs sages prélats et par plusieurs seigneurs distingués. Madrille, de simple religieux devenu métropolitain, occupait comme évêque le siége de Rouen; Odon, frère utérin du duc Guillaume, était évêque de Bayeux; Hugues, frère de Robert, comte d'Eu, était à Lisieux; Guillaume, à Evreux; Geoffroi, à Coutance; Jean, fils de Raduphle, comte de Bayeux, à Avranches, et Ives, fils de Guillaume de Bellême, à Seès. Tous ces prélats se faisaient remarquer par l'excellence de leur illustre origine, par leurs sentimens religieux, ainsi que par beaucoup d'autres mérites. Dans l'ordre laïque, on voyait en première ligne Richard comte d'Evreux, fils de l'archevêque Robert; le comte Robert, fils de Guillaume, comte d'Eu; Robert comte de Mortain, frère utérin du duc Guillaume; Raoul de Conches, fils de Roger de Toëni, porte-enseigne des Normands; Guillaume, fils d'Osbern88, cousin du duc et son grand sénéchal; Guillaume de Varenne; Hugues d'Ivri, grand échanson; Hugues de Grandménil; Roger de Monbray89; Roger de Beaumont90; Roger de Mont-Gomeri; Baudouin et Richard, fils de Gislebert, comte de Brionne et plusieurs autres, fiers de leurs dignités militaires, et jouissant d'une grande influence par leur mérite et par la sagesse de leurs opinions. Ils n'eussent cédé ni en vertu ni en sagesse au sénat romain, et s'appliquaient à l'égaler par la constance de leurs travaux, et en triomphant de l'ennemi tant par le génie que par le courage. Le duc les réunit tous en une assemblée générale. Sur le rapport de cette grande affaire, les sentimens différèrent parce que les esprits différaient aussi. Les plus emportés, desirant favoriser l'ambition du duc, engageaient leurs compagnons à marcher au combat et le louaient d'entreprendre sans retard cette grande expédition; les autres le dissuadaient de se hasarder dans un si pénible travail et faisaient entrevoir beaucoup de difficultés et de désagrémens pour ceux qui manifestaient trop d'audace et se précipitaient vers la mort; ils opposaient les dangers de la mer et la difficulté de se procurer une flotte, et prétendaient que ce petit nombre de Normands ne pourrait triompher de la multitude d'Anglais qu'ils auraient à combattre. Enfin, Guillaume envoya à Rome Gislebert, archidiacre de Lisieux, et demanda conseil au pape Alexandre sur les événemens qui se présentaient. Le pape, ayant appris ces détails, fut favorable aux prétentions légitimes du duc, lui ordonna de prendre hardiment les armes contre le parjure, et lui envoya le drapeau de l'apôtre saint Pierre, dont la vertu devait le défendre de tout danger. Cependant Tostic reçut du duc la permission de retourner en Angleterre, et lui promit avec fermeté son assistance, tant par lui-même que par tous ses amis: mais comme il est écrit que l'homme pense, et que Dieu ordonne, il en arriva bien autrement qu'il ne l'espérait. En effet, il s'embarqua dans le Cotentin, mais il ne put parvenir en Angleterre. Hérald avait couvert la mer de vaisseaux et de chevaliers afin qu'aucun de ses ennemis ne pût, sans un grand combat, pénétrer dans le royaume qu'il avait frauduleusement usurpé. En conséquence, Tostic se trouva dans un grand embarras, ne pouvant s'ouvrir un passage avec si peu de monde contre tant d'ennemis, pour porter la guerre en Angleterre, ni retourner en Normandie à cause des vents contraires. Il souffrit en outre beaucoup de la fureur de ces vents opposés, l'ouest, le sud et d'autres vents ayant soulevé les mers, où il erra long-temps ayant à craindre beaucoup de dangers, jusqu'à ce que, après de grandes fatigues, il arriva chez Hérald, roi de Norwège, que l'on surnommait Harafage. ll en fut reçu honorablement, et, voyant qu'il ne pouvait s'acquitter des promesses qu'il avait faites au duc Guillaume, il prit un autre parti et dit à Harafage: «Magnifique monarque, je supplie votre sublimité, je me présente devant elle et j'offre fidèlement à Votre Majesté ma personne et mes services, afin que je puisse par votre secours recouvrer de la succession de mon père les biens et les honneurs qui me sont dus. Mon frère Hérald, qui me devait à bon droit l'obéissance en ma qualité d'aîné, a usé de fraude pour me dépouiller, et a même porté l'audace jusqu'à usurper, au prix d'un parjure, le royaume d'Angleterre. Vous dont je connais les forces, les années et le mérite, secourez-moi puissamment. Je vous en prie, comme étant devenu votre homme. Humiliez par la guerre l'orgueil de mon perfide frère; gardez pour vous la moitié de l'Angleterre, et cédez-moi l'autre pour vous servir avec fidélité tant que je vivrai.» A ces mots, qu'il recueillit avec avidité, le roi de Norwège éprouva une grande joie. Il rassembla son armée, fit préparer des machines de guerre, et mit six mois à équiper, avec diligence et complétement, la flotte qui devait le porter. Le prince exilé excita le tyran à une telle entreprise, et même avec beaucoup d'adresse, parce qu'il craignait d'être pris pour un espion et qu'il voulait se servir de lui pour se venger, de quelque manière que ce fût, de l'outrage que son frère déloyal lui avait fait éprouver en le bannissant. Néanmoins le marquis des Normands faisait les préparatifs de son départ, ignorant les malheurs qu'avait essuyés son précurseur, entraîné vers le Nord, loin du but de sa course: on préparait diligemment en Neustrie beaucoup de vaisseaux avec leurs agrès; les clercs et les laïques rivalisaient de soins et de dépenses pour les constructions. Par une levée générale en Normandie, on rassembla de nombreux combattans. Au bruit de l'expédition, accoururent des contrées voisines les hommes qui étaient disposés à la guerre; ils préparèrent leurs armes pour combattre. Les Français et les Bretons, les Poitevins et les Bourguignons, d'autres peuples aussi du voisinage des Alpes91 accoururent pour prendre part à la guerre d'outre-mer; et aspirant avec avidité à la proie que leur offrait l'Angleterre, bravant les divers événement et les divers dangers, ils s'offrirent à les affronter par terre et par mer. |
XVIII. Sequitur Uticensis historia. Iterum de morte Osberni. Mainerii abbatis electio. Dum haec patrarentur, Osbernus, abbas Uticensis, ut supra retulimus, obiit; et monachilis conventus de substituendo successore ducem, antequam transfretaret, requisivit. At ille apud Bonam-Villam inde cum proceribus suis consilium tenuit. Denique hortatu Hugonis episcopi, aliorumque sapientum, Mainerium priorem elegit, eique per pastoralem baculum exteriorem curam tradidit, et praedicto antistiti, ut ea quae sibi de spirituali cura competebant suppleret, praecepit. Ille vero libenter omnia complevit. Eodem die, dux domnum Lanfrancum Beccensium priorem coram se adesse imperavit, eique abbatiam, quam ipse dux in honore S. Stephani protomartyris apud Cadomum honorabiliter fundaverat, commendavit. Lanfrancus itaque primus Cadomensium abbas factus est, sed paulo post ad Cantuariensem archiepiscopatum promotus est. Erat idem natione Langobardus, liberalium artium eruditione affluenter imbutus, benignitate, largitate et omni religione praeditus, eleemosynis aliisque bonis studiis multipliciter intentus. Hic nimirum a die, quo primitus apud Bonam-Villam, ut praelibavimus, ecclesiae regimen suscepit, XXII annis et IX mensibus multis in domo Dei fidelibus proficiens nobiliter claruit. Venerandus Hugo episcopus magnanimum Dei clientem Mainerium jussu ducis Uticum adduxit, eumque secundum statuta canonum ante altare Sancti Petri apostoli XVII Kal. Augusti benedixit. Ille autem, suscepto nomine abbatis et onere, laudabiliter vixit, et susceptum regimen XXII annis et VII mensibus utiliter tenuit, multisque modis monasterium sibi commissum intus et exterius, juvante Deo, emendavit. Fratres autem benigniter sedavit solertia et ratione, qui aliquantulum turbati fuerant in ejus electione. Duos enim monachos, qui religione, geminaque scientia pollebant, Rainaldum scilicet de Rupe, et Fulconem de Warlenvilla ad sui regimen elegerant, ideoque ab eo, qui per pontificem et vicinos sine illorum consensu praeferebatur, non modicum desciverant. Saepe in hujusmodi negotio per deteriores oriri solet turbatio. Nam dum improbi suam violenter praeponere sententiam nituntur, regularis ordo, saniusque consilium multoties impediuntur. Omnipotens vero Deus Ecclesiam suam in omni pressura potenter protegit, et errantes corrigit, ac necessarium solamen sicut vult et per quos vult clementer porrigit. Ejus itaque providentia praefatum Mainerium (ut postea liquido patuit) ad gubernandum Uticense coenobium, quod in sterili rure inter nequissimos compatriotas situm erat, promovit. Erat enim de contiguo castello, quod dicitur Escalfoium, oriundus, grammatica, dialectica et rhetorica affatim imbutus, ad resecanda vitia solers et severus, ad inserendas et intimandas fratribus virtutes fervidus. Observator monastici ordinis assiduus, commissis sibi viam vitae monstrabat verbis et operibus, multorumque ad operandum in vinea Domini Sabaoth incitator factus est et praevius, comesque sollicitus. Hic coepit novam basilicam in honore sanctae Mariae matris Domini et sancti Petri apostoli ac sancti confessoris Ebrulfi, ibique septem altaria sunt in honore sanctorum consecrata divinae majestati. Vetus enim ecclesia, quam S. Ebrulfus, Hilperico et nepote ejus Hildeberto sceptra Francorum gestantibus, apostolorum principi construxerat, antiquitate magna ex parte diruta erit, nec conventui monachorum, qui quotidie augebatur, sufficiebat. Porro aedificium de lapidibus apud Uticum condere valde laboriosum est, qui lapidicina Merulensis, unde quadrati lapides advehuntur, ad sex milliaria longe est. Maxima ergo in colligendis equis et bobus et plaustris difficultas instabat procuratoribus per quos congeries lapidum, aliique ad tantum opus agebantur necessarii apparatus. Praefatus itaque abbas omni tempore regiminis sui non quievit, sed multarum rerum sollicitudine anxius subjectis et posteris affatim profecit. Ecclesiam namque claram et amplam, Deique servitium libere celebrantibus aptam, claustrum et capitulum, dormitorium et refectorium, coquinam et cellarium, aliasque officinas competentes usibus monachorum, auxiliante Deo, perfecit, cum subsidio et largitione fratrum et amicorum. Lanfrancus enim archiepiscopus, dum dedicationi Cadomensis ecclesiae anno scilicet duodecimo post Anglicum bellum [ann. 1077.] interfuit, Mainerio abbati XLIV libras Anglicae monetae et duos auri marcos erogavit, et postmodum de Cantia per domnum Rogerium de Sappo, qui sibi pro scientia litterarum notus et amicus erat, XL libras sterilensium misit. His igitur datis, ecclesiae turris erecta est et monachile dormitorium constructum est. Mathildis vero regina pretiosam infulam dedit, et cappam ad Dei servitium, et centum libras Rodomensium ad agendum tricorium. Willelmus autem de Ros, Bajocensis clericus qui in eadem ecclesia triplici erat honore praeditus (erat enim cantor et decanus et archidiaconus), XL libras sterilensium dedit Uticentibus. Qui non multo post saeculi pompas sponte relinquens, Cadomensis monachus factus est, et inde, priusquam unum annum in monachatu perficeret, ad Fiscannensis coenobii regimen assumptus est. Nomen ejus pro multis beneficiis, quae Uticensibus contulit, in rotulo generali scriptum est, et pro ipso missas et orationes et eleemosynas sicut pro monacho professo prorsus agi statutum est. Plurimis itaque fautoribus novae basilicae fabrica sublimata est, et incoeptum opus tam ecclesiae quam domorum honorabiliter consummatum est. Tempore regiminis Mainerii abbatis XC monachi diversae qualitatis et conditionis, quorum nomina conscripta sunt in volumine generalis descriptionis, saecularem habitum in Uticensi schola reliquerunt, et instinctu laudabilique bonorum exemplo per arduum iter ire aggressi sunt. Ex ipsis quidam, ipso patre adhuc vivente, praemium bonae conversationis obtinuerunt, aliique in sancto proposito diu permanserunt, longamque militiam viriliter exercuerunt, Deoque devotione placere, et hominibus bonorum operum exhibitione prodesse studuerunt. Nonnulli vero nobilitate pollentes monasterio suo in multis subvenerunt, et a parentibus suis vel notis vel amicis decimas et ecclesias, et ornamenta ecclesiastica utilitati fratrum obtinuerunt. Singillatim omnia, quae domui suae singuli contulerunt, omnino describere nequeo; sed tamen aliqua, prout competentem referendi facultatem videro, juvante Deo, veraciter intimare pro communi commodo posteritati cupio. Primus itaque monachorum Rogerius de Altaripa jussu praefati abbatis in pagum Vilcassinum perrexit, et Heldrici Cortem, quem, sicut supra retulimus, Richardus vulneratus Sancto Ebrulfo dederat, possedit, terramque incultam et pene vacuam cultoribus invenit. Unde in primis ibidem construxit oratorium de virgultis in honore S. Nicolai Myrreorum praesulis, ideoque vicus, qui nunc ibidem consistit, capella S. Nicolai usque hodie nuncupatur ab incolis. Frequenter contigit, sicut ipse nobis referre solebat, quod nocturnis temporibus, dum in capella virgea matutinos cantabat, lupus econtra deforis stabat, et quasi psallenti murmurando respondebat. Venerabilis itaque vir divinitus adjutus Herbertum pincernam amoris glutino sibi adjunxit, qui post mortem Herberti cognati sui, fratris videlicet Richardi vulnerati, medietatem feudi ejus Sancto Ebrulfo concessit. Ibi Rogerius laborans benevoli juvamine patroni locum ipsum, qui diu antea propter guerram et alia infortunia desertus fuerat, excoluit, ibique Rogerius de Sappo post aliquot annos praedicto seniori succedens, ecclesiam de lapidibus aedificare coepit. Praefatus enim miles in toto Vilcassino multum vigebat, opibusque et filiis validisque parentibus et affinibus ampliatus, pene omnibus vicinis suis eminebat. Uxor ei erat nomine Rollandis, filia Odonis de Calvimonte, quae peperit ei Godefridum et Petrum, Joannemque et Walonem, et filias plures, ex quibus orta est copia magna nepotum. Omnes isti, pater scilicet et praedicti fratres, milites fuerunt magnae probitatis, et, quantum exterius patuit, erga Deum et homines probatae legalitatis. Mulier vero supradicta omni vita sua fuit eximiae honestatis, et adhuc superstes est, viro liberisque de mundo jamdudum sublatis. Horum benignitate et suffragio capella B. Nicolai praesulis instaurata est et habilis habitatio monachorum, qui regulariter vivunt et pacem amant, usque hodie facta est. Eodem tempore Fulcoius, Radulphi de Caldreio filius, venerabilem Rogerium pro multimoda bonitate, qua vigebat, multum adamavit, filiumque suum ad levandum de sacro baptismatis fonte benigniter ei obtulit, quem ille gratanter suscepit. Deinde cognitione et dilectione paulatim crescente in illis, Fulcoius compatri suo concessit ecclesiam S. Martini de Parnis, ad quam parochia statutis diebus congregabatur de septem adjacentibus vicis, ut vota sua Deo redderent, et laudes et praecepta Dei, ut decet, audirent. At ille Mainerium abbatem accersiit. Postquam autem praefatus pater Parnas advenit, Fulcoius, annuente Wascelino fratre suo, Sancto Ebrulfo ecclesiam concessit et omnes consuetudines ad ipsam ecclesiam pertinentes, et in eadem villa terram unius aratri et decimam carrucae suae et duarum possessiones domorum et unum molendinum, quod Tollens-Viam nuncupabatur. Archidiaconatum quoque, quem in feudo ab antecessoribus suis de archiepiscopo Rothomagensi tenebat, monachis dedit, et dominatum omnium hospitum, qui Parnis degebant, ita monachis concessit ut, si eisdem forisfacerent, non eos per domos eorum sed per alium fiscum castigaret. Parnenses autem exsultabant eo quod monachis subderentur, sperantes ut eorum patrocinio contra collimitaneos Normannos tutarentur, quorum infestationibus frequenter vexabantur. Succedenti quoque tempore, dum Goisbertus medicus haberet prioratum, Fulcoius ut nova basilica inchoaretur, totum dedit coemeterium. Tunc fundamentum novi operis incoeptum est, quod opus plurimis impedimentis per XXXIV annos incumbentibus, nondum consummatum est. Praefatus enim miles erat fortis et magnanimus et ad omnia quae cupiebat fervidus, ad iram velox et in militaribus exercitiis ferox. Promptus erat aliena procaciter rapere et sua imprudenter distrahere, ut mereretur frivolam dapsilitatis laudem habere. Hic habuit conjugem nomine Itam, filiam Heremari de Pontesia, quae peperit ei Walterium et Mainerium, Hugonem et Gervasium, Hermarum et Fulcoium, et filiam nomine Luxoviam. Mainerius et Fulcoius a pueritia monachili norma constricti sunt; alii vero quatuor militari licentia perfuncti sunt. Fulcoius monachus, quia, sicut jam dixi, moribus instabilis erat, aliquando multum diligebat, et contra omnes adversantes obnixe muniebat, nonnunquam vero ipse graviter opprimebat. Parnis senex Rogerius et Goisbertus medicus, Rodbertus Calvus et Haimericus, Joannes et Isembardus, aliique plures in monachatu Deo famulati sunt; ex quibus Bernardus, cognomento Michael, et Rainaldus, Theodoricus et Walterius Calvus, et Willelmus Cadomensis, qui Alexander est cognominatus, in magna religione vixerunt, ibique finem vitae sortiti venerabiliter tumulati sunt. Haec omnia quae Fulcoius dederat, monachis concessit Rodbertus Eloquens de Calvimonte, qui capitalis dominus erat. Non multo post idem, dum praedam de terra Sancti Audoeni violenter educeret, de equo armatus cecidit, galeaque humo fixa, colloque fracto miserabiliter obiit; cujus cadaver apud Alliarias Mainerius abbas in capitulo Flaviacensium fratrum ibidem degentium sepelivit. Tunc filii ejus Otmundus de Calvimonte et Wazso de Pexeio et Rotbertus Belvacensis concesserunt Sancto Ebrulfo omnia quae supra retulimus data esse ab antecessoribus eorum vel concessa. |
Pendant ces préparatifs, Osbern, abbé d'Ouche, mourut comme nous l'avons dit; les religieux prièrent le duc de lui donner un successeur avant son départ. Le prince réunit un conseil général de tous les grands à Bonneville92; ensuite, sur l'avis de l'évêque Hugues et d'autres sages personnages, il choisit le prieur Mainier, lui remit avec le bâton pastoral le soin des affaires temporelles, et prescrivit à Hugues d'ajouter ce qui était de sa compétence, en ce qui concernait les soins spirituels: ce dont il s'acquitta volontiers. Le même jour, le duc ordonna au seigneur Lanfranc, prieur du Bec, de venir le trouver: il lui confia l'abbaye qu'il avait fondée à Caen, en l'honneur de saint Etienne, premier martyr. Ainsi Lanfranc devint le premier abbé de Caen; mais, peu de temps après, il fut élevé au siége archiépiscopal de Cantorbéry. Il était né Lombard, profondément instruit dans les arts libéraux, doué de bienveillance, de générosité, et de toutes sortes de vertus, sans cesse appliqué à faire l'aumône et à se livrer aux bonnes études. Du jour où il reçut à Bonneville, comme nous l'avons dit, le gouvernement de l'église, il se distingua noblement en servant les fidèles dans la maison de Dieu, durant vingt-deux ans et neuf mois. Le vénérable Hugues, évêque de Lisieux, conduisit à Ouche, par l'ordre du duc, le magnanime client de Dieu Mainier, qu'il bénit selon les statuts des canons devant l'autel de l'apôtre saint Pierre, le 17 des calendes d'août (16 juillet). Mainier ayant pris le nom et la charge d'abbé, mérita des éloges tant qu'il vécut, gouverna la maison avec utilité pendant vingt-deux ans et sept mois, et, avec l'aide de Dieu, fit beaucoup de travaux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, pour le monastère qui était confié à ses soins. Il parvint par sa douceur, son adresse et ses bonnes raisons, à calmer les moines qui avaient été un peu agités lors de son élection. En effet, ils avaient élu pour les gouverner deux moines distingués par leur religion, et par l'une et l'autre science, Rainauld de La Roche et Foulques de Warlenville, et c'est ce qui les avait fortement éloignés de l'abbé qui, sans leur consentement, leur était imposé par l'évêque et leurs voisins. Souvent, dans de telles affaires, ce sont les plus méchans qui font naître les troubles; car, pendant que les pervers s'efforcent avec violence de faire prévaloir leur opinion, la régularité de l'ordre et les bons avis sont rarement écoutés. Mais le Dieu tout-puissant protège fortement son Eglise dans toutes ses adversités, corrige ceux qui sont dans l'erreur et prodigue avec clémence les consolations nécessaires, comme il veut et par qui il le veut. En effet, ce fut sa providence, comme on le vit ensuite évidemment, qui porta Mainier au gouvernement du couvent d'Ouche, qui était placé dans un territoire stérile au milieu de voisins scélérats. Mainier était né dans le château voisin qu'on appelle Echaufour; il était très-savant en grammaire, en dialectique et en rhétorique, adroit et sévère pour extirper les vices, ardent à communiquer et à prescrire les vertus à ses frères. Observateur assidu de la règle monastique, il enseignait à ceux qui lui étaient confiés la voie de la vie, par ses paroles et par ses œuvres; il excita vivement beaucoup de personnes à travailler dans la vigne du seigneur des armées, fut le premier au travail, et toujours le compagnon plein de sollicitude de ses collaborateurs. Mainier commença la nouvelle église en l'honneur de Marie, mère du Seigneur, de l'apôtre saint Pierre, et du saint confesseur Evroul: on y voit sept autels consacrés à la divine majesté, en l'honneur des saints. L'ancienne église qu'Evroul avait construite en l'honneur du prince des Apôtres, dans le temps où le sceptre des Français fut aux mains de Chilpéric et de son neveu Childebert, avait été en grande partie détruite par le temps; et elle ne suffisait plus à la réunion des moines qui s'augmentait journellement. Un édifice en pierre est un travail fort difficile à Ouche, parce que la carrière de Merlerault, d'où on transporte la pierre de taille, en est éloignée de six milles. C'était donc pour les chefs de l'entreprise une très-grande difficulté que de réunir les chevaux, les bœufs et les charrettes pour le transport de tant de pierres, et des autres matériaux nécessaires à un si grand ouvrage. L'abbé dont il est question, pendant tout le temps de son gouvernement, n'eut pas un moment de repos; par sa constante sollicitude pour toutes choses, il rendit beaucoup de services à ses subordonnés et à la postérité. Avec l'aide de Dieu, et avec les secours et les largesses de ses frères et de ses amis, il termina une église belle et vaste, propre à célébrer fort à l'aise le service de Dieu, un cloître et un chapitre, un dortoir et un réfectoire, une cuisine et un cellier, et les autres pièces nécessaires à l'usage des moines. L'archevêque Lanfranc, assistant à la dédicace de l'église de Caen, douze ans après la guerre d'Angleterre, remit à l'abbé Mainier quarante-quatre livres de monnaie anglaise et deux marcs d'or; il lui envoya ensuite de Cantorbéry quarante livres sterlings, par Roger du Sap, dont il connaissait la science, et qui était son ami. Ce fut avec ces dons que l'on éleva la tour, et que l'on construisit le dortoir des moines. La reine Mathilde donna une précieuse mitre et une chape pour le service de Dieu, et cent livres rouennaises pour faire un réfectoire. Guillaume de Ros, clerc de Bayeux, qui y jouissait d'un triple honneur (car il était chantre, doyen et archidiacre), donna quarante livres sterlings aux moines d'Ouche: quelque temps après, ayant quitté librement les pompes du siècle, cet ecclésiastique se fit moine à Caen, et, avant d'avoir passé un an dans la vie monastique, il fut choisi pour gouverner le monastère de Fécamp. Son nom est inscrit dans notre registre général, à cause des bienfaits dont nous lui sommes redevables. Aussi a-t-on alloué en sa faveur, comme pour un moine profès, des messes, des oraisons et des aumônes. C'est ainsi qu'avec les dons de plusieurs personnes, s'éleva la construction de la nouvelle église, et que le travail commencé, tant de cet édifice que des autres bâtimens, se termina honorablement du temps du gouvernement de l'abbé Mainier. Quatre-vingt-dix moines de diverses qualités et conditions, dont les noms sont inscrits dans le volume de la description générale, quittèrent l'habit séculier dans l'église d'Ouche, et se déterminèrent à marcher, par les pénibles sentiers du salut, dans la voie et selon l'exemple des hommes de bien. Quelques-uns, du vivant de ce père, obtinrent le prix de leur bonne vie; d'autres restèrent long-temps dans la bonne voie, supportèrent virilement les longues fatigues de l'église militante, et s'appliquèrent à plaire à Dieu par la dévotion, et à servir les hommes par l'exemple des saintes œuvres. Quelques seigneurs d'une haute noblesse accordèrent des secours au monastère, et obtinrent de leurs parens, de leurs amis et de leurs connaissances, des dîmes, des églises, et des ornemens ecclésiastiques pour le service des frères. Je ne saurais décrire entièrement tous les dons que chacun fit à cette maison; cependant je desire, aidé par Dieu, en faire connaître quelques-uns à la postérité, pour l'avantage général et autant que j'aurai le pouvoir de le faire Le premier des moines, Roger de Haute-Rive, se rendit dans le Vexin, par l'ordre de l'abbé Mainier, et s'y mit en possession d'Heudricourt que, comme nous l'avons dit, Richard avait donné à Saint-Evroul; il trouva cette terre inculte et privée presque entièrement de cultivateurs. Il commença par y construire un oratoire avec des branchages, en l'honneur de saint Nicolas, évêque de Myre: c'est pour cela que le village qui y est établi, est encore appelé par les habitans la chapelle Saint-Nicolas. Il arriva souvent, ainsi qu'il avait coutume de nous le dire lui-même, que pendant les nuits, lorsqu'il chantait matines dans cette chapelle de rameaux, un loup s'établissait en dehors, et par ses hurlemens répondait aux psalmodies. Cet homme vénérable, secondé par la puissance divine, s'attacha par les nœuds de l'amitié l'échanson Herbert, qui après la mort de Herbert son cousin (lequel était frère de Richard dont nous venons de parler) céda à Saint-Evroul la moitié du revenu de son fief. Roger, travaillant avec le secours de ce patron bienveillant, cultiva ce lieu qui depuis long-temps était désert, à cause de la guerre et des autres calamités. Roger du Sap, qui lui succéda au bout de quelques années, commença à bâtir une église en pierre. Le chevalier Herbert avait beaucoup de pouvoir dans tout le Vexin. Entouré d'un nombreux cortége de fils, de parens puissans et d'alliés très-opulens d'ailleurs, il s'élevait au dessus de presque tous ses voisins. Sa femme nommée Hollande, fille d'Odon de Chaumont, lui donna Godefroi et Pierre, Jean et Guallon, et plusieurs filles qui eurent une grande postérité. Le père et les frères dont nous venons de parler furent des chevaliers d'un grand mérite, et, autant du moins qu'il le parut à l'extérieur, fort religieux, et probes envers Dieu et les hommes. Roilande fut toute sa vie douée d'une honnêteté parfaite: elle survit encore aujourd'hui à son mari et à ses enfans, depuis long-temps enlevés au monde. Ce fut par leur bienveillance et leur protection que la chapelle Saint-Nicolas fut bâtie et rendue jusqu'à ce jour propre à l'habitation des moines, qui vivent régulièrement et chérissent la paix. A cette même époque, Foulques, fils de Radulphe de Chaudri, aima beaucoup le vénérable Roger, à cause des bonnes qualités qui le distinguaient. Il lui présenta son fils pour le tenir sur les fonds de baptême: ce qu'il fit avec beaucoup de plaisir. Comme leur connaissance et leur amitié s'accrurent peu à peu, Foulques donna à son compère l'église de Saint-Martin de Parnes93, dans laquelle se réunissaient aux jours prescrits les fidèles de sept villages voisins, pour rendre leurs vœux au Seigneur, et pour entendre, comme il convient, les louanges et les préceptes de Dieu. Il manda l'abbé Mainier. Quand ce père fut arrivé à Parnes, Foulques, du consentement de son frère Guasselin, donna à Saint-Evroul l'église, toutes les redevances auxquelles elle avait droit, dans le même lieu une terre d'une charrue, la dîme de sa charrue, la propriété de deux maisons, et un moulin nommé BarreChemin, de plus l'archidiaconat qu'il tenait de ses prédécesseurs auxquels l'avait cédé l'archevêque de Rouen, et la seigneurie sur tous les hôtes qui résidaient à Parnes, à la condition que s'ils forfaisaient au couvent, il ne les punît pas à leur domicile, mais partout ailleurs. Les habitans de Parnes se félicitaient beaucoup d'être soumis aux moines, espérant qu'avec leur protection, ils seraient mis à l'abri des insultes des Normands de leur voisinage, dont les vexations étaient fréquentes. Par la suite, sous le prieuré de Goisbert le médecin, Foulques fit don de tout le cimetière, pour commencer la nouvelle église. Alors on jeta les fondemens de l'édifice, qu'une succession d'obstacles pendant trente-quatre ans, n'a pas encore permis de terminer. Ce chevalier était courageux et magnanime, et très-ardent dans toutes ses entreprises; prompt à s'enflammer de colère, et terrible les armes à la main; disposé à ravir audacieusement le bien d'autrui, comme à prodiguer imprudemment le sien, afin de mériter le frivole éloge de magnifique. Il prit pour femme Ita, fille de Hérémard de Pontoise, de laquelle il eut Gauthier, Mainier, Hugues, Gervais, Hérémard et Foulques, ainsi qu'une fille nommée Luxovie. Dès leur enfance, Mainier et Foulques furent liés par la règle monacale; les quatre autres suivirent la carrière des armes. Foulques, dont j'ai déjà peint le caractère inconstant, aimait beaucoup les moines et les défendait courageusement contre leurs ennemis, et quelquefois aussi il les vexait cruellement. A Parnes, le vieux Roger et Goisbert le médecin, Robert-le-Chauve et Haimeric, Jean et Isambert, et plusieurs autres servirent Dieu dans la vie monastique.. Quelques-uns d'eux, tels que Bernard surnommé Michel, Rainauld, Théoderic, Gaultier-le-Chauve et Guillaume de Caen, qui fut surnommé Alexandre, vécurent dans une grande religion, et ayant terminé leur carrière y furent inhumés avec respect. Tout ce que Foulques avait donné aux moines leur fut confirmé par Robert l'Eloquent de Chaumont, qui était le seigneur principal. Peu de temps après, comme il enlevait avec violence le butin qu'il avait fait sur la terre de Saint-Ouen, il tomba de cheval tout armé; son casque entra en terre, il se rompit le cou et mourut misérablement. Son corps fut enseveli près d'Allières par l'abbé Mainier, dans le chapitre des frères de Flavigni, qui y demeuraient. Alors ses fils, Otmond de Chaumont, Guazon de Poix94, et Robert de Beauvais confirmèrent à Saint-Evroul tout ce qui avait été donné ou concédé par leurs prédécesseurs, ainsi que nous l'avons rapporté.
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XIX. De beato Judoco, filio Juthail, Britonum regis. Ecclesia itaque de Parnis Uticensibus monachis commissa est, quae in honore S. Martini Turonensis metropolitae antiquitus constructa est, ubi corpus sancti Judoci confessoris Christi jamdiu reverenter servatum est. Quis vel unde fuerit iste, breviter inseram huic relationi nostrae, veraciter hauriendo quaedam de volumine scripto de sancta ejus conversatione. Beatus Judocus, Juthail regis Britonum filius, et frater Judicail regis, dum ad regnum petebatur, relictis litteris quas apud Lanmailmon discebat, cum XI peregrinis Romam euntibus peregre profectus est. Haimo autem Pontivi dux obiter eum, quem nobilem noverat, detinuit, sibique capellanum presbyterum ordinari fecit. Post annos vero septem Judocus in eremo Braic ad rivum Alteiae octo annis Deo servivit, ubi aves diversi generis et pisciculos manu sua velut mansueta pecora pascebat. Pro uno pane, quem solum habuerat, et quatuor pauperibus, murmurante Vulmaro ministro ejus, diviserat, quatuor naviculas copia cibi et potus onustas per Alteiae rivos tractas a Deo recepit. Deinde Runiaco super flumen Quantiam oratorium sancto Martino construxit, ibique XIV annis habitavit. Aquila XI gallinas ei rapuit; denique cum gallum rapuisset, vir Dei signum crucis cum prece dedit. Mox aquila rediit, gallum incolumem exposuit, et continuo exspiravit. Quondam dum Judocus cum duce Haimone in densa silva habitationem sibi congruam quaereret, et dux venatu fessus, nimiaque siti aestuans dormiret, vir Dei baculum quo utebatur humi defixit, et precibus ad Deum fusis, fontem eduxit. Quem aegri illuc venientes venerantur, et inde bibentes cito sanantur. Servus Dei duo manibus suis in silva ex lignis oratorio construxit. Unum eorum fecit Petro coeli clavigero, et aliud magnilogo Paulo. Postea Romam perrexit, et inde multas sanctorum reliquias detulit. Juliula puella a nativitate caeca per visum monita est ut faciem suam ex aqua unde Judocus manus suas ablueret, lavaret. Quod ut fecit, visum recepit. Hoc dum vir Dei Roma rediret actum est, et crux lignea ibi posita est; unde locus ipse Crux dictus est. Interea, dum Judocus Romam perrexisset, Haimo dux lapideam in eremo ecclesiam construxit. quam post reditum hominis Dei in honore beati Martini dedicari fecit, et pro dote quamdam villam proprietatis suae cum omnibus appendiciis ad eam pertinentibus dedit. Ibi fidelis athleta Dei Judocus diu Deo militavit, et sanctae vitae cursu feliciter consummato, Idus Decembris ad Christum migravit. Duo nepotes ejus, Winnochus et Arnochus, ibidem ei successerunt, et sanctum corpus, quod diu incorruptum mansit, frequenter aqua lavare et condire consueverunt. Drochtricus dux Haimonis successor hoc audivit, sed credere dubitavit. Hoc igitur procaciter explorare volens, vi sacrum sepulcrum aperiri fecit, et intus irreverenter intuitus et mox exterritus ait: « Ah! sancte Judoce! » Statim surdus et mutus factus est, et usque ad mortem omni corpore debilitatus est. Uxor autem ejus infortunio viri territa ad Deum ingemuit, et pro salvatione animae duas villas Crispiniacum et Netrevillam sancto Judoco dedit. Haec itaque tempore Dagoberti filii Lotharii Magni, regis Francorum, gesta sunt. Floriacensis Isembardus Herboldo abbati, instigante Adelelmo monacho, describit quod anno ab Incarnatione Domini 977, tempore Lotharii filii Ludovici regis Francorum, corpus sancti Judoci sic inventum sit. Rusticus quidam nomine Stephanus, qui ex officio molendini victum quaeritabat, in somnis a quodam clari habitus viro admonitus, ad locum sancti Judoci venit, et, relicta uxore cum filiis, clericus factus est. Corpus vero sancti Judoci, quod tunc a cunctis mortalibus ubi esset ignorabatur, ut per visum instigatus fuerat, intra ecclesiam quaerere coepit, et insinuante Pridiano Sigemano, ad dexteram altaris S. Martini sarcophagum invenit. Cunctis inde gaudentibus et Deo laudes canentibus, defossum est cum sancto corpore mausoleum et a terra sublatum. Hoc fama passim divulgat, copiosa plebs undique properat ut sancti corporis levationem videat, et ei vota cum muneribus offerat. Multa ibidem facta sunt miracula, et multarum curata sunt infirmitatum genera. Tandem VIII Kal. Augusti corpus sancti Judoci veneranter positum est super altare Sancti Martini. Ipso anno ibidem monasterium a fundamentis coeptum est, et monasticus ordo reparari coeptus est, et reverendus abbas Sigebrandus constitutus est. Quadam nocte, dum corpus S. Judoci servaretur in ecclesia S. Petri, VII cerei ante reliquias erant, quorum unus tantum ab aedituo incensus erat; reliqui vero sex, custodibus dormientibus, coelitus accensi sunt. Sic alia vice in ecclesia sua corpus S. Judoci erat; praesente Sigemano lumen, quod vi ventorum et inundatione pluviarum exstinctum erat, divinitus illuminatum est. Dominico, dum Pridianus missam solemniter celebrabat, quidam vassus Hilduini comitis nomine Guarembertus mala voluntate plenus erat, cupiens de rebus sancti quae vellet violenter auferre, et, Sigemano depulso, alterum suis moribus consentientem subrogare. Cum ergo in Evangelio legitur: Utquid cogitatis mala in cordibus vestris (Matth. IX, 4) coepit miser alte vociferari, invisibiliter percussus; tertio vexatus, divinitus tandem impulsus corruit, et sanguinis coagulum ab ore evomuit. Post missam, jussu Sigemani aeditui foras asportatus est, et in crastinum meritis sancti Judoci sanam mentem recepit. Hoc tempore Hugonis Magni contigit. Eadem die, Ostrehildis mulier quaedam egredi post missam de basilica conabatur, sed ita in limine januae pedum ejus plantae haeserunt ut nullatenus a quoquam divelli posset, et nil mali, nisi quod a genibus usque plantam pedis nimium frigus sentiebat. In crastino se Deo et sancto Judoco ancillam devovit, statimque sanata pie vota complevit. A veracibus viris Adelelmo et Richerio monacho narratur quod, dum a Stephano reliquiae sancti Judoci pro constructione basilicae ad monasterium S. Richarii deferrentur, inclyta Bertsendis jam nubilis filia Alsindis passione renum usque ad pedes per biennium est praegravata, ita ut nusquam ire nec etiam movere sine bajulo sese posset. Fusa vero prece cum fide a matre et filia ante reliquias sancti confessoris, aegra sanata est, et mater, visa filiae sospitate, admodum gavisa est et pallium pretiosum veloci archiatro largita est. Rodbertus quidam, dum meridie solus iter faceret, viso spiritu erroris in specie hominis penitus caecatus est. Qui post longum tempus sanctum Judocum expetiit, et se coram Widone abbate servum contradidit; inundante ab oculis ejus sanguine ipso die lumen recepit, et ad vesperas monachos in scamnis residentes se vidisse palam asseruit. Gunzso Lothariensis presbyter per VII ferre annos dira manuum et pedum infirmitate debilitatus est; quem in visu quidam Judocum medicum in Pontivo requirere monuit. Ille vero confestim jussis paruit. Dominico, hora fere tertia, basilicam intravit, prostratus oravit, pavimentum lacrymis humectavit, et peractis precibus incolumis surrexit. Deinde gaudens mox missam cecinit, et populo salvationis suae seriem cum gratiarum actione veraciter retulit. Lothariensis Wandelmarus dextrum oculum infirmitate amisit, et amicorum persuasu beatum Judocum adire decrevit. Sed recti callis ignarus, forte cum socio ad fontem devenit quem Judocus adhuc vivens meritis suis produxit. Wandelmarus itaque fontem limpidissimum vidit, socium detinuit, ibi resedit, manus faciemque de fontis aqua abluit, et subito lumen amissum recepit. Sanatus deinde ad monasterium gaudenter perrexit, et, gaudentibus amicis, Deo gratias egit. Duo daemoniaci nomine Maginardi ad tumbam sancti Judoci mundati sunt, et diu postea sani in saeculo vixerunt. Sieburgis, uxor Bertranni clarissimi viri, per X continuos menses fluxum sanguinis e naribus patiebatur; quae ab amicis, ut sanaretur, ad aedem Sancti Judoci perducta est. Ibi oravit, sed non statim sanata est, ideoque basilicam egressa, multas querelas locuta est. Denique dum ad sua cum rancore animi repedaret, et crucem quae in via posita est pertransisset, mox sanguis e naribus fluere cessavit. Protinus illa gaudens retrogrado pede ad monasterium sancti viri regressa est, et, peractis gratiarum actionibus, plene sanata est. Rodbertus Tarwanensis, dum meridie solus in aestate agri sui operam reviseret, subito a daemone arreptus est, et in tantum vexatus ut pene incessanter homines devorare et quaeque perfringere ab hoste stimularetur. Tres itaque fratres sui, jejunio quatuor temporum in Junio, ad tumbam sancti Judoci vinctum perduxerunt, ibique a quarta feria usque ad Sabbatum permanserunt. Exinde quietius se coepit aeger habere, et integra recepta sospitate, perpetualiter in servum sancto Judoco tradidit se. Hoc eodem rogante, in festivitate Sancti Joannis Baptistae, Wido abbas ambonem ascendens populo narravit, ipsumque praesentem et casus suos palam protestantem ostendit. Quidam perfectae aetatis per VII annos ita surdus mansit ut nihil penitus audiret. Hunc uxor ejus ad tumbam sancti viri adduxit, ibique aliquantum oravit. Deinde mulier, jubente Pridiano, virum ad fontem Sancti Judoci perduxit, et ter caput ejus propriis manibus ex aqua fontis perfudit. Mox auditum recuperavit, ac ad ecclesiam regressus, missam, quam per VII annos non audierat, audivit. Haec omnia Floriacensis Isembardus gesta temporibus Hugonis Magni seu Rodberti regis, Adelelmo rogitante, descripsit; sed postea beatus Judocus multa petentibus magnalia, quamvis per incuriam scripta non sint, agere non destitit. Mutatis regni principibus, et sese proceribus mutuo perturbantibus, iterum corpus sancti Judoci pro timore hostium terra coopertum est, et tandiu ita jacuit, donec omnibus mortuis qui abdiderant, communis ignorantia involverit. Tempore Henrici regis Francorum, monachis saepe conquerentibus quod ignorarent ubi patronus eorum requiesceret Judocus, cuidam simplici laico divinitus sanctum corpus insinuatur; quo detegente, abbatis fratrumque studio solemniter levatur. Deinde monachi repertorem reliquiarum ad monachatum susceperunt, et custodem sacri fomitis eumdem constituerunt, et oblationes fidelium ei commiserunt. Defuncto autem abbate, successor ejus non, ut decuit, aedituum dilexit, nec ut antecessor ejus eum amicabiliter tractavit. Unde graviter commotus sanctum corpus noctu assumpsit, secumque in Galliam asportavit. Goisfredus autem Gomercii municeps eumdem, cum thesauro quem ferebat, honorifice detinuit, et magistratum castellanae ecclesiae, ubi quatuor erant canonici, usque ad mortem ei concessit. Post aliquod tempus, Henricus rex Francorum, ortis quibusdam bellorum tumultibus, Gomercium obsedit, et viribus Gallici exercitus Goisfredum expugnavit et oppidum incendit. Dum vero basilicam et castri aedificia edax flamma consumeret, et terribilis clamor impugnantium et expugnatorum, ut in talibus moris est, undique personaret, canonicus quidam ossa sancti Judoci de feretro sustulit, et festinanter de incendio aufugit. Huic forte satelles regius super pontem obviavit, suffasciatum quid ferret interrogavit, fatenti quod sacra vestimenta, codicesque suos gereret, cuncta violenter abstulit, et secum ad Parnense territorium hujusmodi thesaurum detulit. Idem vir Rodbertus vocabatur, et Meslebren, id est miscens furfurem cognominabatur, eratque de clientibus Radulfi de Caldreio, qui tunc temporis inter praecipuos milites habebatur in exercitu Gallico. Miles itaque praefatus tali praeda valde gavisus est, et in ecclesia Sancti Martini a presbytero et parochianis studiose collocatum est, jamque ibidem plus quam LXX annis venerabiliter servatum est. Innumera inibi super infirmos miracula facta sunt, et usque hodie, promerente petentium fide, ut tota vicinitas attestatur, frequenter fiunt. De translatione sacri corporis, quam breviter hic modo tetigimus, et de plurimis quae Parnis provenerunt infirmorum sanitatibus, Merulensis Willelmus venerabilis monachus et sacerdos egregium dictamen edidit, in quo veraciter et luculenter de miris eventibus ad sacra ossa gestis disseruit. Philippus rex Francorum biennio frebricitavit, nec ulla medicorum arte sanari potuit. Unde post biennium Parnas venit, aquam tactu reliquiarum sancti Judoci sanctificatam bibit, et binis noctibus ante sanctum corpus in orationibus pernoctavit, ibique sanitatem, dolore cessante, recuperavit. Sanatus autem rex L solidos Pontesiensium sancto Judoco obtulit, et nundinas feria tertia Pentecostes celebrari singulis annis ibidem in honore sancti Judoci annuit, et regalis auctoritatis praeceptione constituit. Praeterea meritis sancti Judoci multa Parnis miracula facta sunt, quotidieque fiunt; quorum nonnulla scripta sunt, et plura per incuriam scientium seu per imperitiam videntium vel expertorum silentio occultata sunt. Nos autem, quamvis alia referre festinaremus, pauca de te, sancte Judoce, libenter perstrinximus, et charismata tibi coelitus data huic opusculo inseruimus, et pro modulo parvitatis nostrae devote attollimus. Oramus itaque, gloriose fili regis Britonum et consors angelorum, ut nos Deo commendes tuorum efficacia meritorum, obtineasque nobis societatem sanctorum, cum quibus contemplantes in decore suo Creatorem cunctorum, laeti collaudemus per omnia saecula saeculorum. Amen.
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C'est ainsi que l'église de Parnes fut accordée aux moines d'Ouche: cette église fut bâtie anciennement en l'honneur de Saint-Martin, archevêque de Tours: on y conserve avec respect depuis long-temps le corps de saint Josse, confesseur du Christ. Je dirai en peu de mots quel était ce saint, et d'où il était originaire; je puiserai avec véracité quelques détails dans un volume écrit sur sa sainte vie. Le bienheureux Josse était fils de Judicael, roi des Bretons, et frère d'un autre Judicael, roi aussi. Pendant qu'on le cherchait pour lui confier le trône, il se rendit en pélerinage à Rome avec onze autres pélerins, après avoir abandonné les études qu'il faisait au couvent de Lanmelmon. Haimon, duc de Ponthieu, l'ayant reconnu pour un noble personnage, le retint à son passage, et le fit ordonner prêtre chapelain. Sept ans après, Josse servit Dieu dans l'ermitage de Braïc, sur la rivière d'Autie95, où il vivait d'oiseaux de différentes espèces, et de petits poissons qu'il prenait à la main, comme des animaux privés. N'ayant qu'un seul pain, qu'il allait diviser à quatre pauvres, malgré les murmures de son disciple Ouimare, il reçut de Dieu, par la rivière d'Autie, quatre petites barques chargées de provisions de toute espèce. Ensuite il bâtit un oratoire en l'honneur de saint Martin à lluniac, sur la rivière de Canche96, et s'y fixa pendant quatorze ans. Un jour qu'un aigle avait enlevé onze poules, et finit par emporter le coq lui-même, l'homme de Dieu se mit en prières, et fit un signe de croix: aussitôt l'aigle revint, rendit le coq sain et sauf et mourut aussitôt. Un jour que Josse se trouvant avec le duc Haimon cherchait dans une épaisse forêt une habitation qui lui convînt, le duc, fatigué par la chasse et par la soif, s'endormit: l'homme de Dieu enfonça en terre le bâton dont il se servait, fit sa prière à Dieu, et une fontaine jaillit aussitôt. Les malades y viennent avec vénération, et dès qu'ils y ont bu, ils sont soudain guéris. Le serviteur de Dieu construisit de ses propres mains dans la forêt, deux oratoires en bois; il dédia l'un à Pierre, le porte-clef des cieux, et l'autre à l'éloquent Paul. De là il partit pour Rome, et en apporta beaucoup de reliques de saints. La jeune Juliule, aveugle de naissance, fut avertie dans une vision qu'elle devait se laver la figure avec l'eau dans laquelle Josse lavait ses mains. Dès qu'elle l'eut fait elle recouvra la vue. Cet événement se passa au retour de l'homme de Dieu, et l'on éleva une croix de bois en ce lieu, qui de là fut appelé La Croix. Cependant, lorsque Josse était en route pour Rome, le duc Haimon fit construire dans l'ermitage une église en pierre, qu'à l'arrivée de l'homme de Dieu il fit dédier en l'honneur de saint Martin. Il donna en outre pour doter cette église une ferme de ses propriétés, avec tous les accessoires qui en dépendaient. C'est là que Josse, ce fidèle athlète de Dieu, combattit long-temps pour le ciel, et, terminant heureusement le cours de sa sainte vie, se rendit auprès du Christ, le jour des ides de décembre (13 décembre). Ses deux neveux Winoch et Arnoch lui succédèrent en ce lieu, et prirent l'habitude de laver et de nettoyer le saint corps, qui resta long-temps sans se corrompre. Drochtric, successeur d'Haimon, ayant connu ce miracle, hésita à le croire. Voulant dans son audace s'en assurer, il fit ouvrir le saint tombeau de vive force, et y ayant porté ses regards insolens, il s'écria saisi d'effroi: «Ah! saint Josse!» Aussitôt il devint sourd et muet, et,.jusqu'à sa mort, il éprouva une grande faiblesse dans toutes les parties de son corps. La femme de ce duc, effrayée du malheur de son mari, éleva ses gémissemens vers Dieu, et, pour le salut de son ame, donna à saint Josse les deux villages de Crespiniac et de Nétreville97. Ces événemens se passèrent du temps de Dagobert, fils de Clotaire-le-Grand, roi des Francs. Isembard de Fleuri, à la demande de l'abbé Herbald, écrivit au moine Adelelme que le corps de saint Josse fut découvert de la manière que voici, l'an de l'Incarnation du Seigneur 977, sous Lothaire, fils de Louis, roi des Français. Un certain paysan nommé Etienne, qui gagnait sa vie à travailler dans un moulin, averti en songe par un certain homme dont les habits étaient éclatans, alla au lieu où était le saint, et, abandonnant sa femme et ses enfans, il se fit clerc. Conformément aux avertissemens de sa vision, il se mit à chercher dans l'intérieur de l'église, et, de l'avis de Pridien Sigenaire, il découvrit le tombeau à la droite de l'autel Saint-Martin, et trouva le corps de saint Josse, dont tous les mortels avaient jusqu'alors ignoré l'emplacement. Chacun s'étant réjoui de cet événement et chantant les louanges de Dieu, on déterra le mausolée avec le saint corps. La renommée fit connaître partout cette découverte: une grande multitude de peuple accourut de toutes parts pour voir lever le corps, et lui offrit des vœux et des présens. Il s'opéra là beaucoup de miracles, et un grand nombre de maladies différentes y trouvèrent leur guérison. Enfin, le huit des calendes d'août (25 juillet), le corps de saint Josse fut déposé avec vénération sur l'autel de Saint-Martin. Isembard de Fleuri écrivit toutes ces choses à la prière d'Adelelme, comme s'étant passées dans les temps de Hugues-le-Grand ou du roi Robert; depuis cette époque, le bienheureux Josse n'a cessé d'opérer beaucoup de miracles en faveur de ceux qui l'implorent, quoique par négligence on n'en ait pas écrit les détails. Cette même année on commença en ce lieu à jeter les fondemens d'un monastère; on entreprit d'y rétablir la règle monastique, et l'on y nomma le révérend abbé Sigebrond. Une certaine nuit, comme le corps de saint Josse était conservé dans l'église de Saint-Pierre, devant ses reliques, il y avait sept cierges dont un seulement avait été allumé par le sacristain; les six autres le furent, pendant le sommeil des gardiens, par une puissance surnaturelle. C'est ainsi que, pour la seconde fois, le corps de saint Josse se trouvait dans sa propre église: en présence de Sigenaire, un cierge, que la force des vents et la violence de la pluie avaient éteint, fut rallumé par la puissance de Dieu. Un dimanche, pendant que Pridien célébrait solennellement la messe, un certain vassal du comte Hilduin, nommé Garembert, était plein de mauvaise volonté, et aurait voulu enlever de force ce qui lui plaisait des biens du saint, et remplacer Sigenaire par quelqu'un avec qui il pût mieux s'entendre. Comme on lisait dans l'Evangile ces paroles: Ut quid cogitatis mala in cordibus vestris? le malheureux commença à vociférer à haute voix, frappé qu'il était par une main invisible. Tourmenté pour la troisième fois, il tomba enfin et vomit du sang caillé. Après la messe et par l'ordre du sacristain Sigenaire, Garembert fut transporté hors l'église et le lendemain, par les mérites de saint Josse, il recouvra la raison. Cet événement se passa dans le temps de Hugues-le-Grand. Le même jour, une certaine femme nommée Ostrechilde, s'efforçait de sortir de l'église après la messe; mais elle se trouvait tellement attachée sur le seuil de la porte, par la plante des pieds, que personne ne pouvait l'en arracher; elle ne ressentait aucun autre mal qu'un grand froid aux jambes, depuis les genoux jusqu'aux pieds. Le lendemain elle se voua à Dieu et à saint Josse comme leur servante, et, aussitôt guérie, elle accomplit pieusement ses vœux. Les moines Adelelme et Richer, hommes véridiques, racontent que, pendant qu'Etienne transportait, pour la construction de l'église, les reliques de saint Josse au monastère de saint Riquier, l'illustre Bertsende, fille déjà nubile d'Alsinde, souffrait depuis deux ans d'une grande douleur de reins qui se prolongeait jusques aux pieds, de manière qu'elle ne pouvait ni marcher, ni même se mouvoir sans un bâton. Ayant prié avec foi, ainsi que sa mère, devant les reliques du saint confesseur, la malade fut guérie; la mère ayant vu la guérison de sa fille se réjouit beaucoup et fit don d'un précieux manteau à son habile médecin. Un certain Robert, qui voyageait seul à midi, ayant vu sous la figure d'un homme l'esprit d'erreur, devint tout à coup complétement aveugle. S'étant rendu, long-temps après, au tombeau de saint Josse, il se fit son serviteur en présence de l'abbé Gui. Le même jour le sang s'étant mis à couler abondamment de ses yeux, il recouvra la lumière, et déclara publiquement qu'il voyait très-nettement les moines assis à vêpres sur leurs bancs. Gunzon, prêtre de Lorraine, éprouvait depuis près de sept ans une faiblesse douloureuse dans les mains et les pieds. Quelqu'un l'ayant vu, lui conseilla d'aller trouver dans le Ponthieu le médecin Josse. Il s'empressa d'obéir à cet avertissement. Il entra un dimanche vers la troisième heure dans l'église du saint; il y pria prosterné, mouilla le pavé de ses larmes, et ayant terminé ses oraisons, il se leva sain et sauf. Ensuite, plein de joie, il chanta la messe, et raconta au peuple avec vérité, et en rendant des actions de grâces, toute l'histoire de sa guérison. Le Lorrain Wandelmar perdit l'œil droit dans une maladie et résolut, d'après les conseils de ses amis, d'aller trouver le bienheureux Josse; mais, ignorant le vrai chemin, il se rendit avec son compagnon de route à la fontaine que Josse, de son vivant, avait fait naître par son mérite. Wandelmar ayant vu cette fontaine toute limpide arrêta son compagnon, s'assit, se lava les mains et la figure, et soudain recouvra l'usage de l'œil qu'il avait perdu. Guéri par ce moyen, il se rendit au monastère, rempli d'une joie que partageaient ses amis, et il y rendit grâces à Dieu. Deux démoniaques nommés Maginard furent délivrés de leur obsession sur le tombeau de saint Josse, et vécurent ensuite long-temps dans le monde, parfaitement guéris. Siéburge, femme de Bertrand, homme très-distingué, éprouvait depuis neuf mois de suite une perte de sang par le nez. Ses amis la conduisirent pour être guérie à l'église de saint Josse. Elle y pria, mais elle ne fut pas guérie aussitôt: c'est pourquoi elle sortit, en se plaignant beaucoup du saint. Comme elle se rendait chez elle, pleine de ressentiment, et qu'elle passait devant la croix qui était plantée sur le chemin, soudain le sang cessa de couler de ses narines. Aussitôt, pleine de joie, elle rétrograda, et revint au couvent du saint homme lui rendre des actions de grâces, et fut pleinement guérie. Robert de Térouenne étant vers midi, pendant l'été, seul dans son champ, pour en visiter le travail, fut soudainement saisi par le démon, et tellement tourmenté par lui, qu'il était presque sans relâche excité par cet ennemi à briser tout, et même à dévorer les hommes. Ses trois frères, ayant jeûné les quatre-temps, conduisirent au mois de juin Robert, enchaîné, au tombeau de saint Josse; ils y restèrent depuis le mercredi jusqu'au samedi. Dès ce moment, le malade commença à se trouver plus tranquille, et, ayant recouvré toute sa santé, il devint à perpétuité le serviteur du saint. A sa demande, le jour de la fête de saint Jean-Baptiste, l'abbé Gui montant dans la chaire, raconta cet événement au peuple, et montra Robert qui était présent, et qui attestait lui-même ce qui lui était arrivé. Un homme dans l'âge mûr était depuis sept ans tellement sourd, qu'il n'entendait rien du tout. Sa femme le conduisit au tombeau du saint homme, elle y pria quelque temps. Ensuite, d'après l'ordre de Pridien, elle conduisit son mari à la fontaine de Saint-Josse, et trois fois elle lui arrosa la tête de ses propres mains, avec l'eau de cette fontaine: il recouvra aussitôt l'ouïe, se rendit à l'église, et y entendit la messe qu'il n'avait pu entendre depuis sept ans. Isembard de Fleuri écrivit toutes ces choses à la prière d'Adelelme, comme s'étant passées dans les temps de Hugues-le-Grand ou du roi Robert; depuis cette époque, le bienheureux Josse n'a cessé d'opérer beaucoup de miracles en faveur de ceux qui l'implorent, quoique par négligence on n'en ait pas écrit les détails. Les princes du royaume ayant changé, et les grands seigneurs se faisant la guerre, le corps de saint Josse fut de nouveau couvert de terre, pour le soustraire aux profanations des ennemis; il resta si long-temps caché, que ceux qui l'avaient couvert étant venus à mourir, on ignora généralement ce qu'il était devenu. Du temps de Henri, roi des Français, comme les moines se plaignaient souvent de ne pas savoir où reposait le corps de Josse leur patron, une révélation divine le fit connaître à un simple laïc: il fut exhumé avec solennité par les soins de l'abbé et des frères. Ensuite les moines reçurent dans leur ordre celui qui avait découvert ces reliques, l'établirent gardien du saint tombeau, et lui confièrent les offrandes des fidèles. L'abbé étant mort, son successeur ne témoigna pas au sacristain l'amitié qu'il lui devait, et ne le traita pas aussi bien que son prédécesseur avait fait. Ce sacristain, blessé profondément, enleva de nuit le saint corps, et l'emporta avec lui en France. Cependant Geoffroi, seigneur de Commerci98, le reçut honorablement avec le trésor qu'il portait, et lui accorda jusqu'à sa mort l'église de Neuf-Château, où il y avait quatre chanoines. Quelque temps après, la guerre s'étant élevée, Henri, roi des Français, mit le siége devant Commerci, attaqua Geoffroi avec toutes les forces de l'armée française, et mit le feu à la place. Pendant que la flamme dévorante consumait l'église et les édifices, et qu'il s'élevait d'horribles cris, comme c'est l'usage de la part des assiégeans et des assiégés, un chanoine tira du cercueil les ossemens de saint Josse, et se sauva précipitamment du milieu de l'incendie. Un chevalier à la solde du roi se présenta devant le chanoine sur le pont, et lui demanda quel était le fardeau qu'il portait. Celui-ci ayant avoué qu'il était chargé de vêtemens sacrés et de livres, le soldat se saisit de tout avec violence, et emporta ce trésor avec lui sur le territoire de Parnes. Cet homme s'appelait Robert: il avait le surnom de Meslebren99, c'est-à-dire, qui fait un mélange de son: il était un des hommes de Radulphe de Chaudri, qui était alors un des premiers chevaliers de l'armée française. Le chevalier, joyeux de posséder un pareil butin, le fit placer avec soin dans l'église de Saint-Martin, par le curé et ses paroissiens. Il y a déjà plus de soixante-dix ans qu'il y est conservé respectueusement. D'innombrables miracles y ont été opérés sur les malades, et jusqu'à ce jour, quand la foi de ceux qui les réclament mérite un tel bienfait, il s'en opère encore fréquemment, ainsi que l'atteste tout le voisinage. Guillaume de Mellerault, vénérable moine et prêtre, a composé un excellent ouvrage sur la translation de ce saint corps, dont nous venons de dire quelque chose, et sur les guérisons nombreuses qu'éprouvèrent les malades à Parnes: dans ce traité véridique et éloquent, on trouve le récit de tous les événemens merveilleux qui ont eu lieu devant les saintes reliques de Josse. Philippe, roi des Français, avait la fièvre depuis deux ans, et tout l'art de la médecine échouait contre sa maladie. Au bout de ces deux ans il vint à Parnes, but de l'eau sanctifiée par l'approche des reliques du bienheureux Josse, passa deux nuits en prières devant le saint corps, et sa douleur ayant cessé il recouvra la santé. Ainsi guéri, le roi offrit à saint Josse cinquante sous de Pontoise, accorda une foire annuelle en l'honneur du saint, pour la troisième fête de la Pentecôte et confirma cet établissement par un édit de son autorité royale. Il se fit en outre beaucoup d'autres miracles à Parnes, par le mérite de saint Josse; il s'y en fait encore journellement: quelques-uns ont été écrits; mais la plupart ne sont point parvenus à notre connaissance, à cause de la négligence ou de la maladresse de ceux qui les connaissaient et qui les ont vus ou éprouvés. Quoique nous soyons pressé de rapporter d'autres choses, bienheureux Josse, nous avons dit quelques mots sur votre mérite, et publié dans cet ouvrage les grâces que le ciel vous accorda; nous vous avons dévotement exalté, autant que nous le permettent nos faibles moyens. Ainsi nous vous prions, glorieux fils du roi des Bretons et digne compagnon des anges, de nous recommander à Dieu par l'efficacité de vos mérites, d'obtenir pour nous la société des saints, avec lesquels nous puissions contempler dans sa gloire le créateur de toutes choses, et chanter glorieusement ses louanges dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il!
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(50) Castrum Sancti Serenici. (51) La Rochc d'Igé ou la Motte d'Igé (Rupes Jalgiensis), que les auteurs de la Collection des historiens de France, tom. XI, pag. 228, et XII, pag. 607, placent mal à propos près de Neuf-Châtel en Sonnois. (52)On lit ailleurs, mais mal à propos, son père. (53) Le douet de Villers-en-Ouche doit être la petite rivière de Cbarentone. (54) Aunou, surnommé le Faulcon, du nom de ce seigneur, est une commune du département de l'Orne, dans les environs d'Argentan. (55) Probablement Saint-Nicolas des Laitiers. (56) Contrée des environs de Mortagne. (57) Henri Ier mourut le 4 août 1060. (58) Conches. (59) Per tyrannidem furentis marchisi. (60) Ou Aubri. (61) Mont-Fort sur Rîle. (62) Ou Grandménil. (63) Ou Guimond. (64) Tropharium. (65) Ce fut vers la fin du VII° siècle que fut composée la première Vie connue de saint Evroul (Ebrulfus), fondateur et abbé d'Ouche (Uticum), mort en 596. Vossius croyait cette Vie du VI° sièclc: Baillet pensait qu'elle n'était que du VIII°. L'auteur était certainement moine d'Ouche. Orderic Vital l'a fait entrer dans le sixième livre de son histoire. Mabillon l'a donnée en entier, avec des notes et des additions, dans le tom. Ier de son Recueil, pag. 354 à 361. (66) C'est ainsi qu'Orderic Vital désigne les cardinaux réunis. (67) Balcherenses. Nous n'avons pu découvrir de quel monastère il s'agit ici. (68) Ambrières (département de la Mayenne), et non pas Hambières, comme on lit dans plusieurs auteurs. (69) Bourg du département du Calvados, où Stigand fonda le prieuré de Sainte-Barbe-en-Auge, dans le XIe siècle. (70) Witot. (71) Ductus Ertu. (72) Commune rurale près de Caen. (73) Guillaume Gouet. (74) Arrondissement et canton de Mortagne, département de l'Orne. (75) Voyez Giannone, Hist. de Naples, liv. X, chap. 5. (76) Le mot purpura désignait souvent une étoffe et non une couleur. (77) Normamiœ marchia. (78) Beaunai (Belnaium) dans l'arrondissement de Dieppe. (79) Serranz. (80) Caldreium. (81) Harald ou Harold, fils de Godwin. (82) Conan. (83) Westminster, monastère de l'ouest. (84 Morkar. (85) Dans le liv. IV ci-après, cette princesse est appelée Aldit, et Gritfrid, Guitfrid. (86) Ou Blidel. (87) Tostig. (88) Ou Osbert. (89) De Molbraio. (90) Beaumont-le-Roger, qui tire son surnom de ce comte. (91) Cisalpini. (92) Dans le Vexin, près du Mont-Juvoult, sur le Cudrond. (93) Bonneville sur Touque (Calvados). (94) De Pexeio. (95) Braïcum, probablement la Broie. (96) Quantia. (97) Crispiniacum; Netrevilla. (98) Gomercium. (99) Mêle-Bran. |