PRISCUS
RELATION DE L'AMBASSADE DE MAXIMIN
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Priscus, issu de Panium en Thrace, est un sophiste grec et historien du Ve siècle.
Il a accompagné Maximin, l'ambassadeur de Théodose II, à la cour d'Attila en 448. Pendant le règne de Marcien (450-457) il a également participé aux missions en Arabie et en Égypte. Priscus était l'auteur d'un ouvrage d'histoire en huit livres (l'Histoire byzantine), probablement de l'accession d'Attila à celui de Zénon (433-474). Seule des fragments nous en sont parvenus, en grande partie préservé dans le Getica de Jordanès. La description d'Attila, de sa cour et de la réception des ambassadeurs romains est pour nous renseigner sur l'histoire contemporaine de l'époque. Le style de Priscus est simple. Son impartialité et sa fidélité l'ont placé parmi les auteurs honorables de son temps.
Maximin et Priscus arrivent à la cour d’Attila à la fin de l’été 449. Leur relation de voyage situe l’ordu d’Attila à l’est de la Tisza, au nord du Temes et au sud du Körös, sans que l’on puisse en préciser le lieu exact. Ils découvrent une ville de tentes autour d’un promontoire où se dresse le palais royal construit en bois, entouré d’une haute palissade garnie de tours. Ils rencontrent Attila à plusieurs reprises, notamment au cours d’un banquet, qui révèle l’étiquette sévère de la cour, apprise par les Huns en Asie centrale ou au contact des Perses, mais d’une simplicité calculée. Priscus décrit Attila comme un homme sobre dans ses vêtements et son alimentation, sombre et superstitieux, mais fin diplomate et capable de jouer la comédie.
Priscus admire les palais en bois des Huns. Il note que le plancher du palais de l’épouse principale d’Attila, Arykan, est couvert de tapis sur lesquels « on pouvait marcher ». Arykan offre du vin à ses invités.
Priscus rencontre un marchand originaire de Viminacium, en Mésie, qui vit à la mode scythe. Cet ancien captif d’Onégèse lui déclare préférer vivre en liberté parmi les Barbares que sous le joug de l’Empire.
On peut retrouver l’extrait qui suit dans les Fragmenta Historicum Graecorum, vol. 4, 1851, fragment 8, édité par
Karl Otfried Müller en grec, langue de l’auteur, ou en latin.
Pendant ce temps-là l'Eunuque Crysaphius voulut engager Edécon à faire périr Attila. L'Empereur Théodose en conféra avec Martial; on résolut d'envoyer Maximin en qualité d'ambassadeur, et Bigilas, comme son interprète qui devait agir d'après les ordres d'Edécon Maximin qui ne savait rien de tout ce qui s'était passé chez l'Empereur, était chargé de la lettre pour Attila. L'Empereur dans cette lettre disait, que Bigilas n'était qu'un interprète, mais que Maximin était un homme d'une grande naissance, et qui avait rendu des services, à l'Etat. Il ajoutait qu'il ne convenait point à Attila de rompre les traités, qu'il lui renvoyait encore dix-sept transfuges et, qu'il n'y en avait pas un de plus. Tel était le contenu de la lettre. Ensuite Maximin était chargé de dire de bouche à Attila, qu'à l'avenir il ne devait plus exiger qu'on lui envoyât des hommes consulaires, car autrefois les Empereurs envoyaient en Scythie un soldat, ou le premier homme que l'on trouvait sous la main. Secondement qu'Onigise serait un, homme propre à lever toutes les difficultés. Troisièmement, qu'il serait convenable qu'Attila vit l'homme consulaire à Sardique, ville détruite. Telle était la commission de Maximin. Celui ci se défendit longtemps de l'accepter ; enfin il se laissa vaincre par les prières qu'on lui en fit, et il m'engagea à l'accompagner dans ce voyage.
Nous nous mîmes en chemin avec les Barbares, et, au bout de treize jours, nous arrivâmes à Sardique. Les habitants nous apportèrent des bœufs et des moutons; nous les fîmes tuer et nous ordonnâmes un festin, auquel nous invitâmes Edécon et les autres Barbares.
Pendant le festin les Barbares commencèrent à vanter Attila, et nous Théodose. Bigilas prit la parole et dit: que l'on ne pouvait pas comparer un homme à un Dieu, qu'Attila était un homme et Théodose un Dieu. Ce propos déplut aux Barbares, qui commencèrent à se fâcher; nous changeâmes de conversation et cherchâmes à les adoucir.
Lorsque nous fûmes levés de table, Maximin, qui voulait gagner Edécon et Oreste, leur fit un présent en habits de soie, et en pierreries des Indes. Oreste attendit qu'Edécon se fut retiré, puis il s'approcha de Maximin, et lui dit, qu'il regardait comme un homme honnête et prudent celui qui ne se mêlait pas de choses qui pussent offenser les Rois, et que de certaines gens avaient méprisé Oreste, et n'invitaient chez eux qu'Edécon pour lui faire des présents — Comme nous n'étions informés de rien, nous ne comprenions pas ce discours, et nous demandâmes, qui avait méprisé Oreste et honoré Edécon; mais Oreste en alla sans nous répondre.
Le lendemain, chemin faisant, nous nous adressâmes à Bigilas, et nous lui reportâmes ce qu'avait dit Oreste. Bigilas nous répondit qu'Oreste ne pourrait en aucune manière prétendre aux mêmes honneurs qu'Edécon, qu'il n'était qu'un valet, ou un scribe d'Attila ; au lieu qu'Edécon était noble, et illustre par ses exploits à la guerre; puis il s'adressa à Edécon dans sa langue et lui rendit nos discours; et Edécon se mit dans une si grande colère que nous eûmes beaucoup de peine à l'apaiser.
Nous arrivâmes ainsi à Naïssus et nous trouvâmes cette ville entièrement détruite et déserte, sans autres habitants que quelques malades qui se traînaient dans les ruines des églises. Nous fûmes même obligés de faire un détour et de nous éloigner du fleuve parce que le rivage était encore tout couvert des corps de ceux qui avaient péri dans le dernier combat.
Le lendemain nous arrivâmes chez Aginthée, Capitaine dans l'Illyrie. Les ordres de l'Empereur portaient, que nous recevrions de lui cinq transfuges qui devaient compléter le nombre de dix-sept mentionnés dans notre lettre. Ces cinq hommes se louvaient effectivement chez Aginthée; il les consola comme il put et puis nous les remit.
Le lendemain, nous nous mîmes en route avant le jour; et comme nous arrivâmes à de certains défilés le soleil se leva devant nous. Aussitôt nous nous écriâmes que nous allions mal et que notre route devait être vers l'occident; mais cela venait de ce que le chemin faisait en cet endroit divers détours, cependant il est certain que cette apparition du soleil fût un présage de toutes les difficultés que nous eûmes à surmonter dans la suite.
Ensuite nous entrâmes dans une plaine humide et marécageuse où les Barbares nous amenèrent des barques faites chacune d'un seul arbre. Il y avait là une foule de ces barques, qui n'étaient pas pour nous, mais pour passer les gens, qu'Attila voulait envoyer faire la chasse aux Romains, dans le cas où on ne lui eût pas rendu les transfuges qu'il demandait, car c'était là sa manière d'agir en pareille occasion.
Ayant fait quinze Stades au delà de l’Ister nous fumes obligés de nous arrêter en rase compagne, tandis qu'Edécon allait annoncer notre arrivée à Attila. Pendant que nous soupions, nous entendîmes un très grand bruit de chevaux. C'étaient des Scythes qui nous ordonnèrent de les suivre chez Attila. Nous les priâmes de commencer par souper avec nous ce qu'ils firent et le lendemain nous partîmes tous ensemble, ils allaient devant et nous montraient le chemin.
Il était environ la huitième heure, lorsque nous arrivâmes au camp d'Attila. Car il y avait aussi d'autres camps; alors nous voulûmes tendre nos tentes sur une certaine colline, mais les Barbares nous en empêchèrent parce que la tente d'Attila était dans une vallée ; et nous tendîmes nos tentes dans le lieu que nous indiquèrent ces Barbares.
Bientôt après arrivèrent Edécon, Oreste, Skotta, et d'autres seigneurs Scythes, et ils nous demandèrent sur quels objets roulait notre ambassade. A cette ridicule question nous ne fîmes que nous regarder les uns les autres; mais ils s'obstinèrent à tirer de nous une réponse. Alors nous répondîmes que nous ne dirions qu'à Attila les choses dont nous étions chargés. Skotta se trouva offensé de notre réponse, et nous dit : Nous sommes ici par ordre d'Attila qui connaît votre astuce dans le maniement des affaires. — Nous continuâmes à assurer que jamais les Ambassadeurs ne parlaient des affaires dont ils étaient chargés, si ce n'est en présence de ceux vers qui on les envoyait, et que les Scythes devaient bien le savoir puisqu'ils envoyaient si souvent des ambassades à Constantinople.
Ils nous quittèrent tous pour se rendre chez Attila; peu après ils revinrent sans Edécon et nous dirent tout haut les choses dont nous étions chargés, ajoutant que, si nous n'avions pas d'autres ordres, nous pouvions nous en aller. — Nous fûmes très étonnés, et ne pouvions pas comprendre, comment ils avaient pénétré dans les conseils de l'Empereur où les Dieux mêmes ne pénétreraient pas. Nous nous concertâmes sur ce qu'il y avait à faire et puis nous répondîmes en ces termes: soit que nos ordres ne soient que ce que vous venez de dire. Soit qu'il y ait encore d'autres choses, nous ne pouvons en parler qu'avec votre Roi et avec personne d'autre. — Alors les Scythes continuèrent à nous ordonner de partir.
Tandis que nous étions occupés des préparatifs de notre départ, Bigilas nous fit de vifs reproches sur la réponse que nous avions à faire aux Scythes: disant qu'il valait mieux être pris en mensonge que de retourner à Constantinople sans avoir rien fait. Et il ajouta : Si je pouvais parler à Attila, je le détournerais sûrement de l'invasion qu'il médite; car il me connait et je lui ai été utile lors de l'ambassade d'Anatolius. Certainement Edécon sera du même sentiment — Bigilas, en parlant ainsi, songeait à gagner du tems. Pour exécuter ses desseins contre Attila; mais il ne savait pas qu'il était lui-même trahi. Soit qu'Edécon n'eût pas été de bonne foi avec l'Eunuque, soit que les propos d'Oreste après le souper de Sardique lui eussent fait craindre qu'il ne l'accusât d'avoir eu des entretiens secrets avec l'Empereur et l'Eunuque. Toujours est-il sûr qu'il informa Attila de la conjuration, et de la quantité d'or que l'on devait envoyer.
Comme nos chevaux étaient prêts et nos bêtes de somme chargées, des Barbares vinrent nous dire qu'Attila nous ordonnait de passer la nuit en ce lieu, et d'autres nous amenèrent un bœuf, et nous apportèrent des poissons de rivière tout cela de la part d'Attila, si bien que nous soupâmes et nous allâmes coucher.
Le lendemain nous nous levâmes avec l'espoir qu'Attila se serait adouci à notre égard; mais bientôt après il nous fit dire de partir, si nous n'avions rien à lui dire que ce que les Scythe avaient dit tout haut chez nous. Nous ne répondîmes rien et nous nous apprêtâmes à partir, quoique Bigilas fit tous ses efforts pour nous faire dire; que nous étions chargés de commissions très importantes, et qui intéressaient infiniment Attila.
Moi alors, voyant que Maximin était accablé de tristesse, je pris avec moi Rusticius qui savait la langue Scythe, et j'allai chez Skotta, car Onigise était absent. Ce Rusticius était venu avec nous pour ses propres affaires et pour voir Constance, qui était secrétaire d'Attila recommandé à ce prince par Aece[1] général des Romains occidentaux.
Je parlai à Skotta par le moyen de Rusticius qui me servait d'interprète, et je lui dis que Maximin lui ferait de très beaux présents, s'il lui procurait une audience d'Attila, que l'Ambassade roulait sur des objets très avantageux pour les Huns en général, et pour Onigise en particulier, parce que l'Empereur demandait qu'Onigise fut envoyé à Constantinople pour finir tous les différends, et qu'il n'en reviendront que comblé de présents; ainsi (ajoutai-je) il faut dans l'absence de votre frère, que vous travailliez pour lui. On m'a dit, que vous aviez autant de pouvoir que lui sur l'esprit d'Attila; mais il est vrai que ce sont des discours du vulgaire auxquels on ne peut pas trop se fier. — N'ayez aucun doute sur mon crédit (me répondait Skotta) j'en ai autant que mon frère. — Et aussitôt il monta à cheval et se rendit chez Attila. Moi, je retournai auprès de Maximin, que je trouvai couché sur l'herbe avec Bigilas, se désolant et ne sachant quel parti prendre. J'encourageai Maximin en lui contant les particularités de mon entrevue avec Skotta, et je l'engageai à préparer quelques présents pour lui. Il se leva et, contremanda les hommes qu'il avait envoyés pour faire seller les chevaux; puis il conféra avec Bigilas sur ce qu'il dirait à Attila et sur les présents qu'il lui ferait.
Tandis que nous étions occupés de pareils objets, Skotta vint nous dire, qu'Attila nous faisait appeler. Aussitôt nous prîmes le chemin de sa tente que nous trouvâmes environnée, d'une foule de Barbares, rangés en cercle autour d'elle. Nous entrâmes dans la tente et nous trouvâmes Attila, assis dans: un fauteuil de bois. Nous restâmes un peu en arrière ; Maximin, s'approcha seul, et lui remettant la lettre, il lui dit: que les Empereurs faisaient des vœux pour sa santé. Attila répondit : Je le crois, et je souhaite aux Romains tout le bien qu'ils me veulent. — Puis se tournant vers Bigilas, il lui dit: Bête impudente! pourquoi es-tu venue ici, toi qui dois savoir ce que nous pensons sur la paix, Anatolius et moi. Et de plus aucun ambassadeur ne devait se présenter chez moi avant que l'on eût rendu tous les transfuges. — Bigilas répondit qu'il n'y avait plus un seul transfuge Scythe dans tout l'Empire Romain. — Alors Attila se mit fort en colère, et dit les plus grosses injures à Bigilas, les accompagnant de cris épouvantables. Il jura même que, sans le respect qu'il portait à l'ambassade, il le ferait mettre en croix et le ferait manger aux vautours. Après cela il ordonna aux scribes de lire à haute voix les noms des transfuges qui n'avaient pas encore été rendus. Lorsque cela fut fait, Attila ordonna à Esla d'aller à Constantinople avec Bigilas, et de redemander tous les transfuges depuis Carpillon le fils, qui avait été en otage chez lui. Ajoutant que nulle ville du monde ne pouvait exister, lorsqu'il avait résolu de la détruire et que les Romains auraient dû y songer avant que de s'opposer à ses volontés.
Un peu auparavant, Attila avait ordonné à Maximin d'attendre jusques à ce que ses lettres fussent prêtes ; mais alors il demanda les présents. Nous les donnâmes, et puis nous nous retirâmes dans notre tente où nous parlâmes dans notre propre langue de tout ce qui s'était passé. Bigilas s'étonnait de ce qu'Attila, qui l'avait traité avec beaucoup de douceur dans les anciennes ambassades, l’accablait d'injures cette fois-ci. Moi, je dis que peut-être quelque Barbare avait rapporté les propos qu'il avait tenus à Sardique, appelant Attila un homme et Théodose un Dieu. Maximin se rangea à cet avis, par ce qu'il ne savait rien de la conjuration tramée contre Attila. Pour ce qui est de Bigilas, il nous a avoué depuis, qu'il n'imaginait pas que l'on eût rapporté ce qu'il avait dit à Sardique, parce qu'aucun de ceux, qui se trouvaient à ce festin, n'étaient assez familiers avec Attila pour entrer en conversation avec lui, à l'exception d'Edécon. Il ne croyait point non plus qu'Edécon l'eût trahi tant à cause du serment qu'il avait prêté que parce que l'affaire était grave en elle-même; et qu'il pouvait être mis à mort seulement pour avoir assisté à des conseils pernicieux à Attila; mais il ne savait que penser des injures que le Prince lui avait dites.
Tandis que nous étions occupés de nos incertitudes, Edécon survint et prit à part Bigilas, pour lui dire où il devait porter l'or dont on était convenu, feignant de s'occuper sérieusement du dessein projette. Lorsque Edécon fut parti, je demandai à Bigilas de quoi il avait été question entre eux. Bigilas, qui voulait me tromper et qui était lui-même trompé, me répondit qu’il avait été question des transfuges et de la volonté d’Attila, qui prétendait qu'on ne lui envoyât pour ambassadeurs que des personnages illustres.
Tandis qui! parlait encore, on vint de la part d'Attila pour défendre à Bigilas et à nous d'acheter aucun esclave barbare ni captif Romain, ni quoique ce fut au monde, jusqu’à ce que tout fut applani entre les Romains et les Huns. Quant à nous, il nous ordonnaient d'attendre le retour de ceux qui devrait porter sa réponse à l'Empereur avec les présents qu’il lui destinait. Cette défense d'acheter était imaginée exprès par Attila, pour mieux convaincre Bigilas, et lui ôter tout prétexte au sujet de l’or qu’il devait apporter.
Onigise alors avait été envoyé chez les Acatzires avec le fils aîné d'Attila. Les Acatzires sont un peuple Scythique gouverné par plusieurs familles. L’empereur Théodose les avait accordées entre elles, et en même temps les avait éloignées d’Attila ; mais l'homme, chargé des présents de Théodose ne les avait point distribués selon le rang d’un chacun, par exemple, Curidach le principal et le plus ancien des Rois n'avait eu que le second présent. Aussi il en appela au jugement d'Attila, celui-ci envoya aussitôt une puissante armée contre les Acatzires, et força, tous leurs Rois à la soumission. Ainsi tout le pays des Catisses tomba au pouvoir d'Attila à l'exception du petit pays de Curidach qui resta Roi chez lui. Attila voulut donner le royaume conquis à son fils aîné et voila pourquoi il y avait envoyé Onigise.
Nous eûmes donc ordre de rester, et Esla fut envoyé avec Bigilas sous le prétexte de redemander les transfuges ; mais dans la vérité pour ôter à Bigilas une occasion d'apporter l'or que l'on avait promis à Edécon.
Depuis le départ de Bigilas nous ne restâmes plus qu'un jour dans ce lieu là; parce que le lendemain, Attila prit sa route vers le nord. Nous le suivîmes quelque peu, et puis nos guides nous forcèrent à prendre une autre route. Pendant ce tems là Attila s'arrêta dans un certain Bourg, pour épouser la fille d'Esca, quoiqu'il eût déjà beaucoup d'autres femmes, mais tel est leur usage.
Ensuite nous voyageâmes dans une belle plaine et nous traversâmes beaucoup de fleuves desquels les plus grands, après Pister, sont le Dricon le Tigas, et le Tiphisas. Nous traversâmes les plus grands, sur de longues barques faites chacune d'un seul arbre, et nous traversâmes les plus petits, sur des petites barques, que les Barbares mettent sur des chariots et mènent partout avec eux. Quand nous arrivions quelque part, les villages voisins nous apportaient au lieu de froment de l'orge et au lieu de vin du Medum.[2] C'est ainsi que les habitants l'appellent ; et ceux qui nous accompagnaient faisaient avec de l'orge une boisson appelée par les Barbares Kamos.
Ayant fait beaucoup de chemin, comme la nuit approchait, nous campâmes près d'un marais dont l'eau était bonne à boire, et on venait la chercher des villages voisins. Voila que pendant la nuit, il survient un orage épouvantable, qui renverse notre tente et jette tout ce que nous avions dans le marais voisin. La frayeur nous faisait courir sans savoir où, et nous entrâmes chacun de notre côté dans quelque maison du village. Les Scythes se réveillèrent à nos cris, allumèrent des roseaux, comme c'est leur usage, et demandèrent ce que nous voulions ; les hommes qui nous accompagnaient répondirent que c'était l'orage qui nous troublait ainsi. Alors ceux du village nous offrirent l'hospitalité, firent du feu avec des roseaux et nous traitèrent de leur mieux. La maîtresse de ce village était une des femmes de file-da, elle nous envoya des viandes et des belles femmes pour faire l'amour avec elles; car tel est l'usage des Scythes, lorsqu'ils veulent honorer quelqu'un. Nous prîmes les viandes ; nous renvoyâmes les femmes, et puis nous allâmes nous coucher.
Le lendemain, nous nous levâmes de grand matin, pour aller chercher nos petits meubles dispersés par la tempête. Nous en trouvâmes une partie sur la rive du marais, une autre partie dans le lieu où avait été notre tente, et le reste dans le marais lui-même. La tempête avait cessé, le soleil se faisait voir et nous en profitâmes pour sécher nos effets; puis nous prîmes soin de nos chevaux et de nos autres bêtes de somme, enfin nous allâmes saluer la reine, nous la remerciâmes de ses bontés, et nous lui offrîmes un présent qui consistait en patères d'argent, toisons rouges, poivre des Indes, dates, et autres fruits secs. Nous ne restâmes pas longtemps chez la Reine, et nous primes congé d'elle, en faisant des vœux pour son bonheur.
Après cela nous marchâmes six jours, et nos guides nous ordonnèrent de rester dans un certain Bourg, et d'y attendre' Attila pour continuer notre route avec lui Ce fut là que nous rencontrâmes les Ambassadeurs des Romains occidentaux. Les principaux de l'ambassade étaient le Comte Romulus, Prf-Riutus Préfet de la Norique, et Romain général d'armée: Avec eux se trouvait Constance qu'Aece avait envoyée Attila pour lui servir de Secrétaire et Tatulkts père d'Oreste, qui était avec Edécon. Constance et Tatullus n'y étaient point d'office, le premier y était pour le plaisir de se retrouver avec des Italiens, et le second à cause de sa parenté avec Romulus; car son fils Oreste avait épousé une fille de Romulus native de Petouron ville de la Norique.
Ces ambassadeurs, ou députés venaient pour implorer la clémence d'Attila, qui demandait qu'on lui livrât un certain Sylvanus, préfet de la table d'Armius à Rome, qui avait reçu des vases d'or d'un certain Constance. Ce Constance, était un Gaulois d'occident, et on l'avait envoyé à Attila, et Bleda pour Secrétaire, avant ce Constance dont j'ai parlé plus haut. Le premier Constance se trouvant chez les Scythes comme ils assiégeaient Syrmium, ville de Péonie, l'Evêque de cette ville lui avait fait parvenir des vases d'or, qui devaient servir à sa rançon au cas que la ville fût prise, et qu'il y survécût ou à racheter d'autres captifs, dans le cas où l'Evêque périrait dans le siège. La ville fut prise, mais Constance, s'embarrassant fort peu de l'Evêque, alla à Rome et mit les vases en gage chez Sylvanus, avec la condition que les vases lui appartiendraient au bout d'un certain tems, s'il ne venait rapporter le capital avec les intérêts. Constance à son retour fut suspecté de trahison contre Attila et Bleda, on le mit en croix et c'est ainsi qu'on eût l'indice de ces vases. Attila, s'étant informé de cette affaire, demanda qu'on lui livrât Sylvanus comme un voleorv Or donc ces ambassadeurs venaient de la part d’Aece et de l'Empereur d'Occident dire, que Sylvanus avait avancé de l'argent et ces vases ; mais qu'il ne les avait pas volés, qu'au contraire il les avait cédés pour de l'argent à des prêtres. Par la raison qu'il n'était pas permis de convertir à son propre usage de vases consacrés à Dieu. Qu'enfin si Attila l'exigeait absolument — on lui rendrait la valeur des vases. Mais qu'il était impossible de lui livrer un homme innocent. Telle était l'occasion de cette ambassade, et ils suivaient le Barbare pour qu'il leur répondit et les congédia.
Nous traversâmes plusieurs fleuves, et puis nous arrivâmes dans un Bourg où était la demeure d'Attila, et même la plu belle de toutes celles qu'il avait en divers lieux. La maison était de bois, et de planches parfaitement polies, environnée d'un mur de même matière construit pour l'ornement plutôt que pour la sûreté. Près de la maison d'Attila était celle d'Onigise, aussi environnée d'un mur de bois; mais qui n'avait pas comme l'autre, des tours élevées. A une certaine distance en dehors de cette enceinte, était un bah qu'Onigise avait fait construire en pierres, amenées exprès de Péonie; car Onigise était le premier après Attila, tant pour les richesses, que pour l'autorité : et il faut savoir aussi que dans toute cette partie de la Scythie il n'y a ni pierres ni arbres. L'Architecte de ce bain était un captif fait à Syrmium qui espérait par là obtenir sa liberté ; mais Onigise le fit son baigneur, et lui ordonna d'être M, lorsqu'il se baignerait avec sa famille.
Comme Attila avançait vers le Bourg. Les jeunes filles allèrent à sa rencontre elles marchaient sous des longues étoffes blanches d'une finesse extraordinaire, qui étaient tenu élevée par les femmes, et les jeunes mies marchaient dessous. Et six d'entre elles, où même davantage, chantaient des odes et de chansons en langue Scythique.
Lorsqu'Attila passa devant la maison d'Onigîse, la femme de celui-ci, accompagnée de beaucoup d'autres femmes, accourut pour Saluer Attila et lui présenter des viandes et du vin. Attila pour lui marquer sa considération en voulut manger, cependant il ne descendit point de cheval ; mais on éleva jusques à lui la table qui était d'argent. Lorsqu'Attila eût assez mangé, il but et se retira dans son palais qui était dans un lieu élevé.
Quant-à nous, d'après les ordres d'Attila, nous restâmes dans la maison d'Onigise qui était de retour avec le fils d'Attila La femme d'Onigise nous donna à souper avec les personnes les plus illustres de sa famille. Onigise lui même ne pût nous tenir compagnie, car il fut tout de suite obligé de se rendre chez Attila, pour lui rendre compte de ce qu'il avait fait, ainsi que de l'accident arrivé à son fils, qui s'était cassé le bras drait.
Après le souper nous allâmes faire tendre nos tentes et nous les plaçâmes près du palais d'Attila, parce-que Maximin voulait trouver des occasions de lui parler et c'est ainsi que nous passâmes la nuit.
Le lendemain matin Maximin, m'envoya chez Onigise pour lui porter des présents tant de sa part à lui, que de la part de l'Empereur, et pour lui demander en même tems d'entrer en conférence. J'y allai avec les valets qui portaient les présents ; nais nous trouvâmes les portes encore fermées. Comme je tournois autour de la maison, je vois un homme babillé à la mode de Scythie, et qui me salue en grec, en me disant Chaire — cela m'étonna beaucoup, car non seulement les Huns et les Goths ne parlent point le grec; mais même les Italiens. Ca ne pouvait pas être non plus un captif de Thrace ou des villes maritimes de l'Illyrie, car ceux-là sont mal-peignés et couverts de haillons, celui-ci au contraire semblait un riche Scythe; il était bien mis, et sa tête était rasée en rond. Je lui rendis son salut, et je lui demandai qui il était, et pourquoi il avait adopté les mœurs de la Scythie — Il me répondit : Je suis Grec, j'ai longtemps fait le commerce à Viminacium, Ville de Mysie située sur l'Ister; j'y ai aussi épousé une femme riche; mais la ville ayant été prise, je suis tombé au pouvoir d'Onigise avec tout mon bien, parce que l'usage des seigneurs de la cour d'Attila, est de faire mettre de côté les plus riches captifs, et puis de se les partager entre eux. Ensuite j'ai fait la guerre aux Romains. J'ai aidé mon maître à soumettre la nation des Acatzires, et j'ai si bien fait qu'on m'a rendu ma liberté et mon bien, à condition que j'embrasserais le genre de vie des Scythes. J'ai épousé une femme Scythe et j'en ai des enfants. Enfin je mange tous les jours chez Onigise, et ce genre de vie me plaît infiniment; car la guerre une fois finie chacun jouit- ici tranquillement de ce qu'il a, et personne ne songe à en molester un autre. Au contraire les sujets Romains courent tous les jours le risque d'être pris, leurs tyrans ne leur permettent point de porter des armes, et ila sont trop lâches pour les défendre. Les tributs n'y sont point également répartis et la justice y est mal exercée. Cet homme dit beaucoup de choses sur le même ton, après quoi, je pris la parole, et je défendis de mon mieux les lois et les usages de l'Empire. Comme nous en étions à disserter sur ce sujet, les portes d'Onigise s'ouvrirent. J'allai aussitôt à l'homme qui avait ouvert, et je lui dis, que je voulais parler à Onigise de la part de Maximin ambassadeur des Romains, on me répondit que je devais attendre et qu'Onigise allait lui même sortir. Un moment après, Onigise sortit effectivement, je le saluai et lui dis : L'Ambassadeur des Romains vous salue, et vous envoie des présents de sa port et de l'or de la part de l'Empereur, et il vous demande où, et quand il pourra vous parler. Onigise ordonna à ses serviteurs de porter chez lui l'or et les présents et me dit: qu'il allait tout de suite se rendre chez Maximin.
J'allai chez Maximin, et je lui annonçai l'arrivée d'Onigiso qui me suivit de prés. Il dit à Maximin qu'il le remercier, lui et l'Empereur, et il lui demande pourquoi il l'avait fait appeler et ce qu'il avait à lui dire. Maximin lui répondit, que le moment était arrivé pour lui d'acquérir une gloire très grande, et cela en se rendant chez l'Empereur pour finir tous les différends -qu'il y avait entre les Scythes et les Romains, et que pour cela il pourrait être comblé de biens infinis, ; qui l'attacheraient pour jamais à l'Empire — Onigise demanda quel différend il-y-avait à arranger, et quel service il pouvait rendre à l'Empereur j Maximin répondit que c'était en entrant dans toutes les causes de dissension, et les accommodant selon sa prudence. Alors Onigise dit : J'ai déjà averti l'Empereur des véritables sentiments d'Attila. Les Romains ne doivent point s'imaginer que je trahirai Attila qui m'a élevé, j'aime mieux le ; servir que de posséder ailleurs les plus grandes richesses i enfin, si j'e reste ici, je pourrai plutôt être utile à l'Empereur et aux Romains, en cherchant à adoucir Attila à leur égard, au lieu que si j'y vais moi-même, je m'exposerai à toutes sortes d'accusations. — Enfin il ajouta, que Maximin, étant un homme élevé en dignité, ne devait pas le voir trop souvent, et qu'il suffisait de m'envoyer; après quoi il s'en alla.
Le lendemain j'allai dans l'intérieur de la maison d'Attila pour porter des présents à une de 5es femmes, que l’on appelait Cerca, il avait d'elle trois fils dont l'aîné était Roi des Acatzires et des autres nations de cette partie de la Scythie qui est sur le pont.
Dans cette enceinte intérieure on voyait beaucoup de pavillons faits en planches élégamment sculptées et jointes ; d'autres étaient simplement construits en poutres, bien rabotées et polies, et dans leurs interstices étaient des bois travaillés au tour. Les ceintres commençaient de la terre même, et avaient une bonne proportion.
Je trouvai Cerca sur un lit fort tendre, et le parquet de la chambre était couvert de tapis sur lesquels nous marchions ; les valets étaient en cerclé autour d'elle, et les servantes étaient assises à terre, et brodaient en diverses couleurs les habits de ces Barbares. Je saluai Gerça, et je lui offris mes présents, après quoi je sortis. Onigise était dans le palais du Roi, et je voulais attendre qu'il sortit; en attendant j'allai voir d'autres pavillons qu'occupait Attila, et les gardes, qui me connaissaient, me laissaient entrer partout. Tout d'un coup je vis paraitre une grande troupe de monde; c'était Attila qui sortait de sa demeure avec Onigise. Le visage d'Attila était grave et Sévère, et tous les yeux étaient tournés sur lui. Attila s'assit devant la porte de sa maison, et jugea plusieurs procès; après quoi il rentra dans la maison, et fit entrer les ambassadeurs des peuples Barbares.
Tandis que j'attendais toujours Onigise, je fus accosté par les Ambassadeurs venus d'Italie au sujet des vases d'or; ils étaient avec Rusticius Constance et Constanciole natif de Péonie, pays soumis à Attila; ils me demandèrent si j'étais expédié, je leur répondis, que c'était pour cela même que j'attendais Onigise ; ensuite je leur demandai à mon tour, s'ils avaient eu une réponse favorable, aucune, me dirent-ils. Attila, menace toujours de la guerre, et vent qu'on lui livre Sylvanus ou qu'on lui rende les vases — Rusticius dit, qu'Attila avait la tête tournée par ses succès, qu'il ne faisait nul cas de la justice et répondait d'après le caprice du moment; Personne, ajouta-t-il, n'avait fait encore d'aussi grandes choses en aussi peu de tems; car il a soumis toute la Scythie jusques aux îles de l'Océan, les ; Romains lui payent tribut, et non content de cela, il veut aller faire la guerre aux Persans. — Quelqu'un de nous, demanda, quel chemin conduisait de Scythie en Perse ; alors Sylvanus dit : un assez court intervalle sépare les Mèdes d'avec les Scythes, et les Huns connaissent ce chemin. Autrefois ils ont pénétré jusques à fiazic, et Cursic qui sont des villes appartenant tes aux Mèdes. Ensuite des Princes, issus de ceux qui avaient fait cette expédition sont venus à Rome pour faire alliance avec nous, et ils nous ont conté les particularités de cette expédition. Ils avaient d'abord passé un grand désert et ensuite un vaste marais, et je pense que c'est le palus Méotide; puis ils avaient été quinze jours à traverser de certaines montagnes, et enfin ils étaient descendus dans la Médie; là ils faisaient un butin immense, lorsque tout-à-coup ils virent paraitre l'armée des Perses qui remplit l'air de ses flèches. Alors ils furent obligés de s'en retourner par les montagnes et ils ne purent emporter qu'une très petite partie de leur butin ; car les Mèdes leur arrachèrent le reste ; ils furent même obligés de s'en retourner par un autre chemin, et ils passèrent en des lieux où la flamme sort des rivages de la mer. Je ne sais au juste, combien de jours ils ont mis à revenir; mais toujours est-il sûr, qu'ils ont pu voir que la Médie n'est pas fort éloignée de la Scythie. Ainsi il sera fort facile à Attila, s'il attaque les Mèdes, les Perses et les Parthes à la fois, de les contraindre à lui payer tribut, car il à des forces auxquelles aucune nation ne peut s'opposer avec avantage. Quant - à nous, nous devons désirer qu'il fasse la guerre aux Persans, pour que nous restions tranquilles — Il est à craindre, dit Constantiole, que s'il soumet ' les Mèdes, les Parthes et les Persans, il ne nous parle plus en ami, mais en maître. A présent nous le payons, sous le prétexte d'une dignité, dont nous l'avons noua-même revêtu; mais s'il revient victorieux, il nous traitera en esclave, et nous exprimera ses volontés d'une manière intolérable. — Cette dignité dont parlait Constantiole, était celle de Général des armées Romaines; mais Attila s'en moquait déjà alors, et disait: que ses serviteurs étaient les égaux des Généraux Romains. Il faut convenir qu'il avait acquis beaucoup d'autorité en trouvant l'épée de Mars, à laquelle les Scythes avaient autrefois rendu des honneurs divins. On ne l'avait point vu depuis bien des siècles et ce fut un bœuf qui la trouva.
Tandis que nous raisonnions ainsi, Onigise sortit du Palais, et nous allâmes l'aborder, d'abord il expédia quelques Barbares, ensuite il se tourna vers moi et m'ordonna d'aller demander à Maximin quels hommes consulaires les Romains prétendaient envoyer à Attila. Je m'acquittai de ma commission, et puis je retournai dire à Onigise, que les Romains désiraient, que lui Onigise fut chargé de toute cette affaire, mais que, si cela ne se pouvait pas, ils enverraient les personnes qu'Attila demanderait lui-même. Alors Onigise me dit d'aller chercher Maximin, et lorsqu'il fut venu, il le conduisit chez Attila.
Maximin revenu de l'audience me conta que Attila voulait qu'on lui envoyât Nomius Anatolius ou Senator, et qu'il n'en recevait aucun autre. Maximin lui objecta, qu'en nommant les ambassadeurs, il les rendait suspects à l'Empereur. Alors Attila avait répondu que si cela ne convenait pas aux Romains il fallait en venir aux armes pour mieux terminer le différend. Nous retournâmes dans notre tente, et bientôt après, nous vîmes entrer le Père d'Oreste qui nous invita tous les deux à souper chez Attila pour neuf heures.
L'heure prescrite étant venue, nous nous rendîmes chez Attila avec les Ambassadeurs des Romains occidentaux. D'abord nous nous arrêtâmes à la porte vis-à-vis d'Attila; là les Echansons nous apportèrent des gobelets, nous bûmes et nous fîrnes des vœux pour Attila, comme c'est l'usage de Scythie où on les fait avant de se mettre à table. Tout autour de la salle étaient des sièges contre la muraille, et nous allâmes y prendre les places qui nous étaient destinées. Attila était dans la milieu sur un lit, et près de lui était un autre lit orné de linges fins, de tapis, et tout semblables à ceux que les Romains font polir les jeunes mariés. Le premier rang des convives se mit à la droite d'Attila et le second à la gauche. Nous étions dans celui-ci au dessous de Berich, homme illustre entre les Scythes.
Onigise était dans un fauteuil à la droite du lit d'Attila. Et lu même côté étaient deux fils d'Attila ; le plus âgé était sur le même lit que son père; mais loin de lui et beaucoup plus bas, et à cause de la présence de son père, il avait les yeux toujours attachés à la terre.
Lorsque tout le monde fut assis, le premier échanson entra, et présenta à Attila, une coupe pleine de vin. Attila la reçut et salua le premier en rang, celui-ci honoré se leva, et ne se rassit plus qu'après avoir bu et rendu la coupe à l'Echanson. Attila restait toujours assis, mais tous les autres se levaient pour boire, le saluaient et puis se rasseyaient. Ensuite l’échanson en sortant donna à chaque convive un garçon pour lui verser à boire. Lorsque cela fut fait, Attila nous invita à combattre à la manière des Thraces, c'est à dire à gobelets égaux. Alors nous bûmes tous à la fois pour saluer Attila et puis les échansons se retirèrent.
Note du traducteur.
Je n’ai pas besoin de faire observer à mes compatriotes, que nous buvons encore debout la première santé Gospodartkie Zirowie ou la santé de l'hôte. Il me semble probable, qu'Attila avait pris cette coutume chez les Slaves comme il avait pris d'eux le mot Strava , repas, et Médune hydromel.
Suite du texte.
 côté de la table d'Attila étaient d'autres tables, qui pouvaient servir à trois ou quatre convives et même d'avantage, et où chacun, sans se lever de sa chaise, pouvait avec son couteau prendre ce qu'il voulait dans les plats.
D'abord vint un officier d'Attila qui apporta un plat de viandes, d'autres, qui le suivaient, garnirent la table de pain et de divers hauts goûts. Les autres Barbares et nous, nous étions servis dans des plats d'Argent, mais Attila l'était dans des quarrés de bois, et ne mangeait que de la viande. Les autres convives buvaient dans des gobelets d'or ou d'argent, et Attila dans un gobelet de bois. On ne pouvait pas non plus reconnaître Attila à ses habits, seulement ils étaient propres et tout de la même étoffe. Son épée n'avait aussi rien de remarquable, non plus que les ligatures de ses chaussures à la Barbare; et les harnais et les mors de ses chevaux, n'étaient pas non plus enrichis d'or et de pierres précieuses comme chez les autres Barbares.
Lorsque les premiers plats furent mangés, nous nous levâmes, et personne ne se rassit, qu'après avoir vidé une patère de vin, en faisant des vœux pour la santé d'Attila. Ensuite on apporta d'autres plats ; chacun en mangea à volonté et puis nous nous levâmes encore pour boire à la santé d'Attila.
Comme la nuit approchait déjà, on ôta les tables; deux Scythes se présentèrent à Attila et récitèrent des vers qu'ils avaient fait pour célébrer ses victoires. Tous les convives tournèrent les yeux sur eux. Quelques-uns goûtaient leur poésie, d'autres se plaisaient au souvenir des anciennes guerres. Les vieillards que l'âge empêchait de combattre, versaient des larmes.
Après que l’on eût récité des vers, je ne sais quel fou de Scythe se mit à conter des choses absurdes et prodigieuses qui firent rire tout le monde.
Note du traducteur.
Ce fou de Scythe était sans doute un de ces bouffons que l'on appelle en Russie Duràk et en Pologne Blazen, quant à la langue dans laquelle il faisait ses contes, elle n'est pas facile à déterminer non plus que celle des Poésies dont il est question un peu plus haut. Les Huns avaient sûrement adopté en partie la langue des Slaves; mis il n'est pas probable qu'ils eussent oublié la leur. Lorsque les auteurs disent la langue Scythe, ils ne s'expriment point d'une manière précise, mais un peu plus bas, l'on voit que Zerchon mêlait l'Italien, le gothique et la hunnique, ce qui semble plus décisif.
Suite du texte.
Ensuite entra le maure Zerchon qui redemandait sa femme, et Edécon lui avait persuadé de s'adresser à Attila lui-même. Bleda aimait cette femme, c'est pourquoi, Attila fit présent du mari à Aetius, et à présent il venait redemander sa femme. Sa figure était étrange aussi bien que ses habits; et il mêlait en parlant l'Italien, le hunnique et le gothique, si bien qu'il excita un rire universel et inextinguible; mais Attila le congédia, sans sourire le moins du monde, et lui dit de s'en aller sans s'embarrasser de sa femme
Pendant tout ce festin, je n'ai pas remarqué qu'Attila changeât l'expression de ses traits, ni leur donnât jamais le moindre air de douceur et de gaîté, si ce n'est lorsque son fils Irnach entra, il le regarda d'un air satisfait et lui caressa les joues. Comme je marquois ma surprise de cette préférence, un Barbare, qui était à côté de moi et qui savait le latin, me dit qu'il me le dirait à condition que je ne le trahirais pas. Je lui promis le secret; et alors il m'apprit que des Devins avaient présagé à Attila que sa race serait prête à s'éteindre, et qu'elle ne serait relevée que par Irnach. Comme le festin se prolongeait dan la nuit, nous nous retirâmes.
Le jour étant venu, nous allâmes chez Onigïse pour lui dire qu'il fallait nous expédier, et qu'il était inutile de nous faire perdre davantage de tems. Onigise nous répondit, que c'était aussi là l'intention d'Attila; aussitôt il assembla quelques personnes du Conseil, et fit faire la lettre pour l'Empereur. Cette lettre fut faite par Rusticius, homme de la Mysie supérieure qui, était tombé dans l'Esclavage, servait les Barbares dans ces occasions là.
Lorsqu'Onigise eut renvoyé les personnes du Conseil, non le priâmes de rendre là liberté à la femme et aux enfants de Sylla, qui avaient été pris à Ratiaria. Onigise n'était pas éloigné de leur rendre la liberté; mais il en demandait une somme exorbitante. Nous le conjurâmes de faire attention à leur infortune présente, enfin il alla en parler à Attila, et en revenant il nous dit qu'il donnait la femme pour cinquante pièces d'or et qu'il faisait présent des enfants à l'Empereur
Ce jour là Recca voulut nous donner à souper. Cette Recca est celle des femmes d'Attila qui gouverne sa maison. Nous trouvâmes chez elle les seigneurs les plus distingués de la cour, et elle nous entretint de la manière la plus douce et la plus affable. Les principaux d'entre les convives nous présentèrent la coupe, et lorsque nous l'avions vidée, ils la recevaient de nous et nous embrassaient avec une extrême cordialité tout le souper était magnifique.
Le lendemain nous soupâmes de nouveau chez Attila, et avec les mêmes cérémonies que la première fois. Seulement le fils aine d'Attila n'était pas assis sur le lit de son père ; mais Oebarsius oncle d'Attila et qu'il regardait comme son père.
Pendant tout le souper Attila nous parla avec beaucoup de bonté. Il ordonna à Maximin de dire à l'Empereur, qu'il donna à son Secrétaire Constance la femme qu'il lui avait promise.
Voici qu'elle était cette affaire. Constance avait été à Constantinople avec des Ambassadeurs d'Attila, et il avait dit qu'il travaillerait à une paix stable entre les Romains et les Huns, pourvu qu'on lui fit épouser une demoiselle riche. L'Empereur Théodose y avait consenti, et lui avait promis la fille de Saturnilius. Dans ce tems-là Athenas que l'on appelait aussi Eudonie fit périr Saturnilius. Zenon qui était à la tête des Isauriens, enleva la jeune fille et la donna en mariage à un des siens appelle Rufo; et Constance demandait sans cesse qu'on là lui rendît, où bien qu'on lui en donnât une autre, dont la dote fût également bonne; et il avait promis à Attila de lui donner une partie de la dote, s'il faisait réussir cette affaire, et c'est pour cela qu'Attila nous la recommandait avec tant d'empressement Trois jours après, l'on nous fit des présents et l'on nous congédia; Attila envoya avec nous ce même Berich qui avait été assis à table au dessus de nous. Il avait déjà été plusieurs fois en Ambassade chez les Romains et il avait de grands biens en Scythie.
Comme nous passions par un certain Bourg, l'on prit un Scythe qui faisait l'espion pour les Romains et on le mit en croix par l'ordre d'Attila.
Le lendemain nous rencontrâmes deux captifs qui avaient tué leurs maîtres. On les trainait les mains liées derrière le dos et la tête passée dans des comes de bois. Ils furent aussi mis en croix.
Berich allait toujours avec nous, et nous traitait avec amitié mais lorsque nous passâmes l'Ister, nos valets eurent ensemble quelques légers différends, et il les prit si fort à cœur qu'il devint notre ennemi. Il commença par reprendre le cheval qu'il avait donné à Maximin ; car Attila avait ordonné à tous les seigneurs de sa cour, de faire des présents à Maximin, et chacun avait donné un cheval; mais Maximin n'en n'a vait excepté que quelques-uns, et avait rendu les autres. Berich reprit donc son cheval et voulut aussi aller de son côté, sans avoir plut aucun commerce avec nous.
Nous passâmes par Philippopolis et nous arrivâmes à Andrinople, là nous fîmes les premiers pas pour ramener Berich ; nous lui demandâmes pourquoi il ne nous parlait pas et nous rassurâmes, que nous n'avions pas voulu l'offenser, enfin nous l'apaisâmes, et il soupa avec nous.
Etant parti d'Andrinople nous rencontrâmes Bigilas, qui retournait en Scythie; nous l'informâmes de ce qui s'était passé à notre égard, et puis nous Continuâmes notre route.
Etant arrivés à Constantinople, Berich, que nous croyons réconcilié, recommença à nous donner des marques de malveillance; il répandit que nous avions parlé avec mépris d'Aspar et Ardabure, et que nous- avions dit que l'Empereur, ayant reconnu en eux le caractère léger des Barbares, n'en faisait plut aucun cas,
Lorsque Bigilas fût arrivé en Scythie oh l'arrêta, on lui prit son or, et on le conduisit à Attila. Attila lui demanda pourquoi il avait apporté autant d'or. Bigilas répondit: Je l'ai apporté pour pourvoir à mes besoins et aux besoins de ceux qui sont avec moi, pour acheter des chevaux et autres bêtes de somme, et pour racheter divers captifs dont on m'a payé la rançon d'avance — Bête infâme (dit alors Attila) tes mensonges ne te feront point échapper au supplice. Cette somme est beaucoup trop forte pour acheter des chevaux, et pour ce qui est des captifs, je vous en ai défendu le commerce, déjà du temps que Maximin était ici. —. Alors Attila fit amener le fils de Bigilas qui avait suivi son père dans ce voyage, et il ordonna qu'on lui passât une épée au travers du corps, si Bigilas n'avouait la vérité, Bigilas ne pût résister à ce spectacle, et raconta tout ce qui s'était passé entre l'Empereur, l'Eunuque, et lui, il confessa qu'il méritait la mort ; mais il supplia que l'on épargnât son fils. Attila, voyant qu'Edécon lui avait dit la verité, fit mettre Bigilas aux fers, et ordonna que son fils irait chercher cent autres livres d'or pour leur rançon à tous les deux; Attila envoya aussi à Constantinople Oreste et Eslas.
Chrysaphius, accusé en même temps par Attila et par Zénon, fit envoyer vers Attila, Anatolius et Nomius, qui furent chargés de l'apaiser, et de lui dire que l'on donnerait à Constance une fille aussi riche que celle de Saturninus mais que pour celle-là, elle en avait déjà épousé un autre; et en même tems l'Eunuque envoya beaucoup d'or.
Anatolius et Nomius passèrent l'Ister et arrivèrent au fleuve qu'on appelle Drenkon. Attila, qui les respectait beaucoup, ne voulut pas qu'Us allassent plus loin et leur parla en cet endroit. D'abord il leur tint des discours assez insolents; mais ensuite la beauté des présents qu'ils apportaient et la douceur de leur éloquence, l'apaisèrent peu-à-peu, et il jura de vivre en paix avec les Romains. Il renonça aussi à toutes prétentions sur les pays situés au-delà de l’Ister, et promit de ne plus redemander de transfuges, pourvu que les Romains n'en reçussent plus à l'avenir. Le fils de Bigilas avait apporté cent livres d'or pour la délivrance de son père, qui fut aussi mis en liberté. Enfin Attila donna à Anatolius et Nomius d'autres captifs sans rançon, des chevaux et des peaux de bêtes ; et il ordonna que Constance irait à Constantinople avec les Ambassadeurs, pour qu'on lui donnât la fille qu'on lui avait promise.
Lorsque les Ambassadeurs furent de retour à Constantinople. On fit épouser à Constance la fille de Plinthas veuve d'Armatius, qui avait été consul et Général en Lybie, où il était mort de maladie.
Bientôt après Théodose eût lieu de craindre que Zénon ne voulût le détrôner; Attila demandait qu'on lui envoyât le tribut dont on était convenu. Théodose y envoya Apollonius frère de celui qui avait épousé la fille de Saturaîlius après la mort de Rufo. Apollonius passa l'Ister, mais il ne pût obtenir d'audience d'Attila, qui était très en colère de ce qu'on ne payait pas le tribut. Mais quoique Attila ne voulût point accorder d'audience il voulut cependant avoir les présents que portait Apollonius. On assure qu'Alors Apollonius, dit avec beaucoup de courage que si l'audience n'était point accordée, ce qu'il portait et qu'on lui ôterait, ne serait plus des dons mais des dépouilles enlevées à un voyageur.
[1] Aétius.
[2] Les habitants étaient des Slaves aussi ; Médum chez nous veut dire de l'hydromel, et Attila était un tartare. Aussi, Kamisch est encore le nom sue les tartares donnent a la boisson qu'ils font avec de la farine aigrie. Les Huns parlaient certainement une langue hunnique, mais ils avaient adopté en grande partie celle des slaves.