Odon

HUGUES DE FLEURY

 

CHRONIQUE

 

Oeuvre mise en page par Patrick Hoffman

 

 

 

CHRONIQUE

DE

HUGUES DE FLEURY*,

DE L'AN 949 A L'AN 1108.

 

* Voir la Notice placée en tête de ce volume.

 

61 DÉDICACE.

Hugues, moine indigne du monastère de Saint-Benoît de Fleury, à la glorieuse impératrice Mathilde1; joyeuse félicité temporelle et éternelle.

J'ai résolu, haute dame, de vous dédier ce livre afin de faire connaître à la postérité la grandeur de votre origine, et d'apprendre aux siècles à venir la noblesse de vos ancêtres. Pour récréer votre esprit j'aurai soin aussi de rapporter en peu de mots dans ce même livre les actions des modernes rois des Français, c'est-à-dire de ceux qui ont régné en France depuis l'empereur Louis. Ces faits n'ont pas encore été mis en ordre, mais on les trouve çà et là épars dans des écrits et des traités, car personne jusqu'à présent. ne s'est appliqué à les réunir en un corps d'histoire et à les rassembler sous la forme d'un seul livre. En outre, dans cet ouvrage, je m'attacherai à rechercher l'illustre généalogie de vos aïeux, et je révélerai clairement à ceux qui l'ignorent la noblesse de votre race. Rollon, du sang duquel vous descendez, célèbre duc des Danois, dans le temps de Charles le Chauve (et même de Charles le Simple), roi des 62 Français, et après la mort de l'empereur Louis2, entra dans la Gaule par la Seine, et s'empara de la Neustrie, appelée maintenant Normandie. Rollon eut pour successeur son fils, nommé Guillaume, auquel succéda Richard, prince noble et magnifique. Ce Richard engendra un autre Richard, homme chéri de Dieu et d'une éminente sainteté, et qui engendra Robert. Robert engendra le fameux Guillaume roi d'Angleterre, qui soumit par son habileté ce royaume qu'aucun empereur romain, excepté Claude et Jules César, n'avait jamais osé attaquer. Aucun roi de notre temps ne surpassa ce Guillaume en bonheur ou en sagesse. Personne ne pourrait louer dignement sa grandeur et sa magnificence qui élevèrent sa gloire jusqu'aux extrémités de la terre au-dessus de celle de tous les rois et princes de notre siècle. Peu de rois, je le crois, imiteront ce prince et posséderont cette abondance de qualités, cette élégance de mœurs dont Dieu et la fortune l'ont doué dans son heureuse vie. Il eut pour fils et héritier Henri, roi d'Angleterre, et votre noble père. Qu'il me suffise d'avoir dit en passant ce peu de mots sur votre race et la naissance de votre Altesse. Je me suis aussi réservé il y a long-temps de dédier à votre tante, veuve d'Étienne comte de Chartres, un livre sur les gestes des empereurs romains, qui contient l'arrivée des Francs dans la Gaule, et rapporte la généalogie des anciens rois de cette nation jusqu'à Charles le Grand et son fils Louis. Parmi ces rois, Charles le Grand, par son habileté, s'empara de l'empire des Romains et le laissa en mourant à son fils Louis. Louis ayant eu quatre 63 fils leur laissa cet empire, d'où s'éleva parmi eux une grande discorde, car les trois frères Lothaire, Louis et Pepin, deux ans après la mort de Louis, attaquèrent inhumainement leur frère Charles, dans la plaine de Fontenay, dans le dessein de le dépouiller du royaume de France; mais ils n'y purent parvenir, car l'armée des Français l'emporta sur eux. Depuis ce temps le royaume des Français est demeuré séparé et désuni d'avec l'empire des Romains, car Lothaire eut en partage l'Allemagne et l'Italie, avec Rome et Ravenne, villes royales; Louis, son frère, la Bavière et la Saxe; Pepin l'Aquitaine et la Gascogne, et Charles la France, la Bourgogne, la petite Bretagne et la Neustrie; mais dans la suite il se mit en possession de l'Aquitaine. J'exposerai séparément dans le livre suivant, la généalogie du roi Charles jusqu'à Louis, dernier roi de cette race, et qui mourut sans enfant. Après sa mort, les grands de la France mirent à leur tête Hugues le Grand, fils d'un certain Hugues le Grand, duc de France, dont je rapporterai la naissance en son lieu. Si Dieu le permet je raconterai en peu de mots, selon ma promesse, une partie des actions de tous ces princes jusqu'au roi de notre temps, le seigneur Louis, fils du très-clément roi Philippe. Je n'ose profaner par un style sans art les actions de ce prince, car ce que j'écris je l'exprime en peu de mots, et ne le dore point des charmes de l'éloquence. Ce travail que nous vous avons dédié, nous ne l'avons point tiré de nous même; nous l'avons extrait, à notre grande fatigue, de beaucoup de livres, pour servir de supplément à l'histoire dont il a été ci-dessus fait mention, et que, selon notre promesse, 64 nous avons dernièrement fait paraître. Recevez, je vous prie, favorablement le don que je vous offre, et daignez l'autoriser de votre seing. Soyez en bonne santé; que la grâce du Dieu tout-puissant vous bénisse, vous donne une nombreuse descendance et vous comble toujours de joie et de prospérité. Amen!

 

CHRONIQUE

DE

HUGUES DE FLEURY.

65 Le roi Louis (d'outre mer), la treizième année de son règne3 attaqua à l'improviste la cité de Laon; et pendant le silence de la nuit, ayant secrètement escaladé les murs, au moyen de machines, et brisé les serrures des portes, il pénétra dans la ville. Cependant il ne put venir à bout de s'emparer d'une tour qu'il avait lui-même bâtie peu de temps auparavant à une porte du château; c'est pourquoi il la sépara de la ville, au moyen d'un mur qu'il fit régner entre deux. Hugues4  en étant instruit, s'y rendit aussitôt, fit entrer dans la tour des gardes avec des vivres en quantité suffisante, et marcha à la rencontre de Conrad, duc des Lorrains. Le duc établit une trève entre le roi et Hugues jusqu'au mois d'août. De là, le roi Louis s'en retourna à Rheims, où Adalbert, fils du eomte Héribert, s'étant rendu auprès de lui, se reconnut son vassal.

Enfin la quinzième année de son règne5, le roi Louis, avec une armée, marcha contre l'Aquitaine; mais avant qu'il entrât dans ce pays, Charles-Constantin, prince de Vienne, et le très-fameux Étienne, évê- 66 que d'Auvergne, vinrent vers lui, et se soumirent à lui. Guillaume, comte de Poitou, vint aussi au devant de lui, et se remit en sa suzeraineté.

Ensuite, comme le roi Louis, la dix-neuvième année de son règne6 sortant de Laon, se rendait à Rheims, voilà qu'avant d'arriver à l'Aisne il voit un loup s'avancer vers lui; s'étant mis à le poursuivre, il piqua si vivement son cheval qu'il en fut renversé à terre. Grièvement fracassé par cette chute, il fut transporté à Rheims, où il mourut, après avoir langui pendant long-temps, et fut enseveli à Saint-Remi. Il laissait deux, fils, Lothaire et Charles, qu'il avait eus de Gerberge, sœur de l'empereur Othon. Lothaire succéda à son père, et Charles vieillit sans apanage.

Lothaire, fils de Louis, ayant été sacré à Rheims par l'archevêque Artaud, succéda à son père, l'an de l'Incarnation du Seigneur 954, et régna vingt-trois ans. L'an de l'Incarnation du Seigneur 956, Richard, fils de Guillaume, prince de Normandie, épousa Emma, fille du duc Hugues. La même année, ledit duc Hugues le Grand mourut, et fut enterré à Saint-Denis. Il laissa trois fils, qu'il avait eus d'Hedvvige, fille7 de l'empereur Othon, Hugues, Othon et Henri. Hugues eut en partage le duché de France, et Othon celui de Bourgogne.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 962, l'empereur Henri8 s'étant rendu à Rome, reçut la couronne impériale de la main du pape Octavien, successeur d'Agapit. Peu de temps après, les Romains chassèrent du 67 siége pontifical ledit pape Octavien, et mirent à sa place un nommé Jean. L'empereur l'ayant appris, retourna à Rome, et fit déposer ledit Jean par un jugement synodal9 La même année, Vulfaud, abbé du monastère de Saint-Benoît de Fleury, fut nommé évêque de Chartres; de son temps, Mabbon, évêque de Bretagne, apporta au monastère de Fleury le corps du bienheureux confesseur et évêque Paul, avec un grand nombre d'ornemens.

L'année suivante, Richard comte des Normands, attaqua le comte Thibaut, et ravagea la terre de Chartres et de Châteaudun. Thibaut, de son côté, étant entré dans le pays des Normands, s'empara de la ville d'Évreux; mais comme il s'en retournait, Richard ayant traversé la rivière, fondit sur lui près des domaines d'Hermentrude, sur un port de la Seine, le vainquit, et le chassa de ses États. Enfin ayant appelé à son service les Danois, les Alains et les Daces, il ne cessa de vaincre Thibaut que lorsque ledit Thibaut lui eut rendu la ville d'Évreux. Ensuite de quoi les barbares, amplement récompensés par Richard, quittèrent la Gaule pour s'en retourner chez eux.

Dans ce temps, Rodolphe, fils du roi Conrad, mourut sans enfans. L'empereur Henri prit en mariage sa sœur, nommée Gisèle, et mit son royaume en son pouvoir10.

Vers cette époque moururent Eudes, comte de 68 Tours, Héribert, comte de Meaux et de Troyes, et Guillaume, comte de Poitiers. Le roi Lothaire aussi termina sa vie la trente-troisième année de son règne, et eut pour successeur son fils Louis. Ce fut l'an de l'Incarnation du Seigneur 986 que mourut Lothaire, qui fut enterre à Rheims, dans l'église de Saint-Remi.

Louis, fils de Lothaire, ayant pris possession du royaume des Français, l'an de l'Incarnation divine 986, régna pendant deux ans. Ce Louis mourut sans enfans, et fut enseveli à Compiègne, dans la basilique du bienheureux martyr Corneille. A sa mort, son oncle Charles voulant lui succéder, il fut mis sous garde à Senlis11 avec ses deux fils, Charles et Louis, par les grands de la France, et surtout par l'exécrable traître Ascelin12 évêque de Laon, qui passait pour le conseiller dudit Charles. Ainsi retenu, Charles ne tarda pas à mourir. A sa mort, ses deux jeunes fils se réfugièrent auprès de l'empereur des Romains, et moururent en ce pays. Les grands de la France choisissant Hugues, duc de France, et fils de Hugues le Grand, l'élevèrent au trône royal à Noyon, l'année même de la mort dudit roi Louis. C'est ainsi que la seconde race des rois de France étant éteinte, la couronne passa à la troisième race, par l'effet du jugement de Dieu qui élève et abaisse qui il lui plaît. Les premiers rois qui régnèrent en France furent appelés Mérovingiens, du nom du roi Mérovée. Cette race de rois subsista jusqu'au roi Hildric, nommé autrement Hilderic (Childeric), dont le palais fut gouverné par Pepin, fils de Charles Martel. Childeric, lâche et im- 69 bécile monarque, fut, selon le jugement de Zacharie, pontife de Rome, renfermé dans un monastère par les grands de la France, et revêtu de l'habit monacal. Pépin fut élevé au trône royal. Il eut pour successeur son fils Charlemagne, qui devint dans la suite empereur des Romains. A Charlemagne succéda Louis, empereur d'une grande piété, qui, ayant eu quatre fils, partagea entre eux l'Empire. De là s'éleva parmi eux une grande discorde, et ils en vinrent aux mains à Fontenay, dans la Bourgogne, le jour de l'Ascension du Seigneur. Dans cette bataille, il périt de part et d'autre un grand nombre de guerriers. Cependant Charles, le plus jeune, que ses frères voulaient dépouiller, remporta la victoire; et depuis ce jour jusqu'à présent, le royaume des Français est resté séparé et désuni d'avec l'Empire romain. C'est de la race de ce roi Charles que descendirent tous ces rois dont nous avons rapporté les actions, jusqu'à Louis, dont nous venons de dire quelques mots. Ce prince étant mort sans enfans, les grands de la France, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus, mirent à leur tête Hugues, fils de Hugues le Grand, duc de France.

Hugues, duc de France, fils de Hugues le Grand, ayant pris possession de la couronne de France, l'an de l'Incarnation du Verbe 987, régna environ onze ans. L'an de l'Incarnation du Seigneur 983, mourut l'empereur Othon, auquel succéda son fils Othon III. Olhon ayant établi le pape Jean sur le siége de Rome, Crescence, un des nobles romains, osa dépouiller celui-ci du siége apostolique. Ce que ledit empereur ayant appris, il vint à Rome, et déposa violemment et honteusement du siége ce pape usurpa- 70 teur et destructeur de la sainte Église de Rome; ayant fait mourir Crescence, il fit ordonner à Rome Gerbert qui, par sa science profonde, mérita d'être élevé par degrés et au fur et à mesure dans la sainte Église, car il fut d'abord revêtu de l'épiscopat de Rheims, et ensuite de celui de Ravenne; enfin il fut élevé à la chaire apostolique, où il siégea pendant le cours de beaucoup d'années13.

L'an de l'Incarnation divine 998, on vit à Orléans, dans l'église des saints apôtres Pierre et Paul, l'image du crucifix répandre des larmes. L'année suivante, ladite ville fut embrasée par le feu; mais Arnoul, son vénérable évêque, fit par ses soins réparer l'église de la Sainte-Croix.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 994, l'église de Saint-Martin de Tours fut consumée par le feu. Hervée, trésorier de cette même église, homme noble et d'une éminente sainteté, éleva à la place les fondemens de celle dont nous admirons maintenant la beauté. Le roi de France, Hugues, mourut à Melun, la onzième année de son règne14, et fut enterré dans l'église de Saint-Denis. Il laissa pour successeur son fils Robert.

Robert, fils du roi Hugues, succéda à son père l'an de l'Incarnation divine 996, et régna trente-quatre ans. Ce fut un homme doux et quelque peu lettré. Il eut pour femme la sage Constance, fille de Guillaume, comte de Toulouse, et dont il engendra quatre fils, Hugues, Henri, Eudes et Robert.

Ensuite, l'an de l'Incarnation du Seigneur 997, ce roi entra dans la Bourgogne avec trente mille 71 hommes15, fit des ravages dans les terres de Guillaume, comte de la Bourgogne au-delà de la Saône, qui s'était révolté, et subjugua ce pays par la très-grande force de ses armes.

L'an 1002 de l'Incarnation du Christ, l'empereur Othon III mourut, et eut pour successeur son fils Henri16, qui, la septième année de son règne, et l'an de l'Incarnation ioo4, obtint de recevoir la couronne impériale des mains du pape Benoît.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1oo4, Abbon, vénérable abbé de Fleury, fut, à cause du zèle de la discipline rigoureuse qu'il pratiquait, martyrisé dans une certaine propriété de son monastère, située en Gascogne, et par la grâce divine, un grand nombre de miracles s'opèrent sur son tombeau. Il eut pour successeur Gosselin, qui dans la suite parvint à l'épiseopat de Bourges. De son temps, c'est-à-dire l'an de l'Incarnation du Christ 1026, fut brûlé le monastère de Fleury; mais par les soins dudit Gosselin, archevêque de Bourges, il fut, dans l'espace de deux ans, réparé et consacré. Gosselin fit aussi construire une tour en pierres carrées, du côté occidental de ladite église; mais, atteint par la mort, il ne put l'achever. Il mit dans cette église un assez grand morceau du suaire de notre Seigneur Jésus-Christ, et le renferma dans une main d'or qu'il fit orner à l'extérieur de ces vers:

«Cette main brillante apporte le joyeux contentement,

«Elle renferme le suaire du Christ.»

72 Il fit aussi beaucoup d'autres choses qu'il serait trop long de rapporter en détail.

Le roi Robert embellit son royaume de grands édifices et de saintes églises. Il construisit à Orléans la basilique de Saint-Aignan et l'église de Sainte-Marie, mère du Seigneur, qui fut bâtie entre le mur et le fossé. Il fonda aussi devant son palais la chapelle de Saint-Hilaire. Il construisit dans la forêt d'Iveline l'église de Saint-Léger et celle de Saint-Médard auprès du château de Vitry. Il fit bâtir dans la ville de Senlis la basilique de Saint-Régule et l'église de Saint-Cassien près d'Autun. Il fit construire deux églises consacrées à sainte Marie, mère de Dieu, l'une dans le château d'Étampes, et l'autre dans le château de Poissy. Enfin il fit bâtir à Paris, dans son palais, l'église de Saint-Nicolas.

De son temps, Foulques, comte d'Anjou, fonda dans son territoire un monastère en l'honneur du Saint-Sépulcre. Le même comte Foulques combattit avec Eudes, comte de Chartres, auprès de Pontlevoi, où est maintenant une église consacrée à la sainte mère de Dieu. Cet Eudes était fils du comte Thibaut et de Leutgarde, sœur d'Héribert II, comte de Vermandois, et il engendra un autre Eudes, qu'il eut de Berthe, fille de Conrad, roi de Bourgogne. Le comte Foulques engendra Geoffroi Martel, lequel fit construire dans son territoire, auprès du château de Vendôme, le monastère de la Sainte-Trinité.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1026, Richard, fils de Richard Ier, duc de Normandie, partant pour Jérusalem, emmena avec lui sept cents pélerins; il leur fournit à tous une quantité suffisante de vivres17. 73 Il mit des moines dans le monastère de Fécamp, et leur donna pour leur usage journalier un grand nombre de domaines. Ayant quitté ce monde, il laissa pour successeur son fils Robert.

En ce temps fut conclue une paix appelée du nom de trève. Il fut aussi réglé que l'on s'abstiendrait de chair le vendredi et le samedi.

Le roi Robert se voyant déjà appesanti de vieillesse, résolut d'associer à son trône Hugues, son fils; mais ledit Hugues mourut la sixième année de son règne. Le roi Robert, peu de temps après, mourut à Melun, et fut enseveli auprès de Saint-Denis. Il laissa pour successeur son fils Henri. A la mort du roi Robert, des inondations de pluie enflèrent les fleuves dans divers pays; mais la Loire surtout déborda tellement qu'elle vint jusque dans les villages, bouleversa les maisons, enleva les bergeries avec les troupeaux, et fit périr plusieurs enfans des laboureurs. Le 9 mars, une comète apparut pendant l'espace de trois jours. L'année suivante, au mois de juillet, la grêle détruisit les vignes et les arbres, ce qui amena pendant trois ans une si violente famine, que les hommes dévoraient les rats et les chiens.

Henri ayant succédé à son père, l'an de l'Incarnation du Seigneur 103218 régna pendant vingt-sept ans. Constance, sa mère, après la mort de son mari, s’efforça de retenir en son pouvoir une grande partie du royaume, à savoir les villes de Senlis et de Sens, les châteaux de Bétisy et de Dammartin, du Puis, et de Melun, de Poissy et de Coucy. Elle s'était attaché beaucoup de grands de la France et de la Bourgo- 74 gne, et les avait engagés à trahir son fils; Henri ne le pouvant supporter, attaqua Poissy, et le força bientôt de rentrer sous sa domination. Enfin il assiégea et prit le Puiset; ce que voyant, Constance lui demanda la paix. Ensuite le roi attaqua le comte Eudes, lui enleva le château de Gournay, et réduisit en son pouvoir une partie de la ville de Sens, qu'Eudes avait reçue de la reine Constance.

Vers le même temps, c'est-à-dire l'an de l'Incarnation du Seigneur 1087, Rodolphe, roi de Bourgogne, étant mort sans enfans, le susdit comte de Champagne, fils d'Eudes, son neveu par sa sœur, vint envahir ses domaines. Il entra dans le territoire de Bourgogne, s'empara des villes et des châteaux jusqu'au bourg et au mont de Joux, et assiégea Vienne. Les habitans rendirent cette ville, à condition qu'Eudes s'y ferait élire et couronner roi à une époque fixée. Dans l'espace de ce temps, il fit une expédition dans le royaume de Lorraine, s'empara du château de Bar; et après y avoir laissé cinquante chevaliers, se dirigea vers d'autres lieux. Or Rodolphe, roi de Bourgogne, avait laissé à l'empereur son royaume et la lance de saint Maurice, qui était l'insigne des rois de Bourgogne. L'empereur apprenant qu'Eudes avait envahi la Bourgogne, envoya contre lui Gosselin, duc de toute la première Rhétie, qui détruisit son armée et tua Eudes lui-même, percé d'un grand nombre de blessures. Son corps fut transporté et enseveli à-Tours. Il eut pour successeurs ses deux fils, Thibaut et Etienne. Thibaut eut en partage les villes de Chartres et de Tours, et Étienne devint comte de Meaux et de Troyes. Mais ensuite ces deux frères s'étant 75 joint Raoul, comte de Valois, et homme fameux à la guerre, se révoltèrent contre le roi Henri, qui, ayant d'abord livré bataille à Étienne, le vainquit, et par le sort de la guerre, fit le comte Raoul son prisonnier. Enfin il suscita pour ennemi à Thibaut Geoffroi Martel, comte d'Anjou, qui, du consentement du roi, assiégea la ville de Tours. A la nouvelle de ce siége, Thibaut y accourut aussitôt avec ses gens. Geoffroi, en étant venu aux mains avec lui, le vainquit sur-le-champ, et le prit avec sept cent soixante chevaliers; il le tint dans les fers jusqu'à ce qu'il l'eût forcé à lui remettre ladite ville. Pendant ce temps, le roi vainquit et dépouilla de son héritage Galeran de Mantes.

Dans le même temps, Hugues Bardoulphe, homme d'un courage et d'une noblesse non communs, fortifia contre le roi Henri le château de Pithiviers: mais le roi l'ayant assiégé pendant deux ans, le força de se vendre: et dépouillant ledit Hugues de ses dignités, le chassa du territoire.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1o35, le comte Robert, fils et successeur de Richard, prince des Normands, revenant de Jérusalem, mourut à Nicée, et laissa pour successeur Guillaume, son fils, qui, dépouillé par les Normands, se rendit en France auprès du roi Henri. Le roi Henri l'accueillit avec bienveillance, et le fit ensuite rentrer heureusement dans ses droits. En effet, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1047, ledit roi Henri, à la tête de trois mille hommes d'armes seulement, livra bataille à trente mille Normands, les vainquit, et les força de recevoir pour maître le jeune Guillaume.

76 Avant ce temps, c'est-à-dire l'an de l'Incarnation du Seigneur 1o45, l'empereur Henri avait épousé à Besançon Agnès, fille de Guillaume, comte de Poitiers.

Vers la même époque19  le pape Léon vint en France, et consacra l'église de Saint-Remi a Rheims. Le roi prit pour femme Anne, fille du roi des Russes, dont il eut trois fils, Philippe, Hugues et Robert, qui mourut d'une mort prématurée. Ensuite, le même roi Henri fit construire devant les murs de Paris une église en l'honneur de saint Martin.

Dans ce temps20 un certain chevalier normand nommé Richard, homme brave et d'honnête famille, mais non pas d'une grande noblesse, se rendit pour prier au mont Saint-Ange avec quelques chevaliers de sa nation. Mais s'étant aperçu en traversant la Pouille que les habitans de ce pays étaient paresseux et sans courage, il y resta, et retint les siens avec lui. Enfin il manda aux hommes de son pays qu'ils vinssent en foule auprès de lui, s'ils voulaient acquérir des richesses et de la gloire. Ils commencèrent à venir vers lui en grand nombre, dix par dix; et vingt par vingt; et avec eux partit aussi Robert, neveu dudit Richard. Leur nombre et leurs forces s'étant accrus, ils soumirent par leur courage une grande partie de la province. Ledit Robert, homme d'un génie ardent, subjugua ensuite par sa valeur la Sicile et la Calabre. Lorsqu'il cessa de vivre, il laissa deux fils, Roger et Boémond. Roger fut un noble capitaine, 77 et Boémond remplit presque tout l'univers du bruit de son habileté.

La chaire de Rome, après le pape Léon, passa à Benoît, qui eut pour successeur Jean, auquel succéda Clément. Les Romains se révoltèrent contre ce Clément, et le chassèrent de son siége. Mais l'empereur Henri l'ayant appris, vint à Rome, et le rétablit. La même année, ledit empereur quitta ce monde, et eut pour successeur Henri III. Au pape Clément succéda Victor, qui eut pour successeur Étienne, auquel succéda Nicolas21.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 1059, le roi Henri fit sacrer son fils Philippe, âgé de sept ans, par l'archevêque Gervais à Rheims, le jour de la Pentecôte, en présence de vingt-deux archevêques et évêques et d'un grand nombre d'abbés de la France, de la Bourgogne et de l'Aquitaine. Il y assista aussi deux légats du pape, Nicolas Hugues, archevêque de Besançon, et Hermanfroi, évêque de Sédan22 L'année suivante, mourut le roi Henri, qui fut enterré auprès de Saint-Denis. Il laissa à Baudouin, comte de Flandre, homme dont il avait éprouvé la fidélité et la probité, la tutelle de son fils, le roi Philippe, qui n'était pas encore adulte.

Philippe prit possession du royaume des Français l'an de l'Incarnation du Seigneur 1o59, et régna environ quarante ans23. Sa mère Anne, veuve de Henri, se remaria à Raoul, comte de Valois, homme noble et 78 vaillant. Philippe n'avait pas encore atteint l'âge adulte, lorsque les grands de la France entrèrent dans l'Espagne, et assiégèrent et prirent la ville de Balbastro.

Dans ce temps, c'est-à-dire l'an de l'Incarnation du Seigneur 1o65, une comète parut pendant l'espace de trois mois, et la même année Guillaume, comte des Normands, déclara la guerre aux Anglais. Edouard, roi d'Angleterre, n'ayant pas de fils, avait adopté ledit Guillaume, et lui avait laissé son royaume. A sa mort, un certain comte des Anglais, nommé Harold, s'était emparé de la couronne; c'est pourquoi ledit Guillaume rassembla une armée considérable et fit voile pour l'Angleterre avec soixante-dix vaisseaux. Harold apprenant que ledit Guillaume était entré en Angleterre, s'avança à sa rencontre avec une grande armée. On en vint aux mains, et on se battit vivement de part et d'autre; mais enfin Harold fut vaincu et tué. A cette bataille, Guillaume avait dans son armée cent cinquante mille hommes. Après le combat, il marcha vers Londres, et y fut reçu et couronné le jour de la naissance du Seigneur.

La même année, les grands de Tours et d'Angers firent la guerre à leur prince Geoffroi le Barbu, le prirent dans la ville d'Angers le jeudi d'avant le vendredi saint24, et le retinrent prisonnier. Les chefs de cette détestable trahison étaient Foulques, frère de Geoffroi lui-même, Geoffroi de Preuilli, Robert de Bourgogne, Adelard, Renaud de Château-Gontier, et Gérard, fils de Berlays. Mais le même jour, la vengeance divine éclata sur eux; car le peuple de cette ville, conspirant unanimement, tua, vers la neuvième 79 heure environ, Geoffroi de Preuilli. Renaud de Château-Gontier et Gérard, fils de Berlays, furent tués le même jour; Adélard fut brûlé et Robert mis en pièces. Le comte Foulques, qui s'était emparé des biens de son frère, craignant que le roi Philippe, à cause du crime qu'il avait commis, ne fondît sur lui et ne le dépouillât de ses biens, lui abandonna le comté du Gâtinais. Geoffroi et Foulques étaient neveux de Geoffroi-Martel, dont leur père Albéric, comte du Gâtinais, était frère de sœur. Martel mourut sans enfans.

Dans ce temps, Baudouin, comte de Flandre, étant mort, laissa pour successeur son fils Baudouin; mais le jeune Baudouin survécut de peu d'années à son père. Robert son oncle lui succéda. Peu de temps après mourut aussi Raoul, comte de Valois25 Il eut pour successeur son fils Simon, qui lui survécut peu de temps, pendant lequel il combattit, dans les affaires du siècle, avec assez de valeur. Enfin, inspiré de Dieu, à la fleur de sa jeunesse, il abandonna par amour pour le Seigneur les pompes mondaines, s'exila et vint à Rome, où, placé près de Dieu, il quitta ce monde26, et fut enseveli avec honneur sous le portique de Saint-Pierre. Dans le même temps, un jeune homme nommé Thibaut, d'une illustre origine, et du château de Provins dans le territoire de Sens, se rendit dans un désert, où il vécut pendant près de sept ans, au bout desquels il mourut. Dieu daigna souvent, en certains lieux, le glorifier par de grands miracles.

Dans ce temps-là, les Sarrasins conduits par un certain roi nommé Viffète27, passèrent la mer et s'empa- 80 rèrent du territoire d'Alphonse, roi de Galice et d'Asturie. Alphonse leur livra bataille, mais il fut vaincu. Sachant que les Français pouvaient être facilement décidés à faire la guerre, il envoya en France faire savoir aux grands, du royaume que, s'ils ne le secouraient, il ferait alliance avec les Sarrasins et abandonnerait le christianisme. A cette nouvelle, les Français firent à l'envi des préparatifs et marchèrent à son secours. Aussitôt que les Sarrasins apprirent leur arrivée, frappés d'épouvante, ils s'en retournèrent aux lieux d'où ils étaient venus. Les Français, après avoir parcouru l'Espagne, revinrent dans leur pays.

Pendant ce temps, Guillaume, roi d'Angleterre, fit construire dans son territoire le monastère de Saint-Etienne de Caen qu'il enrichit d'un grand nombre de propriétés. Gui, comte de Poitiers, fonda et fit contruire dans cette ville un monastère en l'honneur de saint Jean. Dans le même temps, un certain moine nommé Gérard fit bâtir sur les bords de la Loire, dans le territoire d'Autun, un monastère consacré à sainte Marie, mère de Dieu, et appelé le monastère de la Charité. Un autre moine, nommé aussi Gérard, d'une éminente sainteté, fonda entre la Dordogne et la Garonne, dans le territoire de Bordeaux,un autre monastère consacré à sainte Marie, mère de Dieu, et appelé Grand-Selve. Guillaume, abbé de Fleury, commença à faire reconstruire sur de nouveaux fondemens l'église qu'il gouvernait, et qui était ruinée par la vétusté et par beaucoup d'incendies; mais, atteint par la mort, il ne put achever son ouvrage.

Le roi Philippe, déjà dans la force de la jeunesse, 81 prit en mariage28  Berthe, fille de Florent, duc de Frise, dont il eut le seigneur Louis, qui règne actuellement, et sa sœur, nommée Berthe29. Vers ce temps environ30, mourut le comte Thibaut, qui eut pour successeurs ses deux fils, Étienne et Hugues. Étienne devint comte de Blois et comte de Chartres et de Meaux, et Hugues, comte de Troyes. Guillaume, roi d'Angleterre, eut pour successeurs les trois fils qu'il avait eus de Mathilde, sœur de Baudouin comte de Flandre, à savoir, Robert, Guillaume et Henri, et Adèle, leur sœur. Robert, qu'il avait eu avant son avénement, devint comte des Normands, et Guillaume, engendré pendant son règne, obtint sa couronne; Adèle, leur sœur, fut mariée à un nommé Étienne, comte de Chartres, de Blois et de Meaux.

L'an de l'Incarnation du Seigneur 107431, mourut le pape Alexandre, auquel succéda Hildebrand, archidiacre de l'Église romaine, et qui prit le nom de Grégoire VII. Il fut élu sans le consentement et la permission de l'empereur, qui en fut offensé. Le pape, aussitôt après sa consécration, tint un concile dans lequel, parmi d'autres décrets, il publia cette ordonnance, que si quelque évêque ou abbé recevait un évêché ou une abbaye des mains d'un laïque, il ne pourrait être admis parmi les évêques ou les abbés, et ne serait pas confirmé dans son ordination, à moins qu'il ne renonçât lui-même à des dignités qu'il s'était permis d'accepter illégitimement. L'empereur crut ce décret publié contre lui. Pendant ce temps, les 82 Saxons ayant fait une conspiration contre l'empereur, élurent roi un certain duc nommé Rodolphe, qui se rendit aussitôt vers le pape, et lui promit de lui demeurer toujours fidèlement soumis, s'il voulait lui accorder sa protection. Le pape accueillit volontiers sa promesse; et ayant tenu ensuite un autre concile, il excommunia Henri et tous ses adhérens, lui interdit, de la part de Dieu et de la sienne, le royaume d'Italie et des Teutons, et défendit à tout Chrétien de lui obéir comme à son roi. Il fulmina ces imprécations pour que ni l'empereur, ni ses partisans, n'obtinssent dans aucun combat ni avantage ni victoire. Il accorda à Rodolphe, de la part de Dieu et de la sienne, le gouvernement du royaume, prononça l'absolution de tous les péchés pour lui et pour ses fidèles partisans, et leur donna sa bénédiction. Cependant l'empereur ayant livre bataille à Rodolphe, celui-ci fut tué. Dans son exécrable fureur, l'empereur vint à Rome, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1084, prit cette ville, en renversa les murailles, renferma le pape dans la tour de Crescence, fit sacrer 'l'archevêque de Ravenne, l'établit sur le siége de l'Église de Saint-Pierre, et le fitappeler Clément. Grégoire, renfermé dans la tour de Crescence, envoya un député à Robert, duc de la Pouille, pour le prier de venir, et de faire lever le siége. Aussitôt que l'empereur en fut instruit, il s'éloigna de la ville avec ledit pape Clément. Après son départ, Robert arriva, et conduisit le 'pape Grégoire à Salerne, qu'il habita jusqu'à sa sortie de ce monde. A sa mort, le clergé et le peuple, qui étaient de son parti, ordonnèrent pape à sa place Didier, abbé de Mont-Cassin, qui reçut le nom de Vic- 83 tor. Il mourut peu de temps après, du vivant même de Clément, et eut pour successeur Eudes, évêque d'Ostie, et qui fut appelé Urbain.

L'an de l'Incarnation du Seigneur11oo, Guillaume, roi d'Angleterre, successeur et fils du grand roi Guillaume, étant à chasser dans une forêt située près de la ville de Winchester, tomba mort, percé d'une flèche par un certain chevalier chasseur, qui lança cette flèche et le frappa involontairement, car il se préparait à percer un cerf; mais le trait rebroussa en arrière, vint percer le roi sans qu'on s'y attendît, et le tua soudain. Il n'est pas douteux que cet événement ne soit arrivé par la volonté de Dieu, car ce roi était vaillant à la guerre et plein de générosité, mais trop dissolu et trop débauché. Cependant avant sa mort, il aurait pu, s'il eût voulu, être corrigé par les nombreux prodiges qui lui apparurent, car au moment où était suspendue sur sa tête la mort subite que méritaient ses péchés, il vit de ses propres yeux, durant un jour, dans l'île qu'il habitait, sortir de terre une eau sanglante; ce qui, disait-on, présageait sa mort. Dans le même temps apparurent, dans la même île, d'autres prodiges surprenans qui auraient dû, comme nous l'avons dit, l'épouvanter et l'engager à réformer sa vie; mais, fier de sa jeunesse et enflé d'orgueil par son rang, il les méprisa, et demeura incorrigible. C'est pourquoi, par le jugement de Dieu, il mourut, saisi d'une mort soudaine et prématurée. Il eut pour successeur son jeune frère Henri, homme sage et modeste.

Avant ce temps, c'est-à-dire l'an de l'Incarnation du Seigneur 1095, on vit, le 4 avril, depuis le mi- 84 lieu de la nuit jusqu'à l'aurore, tomber du ciel des étoiles; et la même nuit, Giraud, abbé de Grand-selve, monta vers le Seigneur. La même année, le pape Urbain vint en France, et tint au mois de novembre un grand concile à Clermont. L'empire d'Orient était infesté de Turcs et de Persans: la grande et la petite Cappadoce, la grande et la petite Phrygie, la Bitbynie et l'Asie, la Galatie et la Libye, la Pamphilie et l'Isaurie, la Lycie et les principales îles de ces pays à savoir Chio et Mytilène, étaient retenues en leur pouvoir, et chaque jour on voyait massacrer les Chrétiens, et insulter notre Seigneur le Christ et notre religion. C'est pourquoi le pape, dans ce concile, exhorta les Français, qu'il connaissait pour des hommes très-belliqueux, à marcher courageusement au secours de leurs frères opprimés, de peur que de leur temps le christianisme ne périt entièrement en Orient. Il assura une glorieuse et ineffable récompense dans le ciel à tous ceux qui prendraient la croix du Seigneur et marcheraient vers le saint sépulcre pour accomplir cette expédition. Enfin tous les évêques présens au concile affirmèrent que tous ceux qui défendraient le christianisme de la tempête qui le menaçait, seraient admis à la troupe des saints martyrs, et obtiendraient sans aucun doute dans ce monde une renommée glorieuse et éternelle, et dans le ciel une ineffable récompense. On exhorta tous ceux qui possédaient des armes à secourir pieusement de toutes leurs forces leurs frères chrétiens en danger. On vit donc, peu de temps après, une immense multitude de peuple accourir en foule, de son propre mouvement, d'Occident en Orient, formant une armée de 85 chevaliers et de gens de pied, munis de traits et armes de diverses sortes. Ni l'inexpérience de l'enfance, ni la débilité de la vieillesse, ni la faiblesse du sexe, ne pouvait retenir personne dans les maisons. Mais tous, inspirés par la Divinité, et sans y être contraints par l'autorité d'aucun prince ni d'aucun roi, s'empressaient, pleins d'ardeur, d'accomplir une si pénible expédition; et avec les hommes, on voyait marcher les femmes et les petits enfans. Parmi tous, on sait que les plus puissans et les plus renommés furent Adhémar, évêque du Puy, Raimond, comte de Saint-Gilles; Hugues, frère du roi Philippe; Robert, comte des Normands; un autre Robert, comte de Flandre; Godefroi et son frère Baudouin de Bouillon; Étienne, comte de Chartres; Boémond, frère de Roger, duc de la Pouille; Tancrède, son cousin-germain; et Pierre l'Ermite, qui conduisit cette grande armée. Il y avait avec eux plusieurs autres grands de divers pays, dont il n'est pas nécessaire de détailler les noms.

Dans le temps du roi Philippe, c'est-à-dire l'an de l'Incarnation du Seigneur 110232, mourut Godefroi, roi de Jérusalem, auquel succéda son frère Baudouin. L'empereur Henri mourut l'an de l'Incarnation du Seigneur 1106. L'an de l'Incarnation du Seigneur 1108, Philippe, roi de France, homme sage et clément, mourut à Melun, le 29 juillet, la cinquante-troisième année de sa vie33 et la quarante-septième année de son règne. Il fut enseveli dans le monastère de Fleury, dans l'église île Sainte-Marie, mère de Dieu, et du saint père Benoît. Il eut pour successeur Louis, son fils, roi et chevalier 86 d'une très-grande bravoure. La même année, mourut Alphonse, roi d'Espagne, homme courageux et sage.

J'ai écrit ces choses, dans un style simple et sans ornement, pour ceux qui veulent connaître les actions des rois modernes, et j'ai renfermé dans un livre peu étendu beaucoup de faits mémorables. Je passe cependant sous silence, dans cette histoire, Un grand nombre d'événemens que je n'ignore pas, et beaucoup de choses qu'on ne trouve nulle part dans les auteurs latins; c'est pourquoi ce livre paraît contenir moins qu'il ne devrait. Par lui cependant on peut s'instruire de la suite des temps et de plusieurs autres choses très-dignes d'être connues; mais toutes ces choses sont, je le sais, dédaignées par des hommes étrangers à l'urbanité, à la science des lettres, et dont la grossière gaîté est accompagnée de paresse et d'oisiveté, et aussi de ceux à qui sont en mépris les récits abrégés, et auxquels les longs discours ont coutume d'apporter de l'ennui. Cependant elles pouront être utiles à ceux dont le plaisir est de connaître plusieurs choses.

 

NOTES:

(1Fille de Henri Ier, roi d'Angleterre. Elle avait épouse en 1114 l'empereur Henri; à sa mort, en 1125, elle retourna en Angleterre; en 1129, elle épousa Geoffroi dit Plantagenet, comte d'Anjou, et conserva le titre d'impératrice. C'est après cette époque que Hugues de Fleury lui dédia sa chronique.

(2) C'est une erreur; il faut lire Charles le Gros.

(3) En 949.

(4Hugues le Grand.

(5)  En 950.

(6En 954.

(7Sœur.

(8Othon.

(9Il est inutile d'avertir que ce paragraphe fourmille d'erreurs.

(10) Rodolphe ou Raoul, fils de Conrad le Pacifique, que le chroniqueur fait mourir en 963, ne monta sur le trône du royaume d'Arles qu'en 993, et mourut en 1032. Sa sœur Gisèle, bien loin d'avoir épousé l'empereur Henri, était sa mère; elle avait épousé Henri, duc de Bavière.

(11) A Orléans.

(12) Ou Adalbéron.

(13Silvestre II, pape de 999 à 1003. Ce paragraphe fourmille d'erreurs.

(14La dixième, le 24 octobre 996.

(15Il paraît que Robert ne fit la guerre au comte Othon Guillaume qu'après la mort de son oncle, le duc Henri, mort en 1002, et dont le comte Guillaume voulut s'approprier le duché.

(16) Ce n'était pas son fils.

(17) Aucun autre historien ne parle de cette prétendue expédition.

(18) En 1031.

(19)  En 1049.

(20)  C'est en 1016 que les chevaliers normands arrivèrent pour la première fois en Italie.

(21 Cette série de papes est pleine d'erreurs; l'empereur que le chroniqueur nomme Henri III est Henri IV.

(22) Voir, dans ce même volume, le procès-verbal de ce sacre.

(23Quarante-huit ans.

(24Le 5 avril 1067.

(25 Le 8 septembre 1074.

(26Le 29 septembre 1082.

(27) Ioussouf.

(28) En 1072.

(29Constance.

(30 En 1089.

(31)  1073.

(32En 1100.

(33La cinquante-sixième.

 

FIN DE LA CHRONIQUE DE HUGUES DE FLEURY.