Grégoire de Tours
Les sept livres des Miracles
Les
sept livres des Miracles
Livre premier — De la gloire des bienheureux martyrsPRÉFACE. Qu’il faut s’attacher non aux fictions des poètes ni aux opinions des philosophes, mais à la vérité évangélique. CHAPITRE I. De la naissance de Jésus-Christ à Bethléem. II. Des miracles de Jésus-Christ. III. De sa passion, de sa résurrection et de son ascension. IV. Des apôtres et de la vierge Marie. V. De la croix et de ses merveilles. La reine Radegonde obtint une portion de la vraie croix et la plaça dévotement avec d’autres reliques dans le monastère qu’elle avait fondé à Poitiers… J’entendais souvent dire que les lampes qui brûlaient devant ces reliques sacrées entraient en ébullition par une vertu divine et qu’elles faisaient tellement déborder l’huile que le vase placé au-dessous en était la plupart du temps rempli. Pourtant par la sottise d’un esprit endurci, je ne pouvais me décider à le croire, jusqu’à ce que cette même vertu, qui s’était déjà manifestée à d’autres, agissant en ma présence, finit par triompher de nia brusque insouciance. Je dirai donc ce que j’ai vu de mes propres yeux. Un jour, allant par dévotion visiter le tombeau de saint Hilarius, j’eus une entrevue avec la reine. J’entrai dans son monastère, et après que je l’eus saluée, j’allai me prosterner devant la croix adorable et les sacrées reliques des bienheureux. Puis ma prière faite je me levai. Il y avait à ma droite une lampe allumée. Ayant remarqué qu’il en coulait fréquemment des gouttes d’huile, je crus, j’en prends Dieu à témoin, que le vase était fêlé, d’autant plus qu’on avait placé au-dessous une capsule dans laquelle l’huile découlait. Me tournant alors vers l’abbesse, je lui dis : Es-tu donc si peu soigneuse que tu ne puisses préparer une lampe où l’huile brûle, au lieu de celle-ci qui est fêlée et d’où l’huile fuit ? Elle me répondit : Seigneur, ce n’est pas cela ; mais c’est un effet de la vertu de la sainte croix que tu vois. Alors, faisant un retour sur moi-même et me rappelant ce que j’avais ouï dire, je regardai la lampe et la vis bouillir à grands flots et se répandre par les bords, comme le fait une marmite sur un feu ardent. Phénomène qui, pour mieux convaincre mon incrédulité, je pense, allait toujours en augmentant, si bien que dans l’espace d’une heure le vase, qui ne tenait pas plus d’une quarte, avait répandu un setier. J’admirai en silence, et à partir de ce moment je proclamai la vertu de l’adorable croix. [i] Chrodegilde, jeune aveugle du territoire du Mans, qui, par ordre du roi Chilpéric, devint religieuse au monastère de sainte Radegonde, du vivant de celle-ci, y recouvra la vue au pied de la sainte croix. VI. De la découverte des clous de la vraie croix. VII. De la lance, de la couronne d’épines et de la colonne. VIII. De la tunique sans couture de Jésus-Christ. IX. Des miracles opérés dans la basilique bâtie par Constantinus en l’honneur de la vierge Marie. On conserve des reliques de la Vierge dans l’oratoire du monastère de Marsat en Auvergne ; oratoire où Grégoire aperçut une fois de vives clartés au milieu de la nuit, ce qu’il regarde comme un miracle dû à ces reliques. X. Un enfant juif s’étant fait admettre à la communion dans une église chrétienne est jeté par son père dans un four ardent. Il en est retiré sans aucun mal et son père brûlé par le peuple. XI. Du monastère de Jérusalem et des miracles produits par les reliques de la vierge Marie. Un jour, en voyage, je portais sur moi, dans une croix d’or, des reliques de cette bienheureuse Vierge, avec d’autres reliques des saints apôtres et du bienheureux Martin, quand j’aperçus non loin de la route la chétive habitation d’un pauvre homme en proie aux flammes. Elle était couverte de feuillage, ce qui donnait un très vif aliment au feu. Le malheureux courait avec sa femme et ses enfants porter de l’eau à sa maison qui brûlait, mais sans pouvoir modérer les flammes. Tirant alors ma croix de ma poitrine je l’élevai de ce côté, et aussitôt, à l’aspect des saintes reliques, le feu disparut. XII. De saint Jean-Baptiste. Une matrone venue des Gaules par dévotion pour jouir de la présence de notre Seigneur gagna par des présents le bourreau du saint, et tenant prête une tasse d’argent pendant qu’il frappait, elle recueillit un flacon de sang, qu’elle déposa sur l’autel de l’église de saint Jean, à Bazas. XIII. La ville de Bazas assiégée par Gauserie, roi des Huns, est sauvée miraculeusement. Pierre merveilleuse dont l’éclat resplendit quand l’homme qui s’en approche est sans péché et s’obscurcit lorsque c’est un coupable. XIV. D’une femme de Maurienne (sainte Tigre), qui obtint un pouce de saint Jean-Baptiste. Rufus évêque de Turin essaye vainement d’enlever cette relique à la ville de Saint-Jean de Maurienne. XV. Reliques de saint Jean au monastère de Saint-Martin de Tours. XVI. Femme punie miraculeusement à Langeais, en Touraine (vices Alingaviensis), pour avoir fait cuire du pain sous la cendre un dimanche. XVII. Du fleuve de Palestine le Jourdain. XVIII. Des eaux thermales de la ville de Livia (Levida) en Palestine. XIX. Lépreux guéri dans le lieu où le Seigneur fut baptisé. J’ai vu autrefois un homme nommé Johannes, qui était parti des Gaules infecté de la lèpre, et qui disait avoir passé une année entière dans le lieu même où le Seigneur avait été baptisé. Il s’y était baigné assidûment et y avait recouvré la santé… Nous avons vu bien des lépreux guéris pour s’être lavés soit dans le Jourdain soit dans les eaux de Livia. XX. De l’église Sainte-Marie et Saint Jean-Baptiste, à Tours, et de la manière dont les parjures y sont punis. XXI. Statue du Christ à Panéas en Judée. XXII. Du juif qui déroba une image du Christ et la transperça. XXIII. Peinture dans l’église de Narbonne représentant le Christ sur la croix, presque nu. Basileus, prêtre de l’église de Narbonne, est averti en songe de faire mettre un voile sur ce tableau. XXIV. De la piscine miraculeuse d’Osser en Espagne, qui se remplit d’elle-même pour le baptême vers le jour de Pâques, et se désemplit de la même manière. XXV. Punition des hérétiques qui ne croient pas à ce miracle, notamment du roi Theodegisile. XXVI. Le peuple s’empresse avidement pour puiser de l’eau à cette source ; mais un coupable n’en obtient point. XXVII. De l’apôtre Jacques frère du Seigneur. XXVIII. De l’apôtre Pierre. XXIX. De l’apôtre Paul. XXX. De saint Jean apôtre et évangéliste. XXXI. De l’apôtre André. Merveilles de son tombeau à Patras en Achaïe. Une église des Gaules qui possédait des reliques de saint André ayant été incendiée au temps où après la mort de Chlodomer, roi des Francs, son armée ravageait la Bourgogne, ces reliques furent préservées par miracle. Un soldat qui était du pays de Tours, les prit, et se reconnaissant indigne par lui-même d’en être porteur, il choisit parmi le butin une toute jeune fille sans tache par laquelle il les fit porter, attachées à son cou dans une boite, jusqu’à l’église de Neuvi (le-roi, près Tours), où elles furent déposées sur l’autel. Du temps du roi Théodebert, Mummolus, se rendant par mer à Constantinople vers l’empereur Justinianus, aborda à Patras, et saisi des douleurs de la gravelle, en fut délivré par sa dévotion à saint André. XXXII. De l’apôtre Thomas, martyrisé dans l’Inde et enseveli à Édesse. XXXIII. De l’apôtre Barthélemy martyrisé dans l’Inde et enseveli clans l’île de Lipari. XXXIV. Du protomartyr Stéphanus. Son oratoire à Toms agrandi par Grégoire. Une portion de son sang conservée dans l’église de Bourges. Punition d’un habitant de cette ville qui, du temps de l’évêque Félix, accusa faussement ses voisins, en présence de cette relique. Vision d’une femme qui s’étant trouvée la nuit dans l’église Saint-Pierre de Bordeaux y vit saint Stéphanus qui venait, dit-il, de sauver un navire en danger. Elle essuya de son mouchoir les gouttes d’eau qui en effet dégouttaient des vêtements du saint et les montra à l’évêque de Bordeaux, Bertehramn qui, dit Grégoire, conserve ce mouchoir avec admiration et s’en sert pour guérir les malades. XXXV. De Clémens évêque et martyr qui fut précipité dans la mer avec une ancre attachée à son cou. XXXVI. D’un enfant qui dormit sur le tombeau de Clémens durant toute une année comme si ce n’eût été qu’une nuit. XXXVII. De saint Aredius (saint Yrieix) qui fait cesser l’aridité. Une source tarie, dans le territoire de Limoges, reparaît par ses prières devant une relique de saint Clémens. XXXVIII. Des martyrs Chrysanthès et Daria. XXXIX. Du martyr Pancratius, près Rome, redoutable punisseur des parjures. XL. De Jean I, évêque de Rome, martyrisé par les ordres du roi arien Théodoric. XLI. De la vertu inhérente à la foi et au nom chrétiens. XLII. De saint Laurentius. Miracle produit en Limousin par une de ses reliques par l’intermédiaire de saint Arédius. XLIII. De Cassianus, martyr en Italie. Il était maître d’école et il fut livré, par le Jugement des persécuteurs, à ses élèves qui le déchirèrent avec les stylets de bronze dont ils se servaient pour écrire sur leurs tablettes de cire. XLIV. Agricola et Vitalis martyrs à Bologne en Italie. Namacius évêque des Arvernes envoie chercher de leurs reliques pour les placer dans l’église bâtie par lui à Clermont. XLV. De saint Victor, martyr à Milan. L’Arverne Apollinaris (fils de Sidoine Apollinaire) étant retenu prisonnier en Italie, où il avait été à la suite du duc Victorius, qui y fut tué, s’échappa et regagna sa patrie par l’intercession de saint Victor. XLVI. Église de saint Laurentius à Milan. Un calice de cristal qu’un diacre avait brisé en le posant sur l’autel y redevient net et entier après qu’on eut passé une nuit en prières. XLVII. Des saints Gervasius et Protasius de Milan. Saint Nazarius et l’enfant Celsus martyrisés à Embrun. Saint Genesius (saint Geniez) à Arles. XLVIII. Saturninus envoyé dans le pays des Tolosates (in urbem Tolosatium) par des disciples des apôtres et lancé du haut des degrés du capitole de Toulouse, à la queue d’un taureau furieux. Reliques de lui conservées dans un petit oratoire à Brioude. Au temps du roi Chlothaire un certain Platon arriva au monastère de Paulhac[ii] dans l’oratoire duquel on conserve des reliques de ce saint, et parce que l’abbé ne lui avait pas fait quelque présent, il s’écria, dit-on : Je ferai de cette église une maison du roi, et les chevaux y auront leur mangeoire dans un coin ! S’éloignant avec fureur il se disposait à rejoindre le prince lorsqu’il fut pris de la fièvre, et au bout de trois jours il était mort. XLIX. Des quarante huit chrétiens martyrisés à Lyon[iii], au lieu appelé Ainay (Athanacum). L. De Fotinus évêque de Lyon et de son successeur saint Ireneus enseveli dans l’église Saint-Jean entre Epipodius et le martyr Alexander. LI. De Benignus martyrisé dans le château de Dijon. Crypte élégante et grande basilique élevées sur son tombeau par Grégoire évêque de Langres. Sainte Paschasia apparaît miraculeusement aux constructeurs de la basilique et encourage leurs travaux. Beaucoup de fidèles versent du vin et de la bière dans les trous de la pierre où les pieds de saint Benignus furent fixés avec du plomb fondu et s’en servent pour se guérir d’ophtalmies ou de blessures. J’en ai fait moi-même la plus sûre expérience : car étant affecté d’une grave inflammation des yeux, dès que j’eus touché mes paupières avec cet onguent sacré toute douleur cessa. Lorsque la fameuse peste[iv] qui fut chassée par les prières du saint évêque Gallus eut gagné le pays Arverne et que l’on vit tout à coup les murs des maisons et des églises se couvrir de caractères et de signes, ma mère crut voir en songe pendant la nuit que le vin que nous conservions dans nos caves s’était changé en sang. Malheur à moi, s’écria-t-elle, car ma maison est désignée au fléau. Mais elle en fut préservée par ses prières au martyr Benignus. LII. Symphorianus martyrisé à Autun. Trois cailloux arrosés de son sang furent déposés comme reliques sur l’autel de l’église du château de Thiers dans le pays Arverne. Cette église était bâtie en planches. Quand Théodoric roi des Francs ravagea cette contrée, le château de Thiers fut incendié, mais la relique demeura intacte dans sa boite d’argent. LIII. Du bienheureux Marcellus martyr à Chalon. Récit fait à Grégoire, par Fedamius fils d’un prêtre Arverne appelé Eunomius, de la punition d’un parjure dans l’église de ce saint. LIV. Valerianus, parent de Marcellus, subit comme lui le supplice, à Tournus. Gallus, comte de Chalon, tourmenté par des maux d’entrailles, ayant fait, d’après le conseil du prêtre Epirechius, qui gouvernait alors l’église de Tournus, le vœu de faire présent à cette église d’une poutre pour la réparation du toit, fut à l’instant guéri. LV. Timotheus et Apollinaris, martyrs à Reims. LVI. Eutropius martyrisé à Saintes. Une basilique est élevée en son honneur par l’évêque de Saintes, Palladius. LVII. Amarandus martyrisé à Albi. LVIII. Eugenius, martyr de la persécution de Huneric (roi des Vandales) mort en exil à Albi, punit une jeune fille parjure. (Cf. hist., liv. II) LIX. Punition d’un homme qui avait volé les vitres de l’église du bourg d’Yzeure, au pays de Tours. LX. Des martyrs nantais : Rogatianus, Domitianus et Similinus (S. Semblin). Sous le règne de Chlodevech (Clovis Ier), ils sauvent la ville d’une armée barbare dont le chef, Chillon, païen de naissance, se convertit au christianisme. LXI. Saint Nazarius. On conserve ses reliques dans l’église d’un bourg situé au bord de la Loire. Un homme, pieux y avait déposé sur l’autel un baudrier d’or afin que le martyr l’assistât dans ses affaires. Un des officiers de Waroch comte des Bretons survint et voulut s’en emparer. Le prêtre s’y opposait en disant : Ces choses appartiennent à Dieu et ont été données pour la réfection du pauvre et pour que ceux qui desservent ce temple le sentent pas les tortures de la faim ; aussi devrais-tu plutôt y apporter qu’en emporter quelque chose. Mais cet homme cupide lui répondit avec colère : Si tu ne lâches pas tout de suite ce baudrier, tu périras de ma main. Le prêtre, ne pouvant résister davantage le posa sur l’autel et dit : Prends, si tu n’as nulle crainte du martyr ; ce sera, je l’espère, un juge qui te punira. Le Breton saisit le baudrier, saute à cheval et en sortant de la cour se brise la tête au linteau de la porte. LXII. De l’église des cinquante martyrs thébains à Cologne. Elle semble d’or à cause des admirables mosaïques qui s’y trouvent, et on l’appelle l’église des saints dorés. Eberegesil, évêque de Cologne, guéri avec de la poussière prise à leur tombeau. LXIII. Saint Mallosus martyrisé à Xanten. Le martyr Victor enseveli au même lieu. LXIV. De Patroclus (S. Parre) martyr enseveli à Troyes. LXV. Saint Antolianus martyr à Clermont (en 255). Alchima soeur et Pacidina épouse d’Apollinaris, évêque de Clermont (vers 515) lui élevèrent une église ornée d’une tour soutenue de colonnes reliées entre elles par des arcs de pierre ; la voûte était ornée de peintures variées et brillantes. Cet édifice élégant s’écroula du temps de l’évêque Avitus (573-553). LXVI. Cinq soldats de Chramn (fils de Clotaire Ier), qui ravageait l’Auvergne, ayant pillé l’oratoire du monastère d’Issac[v], où se trouvaient des reliques de saint Saturninus, sont punis de diverses manières. LXVII. De saint Genesius l’Arverne. Église construite sur son tombeau par Avitus évêque de Clermont, qui y déposa de plus des reliques de saint Genesius d’Arles. LXVIII. De Genesius martyrisé à Arles. LXIX. Il sauve des gens en danger d’être noyés dans le Rhône. Des soldats Langobards ont plusieurs fois violé son tombeau, mais ils ont toujours été punis. Une femme injustement accusée d’adultère par son mari, fut condamnée par le juge à l’épreuve de l’eau froide. On lui attacha au cou une énorme pierre et on la précipita dans le Rhône du haut d’un bateau. En invoquant saint Genesius elle fut comme portée sur l’eau et déclarée innocente. LXX. D’une autre femme jetée du haut d’un pont dans la Saône avec une pierre meulière au cou et sauvée de même par son innocence. LXXI. Ferreolus et Ferrucio (S. Ferjeux), martyrisés à Besançon. La soeur de Grégoire guérit son mari malade en lui faisant boire une infusion faite avec une feuille de sauge prise auprès de leur tombeau. LXXII. Saint Denys, évêque de Paris. A l’époque où le roi Sigibert y vint avec son année, et mit le feu à la plus grande partie de ses faubourgs, l’un des plus élevés en dignité après lui vint à la basilique de saint Denys non pour y prier mais pour y faire quelque butin. Il osa porter une main téméraire sur un voile de soie orné d’or et de pierreries qui couvrait le saint tombeau, et l’emporta. Il mourut dans l’armée. Un autre qui n’avait pas craint de marcher sur le saint tombeau en cherchant à détacher avec sa lance la colombe d’or qui y était suspendue, tomba, les pieds venant à lui manquer de chaque côté de la petite tour qui surmonte le sépulcre, et se tua. LXXIII. Quintilius (S. Quentin) martyrisé à Vermand. LXXIV. D’un autre Genesius martyrisé dans le pays de Bigorre. LXXV. Du roi saint Sigismund. Touché de repentir de ce qu’il avait fait mettre injustement son fils à mort, il alla faire pénitence au monastère d’Agaune, et fut tué cruellement par le roi Chlodomer. Les fiévreux guérissent à son tombeau. LXXVI. Des saints d’Agaune, Mauricius et ses compagnons. Lorsque le roi Guntehramn se fut complètement livré aux choses spirituelles et qu’il abandonna les pompes du siècle en partageant ses trésors aux pauvres et aux églises, il envoya un prêtre porter des présents aux moines qui servaient les saints d’Agaune, et lui ordonna de rapporter à son retour des reliques des saints. Le prêtre, après avoir accompli les ordres da roi, s’embarqua sur le lac Léman, que traverse le Rhône. Ce lac a près de quatre cents stades de long sur cent cinquante de large. Une tempête s’éleva tout à coup, et le bâtiment sur lequel était monté l’envoyé du roi ne fut sauvé que par la vertu des reliques dont un prêtre était porteur. On dit qu’il y a dans le lac Léman des truites si grosses qu’elles pèsent jusqu’à cent livres. LXXVII. Saint Victor de Marseille. Tous les malades et les possédés eux-mêmes obtiennent leur guérison à son tombeau, ainsi qu’on le vit arriver à l’esclave du patrice Aurelianus. LXXVIII. A Nîmes est le tombeau du martyr Baudillius. Lorsque résidait à Arles Aram, duc de Théodoric, roi d’Italie, ce duc envoya l’ordre de lui amener pieds et poings liés un archiprêtre de Nîmes dont il avait à se plaindre. Par erreur, ses gens lui amenèrent l’archidiacre, homme très religieux nommé Johannes. Aram averti en songe se jeta à ses pieds pour s’excuser de l’erreur, et plus tard l’évêché de Nîmes étant devenu vacant il voulut, en l’honneur du bienheureux Baudillius, que l’archidiacre le remplaçât. LXXIX. Miracle de l’apôtre saint André dans l’église d’Agde. Le comte Gomachaire s’étant emparé d’une terre de cette église et refusant de la rendre malgré les prières de Léon, qui en était évêque, fut saisi de la fièvre et offrit alors de restituer ce bien si l’évêque voulait prier pour lui. Léon y consentit ; mais le comte revenu à la santé envoya ses gens reprendre la terre en raillant ces Romains de leur confiance. Aussitôt l’évêque brisa d’une baguette qu’il tenait à la main toutes les lampes de son église et dit : On n’allumera plus ici de lumière tant que Dieu ne sera pas vengé de ses ennemis et n’aura pas fait restituer à sa maison les biens qui lui appartiennent. Gomachaire ressaisi par la maladie renouvela vainement ses supplications ; l’évêque inflexible le laissa mourir. LXXX. Un miracle qui confirme la foi chrétienne. Récit d’un dîner dans le quel un mari hérétique et sa femme catholique reçoivent à leur table un prêtre hérétique (Wisigoth arien) et un prêtre gaulois (Romanorum presbyter). L’hérétique ayant voulu se moquer de l’autre et l’empêcher de manger est frappé de mort subite à la fin du repas. LXXXI. Querelle de deux diacres catholiques contre un prêtre arien qui ne veut pas reconnaître le dogme de la Trinité. L’un des diacres se propose pour retirer une bague du fond d’une chaudière d’eau bouillante, si l’hérétique veut se soumettre ; mais le moment de l’épreuve étant venu, celui qui l’avait offerte faiblit. Elle est accomplie sans la moindre difficulté par l’autre diacre nommé Jacinthes et appartenant à l’église de Ravenne. L’arien voyant ce succès veut l’imiter, plonge audacieusement sa main dans la chaudière et immédiatement toute la chair s’en détache, bouillie jusqu’à la moelle des os. LXXXII. D’un clerc battu en Espagne pour avoir proclamé le Fils et le Saint-Esprit égaux au Père. LXXXIII. Un diacre de Grégoire, revenant de Rome à Marseille, préserva d’une perte imminente le navire sur lequel il était monté, en tenant élevées en l’air des reliques de Chrysanthus, Daria et autres, qu’il rapportait avec lui et qu’il invoquait avec larmes. LXXXIV. A l’époque où Théodebert (roi de Metz, 534-547) exigea des principaux Arvernes qu’ils lui envoyassent leurs fils en otages, le père de Grégoire, tout récemment marié, partit mais en emportant dans un étui d’or des cendres provenant de quelque saint ; relique précieuse qu’il avait demandée à un prêtre et qu’il porta toute sa vie sur sa personne, avec respect, quoiqu’il ignorât à quel saint elles appartenaient. Il les regardait comme l’ayant préservé de la rapacité des voleurs, du danger des eaux, de la violence des séditieux et même des assauts des sens. Après la mort de son père, sa mère les prit et les porta toujours sur elle jusqu’au moment où elle en fit don à Grégoire lui-même. Il vit un jour sa mère, grâce à l’influence de ces reliques, arrêter subitement un incendie qui commençait à dévorer leur moisson de blé, et quant à lui, il put s’en servir un jour qu’il allait à cheval de Bourgogne en Auvergne, pour séparer en deux un orage et passer, ainsi que ses compagnons de route, au milieu de la pluie, sans être mouillé. Mais quelques pas plus loin, comme il se vantait, emporté par l’orgueil de la jeunesse, que son propre mérite était pour beaucoup dans ce miracle, son cheval s’abattit et il comprit par cet avertissement qu’il faut réprimer la vanité. LXXXV. Un comte des Bretons se sentant affligé de grandes douleurs aux pieds, dépensait tout son avoir en médecins sans se trouver mieux, quand l’un des siens lui dit : Si tu te faisais apporter de l’église quelqu’un des vases qui servent au ministère de l’autel pour t’y baigner les pieds, peut-être cela pourrait-il apporter remède à ton mal. Sots et insensés, qui ignoraient que les vases consacrés à Dieu ne doivent pas être employés à des usages humains. Celui-ci envoya vite à l’église, et on lui rapporta de la sacristie une grande patène d’argent où il lava ses pieds ; mais aussitôt ses douleurs s’accrurent, et il devint si complètement impotent par la suite qu’il ne pouvait plus faire un pas. J’ai appris que la même chose était arrivée au duc des Langobards. LXXXVI. Le jour de la fête du grand martyr Polycarpus à Riom, bourg de la cité Arverne, un diacre prit le vase qui renfermait le corps de Notre Seigneur pour le déposer sur l’autel , mais le vase s’échappa de ses mains et s’y rendit seul à travers les airs, probablement parce que ce diacre avait la conscience impure. En effet on l’accusait de plusieurs adultères. Il ne fut donné qu’à un prêtre et à trois femmes du nombre desquelles était ma mère, d’être témoins de ce prodige : les autres ne le virent pas. J’avoue que j’assistais à la fête, mais que je ne fus pas jugé digne d’être témoin de ce fait. LXXXVII. Epachius, prêtre de Riom, célébrait d’une manière tellement indigne les vigiles de la nativité du Seigneur qu’il sortait de l’église d’heure en heure pour aller dans sa maison vider des coupes écumantes de boissons capiteuses… Comme il était de naissance sénatoriale et le personnage le plus considérable de l’endroit, on le pria, le matin venu, de célébrer la messe. Il le fit, quoique complètement ivre et fut saisi, pendant qu’il officiait, de vomissements et d’épilepsie. Il resta épileptique. Grégoire éprouva lui-même l’importance de l’observation rigoureuse des vigiles de la nativité. Il lui arriva de les quitter pour aller se livrer au sommeil ; mais trois fois de suite un homme lui apparut en songe qui le réveilla et qui à la troisième fois lui appliqua un soufflet. LXXXVIII. D’une femme de Jéricho, qui voulant se baigner dans le Jourdain, vit l’eau du fleuve se reculer devant elle parce qu’elle avait donné la mort à ses enfants. LXXXIX. Un homme coupable de nombreux forfaits, nommé Antoninus, s’étant fait ensevelir avec pompe dans l’église de saint Vincentius, à Toulouse, son tombeau fut par deux fois lancé pendant la nuit hors de l’église, et ses parents, comprenant les desseins de Dieu, n’osèrent pas l’y replacer une troisième fois. On voit encore ce sarcophage, dit Grégoire, au lieu où il fut rejeté. XC. Du glorieux Vincentius, martyrisé en Espagne. Sa fête à Bessay en Herbauge (Becciacus in Arbatilico), sur le territoire de Poitou. Miracles produits par les reliques du saint à Céré et Orbigni, bourgs du pays de Tours. XCI. De sainte Eulalia, martyrisée à Lérida. Devant sa tombe sont trois arbres qui fleurissent en plein mois de décembre. Lorsque cette floraison est prompte et belle l’année est abondante en fruits de la terre ; si elle est tardive l’année est stérile. XCII. De saint Félix, martyrisé à Girone. On conserve ses reliques dans l’église de Narbonne. Comme la hauteur de cette église empêchait de voir, du palais du roi, la plaine de Liguria (Livière) qui est un site, des plus agréables, le roi (des Visigoths) Alaric s’en plaignit à son conseiller Léon. Que l’on enlève au moyen d’une machine, dit celui-ci, une partie du faite de cet édifice afin que le roi puisse jouir de la vue qu’il désire. Aussitôt ayant fait venir des ouvriers, ce Léon fit abaisser la basilique du saint à une hauteur inconvenante ; mais bientôt, il devint aveugle. XCIII. Hemeterius et Chelidonius martyrs à Calahorra. XCIV. Du bienheureux Cyprianus, évêque de Carthage dans l’église duquel se trouve un lutrin admirable, tout entier taillé dans le même bloc de marbre : la tablette dont il est formé, les quatre marches par lesquelles on y monte, les barreaux qui l’entourent, les colonnes qui soutiennent le pupitre et sous lequel huit personnes peuvent se tenir. XCV. Des sept Dormants d’Ephèse, enfermés dans une caverne sous l’empereur Décius (249-251), et découverts vivants sous l’empereur Théodosius (vers 447). XCVI. Des quarante-huit chrétiens martyrisés en Arménie et périssant sur un lac gelé ou dans des vapeurs brillantes. XCVII. Du glorieux martyr Sergius. On voue ses biens à son église pour leur assurer un protecteur. Une pauvre vieille femme entretenait deux poules qu’elle lui avait ainsi consacrées ; on lui en vola une et les voleurs ayant invité des amis à venir la manger, ne purent jamais la faire cuire. Description des apprêts du repas. XCVIII. Des martyrs Cosmas et Damianus, compagnons dans l’art médical, qui guérissaient les maladies par le seul effet de leurs mérites et de leurs prières et les guérissent encore lorsque les malades vont à leur tombeau prier avec foi. XCIX. Focas, martyr de Syrie ; il guérit des morsures de serpent. C. Domitius, martyr du même pays, guérissant de la sciatique. CI. Du grand et glorieux martyr Georgius. Ses reliques aux pays de Limousin et du Maine. Elles guérissent les aveugles, les boiteux et les fiévreux. CII. Isidorus, martyr à Scio (insula Chio). Là trouvent leur guérison ceux qui boivent de l’eau d’un puits dans lequel on dit qu’il fut précipité. Dans cette île on récolte la muscade qui ne se trouve nulle part ailleurs. CIII. Du saint martyr Polyoetus vénéré à Constantinople comme punisseur des parjures. Juliana, matrone de cette ville, fait revêtir de l’or le plus pur la voûte de l’église de Constantinople pour employer à une œuvre pieuse ses richesses que convoitait l’empereur Justinianus. CIV. De l’insigne martyr Félix, de Nola. Il sauve, pendant une persécution, Maximus, évêque de cette ville, et refuse de le remplacer. Quintus est élu. CV. De Vincentius, martyr à Agen. Au temps où l’armée marchant contre Gundovald[vi] arriva sous les murs de Comminges, l’église de cette ville fut assiégée. Le peuple confiant dans le respect dû au martyr (Vincentius) s’y était réfugié avec tous ses biens. Mais les assiégeants mirent le feu aux portes, les brisèrent à coups de haches, envahirent l’édifice et passèrent au fil de l’épée tous ceux qui y étaient renfermés. Aussi ce fait ne resta pas longtemps impuni ; car les uns devinrent possédés du démon, les autres périrent dans la Garonne, d’autres furent pris de fièvre ou atteints de douleurs ; j’ai vu dans le pays de Tours plusieurs de ceux qui avaient pris part au crime en être cruellement punis et perdre la vie de ce monde dans d’intolérables souffrances. CVI. Étonnant miracle dirigé contre l’avarice. Une fausse dévote qui était avare ayant été enterrée avec son or, son cadavre trouble tout le voisinage par les plaintes et les gémissements qu’il fait entendre pendant la nuit. L’évêque fait ouvrir le tombeau et l’on reconnaît que l’or était fondu et entrait avec une flamme sulfureuse dans la bouche de la défunte. L’évêque prie pour faire cesser ce supplice. CVII. Pannichius, prêtre du Poitou, se trouvant un jour à table avec des amis qu’il avait invités demanda un vase à boire. Il le tenait à la main quand une mouche importune se mit à voler autour, cherchant à le souiller en s’y posant. A plusieurs reprises le prêtre la chasse d’un geste ; mais elle se contentait de s’envoler un peu et revenait toujours. Il sentit là une embûche de l’ennemi. Alors élevant le vase de la main gauche, il fit le signe de la croix avec la main droite. Aussitôt la liqueur qui s’y trouvait se divisant en quatre parts passa par-dessus le vase et se répandit à terre ; ce qui prouva évidemment qu’il y avait eu là une embûche de Satan. Si donc tu fais hardiment et sans tiédeur ce signe salutaire sur ton front ou sur ta poitrine, tu pourras résister au mal comme un martyr. Livre deuxième — De la passion, des miracles et de la gloire de saint Julien martyrI. Julianus, né dans la cille de Vienne, abandonna sa famille, ses richesses, et vint en Auvergne auprès du bienheureux Ferreolus attiré par le seul amour du supplice. Il vint au bourg de Brioude où les ennemis du Christ, l’ayant découvert, ils tirèrent leur framée et la brandissant de la main droite lui tranchèrent la tête. Saint Ferréolus recueillit cette tête et lorsqu’il eut péri lui-même, on la mit dans son cercueil. II. Cette sépulture de Ferréolus fut découverte par Mamertus, évêque de Vienne (de 462 à 474 environ), ainsi que le rapporte Sollius (Sidoine Apollinaire) dans ses lettres et que Grégoire l’apprit à Vienne même pendant un voyage qu’il faisait pour voir saint Nicetius à Lyon. III. Au lieu où saint Julien fut frappé est une fontaine où ses bourreaux lavèrent sa tête après l’avoir tranchée. Ceux qui viennent boire de son eau, les aveugles, les fiévreux et autres y trouvent la guérison de leurs maux. IV. Par les ordres de l’empereur, qui résidait à Trèves, un homme venu d’Espagne enchaîné fut mis en prison et condamné à mort. Son épouse, sachant que des vieillards qui avaient porté en terre le précieux corps de saint Julien s’en étaient sentis tellement revivifiés, qu’arrivés à la dernière vieillesse ils semblaient des jeunes gens, vint prier au tombeau de ce saint et faire vœu de bâtir au-dessus la plus haute voûte de pierre qu’elle pourrait. Arrivée à Trèves, elle trouva son mari rentré en grâce auprès de l’empereur. V. Non loin de cet édifice qu’elle construisit en effet, s’élevait un grand temple dans lequel étaient adorées les statues de Mars et de Mercure posées sur le haut d’une immense colonne. Un jour que les païens y célébraient leurs cérémonies, une querelle s’éleva an milieu de la foule entre deux jeunes gens dont l’un tirant son épée voulut tuer l’autre. Celui-ci se réfugia dans l’oratoire de saint Julien. Comme il avait refermé la porte sur lui, l’homme qui le poursuivait saisit cette porte par les deux côtés et cherchait à la forcer, quand à l’instant ses mains furent prises d’une douleur si vive qu’il témoigna au dehors par d’abondantes larmes des tortures qu’il éprouvait au dedans. Ses parents reconnaissant la puissance qui réside dans le tombeau du martyr lui offrirent dévotement leurs prières et de riches présents. VI. Un prêtre qui passait par là vit les paysans faire leurs libations à leurs dieux. Il implora le ciel et aussitôt s’éleva un orage si violent que la foule vint lui offrir pour les en délivrer de prendre saint Julien pour leur patron et d’abandonner leurs idoles. Ils furent baptisés au nom de la Trinité, et jetèrent leurs statues dans un lac voisin après les avoir brisées eux-mêmes. VII. Quelque temps après un parti venu de Bourgogne arrive devant le bourg de Brioude, l’entoure d’une multitude armée, met le peuple en captivité, pille le saint mobilier des églises, traverse la rivière et se prépare à passer les guerriers au fil de l’épée pour tirer ensuite au sort les gens du peuple et se les partager comme esclaves. Alors un certain Hillidius, venu du Velay, et guidé par le vol d’une colombe, tombe tout à coup sur les ennemis… Il les taille en pièces, reprend les captifs de leurs mains et rentre triomphant dans la cellule du martyr ! Personne ne contestera la vérité de ce qui est dit de cette colombe lorsqu’un consul romain, Marcus Valerius, Orose l’atteste, fut protégé par un corbeau. VIII. Quatre des gens défaits par Hillidius emportèrent dans leur pays une patène et un autre vase ; ils se partagèrent la patène en la brisant en quatre morceaux et offrirent le vase au roi Gundebaud. La reine renvoya le reste des richesses enlevées à l’église de Saint-Julien. IX. Une femme nommée Fedamia, percluse depuis dix-huit ans, recouvre la santé au tombeau de saint Julien où le saint lui-même lui apparaît en songe. X. Un borgne devient aveugle tout à fait parce, qu’il s’efforçait d’arracher de la basilique de Saint-Julien celui qui lui avait d’abord fait perdre un œil et qui s’était réfugié sous la protection du saint. XI. Un cultivateur, devenu infirme pour avoir travaillé le dimanche, guéri à la basilique de Saint-Julien. XII. Anagilde muet, sourd, aveugle et perclus, guéri au même lieu. XIII. Le roi Théodéric s’avançait rapidement pour dévaster l’Auvergne[vii] ; il avait passé les frontières et détruisait tout sur son passage. Une colonne de ses troupes, se détachant du gros de l’armée, se dirige en furie vers le bourg de Brioude sur le bruit que les habitants s’étaient retirés dans la basilique avec leurs trésors. Comme on ne pouvait y pénétrer, un soldat, ou plutôt un voleur, car celui-là est un larron qui n’entre point par la porte, brisa le vitrage d’une fenêtre du sanctuaire et entra ; puis ayant ouvert les portes, il introduisit l’armée. Les soldats pillèrent le mobilier des pauvres et dépouillèrent les prêtres de la basilique ; puis faisant sortir tout le reste du peuple qui était dedans, ils se partagèrent leurs prisonniers non loin du bourg. Quand ces choses furent rapportées au roi, il prit quelques-uns des coupables et les condamna à divers genres de mort. Celui qui en forçant l’église avait été le premier auteur de ce crime, ayant pris la fuite, périt consumé par le feu du ciel, et bien que plusieurs de ses compagnons eussent entassé sur lui un monceau de pierres, son corps, mis à découvert par le tonnerre et la tempête, fut privé de sépulture. XIV. Sigivald, personnage très puissant auprès du même roi, fut envoyé par ses ordres, avec toute sa maison, dans le pays Arverne. Sous l’ombre d’un échange trompeur, il s’empara avidement d’un domaine que Tetradius, évêque de Bourges, avait légué il la basilique de Saint-Julien. Aussi tomba-t-il malade et il ne fut guéri que lorsque sa femme l’eut fait placer sur la voiture qui devait l’emmener hors du domaine qu’ils s’étaient enfin décidés à abandonner[viii]. XV. Ingenuus, prêtre inique ; après avoir usurpé un champ voisin du sien qui appartenait à l’église de Saint-Julien de Brioude et avoir chassé à coups de flèches les clercs envoyés pour l’engager à en faire la restitution, il est frappe par la foudre. XVI. Le comte Beccon remplissait ses fonctions de juge et plein de son importance il grevait bien des gens contre toute justice. Un jour ayant donné le vol à son faucon, l’oiseau s’égara et il le perdit… Un serviteur de l’église de Saint-Julien en trouva un dans le même temps. C’est le mien, dit Beccon, et cet homme me l’a volé. Puis, dans son avarice, il l’envoya, enchaîné, en prison dans l’intention de le faire pendre à la session prochaine. Le prêtre de Saint-Julien, plein de tristesse, courut au tombeau du saint et ouvrant les châsses en gémissant, il prit dix pièces d’or qu’il envoya offrir Beccon par de fidèles amis. Celui-ci repoussa la somme avec mépris et affirma, sur son serment, qu’il ne relâcherait ce jeune homme que si on lui donnait trente pièces d’or pour sa rançon… Son avidité satisfaite, il renvoya le garçon sain et sauf, mais il mourut au bout de l’année. XVII. Un diacre, qui avait abandonné l’église pour se mettre dans le fisc, commit beaucoup de mauvaises actions à l’aide du pouvoir qu’il tenait de ses patrons. Une fois il parcourait les pentes boisées et montueuses oit l’oit retire en été les troupeaux et spoliait bien des malheureux avec injustice lorsqu’il aperçoit de loin des troupeaux qui appartenaient à saint Julien et paissaient sous la protection de son nom. Il vole et s’en saisit comme un loup ravisseur. N’y touche pas, lui disent les bergers dans leur effroi ; ils sont au bienheureux martyr. Sur quoi l’on dit qu’il leur répondit par raillerie : Pensez-vous que Julianus mange du mouton ! Puis il les chargea de coups et emporta ce qu’il voulut. Longtemps après s’étant prosterné au tombeau du saint, à Brioude, il y mourut subitement. XVIII. Un homme qui avait volé un cheval pendant les vigiles de la fête du saint se trouve ramené, le lendemain matin, sur sa monture, près du point où il l’avait prise. XIX. Un homme qui allait jurer faussement au tombeau du saint qu’un autre auquel il avait prêté un tiers de sol d’or ne l’avait pas remboursé, reste paralysé. XX. Un voleur, qui avait enlevé du saint tombeau pendant la nuit des tentures et une croix ornée de pierres précieuses, s’endort malgré lui dans l’église même et y est surpris par une ronde de nuit. XXI. Un pauvre homme qui avait perdu son cheval à la fête du saint le retrouve aussitôt après avoir prié saint Julien de le lui rendre. XXII. Le signe de la croix fait sur les yeux d’un aveugle par Publianus, archiprêtre de l’église de Saint-Julien, lui rend la vue. XXIII. J’ai souvent parlé des maux que le roi Théoderic eût au pays Arverne. Ils furent tels qu’il ne resta rien ni aux fils aînés ni aux plus jeunes de leurs biens si ce n’est la terre nue que les barbares ne pouvaient emporter avec eux. Or dans ce temps-là, mon oncle paternel, Gallus, de glorieuse mémoire, qui plus tard gouverna comme évêque l’église arverne, était un enfant mineur dont les biens dévastés par l’ennemi étaient réduits à rien. Il allait souvent à Brioude et la plupart du temps à pied n’ayant avec lui qu’un tout jeune serviteur. Un jour qu’il était en chemin il retira ses chaussures à cause de la chaleur du soleil et se mit à marcher pieds nus. Une pointe d’épine lui entra dans le pied et s’y brisa sans qu’on pût la faire sortir. Le blessé acheva sa route en boitant et se fit coucher au tombeau du saint martyr où, au bout de trois jours, sa plaie étant en pleine suppuration, il sentit que l’épine avait été retirée pendant son sommeil et la retrouva dans sa couche. Devenu évêque, il avait coutume de montrer le trou que cette blessure lui avait laissé pour prouver la puissance du martyr. XXIV. Pierre, frère de l’auteur, également guéri au tombeau de saint Julien d’une fièvre qui l’avait saisi pendant qu’il était en route avec toute la maison de leur père pour aller à Brioude assister à la fêta du saint. XXV. A la fête suivante, faisant le même voyage, Grégoire se guérit d’un violent mal de tête en se lavant le front dans la fontaine de Ferréolus (voyez ch. III). XXVI. Un fiévreux guéri à la même fontaine. C’était un habitant du bourg de Brioude, mais son nom m’échappe. XXVII. Un jour le tonnerre tombe sur l’église de Saint-Julien ; il s’introduit par l’ouverture où passe la corde de la cloche, frappe deux colonnes, en fait sauter des fragments, puis par un ricochet il traverse la fenêtre placée au-dessus du saint tombeau et cela sans faire aucun mal au peuple, merveilleux effet de la protection du saint ! XXVIII. Un moine du Limousin n’ayant pu s’approcher du saint tombeau fut averti au milieu de la nuit par un songe qu’en y retournant de suite il trouverait l’église ouverte. Il y alla, put en effet entrer, dit sa prière et s’en retourna content. Afin que personne ne doute de ce fait, j’atteste le Dieu tout-puissant que je le tiens d’Aredius, abbé de qui dépendait le moine à qui la chose arriva. XXIX. On n’était pas sûr du jour auquel devait se célébrer la fête du saint, lorsque le bienheureux Germanus, évêque d’Auxerre, étant venu à Brioude et y ayant fait une prière, révéla que ce jour était le 5 des calendes du septième mois (28 août). XXX. Les possédés amenés au tombeau du saint vomissent des injures contre celui-ci. XXXI. Des animaux tels que bœufs, chevaux, pourceaux, que leurs propriétaires vouent à saint Julien, dès qu’ils sont entrés dans son église deviennent doux comme des colombes quelque indomptables qu’ils fussent auparavant. XXXII. De la translation des reliques de saint Julien en Champagne, et de la guérison qu’elles opèrent, dans le faubourg de Reims, en la personne du un possédé. XXXIII. Autre guérison arrivée, dans un port de l’Orient par la vertu de reliques consistant eu un peu de poussière recueillie, sur le tombeau du saint. XXXIV. Peu après mon ordination (comme évêque de Tours) je me rendis en Auvergne ; pendant mon voyage je visitai la basilique du saint et après la fête, j’arrachai pour m’en faire une sauvegarde quelque peu de la frange du voile qui couvrait le saint tombeau, puis je fis ma prière et sortis. Or des moines de Tours avaient bâti suivant leurs faibles moyens une église à saint Julien et sachant que j’avais rapporté des reliques, ils me prièrent d’en enrichir leur église à l’occasion de sa dédicace. Je pris la boite où elles étaient et me rendis à la basilique de saint Martin. Un homme très religieux, qui se trouvait alors à distance de cette basilique, raconta qu’au moment où nous y entrâmes, il vit un globe d’éclatante lumière descendre sur l’édifice et pénétrer dans l’intérieur. Lorsque nous l’apprîmes le lendemain par les fidèles, nous conjecturâmes que cela provenait de la vertu du martyr. XXXV. La nuit qui précéda cette dédicace, l’abbé de saint Martin tira du vin d’un petit tonneau pour en donner à boire à ceux qui étaient dans l’église, et jusqu’au matin ce tonneau resta toujours plein quoiqu’on y puisât sans cesse. XXXVI. Un serviteur du même monastère, homme perclus, est guéri au tombeau de saint Julien. XXXVII. Une jeune fille y est guérie de maux d’yeux. XXXVIII. Un petit enfant difforme y est redressé. XXXIX. Au bourg de Joué en Touraine se trouvent des reliques de saint Julien devant lesquelles on ne se parjure jamais impunément. XL. Arédius, prêtre du pays de Limoges, raconte à Grégoire de Tours qu’ayant rempli une fiole d’eau prise à la fontaine de Ferréolus (ch. III), l’eau s’était changée en baume avant qu’il fût de retour chez lui. XLI. Un paralytique amené au tombeau de saint Julien sur un chariot y est guéri. XLII. Même miracle pour un aveugle qui avait frotté ses yeux avec le voile qui recouvre les saintes reliques. Les possédés placés sous ce voile sont délivrés. Et chaque fois que l’autorité civile (potestas judicum) a voulu, dépassant ses droits, agir en ce lieu, elle a dû se retirer confuse. XLIII. Il y avait au-dessus de l’autel une croix toute dorée, d’un travail élégant, et si belle à voir qu’on l’eût crue de l’or le plus pur. Les barbares étant survenus, l’un d’eux la croyant d’or s’en saisit et la cacha dans son sein ; mais dès qu’il l’eut prise il se sentit accablé d’un poids si énorme qu’à peine pouvait-il la porter. Alors, touché de la vertu du martyr, et repentant, il renvoya cette croix du point de sa route où il était arrivé et la restitua an lieu saint. XLIV. Le clerc d’Arédius envoyé par son maître à la basilique de saint Julien pour en rapporter comme reliques un peu de la cire ou de la poussière se trouvant sur le tombeau, guérit chemin faisant un possédé. XLV. Au temps de Cautinus (évêque de Clermont) lorsque les péchés du monde avaient attiré la peste inguinale sur le pays Arverne, je gagnai le bourg de Brioude afin d’être préservé par la protection du martyr Julianus. Là un de nos serviteurs fut pris de ce mal, il avait une fièvre continuelle accompagnée de vomissements. Mes gens le voyant dans cette extrémité appelèrent un devin (ariolum). Celui-ci ne se fit pas prier ; il accourut auprès du malade et s’efforça de mettre en œuvre les ressources de son art : il murmure des incantations, il jette des sorts, il suspend au cou du patient des colliers et promet la vie à celui qu’il avait par ces pratiques dévoué il la mort. En effet, il mourut. Grégoire, pour montrer à ses gens, qui avaient fait cela à son insu, leur coupable erreur, guérit un second de ses serviteurs, frappé de même, avec de la poussière du tombeau. XLVI. Après la mort du martyraire Prosérius, le diacre Urbanus ayant été nommé gardien de la basilique, entendit pendant la nuit qu’on venait d’en ouvrir et d’en refermer la porte ; il s’y rendit une lumière à la main et vit le pavé jonché de roses brillantes de fraîcheur, qu’on apercevait jusqu’à l’intérieur du tombeau à travers les ciselures de la grille. Or, on était au neuvième mois (novembre). Il les recueillit avec respect pour les distribuer comme médicaments. XLVII. Une femme aveugle obtient de recouvrer la vue en allant prier à Saintes dans une église de saint Julien qu’une noble dame nommée Victorina avait bâtie sur son domaine. XLVIII. Pendant que Nanninus, prêtre de l’église de Vibrac, y transportait des reliques de saint Julien, avec la permission de l’évêque Avitus, deux possédés sont délivrés. XLIX. Comme il achevait cette translation, une femme nommée Æterna et d’autres malades sont guéris. L. Un certain Litoméris ayant bâti une église en l’honneur de saint Julien sur le territoire de Tours, et Grégoire y ayant placé en la dédiant des reliques du saint et de saint Nicétius de Lyon, un aveugle y recouvra la vue. [i] Les textes en bleu indiquent les passages textuellement reproduits d’après Grégoire. [ii] Pauliacense monast. Parmi plusieurs lieux du nom de Paulhac, Pauillac, Pouilly, il y en a un près Brioude, mais auquel ne se rattache aucun souvenir de monastère. On ne connaît de Pauliacensis abbatia que Pavilly, au diocèse de Rouen, fondé seulement vers le milieu du VIIe siècle. [iii] Savoir : Vectius-Epagathus, Zacharias, Macarius, Alcibiades, Silvius, Primus, Ulpius, Vitalis, Comminius, October, Philominus, Geminus, Julia, Albina, Grata, Æmilia, Posthumiana, Pompeia, Rodone, Biblis, Quarta, Materna, Elpenipsa, Statuas. Livrés aux bêtes : Sanctus et Maturus, Alexander, Ponticus, Blandina. Morts en prison : Arescius, Fotinus, Cornelius, Zotimus, Titus Zoticus, Julius, Æmilia, Gamnite, Pompeia, Alumna, Mamilia, Justa, Trifime, Antonia et l’évêque Fotinus. [iv] Dont il a été parlé au livre IV de l’Histoire des Francs [v] Ou Yssac ; à 5 kilom. de Riom, avec une église de Saint Saturnin. Quoique plusieurs manuscrits portent domnus Iciacensis dans le texte et oratorium Iciodorense dans la rubrique, on ne saurait confondre ce lieu avec Issoire et identifier Iciacus avec Iciodorus. [vi] En 585. Voyez l’Histoire des Francs, liv. VII. [vii] En 525, voyez Hist. des Francs, liv. III. [viii] Voyez Hist. des Francs, liv. III. |