Grégoire de Tours
Vie de Dagobert Ier
texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
Vie de Dagobert IerNotice sur la Vie de Dagobert Ier PERSONNE ne conteste que l’auteur de cette vie de Dagobert Ier ne soit un moine de Saint-Denis ; mais on ignore son nom et on ne s’accorde point sur le temps où il a écrit. Duchesne, qui l’a publié le premier d’après un manuscrit de Pétau, et Pierre de Marca le font contemporain des rois dont il raconte l’histoire ; dom Ruinart, quoique le plaçant un peu plus tard, ne s’éloigne guères de cette opinion ; mais elle est repoussée par le texte même de l’écrivain, car en parlant d’une charte de saint Ouen, contemporain de Dagobert, il dit expressément qu’elle était ancienne, et son récit indique plus d’une fois que les évènements qu’il rapporte se sont déjà passés depuis quelque temps. Aussi Adrien Valois et le père Lecointe ont-ils supposé qu’il vivait dans le cours du neuvième siècle. Mais Mabillon et Félibien l’ont placé à la fin du huitième, et, quoique leur conjecture ne se fonde pas sur des preuves directes, c’est, à mon avis, la plus probable. S’il est impossible de méconnaître que l’écrivain parle de temps antérieurs au sien, son ton, les détails où il entre, le genre des traditions qu’il recueille, l’intérêt assez vif qu’il semble y porter, laissent pourtant entrevoir des souvenirs encore prochains et vivants. Il serait étrange que deux siècles se fussent écoulés après la mort de Dagobert sans qu’aucun moine de Saint-Denis s’empressât de célébrer la mémoire du bienfaiteur de cette Église. Le petit ouvrage que nous publions ici n’a point d’autre dessein ; ce n’est point un historien qui retrace des faits déjà loin de lui ; c’est un panégyriste intéressé qui étale avec complaisance les mérites récents d’un patron magnifique. Il n’a pas vu les heureux jours qu’il décrit, il n’est pas de ceux qui ont reçu en personne les pieuses largesses du Roi ; mais il en parait si touché, il en connaît si bien toutes les circonstances qu’on est porté à croire qu’il les a souvent entendu vanter, sinon par les contemporains eux-mêmes, du moins par leurs successeurs immédiats. La partie vraiment historique de son récit est presque toujours textuellement empruntée à Frédégaire. On ne s’étonnera donc point de rencontrer ici, et sans aucune altération, de longs passages du chroniqueur bourguignon. Dans ces temps d’ignorance et de sécheresse d’esprit, où les ouvrages étaient rares et les manuscrits peu nombreux, les écrivains ne se faisaient aucun scrupule de se copier sans en rien dire. Ce qui avait été une fois écrit devenait une sorte de propriété commune dont chacun s’emparait pour la reproduire, en y ajoutant ce qu’il savait de plus. Sauf les détails relatifs à son monastère, le biographe de Dagobert n’a guères ajouté, au récit de ses prédécesseurs, que des fables pieuses ou des anecdotes peu authentiques ; et la plupart des historiens modernes, érudits ou philosophes, en ont conclu qu’il était peu digne d’attention. Nous sommes fort loin de partager leur dédain. L’histoire de la Grèce et de Rome n’est aussi et pendant plus d’un siècle, qu’un recueil de fables, de légendes, d’anecdotes incohérentes et converties, par les narrateurs, en aventures merveilleuses. Ces croyances du berceau des peuples, ces monuments de leur vive et naïve crédulité, sont-ils moins curieux à étudier que les événements clairs et certains de leur carrière politique ? comprendrions-nous même les temps historiques de l’antiquité si les temps mythologiques nous étaient inconnus ? et par quelle absurde bizarrerie traiterions-nous la mythologie des peuples modernes avec une indifférence ou un mépris que ne nous inspire point celle des Anciens ? Ce sont des fables sans doute que la chasse de Dagobert, jeune encore, aux environs de Saint-Denis, et l’asile que trouve un cerf dans la chapelle du saint, et le miracle qui, plus tard, y défend le prince lui-même du courroux de son père, et la vision de l’ermite Jean qui, après la mort de Dagobert, voit les saints et les démons se disputer son âme. Mais, indépendamment de leur mérite poétique, ces fables nous instruisent de l’état des esprits et des mœurs bien mieux que ces chroniques sans miracles, où rien ne se trouve si ce n’est quelques dates et quelques noms. Il ne faut point ajouter foi aux innombrables donations dont le biographe fait honneur â la munificence de Dagobert. Non contents des plus abondantes libéralités, les moines fabriquaient souvent, pour légitimer leurs usurpations, des chartes qu’ils attribuaient à des rois déjà célèbres par leur mérite en ce genre, et il est reconnu que plusieurs de celles dont parle ici l’écrivain sont dépourvues de toute authenticité. François Guizot Vie de Dagobert IerCLOTAIRE, fils de Chilpéric, régna le quatrième depuis Clovis, le premier des rois Francs qui fut converti au culte de Dieu par les leçons du bienheureux Remi, évêque de Reims. Revêtu de la dignité qu’avaient acquise et agrandie ses ancêtres, Clotaire fit beaucoup de choses fortes et hardies ; mais la principale preuve de sa puissance qu’il laissa a ses descendants, ce fut que les Saxons s’étant révoltés contre lui, il les dompta si pleinement par ses armes, qu’il fit périr tous les mâles de cette terre dont la taille surpassait la longueur de l’épée qu’il portait alors : il voulait que le souvenir toujours vivant de cette mortelle épée étouffât l’audace de leurs enfants. Telles étaient alors la puissance des Francs et l’ardeur guerrière des rois. Comment Clotaire accomplit ces choses, c’est ce qui sera conté dans la suite et en son lieu. Ce roi Clotaire était plein de douceur, instruit dans les lettres, craignant Dieu, patron libéral des églises et des prêtres, faisant l’aumône aux pauvres, se montrant pieux et bon envers tous, guerrier illustre, seulement trop adonné â la; chasse. Il avait un fils, nommé Dagobert, qu’il avait eu de la reine Bertrude, digne, par son habileté et son courage, de succéder à son père. Dans les années de son enfance, il fut remis par son père au vénérable et saint Arnoul, évêque de Metz, pour qu’il l’élevât selon la sagesse, lui montrât les sentiers de la religion chrétienne, et lui servît de gardien et d’instituteur. Lorsque Dagobert eut atteint l’âge de l’adolescence, et s’amusait à la chasse, selon la coutume des Francs, il résolut un certain jour de courre un cerf. Le cerf, aisément lancé, s’efforçait avec l’agilité qui est propre à cet animal, d’échapper aux troupes de chiens qui le poursuivaient, aboyant à l’envi après lui, et il traversait les forêts, les montagnes et les fleuves qui se trouvaient sur son chemin. Vaincu enfin, il s’arrêta au lieu qu’on appelle Catulliac, éloigné d’environ cinq milles de la ville qu’on nomme Lutèce ou Paris. C’était dans cette ville que d’ordinaire les rois des Francs avaient coutume de porter leur sceptre. En cet endroit, et du temps de Domitien, qui, le second depuis Néron, tourna ses armes contre les Chrétiens, le bienheureux Denis, évêque de Paris, et avec lui Rustique et Eleuthère, l’un prêtre, l’autre diacre, furent mis à mort pour le nom du Christ, à la vue de ladite cité. Une certaine mère de famille, nommée Catulla, et qui donna son nom à ce lieu, les ensevelit en secret, n’osant le faire publiquement. Elle marqua pourtant l’endroit, afin qu’il pût être reconnu de ceux qui viendraient après elle. Ainsi un incomparable trésor, fort longtemps caché en ce lieu, n’avait rien de remarquable, si ce n’est sa renommée. Quelques possessions y avaient été attachées par les rois précédents, à cause des miracles continuels qui s’y faisaient. Mais comme ce terrain était alors au pouvoir de l’évêque de Paris, qui le donnait, en bénéfice, comme il lui plaisait, à quelqu’un de ses clercs, il arrivait que ceux qui en obtenaient la jouissance ne s’inquiétaient pas de la sainteté du lieu, et ne songeaient qu’à en tirer pour leur propre compte un gain terrestre, comme cela se voit aujourd’hui en plus d’un endroit. A cause de cela, ce lieu était fort négligé. Une misérable petite chapelle que sainte Geneviève, disait-on, y avait dévotement fait construire, couvrait les corps de si grands martyrs ; et il en fut ainsi jusqu’à ce que leur nom, comme je le raconterai dans la suite, brillât, pour l’utilité du monde, de tout son éclat, et que, par la volonté de Dieu, ce lieu illustré, bien qu’en secret, par des patrons si grands, si connus et si anciens, fût élevé à la plus éclatante renommée. Pour revenir à mon sujet, le cerf, après avoir erré longtemps çà et là dans le bourg, entra dans la chapelle des saints martyrs, et s’y cacha. Les chiens le pressaient ; et quoique la même porte par où le cerf était entré, leur fût ouverte, quoique nul de leurs gardiens visibles ne fût là pour les en chasser, les saints martyrs ne souffrirent pas que leur domicile fût violé par l’approche d’animaux immondes. Vous eussiez vu le cerf trouvant là un asile assuré, et les chiens indiquant sa présence par leurs aboiements, mais repoussés par une puissance divine de l’entrée de l’église. Dagobert, arrivant en toute bâte, fut saisi, à ce spectacle, d’étonnement, d’admiration et de respect. Le bruit s’en répandit parmi les voisins, et leur inspira, mais surtout à Dagobert, un grand amour et une profonde vénération pour les saints ; et, pour dire le vrai, aucun lieu ne fut plus cher ni plus précieux à Dagobert, comme on le vit plus tard par ses actions. La trente-sixième année du règne de Clotaire [619], mourut la reine Bertrude, mère de Dagobert, que Clotaire avait aimée d’unique amour, et que tous les ducs chérissaient fort, car ils avaient souvent éprouvé sa bonté. Après sa mort, le roi Clotaire prit une autre femme, nommée Sichilde, dont il eut un fils nommé Charibert. Dagobert croissait en vertu comme en âge, et il donnait par ses actions l’espérance qu’on trouverait en lui un excellent roi. Son père Clotaire avait choisi, pour traiter les affaires sous ses ordres, un certain Sadrégésile, d’une fidélité éprouvée, à ce qu’il croyait, et lui avait confié notamment le duché d’Aquitaine. Celui-ci, enorgueilli d’une si grande dignité, et travaillé soit par cet orgueil, soit par quelque espoir de posséder lui-même le royaume, souffrait impatiemment les heureux progrès de Dagobert fils du roi. Quoiqu’il fit semblant de lui porter beaucoup d’amour, il ne put cacher longtemps ce qu’il méditait. Mais comme, craignant le roi Clotaire, il n’osait laisser éclater tout haut ses sentiments, sa secrète inimitié ne parut d’abord que par ses mépris répétés envers le fils du roi. Il alléguait pour excuse la jeunesse de celui-ci, disant qu’il ne fallait pas qu’un esprit encore inexpérimenté pût devenir insolent par la soumission des grands du royaume, ni que l’exercice d’un pouvoir acquis de trop bonne heure détournât le jeune homme du travail et de l’étude. On rapporta, à Dagobert ce que faisait et disait cet homme ; il s’était déjà aperçu lui-même de son inimitié, et par les paroles des autres il en fut tout à fait convaincu. Mais, ne pouvant le remettre aussitôt dans le devoir, il jugea qu’il fallait attendre une occasion pour examiner avec soin la chose et faire subir à son rival le châtiment qu’il méritait. Un certain jour Clotaire partit pour la chasse et s’en alla fort loin. Dagobert et le duc Sadrégésile restèrent à la maison. Alors Dagobert, ayant trouvé l’occasion qu’il désirait, manda le duc auprès de lui et l’invita à prendre son repas avec lui. Celui-ci, ne soupçonnant nullement ce qui devait arriver, commença à le traiter légèrement, et ne rendit point à son seigneur futur, que dis-je ? à celui qui était déjà son seigneur, les honneurs qui lui étaient dus. Dagobert lui présenta la coupe trois fois, et cet homme méritant de subir en ce jour la peine de ses précédentes insolences, la repoussa comme si elle lui eût été offerte, non par son seigneur, mais par un compagnon et à mauvais dessein. Alors Dagobert commença à l’accuser d’être infidèle envers son père, de le traiter lui-même en rival, de se montrer ennemi de ses compagnons, ajoutant qu’il ne fallait pas supporter longtemps les outrages d’un serviteur, ni tarder à venger ses injures, de peur que tant d’orgueil ne fût quelque jour poussé à l’excès ; il le fit aussitôt battre de verges et le déshonora en lui faisant couper la barbe, ce qui était alors le plus grand affront. Ainsi cet homme qui s’était imaginé que, par une longue suite de prospérités, il deviendrait roi, apprit tout à coup combien il était loin de ce haut rang. Au retour de Clotaire, Sadrégésile, déshonoré par ces affronts, se présente devant lui et lui raconte en pleurant ce qu’il a souffert, et de la part de qui. Le roi, touché des injures de son duc, et se répandant contre son fils en menaces furieuses, ordonne qu’on le fasse venir vers lui. A cette nouvelle, Dagobert, qui ne devait ni ne pouvait résister, jugea qu’il lui était au moins permis de fuir la colère de son père en se retirant dans l’église des saints martyrs dont j’ai parlé. Il prit donc la fuite vers cet asile, et, poursuivi par son père, se rendit en toute hâte là, où s’était réfugié autrefois le cerf que lui-même poursuivait. Ce souvenir lui faisait croire que les saints qui avaient repoussé les chiens de leur sanctuaire le protégeraient aussi contre le courroux du roi, et l’événement ne trompa point son espérance. Lorsque Clotaire eut appris que Dagobert était allé se mettre sous la garde des saints, encore plus irrité, il envoya ses satellites avec ordre de l’en arracher et de le lui amener aussitôt. Ceux-ci partirent en toute hâte pour exécuter ce qui leur était prescrit. Lorsqu’ils ne furent plus éloignés du lieu saint que d’environ un mille, la puissance divine les empêcha de porter plus loin leurs pas. Ils reviennent vers leur seigneur et lui racontent ce qui leur est arrivé. Clotaire ne voulant pas les croire et disant qu’ils avaient préféré à ses ordres l’intérêt de son fils, en choisit d’autres, les chargeant d’accomplir ce qu’avaient négligé les premiers. Mais ceux-là éprouvant à leur tour le même sort, et revenant, font au roi le même récit. La colère du roi n’en fut point calmée, et il résolut de faire lui-même ce qu’il n’avait pu faire par ses serviteurs. Pendant que ces choses se passaient, Dagobert, humblement prosterné aux pieds des martyrs, fut tout à coup saisi de sommeil. Comme il était ainsi couché, trois hommes, remarquables par la beauté de leur corps et la blancheur de leurs vêtements, se présentent devant lui. Stupéfait, il les considérait avec attention. L’un d’eux qui, par son front chauve et son aspect vénérable, semblait surpasser en autorité ses compagnons, lui dit : Sache, ô jeune homme, que nous sommes Denis, Rustique et Eleuthère, qui avons souffert le martyre pour le nom du Christ, comme tu l’as appris, et que nos corps sont ici déposés. La petitesse et la pauvreté de cette maison et du tombeau que tu vois ont obscurci notre renommée. Si tu promets que tu honoreras notre mémoire et orneras ce lieu, nous pouvons te délivrer des angoisses qui te pressent, et, avec l’aide de Dieu, te porter secours en toutes choses ; et, pour que tu ne te croies pas déçu par un vain songe, reçois une preuve que ceci est vérité : en enlevant la terre qui couvre nos cercueils déposés dans ce sépulcre, des lettres gravées sur chacun te feront voir ce qui est. Dagobert éveillé vit en effet les noms qu’il avait entendus, et, grandement réjoui des discours des martyrs, il se lia par un vœu qu’il accomplit ensuite très fidèlement. Clotaire résolut, comme je l’ai dit, d’arracher lui-même son fils de l’asile des saints. Il s’approchait accompagné de beaucoup de gens. Mais, comme la puissance divine fait ce qui lui plait sur les rois comme sur les autres hommes, lui qui avait reproché aux autres leur immobilité devint immobile à son tour, afin qu’il comprît que, tout-puissant qu’il était, il devait céder à d’autres encore plus puissants. Les martyrs protégeaient le fugitif et écartaient ses ennemis de leur sanctuaire. Clotaire, vaincu et stupéfait de ce prodigieux événement, se dépouille de son courroux, redevient pour son fils un vrai père, lui pardonne sa faute et lui promet toute sûreté. Ayant alors recouvré la liberté de marcher, il se rend à l’église des saints martyrs, et, avec d’humbles prières, adopte pour patrons ceux dont il venait d’éprouver si clairement le pouvoir. Pour témoigner la conviction qu’il avait de leurs mérites, il offrit en leur honneur beaucoup d’or et d’argent, et donna de nombreux et excellents domaines pour enrichir le lieu de leur tombeau. La trente-neuvième année de son règne [622], Clotaire associa au royaume son fils Dagobert, et le fit roi des Austrasiens, retenant pour lui les pays situés en deçà des Ardennes et des Vosges, vers la Neustrie et la Bourgogne. La quarante-deuxième du règne de Clotaire [625], et d’après l’ordre de son père, Dagobert, suivi de ses ducs, vint avec une pompe royale à Clichy, près de Paris. Là, il reçut en mariage une sœur de la reine Sichilde nommée Gomatrude. Les noces célébrées, au troisième jour, il s’éleva entre Clotaire et son fils Dagobert une violente querelle. Dagobert demandait que tous les pays qui avaient appartenu au royaume des Austrasiens fussent remis en son pouvoir. Mais Clotaire s’y refusait avec force, ne lui en voulant rien concéder. Les deux rois choisirent douze Francs, pour que leur jugement mît fin à ce débat. De ce nombre était, avec d’autres évêques, le seigneur Arnoul, évêque de Metz, et, selon l’inspiration de sa sainteté, il parlait avec une grande douceur, pour rétablir la concorde entre le père et le fils. Enfin les évêques et les hommes sages pacifièrent les deux rois, et Clotaire rendant à Dagobert tout ce qui appartenait au royaume des Austrasiens, ne retint que ce qui était situé au-delà de la Loire et du côté de la Provence. Dagobert, jeune et beau, habile et brave, doué de tous les talents, partit avec le duc Pépin pour aller gouverner l’Austrasie. Les Francs de l’Austrasie supérieure, se réunissant avec les autres en un seul royaume, le prirent pour leur roi. En ce temps-là les Saxons rebelles, et conduits par leur duc Bertoald, soulevèrent contre Dagobert les troupes de diverses nations. Dagobert ayant rassemblé une armée aussi nombreuse qu’il le put, passa le Rhin en personne, et n’hésita point à aller attaquer les Saxons. Ils combattirent vaillamment. Dagobert reçut sur son casque un coup qui lui coupa un morceau de peau de la tête avec des cheveux. Son porte armes, Adtira, qui se tenait derrière lui, ramassa le morceau tombé. Dagobert voyant son armée en mauvais état, dit à ce jeune homme : Hâte-toi, emporte ces cheveux de ma tête, et va annoncer à mon père ce qui se passe, afin qu’il vienne à notre secours avant que l’armée toute entière soit détruite. Adtira, prenant sa course, passa le Rhin et arriva à Glare, dans la forêt des Ardennes, oit se trouvait alors le roi Clotaire. Lorsqu’il lui dit ce qui était arrivé et lui remit la peau et les cheveux abattus de la tête de son fils, le roi, saisi d’une vive douleur, se mit en marche au milieu de la nuit avec l’armée des Francs, et, au bruit des trompettes, passa le Rhin et arriva promptement au secours de son fils. Réunis et le cœur gai, ils se serrèrent joyeusement la main, et dressèrent leurs tentes sur les bords du fleuve du Weser. Le duc des Saxons, Bertoald, campé sur l’autre rive du fleuve, et prêt à marcher au combat, entendit un grand tumulte parmi les Francs, et demanda ce que c’était. On lui répondit : Le seigneur roi Clotaire est arrivé, et c’est pourquoi les Francs se réjouissent. Bertoald dit alors en éclatant de rire : Dans votre terreur, vous mentez comme des fous. Nous avons appris la mort du roi Clotaire qui, à ce que vous dites, est avec vous. Mais le roi Clotaire, se tenant sur la rive du fleuve, et portant sur la tète son casque dont les crins se mêlaient avec sa chevelure, l’ôta soudain à ces paroles, et parut la tête découverte. Bertoald reconnut alors que c’était le roi, et lui dit en se moquant : Tu es donc ici, mauvaise rosse. À ces mots le roi, grandement indigné et supportant impatiemment cette injure, entra brusquement dans le fleuve du Weser, le traversa sur son excellent cheval, et se mit à poursuivre Bertoald, car il était d’un cœur très hardi. Les Francs suivirent leur roi, et, avec Dagobert, passèrent le fleuve à la nage, malgré la profondeur de ses gouffres. Le roi Clotaire, poursuivant Bertoald, combattait vaillamment avec lui. Bertoald lui dit : Ô roi ! retire-toi de moi, de peur que je ne te tue. Si tu triomphes de moi, tous les hommes diront que tu as tué ton serviteur Bertoald le païen ; mais si je te tue, alors il y aura un grand bruit chez toutes les nations de ce que le vaillant roi des Francs a été tué par un serviteur. Mais le roi ne se rendit point à ces paroles, et, frémissant de colère, il s’élançait toujours plus violemment contre lui. Les cavaliers Francs, qui étaient encore bien loin derrière le roi, lui criaient : Ô roi, soutiens-toi contre ton adversaire. Les mains du roi étaient grandement fatiguées, car il portait sa cuirasse, et l’eau le pénétrant de toutes parts dans la traversée du fleuve, avait rendu ses habits très pesants. Cependant, après un long et rude combat, le roi, se lançant sur Bertoald, le frappa à mort. Il plaça sa tête au bout de sa lance, et retourna vers les Francs. Ceux-ci, qui s’affligeaient beaucoup car ils ne savaient pas ce qui était arrivé au roi, se réjouirent fort à sa vite. Le roi ravagea toute la terre des Saxons et tua tout le peuple, sans y laisser vivant aucun homme dont la taille surpassât la longueur de son glaive, qu’on appelle épée. Il voulait que par-là la postérité, apprît combien avait été grande la perfidie des Saxons, ce que pouvait la nation des Francs, et à quel point est redoutable la colère des rois. La quarante-cinquième année de son règne, le grand roi Clotaire mourut [628], et, fut enseveli clans le faubourg de Paris, dans l’église de Saint-Vincent[i]. Dagobert apprenant que son père était mort, ordonna à tous les grands qu’il gouvernait en Austrasie de se mettre en marche avec des troupes, et envoya des messagers en Bourgogne et en Neustrie pour s’assurer de ces royaumes. Arrivé à Reims, et comme il marchait vers Soissons, tous les évêques et ducs du royaume de Bourgogne se remirent en son pouvoir. Les évêques et les grands Neustriens ainsi que la plus grande partie du peuple voulaient également Dagobert pour roi. Charibert, son frère, s’efforçait de s’emparer du royaume, mais à cause de son imbécillité sa volonté avait peu d’effet. Brunulf, frère de la reine Sichilde, voulant faire régner son neveu Charibert, avait commencé à se révolter contre Dagobert ; mais l’événement en décida autrement. Dagobert occupa tout le royaume de Clotaire, tant la Neustrie que la Bourgogne, et s’empara de tous les trésors. A la fin, touché de pitié et suivant de sages conseils, il céda à son frère Charibert, par transaction et pour qu’il y vécût comme un riche particulier, le pays situé au-delà de la Loire et du côté de la Gascogne, c’est-à-dire les cantons de Toulouse, de Cahors, d’Agen, de Périgueux et de Saintes jusqu’aux monts Pyrénées. Il confirma cette cession par un traité, sous la condition que jamais Charibert ne lui redemanderait jamais rien du royaume de leur père. Charibert établit sa résidence à Toulouse, et régna dans la province d’Aquitaine. Trois ans après [630], à l’aide d’une armée, il soumit à son pouvoir toute la Gascogne et agrandit un peu son royaume. Dagobert obtint ainsi, avec la faveur de Dieu, le royaume de son père. Entre autres choses dignes de louange, il se souvint du vœu dont nous avons parlé, se rendit au bourg de Catulliac, et, d’après l’avis qu’il avait reçu en songe, fit exhumer les corps des saints martyrs Denis, Rustique et Éleuthère, trouva leurs noms inscrits sur les sarcophages, et le 23 avril les fit transporter avec de grands respects dans un autre endroit du même bourg où il orna leurs monuments d’or pur et de pierres précieuses ; et après avoir merveilleusement décoré en dedans l’église qu’il fit construire lui-même depuis les fondements, il couvrit aussi d’argent sur l’extérieur de la voûte sous laquelle étaient déposés les corps des martyrs, voulant ainsi accomplir pleinement le vœu de sa piété. Il assigna pour les luminaires de cette église cent sous d’or, pris sur les droits de douane que lui payait chaque année la ville de Marseille. Les agents du roi, à mesure que le paiement se faisait, devaient acheter de l’huile comme pour le service du roi lui-même et la remettre aux envoyés de l’église. Il ordonna en outre que, soit à Marseille, soit à Valence, à Fos, à Lyon et dans tout autre lieu, les six voitures qui portaient cette huile seraient exemptées de tout droit jusqu’à leur arrivée dans la basilique. Il fit placer en outre, en face de l’autel de cette église, une cassette d’argent pour recevoir les aumônes offertes par les fidèles, et qui devaient être ensuite distribuées aux pauvres de la main même des prêtres, afin que, selon le précepte de l’Évangile, ces aumônes demeurassent secrètes, et que le Dieu tout-puissant qui voit toutes les choses cachées, les rendit au centuple dans le ciel. Il ordonna qu’annuellement, d’un mois de septembre â l’autre, il enverrait lui-même à cette cassette cent sous d’or, et voulut que ses fils et tous les rois Francs, ses successeurs, n’oubliassent jamais d’y faire porter chaque année le même nombre de sous. C’était aux pauvres seuls que ces cent sous devaient être distribués, et nul n’en devait rien détourner ; car il voulait que, tant que durerait le royaume, moyennant cette offrande des rois, et ce qu’il plairait à Dieu d’y faire ajouter par d’autres personnes, les pauvres et les voyageurs trouvassent toujours là de quoi se soulager. Il fit fabriquer aussi, pour la place derrière l’autel, qui était en or, une grande croix d’or pur, ornée de pierres précieuses et merveilleusement travaillée. Le bienheureux Éloi, qui passait alors pour le plus habile orfèvre du royaume, aidé aussi sans doute par sa sainteté, exécuta avec un art et un génie admirables, tant cette croix que tous les autres ornements de cette basilique. Les orfèvres d’aujourd’hui ont coutume de dire qu’à peine reste-t-il un homme, quelque habile qu’il soit en d’autres travaux, qui puisse tailler et incruster de la sorte l’or et les pierres précieuses, attendu que, depuis nombre d’années, la science de fondre ces rares métaux est tombée en désuétude. Le roi fit suspendre dans toute l’église, aux parois, aux colonnes et aux arceaux, des vêtements tissus en or, et ornés d’une infinité de perles. Aussi cette basilique, décorée de toutes les belles choses de ce monde, et brillante d’un éclat incomparable, surpassa-t-elle en magnificence toutes les autres églises. Pour que les serviteurs de Dieu y pussent chanter sans interruption les louanges divines, le roi lui donna de grandes et nombreuses possessions. La septième année de son règne[ii], maître, comme nous l’avons dit, de presque tout le royaume de son père, le roi se rendit en Bourgogne, accompagné de beaucoup de grands. Son arrivée inspira une telle crainte, soit aux évêques et aux grands du royaume de Bourgogne, soit aux autres ducs, qu’il y fût pour tous un sujet d’admiration. Il causa une vive joie aux pauvres et à tous ceux qui demandaient justice. Venu dans la cité de Langres, il jugea avec tant d’équité tous ses sujets, tant les riches que les pauvres, qu’on ne douta point qu’il ne fût tout à fait agréable à Dieu. Aucune offre de présents, ni aucune acception de personne n’avaient lieu auprès de lui ; mais la justice seule le conduisait, car ce grand prince l’aimait uniquement. Ayant passé ensuite quelques jours à Dijon et à Saint-Jean-de-Losne, il mit tant de soin à rendre la justice à tout son peuple que, tout occupé de ce pieux dessein, il ne prenait ni aliment ni repos, attentif seulement il ce que nul ne s’éloignât de lui sans avoir obtenu justice. Prêt à partir de Saint-Jean-de-Losne pour Châlons, il se mit au bain avant qu’il fît jour, et donna l’ordre de tuer Brunulf, oncle de son frère Charibert, à cause de son infidélité. Cet ordre fut exécuté par les ducs Amalgaire et Arnebert, et le patrice Willebad. Après s’être rendu à Châlons, pour y terminer tout ce qu’il avait entrepris par amour de la justice, il vint à Auxerre par Autun, et de là à Paris par Sens. S’étant arrêté dans sa maison de Reuilly, il abandonna, d’après le conseil des Flancs, la reine Gomatrude, parce qu’elle était stérile, et prit en mariage une jeune fille d’une admirable beauté, nommé Nantéchilde. Depuis le commencement de son règne jusqu’à cette époque, suivant les conseils, d’abord de saint Arnoul, évêque de Metz, et ensuite de Pépin, maire du palais, il gouverna si heureusement en Austrasie qu’il s’attirait les louanges de toutes les nations. Ses jugements avaient inspiré un si profond respect que tous s’empressaient de se soumettre à son pouvoir. Les peuples qui habitent sur la frontière des Avares et des Esclavons, invoquèrent son appui, et les Avares et les Esclavons eux-mêmes, ainsi que les autres nations de païens jusqu’aux confins de la république romaine, promettaient de se donner à lui. Après la mort de saint Arnoul, dirigé encore par les avis de Pépin, le maire du palais, et de Chunibert, évêque de Cologne, le roi persista dans la justice ; son bonheur ne l’abandonna point ; et jusqu’au moment où, comme je l’ai dit, il arriva à Paris, il possédait si pleinement la faveur de tous ses sujets qu’aucun des rois Francs n’en avait jamais été tant admiré. Il se rendit au sépulcre des bienheureux martyrs Denis, Rustique et Eleuthère, et pria le Seigneur de permettre qu’avec leur intervention, il accomplît ce qu’il avait commencé. Pour se concilier pleinement leur bienveillance, il donna à leur basilique, par des lettres patentes, le domaine d’Estrepigny dans le Vexin. Le roi Dagobert était un prince extrêmement adroit et d’un esprit rusé, doux envers ceux qui lui voulaient du bien et lui étaient fidèles, mais terrible envers les rebelles et les perfides ; tenant fermement le sceptre royal, et se montrant plein de bonté pour les hommes sages, il s’élevait comme un lion contre les factieux, et par la bravoure de son cœur triompha souvent de la férocité des nations étrangères. Il prodiguait largement ses dons aux églises, aux prêtres, aux pauvres et aux pèlerins. S’adonnant assidûment à la chasse et aux exercices virils, il était incomparable pour l’agilité et la force du corps. Accablé par le poids du gouvernement et entraîné par la vivacité de la jeunesse, il fit bien quelques actions répréhensibles selon la religion, et moins sages qu’il n’eût fallu, car nul ne peut être parfait. Cependant il est à croire que tant d’aumônes, et les prières des Saints dont il orna les monuments et enrichit les églises plus qu’aucun des rois ses prédécesseurs, afin de racheter son âme, lui auront sans peine obtenu le pardon du Dieu très miséricordieux. La huitième année de son règne [629], comme il parcourait l’Austrasie avec une pompe royale, et fort triste de ne pas avoir un fils pour régner après lui, il fit entrer dans son lit une jeune fille, nommée Ragnetrude, dont, il eut cette année même, par la grâce de Dieu, un fils, obtenu à force de prières et d’aumônes. Son frère Charibert, venu à Orléans, tint ce fils sur les fonts de baptême. Lorsque le vénérable Amande, évêque d’Utrecht, donna la bénédiction à cet enfant, et le reçut catéchumène, à la fin de son oraison, personne, dans toute la multitude des assistants, ne répondant amen, le Seigneur ouvrit la bouche de l’enfant qui n’avait pas plus de quarante jours, et il répondit amen, si bien que tous l’entendirent. Le saint pontife le régénéra aussitôt par les eaux sacrées du baptême, lui donnant pour nom Sigebert. A ce miracle, les rois et toute l’armée furent remplis de joie et d’admiration. Æga, l’un des grands, donnait à Dagobert d’assidus conseils, ainsi que les autres Neustriens. Cette année, les ambassadeurs Servat et Paterne que le roi avait envoyés à l’empereur Héraclius, revinrent vers lui, annonçant qu’ils avaient fait la paix avec l’empereur. Héraclius, très savant dans les lettres, devint enfin astrologue. Ayant vu dans les signes des astres que, d’après la volonté divine, son empire serait dévasté par des peuples circoncis, il fit demander au roi Dagobert de faire baptiser selon la foi catholique tous les Juifs de son royaume. Le roi, saisissant cette occasion, et animé d’un zèle pieux, d’après le conseil des évêques et des hommes sages, chassa de son royaume tous les Juifs qui refusèrent de recevoir la régénération du saint baptême. Le roi fit cela avec une grande ardeur ; mais c’était aux Agarins, c’est-à-dire, aux Sarrasins, peuple circoncis, et non aux Juifs, que se rapportait ce qui avait été annoncé à Héraclius. Ce fut par eux, comme on sait, que, dans la suite, son empire fut pris et cruellement dévasté. La neuvième année du règne de Dagobert [630], son frère Charibert mourut, laissant un petit enfant, nommé Childéric, qui mourut aussi peu après. Le roi Dagobert eut alors en son pouvoir tout le royaume de Charibert avec la Gascogne. Il envoya un certain duc, nommé Baronte, pour prendre aussi les trésors de Charibert, et les lui apporter. On sait que Baronte fit un long circuit, et, de concert avec les trésoriers, détourna frauduleusement beaucoup de, ces richesses. La même année, mourut le frère de la reine Nantéchilde, nommé Laudégisile ; et, par l’ordre du roi, il fut enseveli magnifiquement dans l’église des bienheureux martyrs Denis et ses compagnons. La reine demanda qu’en raison de la sépulture de son frère, le domaine d’Alatée, situé aux environs de Paris, fût donné à cette basilique. Laudégisile, de son vivant, l’avait reçu de la bonté du roi. Dagobert y consentit volontiers, fit dresser sur-le-champ ladite donation, la souscrivit, et ordonna qu’elle fût scellée de son sceau. Cette année, les Esclavons, dits les Wénèdes, et chez qui régnait Samon, tuèrent un grand nombre de marchands Francs, et les dépouillèrent de leurs biens. De là naquit une vive querelle entre Dagobert, roi des Francs, et Samon, roi des Esclavons. Dagobert envoya à Samon le député Sichaire, demandant qu’il réparât, selon la justice, le meurtre de ces marchands et l’enlèvement de leurs biens. Samon ayant refusé de voir Sichaire, celui-ci se vêtit à la mode des Esclavons, se présenta avec ses gens devant Samon, et lui fit connaître tous les ordres qu’il avait reçus, demandant que justice fût rendue tant sur ce débat que sur plusieurs autres qui s’étaient élevés entre les deux pays, attendu que Samon et son peuple devaient leurs services au roi Dagobert. Samon offensé lui répondit : La terre que nous habitons est au roi Dagobert, et nous sommes ses hommes, pourvu toutefois qu’il veuille rester en amitié avec nous. Sichaire lui dit : Il n’est pas possible que des Chrétiens et des serviteurs de Dieu fassent amitié avec des chiens. Samon dit à son tour : Si vous êtes les serviteurs de Dieu, nous sommes les chiens de Dieu, et puisque vous agissez toujours contre sa volonté, nous avons la permission de vous déchirer à coups de dents. Et aussitôt Sichaire fut chassé de la présence de Samon. Dagobert ayant appris ces choses, ordonna sur- le champ que, de tout le royaume, l’armée se mît en marche contre Samon et les Wénèdes : trois corps de troupes avancèrent contre eux. Les Lombards aussi, à l’appui de Dagobert, firent la guerre aux Esclavons, qui, de leur côté, appelant de divers lieux des secours, se préparèrent à résister. L’armée des Allemands, conduite par le duc Chrodobert, remporta la victoire dans les lieux par où elle était entrée. Les Lombards, avec Dagobert, furent aussi vainqueurs, et ils emmenèrent captifs un grand nombre d’Esclavons. Le roi, ayant ravagé cette terre, revint dans ses États. La même année [630], il s’éleva une violente querelle entre les Avares surnommés les Huns et les Bulgares de Pannonie, qui se disputaient pour savoir qui devait succéder à l’Empire, un Avare ou un Bulgare. Avant rassemblé leurs troupes, ils se combattirent rudement et les Bulgares furent vaincus. Neuf mille d’entre eux, chassés de Pannonie avec leurs femmes et leurs enfants, vinrent auprès du roi Dagobert, demandant qu’il leur permît d’habiter dans la terre clos Francs. Le roi leur ordonna de passer l’hiver dans le pays de Bavière, en attentant qu’il eût examiné avec les Francs comment il devait agir. Les Bulgares ainsi dispersés dans les maisons des Bavarois, le roi, par le sage conseil des Francs, commanda à ceux-ci de les tuer tous en une nuit, chacun clans sa maison, avec leurs femmes et leurs enfants, ce qui fut aussitôt exécuté par eux, et pas un Bulgare n’échappa. Je ne passerai point sous silence ce qui arriva cette même année dans l’Espagne et à ses rois. Le très clément roi Sisebod était mort, Suintila, son successeur, régnait à peu près depuis un an. Comme il était très dur pour les siens et avait encouru la haine de tous les grands de son royaume, Sisenand, l’un de ces grands, et de l’avis des autres, se rendit auprès du roi Dagobert, pour lui demander le secours d’une armée afin de chasser Suintila. En récompense de ce service, il promit de donner au roi un missoire d’or, le plus précieux des trésors des Goths, que le roi Thorismund avait reçu du patrice Aetius et qui pesait cinq cents livres. Le roi Dagobert, toujours vaillant dans les combats, fit lever une armée dans le royaume de Bourgogne pour prêter secours à Sisenand et en remit le commandement aux ducs Abundance et Vénérande. Lorsque le bruit se fut répandu en Espagne que l’armée des Francs se rassemblait pour soutenir Sisenand, tous les Goths se soumirent à ce dernier. Les ducs Abundance et Vénérande, partis de Toulouse avec les troupes, n’avancèrent que jusqu’à la cité de Saragosse, et là, les Goths réunis de toute l’Espagne élevèrent Sisenand sur le trône. Abundance et Vénérande, comblés de présents, revinrent chez eux avec l’armée. Le roi Dagobert envoya ensuite en ambassade au roi Sisenand les ducs Amalgaire et Vénérande pour qu’il lui fit passer le missoire qu’il lui avait promis. Sisenand le remit en effet à ces envoyés, mais les Goths le leur enlevèrent par force et ne souffrirent pas qu’ils l’emportassent. Les envoyés étant revenus, le roi reçut de Sisenand deux cent mille sous d’or pour prix de ce missoire. On dit que le roi Dagobert donna dévotement cet argent avec plusieurs autres ornements pour la construction de l’église de saint Denis. Dans ce temps, il se passait en ce lieu, et par la faveur des martyrs, tant de miracles que les infirmes de toutes parts venaient le visiter avec piété, recouvraient la santé et s’en retournaient pleins de joie dans leur pays. Ce que voyant, le roi offrait incessamment, pour orner cette église, ce qu’il trouvait de plus précieux dans ses trésors. Il y fit construire un hôpital et un hospice pour les pèlerins, et d’autres établissements, afin que les pauvres des deux sexes ou ceux que les saints avaient jugés dignes de recouvrer la santé, soutenus pendant le reste de leur vie par les aumônes de l’église, pussent, s’ils le voulaient, et en témoignage d’actions de grâces, se vouer à son service. La dixième année de son règne [631], ayant appris que les Wénèdes étaient entrés dans la Thuringe, le roi levant aussitôt en Austrasie une armée, et partant de la ville de Metz, traversa les Ardennes et arriva à Mayence. Il se disposait à passer le Rhin, ayant avec lui une troupe de guerriers d’élite, Neustriens et Bourguignons, avec beaucoup de ducs et de comtes, lorsque les Saxons lui envoyèrent des députés pour le prier de leur remettre les tributs qu’ils payaient au fisc. Ils promettaient de résister avec leurs propres forces aux Wénèdes et de garder de ce côté la frontière des Francs. Le roi Dagobert, par le conseil des Neustriens, leur accorda ce qu’ils demandaient. Les Saxons, venus pour cette affaire, prêtèrent serment sur des armes et au nom de tout leur peuple, selon la coutume de leur pays. Mais leur promesse eut peu d’effet. Cependant, depuis cette époque, ils ont cessé de payer le tribut auquel ils étaient soumis. C’était une contribution annuelle de cinq cents vaches qui leur avait été imposée par Clotaire l’ancien, et qui leur fut ainsi remise par le roi Dagobert. La onzième année de son règne [632], comme les Wénèdes, d’après les ordres de Samon, se livraient à de nouveaux ravages, et franchissant leurs propres frontières, entraient: clans la Thuringe et les cantons voisins pour dévaster le royaume des Francs, le roi Dagobert vint à Metz, et là, de l’avis des évêques et des grands, et avec l’approbation des principaux du royaume, il institua son fils Sigebert roi d’Austrasie, et lui permit de prendre la cité de Metz pour résidence. Il chargea Chunibert, évêque de Cologne, et Adalgise, duc du palais, du soin de gouverner, donna à son fils un trésor suffisant, l’établit enfin sur le trône avec la dignité qui convenait, et confirma par des ordres écrits toutes les concessions qu’il lui avait faites. On sait que, dans la suite, les Austrasiens défendirent vaillamment contre les Wénèdes la frontière du royaume des Francs. La douzième année du règne de Dagobert [633], il lui naquit de la reine Nantéchilde, lui fils nommé Clovis. Par le conseil des Neustriens, il renouvela alors son traité avec son fils Sigebert. Les grands et les évêques d’Austrasie, ainsi que tous les ducs de Sigebert, posant la main sur les reliques sacrées, jurèrent en outre qu’après la mort de Dagobert, la Neustrie et la Bourgogne appartiendraient certainement et sans trouble au roi Clovis, tandis que l’Austrasie, égale en étendue et en population, appartiendrait toute entière, avec tout ce qui en avait fait partie jadis, au roi Sigebert qui y régnerait à perpétuité. On en excepta seulement le duché de Dentelin dont les Austrasiens s’étaient emparés à tort et au sujet duquel on convint qu’il serait rendu aux Neustriens et soumis au roi Clovis. Les Austrasiens furent forcés bon gré mal gré de confirmer ce traité, tant le roi Dagobert leur inspirait de crainte. Il fut pourtant maintenu dans la suite du temps des roi Clovis et Sigebert. Vers le même temps, le roi Dagobert revint à Paris, et toujours plus pénétré de respect pour les saints martyrs, Denis et ses compagnons, à cause des superbes miracles que le Seigneur opérait chaque jour sur leur tombeau, il donna à leur basilique quelques terrains en dedans et en dehors de la ville de Paris, et lui délégua même une des portes de cette ville, celle qui est située près de la prison de Glaucin, et qu’administrait alors son fermier Salomon, avec tous les droits d’entrée qui s’y payaient, et qui furent perçus par l’église de Saint-Denis, comme auparavant par le trésor du roi. Il confirma à perpétuité cette cession, par un acte signé de son nom et scellé de son sceau. Vers la même époque il abandonna également aux moines, qui servaient dans ce lieu Dieu et les saints martyrs, le marché annuel qui se tenait auprès de leur monastère après la fête de saint Denis. Par l’acte de cession qui en fut dressé, tous les droits et revenus que percevait le fisc, soit dans ce bourg, soit dans les lieux voisins qui y furent dénommés, depuis le jour de la fête jusqu’à la fin du marché, et quel que fût le juge chargé de les percevoir, furent attribués, sans exception ni retranchement, à ce monastère, car le roi voulait ainsi racheter son aine, et inspirer aux serviteurs de Dieu plus d’ardeur à implorer pour lui la clémence divine. La treizième année du règne de Dagobert [634], Sadrégésile, duc des Aquitains, fut tué par quelques hommes. C’était celui dont nous avons parlé plus haut, et à qui Dagobert, dans sa jeunesse, avait fait donner des coups de verges, et couper la barbe à cause du mépris qu’il lui témoignait ; ce qui l’avait réduit lui-même, par crainte de son père, à se réfugier sous la protection des saints martyrs. Sadrégésile avait des fils élevés dans le palais, et qui auraient pu très aisément venger la mort de leur père. Comme ils n’en firent rien, ils furent, à cause de cela, et selon la loi romaine[iii], accusés par les grands du royaume, et dépouillés de tout l’héritage paternel. Tous leurs biens ayant été remis au fisc, l’excellent roi Dagobert les donna à l’église de Saint-Denis, savoir, les domaines de Nogent, dans le pays d’Angers, de Parcay, Podentigny, Paschelles et Anglas dans le pays de Poitiers, avec des salines au bord de la mer dont il serait trop long d’insérer ici les noms. Il en donna la moitié aux moines qui servaient Dieu dans cette église, en y instituant un chant général et perpétuel à l’instar du monastère de Saint-Maurice ou de Saint-Martin de Tours, et l’autre moitié aux serviteurs et à l’hôpital de l’église, n’en retenant absolument rien pour son propre service. Il fit dénommer soigneusement tous ces domaines dans l’acte de concession qui fut signé de son nom et scellé de son sceau. Si quelqu’un veut en savoir les noms, il trouvera cette charte dans les archives de ladite église, et y lira, je crois, les noms de vingt-sept domaines. La quatorzième année de son règne [635], les Gascons s’étant révoltés et commettant beaucoup de ravages dans le royaume des Francs qu’avait possédé Charibert, Dagobert fit lever l’armée de toute la Bourgogne, et mit à la tête le référendaire Chadoinde, qui, du temps du roi Théodoric, avait prouvé sa vaillance dans plusieurs combats. Dix ducs marchèrent avec les troupes, savoir : Arimbert., Amalgaire, Leudebert, Wandalmar, Walderic, Hermenric, Baronte et Chairhard d’origine franque, Chramnelène d’origine romaine, le patrice Wisibad d’origine bourguignonne, et Æginan d’origine saxonne, sans parler de plusieurs comtes qui n’avaient point de duc au-dessus d’eux. Ils marchèrent tous en Gascogne avec leurs soldats. Le pays des Gascons ayant été entièrement occupé par l’armée de Bourgogne, ces peuples sortirent des rochers de leurs montagnes et s’avancèrent pour combattre. Se voyant vaincus, ils tournèrent le dos selon leur coutume, et se réfugiant dans les gorges des vallées et les forêts des monts, ils se croyaient là dans des asiles assurés. Mais les ducs les poursuivant avec leurs troupes, en tuèrent un grand nombre, incendièrent leurs maisons, enlevèrent leurs bestiaux et leurs meubles, et firent beaucoup de prisonniers. Domptés enfin, les Gascons demandèrent aux ducs susnommés le pardon et la paix, promettant de se présenter devant le glorieux roi Dagobert, de se remettre en son pouvoir et de faire tout ce qu’il leur ordonnerait. L’armée du roi serait revenue heureusement et sans aucune perte dans son pays, si le duc Arimbert avec les chefs et les principaux de sa troupe n’avaient été tués, faute de vigilance, par les Gascons dans la vallée de la Soule. Après cette victoire, les Francs venus de Bourgogne retournèrent cher eux. A la même époque le pieux roi Dagobert, par un acte formel, institua l’église de Saint-Denis son héritière pour un domaine situé dans le Chambly qu’avait donné au roi une certaine matrone nommée Théodila, pour celui de Tivernon, situé dans le pays d’Orléans, que le roi avait échangé avec saint Ferréol, évêque d’Autun, pour ceux de Clichy, d’Idcina et de Puteaux, situés aux environs de Paris, et pour celui de Latiniac, situé dans le territoire de Meaux, que le roi, avec l’argent de son propre fisc, avait acheté au duc Bobon et à Tassilon comte du palais. Le roi recherchait toujours le secours des saints contre ses ennemis visibles et invisibles, espérant que, comme dans sa jeunesse les saints martyrs lui avaient promis de le délivrer des angoisses qui le pressaient, de même ils lui porteraient secours pendant toute sa vie et après sa mort. II concéda également aux moines qui servaient Dieu dans cette église le tribut annuel de cent vaches que lui payait le duché du Mans, afin qu’ils prissent plaisir à invoquer pour lui le Seigneur et les saints martyrs. Après cela le roi Dagobert, qui habitait alors le palais de Clichy, envoya des députés en Bretagne, pour que les Bretons réparassent les pertes de ceux de ses sujets qu’ils avaient dépouillés et se soumissent à son pouvoir ; sinon il les menaça de faire marcher sur-le-champ en Bretagne l’armée de Bourgogne qui revenait de l’expédition de Gascogne. A ces paroles, Judicaël, roi des Bretons, se rendit en toute hâte à Clichy auprès du seigneur roi Dagobert avec beaucoup de présents. Là, demandant pardon, il promit de réparer tous les dommages que les Bretons de son royaume avaient causés aux Francs, et il s’engagea par serment à se soumettre, lui et le royaume de Bretagne, au pouvoir du roi Dagobert et de tous ses successeurs ; cependant Judicaël ne voulut pas prendre son repas avec le roi Dagobert, car il était religieux et craignant Dieu très fort. Lorsque le roi se mit à table, Judicaël sortant du palais alla dans la maison du référendaire Dadon, autrement dit Ouen, et qui fût ensuite évêque de Rouen, parce qu’il savait que c’était un homme observant la sainte religion, et il prit son repas avec lui. Le lendemain, Judicaël dit adieu au roi Dagobert et retourna en Bretagne ; le roi le combla d’honorables présents. La même année, le roi Dagobert, après avoir soumis toutes les nations qui étaient autour de son royaume, affermi la paix avec l’aide de Dieu, et désigné pour rois, comme nous l’avons dit, ses fils Sigebert et Clovis, fut inspiré d’en haut, et convoquant ses fils ainsi que tous les grands du royaume, le vingt-trois mai, dans le palais de Garches, il tint une assemblée générale. Assis sur un trône d’or, et la couronne sur la tête, selon la coutume des rois Francs, tous les autres rangés devant lui, il commença ainsi : Écoutez ! ô vous rois, mes très chers fils, et vous tous grands et vaillants ducs de notre royaume, avant que l’appel subit de la mort n’arrive, il faut veiller pour le salut de son allié, de peur que la mort ne nous trouve mal préparés, et que sans aucun égard elle ne nous enlève la lumière du jour pour nous livrer aux ténèbres et aux tourments éternels. Tant que nous sommes libres et maîtres de nous-mêmes, nous devons employer nos biens fragiles à nous acheter dans les tabernacles des cieux une vie impérissable, afin d’obtenir au milieu des justes une place bienheureuse, et de nous assurer les récompenses du Seigneur. Que pouvons-nous faire de mieux que de consacrer nos richesses passagères à secourir les pauvres par des aumônes dans les lieux saints, afin de mériter que le Seigneur nous prodigue les fruits toujours renaissants du paradis ! Quiconque demande à s’abreuver dans cette source vive ne se voit jamais refuser la coupe, et la source n’est jamais moins abondante ; chaque fois qu’il y puise il se sent inondé d’une douceur céleste et embaumé des plus suaves parfums. Examinant donc ma conscience et les péchés de mon coeur, songeant au compte que j’aurai à rendre à ce roi suprême, j’ai redouté son jugement et craint de subir les peines qui attendent les malheureux mortels ; j’ai désiré aussi la gloire immense des justes et n’ai pas voulu que le dernier jour qui me sera accordé par la volonté du Seigneur me trouve coupable d’un criminel oubli des saints et de tous ceux qui ont besoin de consolation. Averti ainsi par la dévotion de mon âme, et pour mériter les grâces de l’Éternel, j’ai résolu en pleine force et liberté d’esprit de faire un testament dans lequel, et par une donation de moi, je léguerai mes biens propres aux basiliques des saints fondées de notre temps dans notre royaume ; et, pour que ma volonté soit ferme et stable à toujours, je me suis décidé à faire écrire, à la connaissance de vous tous, au même moment et dans le même temps, quatre testaments où seront énumérées toutes les choses que nous donnons maintenant aux églises des saints. J’envoie l’un de ces testaments à Lyon, cité de la Gaule ; un autre à Paris, dans les archives de la cathédrale ; un troisième à Metz, où il sera confié à la garde du seigneur Abbon ; le quatrième, que je tiens ici dans mes mains, sera déposé dans notre trésor. C’est là notre pieuse volonté et les dons que nous offrons à Notre Seigneur qui les recevra avec bonté, car au dernier jour celui qui a fait l’aumône aux lieux saints, aux prêtres et aux indigents, peut se présenter avec une confiance assurée, puisque, d’après le témoignage de l’Écriture, quiconque a pitié des pauvres prête au Seigneur, et le souverain de l’Olympe le lui rendra amplement. Ainsi pour le salut de notre âme, et comme nous l’avons dit, notre volonté est qu’après notre mort, qui viendra quand il plaira à Dieu, les prêtres qui se trouveront alors charités des offices sacrés dans les lieux ci-dessus désignés, soient mis immédiatement en possession, sans aucun retranchement, de toutes les concessions par nous faites, et que lesdits biens appartiennent à toujours, avec une complète immunité, aux lieux saints désignés dans le susdit écrit. Et lorsque chacune desdites églises aura reçu les biens que nous lui donnons, nous souhaitons que ses prêtres inscrivent notre nom clans le livre de vie, et que tous les dimanches, ainsi qu’aux principales fêtes des saints, ils prient pour nous le Seigneur. En outre, et ce que nous regardons comme le plus important pour le salut de notre âme, nous vous conjurons, par cet écrit et au none du roi des Cieux, vous prêtres qui vous trouverez en fonction à cette époque dans lesdits lieux saints, lorsque vous aurez reçu nos donations, de célébrer des messes pour nous chaque jour, pendant trois ans, et d’offrir des sacrifices au Dieu miséricordieux, pour en obtenir la rémission de nos péchés. Au nom du Seigneur souverain, témoin et juge, et avec le consentement de vous tous ici présents, nous confions notre dit testament à nos chers fils, Sigebert et Clovis, que la bonté du Christ nous a donnés pour postérité, ainsi qu’aux autres fils qu’il pourra plaire au Seigneur de nous donner, et qui devront nous succéder, afin qu’eux et vous vous fassiez observer en toutes choses notre dernière volonté, et que nul ne tente d’enlever aux égales nos concessions. Par la toute puissante Trinité, par les vertus des archanges, des patriarches, des prophètes, des apôtres, des martyrs et de tous les saints, par le redoutable jour du jugement, par la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en présence duquel nous devons ressusciter, nous vous conjurons. de faire en sorte que nos décrets, tels qu’ils sont contenus dans le présent écrit, demeurent fermes et stables à toujours. Pour nous en assurer l’éternelle récompense, nous avons dessein de confirmer de notre main le présent écrit, de notre testament ; et nous vous ordonnons à vous tous évêques, abbés, grands et hommes illustres ici présents, d’y apposer votre signature et votre sceau ; et, encore une fois, nous vous conjurons, vous rois et mes chers fils, et tous ceux qui doivent nous succéder, de ne jamais porter atteinte en aucune manière à notre volonté, si vous voulez que les choses que vous réglerez vous-même après notre mort demeurent aussi fermes et stables ; car sachez que vous aurez à votre tour des successeurs, et que si vous ne maintenez pas nos décrets, les vôtres ne seront pas non plus respectés. Le roi ayant ainsi très sagement parlé, et tous l’écoutant avec attention, ils lui souhaitèrent de bon cœur une longue vie avec un règne pacifique ; et tous les grands, aussi bien que le roi lui-même, confirmèrent volontiers le susdit testament. Le roi se souvenant toujours de son patron particulier, saint Denis, et quoiqu’il lui eût déjà donné beaucoup de terres, lui conféra encore par cet acte un domaine nommé Braunade. Toutes les affaires du royaume convenablement réglées, il permit à chacun de retourner joyeusement chez lui. Ce testament, qu’il avait ordonné de déposer dans son trésor, est gardé aussi avec respect dans les archives de l’église de Saint-Denis et de ses bienheureux compagnons. A la même époque, le roi concéda à ladite église, et pour en couvrir le toit, huit mille livres pesant du plomb qui lui revenait tous les deux ans sur le produit des mines. Il ordonna que ce plomb, serait amené aussi tous les deux ans par les charrois, soit de ses propres domaines, soit de ceux qu’il avait donnés au saint monastère, dont les agents ou les trésoriers furent autorisés à le recevoir. Il voulait couvrir ainsi pieusement la basilique des saints martyrs, afin que, par leur intercession, le Dieu tout-puissant le couvrit lui-même de l’ombre de ses ailes. Il fit dresser de cette donation un acte tel qu’à l’avenir les rois ses successeurs fussent toujours obligés de l’observer. La quinzième année du règne de Dagobert [636], tous les seigneurs de Gascogne, avec leur duc Amande, se rendirent à Clichy, auprès du roi ; et là, redoutant la colère royale, ils se réfugièrent dans l’église de Saint-Denis. Par respect pour le saint, la clémence du roi Dagobert leur accorda la vie. Ils renouvelèrent alors leurs serments, promettant d’être à jamais fidèles au roi, à ses fils et au royaume des francs ; serments qu’ils violèrent dans la suite, selon leur coutume. Avec la permission du roi, ils retournèrent dans le pays de Gascogne. Il serait trop long de rapporter dans cet ouvrage combien le roi Dagobert se montrait prudent dans le conseil, sage dans les jugements, ferme à maintenir la discipline militaire, libéral en aumônes, soigneux de mettre la paix dans les églises, et surtout d’enrichir les monastères des saints. Il faut éviter d’ailleurs de rapporter ici des choses inutiles et qui ennuieraient le lecteur ; il existe de tous ces mérites de glorieux monuments qu’aucun temps ne pourra abolir. Arrivant donc à la mort de ce sage roi, je raconterai en peu de mots ce qu’il fit dans sa maladie, et un miracle qui arriva après sa mort, et que j’ai trouvé dans une vieille charte écrite, dit-on, par l’évêque saint Ouen. Après avoir gouverné glorieusement son royaume, la seizième année de son règne [637], Dagobert commença à être malade d’un flux de ventre, dans sa maison d’Épinay, aux bords de la Seine, et non loin de Paris. Il fut transporté de là à la basilique de Saint-Denis. Au bout de peu de jours, se sentant dans un péril imminent, il ordonna qu’on fit venir en toute hâte son conseiller Æga. Il lui recommanda la reine Nantéchilde et son fils Clovis, ajoutant que, sur le point de mourir, il tenait sa sagesse en grande estime, et souhaitait qu’avec son aide, son fils pût gouverner heureusement le royaume. Ayant ensuite convoqué les principaux du palais, il leur recommanda pareillement sa femme et son fils, en leur faisant prêter serment de fidélité, selon la coutume, et fit dresser, au profit des marguilliers de la basilique des saints martyrs, une donation des domaines d’Aguisi, de Coudun, de Grandvillé, de Moinsvillé, de Gelles, et y fit insérer également celle du domaine de Sarcelles, qu’il leur avait déjà donné. Tous les grands étant consternés de douleur, il les consola avec bonté et du mieux qu’il put, disant, entre autres choses qu’il serait trop long de rapporter. Quoique les misérables mortels doivent toujours avoir devant les yeux, pendant qu’ils sont en santé, le jugement à venir du Dieu tout-puissant, cependant, au milieu de la maladie, il ne faut nullement désespérer de sa sainte miséricorde. On doit seulement alors veiller plus attentivement au salut de son âme, et se racheter soi-même autant qu’on peut, en donnant ses biens aux pauvres, afin de s’assurer après la mort les récompenses de ce clément juge. Ainsi donc, pour le salut de notre âme, nous donnons dès à présent, et en totalité, les domaines désignés dans le présent acte, aux marguilliers de la basilique de Saint-Denis, notre patron particulier, où repose, avec ses compagnons, le glorieux martyr, et où nous voulons être enseveli. Notre volonté est que, pour le salut de notre âme et aussi pour la sûreté de nos enfants, lesdits domaines, tels que les a possédés jusqu’à présent notre fisc, appartiennent, dès à présent et à toujours, auxdits marguilliers qui desservent ladite basilique ; qu’aucun des rois nos fils ou de nos successeurs, aucun évêque, aucun abbé du susdit monastère, ne tente jamais d’enlever auxdits frères ces domaines et celui de Sarcelles, s’il ne veut pas encourir la colère de Dieu et de saint Denis. Que si quelqu’un commet cette offense, il en rendra compte au saint martyr et auxdits marguilliers, devant le tribunal de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous pensons qu’avec l’aide de Dieu, on tirera de là chaque année de quoi nourrir les pauvres dont nous nous sommes souvent occupé, et que vivant ainsi de nos aumônes, eux et leurs successeurs prieront plus abondamment et plus dévotement pour le salut de notre âme. Déjà frappé de la maladie, nous ne pouvons signer la présente donation, car la plume tremble dans notre main. Nous souhaitons donc que notre cher fils, le roi Clovis, confirme cette charte par la signature de son nom, que Dadon la présente, et que nos grands la signent également. Le roi ayant cessé de parler, d’après son ordre, son fils, le roi Clovis, signa ladite charte, qui lui fut présentée par le référendaire Dadon, et tous les grands qui se trouvaient présents firent comme lui. Ces choses ainsi arrangées, peu de jours après, le 19 janvier [639], le roi très chrétien Dagobert sortit de ce monde. Une douleur inexprimable remplit soudain le palais, et tout le royaume déplora amèrement sa mort. Embaumé avec des aromates, il fut transporté, au milieu du concours et des gémissements des peuples, dans la basilique des saints martyrs qu’il avait, comme nous l’avons dit, magnifiquement ornée d’or, de pierreries, de meubles précieux, et dont il avait fait construire l’enceinte. Il fut très justement enseveli à la droite de leur tombeau. Il avait donné à leur église et en divers lieux tant et de si grandes richesses, terres et possessions, que sa piété est encore aujourd’hui admirée de beaucoup de gens. Nous n’en parlons pas davantage, de peur d’ennuyer quelques lecteurs. Il y avait institué un chœur perpétuel, à l’instar du monastère de saint Maurice et de celui de saint Martin de Tours ; mais on sait que la faiblesse de l’abbé Ægulf a laissé dépérir cette institution. L’illustre défenseur de l’église de Poitiers, Ansoald, s’acquittait à cette époque d’une mission du côté de la Sicile. Revenant par mer, il aborda à une petite île où un vénérable vieillard, nommé Jean, menait une vie solitaire ; beaucoup de navigateurs venaient à lui pour obtenir l’appui de ses prières. Ansoald, poussé par la volonté de Dieu vers le séjour honoré des mérites d’un tel homme, s’entretenait avec lui des joies célestes, lorsque le vieillard lui demanda d’où et pourquoi il était venu. Informé qu’il était parti de la Gaule, et pour telle affaire, le vieillard lui demanda encore de lui raconter les mœurs et la conduite de Dagobert, roi des Francs. Ansoald l’ayant fait avec soin, le vieillard lui dit qu’un certain jour, comme, déjà brisé par l’âge et fatigué de veilles, il se livrait un peu au repos, un homme à cheveux blancs et d’un aspect vénérable s’était présenté à lui, et l’ayant éveillé, lui avait ordonné de se lever promptement, et d’invoquer la clémence divine pour l’âme de Dagobert, roi des Francs, qui, le même jour, rendait son esprit à Dieu. Comme il se disposait à obéir, il vit, à peu de distance sur la mer, les noirs esprits de l’abîme entraînant à travers les flots le roi Dagobert lié sur une barque, et le frappant de coups pour le précipiter dans l’empire de Vulcain, tandis que les bienheureux martyrs saint Denis, saint Maurice et le saint confesseur Martin réclamaient à grands cris la délivrance de ce roi. Aussitôt la foudre gronda dans le ciel, souleva sur la mer les tempêtes, et au milieu de ces éclats, le solitaire vit apparaître tout à coup des hommes d’un glorieux aspect, et couverts de vêtements blancs. Il leur demanda eu tremblant qui ils étaient. Nous sommes, lui répondirent-ils, Denis, Maurice et Martin, que Dagobert a appelés, à son secours, afin que l’enlevant aux enfers, nous prissions soin de le déposer au sein d’Abraham. Les ennemis du genre humain poursuivaient de toutes leurs forces l’âme qu’ils tourmentaient de leurs coups et de leurs menaces ; mais les saints, l’ayant saisie, l’enlevèrent avec eux au ciel en chantant : Heureux, ô Seigneur, celui que vous avez choisi et pris à votre service ; il demeurera dans votre temple ; nous serons remplis des biens de votre maison. Votre temple est saint ; il est admirable à cause de la justice et de l’équité qui y règnent[iv]. Ces choses se trouvent, entre beaucoup d’autres dans l’écrit dont nous avons parlé, et elles paraîtront, je crois, moins vraisemblables qu’elles ne sont vraies. Le roi Dagobert ayant enrichi un grand nombre d’églises, mais surtout celles des saints que je viens de nommer, il était naturel qu’il invoquât après sa mort le secours de ceux dont il avait particulièrement éprouvé la faveur. Après la mort du roi Dagobert, son fils Clovis [II], d’un âge encore tendre, prit possession du royaume de son père. Tous les ducs de Neustrie et de Bourgogne l’élevèrent au pouvoir dans le domaine de Maslay[v]. Dans les deux premières années de ce règne, Æga, qui avait été conseiller du roi Dagobert, gouverna sagement le palais et le royaume, de concert avec la reine Nantéchilde qui avait survécu audit roi. Il surpassait tous les autres grands de Neustrie en patience et en sagesse. Il était de race noble, riche en biens, cherchant la justice, habile à parler, et toujours prêt à répondre : cependant beaucoup de gens le blâmaient, parce qu’il était adonné à l’avarice. Je n’omettrai point d’insérer ici de quelle manière, après la mort du roi Dagobert, ses trésors furent partagés entre ses fils. Pépin, le maire du palais, et les autres ducs Austrasiens qui, jusqu’au dernier jour de Dagobert, avaient été soumis à son pouvoir, voulurent, d’un commun accord, avoir Sigebert pour roi. Pépin et Chunibert resserrèrent fortement et à toujours les liens d’amitié qui les avaient unis auparavant. Attirant à eux avec prudence et douceur tous les grands d’Austrasie, et les gouvernant avec bonté, ils contractèrent aussi avec eux une étroite alliance. Des députes venus alors d’Austrasie demandèrent à la reine Nantéchilde et à Clovis, au nom de Sigebert, la part qui revenait à celui-ci des trésors de son père. Un plaid fut convoqué pour la lui remettre. Chunibert, évêque de Cologne, et Pépin, maire du palais, avec quelques autres grands Austrasiens, envoyés par Sigebert, vinrent à Compiègne, et là, d’après les ordres de Nantéchilde et du roi Clovis, et en présence d’Æga, maire du palais, les trésors du roi Dagobert, de pieuse mémoire, furent apportés et partagés également ; on réserva pour la reine Nantéchilde le tiers de tout ce que Dagobert avait acquis depuis qu’il l’avait épousée. Chunibert et Pépin firent conduire à Metz la portion du roi Sigebert, et là elle lui fut présentée, et on en dressa l’inventaire. Au bout d’un an environ, Pépin mourut [639], et sa mort ne causa pas une médiocre douleur à tout le monde en Austrasie, car il était chéri de tous, à cause de sa justice et de sa bonté. Æga saisi de la fièvre à Clichy, dans la troisième année du roi Clovis, mourut également [640]. Après sa mort, Erchinoald, parent du roi Dagobert du côté de sa mère, fut créé maire du palais de Clovis. C’était un homme patient, plein de bonté, d’un esprit prudent, respectant avec humilité les serviteurs de Dieu et tous les prêtres, riche seulement avec mesure et qui possédait merveilleusement l’affection de tous les grands du royaume. La quatrième année du règne de Clovis et après la mort d’Æga, la reine Nantéchilde se rendit avec son fils à Orléans en Bourgogne, y convoqua les évêques, les ducs et tous les grands, et, les gagnant l’un après l’autre par sa douceur, fit créer maire du palais dans la Bourgogne le Franc Flaochat. L’ayant élevé à cet honneur d’après le choix des évêques et des ducs, elle lui donna en mariage sa nièce nommé Ragneberte. A cette époque, la reine Nantéchilde fit dresser, dans les lieux saints où il convenait que cela se fit, le testament par lequel elle disposa des domaines que lui avaient donnés le roi Dagobert et son fils Clovis. Elle y fit insérer la donation à l’église de Saint-Denis, du domaine de Latiniac, situé en Brie ; elle fit rédiger de ce testament trois exemplaires, dont un est aujourd’hui conservé dans les archives de ladite église. Cela fait, ayant heureusement gouverné les affaires et son fils régnant déjà avec sagesse en Neustrie et en Bourgogne, la renie Nantéchilde mourut et fut ensevelie dans l’église Saint-Denis, dans le même sépulcre que le roi Dagobert. Clovis, après la mort de ses parents, se trouva donc en possession du royaume. Il prit soin de renouveler les donations que le glorieux roi son père avait faites à l’église des saints martyrs et les confirma par sa signature, ainsi qu’en y faisant apposer son sceau. Mais la quatorzième année de son règne [651], d’après l’avis de quelques hommes, et parce qu’une grande famine se faisait alors sentir, il ordonna qu’on enlevât la couverture de la voûte sous laquelle reposaient les corps de saint Denis et dé ses compagnons, et que la piété du roi son père avait fait garnir en dehors de pur argent. C’était, disait-on, pour venir au secours des pauvres, des affamés et des pèlerins. Clovis ordonna à l’abbé Ægulf qui gouvernait alors ce monastère d’exécuter cette œuvre fidèlement et avec la crainte de Dieu, sans rien redouter de la part de son évêque, car le monastère, à ce qu’il paraît, était encore alors soumis à l’autorité de l’évêque de Paris, ni de la part de tout autre homme. Dans la suite, la seizième année de son règne [653], le roi Clovis convoqua à Clichy les évêques avec les grands du royaume ; et là, revêtu, selon l’usage, du bandeau royal, après avoir traité de diverses affaires importantes à l’État, et pour lesquelles il avait réuni cette assemblée, il dit, comme poussé par la volonté de Dieu : Il faut que, suivant l’exemple de mon père, nous montrions aux églises des Saints un juste respect, afin qu’au jour du péril ils nous servent de patrons et de défenseurs contre les invisibles ennemis. Vous donc saints évêques, et vous grands de notre royaume et de notre palais, écoutez d’une oreille attentive un dessein que le Dieu tout puissant, à ce que je crois, a daigné inspirer à notre cœur, et si vous le trouvez sage, accomplissons-le ensemble avec l’aide du Christ. Le père céleste qui a ordonné à la lumière de jaillir des ténèbres, s’est révélé au cœur des saints Chrétiens par l’incarnation mystérieuse de son fils unique Jésus-Christ, et par la manifestation du Saint-Esprit ; c’est par leur amour pour lui que, parmi tant de glorieux triomphes des martyrs, saint Denis, saint Rustique et saint Eleuthère ont mérité la palme de la victoire et la couronne des justes. Depuis longtemps, et pour l’honneur de son nom, le Christ a daigné opérer, dans la basilique oit ils reposent, de grands miracles. C’est aussi dans ce lieu que reposent nos pères, le roi Dagobert et la reine Nantéchilde ; afin que par l’intercession des Saints, ils obtiennent d’avoir part au royaume des cieux, et de posséder la vie éternelle. Les anciens rois et les grands, et tous les hommes craignant Dieu, ont enrichi ce saint lieu de beaucoup de domaines pour assurer le salut de leur âme. Notre dessein et notre vœu sont donc que l’homme apostolique Landri, évêque de Paris, accorde si vous le jugez bon, et pour la paix de l’avenir, à l’abbé et aux frères de ce saint monastère un privilège, afin que ladite congrégation puisse plus librement invoquer la clémence divine pour la durée et la sûreté de notre royaume. Nous savons que le sage évêque a dessein de se rendre, sans retard, à ce vœu de notre piété ; par respect donc pour les saints martyrs, et pour notre propre salut, nous voulons confirmer ici avec vous un acte, qui porte que, dans tous les domaines, terres ou autres biens donnés à ladite église par les anciens rois ou par nos pères, ou par les hommes craignant Dieu, ainsi que dans tous ceux qui lui pourront être donnés à l’avenir, aucun évêque, ni celui qui est ici présent, ni ses successeurs, ni leurs vicaires, ni aucune autre personne ne puisse désormais rien prendre ou enlever, ni usurper aucun pouvoir sur ledit monastère, ni en détourner, sous prétexte d’échange et sans l’aveu de la congrégation elle-même, comme sans notre permission, aucune chose, soit calice ou croix, ou garniture d’autel, ou livres saints, soit or ou argent, ou tout autre effet. Rien de tout cela ne pourra être pris ni porté à la ville de Paris. Que la sainte congrégation possède à perpétuité tout ce qui lui aura été justement donné, afin qu’elle se plaise à invoquer avec zèle le Seigneur pour l’âme de nos pères et la tranquillité de notre royaume. L’amour de Dieu, le respect des saints martyrs, et le désir de mériter la vie éternelle, nous déterminent à accorder pleinement ce bienfait à cette sainte basilique, avec votre aveu et votre libre concours. Notre intention est qu’on y célèbre à l’avenir, et comme au temps de notre père, le chant perpétuel qui y a été institué, comme il a lieu nuit et jour dans le monastère de Saint-Maurice et dans celui de Saint-Martin de Tours. Tous les grands du royaume écoutèrent avec attention et étonnement ce discours du roi ; les évêques approuvèrent son excellente piété, et le décret qu’il avait fait écrire, comme je viens de le rapporter, fut signé d’eux tous aussi bien que de lui. Parmi les assistants étaient quelques évêques, dont l’église vénère aujourd’hui sans aucun doute la sainteté, car le Seigneur n’a cessé de faire sur leurs tombeaux de grands miracles. Ce sont saint Ouen, saint Radon son frère, saint Pallade, saint Clair, saint Éloi, saint Sulpice, saint Obert, saint Castade, saint Æther avec beaucoup d’autres, et aussi le respectable Landri, évêque de Paris, qui approuva et confirma de son plein gré le privilège en question. Le roi Clovis, pendant tout le cours de son règne, maintint dans son royaume la paix sans aucun trouble ; mais par un coup du sort, dans les dernières années de sa vie, il vint un jour, comme pour prier dans l’église des saints martyrs, et voulant avoir en sa possession leurs reliques, il fit découvrir leur sépulcre. A la vue du corps du bienheureux et excellent martyr Denis, et plus avide que pieux, il lui cassa l’os du bras, l’emporta, et frappé soudain, tomba en démence. Le saint lieu fut aussitôt couvert de ténèbres si profondes, et il s’y répandit une telle terreur que tous les assistants saisis d’épouvante ne songèrent qu’à prendre la fuite. Le roi Clovis pour recouvrer le sens, donna ensuite à la basilique plusieurs domaines, fit garnir d’or et de pierres précieuses l’os qu’il avait détaché du corps du saint, et le replaça dans le tombeau. Il lui revint quelque peu de raison ; mais il ne la recouvra jamais toute entière, et perdit au bout de deux ans son royaume et la vie [651]. FIN DE LA VIE DE DAGOBERT Ier. Retour à la table des matières…
[i] Depuis l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. [ii] En 628, son règne date du moment où Clotaire II lui donna le royaume d’Austrasie. [iii] Il y a lieu de croire que ceci est une erreur et qu’il faut lire : selon la loi salique. [iv] Psaumes, 64, v. 4 et 5. [v] Près de Sens. Vie de Dagobert Ier
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