Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Rien n'est plus difficile que de rassembler, sur les règnes des premiers Capétiens, Hugues Capet, Robert, Henri Ier, et Philippe Ier, des documents originaux où les faits soient racontés avec quelque ordre et quelque étendue. C'est l'époque où le royaume de France et la nation française n'ont existé, à vrai dire, que de nom. Partagée entre une multitude de princes indépendants, isolés, souverains dans leurs domaines, n'entretenant guère de relations qu'avec leurs voisins, et à peine liés par quelques souvenirs de vassalité à celui d'entre eux qui portait le titre de roi, la France du xie siècle n'a point d'histoire; la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, l'Aquitaine, le Poitou, l'Anjou, la Flandre, le Nivernais, cent autres principautés grandes et petites, ont chacune la sienne ; en sorte que pour savoir ce qui s'est passé sur le territoire français, il faudrait mettre bout à bout je ne sais combien de chroniques locales dont le rapprochement offrirait bien moins d'unité et d'ensemble que n'en présente aujourd'hui la vie des nations de notre continent. Un seul événement, la croisade, a réuni, vers la fin de ce siècle, dans une pensée et une action communes, ces souverains et ces peuples épars. Il a ses historiens spéciaux qui occupent une grande place dans cette Collection. Quant aux premiers successeurs de Hugues Capet, considérés isolément, ils ont exercé si peu de puissance, et avec si peu d'éclat, que les chroniques particulières de leurs domaines sont plus rares et moins intéressantes que beaucoup d'autres; elles nous donnent même sur leur règne moins de détails que celles de quelques princes leurs voisins, avec lesquels ils étaient sans cesse en guerre. On en pourra juger lorsque nous publierons les principaux chroniqueurs normands que nous avons choisis entre tous ces historiens locaux, pour les insérer dans notre Recueil, parce que leurs récits sont à la fois les plus curieux en eux-mêmes, et ceux qui se rattachent de plus près aux destinées de la monarchie.
Dans cette disette de documents directs et détaillés, nous publions ici quatre fragments qui seuls nous ont paru offrir, soit un intérêt parti culier, soit l'exposition la moins incomplète et la moins inexacte des événements de ces quatre règnes.
Le premier est la Vie de Bouchard (Burckhardt), comte de Melun, par Odon ou Eudes, moine de l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés, près Paris. Le comte Bouchard vivait sous Hugues Capet et Robert; Eudes écrivit sa vie vers l'an 1058. A proprement parler, c'est moins une histoire qu'un éloge, et les faits généraux de l'époque y tiennent peu de place ; mais on y trouve sur les mœurs du temps, sur les intérêts et les travaux qui pouvaient remplir la vie de l'un des principaux vassaux du roi Robert, quelques détails curieux et racontés avec assez de naïveté. Sébastien Rouillard a inséré dans son Histoire de Melun, une traduction de ce petit ouvrage, mais pleine d'omissions et de contre-sens.
Le Fragment de l’histoire des Français, qui suit la Vie du comte Bouchard, est une chronique anonyme, que les Bénédictins ont insérée, en la morcelant, dans divers volumes de leur Recueil. André Duchesne l'avait tirée d'un parchemin du monastère de Fleury. L'auteur vivait en 1108, et son récit, quoiqu'on y rencontre de nombreuses erreurs, est plus méthodique que beaucoup d'autres. Nous avons traduit la portion qui se rapporte aux premiers rois de la troisième race, depuis l'avènement d’Hugues Capet jusqu'à la mort de Philippe Ier.
La Chronique de Hugues, moine de Fleury, est un morceau assez semblable au précédent, et qui contient seulement quelques faits de plus. Le fragment que nous avons traduit est celui qu'on trouve inséré à la fin du tome XII du Recueil des Bénédictins, et dont le manuscrit avait été découvert, peu avant la publication de ce volume, dans l'abbaye de Saint-Tron. Il a pour titre spécial : Des Rois modernes de France. Nous y avons joint la dédicace d’Hugues à l'impératrice Mathilde, fille du roi d'Angleterre, Henri Ier. Hugues a écrit aussi un petit traité de la puissance royale et sacerdotale, qui ne renferme rien d'historique, mais n'est pas sans intérêt.
Enfin le Procès-verbal du sacre de Philippe Ier, âgé de sept ans, le 23 mai 1050, et sous le règne de son père Henri, nous a paru une pièce d'autant plus curieuse, qu'elle a probablement été écrite par l'archevêque de Reims lui-même, et que c'est le premier monument de cette cérémonie que nous rencontrions sous les rois Capétiens.
F. G.
VIE DE BOUCHARD, COMTE DE MELUNPROLOGUE.
Nous estimons raisonnable et très juste de transmettre à la postérité les faits.et gestes des hommes religieux, et la vie de ceux qui ont fidèlement travaillé à se rendre agréables à Dieu; car les générations humaines passent, et l'oubli s'empare des actions des fidèles, à moins qu'il n'arrive par hasard de confier à quelque parchemin le souvenir de ce qu'ils ont fait de bien durant leur vie. Ainsi donc que les anciens pères nous ont laissé par écrit plusieurs des choses arrivées de leur temps, de même, instruits par leur exemple et surtout par celui du bienheureux Grégoire, souverain apostolique de la ville de Rome, lequel, dans ses dialogues et ses. homélies, a discouru des actions de plusieurs saints, je me suis appliqué à consigner, pour l'usage des frères de l'église des Fossés, quelques faits concernant le vénérable comte Bouchard et son fils, l'évêque Renaud, et comment, conduits par le Saint-Esprit, ils ont glorifié ce monastère en lui conférant des privilèges et des propriétés, et ensuite, à l'approche de leur mort, en y prenant l'habit de religion. Et quoique de nos jours l'oubli ait effacé déjà plusieurs de leurs bonnes œuvres, j'ai entrepris de retracer, pour en perpétuer la mémoire, le petit nombre de celles dont on peut encore avoir connaissance, et que m'ont apprises les hommes nés avant moi. Et comme, ainsi que l'a dit le Seigneur, lorsque l'iniquité abonde et que la charité se refroidit, la persécution afflige ceux qui veulent vivre dans la piété, ce monastère étant prêt de tomber dans les dernières extrémités delà misère, je me vois forcé, avant qu'il aille tout-à-fait en ruines, de quitter cette terre où, par la volonté du Christ, fut élevée mon enfance. Pressé de nombreuses tribulations, battu, mis en déroute par les traîtres qui me poursuivent, j'ai formé le dessein d'aller chercher les nations étrangères, ignorant, comme le dit l'Apôtre de lui-même, ce qui doit arriver de moi; et je ne crains pas en agissant ainsi de transgresser les ordres du Seigneur, car il a ordonné à ses fidèles de fuir de ville en ville pour échapper à la fureur de la persécution ; je le prie cependant que, par le bienfait de sa sainte miséricorde, après m'avoir racheté de l'effusion de son sacré sang, il me protège et m'arrache aux attaques de mes ennemis, tant visibles qu'invisibles. Avant donc de me livrer aux fatigues du voyage et du changement de lieux, j'ai pris le soin de laisser cet écrit à ladite église des Fossés, pour que ses doctes religieux, lorsqu'ils y recueilleront le discours d'un homme sans doctrine, témoignant la tendresse du zèle et de la sainte dilection qu'ils me portent, fassent mémoire du pécheur Eudes, afin que, par leurs saintes prières, je mérité de parvenir, après la mort de ma chair, à la couronné d'une éternelle félicité. VIE
L'illustre Bouchard, né de noble race,[1] ayant été régénéré par le saint baptême, fut noblement instruit, dans la religion catholique, aux exercices de la chevalerie, car, dès qu'il eut passé le temps de l'enfance, ses parents, selon la coutume des seigneurs français, le mirent en la cour du roi de France où, déjà puissant aux œuvres du chrétien, il s'enrichit en tout savoir de prudence et de bienséance ; car à la cour du glorieux Hugues, roi de France, il était façonné à toutes les choses, tant du ciel que de la guerre. Lorsqu'il eut atteint les années de l'adolescence et de la jeunesse, par un bienfait de la providence du Seigneur, qui se préparait en lui un champion, le roi s'attacha à lui de grand amour, tellement qu'il paraissait l'emporter sur tous les jeunes gens de son âge, car il était aimé de chacun et grandement honoré de tous les seigneurs français. L'illustre roi, l'honorant également, lui donna beaucoup d'or et d'argent, des châteaux et des terres, et le fit son très fidèle conseiller. Il arriva qu'en ce temps, par l'ordre et l'arrêt de Dieu, Aymon, comte du château de Corbeil, partit pour aller à Rome faire ses oraisons au tombeau des saints apôtres Pierre et Paul, et trouva dans ce voyage la fin de ses jours. Lorsqu'il fut mort, Bouchard, damoisel d'une vigoureuse jeunesse, fut admonesté par le roi et les autres grands de la cour de prendre en mariage la femme dudit comte, à quoi convié aussi par sa jeunesse et les besoins de l'humaine nature, il obéit volontiers aux ordres du roi. Ayant donc reçu du roi la femme dudit comte Aymon, nommée Elisabeth, et issue de noble race, il s'unit à elle dans la couche nuptiale, afin que, selon l’ordre du Seigneur, ils pussent se réjouir par la suite dans une postérité chérie. Le roi Hugues donna en mariage à son fidèle chevalier le château de Melun et le susdit château de Corbeil, ainsi que le comté de la ville de Paris, en sorte qu'il fut fait comte du roi. Ainsi élevé aux grandeurs temporelles il gouvernait la terre qui lui était confiée conformément aux volontés du Seigneur, car il était grand défenseur des églises situées dans le domaine du royaume des Français, libéral en aumônes, consolateur des malheureux, très pieux appui des moines, des clercs, des veuves et des vierges, qui combattaient dans le cloître pour la cause de Dieu. Comme donc il s'efforçait ainsi de se rendre agréable à Dieu par ces vertus et beaucoup d'autres encore, lui étant homme du siècle, adonné aux armes et mêlé dans toutes les affaires du monde, il ne se put que cette fidèle dévotion de son âme envers le Roi des rois demeurât aucunement cachée, car la lumière ne devait pas rester plus longtemps obscurément enfermée sous le boisseau, mais il fallait qu'elle fût placée sur le chandelier afin que le brillant éclat de cette lampe ardente pût reluire aux yeux de tous ceux qui entraient dans la sainte église. Or l'abbaye des moines des Fossés, autrefois noblement enrichie par les anciens rois, était, au temps du roi, tombée en grand désordre et dépourvue de toutes choses nécessaires à la vie; et la cause en était, partie absence de justice, partie négligence de ceux qui en avaient eu le gouvernement. Elle était en ces jours-là régie par Maynard, homme noble et de race très illustre, selon les dignités de ce siècle périssable. Il ne se conformait point à la règle de notre père Benoît, mais, entièrement adonné au siècle, négligeait le bien des âmes et des corps. Son plaisir était la chasse des animaux sauvages, soit aux chiens, soit à l'oiseau ; et lorsqu'il sortait pour aller quelque part, il quittait ses vêtements de moine, se parait d'habits, de fourrures précieuses et, à la place de l'humble capuchon, couvrait sa tête d'un riche camail. Ceux qui étaient sous son gouvernement le suivaient en ceci de leur mieux; et que ce ne soit point de fâcheuse apparence pour les moines de cette abbaye, car tous ceux du royaume agissaient en la même façon. Cependant un de ces religieux, nommé Adic, affligé de voir ces choses et beaucoup d'autres encore, pensait en lui-même et méditait assidûment de quelle manière il les pourrait expulser du sanctuaire de Dieu. A l'insu donc de tout le monde, et aussi de l'abbé, il alla trouver le comte, répandit devant lui l'entier désir de son cœur, le conjurant, avec toutes sortes de prières, que, pour le bien de son âme, il voulût rétablir le monastère dans son premier état. Ledit comte ayant tourné tout ceci en son esprit, lui promit de faire droit à ses prières. Étant-donc allé en la présence du roi, il commença d'un cœur et d'une voix humble, à lui dire : « Glorieux roi des Français, quoique ta royale majesté m'ait fait plus riche que tous les autres de ta cour en châteaux et nombreux biens de terres, je requiers encore un don de ta bénignité, et veuille bien savoir que par dessus toutes prières je te conjure de ne pas me refuser celle-ci. » A quoi le roi répondit : « Qu'y a-t-il en notre royaume, ô très cher, qui te puisse être refusé? » A quoi le vénérable comte : « C'est chose, selon moi, non pas haute et grande dont je te requiers, mais plutôt petite. Je te prie que tu daignes me concéder et faire passer l'abbaye des moines des Fossés, qui appartient au domaine royal, et relève de ton fisc. » Le roi lui dit : « Tous savent qu'aux temps de nos prédécesseurs cette abbaye était abbaye royale, comment donc pourrions-nous la séparer de notre couronne? Si nous en agissions ainsi, il arriverait peut-être qu'après ta mort en ce monde tes héritiers ou successeurs en dissiperaient les biens en débauche, et comme il n'y aurait moyen d'y pourvoir par justice, les religieux qui l'habitent en souffriraient d'infinis dommages, et la coulpe s'en répandrait sur nous, au préjudice de notre âme. » Le comte lui fit alors cette réponse : « Puisque je ne puis obtenir que cette abbaye me soit concédée en don perpétuel, que ceci du moins me soit octroyé pour le salut de nos âmes, que tu me la donnes à amender et à restaurer, car ce me sera grande délectation de tenir ce précieux monastère pour l'amender, et, avec votre secours, je compte, si Dieu m'accompagne en cette vie, l'avantager de plusieurs biens et possessions, et le rétablir en son primitif état. J'espère aussi, avec la permission de Dieu, pour le salut de mon âme et en atténuation de mes crimes et péchés, obtenir à ce lieu d'abondantes aumônes, et après la fin de ma course en ce siècle périssable, j'y veux faire ensevelir les membres de ce corps fragile. » Le roi donc reconnaissant la volonté de Dieu en la requête de cet homme éminent, remit, comme il l'en priait, l'abbaye à ses soins pour l'amender et bénéficier, afin qu'il se rendît l'appui des fidèles et le défenseur de l'abbaye contre la méchanceté de ses ennemis et de ceux qui envahissaient ses terres. Ce qu'acceptant plein de joie et d’allégresse de cœur, il en rendit des actions de grâces à Dieu et à son roi sur la terre. En ces jours toute la Gaule célébrait la renommée du vénérable Mayeul, abbé de Cluny. Le comte ayant pris congé du roi se rendit vers ce saint homme. Il en fut reçu avec honneur ainsi qu'il convenait ; et comme il se prosternait contre terre, l'abbé s'enquit à lui avec soin des causes d'un si merveilleux témoignage d'humilité et de son arrivée en contrée si lointaine.[2] Sur quoi le comte lui dit : « Il est bien à croire que, lorsque j'ai entrepris le travail d'un si long voyage, ce n'est pas pour chose légère que je suis venu vers toi, et je te supplie d'écouter ma demande afin que je ne me repente point de m'être fatigué par une si longue route et d'être venu chercher un si lointain pays. Monseigneur Hugues, roi des Français, m'a donné à amender le monastère des Fossés, et je te conjure de vouloir qu'il s'amende et se relève sous ta direction, afin que la règle de saint Benoît y soit religieusement observée, car je n'ai voulu en ceci requérir secours de personne que de toi, que je sais être agréable à Dieu. » A quoi le père Mayeul émerveillé répondit : « Pour quelle raison, ayant dans votre royaume tant de monastères, n'y prenez-vous pas ce que vous venez nous demander? ce nous serait une pénible entreprise que de passer en des régions étrangères et inconnues, et de quitter nos terres pour aller chercher les vôtres-, cela convient plutôt à vos voisins qu'à nous, inconnu et vivant en pays lointain. » Le comte, entendant ces paroles, devint grandement affligé et contristé, car il craignait d'avoir fait inutilement un si long voyage. Il se prosterna donc encore aux pieds du saint homme, le suppliant de se rendre à l'ardeur de son désir ; en sorte que saint Mayeul, vaincu des prières multipliées du vénérable comte, prit avec lui les plus parfaits religieux de son monastère, et se rendit à Paris, en la compagnie du comte. Etant débarqués à un village sur la Marne, proche du monastère des Fossés, le comte fit commander à l'abbé et à toute la congrégation de le venir trouver de l'autre côté de la rivière. Ceux-ci, ignorants de ce qui leur allait arriver, se rendirent de grand gré aux ordres du comte. Lorsqu'ils furent tous assemblés, il ordonna que ceux qui voudraient demeurer dans le monastère avec l'abbé Mayeul, pour y obéir à tous ses commandements, eussent liberté d'y retourner, et que tous ceux qui ne le voudraient pas, allassent où il leur plairait. Ceux-ci entrèrent en grande tristesse, car ils se voyaient destitués de tout secours humain ; cependant ils aimèrent mieux suivre les voies de leur propre cœur que de retourner au monastère avec un abbé et des moines qui leur étaient inconnus. Aucun d'eux n'eut permission de rien emporter de son avoir, si ce n'est les habits dont il était vêtu. Néanmoins l'abbé Maynard qui, comme nous l'avons dit, était de noble race, tenant par le sang au riche Ansoald le Parisien, fut transféré au monastère de Saint-Maur, dit de Glanfeuil, pour en gouverner les religieux. Il y demeura tant qu'il vécut, et après sa mort, son corps fut enseveli dans l'église, au-devant du crucifix. Saint Mayeul ayant donc pris possession du monastère avec ses moines, commença à observer rigidement toute la sévérité d'un Ordre régulier, en sorte qu'il n'était transgressé en quoi que ce soit aux règles prescrites par saint Benoît. Lors donc qu'au dedans et au dehors toutes choses se firent régulièrement, et eurent été avec soin amendées autant qu'il était possible, l'abbé vint vers le roi Hugues, et le pria, comme les serviteurs de Dieu, vivant sous son gouvernement, augmentaient en nombre, qu'il voulût ajouter par quelque aumône aux revenus qui les faisaient vivre. Le roi écouta bénignement ses prières, et à la sollicitation du comte Bouchard, accorda au monastère des Fossés, avec son église et terres adjacentes, le village dit de Maisons, situé entre la Seine et la Marne, dans le territoire de Paris, pour en jouir aux mêmes droits que faisait le roi. Cet acte passé, il fut confirmé par le monogramme du roi, et le chancelier Renaud, fils du comte, et depuis évêque de Paris, y apposa le sceau de Sa Majesté, en l'an de l'Incarnation 989, le 20 du mois de juin. Ledit acte est conservé à perpétuité dans le monastère; et pour cette raison, le jour de la mort dudit roi Hugues y est solennellement célébré tous les ans le vingt-quatrième jour d'octobre. Tout ceci fait, le saint père Mayeul se hâta de reprendre la route de chez lui ; et confiant le soin du monastère à un dévot religieux nommé Teuton, qu'il avait amené de Cluny avec les autres, il retourna au lieu d'où il était venu. Après un long temps, comme le saint homme Mayeul ne voulait pas revenir en France, l'illustre roi Hugues étant mort, son fils Robert, de pieuse mémoire, devenu possesseur de son royaume, donna l'abbaye à Teuton, à la sollicitation du comte, et ordonna qu'il en fût sacré abbé. Les religieux de Cluny l'apprenant en furent grandement attristés, car ils pensaient réduire ce monastère à l'obédience de Cluny. Ledit Teuton, ainsi promu aux honneurs du gouvernement, s'appliqua avec grand travail à disposer, avec un équitable tempérament, des choses qu'il avait en charge, afin d'élever au plus haut point la gloire de l'église qui lui était confiée. Une extrême vétusté avait ruiné les murs de sa cour, anciennement construits. Ce qu'ayant vu ledit père, il voulut les rétablir en meilleur état, et faisant abattre entièrement tout l'édifice, Dieu aidant, il en reconstruisit un autre d'une plus grande étendue, et remarquable par un plus séant aspect. Ensuite il fit faire en l'honneur du Seigneur deux sculptures précieuses, à l'une desquelles il mit son nom. Cet abbé, digne de Dieu, fit dans le même endroit, avec celles-ci, beaucoup d'autres bonnes œuvres. Le vénérable comte, fort soigneux du salut de son âme, par l'inspiration du Saint-Esprit, fit don à son église chérie, à sainte Marie, mère du Seigneur, à ses apôtres Pierre et Paul, et aussi au vénérable confesseur Maur, des biens à lui appartenant, et qui lui paraissaient du plus haut prix. La comtesse Elisabeth, unie à lui par le mariage, et Renaud son fils, devenu déjà évêque de Paris, consentirent à cette donation et s'associèrent à son désir. S'étant donc rendu en présence du roi, il le pria d'y donner son assentiment, selon la coutume royale; d'ordonner que l'acte fût fait de son autorité et de le revêtir de son seing, afin que ledit monastère pût jouir de ces mêmes biens dans les temps à venir, et que sa mémoire fût toujours mêlée aux prières et aux oraisons. La bonté du roi, exhortée par sa mère Adélaïde et sa femme la reine Berthe, accorda très volontiers ce que lui demandait un si grand homme. Ledit comte Bouchard donna donc à l'église des Fossés ses propriétés à lui appartenantes, à savoir : un village appelé Neuilly, situé dans l’évêché de Paris, sur le bord de la Marne, avec la moyenne justice, l'église, l'autel, et toutes ses autres dépendances ; de plus, dans le même pays, dans le comté du château de Corbeil, en un village appelé Lices, le manoir d'Algard, avec tout ce qui en dépendait ; dans le Gâtinais et l'évêché de Sens, un domaine à lui appartenant, et appelé Seilles, avec la moyenne justice, l'église et toutes ses appartenances; dans le comté de Melun, un fief appelé Courcy, avec la moyenne justice et toutes ses dépendances. Un grand nombre de Français, voyant et apprenant cette volonté de sa sainte dévotion, firent beaucoup de donations de leurs propres biens en faveur du même monastère. Parmi eux, Josselin, vicomte de Melun, pria le dévot comte qu'il daignât concéder à Dieu et à ses saints une église située dans un bourg appelé Noisy-le-Sec, et qu'il tenait de lui en fief. Le comte, rempli de joie, fit volontiers cette concession. Ce vicomte, déposant pour le Christ le baudrier de guerre, se fit dans la suite moine de ce même monastère, où, accomplissant dignement la fin de sa vie, il mourut le dix-huitième jour de mars. Le roi Robert, plus fameux qu'eux tous, ordonna que l'acte en fût fait sous son autorité, le remit entre les mains de .l'abbé et des autres moines, et l'assura à ladite église par un ordre de sa munificence. Par cet acte il commandait que jusqu'à la fin du monde les cénobites dudit lieu tinssent et possédassent pleinement tous ces biens ; qu'aucun roi, aucun évoque, aucun comte, aucune puissance humaine ne pût en disposer ni s'en emparer ou les céder à d'autres; mais qu'ils demeurassent constamment en la légitime possession de ces moines, à la disposition desquels ils seraient pour être employés, à leur gré, à l'avantage du monastère. Afin de rendre cette ordonnance et cette confirmation inviolable pendant tout le siècle, et de leur donner une vigueur constante, selon la coutume royale, il la consacra de sa propre main, et y fit apposer le seing de son anneau, ce qui fut dévotement fait par le chancelier Roger, élevé dans la suite, par la grâce de Dieu, dans la ville de Beauvais, à la dignité de l'épiscopat. Ces choses eurent lieu à Paris, l'an de l'incarnation du Verbe 998, la dixième année du règne de Robert, le dix-neuvième jour d'avril. Il y avait dans ce temps un chevalier de grand renom, appelé Hermanfroi, fort illustre par sa puissance et sa richesse mondaine, vassal du vénérable comte, et lequel désirait pieusement se rendre agréable à Dieu. C'est pourquoi, effrayé de la crainte du supplice éternel, et excité à la dévotion par l'exemple dudit seigneur, il lui déclara sa grande affection pour ce lieu confié à ses soins, et son désir de l'enrichir de ses propres biens, il le pria donc de donner à l'église des Fossés une métairie appelée Lices, et qu'il tenait de lui en fief ; et il lui céda en même temps de sa propre volonté un de ses domaines appelé Ivry. Le comte, qui souhaitait que tous les chevaliers français en fissent autant, lui accorda la libre faculté de donner tout ce qui lui plairait. S'étant rendu à ce monastère, qu'il chérissait au dessus de tous, avec sa femme appelée Hermesinde, il communiqua au religieux abbé Teuton et aux autres frères le secret de son cœur. Ceux-ci rendant grâces à Dieu, admirent les deux époux à la participation de leurs prières, et ils devinrent ainsi les commensaux des serviteurs de Dieu, et après l'anéantissement de leurs corps reçurent la sépulture en ce lieu. Ils donnèrent donc, comme nous l'avons dit plus haut, le domaine d'Ivry, situé sur le bord de la Seine, à un mille et demi de distance du château de Corbeil, ainsi que son église, la moyenne justice et toutes ses dépendances. De. même ils firent une donation de la métairie de Lices, déjà mentionnée, située dans ledit territoire de Corbeil, à la distance d'un mille et demi de ce château; ils la tenaient en fief du comte Bouchard et de son fils Renaud, élevé à la dignité pontificale; et de leur consentement et volonté, ils la donnèrent, avec sa moyenne justice et toutes ses dépendances, pour acheter la vie éternelle, pour le salut de leurs âmes et de celle de Gélon, dont ils avaient hérité, et pour la rémission des péchés de leurs parents. Ils réglèrent le don de ces propriétés sur l'autel de sainte Marie et de l'apôtre saint Pierre, à condition qu'ils en recevraient tous les ans l'usufruit, et que lorsqu'ils auraient cessé de voir le jour, les religieux les posséderaient à perpétuité. Ensuite s'étant rendus en présence du roi, ils le prièrent de confirmer cette donation par l'autorité de ses lettres patentes, et de daigner les revêtir du seing de son anneau. Par le conseil de sa mère Adélaïde et de sa femme Berthe, il consentit à cette demande. L'acte ayant donc été écrit, et le monogramme du roi tracé de sa main, Franque, alors chancelier, et créé dans la suite évêque de Paris, y apposa le sceau du roi. Cela fut fait dans la susdite ville déjà nommée, l'an 1000 de l'incarnation du Christ, et la douzième année du règne fortuné de l'illustre roi Robert. Après le récit de ces choses, il convient de revenir à notre Bouchard. Excité par l'ennemi du genre humain, le comte Eudes se montrait plein de haine et d'envie envers le vénérable comte, dont les bonnes actions, la préférence avec laquelle il le voyait traité à la cour du roi, et l'estime et l'affection dont il était partout l'objet, lui inspiraient de la jalousie. C'est pourquoi, par séduction et par trahison, il lui enleva le château de Melun. Le comte l'ayant appris, rassembla une armée de Français; et aidé par le roi, assiégea Eudes avec beaucoup de milliers de chevaliers. Eudes voyant qu'il n'était guère en sûreté dans ce château, et ne pouvait le retenir en sa possession, en sortit secrètement, et s'enfuit avec les siens. Bouchard y étant entré, reprit son château. Gautier, dont la trahison avait accompli un si grand crime, fut pendu avec sa femme sur une montagne qui domine ce château. Dans un autre temps, par les insinuations de l'ennemi de la paix et de la lumière, ces deux comtes s'appelèrent au combat à un lieu assigné dans le même pays de Melun. Étant arrivés en ce lieu, comme de part et d'autre on se préparait vivement au combat, le chevalier Hermanfroi, déjà mentionné, soumis alors à la seule domination du roi, se remit humblement en ses mains et en son pouvoir. Les Français n'avaient pas pour habitude alors, non plus qu'à présent, d'entrer dans une guerre quelconque, si leur propre seigneur n'y était présent, ou ne le leur avait permis. Le seigneur Bouchard s'étant pieusement humilié en présence de Dieu, pour qu'il lui accordât la victoire contre un superbe ennemi, enorgueilli en son corps et en son nom, les combattants se joignirent dans les champs d'un petit village appelé Orsay. En étant venus aux mains, par le jugement de Dieu, les troupes d'Eudes tournèrent leurs armes contre elles-mêmes, et furent détruites avec un grand carnage. Bouchard, rempli d'une sincère confiance au Seigneur, fondit sur ses ennemis; et en ayant tué beaucoup de milliers, obtint du ciel la victoire. Eudes voyant l'extrême diminution de son armée et le grand nombre des siens étendus morts dans la plaine, songeant d'ailleurs qu'il ne pourrait en aucune façon être vainqueur ce jour-là, saisi d'une crainte épouvantable, et couvert d'une grande honte, craignait même les dangers de la retraite, il se hâta donc de prendre en secret la fuite. Après que le comte, fidèle à Dieu, eut remporté la victoire, il rendit grâces au Seigneur avec les siens, et s'en retourna chez lui rempli de gloire. Le saint abbé Teuton, continuellement adonné aux jeûnes, aux oraisons et aux veilles, désirait pieusement se rendre toujours agréable à Dieu. Comme dans le lieu qui lui était confié, il ne pouvait nullement, selon ses désirs, mener une vie paisible, à cause des soins qu'exigeait de lui la surveillance de son troupeau, il choisit, pour y demeurer, le territoire de la ville de Reims. Il y a dans ce pays une petite propriété que le glorieux roi Charles-le-Chauve avait donnée à l'église des Fossés et à l'abbé Godefroi, pour s'y mettre à l'abri de la persécution des Normands, et où l'on dit que le corps de saint Maur fut conservé avec vénération pendant un grand nombre d'années. Ledit abbé Teuton y demeura longtemps en grande austérité pour l'amour du Christ. Lorsqu'il s'y était rendu, voulant y rester, il avait envoyé aux frères son bâton pastoral par Gautier, son serviteur, qu'il avait élevé dans la crainte du Seigneur, et leur avait fait dire qu'ils se créassent un digne pasteur, selon la volonté du Christ. Les moines, à la nouvelle de sa retraite, en furent saisis d'une grande admiration et d'une grande tristesse, et songèrent à le faire savoir aussitôt au comte particulièrement et à son fils Renaud, évêque de Paris, qui apprirent toutes ces choses au roi. Le vénérable père Teuton demeura longtemps dans ladite métairie, et mena une vie solitaire, s'adonnant, autant qu'il est possible à un mortel, et par le secours de Dieu, aux jeûnes, aux oraisons, et à la pratique de toutes bonnes œuvres. Ensuite, désirant revoir le lieu qui avait été confié à ses soins et les frères qu'il avait quittés, il vint près du monastère, jusqu'à Nogent sur Marne. S'y étant arrêté, il fit savoir aux frères qu'il était là, et voulait venir vers eux. Ce qu'un grand nombre ayant appris, ils se refusèrent à ce saint désir, lui disant qu'ils avaient déjà élu un abbé en sa place, et qu'ils ne devaient pas le recevoir, puisqu'il avait entièrement abandonné le soin de leurs âmes. Cette réponse ayant été rapportée au serviteur de Dieu, il en fut fort chagriné, ne sachant que faire, ni de quel côté se tourner. Enfin, après avoir médité dans son esprit, réconforté par le Seigneur qui n'abandonne pas ceux qui espèrent en lui, il prit une salutaire résolution. Il retourna aussitôt à Cluny, lieu de son monastère. Là, il survécut à deux abbés ordonnés après lui dans le lieu confié à ses soins, et persévéra dans la sainte vie qu'il avait commencée. Ni l'un ni l'autre de ces abbés ne purent vivre longtemps ; et par le jugement du Seigneur, ils ne possédèrent leur charge que cinq ans. Ayant accompli le terme qu'on ne peut dépasser, Teuton mourut heureusement en ce lieu, le treizième jour de septembre. Dans la suite, beaucoup de malades, comme nous l'avons entendu dire, recouvrèrent la santé sur son tombeau. Ces choses ainsi racontées, revenons à ce que nous ayons omis. Le roi ayant appris que le père Teuton avait ainsi quitté le monastère et les frères, commença à s'occuper avec grande sollicitude, de concert avec les vénérables hommes Bouchard et l'évêque Renaud, du soin de faire consacrer, d'après la volonté du Seigneur, un nouvel abbé dans le monastère. Ceux-ci, guidés par une prudente habileté, appelèrent vers eux Thibaut, fils du comte Aymon, frère de ce Renaud, et qui avait déjà, gouverné le monastère de Cormery. Le roi lui donna l'abbaye, et le créa père de ces religieux, parce qu'il était des frères de Cluny, et avait été instruit par le saint père Mayeul. Le comte, puissant en richesses mondaines, donna un grand nombre de biens, non seulement au monastère dont il s'agit, mais encore à tous ceux du royaume de France; il; s'appliqua, entre autres, à enrichir de ses dons le monastère de Saint-Pierre de Melun, que Séguin, archevêque de Sens, avait commencé à faire construire. Il y avait dans d'autres paya plusieurs châteaux, parmi lesquels il tenait en son pouvoir Vendôme, Lavardin et Montoir, sans compter les autres, dont j'ignore le nom, et qu'un grand nombre de chevaliers tenaient de lui en fief et en vasselage. Il fit un décret par lequel il accorda à ceux de ses vassaux qui voudraient donner à l'église des Fossés quelque partie de leurs terres, liberté entière de faire ce qui leur conviendrait, sans le consentement de ses successeurs; à raison de quoi quelques-uns nous firent dans la suite beaucoup de donations. Il avait donné un fief à Baudouin, son prévôt, et à deux de ses héritiers, à condition que pendant leur vie ils paieraient au couvent des Fossés le revenu de ce fief, qui se montait à soixante-douze écus; et que lorsqu'ils cesseraient de voir le jour, cette terre viendrait en la perpétuelle possession des moines. Mais ledit Baudouin étant mort, son fils, nommé Aleran, qui était le premier héritier, et dont le nom était compris dans le contrat, vint trouver Eudes, qui dans la suite commanda en ce lieu, et en ayant reçu le prix, posa ce contrat sur l'autel de sainte Marie, et remit entre les mains de l'abbé et des moines tout ce qui y était écrit. Ces biens n'étaient pas considérables; c'était fort peu de chose. Ils étaient situés dans le territoire de Paris, non loin du château de Corbeil, et dans ses environs. Ils consistaient en un domaine nommé Lices et une métairie appelée Bourguinaire, parce qu'elle avait été habitée par les Bourguignons, et dans laquelle il y avait un bois et une terre labourable ; plus un moulin appelé Toulvoie, avec un demi-arpent de terre pour y bâtir, s'il en était besoin ; et dans le même lieu, quelque peu de terre de saint Etienne. Les autres biens sont situés près du château de saint Exupère, dans le nouveau et l'ancien Corbeil, à Ardes, à Soisy et à Sintrie. Celui qui désirera prendre connaissance de toutes ces choses les trouvera clairement rapportées dans la charte ou l'acte du roi Robert, qui fut dressé l'an de l'Incarnation 1028, et de son règne le quarante et unième. Dans le même temps, pendant que sous le règne du glorieux roi Robert, la France jouissait d'une heureuse tranquillité, et que la paix et la concorde abondaient en l'église de Dieu, une pernicieuse révolte vint tout-à-coup troubler le royaume. Il arriva qu'un bomme appelé Arnoul, puissant en la vaine noblesse de ce monde, et illustre par le rang de comte, se révolta contre son seigneur Robert, incendia tout ce qui était soumis à sa domination, et y causa tout ce qu'il put de maux. Cette discorde augmentant, ledit Arnoul, excité par la méchanceté du diable, marcha vers le monastère de Saint-Valéry, incendia tout ce qu'il put, et s'empara même du corps du confesseur du Christ. Les moines, remplis d'une grande tristesse par la perte d'un tel patron, se rendirent d'une marche rapide vers le roi de France, et le supplièrent de daigner les secourir. Le roi ne pouvant y aller en personne, pria le seigneur Bouchard de les secourir à sa place, et, par son aide, de tâcher de leur faire rendre le corps saint. Le vénérable comte Bouchard étant arrivé, et le cœur rempli de confiance en la protection de Dieu, alla trouver le comte de Flandre, lui rapporta les paroles du roi, et le pria instamment de se laisser gagner par la volonté et la miséricorde de Dieu, et de rendre à la terre à laquelle il appartenait, le corps du confesseur du Christ, qu'il avait enlevé par une indigne cupidité. Le comte de Flandre, acquiesçant à sa prière, fit la paix avec le roi et les Français, et accomplit promptement la demande d'un si grand comte. Étant venus sur les bords d'un fleuve appelé la Somme, comme ils voulaient le traverser, tout-à-coup ils virent que les eaux de la mer, ayant reflué, l'avaient fait déborder, et refusaient le passage au corps saint, au comte Bouchard et aux autres qui étaient avec lui. Alors le comte, qui portait le saint corps, dit, en présence de tous les assistants qui invoquaient Dieu de toute leur âme : « Seigneur Jésus-Christ, si ta volonté miséricordieuse est que le corps de ton saint soit rendu à son propre monastère, que ta clémente bonté ordonne que, pour nous, le fleuve se sépare en deux, et ne se refuse pas à nous ouvrir un passage, afin que ce peuple, soumis à ton nom, puisse, d'un cœur dévot, et dans un transport de joie, rendre à ta gloire et à l'honneur de ce saint le tribut de ses louanges. » Le Seigneur fut fléchi par ces paroles du serviteur de Dieu et les prières de son saint, et aussitôt les eaux de la mer se divisèrent de telle sorte que ceux qui portaient le saint corps, et tout le peuple, passèrent à pied sec et sans aucun danger les périlleuses ondes, en louant et bénissant le Seigneur Dieu avec une extrême dévotion. Par ce fait, le Seigneur daigna renouveler le miracle qu'il avait miséricordieusement opéré au milieu de la mer par son serviteur Moïse, lors de la fuite des enfants d'Israël. Désirant enrichir ce monastère du don d'un grand nombre de ses domaines, le comte fit en sa faveur, pour y perpétuer la mémoire de son nom, beaucoup de généreuses donations. C'est pourquoi on célèbre en ce lieu le jour de son anniversaire avec autant de solennité que si son corps y était renfermé. Les moines affirment que, s'il leur était possible de posséder son corps, ce qui ne peut être, car Dieu ne voudra pas l'avoir pour agréable, ils placeraient ce corps à côté de celui de saint Valéry, afin qu'il fût honoré par le Christ dans le ciel et sur la terre avec celui qu'il avait mis tant de zèle à honorer sur la terre. Mais laissant cela, revenons au sujet de notre Bouchard; et Dieu aidant, rapportons comment il reçut les saints Ordres, et monta ensuite vers le Christ; et que ceci soit démontré à tous ceux qui l'ignorent par notre discours et l'évidence de notre récit. Dans le temps de l'abbé dont nous avons parlé, le chevalier invincible, le dévot comte Bouchard tomba dans une maladie de langueur, car Dieu châtie le fils qu'il a reçu dans sa miséricorde. Désirant être trouvé veillant sur son âme, il s'attachait à faire une garde assidue. Aussitôt méprisant les honneurs du siècle, il souhaita d'embrasser la vie monastique, et désira de toute l'ardeur de son âme le royaume des cieux; craignant de ne pouvoir échapper au danger de la mort, il prit son or, son argent, des manteaux et un grand nombre d'ornements monastiques, et demanda et reçut l'habit dans le monastère construit et fondé par lui. Une grande tristesse s'empara de tous les grands de la France, des moines, du clergé, des veuves et des gens de tout rang, de tout sexe et de tout âge, affligés de se voir abandonnés par leur patron, qui avait coutume de les réconforter par d'affables conseils et d'agréables entretiens. Les chevaliers répandaient des larmes, tous les pauvres se lamentaient, car le consolateur des malheureux, l'appui des affligés, l'espoir et le refuge de tous les chevaliers, était enlevé du milieu d'eux, et ils perdaient le secours qui faisait leur salut et leur consolation. Mais au contraire, les moines serviteurs du Christ, quoiqu'affligés de sa maladie, se réjouissaient de ce qu'un si fameux chevalier, illustré du rang de comte, abandonnait tout, selon le précepte du Seigneur, pour se soumettre pieusement à son joug doux et léger. On apporta parmi ses autres ornements un grand nombre de vases d'or, d'argent, d'airain et de bois, et de précieux candélabres qui, comme il convenait, furent consacrés au service de la sainte église ou du saint autel. Parmi ces objets étaient deux vases d'un grand prix, qui servaient à verser ou à recevoir de l'eau dans les mains du prêtre : l'un s'appelait manipule, parce qu'on le portait à la main; et on y voit gravées des lettres qui témoignent qu'il a appartenu au roi Abgar, auquel il servait lorsqu'on lui tirait du sang ; on y voit aussi en or pur et précieux lé portrait du roi, avec une personne qui le saigne, et une autre qui le sert: on dit qu'on ne pourrait trouver dans ce pays un vase aussi riche et aussi beau. Il y avait un livre des saints évangiles, écrit en lettres d'or et admirablement travaillé en or, en argent et en ivoire entaillé. On apporta aussi un autre présent de Bouchard; c'était une épée d'or avec la ceinture de même métal, et qui, dit-on, avait été suspendue à son côté depuis la fondation de ce grand monastère. Plus, un vase très précieux en pierre de jaspe, duquel on versait l'eau dans le saint calice. Il fit don aussi d'un nombre infini de serfs et de serves. Enfin, que dirai-je? parmi les hommes que recouvre cette chair mortelle, il n'en est aucun qui puisse énumérer complètement tous ses dons. Ce comte, illustré en ce monde par de si grands bénéfices, ne laissa à aucun de ses héritiers, à aucun de ses amis, à aucun de ses vassaux, d'aussi grands biens, si ce n'est les châteaux, qu'il en donna pour le salut de son âme à Dieu et à ses saints dans le lieu qu'il chérissait au dessus de tout. Vêtu des saints habits de la religion, il demeura pendant plusieurs jours languissant de maladie dans une maison qu'on lui avait préparée auprès de l'église ; ensuite, les serviteurs du Seigneur ayant, par leurs continuelles prières, apaisé sa miséricorde en sa faveur, il commença à se rétablir, et alla habiter avec les autres frères. Ainsi revenu à la santé, il s'appliqua constamment à se rendre agréable au Seigneur, lui offrant de continuelles actions de grâces, et le bénissant humblement dans son esprit de ce qu'il lui accordait de jouir dans ce couvent des bienfaits de sa sainte miséricorde. Ce noble homme accomplissait avec une humble dévotion le service de la sainte église, dont doivent s'acquitter, selon la règle monastique, ceux qui quittent le monde pour se consacrer à Dieu. Et lorsque les frères lui demandaient pourquoi un si noble homme, illustré par les honneurs du siècle, et déjà épuisé par les fatigues de la vieillesse, descendait jusqu'à s'accabler d'humiliants travaux, il leur répondait : « Si, lorsque j'étais élevé aux honneurs de chevalerie, et qu'entouré, comme vous le dites, d'une armée de chevaliers, je brillais du rang de comte, je portais devant mon roi mortel, lorsqu'il avait besoin d'être éclairé, un flambeau de cire, à plus forte raison combien maintenant dois-je servir le roi immortel, et porter respectueusement devant lui avec, une marque d'humilité les cierges allumés! » Pratiquant ce qu'il disait, il fut pour tous ceux qui le virent et l'entendirent un grand modèle d'humilité. Ainsi donc, éprouvé de Dieu, et purifié, comme se purifie au feu un or précieux, il fut de nouveau attaqué d'une maladie de langueur qui le conduisit à la dernière extrémité. Muni du corps et du sang sacré de Jésus-Christ, il rendit au Seigneur son âme bienheureuse, le 26 février.[3] Dès qu'il fut mort, l'évêque vint aussitôt avec nombre de clercs, ainsi que l'abbé et la troupe des moines. On ensevelit son corps avec les cérémonies funèbres, et on recommanda à Dieu son âme sainte. Des cris retentissent soudain dans la ville, dans les châteaux, dans les bourgs et les places. Les chevaliers, les riches et les pauvres, les vieillards et les jeunes gens, les veuves et les vierges, tous se pressent en foule, pleurant et gémissant, et remplis d'une amère douleur. Le monastère des Fossés retentit de plaintes et des lamentations de la douleur la plus vive et la plus partagée, car il perd son patron et son protecteur, celui qu'il avait mérité d'avoir pour appui et pour défenseur le plus fidèle. Il s'écrie qu'il n'en trouvera plus jamais un semblable qui l'enrichisse par ses largesses, et le défende si fidèlement par son secours ; mais qu'ouvert aux attaques des méchants, il va être pillé par ses ennemis, et exposé de toutes parts à la haine de tous ses adversaires. Tous ceux qui vivent maintenant sur la terre savent certainement que dans la suite il n'en arriva pas autrement. On ensevelit donc le corps d'un si noble homme en face de notre Rédempteur, dans la maison où s'assemblaient les frères pour le chapitre du matin et du soir. Les anciens pères s'empressèrent d'orner son tombeau de ces vers, afin de donner à sa mémoire une inviolable immortalité : « Grand fut cet homme tant qu'il fut revêtu de son corps. « Il eut nom Bouchard, et fut connu dans tous les pays de la terre. « Partout illustre par ses mérites, modeste dans ses actions et dans ses paroles, « Il était généreux envers les pauvres et bienfaisant envers les veuves, « Et voilà qu'en son tombeau repose son corps ; « Mars l'a vu trépasser le quatrième jour avant ses calcules. » Cette tablette placée sur son tombeau fut fort bien travaillée et ornée par nos prédécesseurs; on mit sur la poitrine du comte une croix dorée avec les lettres a et w ; nous avons vu ces choses de nos propres yeux dans notre enfance ; mais depuis, comme on le sait aujourd'hui, tout cela a été presque entièrement détruit. La vénérable comtesse Elisabeth, sa femme, s'attacha, autant que le lui permit son sexe, à enrichir ce même monastère d'un grand nombre de présents. Ayant quitté la terre, elle repose ensevelie en ce lieu. Le jour de sa mort fut le 18 janvier. Son tombeau fut aussi orné de ces vers : « Il a plu à Dieu de les unir tous deux vivants, « Et il a voulu aussi réunir leurs tombeaux. « Que quiconque lira ceci récite les vers du Psaume « Afin que leur âme puisse monter au royaume des cieux. Qu'il me suffise d'avoir raconté, parmi beaucoup d'autres, ces actions du comte. Les bonnes œuvres par lui accomplies sont innombrables, et nous les omettons, fatigué de les compter ; car notre esprit se presse vers d'autres travaux. Maintenant, mes frères, nous devons nous appliquer soigneusement à ce que les aumônes accordées à ce monastère par ce bienfaiteur et d'autres bienfaiteurs, pour la rédemption de leurs péchés, soient par nous employées de telle sorte qu'elles leur profitent aux yeux du Créateur, afin qu'il n'arrive pas, ce dont nous préserve le Seigneur, qu'elles tournent à notre éternelle confusion ; car il faut savoir que, Dieu aidant, c'est par les aumônes des hommes vertueux que nous pouvons accomplir le cours de notre vie terrestre : c'est pourquoi nous devons avoir présent à l'esprit ce que Dieu dit par la bouche de son prophète, en adressant aux pêcheurs de terribles reproches : « Ils se nourrissent des péchés de mon peuple. » Les serviteurs de Dieu doivent, aux jours dont, nous avons parlé, célébrer solennellement l'anniversaire de ces époux, afin qu'il soit utile à leur âme d'avoir chéri ce lieu au dessus de tous les autres, et voulu que leurs corps y fussent ensevelis; et qu'ils méritent d'être ressuscites par le Seigneur au jour du jugement. Jusqu'aujourd'hui, c'est-à-dire jusqu'à la présente année, qui est celle de l'incarnation du Verbe 1058, et la vingt-huitième du règne d’Henri, roi des Français, on s'est, dans cette église, dévotement acquitté de ce devoir. Il faut promettre humblement de le faire aussi à l'avenir. Les recteurs de ce lieu, et ceux qui agissent sous leurs ordres, doivent aussi avoir grandement soin que, comme il est, ainsi que nous l'avons dit, d'usage dans l'Église, il soit, au jour du service funèbre, célébré pour leurs âmes, préparé un repas de mets précieux et de boissons excellentes, car, dit l'adage vulgaire, c'est un pauvre travail que celui qui n'apporte pas de quoi manger. Et pour que cela ne paraisse à personne ni vain ni méprisable, il a été établi par la grâce et la volonté de l'abbé Giraud et de toute la congrégation, que le jour de l'anniversaire du comte Bouchard, qui a comblé cette église de tant de bienfaits, ainsi que chacun peut s'en instruire par la présente narration, ce soin regarderait le pourvoyeur de Neuilly; pour l'anniversaire d'Elisabeth, celui de Courcy ; pour l'anniversaire de l'évêque Renaud, celui de Seilles; pour l'anniversaire du roi Hugues, celui de Maisons; pour l'anniversaire d'Hermanfroi et de sa femme, ceux de Lices et d'Ivry, et pour les anniversaires des abbés de cette congrégation, le pourvoyeur et le trésorier du monastère, lesquels s'en acquitteraient avec exactitude et sans aucune négligence. Celui qui dans la suite mépriserait ce décret ou s'efforcerait de le faire abolir, devrait être condamné à une éternelle excommunication. Au commencement de cet ouvrage, je m'étais proposé de dire à la suite quelque chose de l'évêque Renaud, afin de faire connaître sa mémoire à la postérité. Mais comme la vie d'un homme n'est pas en son pouvoir, pressé par beaucoup d'incommodités, il m'est maintenant de toute impossibilité d'accomplir ce dessein, jusqu'à ce que je voie arriver le temps si désiré de la paix et de la tranquillité. Néanmoins, dans l'adversité comme dans la prospérité, rendons toujours grâces à Jésus-Christ et au Saint-Esprit, qui vit et demeure Dieu unique et invisible dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !
FIN DE LA VIE DU COMTE BOUCHARD.
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VITA DOMINI BURCHARDI VENERABILIS COMITIS,PROLOGUS.
Religiosorum gesta virorum, vita Deo fideliter placentium, memoriae tradere posterorum dignum fore autumamus atque justissimum. Pertranseuntibus enim generis humani aetatibus, oblivioni traduntur quae geruntur a fidelibus, nisi forte contigerit aliquibus membranis inserere quae ab ipsis, dum vivunt, peraguntur honestissime. Commonitus itaque Patrum priorum exemplis, qui de multis sui temporis gestis plurima nobis reliquere, maxime beati Gregorii Romanae urbis apostolici, qui de plurimis sanctorum gestis tam in Dialogo suo quam in Homeliis disserit, studui aliqua fratribus Fossatensis Ecclesiae perscribere, qualiter venerabilis comes Burchardus, ejusque filius, praesul scilicet Ragenaldus, sancto Spiritu commonente, eumdem locum honoribus ac possessionibus sublimaverunt, atque postmodum, appropinquante fine, religionis habitu. Nam, licet multa eorum bene gesta hac nostra aetate oblivione sint deleta, pauca tamen, quae adhuc perspici possunt et quae ab ante natis comperi, ob eorum perpetuum memoriale rememorandum, stylo percurrere aggressus sum. At quoniam, secundum Domini dictum, abundante iniquitate et refrigescente charitate, omnes qui pie volunt viver persecutionem patiuntur, jam dicto loco ad summam miseriae calamitatem decidente, antequam penitus ad ima corruat, cogor nativum relinquere solum, quo pueriliter, ut Christo placitum fuit, educatus sum. Pressuris siquidem plurimis stimulatus, infestationum jaculis colaphizatus atque fugatus, exteras cupio adire nationes, ignorans, sicut dicit Apostolus de se, quid mihi futurum sit. Nec, hoc agendo, extra Domini praeceptum facere pertimesco, qui suos fideles, ut vitare valerent rabiem persequentium, de civitate in civitatem fugere jubet. Ipsius tamen posco sanctae misericordiae largitatem, ut ab hostium tam visibilium quam invisibilium incursu ereptum jugiter dignetur protegere, quem pretioso sui sancti sanguinis redemit cruore. Antequam ergo itineris seu mutationis assumam laborem, hoc scriptum jam dictae Fossatensi Ecclesiae studui relinquere, ut fratres, devotionis atque sanctae dilectionis amorem circa me exhibentes, dum docti ab indocto perceperint verba hujus lectionis, sint memores Odonis peccatoris, quatenus eorum sanctis precibus merear post mortem carnis consequi bravium aeternae felicitatis. Amen. INCIPIT VITA.Inclytus Burchardus, nobili stirpe progenitus, sacro baptismate est ingeneratus, atque nobiliter in religione catholica militari tirocinio edoctus. Nam pueritiae tempora dum transigeret, curiae regali, more Francorum procerum, a parentibus traditus est. Qui, Christianitatis operibus pollens, totius prudentiae atque honestatis assumpsit commoda. In aula enim gloriosi Hugonis Francorum regis cunctis tam coelestibus quam militaribus impuebatur institutis. Dum vero adolescentiae atque juventutis appulit ad nos, Domini providente gratia, qui fidelem militem sibi eum providebat futurum, magno dilectionis amore a rege amplectitur, in tantum ut cunctos coaetaneos transcendere videretur. Amabatur enim a cunctis, honorque maximus ei ab omnibus Francorum proceribus impendebatur. Honoratur quoque ab inclyto rege, auroque et argento, castris quoque ac possessionibus multis ditatur, ipsiusque consiliarius fidelissimus efficitur. Contigit itaque iisdem temporibus, Dei disponente judicio, ut comes Corbuili castri, nomine Haymo, ad limina sanctorum apostolorum Petri et Pauli orationis gratia Romam pergeret, ibidemque in eodem itinere finem hujus vitae acciperet. Quo defuncto, admonetur strenuae juventutis tiro Burchardus tam a rege quam caeteris Francorum primoribus, ut praedicti comitis uxorem sibi conjugio copularet. Ille vero, quem jam juventutis seu naturae humanae necessitas talia facere cogebat, praeceptis regalibus libenter paruit. Datur ergo dono regali ei uxor jam dicti comitis Haimonis, Elisabeth vocitata, nobili progenie et ipsa exorta; conjungunturque toro nuptiali, ut, secundum Domini imperium, prole dulcissima postmodum laetarentur. In quo copulae thalamo dedit Hugo rex sibi fideli militi Castrum Milidunum, atque jam dictum Corboilum, comitatumque Parisiacae urbis; taliterque comes regalis efficitur. Susceptoque honore temporali, gubernabat sibi commissam familiam secundum Domini voluntatem. Erat enim fidelis defensor ecclesiarum quae sub imperio regni Francorum habebantur, largitor eleemosynarum, consolator miserorum, sublevator piissimus monachorum, clericorum, viduarum, atque virginum in coenobiis Deo militantium. Cum igitur his et aliis multis Domino placere studeret virtutibus, utpote vir saeculari militiae deditus, atque in cunctis mundi negotiis implicitus, ejus mens Regi regum fideliter devota mundo minime celari potuit. Non enim dignum erat ut lucerna sub modio posita diutius lateret in tenebris, sed super candelabrum poneretur, ut lumen lucernae clare ardentis omnibus in limine sanctae Ecclesiae introeuntibus patesceret. Tempore ergo jam dicti Francorum regis Hugonis, ecclesia Fossatensis coenobii, quae olim ab antiquis regibus nobiliter fuerat sublimata, prae caeteris erat confusa, atque omni humanae necessitudinis auxilio destituta. Hoc autem acciderat partim justitiae penuria, partim quoque rectorum negligentia. Iisdem namque diebus Magenardus vir nobilis, secundum hujus caduci saeculi honorem nobiliter natus, eamdem gubernabat ecclesiam. Qui non juxta patris Benedicti imperium agens, saeculo valde deditus, animarum ac corporum commoda postponebat. Delectabatur enim canum atque bestiarum venationibus aviumque volatibus. Dumque alicubi voluntas pergendi adesset, depositis monachalibus indumentis, pretiosarum pellium tegmentis exornabatur, calamaneumque optimum pro capitio humili capiti imponebatur. Subjecti etiam quique pro posse et ipsi eadem sectabantur. Ne ergo cuiquam erga habitatores ipsius loci molestum videatur, hic mos a cunctis monachis istius regni agebatur. Dum itaque haec et multa alia agerentur, quidam coenobita, Adicus nomine, grave tulit, et secum cogitatione tacita, quomodo hoc a sanctuario Dei prohiberi posset, sedule meditabatur. Omnibus ergo inscientibus, abbate quoque ignorante, religiosum adiit comitem, cunctam sui cordis ei pandens voluntatem, ac omnibus eum exorans precibus, ut locum ipsum memor suae animae in pristinum statum restituere dignaretur. At memoratus comes, talia mente pertractans, promittit se ejus precibus assensum praebiturum. Accedens itaque ad regis praesentiam, humili mente ac voce coepit dicere: « Licet, rex Francorum gloriose, tua regalis Majestas prae caeteris aulae tuae effecerit me castris ac multis honoribus terrenis ditiorem, unum tamen adhuc requiro tuae benignitati, quod ne prohibeas, super cunctis precatibus me deposcere agnoscas. » Ad quem rex: « Quid, inquit, illud est, charissime, quod tibi in regno nostro possit negari? » Cui venerandus comes: « Non valde multumque larga, sed parva videtur res esse quam requiro. Oro namque ut ecclesiam Fossatensis coenobii, quae regali subdita est dominio, vesterque fiscus fore videtur, mihi servitutis vestrae obsequiis parenti tua praecelsa majestas concedere dignetur. » Cui rex ait: « Cum omnibus constet praedecessorum nostrorum temporibus regalem semper fuisse abbatiam, quomodo valet fieri ut a nostra regali potestate separetur? Si enim hoc a nobis factum fuerit, forte post tui corporis obitum, haeredum sive successorum tuorum nequitiis subverletur, atque tunc culpabimur, detrimentumque animae patiemur, cum nullus justitiae fuerit locus, fratribusque in eo degentibus infinitum acciderit detrimentum. » Ad haec comes responsum reddidit: « Dum minime nunc impetrare valeo ut mihi perpetuali concedatur dono, saltem hoc tribuatur ut, emendationis ac restaurationis gratia, causa quoque salutis nostrarum animarum, hoc petitionis donum suscipere merear. Valde quippe delector tam pretiosum locum ad emendandum suscipere, vestroque suffultus auxilio, honoribus ac possessionibus plurimis, si vita Deo propitio comes fuerit, sublimare atque in pristinum statum erigere. Salutem quoque meae animae, atque scelerum et peccatorum meorum diminutionem eleemosynarum largitione per ipsum locum, Deo annuente, spero consequi. Et post hujus caduci saeculi decursum, fragilia mei corporis membra volo ibidem tumulari. » Cernens itaque rex ex Dei voluntate esse quod a tanto poscebatur viro, causa emendationis ac benefaciendi, sicut pollicebatur, ejus providentiae commisit ut sublevator fidelis atque defensor ipsius ecclesiae adversus hostes malignos terrarumque invasores existeret. Quod alacri cordis gaudio suscipiens, gratiarum Deo laudes regique mortali reddidit. Illis igitur diebus fama venerabilis Maioli abbatis Cluniacensis laudabilis per omnem Galliam habebatur. Accepta itaque comes regis licentia, ad eumdem sanctum virum perrexit. Cumque ab eo reverenter, ut dignum erat, susceptus fuisset humo prostratus, tam admirabilem humilitatis exhibitionem adventusque ejus ad eum causam a tam longinqua patria inquirere studuit. Cui comes: « Laborem tanti itineris assumens, non causa levitatis ad te venisse credendum est. Supplex namque requiro ut petitionis meae verba suscipias, ne poenitens inveniar, tam longo itinere fatigatus, tam longinquam adisse patriam. Locum siquidem Fossatensis ecclesiae nuper a domno Hugone Francorum rege emendationis gratia suscepi, quem deposco vestro emendari ac sublimari praesidio, quatenus S. Benedicti institutio ibidem religiose servetur. Non enim alicujus auxilium requirere studui, nisi tuum, quem Deo placere comperi. » Cui pater Maiolus admirans, respondit: « Cum multa monasteria in vestro habeantur regno, cur ab illis non accipitis quod a nobis requiritis? Valde enim laboriosum nobis est exteras atque incognitas adire regiones, nostraque relinquere, et vestra appetere. A vestris ergo hoc potius vicinis expetendum est quam a nobis longinquis et ignotis. » Hoc comes audiens, valde tristis atque moestus redditur, timens tantum iter in vanum assumpsisse. Iterum ergo atque iterum ad pedes sancti viri prosternitur, poscens ut affectus desiderii ejus susciperetur. Sanctus itaque Maiolus multis venerandi comitis devictus precibus, acceptisque perfectioribus sui coenobii fratribus, cum eodem comite ad Parisiacum usque pervenit, cumque ad portum villulae super fluvium Matronae monasterio Fossatensi proximae pervenissent, jubet comes abbatem cunctamque congregationem sibi ultra flumen occurrere. Illi autem, ignari futurorum, alacriter jussis comitis obediunt. Cumque cuncti adunati fuissent, praecepit ut qui cum abbate Maiolo manere in coenobio voluissent, ejusque jussis in omnibus obedire, liberam haberent licentiam revertendi. Qui vero nollent, abirent quo vellent. Illi autem tristes admodum effecti, utpote omni humano destituti auxilio, magis elegerunt vias cordis proprii appetere quam cum abbate vel monachis sibi ignotis ad ecclesiam redire. Nemini enim licuit ex his quae habebant secum quidquam deferre, exceptis indumentis quibus induti erant. Abbas autem Magenardus, qui, ut diximus, nobilis progenie erat, ex sanguinitate enim Ansoaldi divitis Parisiacae civitatis existebat, in coenobio sancti Mauri, quod Glannafolium dicebatur, transmissus est, ut ibidem pastor fratrum illic degentium existeret. Qui quandiu vixit, in eodem loco conversatus est. Quo defuncto, ante vultum crucifixi Domini in ecclesia corpus ejus sepultum est. Sanctus igitur Maiolus, saepefatum locum cum suis suscipiens monachis, districtionem regularis ordinis districte observare coepit, ut omnino nihil praetermitteretur ex his quae sancti Benedicti praecipit regula. Cumque regulariter intus et exterius cuncta ibidem agerentur ac sollicite omnia, ut possibile erat, emendata fuissent, accedens ad Hugonem Francorum regem, exoratus est ut victus alimoniam servorum Dei sub eo conversantium multiplicando adaugere dignaretur. Cujus preces rex benigne suscipens, adhortante eum comite Burchardo, contulit ecclesiae Fossatensi villam quae dicitur Mansiones, cum ecclesiis, et cum cunctis sibi adjacentiis, sitam in Parisiaco inter Sequanam et Matronam, sicut ipse eam regali jure habere videbatur. Facto itaque testamento monogrammate firmatur, et in eo sigillum regalis majestatis a Ragenaldo cancellario filio comitis, postea Parisiorum praesule, imponitur anno incarnati Verbi 988, sub die XII Kalend. Juliarum, perpetuoque in eodem monasterio conservatur. Ob hoc etiam dies obitus ipsius regis IX Kal. Novembris usque hodie in ipso monasterio solemniter celebratur. His igitur ita peractis, sanctus Pater Maiolus ad propria regredi accelerabat. Committens ergo locum cuidam religioso viro, nomine Teutoni, quem de Cluniaco secum cum caeteris adduxerat, ipse unde venerat reversus est. Post multum vero temporis, dum sanctus vir Maiolus in Galliam reverti differret, defuncto jam inclyto rege Hugone, cum piae memoriae Robertus rex filius ejus regnum suscepisset, consilio et hortatu comitis eidem Teutoni donum abbatiae isdem rex dedit, eumque abbatem ordinare praecepit. Quod cum ad aures Cluniacensium pervenisset, valde tristes effecti sunt, quia cupiebant sibi ipsum locum ad cellam redigere. Ordinatus autem praedictus vir ad honorem regiminis, magno studio conabatur onus susceptum aequo disponere moderamine, ac ecclesiam sibi commissam summo sublimare honore. Parietes enim ipsius aulae, qui ab antiquis fuerant constructi, nimia vetustate erant consumpti. Quod idem Pater cernens, eamque meliorando restaurare cupiens, omne aedificium illius solotenus evertit, atque aliam majoris amplitudinis et excellentiori dignitate conspicuam, Deo sibi auxiliante, construxit. Deinde duo signa pretiosa, nomen suum uni imponens, ad honorem Domini facere praecepit. Haec itaque et multa alia ipse Deo dignus abbas bona in eodem loco operatus est opera. Venerabilis autem comes de salute suae animae valde sollicitus, sancto eum Spiritu adhortante, contulit dilectae sibi ecclesiae, sanctaeque matri Domini Mariae, et apostolis ejus Petro et Paulo, necnon venerabili Mauro confessori res possessionis suae, quae pretiosae sibi esse videbantur. Helizabet quoque comitissa sociali conjugio illi juncta, cum Ragenaldo suo filio jam praesule urbis Parissi effecto, talis facti assensores, et desiderii sui participes exstiterunt. Accedens ergo ad regis praesentiam, exoratus est ut regali more hoc et ipse annueret, testamentumque suae auctoritatis juberet fieri ac suo signo muniri, quatenus per futura tempora eisdem rebus praedictum frueretur monasterium, et ejus memoriale in orationum precatibus semper haberetur. Hortante itaque regis clementiam ejus genitrice Adelaide, et ejus conjuge regina Bertha, quae a tanto poscebantur viro libentissime annuit. Dedit itaque saepedictus comes Burchardus ecclesiae Fossatensi has possessiones de rebus suae proprietatis, villam videlicet, quae Nobiliacus dicitur, in episcopatu Parisiacensi super flumen Matronae sitam, cum advocatione et' vicaria, cum ecclesia et altari, et cum omnibus quae ad ipsam aspiciunt. Item in eodem pago, in comitatu Corboliensis castri, in villa quae vocatur Licias, mansum Algardis cum omnibus ad illum pertinentibus. In Vastinensi quoque pago, in comitatu Nantonensi, atque in episcopatu Senonensis urbis, praedium juris sui, quod nuncupatur Seia, cum advocatione et vicaria, atque ecclesia, et cum cunctis quae ad ipsum aspiciunt. In comitatu etiam Milidunensi alodum, qui vocatur Curciacus, cum advocatione et vicaria, et cum omnibus ad eum pertinentibus. Hanc ergo suae sanctae devotionis voluntatem plurimi Francorum videntes et audientes, erga eumdem locum et ipsi ex propriis rebus multa conferebant. Inter quos vicecomes Milidunensis Castri, nomine Joscelinus, exoratus est Deo devotum comitem, ut ei ecclesiam, quae sita est in vico qui Nosiacus siccus dicitur, quam de ejus beneficio possidebat, Deo et sanctis ejus concedere dignaretur. Comes vero, gaudio repletus, et hoc ipsum libenti animo concessit. Ipse quoque vicecomes, cingulum militiae pro Christo deponens, in eodem coenobio monachus postmodum est effectus, atque digne finem suae complens vitae, ibidem obiit sub die XIV Kalend. Aprilium. Super his ergo omnibus inclytus rex Robertus auctoritatis suae testamentum fieri jussit, traditionemque abbati Tentoni, seu reliquis monachis, fecit, et praefatae ecclesiae munificentiae suae praecepto confirmavit; per quod praecepit jubens ut, usque in finem saeculi, coenobitae illius loci haec omnia tenerent atque pleniter possiderent, nullusque rex, nullus episcopus, nullus comes, aut ulla mortalis potestas illas res disponere aut in sua potestate quidquam horum decernere aut delegare praesumeret; sed perpetua soliditate in ipsorum jure consisterent, disponendi atque faciendi ad utilitatem loci quidquid elegissent. Ut vero ipsius praeceptionis atque roborationis edictum per cuncta aevi tempora inviolabilem obtineret firmitatis vigorem, more regali manu propria confirmavit, et annuli sui impressione insigniri jussit. Quod Rogerius cancellarius devote peregit, qui postea, Deo concedente, ad honorem pontificatus in urbe Belvacensi sublimatus est. Acta sunt autem haec in civitate Parisius, anno incarnati Verbi 998, anno vero Roberti regis X, sub die XIII Kal. Maiarum. Fuit etiam ipsis diebus miles quidam egregius, potentiis et divitiis saeculi valde sublimis, venerandoque comiti fidelis, nomine Ermenfredus, fideliter Deo complacere desiderans. Hic itaque, pavore aeterni supplicii perterritus et exemplis jam dicti viri religiose animatus, retulit ei multum locum sibi commissum diligere, ac de propriis possessionibus se velle in eo largiri. Deprecatus est itaque eum, quatenus villam, quam de ejus beneficio tenebat, quae Licias appellatur, ecclesiae Fossatensi daret, ita ut etiam praedium suae possessionis, quod Jureum dicitur, spontanea voluntate simul tribueret. Ille vero, qui optabat ut cuncti milites Francorum similia peragerent, liberam dedit illi facultatem dandi quidquid ejus animo placitum fuisset. Veniens itaque ad sibi dilectum prae caeteris locum, cum sua conjuge, quae Ermensendis dicebatur, innotuit religioso abbati Teutoni ac caeteris fratribus sui cordis secretum. Qui, gratias Deo agentes, in suis orationibus praedictos conjuges suscipiunt, sicque familiares Dei servorum effecti sunt, atque locum suae tumulationis post resolutionem corporum acceperunt. Dederunt ergo ibidem praedium, superius nominatum Jureum, super flumen Sequanae situm, distantem a castro Corboilo milliario et dimidio, ecclesiam quoque et vicariam, et advocationem, cum omnibus ad eum pertinentibus. Simili etiam modo donationem fecerunt de villa jam dicta, quae vocatur Licias, in praedicto pago sita, distante a castro milliario et dimidio; quam de beneficio Burchardi comitis et filii ejus honore pontificali praecluentis Rainaldi tenebant. Quorum consensu et voluntate hoc donum fecerunt pro aeternae vitae remuneratione, et pro animarum suarum, sive Gelonis, cui successores existebant, atque parentum eorum, absolutione, cum advocatione et vicariorum potestate, et cum cunctis quae ad ipsam aspiciunt. Donum ergo harum rerum super altare Sanctae Mariae Sanctique Petri apostoli posuerunt tenore tali ut annuatim recognitionem ex ipsis haberent denominatam, ambobus vero ab hac luce migrantibus, perpetuo habendas possiderent. Post haec etiam regis adeuntes praesentiam, deprecati sunt ut haec dona praecepti sui auctoritate roboraret et annuli sui impressione munire dignaretur. Ipse quoque suae matris Adelaidis, uxorisque Berthae suggestionibus, uti precatus fuerat, peregit. Conscripto itaque testamento, ac monogrammate regis manu facto, Franco tunc cancellarius, postea vero episcopus Parisii factus, imaginem regis imposuit. Factum est autem hoc in praedicta urbe anno incarnationis Christi 1000, indictione XII, anno vero regni inclyti regis Roberti XII feliciter. His ita narratis, ad nostrum Burchardum reflectatur stylus. Huic ergo venerando comiti, instigante humani generis inimico, infestus atque inimicus existebat valde Odo comes, ejusque bonis invidebat actibus, quia illum in aula regis sibi praeponi, atque honorari, et diligi a cunctis conspiciebat. Qua de re seductione quadam atque traditione Castrum Milidunum ei furatus est. Quod cum didicisset, auxiliante sibi rege, coadunato Francorum exercitu, multis millibus militum circumvallavit. Cernens itaque Odo non se posse ibidem quietum manere, nec idem castrum proprio retinere dominio, clam cum suis abiens fugit. Burchardus vero introgressus proprium recepit castrum. Galterius vero, cujus traditione hoc tantum nefas perpetratum est, in monte, qui eidem praeeminet, cum sua conjuge laqueo suspensus est. Alio quoque tempore, inimico pacis lucisque adversario adhortante, hi duo comites in eodem pago Milidunensi denominato sibi loco bellum inter se condixerunt. Cumque ibidem advenissent, pugnaque ab utrisque partibus acerrime praepararetur, praedictus miles Ermenfredus, solius tunc regis dominio subditus, suis manibus ac ejus potestati humiliter se submisit. Non enim mos erat, nec est Francis, in bello aliquo modo introire absque praesentia aut jussu proprii senioris. Humiliato ergo Burchardo valde in conspectu Dei, quatenus contra hostem superbum, cervicem corporis et cordis rigide erigentem, victoria sibi daretur, in campum villulae, cui nomen Orceiacus est, simul pugnaturi conveniunt. Illis itaque in acie decertantibus, Dei judicio exercitus Odonis intra semetipsum dimicans, magna caede prosternitur. Burchardus vero, in Domino fiducialiter confidens, super hostes irruit, multisque millibus interfectis, victoria illi de coelo tribuitur. Videns quoque Odo multum suum exercitum minui, valdeque occisum per campi planitiem jacere, nec illa die penitus posse victorem existere, pavore valido tremefactus valdeque effectus confusus, timebat minime inde evadere, sed latenter auxilium fugae citissime petiit. Sic itaque Deo fidelis comes, victor existens, laudans cum suis Dominum, ad propria cum gaudio revertitur. Religiosus denique abbas Teuto, jejuniis, et orationibus, vigiliarumque pernoctationibus assidue intentus, Deo semper placere fideliter desiderabat. cum ergo in loco sibi commisso arduam, ut cupiebat, vitam, ob pastoralis custodiae curam, minime servare posset, Remensis urbis pagum ad habitandum sibi elegit. Habetur siquidem illuc quaedam possessiuncula, quam gloriosus rex Carolus Calvus ecclesiae Fossatensi, abbatique Godofredo, refugii causa propter Normannorum persecutionem, dedit, in qua etiam corpus sancti Mauri multis annis reverenter traditur conservatum. Illuc ergo jam dictus abbas, arduam pro Christo peragens vitam, multo tempore conversatus est. Quo pergens, ibidemque permanere desiderans, baculum curae pastoralis per sui servitii ministrum, nomine Valterum, quem ipse in Domini timore nutriverat, fratribus transmisit, mundans ut sibi secundum Christi voluntatem dignum pastorem eligerent. Hoc ergo coenobitae audientes, valde mirati atque tristes effecti, comiti praecipuo ac ejus filio Parisiorum praesuli Rainaldo protinus studuerunt innotescere. Illi autem haec omnia regis auribus innotuerunt. Venerabilis autem pater Teuto, in jam dicta villa multis diebus commoratus, in jejuniis et orationibus, atque in cunctis bonorum operum exhibitionibus, inquantum homini mortali possibile fuit, Deo sibi opem ferente, solitariam peregit vitam. Postmodum vero cupiens locum sibi commissum, fratresque quos reliquerat revisere, usque ad Novigentum prope monasterium pervenit. Ibidem ergo figens gressum, mandat fratribus se adesse, atque ad eos se velle venire. Quod multi audientes, hanc ejus desiderii devotionem prohibuerunt, dicentes suo loco jam abbatem suscepisse, nec debere eum recipi, quia animarum curam penitus reliquerat. Cum autem ipsi Dei servo hoc nuntiatum fuisset, valde moestus efficitur, ignorans quid agere aut quo se vertere deberet. Tandem meditatus in corde suo, confortante illum Domino, qui sperantes in se non deserit, salubre consilium reperit. Nam repente ad Cluniacum sui coenobii locum rediit. Ibique duos abbates, qui post ipsum in sibi commisso loco ordinati sunt, supervixit, atque in sancta conversatione, ut coeperat, permansit. Nemo enim illorum diu vivere potuit, quia, Domini disponente judicio, potestatem regiminis nonnisi quinque annis tenuerunt. Completo igitur termino, qui praeteriri non potest, ibidem feliciter obiit sub die Iduum Septembrium. Ad cujus sepulcrum, ut referre audivimus, multi infirmi postea sanitatem receperunt. His ergo ita narratis, ad ea quae omissa sunt reflectatur stylus. Audito itaque rex quod taliter pater Teuto locum fratresque reliquisset, tractare sollicite cum venerabilibus viris, Burchardo scilicet atque Rainaldo praesule, coepit, quomodo ex Domini voluntate ipsum locum ordinare possent. Qui solerti industria commoniti, filium Haimonis comitis, fratrem ipsius episcopi, nomine Theobaldum, qui jam coenobio Cormaricensi praeerat, ad se venire praecipiunt. Cui rex donum abbatiae dedit, eumque patrem monachorum fore constituit, quia et ipse ex Cluniacensibus erat, atque sancti patris Maioli institutione edoctus fuerat. Nobilitate autem hujus mundi sublimis comes non solum in loco de quo sermo agitur, verum etiam per multa monasteria regni Francorum multa bona contulit, inter quae coenobium Sancti Petri Milidunensis, quod Siguinus archipraesul Senonensis aedificare coeperat, propriis muneribus ditare studuit. Erant autem et in aliis pagis plurima ei castra, ex quibus Vendocinum, Lavarzinum, et Montemaureum proprio retinebat dominio, exceptis aliis, quorum nomina mihi ignota existunt, et quae multi milites beneficii et fidelitatis gratia ab ipso possidebant. Statuit denique decretum ut quicunque fidelium suorum ex suis castris vellet aliquam partem terrarum ecclesiae Fossatensi tribuere, liberam haberet licentiam dandi, absque jussione suorum successorum, quidquid animo libuisset. Quod a quibusdam servatum, postea multa nobis largiti sunt. Dederat autem cuidam suo praeposito, nomine Badoni, ac duobus ipsius haeredibus, quoddam beneficium taliter ut, diebus suae vitae, censum ipsius monasterio persolverent, id est LXXII nummos; illis vero ab hac luce substractis, ipsam terram perpetuo coenobitae possiderent. Sed, jam dicto viro obeunte, filius ipsius, Alrannus nomine, qui primus haeres exstiterat, cujusque nomen in charta continebatur, accedens ad Odonem, qui postmodum loco praefuit, accepto pretio, super altare sanctae Mariae eamdem posuit chartulam, atque cuncta quae in ea descripta erant abbati ac monachis tradidit. Sunt autem ipsae res non magnae, sed admodum parvae, sitae in Parisiacensi pago non longe a castello Corboilo, sed in circuitu ejusdem castri. Hoc est in villa quae vocatur Licias, villulam quae dicitur Burgunnaria, eo quod ibi Burgundiones habitaverunt, ubi habetur silva cum terra arabili. Item prope castrum farinarium, quod vocatur Tolvia, cum dimidio aripenno terrae, ad aedificandum, si fuerit opus. In ipso quoque loco aliquantulum de terra Sancti Stephani. Caetera vero sunt, id est contra castellum sancti Exuperii, et in juniori et in veteri Corboilo, et in Ateias, et in Sosiaco, atque in Sintrio. Quae qui cuncta noscere cupit, in chartula, sive in testamento Roberti regis, quod anno incarnati Verbi 1028, anno vero regni sui XII, factum est, aperte reperire valebit. Eo igitur tempore, dum Francorum regnum optima pace a Roberto glorioso rege gubernaretur et Ecclesia Dei pacis concordia repleretur, subito idem regnum maligna conturbatur adversitate. Unde accidit ut quidam hujus saeculi, ventosa nobilitate praedives, Arnulfus vocitatus, comitatus officio insignitus, contra domnum Robertum insurgeret, cuncta quae ejus ditioni subjecta fore videbantur incendio concremaret, et ea mala quae inferre poterat in omnibus adhiberet. Qua discordia praevalente et diaboli saevitia praeeunte, coenobium sancti Walarici adiit, incendio cuncta quae potuit concremavit, atque ipsum corpus confessoris Christi proprio dominio subdidit. Qua de re tristitia magna repleti monachi, tanto carentes patrono, celeri gressu regem Francorum adeunt, poscentes ut eis succurrere dignaretur. Qui eis praesentiam sui exhibere non valens, domnum Burchardum exorando deprecatur, ut eis sua vice succurreret, et eis corpus sanctum, quo valeret, juvamine reddere faceret. Venerandus vero Burchardus comes illuc adveniens, de Dei gratia corde confidens, comitem Flandrensem adiit, regia profert verba, et eum exorando deprecatur, quatenus confessoris Christi membra, quae iniqua cupiditate sustulerat, voluntate et misericordia Dei praeeunte, solo restitueret proprio. Qui, ejus precibus assensum praebens, pacem fecit cum rege et Francis, et quod a tanto comite petebatur celeriter adimpletur. Cumque venissent ad fluvium qui Summa dicitur, et inde transire vellent, repente mare cernunt inundasse, et viam sancto corpori, comitique Burchardo, et caeteris qui cum eo erant, denegare. Tunc comes, qui bajulus sancti corporis erat, cunctis audientibus et Deum tota mente ignorantibus, dixit: « Domine Jesu Christe, si misericordia voluntatis tuae existit ut corpus hujus sancti tui proprio restituatur coenobio, jubeas nobis hoc flumen maris clementia tuae bonitatis dividere, et viam hujus itineris clementia tua nobis pandere non dedignetur, quatenus haec plebs, tuo nomini serviens, ad laudem gloriae tuae et ad honorem hujus sancti tui corde devoto munera laudum laeta cordis exsultatione persolvere valeat. » Ad hanc vocem servi Dei et precibus sancti sui exoratus Dominus, subito aequoreum mare ita divisum est ut bajuli sancti corporis, et cunctus populus laudando et benedicendo Dominum Deum, cum summa laudis devotione, illud aequoreum maris periculum, siccis vestigiis, absque ullo maris periculo, pertransiret. Ex quo facto illud Dominus reiterare dignatus est miraculum quod per Moysen famulum suum, fugientibus filiis Israel, per medium mare operari dignatus est. Illud quoque coenobium multis praediorum suorum possessionibus ditatum reddere cupiens, multa intrinsecus et extrinsecus ob suum perpetuum memoriale largiendo contulit. Unde etiam ibidem dies anniversarii ipsius solemniter celebratur, tanquam si praesens illic adesset corpore. Qui etiam testando profitentur, si possibile esset, ut apud illos corpus illius haberetur, quod fieri non valet, quia hoc voluntati Dei placere non confidimus; tamen illius venerandum corpus penes sancti Walarici corpus poneretur, quatenus quem honorare studuit in terra, cum ipso quoque a Christo honorificaretur in coelo et in terra. Sed, his omissis, ad nostrum Burchardum reflectamus articulum, ac qualiter ad sacrum ordinem accesserit, et ad Christum postmodum pervenerit, auxiliante Domino, vertatur stylus, et cunctis hoc ignorantibus nostra oratione manifestaque ratione cunctis demonstretur mortalibus. Diebus igitur praedicti abbatis, miles invictus Deo devotus comes Burchardus in infirmitatis languorem decidit. Sed quoniam omnis filius qui recipitur a Deo misericorditer, flagellatur, desiderans inveniri vigilans animae suae, custos pervigil existere cupiebat. Protinus enim militia saecularis contemnitur, monachalis vita appetitur, coeleste regnum toto mentis intuitu concupiscitur. Formidans ergo mortis periculum minime posse evadere, accepto auro et argento, palliisque et multis monasterialibus ornamentis, in constructo et aedificato a se loco monachalia indumenta requirit et accipit. Fit luctus ingens ab omnibus Francorum proceribus, a monachis, a clericis, a viduis, a cunctis ordinibus utriusque sexus et aetatis, eo quod ipsorum patronus eos desereret quos affabili consilio, dulcissimo alloquio confortare solebat. Plangunt cuncti milites, lamentantur universi pauperes, quoniam consolator miserorum, sublevator afflictorum, cunctorum militum spes et refugium, ab eorum subtrahebatur aspectibus, et ipsi praesidium totius suae salutis et consolationis amittebant. At contra coenobitae, Christi servi, licet de ejus incommodo tristarentur, gaudebant tamen, quoniam tam egregius miles, comitali honore praefulgens, secundum Domini praeceptum, cuncta relinquebat ejusque jugum suave et onus leve mente devota suscipiebat. Deferuntur itaque inter caetera ipsius ornamenta, vasa plurima aurea et argentea, aerea et lignea, candelabra quoque pretiosa. Quae omnia, ut dignum erat, ad sanctae ecclesiae, seu sancti altaris ministeria deputantur. Inter haec ergo duo vasa pretiosa ad limpham fundendam sive recipiendam in sacerdotis manibus, quorum unum manipulum vocamus, eo quod manu geritur, in quo etiam litterae habentur quae Abagari regis ad sanguinem minuendum eum fuisse testantur. In ipso quoque ipse rex cum se phlebotomante alioque sibi serviente, ex pretioso puroque auro cernitur imaginatus, tamque pretiosum ac decorum vas in hac patria minime dicitur inveniri. Textus etiam libri sancti Evangelii, optime litteris aureis conscriptus, auro et argento atque ebore inciso pulchre operatus, minime defuit. Aureus quoque ensis cum cingulo aureo, ex quo hoc magnum monasterium dicitur esse incoeptum, a lumbis resolutus, ejus dono allatus fuit. Item vas pretiosum valde ex lapide, quem berillum dicimus, ex quo aqua in sancto calice fundebatur, locumque quo milites exerceri solent cristallino lapide optime operatum secum detulit. Servorum quoque et ancillarum infinitum contulit numerum. Quid plura? nemo hac mortali carne tegitur, qui cuncta ejus dona pleniter enumerare valeat. Cum ergo tam gloriosus comes innumeris in saeculo claruerit honoribus, nulli haeredum, nulli amicorum, nulli suorum fidelium tanta, exceptis castris, reliquit, quanta Deo sanctisque ejus in loco sibi prae cunctis dilecto pro salute suae animae contulit. Sacro igitur schemate religiose indutus, in domo sibi juxta ecclesiam praeparata plurimis diebus infirmus jacuit, postmodum suorum servorum preces pro eo semper fundentium dominus pius placatus convalescere coepit, atque cum caeteris abire fratribus. Cum itaque sanitati redditus Domino fideliter placere studeret, illi jugiter gratias referebat eumque humili mente benedicebat, quia suae sanctae misericordiae gratiam illi etiam in hoc ordine conferebat. Servitium quoque sanctae Ecclesiae, quod more coenobitarum a saeculo conversi Deo exhibere debent, ipse vir nobilissimus humili devotione peragebat. Cumque ei a fratribus diceretur: Ut quid tam nobilis vir saeculari dignitate praecelsus, senectutis jam labore fractus, se humiliando affligere dignatur? ille respondebat: « Si, inquit, cum militari honore sublimatus essem, atque, ut dicitis, militum stipatus agmine, comitatus dignitate fulgerem; mortali regi lucerna indigenti cereum manu anteferebam, quanto magis nunc immortali Imperatori debeo servire, atque ante ipsum candelabra ardentia manibus cum exhibitione humilitatis reverenter ferre? » Hoc dicens et agens, magnum de se humilitatis exemplum cunctis videntibus et audientibus proponebat. Sic itaque Deo probatus et, velut aurum pretiosum, igne examinatus, iterum languoris molestia corripitur, atque ad extrema deducitur. Sacri igitur corporis et sanguinis Christi perceptione munitus, beatum Domino spiritum reddidit sub die IV Kalendar. Martiarum. Quo defuncto, continuo adest praesul cum clericorum numero, abbas quoque cum monachorum agmine. Corpori persolvuntur obsequia funebria, sanctam Deo commendantes animam. Fit repente clamor per urbem, per castella, vicos et plateas. Concurrunt milites, divites et pauperes, senes et juvenes, viduae et virgines, cuncti plangentes et ejulantes, repleti dolore et miseria. Impletur Fossatus luctu et gemitu omnisque doloris plenitudine, amittens patronum et advocatum, quem habere meruit defensorem et sublevatorem fidelissimum. Clamat se minime amplius talem reperturum, cujus nobilitate ditetur, cujus auxilio tam fidelissime muniatur; sed morsibus patere malignorum, invasione diripi hostium, atque cunctorum adversantium malignitate circumdari. Quod ita postmodum accidisse, cunctis hodie per orbem degentibus claret. Sepelitur igitur tam nobilis viri corporis gleba ante vultum nostri Redemptoris in domo, ubi fratres ad matutinum et serotinum conveniebant capitulum. Studuerunt autem antiqui patres ejus mausoleum talibus decorare versiculis, quo ejus perpetuum memoriale sine fine maneret inviolabile. Hic vir magnus erat quondam dum corpore vixit, Nomine Burchardus, per mundi climata notus. Celsus erat meritis, dictis factisque modestus: Pauperibus largus, viduis per cuncta benignus. Ipsius en corpus tumulo requiescit in isto, Martius ostendit quarto migrasse Kalendas Illa autem tabula sepulcri ipsius ab antecessoribus nostris optime operata ac decorata fuit, super pectus ejus crux deaurata cum litteris a et w superposita fuit: et nos quoque pueritiae nostrae tempore oculis nostris inspeximus. Quae cuncta postmodum, ut hodie patet, penitus destructa existunt. Venerabilis quoque Elisabet comitissa uxor ejus eumdem locum secundum sexus sui naturam magnis muneribus ditare studuit, quae a saeculo migrans ibidem sepulta jacet. Cujus obitus dies agitur XV Kal. Februarias. Cujus etiam polyandrum his decoratur versiculis: Hos placuit Domino vivos conjungere binos, Et polyandra simul jungere sic voluit. Hoc quicunque legis, persolve carmina psalmi, Spiritus ut valeant scandere regna poli. Haec de multis comitis gestis sufficiat enarrasse. Sunt denique innumera bonorum ejus operum acta, quae fastidio compellente relinquimus, quia ad alia gerenda festinat animus. Nobis ergo, fratres, solerti studio providendum est ut istius viri caeterorumque benefactorum eleemosynas, quas pro redemptione criminum suorum huic loco contulerunt, taliter ante oculos Conditoris pro ipsis deserviamus, ut non, quod avertat Deus a nobis, ad aeternam confusionem proveniant. Sciendum est enim quod eleemosynis bonorum virorum praesentis vitae cursum, Deo auxiliante, transigimus, ideoque animo recondendum quod Dominus terribiliter peccatores exprobrando per prophetam clamat dicens: “Peccata populi mei comederunt”. Anniversaria etiam horum conjugum solemniter a servis Dei in diebus praedictis celebrari debent, ut animabus eorum proficiat quod hunc prae caeteris locum dilexerunt, et sua corpora ibidem tumulari voluerunt, ut a Christo Domino in die judicii resuscitari mererentur. Usque hodie enim, id est usque ad praesentem annum, qui est incarnati Verbi 1058, anni vero regni regis Francorum Henrici XXVIII, hoc ipsum devote in hac peractum est ecclesia. Quod et ut in posterum fiat humiliter fatendum est. A rectoribus quoque loci sive a ministris magnopere procurandum est ut, sicut in ecclesia agi diximus, sic quoque refectio ex pretiosis dapibus et pigmentis pro ipsorum spiritibus solemni praeparetur obsequio, quia, ut vulgo dicitur, inanis videtur esse labor qui victus alimoniam non tribuit. Et ne hoc vanum cuiquam aut floccipendendum videatur, abbatis Giraldi seu totius congregationis favore ac voluntate statutum est ut pro comite Burchardo, qui tanta beneficia nuic ecclesiae contulit, ut quisque ex praesentis styli narratu noscere valet, provisor Nobiliaci, pro Elisabeth vero Cruciaci, pro Rainaldo praesule Seiae, pro Hugone rege Mansionum, pro Ermenfredo autem ejusque conjuge Liciarum et Jurei, pro abbatibus hujus congregationis provisor atque thesaurarius hujus loci diligenter, absque omnis negligentiae incursu, studerent perficere. Qui autem hoc decretum postmodum despicere aut destruere conaretur, perpetuo excommunicationis anathemate damnaretur. Proposueram in prooemio hujus Operis post haec de praesule Rainaldo aliqua disserere, quo ejus memoriale posteris notum fieret. Sed quia non est in potestate hominis vita ejus, multis incommodis urgentibus, me nunc hoc perficere minime libet, donec optatae pacis et tranquillitatis tempus adveniat. Gratias tamen et in prosperis et in adversis semper agamus Jesu Christo, sanctoque Paracleto, qui vivit et permanet unus Deus indivisibiliter per cuncta saecula. Amen.
EXPLICIT VITA DOMNI BURCHARDI VENERABILIS COMITIS.
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[1] Il était fils de Foulques le Bon, comte d'Anjou, de l’an 938 à l'an 958. [2] L'abbaye de Cluny appartenait alors au royaume de Bourgogne, et les communications étaient rares et difficiles. [3] En 1012.
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