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Grégoire de TourS

De l’autorité de Grégoire de Tours

 

De l’autorité de Grégoire de Tours

 Au moment où s’achevait l’impression de ce volume ont paru trois ouvrages relatifs à Grégoire de Tours.

Le premier en date est une thèse soutenue à l’École des Chartes au mois de janvier dernier et intitulée : De l’autorité de Grégoire de Tours ; étude critique sur le texte de l’Histoire des Francs, par M. Lecoy de la Marche, archiviste-paléographe ; Paris, Durand, VIII et 132 p. in-8° (juin 1861).

Le deuxième est une seconde édition de la traduction faite en 1823 par monsieur Guizot ; elle est revue, sous ses auspices, par M. Alfred Jacobs. ( Paris, Didier, 2 vol, in-8°, juillet 1861)

Le troisième est une seconde édition du travail de M. A. Jacobs sur la Géographie de Grégoire de Tours, insérée en appendice à la suite de la traduction précédente.

J’ai déjà eu l’occasion de citer ce dernier ouvrage ; la seconde édition diffère peu de la première. Quant à la thèse de M. Lecoy de la Marche, je ne puis me dispenser d’examiner ici, dussé-je être un peu long , un écrit dont le but est de dénier à Grégoire de Tours l’autorité qu’on lui a jusqu’à présent accordée.

Commençons par exposer les conclusions de l’auteur (p. 129) : Au milieu d’une époque lointaine et orageuse qu’il nous importe de connaître et de comprendre, il s’est trouvé un homme doué, d’un talent naturel, animé d’une bonne volonté alors sans exemple, qui a pris la plume pour raconter ce qu’il savait. Cela suffirait à sa gloire. Mais… on peut dire avec raison que l’autorité de l’Histoire des Francs a été généralement surfaite. La période mérovingienne a été retracée maintes fois conformément à cette chronique dans laquelle l’amplification et le laconisme ouvrent tour à tour le champ à l’arbitraire des commentateurs. Assurément (et il est bon de le répéter) elle fournit d’importantes lumières sur les usages, les mœurs, les institutions et sur une quantité de détails : mais comme récit des événements politiques et par suite comme tableau général du temps, son ensemble laisse à désirer. En un mot il faut nous servir de l’Histoire des Francs avec non moins de discernement et de prudence que d’empressement. Allons y choisir des matériaux ; mais ne prenons pas l’édifice tel qu’il est. Ces dernières paroles n’ont rien que de fort sage ; elles semblent devoir s’imposer d’elles-mêmes par leur justesse et leur modération. Mais elles ne disent pas quels rudes coups sont portés par l’auteur contre l’œuvre de Grégoire, à l’ombre de ce calme apparent.

Dans un premier chapitre intitulé : Aperçu général de l’histoire des Francs, M. Lecoy groupe sommairement les principales critiques auxquelles l’ouvrage lui paraît donner lieu, c’est-à-dire toutes les raisons, faibles ou fortes, réfutées ou non, qu’il lui semble pouvoir faire valoir pour amoindrir la confiance qu’a toujours inspirée le vénérable auteur. Il rappelle d’abord que des savants du dix-septième siècle, Duchesne, A. de Valois, le P. Lecointe avaient déjà révoqué en doute la véracité de plusieurs passages de l’Histoire des Francs ; il insinue ensuite que Grégoire n’est pas l’auteur unique de l’ouvrage, remanié et interpolé qui porte son nom ; qu’en sa qualité de noble Arverne il était porté à haïr les Francs, qu’il les haïssait aussi comme évêque par jalousie de pouvoir ; que sa position élevée lui donna les moyens, il est vrai, de bien connaître les événements contemporains, mais que sa partialité est flagrante et sa crédulité extrême ; que, pour les temps qui le précèdent, il manqua d’éléments sérieux ; qu’il aspire à l’élégance d’un rhéteur et regrette de ne pas écrire en vers, ce qui est bien l’indice d’un esprit peu capable d’écrire l’histoire ; que les dix livres de son grand ouvrage ont été rédigés sans ordre, par épisodes, et sont restés en définitive inachevés ; que son style, bien que barbare, est affecté, travaillé, visant à l’effet aux dépens de la vérité ; que ses citations méritent peu de confiance étant ordinairement faites de mémoire et fausses quelquefois ; enfin que ses indications géographiques sont d’un homme ignorant la géographie.

De tels préliminaires ne laissent pas subsister beaucoup de l’autorité de Grégoire : ce ne sont pourtant que des préliminaires. Le critique entre en matière par un examen détaillé de la première partie de l’Histoire des Francs, celle que Grégoire dit lui-même avoir simplement extraite de la Bible et des écrits d’Eusèbe, saint Jérôme, Orose et Sulpice Sévère. Déjà dans cette tâche modeste Grégoire aurait commis une kyrielle de bévues :

Il donne une description suspecte de la grandeur de Babylone et accepte d’Orose qu’elle ait eu 470 stades de tour, tandis que Quinte-Curce ne lui en donne que 368 ;

Il cite, à propos d’Abraham un passage de Sulpice Sévère qu’on ne retrouve pas chez celui-ci ;

Il erre complètement dans les renseignements qu’il offre sur le Nil, les pyramides d’Égypte et la mer Rouge ;

Il fait régner Jules César juste après Servius Tullius, et l’appelle imperator ; il nomme Auguste : Octavien, au lieu d’Octave ; ailleurs il prend Marcien pour Majorien ;

Il affirme que Lyon fut fondé onze ans avant l’ère chrétienne, tandis que Dion Cassius témoigne que ce fut quarante-trois ans avant ;

Il se sert du faux évangile de Nicodème et des faux Gestes de Pilate quoique le pape Gélase les eût mis à l’Index en 494 ;

Il attribue à un des Hérodes, roi de Judée, une mort qui est celle d’un autre de ces princes ;

Il annonce dans son Histoire l’évêque de Lyon, saint Irénée, comme postérieur à saint Pothin et dans la Gloire des Martyres comme antérieur ;

Il se perd dans la chronologie des premiers prédicateurs du christianisme en Gaule ;

Il met dans la bouche de saint Saturnin mourant une malédiction qui ne se trouve pas dans les Actes qu’on a de ce saint ; et déjà au neuvième siècle, l’abbé Hilduin de Saint-Denys avait remarqué le tort de Grégoire de rapporter les choses autrement que ne le portaient les Actes des saints ;

Il brouille la chronologie des premiers rois Vandales (406-496) et n’en compte que trois au lieu de cinq ; erreur provenant de ce qu’il a le tort de trop se fier aux Actes des martyrs d’Afrique, de même qu’il donne l’histoire des évêques saint Servais de Tongres et saint Aignan d’Orléans d’après des Actes de ces saints ;

Il place sous le règne de Valérien, c’est-à-dire aux années 253 à 260, le martyre de saint Corneille qui eut lieu en 252 ;

Il se trompe constamment d’un chiffre en moins dans la numérotation des évêques de Clermont à partir du quatrième ;

Il est en désaccord de quinze ans avec la chronologie des consuls romains dans la date qu’il assigne à la mort de saint Martin ;

Il attribue à saint Paulin de Nola un poème qui est de saint Paulin de Périgueux ;

Il parle d’un trait de courage d’Ecdicius aidé de dix cavaliers, tandis que Sidoine Apollinaire, d’après qui ce fait est rapporté, rapporte qu’ils étaient dix-huit.

Il fait diverses supputations de l’âge du monde depuis la création jusqu’à la mort de saint Martin, et dans tous les manuscrits ses calculs sont en contradiction les uns avec les autres.

Telle est, à peu près complète, la liste des erreurs matérielles relevées par M. Lecoy dans la partie de l’Histoire des Francs que Grégoire a tirée textuellement de documents antérieurs. Je ne crains pas de dire qu’il n’y a pas une seule de ces objections qui mérite d’être discutée. Il n’en est pas une qui ait quelque valeur aux yeux de ceux qui savent quels étaient, au temps de Grégoire, la difficulté des études, l’absence des moyens d’information et des moyens de contrôle, la pénurie des manuscrits, l’isolement d’un écrivain.

Il cite les sources où il a puisé ; si quelques-uns des faits microscopiques qui viennent d’être signalés sont erronés, il faudrait, pour infirmer l’autorité de celui qui les a recueillis, prouver que l’erreur est de lui et non de la copie qu’il avait entre les mains. Veut-on dire seulement qu’alors il s’est servi de manuscrits incorrects, ou qu’il n’a pas eu assez de critique pour les corriger, ou que ses propres copistes ont introduit (surtout dans les chiffres) des incorrections ? tout cela me paraît également oiseux. Quand nous nous servons d’un vieil auteur, il est clair que nous sommes obligés d’avoir pour lui la critique et les connaissances qui lui manquaient.

On insiste sur les fautes géographiques de Grégoire. Il a nommé la Moselle quand c’était, dit-on, la Meuse (Mosella ; Mosa), la Germanie quand c’était l’Aquitaine ; il place, une fois la Thuringe sur la rive gauche du Rhin (comme ailleurs il cite Chilpéric pour Gontran). On croirait, à voir ces objections, que l’Histoire des francs n’est sortie des mains de son auteur qu’après avoir passé telle qu’un de nos livres d’aujourd’hui par les épurations multiples dont la typographie nous assure l’avantage ; et l’on pourrait demander quel est l’écrivain de nos jours qui trouverait juste qu’on jetât des doutes sur la confiance qu’il peut mériter parce qu’un aurait découvert des lapsus de ce genre dans sa copie, voire même dans son texte imprimé ?

L’erreur sur Mosa et Mosella n’est d’ailleurs nullement prouvée il s’agit de savoir si deux fugitifs, ayant la mort à leurs trousses, ont pu franchir trente-cinq à quarante lieues à pied en trois jours, ce qui ne paraîtra pas à tout le monde aussi impossible qu’on le prétend. — Celle sur la position des Thuringiens, si elle ne s’explique point par quelque extension temporaire de ce peuple qui eut parfois le dessus dans ses luttes contre les Francs, n’est présentée par Grégoire que comme un on dit dont il ne prend pas la responsabilité. D’ailleurs je puis indiquer un auteur allemand, le docteur Bender (Ueber Ursprunq und Heimath der Franken, Braunsberg, in-4°, 1857) d’après lequel il n’y aurait là aucune faute. — On signale une autre erreur de géographie dans l’endroit où Grégoire raconte que saint Louvent venu du Gévaudan à la villa de Ponthion (près Vitry le François) après avoir été deux fois traîné en justice par un comte Franc et, deux fois acquitté, est ressaisi une troisième fois par son ennemi pendant son retour, étant campé sur les bords de l’Aisne, et tué. Or pour aller directement de Ponthion en Gévaudan, on s’éloigne au contraire de l’Aisne en lui tournant le dos. Voilà l’erreur de Grégoire. Mais qui garantit que ce malheureux saint n’avait pas suivi précisément un chemin détourné dans l’espoir d’échapper à un si acharné persécuteur ? — M. Lecoy nous dit encore (p. 12 et 25 ) que M. Jacobs a été arrêté dans ses études sur la géographie de Grégoire de Tours par les obscurités et les contradictions du chroniqueur. Ne croirait-on pas d’après cela qu’il y a chez ce dernier une accumulation de fautes inextricable ? Or il s’agit seulement de ce que les mots pagus, civitas, urbs, castrum, terminus et plusieurs autres n’ont sous la plume de notre évêque aucun sens déterminé où l’on puisse asseoir clairement le système des divisions administratives existant de son temps. Ce n’est pas qu’il soit insensible à l’intérêt de ces distinctions ; car, en signalant l’importance du castrum de Dijon, il ajoute : quæ cur civitas dicta non sit, ignoro. Mais il n’a pu nous dépeindre, en qui n’existait pas, et nous donner un tableau net et régulier de la géographie mérovingienne, alors que la hiérarchie romaine était presque entièrement dissoute sans qu’aucune organisation nouvelle l’eût encore remplacée ?

Grégoire de Tours, qui n’est pas très conséquent avec lui-même (ajoute M. Lecoy, avec M Jacobs ) place la Septimanie tantôt en Gaule, tantôt à côté. En effet, après avoir fait marcher Gontran à la conquête de cette province comprise dans l’enceinte des Gaules, deux chapitres plus loin il met ces paroles dans la bouche du même prince : Emparez-vous d’abord de la Septimanie qui est voisine des Gaules. — Je réponds qu’il n’y a pas l’ombre d’une inconséquence entre ces deux passages. Il faut lire le texte pour apprécier l’objection. Au chapitre XXVIII [l. VIII] l’auteur raconte que Gontran irrité se dispose à faire partir l’armée pour les Espagnes, ut prius Septimaniam, que adhuc infra Galliarum terminum habetur, ejus dominationi subderent. Au chapitre XXX, c’est Gontran lui-même qui dit à ses guerriers : Prius Septimaniam provinciam ditioni nostræ subdite quæ Galliis est propinqua ; indignum est ut horrendorum Gothorum terminus usque in Gallus sit extensus. La Septimanie s’étendait de la Garonne aux Pyrénées. Elle était donc dans la Gaule. Mais les rois wisigoths d’Espagne l’avaient conquise au commencement du cinquième siècle, en sorte que suivant qu’on se plaçait au point de vue de la géographie naturelle ou de la géographie politique, cette province était alternativement gauloise ou espagnole. Grégoire n’a pas plus commis de faute que celui qui dirait aujourd’hui : Nice est en France, mais elle est Italienne. En second lieu lors même que Grégoire eût mal parlé en disant la Septimanie Galliis propinquam après l’avoir mise infra Galliarum terminum, n’est il pas manifeste que les derniers mots : usque in Galliis extensus, rectifient sa phrase, qu’ils rendent parfaitement claire et parfaitement juste ? Le lecteur peut apprécier si la citation, privée de ce dernier membre, est loyalement faite. Et ce n’est pas la seule fois que M. Lecoy cite ainsi. Il serait inutile (dit-il p. 31) de relever les inexactitudes de Grégoire quant à l’histoire profane : ainsi après Servius, sixième roi des Romains, il fait venir l’empereur Jules César. On peut voir dans le premier livre, si Grégoire a l’air de croire que César fut le successeur immédiat de Servius Tullius. Cette, interprétation injuste est obtenue en réunissant comme un même contexte la dernière phrase d’un chapitre et la première du chapitre suivant, ce qui ne devrait se faire qu’avec une grande réserve, puisque l’ouvrage de Grégoire, ainsi que M. Lecoy le remarque ailleurs, paraît avoir été composé par morceaux plutôt que d’une manière suivie. Par le même procédé (p. 107) M. Lecoy trouve encore Grégoire en faute au livre V ; il applique à Suessionas, mot pénultième du chapitre II, un ibidem qui se trouve en tête du chapitre III, et qui en bonne justice, je crois, doit être rapporté à l’ensemble de l’épisode qui le précède ; or dans cet épisode, la scène se passe à Rouen, et Soissons n’apparaît à la fin que par accident.

J’ai passé en revue la totalité des objections faites à Grégoire sur sa géographie. Elles sont au nombre de six ; trois qu’on ne peut vérifier et trois qui sont dénuées de tout fondement. C’est à quoi se réduisent les faits d’ignorance articulés contre l’évêque de Tours comme géographe ; et notons que les désignations géographiques inscrites par lui dans ses différents ouvrages s’élèvent, pour la Gaule seule, au nombre de trois cent trente-huit. En matière de géographie, il me paraît si peu mériter de passer pour un esprit confus mettant légèrement un nom pour un autre, que je le soupçonne d’avoir visé à l’emploi du mot juste même dans de petits détails. Ainsi lorsqu’il dit de Givald (livre III) que ce seigneur s’enfuit et Latium petiit, je croirais volontiers que Latium désigne non pas l’Italie, mais précisément la campagne de Rome ; que quand il nomme les Bourgognes il a en vue la Transjurane aussi bien que la Cisjurane, et que s’il dit les Bretagnes, c’est pour montrer qu’il parle de l’Angleterre aussi bien que de notre Armorique. Du moins est-ce là une induction qu’autoriserait l’exactitude avec laquelle il distingue (si l’on s’en rapporte au texte de dom Ruinart) lorsqu’il parle de ce qui se passe du côté des Pyrénées. Tantôt il écrit Hispania et tantôt Hispaniæ, quelquefois dans le même chapitre, et les traducteurs, gênés par ce pluriel inusité, ont toujours mis l’Espagne pour rendre l’un et l’autre. Grégoire semble être plus rigoureux et avoir ordinairement présente à l’esprit la division du royaume des Wisigoths dont il était question tout à l’heure : l’Espagne propre s’arrêtant aux Pyrénées et les Espagnes comprenant, jusqu’à la Garonne. S’il veut dire qu’un fait s’est passé dans le cœur du pays wisigothique, à la cour ou dans la ville qu’habite le roi, par exemple qu’Amalaric ou sa femme sont allés prendre possession du trône (livres II et III), qu’Athanagilde est mort (livre IV), qu’Hermenégilde régnait dans une ville de Galice (livre VI), que le roi Mir mourut d’une maladie que lui avaient donné le climat et les mauvaises eaux (ibid.), que Reccared convoqua un colloque de catholiques et d’ariens (livre IX) que Brunehaut envoya de magnifiques présents a Reccared (livre IX), c’est toujours in Hispania que la scène est placée ; mais si la persécution arienne pèse sur les populations, c’est-à-dire spécialement sur la Septimanie (livre V et VI), si les députés de Chilpéric vont voir la dot destinée à sa fille et composée vraisemblablement en partie de terres septimaniennes (livre VI), si les Francs attaquent les possessions wisigothiques de la Gaule (livre VIII), Grégoire ne manque pas de mettre in Hispaniis, ad Hispanias. Je n’ose pas affirmer que la même distinction s’applique aux attaques des flottes impériales contre les Wisigoths (livre IV et V), mais elle parait bien être faite pour ce qui est raconté de Childebert au livre III (voyez ci-après la correction faite sur ce passage).

Mais c’est trop s’arrêter à de si faibles objections ; passons à de plus sérieuses. L’Histoire des Francs, dit-on, mérite peu de confiance parce que son auteur a pour habitude de citer inexactement les textes dont il se sert, parce qu’il reproduit complaisamment des fables qu’il donne et qu’on prend pour de l’histoire, parce qu’il est sous l’empire de ses préventions et voit mal les événements, même ceux auxquels il a pris part, parce qu’enfin ses livres ayant été interpolés et dénaturés, nous ne sommes rien moins que sûrs de posséder ce qu’il a écrit.

Ordinairement en effet Grégoire fait de mémoire ses nombreuses citations de la Bible ; il donne le sens, peu soigneux de la fidélité des expressions ; quelquefois aussi il annonce rapporter de souvenir certaines vies de saints. Il faut prendre dans le fait tout ce qu’il contient ; s’il prouve une habitude passablement inexacte, il prouve aussi que Grégoire avait une forte mémoire, à laquelle il croyait pouvoir se fier et qu’il possédait à fond les livres de sa profession. On trouve qu’il cite aussi très infidèlement Orose et Sidoine, mais qui peut garantir qu’il n’en avait pas sous les yeux des copies différant des nôtres ? Lorsque nous pouvons vérifier avec certitude ses allégations et ses citations, nous les trouvons généralement exactes. Quoi de plus vrai que ce qu’il dit de la loi Gombette (livre II), ou du consulat de Clovis (ci-après), ou de son attitude à l’égard des populations romaines dans sa guerre contre Alaric (livre II) ? Il raconte le colloque des évêques ariens et des orthodoxes tenus en présence de Gondebaud, en s’attribuant la victoire il est vrai, comme un bon catholique ; mais le reste de son récit s’accorde avec le procès-verbal qui nous a été conservé du colloque (d’Achery, Spic., t. V) tout en relatant des circonstances différentes. Un discours du pape saint Grégoire le Grand est transcrit tout au long dans l’Histoire des Francs (livre X), comme pièce authentique ; or le même discours existe dans les œuvres du pape (l. II , epist. 2), avec des différences, dit M. Lecoy. J’avoue que, même avec des différences, cette transcription faite par Grégoire d’un discours prononcé à Rome de son temps et qu’il n’a dû connaître que par le récit d’un de ses diacres qui l’avait entendu, me parait une preuve éclatante de son esprit ordonné et de son aptitude à être fidèle. Le critique cite encore comme altérée par Grégoire, en accordant toutefois que les variantes sont légères, les paroles de condoléance que saint Remi écrivait à Clovis sur la mort d’Alboflède sa sœur :

Angit me et satis me angit vestræ causa tristitiæ quod gloriosæ memoriæ germana vestra transiit Albochledis, sed consolari possumus quia talis de hac luce discessit et recordatione magis suscipi debeat quam lugeri.

Or voici la leçon de Grégoire (livre II) :

Angit me et satis me angit vestræ causa tristitiæ quod bonæ memoriæ germana vestra transiit Albofloedis, sed de hac re consolari possumus quia talis de hoc mundo migravit ut suspici magis debeat quam lugeri.

En concédant que le vrai texte de saint Remi soit bien le premier, je ne crois pas que les altérations qui se font remarquer dans le second puissent empêcher personne de reconnaître que Grégoire nous a donné là une transcription suffisamment littérale pour notre usage et plus que suffisante pour lui mériter, eu égard au temps où il vivait, le titre d’auteur exact. J’ajoute qu’en ne prenant que la première phrase de la lettre, il s’est arrêté avec assez de tact à l’endroit où saint Remi commence à tomber dans le verbiage des compliments de condoléance.

Il est cependant très probable que la plupart des discours mis par Grégoire dans la bouche de ses personnages, ceux notamment qu’il n’a pu entendre ni voir rédigés, sont des discours supposés. Les écrivains de l’antiquité ne lui avaient que trop donné l’exemple de cette fausse éloquence. Toutefois ce n’est point un choix heureux qui a porté M. Lecoy à signaler pour sa fausseté le discours de la reine Clotilde, qui, prêchant la foi à son époux, lui adresse une longue et éloquente réfutation du paganisme romain, comme si le chef des Francs, tout récemment sorti des forêts du nord, eût jamais adoré Saturne, Jupiter, Junon, Mercure ou appris Virgile. On ignore si cette harangue fut réellement prononcée, mais il me semble qu’elle a pu l’être. Nous savons que les Bourguignons étaient beaucoup plus civilisés que les Francs et la reine Clotilde, dont le père et la mère avaient été cruellement tués pour le catholicisme, dont la sœur était religieuse, dont les maîtres et les familiers furent vraisemblablement des évêques catholiques, devait débiter, même à un sectateur d’Odin, l’unique théologie qu’on lui avait apprise.

La lettre de saint Remi sur la mort d’Alboflède prouve que Grégoire de Tours n’a pas parlé de Clovis sans consulter les documents qui se trouvaient à sa portée. Et si l’on considère, que Clotilde, devenue veuve, se retira à Tours, et qu’elle y vécut pieusement durant trente-quatre ans, auprès de la basilique de Saint-Martin si chère à Grégoire, on ne saurait douter que celui-ci, né deux ans avant la mort de la reine, n’ait connu des personnes qui avaient vécu avec elle et qu’il n’ait été par conséquent à la source, non pas de vagues traditions comme on le prétend, mais des plus sûres informations qu’on pût avoir sur les actes de Clovis postérieurs à son mariage. En effet la guerre contre Syagrius (livre II) est le seul événement rapporté par Grégoire qui se réfère aux douze années du règne de Clovis qui précèdent son mariage ; tout le reste se rapporte à Clovis devenu l’époux de Clotilde.

Ceux des actes de ce rude champion de l’Église qui furent des crimes : les meurtres de Sigebert et de Chlodéric, de Chararic et de son fils, de Ragnachaire, de Riquier, de Rignomer, que tous Grégoire appelle les parents du roi des Francs et qu’il aurait massacrés traîtreusement l’un après l’autre pour étendre sa domination, on voudrait que ce fussent autant de fables populaires. M. Lecoy suit phrase à phrase cette partie curieuse du récit de Grégoire et refuse de l’admettre par la raison qu’elle est invraisemblable. Comment, dit-il, les chefs des Ripuaires ou d’autres tribus se trouvaient-ils les parents de Clovis ? … Quelle apparence qu’un roi franc soit descendu s’établir jusqu’au Mans ? … Clovis, parvenu à l’apogée de ses victoires, désiré par les peuples, aimé par l’Église, aurait donc, eu besoin de recourir à des subterfuges et à des comédies ? … On admettrait difficilement que le même homme qui vient de donner un blâme au fils parricide accordât un éloge à celui qui a fait périr le fils et le père… C’est du drame qui touche en même temps au comique. Et M. Lecoy pense fortifier de si fragiles arguments en citant d’autres passages de Grégoire qui, dans le prologue du livre III, par exemple, parle avec éloge du respect de Clovis pour la Trinité, et dans celui du livre V le donne comme ayant laissé une autorité sans tache ; ou encore il s’appuie sur une phrase de la Vie de saint Mesmin, où l’on dit que la grandeur d’âme de Clovis était due à sa fidélité envers Dieu. Il invoque de plus, contre le témoignage de Grégoire sur Clovis, ceux d’Aimoin, Balderic, Hincmar.

En l’absence de contrôle valable, puisque Grégoire est l’unique historien de son siècle, personne ne peut se porter garant de la certitude parfaite de ses récits ; mais ce n’est nullement les entamer que de plaider contre eux les simples vraisemblances, et quant aux hommages rendus à la fidélité chrétienne de Clovis, ils viennent à l’appui des horreurs racontées de lui par l’évêque de Tours.

Ce sont des horreurs à nos yeux et en tout temps ; cependant il ne faut pas juger nos prédécesseurs à douze siècles de distance comme s’ils eussent été dans un milieu équivalent au notre. Le système et les idées de l’empire romain étant décrépits, impuissants, odieux, la société gallo-romaine du cinquième siècle n’avait vu de refuge et de sécurité que dans la morale de l’Église chrétienne garantie par la solidité de sa foi ; et elle avait ouvert la porte aux Barbares. Ceux qui firent cette Révolution n’eurent pas le plus à en souffrir, et il était facile à saint Remi de parler de douceur aux Sicambres étonnés de leur succès, admirant la beauté de cette Gaule convoitée depuis tant de siècles, serrés autour de leur roi et respectant encore la discipline. Cent ans plus tard, au temps de Grégoire, les choses étaient bien changées, et l’Église avait pleinement à subir les dures conséquences de ce qu’elle avait fait. A la somme des maux de la Gaule elle avait ajouté la brutalité d’une soldatesque étrangère. Mais l’accroissement du danger avait grandi les ardeurs de la piété : Amener à la foi chrétienne, pour amener de là aux véritables sentiments du christianisme, d’une part ces Francs grossiers qui n’étaient convertis que de nom, de l’autre les masses gallo-romaines encore plongées dans un paganisme sensuel, telle était, et telle devait être longtemps encore, la préoccupation incessante de l’Église des Gaules. Donc tout ce qui est fait pour la foi catholique et en vue de son avancement est héroïque, tout ce qui lui est contraire est criminel. A ce titre Clovis docile à saint Remi, Clovis partageant son autorité avec les évêques au concile d’Orléans, et Clovis massacrant les chefs païens jusque dans sa famille, est également fidèle et sans tache. Si Ragnachaire, Sigebert et ses autres victimes étaient des Francs inconvertis, Grégoire doit se féliciter de leur perte et en glorifier l’exécuteur. Or, ils faisaient tous profession du paganisme. L’explication de la fameuse phrase de Grégoire est là (voyez ci-après). Il passe rapidement sur ces assassinats et ne leur accorde qu’un mot d’éloge, parce que pour lui ce, n’était que du passé, et que le danger était maintenant ailleurs. Mais il faut l’entendre parler des ariens, c’est-à-dire de ceux qui, de son temps, menaçaient véritablement l’orthodoxie. Alors son injustice et sa partialité sont éclatantes ; il triomphe de tout mal arrivé à ces ennemis de la foi (Gl. m., LXXX, LXXXI ; GC XLVII, etc.) ; il les injurie (livre II), il appelle sur eux les châtiments sanguinaires de l’Ancien Testament : Ceux qui s’étaient mêlés aux femmes Moabites furent égorgés et foulés aux pieds par leurs proches ; le prêtre Phinéas apaisa ainsi la colère de Dieu, et ce zèle lui fut imputé à justice (livre II). Il traite de punitions les fins cruelles des rois Marie, Godegisèle, Gondomar, et dans le prologue de son IIIe livre, il revient sur les louanges dues aux sanglants succès de Clovis : Hanc (Trinitatem) Chlodovechus rex confessus, ipsos hœreticos adjutorio ejus oppressit regnumque suum per totas Gallias dilatavit.

Est-ce à dire que le sens moral, chez le saint évêque, était perverti ? Oui, en ce que l’intelligence s’obscurcit et le cœur se déprave par le spectacle du mal, par la vue du sang, par les misères longtemps souffertes, par la peur. Toutes les espérances de l’Église étant attachées à la force et à l’unité du christianisme, l’anéantissement de l’incrédule par tous les moyens possibles était œuvre salutaire et pieuse. On ne sait que trop durant combien de siècles cette doctrine a persisté après qu’elle n’avait plus, comme au temps de Grégoire, une sorte de nécessité pour excuse.

Ainsi s’explique en même temps cette simplicité presque affectée, et pour nous presque incroyable, avec laquelle Grégoire se complaît à voir un miracle à chaque pas. L’exhortation chrétienne et l’excommunication ne pouvant avoir d’efficace que contre les croyants, le miracle était la seule arme d’un évêque pour défendre son église et son troupeau. Rien ne peut dompter le Barbare et mettre un frein à ses passions que la terreur d’un péril imaginaire. On peut le voir dans tous les documents des premiers temps du moyen âge. Vivant dès son enfance dans cette atmosphère supernaturelle et habitué à faire sans cesse apparaître des fantômes aux yeux des autres, Grégoire devait lui-même être imbu de ces chimères, et cependant il m’a semblé saisir dans deux passages de son Histoire (livre VII et VIII) l’aveu que ses visions miraculeuses n’étaient parfois qu’une ruse innocente, sans compter qu’il n’ignore pas l’emploi, par les autres du moins (livres II et IV) de faux miracles. A ce point de vue l’on ne saurait accepter l’argument qui se tire, contre l’autorité de Grégoire, de son extrême crédulité, puisqu’elle est spéciale et volontaire. Et d’ailleurs il n’y a point d’écrivain du moyen âge qui puisse échapper au reproche d’être crédule.

On objecte encore à Grégoire l’hostilité qui l’animait contre les Francs en sa qualité de Gallo-Romain de vieille et noble souche. C’est à l’Allemagne qu’il appartenait de formuler ce grief ; et en effet il a été développé par le Dr C. G. Kries, dans une thèse imprimée sous ce titre : De Gregorii Tur. episc. vita et sriptis (Breslau, 1839, 106 p. in-8°). Agréablement trompé par le traité de Tacite contre les mauvaises mœurs de Rome, présenté sous forme de plaidoirie en faveur de la pureté germanique, M. Kries ne veut pas admettre les portraits, tout différents, que Grégoire fait des Barbares du nord. C’est un thème où tous les savants allemands sont d’accord. M. George Waitz, malgré les liens d’amitié qui l’unissaient à Benj. Guérard, a blâmé plus d’une fois dans les feuilles allemandes (Göttingische gelehrte Anzeigen, 1841, n°s 78, 79 ; 1855, n° 191) ce qu’il appelle le défaut évident d’une saine appréciation de l’élément germanique dans l’opinion souvent émise par le savant Guérard que les Francs n’avaient rien apporté de bon dans la société et que ce fut seulement en se dénationalisant qu’ils parvinrent à s’élever au niveau où les Romains étaient descendus. Et pourtant M. Waitz a critiqué comme étant d’un esprit peu familiarisé avec les écrivains du moyen âge la partie du travail de Kries consacrée à élever des objections contre l’autorité de Grégoire (Gött. gelehrte Anzeig., 1839, n° 78). M. Lecoy reprend les arguments de Kries : Grégoire était prévenu ; il a vu les choses pires qu’elles n’étaient, il n’a fait mention que du mal, que des épisodes sanguinaires, et il a passé sous silence les travaux de la paix. Il ne dit pas un mot, par exemple, du célèbre et important concile d’Orléans de l’an 511.

Grégoire de Tours parle cependant avec complaisance des assemblées ecclésiastiques tenues de son temps ; quant à celles qui étaient plus anciennes, comme le concile d’Orléans, leurs travaux depuis longtemps accomplis avaient fait place à des préoccupations nouvelles, et l’on sait l’homme ainsi fait qu’un admirable règlement composé par trente vénérables évêques, avec une sagesse parfaite, reste moins gravé dans son esprit qu’un crime dramatique. Grégoire mentionne aussi avec grand soin les érections d’églises.

Il n’y avait pas d’autres travaux de la paix. Et il n’y avait pas de paix. A chaque printemps, suivant leur usage séculaire, les Francs se mettaient en campagne soit pour porter la guerre sur leurs frontières, soit pour se déchirer entre eux, et, bien différents de ce qu’ils s’étaient montrés au commencement, sous Clovis, ils saccageaient tout sur leur passage et emmenaient captifs les gens qu’ils n’avaient pas tués ; et cela non pas seulement en pays ennemi, mais dans leurs propres provinces, pendant leurs marches, par simple goût du pillage ou pour subsister. Les Gallo-Romains, foulés ainsi, cherchaient à se venger, à s’indemniser aux dépens les uns des autres ; aux luttes publiques se mêlaient les désordres du droit à la guerre privée, autre don funeste apporté par les Francs à la Gaule, et l’on ne connaît guère d’époque plus misérable que celle dont Grégoire nous a conservé la description. C’est un tableau plus étendu et plus circonstancié que ceux qu’on entrevoit dans les autres documents contemporains, dans les lois barbares, les vies de saints, les prescriptions des conciles ; mais pour qu’on put le taxer d’exagération et dire qu’il altère l’histoire, il faudrait qu’il fût en désaccord avec eux ; or ils sont tous, au contraire, en pleine harmonie. Outre la sincérité de l’auteur, dont personne ne doute, sa véracité ne ressort-elle pas souvent des faits eux-mêmes qu’il raconte. Qui ne se rappellera toujours, par exemple, s’il l’a une fois lu, ce chapitre où sont dépeintes Frédégonde et Rigonthe, cette mère et cette fille, décorées de la pourpre royale, mais se gratifiant journellement l’une l’autre d’injures, de soufflets, de coups de poing, et la mère, un jour, prenant la tête de sa fille sous le couvercle d’un coffre pour l’étrangler. Dira-t-on ici que Grégoire emprunte à la légende, quand il écrivait du temps même de ces deux femmes, qu’il les connaissait personnellement, qu’il était en rapports affectueux avec Rigonthe (livre V), et quand des détails aussi précis que ceux qu’il donne ne peuvent être que complètement inventés ou complètement vrais. Et en même temps où trouver dans l’histoire le féroce et l’ignoble mieux caractérisés ?

Grégoire est donc dur pour les Francs par cela seul qu’il est vrai ; il leur est hostile, d’une hostilité qui n’est que trop justifiée, et il va parfois jusqu’à l’injustice dans sa sévérité sans réserve à l’égard de Chilpéric, dans son amitié pour l’évêque Prétextatus, dans son indignation contre Frédégonde, mais qui nous a décrit les côtés brillants que Chilpéric avait dans le caractère ? Qui, tout en disculpant de son mieux l’évêque de Rouen, nous laisse deviner ses fautes ? Qui, tout en détestant Frédégonde, nous la montre ici brûlant les rôles d’imposition pour décharger les pauvres, là immolant deux familles franques pour faire cesser les maux d’une guerre privée, et bénie de cela par le peuple, qui la défend ? C’est Grégoire lui-même et Grégoire seul. Il corrige ainsi par sa bonne foi ce que la nature a mis en lui de passion et de faiblesse humaines.

Après avoir révoqué en doute l’histoire des meurtres commis par Clovis, on nie de même celle de ses petits-fils massacrés par leurs oncles, parce qu’elle est d’une barbarie contre nature, et celle de son père, Childéric, parce qu’elle semble empruntée à quelque poème populaire, comme si un poème était nécessairement une fable. M. Lecoy emploie aussi un chapitre à démontrer, après Kries et en l’exagérant, que l’Histoire des Francs est pleine d’interpolations telles que nous n’avons plus l’ouvrage même de Grégoire ; mais il omet de dire que Kries a été très pertinemment réfuté à cet égard par ses compatriotes MM. Waitz et Giesebrecht. Je ne saurais poursuivre un à un tous les griefs articulés, et me contente d’avoir examiné, sans les énerver je l’espère, les plus importants d’entre eux. Sans doute Grégoire de Tours n’est exempt ni de défauts, ni de lacunes, ni d’exagérations, ni d’aveuglement ; il peut nous induire en erreur, et nous ne devons jamais accepter ses dires que d’une oreille judicieuse. Qui a jamais cru le contraire ? et quel est l’historien, quel est le document officiel, dont on voudrait accepter les allégations sans contrôle et en s’abdiquant soi-même ?

C’est dans les sentiments de son patriotisme que le Dr Kries avait puisé ses arguments contre Grégoire ; des idées systématiques ont également dirigé M. Leroy de la Marche. L’un a voulu défendre la vertu des Germains, l’autre défend celle des prêtres. On n’est pas surpris, dit M. Lecoy (p. 103 et 105), que Grégoire manque de modération dans son langage envers des princes francs, lorsqu’on le voit agir de même à l’égard de plusieurs évêques… Mais où l’on a peine à reconnaître la plume d’un prélat , c’est dans le tableau des orgies de Sagittaire et de Salonius, évêques de Gap et d’Embrun et dans celui des cruautés de Cautin, évêque de Clermont.

On cesse aussi d’être surpris de tant d’insinuations accumulées contre l’œuvre de Grégoire lorsqu’on découvre de tels sentiments chez leur auteur. Une thèse penche ordinairement vers le paradoxe ; mais dresser une montagne d’objections contre la véracité d’un historien, et finir par lui reprocher de ne pas savoir jeter à propos quelques voiles, est une de ces inconséquences ou l’on montre l’esprit de parti plus que l’amour sacré de la vérité.