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 THÉOPISTE

HISTOIRE DE DIOSCORE,

PATRIARCHE D'ALEXANDRIE,

ÉCRITE PAR SON DISCIPLE THÉOPISTE,

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 


 


 

HISTOIRE DE DIOSCORE,

PATRIARCHE D'ALEXANDRIE,

ÉCRITE PAR SON DISCIPLE THÉOPISTE,

PUBLIÉE

PAR M. F. NAU.

 

 

INTRODUCTION.

 

 

I. Notice sur Dioscore et son temps. — Dioscore, hérésiarque monophysite, patriarche d'Alexandrie» succéda à S. Cyrille en 444, fut déposé au concile de Chalcédoine en 451, et mourut le 4 septembre 454. C'était l'époque des controverses autour du mystère de l'Incarnation. On n'était pas d'accord sur les idées de nature et de personne et encore moins sur la valeur des mots qui rendaient ces deux idées dans les différentes langues ; on voulait cependant appliquer ces notions philosophiques au Messie et expliquer par le menu le texte de l'Évangile : et Verbam caro factum est, et habitavit in nobis. Tous admettaient que le Messie était Dieu et homme tout ensemble, mais l'accord cessait quand on voulait appliquer à ce mystère incompréhensible les idées de nature et de personne; on peut dire en somme que les Nestoriens reconnaissaient dans le Messie deux personnes et deux natures, les monophysites, une personne et deux natures qui s'unissaient en une seule, sans mélange et sans confusion, les catholiques, une personne et deux natures. Eutychès s'en tint d'abord au concile de Nicée qui n'avait pas prévu explicitement cette controverse et refusa de professer de lui-même des nouveautés (les deux natures) qui ne figuraient pas chez les anciens pères.[1] Au premier concile d'Éphèse (431), Cyrille, patriarche d'Alexandrie, fit condamner Nestorius, patriarche de Constantinople. Au concile de Constantinople (448), Flavien, patriarche de cette ville, fit condamner l'archimandrite Eutychès. Celui-ci écrivit à Rome et demanda la révision des actes du concile. Flavien écrivit de son côté au pape S. Léon et en reçut en particulier cette célèbre lettre dogmatique : « Le tome de Léon », qui devait servir à séparer les catholiques des monophysites. L'empereur Théodose prêta plus d'attention que le pape S. Léon aux réclamations d'Eutychès, il accusa Flavien de faire des additions à la foi de Nicée et de troubler, par ces nouveautés, « toute la terre habitée[2] »; il chargea donc Dioscore, patriarche d'Alexandrie, de réunir dix de ses suffragants et dix autres évêques pieux et instruits pour réviser le procès intenté par Flavien de Constantinople à Eutychès. Au conciliabule d'Éphèse (449), Dioscore reçut Eutychès qui fit la profession de foi de Nicée pure et simple, sans lui rien ajouter,[3] il déposa André de Samosate et Théodoret de Cyr, anciens ennemis de S. Cyrille, ainsi que Flavien de Constantinople à cause de ses nouveautés qualifiées de Nestoriennes, et Ibas d'Édesse dénoncé comme Nestorien par son clergé. Ce conciliabule semblait donc dirigé uniquement contre le Nestorianisme et l'empereur lui avait donné clairement cette signification dans la lettre de convocation qu'il avait envoyée à Barsumas.[4]

Dioscore ne s'en tint pas là. Il eut l'audace de condamner « le tome de Léon » et d'excommunier le pape de Rome. S. Léon profita de l'arrivée au pouvoir de Marcien et de Pulchérie[5] pour leur demander à nouveau la convocation d'un concile en Italie. Marcien, le 17 mai 451, en convoqua un, non pas en Italie, mais à Nicée en Bithynie, pour le 1er septembre. Les légats de S. Léon dirent qu'ils n'iraient pas au concile si l'empereur, qui ne voulait pas s'éloigner de sa capitale à cause des menaces des Barbares, ne venait y assister; il écrivit donc enfin aux évêques de se rendre à Chalcédoine où ils tinrent leur première session le 8 octobre 451. Eusèbe de Dorylée, qui avait déjà accusé Eutychès au concile de Constantinople, se fit encore l'accusateur de Dioscore: « J'ai été maltraité par Dioscore, dit-il, la foi a été blessée, l'évêque Flavien a été tué, il nous a déposés ensemble injustement, faites lire ma requête ». Le patriarche d'Alexandrie tint tête à l'orage, mais il ne semble pas avoir assisté à la seconde session, le 10 octobre, et n'assista pas à la troisième, parce qu'il était gardé, dit-il, ou parce qu'il était malade; il fut déposé et exilé à Gangres, en Paphlagonie, où il mourut.

 

II. Importance de la présente histoire. — Elle contient, sous forme de panégyrique, la contrepartie des récits hostiles à Dioscore qui, seuls jusqu'ici, ont été conservés et publiés dans le monde gréco-latin; de plus, elle est la source, croyons-nous, de nombreuses publications coptes faites par MM. Zoega,[6] Revillout[7] et Amélineau.[8]

Théopiste nous raconte à sa manière les préliminaires du concile de Chalcédoine, la mort de Théodose le jeune et l'avènement de Marcien; puis la convocation du concile, le départ de Dioscore pour Constantinople, son arrivée, la première visite à l'empereur, les intrigues qui précédèrent la réunion du concile, la première session, les causes de la déposition de Dioscore, les efforts de celui-ci pour ramener certains évêques qui l'abandonnaient, en particulier Juvénal de Jérusalem, et Léontios d'Ascalon, ensuite son exil, sa vie, ses miracles et ses souffrances à Gangres où il reçut la visite de Paphnutios, supérieur des moines de Pacôme, et enfin sa mort le 4 septembre (454).

Nous sommes loin de nous porter garants de l'authenticité de bien des détails, mais ils nous font connaître l'état d'esprit des admirateurs de Dioscore, comme de nombreuses publications nous ont déjà fait connaître celui de ses adversaires. Il est difficile d'ailleurs de déterminer les sources dont l’auteur s'est servi et certaines lettres ou certains discours ont peut-être une base historique plus sérieuse qu'on ne pouvait le croire. Ainsi, nous regardions comme de pure invention deux citations que fait Dioscore à Marcien, des papes Libère et Innocent en faveur de sa doctrine (§ 7). Or la seconde de ces citations se retrouve textuellement dans une lettre d'Innocent à Sévérianus de Gabala, que le cardinal Mai a publiée d'après un texte arabe et que Migne a rééditée. Il ne s'ensuit pas nécessairement que la lettre soit authentique, mais il s'ensuit rigoureusement que Théopiste ne fabrique pas de toutes pièces les discours qu'il prête à Dioscore. De nouvelles découvertes, analogues à celle du cardinal Mai, nous le montreront peut-être encore pour d'autres citations et lettres.

 

III. Époque de sa composition. —A partir de la convocation du concile. Théopiste prétend n'avoir plus quitté Dioscore. A la mort de celui-ci, et pour éviter une arrestation, il se réfugie dans la ville de Pentapolis (la Pentapole?) et y écrit aussitôt la présente histoire (§ 20). D'ailleurs, il se met parfois en scène (§ 4 et 11), raconte, de manière assez simple, comment il reçut un soufflet de celui qui devait les conduire en exil (§ 10); comment il en fut réduit à mendier pour vivre (§ 14) et comment il opéra un miracle avec le sang de Dioscore (§ 16). Il écrit aussi : « L'archidiacre Pierre, lequel est maintenant prêtre » (§ 6); si donc on admet, comme l'a écrit M. Révillout, que l'archidiacre. Pierre est Pierre Monge,[9] le présent récit aurait été écrit avant son élection au patriarcat d'Alexandrie, c'est-à-dire avant 477· D'ailleurs plusieurs traits trahissent aussi une origine égyptienne, comme la mention de Victor, de Pétronios et de Schenoudi (§ 1 et 17), archimandrites égyptiens bien connus, de Macaire, évêque de Tkoou (§ 7, 9, 19) et du voyage de Paphnuti à Gangres (§ 14, 17, 18).

Cependant, Dioscore, dans une vision, apprend que Sévère sera patriarche d'Antioche (§ 19), ce qui place la composition de la présente rédaction après l'an 512.[10] On trouve aussi de nombreux points de contact avec les Plérophories[11] concernant Nabarnougios (Pierre l'Ibère), Juvénal, Léontios d'Ascalon, Panopropios (§ 11, 12), qui semblent trahir une origine palestinienne.

Il semblerait donc assez naturel de supposer avec Assemani[12] que le présent ouvrage est un faux littéraire rédigé de toutes pièces à une date relativement récente à l'aide de certains documents, comme le panégyrique de Macaire de Tkoou et les Plérophories.

Mais il nous semble peu probable a priori que les monophysites aient attendu longtemps pour rédiger à leur manière « les actes » de Dioscore, car ils écrivaient la vie d'hommes bien moins marquants dès leur mort et même durant leur vie.[13] D'ailleurs a posteriori nous avons signalé une mention expresse et quelques faits qui supposent une rédaction immédiate, et il est vraiment trop facile de se débarrasser de faits gênants en les traitant de faux; de plus et surtout, nous croyons pouvoir montrer que le panégyrique de Macaire de Tkoou dépend de l'histoire de Dioscore et ne peut donc être mis au nombre de ses sources.

Cependant, sans parler de la mention de Sévère d'Antioche que renferme la présente histoire, on y trouvera encore une autre trace de remaniements : .En général, les passages de l'Écriture ne dépendent pas de la Peschito et semblent traduits directement sur un texte grec, l'un deux même (§ 15; Eccl. xii, 7) n'existe pas dans la Peschito; en un endroit cependant (§ 15; I Pierre v, 3), on trouve un passage, cité d'après la Peschito, qui ne se trouve de la même manière dans aucun des textes grecs collationnés par Tischendorf et n'a donc pu être introduit que par un Syrien. Aussi regardons-nous la solution suivante comme la plus probable pour l'instant :

Peu après la mort de Dioscore, on écrivit en Egypte un certain nombre de récits en sa faveur, parmi ceux-ci pouvait se trouver un récit, écrit par Théopiste, de la réunion du concile de Chalcédoine et de l'exil à Gangres.

Après l'an 512, l'un des rhéteurs de l'école de Pierre l'Ibère reprit l'écrit de Théopiste et le compléta à l'aide de ses connaissances personnelles. Ce remaniement fut sans doute rédigé en grec, car c'était la langue de la plupart des écrivains du cercle de Pierre Tibère, comme Zacharie le scolastique, Sévère, Jean de Maiouma, et d'ailleurs le syriaque que nous publions semble être une traduction du grec.[14] Enfin ce remaniement grec fut traduit en syriaque avec quelques nouvelles modifications et constitua enfin la présente histoire.

 

IV. Sa valeur historique. — Nous avons déjà écrit que la présente histoire est un panégyrique, c'est-à-dire une composition oratoire dans laquelle quelques faits servent de cadre à des visions, à des discours et à des prodiges. Les faits ont chance d'être historiques, et il serait imprudent de dire que les lettres ou les discours ne le sont en aucune manière, car ils peuvent avoir été écrits par Théopiste lui-même, ou avoir été empruntés à quelque source aujourd'hui perdue. Rappelons encore ici (Cf. II) à ce sujet la citation du pape Innocent, qui nous semblait apocryphe, et qui figure cependant dans une lettre retrouvée récemment (§ 7).

En dehors des songes ou visions qu'il est loisible à tout homme d'avoir sur les affaires qui le préoccupent. Théopiste n'attribue pas d'ailleurs à Dioscore un grand nombre de prodiges. D s'en rend bien compte et croit devoir écrire à la fin : « Croyez, mes frères, que je n'ai pas écrit tous les prodiges, toutes les guérisons et tous les miracles que Dieu opéra par les mains de ce saint martyr de la vérité, parce qu'il y en a trop ». Il semble d'ailleurs nous donner — involontairement sans doute — une explication naturelle de deux guérisons. Il a guéri un homme à la main desséchée en lui appliquant à l’improviste sur cette main du sang de Dioscore (§ 16) et un frère podagre est guéri en mettant la chaussure du saint (§ 17). Or Théopiste nous raconte immédiatement après (§ 18) l’histoire suivante : « Il y avait aussi dans cette île des marchands juifs dont deux vinrent trouver notre saint père pour le tenter : l’un se fit passer pour boiteux et se mit des emplâtres sur les pieds, l'autre feignit d'avoir les mains desséchées. Quand ils virent notre père, ils lui dirent : « Salut, ô homme de Dieu, nous venons pour que tu aies pitié de nous et que tu demandes à Dieu de guérir nos membres impotents afin que nous puissions travailler et retourner dans notre famille. Notre père connut leur fourberie …. ». Certains miracles trouvent ainsi une explication qui nous plaît beaucoup, car elle sauve la bonne foi du thaumaturge et celle-du narrateur. Certains — n'en voit-on pas encore de nos jours — simulaient des infirmités, demandaient l'aumône, puis feignaient parfois d'avoir été guéris par un personnage important comme Dioscore, afin d'en retirer pour eux-mêmes gloire et profit. Car les fidèles et dévoués disciples du thaumaturge devaient avoir ensuite en vénération ces miraculés qui étaient des exemples vivants de la puissance de Dieu et aussi de la sainteté de leur maître. — En somme, cette réserve dans le choix des prodiges et cette sincérité dans leur récit nous impressionnent assez favorablement envers le panégyriste Théopiste. Nous déplorons les longueurs rebutantes qui sont infligées au lecteur, mais nous n'avons aucun autre écrit ancien consacré à Dioscore et il nous faut donc prendre celui-ci tel qu'il nous a été conservé.

 

V. Le panégyrique de Macaire de Tkoou. —Nous croyons que ce panégyrique dépend de notre histoire et a été composé pour développer un texte de l'Écriture cité par Dioscore à Paphnuti.

Nous lisons en effet dans l'histoire de Dioscore (§ 9):

Je sais que le père Macaire, l’évêque de Tkoou, a quitté ce monde, car il était aujourd'hui avec moi sur la table de vie. Le père Paphnutios lui en donna des nouvelles : «J'ai appris, dit-il, qu'après t'avoir quitté et s'être rendu en exil à Alexandrie, un Chalcédonien lui fut envoyé pour le faire adhérer à la lettre de l'impie Léon. II ne voulut pas souscrire son adhésion et l'envoyé irrité lui donna un coup de pied dans les parties sexuelles. Il rendit son âme à Dieu et mourut en martyr. La foule des fidèles prit son corps, l'ensevelit avec grand honneur et le plaça près du corps de Jean Baptiste et du prophète Elisée, dans le temple qui leur avait été bâti. » — Et notre père dit de lui cet éloge : J'ai été jeune et j'ai vieilli et je n'ai pas vu le juste abandonn2 (ps. xxxvi, 25}. — Et maintenant, mes frères, il est temps que je vous raconte la sortie de ce monde de mon père saint Dioscore.

Notons que ce texte est bien à sa place et forme un ensemble cohérent. Car Théopiste a raconté auparavant que Macaire est venu à Constantinople, dans le navire de Dioscore, lui est resté seul fidèle, et a été renvoyé en Egypte par le patriarche avec les frères de Tabennisi (§ 7-9), il est donc naturel qu'il ait cherché une occasion pour nous parler plus tard de sa mort. D'ailleurs Dioscore apprend son martyre, mais comme il l'a vu auparavant récompensé dans le ciel, il peut dire : « Je n'ai pas vu le juste abandonné. »

Voici maintenant le commencement du panégyrique copte (M. A. F. C, p. 92-93).

Eloge que prononça notre patriarche saint, notre père l'archevêque de Rakoti (Alexandrie), le saint Dioscore. Il le prononça sur l'abbé Macaire, l'évêque de la ville de Tkoou, du temps que le roi Marcien l'avait exilé à Gangres, île de la Paphlagonie, lorsque Tapa Paphnati alla le visiter pour annoncer à apa Dioscore, que le bienheureux (Macaire) avait terminé sa vie à Rakoti en confessant (la foi). Lorsqu'il prononça cet éloge étaient assis près de lui une multi-Inde de clercs et une multitude de moines qui étaient allés le visiter dans son exil. Pierre et Théopiste, les diacres qui l'avaient suivi ont écrit cet (éloge) dans la paix de Dieu, amen!

Je commencerai l'exorde par le panégyriste et le conducteur des aveugles, l'écrivain merveilleux, saint et père du Christ selon, la chair, le prophète saint David chantant et disant : J'ai été jeune et je sais devenu vieux, et je n'ai jamais vu le juste abandonné par le Seigneur. Moi aussi je le dirai en détournant un peu (le sens) de ces paroles : depuis son enfance, apa Macaire était un (homme) vierge (et) sans tache, dans la vieillesse, il fut compté au nombre des martyrs, comment le Seigneur l'aurait-il abandonné?

Il nous semble ressortir de la lecture de ce commencement, qu'un homme « quelque peu clerc » et surtout grandiloquent, imagina de composer un discours sur le texte que Dioscore avait seul cité à l'occasion de Macaire. Il se trouva, du reste, embarrassé pour appliquer ce texte au martyre de Macaire et dut en « détourner un peu le sens » et terminer par un point d'interrogation.[15]

On remarquera encore que le panégyrique copte a plutôt la forme d'une compilation que d'un panégyrique proprement dit. On y trouve, en effet:

1° une homélie sur Macaire; 2° une partie personnelle à Dioscore sur son séjour à Gangres; 3° la narration de Paphnuti sur la mort de Macaire. Les faits incidents sont nombreux, l'auteur, qui avait l'histoire de Dioscore sous les yeux, y puisait, en effet, autant qu'il le pouvait pour fortifier son panégyrique; il rattache la guérison du podagre (§ 17) à un ordre de Schenoudi qui lui aurait ordonné d'aller mettre la sandale de Dioscore pour être guéri (p. 154); il prête à Macaire (p. 98-104) une vision analogue à celles de Dioscore; la prédiction de ce dernier, au sujet de Macaire dont le corps reposera près des saints Jean-Baptiste et Elisée (§ ), lui paraît si belle qu'il la reproduit deux fois (p. 118-119 et 160-161), il accumule les erreurs (cf. p. xx-xxi, 135, 138); il confond la visite de bienséance faite à l'empereur avant la réunion du concile, avec la première session et les instances de Pulchérie auprès de Dioscore (p. 136-137), choses que notre histoire distingue très bien (§ 7, 9, 10), il dénature aussi l'entrevue de Dioscore et de Pulchérie (cf. § 10).

Ajoutons cependant que si l'auteur du panégyrique copte a puisé surtout dans l'histoire de Dioscore, il semble avoir disposé aussi d'autres sources. Il ajoute quelques noms propres : il donne le nom de Pinoution au disciple de Macaire, et raconte que Dioscore demeura à Constantinople chez Nicétas, père de Misaël, eunuque du palais. Ce Misaël est sans doute le monophysite mentionné par Jean d'Asie (Land, Anecd. syr., t. II, p. 273, 275) et par Zacharie le scholastique (Ibidem, t. III, p. 456). Enfin le rôle de Schenoudi est beaucoup développé (cf. p. 111, 145, 154-155).

 

VI. Les manuscrits. — La présente publication est faite d'après le manuscrit de Paris, 234 (Ρ), écrit à Antioche au xiiie siècle, fol. 39-60. Il manque un feuillet, fol. 30-31.

Nous donnons les variantes de deux manuscrits fragmentaires de Londres, add. 14631 (A) du xe siècle, fol. 1-12 et add. 14732 (B), fol. 218-221, dont M. Brooks a eu l'extrême obligeance de nous adresser une collation. Le premier de ces deux manuscrits de Londres présente à la fin une addition d'une page que nous reproduisons d'après la copie qu'en a faite M. Brooks. Dans les variantes, + indique une addition et * une omission.

Nous avons collationné le manuscrit d'Oxford (Hunt. 199, fol. 441-475 = O) dont M. Payne Smith a écrit : « Excipiunt ff. 35, syriaco sermone et charactere scripta, insant fragmenta vitae Dioscori, Alexandrini patriarchœ. . . Maltae lacunae insunt, haud tamen deflendae. Cf. Catalogue des manuscrits syriaques de la Bibliothèque Bodl., n° 140, 29. » En réalité, il ne manque que le premier feuillet, mais plusieurs interversions ont dû faire croire à des lacunes.[16] Nous avons donc pu compléter le manuscrit de Paris. Nous avons indiqué la pagination de ces deux manuscrits de Paris et d'Oxford (O)[17] qui appartiennent d'ailleurs à la même famille et différent un peu des fragments de Londres.[18]

Une traduction arabe écrite en caractères syriaques est conservée à Rome, dans le manuscrit syriaque ccviii, fol. 3-28 (cf. Catal. Bibl. Vat., t. III, p. 697). L'incipit de cette version est identique à celui de la version syriaque que nous publions.

Enfin le manuscrit arabe de Paris 4786, qui est une copie du xixe siècle, renferme une courte vie de Dioscore (fol. 1-16v) différente de la nôtre.

 

F. Nau.

 

 


 

TRADUCTION.

 

Histoire du saint divin mar Dioscore, patriarche DE TOUS LES ORTHODOXES ET ARCHEVÊQUE d'Alexandrie, écrite par son disciple Théopiste.[19]

 

1. Mes amis, j'apprends à votre affection quels rudes combats nous avons soutenus, moi et mon père saint Dioscore l'archevêque, et comment ceux qui s'assemblèrent au concile mauvais et impie de Chalcédoine, s'éloignèrent de la foi orthodoxe après avoir combattu pour elle au commencement, lorsqu'ils ne pensaient pas que l'impur Marcien les menacerait de les chasser de leurs sièges.

Au moment de la mort de l'empereur Théodose le Jeune,[20] Satan trouva un instrument pour exciter des troubles dans l'Église; car Célestin., archevêque de Rome, était mort, ainsi que notre père Cyrille d'Alexandrie, et le père Victor, archimandrite du monastère du père Pacôme, et le père Schenoudin (Schenoudi), homme remarquable;[21] l'adversaire qu'ils avaient vaincu, l'impie Nestorius, ce détracteur de Dieu, était mort aussi. Le parti des orthodoxes comptait alors l'ennemi de Dieu Juvénal de Jérusalem, lequel, à cette époque, aidait Cyrille à chasser Nestorius, tandis qu'ici, dans sa folie, il attaque l'Eglise et l'orthodoxie et détruit ce qu'il avait bâti auparavant avec saint Cyrille.

2. L'empereur Théodose le Jeune n'avait pas de fils, il avait une sœur, nommée Pulchérie, qui avait promis devant Dieu de vivre dans la virginité. A une certaine époque, il fit demander aux ascètes du désert de Scété de prier Dieu pour qu'il lui donnât un fils. Le messager, nommé  prit avec lui son jeune fils pour le faire bénir par les saints, et quand il fut arrivé, il donna la lettre au vieillard supérieur du désert, nommé Jean,[22] et il la lut au chef de la communauté. Or, l'un des saints était mort trois heures[23] avant l'arrivée du messager, et le père Jean envoya celui-ci, avec l'un des pères, près du saint qui était mort, et lui dit : « Va avec lui près de celui qui est mort, et Notre Seigneur le ressuscitera pour l'avantage du roi fidèle, et il te dira ce qui lui convient. » Et quand ils arrivèrent près de celui qui était mort, il se leva, s'assit et dit au messager : « Salue l'empereur et dis-lui que Dieu l'aime à cause de ses belles actions, de sa foi orthodoxe et de sa grande confiance en lui, c'est pour cela qu'il ne lui a pas donné d'héritier pour qu'il ne se compromette pas dans de funestes hérésies, car après lui viendront des empereurs impies qui souilleront tout l'univers par leurs blasphèmes contre Dieu, il lui faut donc bénir la bonté de Dieu qui ne lui a pas donné de fils. » Après ces paroles, le saint se coucha et rendit son âme à Dieu. Le messager retourna près de l'empereur, lui raconta ce qu'il avait vu et entendu, et l'empereur loua la bonté divine.

3. Or, il y avait dans le palais impérial un jeune homme de belle prestance, nommé Marcien, il appartenait à la secte Nestorienne, et Satan enflamma le cœur de Pulchérie pour cet impie. Un jour, on apporta à l'empereur victorieux Théodose une grosse pomme de toute beauté, il la regarda et l'admira; il s'en exhalait un agréable parfum, et comme il n'y avait personne qu'il honorât et estimât plus que sa sœur, il l'appela et lui donna cette pomme. Cette adultère la prit et l'envoya aussitôt secrètement à son impur ami, le Nestorien Marcien, parce qu'il n'y avait aucun homme qu'elle aimât plus que lui. Mais Marcien pensa qu'aucun homme n'était digne d'avoir cette pomme, si ce n'était l'empereur; il la prit donc et la lui porta. Celui-ci reconnut la pomme qu'il avait donnée à sa sœur, mais il demanda comme s'il ne savait rien : « D'où vient cette belle pomme si remarquable? » Marcien lui répondit : « Un général de mes amis me l'a envoyée. » L'empereur reconnut alors que sa sœur Pulchérie brûlait d'un amour adultère et il exila aussitôt Marcien en Thébaïde d'Egypte sous prétexte qu'il était Nestorien et, en réalité, pour que sa sœur ne le vit plus à Constantinople.[24] Peu de temps après, le victorieux Théodose mourut.

Satan, le serpent maudit, recommença son ancienne lutte avec la femme ; il paria au cœur impur de Pulchérie de la manière suivante : « Tu restes dans l'inertie et l'empire de tes pères passera à une autre race tandis que loi, qui es la fille des Romains,[25] tu es méprisée ». — Elle suivit son conseil comme l'avait fait Eve; elle appela les patrices et les grands de son royaume et leur dit : « Voyez et choisissez parmi les principaux patrices un homme qui soit digne de la tiare impériale, je le prendrai en mariage et il sera mon mari et empereur. » Ils lui répondirent : « Nicétas, principal patrice,[26] est digne de siéger avec vous sur le trône, car c'est un homme orthodoxe et notre seigneur l'empereur ton frère a ordonné, en mourant, dans son testament de ne mettre qu'un orthodoxe sur le trône impérial; son testament est placé dans le trésor de l'empire. » Alors elle commanda à ses eunuques de dire aux patrices et à toute la cour impériale de monter au degré qui est à la quatrième porte du palais et d'y siéger pour qu'elle les vit et les entendit. On les fît tous entrer aussitôt et ils siégèrent chacun selon son rang. Elle monta alors à la chambre d'été de la bienheureuse Hélène, regarda par la fenêtre et les vit tous. Satan l'avait déjà enflammée d'amour pour le Nestorien Marcien, aussi l’avait-elle rappelé d'exil après la mort de l'empereur Théodose et il était avec les autres en ce jour. Elle appela ses serviteurs et leur demanda, comme si elle ne le savait pas : « Quel est ce jeune homme qui porte une ceinture d'or? » Ils lui dirent : «C'est Marcien. « Elle répondit : « Allez, faites-le moi monter, car c'est lui qui doit siéger sur le trône impérial. » Ceux-ci lui dirent : «O notre maîtresse, tu es insensée si tu songes à celui-là. N'est-ce pas lui que ton frère a jeté en exil parce qu'il était du parti de Nestorius? » Elle répondit : « Mon frère ne recherchait jamais un homme puissant. » Quand ils virent qu'elle persistait dans son amour pour lui, ils l'appelèrent et lui dirent : « Seigneur Marcien, monte en haut », et il monta plein de crainte. Cette adultère et cette impure lui dit : « Pourquoi crains-tu? ne suis-je pas une créature comme toi? ne crains donc pas, mais va au bain et lave-toi. » Il le fit, revint et trouva la reine seule; elle lui dit : « Personne autre que toi ne montera sur le trône impérial, mange et bois avec joie. » Au matin elle l'habilla de pourpre, plaça sur sa tête la couronne impériale et le fit monter sur le trône. Quand le portier du palais vint et qu'il ouvrit la porte. Il trouva Marcien sur le trône avec la couronne impériale sur la tête. Il sortit et trouva les sénateurs assemblés qui attendaient des nouvelles. Il leur dit : « Voici que l'empereur siège, il porte la couronne sur la tête. »

A cette nouvelle, ils furent très peinés, et un sénateur nommé Pierre dit : « J'ai eu cette nuit une vision:[27] Il me sembla voir Jean Chrysostôme, notre archevêque, je me trouvais près de lui et il me dit : «Fuis, ô Pierre, de cet empire, ne vois-tu pas cette grande obscurité et cette tempête qui s'élève tout d'un coup? » Je regardai du côté de la mer et vis de nombreux navires qui vinrent jeter l'ancre près du rivage de Chalcédoine, ils portaient des hommes innombrables, et tout à coup une tempête violente venant de la mer tomba sur eux, leurs câbles furent brisés et il s'ensuivit deuil et perte, car tous les hommes qui montaient ces navires furent submergés en même temps qu'eux. Et l'archevêque Jean me dit : « As-tu compté tous les navires submergés par la mer? » Je lui répondis : « Il me semble qu'il y en a six cents. » Il reprit : « C'est avec justice que l'on a dit : « Tout ce que j'annonce est mensonge; il y a six cent trente quatre navires ». Et à ces paroles je m'éveillai de mon sommeil.

Quand il eut raconté cela à ses amis, ils crièrent qu'ils allaient rentrer dans leurs demeures sans entrer au palais, puis il se décidèrent à y aller pour voir ce qui se passait, et en arrivant ils virent Marcien assis en grande jouissance, et les centurions criaient Πολλὰ τὰ ἔτη τῶν βασιλέων,[28] c'est-à-dire : « Nombreuses années à l'empereur ! » et ils racontèrent cela à Pierre, celui qui eut le songe, et lui dirent: « Ta vision n'était pas un songe, mais c'était la vérité[29] ».

A cette nouvelle, les Nestoriens du parti de Marcien se réunirent aussitôt et coururent comme des chevaux en chaleur, ils entrèrent au palais et crièrent : « Nombreuses années à l'empereur ! Dieu nous a donné Constantin ». Quand Marcien les vit, il descendit de son trône et les embrassa, puis il les conduisit et les fit asseoir à l'autre (à la seconde) place du royaume qui est dans l’atrium du palais, il s'assit avec eux, les embrassant encore. Or, les grands du royaume détestaient ceux-ci et chacun d'eux retirait discrètement ses habits pour ne pas se souiller à leur ombre et ne pas les toucher. Et ces maudits amis impurs disaient à l'empereur : « Empereur, vis éternellement! Ne t'avions-nous pas dit, lorsque Théodose t'exilait, que tu monterais au suprême degré si tu demeurais dans notre foi? parce que notre foi est meilleure que l'autre. Ce sont nos prières qui t'ont attiré cet honneur, et si tu confirmes notre foi, Dieu te donnera un grand nombre d'années ». Ce maudit leur répondit : « Je sais que vous êtes les véritables serviteurs de Dieu, priez pour moi et vous verrez ce que je ferai sous peu ». Et ils le quittèrent en priant pour lui.

4. Cet empereur impie et profane envoya des lettres en tous pays et de tous côtés; leur contenu était :

Marcien, empereur, à tous les pays et aux peuples nombreux qui les habitent, salut.

Sachez, mes frères, qu'au moment où nous avons régné d'après les destins insondables de Dieu, nous avons résolu d'instruire et de vivifier tous les hommes qui sont dans notre empire.

Il ajoutait beaucoup d'autres choses et faisait cela pour presser les hommes d'adhérer à son hérésie. Il écrivit aussi au sujet d’Ibas d'Édesse, de Théodore de Cyr et d'André (de Samosate), hérésiarques chassés par Cyrille et le concile d'Ephèse ; il les louait et les exaltait comme ses conseillers.

Quand ils apportèrent cette lettre à Alexandrie et que le  (subactor?) la faisait lire au lecteur, je vins par derrière et la regardai, j'y lus les noms de ces mauvais conseillers. Je retournai alors près de notre père Dioscore, puis je lui dis avec les paroles des fils des prophètes : « La mort est dans cette lettre, ô homme de Dieu[30] ». Il me répondit : « Je le sais, mon fils, tais-toi; notre père Cyrille ne m'a-t-il pas dit : Repose ton esprit et ton corps sous ce règne de Théodose, parce qu'après lui, la mort sera produite par la seconde Eve, nommée Pulchérie. Si Eve avait gardé ses yeux et n'avait pas regardé l'arbre du bien et du mal, la mort ne serait pas entrée dans le monde et si Pulchérie avait gardé ses yeux pour ne pas regarder Marcien, les canons et les dogmes de la vraie foi ne seraient pas ébranlés; et toi, Dioscore, tu combattras pour la foi orthodoxe, tu seras jeté en exil et tu y mourras. Est-ce que, mon fils, la parole de ce prophète pourrait être menteuse? » Je lui dis : « A quelle époque, maître, iras-tu en exil? » Saint Dioscore me répondit : « Cette dernière semaine,[31] un jour que je faisais le service de nuit selon ma coutume et que je dormais un peu, je vis saint Cyrille debout devant moi, je me jetai à ses pieds et il me dit : « Dioscore, m'aimes-tu? » Je lui répondis : « Oui, maître, je t'aime beaucoup, de toute mon âme, de tout mon corps et de tout mon esprit ». Il me répondit : « Ne t'éloigne pas alors des canons et des chapitres de la vraie foi que je t'ai donnés et que tu as reçus de moi, car beaucoup s'en écarteront à cette époque[32] ». Je lui dis : « Dieu nous abandonnera donc, ô saint père, puisqu'il y aura de nouveau des hérésiarques, cependant voici que tout le monde connaît Dieu et la foi orthodoxe ». Il me répondit : « Tu m'as entendu, crois-moi, voici que de la racine des rois justes poussera une mauvaise épine,[33] au lieu d'être une vierge, on a trouvé que c'était une impudique, mais toi tu seras envoyé en exil. » Voilà que je t'ai raconté toute ma vision, et je sais que pour mes péchés, Dieu me laissera échoir l'épreuve de l'exil, mais mon âme n'a pas souci de la manière dont je souffrirai pour la foi orthodoxe, je sais bien que notre père, l'apôtre Athanase, a été chassé en exil non pas une fois, mais cinq fois. » Je lui répondis : « Que tout ce que voudra Dieu, nous arrive dans ses miséricordes ».

5. Mais l'empereur tyran et impie Marcien appela ses mauvais conseillers, comme Absalom appela Achitophel. — Plût à Dieu qu'il se fut trouvé là quelqu'un comme Chusaï d'Arac[34] — et leur dit : « Il faut écrire et (nous) annoncer à Léon, pape de Rome, que lui écrirons-nous? » — Car à la mort de saint Célestin, le méchant Léon fut substitué à sa place; ceux qui apportèrent à Alexandrie la lettre synodale de Léon témoignèrent qu'au moment où Célestin mourait, il s'écria : « O grande ville de Rome, voilà que tu produis un loup homicide qui est le maudit Léon ». Croyez-moi, mes frères, c'est au moment où mourut Célestin, le même jour, à la même heure, que mourut aussi saint Cyrille;[35] mais revenons où nous en étions. — Les hérésiarques dirent à cet empereur impur : « Il nous convient d'écrire au patriarche Léon pour le bien-être de ton empire et pour lui demander de prier pour toi et de te faire connaître sa profession de foi, car beaucoup disent qu'il pense comme nous ». Il écrivit aussitôt, comme le lui conseillaient ces impies, puis l'impur et le méchant Léon lui adressa une lettre pleine de blasphèmes et d'impiétés.[36]

Je vous transcris quelques-uns de ces blasphèmes, afin que vous ne tombiez pas sur eux sans les reconnaître : Léon, que l'on a fait asseoir sur l'illustre trône de Pierre, chef des apôtres, écrit à l'empereur Marcien.

Voici le commencement de l'écrit :

Crois au Dieu de tes ancêtres, Père, Fils et Saint-Esprit, l’une de ces trois personnes saintes, qui est le Fils, s'est révélée en deux natures, deux propriétés et deux opérations et chacune d'elles faisait ce qui rai était propre, une nature supportait la souffrance et l'autre était impassible ; elle guérissait les malades, rendait la lumière aux aveugles et ressuscitait les morts.

Il dit encore :

Considère quelle nature fut percée par des dons.

Il écrivit beaucoup de blasphèmes dans cette lettre impure, puis il l'envoya à l'impie Marcien.

Quand cette lettre abominable arriva, l'empereur ordonna au lecteur Procope de la lire et quand celui-ci en arriva aux blasphèmes, il jeta le papier à terre et dit : « Ces loups malfaisants veulent nous faire perdre la foi de nos pères. Où est maintenant saint Dioscore, patriarche d’Alexandrie, pour prendre ce papier et le brûler au feu?[37] ». Quand l'empereur entendit cela, il lui dit : « Tu prétends donc que le patriarche est un loup et que ses paroles sont mauvaises ; pour moi, je ne te tuerai pas, mais ses prières te châtieront ». Procope répondit à l'empereur impur : « Si nous ne voulons pas respirer l'odeur infecte que nous envoie l'impur Léon, comment peux-tu dire que Dieu exauce ses prières ou ses sacrifices? Laisse-moi voir ce que ses prières pourront contre moi ». L'empereur ordonna de le chasser de devant lui, et, comme il craignit d'être tué, il vint à Alexandrie et nous raconta tout cela. A ce récit, mon père Dioscore se mit à pleurer et dit : « Malheur, malheur, voilà que la vengeance vient contre ceux qui restent assis sur leurs sièges. » Et il écrivit à l'empereur la lettre suivante :

Dioscore, indigne et inutile plus que tout homme, écrit à l'empereur tout puissant : Salut. — Comment ne me rendrais-je pas malheureux plus que tout homme, lorsque j'apprends que mon maître est avili près de vous et par vous? Comment le serviteur pourrait-il se glorifier lorsque le maître est méprisé par les serviteurs ses compagnons? Pour moi, je voudrais être insulté pour mon maître et ne pas entendre l'outrage qui lui est adressé. Comment le rebelle Léon a-t-il osé ouvrir la bouche et blasphémer le Très-Haut en disant qu'il nous faut confesser dans le Messie deux natures et deux propriétés et opérations, lorsque la sainte Eglise confesse une nature de Dieu incarné sans confusion et sans changement, la divinité de mon maître n'ayant pas été séparée de son humanité, pas môme durant un instant ; mais cet abominable, cet inintelligent et ce maudit Léon qui a voulu séparer l’âme du corps de notre Seigneur, doit être jeté sans délai et promptement dans les ténèbres extérieures où il y a des pleurs et des grincements de dents. Je suis maintenant comme un homme au cœur déçu, car je m'étonne que le siège de Rome ait pu pousser un si mauvais arbre qui mérite d'être coupé avec la hache tranchante de la colère et jeté dans la géhenne de feu qui ne s'éteint pas. Pourquoi ces trois doigts ne se sont-ils pas desséchés quand j'ai voulu prendre la plume pour écrire au sujet de sa convocation (?).

Après avoir lu cette lettre, l'empereur Marcien admira la sagesse de saint Dioscore et dit : « Voilà que Dioscore veut m'en imposer par ses lettres, est-ce que Marc est plus grand que Pierre[38] et écouterons-nous le moindre siège et non le plus élevé? J'ordonne que tous les évêques de tout pays et de toute direction se réunissent et viennent près de moi pour m'apprendre quelle est la foi droite et vraie. » Puis il écrivit aussitôt à mon père :

Dès que tu auras la cette lettre que te porte mon messager, réunis tous les évêques qui dépendent de ton siège et venet près de moi pour rectifier la foi.

6. Quand mon père eut lu cette lettre, il me dit ainsi qu'à l'archidiacre Pierre, lequel est maintenant prêtre:[39] « Prenez nos livres et nos bagages et allons au concile pour faire des dogmes à Constantinople ». On prépara des navires pour notre voyage et quand nous sortîmes pour y monter, tout le peuple d'Alexandrie nous accompagna et Dioscore lui fit ses recommandations et leur dit : « Votre frère Timothée[40] me succédera, ne laissez pas entrer dans mon église un étranger qui ne partage pas ma foi. » Puis il pria sur eux tous pendant qu'ils pleuraient et se lamentaient, il les bénit et les consola et nous nous éloignâmes de la ville, à peu près à trois milles. Alors saint Dioscore se leva, pria et dit :

« Seigneur mon Dieu et le Dieu de mes pères, tu sais que c'est pour la défense de ta foi que je dois quitter mon pays, mon trône et mes honneurs, sois mon guide et mon directeur pour que je ne m'écarte pas de la vérité ; sois le pasteur et le soutien de ton troupeau spirituel dont tu m'as établi pasteur. Je te le confie, ne laisse pas un loup malfaisant déchirer ton bercail. Toi, Seigneur, qui étais avec Marc l'évangéliste[41] jusqu'à ce qu'il souffrit le martyre pour ton saint nom, sois avec moi et conduis-moi. — Toi, Seigneur, qui étais avec Denys[42]2 jusqu'au moment où il anathématisa Paul de Samosate,[43] sois avec moi et sauve-moi de l'impiété de notre temps. — Toi, Seigneur, qui étais avec saint Théonas[44] jusqu'à ce qu'il vainquit Origène,[45] sois avec moi. — Seigneur, toi qui étais avec Pierre[46] qui ravit la couronne du martyre par la décapitation, sois avec moi. — Toi qui étais avec l'apôtre Athanase,[47] notre père, qui souffrit pour les apôtres, fut martyr des milliers de fois jusqu'à l'effusion du sang exclusivement et fut jeté cinq fois en exil, toi qui l'aidas dans toutes ses souffrances, sois aussi avec moi et aide-moi. — Toi qui fus avec mon père Cyrille[48] jusqu'à ce qu'il anathématisa l’impie Nestorius et tous ses adhérents, sois aussi avec moi. Écoute, Seigneur, la prière de Dioscore, ton serviteur inutile ; ne fais pas retomber mes péchés sur ton peuple, mais que ton peuple soit sauvé par l'effusion de mon sang. Tu n'y manqueras pas, ô mon Dieu, et mon sang sera répandu. Que je ne sois pas, Seigneur, un enfant qui tient à son père et à sa mère, mais que je sois un nouvel Issachar. Il est vrai que mes ancêtres dorment dans une terre où coulent le lait et le miel; je parle d'Abraham, Isaac et Jacob; Jacob vint, il est vrai, en Egypte, mais il ordonna de placer son corps avec (ceux de) ses pères. Mes illustres frères sont morts aussi. Les ancêtres et les frères d'un homme sont ceux dont il confirme les enseignements et dont il suit le droit chemin. — Je compare Marc à Abraham, car il fut le premier prédicateur dans cette ville qui connut Dieu par sa prédication. Je compare Elien[49] à Isaac, car il fut le chef des disciples de l'évangéliste Marc et il supprima l'adoration des idoles par la chaleur de sa foi dans le Messie, notre Dieu. Je compare le pur Denys à Jacob parce qu'il détruisit complètement l'adoration des idoles et, de même que Jacob s'enfuit devant Esaü, il combattit aussi jusqu'à ce qu'il eut déposé Paul de Samosate. Arrivons maintenant aux douze pères. L'aîné est Pierre qui acquit la primogéniture par son sang. Alexandre[50 est comparable à l'illustre Siméon, car il brisa la force du taureau enragé : Arius le maudit; avec l'aide de Lévi, c'est-à-dire saint Athanase,[51] ils allèrent tous deux au concile de Nicée et humilièrent le nouveau Sichem et Hémor, son père,[52] c'est-à-dire Arius et Satan. Je compare Cyrille à Juda le quatrième fils, car il rugit comme un lionceau[53] ses douze chapitres et humilia Nestorius avec sa troupe impure. Je me compare moi-même à Issachar si je travaille la terre, c'est-à-dire si mon sang tombe sur la terre d'où il est tiré. —: Je sais que cela arrivera à la fin, comme me l’a prédit mon père Cyrille : « O Dioscore, à ton époque naîtra une partie du Messie trompeur », et sa parole a été réalisée.

7. Après être montés dans le navire, avoir navigué et être arrivés à Constantinople à dix heures de la nuit, quand le navire fut attaché au rivage de la mer, notre père Dioscore nous dit : « Mes enfants, éveillez le père Macaire, évêque de Tkôou.[54] » Quand il l'eut éveillé, notre père lui dit : « Tu dors lorsque le combat s'ouvre; j'ai vu cette nuit deux hommes,[55] revêtus de lumière; l'un n'avait pas de cheveux sur la tête, mais était rasé;[56] l'autre portait une chevelure longue et abondante et une grande et belle barbe; à leur vue, je me troublai, et l'un deux, voyant ma crainte, me dit : « Ne crains pas, car nous sommes avec toi depuis le jour où tu as été nommé archevêque et où tu t'es assis sur le siège de saint Marc l'évangéliste. » Celui qui avait une (longue) chevelure me dit : « Je suis Jean, fils de Zacharie et d'Elisabeth, la parente de Marie, mère de Notre Seigneur Jésus-Christ, et mon frère que tu vois avec moi est le prophète Elisée sur lequel se reposa (se doubla)[57] l'esprit du prophète Élie. Je suis l'intermédiaire de l'ancien et du nouveau (testament), et mon frère ici présent appartient à l'ancien. Quand tu priais auprès de ta ville, quand tu souffrais, Dieu accueillit tes supplications et reçut ta prière; cependant, un grand châtiment viendra sur la terre, et voilà que nous aussi nous sortirons de la maison qui a été bâtie à Alexandrie, après la mort de Timothée, ton fils, qui est le second après toi et te succédera sur ton siège, car le Seigneur a dit : Je prendrai mon élu, avant (le temps de) ma colère, et tu sais quels seront les maux de la fin. Quant à ce vieil évêque égyptien, nous viendrons l'exalter, car son corps reposera auprès de nous.[58] « Après ces paroles, ils disparurent et je ne les vis plus. » Quand le père Macaire, évêque de Tkôou, eut entendu, il pleura et dit : « Qui suis-je, moi, pécheur, pour que mon corps soit emporté de ma ville et soit placé près du corps du prophète et du précurseur du Messie? Car les corps des pécheurs ne doivent pas être approchés de ces saints corps; cependant, que la volonté de Notre Seigneur s'accomplisse. » — Il dit cela au lever de l'aurore, et après l'apparition du soleil nous revêtîmes les brillants habits du sacerdoce, entrâmes dans la ville et allâmes nous présenter à la porte du palais.[59]

Quand on vit notre père, on me demanda : « Quel est ce vieillard vénérable et quels sont ceux qui l'accompagnent? » Je répondis : « C'est saint Dioscore, l'archevêque d'Alexandrie. » Ils s'approchèrent aussitôt de lui et il les bénit. Et, quand les princes du palais connurent son arrivée, ils vinrent précipitamment, baisèrent les mains du saint et l'annoncèrent à l'empereur qui nous envoya Juvénal de Jérusalem, pour nous faire asseoir pendant qu'il recevait les princes du palais ; après quoi nous pourrions entrer. En ce jour, cent évêques étaient assemblés et disaient en s'interrogeant : « Aucun des métropolitains n'est encore arrivé? » On leur dit : « Voici saint Dioscore d'Alexandrie. » A ces paroles, ils se réjouirent beaucoup et dirent : « Dieu nous a envoyé un sauveur et un libérateur de notre foi », et, quand ils surent que Juvénal de Jérusalem, était aussi présent, ils dirent : « Celui-là aussi est un homme instruit qui ne dévie pas de la foi orthodoxe des pères. » Basile de Séleucie, et Juvénal de Jérusalem, vinrent près de nous, à l'endroit où nous étions, car ils n'étaient pas encore entrés près de l'empereur. Quand je les vis revêtus des brillants habits du sacerdoce, je dis à mon père : « Comme ces évêques sont beaux ; ils combattront certainement jusqu'à la mort pour la foi orthodoxe. » — Mon père me répondit et dit : « Crois-moi, mon fils, tous ceux que tu vois ne souffriront pas un soufflet pour la foi du Messie. Je te le dis, mon fils, de tous ceux-là il n'en restera pas un dans la foi orthodoxe, à l'exception de ceux qui étaient dans notre navire.[60] »

Pendant que nous disions cela, les hérétiques impies vinrent et passèrent au milieu de nous en grande pompe, et l'empereur ordonna de faire entrer les évêques.[61] C'était la coutume que chaque évêque emportât son livre avec lui. Notre père Dioscore nous dit à moi et à Pierre : « Que l'un de vous entre avec moi et l'autre avec le père Macaire,[62] parce que son disciple ne sait pas parler grec,[63] et portez avec vous le livre dans lequel sont écrits les chapitres de notre père Cyrille. « A notre entrée, le portier, voyant que le père Macaire était revêtu d'humbles habits, ne voulait pas le laisser entrer; je lui dis que c'était un évêque d'Egypte qui nous accompagnait et on le laissa.[64] Quand l'empereur impie nous vit, ainsi que les évêques entrés avec nous, il nous dit : « J'ai convoqué Vos Saintetés pour que vous veniez établir la foi et la redresser. » — Tous se turent et saint Dioscore répondit à l'empereur : « Que manque-t-il à la foi de nos saints pères pour que nous y ajoutions quelque chose? » — L'empereur dit : « Suis-je un évêque comme vous pour connaître vos affaires? » — Le bienheureux Dioscore dit : « Si tu n'es pas évêque, laisse-nous (discuter) avec ces hérétiques, et nous suivrons celui qui paraîtra avoir la victoire. » — L'empereur dit : « Mais Léon est le premier des archevêques; tu résistes à celui qui est plus grand que toi. » — Saint Dioscore lui répondit : « Le premier de la création de Dieu est Satan, l'ennemi du bien, et, comme il tomba dans l’erreur, il fut chassé et rejeté de sa gloire. » — L'empereur impie lui dit : « Quand je prononce une parole, tu m'en renvoies deux ; cependant, j'estime le pape Léon plus que toi. » —« Saint Dioscore lui dit : « Ne reçois-tu aucun des archevêques de Rome, sinon ce blasphémateur Léon, qui est le plus petit d'eux tous? » — L'empereur répondit : « Je reçois Célestin et tous ses compagnons. » —- Saint Dioscore lui dit : « Reçois-tu Libère et Innocent?» — L'empereur répondit : [« Oui. » — Dioscore reprit : « Voici ce qu'on lit][65] dans le discours que fit Libère sur le grand jour de Pâques (commençant par) quand il vint devant lui, jusqu'à le Seigneur fut percé dans le côté :

L'évangéliste a dit qu'après la mort du Seigneur ils le percèrent d'une lance t et il coula de lai da sang et de l’eau.[66] Ainsi, après que l'esprit eut quitté le fils de l'homme, le sang faisait partie de son tout. L'évangéliste a dit aussi : Quand il fut crucifié, il y eut une grande obscurité, les tombeaux s'ouvrirent, et le voile du temple se déchira;[67] il est évident qu'ils ne le frappèrent pas de la lance durant ce bouleversement, mais ils attendirent sa mort, puis le frappèrent de la lance, et, puisque c'est dans ces conditions, après cette attente, que l'eau et le sang coulèrent de son côté, nous confessons [par là même] que la divinité ne fut pas séparée de l'humanité pas même durant un clin d'œil.[68]

« Innocent écrivait dans la lettre qu'il envoya à Sévérianus de Gabala :

Dieu le Verbe s'incarna dans la Vierge à l'heure où il descendit du ciel et entra dans son sein; il ne s'incarna pas tant qu'il était dans le ciel, il ne trouva pas non plus sa divinité sur la terre, mais il est Dieu vrai et c'est lui qui construisit son corps dans le sein de la Vierge, aucun autre dans la création ne s'unit avec son corps, si ce n'est lui seul. Il unit sa divinité et son humanité dans une union admirable, et nous confessons que, dans toutes les actions de l'humanité, la divinité n'en fut pas séparée, pas même durant un clin d'œil.[69]

« Voilà ce que disent les docteurs et ce que nous disons à ta Grandeur. » — L'empereur répondit : « Je n'admets pas ces paroles. » — Dioscore dit : « Si tu n'admets pas les paroles de ces saints hommes, en croiras-tu au moins Dieu qui dit de sa bouche : Mon père et moi ne sommes qu'un,[70] et : Celui qui me voit voit mon père.[71] L'évangéliste a-t-il écrit que l'humanité a dit telle chose et la divinité telle autre chose ou que la divinité a fait une chose que l'humanité n'a pas faite? » Ibas et Théodoret dirent alors à l'empereur : « Tant que Dioscore siégera, nous ne pourrons pas faire connaître la lettre du patriarche Léon.[72] » — Dioscore répondit : « Si les blasphèmes de cet impie sont proclamés devant moi, j'abandonne la ville impériale sous les anathèmes et je m'en vais. » Sur ces paroles, l'empereur les congédia pour ce jour-là.

8. Les nestoriens dirent à l'empereur : « Pourquoi es-tu faible devant Dioscore, lorsque tu es l'empereur de toute la terre et que l'univers s'humilie devant toi? Publie la lettre de Léon, et quiconque n'y adhérera pas, exile-le de son siège, puis remplace-le par l'un de nous. » — L'empereur répondit : « Je crains de faire cela pour ne pas entacher mon règne d'un grand péché. Je ne suis pas évêque pour savoir tout cela; l'empire sur le corps m'a été confié, et l'empire sur l'âme l'a été aux évoques; cependant, je sais ce que je ferai : je connais un moine nommé Jean[73] à Scété, dans la Thébaïde d'Egypte; j'ai trouvé que tout ce qu'il dit dans ses réponses est exact; je vais envoyer près de lui pour lui demander si la volonté de Dieu est que je reçoive la lettre de Léon ou que je laisse la foi telle qu'elle est. » — Ils lui répondirent : « Envoie. » L'empereur envoya un de ses préfets pour exposer sa pensée, et le solitaire Jean répondit : « Dis à l'empereur : « Si tu crois la foi des Pères de Nicée et si tu gardes ses préceptes, tu vivras quarante ans sur le trône impérial sans trouble ni confusion ; mais, si tu la transgresses, si tu n'observes pas ces préceptes et si tu suis les fables trompeuses des ennemis de la sainte Église, tu ne vivras que six ans dans les séditions, et tu ne seras pas admis avec les saints; va et dis cela à l'empereur. »

Mais les Nestoriens maudits se mirent sur le chemin de l'envoyé, en attendant son arrivée ; quand il vint et qu'ils le virent, ils lui dirent : « As-tu fait bon voyage, seigneur préfet? Quelle réponse pour l'empereur t'a faite ce solitaire? » — Il répondit : il m'a chargé de dire à l'empereur : « Si tu gardes la foi de Nicée et ses préceptes sans rien y ajouter et sans en rien retrancher, tu vivras quarante ans sur le trône impérial sans trouble ni confusion; mais si tu détruis la foi de Nicée en y ajoutant ou en en retranchant quelque chose, tu ne vivras que six ans dans le trouble et la confusion ». Ces Nestoriens lui dirent : « Accepte de nous cinq talents d'or et dis tout le contraire ; annonce à l'empereur : ce solitaire a dit que si tu observes la lettre de Léon, tu vivras quarante ans sur le trône impérial. » — Ce misérable messager, féru de l'amour de l'argent, préféra la mort de son âme à sa vie en Dieu et accepta cet argent, comme les gardes qui prirent l'argent et nièrent la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ,[74] Au moment donc où ce messager arriva près de l'empereur et lui mentit en ces termes : « Ce solitaire a dit que si tu reçois la lettre de Léon, tu vivras quarante ans sur le trône impérial », aussitôt l'empereur ordonna aux évêques de se rendre tous dans la ville de Chalcédoine.[75]

9. Alors beaucoup de fidèles se réunirent, traversèrent (la mer) avec les évêques et allèrent à Chalcédoine, car ils ne savaient rien de ce qui avait été dit. L'empereur impie dit aux hérétiques : « Nous ne pouvons les tromper que de la manière suivante: « Nous ajouterons la lette de Léon à la foi de Nicée, et n'en ferons qu'un écrit » ; ce qu'ils firent. Ils écrivirent d'abord la foi de Nicée, puis la lettre de Léon, aussi quand les évêques arrivèrent à Chalcédoine, ils attendirent pour voir ce que l'empereur ordonnerait et il leur envoya par le chef des patrices une lettre qui portait ce qui suit :

Je vous envoie Ibas, Théodoret et André pour qu'ils siègent avec vous et que vous les receviez, car ils adhèrent à la foi de Nicée, pour moi je reçois la foi de Nicée et quiconque n'en fait pas autant sera chassé de son siège et envoyé en exil.

Quand la lettre arriva aux évêques, ils ordonnèrent à l'un des lecteurs nommé Habib, de se lever et de la lire[76] et quand il lut d'abord la foi de Nicée, que l'on avait écrite là pour tromper, tous s'écrièrent : « Nous croyons cela » ; quand le lecteur arriva aux blasphèmes et trouva le papier que l'on avait ajouté à la fin, il leur dit: « Ils ont ajouté cette lettre à la fin. » Juvénal de Jérusalem lui dit : « Lis, de crainte que le papier n'ait pas suffi, et qu'on n'en ait ajouté un peu d'autre à la fin ». — Quand il lut les blasphèmes, tous les évêques s'écrièrent: « Ils ont mêlé la myrrhe avec la douceur, ils ont placé les ténèbres avec la lumière, ils ont uni l'odeur suave à la pourriture ; ils ont écrit les paroles de Dieu avec celles de l'ennemi, ils ont placé l'enseignement de vérité avec les paroles erronées; ils ont placé les paroles de la foi de Nicée à côté des paroles de l'impie Léon ; comme le chien retourne à son vomissement, ainsi il retourne aux blasphèmes de Paul de Samosate. » A ces paroles, les chefs[77] pleins de joie dirent aux évêques : « Voulez-vous que nous annoncions cela à l’empereur. » Ils leur répondirent : « Oui » ; et les chefs ajoutèrent : « Que le Seigneur vous aide à affermir la foi orthodoxe », et ils allèrent raconter à l'empereur tout (ce qui était arrivé).

A ces nouvelles l'empereur impie ordonna aussitôt d'envoyer en exil quiconque ne signerait pas la lettre de Léon.[78] Tous répondirent : « Que la foi de nos pères de Nicée reste inébranlable (ou intacte) et nous allons en exil. » L'empereur ordonna à l'écrivain Sergius de prendre la lettre de l'impie Léon, et d'aller trouver les évêques pour qu'ils fissent leur adhésion. — Quand Sergius vint, il dit aux évêques : « Allons tous à l'église de sainte Euphémie[79] et là je vous dirai ce qui vous est avantageux. » — Les évêques dirent : « Allons apprendre ce dont il s'agit. « Mon père Dioscore dit au père Macaire, évêque de Tkoou ; « Va-t-en avec les frères de Tabennisi et priée pour moi. » Il s'éloigna et retourna à Alexandrie avec les frères de Pacôme.[80] En conséquence, lorsque les évêques entrèrent dans le temple de sainte Euphémie, mon père Dioscore n'entra pas avec eux à ce moment, mais les évêques crièrent : « Faisons d'abord entrer Dioscore », et aussitôt ils le firent entrer. Quand il entra et vit Ibas, Théodoret et André, assis avec eux, il leur dit : « Qui a ordonné à ceux-là de venir ici?[81] » Et personne n'osa lui répondre. Il le demanda une seconde fois, et c'est à peine si quelqu'un, d'une voix faible, lui dit : « L'empereur l'ordonne. » — Alors Dioscore dit : « Est-ce l'empereur qui conduit ce concile, ou bien le Messie? Si c'est l'empereur, je sors et je m'en vais. » — Puis il se retourna vers Juvénal et lui dit : « Est-ce là ton amitié pour mon père Cyrille? Où est ta foi orthodoxe de jadis? N'ai-je pas ta lettre dans laquelle tu t'excommunies et tu te déposes toi-même si tu t'éloignes de la foi de Nicée! Comment nous trouvons-nous dans cette honte et avons-nous perdu la vérité! » — Tous les patrices le louèrent et dirent : « Dioscore, évêque de vérité a bien parié, il expose sa vie et combat pour la foi orthodoxe » ; l'un des patrices ajouta et dit à ses compagnons : « Si l'empereur l'ordonnait, j'effraierais toute cette troupe d'évêques avec cette verge que j'ai en main au point de leur faire adorer les idoles, ils sont tous si faibles qu'ils ne peuvent voir l'ombre des coups.[82] Dioscore seul ne craint pas, c'est une colonne inébranlable, il a conscience, comme un lion, dans la force de sa foi robuste. »

10. Après que Dioscore, les chefs, les patrices et les évêques renégats eurent beaucoup parlé, ils écrivirent tout ce qui s'était passé et avait été dit et le portèrent à l'empereur.[83] A cette lecture il se fâcha et fut très irrité contre saint Dioscore. Quand l'impératrice Pulchérie l'apprit, elle dit à l'empereur : « Ne te fâche pas et ne te contriste pas, car je vais le trouver et lui demander d'accomplir ta volonté. Alors elle alla près du saint où il habitait,[84] tomba à ses pieds en pleurant et le conjura disant : « Je suis ta servante et ta fille, tu es le père et le chef de tout le pays des Romains. » — Saint Dioscore lui dit : « Je ne suis pas ton père et tu n'es pas ma fille parce que tu as abandonné le chemin de la vérité, et tu as abandonné la foi que les apôtres et les pères ont établie, pour suivre l'erreur des démons. » —Quand elle vit qu'il n'accomplissait pas sa volonté et celle de son mari, elle lui dit, après beaucoup de supplications : « Si tu ne nous obéis pas, nous t'enlèverons le trône de ta prêtrise. » Il répondit : « Quand bien même vous m'enlèveriez ce trône de bois, vous ne pourrez pas m'enlever le trône que le Messie m'a préparé dans le ciel[85] ». Et comme il ne lui obéit pas, elle sortit fâchée et colère. — Quand l'empereur apprit ce qui s'était passé, il ordonna à l'un de ses ministres, nommé Soumarté?, de le conduire en exil.

Ce maudit, à son arrivée, interpella mon père et se moqua de lui en disant : « Si tu n'obéis pas à l'empereur, pars et va en exil. » Quand je vis qu'ils interpellaient ce saint vieillard, je pleurai et dis à cet envoyé maudit : « Je te prie de ne pas te moquer de lui, car il est peu robuste, si l'empereur est irrité contre lui, toi pourquoi le fais-tu souffrir? » — Quand l'un des hérétiques m'entendit parier, il courut sur moi, me donna un soufflet et dit : « Si tu vas avec lui en exil, va; sinon tais-toi. » — Mon père, irrité, regarda derrière lui, vit ce que faisait cet hérétique, leva les yeux au ciel en soupirant et reçut la grâce du Messie. Ce misérable nous conduisit vers la mer et nous nous y arrêtâmes. Quand mon père Dioscore me vit pleurer, il me dit : « Considère, ô mon fils, ce qu'il t'est possible de donner au monde. Ce n'est pas le sang d'un Dieu, quand ils ont percé son côté d'une lance, qu'il en est sorti de l'eau et du sang et qu'il nous a sauvés. Pourquoi donc pleures-tu pour avoir reçu un simple soufflet ; as-tu donc pensé pouvoir manger les biens des églises sans rien souffrir en retour? » — Je lui répondis: « Je ne pleurais pas à cause du coup que j'ai reçu, mais à cause de toi que je voyais tiré de côté et d'autre. » — Il me répondit : « M'ont-ils fait une chose qui a été faite à mon Seigneur? »

Quand ils l'ont amené comme un voleur devant un tribunal et l'ont jugé iniquement, bien qu'il soit le Seigneur du ciel et de la terre qui sont l'œuvre de ses mains. A-t-on placé sur ma tête une couronne d'épine? M’a-t-on donné des soufflets? M'a-t-on flagellé? M'a-t-on frappé au visage? M’a-t-on frappé la tète d'un bâton? M'a-t-on suspendu sur le bois de la croix? A-t-on percé de clous mes mains et mes pieds? M'a-t-on abreuvé dé vinaigre mêlé de myrrhe? Et m'aurait-on fait tout cela que je mériterais encore plus par mes péchés. »

11. Il m'ordonna ensuite d'écrire à Juvénal :

Ne te laisses pas engloutir par le déluge d'eau, et que le puits ne ferme pas sa bouche sur toi, comme le chante David. Ne te laisses pas engloutir par le déluge de Nestorius, et que le puits de la lettre de l'impie Léon ne ferme pas sa bouche sur toi. Ce n'est pas une honte pour le pasteur, si le loup trouve une brebis en dehors du bercail et la tue; mais c'est une grande honte pour lui si, pendant qu'il veille le bâton en main, un loup vient, entre dans le bercail et le ravage sans que le pasteur lui dise : Pourquoi détruis-tu mon troupeau? Et si le loup s'élance sur le pasteur, lui déchire la chair, lui brise les os et que le pasteur ne lui dise rien, y a-t-il une honte plus grande? Je t'écris cela non comme ton maître, mais comme un conseiller, afin que tu ne quittes pas la voie royale pour marcher dans les épines et les chardons. Que le Dieu de tes pères te sauve comme un oiseau du filet du chasseur ! Porte le glaive de la vraie foi, tu éteindras (ainsi) tous les traits brûlants de Satan et tu les fouleras aux pieds.

Je portai cette lettre à Juvénal, il la lut, pleura amèrement et dit : « Ce m'est une douleur vive et cuisante d'abandonner ma ville et d'aller en exil. » —-Je lui répondis : « Est-ce que ton âme n'est pas plus précieuse que le monde entier? Est-ce que Dieu ne conduira pas bien ton troupeau sans toi? Où sont les paroles que t'adressait Nabarnougios?[86] » Basile de Séleucie répondit : « Vois la hauteur de ces Alexandrins[87] qui ne respectent ni les rois ni les archevêques ! » — J'ajoutai : « Les morsures de l'ami valent mieux que les applaudissements de l'ennemi et mes reproches l'emportent sur les honneurs qu'il décerne. » Léontios, évêque d'Ascalon,[88] était assis près de nous et nous entendait, il cria : « Ce Dioscore est devenu un scandale pour toute cette assemblée d'évêques, car il veut que tous soient exilés à cause de lui, ce saint dit de lui-même qu'il combat pour la vraie foi et il ne remarque pas que Dieu estime plus que lui ces trois sièges (Rome, Constantinople, Antioche) et toute cette foule d'évêques. Si Benjamin meurt, est-ce que tout Israël périra? Si Alexandrie est ravagée et s'il meurt en même temps, est-ce que le monde restera sans archevêque? » Après avoir entendu tout cela, je le mis par écrit auprès de mon père saint, et il leur fit encore la lettre suivante :

Jacob ne quitta pas la maison de son père avant qu'Esaü n'eut dit : les jours de la mort de mon père Isaac approchent et je tuerai Jacob. — Joseph n'eut pas été serviteur si ses frères ne l'avaient pas vendu. — Personne n'accusa Moïse, sinon l'un de ses frères. — Les soixante-dix enfants de Gédéon ne furent tués que par leur frère qui les immola sur une même pierre. — Le géant Samson ne fut lié que pour avoir confié son secret à sa femme. — Les opprobres des Philistins n'affligèrent pas David autant que les blasphèmes de ses frères. — Ses deux fils, Amnon et Absalom, ne moururent que parce que l'un s'éleva contre l'autre et le tua. — Et, pour ne pas rappeler toute l'Écriture, les plaies de Job ne le firent pas autant souffrir que les reproches de ses amis et de ses compagnons. — Pour moi je n'ai pas ressenti les injures de Théodoret, d'Ibas et d'André, quand ils me couvraient d'opprobres, comme celles de Basile et de Léontios, qui est une brute, comme son nom l'indique (Λέων?). Mais vous, comment espérez-vous rester longtemps sur vos sièges? Par le Dieu vivant, aucun ne restera six mois entiers sur le trône parmi les six cent trente-quatre évoques qui sont assemblés à Chalcédoine. Il y en a plusieurs parmi vous qui ont reçu leur consécration ces jours-ci, et n'ont encore mangé que durant un jour le pain de l'Église, mais ils ont confiance qu'ils le mangeront après avoir corrompu la foi divine et ils pensent siéger de longues années sur leur trône et manger les biens de l'Eglise sans avoir combattu pour elle, comme les soldats qui reçoivent leur paie et la mangent, mais ne combattent pas devant l'empereur, parce qu'ils sont des fuyards ; quand ils voient la guerre, ils fuient pour se conserver; cependant les soldats courageux reviennent avec des blessures sur leur corps et sont honorés par l'empereur qui s'informe alors des soldats fuyards : on les amène au milieu, on leur crache à la figure et on leur dit : « Vous vous êtes mal conduits, ô fuyards, ô mangeurs de salaire sans combattre· et aussitôt on les condamne à mort. — Il en sera de même de ces évêques renégats assemblés maintenant à Chalcédoine, ils veulent manger les honneurs du fils de Dieu que les foules leur rendent, mais ils ne seront pas rassasiés de leurs sièges et mourront promptement. Et celui-là qui est appelé Léontios, mourra en exil, et quand ils le rapporteront pour le conduire à la ville d'Ascalon, une tempête s'élèvera contre eux sur la mer et son corps sera jeté dans les profondeurs de la mer, comme Pharaon jadis, et ils en nommeront un autre à sa place.

Aussi, quand nous étions à Gangra, saint Pierre l’Ibérien nous écrivit qu'il en était ainsi, il fut jeté à la mer[89] et la prophétie de mon père à son sujet fut accomplie. — Il écrivit encore dans cette lettre les paroles suivantes :

Ο impie Juvénal, qui a ravagé Jérusalem plus que le Chaldéen ! Les Chaldéens ont ravagé la Jérusalem visible, et ont emmené en captivité les vieillards, les enfants et les femmes, mais lui il a donné toute sa ville en captivité à son père Satan pour qu'il en fasse ce qu'il voudra. Ο Jérusalem, ville du grand roi, donnée en héritage à cet évêque qui a éteint sa lumière et l’a changée en ténèbres! ô ville fidèle donnée en héritage à l'infidèle ! ô ville sainte qui a reçu un homme pécheur tel qu'il n'y en a pas de plus mauvais sur la terre, plein de lèpre fétide et de tout ulcère détestable ! Que mes malédictions montent jusqu'au ciel des cieux élevés, qu'elles arrivent devant Dieu tout puissant et retombent de là sur la tête de l'impie Juvénal, et de tous ceux qui adhèrent ou adhéreront au concile impie et maudit de Chalcédoine. Pas un jour de ma vie, je ne cesserai de demander au Seigneur d'arracher leur souche delà terre des vivant. O Dieu ! écoute la prière que je t'adresse des profondeurs de mon cœur et venge tes saints que Juvénal a souillés, venge ta mère vierge que Juvénal a chassée du milieu de ses filles : les vierges qui se fortifient dans sa pureté, et vivent dans le monastère do mont des Oliviers.[90] Ο Dieu, écoute les prières (que je t'adresse) du profond de mon âme, que cela retombe sur la tète de l'impie Juvénal et sur son cou ainsi que sur Basile, sur Léontios, sur tout l'abominable concile de Chalcédoine et sur quiconque y adhère, car ils ont affligé mon âme jusqu'à la mort. Je sais que mes amis se sont éloignés de moi, et ceux que je connaissais m'ont trompé; eu toi, mon sauveur Jésus Christ, sont mon espoir et ma confiance.

Il les maudit dans cette même lettre où il écrivait :

Quiconque recevra la lettre de l'impie Léon de Rome sera maudit par le Père, le Fils et le Saint-Esprit, un seul vrai Dieu, et Dieu chassera de la Sainte Eglise et maudira pour toujours quiconque n'anathématisera pas ses partisans. Malédiction sur quiconque défendra d'une manière quelconque une hérésie. Malédiction sur quiconque placera deux natures dans le Messie après l'unité indivisible ! Malédiction sur quiconque dira dans le Messie deux propriétés, et deux opérations ! Maudit soit celui qui sépare la divinité du corps, ne serait-ce qu'un instant, soit par pensée, soit par parole! Maudit soit celui qui fait une autre profession de foi, plus ou moins considérable, que celle donnée par Dieu, par la bouche des saints pères de Nicée! Malédiction sur quiconque reçoit (dans sa communion) l'impie Nestorius, Ibas, Théodoret, André, Diodore, et Théodore ! Malédiction sur eux et sur leur enseignement abominable ! Pour nous, nous confessons que la divinité n'a pas été séparée de l'humanité, pas même durant un clin d'œil, nous confessons qu'a sa descente du ciel, où elle siégeait à la droite de son père, elle entra dans le sein de la Sainte Vierge Marie, et il unit la divinité à l'humanité pour n'en être plus jamais séparée. De même qu'il n'y eut pas de commencement pour la divinité, il n'y aura pas de fin pour la divinité et l'humanité, il suça le lait d'une femme, tandis que la divinité était unie à l'humanité. Ne dis pas que sa divinité a commencé au Jourdain, quand la voix du Père lui arriva du ciel, mais dès qu'il se trouva dans le sein de la vierge Marie, le Verbe s'unît à la chair et sa divinité ne fit qu'un avec son humanité, sans distinction, sans changement et sans confusion. Et quand il fut pendu sur le bois et supporta tous les coups pour nous, sa divinité ne se sépara pas de son humanité, il monta au ciel avec le même corps qu'il avait pris de Marie, mère de Dieu, et il liège a la droite de son père. Voilà le fondement de ma foi, et quiconque ne croit pas ainsi, l'église catholique et apostolique le rejette de son sein et le regarde comme un étranger, mais Dieu surtout, maître de l'Eglise, le maudit dans ce monde et dans l'autre. Voilà quelle sera ma foi, de moi Dioscore, jusqu'à mon dernier souffle.

Alors moi Théopiste, je portai cette lettre au concile, le soir de ce même jour[91] et quand ils me virent, l'un d'eux dit : « Voilà ce disciple bavard de Dioscore qui vient encore ». Ils n'avaient pas encore souscrit la lettre, mais étaient en discussion, parce qu'ils avaient reçu sans épreuves les hérétiques anathématisés. Ils me dirent : « D'où viens-tu? » — Je répondis : « Je vous apporte la lettre de mon père. » L'un des suffragants de Basile de Séleucie, nommé Panopropios[92] la prit et la lut. Quand il arriva aux malédictions violentes et aux anathèmes contre Juvénal et Léontios, il dit en pleurant : « Plaise à Dieu que mes pieds soient brisés avant que je marche avec Basile et que je (re) vienne ici. Voilà que mon âme va dans la géhenne avec Basile. Que les prières de saint Dioscore m'aident ! afin que je ne tombe pas dans le filet tendu ou tombèrent tous les évêques ». —Basile lui répondit : « Voilà que celui-là erre avec Dioscore ». — Panopropios repartit : « Plaise à Dieu que j'aie sa sagesse, sa gloire éclatante et sa foi dans le Messie. Il est vrai que jamais les évêques d'Alexandrie n'ont abandonné la foi orthodoxe. Dieu, qui a éprouvé Dioscore, sait que le péché commis en recevant ces hérétiques sans épreuves ne nous sera pas pardonné. Croyez-moi, si Dieu ne nous sauve pas, aucun de ces six cent trente évêques n'échappera à la perdition ».

12. Quand tous ces évêques eurent entendu les malédictions et les décisions (de foi), ils frappèrent des mains et dirent : « Nous voilà sous les anathèmes et les décisions de Dioscore; si cela n'est pas annoncé à l'empereur pour qu'il envoie des auxiliaires avec nous afin de nous faire recevoir, les foules nous empêcheront d'entrer dans les villes ». — Panopropios qui avait lu la lettre de mon père, dit : « Je me lèverai et j'irai près de Dioscore, je me prosternerai devant lui, pour qu'il m'épargne ces malédictions et ces anathèmes ». Il s'enfuit secrètement et vint au bord de la mer près de mon père et quand mon père le vit, il dit à l'archidiacre Pierre: « Voilà que cette brebis, qui est en même temps un pasteur de brebis intelligentes, a pu fuir la gueule des loups et des lions malfaisants, c'est Panopropios, évêque Isaurien ». Et quand il arriva près de nous, il dit mon père : « Laisse-moi, Seigneur, parce que j'ai péché contre Dieu et contre la foi, mon seigneur et mon père, laisse-moi, aie pitié de ma faiblesse, que mon âme ne me quitte pas pour aller à la perdition avec la foule des évêques impies qui est à Chalcédoine. En vérité, j'en jure par ta prière, quand j'ai lu ta lettre, Dieu m'a montré une épître pleine de malédictions et d'anathèmes qui descendait du ciel sur ce concile ». — Saint Dioscore lui dit : « Pourquoi as-tu été avec eux? » — Il répondit : « J'ai péché, mais Notre Seigneur n'est venu en ce monde que pour sauver les pécheurs comme moi qui tombèrent et errèrent ». — Dioscore lui dit : « C'est parce que Dieu voulut avoir pitié de toi et te ramener à son bercail qu'il te montra ces deux épîtres, l'une d'en haut et l'autre d'en bas, où tu as maudit ces méchants qui ont recherché la gloire des hommes et ont renié Dieu créateur de l'univers ; et maintenant je te le dis de la part de Dieu : si tu ne retournes pas t'associer avec Basile et avec le reste de ces évoques menteurs et trompeurs, tu ne tomberas pas sous les malédictions et les anathèmes que tu as entendus, mais tu seras renouvelé en grâce ». — Panopropios dit : « Comment puis-je me sauver? car j'ai appris que leur consentement est écrit aujourd'hui sur la lettre de l'impie Léon, et l'empereur a défendu qu'aucun navire emmenât quelqu'un de Chalcédoine », — Dioscore lui dit : « Ils se préparent aujourd'hui à nous emmener d'ici, viens avec nous comme si tu étais avec moi, et tu sauveras ton âme ». Pendant qu'il parlait, un messager vint en hâte pour nous conduire en exil. Saint Panopropios dît à mon père : « Attends-moi un peu que j'aille chercher mes livres et mes disciples ». — Mon père lui dit : « Ne nous cause pas de peine et ne nous jette pas dans l'anxiété à ton sujet, afin que la porte du ciel s'ouvre pour toi et que tes livres ne te conduisent pas au Schéol ». — Il répondit et dit à mon père : « Ne m'impose pas le fardeau des péchés des autres, je n'y irai pas, celui qui mourra mourra, et celui qui vivra vivra, je commence par me sauver moi-même ». — Il était cependant peiné en pensant à ses disciples, de crainte qu'ils ne restassent dans la communion des maudits. Mon père aussi était peiné, il dit : « Eloignons-nous un peu et prions, peut-être Dieu leur donnera-t-il la pensée de venir près de nous ». Et mon père se mit à genoux, pria beaucoup et dit d'un cœur angoissé ; « ô Dieu qui opère des merveilles en faveur de tes serviteurs, je t'en prie, Seigneur, écoute ton serviteur Dioscore, et ramène-nous les brebis égarées comme tu nous as ramené le pasteur ». — Et il arriva que les disciples de Panopropios l'attendaient et se demandaient où était allé notre père aujourd'hui (car ils ne savaient pas qu'il était près de Dioscore). Quand un ange du Seigneur leur apparut sous l'apparence de Dioscore et lui dit : « Pourquoi restez-vous ainsi? » ils répondirent : « Nous attendons notre père, car nous ne savons pas où il est allé ». L'ange répondit : « Levez-vous, venez avec moi et je vous conduirai près de lui ». Ils prirent tout ce qu'ils avaient et suivirent l'ange; l'un d'eux dit à ses camarades : « Je sais que celui-ci est Dioscore l'archevêque d’Alexandrie, celui que l'empereur a exilé ». Un autre reprit : « Est-ce que, lorsqu'il a appris qu'on voulait l'exiler, il ne s'est pas joint aux autres évêques? Cependant je ne puis croire cela, car il avait déjà anathématisé tous les évêques par ses décisions, tomberait-il lui-même sous son anathème? Cela ne peut pas être ». Alors l'ange se tourna vers eux et leur, dit : « En vérité il n'en sera pas ainsi et la foi de Nicée ne périra pas non plus éternellement, mais voilà que je vais vers mon Dieu, avec cette foi dans mes mains que je lui remettrai en offrande ». — Les disciples dirent : « Tu entendais donc nos paroles, ô notre père? Nous pensions que tu n'entendais rien ». Il leur dit : « Les pensées des cœurs elles-mêmes n'échappent pas à ma connaissance ». — Ils lui dirent : « Ce faix de souffrances que tu portes à cause de la foi ne servira-t-il à rien? » Pourquoi n'as-tu pas été favorisé de visions et de révélations comme les pères qui t'ont précédés depuis Athanase jusqu'à Cyrille? » — L'ange reprit: « Savez-vous qui je suis? » — Ils dirent : « Tu es notre père Dioscore ». — Il répondit : « En vérité je ne suis pas Dioscore, mais je suis l'ange qui conserve la vraie foi et combat pour tous les orthodoxes ». A ces paroles, il mit la main sous son manteau, en tira un volume et dit : « Voici la foi orthodoxe de Nicée », puis il en tira un second et dit : « Voici les douze chapitres de saint Cyrille et les autres que porta Dioscore dans ce pays. Je suis l'ange de la vraie foi et des premiers évêques. Je suis attaché à Dioscore depuis que saint Cyrille m'a pris par la main et m'a conduit sur le saint autel devant Dieu tout puissant qui siégeait sur le trône de vie en présence de tous les ordres célestes. Il m'appela et me dit : Ange qui a été avec tous les premiers évêques, sois avec mon fils Dioscore jusqu'à ce que tu l'amènes près de son maître tel qu'il t'a été confié. Quand Cyrille eut dit ces paroles devant Dieu sur le trône de vie, je m'attachai à Dioscore et ne le quittai plus. Je ne le quitterai qu'au moment ou je le ramènerai à Dieu tel que mon père Cyrille me l'a donné. Je le favorise aussi de visions et de révélations, comme les premiers pères ». — Après ces paroles, le saint ange s'approcha de la mer, étendit la main et dit : « Voilà votre père et voilà aussi Dioscore dont je vous ai parlé ». — Et aussitôt l'ange se cacha à leurs yeux.

Quand ils arrivèrent près de nous, pleins de crainte et de tremblement, nous crûmes que les évêques avaient souscrit la lettre impie et que ceux-là, refusant de souscrire, s'étaient enfuis et étaient venus près de nous; mais mon père, dont l'esprit savait ce qui leur était arrivé, leur dit : « Voici votre père avec nous », puis il nous raconta tout ce qui leur était arrivé et ce que l'ange leur avait dit.

13. Quand nous montâmes sur le navire pour partir, un homme qui venait de l'assemblée impie des évêques et portait de mauvaises nouvelles se joignit à nous. Mon père lui dit : « Quelles sont les nouvelles du concile? » — Il répondit : « Assez mauvaises ; car quoi de plus mauvais que de voir tous les évêques unanimement détruire la vraie foi : ils ont souscrit aujourd'hui à la troisième heure la lettre impie, et vive Dieu ! s'il n'y a eu aucun autre évêque comme toi, cependant tous ne sont pas des renégats, car, je le jure par tes saintes prières, j'ai vu les larmes de beaucoup couler et tomber sur récrit au moment où ils le tenaient entre les mains pour signer ». Mon père lui demanda comme s'il ne le savait pas : « Juvénal a-t-il signé? » — Cet homme répondit : « Quel est celui-là? Est-ce le vieillard de la ville sainte Jérusalem? » — Mon père lui répondit : « Oui, c'est lui ». — Cet homme reprit : « En vérité ses (habits) blancs[93] seront jetés dans les ténèbres extérieures, car c'est à cause de lui que tous furent perdus et commirent le mal, j'en ai encore vu un autre, nommé Basile, qui cherchait l'un de ses évêques pour lui faire signer son adhésion, il ne le trouva pas et réclama près de l’hipparque qui les gardait ». — Nous comprîmes qu'il parlait de Panopropios et à ce moment le vent souffla sur notre navire. Nous avançâmes en mer et notre père dit : « C'est en Dieu que je chercherai un appui solide, le lien est brisé et nous sommes délivrés[94] ». Arrivés au port de Constantinople, mon père dit à Panopropios : « C'est d'ici que tu vas retourner à ta ville, car si tu viens avec nous en exil, les habitants du pays ne te laisseront plus retourner chez toi, et tu seras gardé avec nous ». Et Panopropios fut béni par mon père, descendit du navire et conserva sa ville dans l'orthodoxie.[95]

Pour nous, on nous conduisit dans l’île appelée Gangara (Gangra)[96] et on nous livra aux mains d'un évêque qui ne craignait pas Dieu, homme au cœur impur et Nestorien, car Nestorius l'avait consacré.[97] Quand il vit mon père, il demanda à l'envoyé qui nous accompagnait ! « Qui est celui-là? » — Il répondit : « C'est Dioscore d'Alexandrie ». — Or, mon père était debout devant lui, et cet évêque était assis. — Il lui dit : « Tu es Dioscore, voilà donc que le sang et l'oppression de l'archevêque Nestorius sont retombés sur le trône d'Alexandrie, car Cyrille l'a anathématisé follement, Dieu n'a pas voulu priver ce dernier de son siège parce qu'il avait déjà fait auparavant quelques bonnes actions, mais il l’a enlevé à son disciple ». — Quand cet impie eut dit ces paroles, l'un de ceux qui l'accompagnaient lui dit : « Pourquoi l'archevêque est-il debout pendant que tu es assis? »·— Ce prévaricateur répondit : « L'empereur ne nous l'a pas envoyé comme archevêque, mais comme criminel », et, comme notre père se taisait, il ajouta : « Pourquoi n'as-tu pas obéi à l'empereur, ô Dioscore? » —Mon père lui répondit : « Tant que les empereurs obéissent à Dieu je leur obéis, moi comme mes pères, mais, à ce moment, où les empereurs sont impies et éloignés de Dieu, je me sépare d'eux ». — Cet impie dit alors à l'envoyé. « Tu l'entends affirmer que les empereurs sont éloignés de Dieu! » — L'envoyé répondit : « Il a dit devant l'empereur des paroles plus blessantes que celles-là et on ne l’a pas mis à mort ». —L'impie dit : « Ce sont là des paroles des bavards Alexandrins ». Puis il nous livra à des barbares qui nous tourmentaient et nous chassaient l'hiver dans les endroits froids et l'été dans les endroits chauds, et pour ne pas raconter tous les maux que nous avons supportés de la part de cet impie et ne pas perdre de temps à les exposer, j'en rapporterai quelques-uns seulement à votre charité (pour vous) :

Quand il apprit que nous étions connus des hommes qui habitaient au même endroit que nous, il nous enleva de là et nous conduisit dans un autre endroit où l'on ne nous connaissait pas, afin que l’on nous y fît souffrir. Mais ce qui est pis que tout, il nous fit longtemps souffrir de la faim, car il ne nous donna que trois petites galettes (κολλύρα) pour nous trois, c'est-à-dire pour mon père, pour Pierre et pour moi. Quant aux autres disciples qui nous accompagnaient, il ne leur donna rien; quelques-uns de ceux-ci savaient coudre des peaux et d'autres des habits et on ne leur donnait pas la moitié de ce qu'ils gagnaient : notre père ne mangeait que tous les deux ou tous les trois jours et souvent il fut malade d'une semaine à l'autre.

14. Sur ces entrefaites, un marchand d'Alexandrie vint acheter du poil de chèvre (de la laine) dans l’île de Gangara et comme je me promenais le long de la mer avec un de nos frères, je lui dis : « Monte sur ce navire, fais-toi mendiant et demande quelque chose pour nous faire vivre aujourd'hui ». Je fis cela, parce que je ne savais pas qu'il y avait dans ce navire quelqu'un de notre ville; si je l'avais su, j'aurais préféré mourir de faim plutôt que de recourir à lui. Ce frère y alla donc et dit au marchand : « Le diacre de Dioscore, l'archevêque d'Alexandrie, te demande une petite aumône et Dieu te bénira ». Le marchand répondit : « Dioscore a besoin d'aumône! » Quand j'entendis sa voix, je le reconnus et courbai mon visage vers la terre, mais le marchand me dit : « Seigneur diacre n'aie pas honte, je savais que vous étiez en pays étranger »; — il ne savait pas que nous étions en exil, mais croyait que nous errions sur la mer— il ajouta : « Où est notre père Dioscore? » Je lui répondis : « On le garde ici ». — Il vint avec moi près de lui, et quand il vit mon père, il pleura et lui dit : « Comme je le vois, tu ne peux te sauver de ces liens ». — Notre saint père lui dit : « Mon fils, tant que nous conserverons intacte la foi de nos saints pères, nous serons saufs »; et il lui adressa beaucoup de paroles utiles à l'âme. Alors (le marchand) sortit la serviette (mantile) dans laquelle était lié l'argent, c'est-à-dire l'or, et la donna à mon père en disant : « Seigneur reçois cette aumône de ton fils, afin qu'elle serve à tes dépenses et à celles de mes frères qui sont tes fils, puisque vous êtes en exil ». — Mon père lui dit : « Mon fils, nous ne sommes pas en pays étranger, Dieu qui a créé le monde et qui nous a aidés à combattre pour la vraie foi peut faire que nous ne soyons pas étrangers dans quelque lieu que nous allions, et maintenant je n'accepte rien de toi parce que la terre dans sa plénitude appartient au Seigneur et il ne nous laissera pas manquer de notre nourriture quotidienne ». — Ce marchand insista jusqu'à ce qu'il eut accepté l'aumône, puis il partit en pleurant après avoir été béni.

Depuis ce jour, chaque fois que Dioscore voyait un homme dans le besoin, il lui donnait de cet argent jusqu'à ce qu'il n'en restât plus, et je vous jure, ô peuple fidèle, que de tout cet argent il n'en détourna pas pour nous, pas même un ἀργύριον, c'est-à-dire une obole. Nous en étions peines et nous disions entre nous : « Nous sommes plus nécessiteux que personne, pourquoi nous délaisse-t-il pour donner aux étrangers? Dieu, sachant que nous avons été exilés pour l'orthodoxie et voyant notre faiblesse et notre besoin, nous a envoyé cette aumône nécessaire et voilà que notre père la donne en charités, tandis que nous, ses fils, nous manquons de tout sans qu'il nous donne rien ». Le marchand ne lui a pas dit : « Partage-la aux pauvres, mais prends-la pour toi et pour tes enfants puisque vous êtes en exil ». — Nous disions cela entre nous sans oser lui en parler; mais il connut nos pensées, appela Pierre et moi, puis nous dit sans détour : « Pourquoi tous deux murmures-vous contre moi en secret au sujet du marchand qui m'a donné l'argent distribué par moi en aumône pour mon compte? Est-ce que moi, Dioscore, j'ai demandé à vivre d'aumône? Bien plus si notre besoin augmentait et si, vive Dieu ! je n'avais plus rien que cette tunique qui couvre mon corps et ce manteau, je ne mangerais pas encore l'aumône de ce marchand, parce que je ne sais pas s'il a acquis cet argent avec justice ou par force. Dieu ne me demanderait-il pas devant son autel redoutable : Ο vieillard qui mange (des aliments) purs, pourquoi as-tu mangé le travail de cet homme et sans chercher, me dira-t-il, jusqu'à ta dernière obole si tu l'as acquis bien ou mal? Aussi quand j'arriverai à une extrême indigence qui surpassera mes forces, j'irai travailler avec les autres pour mon pain quotidien, et s'ils me chas· sent parce que je suis vieux — et Dieu sait que je n'ai plus la force de travailler — alors j'irai mendier comme l'un quelconque des enfants, mais j'ai confiance que Dieu ne nous laissera pas (tomber) de ses mains. Voici que, à ma connaissance, le père Paphnutios, supérieur du monastère de l'illustre père Pacôme, arrivera bientôt près de nous, et nous apportera une divine aumône abondante, car il a appris que nous sommes ici dans le besoin. Dieu m'a révélé cela en vision, mais que sa volonté s'accomplisse ».

15. Un mois avant ces paroles, Satan entra dans l'évêque de cette île, et il fit dire à mon père : « Dioscore, pourquoi as-tu dépouillé l'église d'Alexandrie et as-tu apporté (ces biens) ici? Pourquoi as-tu distribué des biens de l'Église en aumône? C'est ce que m'écrivait ton disciple Protérios qui a obéi au roi et a souscrit le premier à la lettre de Léon, puis a reçu l’archiépiscopat, parce qu'il adhérait au concile de Chalcédoine. Maintenant renvoie le trésor (κειμήλιον) de l'Eglise, ô toi qui n'es pas digne de l'Église; si, du reste, tu en avais été digne, tu serais encore sur ton siège, comme tous les autres évêques ». Pierre, l'archidiacre, répondit tout en colère à cet impie : « D'abord il n'est pas permis à un évêque de mentir et ensuite celui dont tu viens de parler qui a obéi à l'empereur et au concile de Chalcédoine, a ravi la grandeur et le pouvoir en se perdant lui-même, car il avait juré avec anathème devant Dieu et devant notre père qu'il n'adhérerait pas à une autre foi qu'à celle de Nicée; si tu es près de lui, tu verras, et si tu en es loin, tu entendras raconter les effets de la colère de Dieu contre cet impur. Et quant à mon père, dont tu as dit qu'il n'était pas digne de l'épiscopat, quel autre aurait pu supporter toutes les souffrances que tu lui as infligées, à moins d'avoir un corps de fer? J'en témoigne devant Dieu, il n'a pas d'émulé parmi tous les évêques de l'univers, parce qu'aucun autre homme que lui n'a été gratifié d'une saine orthodoxie ». — Cet évêque impie lui répondit : « Si tu es diacre, il ne te convient pas de parler contre un évêque ». — Dioscore lui répondit : « Et toi, tu es évêque ou préfet ; si tu es évêque, l'apôtre Pierre te dit : Vous ne serez pas comme les maîtres d'un troupeau mais lui servirez de bel exemple.[98] Et si tu es préfet, l'apôtre Paul te dit : Que les chefs ne soient pas un objet de crainte pour les bons serviteurs;[99] tu me traites comme un ouvrier d'iniquité et cependant je suis arrivé à la vieillesse sans rien taire de mal. Si je suis un prévaricateur, Dieu tirera vengeance des prévaricateurs,[100] comme il est écrit ». — Cet impur répondit : « Laisse l'œuvre de l'Église à sa place, ô toi qui es devenu enragé, en vérité tous les Alexandrins sont enragés et Cyrille le bavard l'est plus que tous les autres, car il a imposé des chapitres à la foi, il blasphémait et ne savait ce qu'il disait et il a anathématisé le saint archevêque Nestorius ». — Alors saint Dioscore inspiré par le saint Esprit ouvrit la bouche et dit : « Ο impie et maudit, tu blâmes saint Cyrille avec ta langue bavarde et impure ! Que Dieu te perde dans la force de sa colère et que tous les dogmes de saint Cyrille t'expulsent avec l'impie Nestorius que tu appelles juste et docteur. Comment serait-il juste celui qui a renié le Messie en disant, de sa bouche impure et de sa langue schismatique, que celui qui est né de la Vierge Marie est un homme. Pour toi, tu es maudit de ma bouche, tu es séparé et rejeté de toute l'Église, non seulement de l’épiscopat, mais des divers mystères, dont tu ne devras plus approcher, jusqu'à ce que tu aies reçu les douze chapitres de saint Cyrille et toutes ses décisions remarquables par lesquelles il combattit Nestorius et ses paroles méprisables ». — A ces paroles, cet impur irrité dit : « Est-ce qu'un homme rejeté par six cent trente-quatre évêques a encore le pouvoir d'anathématiser quelqu'un, lorsqu'il est anathématisé lui-même? » — Mon père lui répondit et lui dit : « Ο homme au cœur brisé et à l'esprit dévoyé, j'ai été seul à combattre pour l'orthodoxie, l'empereur voulut obliger les évêques à souscrire, mais, parce que j'étais au milieu d'eux, ils n'ont pas souscrit, ils m'ont exilé parce que j'ai fait des reproches à l'empereur et non à cause de la foi, et quand je les ai eu quittés, qu'ils m'ont cherché et ne m'ont pas trouvé, alors tous ont souscrit la lettre impure parce qu'il n'y eut plus aucun homme puissant pour s'élever contre les paroles des Nestoriens, et quand ils eurent souscrit, je leur écrivis leur déposition. Si donc je n'ai pas craint devant tout le concile, craindrai-je devant toi pour ne pas t'anathématiser? Me voici dans les mains de Dieu et devant toi, fais de moi ce que tu voudras, si tu ne confesses pas ce que j'ai dit, je ne te délierai pas de l'anathème ». — Alors ce tyran et ce méchant irrité ordonna à deux de ses serviteurs de le tirer deçà et delà et de le faire souffrir. Pierre croyant que notre père défaillait dit à cet impur : « Ne vas-tu pas cesser d'infliger des souffrances à l'archevêque? » Le méchant répondit : « Il était archevêque jusqu'aujourd'hui, mais maintenant c'est un pur séculier et un malfaiteur ». — Pierre répondit : « Vive Dieu! si tu ne cesses pas de faire souffrir notre père, je me mettrai en mer au besoin sur une planche, j'irai trouver l'empereur et je lui conterai les maux que tu nous infliges, car l'empereur ne t'a pas ordonné de nous faire souffrir et sache que tes mauvaises actions ne te profiteront pas ». — Mon père fît signe à Pierre et lui dit : « Laisse-le faire ce qu'il veut ». — A ces paroles, l'impie craignit beaucoup.

16. Pendant que les serviteurs traînaient notre père, l'ongle de l'un d'eux l'égratigna à la main, et il en sortit du sang que j'essuyai avec mes mains. En sortant de chez ce misérable, je vis assis sur sa porte un homme qui avait la main desséchée. Je résolus d'essayer si notre père était arrivé à la hauteur des premiers pères qui souffrirent pour la foi orthodoxe, comme Alexandre, Athanase et les autres. J'allai près de cet homme qui avait la main desséchée et je lui dis : « Montre-moi ta main, tu es donc né ainsi? » — ô grandeur des miséricordes de Dieu! — pendant que je lui disais cela comme pour l'interroger, je fis sur la main un signe de croix avec le sang de notre saint père et cet homme cria et dit : « Que fais-tu en me couvrant la main de sang? » Et aussitôt elle fut étendue aussi bien que l'autre main par la vertu de Dieu qui réside dans ses saints. Je courus aussitôt près de mon père et cet homme venait derrière nous en criant : « Vive le Dieu de ce diacre d’Alexandrie ! » —- Mon père me dit comme s'il ne savait rien : « Qu'y a-t-il, mon fils?» — Je lui répondis : « Rien ». — Mais cet homme annonçait par toute l’île le miracle qui avait été accompli sur sa main, et mon père saint me dit : « Tu me fâches beaucoup à cause de cela ».

A cette nouvelle, le faux évêque fut rempli de crainte et comme il se préparait un dimanche à aller communier, et se rendait à l'église avec son clergé, quand il fut sur le point de passer la porte de l'église, ses yeux s'ouvrirent, il vit un ange redoutable debout sur la porte. Il portait en main une épée nue dont l'extrémité était recourbée en hameçon, et s'avança contre lui avec colère. (L'évêque) s'enfuit devant lui et se cacha dans son clergé. L'ange n'était pas visible aux autres, cependant on entendait ses paroles : « Ο impie et maudit! tu oses entrer à l'église lorsque tu n'as pas demandé pardon au saint archevêque Dioscore ! Que je ne combatte plus une autre fois contre toi. J'aurais demandé à te tuer avec cette épée au moment où tu as osé parler mal de saint Cyrille, si ce saint Dioscore ne m'avait demandé en secret de ne pas appesantir ma main sur toi, mais, vive Dieu ! misérable, si tu oses entrer sans avoir demandé pardon avec larmes à saint Dioscore, je t'enfonce cette épée dans le ventre et je répands tes entrailles sur la terre ». A cette vue, le faux évêque sécha de crainte et pleura abondamment. Il retourna aussitôt de près de l'église et vint chez nous, tremblant, et le supplia en ces termes : « Ο seigneur et père saint, aie pitié de mon humilité, il est vrai, ô mon saint père, que les animaux irraisonnables connaissent leur maître et que moi je ne l'ai pas connu.[101] Je m'humilie devant toi, ô saint, et je te conjure, par le saint esprit qui habite en toi, de ne pas faire contre moi comme j'ai fait contre toi, moi malheureux, qui ai obéi à un empereur mortel et t'ai causé ces grands maux ». Notre père lui dit : « Ce n'est pas à cause de moi que cela t'est arrivé, mais à cause des injures que tu as adressées à mon père saint Cyrille et à ses chapitres ; maintenant loue saint Cyrille et maudis Nestorius, ainsi que ses paroles méprisables. Renie la lettre de l'impie Léon et les six cent trente-quatre évêques qui y ont adhéré ». Cet évêque consentit et écrivit de sa main ce que lui dicta notre père. Il écrivit : Je reçois Cyrille et ses chapitres, je maudis Nestorius et ses blasphèmes; je méprise, maudis et anathématise l'impie Léon, sa lettre et les six cent trente-quatre' évêques réunis à Chalcédoine. Après qu'il les eût anathématisés, notre père le reçut, le sanctifia et l'admit à la pénitence et de ce jour commença la sanctification de son âme et il n'obéit plus aux paroles de l'empereur.

17. Après cela le père Paphnutios,[102] chef des moines de Tabennisi, des fils du père Pacôme, vint au port.[103] A cette nouvelle notre père se réjouit beaucoup, comme s'il oubliait toutes les souffrances endurées et il alla à la rencontre de saint Paphnutios. Quand Paphnutios vit notre père, il lui dit : « J'ai trouvé Israël comme une vigne qui porte des fruits dans le désert et comme un champ qui porte des racines de figuiers. C'est ainsi que je te trouve quand tu combats pour le Seigneur, notre Dieu, et pour sa foi orthodoxe, au milieu des six cent trente-quatre loups ». Après ces paroles, ils s'embrassèrent en pleurant, et (Paphnutios) tomba aussitôt aux pieds de notre père saint Dioscore et les embrassa. « J'adore, dit-il, la terre qui porte tes pieds, car cette terre qui les porte est véritablement une terre sainte, et j'ai vu le buisson dans lequel est le Messie, c'est-à-dire son corps, la divinité y était unie sans changement et sans confusion, comme le buisson qui brûlait sans se consumer, ainsi la divinité et l'humanité ne sont pas séparées l'une de l'autre depuis qu'il entra dans le sein de la Vierge Marie, mère de Dieu. Gloire à lui, que son nom soit loué dans les siècles des siècles, Amen ». Il vint ensuite avec nous au lieu où nous habitions et ils s'entretinrent ensemble des saints pères leurs prédécesseurs. Notre père parla des archevêques et de leurs belles actions, de l'archevêque Cyrille et de la femme samaritaine qui crût en notre seigneur Jésus-Christ par ses mains. Le père Paphnutios raconta les prodiges et les miracles des pères, ses prédécesseurs, du père Pacôme, de Pétronios,[104] de Théodore. Il raconta beaucoup aussi au sujet du père Schenoudin, comment il fut élevé et devint savant dès son enfance, et comment il monta un char de nuées, quand il retourna de la ville impériale par l'air.[105]

Pendant qu'ils causaient entre eux, les pieds de l'archevêque se fatiguèrent et il quitta les souliers qu'il portait. Or, il y avait, avec le père Paphnutios, un homme qui souffrait des pieds et qui avait la goutte, il prit ces chaussures, les mit à ses pieds el fut guéri.[106] Il y avait aussi un supérieur d'un monastère dont les pieds étaient recourbés en arrière et durs comme de la pierre, il prit les chaussures qui avaient chaussé ces saints pieds, j'ai confiance (dit-il) qu'au moment ou elles approcheront de mes pieds la douleur mauvaise, qui me faisait souffrir disparaîtra et je marcherai avec. Quand il eût mis ces chaussures aux pieds, ses nerfs devinrent aussitôt sensibles, ses tendons forent comme ceux des enfants, ses pieds s'étendirent et il marcha en louant Dieu et notre saint père. Et la renommée de saint Dioscore se répandit dans toute l'île de Gangra. On disait : « Dieu nous a envoyé un aide et un sauveur ». Dieu fit par ses mains un grand nombre de prodiges et de miracles qui ne sont pas écrits, nous avons écrit ceux-là pour que vous louiez Dieu qui habite dans ses saints.

18. Il y avait aussi dans cette île des marchands juifs, dont deux vinrent trouver notre saint père pour le tenter; l'un d'eux se fit passer pour boiteux et se mit des emplâtres sur les pieds, l'autre feignit d'avoir les mains desséchées;[107] quand ils virent notre père, ils lui dirent : Salut, ô homme de Dieu, nous venons pour que tu aies pitié de nous et que tu demandes à Dieu de guérir nos membres impotents afin que nous puissions travailler et retourner dans notre famille. Notre père connut leur fourberie et leur dit : « Qu'il en soit selon votre foi dans le Messie ». Les juifs lui répondirent : « Nous n'avons pas la foi dans le Messie ». Il leur dit: « Allez, puisque vous êtes boiteux et manchots »; et aussitôt leurs mains se desséchèrent et ils ne purent plus étendre leurs pieds, alors ils crièrent à haute voix et dirent : « Vive le Messie Dieu de Dioscore, ô notre père, nous savons que nous sommes pécheurs, nous prions ta paternité d'avoir pitié, nous avons entendu dire que le Messie, ton dieu, guérit les douleurs et fait le bien, il ne convient donc pas que son serviteur fasse du tort, nous sommes venus bien sains devant toi, ne nous laisse pas partir boiteux ». Notre père leur dit : « Vous aimiez cette espèce de corruption (maladie), voilà que Dieu vous l’a fait comme vous le désiriez. Il n'y a rien de pis que cela; lorsque Dieu vous avait fait sains et beaux, vous avez osé changer la beauté des créatures en corruption. » Quand ils eurent beaucoup prié et l'eurent supplié, il étendit ses mains saintes pria et dit : « Ο mon Dieu, Messie, mon Sauveur, ordonne que ces hommes redeviennent sains comme auparavant », il étendit sa main sur eux et aussitôt leurs membres furent guéris, ils louèrent Dieu et demandèrent à saint Dioscore de les faire chrétiens. Il les baptisa au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et ils furent confirmés dans la foi. Ils partagèrent leurs biens aux pauvres à l'exception de ce dont ils avaient besoin.

19. Quand arriva le jour de la fête de l'archange Michel, de Mathieu l'Évangéliste et de Jean Chrysostome, archevêque de Constantinople,[108] mon père dit au saint père Paphnutios, archimandrite du père Pacôme : « Allons à l'Église, parce que c'est un grand jour et faisons des offrandes à Dieu ». Après y être allés, avoir tout accompli selon les règles de la liturgie et avoir même revêtu les habits du service (de l'autel), pendant que nous nous tenions autour de la table de vie, nous entendîmes dire : « La cohorte des anges du seigneur entoure ceux qui le craignent et les protège ». Après quelque temps il me dit : « Va, mon fils, commence, car les leçons de cette sainte fête ont été lues », je lui dis : « Qui les a lues? » Il me répondît : « L'apôtre Paul, a lu la sienne, Jean l'Évangéliste a lu une de ses lettres, Luc les actes, notre Seigneur Jésus-Christ son Évangile », puis il ordonna à Pierre l'Archidiacre : « Va, tiens-toi devant l'autel et fais ton office sans crainte parce que le Messie empereur te l'ordonne ». Pierre étendit la main et commença la grande anaphore des apôtres, et quand il en arriva au saint, saint, saint, le Seigneur puissant, Dioscore dit à moi, à Pierre et à un autre diacre nommé Timothée : « Ne craignez pas si vous entendez la voix des anges qui louent Dieu ». Et aussitôt nous entendîmes la voix des anges qui disaient saint, saint, saint, le Seigneur puissant. Vous pouvez croire, mes frères, qu'une grande crainte nous saisit, nous étions comme morts à cause du son de la voix des anges. Aussi quand il en arriva à l’invocation du Saint-Esprit, dès qu'il eût prié, une grande lumière descendit aussitôt sur l'autel et la table de vie, et notre vénérable et saint père se tenait debout au milieu de cette lumière, pour nous, nous nous étions prosternés et restions comme morts. Quand on arriva aux prières pour les présents offerts à l'Eglise, (Dioscore) ordonna au père Paphnutios de nous relever de terre, il vint, nous prit par la main et nous releva et notre père Dioscore dit: « Prêche maintenant, ô Pierre »; mais il ne put parler, par crainte de ceux qu'il voyait sur la table de vie. Et quand notre père vit que nous craignions beaucoup, il fit signe à l'un des anges spirituels qui se tenaient près de la table de vie, et celui-ci prêcha. Quand la crainte nous eût quitté, nous prîmes part, avec grand respect, aux saints mystères.

Quand la communion fut terminée, nous nous assîmes pour nous reposer, et le père Paphnutios dit à notre père : « En vérité, à saint père, j'ai vu ton visage briller comme le soleil, et tout le temps que tu étais à la table de vie, ton visage brillait comme celui de Moïse, le premier des prophètes ». Notre père lui répondit : « Crois-tu que cela n'a ou n'aura lieu qu'aujourd'hui? En vérité je vous le dis, toutes les fois que j'offre la communion des orthodoxes en quelque lieu que ce soit, tout ce que vous avez vu m'arrive et s'y trouve rassemblé. Dieu a voulu vous le révéler aujourd'hui afin de vous persuader que la foi pour laquelle je combats est la foi véritable et orthodoxe qui a été fondée à Nicée par le Saint-Esprit, par la bouche des trois cent dix-huit Pères qui y furent assemblés ; c'est avec cette même foi que tous les ordres célestes louent Dieu. Dieu a voulu vous faire faire connaissance avec ceux-ci à la fête de Michel archange qui est aussi dans le ciel la fête des ordres célestes.[109] Je vous annonce aussi, mes amis, que ma fin approche; je me tairai dix mois et quatre jours après le second Teschri (Novembre) et terminerai ma course en exil. Je sais que le père Macaire, l’évêque de Tkoou, a quitté ce monde, car il était avec moi aujourd'hui sur la table de vie ». Le père Paphnutios lui en donna des nouvelles : « J'ai appris, dit-il, qu'après t'avoir quitté et s'être rendu en exil, à Alexandrie, un chalcédonien lui fut envoyé,[110] pour le faire adhérer à la lettre de l'impie Léon. Il ne voulut pas souscrire son adhésion et l'envoyé irrité lui donna un coup de pied dans les parties sexuelles.[111] Il rendit son âme à Dieu et mourut en martyr. La foule des fidèles prit son corps, l'ensevelit avec grand honneur et le plaça près du corps de Jean-Baptiste et du prophète Elisée, dans le temple qui leur avait été bâti ». Et notre père dit de lui cet éloge: Jai été jeune et j'ai vieilli et je n'ai pas va le juste abandonné.[112] Et maintenant, mes frères, il est temps que je vous raconte la sortie de ce monde de mon père saint Dioscore. Huit mois à peu près après la vision précédente, le premier du mois Tomouz (juillet) il eut une autre vision qu'il nous raconta ainsi : « J'ai vu cette nuit mon père saint Cyrille debout devant moi, avec une foule d'évêques que je ne connaissais pas. Il me dit leurs noms et j'entendis qu'il disait ou premier : notre père Alexandre et toi aussi, notre grand Athanase, bénissez mon fils Dioscore qui fut père de l'église. » Il appela aussi Ignace et lui dit : « Ο bienheureux Ignace rempli de Dieu, je sais que c'est aujourd'hui ta fête, mais veuille bien venir bénir mon fils. » Et je vis le radieux Ignace placer la main sur la tête d'un petit enfant et lui dire : Sévère, viens voir tes pères et imite leurs actions. Viens baiser les pieds des pilotes de l'église comme Alexandre, imite Athanase et les théologiens comme Cyrille. Souffre pour Dieu comme moi et comme mon père Ignace et, à l'exemple du saint persécuté Dioscore, tu n'erreras pas, bien que tu commences à souffrir de la persécution dès aujourd'hui. Quant à toi, Dioscore, écris à ton fils Timothée d'occuper ton siège parce que dans deux mois et quatre jours, tu viendras à moi ». Telle fut cette vision, et, depuis ce jour, ce saint de Dieu, Dioscore, fut malade et écrivit une lettre aux habitants d'Alexandrie pour qu'ils consacrassent Timothée archevêque.

20. Quand le père Paphnutios nous quitta pour aller en Egypte, mon père nous appela moi et l'archidiacre Pierre et nous dit : « Théopiste, mon fils, après ma mort laisse Pierre près de mon corps et sauve-toi, car un grand danger te menacera ». — Et deux jours avant son départ nous l'entendîmes dire : « Ne me resterait-il qu'un jour à passer sur la terre, je ne cesserais de te louer et de te bénir, ô Notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu! » Et après ce jour, à la première heure de la nuit, nous entendîmes une voix qui disait : « Voilà que je viens, moi Sévérianus. » Nous lui demandâmes quel était ce Sévérianus :

Celui-là, nous dit-il, était évêque de Gabala. — Il me dit encore : Pourquoi pleurez-vous mes enfants? — Nous lui répondîmes : Parce que tu nous laisses orphelins. — Il nous répondit : « Ne pleurez pas pour cela, parce que Dieu ne vous abandonnera pas, pleurez plutôt sur vos frères qui vous succéderont, parce que la fin les atteint, il n'y aura rien de bon après vous, ce ne sera que malédiction, mépris, dévastation universelle et souillure. Ce ne sera que cher vous en Egypte et dans la Syrie orientale qu'il restera de la vraie foi, et le reste du monde sera occupé par l'enseignement du démon. Après un certain temps quand les autels qui sont en Egypte seront détruits, alors le fils de perdition se révélera par tout le monde et malheur au monde quand ce méchant se révéleras. Après ces paroles il se tut et, quand arriva l'heure de rendre son âme à Dieu, il pria en ces termes : « Ο Dieu, mon sauveur, aide-moi en cette heure d'angoisse; que ceux qui viennent chercher mon âme pour l'enlever au corps ne s'effraient pas, et que ceux qui m'éprouveront (me jugeront) ne viennent pas après moi parce que, n'aurais-je été qu'un jour sur la terre, je ne serais pas exempt de péché, et que ceux qui garderont le paradis ne m'empêcheront pas d'entrer. Ceux qui viennent après moi, Seigneur, sont les esprits purs de tout péché, mais moi j'habite un corps chargé de péchés. Que ceux qui n'ont pas péché ne me soient pas cruels, à moi qui, au contraire, suis un pécheur. Que ceux qui se tiennent au passage du chemin ne m'effraient pas, que le fleuve de feu qui coule de devant toi ne me rencontre pas. Que les gardiens de la porte de Ta Grandeur ne m'empêchent pas, ô Perfection! d'arriver à toi. Rends-moi digne d'adorer ta gloire à visage découvert, sans honte. C’est à cause de cette heure, Seigneur, que j'ai enduré les souffrances, je ne me suis pas détourné de la foi orthodoxe; gloire éclatante à mes ancêtres et aux mamelles qui m'ont allaité parce que j'ai combattu pour l'orthodoxie et c'est pour elle que je meurs en exil ».

Il dit et rendit son âme à Dieu à onze heures de la nuit du quatre du mois d'Elul « septembre ». Nous ensevelîmes son saint corps avec honneur, accompagné des chants du Saint-Esprit ; nous accomplîmes le sacrifice sur lui selon le rite et participâmes aux saints mystères. Nous plaçâmes son saint corps dans un cercueil comme pour le porter et le conduire à sa ville. — Et deux mois après sa mort saint Pierre m'envoya une lettre : «Va, fuis et cache-toi ». — Car lorsque les hérétiques apprirent la mort de notre saint père Dioscore le patriarche, ils dirent de moi à l'empereur que l'or et l'argent des églises étaient cachés chez moi. Je me rappelai alors les paroles prophétiques de mon père à mon sujet : un grand péril viendra sur toi. Aussitôt j'allai à la ville de Pentépolis,[113] m'y cachai et y écrivis cette histoire de notre père Dioscore saint en tout, archevêque d'Alexandrie.

Je témoigne devant Dieu que j'ai écrit la vérité, et maintenant croyez, mes frères, que je n'ai pas écrit tous les prodiges, toutes les guérisons et tous les miracles que Dieu opéra par les mains de ce saint martyr de la vérité parce qu'il y en a trop. — Seigneur Dieu tout puissant, aide-nous et aie pitié de nous, gratifie-nous d'une fin qui te soit agréable et permets-nous de te voir face à face au jour du juste jugement par les prières de la Sainte Mère de Dieu la Vierge Marie, de ce saint et de tous les saints. Amen.

 

 

Fin de l'histoire de notre père saint Dioscore.

 

Le scribe du ms. d'Oxford (O) ajoute la note suivante :

Croyez — ô frères fidèles et orthodoxes — que j'ai écrit cette histoire de saint mar Dioscore d'après un ancien manuscrit.

Le ms. de Londres add. 14631 (A) termine de la manière suivante :

Seigneur Dieu tout puissant, aide-nous et aie pitié de nous, gratifie-nous de tes miséricordes par les prières de notre saint père mar Dioscore.

Montre-moi, Seigneur, avant ma mort, la vraie foi affermie sur la terre, comme elle l’était auparavant; que je voie les évêques orthodoxes siéger avec allégresse sur leurs trônes comme jadis. Car on m'a annoncé la mort de l'impur Marcien sur lequel s'est accomplie la prophétie du moine Jean,[114] car il est mort dans la sixième année de son règne, (on m'a annoncé) aussi la mort de l'impie Pulchérie. Quand Marcien mourut et fut mis dans le tombeau, Pulchérie était présente et pleurait ; les Nestoriens pensèrent : « Si elle survit à son ami, elle ramènera tous les hommes à la foi de son frère Théodose, réunissons-la donc à celui qui l'aima et qu'elle chérit », puis ils la jetèrent vivante dans le tombeau et le refermèrent sur eux deux.[115] De même pour l'impie et méchant Protérios qui souscrivit le premier le tome (de Léon), et que l'on envoya à Alexandrie pour occuper le siège de Dioscore. Que de souffrances et de deuils il causa aux orthodoxes d'Alexandrie ! Il y avait autour de cette ville mille monastères, moins un, qui étaient remplis d'hommes saints et parfaits réunis des quatre points cardinaux, lesquels avaient bâti ces monastères parleur travail. Protérios donna beaucoup d'argent à l'hipparque et aux hérétiques (qui l'entouraient et leur demanda) d'aller dans ces monastères, de tuer tous ceux qui ne seraient pas de leur avis et de détruire leurs monastères. Ils le firent et les détruisirent tous, à l'exception de sept qui subsistent jusqu'aujourd'hui. Mais Dieu, le juste juge, ne permit pas à Protérios le meurtrier, d'accomplir complètement son désir, et lui envoya la punition suivante : Un jour qu'il suppliciait les saints, les tuait et les brûlait, l'un des soldats orthodoxes, iut rempli du zèle divin et, avec la force qui lui fut donnée, il saisit le malheureux et l'impie Protérios, le jeta dans le foyer ardent, lui enfonça sa lance dans le cou et l'immola.[116] Il brûla dans le feu sans miséricorde et ainsi s'accomplit la prophétie de Pierre l’archidiacre, qui dit à l’évêque de Gangra: « Si tu es près de Protérios tu verras, et si tu en es loin tu entendras raconter la chute (la punition) que Dieu lui enverra[117] ». — Pour toutes ces choses, mes amis, louons et bénissons Dieu le père, son fils unique et son Esprit vivant {et) saint, maintenant, toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

 

 

 

 

NOTE SUR LA VERSION COPTE DE L'HISTOIRE DE DIOSCORE.

 

M. Crum a trouvé des fragments coptes anciens qui correspondent aux paragraphes 7, 13, 18, 19 (?) et 20 de la présente histoire; ils serviront à rechercher avec plus de sûreté quel est le texte original et à préciser l'ordre de filiation des versions. Nous regrettons que ces courts fragments n'aient pu trouver place dans le Journal asiatique, ils seront imprimés cette année dans les Procedings S. B. A.

 


 

[1] On trouve dans les actes du concile de Constantinople (448) trad. de Fleury, Hist. eccl., l. xxvii, ch. 28. Flavien dit : « Confessez-vous maintenant qu'il est de deux natures » Eutychès répondit : « Comme je le reconnais pour mon Dieu et Seigneur du ciel et de la terre, jusques ici je ne me permets pas de raisonner sur sa nature... que s'il faut ajouter qu'il nous est consubstantiel, je le dis aussi; je ne le disais pas auparavant, mais maintenant puisque votre sainteté l'a dit, je le dis... » Flavien dit : « Nous n'innovons rien, nous suivons seulement la foi de nos pères »... Florentin dit : « Confessez-vous deux natures après l'union? dites ». Eutychès répondit : « J'ai lu dans S. Cyrille et S. Athanase qu'il est de deux natures avant l'union ; mais, après l'union et l'incarnation, ils ne disent plus deux natures, mais une ». — Ainsi Eutychès qui voulait éviter d'entrer dans ces détails, était acculé au monophysisme. On lui reprocha plus tard d'enseigner une personne et deux natures qui s'unissaient en une seule avec mélange et confusion, de sorte que la nature humaine semblait disparaître en présence de la nature divine.

[2] Mansi, t. VI, col. 598.

[3] Les monophysites sont d'ordinaire appelée Eutychiens, parce que Dioscore approuva ici la profession de foi d'Eutychès. D'ailleurs, bien des historiens écrivent qu'ils ne peuvent comprendre comment les monophysites ont approuvé Eutychès à Ephèse et ont condamné les Eutychiens plus tard. — Il suffit de lire la profession de foi que fit Eutychès à Ephèse pour voir qu'elle évite la question, nouvelle alors, des deux natures. Elle pouvait donc être approuvée par tout le concile. Mais les monophysites se séparèrent de lui quand il absorba la nature humaine dans la nature divine, tandis qu'eux-mêmes reconnaissaient une nature formée de deux, tant mélange et tant confusion.

[4] Mansi, t. VI. col. 593.

[5] Théodose le Jeune mourut le 29 juillet 450, et Marcien fut proclamé empereur le 24 août suivant.

[6] Cat. cod. copt. mus. Borg., Rome, 1810, p. 99-107.

[7] Récits de Dioscore évité à Gangres sur le concile de Chalcédoine dans la Revue Egyptolog., t. I. p. 187-189; t. II, p. 21-25; t.III, p. 17-25.

[8] Mémoires publiés par la mission archéologique française au Caire, t IV, p. xv-xxviii et 92-165. M. Amélineau reprend le texte étudié par MM. Zoéga et Revillout, nous n'aurons donc à renvoyer qu'à son travail. Nous le ferons à l'aide des initiales M. A. F. C. suivies de la page. Le manuscrit copte du Vatican (n° 66), qui a servi de base à cette publication, présente une lacune de seize feuillets qui porte sur plus du quart de l'ouvrage, car la partie éditée ne comprend que quarante et un feuillets.

[9] M. A. F. C, p. xxv. Cf. infra, § 6.

[10] Sévère fut patriarche de 513 à 518.

[11] Cf. Les Plérophories de Jean évêque de Maiouma, récits anecdotiques relatif· au ve siècle (traduction franc, par F. Nau), Paris, 1899.

[12] Bibl. vatic. catal., t. III, p. 497. Fabulosa narratio a jacobitis recentioribus excogitata. — Nous dirons plus loin qu'elle figure du moins dans un ms. de Londres du xe siècle.

[13] Par exemple, les vies de Pierre l'Ibère, de l'ascète Isaïe, de Sévère d'Antioche, de Jean bar Aphtonia, etc.

[14] Cela résulte : 1° des mots grecs transcrits; 2° de la forme de quelques noms propres; 3° les passages d'origine palestinienne n'ont aucune chance d'avoir été rédigés en copte. — On remarquera aussi l'interprétation du nom propre Léontios (§ ii) qui semble supposer le mot grec Λέων. — Noue avons trouvé que la vie de Dioscore, dans le ms. de Londres add. 14631, est suivie d'une transcription des Plérophories non signalée jusqu'ici. Nous serions tentés de voir plus qu'un simple hasard dans le rapprochement de ces deux écrits qui ont tant de points de contact.

[15] Il est à remarquer aussi que ce panégyrique a deux auteurs : les diacres Pierre et Théopiste, parce que l'histoire de Dioscore nous apprend qu'il avait avec lui l'archidiacre Pierre et le diacre Théopiste. Nous ne voyons pas d'autre explication à cette attribution, car une collaboration de deux auteurs dans la rédaction d'un panégyrique copte s'explique assez peu. Quelle serait la part de chacun d'eux?

[16] Ces interversions rendent le texte inintelligible et ont dû dicter en partie le jugement sévère que H. Payne Smith porte sur le prisent ouvrage (loc. cit.).

[17] Ce ms. a été collationné postérieurement car de courtes lacunes sont comblées en marge et quelques mots sont rectifiés d'après un manuscrit comme nous l'apprend le scribe.

[18] Ce nous est un devoir de remercier H. Nicholson, qui a mis la plus grande amabilité à nous faciliter l'accès de la bibliothèque bodléienne.

[19] Théopiste est cité comme l'un des deux rédacteurs du panégyrique de Macaire de Tkôou, publié et traduit par M. Amélineau, Mémoires publiés par les membres de la mission archéologique française au Caire (M. A. F. C.), t. IV. p. 92. Son nom est écrit : ΘΕΟΠΙCΤΟC.

[20] En 450.

[21] M. Amélineau a publié les rédactions copte et arabe de la vie de Schenoudi, dans les Mémoire» publiés par les membres de la mission archéologique française au Caire (t IV), et a vulgarisé son histoire dans les Moines égyptiens, Paris, 1889. Nous avons publié la version syriaque fragmentaire conservée dans le manuscrit de Paris, syr. 236. Cf. Une version syriaque inédite de la vie de Schenoudi, Paris, 1900.

[22] Jean de Lycopolis avait aussi prédît les événements futurs i l'empereur Théodose le Grand. Cf. Histoire lausiaque, chap. xliii. On trouve peut-être ici et plus bas encore une réminiscence et une accommodation de ce fait. D'ailleurs cette mission de Théodose le Jeune est résumée dans la Chronique de Jean de Nikiou (fin du iiie siècle), éd. Zotenberg, Paris, 1883, p. 349-350. — Il est peut-être question ici de Jean Kolobos.

[23] Le manuscrit porte trois ans.

[24] Cette histoire est racontée de Théodose, Eudoxia et Paulin, dans Jean Malalas, Chronogr, xiv. Cf. Migne, P. G.; t. XCVII. col. 532; la Chronique pascale, Migne, P. G. t XCII, col. 804, Cedrenus, Jean de Nikiou. Tous ces récits proviennent d'une même source. Il est à remarquer que Marcellinus, qui écrivait au vie siècle, ne mentionne pas cette cause de la mort de Paulin. Il écrit simplement (A. C. 440) : Paulinus magister ojpciorwn in Caesaria Cappadociae, jubente Theodosio principe, interemptus est, Migne, P. L·, t. LI, col. 926. Comme Eudoxie était favorable aux monophysites, il est possible qu'on lui ait attribué l'aventure de Pulchérie, qui devait certes connaître et estimer Marcien avant de le nommer empereur. — Nous n'avons pas trouvé ailleurs que cette histoire de pomme soit attribuée à Marcien et à Pulchérie; il semble cependant que Michel le Syrien y fasse allusion (Chronique, éd. Chabot, t. II, Paris, 1901, p. 38), quand il écrit : « Deux motifs poussèrent Marcianus et Pulcheria à cette insanité (à abolir ce qu'avait fait Théodose) : Le premier est que du vivant de Théodosius, ils avaient fait une chose honteuse, et Marcianus avait été menacé d'être mis à mort le jour où il serait surpris dans la ville impériale. Il semble bien être fait allusion à l'intrigue de Pulchérie et de Marcien et à l'exil de celui-ci. Voir aussi page 36 : « Quand le victorieux roi Théodosius mourut, Marcianus, bomme âgé, stupide et illettré, commença à régner par le choix de Pulchérie. — Il régna six ans et sept mois. — D'après ce qu'on disait, il vivait dans la débauche avec Pulcheria. C'est pourquoi il la prit sans pudeur pour femme. D'après Evagrius (Hist. eccl., II, 1) et les auteurs orthodoxes, Marcien respecta la virginité de Pulchérie.

[25] Ici commence 1a lacune du ms. de Paris. Nous avons pu la combler à l'aide du ms. d'Oxford.

[26] Sans doute Nicétas, père de Misael, dont il est question dans le panégyrique de Macaire. (Cf. supra, introduction, V.)

[27] Ici se termine la lacune du ms. de Paris.

[28] Cette location est transcrite en syriaque: Poula tou tito [O: toutitou) Basillion, mais nous ne pouvons dire si les voyelles ont été mises par l'auteur ou par un transcripteur. — Nous reproduisons, dans notre publication, les voyelles qui figurent dans les manuscrits.

[29] Théodose le Jeune mourut le 29 juillet 450 et Marcien lui succéda le 23 août de la même année.

[30] Cf. IV, Rois, iv, 40.

[31] Mot à mot : Cette semaine qui passa, en l'un des jours.

[32] Semble une imitation des paroles de Jésus à Pierre. Cf. Jean, xxi, 16·, Luc, xxii, 31-32.

[33] Allusion a Isaïe, xi, 1. Et egredietar virga de radice Jesse.

[34] Cf. II, Rois, xv, 32-34.

[35] Synchronisme inexact, on place la mort de Célestin en 432 et celle de Cyrille en 444.

[36] Nous n'avons pas trouvé de lettre analogue parmi celles de Léon à Marcien. Noire auteur devait songer sans doute au tome de Léon (Mansi, v, col. 1265-1289), lettre du pape à saint Flavien, dont il sera question plus loin. Le concile de Chalcédoine eut pour but d'imposer la doctrine exposée dans cette lettre.

[37] Les verbes sont à l'imparfait : « Qui prenait ce livre et le brûlait au feu ».

[38] C'est-à-dire : est-ce que le fondateur de l'Église d'Alexandrie est plus grand que le fondateur de l'Église de Rome? La rivalité des deux patriarcats est bien mise en évidence.

[39] Ce détail semble indiquer que cette biographie fut écrite peu après. Ce Pierre est l'un des rédacteurs du panégyrique de Macaire de Tkôou. M. A. F. C, t. IV, p. 92. D'après M. Révillout, c'est Pierre Monge, le futur archevêque d'Alexandrie, Ibid., p. xxv. D'après Liberatus, Pierre Monge avait clé archidiacre. Cf. Migne, P. L., t. LXVIII, col. 1020.

[40] Timothée Aelure.

[41] Dioscore nomme ici les principaux patriarches d'Alexandrie.

[42] Patriarche d'Alexandrie, mort en 264.

[43] Patriarche d'Antioche vers 260.

[44] Patriarche d'Alexandrie de 282 à 300. Cf. Eusèbe, Hist, eccl., VII, 32.

[45] 185-254· Théonas ne put donc attaquer que sa mémoire.

[46] Successeur de Théonas. 300-312. Cf. Eusèbe, loco citato. Il est appelé ici .

[47] Patriarche d'Alexandrie de 328 à 373.

[48] Patriarche d'Alexandrie, mort en 444.

[49] Lire Αννιανός, successeur de Marc. Eusèbe, Hist. eccl., II, 24.

[50] Patriarche d'Alexandrie avant Athanase; mort en 328.

[51] Allusion à la Genèse, xlix, 5 t Simeon et Levi fratres...

[52] Cf. Genèse, xxxiv.

[53] Allusion à Genèse, xlix, 9 : Catulus leonis judas... L'ouvrage de Cyrille, mentionné ensuite, est intitulé : Explication des douze chapitres (anathèmes), prononcée à Ephèse par Cyrille, archevêque d'Alexandrie, On le trouvera dans Mansi, Concil. omnium amplissima collectio. t. VI, col. 1-20 ou à 140, et dans Migne, Patr. grecque, t. LXXVI, col. 293 à 312 ou à 452, car Cyrille soutint une polémique assez longue, au sujet de ces douze chapitres ou anathèmes contre Nestorius.

[54]  (Antacopolis), Revue égyptologique, t. I, p. 189. Le syriaque porte dans le texte Rkou et en marge Dkou, qui est la bonne leçon; (d) a été remplacé par (r) à tort.

[55] Cette vision de Dioscore se trouve en abrégé, M. A. F, C, t. IV, p. 118-119. Elle est encore attribuée à un enfant, à peu près dans les mêmes termes, p. 158- 159. Cf. infra note 40.

[56] Le copte porte : « L'un était chauve et sans sourcils dans la chevelure. » (Trad. Amelineau, Ibidem).

[57] Copte: « se multiplia ». Ibidem.

[58] Cf. infra § 19 et M. A. F. C., t. IV, p. 158-159. Lorsqu'on eut porté le corps d'Apa Macaire vers le martyrium (des saints Jean-Baptiste et Elisée le prophète), on le plaça sur la chasse des saints. Un jeune garçon de douze ans qui était muet (sentit) ses yeux s'ouvrir sur-le-champ (sic) : il vit les saints Jean le Baptiste et Elisée le prophète embrassant le saint abba Macaire, et la bouche du petit garçon s'ouvrit sur-le-champ, il parla... « J'ai vu deux hommes lumineux... l'un avait une grande barbe et de grands cheveux descendant sur son cou, et l'autre était chauve et long. »

[59] Il s'agit donc ici d'une sorte de visite de bienséance faite par les évêques. Elle est mentionnée, mais surtout travestie dans le panégyrique de Macaire, qui a fondu en une seule séance : 1° l'audience de l'empereur; 2° la visite privée de Pulchérie à Dioscore; 3° la première séance du concile de Chalcédoine. M. A. F. C., t. IV, p. 135 à 140. Le panégyrique renferme, du reste, à cet endroit, de nombreuses erreurs. Cf. Ibidem, p. xx-xxii.

[60] Cf. M. A. F. C., p. 94-95, Macaire était seul avec Dioscore, les évêques égyptiens étaient dans une autre barque et retournèrent immédiatement chez eux. D'ailleurs, la liste des évêques qui assistèrent au concile de Chalcédoine et qui est donnée par Michel le Syrien (Chronique, t. II, fasc. 1, p. 54-69) ne comprend pas d'évêques égyptiens. Il y en eut cependant quelques-uns qui assistèrent à la première session.

[61] Lors du concile d'Éphèse et du conciliabule, les évêques s'étaient déjà réunis d'abord près de l'empereur. Il en fut de même sous Justinien, avant le cinquième concile général. (Revue égyptologique, 3e année, p. 17).

[62] Pierre alla avec Macaire. Nous apprenons par ailleurs qu'il savait le copte et le grec (M. A. F. C., p. 96).

[63] Saint Macaire ne connaissait pas la langue grecque et alla an concile de Chalcédoine (M. A. F. C, p. 93). Aucun autre évêque égyptien ne se trouvait dans leur barque (Ibid., p. 94). Le disciple de Macaire se nommait Pinoution [ΠΙΝΟYΤΙΟΝ] (Ibid., p. 95). Macaire avait des habits sordides (p. 119); on ne voulait pas le laisser entrer (p. 120).

[64] Dans le copte (Ibid., p. 121), c'est Dioscore qui fait entrer Macaire en disant : « Fais-moi la charité de m'amener cet évêque; il a mes livres à la main. »

[65] Il semble y avoir ici une lacune de quelques mots.

[66] Cf. Jean, xix, 34. Ce texte est d'ailleurs cité de manière inexacte. Le mot  (de lui), sur lequel semble porter le raisonnement, n'existe ni dans les anciens manuscrits grecs (Vatic. Sinait.), ni dans la Peschito (éd. Gutbir). [La version syriaque du Nouveau Testament, est nommée Peschito (fidèle, simple).]

[67] Cf. Matthieu, xxvii, 51-52. Ce texte semble encore être cité de mémoire.

[68] Cette lettre ne figure pas parmi celles qui nous restent du pape Libère. Confer Migne, Patrologie latine, t. VIII, col. 1351-1411.

[69] Ces quelques lignes figurent précisément au commencement d'un fragment d'une lettre d'Innocent à Sévérianus, publié d'après un manuscrit arabe par Mai. Cf. Migne, Patrol, lat., t. XX, col. 611-613 : Cum divisum e coelis Verbum advenit, et in virginis sanctae Mariae visceribus, de qua carnem sumpsit, habitavit, nequaquam corpus suum de coelo secum detutit, neque tuam in terris divinitatem adeptus est, sed ipse Deus erat, ipse corpus suum in Virginis utero efformavit; neque ullum, in suo corpore conficiendo, socium habuit, sed unus ipse confecit. Confitemur autem in omnibus, quae ab humanitate fiebant, comitem fuisse divinitatem quae nullo unquam vel minime temporis articulo ab humanitate sejuncta fuit, etc.

[70] Cf. Jean, χvii, 22.

[71] Jean, xiv, 9.

[72] Après un récit, sans doute fabuleux, sur Nestorius l'Andragatès (M. A. F. C., p. 130-131), l'auteur prête à celui-ci les paroles d'Ibas et de Théodoret : « Si Dioscore ne s'en va pas du milieu de nous, nous ne pourrons pas faire connaître le tome de Léon le patriarche. » (M. A. F. C, p. 110.)

[73] Il s'agit d'un solitaire et non du chef de la communauté dont il a été question au paragraphe 2. L'auteur a dit plus haut que Martien avait été exilé en Thébaïde, il a pu être ainsi amené assez naturellement à imaginer cette mission. — Schenoudi est aussi convoqué par Théodose le Jeune (M. A. F. C, p. 31-39).

[74] Matth., xxviii, 12-15.

[75] Les évêques auraient donc été convoqués d'abord à Constantinople (§ 5), puis envoyés plus tard à Chalcédoine. En réalité, le 17 mai 451, Marcien les convoqua à Nicée pour le 1er septembre (Cf. Mansi, t. VI, col. 552-553), puis le 22 septembre il les appela de Nicée à Chalcédoine (Ibid., col. 560-61), où ils tinrent leur première session le 8 octobre. On devrait donc supposer d'après la présente vie que certains évêques allèrent directement à Constantinople et y intriguèrent du 1er septembre au 8 octobre.

[76] Ce serait ici une session préliminaire.

[77] Dix-neuf des premiers officiers de l'empire assistaient à ce concile. Fleury, Hist. eccl., l. XXVIII, ch. 1. D'ailleurs ils étaient sans doute favorables à Dioscore, puisque celui-ci demandait qu'ils assistassent à son jugement. Ibid., ch. 12.

[78] Le rôle de l'empereur au concile est controversé, mais Martien a écrit que les légats du pape Léon lui demandèrent instamment d'assister au concile, disant qu'ils ne s'y rendraient pas eux-mêmes si l'empereur n'y allait pas. Mansi, t. VI, col. 557.

[79] La première session se tint dans l'église de Sainte-Euphémie.

[80] Dans le panégyrique de Macaire, Dioscore raconte avoir dit à Macaire que le roi voulait le tuer. M. A. F. C, p. 147.

[81] André de Samosate et Théodoret, évêque de Cyr, avaient été d'abord les adversaires de Cyrille d'Alexandrie. Ibas d'Edesse avait été dénoncé comme Nestorien par son clergé, Dioscore les avait fait déposer tous trois au conciliabule d'Éphèse. Cf. Théodoret, Chronographia, Migne, P. G., t CVIII, col. 261. —Théodoret entrant au concile de Chalcédoine par l'ordre de l'empereur y fut accueilli par les cris : « Chassez-le dehors, chassez le maître de Nestorius, il a accusé Cyrille, etc. » Mansi, t. VI, col. 580-592.

[82] Les évêques qui avaient suivi Dioscore à Éphèse, l'accusèrent à Chalcédoine, sous Marcien, de les avoir fait souscrire de force à Éphèse, sans même leur faire connaître ce qu'ils souscrivaient. Cf. Mansi, t VI, col. 601-605. — Ils étaient ainsi leurs propres accusateurs, et les récriminations de ces hommes qui s'avouaient capables de souscrire une profession de foi qu'ils n'avaient pas lue par suite de craintes plus ou moins imaginaires, ne pouvaient qu'exciter le mépris des auditeurs.

[83] Dioscore n'assista qu'à la première action (session) du concile. Les évêques le sommèrent de venir à la troisième, mais il n'y alla pas.

[84] Cette démarche peut être placée le 9 octobre, jour où il n'y eut pas de session, à moins de la placer le 11 ou le 13, entre la seconde et la troisième session.

[85] Ces paroles sont belles et vraisemblables et n'ont aucun rapport avec les grossièretés que Théopiste est censé écrire d'après Dioscore dans le panégyrique copte de Macaire où Pulchérie est censée dire : « Ma mère a déposé un orgueilleux de ta sorte pour l'exiler jusqu'à ce qu'il mourut. C'était Jean l'archevêque de cette ville. Est-ce que je n'ai pas maintenant la puissance de t'exiler comme celui-là? Dioscore répond : « Et qu'a fait Dieu à ta mère? Est-ce qu'une fistule n'est pas sortie de son siège pour produire des vers?» — Ainsi un incident assez simple de la vie de Dioscore a été changé de cadre et surchargé de détails répugnants. — Certains auteurs ajoutent que Pulchérie donna un soufflet à Dioscore. Cf. Renaudot, Hist. patr, Alex., Paris, 1713, p. 116-117.

[86] C'est le nom Ibérien de Pierre, évêque de Maiouma, près de Gaza. Ce Pierre était fils d'un roi des Ibères, il fut envoyé comme otage à Constantinople et élevé à la cour. Plus tard il se fit moine et devint évêque monophysite. Sa biographie a été publiée par Raabe, Petrus der Iberer. Leipzig, 1895. Les rapports de Pierre et de Juvénal sont racontés dans les Plérophories de Jean de Maiouma, Paris, 1899, chap. xvii, xviii, xix, xxv.

[87] Cf. Plérophories, ch. xxiii. — Basile (Seleuciensis), figure parmi les signataires du concile de Chalcédoine. Concilia Labbei, t. IV, col. 1711. — On remarquera la manière dont Basile et Léontios expriment la fatigue que leur causait la quasi prépondérance exercée par les patriarches d'Alexandrie.

[88] Cf. Plérophories, ch. lii. Après le concile, Léontios se retira à Chypre, où il mourut. On ramena son corps à Ascalon, en même temps que celui d'un cocher célèbre de Constantinople, et durant une tempête on jeta à la mer le corps de l'évêque croyant y jeter celui du cocher. Ce fait sera rappelé plus bas. — Ce Léontios (Ascalonitanus) figure du reste parmi les signataires du concile de Chalcédoine. Concilia Labbei, t. IV, col. 1712.

[89] Cf. Plérophories, ch. lii.

[90] Cf. Plérophories, ch. lxxx.

[91] La seconde session eut lieu le 10 octobre, deux jours après la première, et la troisième le 13 octobre.

[92] Il était évêque de Τιτιούπολις en Isaurie, cf. Plérophories, ch. xxi.

[93] Cf. Plérophories, ch. liv. Les évêques de Jérusalem revêtaient un habit blanc pour baptiser les fidèles. Nous croyons voir ici une allusion à ce fait.

[94] Ps. cxxiii, 7-8

[95] Cf. Plérophories, chap. xxi, Panopropios mourut dix-sept ans après le Concile (en 468) et eut pour successeur un certain Pierre qui accepta le concile de Chalcédoine pour être évêque. Ibidem, chap. xxii.

[96] Dioscorus quidem exulare in Gangrena civitate praeceptus est. Liberatus, Migne, P. L., t. LXVIII, col. 1016, cf. Evagrius, Hist. eccl., II, 5.

[97] L'évêque de Gangra qui souscrivit au concile de Chalcédoine se nommait Pierre. Mansi, t. VI, col. 610.

[98] Pierre, v, 3. La Peschito et les textes grecs diffèrent. Tischendorf (Nov. Test. editio octava critica major) ne cite aucun texte grec identique à la Peschito.

[99] Rom, xiii; 3. — Ce texte a été maltraité comme le montre surtout la variante du ms. A.

[100] Eccli., xii, 7, καὶ τοῖς ἀσεβέσιν ἀποδώσει ἐκδίκησιν. Ce texte manque dans la Peschito

[101] Cf. Isaïe, i. 3.

[102] . Il était supérieur du monastère de Canope. M. F. A, C, p. 160. On sait d'ailleurs que ce monastère appartenait aux moines de Tabennisi, Cf. Vie de Sévère, patriarche d’Antioche, Paris, 1900, p. 38-39.

[103] Cette visite est mentionnée, M. F, A. C, p. 93. Elle est très vraisemblable, car les Plérophories nous apprennent que les monophysites allèrent visiter et consoler Timothée, successeur de Dioscore, jusqu'en Chersonnèse où il était exilé. Cf. ch. xxvi, xxxvi, lxv, lxvi, lxvii.

[104] Disciple de Pacôme. — Des fragments de la vie de ce moine peu connu figurent à la Bibliothèque nationale de Paris, dans le manuscrit copte n° 129 (12), fol. 66-68.

[105] Cette anecdote sur Schenoudi figure dans la vie copte. Il était allé à Constantinople avec Victor et Cyrille au sujet de Nestorius, Cf. M. A. F. C., p. 13.

[106] Dans le panégyrique de Macaire, Paphnutï raconte que lui et un frère podagre allèrent voir apa Schnoudi et celui-ci dit au frère : « Tu es le bien venu, mon fils Isaac, tu n'as pas fait de mal en venant et en priant dans l'Eglise des frères, et tes pied· ne seront pas guéris à moins que tu ne continues le chemin commencé et que tu n'arrives à l'archevêque Dioscore : si tu mets sa sandale en ton pied tu seras guéri ». M. A. F. C., p. 154-155·

[107] On trouve un récit analogue dans l'histoire des saints Maxime et Doméce. Cf. Annales du Musée Guimet, t. XXV, p. 279-281.

[108] Les Syriens fêlent les archanges le 8 novembre, Jean Chrysostome le 13 novembre, et saint Matthieu le 16 novembre. Cf. Nilles. Kalend. Man., I. p. 463.

[109] Sans doute le huit novembre. Voir la note précédente.

[110] D'après le panégyrique de Macaire, c'est Sergios le Véredaire (). M. A. F. C, p. 155.

[111] Cette mort de Macaire est mentionnée en ces termes. M. A. F. C, t. IV. p. 151 et 157.

[112] Ps. xxxvi, 25. C'est le texte que prend Dioscore pour faire le panégyrique de Macaire. Ibidem, p. 91-93. (Voir Introduction, v).

[113] Ou plutôt : Dans la Pentapole (Cyrénaïque).

[114] Cf. supra § 8. — Marcien mourut le 26 janvier 457 à l’âge de 64 ans. — Protérios fut tué le 28 mars suivant. Cf. Migne, Patr. Lat., t. LXVIII, Liberati Diaconi breviarium, col. 1016-1018.

[115] La chronique pascale place la mort de Pulchérie quatre ans avant celle de Marcien.

[116] Les monophysites racontent que Protérios fut tué par un soldat. Cf. Michel le Syrien, Chronique, II, 1, p. 194 ; leurs adversaires disent qu'il le fut dans une sédition populaire qui suivit la mort de Marcien. Evagrius rapporte les deux versions. Hist. eccl., II, ch. viii — Protérios était d'ailleurs, avec Juvénal, l’évêque le plus détesté des monophysites. Cf. Plérophories, ch. 7, 31, 68, 69, 76, 77.

[117] Cf. supra, § 15.