LIUTPRAND
HISTOIRE DES ROIS, & DES EMPEREURS DE L'EUROPE
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
PAR
LEVITE DE L'EGLISE DE PAVIE.
INCIPIT LIBER PRIMUS.1. Reverendo tociusque sanctitatis pleno, domno Recemundo, Liberritanae eclesiae episcopo, Liudprandus, Ticinensis eclesiae, suis non meritis, levites, salutem. Biennio ingenii parvitate petitionem tuam, pater karissime, distuli, qua totius Europae me imperatorum regumque facta, sicut is, qui non auditu dubius sed visione certus, ponere compellebas. Hae siquidem res animum, ne id inciperem, deterruere meum, copia cujus sum poenitus expers dicendi, detrectatorum invidia, qui supercilio tumentes, lectionis desides, ac secundum eruditi viri sententiam Boetii philosophye vestis particulam habentes totamque se habere putantes, haec mihi sunt insultantes dicturi: Tanta decessores nostri scriptitarunt, quod multo amplius lectores quam lectiones deficient. Illudque comicum garrient: Nich. dicetur, quod non fuerit dictum prius. Quorum latratibus hoc respondeo, quia phylosophy ydropicorum more, qui quo amplius bibunt eo ardentius sitiunt, quo sepius legunt eo avidius nova queque perquirunt. Quod si perplexa faceti Tullii lectione fatigantur, talibus saltem neniis animentur. Nam, ni fallor, sicut obtutus, nisi alicujus interpositione substantiae, solis radiis reverberatus obtunditur, ne pure ut est videatur, ita plane mens achademicorum, peripatheticorum, stoicorumque doctrinarum jugi meditatione infirmatur, si non aut utili comoediarum risu aut heroum delectabili historia refocilatur. Quod si priscorum ritu execrabilis paganorum, non solum inquam non proficuus, verum auditu ipso non parum nocuus, tomis memorandus inscribitur, quid istorum imperatorum bella, Jullii, Pompeii, Hannibalis, fratrisque ejus Asdrubalis, ac Scipionis Africani, insignum imperatorum, laudibus coequanda silebitur? cum praesertim in his sit domini nostri Jesu Christi, dum sancte vixerint, bonitas recitanda, tum si quid deliquerint, salubris ab eodem correctio memoranda? Nec moveat quempiam, si enervorum facta regum principumve effeminatorum huic libellulo inseruero. Una est enim justa Dei omnipotentis, Patris scilicet, Filii et Spiritus sancti, virtus, quae hos juste suis pro sceleribus comprimit, illos dignis pro meritis extollit. Haec inquam est vera domini nostri Jesu Christi sanctis promissio: Observa et audi vocem meam, et inimicus ero inimicis tuis, et affligentes te affligam, et praecedet te angelus meus (Exod. XXIII). Per Salemonem quoque sapientia, quae Christus est, clamat: Pugnabit pro eo orbis terrarum contra insensatos (Sap. V).
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Préface adressée au Révérend Père Raymond, évêque de l’église d’Elvire en Espagne. Au révérend seigneur Raimond plein de toute sainteté, Evêque de l'Eglise d’Illiberis, Liutprand lévite indigne de l’Eglise de Pavie salut, Père très cher ! vous, m’avez demandé d'écrire les faits de toute l'Europe des Empereurs & des Rois, parce que j'en étais informé non par ouï-dire, mais pour en avoir été témoin moi même. J'ai différé deux ans à vous satisfaire. J'étais surtout effrayé par ma propre insuffisance & par l'envie des détracteurs, ceux-ci font enflés de vanité, & maigres de science, & selon le dire du savant Boèce, ils ont un morceau de la robe philosophique, & croient l'avoir toute entière. Cependant ces gens-là auraient pu me dire. Nos ancêtres ont déjà tant écrit que ce sont les lecteurs qui manquent & non pas les lectures — & ils ajoutent : Rien n'est dit aujourd'hui que ce qui a déjà été dit auparavant. — Or voici comme je réponds à ces aboiements. Les Philosophes sont comme les hydropiques, plus ils boivent & plus ils ont soif. Plus ils lisent & plus ils ont de désir d'apprendre des choses nouvelles, car s'ils font fatigués par les leçons de Tullius, ils ouvrent un livre de fables pour se ranimer. Car si je ne me trompe, celui qui a la vue faible, a besoin d'interposer quelque chose entre ses yeux & les rayons du soleil. Ainsi la pensée des académiciens, des péripatéticiens, des stoïciens est affaiblie par la méditation de leurs doctrines, à moins quelle ne soit réveillée par l'amusement utile de la comédie, ou par l'histoire délectable des héros. L'exécrable rite des anciens païens, ne saurait être profitable, & même il est nuisible d'en entendre parler, mais faut-il ne point donner de louanges à Jule, à Pompée, à Hannibal & à son frère Asdrubal, à Scipion l'Africain, ce n'est pas leur faute si Jésus-Christ n'a pas vécu de leur temps. S'ils ont vécu saintement, il faut parler de leur bonté. Et lorsqu'ils ont fait des fautes, il faut aussi les savoir & en tirer une correction mémorable. Et personne ne doit se fâcher si je mets ici les faits des Rois faibles & des Princes énervés, leurs crimes seront punis par la puissance de Dieu tout puissant Père, fils, & saint esprit, & les autres seront élevés selon leurs mérites, car voilà la promesse qui nous a été faite par J. C. « Observe & écoute ma voix, & je serai l'ennemi de tes ennemis, j'affligerai ceux qui t'affligent & mon ange me précédera. —Car Jésus-Christ est la sagesse, & c'est lui qui a dit par la bouche de Salomon : Le globe de la terre combattra pour lui contre les insensés. — Et celui qui veut y faire attention le remarquera tous les jours. »
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Quod cottidie fieri, etiam qui stertit, animadvertit. Ut autem evidens ex innumeris subdatur exemplum, me tacente loquetur opidum vocabulo Fraxinetum, quod in Italicorum Provintialium que confinio stare manifestum est. 2. Cujus ut cunctis liquido pateat situs, quemadmodum temet latere minime reor, immo melius scire, sicut ab ipsis qui vestri sunt tributarii regis, Abderahamem scilicet, potestis conjicere, mari uno ex latere cingitur, caeteris densissima spinarum silva munitur. Quam si ingressus quispiam fuerit, ita sentium curvitate tenetur, acutissima rectitudine perforatur, ut neque progressionis neque reditus, nisi magno cum labore, habeat facultatem. 3. (An. 891). Sed oculto, et quoniam secus esse non potest justo Dei juditio, 20 tantum Saraceni lintre parvula ex Hispania egressi, nolentes istuc vento delati sunt. Qui pirate noctu egressi, villamque clam ingressi, christicolas, pro dolor! jugulant, locumque sibi proprium vendicant, montemque Maurum villulae coherentem contra vicinas gentes refugium parant; spineam silvam hoc pacto majorem et spissiorem sua pro tuitione fatientes, ut si quis ex ea vel ramum incideret, mucronis percussione hominem exiret: sicque factum est, ut omnis praeter unius angustissimae viae aditus demeretur. Loci igitur asperitate confisi, vicinas gentes clam circumquaque perlustrant. Accersitum quam plures in Hispaniam nuntios dirigunt, locum laudant, vicinasque gentes nichili se habere promittunt. Centum denique tantummodo secum mox Saracenos reducunt, qui veram rei hujus caperent assertionem. 4. Interea Provincialium, quae illis gens erat vicinior, invidia coepit inter sese dissidere, alius alium jugulare, substantiam rapere, et quicquid mali excogitari poterat facere. Sed quia pars partem, ut invidia et dolor postularant, satis sibi facere non poterant, hos quos praediximus Saracenos, non minus callidos quam perfidos, in auxilium rogat; cumque his una proximum conterit. Nec juvat solummodo proximum trucidare, verum terram fructiferam in solitudinem reddere. Sed videamus quid justa secundum quendam profuerit invidia, quam ita describens ait: Justius invidia nichil est, que protinus ipsum Auctorem rodit excruciatque animum. Quae dum decipere conatur, decipitur; dum extinguere molitur, extinguitur. Quid igitur? Saraceni cum suis hoc viribus minime possent, alteram alterius auxilio partis debellantes, suasque copias ex Hispania semper augentes, quos primo defendere videbantur modis omnibus insecuntur. Seviunt itaque, exterminant, nil reliqui faciunt. Trepidare jam vicinae caeterae gentes, quoniam secundum prophetam horum unus persequebatur mille, et duo fugarunt decem milia (Deut. XXXII). Et quare? Quia Deus suus vendidit eos et Dominus conclusit illos.
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LIVRE PREMIER.CHAPITRE IDe la situation de la ville de Fréjus, placée aux frontières de l’Italie, & comment vingt pirates sarrasins en prirent possession, & comment les sarrasins se sont fortifiés sur le mont maure, & comment ils ont prospéré par la discorde des chrétiens du voisinage, leurs factions & leurs jalousies. JE n'ai pas besoin de parler, mais le bourg de Fréjus me fournit un exemple qui parlera pour moi. Tout le monde sait ou ce bourg est situé, & je suis sûr mon père que votre prudence s'en est informée, cependant je veux vous expliquer sa situation, parce que je la connais mieux & puis vous en parler plus savamment que les sujets de votre Roi Abderahman,[1] qui ont pu vous en dire quelque chose. Or donc ce bourg est ceint d’un côté par la mer, & de tous les autres par une forêt très épaisse. Et si quelqu'un entre dans cette forêt, il est accroché par les épines, percé par leurs pointes aiguës, en sorte qu'il ne peut ni avancer ni reculer qu'avec beaucoup de peine. Cependant le hasard ou plutôt le juste jugement de Dieu voulut que vingt sarrasins, sortis d'Espagne dans une petite barque, furent poussés là par les vents. 4. Ces pirates entrèrent secrètement pendant la nuit dans le bourg, égorgèrent les adorateurs de Jésus-Christ, & trouvant que le mont Maure attenant à la ville était un bon refuge contre les nations voisines ils s'y fortifièrent. La forêt d'épine devint entre leurs mains plus épaisse & plus poignante, car quelqu'un qui voulait en abattre une pointe trouvait aussitôt celle de l'épée, enfin ils firent en sorte qu’ils n’y laissèrent qu'un chemin très étroit. Alors les sarrasins pleins de confiance dans l'aspérité du lieu, se mirent à parcourir les nations voisines: Ils envoyèrent aussi en Espagne, pour louer la bonté du lieu & le peu de crainte que l'on devait avoir des nations voisines. Les envoyés ramenèrent cent sarrasins, qui vinrent pour prendre une juste idée de la chose. Pendant ce temps-là les Provençaux qui vivaient dans les environs, commencèrent à se quereller entre eux, à s'égorger, à se piller réciproquement, & enfin à se faire les uns aux autres tout le mal qui était en leur pouvoir. Mais comme aucun des partis n'en put faire assez à son gré, ils appelèrent à leur secours ces mêmes Sarrasins, gens aussi rusés que perfides, car leur coutume est non seulement de faire périr leurs voisins mais même de dévaster, & de faire une solitude du pays le plus fertile. Mais quelqu'un a dit que la haine était juste, car elle rongeait celui qui la porte dans son sein ; celui qui veut tromper est trompé, celui qui veut détruire est détruit. Je reviens à mon histoire. Les sarrasins qui ne pouvaient rien par leurs propres forces détruisaient un parti par l'autre & faisant venir de nouvelles forces de l'Espagne ; ils poursuivirent sans miséricorde ceux que d'abord ils avaient paru défendre. Ils dévastent, ils exterminent & ne laissent rien après eux. Toutes les Nations voisines tremblotent de peur, car selon le prophète, l'un de ceux-ci en poursuivait mille, & deux en faisaient fuir dix mille, & cela parce que leur Dieu les avait vendu, & que la Seigneur a voulu leur fin.
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CHAPITRE II. 5. (An. 886-912.) Hac itaque tempestate Leo Porphyrogenitus, Basilii imperatoris filius, Constantini hujus pater qui nunc usque superest et feliciter regnat Constantinopolitane civitatis regebat imperium. Simeon fortis bellator Bulgariis praeerat, christianus, sed vicinis Grecis valde inimicus (An. 883-927). Ungariorum gens, cujus omnes poene nationes experte sunt sevitiam, quae miserante Deo sanctissimi atque invictissimi regis OTTONIS potentia, ut latius dicturi sumus, mutire non audet exterrita, nobis omnibus tunc temporis habebatur ignota. Quibusdam namque difficillimis separata a nobis erat interpositionibus, quas clusas nominat vulgus, ut neque ad meridianam neque ad occidentalem plagam exeundi habuerit facultatem. (An. 887-Dec. 900 Aug.) Per idem tempus Arnulfus rex potentissimus, defuncto Karolo praenomine Calvo, Bagoariis, Suevis, Francis Teutonicis, Lotharingis, audacibusque principabatur Saxonibus. Cui Centebaldus, Maravanorum dux, viriliter repugnabat (An. 892-893). Berengarius et Wido imperatores ob regnum Italicum conflictabantur (An. 888-894). Formosus Portuensis civitatis episcopus, Romane sedis summus et universalis papa habebatur (An. 891 Sept. 19, 896, Apr.). Sed nunc, quid sub unoquoque horum gestum sit, prout brevius possumus explicemus. 6. (An. 886-912.) Leo igitur, Grecorum piissimus imperator, cujus supra fecimus mentionem, Constantini scilicet hujus Porphyrogeniti pater, undique pace habita sancte et juste Grecorum regebat imperium. Porphyrogenitum autem non in purpura, sed in domo que Porphyra dicitur, natum apello. Et quoniam res processit in medium, quid de hujus Porphyrogeniti genesi audivimus, proferamus. 7. Constantinus imperator augustus, ex cujus nomine Constantinopolis est sortita vocabulum civitas τὸν οἴκον τούτον, ton icon touton, id est domum istam, edificare jussit, cui Porphyra nomen inposuit; voluitque successuram nobilitatis suae sobolem istic in lucem prodire, quatinus, qui suo ex stemate nascerentur, luculenta hac apellatione Porphyrogeniti dicerentur. Unde et hunc Constantinum, Leonis imperatoris filium, ex ejus sanguine nonnulli dicunt originem ducere. Veritas autem rei hujus ita se habet. 8. Basilius imperator augustus, avus hujus, Macedonia humili fuerat prosapia oriundus, descenditque Constantinopolim τῆς πτοχείας, tis ptochias, quod est paupertatis, jugo, ut cuidam serviret igumeno, id est abbati. Igitur imperator Michahel qui tunc temporis erat, cum orationis gratia ad monasterium istud, in quo hic ministrabat. descenderet, vidit hunc forma praeter ceteros egregia, accitumque τὸ ἡγουμενον, ton igumenon, id est abbatem, rogavit, ut se donaret hoc puero; quem suscipiens in palatio, cubicularii donavit officio. Tante denique post paululum potestatis est factus, ut alter ab omnibus imperator sit apellatus 9. Verum quia omnipotens Deus servos suos justa visitat vult quacumque censura, hunc imperatorem Michahelem sanae mentis ad tempus non esse permiserat, ut quo hunc gravius premeret in infimis, eo misericordius remuneraret in summis. Nam, ut fertur, hujus tempore passionis familiares etiam capitis jusserat damnare sententia. Quos tamen ad sese rediens hoc pacto requirebat, ut nisi quos jugulare jusserat redderentur, pari ipsi qui hoc effecerant sententia damnarentur. Hoc igitur terrore quos damnare jusserat, servabantur. Sed cum hoc sepius et iterum Basilio faceret, hujusmodi a sibi obsequentibus, pro nefas, accepit consilium: « Ne forte insana regis jussio aliquando ex industria a te non diligentibus, immo odio habentibus, impleatur, eum tu potius occidito, atque imperialia sceptra suscipito. » Quod sine dilatione, cum terrore compulsus, tum et regnandi cupiditate deceptus, complevit. Hoc itaque interfecto, factus est imperator Basilius. 10. (An. 886-912). Denique parvo transacto tempore, huic dominus noster Jesus Christus per visionem apparuit, domini hujus imperatoris, cujus hic necis auctor extiterat, dexteram tenens, eumque ita conveniens: ἱνα τί ἔσφαζες τὸν δεσπότην σοῦ βασιλέα? « ina ti esfases ton despotin su basilea, » quod est: « ut quid interfecisti dominum tuum imperatorem? » Expergefactus itaque, tanti se reum novit esse reatus; moxque ad sese rediens, quid super hoc faceret cogitabat. Confortatus itaque hac Domini nostri per prophetam salubri et vere acceptabili promissione, quia « in quacumque die peccator ingemuerit, salvus erit (Ezech. XXXIII, 12), » cum lacrimis et gemitibus se peccatorem, se reum, se sanguinis innocentis effusorem esse confitebatur. Bono autem consilio accepto, amicos sibi de mamona iniquitatis effecerat, ut quos hic temporalibus subsidiis consolaretur, eorum precibus ab aeterno gehenne incendio liberaretur. Fabricavit autem praecioso et mirabili opere justa palatium, orientem versus, aecclesiam quam Nean, hoc est novam, vocant, in honore summi et celestis militie principis, archangeli Michahelis, qui Grece archistratigos apellatur.
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CHAPITRE IIQui fut alors Pape, & quels étaient les princes de la terre, & qu'ont fait Léon & Basile qui fut d'abord valet d’un moine & ensuite associé à l’Empereur Michel & comment il fut tué par lui. Et le Christ apparut menaçant à Basile, qui pour pénitence fit construire un temple à Saint Michel. C'est alors que régnait Léon Porphyrogénète, fils de Basile, & père de ce Constantin qui vit encore & règne glorieusement. Siméon régnait sur les Bulgares, il était chrétien mais fort ennemi de ses voisins les grecs. Alors personne ne connaissait encore la nation des Hongrois,[2] dont à présent toutes les nations ont éprouvé la cruauté, mais que pourtant la puissance du saint Roi Othon fait aujourd’hui contenir dans de justes bornes ainsi que nous le dirons plus bas, car alors cette nation était séparée de nous par de certaines interpositions que le peuple appelé Clusos, en sorte qu'elle ne pouvait sortir ni par l'occident ni par le midi. Alors, Arnulph, Roi très puissant succéda à Charles surnommé le chauve, & régna sur les Bavarois, les Suèves, les Francs, les Teutons, les Lorrains, & les Saxons audacieux. Mais Zwentebald Duc des Maravaniens fut toujours son ennemi & combattit vaillamment contre lui. Gui & Béranger combattaient pour le Royaume d'Italie. Formose, évêque de la. ville de Porto, fut fait Pape universel du siège de Rome et à présent nous expliquerons en aussi peu de mots qu'il nous sera possible tout ce qui est arrivé sous leurs règnes. 6. Or donc Léon, père de Constantin Porphyrogénète qui règne aujourd'hui régnait alors glorieusement, saintement, & avec justice & ayant la paix avec tout le monde. Or j'appelle celui-ci Porphyrogénète non pas parce qu'il est né dans la pourpre, mais à cause d'un palais qui s'appelle Porphyra, & puisque ceci se trouva sur notre chemin, nous dirons en passant ce que nous avons pu apprendre sur cette naissance Porphyrogénète. 7. L’Auguste Empereur Constantin qui a donné son nom à la ville a fait bâtir ce palais, & l’a appelé Porphyra, & a voulu que tous ses descendants naquissent dans ce palais, afin qu'ainsi tous ceux qui devaient naître de lui, pussent porter le nom pompeux de Porphyrogénète, & quelques-uns disent aussi que Constantin qui règne aujourd'hui, tire son origine de l'autre. Mais voici la vérité. 8. L'Empereur Basile son aïeul était d'une famille pauvre de Macédonie, & descendit à Constantinople tes penias zugo c'est à dire sous le joug de la pauvreté, & il servait un certain abbé. L'Empereur Michel qui régnait alors, alla dans ce monastère pour faire ses dévotions, & vit ce jeune homme dont la beauté le frappa & il le demanda à l'abbé; dans la suite il lui donna l'office de cubiculaire, & bientôt après il acquit tant d'autorité que tout le monde l'appelait le second Empereur. 9. Mais Dieu visite ses serviteurs, & leurs inflige les pénitences qu'il veut & sa volonté fut que l'Empereur Michel fut pendant quelque temps privé de sa raison, & ainsi il le punissait dans les petites choses afin de le récompenser d'autant plus dans les grandes. Or donc l'on dit que lorsque cet Empereur avait son accès, il faisait couper la tête à quelqu'un de ses amis, & puis quand l'accès était passé, il redemandait la même personne, & si on ne la rendait pas, il faisait décapiter ceux qui avaient exécuté ses ordres, de sorte qu'ensuite on conserva la vie de ceux qu'il condamnait. Mais comme l'Empereur avait déjà joué plusieurs de ces tours à Basile, celui-ci écouta les conseils de ceux qui lui dirent : « Prenez garde qu'une foi les ordres du Roi, ne soient provoqués & exécutés par vos ennemis. Tuez-le plutôt & emparez-vous du sceptre impérial. » — Basile effrayé d'un côté & ambitieux de l'autre, exécuta ce dessein & fut fait Empereur. 10. Peu de temps après notre seigneur Jésus-Christ lui apparut tenant la main droite de l'Empereur assassiné, & il lui dit : « Pourquoi as tu tué ton Roi? c'est-à-dire ton empereur. » Basile s'éveillât en sursaut & sachant bien qu'il était coupable de ce grand crime, il songeait à ce qui lui restât à faire, mais il fut encouragé par ces mots du prophète. « Quelque soit le jour du repentir le pécheur sera sauvé. » Alors Basile pleura, gémit & confessa hautement qu'il était coupable, pécheur, & verseur du sang innocent, & ayant suivi de bons conseils, il se fit des amis qu'il consolait par des subsides temporels, & qui par leurs prières le délivraient du feu éternel de la géhenne ; car il fit bâtir une église d'un travail précieux & admirable, à coté du palais vers l'orient, on l'appelle la neuve, elle est consacrée à saint Michel Archange prince de la milice céleste, ce que les grecs rendent par le mot de Archistratégos.
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CHAPITRE III. 11. Nunc autem non pigeat libellulo huic res duas, quas ejusdem Basilii filius, memoratus Leo imperator augustus, memoria risuque dignas egit, inserere. Constantinopolitana urbs, quae prius Bizantium, nova nunc dicitur Roma, inter ferocissimas gentes est constituta. Habet quippe ab aquilone Hungarios, Pizenacos, Chazaros, Rusios quos alio nos nomine Nordmannos apellamus, atque Bulgarios nimium sibi vicinos; ab oriente Bagdas; inter orientem et meridiem Egipti Babiloniaeque incolas; a meridie vero Africam habet et nominatam illam nimium vicinam sibique contrariam insulam Crete. Caetere vero quae sunt sub eodem climate nationes, Armeni scilicet, Perses, Chaldei, Avasgi, huic deserviunt. Incolae denique civitatis hujus, sicut memoratas gentes divitiis ita etiam sapientia superexellunt. Moris quippe eorum est, ne a vicinis gentibus obprimantur; singulis quibusque noctibus per totius civitatis bivium, trivium, quadruviumque armatos milites causa custodiendae civitatis, qui eam invigilent, ponere. Fitque, ut si post crepusculum quemquam deambulantem aliquo custodes offenderint, captus protinus verberibusque cesus, custodia pervigili, compedibus in carcere strictus, usque in crastinum ad publicum producendus servetur. Hoc denique pacto non solum ab hostibus, verum etiam a latronibus inlesa civitas custoditur. Leo itaque imperator augustus vigilum fidem constantiamque probare volens, solus post crepusculum e palatio descendens, ad primam pervenit custodiam. Quem ut vigiles fugientem et quasi metu se declinantem viderunt, comprehensum, quis esset quove pergeret, interrogarunt. Qui, e multis unum se esse et lupanar petere, dixit. Cui mox: « Cesum te acriter, inquiunt, compedibusque strictum usque in crastinum reservabimus. » Quibus respondit: « Mgr ἡ ἀδελφοῖ μή, mi, adelfi, mi, quod interpretatur: nequaquam, fratres, nequaquam; accipite quod porto, permittite ire quo volo. » Qui duodecim acceptis aureis, eum protinus dimiserunt. Inde vero transiens, ad secundam venit custodiam. Quo quemadmodum et in prima captus, datisque aureis est dimissus. Ad tertiam deinde dum venisset, est captus: verum non ut primo ac secundo datis aureis est dimissus; sed ablatis omnibus, compedibusque graviter strictus, pugnis flagrisque diu verberatus, custodia usque in crastinum producendus servatur. His itaque discedentibus, custodem imperator ad sese carceris vocans: « φίλε μου, file mu, quod est amice mi, inquit, Leonem imperatorem nostin?--Qui, infit, noscere possim, quem vidisse me non meminerim? Ad publicum sane, raro quamquam, dum procedit, a longe, quia propter nequeo, cum intueor, mirabile quiddam et non hominem videre videor. Dare autem te operam, quo hinc inlesus exeas, quam id percontari, tibi commodius est. Non aeque vos, σὲ εἰς τὴν φιλάκην καὶ αὐτὸ εἰς τὸ χρυσοτρίκλιον, se is tin filakin ke auton is to chrisotriclinon, te in carcere, et illum in aureum triclinium, fortuna fovet. Parva sunt haec, graviora addantur vincula, ne sit spatium de imperatore meditandi. » Cui: « Desine, inquit, desine; ipse enim sum Leo imperator augustus, qui de palatii dignitate non bono omine prodii. » Carceris autem custos, sperans non vera esse quae dixerat: « Egon', inquit, hominem inpurum, bona sua cum meretricibus abligurrientem, imperatorem credam? Quoniam temet tu neglexisti pro te ego dispitiam mathesin. Mars trigonus, Saturnus Venerem respicit, Juppiter quadratus, Mercurius tibi iratus, Sol rotundus, Luna in saltu est, mala Fortuna te premit. » Imperator vero: « Ut, inquit, vera probes esse quae dico, dum matutinale dederint signum, ante enim non ausi sumus, mecum ad palatium potiori quam ego descenderim omine venito. Si me ut imperatorem non istic recipi videris, occidito. Non minoris quippe criminis erit, me imperatorem dixisse si non sum, quam aliquem occidisse. Si vero te ob id mali quicquam pati formidas, haec fatiat mihi Deus et haec addat, si non potius praemium quam pro hac re sumes supplitium. » Igitur credulus carceris custos effectus, dato, ut imperator dixerat, matutinali signo, eum ad palatium usque comitatur. Cumque eodem venisset, mirabiliter sicut a se noscentibus susceptus, comitem suum exanimatum admiratione nimia reddidit. Sane dum dignitates omnes huic occurrere, laudes reddere, adorare, soccos detrahere, alia atque alia pro se quemquam facere contemplaretur, emori ei tunc atque vivere satius esset. Cui imperator: « Contemplare, inquit, nunc mathesin et si vere quo huc adveneris omine dixeris, veram te augurandi scientiam habere probabis. Prius tamen quaeso, quid morbi sit, proferas, quod te tam pallidum reddidit. » Cui: Parcarum, infit, obtima Cloto jam nere desinit; Lachesis vero in torquendo laborare amplius non cupit, sevissima autem harum Atropos articulos jam in condilum solam imperii tui sententiam expectat, ut fila contrahens rumpat. Palliditatis autem vultus mei causa est, animam a capite descendisse, secumque in inferiorem corporis partem sanguinem perduxisse. » Subridens igitur imperator: « Recipe, inquit, animam, recipe, et cum hac bisbinas aureorum libras adsume; nulli vero de me, nisi aufugisse, respondeas. » His ita gestis, imperator vigiles, qui se captum dimiserant, quique caesum custodiae manciparant, venire praecepit. Quibus et ait: « Vigilantibus vobis custodiamque civitati praebentibus, numquid fures aliquando adulterosque offenditis? » Qui eum praetio accepto dimiserant, nil se vidisse responderant ; qui vero caesum illum custodiae manciparant, ita responderant : « Praecepit δεσποτία σοῦ ἡ ἅγια, despotia sui agia, id est dominatio tua sancta, ut si vigiles post crepusculum quemquam aliquo deambulantem offenderent, captum protinus verberibusque caesum custodiae traderent. Tuis itaque, dominator sanctissime, jussionibus nos parentes, hac, quae praesentem praecessit diem, nocte quendam lupanaria percurrentem cepimus, flagellavimus, carcerique impositum imperio tuo sancto producendum servavimus. » Quibus imperator: « Cito, inquit, ut in medium producatur, potestas imperii mei etiam atque etiam imperat. » Nec mora, vinctus ut ducatur, percurrunt. Quem dum aufugisse audirent, semivivi ad palatium sunt reversi. Quod cum nuntiassent imperatori, mox imperator se exutum nimisque iis cesum ostendens: « Δεύτε, deute, id est venite, inquit, μὴ διληασέται, mi diliasete, nolite formidare; ipse ego sum quem flagellastis, quemque e carcere nunc aufugisse confiditis. Scio enim et vere credo, quod non imperatorem sed imperatoris inimicum tundere cogitastis. Hos qui me non ut imperatorem, sed ut latronem viteque meae insidiatorem dimisere, mortetenus verberatos urbe expelli, bonisque omnibus privari, mea non solum cupit, verum etiam jubet auctoritas. Vos autem meis non solum, sed horum etiam perversorum divitiis dono. » Quod quam prudenter egerit, paternitas tua in hoc animadvertere poterit, quoniam caeteri extunc civitatem diligentissime custodire, hunc etiam absentem quasi praesentem sperare. Sicque factum est ut et imperator amplius de palatio noctu non descenderet, et sui omnia fideliter custodirent. |
CHAPITRE IIIDes différents noms de Constantinople, de sa situation, des peuples qui habitent dans les environs. De la garde de nuit établie par l’Empereur Léon, & comment ce Prince, déguisé en jeune libertin, corrompit deux de ces gardes & fut mis en prison par la troisième, & comment il punit les deux premières, & combla d’honneurs la dernière. 11. JE veux aussi inférer dans mon livre, deux choses mémorables qu'a faites l'Auguste Empereur Léon fils de Basile. La ville de Constantinople jadis appelée Byzance, & aujourd’hui Rome nouvelle est entourée des nations du monde les plus féroces. Au nord sont les Hongrois, les Patzinaces, les Chazares, les Russes que nous appelons Nordmans, & enfin les Bulgares, qui sont très proches voisins. A l'orient est Bagdad. Entre l'orient & le midi sont les habitants de l'Egypte & de Babylone. Au midi est l'Afrique & l'île ennemie de Crète. Mais les autres nations de ces climats lui obéissent, tels sont les Arméniens, les Perses, les Chaldéens, les Avasges. Et les habitants de cette ville surpassent toutes ces nations en richesses autant qu'en science. Et leur coutume afin de n'être point surpris par ces nations, est de mettre des soldats armés dans tous les carrefours & toutes les nuits pour y faire la garde. Et si après le crépuscule l'on trouve quelqu'un dans les rues, il est aussitôt pris, battu, & conduit à la garde où on lui met les fers aux pieds, & où il reste jusques au lendemain qu'il est produit en public. De cette manière la ville est gardée contre les voleurs aussi bien que contre les ennemis. Or donc l'Empereur Léon voulant éprouver la fidélité & la constance des gardes, sortit du palais après le crépuscule & vint à la première garde. Les gardes le voyant fuir & les éviter, l'arrêtèrent & lui demandèrent où il allait. Léon répondit qu'il était un homme tel qu'il y en a beaucoup d'autres & qu'il allait dans un lieu de débauche. Alors les gardes lui dirent : « Nous vous battrons d'importance, & puis nous vous mettrons 'aux fers, & nous vous garderons jusques au lendemain. — N'en faites rien mes frères, leur dit Léon, mais prenez plutôt l'argent que j'ai sur moi & laissez-moi aller où je voudrai. » Les gardes acceptèrent douze pièces d'or & laissèrent aller Léon, qui alla à la seconde garde; où il fut également saisi & ensuite relâché après qu'il eut donné vingt pièces d'or. Puis Léon vint à la troisième garde, mais il n'y fut point relâché comme dans les deux premières, mais au contraire on refusa tout ce qu'il voulut donner, on le mit aux fers, on le battit à coup de poings & fouets, & on le mit en prison pour le produire le lendemain. Les gardes s'étant retirés, l'Empereur fit venir le geôlier de la prison & lui dit : « Mon ami connaissez-vous l'Empereur Léon? » — Celui-ci répondit : « Comment le connaîtrai-je? je ne me rappelle pas de l'avoir jamais vu. Je vais peu en public, & quand je vois l'Empereur c'est de loin, parce qu'il ne m'est pas permis de l'approcher. Mais vous êtes un singulier homme. Il me semble qu'il vous serait plus avantageux de songer à sortir d'ici, plutôt qu'à parler de l'Empereur, qui est mieux couché que vous. Mais pour que vous abandonniez ce sujet de méditation, je vais vous mettre des fers plus pesants. — Laissez cela, dit l'autre, car je suis moi même l'Empereur Léon, qui ai quitté les honneurs du palais sous de mauvais auspices. » — Le geôlier s'imaginant que cela n'était pas vrai lui dit : « Comment voulez-vous que je prenne pour l’Empereur un homme impur, qui mange son bien avec les courtisanes, mais si vous avez négligé d'observer les astres avant de sortir, moi je n'en méprise pas l'horoscope; car Mars est en triangle, Saturne est en conjonction avec Venus. Lorsque Jupiter est en carré, Mercure est fâché contre toi. Le soleil rond, & la lune à son premier quartier ne promettent rien de bon. »— Alors l'Empereur répondit : « Nous n'osons pas sortir à présent, mais lorsque l'on aura donné le signal du matin, venez avec moi au palais, sous des auspices meilleurs que ceux qui m'en ont fait sortir. Si vous voyez qu'on ne m'y reçoive point comme un empereur, tuez-moi, & je le mériterai si je dis que je suis l'Empereur & que je ne le suis pas. Mais ne craignez point qu'il vous arrive aucun mal, Dieu me sera en aide & vous serez récompensé & non pas puni. » Le Geôlier commençant à croire, attendit le signal du matin & conduisit l'Empereur au Palais. Celui-ci fut reçut avec le respect accoutumé, & son compagnon en devint plus mort que vif, & il pensa qu'il vaudrait mieux pour lui être mort. Surtout lorsqu'il vit tous les dignitaires empressés à le louer, l'adorer, lui ôter son manteau, enfin faire tout ce qui regardait l'office d'un chauqu'un. Alors l'Empereur lui dit : «Vois à présent si ton horoscope est fait avec exactitude. Mais auparavant dis-moi quelle est ta maladie car tu es tout pâle. » Alors le geôlier répondit. Clotho la meilleure des parques ne veut plus filer, Lachésis refuse de travailler davantage. Et la cruelle Atropos n'attend que votre sentence pour rompre le fil de mes jours. La cause de ma pâleur est que mon âme a quitté ma tête, & descendant dans les parties inférieures, de mon corps elle y a conduit mon sang. » L'empereur souriant lui dit : « Reprends, reprends ton âme, & avec elle deux fois deux livres de pièces d'or, & tu n'auras point à répondre de moi, puisque tu ne t'es point enfui. » — Ensuite l'Empereur fit venir & ceux d'entre les gardes qui l'avaient laissé échapper, & ceux qui l'avaient mis en prison, puis il leur dit : « Pendant que vous avez eu la garde de la ville, n'avez-vous pas rencontré des voleurs ou des adultères? Ceux qui l’avaient relâché pour de l'argent, répondirent qu'ils n’avaient rien vu, mais ceux qui l'avaient battu & mis en prison répondirent ainsi : « Despoteia su agia, c'est-à-dire votre sainte domination a ordonné que tous ceux qui seraient trouvés dans les rues, après le crépuscule, eussent à être battus & mis en prison, or donc saint dominateur voulant obéir à vos lois, nous avons pris hier un homme qui allait dans les mauvais lieux, nous l'avons battu, & nous l'avons mis en prison pour pouvoir le produire à votre commandement. » — Alors l'Empereur dit : « La puissance de mon empire ordonne, que cet homme soit amené ici tout de suite. » — Les gardes vont le chercher, mais ne le trouvant plus, ils reviennent au palais plus morts que vifs & annoncent que cet homme s'est enfui. Alors l'Empereur se déshabilla, & montrant les marques des coups qu'il avait reçu, dit : « Approchez & ne craignez rien, c'est moi que vous avez battu & qui me suis échappé de la prison. Je sais & je crois que vous imaginiez de battre, non pas l'Empereur, mais un ennemi de l'empereur. Mon autorité non seulement désire, mais veut que ceux qui m'ont relâché lorsque je leur semblais un voleur & un conspirateur, elle veut dis-je, qu'ils soient battus, & ensuite chassés de la ville & privés de leurs biens. Et vous non seulement je vous fais part de mes richesses, mais je vous donne toutes celles de ces pervers. » Or donc votre paternité peut imaginer que la ville fut toujours bien gardée depuis, cependant l'Empereur ne fut plus tenté de sortir la nuit de son palais & pourtant on veillait fidèlement à sa sûreté,
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CHAPITRE IV 12. Alium quem ipse egit ludum, silentio tegi absurdum esse dijudico. Constantinopolitanum palatium ob imperatoris salutem multorum praesidiis militum custoditur. Custodientibus vero victus censusque cottidianus non parvus inpenditur. Contigit itaque, post corporis refectionem in ipso diei fervore una in domo quiescere. Mos denique imperatoris erat, cunctis quiescentibus totum perreptare palatium. Qui cum eodem, die quadam quo memorati loethoeo sese dederant, pervenisset, ligno modico, ut non incallidus, ostii pessulo projecto ingrediendi sibi aditum praebuit. Undecim vero dormientibus, ut ars artem falleret duodecimus pervigil stertere ceu dormiens ceperat, contractisque in faciem brachiis, totum quod imperator faceret diligentissime considerabat. Ingressus igitur imperator, dum obdormire cunctos perspiceret, aureorum numismatorum libram pectori uniuscujusque apposuit ; moxque clam regressus, ostium, ut prius fuerat, clausit. Eo autem hoc egit, quatinus exitati et de lucro gratularentur, ac qualiter hoc accideret non mediocriter mirarentur. Denique discedente imperatore, qui vigil solus extiterat surrexit, dormientiumque nummos aureos sibi adsumpsit atque reposuit; postea vero quieti sese dedit. Imperator igitur pro hoc ludo sollicitus, post nonam horam 12 hos quos nominavimus ad se venire praecepit, eosque ita convenit: « Si forte vestrum quempiam somnii visio deterruit aut hilarem reddidit, ut in medium proferat mea jubet auctoritas; nec minus etiam si quid novitatis expergefactus quisquam vidit, ut detegat, imperat. » Hi itaque, quemadmodum nihil viderant, nil se vidisse responderant. Magis autem super hoc admirati, Conticuere... intentique ora tenebant. Sperans igitur imperator, hos non rei inscitia sed calliditate aliqua reticere, suscensus est ut qui magis, cepitque nonnulla terribilia reticentibus comminari. Quod qui omnium conscius erat ut audivit hujusmodi humillima et supplici voce imperatorem convenit: « Φιλάνθρωοε βασιλεῦ, filanthrope vasileu, id est humanissime imperator, hi quid viderint, nescio; ego tamen delectabile, atque utinam quod persaepe mihi contingeret, somnium vidi. Undecim his conservis meis hodie vere sed non oportune dormientibus, visus sum, quasi non dormiens, vigilare. Ecce autem magnitudo imperii tui quasi occulte ostium reserans, clanculumque ingressa, libram auri adposuit supra pectus omnium nostrum. Cumque imperium tuum quasi repedare, sotiosque hac in visione cernerem dormitare, continuo ceu letus exurgens, undecim dormientium aureorum numismatorum libras tuli, meoque in marsupio, in quo una erat, apposui, quatinus ob transgressionem decalogi, ne solum essent 11, verum ad memoriam apostolorum mea una adhibita essent et ipse 12. Visio haec, imperator auguste, bonum sit, usque modo me non deterruit, sed hilarem reddidit. O utinam interpretatio alia imperio tuo non placeat. Nam et me μαντήν καὶ ὀνιρόπολον, mantin ke oniropolon, id est divinum et somnii venditorem, esse liquido patet. » His auditis, magno est imperator cachinno inflatus; verum prudentiam hujus atque sollicitudinem plus admiratus, protinus infit. « Antehac σὲ οὐτὲ μάντην οὐτε ὀνιρόπολον, se ute mantin ute oniropolon, id est te neque divinum neque somnii venditorem esse, audivi. Hanc vero rem nunc ita aperte dixti, ut nihil circuitionis usus esses. Sed quia vigilandi facultatem sive auspicandi scientiam habere non posses, nisi divino tibi esset munere datum, seu verum sit, ut speramus, immo credimus, seu falsum, καθὼς ὁ Λουκιανος, cathos o lukianos, id est sicut Lucianus de quodam dicit, quod dormiens multa reppererit, atque a gallo exitatus nihil invenerit, tu tamen quicquid videris, quicquid senseris, quicquid etiam inveneris, tuum sit. » His auditis, quanta caeteri sint confusione repleti, quantoque hic sit gaudio plenus, eorum quisque in se personas suscipiens, animadvertere poterit.
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CHAPITRE IVD’un autre tour de l’Empereur Léon, où il récompensa l'un des douze gardes de son corps & punit les autres de ce qu'ils étaient trop endormis. JE crois qu'il serait absurde à moi de passer sous silence un autre tour du même Empereur. Il faut savoir que le palais de Constantinople est gardé par beaucoup de soldats, qui veillent à la sûreté de l’empereur, & tous les jours on leur donne des vivres & une paye non modique. Or il arriva que douze de ses gardes, après avoir mangé, furent mis de garde dans la plus grande chaleur du jour & l'Empereur avait la coutume de parcourir le palais lorsque tout le monde reposait, & il arriva à l'endroit où ces douze gardes se livraient au sommeil du Léthé, alors comme il était rusé, il introduisit un petit morceau de bois dans la serrure de la porte & entra par ce moyen. Onze des gardes dormaient, mais le douzième faisait semblant de dormir, & avait les mains sur le visage, ou peut être s'éveillât-il dans ce moment & ne le fit-il point paraître, mais il examina attentivement tout ce que disait l'Empereur. Celui-ci étant entré, voyant que tout le monde dormait, mit une livre de pièces d'or dans le sein de chacun des gardes, puis sortit & referma la porte. Et il fit cela afin que les gardes, en s’éveillant, y admirassent cette bonne fortune & pussent s'en féliciter, sans la comprendre. Mais l'Empereur étant sorti, le garde éveillé se leva, prit tout l'or de ceux qui dormaient & se remit à sa place. Cependant l'Empereur qui était curieux de savoir l'effet de sa plaisanterie, neuf heures étant passées, fit venir ses douze gardes & leurs parla en ces termes : « Mon autorité vous ordonne d'avouer ici, si votre sommeil a été interrompu par quelque vision, qui vous ait attristé ou rendu joyeux, ou bien si vous avez vu quelque chose d'extraordinaire en vous éveillant, je vous ordonne également de l'avouer. » —-Ceux qui n'avaient rien vu répondirent qu'ils n'avaient rien vu, puis étonnés de cette question, ils restèrent la bouche ouverte, l'Empereur croyant qu'ils ne parlaient pas vrai, mais qu'ils se taisaient par fourberie, se fâcha & fit à ces pauvres gens des menaces terribles Celui qui avait tout vu, s'adressant à l'Empereur d’une voix humide & suppliante lui parla en ces termes : Empereur très humain, je ne sais ce que ces gens là ont pu voir, mais pour moi j'ai eu un songe si agréable que je voudrais en avoir un semblable tous les jours. Il me sembla que mes onze compagnons qui ne s'endorment pas ordinairement, s'étaient endormis aujourd'hui fort à propos pour moi, tandis que moi-même il me semblait que j'étais éveillé, alors je crus voir votre hautesse impériale, ouvrir doucement la porte, mettre une livre d'or dans le sein de chacun de nous, & puis s'en aller en silence & refermer la porte. Voyant donc que votre domination n'y était plus, & que mes compagnons ronflaient toujours; je me levai joyeux. Je pris leurs onze livres d'or & je les mis dans la poche où était la mienne, ce que je fis en mémoire des apôtres, parce que ma livre d'or jointe aux onze autres faisaient douze. » Je ne sais point Auguste Père si cette vision est bonne, ou ne l’est pas, mais elle m'a rendu très joyeux. Plut à Dieu que votre domination ne donne point une autre interprétation à ce songe. Car je vois clairement que je suis vendeur & devin de ce songe. — L'Empereur étouffait d'envie de rire mais plein d'admiration pour la prudence & l'exactitude de cet homme, il lui dit : « Nous n'avions point entendu dire jusques à présent que tu fusses devin ni vendeur de songes, mais tu nous a expliqué la chose ouvertement & sans aucun détour. Mais comme tu ne peux point avoir la faculté de veiller sans la science de deviner à moins que le ciel ne t'en n'aie accordé le don, soit que cela fait vrai comme nous le croyons & l'espérons, ou que cela soit faux, car on raconte de quelqu'un qu'il avait acquis de grands biens en dormant mais qu'il ne trouva plus rien lorsque le chant du coq l'eut éveillé. Quoiqu'il en soit tout ce que tu as vu ou trouvé t'appartient— Or donc si ceux-là furent confus, & si celui-ci fut content, c'est ce que l'on jugera facilement si l'on veut se mettre un moment à leur place.[3]
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CHAPITRE V 13. Arnulfus interea (an. 892), earum quae sub arcturo sunt gentium rex fortissimus, cum Centebaldum Maravanorum ducem, quem supra memoravimus, sibi viriliter repugnantem debellare nequiret, depulsis his, pro dolor! munitissimis interpositionibus, quas vulgo clusas nominari praediximus, Hungariorum gentem, cupidam, audacem, omnipotentis Dei ignaram, scelerum omnium non insciam, caedis et rapinarum solummodo avidam, in auxilium convocat; si tamen auxilium dici potest, quod paulo post, eo moriente, cum genti suae, tum caeteris in meridie occasuque degentibus nationibus, grave periculum, immo exitium fuit. Quid igitur? Centebaldus vincitur, subjugatur, fit tributarius; sed non solus. O cecam regnandi Arnulfi regis cupiditatem! o infelicem amarumque diem! Unius homuntii dejectio fit totius Europae contricio. Quot mulieribus viduitatem, patribus orbitatem, virginibus corruptionem, sacerdotibus populisque Dei captivitatem, ecclesiis desolationem, terris inhabitantibus solitudinem, ceca ambitio paras! Legistin', obsecro, ipsius Veritatis verba dicentis. Quid prodest homini, si totum mundum lucretur, anime vero suae detrimentum patiatur; aut quam dabit homo cummutationem pro anima sua? (Matth. XVI.) Quod si te veri judicis non terruit severitas, ipsa saltem furorem tuum humanitatis temperaret communitas. Eras enim inter homines homo, si dignitate sublimis, non tamen natura dissimilis. Flebilis hec miserabilisque conditio, cum illa bestiarum serpentium seu alitum genera quae intollerabilis feritas ac loetale virus ab hominibus separata esse facit, ut sunt basilisci, reguli, vel rinocerotes, seu gripes, quae etiam aspectu ipso cunctis pernitiosa esse videntur, inter sese tamen pro origine ipsius affectionisque consortio pacata et innoxia perseverant; homo autem, ad imaginem similitudinemque Dei formatus, legis Dei conscius, rationis capax, non solum proximum non amare juvat, sed et odisse plurimum valeat. Videamus igitur, quid Johannes, non quilibet, sed virgo ille egregius, secreti celestis conscius, cui Christus in cruce matrem Virginem virgini commendavit, super talibus dixerat: Qui odit fratrem suum, homicida est; et scitis quia omnis homicida non habet vitam aeternam in se manentem (I Joan. III). Sed redeamus ad rem. Devicto namque Centebaldo Maravanorum duce, Arnulfus, pace habita, regno potitur. Hungarii interim observato exitu, contemplatique regionem, cordibus malum, quod post in propatulo aparuit, machinabantur (an. 893). |
CHAPITRE VD'Arnulf qui vainquit Zwentebald par le moyen des Hongrois. Folle témérité qui a ouvert les voies à cette nation pernicieuse pour subjuguer les Chrétiens. Cependant le vaillant Arnulf était Roi de ces nations qui sont sous la constellation d'Arcturus, mais il ne pouvait vaincre Zwentebald Duc des Maravaniens dont nous avons fait mention plus haut. C'est pourquoi il appela à son secours les Hongrois, nation cupide, audacieuse, ne connaissant point Dieu, mais instruite dans tous les genres de scélératesse, avide de meurtres & de rapines. Et il fut permis à ces gens-là de passer les obstacles fortifiés que nous appelons communément Clusas. Mais peut-on appeler secours, ce qui après la mort d'Arnulf devint la perte de sa nation & de tout le midi & l'occident En un mot Zwentebald fut vaincu, subjugué, tributaire. O soif aveugle de régner, jour malheureux & amer! l'humiliation d'un pauvre petit homme, devint la contrition de toute l'Europe. Combien de femmes devinrent veuves, combien de pères pleurèrent leurs enfants, combien de vierges furent corrompues, combien de prêtres & d'hommes de Dieu furent conduits en captivité. Combien de terres habitées furent changées en solitudes! ô ambition aveugle voila ce que tu produis! Mais dis-moi, as tu lu les paroles suivantes, de la vérité : Importe-t-il à l’homme d'acquérir le monde entier si son âme souffre quelque atteinte? Et qu'est ce que l'homme donnera en échange de son âme? — Car si tu n'est point effrayé par la sévérité du véritable juge. l'humanité qui t'est commune avec ceux que tu persécutes, devrait tempérer ta fureur. Car si tu es au-dessus d'eux par tes dignités, tu leurs es semblable par ta nature. Déplorable, misérable condition, semblable à celle des bêtes féroces, des serpents, des oiseaux de proie, qui font séparés des hommes, par leur cruauté intolérable, & leur mortel venin, & tels sont les Basilics, qui en latin s'appellent Reguli, les Rhinocéros, les Grisons. Toutes ces espèces sont pernicieuses par leur seul regard mais comme elles ont la même origine, elles observent les lois de la parenté & ne se font point de mal entre elles. Et l'homme qui est créé à l'image & à la ressemblance de Dieu, qui connaît sa loi, qui est capable de raison, non seulement n'aime pas son prochain, mais ne peut s'empêcher de le haïr. Voyons ce qu'en dit Jean, cet homme vierge, informé du secret céleste. Le Christ sur la croix lui recommanda sa mère, il remettait une vierge dans les mains d'une vierge, & il dit à ce propos : « Celui qui hait son frère est un homicide, & nous savons que la vie éternelle n’est point faite pour les homicides. » —Revenons à notre histoire. Zwentebald Duc des Maravaniens ayant été vaincu, Arnulf s’empara de son royaume. Et pendant ce temps-là les Hongrois qui avaient observé les issues, & examiné la contrée, commencèrent à machiner dans leurs cœurs tout le mal qu'ils ont fait depuis.
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CHAPITRE VI 14. Dum haec aguntur, rex Gallie Karolus, qui cognominatus est Calvus, praesentem moriendo an. 888, Jan. XIII) mutavit vitam. Cui dum viveret, nobiles duo ex Italia praepotentes principes serviebant, quorum Wido alter, alter dictus est Berengarius. Hi sane tanto sunt amicitiarum foedere glutinati, ut hoc sibi jurejurando promitterent, quod si regi Karolo superstites forent, alterius alter ordinationi coniveret, scilicet ut Wido quam Romanam dicunt Franciam, Berengarius optineret Italiam. Sed cum nonnulla sint incerta et instabilia amicitiarum genera, quae diversis modis humanum genus dilectionis societate conectunt, ut quosdam praecedens commendatio postmodum amicitiae facit inire commertia, alios negociationis seu militiae vel artis ac studii similitudo, quae etiam, sicut ex diversis, vel lucri, vel libidinis, vel necessitudinum variarum sotietatibus adquiruntur, ita intercedente qualibet divortii occasione solvuntur: hoc tamen est, hoc inquam amicitiae genus, quod multis experimentis est saepissime comprobatum, nullo modo eos qui amicitiarum foedus conjurationis iniere principio, indiruptam quivisse servare concordiam. Sane quidem callidissimus ille humano generi inimicus, ut homines praevaricatores sui faciat sacramenti, celerius sagatiusque ad inrumpendam amicitiam laborat. Quod si a minus recte sapientibus de vero amicitiarum genere percontamur, respondebimus, concordiam veramque amicitiam nisi inter emendatos mores ejusdemque virtutis et propositi viros stare non posse. 15. Contigit itaque, utrumque, Widonem scilicet atque Berengarium, Karoli regis funeri deesse. Cujus tamen interitum Wido ut audivit, Romam profectus, absque Francorum consilio totius Franciae unctionem suscepit imperii (an. 887 ex., 888 in.) Franci itaque Oddonem, quoniam Wido aberat, regem constituunt. Berengarius vero Widonis consilio, quemadmodum ei jurejurando promiserat, Italici regni suscepit imperium. Wido autem Franciam petit (an. 888, Jan. XIII). 16. Cumque Burgundionum regna transiens, Franciam quam Romanam dicunt ingredi vellet, Francorum nuntii ei occurrunt, se redire nuntiantes, eo quod longa expectatione fatigati, dum sine rege diu esse non possent, Oddonem cunctis potentibus elegerunt. Fertur autem hac occasione Francos Widonem regem sibi non adsumpsisse. Nam dum ad Metensem venturus esset urbem, quae potentissima in regno Lotharii claret, praemisit dapiferum suum, qui alimenta illi more regio praepararet. Metensis vero episcopus dum cibaria ei multa secundum Francorum consuetudinem ministraret, hujusmodi a dapifero responsa suscepit: « Si equum saltem mihi dederis, faciam ut tercia obsonii hujus parte sit rex Wido contentus. » Quod episcopus audiens: « Non decet, inquit, talem super nos regnare regem, qui decem dragmis vile sibi obsonium praeparat. » Sicque factum est ut Widonem desererent, Oddonem autem eligerent. 17. Francorum igitur non parum Wido perturbatus legationibus, nonnullis coepit cogitationibus aestuari, tam ex Italico regno Berengario jurejurando promisso, quam ex Francorum praesertim, quod poenitus se non posse sciverat adipisci. Inter utramque autem hanc aestuationem, quoniam Francorum rex esse nequibat, frangere quod Berengario fecerat jusjurandum deliberat; collectoque prout potuit exercitu--traxerat sane et a Francis quandam affinitatis lineam,--Italiamque concite ingressus, Cammerinos atque Spoletinos fiducialiter ut propinquos adit, Berengarii etiam partibus faventes, ut infidos pecuniarum gratia adquirit; itaque Berengario bellum parat. 18. Copiis denique utraque ex parte collectis, juxta fluvium Triviam, qui quinque Placentia miliariis extat, civile praeparant bellum. In quo cum partibus ex utrisque caderent multi, Berengarius fugam petiit, triumphum Wido obtinuit. 19. Nec mora, diebus interpositis paucis, multitudine Berengarius collecta, in Brixiae latissimos campos Widoni bellum preparat. Ubi cum maxima strages fieret, fuga sese Berengarius liberavit. |
CHAPITRE VIDe Widon (que et autres appellent Gui & d’autres Hugon). De son alliance avec le Duc Bérenger. Comment après la mort de Charles le chauve, Widon voulut se faire oindre Roi de la France Romaine, & Béranger Roi d'Italie, & comment les Francs s'étaient donnés Odon pour Roi, & de la cause légère pour laquelle les Francs avaient rejeté Widon. 14. Tandis que ces choses se passaient, Charles surnommé le Chauve échangea la vie présente contre la vie éternelle. Pendant sa vie il avait en Italie deux puissants feudataires l'un appelé Wido, & l'autre Bérenger. Ceux-ci s'étaient liés par un traité qui portait que s'ils survivaient au Roi Charles, l'un servirait l'ambition de l'autre, en forte que Wido eut la France Romaine, & Béranger l'Italie. Mais il y a plusieurs sortes d’amitiés incertaines & instables qui lient le genre humain, quelque fois l'amitié est produite par l'estime, quelques fois elle est fondée sur les intérêts du commerce, d'autre fois sur le goût de la milice, des arts, de l'étude, & elle s'acquiert dans les diverses sociétés que rassemble l'amour du gain, des plaisirs ou tel autre besoin de l'âme & ses sociétés sont dissoutes par quelque cause de séparation. Mais il y a un genre d'amitié que l'expérience a prouvé ne finir jamais que par la discorde, & c'est celui qui est fondé sur quelque conjuration, car alors l'ennemi rusé du genre humain travaille de toutes ses forces, à rompre cette amitié afin de faire fausser aussi les serments qui en sont la base. Car si nous consultons les sages sur l'amitié véritable, ils nous répondront qu'elle ne peut exister qu'entre des hommes de mœurs pures & qui ont les mêmes vertus & les mêmes sentiments. 15. Or donc il arriva que Wido & Bérenger ne se trouvèrent point aux funérailles du Roi. Mais dès que Wido apprit la nouvelle de sa mort, il alla à Rome & sans l'aveu des Francs il reçut l'onction de tout l'Empire des Francs. Pendant ce temps-là les Francs couronnèrent Odon, & Bérenger Roi d'Italie. Ensuite Wido prit le chemin de la France, & comme il passa par le pays des Bourguignons pour entrer dans la France appelée Romaine, il y rencontra les envoyés des Francs, qui lui dirent que ceux-ci fatigués d'une longue attente, & ne pouvant se passer de Roi plus longtemps avaient élu Odon. 16. Mais d'autres disent que ce ne fut point là l'occasion qui fit rejeter Wido, car ils racontent que ce Prince venant à Metz, ville capitale du royaume de Lothier, envoya devant lui son maître d'hôtel, pour lui préparer ses aliments à la façon royale. L'Evêque de Metz lui fit aussitôt présenter un grand nombre de viandes comme c'est l'usage des Francs, & le maître d'hôtel lui répondit ainsi : « Si vous me donnez vite un cheval, je ferai en forte que le Roi Wido se contentera de la troisième partie de ce festin. » — Mais l'Evêque répondit : « Il ne nous convient point d'avoir un Roi qui se contente d'un dîner de dix drachmes. Et ainsi ils refusèrent Widon & élurent Odon. 17. Cependant le Roi Wido troublé par l'ambassade des Francs, songea à ses engagements avec Béranger, & voyant qu'il ne pouvait pas régner sur ceux-ci, il songea à ôter à son allié le royaume d’Italie. C'est pourquoi il rassembla une armée, entra dans ce pays & commença à se faire des amis des Camerins & des Spolétins, favorisant également les partisans de Béranger, afin de les détacher de lui, & c'est ainsi qu'il lui déclara la guerre. 18. Les deux partis s'y préparent & rassemblent leurs forces sur la rivière de Trebie qui coule à cinq mille de Plaisance. Il y est plusieurs combats où Widon étant vainqueur, Béranger fut obligé de prendre la fuite. 19. Peu de teμps après Bérenger rassembla une grande multitude dans les champs de Bresse, & il s'y fit un grand massacre, après quoi Bérenger fut encore obligé de fuir.
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CHAPITRE VII 20. Jam vero Berengarius, cum Widoni resistere copiarum paucitate nequiret, potentissimum, quem praediximus, Arnulfum regem in auxilium rogat, promittens se suosque ejus potentiae servituros, si virtutis suae amminiculo Widonem superaret regnumque sibi Italicum vendicaret. Hujus plane tantae promissionis gratia accitus rex Arnulfus, filium suum Centebaldum, quem ex concubina genuerat, valido cum exercitu hujus in auxilium dirigit, veneruntque pariter omni sub celeritate Papiam. Wido vero ita fluviolum qui Papiam uno ex latere alluit, Vernavola nomine, tam sudibus quam exercitu munierat quatinus altera alteram, ipso medio discurrente, pars partem oppugnare nequiret. 21. Unus et vigesimus dies jam transierat, cum, sicut diximus, altera pars alteram nocere non posset; et Bagoariorum unus cottidie agminibus exprobrans Italorum, inbelles eos atque equitandi inscios clamitabat. Ad augmentum etiam dedecoris eos inter prosiliit, hastamque uni de manu excussit, sicque letus in suorum castra repedavit. Hubaldus igitur Bonefatii pater, qui post tempore nostro Camerinorum et Spoletinorum extitit marchio, tantum gentis suae cupiens dedecus vindicare, clipeo accepto, praedicto mox obviam Bagoario tendit. Is autem triumphi praeteriti non solum non immemor, sed eo factus audatior ceu e victoria jam securus, hunc contra properat laetus. Cepitque vertibilem equum modo impetu vehementi dimittere, strictis modo habenis retrahere. Memoratus vero Hubaldus recta se cepit adire. Cumque in eo esset, ut mutuis sese vulneribus figerent, more solito Bagoarius equo versili varios perplexosque per anfractus cepit discurrere, quatinus iis argumentis Hubaldum posset decipere. Verum cum hac arte terga verteret, ut mox rediens Hubaldum ex adverso percuteret, equus cui Hubaldus insederat vehementer calcaribus tunditur, et per scapulas, antequam reverti Bagoarius posset, lancea ad cor usque perforatur. Hubaldus igitur freno Bagoaricum percipiens equum, ipsum in medio fluvioli alveo exutum hominem dereliquit; sicque suorum injuriae ultor, de triumpho ad suos redit hilarior. Hoc sane factum non mediocrem Bagoariis terrorem, Italicis audatiam contulit. Inito quippe Bagoarii consilio, nonnullisque Centebaldus a Widone argenti acceptis ponderibus, in propria remeavit. 22. Igitur Berengarius dum ubi prospera sibi adversari prospiceret, cum Centebaldo pariter Arnulfi regis adit potentiam, orans ac pollicens, ut si ipsum adjuvaret, se totamque Italiam, ut ante promiserat, dicioni suae supponeret. Tantae siquidem ut praediximus promissionis gratia excitus, copiis collectis non minimis, Italiam adit (An. 894). Cui Berengarius, ut promissionis suae fidem daret, credulitatis arrabone clipeum portat. 23. Susceptus itaque a Veronensibus, ad urbem proficiscitur Pergamum. Ubi dum firmissima loci munitione confisi, immo decepti, homines ei occurrere nollent, castrametatus eodem, belli fortitudine urbem cepit, jugulat, trucidat (Jan.). Civitatis etiam comitem, Ambrosius nomine, cum ense, balteo, armillis, ceterisque pretiosissimis indumentis. suspendi ante porte januam fecit. Quod factum caeteris omnibus urbibus cunctisque principibus terrorem parvum non attulit; quicumque hoc audierat, utraque auris ejus tinniebat. 24. Mediolanenses igitur atque Ticinenses hac fama perterriti, ejus non passi sunt praestolari adventum, verum praemissa legatione, jussioni suae se obtemperaturos promittunt. (An. 894.) Ottonem itaque, Saxonum potentissimum ducem,--hujus gloriosissimi atque invictissimi regis Ottonis, qui nunc superest et feliciter regnat, avus,--Mediolanium defensionis gratia dirigit; recta ipse Ticinum tendit.
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CHAPITRE VIIBérenger par ses promesses engage Arnulf à faire la guerre à Wido, & comme une rivière séparait les deux armées, un certain chevalier Bavarois, provoqua insolemment les Italiens, & fut tué par un certain Hubald. Le bâtard d’Arnulf renonce à la guerre, mais Béranger t retourne chez Arnoulf qui entre en Italie où il prend beaucoup de villes. 20. Béranger voyant qu'il avait trop peu de forces pour résister à Wido, demanda du secours au puissant Roi Arnulf & promit de se soumettre à lui, lui & les siens, dans le cas où il vaincrait Wido, & lui donnerait le royaume d'Italie. Le Roi Arnulf séduit par une si grande promesse, envoya en Italie son fils Zwentebald (qu'il avait eu d'une concubine) à la tête d'une puissante armée. Et les deux armées se trouvèrent en présence près de Pavie, à la chute du jour. Mais Wido avait garni de palissades les bords du Vervavolus en sorte qu'on ne pouvait point le passer, & que l’une des deux armées ne pouvait point attaquer l'autre. 21. Vingt & un jours se passèrent ainsi, & pendant ce temps là un certain Bavarois venait tous les jours reprocher aux Italiens qu'ils étaient mauvais guerriers, & ne savaient pas monter à cheval ; une fois même il s'avança au milieu d'eux, & ayant fait tomber la lance de la main d'un Italien, il retourna joyeux à son camp. Mais l'honneur de la nation fut vengé par Hubald, père de Boniface qui a été fait de notre temps Marquis des Camerins, & des Spoletins. Celui-ci prit son bouclier & s'avança contre le Bavarois, qui fier de sa victoire précédente, fit aussi la moitié du chemin ; son cheval était très souple & tantôt il le faisait aller à toute bride, & tantôt il le retenait. Hubald au contraire courût droit à lui, & comme ils en étaient déjà à se porter différentes blessures, le Bavarois continuait toujours à tourner & retourner son cheval, pour tromper son ennemi comme par autant d'arguments, & comme une fois il tournait le dos pour prendre de l'espace & revenir sur Hubald, celui-ci donne un grand coup d'éperons à son cheval & perce le Bavarois de sa lance avant qu'il put se retourner. Aussitôt Hubald prenant par la bride le cheval de son ennemi, le ramène au camp, où il revient après avoir vengé l'injure des siens. Ensuite les Bavarois tinrent conseil, & retournèrent chez eux, après avoir reçu quelque argent de Wido. 22. Béranger voyant donc que la fortune favorisait son ennemi, se rendit auprès d'Arnulf en même temps que Zwentebald, & recommença ses instances & ses promesses. Arnulf séduit pour la seconde fois rassembla des forces & entra en Italie. Et Bérenger portait son bouclier, pour lui donner des arrhes de sa soumission. 23. Ils furent bien reçus des Véronais & allèrent à Pergame. Les habitants de cette ville se confiant en sa force, ne voulurent point ouvrir à Arnulf, mais celui-ci prit la ville d'assaut, fit égorger les habitants, & fit pendre à la porte, Ambroise comte de la ville, tout revêtu de son baudrier, de ses bracelets, & de ses autres ornements précieux. Et cette façon d'agir remplit de terreur tous les princes & toutes les villes, & celui qui en entendait parler, les deux oreilles lui tintaient 24. Les Milanais, & les Pavians n'attendirent point l'arrivée d'Arnulf, mais ils lui envoyèrent des députés, & promirent de lui obéir & le Roi marcha aussitôt vers Pavie, & envoya à Milan Othon, puissant Duc des Saxons, aïeul de cet Othon qui règne aujourd’hui sur ces mêmes peuples.
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CHAPITRE VIII 25. Wido denique hujus impetum ferre non valens, Camerinum Spoletumque versus fugere cepit. Quem sine dilatione acriter rex insequitur, urbes et castella omnia sibi resistentia vi debellans. Nullum siquidem fuerat castrum natura etiam ipsa munitum, quod virtuti hujus saltem resistere moliretur. Quid autem mirum, cum ipsa civitatum omnium regina, magna scilicet Roma, hujus impetum ferre nequiverit? (An. 896.) Enimvero dum a Romanis ingrediendi urbem huic fidutia negaretur, convocatos ad sese milites ita convenit (April.): Versus. 26. Magnanimi proceres et clari Marte secundo, Arma quibus studium fulvo radiare metallo, Romulidae sueti vacuis quod condere scriptis; Sumite nunc animos, vobis furor arma ministret! Non Pompeius adest, non Julius ille beatus, Qui nostros domuit proavos mucrone feroces; Indolis hujus enim summos deduxit ad Argos, Protulit in lucem quem sancta Britanica mater. His torta studium pingues captare siluros Cannabe, non clipeos manibus gestare micantes! 27. His eroes dictis animos accensi, vitam laudis aviditate contempnunt. Clipeis denique cratibusque catervatim operti, muros adire contendunt; plurima etiam bellorum paraverant instrumenta, cum inter agendum, populo considerante, contingit lepusculum clamore ejus exterritum urbem versus fugere. Quem dum exercitus, ut adsolet, vehementi impetu sequeretur, Romani putantes se impugnari, de muro sese projiciunt. Quod populus cernens, sagmatibus sellisque quibus equis insederant juxta murum projectis, per eorum acervum murum ascendunt. Pars vero populi quedam, accepta mox trabe quinquaginta pedum procera longitudine, portam quatiunt, et Romam quam Leonianam dicunt, in qua beati Petri apostolorum principis praetiosum corpus quiescit, vi capiunt. Ceteri vero qui trans Tiberim erant, hoc timore compulsi, hujus dominatui colla submittunt. 28. Hoc in tempore Formosus papa religiosissimus a Romanis vehementer aflictabatur, cujus et hortatu Romam rex Arnulfus advenerat. In cujus ingressu, ulciscendo papae injuriam, multos Romanorum principes obviam sibi properantes decollare praecepit. 29. Causa autem simultatis inter Formosum papam et Romanos haec fuit: Formosi decessore defuncto, Sergius quidam Romanae ecclesiae diaconus erat, quem Romanorum pars quaedam papam sibi elegerat. Quaedam vero pars non infima nominatum Formosum, Portuensis civitatis episcopum, pro vera religione divinarumque doctrinarum scientia papam sibi fieri anhelabat. Nam dum in eo esset, ut Sergius apostolorum vicarius ordinari debuisset, ea, quae Formosi favebat partibus, pars Sergium non mediocri cum tumultu et injuria ab altari expulit, et Formosum papam constituit. 30. Descenditque Sergius in Tusciam, quatinus Adelberti, potentissimi marchionis, auxilio juvaretur; quod et factum est. Nam Formoso defuncto, atque Arnulfo in propria extincto, is qui post Formosi necem constitutus est expellitur, Serguisque papa per Adelbertum constituitur. Quo constituto, ut impius doctrinarumque sanctarum ignarus, Formosum e sepulcro extrahere atque in sedem Romani pontificatus sacerdotalibus vestimentis indutum collocare praecepit. Cui et ait: « Cum Portuensis esses episcopus, cur ambitionis spiritu Romanam universalem usurpasti sedem? » His expletis, sacratis mox exutum vestimentis digitisque tribus abscisis, in Tiberim jactare praecepit, cunctosque quos ipse ordinaverat, gradu proprio depositos, iterum ordinavit. Quod quam male egerit, pater sanctissime, in hoc animadvertere poteris, quoniam et hi, qui a Juda, domini nostri Jesu Christi proditore, ante proditionem salutem seu benedictionem apostolicam perceperunt, ea post proditionem propriique corporis suspensionem minime sunt privati, nisi quos improba forte defaedarunt flagitia. Benedictio siquidem quae ministris Christi impenditur, non per eum qui videtur, sed qui non videtur, sacerdotem infunditur. Neque enim qui rigat est aliquid, neque qui plantat, sed, qui incrementum dat, Deus (I Cor. III, 7). 31. Quantae autem esset auctoritatis, quantaeque religionis papa Formosus fuerit, hinc colligere possumus, quoniam dum a piscatoribus postmodum esset inventus atque ad beati Petri apostolorum principis ecclesiam deportatus, sanctorum quedam imagines hunc in loculo positum venerabiliter salutarunt. Hoc namque a religiosissimis Romanae urbis viris persepe audivi. Sed, his ommissis, ad narrandi ordinem redeamus.
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CHAPITRE VIIIWido s'enfuit devant la face d’Arnulf. Discours en vers d'Arnulf à la prise de Rome. Le Pape Formose est persécuté par les Romains; cause de leur haine. Inhumanité de l’Antipape Sergius après son intrusion, sépulture miraculeuse de Formose. 25. Wido voyant qu'il ne pouvait résister à l’impétuosité d'Arnulf, s'enfuit vers Camerino & Spolète, & celui-ci le poursuivit vivement prenant toutes les villes & les châteaux qu'il trouvait sur son chemin. Car il n'y eut aucun château fortifié par la nature elle-même, qui put résister à son courage. Mais qu'y a-t-il d'étonnant à cela, puisque la Reine des villes, la grande Rome ne put résister à son impétuosité, car les Romains lui ayant refusé l’entrée de leur cité, il rassembla ses soldats & leurs parla ainsi en vers, 26. Héros magnanimes dont Mars seconde le courage Et dont les armes resplendissent du métal fauve Que les enfants de Romains cachent dans leurs sceptres, Prenez courage, et que la fureur vous donne des armes Vous n'avez point à combattre Pompée ni l’heureux César Qui dompta nos féroces aïeux, redoutables par leur épée, Et qui faisait remonter sa race jusques à Argos. Mais celui-ci a reçu le jour d'une sainte Bretonne Et aujourd’hui ils savent tordre deux fois le chanvre. Pour prendre des esturgeons, & non porter le bouclier. 27. Les héros animés par ce discours méprisent la vie, & couverts de leurs boucliers & de leurs casques, ils s'avancent vers les murailles. Ils avaient aussi préparé des machines de guerre, & comme on les faisait avancer, il arriva qu'un petit lièvre effrayé courut vers la ville. Les soldats se mirent à courir après, & les Romains qui étaient sur les murailles, croyant qu'on allait livrer l'assaut s'enfuirent avec précipitation. Les soldats d’Arnulf voyant cela, jetèrent contre le mur les bâts & les selles de leurs chevaux & en ayant fait un tas, ils grimpèrent par ce moyen. D'autres prirent une poutre de cinquante pieds de long & brisant la porte ils s'emparèrent de la partie de Rome appelée Léonienne où repose le corps de saint Pierre, prince des apôtres. Et les habitants de l'autre rive du Tibre, frappés de terreur se soumirent aussitôt à leurs nouveaux maîtres. 28. Dans ce temps là, le Religieux Pape Formose était fort persécuté par les Romains, parce qu'il avait engagé Arnulf à venir à Rome. Aussi ce Prince pour venger son injure, fit aussitôt décapiter beaucoup des Princes Romains qui étaient venus à sa rencontre. Et voici quelle était la cause de la haine qui régnait entre le Pape Formose & les Romains. 29. Le prédécesseur de Formose étant mort, une; partie des Romains avaient élu pour Pape un certain Sergius, Diacre de l'Eglise de Rome. Mais l'autre partie soupirait après Formose, Evêque de Porto, savant dans les écritures & les doctrines de Dieu, si bien que Sergius devait être ordonné vicaire des apôtres ; le parti de Formose vint avec beaucoup de tumulte, chassa Sergius de l'autel, & fit ordonner Formose & Sergius alla en Toscane où il était protégé par le haut & puissant marquis Adelbert. Dans la suite Formose mourut, Arnulf retourna chez lui, & alors ce même Marquis Adelbert chassa de Rome le successeur de Formose & mit Sergius à sa place ; celui-ci fit aussitôt déterrer le corps de Formose, le fit revêtir de ses habits pontificaux, & le fit placer sur le siège papal, puis, il lui dit : Puisque tu étais évêque de Porto, pourquoi as-tu eu l'ambition, le siège universel de Rome. Après avoir dit ces mots, cet ignorant impie fit ôter les habits à ce corps mort, lui fit couper trois doigts & le fit jeter dans le Tibre ; ensuite il déposa tous les prêtres qui avaient été ordonnés par lui & les ordonna de nouveau. Très saint Père s'il a mal fait, c’est une chose dont vous pouvez juger facilement, surtout si vous considérez, que lorsque Judas trahit notre seigneur, ceux qui avaient reçu sa bénédiction apostolique, n'en furent point privés après sa trahison, ni même après sa suspension, excepté peut être ceux dont les vices en avaient empêché l'effet. Car la bénédiction donnée par les ministres du Christ, n'est point versée par le prêtre visible mais par l'invisible, car celui qui plante ne fait rien, celui qui arrose ne fait rien, mais c'est Dieu qui donne la croissance. 31. Quelle fut l'autorité, & la sainteté du pape Formose, c'est une chose dont on put juger bientôt après, car des pécheurs ayant trouvé son corps le portèrent à l'église de saint Pierre prince des apôtres, & alors quelques images qui étaient là le saluèrent avec beaucoup de respect. Ce que j'ai souvent entendu raconter par des hommes très religieux de la ville de Rome. Mais revenons à l'ordre des événements.
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CHAPITRE IX 32. Rex Arnulfus desiderii sui compos effectus, persequi Widonem non desiit, profectusque Camerinum, castrum vocabulo et natura Firmum, in quo Widonis uxor erat, obsedit (Maio). Wido autem in incertis latuit locis. Igitur praefatum castrum, nomine et natura Firmum, vallo circumdatur, omnia bellorum instrumenta, quibus capi possit, parantur. Cumque Widonis uxor magnis undique angustiis premeretur, et evadendi spes illi omnimodis negaretur, causas mortis regiae vipperina cepit calliditate exquirere. Accitum namque ad se quendam Arnulfi regis familiarissimum, magnis eum muneribus rogat, ut se adjuvet. Qui cum se non aliter posse testaretur, nisi civitatem domini sui traderet dicioni, illa etiam atque etiam auri pondera non solum pollicens, verum etiam in praesentiarum tribuens, orat, ut poculo quodam ab ea sibi collato dominum suum regem potaret; quod non mortis periculum daret, sed mentis feritatem mulceret. Quae etiam, suis ut fidem dictis praeberet, ante sui ipsius praesentiam hoc unum suorum potat servorum; qui unius horae spatio conspectui hujus adstans, sanus abscessit. Verum veridicam Maronis, inquam, illius sententiam in medium proferamus: Auri sacra fames, quid non mortalia pectora cogis? Sumptum namque loetale poculum festinus regi propinat. Quo accepto tanta hunc confestim somni virtus invasit, quatinus tocius exercitus strepitus eum triduo evigilare nequiret. Fertur autem, quoniam dum familiares hunc modo strepitu, modo tactu inquietarent, apertis oculis nil sentire, nil loqui posse perfecte. Positus tamen in mentis exessu, mugitum reddere, non verba edere, videbatur. Hujus quippe rei accio repedare omnes compulit, non pugnare. 33. Credo autem, Arnulfum regem justa severi judicis hujusmodi pestem incurrisse censura. Secundae enim res dum imperium hujus ubiubi magni facerent, virtuti suae cuncta tribuit, non debitum omnipotenti Deo honorem reddidit. Sacerdotes Dei vincti trahebantur, sacrae virgines vi obprimebantur, conjugatae violabantur. Neque enim ecclesiae confugientibus poterant esse asylum. In his namque simbolam faciebant, gestus turpis, cantus ludicres, dibachationes. Sed et mulieres eodem publice, pro nefas, prostituebantur. 34. Denique redeuntem regem magna cum valetudine Arnulfum palatim rex Wido persequitur. Cumque Arnulfus Bardonis montem conscenderet, hoc suorum consilio definivit, quatinus Berengarium lumine privaret, sicque securus Italiam obtineret. Cognatorum vero Berengarii unus, qui non parva Arnulfo regi familiaritatis gratia inherebat, hujusmodi consilium ut agnovit, absque mora Berengario patefecit. Qui mox ut sensit, lucerna quam ante Arnulfi regis praesentiam tenuerat alii tradita, fugiit, atque Veronam percitus venit. 35. Omnes extunc Italienses Arnulfum floccipendere, nichili habere. Unde cum Ticinum veniret, non modica horta est in civitate sedicio; tantaque istic exercitus strages facta est, ut cripte civitatis, quas alio nomine cloacas dicunt, horum cadaveribus replerentur. Quod Arnulfus cernens, quoniam per Veronam non potuit, per Hannibalis viam, quam Bardum dicunt, et montem Iovis repedare disponit. Cumque Eporegiam pervenisset, Anscarius marchio istic aderat, cujus et hortatu civitas rebellabat. Verum hoc Arnulfus jurejurando promiserat, nunquam se a loco eodem discessurum, quoad praesentiae suae praesentarent Anscarium. Is autem, ut erat homo valde formidolosus, ei omnino similis quo de Maro ait: : Largus opum, lingua melior, sed frigida bello Dextera, de castello exiit, et juxta murum civitatis in cavernis petrarum latuit. Hoc autem eo fecit, quatinus licite possent regi Arnulfo satisfacere, Anscarium in urbe non esse. Itaque jusjurandum rex istud accepit, atque iter quod ceperat abiit. 36. (An. 899, Dec. 8.) Profectusque in propria, turpissima valetudine expiravit. Minutis quippe vermibus quos pedunculos aiunt vehementer affictus, spiritum reddidit. Fertur autem, quod praefati vermes adeo scaturrirent, ut nullis medicorum curis minui possent. Utrum vero pro tam immenso scelere, Hungariorum scilicet emissione, secundum prophetam duplici sit contricione attritus, an ex presenti supplicio consequeretur veniam in futuro (Jer. XVII, 13), soli illius scientiae dimittamus, quo de Apostolus dicit: « Nolite ante tempus judicare, donec veniat Dominus, qui et inluminabit abscondita tenebrarum et manifestabit consilia cordium; et tunc laus erit unicuique a Deo (I Cor. IV, 5). »
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CHAPITRE IXArnulf assiège Firmium. Il lève le siège, par la ruse de ta femme de Wido, qui lui fait verser une liqueur sporifère. Arnulf devient insolent &profane les temples, ce qui est la cause de ses maux. Arnulf veut faire crever les yeux a Béranger. De la sédition & du massacre de Ticinum appelée aujourd'hui Pavie. Terreur d’Anscarius & mort cruelle d'Arnulf. 32. LE Roi Arnulf ne cessa point de poursuivre Wido & marchant vers Camerinum, il mit le siège devant la ville de Firmum où était la femme de Wido ; on entoure la place d'un retranchement: & on prépare les machines. La femme de Wido voyant qu'elle ne pouvait pas échapper, commença à employer des ruses de vipère pour faire périr le Roi. C'est pourquoi elle fit venir un de ses amis, & par des présents considérables, elle chercha à le rendre son complice. Celui-ci assura que l'on ne pouvait rien entreprendre à moins de remettre la place. Alors la femme lui promit & fit même apporter en sa présence beaucoup de livres d'or & l'engagea à faire boire le Roi dans un gobelet qu'elle lui donna, l'assurant que la vie de ceux qui y buvaient n'étaient point en danger mais que seulement il adoucissait la férocité du cœur. Et même elle y fit boire quelqu'un, qui une heure après, se portait encore fort bien. Mais Virgile a bien dit : Quid non mortalia pectora cogis, auri sacra fames.[4] Car cet homme prit le gobelet & le porta au Roi, lequel y ayant bu, s'endormit d'un tel sommeil que tout le bruit que faisait l'armée ne put le réveiller de trois jours. Et l'on assure que lorsqu'on voulait l'éveiller, tantôt en le touchant, tantôt en faisant du bruit, il ouvrait les yeux mais ne pouvait ni parler ni entendre. Et lorsqu'on le poussait à bout il mugissait, sans articuler aucune parole. Les autres voyant cela songeaient à se retirer & non pas à combattre. 33. Quant à moi je crois que tout cela fut une juste punition du ciel. Car tandis que la fortune lui était favorable, il n'en attribua la gloire qu'à lui seul, & non au Dieu, tout puissant qui est maître de la fortune. Car les prêtres de Dieu, étaient traînés dans les chaînes, les vierges sacrées étaient opprimées par la force. Et les églises n'étaient plus un asile pour ceux qui allaient s'y réfugier. Et au contraire l'on y faisait des symboles des gestes honteux, des chants lascifs & des orgies & même l'on y prostituait publiquement des femmes. 34. Enfin le Roi Arnulf se retirant, fut suivi de près par Wido. Et montant le mont bardonien, il tint conseil avec les siens, de faire crever les yeux à Béranger, & d'être ainsi plus sûr de se rendre maitre de l'Italie. Mais un des parents de Bérenger qui jouissait d'une assez grande faveur auprès d'Arnulf, ayant été informé de ce qui se tramait, en fit part à Bérenger, & celui-ci qui dans ce moment-là tenait une lampe, en présence du Roi, la donna à tenir à un autre & s'enfuit jusques à Vérone. 35. Depuis lors tous les Italiens voyant Arnulf chanceler, commencèrent à le mépriser, & ce Prince étant allé à Pavie, la ville se révolta & fit un si grand carnage de ses soldats, que leurs corps remplirent les voûtes que l’on appelle communément cloaques. Arnulf voyant donc qu'il ne pouvait pas passer par Vérone, prit le chemin d'Hannibal, qu'on appelle le Bardas, & se disposait à passer le mont de Jupiter, & étant arrivé à Iporegia, il trouva que le Marquis Anscaire avait fait révolter cette ville, & jura de n'en point sortir qu'on ne le lui eut livré. Cet homme était peureux & comme dit Virgile Largus opum, lingua melior, sed frigida bello dextra,[5] c'est pourquoi il quitta le château, & se cacha dans des cavernes proches de la ville. Ce qu'il fit pour que les habitants pussent dire qu'il n'était pas dans leur ville & qu'ainsi Arnulf put se retirer sans fausser son serment. C'est aussi ce que fit le Roi qui acheva heureusement sa marche. 36. Mais étant arrivé chez lui, il mourut d'une maladie très honteuse, car il fut affligé de petits vers que l'on appelle des poux. Et l'on dit qu'ils se multiplièrent à un tel point, que tout l'art des médecins n'en pouvait point diminuer le nombre, mais Dieu seul peut savoir si cette cruelle plaie fut une punition du péché dont il s'était rendu coupable, en appelant les Hongrois & si par ce supplice sa clémence l'a dérobé aux peines éternelles. Car l'apôtre a dit : « Ne jugez point avant le temps, & attendez l’arrivée du seigneur, qui fera voir, ce qui est dans les ténèbres, & qui fera connaître ce qui est dans les cœurs & alors chacun recevra la louange qu'il mérite.
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CHAPITRE X 37. (An. 896.) Justus igitur Deus uxori Widonis, quae huic paraverat mortem, parat viduitatis dolorem. Sicut enim praefati sumus, dum redeuntem Arnulfum Wido rex e vestigio sequeretur, justa fluvium defunctus est Tarum. Cujus obitum Berengarius ut audivit, festinus Papiam venit, regnumque potenter accepit. Fideles vero fautoresque Widonis, veriti ne ab eis inlatam Berengarius ulcisceretur injuriam, et quia semper Italienses geminis uti dominis volunt, quatinus alterum alterius terrore coherceant, Widonis regis defuncti filium, nomine Lambertum, elegantem juvenem, adhuc ephoebum nimisque bellicosum, regem constituunt. Cepit denique hunc adire populus, Berengarium deserere. Cumque Berengarius Lamberto, magno cum exercitu Papiam tendenti, copiarum paucitate obviare nequiret, Veronam petiit, isticque securus deguit. Non post multum vero temporis Lambertus rex cum esset vir severus, principibus gravis est visus. Unde et legatos Veronam dirigunt, regem Berengarium ad se venire, Lambertum vero expellere petunt. 38. Magimfredus praeterea, praedives Mediolanensis urbis comes, quinquennio huic rebellis extiterat; qui non solum urbem in qua rebellis erat, Mediolanium scilicet, defenderat, verum etiam vicina circumquaque loca Lamberto servientia nimis depopulabat. Quod factum rex non passus est abire inultum, psalmographum illud persepe ruminans: « Cum accepero tempus, ego justitias judicabo (Psal. LXXIV, 3). » Nam post paululum capitis hunc jusserat damnare sententia. Quae res terrorem cunctis Italiensibus non minimum adtulit. 39. (An. 898.) Denique hoc eodem tempore Adelbertus, illustris Tuscorum marchio, atque Ildeprandus, praepotens comes, huic nisi sunt rebellare. Tantae quippe Adelbertus erat potentiae, ut inter omnes Italiae principes solus ipse cognomento diceretur Dives. Huic erat uxor nomine Berta, Hugonis, nostro post tempore regis, mater; cujus instinctu tam nefaria cepit ipse facinora. Nam collecto exercitu, cum Ildeprando comite constanter Papiam tendere festinat.
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CHAPITRE XMort de Wido. Bérenger est reçu dans son royaume. La aveur du peuple & la haine des Princes, fait couronner Lambert fils de Wido. Mangifred comte de Milan lui fait la guerre il est pris & décapité. Albert le riche se déclare contre lui. 37. Cependant la justice de Dieu punit par la viduité la femme de Wido qui avait médité un régicide, car le Roi Wido poursuivant Arnulf mourut sur les bords du fleuve Tarus. Béranger ayant appris sa mort vint aussitôt à Pavie, & s'empara du Royaume. Mais les amis de Wido craignait sa vengeance, & d'ailleurs les Italiens aiment que leurs maîtres, sa querellent entre eux, afin de pouvoir les conduire par cette terreur mutuelle. C'est pourquoi ils choisirent pour leur Roi Lambert, fils de Wido, beau jeune homme a peine sorti de l'adolescence, & peu fait à la guerre. Et le peuple commença à se ranger autour de lui & à abandonner Bérenger. Lambert se trouva bientôt à la tête d’une puissante armée, & Béranger n’osant point l’attaquer se rendit à Vérone où il se trouvait en sûreté. Dans la suite Lambert se montra sévère & à charge aux princes qui envoyèrent vers Bérenger. 38. D'ailleurs Mangifred comte de Milan était depuis cinq ans dans un état de rébellion, & faisait de fréquentes incursions dans les terres de Lanthbert. Celui-ci ne faisant semblant de rien, ruminait ces mots du psaume : Quand je trouverai le temps, je rendrai justice— & enfin il porta contre lui une sentence de mort ; ce qui remplit de terreur l'âme de tous les Italiens. 39. Cependant Adelbert illustre Marquis des Toscans, & le puissant comte Hildebrand se révoltèrent. Ce marquis Adelbert était si puissant que dans toute l'Italie, on ne l'appelait que le Riche. Sa femme était Berthe, mère de Hugues qui de notre temps est devenu Roi, & c'est elle qui porta son mari à la rébellion.
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CHAPITRE XI 40. Lambertus interea rex, harum rerum inscius, in Marinco, 40 ferme milibus Papia distans, venationibus occupatur. Cumque praefati marchio et comes cum immenso sed invalido Tuscorum exercitu Bardonis montem transirent, Lamberto regi medio in nemore venanti, ut sese res habuerat, nuntiatur. Is vero, sicut erat animi constans viribusque potens, suos non passus est milites prestolari; sed collectis quos secum habuerat, centum ferme militibus, cursu prepeti eis obviare festinat 41. Jamiam Placentiam venerat, cum hi justa fluvium Sesterionem ad burgum, in quo sanctissimi et praetiosi martyris Domini corpus positum veneratur, castra metasse nuntiantur. Ignorantes itaque quid superventura nox pareret, temetolenti post nonnulla inutilia tragodimata, id est cantiones, somno sese dedere, stertere; nauseam alii sumptus intemperantia facere. Rex igitur, cum animi ferox tum ingenio callens, in ipso eos noctis conticinio opprimit, dormientes ferit, oscitantes jugulat. Ventum denique ad ipsos est, qui hujus ductores exercitus erant. Cumque iis non ex multitudine alius, sed rex ipse praeclari hujus facinoris nuntius esset, non dico pugnandi, verum fugiendi terror ipse abstulit facultatem. Verum Ildeprandus, fuga lapsus, Adelbertum intra animalium praesepe latitantem dereliquit. Qui dum repertus esset atque ante regis praesentiam ductus, eum ilico ita convenit: « Sibillino spiritu uxorem tuam Bertam prophetasse credimus, quae te scientia sua regem aut asinum facturam promisit. Verum quia regem noluit, aut, ut magis credendum est, non potuit, asinum, ne mentiretur, effecit, dum te cum Arcadiae pecuaribus ad praesepe declinare coegit! » Preterea hoc cum isto nonnulli capiuntur, vinciuntur, Papiam ducuntur, custodie mancipantur.
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CHAPITRE XIGrande victoire de Lanthberth, il met en fuite Hildebrand, fait prisonnier Adelbert, & le plaisante. 40. Cependant le Roi Lanthbert ignorant cette rébellion s'amusait à chasser à Marincum, & il était au milieu des forêts lorsqu'on vint lui annoncer qu’Hildebrand & Adelbert étaient sur le mont Bardonien avec une faible armée; & comme il était très vaillant, il ne se donna pas la peine de rassembler une armée, & alla à leur rencontre avec une centaine de cavaliers qu'il avait autour de lui. 41. Il arriva ainsi à Plaisance, où on lui annonça que les ennemis étaient campés sur les bords du Sesterion prés du bourg ou l'on confère le corps du saint martyre Dominique. Ceux-ci ne sachant point ce qui les attendait, s'amusèrent inutilement à des tragodeimata c'est-à-dire à des chansons bachiques & après avoir bien bu, ils se livrèrent au sommeil. Mais le Roi dont le courage était bouillant les attaqua pendant la nuit, égorgea ceux qui s'éveillaient, & parvint enfin aux chefs de cette armée. Et ceux-ci voyant que le Roi lui même les attaquait, bien loin de combattre n'eurent pas même assez de présence d'esprit pour fuir. Cependant Hildebrand s'enfuit & laissa Adelbert caché dans une mangeoire d'écurie; mais on l'y trouva & il fut présenté au Roi, qui lui dit : « Ta femme a été vraiment douée d'un esprit prophétique lorsqu'elle t'a dit que tu serais un Roi ou un âne, car n'ayant pu devenir Roi tu t'es caché dans la mangeoire d'une écurie, avec les animaux. d'Arcadie. Après quelques autres plaisanteries Adelbert fut lié & conduit à Pavie.
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CHAPITRE XII 42. His ita gestis, rex iterum Lambertus praefato in loco Marinco venationibus occupatur (Oct. Nov.) quoad omnium principum decreto, quid super captis agendum esset, deliberaretur. Sed o utinam venatio haec feras, non caperet reges! Aiunt sane, hunc, dum, sicut moris est, apros efreni sectaretur equo, cecidisse collumque fregisse. Verum assertioni huic fidem prebere non absurdum esse non dico. Est enim alia mortis hujus, quae mihi verisimilior videtur, atque omnibus a populis narratur, assertio. Magimfredus Mediolanensis urbis comes, cujus paulo superius fecimus mentionem, dum pro scelere in rem publicam atque in regem commisso capitis juditio damnaretur, unicum possessionis suae vicarium, Hugonem filium, dereliquit. Quem dum Lambertus rex cum forma egregia tum nonnullos superare videret audatia, animi sui non parvum pro patris morte dolorem collatis nisus est beneficiis mulcere quamplurimis. Unde et eum praeter ceteros familiaritatis privilegio dederat. Factum est autem, dum Lambertus rex nominato in loco Marinco venaretur,--est enim eodem mirae magnitudinis et amoenitatis lucus adeo venationibus aptus--huc illucque cunctis, ut moris est, discurrentibus, hoc cum uno scilicet Hugone ipsum solummodo in nemore remansisse. Cumque rex aprum in transitu praestolaretur, diuque multum remorante longa expectatione lassaretur, paululum sese quieti dedit, vigiliae custodiam huic infido, quasi fido, commitens. Igitur absentibus cunctis, Hugonis mens custodis, immo proditoris atque carnificis, collatorum beneficiorum immemor plurium, patris mortem animo cepit revolvere. Non consideravit genitorem suum justam incurrisse necem; jusjurandum, regi quod fecerat, violare non metuit; vicarium se Judae, domini nostri Jesu Christi proditoris, appellari non erubuit; et quod est gravius, sempiternum suplicium subiturum sese non timuit; verum conamine toto virium, ligno non modico dormienti collum fregit. Gladio quippe ferire timuit, ne peccati hujus auctorem res eum manifesta probaret. Eo namque mens perversa ita egit, ut non gladii cicatrix, sed ligni manifesta collisio, hunc repperientibus fidem darent equo cecidisse, collique fraccione hominem exivisse. Latuitque per annos res quam plurimos. Sed dum processu temporis Berengarius rex, nullo sibi resistente, regnum viriliter obtineret, ipse reatus proprii, sicut fuerat auctor, extitit proditor, implevitque illud quod rex et propheta canit: « Quoniam laudatur peccator in desideriis animae suae, et iniqua gerens benedicitur (Psal. X, 3). » Sed et aliud fecisse minime potuit propter haec ipsius Veritatis verba dicentis: « Nichil opertum, quod non reveletur, et occultum, quod non in publicum veniat (Matth. X, 26). » 43. His ita gestis, rex Berengarius ampliori pristina dignitate regia honoratur; Adelbertus marchio et ceteri ad propria destinantur. 44. Juvat autem, pater karissime, tanti hujus obitum regis et deflendo scribere et scribendo deflere. Inerat namque illi honesta morum probitas, sancta et formidolosa severitas, et quem juventus ornabat in corpore splendida, mentis canities decoraverat sancta. Plane plus ipse rei publicae, quam res publica decoris ei contulerat. Quod si non cita mors hunc raperet, is esset qui post Romanorum potentiam totum sibi orbem viriliter subjugaret.
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CHAPITRE XIIDiverses opinions sur la mort de Lanthbert, la plus vraisemblable est qu'il fut tué par Hugues de Milan, 42. Ces choses ainsi faites Lanthbert retourna chasser à Marincum, & il y délibéra avec les Princes sur ce qu'il y avait à faire avec les captifs, mais plut à Dieu qu'il n'eut périt dans cette chasse que des bêtes & non pas des Rois, car on dit que le Roi poursuivant un sanglier à toute bride, tomba de cheval & se cassa le col, mais je crois que c'est là une absurdité à laquelle il ne faut point ajouter foi, car on fait sur cette mort une histoire qui me parait; plus vraisemblable, & que l'on croit généralement Magnifred Comte de Milan avait été décapité & n’avait laissé qu'un seul fils appelé Hugues, & celui ci se distinguant par plusieurs belles qualités, Lanthbert voulut adoucir sa peine par des bienfaits remarquables, & l'admit à sa familiarité de préférence à tout autre. Or il arriva que Lanthberth se trouva seul dans la forêt de Marinco avec Hugues, & lassé d'attendre un sanglier qui devait passer, il se coucha & s'endormit, confiant la garde de la personne à ce traître qu'il croyait son ami. Mais celui se voyant éloigné de tout témoin, songea à la mort de son père, oubliant qu'elle avait été juste, il ne craignait point de violer ses serments, & d'être appelé Vicaire de Judas qui a trahi notre seigneur. Enfin Hugues saisit un morceau de bois, & en donna de toutes ses forces un coup sur le col du Roi & le rompit. Il avait craint de se servir de son épée par la peur d'être découvert, au lieu que la blessure se trouvant au col, il semblait manifeste que le Roi s'était tué en tombant de cheval. La chose resta longtemps cachée. Mais sous le règne de Bérenger, l'auteur du crime l'avoua lui même. Et comme dit le Prophète : « Souvent le pécheur est loué dans les désirs de son âme, & celui qui fait des iniquités est béni. » Mais comme dit l'auteur de toute vérité : « Il n'y a rien de couvert qui ne soit révélé, rien de caché qui ne vienne aux yeux du public. » 43. Enfin Bérenger fut Roi, Adelbert retourna en Toscane, 44. mais qu'il me soit permis d'écrire en pleurant & de pleurer en écrivant la mort du Roi Lanthbert, car ses mœurs étaient honnêtes, sa sévérité sainte, & une sainte vieillesse régnait dans son âme, tandis que la jeunesse & la beauté resplendissaient dans son corps, il donnait plus de lustre à la république, qu'il n'en avait reçu d'elle. Et si la mort ne l'avait pas trop tôt enlevé, il eut conquis tout le monde & sa puissance eut succédé à celle des Romains.
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[1] Abdalrachman dont il est ici question est apparemment le calife de Cordoue, à qui Aboul abas succéda en 61. [2] Il semble qu'il s'agit ici du temps où le gros de la nation demeurait dans le Marmatosch vers la ville de Ungwar & que les Soba mogers, ou Sobartoasphales, régnaient dans la Valachie & la Bessarabie, où ils étaient enfermés au midi par les gorges ou clausures du Balkan & à l'occident par la porte de fer &c. Il en sera question plus bas. [3] Le discours de l'Empereur est un regrettable galimatias double que j’ai traduit littéralement, ainsi que tout le reste, sans vouloir décider si cette faute d’élocution doit être attribuée à l'Empereur lui même ou à son historien. [4] A quoi ne pousses-tu pas le cœur des mortels, exécrable soif de l'or ! [5] Prodigue de ses richesses, excellent orateur, mais piètre guerrier.
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