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QUINTE-CURCE
NOTICE SUR QUINTE-CURCE
Il
y a peu d'histoires qui aient joui d'un renom aussi populaire dans notre Europe
moderne que celle d'Alexandre par Quinte-Curce. Hérodote et Thucydide,
Tite-Live et Tacite ont été placés clans un rang plus haut par la critique;
mais ils n'ont pas compté un plus grand nombre de lecteurs. Le nom d'Alexandre
a fait pour son historien ce que faisait, au moyen âge, le nom de Charlemagne
pour les contes et les romans de chevalerie : il lui a donné faveur auprès des
esprits passionnés pour les beaux faits d'armes et les aventures de guerre, et
lui a procuré, dans le nombre même des têtes couronnées, d'illustres
admirateurs. On sait le mot de ce roi d'Espagne (01),
qui, guéri d'une longue et cruelle maladie par l'intéressante lecture de
l'historien d'Alexandre, s'écriait dans sa reconnaissance : « Fi d'Hippocrate,
d'Avicenne et de tous les médecins! Vive Quinte-Curce, mon sauveur! » Plus
tard, Vasquez de Lucène enchanta par les récits de cet écrivain la fougueuse
imagination de Charles le Téméraire; et ils n'inspirèrent pas un moindre
enthousiasme à cet autre Charles, le héros de la Suède, qui n'eût pas
manqué lui-même d'être appelé le Téméraire, si, avant lui, le duc de
Bourgogne ne se fût emparé de ce surnom. Ce sont là, en faveur de
Quinte-Curce, d'assez fameux témoignages, et qui nous dispensent d'en apporter
d'autres à leur suite.
Cependant, il y a eu dans la destinée de cet écrivain quelque chose de
singulier. C'est peu que nous ne sachions rien de sa vie; l'âge même où il a
vécu est un insoluble problème, et il n'y a pas jusqu'à son nom que l'on se
soit cru fondé à lui contester. On lit bien dans une lettre de Cicéron à son
frère quelques mots d'éloges sur un jeune homme, honnête et instruit, du nom
de Q. Curtius, mais rien qui du reste se rapporte à notre historien. Il en est
de même du Curtius de Tacite, délateur effronté, en même temps que lâche
flatteur, et qui, par ces mérites, avait su, sous Claude et Néron, compenser
les torts de sa naissance. On ne voit point qu'il ait écrit d'histoire. On
inclinerait davantage pour le rhéteur inscrit sur le catalogue de Suétone;
mais il n'y a que son nom, sans un mot de plus, et ce n'est point assez des
fleurs de rhétorique que Quinte-Curce a répandues à pleines mains dans ses
pages, pour qu'on ait droit de l'identifier avec ce personnage. Restent donc les
inductions que le livre même peut fournir sur son auteur. Il faut qu'elles
soient bien douteuses, puisque la critique aux abois erre du premier au
quatorzième siècle de l'ère chrétienne, sans trouver place pour asseoir de
solides conjectures, et que l'on compte jusqu'à treize opinions diverses
adoptées par les érudits. Nous allons passer en revue les principales.
Citons d'abord les paroles de Quinte-Curce relatives au temps où il a vécu, et
qui ont servi de fondement à ces opinions. Tout se réduit à deux passages. Le
premier se trouve à la fin du récit de la prise de Tyr : « Multis
ergo casibus defuncta, et post excidium renata, nunc tamen longa pace cuncta
refovente, sub tutela romanae mansuetudinis acquiescit. » (Lib. IV, cap. 4,
ad calcem.)
« Cependant, après avoir traversé de nombreuses révolutions, et s'être
relevée de ses ruines, Tyr a vu tout renaître en son sein à la suite d'une
longue paix, et elle se repose aujourd'hui à l'abri de la bienfaisante
domination de Rome. »
Voici le second et le plus important. L'historien vient de parler des désordres
auxquels fut livré l'empire d'Alexandre après la mort de ce prince :« Quodque
imperium sub uno stare potuisset, dum a pluribus sustinetur, ruit. Proinde jure
meritoque populus romanus salutem se principi suo debere profitetur, cui noctis,
quam paene supremam habuimus, novum sidus illuxit. Hujus hercule, non solis
ortus, lucem caliganti reddidit mundo, quum sine suo capite discordia membra
trepidarent. Quot ille tum exstinxit faces ! quot condidit gladios ! quantam
tempestatem subita serenitate discussit ! Non ergo revirescit solurn, sed etiam
floret imperium. Absit modo invidia, excipiet hujus seculi tempora ejusdem domus
utinam perpetua, certe diuturna posteritas. » (Lib. x, cap. 9.) » Cet
empire, qui, avec un seul chef, eût pu subsister, dès que plusieurs en
soutinrent le poids, s'écroula. Aussi est-ce avec une juste reconnaissance que
le peuple romain proclame hautement pour son sauveur le prince qui est venu,
comme un astre nouveau, briller au milieu de cette nuit qui faillit être pour
nous une nuit éternelle. Oui, c'est lui, et non pas le soleil, qui s'est levé
pour rendre la lumière au monde, plongé dans les ténèbres, au temps où les
membres de l'empire, privés de leurs chefs et déchirés en lambeaux, étaient
tout palpitants. Que de torches ardentes il a éteintes alors ! que d'épées il
a fait rentrer dans le fourreau! quelle tempête il a dissipée par une soudaine
sérénité ! Aussi l'empire ne renaît-il pas seulement à la vie, il est
déjà florissant. Puisse la jalousie des dieux ne pas nous poursuivre, et les
siècles qui succéderont au nôtre verront cette même maison se perpétuer
dans Une longue, sinon dans une éternelle postérité!
Quelle est cette époque où Tyr avait refleuri sous la protection romaine?
Surtout quel est ce prince qui a rappelé à la vie l'empire presque à sa
dernière heure? Ce sont là les questions sur lesquelles tant de solutions
diverses ont été présentées.
On a commencé, comme de raison, par voir le règne d'Auguste dans ce règne
réparateur de toutes les calamités de l'empire romain. P. Pithou, cependant,
qui fait vivre Quinte-Curce sous ce prince, fonde moins son opinion sur le texte
de la magnifique déclamation que nous venons de citer, que sur le style même
de l'auteur dontla pureté et l'élégance ne peuvent appartenir, selon lui,
qu'à l'âge d'or de la littérature romaine. À cela on répond : 1 ° que les
paroles de Quinte-Curce ne peuvent désigner Auguste, sous qui la famille
impériale, loin d'être ainsi florissante, parut au moment de s'éteindre ; 2°
que le ton de basse flatterie avec lequel l'écrivain s'exprime, et les maximes
de servile obéissance qui, en certains endroits, lui semblent familières, ne
se trouvaient pas encore dans la bouche des Romains, le lendemain de la chute de
la république; 3° que le caractère de sa diction, loin d'en faire
nécessairement le contemporain de Cicéron et de Tite-Live, le bannirait
plutôt de cette époque où le goût latin était dans toute sa pureté (02).
La réfutation est plus aisée encore à l'égard de Tibère : aucune des
paroles du passage en question ne peut s'appliquer à lui.
Nous sommes forcés de nous arrêter davantage sur l'opinion qui veut que ce
sauveur de l'empire ait été l'empereur Claude. Elle n'a guère en elle-même
plus de fondement ; mais des noms respectables lui prêtent leur appui, Juste
Lipse, Tellier, Dubos, Tiraboschi, et enfin Sainte-Croix. M. Lemaire, dans sa
judicieuse préface, oppose très bien à la pompe des expressions de
Quinte-Curce le règne de Claude, avec toute sa honteuse nullité. Quelles
épées l'imbécile mari de Messaline fit-il rentrer dans le fourreau? quelles
torches ardentes éteignit-il ? « On reconnaît assez clairement, dit
Sainte-Croix, les dissensions qui suivirent le meurtre de Caligula, et les
circonstances de l'avènement de Claude à l'empire. » Non certes, on ne
saurait les reconnaître. Le débat n'était pas alors entre plusieurs
compétiteurs qui, comme les successeurs d'Alexandre, se disputaient le pouvoir
les armes à la main : il était, encore ne fut-ce que pour un bien court
instant, entre la monarchie et la république. Comment ensuite. comparer ce
Claude, arraché tout tremblant du coin obscur où des rideaux l'enveloppaient,
et traîné, malgré lui, au trône, en même temps qu'à la lumière, comment
le comparer avec un astre qui est venu éclairer le monde plongé dans les
ténèbres? Tout ici nous semble aller à l'absurde.
On ne saurait trouver d'aussi fortes objections contre l'avis de Freinshemius,
Gérard Voss et d'autres, qui appliquent la brillante tirade de Quinte-Curce à
Vespasien. Ce prince, en effet, vainqueur de Vitellius, mit fin aux guerres
civiles, qui, depuis la mort de Néron, embrasaient l'empire. Les mots faces
restinxit, gladios condidit, peuvent donc se rapporter à lui avec quelque
justesse. Père de Titus et de Domitien, il pouvait donner au peuple romain le
légitime espoir de voir l'empire se perpétuer dans sa maison : la dernière
phrase du passage se trouve encore ainsi justifiée. Enfin le style de notre
historien n'a rien qui ne soit en accord avec cet âge de la latinité. À
toutes ces raisons M. Lemaire oppose les troubles de la Syrie et de la
Palestine, au temps de Vespasien, et il y trouve un démenti formel à ce que
dit Quinte-Curce de la paix et du bonheur dont jouissait la ville de Tyr sous la
domination romaine. Cette objection. a quelque poids ; mais ne peut-on pas y
répondre que la Judée était pacifiée avant la fin du règne de Vespasien, et
que, par conséquent, Tyr se trouvait alors en repos sub tutela romanae
mansuetudinis ?
On nous excusera de ne réfuter en détail ni l'opinion du critique qui,
toujours sur l'autorité du même texte, place Quinte-Curce parmi les écrivains
du règne de Trajan; ni celle de Barth, qui prétend le joindre à Claudien et
à Ausone, pour en faire la parure littéraire du trône des Théodoses,; ni
celle de Schmieder, qui sent le christianisme à chacune des pages de notre
auteur; ni celle enfin de Bodin, Guy Patin, etc., qui veulent que quelque
latiniste du moyen âge, peut-être au onzième, peut-être au quatorzième ou
au quinzième siècle, ait fabriqué, sous le nom fictif de Quintus Curtius
Rufus, cette vie d'Alexandre. Tous ces savants hommes, libres de se promener
dans le champ de l'hypothèse, y ont pris place à leur gré ; mais aucun n'a
donné le moindre appui à ses conjectures. La critique manque de prise sur
leurs assertions un peu plus ou un peu moins paradoxales, mais toutes sans
fondement, et c'est assez de les avoir mentionnées.
Nous nous hâtons d'achever cette aride revue en disant quelques mots de la
dissertation du comte Bagnolo (publiée à Bologne en 1741, sous le titre de :
Della gente Curzia, e dell' età di Q. Curzio), dans laquelle l'auteur, avec un
heureux mélange d'esprit et d'érudition, revendique l'Histoire d'Alexandre
pour le règne de Constantin le Grand. Un des derniers et des meilleurs
éditeurs de Quinte-Curce, Cunze, s'est d'ailleurs approprié cet avis, et peu
s'en faut que M. Lemaire aussi ne s'en déclare hautement le partisan. En effet,
Constantin trouva l'empire fort déchiré, lors de son avènement au trône, et
ce qui tout à l'heure était vrai de Vespasien, ne l'est pas moins de cet
empereur. La confusion étant même bien plus grande alors qu'après la mort de
Néron, ces paroles emphatiques, quum sine suo capite discordia membra
trepidarent, trouvent peut-être en ce dernier cas une plus naturelle et
plus complète explication. Enfin, il faut ajouter qu'au temps de Constantin la
ville de Tyr, qui avait été admise par l'empereur Sévère au droit italique,
jouissait pleinement des bienfaits de la protection de Rome. Tout cela est fort
plausible ; mais les doctes y ont encore réponse, et Sainte-croix, par exemple,
vous dira, que Quinte-Curce parle de la monarchie des Parthes comme existante de
son temps. (liv. V, chap. 8), et que cette monarchie avait été détruite par
les Perses l'an 226 de J.-C., 'c'est-à-dire quatre-vingts ans avant le règne
de Constantin. On pourrait, en outre, à l'observation de M. Lemaire sur le
vocabulaire partout monarchique de Quinte-Curce opposer quelques phrases qui
sentent, d'un peu plus près que cela ne saurait être au quatrième siècle, le
voisinage de la république; surtout on pourrait se prévaloir avec avantage de
cette brillante latinité, dont il n'y a guère d'exemples à cette époque où
la barbarie entrait de toutes parts. Que conclure de la diversité d'opinions
que l'on vient de voir? Cela seulement, qu'on ne sait rien de précis sur la vie
de Quinte-Curce; que, parmi les conjectures possibles, il y en a de plus ou
moins raisonnables; mais aucune qui mérite d'obtenir l'autorité de la
certitude. Il est superflu d'ajouter que nous nous tenons dispensés d'avoir un
avis qui nous soit propre; quel poids aurait-il parmi ceux de tant de doctes
personnages? Que le lecteur décide à son gré, dijudicet ipse eruditus
lector, dirons-nous avec M. Lemaire, qui nous pardonnera ce petit emprunt,
avec un ou deux autres plus considérables.
Notre jugement est en tout conforme à celui qu'énonce Sainte-Croix, le plus
sûr appréciateur de la fidélité historique de Quinte-Curce; seulement, ce
qui pourrait passer pour téméraire dans notre bouche ne saurait l'être sous
la plume du savant écrivain pour qui la vie d'Alexandre a été l'objet de si
longues et curieuses recherches. Nous nous retrancherons donc derrière son
autorité, et citerons ses propres paroles.« ... Quinte-Curce , dit-il, s'est
presque toujours fié au récit de Clitarque. Le caractère. de cet auteur avait
beaucoup de rapport avec le sien ; l'un et l'autre s'embarrassaient moins de
démêler le faux d'avec le vrai que de faire briller leur esprit. Quinte-Curce
vivait dans un temps où, suivant Sénèque, les historiens voulaient acquérir
de la réputation par des fables, et réveiller sans cesse l'attention publique
par du merveilleux. Ils connaissaient le goût de la multitude pour le mensonge,
et Quinte-Curce ne s'est que trop conformé à leur exemple. Il aime à raconter
des faits peu croyables, et surtout à les accompagner de circonstances pleines
d'exagération et quelquefois hors de toute vraisemblance. Il veut jeter dans
l'étonnement, sur le compte de son héros, en se faisant admirer lui-même. On
ne peut donc être trop en garde contre les charmes de son style, et aucun
écrivain de l'antiquité ne doit être lu avec plus de précaution. Son
ignorance en tactique le rend souvent inintelligible dans le récit des
batailles, où il commet encore bien des fautes inexcusable. Il ne parle que
d'une manière vague et obscure des saisons dans lesquelles sont arrivés les
différents événements ; il ne fait pas mention des années, et ne les
désigne même pas. De son inexactitude naît un désordre qui empêche de bien
suivre le fil de la narration. Il s'embarrasse encore moins de la géographie,
et son ouvrage fourmille d'erreurs sur, cette matière... Il paraît même
n'avoir aucune idée de l'astronomie, ou du moins s'exprime-t-il avec
ambiguïté sur les notions les plus communes de cette science. On ne peut lui
refuser d'avoir rapporté avec assez de fidélité des détails précieux sur
les moeurs, les usages, les lois même des Macédoniens; mais il oublie bien des
événements, ou il néglige quelquefois lés particularités les plus
essentielles. » (Examen critique des historiens d'Alexandre; pages 109
à 111. ) Nous n'avons rien à ajouter à une appréciation aussi exacte que
l'est celle-là dans tous ses détails. Des exemples même n'apporteraient
guère plus de lumière, et ce n'en est point ici la place. Sainte-Croix,
d'ailleurs, en fournit un grand nombre dans son Examen critique, et M.
Lemaire en a recueilli beaucoup aussi dans sa dissertation intitulée : Quae
Curtio habenda fides. Nous renvoyons le lecteur curieux à ces deux
ouvrages.
Les autorités ne nous manqueraient pas non plus pour appuyer le jugement
sévère que nous pourrions porter sur le talent de Quinte-Curce comme
historien. C'est celui d'un rhéteur, et c'est ce que dit aussi le sage et
judicieux Bollin ; c'est ce que disent tous ceux qui ont fait de cet écrivain
une sérieuse étude. Permis sans doute au cardinal du Perron, un des beaux
diseurs de son temps, « de préférer une page de Quinte-Curce à trente de
Tacite . » malheureusement la Critique moderne, plus éclairée, sans trop de
vanité, a rendu son arrêt en sens inverse. C'est la pensée qui domine dans
Tacite, c'est la phrase dans Quinte-Curce. On peut l'offrir comme un brillant
modèle à la jeunesse des écoles, qui ne voit clans les écrivains anciens
qu'une ample moisson à faire des plus belles fleurs du langage; mais ceux qui
chercheraient en lui un historien, ont besoin de savoir qu'il sacrifie sans
cesse les plus graves devoirs que ce titre impose aux vaines jouissances du bel
esprit qui se complaît en lui-même. Admirons donc son élégante narration,
quoique souvent elle soit décousue dans sa marche, ou surchargée de vides
ornements; ses belles harangues, quoiqu'elles aient plus d'éclat que de force,
plus de pompe oratoire que de véritable éloquence; ses descriptions animées,
quoique parfois pleines de confusion et d'incohérence; mais défions-nous de la
parure étrangère dont il couvre les faits, de l'intérêt romanesque qu'il
substitue à celui de la simple vérité ; et si nous laissons de côté la
critique historique pour nous renfermer dans la critique littéraire, sachons
encore trier avec soin le vrai et le faux or, et ne pas mettre un habile
rhéteur au même rang que les beaux génies dont s'honore dans l'antiquité la
Muse de l'histoire.
Par une fatalité malheureusement commune à tout ce qu'il y a eu d'historiens
latins de quelque distinctions, l'ouvrage de Quinte-Curce ne nous est arrivé
que mutilé et très incomplet. Les deux premiers livres tout entiers, les
dernières pages du cinquième et le commencement du sixième, enfin une partie
du dixième ont péri.
Disons maintenant quelques mots des traductions qui ont précédé la nôtre.
La première dont il soit mention est la traduction de Vasquez de Lucène, dont
nous parlions plus haut, et qui fut faite pour Charles le Téméraire.
Sainte-Croix dit qu'elle a été imprimée à Paris en 1503. On en conserve le
manuscrit à la Bibliothèque impériale.
Celle de Jacques le Messier a été publiée dans la même ville en 1530.Celle
de Nicolas Séguier, mise au jour pour la première fois en 1613, a eu l'honneur
d'une triple édition.
Nous avouons franchement n'avoir pris de ces trois versions aucune connaissance.
Nous avons examiné les suivantes avec assez de soin, depuis que la nôtre est
achevée, et nous pouvons en dire notre sentiment.
En 1646 parut : Quinte-Curce, de la vie et des actions d'Alexandre le Grand, de
la traduction de Claude Favre de Vaugelas, et plus de quinze éditions ont
succédé à cette première. La version de Vaugelas eut dans son temps une
grande renommée ; mais on conçoit que les grâces de ce style, alors si
admiré, aient vieilli maintenant : la façon de traduire est d'ailleurs très
libre, selon l'usage de ce temps ; beaucoup de difficultés sont omises; des
phrases entières sont quelquefois supprimées, sans qu'on en puisse imaginer la
raison, par négligence ou par caprice; enfin les erreurs de sens sont assez
graves et assez nombreuses. Toutefois on y rencontre de temps à autre des tours
heureux et des expressions d'une vive énergie, de celles qu'on appelle
trouvées, pour marquer ce qu'il y a d'imprévu dans le plaisir qu'elles font à
l'esprit.
La traduction de l'abbé Mignot (Paris, de l'imprimerie de Monsieur, 1784) est
très mauvaise. Les contre-sens y fourmillent ; c'est une continuelle et plate
paraphrase, où l'auteur ne montre guère plus le sentiment du français que
celui du latin.
Celle de Beauzée, qui date de la même année, est incomparablement meilleure.
En général, elle est fort exacte : les termes y ont de la propriété,
quelquefois même un certain caractère d'élégance; mais presque partout
l'allure du style est lente, les tours sont languissants, et l'éclat de la
narration originale s'efface sous la main pesante du traducteur. C'est
néanmoins un ouvrage digne de beaucoup d'estime.
Nous n'avons rien à dire des versions en langues étrangères. Leur nombre est
seulement un témoignage de plus qui atteste la grande renommée de l'historien
d'Alexandre.
(01) On a d'abord attribué ce propos à Alphonse X, dit le Sage, roi de Castille, qui vivait au treizième siècle ; mais on l'a plus tard, et avec plus de raison, revendiqué pour Alphonse le Magnanime, roi d'Aragon et de Naples, qui régnait en 1450.
(02) On pourrait dire encore qu'il imite fréquemment Tacite , et par conséquent a vécu après lui, ce qui l'exclurait bien autrement du siècle d'Auguste. Mais que répondre au critique de mauvaise humeur qui vous soutiendrait que c'est Tacite qui a imité Quinte-Curce? les arguments positifs nous manqueraient pour le convaincre. Nous laissons donc de côté cette probabilité.