Thomas de Split

MAÎTRE ROGER

 

POÈME TRISTE - MISERABILE CARMEN

 

Oeuvre numérisée et traduite par Marc Szwajcer

 

 

Première édition du Carmen Miserabile en appendice à l’ouvrage de Johannes de Thurocz: Chronica Hungarorum , folio 145 r°.


 

MAÎTRE ROGER[1]

 

POÈME TRISTE[2]

 

Sur la destruction du royaume de Hongrie par les Tartares

 

Ouvrage dédié au révérend maître Jean de Pest,[3] évêque de l’Eglise.

 

 

EPISTOLA MAGISTRI ROGERII[6]

 

IN MISERABILE CARMEN SUPER DESTRUCTIONE REGNI HUNGARIE PER TARTAROS

 

FACTA EDITUM AD REVERENDUM DOMINUM IOHANNEM PESTHENIENSIS ECCLESIE EPISCOPUM FELICITER

 

 19. Nomina regum Tartarorum in Hungariam intrantium.

Rex regum et dominus Tartarorum, qui Hungariam intraverunt, Bathus suo nomine vocabatur. Rector erat sub ipso in militia potentior Bochetor appellatus. Cadan in probitate melior dicebatur. Coacton, Feycan, Peta, Hermeus, Cheb, Ocadar maiores reges inter Tartaros censebantur, quamquam essent inter eos alii reges quamplurimi, principes et potentes, qui cum quinquies centenis milibus armatorum regnum Hungarie invaserunt.

38. De astutia Tartarorum ad transeundum Danubium exquisita.

Sed cum Strigonium in Hungaria omnes et singulas precelleret civitates, maxime cogitabant transire Danubium et ibi figere castra sua. Et ecce in hieme nivis et glaciei abundantia supervenit, ita quod Danubius, quod non acciderat a multis retroactis temporibus bus, gelabatur. Sed Hungari ex ipsorum parte singulis diebus frangebant glacies et custodiebant Danubium, ita quod assidue fiebat pugna peditum super gelu. Tamen cum dire glacies advenerunt, totum Danubium congelatum est, sed isti transire cum equis nullatenus attentabant. Advertite igitur, quid fecerunt. Multos equos et animalia super ripam Danubii adduxerunt et neminem per tres dies ad eorum custodiam dimiserunt, ita quod bestie sine custodibus pergere videbantur, nec aliquis eorum in illis partibus apparebat. Tunc Hungari, credentes Tartaros recessisse, subito transierunt et omnia illa animalia per glacies transduxerunt. Quod Tartari advertentes, cogitarunt posse in equis transire libere super gelu. Quodet factum est, et tot uno impetu transierunt, quod ex ista parte Danubii terre faciem impleverunt. Rex autem Cadan post regem Hungarie properavit, qui in Sclavonia, tamquam qui nullum habebat subsidium, morabatur. Sed ipse huius facti prescius fugam iniit, et cum ipse maritima castra acceptare nequiret, ad insulas pertransivit, ita quod usque ad recessum eorum eum insule tenuerunt. Videns Cadan rex, quod eum habere non posset, destruxit regnum Rascie et inde in Bulgariam pertransivit.

 

 19. Noms des rois Tartares qui ont envahi la Hongrie

Le roi des rois et le maître des Tartares qui envahirent la Hongrie se nommait Bathou. Il avait sous lui un nommé Bochétor, très habile dans les opérations de la guerre. On considérait Cadan comme le plus intègre. Les autres rois Tartares se nommaient Coactan, Feycan ou Seycan, Peta, Hermeus, Chab et Ocador, il y avait encore tant de rois, de princes et de notables parmi eux qu’ils envahirent le royaume de Hongrie avec 500.000 hommes armés.

38. Ruse approfondie des Tartares pour franchir le Danube

Comme Strigonium[4] était la plus remarquable de toutes les villes de Hongrie, les Tartares envisageaient fermement de franchir le Danube pour y établir leur camp. Et cet hiver-là, la neige et la glace arrivèrent en telle abondance que le Danube gela, ce qui ne s'était pas produit si ce n’est de longtemps dans le passé. Mais les Hongrois brisaient la glace tous les jours et surveillaient ainsi le Danube, de sorte qu'il y avait une lutte continuelle des fantassins contre la glace. Toutefois, lorsque le gel arriva, tout le Danube était gelé, mais les Mongols n’essayèrent jamais de traverser avec leurs chevaux. Écoutez ce qu'ils firent. Ils conduisirent de nombreux chevaux et des bêtes jusqu'à la rive du Danube, et pendant trois jours, ils n’envoyèrent plus personne pour s'occuper d'eux, de sorte que les animaux semblaient être laissés sans gardien, et aucun d’eux ne fit une apparition dans ces régions. Alors, les Hongrois, pensant que les Tartares avaient reculé, traversèrent brusquement et conduisirent les animaux sur la glace. Lorsque les Tartares virent cela, ils pensèrent qu'ils pourraient traverser tranquillement sur la glace à cheval. Ce qui fut fait, et tant d'eux traversèrent en une seule fois que de cette partie du Danube, ils remplirent la surface de la terre. D’autre part, le roi Cadan se lança à la poursuite du roi de Hongrie, qui s’était attardé en Sclavonie, car il n’avait aucun soutien. Ce dernier, informé de ces faits, prit la fuite et comme il ne put se faire recevoir lui-même dans un château des bords de mer, il passa dans une île qu’il occupa jusqu’au retrait des Tartares. Voyant qu’il ne pourrait la prendre, le roi Cadan détruisit le royaume de Rascie[5] puis passa en Bulgarie.

 


 

 

[1] Pour savoir ce que devint ce personnage après la dévastation de la Hongrie, cf. Thomas de Split, Histoire des évêques de Salone et de Split, sur ce même site, § xlvi. Roger fut contemporain et témoin oculaire des événements qu’il raconte.

[2] On ne sait pourquoi l'auteur a donné pour premier titre à son ouvrage celui de poème (Carmen), car on n'y trouve rien de poétique soit pour les expressions soit pour les idées (Michaud, Bibl. des Croisades).

[3] Un tel évêque n’existait pas à l’époque de la rédaction de cet ouvrage. On suppose qu’il s’agit là d’une erreur de copiste qui aurait écrit Pestheniensis pour Presteniensis, ce qui signifierait évêque de Preneste, ville d’Italie. Préneste (ou Praeneste) est une ancienne ville du Latium à 37 km à l'est de Rome. Actuellement nommée Palestrina, la ville était située sur une hauteur stratégique des Apennins.

[4] Aujourd’hui Esztergom.

[5] Serbie.

[6] Le texte latin est celui des Monumenta Germaniae Historica, Sriptores in folio, XIX.