AVIS DE L'ËDΙΤΕUR.
Plus d'un demi-siècle s'est écoute depuis la publication de l'Hérodote de Larcher, et pendant ce demi-siècle le succès de cet ouvrage n'a pas cessé de s'accroître. C'est aujourd'hui un livre classique, et les savants eux-mêmes lui ont marqué sa place, en le signalant comme le monument durable d'un grand travail qui avait absorbé la vie entière de son auteur.
Lorsque Larcher publia cette traduction, il crut nécessaire d'y joindre un assez grand nombre de notes puisées aux sources les plus savantes, et utiles soit pour l'établissement du texte, soit pour l'intelligence des faits. Ces notes remplissent quatre volumes de sa première édition, et six de sa seconde. C'était beaucoup, c'était trop, sans doute; et cependant Larcher préparait une troisième édition, dont nous avons eu la copie sous les yeux et où un assez grand nombre de notes nouvelles se trouvaient ajoutées.
On l'a blâmé avec raison de ce luxe effréné d'érudition; et Volney savant remarquable, et de plus homme de goût, avait témoigné le désir qu'une main amie se chargeât d'élaguer ces broussailles de la science, sous lesquelles l'arbre vigoureux d'Hérodote demeurait comme enseveli. Le but était d'éclairer et non d'étouffer l'historien.
C'est ce travail que nous offrons aujourd'hui au public; nous avons tenté de réaliser le voeu de Volney, de supprimer l'érudition inutile, de recueillir les éclaircissements indispensables, et de réunir dans un très petit nombre de notes, empruntées aux autres commentateurs, tout ce qui peut faciliter l'étude du père de l'histoire, ou comme l'appelait le docte Sainte-Croix, du grand rival d'Homère.
L. AIMË-MARTIN.
26 mai 1842.
PLAN DE L'HISTOIRE D'HÉRODOTE
Hérodote ne s'était proposé pour but, comme il le dit même au commencement de son Histoire, que de célébrer les exploits des Grecs et des Perses, et de développer les motifs qui avaient porté ces peuples à se faire la guerre. Parmi les causes de cette guerre, il y en avait d'éloignées et de prochaines. Les éloignées étaient les enlèvements réciproques de quelques femmes de l'Europe et de l'Asie, qui, ayant donné occasion à la guerre de Troie, avaient ulcéré les coeurs des Asiatiques contre les Grecs. Les causes prochaines étaient les secours que les Athéniens avaient donnés aux Ioniens dans leur révolte, l'invasion de l'Ionie et l'incendie de Sardes par les Athéniens. Les Perses, irrités de ces hostilités, résolurent d'en tirer une vengeance éclatante. Les Perses avaient été jusqu'alors peu connus des Grecs. Il était donc nécessaire de leur faire connaître cette nation, contre laquelle ils avaient lutté avec tant de gloire. Pour parvenir à ce but, Hérodote a pris ce peuple dans son origine, et nous a fait voir par quels moyens il avait secoué le joug des Mèdes ; et, comme cela n'aurait pas donné aux lecteurs des idées bien claires et bien nettes, il a fallu leur présenter un coup d'oeil rapide de l'histoire des Mèdes. Cette histoire elle-même était tellement liée avec celle des Assyriens, dont les Mèdes avaient été sujets, qu'il a dû instruire les lecteurs de la manière dont ils avaient secoué le joug, et donner pareillement un abrégé de l'histoire d'Assyrie. Ces trois histoires ne sont donc pas des hors-d'œuvre. On ne peut retrancher l'une sans répandre de l'obscurité sur les deux autres ; et, si on les supprime toutes les trois, on n'aura qu'une connaissance très imparfaite des difficultés que les Grecs eurent à surmonter.
Cyrus, ayant subjugué la Médie, marcha de conquêtes en conquêtes. Cette puissance formidable donna de l'inquiétude à Crésus. Il voulut la réprimer, et par là il attira sur lui les armes de Cyrus ; il fut battu, et son pays fut conquis. C'était une occasion pour faire connaître les Lydiens. Hérodote la laissa d'autant moins échapper, qu'il était bon de donner au moins un aperçu de ces princes qui avaient soumis la plupart des Grecs établis en Asie. Cependant, comme il ne perdait jamais de vue le plan de son Histoire, il ne dit que deux mots de l'origine du royaume de Lydie, de ses progrès et de sa destruction. Cyrus, après cette conquête, laisse à ses généraux le soin de soumettre les Grecs asiatiques ; il marche en personne contre les Babyloniens et les peuples de leur dépendance, et les subjugue. Hérodote ne s'arrête quelques instants que sur les objets les plus importants et les plus intéressants. Aussi ne parle-t-il ni des Bactriens ni des Saces, que Cyrus avait subjugués. S'il s'étend davantage sur les Massagètes, c'est que la guerre que leur fit Cyrus lui fut très funeste, et qu'il périt dans un combat qu'il leur livra.
Cambyse, son fils, lui succéda. Fier de sa puissance, il marcha en Égypte. Ce pays était alors le plus célèbre qu'il y eût dans le monde ; et les Grecs commençaient à y voyager, plus cependant pour les intérêts de leur commerce que par curiosité et par le désir de s'instruire, quoique ces deux derniers motifs y eussent beaucoup de part. Il était donc de la dernière importance de leur donner une connaissance de ce pays singulier, de ses productions, des moeurs et de la religion de ses habitants, avec un récit succinct de ses rois. Hérodote y a employé son second livre. L'Égypte soumise, Cambyse marcha contre le faux Smerdis, qui s'était révolté contre lui ; il périt par un accident. Peu de temps après sa mort, on découvrit la fourberie du mage Smerdis ; il fut massacré, et l'on élut pour roi Darius. Ce prince remit sous le joug les Babyloniens qui s'étaient révoltés, et, comme il était très ambitieux , il voulut asservir les Scythes. Ces peuples n'étaient alors connus que par leurs voisins, et par les Grecs établis dans les villes limitrophes de la Scythie. Les Scythes étaient alors pour les Grecs un objet de curiosité d'autant plus piquant, qu'il y avait déjà en Thrace et sur les bords du Pont-Euxin, tant en Europe qu'en Asie, des colonies grecques. Si notre historien ne s'est pas étendu sur ces peuples avec la même complaisance que sur les Égyptiens, du moins l'a-t-il fait avec assez d'étendue pour donner aux Grecs une idée de la forme de leur gouvernement et de leurs moeurs, avec une description succincte de leur pays. Cette description est si exacte, qu'elle se trouve confirmée dans la plupart de ses points par la relation de ceux d'entre les modernes qui ont voyagé dans la Bulgarie, la Moldavie, la Bessarabie, le Czernigow, l'Ukraine, la Crimée, et chez les Cosaques du Don. Darius fut obligé de repasser honteusement dans ses États. Les ioniens, qui ne savaient ni être libres ni être esclaves, se révoltèrent. Ils s'étalent assurés des secours des Athéniens, qui cependant ne leur en donnèrent que de médiocres. Avec ces secours, ils s'emparèrent de Sardes, et y mirent le feu. Darius, ayant appris la part que les Athéniens avaient eue à la prise et à l'incendie de cette ville, jura de s'en venger. Il commença par remettre sous le joug les Ioniens. Les Ioniens soumis, il envoya contre les Athéniens une armée formidable. Les Perses furent battus à Marathon. A cette nouvelle, Darius, furieux, fit des préparatifs encore plus considérables. Mais sur ces entrefaites l'Égypte s'étant soulevée, il fallut la réduire. La révolte de l'Égypte n'avait fait que suspendre la vengeance de Darius. Ce pays ne fut pas plutôt soumis, qu'il reprit le dessein de châtier les Athéniens ; mais sa mort, qui survint peu après, en suspendit l'exécution. Xerxès, son fils et son successeur, qui n'était ni moins ambitieux ni moins vindicatif que son père, non content de châtier les Athéniens, voulut encore subjuguer le reste de la Grèce. Résolu de marcher en personne contre les Grecs, il leva l'armée la plus nombreuse et la plus formidable dont on ait jamais entendu parler. Il équipa une flotte considérable, et pendant plusieurs années il ne s'occupa qu'a faire transporter dans les villes frontières de la Grèce les blés et les vivres nécessaires à la subsistance de cette multitude innombrable d'hommes. Il reçut d'abord un échec au pas des Thermopyles. Sa flotte ayant ensuite été battue à Salamine, il repassa honteusement en Asie ; mais, ayant laissé Mardonius en Grèce avec l'élite de ses troupes, ce général, vaincu à Platée, périt dans l'action avec la plus grande partie de son armée. Le jour même de la bataille de Platée, il se livra à Mycale, en Carie, un sanglant combat. Les Grecs y remportèrent une victoire signalée.
C'est ici qu'Hérodote termine son Histoire. On voit, parce court exposé, qu'il y a dans toutes les parties de ce bel ouvrage une liaison intime ; qu'on n'en peut retrancher aucune sans répandre de l'obscurité sur les autres ; que notre historien marche avec rapidité, et que s'il s'arrête quelquefois en chemin, ce n'est que pour ménager l'attention de ses lecteurs, et pour les instruire agréablement de tout ce qu'il leur importait de savoir.
LARCHER.