Flodoard

FLODOARD

 

HISTOIRE DE L’ÉGLISE DE RHEIMS

LIVRE IV (CHAPITRES XI-LII)

LIVRE IV (CHAPITRES I-X)

 

Oeuvre numérisée et mise en page par Marc Szwajcer

 

FLODOARD

 

HISTOIRE DE L’ÉGLISE DE RHEIMS

 

 

 

 

Charles III, dit le simple, roi des Francs en 896 (879-929) peint par Georges Rouget (1783-1869). Peinture acquise en 1838 et conservée au musée


 

Charles parvient à se faire sacrer roi le 28 janvier 893 en l'abbaye Saint-Remy de Reims par Foulques le Vénérable, archevêques de Reims et grand défenseur de la dynastie carolingienne.

CAPUT XI.

De praesulatu domni Herivei.

Sequitur in pontificatu Remensi domnus Heriveus, ex aula quoque regis ad episcopatum assumptus, vir genere nobilis, nepos videlicet ex sorore Hucbaldi comitis, qui juvenis quidem ad hunc provectus est honorem, exsequentibus et rite celebrantibus ejus ordinationem Riculfo Suessorum episcopo, Dodilone Cameracensi, Otgario Ambianensi, Mancione Catalaunensi, Rodulfo Laudunensi, Otfrido Silvanectensi, caeterisque dioecesaneis consensum praebentibus, et decretum hujus ordinationis corroborantibus. Qui mox huic adeo gradui sese exhibere studuit habilem, bonis omnibus praebens amabilem, ipsis etiam senibus imitabilem: benignus amator existens pauperum, largus solator religiosorum, multumque misericors recreator lugentium miserorum: ecclesiasticis apprime cantilenis eruditus, ac psalmodia praecipuus, et hujus exercitatione limitatus, animo vultuque jocundus, suavis atque mitissimus, omnique bonitate conspicuus, pater cleri, atque totius populi pius patronus: tardus ad irascendum, et velox ad miserandum amator Ecclesiarum Dei, et fortissimus ovilis sibi commissi cum Dei virtute defensor. Recepit denique res diversas et villas Ecclesiae, quas antecessor suus per precarias sive praestarias diversis contulerat personis. Cui sedula intentione sectanti spiritalia, affluenter exuberabant temporalia, quae ipse honesta dispensabat prudentia, disponens competentibus episcopium ministerialibus, ipse orationibus incessanter intentus. Replentur igitur Ecclesiae diversa bonis uberrimis tam horrea, quam promptuaria; disponuntur cuncta tum rationabiliter, tum misericorditer praedia; sed et quaedam reparantur ab eo, vel etiam instituuntur municipia.

CHAPITRE XI.

De l'épiscopat d'Hérivée.

Foulques eut pour successeur le seigneur Hérivée, lequel fut pris aussi à la cour du roi pour être promu à l'épiscopat. Noble de naissance, neveu du comte Hucbald par sa mère, quoique très jeune encore quand il fut élevé à cette dignité, il fut ordonné par Riculfe, évêque de Soissons, Dodilon de Cambrai, Otgaire d'Amiens, Mancion de Châlons, Rodolphe de Laon, Otfried de Senlis et tous les autres évêques diocésains y donnèrent leur consentement et confirmèrent le décret de son ordination. Hérivée s'appliqua de suite à paraître digne du haut rang où il était placé, se montrant aimable à tous les gens de bien, offrant un modèle aux vieillards eux-mêmes, aimant les pauvres et les traitant avec bonté, consolant et soulageant les religieux avec générosité, très miséricordieux et bienfaisant envers les affligés, très instruit aux chants de l'église, excellant dans la psalmodie et habile jusqu'à la perfection dans cet exercice, doué de tous les agréments de l'esprit et de la figure, doux, modeste, plein de bonté, père de son clergé et patron zélé du peuple, lent à s'irriter, prompt à s'apitoyer, ami zélé des églises de Dieu, courageux défenseur du troupeau qui lui était confié. Il fit rentrer au domaine de l'église grand nombre de biens et de villages que son prédécesseur avait concédés à différentes personnes a titre de précaires et de fiefs. Quoique tout occupé à la poursuite des biens spirituels, les temporels lui affluaient de toutes parts, et il en disposait avec prudence et sagesse; et s'il vaquait incessamment à la prière, c'est parce qu'il ne confiait l'administration du diocèse qu'à des ministres capables et habiles aussi pendant son pontificat, les greniers et les caves de l'église furent toujours remplis les domaines furent gouvernés avec sagesse et miséricorde un grand nombre de bourgs et colonies furent réparés et d'autres fondés.


 

CAPUT XII.

De relatione beati Remigii ad monasterium suum.

Hic praesul corpus beati Remigii, quod catenus in civitate servabatur locatum post altare Dei Genitricis majoris ecclesiae, ad basilicam sepulturae ipsius sancti referre disposuit (an. 901, IV Kal. Januarii). Erat autem hiemale tempus, et ad celebrandam Dominici natalis solemnitatem, tam rex Karolus, quam nonnulli proceres ejus in hanc convenerant urbem. Cumque his diebus, multis imminentibus imbribus, nimium per totam, et circumquaque haberetur lutum, conqueri multi coepere qualiter illud sanctum corpus tunc ad locum destinatum valerent efferre. Factum est autem, ut nocte post sanctorum Innocentium natale, cujus insequente die id operis disponebatur expleri, Borea ex improviso media nocte insurgente, totius subito coeni gelaretur immanitas, ita ut humi limique humore desiccato, per glaciei repente datae superficiem, sicco liberoque vestigia, membra sacra valerent deferri pontificis. At ubi extra civitatem ventum est ad locum, unde monasterium ipsius directo jam peteretur itinere, claudus quidam, de quo jam supra retulimus, virtute divina erectus, et incolumitati est restitutus. Ubi cum multus haberetur populus, turbis undique confluentibus, principi Burgundiae Richardo vaginae auro exornatae, gemmisque decenter excultae, agminis densitate stipato, abscinduntur a balteo. Quas quidam negotiator emptas per diversa detulit fora, nec alicubi venundare potuit, donec post annum ad eumdem principem in Burgundiam retulit, quas ille cum gratiarum actione, et sancti Remigii benedictione recepit.

CHAPITRE XII.

De la translation du corps de saint Rémi en son monastère.

CE prélat conçut le projet de faire rapporter dans la basilique où il avait été enterré d'abord le corps du bienheureux saint Rémi, depuis longtemps déposé et gardé derrière l'autel de la grande église de Notre-Dame, dans la Cité. Or on était alors en hiver, et le roi Charles et plusieurs seigneurs de la cour s'étaient réunis en la ville de Reims pour célébrer la fête de la Nativité de Notre-Seigneur ; comme la pluie ne cessait de tomber, il y avait beaucoup de boue par toute la ville et dans tous les environs, et plusieurs commençaient à se plaindre, demandant comment il serait possible par un pareil temps de reporter le saint corps en son lieu; mais il advint que la nuit qui suivit la fête des saints Innocents, et qui précédait le jour où devait avoir lieu la cérémonie, un vent du nord se leva tout-à-coup sur le minuit, et gela soudainement toute cette immense et affreuse quantité de boue, en sorte que l'humidité étant desséchée, on put marcher à pied sûr et d'un pas ferme sur la superficie glacée, et transporter librement les restes du saint pontife. Quand on fut arrivé hors de la ville, à l'endroit où la route se dirige de droit fil au monastère de Saint-Rémi, un boiteux dont nous avons déjà parlé plus haut, fut redressé par la vertu divine, et complètement guéri. Comme il y avait grande foule le peuple accourant de toutes parts, quelqu'un dans la presse coupa à Richard, duc de Bourgogne, le fourreau orné d'or et magnifiquement incrusté de pierreries qui pendait à sa ceinture. Pendant plus d'une année le marchand qui l'avait acheté le porta à toutes les foires et marchés sans pouvoir trouver à le vendre, jusqu'à ce qu'enfin il le rapportât au duc de Bourgogne, qui le reçut en remerciant et bénissant saint Rémi.

 

CAPUT XIII.

De reparatione castri Mosomi, aliarumque munitionum quarumdam, vel ecclesiarum.

Hic pontifex castrum Mosomum reparatis muniit muris, et ecclesiam inibi dirutam a novo restauravit, atque in honore sanctae Dei Genitricis, ut olim fuerat, dedicavit, collocatis ibi sancti Victoris ossibus, quae haud procul ab eo fuerant castello reperta. Munitionem quoque apud Codiciacum tuto loco constituit, atque firmavit. Aliam nihilominus munitionem apud Sparnacum super fluvium Maternam construxit. Ecclesias etiam nonnullas, quae sub persecutione Nortmannorum dirutae fuerant, restaurari fecit atque consecravit. Sed et in Vosago infra possessionem beati Remigii ecclesiam construxit, ac per assensum Magontiacensis episcopi, depositis inibi pignoribus ejusdem sancti, dedicavit. Remis quoque ecclesiam in honore sancti Dionysii extra murum civitatis a canonicis urbis constructam consecravit, ubi et membra sanctorum beati Rigoberti episcopi, et sancti Theodulfi abbatis servanda deposuit. Cryptam quoque sub ipsa sede majoris ecclesiae, quae diu tellure manserat oppleta, ubi beatus Remigius secreto preces Deo fundere fertur assuevisse, mundatam et excultam in honore ipsius sancti praesulis consecravit. Multis quoque donariis Remensem Ecclesiam perornavit, coronis argenteis atque lampadibus, tam aureis, quam argenteis, illuminavit. Aliis etiam vasis utriusque hujus pretiosi metalli, sed et gemmeis locupletavit. Insuper et altare in medio chori sub honore sanctae Trinitatis edidit atque dicavit, et tabulis argento coopertis circumdedit. Crucem quoque majorem auro cooperuit, et gemmis cum sacrosanctis pignoribus decenter insignivit. Ornamentis etiam holosericis quam plurimis almam decoravit aulam. Mihi quoque et caeteris tam clericis canonicis, quam monachis, et sanctimonialibus, omnibusque pro diversis eum petentibus necessitudinibus multa largitus est bona.

CHAPITRE XIII.

De la réparation du château de Mouzon et de quelques autres forts ou églises.

CE pontife fit réparer et fortifier les murs du château de Mouzon, et y fit rebâtir à neuf une église depuis longtemps ruinée, qu'il consacra à la sainte Mère de Dieu, à qui elle avait été primitivement dédiée il y fit transporter les reliques de saint Victor qu'on avait trouvées non loin de ce château. Il fit aussi bâtir un fort en lieu sûr au village de Coucy, et un autre à Épernay sur la rivière de Marne. Il fit rebâtir plusieurs églises qui avaient été détruites durant la persécution des Normands, et il en fit la dédicace. Dans les Vosges il construisit une église dans le domaine du bienheureux saint Rémi; et, avec le consentement de l'évêque de Mayence il en fit la dédicace, y ayant déposé quelques reliques de ce grand saint ; à Reims, il fit aussi la dédicace d'une église bâtie hors des murs par les chanoines de la ville, en l'honneur de saint Denis, dans laquelle il déposa, pour y être conservés, les restes du bienheureux saint Rigobert, évêque, et de saint Théodulphe, abbé; il fit déblayer et nettoyer une chapelle placée sous la grande église, qui était depuis longtemps demeurée encombrée de terres, et où l'on dit que le bienheureux saint Rémi avait coutume de répandre en secret ses prières devant Dieu et il la consacra en l'honneur de ce saint évêque; il orna en outre l'église de Reims de beaucoup de dons, l'embellit de couronnes d'argent, de lampes d'argent et d'or, et l'enrichit de vases faits de ces deux précieux métaux, ou même en pierreries il éleva et consacra, en l'honneur de la Sainte-Trinité un autel au milieu du chœur, et l'entoura de tables revêtues d'argent il couvrit d'or la grande croix, et orna magnifiquement de pierreries et de saintes reliques; il décora la grande nef d'un grand nombre de tapisseries de soie. Enfin je ne puis non plus oublier les bienfaits dont il m'a comblé moi et tous les autres clercs et chanoines, moines et religieux; en un mot tous ceux qui ont eu recours à lui en leurs besoins.

CAPUT XIV.

De synodalibus conciliis habitis, et Nortmannorum conversione, vel expeditione contra Hungaros.

Conventus denique synodales saepe cum coepiscopis suae dioeceseos habuit: in quibus de pace et religione sanctae Dei Ecclesiae, statuque regni Francorum salubriter competenterque tractavit. De Nortmannorum quoque mitigatione, atque conversione valde laboravit, donec tandem, post bellum, quod Robertus comes contra eos Carnotenus gessit fidem, Christi suscipere receperunt, concessis sibi maritimis quibusdam pagis, cum Rothomagensi, quam pene deleverant urbe, et aliis eidem subjectis. Ad petitionem quoque Wittonis tunc Rothomagensis episcopi, collecta ex diversis auctoritatibus sanctorum Patrum triginta tres capitula qualiter ipsi Nortmanni tractari deberent, eidem archiepiscopo delegavit. Insuper etiam Romanum pontificem super hujuscemodi negotio consulere studuit. Ad cujus consulta quae circa gentis hujus conversionem exsequenda forent, insinuare non destitit. Hungarus quoque regnum Lothariense depraedantibus, dum Karolus proceres Francorum in auxilium sibi contra gentem ipsam convocaret, solus hic praesul ex omnibus regni hujus primatibus, cum suis tantum in defensionem Ecclesiae Dei regi occurrit, habens armatos secum (ceu fertur) mille quingentos.

CHAPITRE XIV.

Des assemblées synodales tenues par Hérivée, de la conversion des Normands, et de l'expédition contre les Hongrois.

Il tint souvent des assemblées synodales avec les coévêques de sa province, dans lesquelles il prit grand nombre de mesures sages et salutaires pour la religion et la paix de l'Église de Dieu et du royaume ; il travailla beaucoup aussi à adoucir et convertir les Normands, tant qu'enfin, après la guerre que leur fit Robert, comte de Chartres, ils consentirent à recevoir la foi chrétienne, à condition qu'on leur concéderait quelques contrées maritimes, avec la ville de Rouen qu'ils avaient presque détruite, et toutes ses dépendances. A la demande de Gui, alors évêque de Rouen, Hérivée lui envoya vingt trois articles extraits des diverses autorités des saints Pères, sur la manière dont il devait traiter les Normands; en outre, il voulut consulter à ce sujet le pontife romain, et ne manqua jamais, tout en prenant son avis, de lui insinuer le sien sur les mesures à suivre dans la conversion de cette nation païenne. Quand les Hongrois vinrent ravager le royaume de Lorraine, et que le roi Charles appela tous les grands de France à son secours, seul entre tous les primats du royaume, Hérivée répondit à son appel, et vint trouver le roi, seulement pour la défense de l'Église de Dieu, ayant avec lui, comme on le rapporte, quinze cents hommes armés.

CAPUT XV.

De Karoli regis a suis derelicti sustentatione.

Sequenti vero anno (920), cum pene cuncti Francorum optimates apud urbem Suessonicam a rege suo Karolo desciscentes, propter Haganonem consiliarium suum, quem de mediocribus electum super omnes principes audiebat et honorabat, eum penitus reliquissent, hic pontifex fidelis et pius atque robustus in periculis semper existens, regem intrepidus ab eodem loco suscipiens, ad metatum suum deduxit; indeque secum ad urbem Remensem perduxit, per septem fere menses eum prosecutus atque comitatus est, donec illi comites suos, eumdemque regno restituit.

CHAPITRE XV.

Du secours donné par Hérivée au roi Charles abandonné des siens.

L'année suivante, quand presque tous les grands du royaume de France abandonnèrent leur roi Charles à Soissons, en haine d'Haganon, son conseiller, qu'il avait choisi dans un rang inférieur, et qu'il écoulait et honorait par dessus tous les grands seigneurs, ce pontife, pieux et fidèle, et toujours ferme au milieu du péril, sut intrépidement tirer le roi de Soissons, l’emmena dans ses terres, et de là à Reims, et pendant près de sept mois, il l'accompagna et le suivit partout, jusqu’à ce qu'enfin il lui ramena les seigneurs, et le remit en son royaume.

CAPUT XVI.

De Erlebaldi comitis excommunicatione, et absolutione.

Excommunicavit hic praesul Erlebaldum comitem Castricensis pagi, propter Remensis episcopii terram quam pervaserat, ibique munitionem quamdam super Mosam construxerat, indeque frequentia ecclesiasticae familiae mala ingerebat. Insuper et castrum Altimontem furtim irruperat. Sed cum nec ita cessaret a malis quae coeperat, pergit archiepiscopus cum suis ad capiendam munitionem, quam ille construxerat. Maceriasque nominabat. Quam per quatuor pene hebdomadas obsidens, deserente tandem illam Erlebaldo, cepit, et dispositis inibi custodiis Remis rediit. At Erlebaldus profectus ad regem, qui tunc morabatur in pago Warmacensi contra Henricum principem Transrhenensem, ibidem ab hostibus regis sibi supervenientibus interemptus est. Quem tamen postmodum in synodo quam apud Troslegium idem domnus archiepiscopus cum dioecesaneis suis habuit, intercedente rege et obnixe flagitante, a vinculo excommunicationis absolvit.

CHAPITRE XVI.

De l'excommunication et absolution du comte Erlebald.

Ce prélat avait excommunié Erlebald, comte du Portian, à cause d'une terre de l'église de Reims qu'il avait envahie, et sur laquelle il avait fait bâtir un fort sur la Meuse, d'où il causait de fréquents dommages aux serfs ecclésiastiques; joint aussi qu'il avait surpris le château d'Aumont mais voyant que l'excommunication ne produisait rien sur lui, l'archevêque s'avança en armes avec ses gens, et vint assiéger ce fort qu'il avait construit et qu'il nommait Mézières. Après un siège d'environ quatre semaines, Erlebald fut forcé de céder, et le pontife y entra, et y mit garnison; après quoi il revint à Reims. Erlebald en se rendant auprès du roi, qui était alors dans le pays de Worms en présence de Henri de Germanie, fut surpris en route et tué par un parti ennemi. Plus tard, à la requête et sollicitation du roi Charles, Hérivée délia le défunt de l'excommunication, dans un synode qu'il tint avec ses coévêques à Troli, près de Soissons.

CAPUT XVII.

De obitu Herivei praesulis.

Excrescente denique discordia inter regem Karolum et Rotbertum, cum pene cuncti regni proceres ad constituendum regem Robertum apud S. Remigium congregati essent, idem archiepiscopus, languore depressus, vita decessit, tertia die scilicet postquam Robertus rex factus fuerat, quarto vero die antequam vicesimum secundum sui episcopatus expleret annum. Contigit autem ut ipsa die sui decessus plures qui advenerant episcopi, Remensem ingrederentur urbem, quique funus ipsius dignis exsequiis celebrantes, cum maximo suorum, sed et exterorum luctu, decenti tradidere sepulturae.

CHAPITRE XVII.

De la mort d'Hérivée.

ENFIN, la discorde croissant toujours entre le roi Charles et Robert, lorsque presque tous les grands du royaume étaient rassemblés au monastère de Saint-Rémi de Reims pour donner la couronne à Robert, l'archevêque, succombant à la maladie mourut le troisième jour après que Robert avait été fait roi, et quatre jours avant la fin de la vingt-deuxième année de son épiscopat. Il advint que le jour même de sa mort plusieurs évêques arrivèrent à Reims célébrèrent ses funérailles, et le déposèrent avec pompe dans la tombe, au milieu du deuil et des larmes des siens et de tous les étrangers.

CAPUT XVIII.

De successione Seulfi episcopi.

Successit huic praesuli Seulfus, qui tunc urbis hujus ministerio fungebatur archidiaconatus: vir tam ecclesiasticis, quam saecularibus discipulis sufficienter instructus: quique apud Remigium Antissiodorensem magistrum in liberalibus studium dederat artibus. Quo per consensum et jussionem Roberti regis ab Abbone Suessonico, caeterisque Remensis provinciae praesulibus ordinato episcopo, delati sunt Odo frater quondam Herivei archiepiscopi, et Heriveus nepos ipsius apud eumdem praesulem, quod fidelitatem, quam ei promiserant, minime servarent. Qua de re, quia noluerunt ad reddendam venire rationem coram eodem pontifice, vel singulari certamine cum accusatoribus decernere, sublatis sibi Ecclesiae possessionibus, quas plures ex hoc retinebant episcopio, per Heribertum comitem deducti sunt ad Robertum Regem, et sub custodia usque ad mortem regis Rotberti, Odo quidem penes eumdem Heribertum, Heriveus vero Parisius detenti sunt. Fertur autem tunc ab hoc archiepiscopo, et a consiliariis suis, Heriberto comiti depactum, de electione filii sui in hac sede pro praedictorum virorum expulsione. Hic denique praesul legatos hujus Ecclesiae Romam dirigens, pro consensu papae Joannis in ordinatione sua, pallium ab eodem sibi missionem litteris privilegii hujus sedis suscepit.

CHAPITRE XVIII.

Séulphe succède à Hérivée.

Hérivée eut pour successeur Séulphe, qui remplissait alors à Reims les fonctions d'archidiacre, homme suffisamment instruit dans les sciences ecclésiastiques et séculières, et qui avait étudié les arts libéraux à l'école de Rémi d'Auxerre. Son élection ayant été approuvée par le roi Robert, il fut par son ordre ordonné par Abbon de Soissons et les autres évêques de la province de Reims. Presque aussitôt après, on lui dénonça Eudes, frère du défunt archevêque Hérivée, et Hérivée son neveu, comme lui refusant la foi qu'ils lui avaient promise. Comme ils ne voulurent ni venir rendre compte de leur conduite à leur évêque, ni combattre en combat singulier contre leurs accusateurs, on leur enleva les terres de l'église, qu'ils possédaient en grand nombre, et ils furent conduits par le comte Héribert au roi Robert, qui les fit tenir prisonniers jusqu'à sa mort, Eudes, sous la garde d'Héribert, et Hérivée à Paris. On raconte qu'en récompense de leur expulsion l'archevêque Séulphe et ses conseillers s'engagèrent à assurer le siège de Reims au fils d'Héribert. Séulphe envoya ses messagers à Rome requérir le pape Jean de vouloir bien approuver son ordination ce qui lui fut accordé par le souverain pontife, qui aussi lui envoya le pallium, avec des lettres de confirmation des privilèges de l'église de Reims.

CAPUT XIX.

De synodo quam habuit, et caeteris actibus, vel fine ipsius.

Hic etiam synodum habuit (924), in villa Trosleio cum episcopis Remensis dioeceseos, ubi adfuere nonnulli quoque comites: in qua et Isaac comes ad satisfactionem venit pro his, quae prave perpetraverat adversus Ecclesiam Camarensem, quoddam castellum Stephani praesulis ejusdem urbis, dolosa comprehensum pervasione, succendens. Pro quo facinore vadatus in hac synodo, centum libris argenti pacatur cum praefato Stephano episcopo, satagente Heriberto, et aliis qui aderant Franciae comitibus. Hic praesul monasterium sancti Remigii, cum a jacentibus ecclesisis, vel domibus muro cingens, castellum ibidem instituit, domum episcopalem cameris reparans, picturis excoluit. Fecit et calicem aureum majorem cum gemmis, in honore Dei Genitricis. pondo decem librarum, sed et alia quaedam ecclesiae praeparavit ornamenta. Ciborium quoque super altare sanctae Mariae argento aggressus est operire, quod opus morte praeventus explere nequivit. Fertur autem veneno potatus a domesticis vel familiaribus Heriberti comitis vitam finisse.

CHAPITRE XIX.

Du synode tenu par Séulphe, de ses actes et de sa mort.

Séulphe tint un synode en la ville de Troli avec tous les évêques de la province de Reims, où se trouvèrent aussi plusieurs comtes. Dans ce synode, Isaac vint donner satisfaction pour les crimes qu'il avait commis contre l'église de Cambrai, en brûlant un château d'Étienne, évêque de cette ville, dont il s'était emparé par ruse. Cité à comparaître, il fit sa paix avec Étienne moyennant cent livres d'argent, grâces à l'entremise d'Héribert et de quelques autres comtes présents au synode. Séulphe fit entourer d'un mur le monastère de Saint-Rémi avec les églises et les maisons adjacentes, et y établit un château fort. Il fit réparer et repeindre les appartenons du palais épiscopal. Il fit faire en l'honneur de la Mère de Dieu un grand calice d'or avec des pierreries, du poids de dix livres, et une foule d'autres ornements pour la même église. Il avait entrepris de faire couvrir d'or un ciboire pour l'autel de Notre-Dame, mais la mort le surprit avant qu'il eût pu terminer cet ouvrage. On raconte qu'il mourut empoisonné par les domestiques et familiers du comte Héribert.

CAPUT XX.

De electione Hugonis filii Heriberti.

Nec mora, post obitum ipsius (925) Heribertus comes Remis venit, advocans Abbonem episcopum Suessonicum, et Bovonem Catalaunicum. Quibus sibi junctis tractans super electione rectoris hujus Remensis Ecclesiae, tam clericos, quam laicos ad voluntatem suam intendere fecit. Sequentes igitur ejus consilium ne forte per extraneas personas episcopatus divideretur, eligunt filium ipsius, nomine Hugonem, admodum parvulum, qui nec adhuc quinquennii tempus explesset. Qua re patrata ad regem properant, ejus auctoritatis impetrandae gratia. Rodulfus igitur rex, hac electione comperta, praefatorum episcoporum consilio Remensem episcopatum committit Heriberto, aequitatis censura disponendum atque regendum ab ipso. Qui etiam legatos Ecclesiae cum Abbone praesule Romam mittere satagit, hujus electionis decretum secum ferentes, et assensum papae super ea petentes. Joannes itaque papa, interveniente Abbone praesule, petitioni eorum consensum praebens, episcopium Remense Abboni episcopo delegat, quae sunt episcopalis ministerii ab ipso in eodem episcopio tractanda ac finienda decernens. Heribertus itaque comes potestate potitus Remensis episcopii, injuste privavit tam me, qui non interfueram praemissae electioni suae, quam nonnullos alios, et clericos, et laicos beneficiis possessionum ecclesiasticarum, quibus a praecedentibus episcopis munerati videbamur obsecundationis gratia. Quae pro libitu suae voluntatis, quibus, sibi placuit, impertivit. Nec longum postea, tumultu infra claustrum canonicorum inter clericos exorto, supervenientibus quibusdam militibus cum armis, duo interempti sunt ibidem clerici, quorum alter diaconus, alter habebatur subdiaconus.

CHAPITRE XX.

De l'élection d’Hugues, fils d'Héribert.

Aussitôt après la mort de Séulphe, le comte Héribert se rendit Reims, y appela Abbon, évêque de Soissons et Bovon, évêque de Châlons; et avec leur appui, il se mit à préparer l'élection et parvint à faire entrer dans ses projets le clergé et le peuple. En effet, ils suivirent son conseil; et, dans la crainte que l'évêché ne fût divisé entre des étrangers, ils élurent son fils Hugues, encore enfant, et qui n'avait pas encore cinq ans accomplis. L'élection terminée, ils s'adressent au roi pour en obtenir la confirmation, et le roi Raoul[1] sur l'avis des évêques de la province, confia l'évêché de Reims à Héribert pour être par lui administré et gouverné civilement selon justice. Celui-ci s'empressa aussitôt d'envoyer à Rome des députés de l'église avec l'évêque Abbon, pour porter au saint Père le décret d'élection et lui demander son assentiment. Le pape Jean, prévenu par Abbon, donna son consentement, et en même temps délégua l'évêché aux soins d'Abbon lui-même, avec le droit d'y régler et décider tout ce qui concernerait le ministère épiscopal. Alors Héribert maître du diocèse, me priva, moi et quelques autres clercs qui n'avions pas pris part à l'élection, de tous les bénéfices et biens ecclésiastiques dont nous avions été gratifiés par les évêques précédents pour nos bons services et les distribua, au gré de son caprice, à qui bon lui sembla. Peu de temps après, une querelle s'étant élevée, dans le cloître des chanoines, entre les clercs, des soldats y entrèrent en armes et il y eut deux clercs de tués, dont l'un était diacre et l'autre sous-diacre.


 

CAPUT XXI.

De infestatione Hungarorum, et discordia inter Rodulfum regem, et Heribertum comitem.

(926) Hungaris Rhenum transgressis, et usque in pagum Vonzinsem depopulationibus incendiisque bacchantibus, corpus sancti Remigii, aliorumque quorumdam sanctorum pignora Remis hoc metu a suis sunt locis delata. Sequenti denique anno simultas inter Rodulfum regem, et Heribertum comitem exoritur pro Laudunensi comitatu, quem Heribertus Odoni filio suo dari petebat, concedente illum rege Rotgario Rotgarii comitis filio. Acies igneae Remis in coelo visae quadam Dominica, die in Martio mense. Cui signo pestis e vestigio successit, quasi febris et tussis: quae prosequente quoque mortalitate, per cunctas Germaniae Galliaeque gentes desaeviit. Heribertus comes legatos suos trans Rhenum dirigit ad Henricum, per quos ad ipsius evocatus colloquium, properat cum Hugone Rotberti filio, pactoque inter se foedere, muneribus Henricum honorant, et honorantur ab ipso, synodus (Trosleinsis an. 927) sex episcoporum Remensis dioeceseos apud Trosleium, Heriberti comitis jussione convocata, rege tamen Rodulfo contradicente, patrata est. Postquam synodum Heribertus Karolum de custodia, in qua eum detinebat, ejecit, et ad sanctum Quintinum deduxit, indeque cum eodem Karolo Nortmannorum colloquium expetiit: ubi se Willelmus, filius Rollolis principis Nortmannorum, Karolo commendavit, et amicitiam cum Heriberto confirmavit. Deinde Remis veniens cum Karolo Heribertus comes, litteras Romam Joanni papae dirigit, significans ei de restitutione et honore Karoli, ut ille sibi, etiam sub excommunicationis interminatione, mandaverat se pro viribus decertare. Reversus autem missus, qui easdem pertulerat litteras, nuntiat Joannem papam retrusum in custodia detineri a Widone regis Hugonis fratre. Heribertus comes Lauduno potitus, exinde ad placitum Nortmannis obviam proficiscitur amicitiamque cum eis componit, filius tamen ipsius Odo, quem Rollo habebat obsidem, non illi redditur, donec se committit Karolo pater, cum aliis quibusdam Franciae comitibus et episcopis.

CHAPITRE XXI.

Des incursions des Hongrois et des querelles du roi Raoul et du comte Héribert.

Cependant les Hongrois ayant passé le Rhin, et portant partout le ravage et l'incendie, s'avancèrent jusqu'au pays de Vouzi ce qui fut cause que l'on tira des lieux de leur sépulture, pour les transférer à Reims le corps de saint Rémi et les reliques de quelques autres saints. L'année suivante, une contestation s'éleva entre le roi Raoul et le comte Héribert, au sujet du comté de Laon, que le comte demandait pour son fils Eudes, et que le roi donna à Rotgaire, fils du comte Rotgaire. En la même année un dimanche du mois de mars, on vit à Reims des armées de feu se battre dans le ciel, et bientôt après s'ensuivit une peste terrible c'était une espèce de fièvre et de toux qui était suivie de la mort, et qui exerça ses ravages sur toutes les nations de la Germanie et des Gaules. Cependant Héribert s’était empressé d'envoyer ses messagers au-delà du Rhin vers Henri, qui lui manda par eux de venir le trouver pour parlementer. Héribert s'y rendit en diligence avec Hugues, fils de Robert; et s'étant ligués ensemble par un traité, ils s'honorèrent mutuellement de présents. Un synode des six évêques de la province de Reims se tint à Troli par l'ordre du comte Héribert, et malgré l'opposition du roi Raoul ; ensuite Héribert fit sortir Charles de la captivité où il le retenait, et le conduisit à Saint-Quentin; et de là, tous les deux, de concert, firent demander une conférence aux Normands. Dans cette entrevue, Guillaume, fils de Rollon, duc de Normandie, prêta hommage à Charles, et fit amitié avec Héribert après quoi Héribert vint à Reims avec Charles, et de là adressa des lettres au pape Jean, lui marquant qu'il faisait tous ses efforts pour rétablir Charles sur le trône comme ce pontife le lui avait enjoint sous peine d'excommunication. Mais l'envoyé qui avait porté ces lettres ne tarda pas à revenir, annonçant que le pape venait d'être jeté en prison par Gui, frère du roi Hugues. Héribert, après s'être emparé de Laon, alla au devant des Normands, selon l'invitation qu'il en avait reçue, et conclut amitié avec eux; cependant son fils Eudes, qui avait été remis en otage à Rollon, ne lui fut rendu qu'après qu'il eut fait soumission à Charles, avec quelques autres comtes et évêques de France.


 

CAPUT XXII.

De introductione Odalrici Aquensis episcopi Remis, et redactione sub custodia Karoli regis.

Per idem fere tempus Odalricus Aquensis episcopus, qui ob persecutionem Saracenorum a sede sua recesserat, in Ecclesia Remensi recipitur ab Heriberto comite, ad celebrandum episcopale duntaxat ministerium, vice Hugonis, ipsius comitis filii, tunc adhuc parvuli, concessa eidem praesuli abbatia sancti Timothei, cum unius tantum praebenda clerici. Hugo et Heribertus comites ad colloquium proficiscuntur Henrici. Unde reversi pergunt obviam Rodulfo regi, rursusque Heribertus committit se illi, redacto iterum sub custodia Karolo. At Rodulfus rex Remis veniens ubi Karolus custodiebatur, pacem fecit cum illo, humilians se ante ipsius praesentiam, et reddens illi Attiniacum fiscum, muneribus quoque quibusdam regiis eumdem honorat. Heribertus comes Victoriacum (929) castellum Bosonis fratris Rodulfi regis cepit. Deinde cum Hugone Monasteriolum munitionem Erluini comitis juxta mare sitam obsidet, obsidibusque tandem acceptis, ab obsidione discedit.

CHAPITRE XXII.

Odalric, évêque d'Aix, est reçu à Reims; le roi Charles l'est remis on captivité.

A peu près dans le même temps, Odalric, évêque d'Aix force d'abandonner son siège à cause de la persécution des Sarrasins vint chercher un asile à Reims, et y fut reçu par le comte Héribert, qui lui confia l'administration du diocèse à la place de son fils Hugues, qui était encore tout petit, et lui assigna pour revenu l'abbaye de Saint-Timothée, avec une prébende d'un seul chanoine. Hugues et Héribert se rendirent ensuite a une entrevue avec Henri; au retour, ils allèrent au devant du roi Raoul et Héribert se soumit de nouveau à lui, et remit Charles en captivité mais bientôt après Raoul, étant venu à Reims, où le malheureux Charles était gardé, fit sa paix avec lui, le reconnut et lui rendit hommage, lui restitua le fief d'Attigny et lui fit de grands présents. Héribert s'empara du château de Vitry, qui appartenait à Boson, frère du roi Raoul et ensuite, accompagné d’Hugues,[2] il alla mettre le siège devant Montreuil, forteresse assise sur les bords de la mer, et qui appartenait au comte Erluin; celui-ci ayant donné des otages, Héribert leva le siège et se retira.


 

CAPUT XXIII.

De simultate inter Hugonem et Heribertum comites, ac Rodulfum regem exorta.

Nec longum, simultas inter eosdem comites, Hugonem scilicet ac Heribertum, exoritur, recepto Erluino ab Hugone cum terra sua, et Hilduino, necnon et Arnaldo, qui erant Hugonis, ab Heriberto: indeque diversi motus agitantur bellorum per Franciam inter Hugonem et Heribertum. Cujus rei gratia Rodulfus rex de Burgundia veniens, pacem inter eos atque Bosonem, multo labore per diversa placita componit, et Heribertus Bosoni Victoriacum reddit. Paucis autem diebus pace servata, Heribertus Ansellum Bosonis subditum, qui praedictum custodiebat castrum, cum ipso castello recipit, et Codiciacum S. Remigii municipium illi cum alia terra concedit. Nec longum, Bosonis fideles oppidanorum proditione Victoriacum recipiunt, et Mosomum fraude pervadunt. At Heribertus a quibusdam Mosomensibus evocatus, supervenit insperatus, transmissaque Mosa vadis inopinatis, et intrans oppidum, porta latenter a civibus aperta, milites Bosonis, qui ad custodiam loci residebant, ibidem omnes capit. Eodem tempore ante Natalem Domini, Remis infra et circa ecclesiam sanctae Mariae lumen magnum ab Aquilonari et Orientali parte paulo ante initium diei apparens, ad Australem partem pertransisse visum est. Anno post hunc Heribertus comes a rege Rodulfo desciscit, et milites ipsius ab urbe Remensi profecti, quoddam Hugonis castrum super Vidulam situm, nomine Brainam, quod idem Hugo tulerat ab episcopo Rothomagensi, capiunt ac diruunt.

CHAPITRE XXIII.

De la division qui éclata entre les comtes Hugues et Héribert et le roi Raoul.

Bientôt la division éclata entre les comtes Hugues et Héribert, parce que Hugues avait reçu en foi et hommage Erluin et sa terre, qui dépendaient d'Héribert, et parce que de son côté Héribert en avait fait autant pour Hilduin et Arnold, qui dépendaient de Hugues. De là naquirent entre eux diverses émotions par la France. Pour la pacifier, Raoul, roi de Bourgogne, vint les trouver, et parvint enfin, après beaucoup de peine, à les accorder entre eux, ainsi qu'avec Boson, à qui Héribert rendit le château de Vitry. Après avoir gardé la paix pendant quelque temps, Héribert s'empara d'Anselme, sujet de Boson, qui commandait le château, et avec lui du château; et en retour, il donna à Boson le village de Couci, appartenant à saint Rémi, avec une autre terre. Peu de temps après ceux des habitants qui étaient restés fidèles à Boson reprirent Vitry par trahison, et surprirent Mouzon par ruse mais Héribert, appelé par quelques habitants de Mouzon survient à l'improviste, passe la Meuse par des gués dont on ne se doutait point, et, entrant dans la place par une porte qui lui fut livrée secrètement par les habitants, fait prisonniers tous les soldats que Boson avait laissés en garnison. Dans le même temps, avant Noël, on vit à Reims, au dedans et autour de l'église de Notre-Dame, une grande lumière qui, apparaissant un peu avant le jour du côté du nord et de l'orient, passa du côté du midi. L'année suivante, le comte Héribert abandonna le parti du roi Raoul, et ses soldats étant partis de la ville de Reims, prirent et détruisirent un château de Hugues, nommé Braine, et situé sur la Vesle, que Hugues avait lui-même enlevé à l'évêque de Rouen.


 

CAPUT XXIV.

De ordinatione domni Artoldi episcopi.

Rodulfus rex litteras Remis mittit ad clerum et populum, pro electione praesulis celebranda: ad quas illi respondent, id agere se non posse, salvo suo electo, et electione, quam fecerant, permanente. Interea Heribertus comes ad Henricum profectus, ei sese committit, et exercitus regis atque Hugonis remensem et Laudunensem depraedantur pagum: obsessaque civitate Remorum, tertia tandem rex potitur obsidionis hebdomada, aperientibus sibi militibus ecclesiae. Conjunctis igitur sibi nonnullis episcopis ex Francia vel Burgundia, facit ordinari hac in sede praesulem Artoldum quemdam ex coenobio sancti Remigii monachum. Exinde rex pergens Laudunum, obsidet inibi Heribertum, qui aliquandiu resistens, petit demum egrediendi locum. Quo accepto, recedit a Lauduno, dimissa uxore sua in arce quam construxerat ipse infra idem castrum, et ad quam postea capiendam majoris laboris et morae opus regi fuit (933). Artoldus episcopus post annum ordinationis suae pallium suscipit missum sibi per legatos Ecclesiae Remensis a Joanne papa filio Mariae, quae et Marocia dicebatur, vel ab Alberico patricio fratre ipsius papae, qui eumdem Joannem fratrem suum in sua detinebat potestate, et praedictam matrem ipsorum in custodia clausam tenebat: Hugonem quoque regem Roma depulerat. Rodulfo rege praesidium Heriberti, quod dicitur castellum Theoderici, obsidente, congregatis ad hanc obsidionem nonnullis Franciae vel Burgundiae praesulibus; ibidem celebrari visa est synodus praesidente eidem Teutilone Turonensi antistite, Artoldo Remensi: quique tunc Hildegarium Belvacensi urbi ordinavit episcopum. Eodem quoque anno Fulbertum Cameracensis urbis praesulem consecravit.

CHAPITRE XXIV.

De l'ordination du seigneur Artaud à l'épiscopat.

LE roi Raoul manda par lettres au clergé et au peuple de Reims d'élire un évêque, mais ceux-ci lui répondirent qu'il leur était impossible de faire une élection, tant que leur élu vivrait, et que subsisterait ainsi leur première élection. Cependant le comte Héribert étant allé trouver Henri, et ayant fait alliance avec lui, les armées du roi et d’Hugues ravagèrent tout le pays de Reims et de Laon; le roi lui-même vint mettre le siège devant Reims, et y entra en maître la troisième semaine du siège, les portes lui ayant été ouvertes par les soldats de l'église ; là, réunissant quelques évêques de France et de Bourgogne, il fit ordonner évêque un moine de l'abbaye de Saint-Rémi nommé Artaud; ensuite marchant sur Laon, il y vint assiéger Héribert qui, après avoir tenu pendant quelque temps, demanda à sortir de la ville ce qui lui fut accordé. Il sortit en effet de Laon, mais il y laissa sa femme dans un château qu'il avait fait bâtir dans l'intérieur même de la place, et qui coûta au roi beaucoup de peine et de temps pour le prendre. L'évêque Artaud, un an après son ordination, reçut le pallium, qui lui fut remis par les envoyés de l'église du Reims, ou de la part du pape Jean, fils de Marie, dite aussi Marozie, ou de la part du patrice Albéric, frère du même pape, qui tenait son frère et sa mère en prison, et qui avait chassé de Rome le roi Hugues. Pendant que le roi Raoul tenait les gens d'Héribert assiégés dans Château-Thierry quelques évêques de France et de Bourgogne le vinrent trouver à ce siège, et il fut avisé entre eux de tenir un synode, auquel présidèrent Teutilon, évêque de Tours, et Artaud, de Reims; celui-ci y ordonna Hildegaire évêque de Beauvais; la même année encore, il consacra Fulbert au siège de Cambrai.


 

CAPUT XXV

De signis Remis visis, et morbis inde secutis.

Sequenti anno (934) igneae Remis in coelo discurrere visae sunt acies, et jacula quaedam. Sed et serpens igneus per coelum celeri deferri meatu, moxque subsecuta pestis diversis affecit humana corpora morbis. Anno post istum secuto (935) synodus septem episcoporum apud sanctam Macram, Artoldo episcopo vocante convenit: in qua praedones et ecclesiasticarum rerum pervasores ad satisfactionem venire vocantur

CHAPITRE XXV

Des signes qui furent vus à Reims, et des maladies qui s'ensuivirent.

L'ANNÉE suivante on vit à Reims des armées de feu se battre dans le ciel et même quelques traits et javelots aussi en feu; mais surtout un serpent de feu, qui traversa rapidement les airs; et bientôt s'ensuivit une peste qui emporta les hommes par diverses maladies. L'année d'ensuite[3] un synode de sept évêques s'assembla à Sainte-Macre[4] sur la convocation de l'évêque Artaud, et auquel les pillards et usurpateurs des biens de l'église furent cités pour venir donner satisfaction.

CAPUT XXVI.

De receptione Ludovici post mortem Rodulfi regis,

Anno denique subsequente (936) defuncto rege Rodulfo, Hugo comes trans mare mittit pro accersiendo Ludovico Karoli filio quem rex Alstannus avunculus ipsius nutriebat, quique accepto jurejurando a Francorum legatis, eum in Franciam dirigit. Cui Hugo, caeterique Francorum proceres ad eum suscipiendum profecti, mox navem egresso in ipsis littoreis arenis apud Bononiam sese committunt; ut erat utrinque depactum. Inde Laudunum deductus, ab ipsis regali benedictione ditatur, ungitur, atque coronatur ab Artoldo archiepiscopo praesentibus regni principibus, et episcopis amplius viginti. Episcopatus etiam Laudunensis datur Rodulfo ejusdem loci presbytero concorditer a civibus suis electo, quem praefatus quoque ordinavit archiepiscopus. Sed et per alias Remensis dioeceseos sedes, excepta Catalaunensi et Ambianensi, diversos ordinavit episcopos, Heriberto denuo cum Hugone pacato (936), homines ejusdem Heriberti comitis quoddam castrum Remensis ecclesiae, quod vocabatur Causostis, super Maternam fluvium, ab Artoldo praesule constructum, prodente quodam Wicperto capiunt, et Ragembertum Artoldi praesulis consobrinum, qui eidem praeerat munitioni, comprehendunt, circumpositasque villas ecclesiae crebris depraedantur infestationibus. Interea rex Ludovicus, accersitus ab Artoldo episcopo, Laudunum venit, et arcem novam inibi nuper ab Heriberto editam vallat obsidione, multisque tentato machinis muro, tandemque suffossione diruto magno capit irruptum labore. Corbanacum quoque castrum, quod pater ejus sancto Remigio tradiderat, quodque sibi monachi ipsius monasterii commiserant, ab Heriberti subjectis bellando recepit, et homines Heriberti, qui erant in eo comprehensos, rogante Artoldo praesule, salvos ad suos abire permisit.

CHAPITRE XXVI.

De la réception de Louis après la mort dit roi Raoul.

L'année suivante,[5] le roi Raoul étant mort, le comte Hugues envoya outremer,[6] pour faire venir Louis, fils de Charles, que le roi Athelstan, son oncle maternel, élevait loin de la France, lequel ayant reçu le serment des ambassadeurs français, le renvoya en son pays. Hugues et les autres seigneurs du royaume vinrent au devant de lui, et aussitôt qu'il eut pris terre sur le rivage même de la mer, auprès de Boulogne, tous lui prêtèrent foi et hommage, et le reconnurent pour roi, ainsi qu'il avait été convenu des deux parts; de là, ils le conduisirent à Laon, où il reçut l'onction royale, et fut couronné des mains de l'archevêque Artaud, en présence des grands du royaume et de plus de vingt évêques. L'évêché de Laon fut donné à Raoul, prêtre de cette église, élu par le vœu unanime de ses concitoyens, lequel fut ordonné par le même archevêque; celui-ci ordonna aussi différents évêques dans les autres sièges de la province de Reims, excepté les sièges de Châlons et d'Amiens. Quand Héribert se fut de nouveau réconcilié avec Hugues, ses gens surprirent, par la trahison d'un certain Wicpert, un château de l'église de Reims, que l'archevêque Artaud avait fait construire sur la rivière de Marne; firent prisonnier Ragembert, cousin du prélat, lequel commandait en cette forteresse, et désolèrent par des incursions tout le pays environnant. Le roi Louis, appelé par l'archevêque, vint à Laon, assiégea un château nouvellement élevé par Héribert, et après plusieurs assauts et grands efforts de machines, parvint enfin à miner et ouvrir la muraille, et s'en rendit maître de vive force, non sans beaucoup de peines; il reprit aussi par les armes, sur les gens d'Héribert, le château de Corbeny, que le roi Charles, son père, avait donné à saint Rémi, et que les moines de l'abbaye avaient mis sous sa protection; toutefois, à la prière de l'évêque Artaud, il renvoya sains et saufs les hommes d'Héribert qu'il y avait faits prisonniers.


 

CAPUT XXVII.

De excommunicatione Heriberti comitis.

(939.) Artoldus denique episcopus cum quibusdam aliis episcopis collocutus, Heribertum, qui oppida quaedam villasque Remensis ecclesiae pervaserat ac detinebat, in praesentia quoque regis excommunicat (940). Post haec rex Ludovicus dedit Artoldo episcopo, ac per eum ecclesiae Remensi, per praeceptionis regiae paginam, Remensis urbis monetam, jure perpetuo possidendam. Sed et omnem comitatum Remensem eidem contulit ecclesiae. Artoldus episcopus Causostem munitionem obsidet; quam quinto tandem die Ludovico rege illuc veniente, hii qui erant intus reddentes, deserunt. Nec longum, subversa funditus ab his qui recepere dissipatur. Missi Hugonis ad regem veniunt, et de pace cum eis rex inter Artoldum praesulem et Heribertum laborare studet. Deinde ad castrum quoddam, quod Heriveus nepos Herivei, quondam archiepiscopi, super fluvium Maternam tenebat, unde et villas episcopii Remensis circumquaque positas depraedabatur, proficiscitur cum Artoldo episcopo. Nec mora; obsidibus acceptis ab ipso Heriveo revertitur Remis; pergensque in crastinum ad sanctum Remigium, sese ipsius sancti committit intercessionibus, promittens vadibus libram argenti se daturum annis singulis. Monachis quoque ejusdem loci praeceptum de eodem castello dedit immunitatis.

CHAPITRE XXVII.

De l'excommunication du comte Héribert.

Enfin l'évêque Artaud, après avoir conféré avec plusieurs autres évêques, excommunia, en présence du roi, le comte Héribert qui avait usurpé et retenait plusieurs châteaux et villages de l'église de Reims; ensuite le roi Louis donna, par une charte de son commandement royal, à l'archevêque Artaud, et par lui à l'église de Reims, le droit à perpétuité de battre monnaie dans Reims; et il donna en outre à l'église tout le comté Rémois. Artaud alla mettre le siège devant le château qu'il avait perdu, et qui après cinq jours de siège, à l'arrivée du roi Louis, fut rendu et abandonné par ceux qui le défendaient; mais peu de temps après il fut rasé par ceux qui venaient de le reprendre. Des envoyés de Hugues vinrent trouver le roi, qui fit son possible avec eux pour ménager la paix entre Artaud et Héribert; ensuite il marcha avec Artaud contre un château que Hérivée, neveu de l'archevêque du même nom, occupait sur la Marne, et d'où il pillait les villages, des environs, appartenant à l'église de Reims; et bientôt, après avoir reçu des otages d'Hérivée, il revint à Reims, et dès le lendemain allant au monastère de Saint-Rémi, il se mit sous sa protection, avec promesse de lui donner chaque année un marc d'argent; il accorda aux religieux des lettres d'immunités pour leur château.


 

CAPUT XXVIII.

De expulsione domni Artoldi ab urbe Remensi.

Hugo princeps, filius Rotherti, junctis sibi quibusdam episcopis tam Franciae quam Burgundiae, cum Heriberto comite et Willelmo Nordmannorum principe Remensem obsidet urbem, sextaque obsidionis die, deserente omni pene militari manu Artoldum episcopum, et ad Heribertum transeunte, idem comes Heribertus urbem ingreditur. Artoldus praesul ad sanctum Remigium, evocatione procerum episcoporum profectus, persuasus est, vel conterritus a principibus episcopii se procuratione vel potestate abdicare, concessaque sibi abbatia sancti Basoli, et Avennaco monasterio, ad sanctum Basolum commoraturus abscessit, post annos octo et menses septem in episcopatu exactos, Hugo et Heribertus locuti cum quibusdam Lothariensibus, ad obsidionem Lauduni cum Willelmo proficiscuntur, relicto Remis Hugone diacono, Heriberti filio, jampridem ad episcopatum ipsius urbis evocato, quique tertio postquam regressus est mense, presbyter a Widone Suessonico praesule ordinatus est, expletis postquam fuerat electus annis quindecim, quos Antissiodori commorans egerat, litterarum studiis occupatus, apud Widonem ipsius urbis antistitem, a quo et diaconus ordinatus fuerat. Nam caeteros inferiores gradus ab Abbone Suessonico praesule Remis acceperat. Ludovico rege post haec a Burgundia regresso, Artoldus episcopus deserens coenobium sancti Basoli, ad eumdem regem proficiscitur cum quibusdam propinquis suis, a quibus ecclesiae beneficia, quae tenebant, Heribertus comes abstulerat. Mihi quoque ecclesiam Colmisiaci vici abstulit cum terra beneficii, quam tunc temporis tenebam. Ego denique disponens, orationis gratia, sepulcrum visere sancti Martini, retentus sum ab ipso, clam me quibusdam personis insimulantibus apud eum, quod sui causa nocumenti, vel filii sui vellem proficisci; et quia renutabam me huic electo nostro committere nesciens utrum Deo placeret eum praesulem nostrum fore. Sicque plenis quinque mensibus apud fratres nostros, ipso comite jubente, sub custodia partim libera sum detentus.

Contigit autem mihi, domina mea beata Dei Genitrice intercedente, ut ipsa die Conceptionis et passionis Domini nostri Jesu Christi absolverer a custodia, et die tertia, scilicet VI Kal. Aprilis, quas Dominus a mortuis resurrexit, egressus ipse cum praefato electo nostro ad urbem Suessonicam profectus sum. Ubi convenientes episcopi hujus dioeceseos cum principibus Hugone ac Heriberto, tractarunt quid eis esset agendum super episcopali hujus Hugonis ordinatione; sicque decreverunt, poenitentibus quibusdam filiis ecclesiae Remensis, tam clericis quam laicis, eum ordinandum, asserentibus fautoribus ipsius, quod Artoldus nequaquam electus, sed per violentiam fuerit intromissus, seseque episcopali abdicaverit ditione. Ibi ergo Hugo princeps tunc me per manum accipiens, huic Hugoni nepoti suo ad benefaciendum commisit; quippe mihi ecclesiam sanctae Mariae dedit in Colrido sitam, terram quoque quam pater suus mihi abstulerat, reddidit, et aliam in praedicta villa supra adjecit.

CHAPITRE XXVIII.

Comment Artaud fut expulsé de la ville de Reims.

Hugues, fils de Robert, s'étant ligué avec quelques évêques de France et de Bourgogne, vint assiéger la ville de Reims, avec le comte Héribert, et Guillaume, duc de Normandie. Après six jours de siège, presque tous les gens de guerre ayant abandonné Artaud et passé du côté d'Héribert, celui-ci entra dans la ville. Sommé par les évêques et les grands du royaume de se rendre à l'abbaye de Saint-Rémi, Artaud se laissa persuader, ou plutôt eut la faiblesse d'y aller et de se démettre de l'épiscopat l'abbaye de Saint-Basle lui fut donnée avec le monastère d'Avenay, et il s'alla retirer à Saint-Basle, après huit ans et demi passés dans l'épiscopat. Héribert et Hugues s'étant ménagé des intelligences avec quelques gens de Lorraine, allèrent assiéger Laon avec Guillaume, et laissèrent à Reims le jeune Hugues, depuis longtemps consacré évêque de cette ville, alors diacre, et qui fut ordonné prêtre par Gui, évêque de Soissons, trois mois après son retour, et quinze ans après son élection, lesquels il avait passés à Auxerre à l'étude des lettres, auprès de Gui, prélat de cette ville, qui l'avait ordonné diacre; car il avait reçu les ordres mineurs à Reims, des mains d'Abbon, évêque de Soissons. Mais bientôt le roi Louis revint de Bourgogne alors Artaud quitta le monastère de Saint-Basle, et alla trouver le roi avec quelques-uns de ses proches auxquels le comte Héribert avait enlevé les bénéfices ecclésiastiques qu'ils possédaient; et moi-même je fus privé par Héribert de l'église de Cormicy, avec la terre de bénéfice que j'avais alors; ensuite, comme je me disposais à aller visiter le tombeau de saint Martin, pour y prier, je fus retenu par lui prisonnier, quelques personnes m'accusant secrètement, auprès de lui, de partir à mauvais dessein contre lui et son fils, parce que je ne voulais pas le reconnaître pour évêque, ne sachant s'il plaisait véritablement à Dieu qu'il devînt notre prélat; et ainsi je fus, par l'ordre du comte, détenu cinq mois entiers chez nos frères, dans une captivité, en partie libre;

mais il m'advint, par l'intercession de la bienheureuse Mère de Dieu, ma patronne et souveraine maîtresse, que je fus délivré le jour même de la conception et passion de notre Seigneur Jésus-Christ, et trois jours après, c'est-à-dire le 26 mars, le jour de la Résurrection de Notre-Seigneur, je sortis et allai avec notre évêque élu en la ville de Soissons, où les évêques de la province, réunis avec les comtes Hugues et Héribert, examinèrent ce qu'ils avaient à faire touchant l'ordination épiscopale du jeune Hugues, et décrétèrent, à la requête de plusieurs fils de l'église de Reims, tant clercs que laïques, qu'il serait ordonné, ses fauteurs disant qu'Artaud n'avait pas été élu, mais imposé par violence, que d'ailleurs il s'était démis. Là donc le seigneur Hugues me prenant par la main me présenta à son neveu, me recommandant à sa bienveillance; et celui-ci me donna l'église de Sainte-Marie, me rendit la terre qu'Héribert son père m'avait enlevée, et y en ajouta une autre située au même village.


 

CAPUT XXIX.

De malis quae deinceps consecuta sunt.

Nec mora, civitatem Remensem a praefato conventu adeuntes episcopi, praetaxatum electum nostrum in ecclesia sancti Remigii dignitate sublimant archiepiscopali. Sub hisdem fere diebus monasterium sancti Theoderici nonnullis illustratur miraculis de quibus jam quaedam supra retulimus, ubi commemorationem ejusdem beati viri fecimus. Ab ecclesia vero sanctae Mariae Remis crux major, quam domnus Heriveus archiepiscopus auro cooperuerat, et gemmis ornaverat, a furibus noctu, tenebrarum scilicet amatoribus, aufertur. Qua diu quaesita, tandem post annum pars auri gemmarumque ipsius multatis reperitur latronibus. Ex quo postmodum auro hic praesul, adjecta quadam sui quoque muneris quantitate, calicem sub honore Dei Genitricis fabricari fecit. Hugone ac Heriberto Laudunum pariter obsidentibus, rex Ludovicus, sumptis secum quos undecunque colligere potuit in pagum Portensem venit. Quo audito Hugo, et Heribertus, scilicet quod rex eis appropinquaret, obsidione relicta, properant contra, et insperatum regis invadentes exercitum, nonnullos sternunt, reliquos in fugam vertunt. Rex ipse cum paucis eductus a suis, et eximere se bello coactus, vix evasit, Artoldo episcopo et Rotgario comite comitantibus secum. Artoldus episcopus, perditis rebus quas ibi habuerat, ad Hugonem et Heribertum accessit adductus ab amicis, redditisque sibi abbatiis sancti Basoli et Avennaco cum villa Vindenissa et pacta pace cum Hugone praesule, ad sanctum Basolum, illic habitaturus devenit. Sequenti anno (942) proditores quidam Remis reperti, et interfecti sunt; quidam rebus ecclesiae privati ab urbe depelluntur. Legati Remensis ecclesiae Roma regressi pallium deferunt Hugoni archiepiscopo, ab Stephano papa transmissum. Cum quibus pariter et legatio venit principibus regni, ut Ludovicum regem recipiant, et sic legatos suos Romam dirigant.

CHAPITRE XXIX

Des malheurs qui survinrent ensuite.

Aussitôt après cette assemblée les évêques se rendirent à Reims, et sacrèrent notre évêque élu en l'église de Saint-Rémi. Vers ce même temps, le monastère de Saint-Thierri fut illustré par plusieurs miracles dont nous avons déjà rapporté quelque chose plus haut quand nous avons dit l'histoire de ce bienheureux saint. A Reims, la grande croix que le seigneur Hérivée avait fait couvrir d'or et de pierreries fut enlevée de l'église de Notre-Dame pendant la nuit par des voleurs, gens, comme on sait, fort amis des ténèbres. On la chercha pendant longtemps en vain enfin, au bout d'un an on retrouva une partie de l'or et des pierreries, et les voleurs furent punis. Ajoutant à cet or et à ces pierreries quelques dons de sa munificence, l'évêque fit faire un calice en l'honneur de la sainte Mère de Dieu. Cependant, tandis que Hugues et Héribert tenaient assiégée la ville de Laon, le roi Louis, ayant assemblé ce qu'il put de gens de guerre, s'en vint au pays de Portian. Hugues et Héribert avertis levèrent le siège, vinrent à sa rencontre, et, tombant sur lui à l'improviste, tuèrent une grande partie de ses gens, et mirent les autres en fuite. Le roi lui-même, forcé de quitter le combat, et se tirant de la mêlée avec quelques-uns des siens, parvint à peine à s'échapper accompagné de l'évêque Artaud et du comte Rotgaire. Alors Artaud ayant perdu tout ce qu'il possédait, vint trouver Hugues et Héribert, conduit par ses amis ceux-ci lui rendirent les abbayes de Saint-Basic et d'Avenay, avec le village de Vandœuvre ; et après avoir fait sa paix avec l’évêque Hugues, il se retira de nouveau à Saint-Basic. L'année suivante, quelques traîtres furent découverts à Reims, les uns furent punis de mort, les autres furent privés de leurs biens ecclésiastiques et chassés de la ville. Des envoyés de l'église de Reims de retour de Rome rapportèrent à l'archevêque Hugues le pallium, de la part du pape Etienne avec eux vint pareillement une députation envoyée par le souverain pontife pour les engager à reconnaître le roi Louis, et à envoyer leurs messagers à Rome.


 

CAPUT XXX.

De occupatione Altimontis castri, vel Mosomi, et morte Heriberti.

Anno quoque post istum (943) Artoldus episcopus, relicto coenobio sancti Basoli, ad regem profectus est. At illi promittit ei se redditurum Remensem episcopatum. Qui assumptis secum fratribus suis, et aliis quibusdam, qui abjecti fuerant ab episcopatu Remensi. Altimontem castrum occupat. Cum quibus rex Ludovicus etiam Mosomum agressus, repellitur a fidelibus Hugonis episcopi, quibusdam suorum interemptis; suburbanas tamen domos quasdam ipsius castri succedit. Interea defuncto Heriberto comite, de recipiendis filiis ipsius a rege crebra inter ipsum regem et Hugonem principem versabatur intentio. Quorum rex primum tunc Hugonem archiepiscopum, mediatoribus Othone duce Lothariensium, et Adalberone praesule, Hugone quoque duce praecipue insistente, recipit eo tenore, ut abbatiae, quas dimiserat Artoldus ad regem profectus, Artoldo episcopo restituerentur, aliud etiam episcopium ipsi provideretur, fratribus quoque et propinquis ejus honores, quos ex episcopatu Remensi habuerant, redderentur. Postea caeteri quoque filii Heriberti comitis recipiuntur a rege. Hugo denique praesul Amblicum castrum cepit atque combussit, quod Robertus et Rodolfus fratres, qui fuerant Remis expulsi, detinebant; unde depraedationes per episcopium Remensem faciebant. Item praefatus archiepiscopus Altimontem munitionem obsidet, quam tenebat Dodo frater Artoldi episcopi; tandemque accepto parvulo ipsius filio obside, discedit, rege quoque mandante. Anno sequente (944) regii milites episcopatum Remensem depraedantur, et filii Heriberti abbatiam sancti Crispini, Bagenoldus quoque abbatiam sancti Medardi, sicque alterutris debacchantur rapinis atque depraedationibus.

 

CHAPITRE XXX.

De l'occupation du château d'Aumont, de Mouzon, et de la mort d'Héribert.

L'ANNÉE suivante,[7] l'évêque Artaud quittant de nouveau l'abbaye de Saint-Basle, se rendit auprès du roi, et celui-ci lui promit de lui rendre l'évêché de Reims. Alors Artaud menant avec lui ses frères et quelques autres qui avaient été chassés de l'évêché de Reims, s'empara du château d'Aumont. Le roi Louis fit aussi avec eux une tentative sur Mouzon où il fut repoussé et perdit quelques-uns des siens, Néanmoins il mit le feu à quelques maisons des faubourgs. Cependant le comte Héribert était mort, et de fréquents pourparlers avaient lieu entre le roi et le seigneur Hugues, pour décider le roi à recevoir les soumissions des fils d'Héribert. D'abord le roi consentit à admettre à foi et hommage l'archevêque Hugues, à la prière d'Othon, duc de Lorraine, de l’évêque Adalbéron et surtout sur les instances du comte Eudes, mais à condition que les abbayes qu'Artaud avait abandonnées pour venir auprès du roi lui seraient restituées, qu'on songerait à lui donner un autre évêché, et qu'on rendrait à ses frères et à ses proches les biens et dignités qu'ils avaient eus dans l'évêché de Reims. Les autres fils du comte Héribert furent ensuite reçus à soumission un peu plus tard. — Néanmoins l'archevêque Hugues prit et brûla le château d'Ambly, qu'occupaient Robert et son frère Raoul qui avaient été chassés de Reims, et d'où ils faisaient beaucoup de ravages sur les terres de l'évêché. Il alla aussi mettre le siège devant le château d'Aumont, tenu par Dodon, frère de l'évêque Artaud; mais, en ayant reçu pour otage son fils encore tout petit, il leva le siège et se retira, le roi d'ailleurs lui en ayant donné l'ordre. — L'année suivante,[8] l'armée royale ravagea l'évêché de Reims, et les fils d'Héribert l'abbaye de Saint-Crépin, Ragenold pilla aussi l'abbaye de Saint-Médard. Ainsi des deux côtés s'exerçaient avec fureur le pillage et la dévastation.


 

CAPUT XXXI.

De obsidione urbis Remensis ab exercitu Ludovici regis.

Anno post hunc (945), qui est hujus praesulis quintus in episcopatu, rex Ludovicus, collecto secum Nordmannorum exercitu, Veromandensem pagum depraedatur. Assumptoque cum ipsis Erluino cum parte militum Arnulfi, sed et Artoldo episcopo cum his qui dudum Remis ejecti fuerant, comite quoque Bernardo ac Theoderico nepote ipsius, Remorum vallat urbem; vastantur circumquaque segetes, villaeque diripiuntur, et partim exuruntur, necnon ecclesiae plures effringuntur. Quoties pugnatum ad portas, vel circa murum, vulnerati ex utraque parte non pauci, quidam etiam interempti sunt. Hugo denique dux praetiatus cum Nordmannis, qui fines suos ingressi fuerant, eos non modica caede fudit, et a terminis suis ejecit. Post haec Remos ad regem mittit, quosdam obsides, ut Ragenoldus ex parte regis ad colloquium sibi occurrat. Quo abeunte, tractat cum eo, uti rex obsides ab Hugone archiepiscopo accipiat et ab obsidione Remensi discedat, quatenus idem praesul, denominato placito, ad reddendam rationem de omnibus, quae rex ab eo quaesierit, accedat. Quibus hoc sibi tenore datis rex ab obsidione recedit post quintam decimam qua civitas obsessa fuerat diem. Nec multo post idem rex a Nordmannis comprehensus est, et Rodomi detentus. Hugo praesul Altimontem castrum obsidens, post septem ferme obsidionis hebdomadas recipit, reddente illud sibi Dodone domni Artoldi fratre, tali sub conditione, ut filium ipsius et filium fratris sui suscipiens, idem praesul concederet eis terram patrum suorum.

CHAPITRE XXXI.

Du siège de la ville de Reims par l'armée du roi Louis.

L'année suivante,[9] qui est la cinquième de l'épiscopat d’Hugues, le roi Louis ayant rassemblé une armée de Normands, se mit à ravager le Vermandois. Prenant aussi avec lui Erluin et une partie des soldats d'Arnoul, l'évêque Artaud et tous ceux qui avaient été bannis de Reims, le comte Bernard et son neveu Théodoric, il vint mettre le siège devant Reims, ravager les moissons tout à l'entour piller et brûler les villages, ruiner les églises. Toutes les fois qu'on se battit aux portes et sous les murs, il y eut beaucoup de blessés des deux parts et assez grand nombre de tués. Le duc Eudes ayant livré combat aux Normands qui étaient entrés sur ses terres, en fit un grand carnage, et les chassa de ses domaines. Ensuite il envoya à Reims auprès du roi demander, en donnant des otages, que Ragenold vînt de la part du roi à un entretien avec lui. Ragenold étant venu il traita avec lui, et convint que le roi recevrait des otages de l'archevêque Hugues et lèverait le siège qu'ensuite, à un terme fixé le prélat irait le trouver pour rendre raison sur tout ce qu'il lui demanderait. Le traité ainsi conclu, le roi se retira de devant Reims après un siège de quinze jours, et peu de temps après fut pris par les Normands, et retenu captif en la ville de Rouen. Cependant Hugues alla assiéger le château d'Aumont, qui lui fut rendu après environ sept semaines de siège, par Dodon frère de l'archevêque Artaud, à condition que Hugues prendrait sous sa protection son fils et le fils de son frère et leur rendrait les terres de leurs pères.


 

CAPUT XXXII.

De restitutione regulae in monasterio sancti Remigii, et constitutione abbatis Hincmari.

Advocans denique hic pontifex Ercamboldum monasterii sancti Benedicti abbatem, regulam monasticam in monasterio sancti Remigii restituere decertat, constituens ibi abbatem Hincmarum ejusdem loci monachum. Regina Gerberga nuper ad Othonem regem fratrem suum legationem direxerat, auxilium deposcens ab eo contra Hugonem principem, cui Laudunum reddiderat, ut reciperet Ludovicum regem, quem Hugo, sub custodia receptum a Nordmannis, retinuerat (946). Qui Otho maximum colligens ex omnibus regnis suis exercitum, venit in Franciam, Conradum quoque secum habens Cisalpinae Galliae regem. Quibus rex Ludowicus obviam profectus, satis amicabiliter et honorifice suscipitur ab eis. Sicque pariter Laudunum venientes, considerataque castri firmitate, deverterunt ab eo, Remensem aggredientes urbem, quam cingentes obsidione, ingenti vallarunt exercitu.

CHAPITRE XXXII.

Du rétablissement de la règle au monastère de Saint-Rémi. Hincmar est nommé abbé.

Hugues appela à Reims Archambaud abbé du monastère de Saint-Benoît et s'appliqua avec ses conseils à rétablir la discipline au monastère de Saint-Rémi, en établissant abbé Hincmar moine de cette communauté. Peu de temps auparavant[10] la reine Gerberge avait envoyé une députation au roi Othon,[11] son frère, pour lui demander du secours contre le prince Hugues, auquel elle avait rendu Laon pour obtenir la liberté du roi Louis, que celui-ci avait reçu des mains des Normands, et tenait en captivité. Othon rassembla une puissante armée de ses divers royaumes, entra en France, et avec lui, Conrad, roi de Bourgogne. Le roi Louis alla à leur rencontre, et en fut reçu avec honneur; et tous trois vinrent ensuite a Laon mais cette ville leur ayant paru trop forte pour qu'ils en fissent le siège ils tournèrent vers Reims, qu'ils cernèrent avec une nombreuse armée, et dont ils formèrent le siège.

CAPUT XXXIII.

De repulsione Hugonis episcopi.

Videns autem Hugo praesul obsidionem se tolerare non posse, neque tantae resistere multitudini, locutus est cum quibusdam principibus qui videbantur esse sibi amici, videlicet cum Arnulfo, qui ejus sororem, et Widone quia amitam ipsius habebat uxorem, sed et cum Herimanno Widonis fratre quaesivit ab eis quid sibi foret agendum. Qui tale consilium dederunt ei, ut egrederetur cum suis et relinqueret urbem, quia id dispositum a regibus erat ut omnimodis expellerentur, neque intervenire possent apud reges pro ipso, quin ei eruerentur oculi, si urbem vi capi contigisset. Quo consilio percepto ac suis intimato, post tertiam obsidionis diem cum pene cunctis qui secum tunc aderant militibus, egressus est. Sicque reges cum episcopis et principibus ingredientes, urbem, domnum Artoldum praesulem, qui dudum fuerat ejectus, iterum inthronizari fecerunt. Quem Rotbertus, Trevirensis archiepiscopus, et Fredericus Magontiacensis, accipientes utraque manu eidem sedi restituerunt. Deinde relinquentes Gerbergam reginam Remis, ipsi reges cum exercitibus suis terram Hugonis ingrediuntur, et gravibus atterunt depraedationibus. Terram quoque Nordmannorum peragrantes, loca quaeque devastant, et inde remeantes ad sua quique regrediuntur. Anno sequenti (947) rex Ludovicus Mosomum castrum, quod Hugo Remis ejectus retinebat, obsedit; sed nihil pro votis efficiens, recedentibus tandem post mensem Lothariensibus qui secum erant, ipse Remos revertitur.

Quo ad Othonem regem ad celebrandum Pascha profecto, Hugo princeps a quibusdam praesumptuose pervasus, Remensem cum Hugone praesule, quasi mox capturus, aggreditur urbem; frustratoque negotio, resistentibus regis et Artaldi episcopi militibus, octavo postquam advenerant die, illusi recedunt. Defuncto Deraldo Ambianensium praesule, Tetbaldus quidam, Ecclesiae Suessonicae archidiaconus ordinatur ab Hugone Ambianensis episcopus. Conventu placiti regum Ludovici et Othonis super Charam fluvium congregato, res litis inter Aldum et Hugonem, Remensis Ecclesiae praesules, ab episcopis auditur; et quia synodus tunc congregata non fuerat, altercatio determinari non potuit. Synodus autem circa medium mensis Novembris habenda denuntiatur. Interim vero sedes Remensis Artoldo conceditur, Hugo Mosomi remorari permittitur. Heriveus, nepos Herivei archiepiscopi, habens munitionem quam aedificaverat citra Matronam fluvium, villas Remensis episcopii circumquaque sitas depraedabatur, excommunicatus ab Artoldo praesule, pro rebus quas invaserat ecclesiae. Contra cujus praedones egressi quadam die Ragenoldus comes, et fratres Artaldi praesulis cum quibusdam militibus ecclesiae, ipsos grassatores in fugam vertunt. Quo audito, Heriveus, armatis quos secum habebat militibus, egressus a sua munitione, contra nostros ad pugnam venit, et congressus cum eis interemptus est cum suorum quibusdam, reliqui omnes in fugam sunt acti, vulneratis utrinque nonnullis. Corpus ejusdem Remos a victoribus perlatum est. Hugo praesul assumens secum Theobaldum de Monte acuto, sororis suae maritum, cum aliis quibusdam a grassatoribus, in villas Remis contiguas vindemiae tempore venit. Qui omne pene vinum abinde colligentes, in diversos pagos abducunt.

CHAPITRE XXXIII.

De l'expulsion de l’archevêque Hugues

L'ARCHEVÊQUE Hugues se voyant dans l'impossibilité de soutenir un siège et de résister à une si grande multitude conféra avec plusieurs seigneurs qui lui étaient attachés, savoir, Arnoul qui avait épousé sa sœur, Gui, qui avait épousé sa tante et Hermann, frère de Gui, et leur demanda conseil en cette extrémité. Ceux-ci l'engagèrent à sortir de la ville avec les siens, puisque les rois étaient obstinément résolus de le chasser par quelque moyen que ce fut, et que si la ville était prise de vive force, leur intervention ne pourrait peut-être pas l'empêcher d'avoir les yeux crevés. Déterminé à suivre ce conseil, et l'ayant communiqué aux siens, Hugues sortit après trois jours de siège avec presque tous les soldats qui défendaient la ville. Alors les rois entrèrent avec les évêques et les seigneurs et firent introniser de nouveau l'archevêque Artaud. Robert, archevêque de Trèves, et Frédéric de Mayence, prenant le prélat chacun d'une main, le rétablirent sur son siège. Cette expédition terminée, les rois laissèrent la reine Gerberge à Reims, et entrèrent avec leurs armées sur les terres d’Hugues, où ils firent de grands ravages. Parcourant aussi les terres des Normands, ils dévastèrent tout, et chacun d'eux ensuite se retira en son pays. L'année suivante,[12] le roi Louis assiégea Mouzon, où s'était réfugié l’évêque Hugues, après sa fuite de Reims; mais ne réussissant pas selon ses vœux, et les Lorrains qui étaient avec lui s'étant retirés au bout d'un mois il retourna à Reims.

Pendant qu'il était auprès du roi Othon, pour célébrer la Pâque avec lui, le duc Hugues cédant à de présomptueux conseils, vint attaquer Reims avec l'archevêque déposé, se flattant de le prendre sans effort mais ils furent trompés dans leur espérance les soldats du roi et d'Artaud firent bonne défense, et les forcèrent à se retirer huit jours après leur arrivée. Dérald, évêque d'Amiens, étant mort, un certain Thibaut, archidiacre de l'église de Soissons fut ordonné évêque par Hugues. Enfin, dans une assemblée tenue par les rois Louis et Othon sur la rivière du Cher, le différend des deux évêques Hugues et Artaud fut soumis au conseil des évêques; mais comme ce n'était pas un synode régulier, la question ne put être décidée seulement un synode fut indiqué pour la mi-novembre; et en attendant, le siège de Reims fut laissé à Artaud, et Hugues obtint la permission de résider à Mouzon. Hérivée, neveu de l'archevêque Hérivée qui d'un château qu'il avait bâti sur la Marne, infestait tout le pays et ravageait les villages de l'évêché de Reims, fut excommunié par l'évêque Artaud, en punition de ses usurpations des biens de l'église. Le comte Ragenold et les frères de l'évêque sortirent un jour contre les maraudeurs d'Hérivée, les surprirent et les mirent en fuite. Hérivée en ayant eu avis, sortit aussi avec ses gens et vint livrer aux nôtres un combat où il périt avec bon nombre des siens ; le reste prit la fuite ; des deux parts il y eut beaucoup de blessés. Le corps d'Hérivée fut apporté à Reims par les vainqueurs. L'évêque Hugues, accompagné de Thibaut de Montaigu son beau-frère, et de quelques autres pillards et maraudeurs, vint au temps des vendanges parcourir les villages des environs de Reims d'où ils enlevèrent presque tout le vin, et l'emportèrent en d'autres lieux.


 

CAPUT XXXIV.

De synodo Virduni habita.

Synodus postea (947) Virduni habetur, praesidente Rotberto Trevirensi praesule, cum Artoldo Remensi, Odalrico Aquensi, Adalberone Metensi, Gozlino Tullensi, Hildeboldo Tranrshenensi, Israele Britone, praesente quoque Brunone abbate regis Othonis fratre, Agenoldo etiam et Odilone abbatibus, cum aliis nonnullis. Ad quam Hugo evocatus, missis quoque duobus ad eum deducendum episcopis venire noluit. Universa vero synodus Artoldo Remensi regendum decernit episcopium. Indicitur itaque synodus, quae et convenit in ecclesiam sancti Petri in prospectu Mosomi ex dioecesi Trevirensi atque Remensi. Veniens autem illuc Hugo praesul, et locutus cum Rotberto archiepiscopo, synodum noluit ingredi. Litteras vero quasdam ex nomine Agapiti papae misit ad episcopos per clericum suum, qui eas Roma detulerat, nihil auctoritatis canonicae continentes, sed hoc tantum praecipientes, ut Hugoni Remense redderetur episcopium.

Quibus lectis responderunt episcopi, non esse dignum vel congruum, ut apostolicae legationis mandatum, quod dudum Rotbertus archiepiscopus, deferente Frederico Magontiacensi praesule, coram regibus et episcopis susceperat, intermitterent propter has litteras, quas insidiator et aemulus Artaldi praesulis exhibebat; imo quod regulariter coeperant canonice pertractaretur. Sicque praecipitur recitari capitulum 19 Carthaginensis concilii de accusato et accusatore. Quo recitato, dijudicatum est, juxta diffinitionem hujus capituli, ut Artoldo communionem et parochiam Remensem retinente, Hugo qui ad duas jam synodos evocatus venire contempserat, a communione et regimine Remensis episcopii abstineret, donec ad universalem synodum se purgaturus occurreret. Ipsumque capitulum mox in charta describi fecerunt episcopi coram se, subnectentes hanc etiam definitionem suam, et eidem Hugoni miserunt. Qui post alteram diem eamdem chartam Rotberto pontifici remisit, hoc verbis remandans, quod ipsorum judicio nequaquam obediturus esset. Interea litterae proclamationis Artoldi praesulis ad Romanam diriguntur sedem. Domnus igitur Agapitus papa vicarium suum Marinum episcopum misit ad Othonem regem, propter evocandam et aggregandam generalem synodum. Litterae quoque ipsius papae mittuntur ab urbe quibusdam speciatim episcopis, vocantes eos ad eamdem synodum. Congregata denique synodo in palatio Engulenheim (948, 7 Junii), recitata sunt haec quae sequuntur coram regibus et episcopis:

CHAPITRE XXXIV.

Du synode tenu à Verdun.

LE synode indiqué fut tenu à Verdun, sous la présidence de Robert, archevêque de Trèves. A ce synode assistèrent Artaud de Reims, Odalric d'Aix, Adalbéron de Metz, Josselin de Toul, Hildebold de Germanie, Israël de Bretagne, et Brunon, abbé frère du roi Othon, avec les abbés Agenold Odilon et autres. Hugues y fut aussi appelé, et deux évêques furent délégués vers lui pour l'amener; mais il refusa de s'y rendre. En conséquence, le synode, à l'unanimité, adjugea à Artaud le gouvernement de l'église de Reims. On désigna un autre synode lequel se rassembla dans l'église de Saint-Pierre, vis-à-vis Mouzon[13] composé seulement des évêques des deux provinces de Trèves et de Reims. Hugues s'y rendit, et eut une conférence avec l'archevêque Robert, mais ne voulut pas entrer au synode. Il fit remettre par un de ses clercs aux évêques des lettres du pape Agapit, qui ne contenaient rien qui fût d'autorité canonique, mais qui ordonnaient qu'on le remit en possession du siège de Reims.

Ces lettres furent lues mais les évêques répondirent qu'il n'était ni digne ni convenable que le mandement apostolique, qui avait été longtemps auparavant apporté par Frédéric, évêque de Mayence et reçu par l'archevêque Robert, en présence des rois et des évêques fût annulé par de simples lettres présentées par le rival et l'adversaire d'Artaud, et qu'ainsi il serait passé outre à ce qui avait été régulièrement et canoniquement commencé. On fit lire le chapitre xixe du concile de Carthage sur les accusés et les accusateurs ensuite, selon le texte précis de ce chapitre, il fut jugé qu'Artaud demeurerait évêque de la province et en la communion de l'église de Reims; que Hugues, qui avait été cité à deux synodes et avait refusé de comparaître, serait interdit de la communion et de l'administration dit diocèse de Reims, jusqu'à ce qu'il comparût devant un synode général pour se justifier. Les évêques firent de suite écrire le chapitre du concile sur une charte ajoutant au dessous leur présent arrêt, et l'envoyèrent a Hugues qui, dès le lendemain, le renvoya à l'archevêque Robert, en lui faisant répondre de vive voix qu'il ne se soumettrait pointa leur jugement. Cependant des lettres de proclamation et d'appel de l'évêque Artaud furent adressées au Saint-Siège de Rome, et le pape Agapit envoya son vicaire, l'évêque Marin, au roi Othon, pour la convocation et la tenue d'un concile général. Le pontife envoya aussi des lettres à chacun des évêques en particulier, pour les convoquer; et quand enfin le synode fut rassemblé au palais d'Ingelheim, on y donna lecture de ce qui suit, en présence des rois et des évêques.


 

CAPUT XXXV.

De synodo apud Engulenheim congregata, et excommunicatione Hugonis episcopi. Series litis inter Artaldum et Hugonem episcopos agitatae.

Sanctae Romanae et apostolicae sedis vicario domno MARINO, universaeque sanctae synodo apud Engulenheim congregatae, ARTOLDUS, divina propitiante clementia, Remorum episcopus.

Domnus Agapitus papa litteras nobis et caeteris ut episcopis nostrae dioeceseos direxit, in quibus praecepit, ut ad hoc vestrae sanctitatis concilium convenire studeremus, ita instructi de omnibus, ut rei veritas miseriarum nostrae sedis, quas patimur, coram sanctitate vestra manifesta fieri posset. Quocirca propalare prudentiae vestrae commodum ducimus, qualiter res exordium coeperit litis hujus, quae adhuc inter me et Hugonem miserrime ventilatur. Defuncto siquidem Heriveo archiepiscopo, Seulfum, qui archidiaconatus urbis nostrae tunc officio fungebatur, ad praesulatum ejusdem sedis elegimus. Qui pontifex ordinatus assumens zelum contra proximos praedecessoris sui, cum eos per semet a loco depellere non valeret, consilio inito cum quibusdam laicis scilicet consiliariis suis, amicitiam quaesivit Heriberti comitis quam dato jurejurando per eosdem consiliarios obtinuit eo tenore, ut post obitum ipsius ad electionem pontificis milites ecclesiae nullatenus aspirarent sine consilio ipsius Heriberti; idem vero comes fratrem Herivei praesulis, et nepotes ipsius a participatione rerum Remensis episcopii separaret.

Quibus patratis, insimulati sunt iidem propinqui Herivei praesulis a consiliariis Seulfi episcopi de infidelitate ipsius senioris sui, accersitoque Heriberto comite cum pluribus suis jubentur ad rationem reddendam coram ipsis venire. Et quia contra eos a quibus accusati fuerant, singulari congredi certamine noluerunt, sublatis ab eis rebus quas ex episcopo possidebant, comprehensi sunt atque deducti per Heribertum comitem ad Rotbertum regem, a quo etiam sub custodia sunt, detenti usque ad mortem ipsius Rotberti. Tertio demum sui episcopatus anno, Seulfus episcopatus (ut plures asserunt) ab Heriberti familiaribus veneno potatus defungitur. Mox itaque comes Heribertus urbem Remensem adiit, et ecclesiae milites, clericorum quoque quosdam de rectoris electione ad suum concilium (ceu juratum fuerat) intendere fecit. Cum quibus ad Rodulfum regem pergens in Burgundiam, obtinuit ab eo ut sibi committeretur idem episcopium, eo tenore, ut tam clericis quam laicis debitum honorem concederet et conservaret, nec injustitiam alicui faceret: sed ipsum episcopium aequo jure gubernaret, donec talem clericum eidem regi praesentaret, qui ad episcopale ministerium exsequendum rite ordinari valeret. Qui comes ad eamdem urbem regressus, res episcopii (prout sibi placuit) fautoribus suis divisit, caeteris abstulit, et absque ullo judicio vel lege, quos voluit rebus exspoliavit, vel ab urbe propulit. Odalricum denique Aquensem episcopum in eadem urbe suscipiens episcopale inibi ministerium celebrare praecepit. Sicque per annos sex, et eo amplius idem episcopium suo dominio vindicavit, pro libitu proprio illud tractans et in sede praesulis residens, tam ipse quam conjux sua, donec septimo tandem anno, ortis inter ipsum et regem Rodulfum atque Hugonem comitem quibusdam simultatibus, Rodulfus rex cum Hugone et Bosone fratre suo, caeterisque pluribus tam episcopis, quam comitibus Remorum obsidet urbem, succensentibus sibi episcopis, et conquerentibus adversus eum quod tam diuturno tempore, contra divinae legis auctoritates, hanc urbem permiserit vacare pastore.
Quorum querimoniis permotus rex, admonet clerum et populum de pastoris electione, dans eis id agendi facultatem ad Dei honorem et sui fidelitatem. Sicque concordantibus cunctis tam clericis quam laicis qui extra obsidionem erant, pluribus etiam eorum qui clausi tenebantur in idipsum faventibus, eligitur humilitatis nostrae persona in hoc magis onere quam honore subeundo. Aperientibus tandem tam militibus quam civibus portas urbis regi Rodulfo, et episcopalem benedictionem mihi tradentibus episcopis qui aderant decem et octo, et suscipientibus nostram humilitatem tam clero universo quam reliquis civibus, inibi intronizatus ab episcopis nostrae dioeceseos, impositum mihi, prout Deus concessit, ministerium per annos ferme novem tractavi, ordinans per dioecesim episcopos octo, et in episcopio multos, prout competens videbatur, clericos, quousque nono postmodum anno, postquam Ludovicum regem, favente Hugone cunctisque regni principibus, Gerbergam quoque reginam benedixeram et sacro perfuderam chrismate, instigatus Hugo comes iracundia quod ei consentire vel conjungi noluerim ad ipsius regis infidelitatem, adhibitis secum Heriberto comite, et Willelmo Nordmannorum principe, Remensem obsidet urbem. Nec longum, sexta scilicet obsidionis die, deseror ab omni pene coetu laicalis militiae. Sicque derelictus ab his, ad Hugonem et Heribertum compellor exire, a quibus coarctatus et conterritus, cogor memet episcopali procuratione abdicare, et ita me propellentes, in coenobio sancti Basoli habitare constituunt; Hugonem vero filium Heriberti, qui Antissiodori diaconus ordinatus fuerat, in urbem introducunt, et civitate potiuntur. Ludovicus autem rex a Burgundia rediens, me apud sanctum Basolum reperit, et assumens secum, simul cum propinquis meis quorum res Heribertus comes abstulerat, Laudunum deducit, quod castrum tunc obsidebant Heribertus et Hugo: solutaque obsidione oppidum ingrediuntur, nobisque metatus degendi disponitur. Interim clerici nostri loci sed et laici quidam pessime ab Heriberto tractantur, et quidam clericorum in custodiis retruduntur, res eorum auferuntur atque diripiuntur, rapinae per totam urbem licite perpetrantur.

Interea convocantur episcopi nostrae dioeceseos ab Hugone et Heriberto, satagentibus et quaerentibus ab eis de ordinatione Hugonis filii Heriberti. Qui Suessionis congregati, mittunt ad me Laudunum Hildegarium episcopum cum aliis quibusdam legatis, mandantes ut ad eos venirem, ad consentiendum scilicet hujus ordinationis perversitati. Quibus remandavi, quod non esset mihi competens ad eos illo proficisci, ubi adversarii et inimici mei cum ipsis erant aggregati. Quod si loqui mecum vellent, ad talem locum devenirent, ubi sine periculo ad eos accedere possem. Quibus advenientibus in locum ab eisdem delectum, profectus sum ad eos, adveniensque prosternor coram ipsis, obsecrans ut propter amorem et honorem Dei, tam mihi, quam sibi competens consilium dare studerent. Qui me de ordinatione praedicti Hugonis interpellare coeperunt, et hoc omnimodis suadere, ut eis in hac ordinatione consensum praeberem, promittentes res nonnullas episcopii mihi se impetraturos. At ego postquam responsum diu distuleram, videns eos cunctos in proposito quod ceperant perseverantes, surgens interdixi palam cunctis audientibus, excommunicans auctoritate Dei Patris omnipotentis, et Filii, et Spiritus sancti, ut nullus eorum ad eamdem ordinationem accederet, nec alicui in episcopali honore, me vivente, manus imponeret; sed nec ullus eamdem benedictionem suscipere praesumeret. Quod si forte fieret, ad sedem apostolicam eos provocarem. Illis inde furentibus, ut possem exire de medio eorum, et Laudunum reverti, temperavi responsum dicens ut mitterent mecum, qui eis renuntiaret, quid consilii reperire valerem super hac re in domina mea regina, et fidelibus ejus, quia rex non aderat. Ad hoc illi mittunt Deroldum episcopum, putantes me esse mutaturum consilium. Quo veniente, et coram domina regina et fidelibus ejus inde me interpellante, iterum exsurgens praefatae modum excommunicationis in eosdem episcopos jaculatus sum; vocationem quoque ad sedem apostotilam iterare curavi, excommunicans ipsum hunc Deroldum, id ut eis omnino non taceret, sed cunctis manifeste proferret.

His ita gestis, parvipendentes illi nostram excommunicationem, Remis accedunt, et quidam eorum ordinationi huic manus applicarunt, quidam vero se subduxisse sciuntur. Ego vero cum rege manens, quas illi scitur angustias pertulisse secum pertuli; et quando eum bello aggressi sunt Hugo et Heribertus, cum ipso eram, et vix mortis evasi periculum. Prolapsus itaque auxilio et protectione Dei de medio inimicorum, profugus et vagabundus loca invia quaeque silvasque perlustro, non ausus certo consistere loco. Comites autem Hugo et Heribertus affati quosdam nostros amicos sibi subditos, suadent ut me requirentes, ad ipsos deducant, pollicentes se mihi benefacturos, et rebus quas ipsi petissent ditaturos. Requirentes ergo me amicis, reperiunt per diversa vagantem, et ita perducor a fratribus meis et amicis ad praefatos comites. Qui postquam me in potestate sua conspiciunt, quaerere coeperunt ut eis pallium a sede Romana mihi collatum traderem, et sacerdotali me ministerio penitus abjurarem quod nullatenus me facturum, neque pro amore hujus vitae praesentis attestor. Districtus igitur et coangustiatus ab eis, episcopii tandem rebus abrenuntiare compellor: sicque rursus ad S. Basolum quasi vacans, habitaturus deducor. Mansi denique paucis diebus in ipso coenobio, quoadusque comperiens per certos ex familiaribus Heriberti comitis nuntios, quod ab eo male de mea tractabatur perditione, iterum iterumque nuntiis hujusmodi pavefactus et impulsus, locum deserui, et abdita lustra silvarum vagabundus repetii, horisque silentibus, et itinere devio Laudunum revertor, ibique susceptus a rege, secum manere constituor. Mansi vero ibidem cum ipso vel fidelibus ejus, exspectans et deprecans misericordiam Dei, donec ipse dignatus est in cor domni regis Othonis mittere, ut ad subventionem senioris mei regis, et nostram, properaret in Franciam.

Denique postquam domina nostra regina Laudunum, propter absolutionem domni regis, reliquerat, egressus inde ad domnum regem Othonem cum seniore meo deveni rege, simulque Remos accessimus. Cingitur itaque urbis exercitibus et episcopi qui aderant, me sedi nostrae restitui censent. Mandatur ergo Hugoni a domno rege Othone, ut egrediatur, et pervasam deserat urbem. At ille nutans aliquandiu et pro posse, ubi vidit ad resistendum penitus sufficere se nequaquam valere, nec amicorum sibi praesidia subvenire, decernit exeundum, quaerens ut liber cum suis dimittatur abscedere. Permittitur itaque sanus exire, cum omnibus qui secum voluere comitari, et quaecunque secum voluit ferre, nullo contradicente, asportavit. Sicque cum regibus introgressus urbem, praecipior loco nostro, et honori restitui. Susceptus igitur a domnis archiepiscopis Rotberto Trevirensi, et Frederico Magontiacensi comitantibus caeteris et congratulantibus, tam clericis Ecclesiae nostrae, quam reliquis civibus, ab ipsis restituor cathedrae episcopali. Hugo vero Remis egressus Mosomum castrum cum suis occupat, et muniens contra fideles regis senioris nostri detinet. Habito denique colloquii placito inter reges, seniorem meum videlicet ac domnum Othonem, super Charam fluvium, convenimus ad illud tam ego quam ipse Hugo cum ordinatoribus suis. Ibique res litis hujus ab episcopis auditur: protulitque litteras ad sedem Romanam, quasi ex nostra persona datas, excusationis meae, ac si vacationem petentes administrationis episcopii nostri: quas me nunquam dictasse, neque vel subscribendo aliquatenus corroborasse protestatus sum atque protestor. Et quia tunc synodus convocata non fuerat (id opponentibus fautoribus ipsius Hugonis) altercatio nostra determinari non potuit. Synodus autem circa medium mensis Novembris habenda Virduni utriusque partis episcopis annuentibus denuntiatur. Interim vero sedes Remensis mihi regenda decernitur; idem vero Hugo Mosomi commorari permittitur. Nec longum, instante scilicet vindemiae tempore, hic noster aemulus Hugo, assumens secum Theobaldum regis inimicum et regni nostri, cum aliis pluribus malefactoribus, in villas Remensis episcopii contiguas urbi devenit, et omne pene vinum ex his colligens in diversos pagos abduci fecit. Tum multa mala inibi perpetrata, et ecclesiae nostrae homines captivi abducti, et ad redemptionem variis sunt adacti tormentis. Synodus autem circa medium mensis denuntiata, Virduni celebratur, praesidente Rotberto presule Trevirensi, praecepto domni papae Romani, praesente quoque domno Brunone, cum episcopis et abbatibus nonnullis.

Ad quam praefatus Hugo evocatus, missis etiam duobus ad eum deducendum episcopis, Adalberone et Gozlino, venire contempsit. Universa vero synodus mihi Remense regendum decernit episcopium. Indiciturque iterum synodus habenda die Iduum mensis Januarii, quae et aggregatur, ut denuntiatum fuerat, in ecclesia sancti Petri ante prospectum castri Mosomi, a domno Rotberto convenientibus caeteris quoque Trevirensis dioeceseos episcopis, et aliquibus Remensis. Veniens autem illuc aemulus noster Hugo, et locutus cum domno Rotberto synodum noluit ingredi; litteras vero quasi ex nomine domni papae direxit ad episcopos per clericum suum, qui eas Roma detulisse ferebatur, nihil auctoritatis canonicae continentes, sed hoc tantum praecipientes, ut Hugoni Remense redderetur episcopium. Quibus recitatis ineuntes episcopi consilium cum abbatibus et caeteris qui aderant sapientibus, responderunt non esse dignum vel congruum, ut mandatum legationis apostolicae, quam dudum Rotbertus archiepiscopus, deferente Frederico praesule Magontiacensi, coram regibus et episcopis tam Galliae quam Germaniae susceperat, et partem jam praeceptionis ipsius exegerat, propter illas litteras intermitteret, quas insidiator noster exhibebat: imo quod regulariter coeptum fuerat, ut canonice pertractaretur, unanimiter censent; praecipiturque recitari capitulum Carthaginensis concilii nonum decimum, de accusato et accusatore. Quo recitato, judicatum est juxta definitionem ipsius capituli, ut communionem et parochiam Remensem me retinente, Hugo, qui ad duas jam synodos evocatus interesse contempserat, a communione et regimine Remensis episcopii abstineret, donec ad universalem synodum, quae indicebatur, sese purgaturus, vel rationem redditurus praesentaret. Ipsumque capitulum mox in charta episcopi coram se describi fecerunt, subnectentes hanc etiam definitionem suam, et eidem Hugoni miserunt. Qui post alteram diem chartam eamdem Rotberto praesuli remisit, hoc verbis remandans: quod ipsorum judicio nequaquam obediturus esset. Sicque absoluto concilio, ipse Mosomum contra mandata regum et episcoporum retinet, et ego Remos regressus reclamationis meae querelas ad sedem Romanam per legatos domni regis Othonis destinavi, praestolans mandata ipsius sanctae sedis, ejus decretis et universalis hujus sancti concilii vestri judiciis parere paratus.

Post quarum litterarum recitationem, et earum propter reges juxta Thudesticam linguam interpretationem, ingressus quidam Sigebaldus, praemissi Hugonis clericus, attulit litteras quas Roma detulerat, quasque jam in alia synodo Mosomi propalaverat. Asserens easdem litteras sibi Romae ab ipso qui aderat Marino vicario datas, qui domnus Marinus proferens litteras quas idem Sigebaldus Romam detulerat, praecepit eas coram synodo recitari, in quarum recitatione repertum est, prout ipsae litterae fatebantur, quod Wido episcopus Suessonicus, Hildegarius quoque Belvacensis, Rodulfus Laudunensis, caeterique cuncti Remensis dioeceseos episcopi, easdem litteras ad sedem delegaverint apostolicam, pro restauratione Hugonis in sede Remensi, et expulsione Artoldi. Post quarum lectionem, exsurgentes Artoldus praesul, et praefatus Rodulfus qui in eisdem litteris nominabatur, Fulbertus quoque Cameracensis antistes eas litteras refutarunt, astruentes quod eas antea nunquam viderint vel audierint, neque in earum delegatione consensum praebuerint. Quibus dum idem clericus contraire non posset, licet in eos calumniis obstrepens, praecepit domnus Marinus, suggerens universae synodo, ut sibi consilium et rectum judicium proferrent super hujusmodi calumniatore, et calumniarum in episcopos delatore.
At illi, postquam delator publice confutatus est falsa detulisse, lectis capitulis de hujuscemodi calumniatoribus, judicant et unanimiter censent eum, quo fruebatur honore privari debere, ac secundum capitulorum tenorem in exsilium retrudi. Diaconatus igitur quo fungebatur ministerio multatus, a conspectu synodi reprobatus abscessit. Artoldo vero praesuli, qui omnibus se synodis praesentem exhibuerat, non refugiens synodale judicium, episcopium Remense juxta canonum instituta sanctorum Patrum decreta, omnino retinendum atque disponendum decernunt, laudant, atque corroborant. Secunda consessionis die, post recitatas divinae auctoritatis lectiones et Marini vicarii allocutionem, suggessit domnus Rotbertus, Trevirensis archiepiscopus, ut quoniam juxta sacrae legis instituta, restitutum atque restauratum fuerat Remense Artoldo praesuli episcopium, in ejusdem sedis invasorem synodale perageretur judicium. Praecepit itaque Marinus vicarius, ut canonicam super hac praesumptione synodus proferret sententiam. Jubentur ergo sanctae legis catholica recitari capitula. Quibus recitatis, secundum sacrorum instituta canonum, et sanctorum decreta Patrum, Sixti, Alexandri, Innocentii, Zosimi, Bonifacii, Coelestini, Leonis, Symmachi, caeterorumque sanctorum Ecclesiae Dei doctorum, excommunicaverunt, et ab Ecclesiae Dei gremio repulerunt praedictum Hugonem Remensis Ecclesiae pervasorem, donec ad poenitentiam et dignam satisfactionem venire procuraret.

Caeteris quoque diebus synodi tractata sunt quaedam necessaria de incestis conjugiis, et ecclesiis, quae presbyteris in partibus Germaniae dabantur, imo vendebantur indebite, et auferebantur illicite, prohibitumque ac statutum ne id omnino praesumeretur ab aliquo: sed et de aliis Ecclesiae Dei utilitatibus tractata sunt, et definita nonnulla. Interea rex Ludovicus deprecatur regem Othonem, ut subsidium sibi ferat contra Hugonem et caeteros inimicos suos. Qui petita concedens, jubet ut Conradus dux cum exercitu Lothariensium in ejus pergat auxilium. Interim vero dum congregaretur exercitus, rex Ludovicus cum ipso duce maneat, et episcopi, scilicet, Artoldus et Rodulfus, qui erant cum rege, ne quid in via pateretur adversi, degerent cum Lothariensibus episcopis. Mansimus itaque cum Rotberto Trevirensi, Rodulfus Laudunensis cum Adalberone Mettensi, hebdomadas fere quatuor. Exercitu denique collecto, Lotharienses episcopi Mosomum petunt, ipsumque obsidentes castrum atque oppugnantes, milites qui erant ibi cum Hugone ad deditionem compellunt, et acceptis ab eis obsidibus pergunt obviam Ludovico regi et Conrado duci in partes Laudunensis pagi. Obsident igitur ibi dux et exercitus quamdam munitionem quam aedificaverat et tenebat Theobaldus in loco qui dicitur Mons acutus, qui et Laudunum contra regem retinebat. Hoc etiam oppidum expugnantes, tandem non sine mora capiunt, indeque Laudunum adeunt, et in ecclesia S. Vincentii congregati, episcopi praedictum Thetbaldum excommunicant; Hugonem verum principem vocant litteris ex parte Marini legati sedis apostolicae et sua, venire ad emendationem pro malis quae contra regem et episcopos egerat. Wido denique Suessonicae urbis episcopus ad regem Ludovicum veniens, eidem sese committit, pacaturque cum Artaldo archiepiscopo, satisfaciens illi pro ordinatione Hugonis. Conradus quoque dux filiam Ludovici regis sacro de fonte suscepit. Sicque recepto Mosomo castro et everso, Lotharienses revertuntur in sua.

CHAPITRE XXXV.

Du concile tenu à Ingelheim de l'excommunication d’Hugues. Suite du procès entre les évêques Artaud et Hugues.

Au seigneur Marin, vicaire du Saint-Siège apostolique romain, et à tout le saint concile rassemblé à Ingelheim, Artaud, par la grâce de Dieu, évêque de Reims.

Notre seigneur, le pape Agapit, nous a adressé à nous et aux évêques de notre province, des lettres par lesquelles il nous a ordonné de vouloir bien nous rendre à ce concile de votre Sainteté, munis de toutes les preuves et instructions nécessaires pour vous manifester, et faire éclater aux yeux de votre Sainteté la vérité sur les misères qu'a souffertes notre siège et que nous soutirons nous-même c'est pourquoi nous avons jugé à propos d'exposer à votre Sagesse l'origine du procès qui s'agite maintenant encore si déplorablement entre Hugues et moi. Après la mort de l'archevêque Hérivée, nous élûmes à l’épiscopat de Reims Séulphe, qui remplissait l'office d'archidiacre en la même église; une fois ordonné, ce pontife animé de haine contre les proches de son prédécesseur, mais ne se trouvant pas assez fort pour les expulser par lui-même après avoir tenu conseil avec quelques laïques ses conseillers, rechercha l'amitié du comte Héribert, et l'obtint en promettant par serment, par l'organe de ses conseillers, qu'après sa mort, les hommes de l'Église ne seconderaient pas l'élection d'un évêque sans consulter Héribert, et qu'en retour, le comte éloignerait le frère de l'archevêque Hérivée et ses neveux de toute participation aux affaires de l'église de Reims.

Ce traité conclu, les proches de l'évêque Hérivée furent faussement et méchamment accusés par les conseillers de Séulphe d'infidélité envers leur seigneur; et le comte Héribert ayant été appelé avec quelques-uns des siens, on les somma de comparaître et de rendre compte de leur conduite comme ils ne voulurent pas accepter le combat singulier contre leurs accusateurs, on leur enleva les biens qu'ils tenaient de l'évêché; ensuite ils furent arrêtés et conduits par le comte Héribert au roi Robert, qui les retint prisonniers jusqu'à sa mort; enfin, la troisième année de son épiscopat, Séulphe mourut empoisonné, ainsi que l’assurent plusieurs, par les familiers d'Héribert. Bientôt le comte vint à Reims, rappela aux soldats de l'Église et il quelques-uns des clercs le serment qu'ils lui avaient fait, touchant l'élection d'un évêque, et les entraîna à seconder ses desseins; de là il se rendit avec eux auprès du roi Raoul en Bourgogne, dont il obtint le gouvernement de l'évêché, à condition qu'il conserverait aux clercs comme aux laïques les honneurs dont ils étaient revêtus, ne ferait injustice à personne, et gouvernerait au contraire le diocèse avec équité, jusqu'à ce qu'il présentât au roi un clerc digne et capable d'être élevé all ministère épiscopal, et ordonné canoniquement. Revenu à Reims, le comte partagea, comme il l'entendit, les biens de l'évêché à ses partisans, enleva aux autres ce qu'ils possédaient, dépouilla et chassa qui il voulut, sans jugement, ni loi ayant donné asile à Odalric, évêque d'Aix, il le chargea des fonctions épiscopales. Pendant six ans et plus, il a ainsi disposé en maître de l'évêché, ne suivant d'autre loi que son caprice, et résidant lui et sa femme au siège même de l'évêque, jusqu'à ce qu'enfin dans la septième année, une guerre s'étant élevée entre lui, le roi Raoul et le comte Hugues, Raoul avec Hugues et Ttason, son frère, et plusieurs évêques et comtes, vint assiéger Reims, parce que les évêques importunaient le roi de leurs plaintes, et lui reprochaient d'avoir laissé si longtemps cette cité veuve de son pasteur, contre l'autorité des saints canons. Ému de leurs plaintes, le roi ordonna au peuple et au clergé dose préparer à une élection, leur laissant toute liberté d'agir pour la gloire de Dieu, et avec la fidélité qu'ils lui devaient à lui-même. Alors, d'un commun et unanime consentement, clercs et laïques, tous ceux qui étaient hors de la ville, et aussi quelques-uns de ceux qui s'y étaient renfermés, élurent notre Humilité à cette dignité, véritable fardeau plutôt qu'un honneur pour nous; cependant les soldats et les citoyens ayant de concert ouvert leurs, portes au roi Raoul, dix-huit évêques présents m'ayant donné la bénédiction épiscopale, et tout le clergé et le reste des citoyens m'ayant reçu avec bienveillance notre Humilité fut intronisée par les évêques du diocèse, et le ministère me fut imposé. Je l'ai rempli pendant huit ans comme il a plu au Seigneur; j'ai donne l'ordination à huit évêques dans le diocèse j'ai institué un grand nombre de clercs dans l'évêché, selon que la nécessité Ta exigé, jusqu'à ce qu'enfin, neuf ans après que, du consentement de Hugues et des autres grands du royaume, j'avais donné la bénédiction au roi Louis et à la reine Gerberge, et les avais oints du saint chrême, le comte Hugues, irrité contre moi parce que je n'avais pas voulu me joindre à lui pour trahir le roi, vint assiéger la ville de Reims, accompagné du comte Héribert et de Guillaume duc de Normandie; presque aussitôt, c'est à dire après six jours de siège, je fus abandonné par presque tous les gens de guerre laïques et, ainsi délaissé, je fus forcé de me remettre entre les mains de Hugues et d'Héribert, qui, m'arrêtant prisonnier et m'intimidant, nie contraignirent à me démettre de l'épiscopat, puis me chassèrent et reléguèrent au monastère de Saint-Basle, firent entrer dans Reims Hugues fils d'Héribert, qui avait été ordonné diacre à Auxerre, et se mirent en possession de la ville. Mais, à son retour de Bourgogne, le roi Louis me trouvant à Saint-Basle, et me prenant avec lui, moi et mes proches auxquels Héribert avait enlevé tout ce qu'ils possédaient, me conduisit à Laon, qui était assiégé par Héribert et Hugues à notre approche ceux-ci levèrent le siège, et nous entrâmes dans la ville, où on nous disposa une demeure. Cependant les clercs de notre lieu, et même quelques laïques étaient maltraités par Héribert; les uns jetés en prison, les autres privés de leurs biens; et le pillage s'exerçait librement dans toute la ville de Reims;

alors les évêques de notre diocèse furent convoqués par Hugues et Héribert, pour préparer et assurer avec eux l'élection du jeune Hugues; l'assemblée se réunit à Soissons et l’évêque Hildegaire fut député vers moi à Laon avec quelques autres pour me mander de venir à l'assemblée, afin de donner mon consentement à cette détestable et illégitime ordination; je leur répondis que je ne pouvais me rendre en un lieu où mes ennemis siégeaient avec eux que s'ils avaient à conférer avec moi, ils vinssent en un endroit où je pusse aller en sûreté; en conséquence ils se rendirent en un lieu désigné par eux et je m'y trouvai. En arrivant, je me prosternai devant eux, les priant, pour l'amour et la gloire de Dieu, de me donner un conseil qui fût bon pour moi et pour eux. Lors ils commencèrent à m'importuner pour l'ordination de Hugues, et à me tourner en tous sens pour m'arracher mon consentement, me promettant qu'ils m'obtiendraient quelques biens de l'évêché mais moi, après avoir longtemps différé ma réponse, voyant qu'ils persévéraient tous dans la résolution qu'ils avaient prise, je me levai, et leur fis défense à haute voix et de manière à être entendu de tous, sous peine d'excommunication, au nom de Dieu le Père tout-puissant, du Fils et du Saint-Esprit, qu'aucun d'eux prêtât son ministère à cette ordination, et se permît, moi vivant, d'imposer les mains à qui que ce soit, ou de donner l'onction épiscopale; que s'ils agissaient autrement, j'en appelais devant le Siège apostolique. Comme ma résistance les mettait en fureur, pour pouvoir sortir du milieu d'eux et retourner à Laon, j'adoucis ma réponse, et leur demandai d'envoyer avec moi quelqu'un qui leur rapporterait la résolution que m'inspireraient ma reine et maîtresse, et ses fidèles, puisque le roi, mon seigneur, était absent. Ils envoyèrent à cet effet l'évêque Dérald, espérant que je changerais de résolution, lequel vint et m'interpella devant la reine et ses fidèles. Lors me levant, je lançai contre les évêques la même formule d'excommunication que j'avais déjà prononcée, et je n'oubliai pas de réitérer mon appel au Saint-Siège apostolique, excommuniant Dérald lui-même, s'il se taisait et ne rendait pas un compte fidèle de tout.

Les choses s'étant ainsi passées, ceux-ci, méprisant notre excommunication, allèrent à Reims, où la plupart donnèrent la main à l'ordination d’Hugues, et quelques autres, qui me sont connus, s'y dérobèrent. Pour moi, restant avec le roi, j'ai souffert tout ce qu'il a souffert; et quand Hugues et Héribert lui déclarèrent la guerre, j'étais avec lui, et c'est à grand-peine que j'ai évité la mort. Échappé du milieu de mes ennemis par la grâce et la protection de Dieu, je m'en allai, errant deçà delà, cherchant les forêts et les lieux les plus inaccessibles, n'osant demeurer en place. Cependant les comtes Hugues et Héribert s'abouchant avec quelques-uns de mes amis leurs sujets, parvinrent à les décider d'aller à ma recherche, et de me ramener, promettant qu'ils me feraient du bien, et m'accorderaient tout ce que mes amis demanderaient pour moi. Mes amis vinrent donc me chercher, me trouvèrent errant deçà delà, et firent tant qu'ils me ramenèrent. Mais les comtes me voyant en leur puissance, commencèrent à me sommer de leur remettre le pallium que j'avais reçu de Rome, et de me démettre tout-à-fait du sacerdoce. Je protestai que je ne le ferais jamais, même quand il s'agirait de ma vie. Enfin pressé réduit à l'extrémité, je fus forcé de renoncer au temporel de l'épiscopat; et à ce prix je fus ramené à Saint-Basle, pour y faire ma demeure, comme si je n'eusse plus eu de charge, mais je n'y demeurai que peu de jours, parce que j'appris par des avis sûrs de quelques familiers du comte Héribert, qu'il songeait méchamment à me faire périr effrayé par ces avis, de moment en moment réitérés, je m'enfuis tout tremblant, et à travers les bois et les repaires des bêtes sauvages, dans le silence des nuits, et par des chemins détournés, je parvins à me rendre à Laon, où le roi me reçut, et où je résolus de rester près de lui. En effet j'y demeurai avec lui et avec ses fidèles, attendant et implorant la miséricorde de Dieu, jusqu'à ce qu'enfin il daigna inspirer au cœur du roi Othon de venir en France au secours du roi, mon seigneur, et au mien.

Enfin quand la reine, notre maîtresse et souveraine, quitta Laon, pour obtenir la délivrance du roi, je sortis aussi et m'en allai avec le roi, mon seigneur, vers le roi Othon, et nous marchâmes ensemble vers Reims, qui fut aussitôt environnée et assiégée de toutes parts. Lors les évêques qui étaient présents furent d'avis qu'on me rétablît sur mon siège. En conséquence le roi Othon fit signifier à Hugues qu'il eût à sortir et rendre la ville qu'il avait usurpée. Hugues hésita quelque temps, et résista de tout son pouvoir; mais voyant qu'il n'était pas en force pour tenir, et qu'il ne lui venait pas de secours de ses amis, il se décida à sortir, demandant qu'il lui fût permis de se retirer librement, lui et ses yens. On lui permit donc de sortir sans aucun mal avec tous ceux qui voulurent l'accompagner, et il emporta sans contradiction tout ce qu'il voulut emporter. De cette façon, j'entrai dans la ville avec les rois, et ils ordonnèrent que je fusse réintégré dans ma dignité. En conséquence, Robert, archevêque de Trèves, et Frédéric, de Mayence, assistés d'autres évêques, me reçurent, et au milieu des applaudissements et félicitations du clergé et du peuple, je fus par eux rétabli dans la chaire épiscopale. Hugues, après sa sortie de Reims, s'empara de Mouzon, et fortifiant cette place contre les fidèles du roi, notre seigneur, parvint à s'y maintenir. Bientôt une entrevue fut arrêtée entre le roi, mon seigneur, et le roi Othon, sur la rivière du Cher. Hugues et moi y fumes appelés, et y comparûmes ainsi que les évêques qui l'avaient ordonné. Le différend fut soumis aux évêques il produisit des lettres adressées par moi au Siège de Rome, dans lesquelles je priais d'accepter ma démission et demandais à être déchargé du gouvernement de mon évêché; lesquelles je protestai et proteste encore n'avoir jamais dictées ni approuvées en aucune façon par ma signature. Comme il n'y avait pas de synode convoqué, les fauteurs d’Hugues s'armèrent de ce prétexte, et la querelle ne put être décidée. Mais un synode fut indiqué à Verdun pour la mi-novembre, du consentement des évêques de l'un et l'autre parti. En attendant je fus chargé provisoirement du gouvernement du siège de Reims, et l'on permit à Hugues de demeurer à Mouzon. Mais bientôt le temps des vendanges étant venu, mon compétiteur, accompagné et soutenu de Thibaut, ennemi de notre roi et de notre royaume ainsi que de plusieurs autres malfaiteurs, se jeta sur les villages voisins de Reims appartenant à l'évêché, et en enleva presque tout le vin qu'il fit transporter en différents lieux. Alors beaucoup de ravages furent commis les hommes de notre église emmenés en captivité, ou forces par mille tourments cruels à payer rançon. Cependant le synode indiqué à Verdun pour la mi-novembre s'assembla sous la présidence de Robert, archevêque de Trêves, sur le mandement de notre seigneur le pape de Rome, en présence du seigneur Brunon, avec quelques évêques et abbés.

Hugues, cité à comparaître, et mandé par les deux évêques Adalbéron et Josselin, envoyés exprès vers lui, refusa de venir. Alors tout le synode, d'un commun accord, décréta que le gouvernement de l'évêché me serait laissé; et en même temps on désigna un autre synode pour le 13 janvier, lequel se rassembla en effet, comme il avait été indiqué dans l'église de Saint-Pierre, vis-à-vis du château de Mouzon; et y assistèrent Robert, archevêque de Trèves, avec tous les évêques de sa province, et quelques-uns de la province de Reims. Notre compétiteur Hugues y vint, eut un entretien avec l'archevêque Robert, mais ne voulut pas entrer au synode il fit remettre aux évêques, par un de ses clercs qui venait de Rome, de prétendues lettres du pape, qui ne contenaient rien qui fut d'autorité canonique, mais seulement qu'on le remît en possession de l'évêché de Reims. Après la lecture de ces lettres, les évêques délibérèrent avec les abbés et autres qui étaient présents, et répondirent qu'il n'était ni digne ni convenable que le mandement apostolique apporté par Frédéric, évêque de Mayence, que longtemps auparavant l’archevêque Robert avait reçu en présence des rois et des évêques de France et de Germanie, dont déjà même une partie avait reçu son exécution, fut annulé par des lettres que présentait notre ennemi bien plus, ils arrêtèrent à l'unanimité qu'il serait passé outre à ce qui avait été canoniquement commencé, et l'on fit donner lecture du xixe chapitre du concile de Carthage sur les accusateurs et les accusés; lecture faite, il fut jugé, selon le texte précis du chapitre, que je demeurerais en communion et possession du diocèse de Reims; que Hugues, qui avait refusé de comparaître à deux synodes malgré invitation, serait interdit de la communion et administration de l'évêché, jusqu'à ce qu'il consentît à se présenter devant un concile général qui serait indiqué, pour se justifier et rendre compte de sa conduite. Les évêques firent copier devant eux le chapitre du concile, et ajoutant au dessous leur jugement, l'envoyèrent à Hugues. Celui-ci, dès le lendemain, envoya la même charte à l'évêque Robert, en lui faisant répondre de vive voix qu'il ne se soumettrait pas à leur jugement. Le concile s'étant ainsi terminé, Hugues garde depuis ce temps, contre les ordres des rois et des évêques, le château de Mouzon; et moi de retour à Reims, j'ai envoyé à Rome mon placet d'appel au Saint-Siège par les messagers du roi Othon, et me voici attendant les ordres de ce siège, prêt à obéir à ses décrets, et au jugement de votre saint concile universel.

Après la lecture de ces lettres et leur traduction en langue tudesque pour l'intelligence des deux rois un certain Sigebaud clerc de Hugues, entra dans le concile, et présenta les prétendues lettres du pape qu'il avait apportées de Rome, et déjà fait connaître au synode de Mouzon, affirmant que ces lettres lui avaient été données à Rome par Marin lui-même, vicaire du souverain pontife, et actuellement président du concile. Marin, de son côté, produisit et fit lire devant tous les lettres que Sigebaud avait apportées à Rome, et cette lecture prouva ainsi que les lettres le disaient, que Gui, évêque de Soissons, Hildegaire de Beauvais Rodolphe de Laon., et tous les autres évêques de l'évêché de Reims sollicitaient du Saint-Siège le rétablissement de Hugues, et l'expulsion d'Artaud. Après cette lecture Artaud, et avec lui Rodolphe de Laon et Fulbert de Cambrai, qui étaient nommés dans les lettres, se levèrent et protestèrent qu'ils ne les avaient jamais vues, et n'avaient jamais donné leur consentement à l'envoi. Alors voyant que Sigebaud ne pouvait les contredire, quoiqu'il étourdit le concile de calomnies contre eux Marin prit la parole et proposa à tout le concile de prendre une résolution sévère contre un tel calomniateur, et porteur de calomnies contre des évêques. Le concile, après l'avoir d'abord publiquement convaincu de calomnie, et après avoir fait lire les chapitres des conciles sur les calomniateurs, jugea à l'unanimité qu'il devait être privé de la dignité dont il était revêtu, et, selon la teneur des articles, envoyé en exil. En conséquence Sigebaud fut dépouillé du diaconat dont il remplissait le ministère, et chassé avec réprobation du concile. Quant à Artaud, qui s'était présenté à tous les synodes, et soumis au jugement des évêques. Il fut décrété que, selon les règles des canons et les décrets des saints Pères, l'évêché de Reims serait par lui conservé et gouverné et lui fut sa dignité confirmée et de nouveau conférée. Le second jour de la session, après la lecture des saintes constitutions et de l'allocution du vicaire Marin, Robert, archevêque de Trêves proposa que, puisque selon les règles de la loi sacrée l'évêché de Reims avait été rendu et restitué à l’évêque Artaud, un jugement synodal fût porté contre l'usurpateur de son siège en conséquence il fut premièrement ordonné de lire les saints canons après la lecture, conformément aux sacrés canons, et aux décrets des saints Pères Sixte, Alexandre, Innocent, Zosime, Boniface, Célestin Léon Symmaque et autres saints docteurs de l'Église de Dieu Hugues fut excommunié et retranché du sein de l'Église, comme usurpateur du diocèse de Reims, jusqu'à ce qu'il revint à pénitence et à satisfaction. Les jours suivants on traita de plusieurs articles nécessaires touchant les mariages incestueux, et sur les églises que dans le pays de Germanie on donnait et même on vendait indûment aux prêtres, et qui leur étaient retirées illicitement. Il fut défendu que personne désormais se permît de pareils abus.

On traita encore de diverses choses qui intéressaient l'Église de Dieu, et il fut pris plusieurs décisions. Cependant le roi Louis pria le roi Othon de lui prêter secours contre Hugues et ses autres ennemis. Othon lui accorda sa demande, et donna l'ordre à Conrad, duc de Lorraine de marcher à son secours avec une armée; en attendant que l'armée fut prête, il fut convenu que le roi demeurerait auprès de Conrad, et que les évêques Artaud et Rodolphe, qui étaient avec lui, demeureraient avec les évêques lorrains, dans la crainte qu'en s'en retournant il ne leur arrivât quelque malheur. En sorte duc Rodolphe de Laon, et Robert de Trèves et moi nous restâmes près d'un mois auprès d'Adalbéron de Metz. Quand l'armée fut rassemblée, les évêques de Lorraine marchèrent sur Mouzon, en formèrent le siège, forcèrent les soldats qui y étaient enfermes avec Hugues à se rendre, et en ayant reçu des otages, partirent de Mouzon pour aller à la rencontre du roi Louis et du duc Conrad, vers le pays de Laon là le duc et son armée assiégèrent un château construit en un lieu nomme Montaigu, et occupé par Thibaut, lequel tenait aussi Laon contre le roi. Ils s'en emparèrent, non toutefois sans quelque peine et retard; ensuite ils tournèrent vers Laon. Les évêques se rassemblèrent en l'église de Saint-Vincent, et donnèrent sentence d'excommunication contre Thibaut et en même temps ils mandèrent par lettres au comte Hugues, tant de la part du seigneur Marin, légat du Siège apostolique, comme aussi de leur part, qu'il eût à venir à amendement et repentance des maux qu'il avait faits au roi et aux évêques. Ensuite Gui évêque de Soissons, vint auprès du roi Louis, se soumit, et fit sa paix avec l'archevêque Artaud, lui donnant satisfaction pour l'ordination d’Hugues. Le duc Conrad[14] tint sur les fonts sacrés la fille du roi Louis, et après la prise et démolition du château de Mouzon, les Lorrains s'en retournèrent en leur pays.


 

CAPUT XXXVI.

De obsessione vel incensione urbis Suessonicae ab Hugone comite.

Igitur Hugo, nullam moram faciens, collecta suorum multa Nordmannorumque manu, Suessonicam aggreditur urbem, et obsidens oppugnat, ceditque nonnullos. Injectis etiam ignibus domum matris ecclesiae succendit, simulque claustra canonicorum et partem civitatis; nec tamen ipsam capere valens urbem reliquit, et ad quamdam munitionem, quam Ragenoldus comes Ludovici super Axonam fluvium, in loco qui dicitur Rauciacus, aedificabat, devenit, ipsamque adhuc imperfectam castris vallavit. Sed nec ipsam cepit; villas tamen Remensis ecclesiae castris suis contiguas devastavit. Plures quoque colonorum praedones ipsius interemerunt, violantes ecclesias, et in tantum debacchantes ut in Culmiciaco vico tam infra quam circa ecclesiam fere quadringentos homines interfecerint, ipsumque templum rebus penitus exspoliarint. Multis ergo flagitiis tunc perpetratis, Hugo tandem cum suis regreditur grassatoribus. Itaque milites qui hactenus cum Hugone fuerant excommunicati, ad Artoldum praesulem revertuntur. Qui nonnullos eorum, redditis eis rebus quas habuerant, recipit, quosdam vero rejicit. Post haec Treviros proficiscitur ad synodum cum episcopis Widone Suessonico, Rodulfo Laudunensi, et Winefredo Morinensi. Quo pervenientes Marinum sese praestolantem reperiunt cum Rotberto archiepiscopo; caeterorum vero Lothariensium vel Germanorum praesulum illic invenere neminem. Considentibus igitur illis, suscitari coepit Marinus vicarius quid egisset post praemissam synodum Hugo princeps erga ipsos vel regem Ludovicum. At illi referunt supra memorata quae ipsis, et ecclesiis eorum intulerat mala. Requirit ergo de vocatione ipsius principis Marinus, utrum perlatae ei fuissent litterae vocationis, quas ei perferendas delegaverat. Cui respondetur ab Artoldo archiepiscopo, quod quaedam earum perlatae sint, quaedam vero perferri nequiverint, earum gerulo ab ipsius grassatoribus intercepto; vocatus tamen fuerit tam litteris quam quibusdam internuntiis. Requiritur itaque si adsit aliquis ex parte ipsius legatus. Ubi cum nullus fuisset inventus, decernitur exspectandum si forte adventurus esset in crastinum. Quod cum minime contigisset, et omnes qui aderant, tam clerici quam illustres laici, eum excommunicandum esse acclamarent, definitur ab episcopis hanc excommunicationem adhuc differendam usque ad diem synodi tertiam. Tractatur autem de episcopis qui vocati fuerant et venire distulerant, vel his qui ordinationi Hugonis participes exstiterant. Et Wido quidem episcopus Suessonicus se culpabilem, prostratus coram Marino vicario et Artoldo archiepiscopo, confitetur. Intercedentibus autem pro eo apud Marinum Rotberto et Artoldo archiepiscopis, absolvi ab hac noxa meretur. Wicfredus Morinensis immunis ab eadem ordinatione reperitur. Adest Transmari Noviomensis episcopi legatus quidam presbyter, astruens eumdem praesulem ita gravi languore detentum, ut ad eamdem synodum venire non valuerit. Id quoque nostrates qui aderant, attestantur episcopi.

CHAPITRE XXXVI.

Du siège et de l'incendie de la ville de Soissons par le comte Hugues.

Hugues, ayant rassemblé en diligence bon nombre de ses gens et de Normands, marcha sur la ville de Soissons l'assaillit et tua quelques hommes, il fit jeter des feux artificiels et brûla l'église cathédrale le cloître des chanoines, et une partie de la ville, sans cependant pouvoir la prendre. Désespérant d'en venir à bout, il leva le siège, et se tourna vers un fort, que Ragenold, un des comtes de Louis, faisait bâtir en un lieu nommé Roucy, sur la rivière d'Aisne, et en forma le siège. Quoique ce fort ne fût pas achevé, il ne put s'en emparer, mais il dévasta tous les villages de l'église voisine de son camp. Ses maraudeurs tuèrent plusieurs des colons ecclésiastiques, pillèrent les élises, et enfin se portèrent à une telle fureur que, dans le bourg de Cormicy, ils tuèrent environ quarante hommes tant en dedans qu'autour de l'église, et dépouillèrent le temple de tous les ornements. Après tous ces excès et ces crimes, Hugues se retira avec ses pillards. Cependant ses soldats, qui jusque là étaient restés avec lui, quoique excommunié, vinrent faire soumission à l'évêque Artaud qui reçut les uns et leur rendit leurs biens, et rejeta les autres; ensuite il partit pour Trèves, afin d'assister à un synode avec les évêques Gui de Soissons Rodolphe de Laon et Winfried de Térouane. Là ils trouvèrent Marin qui les attendait avec l'archevêque Robert mais ils n'y rencontrèrent aucun des évêques de Lorraine ni de Germanie. Néanmoins ils se formèrent en synode; et le vicaire Marin leur demanda ce que depuis le dernier synode le comte Hugues avait fait contre eux et contre le roi Louis. Ils lui rendirent compte des maux affreux que nous venons de raconter, causés par lui à leurs églises et à eux-mêmes. Marin alors s'informa si les lettres d'assignation à comparaître qu'il lui avait adressées lui avaient été réellement remises. L'évêque Artaud lui répondit que quelques-unes avaient été remises que quelques autres n'avaient pu l'être parce que celui qui en était chargé avait été pris par les maraudeurs du comte; que cependant il avait été mandé et cité tant par lettres que par plusieurs messages. Alors on demanda s'il y avait quelque envoyé de sa part comme il ne s'en trouva aucun il fut décidé qu'on attendrait jusqu'au lendemain pour voir si personne ne viendrait. Personne n'étant venu, et tous ceux qui étaient présents, tant clercs que laïques s'écriant d'une commune voix qu'il fallait l'excommunier les évêques arrêtèrent que l'excommunication serait encore différée jusqu'au troisième jour du synode. En attendant on s'occupa des évêques qui avaient été convoqués et n'étaient pas venus, et de ceux qui avaient pris part a l'ordination de Hugues. Gui, évêque de Soissons, se prosternant devant le vicaire Marin et l'archevêque Artaud se reconnut coupable. Mais les archevêques Artaud et Robert, intercédant pour lui auprès de Marin, il obtint absolution. Winfried de Térouane fut trouvé innocent de cette ordination. Un prêtre, envoyé de Transmar, évêque de Noyon se présenta de la part de ce prélat, alléguant qu'il n'avait pu venir au synode, parce qu'il était grièvement malade ce qui fut aussi attesté par quelques-uns des évêques de notre province.


 

CAPUT XXXVII.

De excommunicatione Hugonis comitis

Tertia tandem die, insistente praecipue Luitdulfo legato et capellano regis Othonis, quoniam idem rex id omnino fieri praecipiebat, excommunicatur Hugo comes, inimicus Ludovici regis, pro supra memoratis malis ab ipso perpetratis, eo tamen modo donec resipiscat, ad satisfactionem coram Marino vicario, vel episcopis, quibus injuriam fecit, deveniat. Quod si facere contempserit, Romam pro sui absolutione proficiscatur. Excommunicantur et duo pseudoepiscopi ab Hugone damnato ordinati, Tetbaldus et Ivo: prior post expulsionem ipsius in Ambianensi urbe; alter post damnationem ejusdem Hugonis, in Silvanectensi ab ipso constituti. Excommunicatur etiam quidam clericus Laudunensis, nomine Adelonus, quem accusavit Rodulfus episcopus suus, eo quod Tetbaldum excommunicatum in ecclesiam introduxerit. Vocatur Hildegarius Belvacensis episcopus litteris praefati Marini, ut veniat coram ipso, vel eat Romam rationem redditurus coram domno papa, pro illicita ordinatione praedictorum pseudoepiscoporum, cui interfuerat. Vocatur et Heribertus Heriberti comitis filius, ad satisfactionem venire pro malis, quae contra episcopos agebat. His ita gestis, episcopi revertuntur in sua. Luitdulfus autem capellanus Othonis Marinum vicarium deducit ad regem suum in Saxoniam, ubi consecraturus erat ecclesiam Vuldensis monasterii. Post cujus consecrationem idem Marinus, exacta hieme Romam revertitur. Nascitur regi Ludovico filius, quem praesul Artoldus de sacro fonte suscepit, patris ei nomen imponens.

CHAPITRE XXXVII.

De l'excommunication du comte Hugues.

Enfin, le troisième jour, sur les instances de Luidolf, légal et chapelain du roi Othon, parce que ce prince l'exigeait impérieusement, le comte Hugues fut excommunié comme ennemi du roi Louis, et pour tous les maux ci-dessus rapportés, toutefois jusqu'à ce qu'il vînt à résipiscence et fit satisfaction devant le vicaire Marin et les évêques auxquels il avait fait injure et dommage; que s'il refusait, il lui était libre d'aller a Rome pour se faire absoudre. Deux faux évêques, Thibaut et Ivon, ordonnés par Hugues, furent aussi excommuniés; le premier, établi par Hugues, après son expulsion, en la ville d'Amiens; le second, à Senlis, après sa condamnation. La même peine fut aussi portée contre un clerc de Laon, nommé Adélon, que son évêque Rodolphe accusa d'avoir reçu dans l'église l'excommunié Thibaut. Le vicaire Marin écri.vit à Hildegaire, évêque de Beauvais, de venir devant lui, ou d'aller à Rome, afin de rendre compte au pape de sa conduite au sujet de l'ordination des deux faux évêques susdits à laquelle il avait pris part il manda aussi à Héribert, fils du comte Héribert, de donner satisfaction pour les maux qu'il causait aux évêques. Toutes ces affaires ainsi réglées, les évêques se séparèrent mais Luitdolf, chapelain d'Othon, emmena avec lui le vicaire Marin vers son roi en Saxe, pour y faire la dédicace de l'église d'un certain monastère. Cette dédicace faite, et l'hiver passé, Marin s'en retourna à Rome. Le roi Louis eut un fils que l'archevêque Artaud tint sur les fonts sacrés, et auquel il donna le nom de son père.


 

CAPUT XXXVIII.

De quibusdam ecclesiis vel monasteriis urbis Remensis.

Plures denique apud nos quondam sanctorum fuere basilicae, sed et monasteria infra vel circa Remensem hanc urbem, quae modo non haberi probatur. Duo tamen adhuc supersunt infra urbem puellarum monasteria: quorum unum (quod superius a situ scilicet loci nuncupatur) S. Baldericus presbyter cum sorore sua Bova, ejusdem coenobii postmodum abbatissa, in honore sanctae Mariae, vel sancti Petri construxisse traditur. Qui regali genere exorti fuisse referuntur, patre scilicet Sigeberto rege, habentes neptem, nomine Dodam, castissimam puellam, quae desponsata fuisse fertur cuidam magnati ejusdem regis Sigeberti; quamque praefata ipsius amita Bova instituens ad serviendum Deo, servandamque perpetuo virginitatem, ab amore terreni avertit sponsi. Qui cum sibi adversaretur, sponsam innitens eamdem corripere, ascenso equo, dum id conatur quoquo modo adimplere, furente lapsus ab equo, fractis cervicibus, traditur interiisse. Beata denique Doda in castitatis proposito permanens, amitae suae in ejusdem monasterii successit regimine. Quae praeceptum quoque immunitatis, quod adhuc apud nos habetur, a principe Pippino eidem postmodum obtinuit fieri coenobio. Quarum corpora in ecclesia extra muros urbis, ubi primum puellarum fuerat monasterium, tumulata diu quieverunt, donec postmodum, revelationibus quibusdam elevata, et ad hanc novam sunt ecclesiam perlata, ibidemque venerabiliter collocata, continua honorificantur inibi Deo famulantium reverentia puellarum.

CHAPITRE XXXVIII.

De quelques églises et monastères de la ville de Reims.

IL a existé autrefois plusieurs basiliques de saints et plusieurs monastères au dedans et autour de la ville de Reims, qui maintenant ne sont plus; cependant il subsiste encore dans la ville deux couvents de filles, dont l'un s'appelle le monastère d'en-haut, à cause de sa situation et passe pour avoir été élevé en l'honneur de la sainte Vierge et de saint Pierre par saint Baudri et sa sœur Bove, qui depuis en fut abbesse. On dit qu'ils étaient tous deux du sang royal, enfants du roi Sigebert, et eurent pour nièce Dode, jeune fille très chaste, laquelle avait été promise en mariage à un grand de la maison du roi Sigebert. Mais Bove, sa tante, qui l'instruisait à servir Dieu et à lui garder sa virginité, la détourna de l'amour de son époux. Celui-ci, voyant la résistance de la jeune fille, voulut à toute force la ravir et avoir pour femme; mais il advint que pendant qu'il cherchait par tous les moyens à exécuter ses desseins le cheval qu'il montait s’étant emporté, il tomba et se rompit le cou et la bienheureuse Dode, persistant dans son bon propos de chasteté, succéda à sa tante dans le gouvernement du monastère; c'est elle qui obtint du roi Pépin pour cette abbaye une charte d'immunités que nous avons encore. Les corps de ces deux saintes abbesses reposèrent longtemps dans l'église située hors de la ville où avait d'abord été le monastère des filles, jusqu'à ce qu'enfin, ayant été exhumés par suite de plusieurs révélations et miracles, ils furent transférés en cette nouvelle église que nous voyons aujourd'hui, où ils furent déposés avec vénération, et sont continuellement honorés par la révérence et les hommages des vierges servantes du Seigneur.

 

CAPUT XXXIX.

De sancto Balderico abbate.

Sanctus autem Baldericus post hujus monasterii constructionem, locum quaerens ubi suam quoque constitueret habitationem, in qua collectis secum viris religiose conversari, Deoque devote ac quiete servire valeret, tandem reperit sibi placitum quem dicunt Montem Falconis locum. Qui locus tunc temporis inhabitabilis, densis operiebatur silvis, quas ipse succidens, proprio sibi labore condidit habitaculum. Fertur autem avem, quam nuncupamus falconem, praeviam et quasi praeducem itineris, dum locum illum expeteret, habuisse, quae loco eidem insederit, ac per triduum illo rediens in loco, ubi nunc habetur altare in honore sancti Petri apostoli, sine permutatione resederit. Unde et coenobium ab hoc eventu sic vocitatum plurimi asserunt. Ubi cum Deo devotius servire coepisset, nonnulli Deum timentes res suas eidem contulere; sicque collectis secum monachis, coenobium sub regulari constituit institutione, atque idem sub honore beati Germani aedificavit monasterium. Quibus patratis, ad sororem suam reversus Remis, ultimum sui cursus ibidem clausit diem, ubi et sepultus tempore non modico requievit.

 

CHAPITRE XXXIX.

De saint Baudri, abbé.

APRÈS la construction du monastère dont nous venons de parler, saint Baudri, cherchant un lieu où il pût établir sa demeure, et réunir en même temps auprès de lui des hommes religieux pour servir Dieu dévotement et paisiblement, en trouva enfin un qui lui plut, et qu'on nomme Montfaucon. Ce lieu, alors inhabitable, était couvert d'épaisses forêts qu'il abattit, et du bois desquelles il se construisit lui-même son habitation. On dit qu'un oiseau, que nous nommons faucon qui le guidait et volait devant lui pendant qu'il cherchait un lieu où se fixer, s'arrêta enfin sur celui-ci et revint trois jours de suite se poser à l'endroit où est aujourd'hui l'autel de l'apôtre saint Pierre; et plusieurs estiment que c'est de là que vient le nom de Montfaucon. Dès que saint Baudri eut commencé à servir Dieu dévotement en ce lieu, plusieurs personnes dévotes et craignant le Seigneur lui donnèrent leurs biens. Alors, réunissant plusieurs moines avec lui, il établit une communauté sous la discipline régulière, et consacra son monastère en l'honneur de saint Germain. Ensuite il revint trouver sa sœur à Reims, y vécut jusqu'à son dernier jour, y fut enseveli et son corps y a longtemps reposé.

CAPUT XL.

De miraculis post obitum ipsius ostensis.

Processu denique temporis diligentia clericorum praenotatum ipsius beati viri monasterium incolentium, ejus est illuc furtim corpus delatum, delusis fraude custodibus, Remis ablatum. Quos dum insequerentur quidam cives Remenses, eo usque sunt persecuti donec eos visu quidam deprehenderent. Dumque turbarentur horum adventu sacri latores pignoris, inter utrosque densa dirimens nebula divinitus creditur illata, qua sequentes obtenebrati, et errore in devia rapti, vestigia praecedentium servare nequiverunt. Evectores autem sacri corporis in nocte splendor superne missus irradiavit, donec ad proximam coenobio possessionem, quae dicitur villa Spanulfi, infatigabiles pervenerunt. Ubi quia sancta deposuere membra, in honore ipsius postea constructa est ecclesia. Quibus abinde cum sacro promoventibus pignore, ubi monasterio propinquare coeperunt, ecclesiae signa coenobii sponte, absque humano scilicet impulsu, sonuisse feruntur. Quod audientes fratres obviam sunt egressi: sicque diu desiderata suscipientes munera, dum in ecclesiam sancti Germani ea conantur inferre, tanto persentiunt ante ipsius introitum basilicae defixa pondere, ut haec nequaquam potuerint ulterius emovere; cum per triduum id enitentes omni gestierint conamine perpetrare. Sic demum tecto super defixa condito membra confessoris, per triennium illic ita mansisse traduntur. Quo temporis peracto spatio, ad ecclesiam sancti Laurentii, ubi vivens ipse sibi sepulcrum paraverat, celebrato per triduum jejunio, venerabile corpus ejus perlatum, et in suo reverenter est depositum sarcophago. Ibique constat venerabili cultu servatum, usque ad tempora Karoli regis, et Hincmari archiepiscopi, quando Nordmanni hoc coeperunt regnum depopulari. Quorum terrore compulsi canonici ejusdem loci, corpus hujus patroni sui de sepulcro levatum super altare sancti Laurentii posuerunt. Quod dum fieret, tres guttae sanguinis de capite ipsius defluxerunt, ita recentes et calidae, ac si de vivente profluerent corpore. Sicque delatum est Virdunum. Unde relatum in ecclesia est sancti Germani locatum.

Interim dum suo abesset monasterio, Nordmanni ad id pervenerunt: sed Domino illud protegente, nec ecclesias incenderunt, nec homines, nisi unam duntaxat mulierem, occiderunt. Ut autem recesserunt, altaria muneribus suis cumulata dimiserunt. Altera vice dum Nordmanni ad eumdem locum rursus accederent, quidam canonicus loci, nomine Ottradus, corpus sancti accipiens, reliquis fuga dilapsis, ipse cum sacro corpore in quamdam conscendit arborem. Quem insecuti pagani, usque ad ipsam pervenerunt arborem et respicientes sursum, neminem potuerunt eamdem conscendisse deprehendere. Idem vero frater per novem dies inibi permanens, nihilque victus, praeter unam solummodo sumens glandem, neque famem, neque sitim passus fuisse memoratur. Iterumque tunc locus idem meritis hujus beati viri a caedibus et incendio paganorum liberatus est. Postea contigit, ut quidam praedones, regiae majestatis infideles, ad eumdem devenirent locum, et non invenientes ibi manum repugnantem sibi, desolatum praedari aggressi sunt locum. Quod dum peragerent, signa ecclesiae sancti Laurentii, nemine pulsante, sonare coeperunt, et duo cerei supero sunt igne divinitus accensi. Praedonibus vero timore perculsis et aufugientibus, unus eorum prolapsus ad ipsam monasterii portam corruit, tamque ipso quam superbo ejus equo ruina contrito, utres quoque, in quibus vinum deferebat ablatum, disrupti sunt. Caeteri hoc videntes, donis ecclesiam muneraverunt, metuque affecti recesserunt.

CHAPITRE XL.

Des miracles qui furent vus après sa mort.

DEPUIS, par les soins des clercs qui habitaient le monastère de cet homme de Dieu, son corps fut enlevé secrètement de Reims et emporté à Montfaucon. Quelques citoyens qui avaient découvert la ruse suivirent les clercs de si près que déjà ils les atteignaient de la vue, et qu'en les apercevant le trouble se mettait parmi ceux qui portaient la sainte relique; mais une nuée épaisse les sépara tout-à-coup et ceux qui poursuivaient, se trouvant dans les ténèbres, s'égarèrent dans des chemins détournés, et ne purent suivre la trace des fugitifs. D'autre part une lumière céleste éclaira pendant la nuit ceux qui portaient le sacré corps, jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés, sans aucune fatigue, à une propriété voisine du monastère, où dans la suite une église fut construite en l'honneur de saint Baudri, parce que les clercs y avaient reposé son corps. De là, ayant repris leur marche avec la sainte relique quand ils commencèrent à approcher du monastère, on dit que les cloches se mirent à sonner toutes seules et à ce signal les frères sortirent au devant, et vinrent recevoir le trésor qu'ils avaient si longtemps désiré. Mais quand ils voulurent l'entrer dans l'église de Saint Germain, ils trouvèrent la relique devenue si lourde qu'il fallut la laisser à l'entrée de l'église et qu'il n'y eut moyen de la soulever, quelque effort qu'ils y fissent pendant, trois jours entiers. On dit que le corps demeura trois ans fixé au même lieu, à l'abri sous un toit élevé exprès pour le préserver des injures de l'air. Au bout de ce temps, après un jeûne de trois jours, on le transporta dans l'église de Saint-Laurent, où Baudri de son vivant avait préparé sa sépulture ; il fut déposé avec révérence dans le sarcophage qui lui était destiné, et les reliques du saint ont été conservées en ce lieu avec honneur et vénération jusqu'au temps du roi Charles et de l'archevêque Hincmar, quand les Normands commencèrent à infester et dévaster le royaume. La terreur qu'ils inspiraient força les chanoines de ce lieu à enlever de son sépulcre le corps de leur patron, et à le placer sur l'autel de Saint-Laurent. Pendant que cela s'exécutait, trois gouttes de sang tombèrent de sa tête, aussi fraîches et aussi chaudes que s'il eût été vivant. Il fut porté à Verdun, d'où plus tard il fut rapporté, et enfin placé dans l'église de Saint Germain.

Or, pendant qu'il était absent de son monastère, les Normands y arrivèrent; mais le Seigneur le protégea ils ne brûlèrent les églises, ni ne tuèrent les habitants, si ce n'est une seule femme en se retirant, et laissèrent les autels tout chargés de leurs offrandes. Quand les Normands revinrent une seconde fois, un chanoine nommé Ostrade, voyant que ses frères se dispersaient et prenaient la fuite sans songer à rien, prit le corps du saint, et se sauva avec, en grimpant sur un arbre. Les païens qui le poursuivaient vinrent jusqu'à cet arbre et regardèrent en haut mais lis ne purent s'apercevoir que quelqu'un y fût monté. Ostrade demeura neuf jours entiers sur cet arbre, n'ayant pour toute nourriture qu'un seul gland, et cependant il ne souffrit ni faim ni soif: cette seconde fois encore les mérites du saint confesseur préservèrent ces lieux du glaive et des flammes des païens. Plus tard, il arriva que quelques maraudeurs, infidèles au roi, vinrent en ce lieu, et, ne trouvant aucune force qui pût leur résister, se mirent à tout ravager; mais tout-à-coup les cloches de l'église Saint-Laurent se prirent à sonner d'elles-mêmes, sans que personne y touchât et deux cierges furent miraculeusement allumés par le feu du ciel. Frappés de terreur à cette vue, les pillards s'enfuirent, et l'un d'eux tomba à la porte du monastère et se tua dans sa chute, ainsi que son superbe cheval les outres dans lesquelles il emportait le vin qu'il avait volé crevèrent, et ses compagnons, effrayés de ce châtiment, firent des dons à l'église, et se retirèrent tout épouvantés.


 

CAPUT XLI.

De villa Waslicia.

Hujus venerabilis loci canonici famis quondam necessitate compulsi, sumptis a corpore venerandi patroni sui reliquiis, ad suam quamdam villam, supra ripam Rheni sitam, cognomento Wasliciam, quam quidam eorum abbas, nomine Adelardus, eidem contulerat coenobio, profecti sunt. Ubi dum pagenses, alma venerantes pignora, sua dona deferre coepissent, abbas quidam monasterii, quod vocatur Bunna, pergens ad Willebertum Coloniensem praesulem, coepit hanc infamare devotionem, nec revera sancti alicujus pignora illuc astruens esse delata. Timentes autem canonici qui advenerant, ne forte constringerentur et discuterentur ab episcopo, quoniam totum ipsius sancti corpus secum haberi ferebant, mox ut haec audissent, sub duobus diebus ad suum per leucas fere centum rediere monasterium; assumentesque cum integritate beati viri membra, sub totidem diebus ad praenotatam remeant villam. Cui dum propinquare coepissent, eis adhuc ab ipsa villa spatio leucae fere distantibus, ecclesiae signa, nullo impellente, resonare coepere. At hi qui remanserant in eodem loco clerici hoc audientes, et patronum suum advenire intelligentes, obviam cum crucibus pergunt, et honore digno tutorem suum suscipiunt. Quibus missarum solemnia celebrantibus, tria inibi repente mira contigerunt. Contractus unus erectus, caecus quidam illuminatus, et loquelam mutus adeptus est. Iterum praefatus abbas blasphemare Dei non cessabat miracula, quos poterat a visitatione sancti avertens.

Quae dum gereret, febre correptus ita graviter est vexatus, ut nec manducare, nec bibere, vel incedere posset. Ardoribus autem languoris hujusce coactus, tandem peccatum suum recognovit, et sella se gestatoria, usque ad Rhenum, indeque navigio usque ad praedictam villam, sicque ante corporis almi praesentiam perferri fecit; ibique culpam suam confessus, absolvi se petiit, et quantitatem cerae sui corporis ponderi coaequans dedit; factisque votis annuatim solvendis, per sex remoratus dies, sanitatem integerrimam recipere meruit, et sic pedibus suis ad sua sanus recessit. Demorantibus hic praefatis per anni spatium cum patrono suo clericis, nulla ut ferunt dies praeteriit, quo non ibidem Dei miracula patrarentur. In ipsis autem vigiliis sancti Joannis Baptistae, confluentibus de Saxonia pluribus, et a longinquis etiam regionibus, decem et octo insignia probantur ostensa; vixque aliquis aeger accessit, qui non sospes alacerque recesserit. Ubi tanta rerum delata est copia, ut et ipsi clerici exinde viverent, et caeteros qui remanserant in monasterio sustentarent, ecclesiamque ipsius villae amplificarent, vel decorarent.

Postea contigit ut propter aquae indigentiam, foras extra monasterium suum, idem sacrum corpus efferretur, et obviam sancti Jovini pignoribus portaretur. Cujus dum fuisset in occursum perlatum, mox ut simul venerunt, obnubilato coelo cum magna siccitas existeret, copiosa pluviarum vis effusa est; et dum humectarentur imbre omnium vestimenta, pallia duntaxat, quae supra sanctorum praefatorum ferebantur corpora, penitus intacta manserunt a pluvia. Ibi quidam luscus lumen amissi recipit oculi. Qui statim fugiens, nec Deum glorificans, ut erat jocularis, ingratus recessit; at ubi domum pervenit, lumen quod receperat iterum perdidit. Dum vero perventum est ad monasterium cum utriusque sancti corpore, ita sancti Balderici pignus est aggravatum, ut nullatenus moveri posset, donec sancti Jovini usque ad coenobium praecedere membra fecissent.

Cum autem domnus Dado Virdunensis episcopus hanc a rege impetrasset abbatiam, et haec mira coepisset audire, constituit ut omnibus annis trium monasteriorum sacra pignora simul in quemdam medium deferrentur locum nomine Gaudiacum. De sede scilicet urbis Vindunensis sanctus Vitonus, et sanctus Agericus, sanctus vero Baldericus de monasterio suo, et sanctus Rodvicus de Wasloio. In quo conventu innumera postmodum sunt patrata miracula, ut vix praeterierit hujusmodi coitio, in qua non aliquis infirmorum fuerit sospitate redintegratus: maxime tamen illi, qui patrocinia beati Balderici sunt expetere visi. Quodam tali conventu quidam locutus est mutus, quem Virdunensis arripientes secum ducere coeperunt, asserentes quod sanctorum virtus, quos detulerant, hoc miraculum perpetrasset. Sicque dum separati quique referrentur ad sua, tanto sancti Balderici pondere aggravata sunt ossa, ut penitus manere viderentur immobilia. Ad quem miraculi stuporem recurrentibus multis, dum quaeruntur sui, cur inibi vellet immorari, et quid ibidem disponeret operari, accidit ut requireretur ille qui locutus fuerat mutus. Tandemque revocatus, ubi ad locum defixi perductus est pignoris, mox absque difficultate sublatum, et ad suum sacrum corpus gratanter est coenobium reportatum.

Praefatus praesul Dado, postquam hanc sancti Balderici obtinuit abbatiam, res quasdam trans Rhenum sitas ab Adelardo abbate ad idem dudum monasterium datas, pro villa Gerlani monte, super Mosellam conjacente, mutavit. Ad quam villam, dum sanciendi sibi causa, proficisci fratres hujus congregationis praecepisset, illi assumentes secum patroni sui, domni videlicet Balderici membra, profecti sunt exsequi jussa. Qui dum ad villam, quae Deva dicitur, pervenissent, tanto pondere sancta defixa sunt pignora, ut progredi nequaquam valerent ulterius ea ferentes, initoque consilio, ut ad ecclesiam deferrentur ipsius villae, sub honore sancti Martini dicatam, perferendi recipiunt possibilitatem. Quo perlatis pignoribus, ut post orationem ab ecclesia est perlatum, iterum sancti aggravatur corpusculum; mirantibusque cunctis, et quod aliqua inibi Deus pro sancti sui glorificatione signa vellet ostendere quibusdam ferentibus, si qui adessent forte debiles, est requisitum. Advenientibus autem laesis aliquibus, atque delatis quibusdam, vir quidam claudus erigitur, et femina quaedam brachiis ab octo retro annis contracta resolvitur, duaeque feminae caecae sunt illuminatae, et infans annorum septem mutus loqui coepit. In quo loco crux ab ipsius villae hominibus posita est, ubi postea duae feminae lumen oculorum receperunt, et candelae divinitus accensae, multique diversis sunt ab infirmitatibus liberati.

CHAPITRE XLI.

Du village de Wallich.

UN jour les chanoines de ce lieu vénérable, pressés par la famine, prirent une portion des reliques de leur saint patron, et s'en allèrent au village de Wallich sur le Rhin, qui leur était venu par donation d'Adalard, un des abbés de leur couvent. Comme les habitants du pays, pleins de vénération pour les saintes reliques, commençaient à apporter leurs dons, l'abbé d'un monastère voisin nommé Bonn, alla trouver Willebert, évêque de Cologne, et se mit à décrier cette dévotion, disant que ce n'étaient pas véritablement les reliques d'un saint; or les chanoines craignant d'être arrêtés et punis par l'évêque, parce qu'ils disaient avoir avec eux le corps du saint tout entier, n'eurent pas plus tôt appris ces nouvelles, qu'ils s'en allèrent en leur monastère, faisant en deux jours presque cent lieues de chemin puis, prenant le corps entier de leur patron, ils revinrent au village de Wallich en aussi peu de temps; comme ils approchaient, n'étant plus qu'à une lieue à peu près, les cloches de l'église se mirent à sonner d'elles-mêmes sans que personne y touchât les clercs qui étaient restés, connaissant par ce signal que leur patron arrivait, sortirent au devant avec les croix, et reçurent leur saint protecteur avec les honneurs qui lui étaient dus; tandis qu'ils célébraient la messe, il éclata trois miracles à la fois un paralytique recouvra l'usage de ses membres, un aveugle la lumière, et un muet la parole. Cependant l'abbé de Bonn ne cessait de blasphémer les miracles de Dieu, et de détourner ceux qu'il pouvait d'aller visiter le saint;

mais, en punition, il fut tout à coup pris de la fièvre, et si violemment qu'il ne pouvait ni manger, ni boire, ni marcher; dévoré de souffrances, il reconnut enfin son péché, et se fit porter dans une chaise à bras jusqu'au Rhin, et delà en bateau à Wallich devant le corps saint. Là ayant confessé sa faute, il demanda d'être absous, et donna en offrande une quantité de cire égale au poids de son corps. Après être resté six jours en prières, et avoir fait vœu de revenir chaque année en pèlerinage, il recouvra pleinement la santé, et s'en retourna de son pied. Les chanoines demeurèrent en ce lieu pendant un an, durant lequel il ne se passa pas, dit-on, un jour où l'on ne vît quelque miracle. La veille de la fête de Saint-Jean-Baptiste, beaucoup de monde étant accouru de Saxe et de plusieurs contrées lointaines, il s'opéra dix-huit miracles insignes; si bien qu'il n'y eut guère de malades qui s'en retournassent sans obtenir guérison; et les offrandes furent si abondantes que non seulement les clercs en vécurent eux-mêmes, mais encore fournirent aux besoins de ceux qui étaient restés au monastère, et agrandirent et ornèrent l'église de Wallich.

Il advint que depuis, dans une grande sécheresse, le corps de saint Baudri fut tiré de son monastère, et porté en procession au devant des reliques de saint Jovin, pour obtenir de la pluie; en effet les deux processions ne se furent pas plus tôt rencontrées, et les deux saints ne furent pas plus tôt réunis, que le ciel se chargea de nuages malgré la sécheresse, et que la pluie tomba en abondance et tandis que les vêtements de tous les assistants étaient trempés, les poêles et les tapis qui couvraient les chasses ne reçurent pas une goutte d'eau. En ce lieu, un borgne recouvra l'œil qu'il avait perdu, et se levant aussitôt transporté de joie, et tout ingrat, il s'en retourna sans glorifier Dieu. Mais à peine fut-il arrivé en sa maison, qu'il perdit une seconde fois l'œil qu'il avait recouvré. Enfin, quand on fut arrivé au monastère avec les deux corps saints, celui de saint Baudri devint tout-à-coup si pesant qu'il ne fut plus possible de le mouvoir excepté lorsqu'on eut fait passer devant et entrer le premier le corps de saint Jovin.

Quand le seigneur Dadon, évêque de Verdun, obtint cette abbaye de la munificence du roi, et qu'il apprit tous ces miracles, il établit que chaque année les reliques de trois monastères seraient portées processionnellement en un lieu appelé Gaudiacum, situé à pareille distance de tous trois; savoir, du siège de Verdun, saint Victor et saint Ageric; saint Baudri, de son monastère; et saint Roduique, de Wasler; depuis, cette procession a été signalée par d'innombrables miracles, et jamais la réunion n'a eu lieu sans que quelque infirme ait recouvré la santé, mais surtout ceux qui avaient recours aux mérites de saint Baudri. Dans une de ces réunions, un muet recouvra la parole et ceux de Verdun l'emmenèrent avec eux, proclamant que c'était la vertu de leurs saints qui avait opéré le miracle. Mais au moment où l'on se séparait pour s'en retourner chacun chez soi, la châsse de saint Baudri devint si pesante qu'on fut obligé de la laisser en place, sans qu'il y eût moyen de la remuer. Beaucoup étant revenus pour voir cette immobilité miraculeuse tandis que ceux de Saint Baudri se plaignent et se demandent pourquoi leur patron veut rester en ce lieu et ce qu'il y voulait faire quelqu'un s'avisa de faire venir le muet qui venait d'être guéri on le rappela et à peine eut-il été conduit devant la châsse immobile, qu'aussitôt on la leva sans difficulté, et le corps saint fut reporté au monastère au milieu des actions de grâces.

Lorsque Dadon obtint cette abbaye de Saint-Baudri il échangea quelques biens situés outre Rhin qui avaient été donnés à ce monastère par l'abbé Adalard, contre le village de Mont-Gerlain, sur la Moselle. Ayant donc donné l'ordre aux frères de l'abbaye de se rendre en ce village pour en prendre possession ceux-ci se mirent en devoir d'obéir, et partirent avec les reliques de leur saint patron. Mais arrivés au village, le corps devint tout-à-coup si pesant qu'il ne fut plus possible d'avancer lors les moines tenant conseil, avisèrent de le porter à l'église de ce village consacrée à saint Martin, et aussitôt il fut aisé de l'enlever. Quand leur prière fut finie en cette église, et qu'ils voulurent charger la relique pour partir, ils la trouvèrent de nouveau appesantie. Frappés d'admiration, et pressentant que Dieu voulait opérer quelques miracles en ce lieu pour la glorification de son saint, les moines alors demandèrent s'il y avait là quelqu'un de malade. Alors les uns venant, les autres se faisant apporter, la vertu du saint corps opéra; un boiteux fut redressé; une femme qui avait les bras paralysés depuis huit ans, en recouvra l'usage; deux autres femmes aveugles reçurent la vue; et un enfant de sept ans, muet de naissance, commença à parler. En reconnaissance de ces miracles les habitants firent élever en ce lieu une croix, où depuis deux femmes recouvrèrent la vue, où des cierges furent allumés miraculeusement, et où enfin grand nombre de malades affligés de diverses infirmités trouvèrent guérison.


 

CAPUT XLII.

De ecclesia sancti Romani, et miraculis in Gallani monte.

Ecclesiam sancti Romani, in praefata villa Gellani monte constructam, dudum Milo praepositus canonicorum hujus loci ab eis auferebat: quam dum Bosone comite sibi eam reddente recepissent, et sancti Balderici membra illuc retulissent, audientes multi ad ipsius coeperunt confluere patrocinia. Inter quos duae caecae nobiles feminae deductae sunt, et quaedam perlata paupercula omnibus fere membris contracta. Nocte vero vigiliarum sancti Romani, dum de more pervigiles in ecclesia celebrarentur excubiae. subito tantum coelitus est lumen effusum ut omnia quae fuerant accensa videretur luminaria superare. Altare tantum, supra quod sancti erant ossa deposita, densa tegi videbatur nebula, ipsumque sacri pignoris quasi moveri cernebatur gestamen. Cum repente una caecarum primum, moxque altera sese videre proclamant. Tum media jacens contracta, ubi coepit clamare, auxiliumque Dei, et sancti Balderici deprecari, paulatim resolvitur, primum brachiis, et inde poplitibus, donec erecta stetit in pedibus. Quae postmodum sana effecta, clericorum stipe huc usque sustentatur.

Igitur dum praefato morarentur in loco clerici cum pignore sacro, contigit quadam vespera cum simul residerent, ut cujusdam Milonis amici homo, ebrietate atque furore succensus, coepisset ad eos dicere, quid ibi facerent, et quare in villam Milonis ingressi fuissent? Quibus respondentibus quod sancti Balderici non Milonis eaedem res essent; illoque contradicente quod non Balderici sed Milonis haberentur, comminantibus eum clericis recessit, et in eminentem villae contiguam rupem conscendens sese in praeceps dedit, sicque attritus jacuit, ut mortuus vel morti videretur proximus, indeque sublatus ante sancti corporis praesentiam est deportatus, ibique tandem se culpabilem reddens, insperate sanatus, et integrae in brevi restitutus est sospitati.

Item dum nuper ad praememoratam villam Wasliciam hujus sancti membra relata fuissent, quoniam Godefridus principis Henrici comes palatii eamdem pervaserat villam, quidam clericorum sancti Balderici ad eumdem Godefridum pro hac causa perrexerunt; et cum nullam dignam potuissent apud eum percipere responsionem, nec magis se pro eis inde quam pro suo cane facturum respondisset, clericus quidam ex his intentando subjecit, quod calidum proinde sudorem sudaturus esset, nec canis suus adjuturus eum foret. Ille furibundus ad haec eos a suo praecipit ejici conspectu. Quibus recedentibus ipse mox divina plectitur ultione, validaque correptus febre coepit gravissime vexari, nimiisque succendi ardoribus atque ferventissimis effluere sudoribus. Mittens igitur ad episcopum Coloniensem Wicfridum, hunc ad se venire petiit, eique rem retulit atque id ab eo consilii percepit, ut ad praefatos clericos mitteret, eosque ad se venire faciens, et errata corrigens, ab eis de sua infirmitate concilium et pariter auxilium quaereret. Quod ille obaudiens, et ad eos mittens, ad se venire mandavit. At missus ejus typho ceu videbatur inflatus superbiae, coepit, ut ad suum dominum mox clerici pergerent, imperitando praecipere. Quibus renuentibus, sed eum charitatem secum facere rogantibus, ille contempsit, eoque recedente, in ipso egressu equus ejus incitatus ab ipso prosiliens ruit, et collo fracto interiit. Sic ille humiliatus ad fratres rediit, charitatem quam spreverat egit, et ita correctus recessit. Hinc iterum, tertioque vocati atque petiti, hujus tandem viri compertis incommodis, ad eum tum demum veniunt, patientis compatiuntur cruciatibus, et confitentem peccatum suum, emendationemque promittentem precibus suis absolvere student. At ille statim se melius habero professus, ubi recessere fratres, convaluit, res quas invaserat reddidit, ac deinceps ab earum se laesione continuit. Verum tanta domus ejus affecta clade fuisse perhibetur, ut vix aliqui remanserint qui eisdem rebus usi fuerant; ipsi etiam equi et canes interierint, et ipse pervasor, perditis cum cute capillis, et ungulis, vix evaserit.

CHAPITRE XLII.

De l'église de Saint-Romain et des miracles opérés à Mont-Gerlain.

L'église de Saint-Romain, bâtie au village de Mont-Gerlain, avait depuis longtemps été enlevée aux moines de Saint Baudri par Milon, supérieur des chanoines du lieu; mais le comte Boson la leur ayant fait rendre, ils y portèrent le corps de leur saint patron et aussitôt que la nouvelle en fut répandue, on vint en foule se recommander à ses mérites. Parmi les fidèles qui se confiaient en lui, se trouvèrent deux femmes nobles, aveugles, et une pauvre femme paralysée de presque tous ses membres. La nuit des vigiles de saint Romain, comme on veillait en l'église, selon la coutume, tout-à-coup il se répandit miraculeusement une lumière si éclatante qu'elle fit pâlir tous les luminaires qui éclairaient l'église seulement l'autel sur lequel était déposé le corps était couvert d'un épais nuage, et la châsse qui contenait les saintes reliques semblait aller et venir dans la nuée. Tout-à-coup, une des femmes aveugles d'abord, et l'autre ensuite, s'écrient qu'elles voient; et la femme paralytique, qui était étendue à terre, ne se fut pas plus tôt mise à invoquer le secours de Dieu et de saint Baudri, que peu à peu elle sentit ses membres se détendre, ensuite ses jambes, et enfin se leva toute droite sur ses pieds. Depuis sa guérison, jusqu'à ce jour, ou elle vit encore, elle est nourrie des aumônes des clercs.

Pendant que les clercs demeuraient en ce lieu avec leur pasteur, un soir qu'ils étaient assis ensemble a causer, il arriva qu'un homme de l'un des amis de Milon pris de vin et animé de colère se mit à leur demander ce qu'ils faisaient là, et pourquoi ils étaient venus dans le village de Milon. Ceux-ci lui répondirent que ce lieu appartenait à Saint-Baudri et non à Milon; lui au contraire soutenait que c'était à Milon A la fin, les clercs l'ayant menacé, il se retira; mais en gravissant un rocher fort élevé, voisin du village il se jeta du haut en bas, et fut si froissé de sa chute qu'on le crut mort, ou au moins presque mort. On le porta devant le corps de saint Baudri, où, ayant reconnu et confessé son péché, il fut subitement et inespérément guéri.

Il n'y a pas longtemps, quand les reliques de saint Baudri eurent été apportées au village de Wallich, dont nous avons parlé plus haut, comme Godefroi comte du palais du prince Henri s'était emparé de ce village, quelques clercs de Saint-Baudri le vinrent trouver pour réclamer leur bien mais ils n'en purent tirer aucune réponse convenable, sinon qu'il ne ferait pas plus pour eux que pour son chien. Lors un des clercs lui répondit qu'il suerait une sueur chaude, et que son chien ne lui serait d'aucun secours. Furieux, le comte ordonna qu'on les chassât de sa présence mais à peine se furent-ils retirés, qu'aussitôt il fut frappé de la main de Dieu saisi d'une fièvre si violente et consumé de si vives ardeurs qu'il était baigné d'une sueur brûlante. En cette extrémité, il envoya quérir Wicfrid évêque de Cologne, et lui raconta son malheur. Celui-ci lui donna conseil d'envoyer vers les moines de Saint-Baudri pour les prier de venir le visiter, ensuite de reconnaître sa faute et leur demander conseil et secours. Godefroi suivit son conseil, et envoya; mais son messager, apparemment enivré des fumées de l'orgueil, leur ordonna d'un ton impérieux de venir sans retard visiter son maître. Ceux-ci le refusèrent, et seulement le prièrent de leur faire la charité, ce dont il ne tint compte; et comme au sortir du monastère il piquait son cheval sa bêle tomba et se rompit le cou. Humilié et repentant, il revint auprès des moines, leur fit la charité qu'il avait refusée avec mépris, et s'en retourna ainsi corrigé. Après une seconde, une troisième invitation, apprenant enfin les maux que souffrait le comte, les clercs se décidèrent à l'aller visiter, et en eurent compassion, de manière que le voyant confesser sa faute et promettre amendement ils se mirent en devoir de lui obtenir délivrance par leurs prières. A l'instant il dit qu'il se sentait mieux et à peine furent-ils sortis qu'il se trouva guéri, rendit ce qu'il avait usurpé et désormais s'abstint de faire aucun dommage à ces biens. Cependant on dit qu'une telle affliction se répandit sur sa famille, qu’à peine quelques-uns restèrent de ceux qui avaient pris part à son usurpation. Les chevaux même et les chiens périrent et lui-même, perdant les cheveux, la peau et les ongles, échappa à peine à la mort.


 

CAPUT XLIII.

De miraculo in Rheno flumine patrato.

Tunc ob infestationem Hungarorum, quae primitus eo tempore in hoc emerserat regnum, concilio inito canonici sancti Balderici Rhenum cum domino suo transmeant. Inde quadam vespera remeantes, in fluminis medio navem jactis defigunt anchoris. Relictisque paucis in navi cum sacro pignore custodibus, ipsi ad praedictam scapnam properant suae possessionis villam. Tres vero quidam latrones, comperto quod pauci resedissent in navi custodes, ibique thesauros, vel ornamenta sancti remansisse rati, conscensa tendunt illo cymba. Sed, antequam pertingerent ad ipsam quam petebant navem, caecati divinitus, perditoque sensu remigare non valentes, impetu fluminis ferri coeperunt. Sicque navicula eorum navi, quae sancti corpus servabat, impacta contritaque, mediis eos in fluctibus dereliquit. Quorum duobus fluvio mox absorptis, tertius, qui etiam famulus erat sancti Balderici, jacta manu navem sancti arripuit, et taliter evadens mortem, clericorumque perductus in praesentiam, nihil eorum quae passus fuerat edicere valuit, donec in crastinum refocillatus, sensuque recepto tandem quae gesta fuerant enarravit. Postquam vero a praefato loco hujus beati viri ad suum monasterium sunt ossa relata, multa inibi feruntur ostensa miracula, quae prae multitudine non habentur scripta. Illuc nuper quidam pauper candelam deferens in circulo devolutam, paulo ante horam vespertinam supra loculum sacrorum hanc posuit ossium. Qui dum data oratione recederet, subito candala, supero accensa igne, coepit ardere. Quae donec custos ecclesiae ad vespertinalia pulsanda venit signa, pallio, cui superjecta jacebat, illaeso, deflagravit, nec ullam pallio laesionem, cui adhaerebat, aggessit. Multa praeterea sanitatum, clarificationumque ibidem creberrime ad declaranda sancti sui merita Dominus ostendere dignatur miracula, ad honorem scilicet ac laudem nominis sui, quod est benedictum in saecula.

CHAPITRE XLIII.

D'un miracle advenu sur le Rhin.

Lors de la première incursion des Hongrois en ce royaume, les chanoines de Saint-Baudri passèrent de l'autre côté du Rhin avec leur patron. Un soir qu'ils repassaient le fleuve pour revenir ils laissèrent leur navire à l'ancre au milieu avec quelques hommes seulement pour le garder, ainsi que les reliques; et montant sur une légère barque, ils se rendirent à leur village de Wallich. Pendant ce temps là, trois voleurs apprenant qu'il n'était resté que peu de monde sur le navire et croyant que les trésors et ornements du saint y étaient, montent une barque et cinglent vers le bâtiment; mais, avant de pouvoir y atteindre, ils furent tout-à-coup miraculeusement aveuglés; alors ne pouvant plus ramer, frappés de vertige, ils sont emportés par le courant leur petit bateau vient donner avec violence contre le navire qui portait les saintes reliques se brise, et les laisse au milieu des flots. Deux furent engloutis sur-le-champ le troisième, qui était un serf de Saint-Baudri, parvint à saisir le navire et à s'y attacher, et échappa ainsi à la mort. Conduit devant les clercs, il ne put rien leur dire du malheur qui venait de leur arriver et ce ne fut que le lendemain que, revenu de sa frayeur et maître de ses sens, il put raconter tout ce qui s'était passé. Enfin depuis que le corps de ce bienheureux saint a été reporté de Wallich en son monastère, d'éclatants miracles s'y opèrent tous les jours, et en si grand nombre qu'ils n'ont pas été conservés par écrit. Il n'y a pas longtemps qu'un pauvre homme ayant porté en offrande un cierge roulé en cercle, en forme de bougie, le déposa, un peu avant l'heure de vêpres, sur la chasse du saint, et s'en alla après avoir fait sa prière. Aussitôt sa bougie s'alluma d'elle-même, se prit à brûler, et continua ainsi jusqu'à ce que le gardien de l'église vînt pour sonner les vêpres, et sans que le poêle qui couvrait la châsse, et sur lequel elle était posée, eût souffert le moindre dommage. Chaque jour le Seigneur se plaît à y opérer des guérisons et à faire éclater par mille signes éclatants les mérites de son saint, pour l'honneur et la gloire de son nom, qui est béni dans tous les siècles.

CAPUT XLIV.

De miraculis in monasterio sanctorum Bovae ac Dodae factis.

In praememorato denique puellarum monasterio, in quo praefatarum sanctarum Bovae, ac Dodae translata praefati sumus corpora, nonnulla postmodum patrata probantur miracula. Ubi frigoritici atque diversis aegritudinibus occupati venientes, optata merentur sospitate donari maxime in die solemnitatis earumdem. In qua quaedam nuper puella, auditu frustrata, vi invalitudinis sensus hujus obturatis meatibus, interventu earumdem sanctarum Christi sponsarum, perdita dudum munia recipere meruit aurium.

CHAPITRE XLIV.

Des miracles opérés au monastère de Sainte-Bove et Sainte-Dode.

QUELQUES miracles ont été aussi opérés au monastère de filles dont nous avons parlé, et où ont été déposés les corps de sainte Bove et sainte Dode. Des fiévreux et d'autres affligés de diverses maladies y viennent en pèlerinage et obtiennent guérison, surtout le jour de la fête des deux saintes. Tout récemment en ce saint jour, une jeune fille, depuis longtemps privée de l'ouïe, par une infirmité qui avait embarrassé les passages de ce sens, en a merveilleusement recouvré l'usage par l'intercession de ces saintes épouses de Jésus-Christ.


 

CAPUT XLV

De visione cujusdam puellae.

Habetur in hoc monasterio quaedam sanctimonialis virgo, neptis quondam Guntmari religiosi presbyteri, nomine Ricuidis, cui apparuerunt olim per visum beatus Petrus apostolus et beatus Remigius, significantes ei, quod iter Romae eidem, dum reverterentur ad ipsam, praecepturi essent; asserueruntque se medio mense Septembri, scilicet Exaltationis sanctae Crucis die, reversuros Qua exspectatione suspensa nihil inde alicui, prohibita scilicet ab eis, ausa est intimare. Die vero qua praedixerant redituros, iterum apparuerunt ei, jubentes ut accersiret fratrem suum Fredericum presbyterum, et exhortaretur eum sequi, prout magis potuisset, vestigia praemissi sacerdotis Guntmari, et ex ipsorum jussione praedictum iter injungeret illi secum exsequi, tali videlicet tenore, ut ab ea die nec ille, nec ipsa carnem comederent, aut vinum biberent, donec iter ipsum arriperent, nisi tantum vini, quantum emi potuisset ex pretio, quod super altare quoddam ab ipsis ei designatum repertura esset, ipsa duntaxat perciperet. Ut ergo inde magis crederetur, quasdam sorores, tres videlicet sanctimoniales hujus monasterii, ad id inquirendum sibi testes ascisceret, denominatis scilicet personis, quas advocare debuisset. Sanctus autem Remigius hoc insuper addidit, ut diceret illa fratri suo quatenus esset memor, quod illi quondam apparuerat, et ei locutus fuerat. Addens etiam pro signo recognitionis, quod eum in palma de cultello visus fuerat percussisse. At illa mox ad praefatum fratrem suum mittens, mandavit ei ut ad se festinanter veniret. Qui veniens sororem suam hora jam vespertina jejunam adhuc, et de visione valde stupefactam invenit. Quae advocans denominatas sibi sanctimoniales, pariter ante denotatum altare septem psalmos poenitentiales decantaverunt, additis insuper litaniarum precibus, accesserunt ad altare, et exuentes operimentis, repererunt in cornu ejusdem altaris obolum parvum, quem assumentes cum gratiarum actione dederunt pro vino, quod tantummodo haec sanctimonialis bibit, non deinceps amplius vinum sumptura, donec iter injunctum tam ipsa, quam praedictus frater suus, inirent. Quod fideliter et fiducialiter arripientes, prospere, Deo juvante, et S. Petro et sancto Remigio suffragantibus, ut ipsis promiserant, peregerunt. Ac deinceps a carnibus illa (praeter Dominicam) abstinet, ac tribus diebus in hebdomada, usque dum signum sonet ad secundam, nihil operis agit, orationibus et psalmodiae vacans; quod sibi usque ad septem annos commemorat adimplere praeceptum. Fratri vero suo praememorato hoc a supradictis sanctis per ipsam mandatum est, ut quatuor diebus in hebdomada a carnibus, omni vero sexta feria a vino semper dum advixerit, debeat abstinere. Quae et observare visi sunt.

CHAPITRE XLV.

De la vision qui apparut à une religieuse.

IL y a dans ce monastère une religieuse, nommée Ricwide, nièce de feu Gontmar, prêtre très religieux, à qui apparurent en vision le bienheureux apôtre saint Pierre et saint Rémi, lui annonçant qu'ils lui commanderaient de faire un voyage à nome quand ils reviendraient la visiter, et ils promirent de revenir à la mi-novembre, le jour de l'Exaltation de la sainte Croix. Quoique agitée d'attente, elle n'osa rien dire à personne, apparemment parce que les saints le lui avaient défendu. Le jour où ils avaient promis de revenir, ils lui apparurent en effet de nouveau, et lui ordonnèrent de faire venir son frère Frédéric, qui était prêtre, de l'exhorter à suivre les traces de son oncle Gontmar, et enfin de lui enjoindre en leur nom de faire avec elle le voyage de Rome, sans manger de viande, ni boire de vin l'un et l'autre, à partir de ce jour jusqu'à la fin de leur voyage; lui permettant toutefois à elle seule de boire ce qu'on pourrait acheter de vin avec l'argent qu'elle trouverait sur un autel qu'ils lui désignèrent: que pour être mieux crue, elle prit pour témoins trois des sœurs du monastère et ils lui indiquèrent par leurs noms celles qu'elle devait t. appeler. Saint Rémi lui recommanda encore de dire à son frère qu'il devait se souvenir qu'il lui était apparu un jour et lui avait parlé; ajoutant même, pour signe de reconnaissance, qu'il lui avait frappé la paume de la main avec un petit couteau. Celle-ci envoya aussitôt chercher son frère, et lui manda de venir en toute hâte; ce qu'il fit, et il la trouva à jeûn quoiqu'il fût l'heure de vêpres, et toute étonnée encore de sa vision. Lors elle fit appeler les trois sœurs qui lui avaient été désignées; et, après avoir chanté ensemble les sept psaumes de la pénitence, et ajouté en outre les litanies, elles s’approchèrent de l'autel, et, levant le tapis qui le couvrait, trouvèrent à l'un des coins une petite obole, la prirent avec actions de grâces, et la donnèrent pour un peu devin que but la religieuse, n'en devant désormais plus boire, jusqu'à ce que son frère et elle eussent accompli le voyage qui leur était commandé. S'acheminant donc avec confiance et piété, avec l'aide de Dieu, et l'appui de saint Pierre et de Saint-Rémi, qui le leur avaient ainsi promis, ils accomplirent heureusement leur voyage. Depuis ce temps, cette religieuse s'abstient de viande, hormis le dimanche, et trois jours par semaine elle ne fait rien jusqu'à ce que l'horloge sonne deux heures, si ce n'est de vaquer à la prière et psalmodier, ce qu'elle prétend lui avoir été prescrit d'observer pendant sept ans. Elle a aussi recommande à son frère, de la part des deux saints, de s'abstenir de viande quatre jours par semaine, et de ne jamais boire de vin, de toute sa vie, le jour du vendredi ce que l'un et l'autre observent fidèlement jusqu'à ce jour.


 

CAPUT XLVI.

De altero Remis puellarum monasterio.

Alterum denique puellare monasterium Remis habetur situm ad portam, quae olim Collaticia, scilicet a conferendis mercibus, nunc Basilicaris vocatur, eo quod circa se basilicis dudum, prae caeteris portis, abundasse feratur; seu quod euntibus ad basilicam, in vico sancti Remigii consistentes, pervia fuerit. Supra quam domno Rigoberto habitaculum fuisse commemoravimus. Quod monasterium domnus Guntbertus vir illustris in honore sancti Petri construxisse traditur, quod regale, vel fiscale vocatur, eo quod in regali potestate usque ad moderna tempora fuerit habitum. Quod monasterium Ludovicus imperator Alpheidi filiae suae, uxori Begonis comitis, dono dedit, eidemque sacro loco immunitatis praeceptum delegavit, ut et pater ipsius Karolus imperator egerat olim. Quod coenobium postea per precariam ipsius Alpheidis, vel filiorum ejus Letardi et Ebrardi, ad partem et possessionem Remensis devenit ecclesiae. Hic haberi asseritur dens sancti Andreae apostoli: cujus beneficia multi, qui eum osculari promerentur frequenter experiuntur infirmi.

Vidimus hic, in ecclesia scilicet hujus coenobii, cereum igne coelesti ter quoque accensum; quem cereum collata cera fecerant quidam cives Remenses, qui ad visitanda nuper Apostolorum limina profecti fuerant. Vidimus in hoc quoque monasterio puellam quamdam sudasse sanguinem, quae tunc hebdomada plena jacuit immota, quasi mortua, et visiones ei sunt ostensae nonnullae.

CHAPITRE XLVI.

De l'autre monastère de fille en la ville de Reims.

Il y a à Reims un autre monastère de filles, situé près de la porte appelée autrefois Collatitia, sans doute à cause des marchandises que l'on apportait par là en ville, et maintenant Porte Basilicaire ou Baseille, parce qu'elle passe pour avoir eu autrefois dans ses environs plus de basiliques que toutes les autres portes, ou parce qu'elle mène aux basiliques qui sont dans le bourg de Saint-Rémi. C'est au dessus de cette porte que nous avons rapporte qu'était bâtie la cellule de saint Rigobert. Le seigneur Guntbert, homme illustre et pieux, est, dit-on, le fondateur de ce monastère, bâti en l'honneur de saint Pierre, et appelé Royal ou Fiscal, parce qu'il a toujours appartenu aux rois jusque de nos jours. L'empereur Louis le donna à sa fille Alpaïde, femme du comte Bégon, et accorda à ce saint lieu une charte d'immunités, comme l'avait fait autrefois l'empereur Charles son père. Il vint ensuite en la possession de l'église de Reims, par donation d'Alpaïde, laquelle toutefois s'en réserva la jouissance à elle et à ses fils leur vie durant. On dit qu'on y conserve une dent de l'apôtre saint André, dont les malades, qui obtiennent de la baiser, éprouvent souvent la vertu.

Nous avons vu, dans l'église de ce couvent, un cierge allumé trois fois par le feu du ciel et ce cierge avait été fait de la cire que trois citoyens de Reims avaient donnée en offrande en partant pour aller à Rome visiter le temple des Saints Apôtres. Nous avons vu aussi dans ce monastère une religieuse qui suait du sang demeura immobile et comme morte pendant une semaine entière, et eut plusieurs visions.

CAPUT XLVII.

De domno Guntberto, et ipsius uxore Berta.

Praemissus itaque domnus Guntbertus hujus instructor coenobii, relicta conjuge, maritima petens loca, ille etiam monasterium quoddam condidisse fertur. Ubi et a barbaris decollatus fuisse traditur. Relicta vero ipsius domna Berta coenobium puellare apud Avennacum, Domino sibi locum per angelum demonstrante, construxit. Et dum inibi aquam non haberet, impetravit a possessoribus proximae silvae, argenti libra data, fontem quemdam, duobus fere millibus a suo monasterio distantem. Ex quo fonte mox rivus egressus, secutus est eam ad coenobium remeantem. Qui adhuc largiter affluens, pro eo quod tantumdem fuerit emptus, Libra vocitatur. Privigni denique ipsius domnae Bertae, insurgentes contra eam, interemerunt illam. Qui statim traditi Satanae in interitum carnis, ab humano sensu in beluinam feritatem mutati, decessisse feruntur. Nepti vero domni Guntberti, nomine Montiae, quae sceleris hujus consentanea fuerat, noctu vigilanti domna Berta fertur apparuisse, eique praecepisse, ut corpus domni Guntberti ad hunc locum referre satageret, ac juxta suum funus collocaret; sicque illi peccatum consciae necis suae Dominus indulgeret. Quae signum petens, quo sibi dimissum id esse sciret, audivit quod mox ut jussa complesset, ex ejus ore vel naribus erumperet sanguis. Quod et impletum est, dum corpus domni Guntberti juxta pignus Bertae reconditur. Hujus domnae Bertae corpus post centum circiter annos inventum est integrum, et plagae ipsius ita tunc recenti affluxere sanguine, ac si eadem hora viventi fuissent ingestae. Ad horum denique sanctorum honorem et meritum demonstrandum, multa postmodum Dominus dignatus est operari miracula, quae causa negligentiae non habentur ascripta. De quibuslibet autem tribulationibus ipsorum congregatio Domini misericordiam, per eorum intercessionem expetiit, misericorditer impensam sibi consolationem percipere meruit. Quaedam praeterea mulier ab altera hujus monasterii linteum nuper furata secum ferre voluit, sed egredi ecclesiam nullo modo potuit, donec suum confessa reatum, sublatum restituit altari velum. Hoc monasterium, vel abbatiam domnus Fulco praesul ab Odone rege concedi ecclesiae Remensi per paginam praeceptionis ipsius regis obtinuit, et pro confirmando eo huic ecclesiae, a Formoso papa privilegium apostolicae sedis impetravit.

CHAPITRE XLVII.

Du seigneur Guntbert et de sa femme Berthe.

LE seigneur Guntbert dont nous venons de parler, et fondateur de ce monastère, quitta sa femme, et s'en alla du côté de la mer, où il fit bâtir, dit-on, un autre monastère, et fut décollé par les barbares. De son côté, sa femme Berthe, qu'il avait laissée, bâtit un couvent de femmes auprès d'Avenay, en un lieu que le Seigneur lui fit indiquer par un ange. Comme il n'y avait point d'eau en cet endroit, elle obtint des seigneurs à qui appartenait la forêt voisine, de lui céder pour une livre d'argent une fontaine, distante de son monastère d'environ deux milles, de laquelle jaillit incontinent un ruisseau qui la suivit jusqu'en son monastère où elle retournait, qui depuis continue toujours de couler avec abondance, et s'appelle de Livre du prix donné pour.la fontaine. Les beaux-fils de dame Berthe se soulevèrent contre elle et la mirent à mort; mais à l'instant même, en punition de leur crime, ils furent livrés à Satan, et moururent forcenés et dépouillés de tout sentiment humain, en tout semblables à des bêtes. On raconte qu'une nièce du seigneur Guntbert, nommée Montie, et qui avait été complice du meurtre de Berthe, une nuit qu'elle veillait, vit apparaître sa tante, laquelle lui ordonna de rapporter en ce lieu le corps de Guntbert, et de le déposer auprès du sien; et qu'à ce prix le Seigneur lui remettrait le péché qu'elle avait commis en se rendant complice de sa mort. Celle-ci lui ayant demandé à quel signe elle reconnaîtrait que son pardon lui était accordé, Berthe lui répondit qu'aussitôt qu'elle aurait exécuté ses ordres le sang lui partirait du nez et delà bouche; ce qui arriva en effet au moment où l’on déposait le corps de Guntbert auprès de celui de Berthe. Environ cent ans après sa sépulture, le corps de Berthe fut retrouvé sain et entier, et il sortit de ses blessures un sang aussi frais que si elle venait de les recevoir à l'instant. Enfin, pour démontrer l'honneur et les mérites de ces saints personnages, le Seigneur a daigné depuis opérer en ce lieu de nombreux miracles, qui n'ont pas été conservés par écrit, par négligence. Mais toutes les fois que dans ses tribulations, leur congrégation a imploré la miséricorde de Dieu par leur intercession, elle en a toujours obtenu grâce et consolation. Il n'y a pas longtemps qu'une femme se permit de dérober la nappe d'autel de ce monastère, et voulut l'emporter; mais il lui fut impossible de sortir, quelque effort qu'elle fit, avant d'avoir confessé son péché, et fait restitution. L’évêque Foulques obtint du roi Eudes une charte qui concédait cette abbaye à l'église de Reims, et du pape Formose, confirmation de cette concession, et privilège du Saint-Siège apostolique.

CAPUT XLVIII.

De duabus ecclesiis sancti Hilarii Remis.

Sunt hic Remis ecclesiae duae in honore sancti Hilarii: una infra civitatem, in qua nuper quaedam puella contracta, et paralytica divina est erecta virtute; altera, quae est antiquior ecclesia, ante portam Martis sita, quam sanctus Rigobertus pontifex antecessoribus nostris clericis ad sepulturam ipsorum dedit. Quae dudum, scilicet ante discessionem, vel expulsionem domni Artaldi episcopi, crebris illustrabatur miraculis. Unde et tunc ab eo, civibus quoque suffragia ferentibus, tectis ac novis est reparata laquearibus. Nam quidam caecus, nomine Paulus, admonitus in somnis, ut ad eamdem pergeret ecclesiam, lumen ibi recepturus, advenit, et recuperato lumine, nec mora, videns abcessit. Quidam ex episcopi famulis cum ad ipsam pergeret ecclesiam, piscatorem cum piscibus ante fores ecclesiae obvium habuit; quos apprehendens velut empturus abstulit. At pauper ille piscator, ut inde sibi cum sancto Hilario conveniret, devotionum clamores lugubri mente in eum ingessit. At ille despiciens hujuscemodi voces, ecclesiam, quasi missam auditurus, intravit. Ubi dum staret, subito corruit, graviterque vexatus ejicitur. De qua vexatione non parvo tempore laboravit. In hujus ecclesiae coemeterio quidam Scotigena, Dei servus, olim sepultus. Sed cum jam a nostris et nomen, et memoria ipsius sepulturae videretur abolita, apertis sese coepit manifestare visibus. Nam dum quidam civium non de inferioribus, sed pauper rebus, olim nostris diebus obisset, amici ejus ad Hildegarium hujus ecclesiae presbyterum accedentes, petunt ab eo ut locum sibi sepulturae impertiret, ubi sarcophagum reperirent in quo corpus ipsius recondere possent, quia de rebus ipsius unde emerent non haberent. Qui dum eis petita concessisset, sepulturam servi Dei aperuerunt; sed ipsum ejus sarcophagum aperire nequiverunt. Quo audito, presbyter accessit, et coopertorium sarcophagi levare tentans, aliquantulum aperuit sepulcrum. Deo quo mox fragrantia tantae suavitatis emanavit, ut nunquam se delectabiliorem testatus sit hausisse odorem. Introspiciensque videt corpus integrum sacerdotalibus infulis redimitum, recomponensque sepulcri pallam, non ausus est hanc amplius violare sepulturam; permisit tamen ut idem corpus, depositis quibusdam, superponeretur tabulis. Ipsa nocte visus est ei avunculus suus presbyter in somnis, qui jam dudum decesserat, asserens quod valde offendisset Deum praeterita die, maxime si sepulcrum sancti violare praesumpsisset. Idem quoque beatus vir quidam sub ipsis diebus apparuit, et quia valde gravaretur prae pondere et indignitate superjecti sibi cadaveris intimavit, et ut indicaret presbytero jussit; quia nisi cito corpus id fetidum a sepultura sua repelleret, divina quantocius ultione plectendus esset. His presbyter admonitionibus pavefactus, cadaver quod sepulturae sancti superpositum fuerat, ejici fecit cum festinatione, et aperta alibi sepultura recondidit. Visus est idem sanctus Domini postea cuidam rustico, praecipiens ei ut iret ad episcopum Artoldum, et indicaret ei ex verbis ejus, ut corpus ipsius, quod extra jacebat, intra ecclesiam transferret. Quod idem rusticus intimare timens, neglexit mandatum. Nec longe post iterum apparens evigilanti, duriter increpavit illum, quare praeceptum neglexit, et corripiens alapa ejus percussit maxillam. Qui mox auditum amisit ipsius auris in qua percussus est parte, capitisque dolore per dimidium fere vexatus est annum. Deinde cuidam presbytero in eadem ecclesia, sub praemisso sacerdote servienti, apparens in visione quadam Dominica nocte, admonuit eum, ut episcopo indicaret, quatenus corpus ipsius in praedictam ecclesiam transferret; locum quoque ubi ponendum foret ostendere non omisit, intimans ei obitum, et causam obitus, vel adventus sui, significans se Scotigenam fuisse, Romamque orationis gratia cum sociis petendi itinere occupatum, a latronibus super Axonam fluvium fuisse peremptum, indeque corpus suum a sociis huc delatum, ibique sepultum; propalans etiam nomen suum, quod vocaretur Merolilanus, jubens ut id nomen, ne forte memoria delaberetur, ascribere curaret, inclinansque se partemque cretae, quae fortuitu jacebat, apprehendens dedit ei, praecipiens ut illud continuo adnotaret in arca quae lecto ipsius adhaerebat. Quam ille cretam visus est accepisse, nomenque descripsisse. In quo dum pro L littera, R scriberet, corrigere hoc eum monuit, et ita in crastinum hoc nomen ascriptum inventum est, ut testaretur idem presbyter, quod vigilando per diem tam bene scribere nequivisset. Quibus revelationibus monitus episcopus, ecclesiam quidem restaurari fecit, sed corpus sanctum non transtulit. Nec diu postea sic ei contigit, ut in eadem ecclesia coram Hugone principe se abdicaret episcopii gubernatione.

 

CHAPITRE XLVIII.

Des deux églises de Saint-Hilaire, à Reims.

Il y a à Reims deux églises consacrées à saint Hilaire l'une dans la ville même, où naguère une jeune fille paralytique a été miraculeusement guérie; l'autre plus ancienne, située devant la porte de Mars, qui fut donnée par le saint pontife Rigobert aux chanoines nos prédécesseurs pour leur sépulture. Autrefois, c'est-à-dire avant le départ et l'expulsion de l'évêque Artaud, il s'y opérait de nombreux miracles. C'est pourquoi il la fit réparer, et y fit faire un toit et un plafond neuf, les habitants de la ville y contribuant aussi. Un aveugle nommé Paul, averti en songe d'aller en cette église, et qu'il y recouvrerait la vue, s'y rendit; et à peine y fut-il entré qu'en effet il jouit de la lumière. Un des serviteurs de l'évêque s'en allant à l'église, rencontra un jour devant la porte un pêcheur avec des poissons, et feignant de les marchander, il les emporta. Alors le pauvre pêcheur, tout désolé, invoquant saint Hilaire à son secours, éclata en plaintes et en imprécations mais le larron méprisant ses cris entra dans l'église comme pour entendre la messe. Mais là, étant debout, il tomba tout-à-coup par terre, fut emporté hors de l'église très grièvement blessé, et demeura longtemps malade. On avait autrefois enterré, dans le cimetière de cette église, un Écossais, fidèle serviteur de Dieu mais comme la mémoire de son nom et de sa sépulture semblait être abolie parmi les nôtres, il commença à se révéler par des signes manifestes. Ainsi, de nos jours, un citoyen, non pas des derniers rangs du peuple, mais pauvre en biens, étant mort, ses amis altèrent trouver Hildegaire, curé de cette église, et le prièrent de leur donner un endroit où ils pussent trouver un tombeau pour déposer leur ami, parce qu'il n'avait pas laissé de quoi pourvoir à sa sépulture. Leur demande leur ayant été accordée, ils se mirent en devoir d'ouvrir la sépulture du serviteur de Dieu dont nous venons de parler: mais ils ne purent y parvenir. Averti de ce qui arrivait, le curé vint, et essayant de lever le dessus de la bière, il l'entrouvrit légèrement, et aussitôt il s'en exhala une odeur d'une suavité si parfaite qu'il affirma n'avoir jamais respiré de parfum si délectable. Regardant dedans, il aperçut un corps bien conservé et revêtu des habits sacerdotaux et remettant la couverture en place, il n'osa passer outre. Cependant il permit aux amis du mort de placer une planche sur le cercueil et d'y déposer le cadavre. Or ce curé avait un oncle prêtre, défunt depuis longtemps, lequel lui apparut la nuit suivante, et lui dit qu'il avait grièvement offensé Dieu ce jour-là; mais que le péché eût été bien plus grand, s'il eût été jusqu'à violer le tombeau du saint. — Item le saint serviteur de Dieu apparut lui-même, à peu près en ces jours-là, à une autre personne, lui dit qu'il était grandement incommodé par la pesanteur et la puanteur du cadavre qu’on avait placé sur son cercueil, et lui ordonna de faire savoir au curé que, s'il ne se hâtait d'enlever ce corps fétide de sa sépulture, il ne tarderait pas à être frappé de la vengeance divine. Effrayé de ces avertissements, le prêtre fit retirer en hâte le cadavre, et lui fit ouvrir une autre tombe où on l'enferma. — Item Plus tard ce saint du Seigneur apparut encore à un paysan, et lui enjoignit d'aller trouver l'archevêque Artaud, et de lui dire de sa part de faire transporter dans l'église son corps qui gisait en dehors. Le paysan, n'ayant pas osé l'apporter ses paroles, négligea l'ordre qu'il avait reçu. Mais quelque temps après le saint lui apparut de nouveau pendant qu'il veillait, le réprimanda sévèrement pour n'avoir pas exécuté ses ordres, et pour correction lui donna un soufflet sur la joue. Aussitôt celui-ci devint sourd du côté où il avait reçu le soufflet, et souffrit d'un violent mal de tête, presque pendant une demi-année. Enfin le saint apparut la nuit d'un dimanche à un prêtre qui servait dans la même église sous le curé dont nous avons déjà parlé, et l'avertit de dire à l'évêque de transporter son corps dans l'église, lui désignant avec soin le lieu où il voulait être placé, lui faisant connaître sa mort, la cause de sa mort, et celle de sa venue en ce pays. Il lui raconta qu'il était d'Ecosse, qu'allant à Rome pour prier avec ses compagnons, il avait été surpris en route par des brigands, et assassiné sur le bord de la rivière d'Aisne, que de là son corps avait été apporté en ce lieu par ses compagnons qui l'y avaient enseveli. Il ajouta qu'on le nommait Merolilan, et lui ordonna de prendre son nom par écrit de peur de l'oublier; puis se baissant, et prenant un morceau de craie qui se trouvait par hasarda terre, il le lui donna, et lui commanda d'écrire son nom sur le coffre qui était auprès de son lit; alors il sembla au vicaire qu'il prenait la craie et écrivait: et comme il mettait un L pour un R, le saint l'avertit de corriger cette faute, et le lendemain le nom fut trouvé réellement écrit, et de telle manière que le prêtre affirma qu'il n'aurait jamais su si bien faire de jour et tout éveillé. Averti de ces diverses révélations, l'évêque fit restaurer l'église, mais n'y transporta point le corps. Aussi lui arriva-t-il assez tôt après qu'en cette même église, il fut forcé de se démettre devant le prince Hugues du gouvernement de l'évêché.


 

CAPUT XLIX.

De ecclesiis in honore sancti Martini circumquaque per totum circiter episcopium constructis.

In honore quoque beati Martini multae circumquaque per totum circiter episcopium habentur ecclesiae, divinis miraculis illustratae, ad quae neminem credimus enarranda sufficere. In vico denique sancti Remigii constat ecclesia hujus beati confessoris, quae clericorum olim fertur habuisse congregationem, de qua tale apud nos refertur miraculum. Quidam vir illustris, cum duxisset uxorem, non longe post in expeditionem praecepto regis profectus, diuque moratus, postquam domum rediisset, significatum est illi quod uxor ejus adulterio fuisset corrupta. Quam vir uxorem diligens, tali examinatione probare voluit audita, ut supra sacra ecclesiarum quae in hac vico habentur uxor sibi juraret altaria quod hoc crimine esset innoxia, sicque immunis sibi postmodum foret a noxa. Quod illa non abnuens, prompta suscepit, facturaque fidem dictis, cum marito ad vicum pervenit, et dans super quarumdam ecclesiarum altaria jusjurandum, tandem pervenit ad hujus ecclesiae domum, accedens ad altare, dum falsa mente dejerat improba, repente utero disrupto ejus labuntur humo intranea, procidensque mortua ostendit quam vera essent quae de se marito fuerant intimata. Ille nutu Dei compunctus ad miraculum, vovisse traditur se ulterius mulierem non habiturum; familiamque uxori delegatam eidem addicens ecclesiae, hanc eis dedit legem, ut capitis censum ibidem dependerent, nullique praeter id obnoxii servitio forent. Quae familia hac sibi lege servata, ad duo millia, vel amplius excrevisse reperitur capita, ut olim, scilicet antequam vastaretur a barbaris, duodecim libras argenti partibus praestaret ecclesiae.

 

CHAPITRE XLIX.

Des églises bâties en l'honneur de saint Martin en divers lieux de l'évêché de Reims.

DANS une foule d'endroits de notre évêché de Reims il y a des églises consacrées à saint Martin et qui sont fameuses par tant de miracles que personne ne suffirait à les raconter. Il existe entre autres dans le bourg de Saint-Rémi une église de ce bienheureux confesseur, en laquelle fut, dit-on, autrefois une congrégation de clercs, et où advint le miracle qui suit. Un homme de grande naissance qui venait de se marier fut obligé de partir presque aussitôt après ses noces, pour le service du roi, et de s'en aller à la guerre, où il demeura longtemps. Quand il revint dans sa maison, il reçut avis que sa femme s'était laissée corrompre en adultère. Comme il aimait tendrement sa femme, il voulut éprouver la vérité du rapport qui lui avait été fait, et convint avec elle que, si elle lui jurait sur les saints autels de toutes les églises du bourg qu'elle était innocente de ce crime, à ce prix il la tiendrait pour justifiée de toute faute. Celle-ci accepta avec empressement, et s'en alla avec son mari dans plusieurs églises où elle fit son serment. Enfin elle arriva à Saint-Martin mais au moment où elle approchait de l'autel et se parjurait avec impudence, le ventre lui creva tout-à-coup, et ses entrailles s'échappant et se répandant à terre elle tomba morte, prouvant ainsi la vérité des rapports qui avaient été faits contre elle à son mari. On raconte que celui-ci touché de la grâce de Dieu à la vue du miracle, fit vœu de ne plus se remarier; et donnant à l'église de Saint-Martin tous les serfs et colons qui appartenaient à sa femme, il les soumit à payer le cens à l'église, mais les exempta de toute autre charge et service. Cette colonie ainsi réglée, et ayant maintenu son privilège, s'éleva jusqu'à deux mille têtes et plus, au point qu'avant d'avoir été ravagée par les barbares elle payait à l'église douze livres d'argent.


 

CAPUT L.

De miraculis sancti Martini Remis ostensis.

Aliis etiam nonnullis beati Patris hujus urbis nostra fertur insignita miraculis. Ex quibus ea quae sanctus Gregorius Turonensis in suis miraculorum libris enarrat hic indere placuit, ut si qui haec legentes, ea forte non legerint, hic reperire possint. Refert enim, quod transeunte se quondam per pagum Remensem, retulerit ei quidam Remensis, carcerem in quo famulus ipsius hominis inter reliquos vinctus tenebatur, beati Martini virtute patefactum, vinctosque ab ergastulo absolutos, liberos abscessisse. Erat enim hujusmodi carcer, ut super struem tignorum axes validi superpositi pulpitarentur; ac desuper qui eumdem opprimerent, insignes fuerant lapides collocati. Nihilominus et ostium carceris sera ferro munita, obducto, clave pessulo, obserabatur. Sed virtus antistitis, ut ipse relator asseruit, lapides pulpitaque disjecit, catenas confregit, trabem quae vinctorum coarctabat pedes aperuit, ac nec reserato ostio, homines per aera sublevatos foras, tecto patente, produxit, dicens: « Ego sum Martinus, miles Christi, absolutor vester, abscedite cum pace, et abite securi. Sed cum nos, inquit Gregorius, ad regem accedentes hujus virtutis miraculum diffamaremus, affirmavit rex quosdam ex his qui absoluti fuerant ad se venisse, atque compositionem fisco debitam, quam illi fredum vocant, et se fuisse reis indultam. » Refert etiam idem Gregorius se quondam hanc urbem petisse, et in sacrario hujus Remensis ecclesiae Sigonis aurem surdam referendarii Sigeberti regis, virtute beati Martini, cujus habebantur apud se pignora, dum colloqueretur secum, subito patefactam atque sanatam fuisse.

CHAPITRE L.

Des miracles de saint Martin qui furent vus en la ville de Reims.

Notre ville a été encore illustrée par beaucoup d'autres miracles de ce bienheureux père et confesseur; c'est pourquoi j'ai jugé à propos d'insérer ici ceux qui ont été rapportés par saint Grégoire de Tours en son livre des Miracles, afin que ceux qui ne les, connaîtraient pas et qui liront notre ouvrage les y puissent trouver. Il raconte donc qu'un jour, passant par le pays de Reims, un citoyen de notre ville lui rapporta qu'une prison en laquelle un de ses serviteurs était détenu avec d'autres, fut miraculeusement ouverte par la vertu du bienheureux saint Martin et que les prisonniers, délivrés de leurs fers, sortirent en liberté. Or cette prison était tellement construite que, sur les chevrons, au lieu de toit, des ais extrêmement solides et bien assemblés formaient un plancher très épais sur ce plancher, pour le rendre plus lourd et l'assurer mieux encore, étaient placées d'énormes pierres et néanmoins la porte était fermée par une forte serrure, et garnie de verrous de fer. Mais la vertu du bienheureux pontife fit sauter les pierres et le plancher, rompit les fers, brisa les entraves qui retenaient les pieds des prisonniers, et, sans ouvrir la porte, souleva les captifs en l'air et les fit sortir par le toit miraculeusement ouvert, en disant : Je suis Martin, soldat de Jésus Christ, qui vous délivre. Allez en paix, et retournez vous-en sans rien craindre. Et quand, ajoute saint Grégoire, nous fûmes arrivés auprès du roi, et que nous lui racontâmes ce miracle, il nous affirma que plusieurs de ces prisonniers étaient venus à lui, et qu'il leur avait fait remise de la composition qu'ils devaient au fisc, et qu'on nomme fredum. Le même saint Grégoire rapporte encore que, dans un voyage qu'il fit à Reims, et qu'un jour en causant avec le roi Sigebert dans la sacristie de l'église de Reims, celui-ci, qui était sourd d'une oreille, se trouva tout-à-coup guéri par la vertu du bienheureux saint Martin, dont il y avait quelques reliques en ladite sacristie.

CAPUT LI.

De sancta Macra virgine.

Passa est in hoc Remensi pago beata Macra virgo sub Rictiovaro praefecto, quae post insuperabilem Christi confessionem gravissima tormenta perpessa, post mammillarum abscissionem, et repentinam curationem per angelicam in carcere visitationem, dum super prunas et testulas accensas nuda volutaretur cum precibus et gratiarum actionibus, immaculatum Deo reddens spiritum, ac triumphans adversarium, inibi laeta petiit coelum. Corpus ejus haud procul a loco ubi passa est, tunc exstitit tumulatum. Multa vero post annorum curricula cuidam bubulco per visionem locus, quo beatissima virgo condita fuerat, juxta quamdam in honore beati Martini constructam ecclesiam, revelatus est. In quo visu admonetur, ut corpus sacratissimae virginis intra praefatam ecclesiam reconderetur honorificentius, quatenus incolis ejusdem loci, prout decebat, innotesceret manifestius. Quod et mox a viris Deo amabilibus magno constat peractum decore. In qua donec venerabile corpus ejus requievit, insignia per ipsius intercessionem sunt patrata miracula. Ibi caeci visum, claudi gressum, surdi auditum, Domino ejus obtentu largiente promeruerunt. Procedenti vero tempore vir quidam strenuus sanctarum fundator et cultor aedium, nomine. Daugulfus, ejus ubi nunc veneratur, fundavit templum, in quo illius sacratissima transtulit membra, regnante magno imperatore Carolo; ubi non minima quoque Domino praestante, saepe miracula peraguntur . Quam nuper ecclesiam, tempore scilicet persecutionis Hungaricae, iidem barbari succendere cupientes, acervos quosdam frugum magnos, qui parieti ejusdem adhaeserant, incendunt, exustisque segetibus, flamma licet ecclesiae tecta lambente, eamdem tamen accendere nequiverunt.

CHAPITRE LI.

De sainte Macre, vierge.

Sous le préfet Rictiovare, la bienheureuse vierge Macre souffrit le martyre au pays de Reims, toujours confessant Jésus-Christ, d'un courage invincible, au milieu des plus affreux tourments. Après avoir eu les mamelles coupées, et ensuite miraculeusement et soudainement guéries par un ange qui vint la visiter en sa prison, étendue toute nue sur des charbons et des fers ardents, rendant à Dieu son a me immaculée avec prières et actions de grâces triomphant de son persécuteur, elle monta joyeuse dans le ciel. Son corps fut inhume non loin du lieu où elle avait souffert le martyre. Bien longtemps après le lieu de sa sépulture, qui était tout près d'une église bâtie depuis en l'honneur de saint Martin, fut révélé à un bouvier, lequel eut une vision, et fut affermi en cette vision que le corps de cette sainte et bienheureuse vierge devait être déposé avec grand honneur dans l'église, afin qu'il fût plus manifestement reconnu et honoré par les habitants, ainsi qu'il convenait ce qui fut exécuté aussitôt avec la pompe convenable par des hommes aimant et craignant Dieu. Tant que ses reliques vénérables reposèrent en cette église, il y eut des miracles insignes opérés par son intercession les aveugles voyaient, les boiteux marchaient, les sourds entendaient, le Seigneur se plaisant à leur accorder ces grâces en faveur de la bienheureuse vierge. Dans la suite des temps un homme très religieux et zélé pour fonder des lieux saints et les honorer, nommé Dangulfe, lui éleva une église, où il fit transporter ses restes sacrés, sous le règne de l'empereur Charlemagne, et depuis Dieu ne cesse d'y opérer de grands et insignes miracles. Il n'y a pas longtemps encore, pendant la persécution des Hongrois, ces barbares voulant brûler cette église, mirent le feu à de grands tas de blé qui touchaient à ses murs; mais, quoique le feu dévorât la moisson et que la flamme enveloppât tout le toit, ils ne purent cependant parvenir à le faire prendre à l'église.


 

CAPUT LII.

De sanctis Rufino et Valerio martyribus.

Eodem tempore quo haec sacra virgo passa est, lancinator ejus Rictiovarus per urbem Remorum transiens, et quosdam Christianos ad culturam deorum compellens, ut eos superare nequivit, trucidari praecepit. Et egressus inde reperit duos quosdam viros Rufinum et Valerium, fide Christi robustos, regalium tamen horreorum custodes. Quos comprehensos, ubi comperit Christi dilectione et confessione firmissimos, plagis afflictos diuturna carceris maceravit retrusione: ubi angelica visitatione ac consolatione relevati et confortati sunt. Sic invicti tandem reperti, capitalem subire sententiam. Cumque non post longa temporis intervalla ad urbem Remorum sacratissima deducerentur eorum membra feretris imposita, in loco illo, ubi nunc tumulata ipsorum requiescunt ossa, ita tunc feretra sunt aggravata, ut nequaquam loco moveri valerent. Et ita Deo jubente factum esse probatur, ut ubi pauperibus eleemosynae distribuerant largitatem, ibidem suorum corporum gratam perciperent requietionem.

Sed dum nuper gens barbara Nordmannorum saevitura se Galliis infudisset, ob vitandam hujus persecutionis procellam, eorum pignora ad urbem sunt Remensem delata, positaque in beati Petri ecclesia, et per dies plurimos ibidem sub honore servata. At cum jam demum, barbaris recedentibus, in nos bacchata diu tempestas desedisset, rediissetque tandem, Deo jubente tranquillitas, presbyter, qui sanctis deserviebat, et ad propria jam dudum redire cupiebat, acceleravit sanctorum martyrum glebas tollere, et ad dicatum sibi locum referre. Postque celebrata missarum solemnia levantur a sacerdotibus sacrata Christo corpora, atque cum magna populorum referunt comitante caterva. Contigit autem diem illam, quae Dominica scilicet habebatur, ventorum flatu fuisse nimbosam, ita ut omnes candelae, quae ad obsequium sanctorum ferebantur, vi turbinis exstinguerentur. Cumque carpentes iter partem fluminis fuissent ingressi, cereus qui ante sanctorum pignora ferebatur exstinctus, repente coelitus accensus, omnibus mirum exhibuit spectaculum. Sicque inter commistos grandine nimbos, et ventorum flatus ad quatuor fere millia duravit ex miraculo flamma. Disposuit denique postea presbyter cereum ipsum in meliorem formam de eadem reficere cera. Cumque id a sacerdotibus sibi subjectis efficeretur, mirum dictu inter manus eorum mollis coepit crescere cera, et in magnam grandescere quantitatem.

CAPUT LIII.

De miraculis eorumdem sanctorum.

Cumque illi stupentes, admirantesque perstreperent, ingressus presbyter, et videns auctam sic fuisse ceram credidit eos aliam ceram illi, quod non praeceperat, adjecisse. Sed cognito tandem a sacerdotibus, quod acciderat, miraculo, Deo gratias egit, et ceram in ecclesia ad memoriam tantae rei reposuit. De qua cera Riculfus Suessionum venerabilis episcopus reliquias sibi deferri jussit. Sed et vicinarum ecclesiarum religiosi presbyteri exinde ob devotionem expetitas particulas in ecclesiis venerabiliter condiderunt.

Alia autem vice, cum de Suessonica civitate, in qua ob similem persecutionem delati fuerant, ad locum proprium referrentur, claudus quidam cum caeteris qui sanctorum corpora devoto comitabantur obsequio, reptabundus annisu quo poterat, incedebat. Non quidem hunc natura claudum produxerat, sed ex tempore illi accesserat gressum dolenda debilitas. Cumque ad villam, quae Vasneia dicitur, venissent, mox nativae rectitudini restitutus, projectis adminiculis suis coepit vadere plantis, et Deum in sanctis suis mirabilem ore collaudare gratanti.

Praeterea in eos qui sacrum locum violare et res sanctis martyribus delegatus pervadere nituntur, quam cito divina ultio exeratur, uno exemplo sufficiat demonstrare.

Tempore quo inter reges Odonem et Karolum graves agebantur Francorum in regno discordiae, per hanc occasionem licito rapinae et depraedationes fiebant, confusum erat fasque nefasque; nusquam Dei aut humanarum timor legum, sed vi et potentia universa constabant; aliquando ad villam, quae Basilica dicitur praedones adfuerunt, coeperuntque omnes pauperum substantiolas auferre. Tunc quaedam muliercula cum supellectili sua fugiens ad ecclesiam sanctorum martyrum, cursu rapidissimo tendebat. Quam quidam ex his qui ad praedandum venerant, ita ut sedebat equo velocissime insequi coepit, volens eam capere, et seria sua illi auferre. Sed cum quidam de astantibus diceret: Noli miser, noli illam in atrium sanctorum insequi martyrum, ne tibi mali aliquid contingat. Ille nihil veritus, admisso equo rapidissime fugientem insequebatur mulierculam. At ubi primis atrio pedibus equus institit, subito cernuatus cecidit. Sessor autem ejus tam gravi allisione vexatus est, ut a summo genu usquead pedem, disrupta tibia, caro velut ferro incisa dehisceret, osque ipsum carnis tegimine nudatum, pateret; et qui superbus eques venerat, jam humiliatus, nec suis pedibus incedere valens, manibus alienis de atrio ecclesiae projectus est. Tunc equo et quae habere potuit sanctis martyribus pro eo datis, morti quidem subtractus est; sed quod supervixit temporis inutilis et nulli operi aptus fuit, testimonium divinae virtutis in sua debilitate circumferens, et aliis quibusque salubrem timorem, exemplo patratae in se ultionis, incutiens, ne talia agentes similia patiantur.

Illud quoque notissimum, et omnibus habetur pervulgatum, ad sanctorum martyrum sepulcra oleum aliquando crevisse. Siquidem presbyter vas quoddam fictile juxta altare posuerat, ad servandum oleum, quod ibidem ad fontem luminis, ardere debebat. In quo vase parum quidem olei remanserat, majore ejus parte in lychnorum lumine consumpta, cum repente coepit crescere, et nullo inspiciente in majus augeri, donec os vasis crescens oleum exaequaret. Quod, cum per dies aliquot fieret, nec jam se intra vasis angustias liquor divinitus auctus caperet, ac guttatim in terram flueret, clericus ecclesiae ipsius custos hoc solus animadvertit, et subjecto vase altero, intra paucos dies ad unum sextarium collegit, furtimque abscondit; putans infelix divinum miraculum cupiditatis suae fore compendium, et unde providebatur omnibus patrocinium, inde clandestinum se posse credidit perficere furtum. Sed Christus, qui sanctos suos mirificare apud omnes decreverat, non diu permisit latere, vel illius pudendum facinus, vel quod ad suorum martyrum gloriam contulerat munus. Nam quadam die domum, quae basilicae adhaeret, in qua etiam Suessonicus episcopus, cum illuc accedit manere consuevit, presbyter nescio quid causae fuerit, ingressus, vidit vas illud oleo superfluere, et miratur unde illa esset olei copia, cum illic perraro hujusmodi inveniri possit liquor, coepit percunctari clericum tanti criminis conscium, cujus esset oleum, aut quis illud ibi deposuisset. Sed cum ille diceret, nescire se unde esset, pueri, qui ad discendos psalmos ibidem residebant et rem omnem noverant, indicaverunt presbytero et factum miraculum et custodis furtum. Ille hoc audito cito ad vas quod juxta altare stabat recurrit, et pavimentum adhuc olei exundatione madens invenit. Cumque immensum in sanctis suis glorificaret Deum, alius quidam de custodibus advenit et confessus est se magnam partem olei ipsius, nullo teste, tulisse, et ubi voluit, et sicut voluit expendisse.

 

CHAPITRE LII.

De saint Rufin et de saint Valère, martyrs.

Au même temps que cette bienheureuse vierge souffrit le martyre, son persécuteur Rictiovare, passant par la ville de Reims, et voulant forcer quelques chrétiens au culte des faux dieux, voyant qu'il ne pouvait vaincre leur résistance, les fit mettre à mort. Comme il sortait de Reims, il rencontra Rufin et Valère, deux hommes forts en la foi de Jésus-Christ, quoique gardiens des greniers de l'Empire. Les ayant fait arrêter, et les trouvant fermes et persévérants dans la confession et l'amour de Jésus-Christ, il les fit tourmenter et battre de verges, et ensuite jeter en prison pour les y exténuer de langueur. Mais les anges les vinrent visiter, les consolèrent et réconfortèrent; et enfin reconnus invincibles et inébranlables, le persécuteur leur fit subir la mort. Peu de temps après, comme on rapportait leurs corps à Reims dans des châsses, on raconte qu'a l'endroit où ils reposent maintenant les châsses devinrent si pesantes, qu'il ne fut pas possible de les lever de là et d'aller plus loin; ce qui advint ainsi par la volonté de Dieu, afin que leurs corps eussent un paisible et doux repos au lieu même où ils avaient tant de fois consolé les pauvres et distribué de charitables aumônes.

Dernièrement quand la nation barbare des Normands se répandit dans les Gaules, et portait partout le ravage, pour les dérober à la tempête de cette persécution, les corps des deux saints martyrs furent transférés à Reims, et déposés dans l'église de Saint-Pierre, où ils furent longtemps gardés avec honneur. Lorsqu’enfin, les barbares se retirant, la tempête si long temps déchaînée contre nous s'apaisa, et que par l'ordre de Dieu le calme fut rétabli, le prêtre qui desservait l'église des deux saints, et qui désirait depuis longtemps retourner en son église, se hâta de les faire enlever, et reporter au lieu qui leur était consacré. Après la célébration de la messe, les précieuses reliques furent levées par les prêtres et emportées au milieu d'un grand concours de peuple. Or ce jour-là, qui était un dimanche, il faisait si grand vent que tous les luminaires qu'on portait en l'honneur des deux saints furent éteints par la violence de l'ouragan; mais au moment où l'on arrivait à une rivière qu'il y avait à passer, le cierge que l'on portait devant les reliques, et qui depuis longtemps était éteint, s'alluma tout-à-coup miraculeusement, à la grande admiration des assistants et cette lumière miraculeuse dura pendant près de quatre milles, au milieu des tourbillons de grêle et de vent. Depuis, le curé avisa de refaire le cierge sous une meilleure forme avec la même cire. Quand les prêtres qui lui étaient soumis se mirent à l'ouvrage, par un effet merveilleux, la cire amollie et travaillée commença à augmenter entre leurs mains, et en très grande quantité.

 

 

Comme ceux-ci, frappés d'étonnement et d'admiration, faisaient grand bruit, le curé étant entré, et voyant la cire ainsi augmentée, crut d'abord qu'ils y avaient, sans son ordre, ajouté d'autre cire. Mais apprenant des prêtres ce qui venait de se passer, il rendit grâces à Dieu, et fit placer cette cire dans l'église en mémoire d'un si grand miracle. Riculphe, évêque de Soissons, en voulut avoir quelques reliques, et aussi les prêtres de plusieurs églises voisines en demandèrent par dévotion quelques parcelles, qui leur furent accordées, et qu'ils placèrent avec grande vénération dans leurs églises.

Une autre fois, comme on rapportait les corps des deux martyrs en leur lieu propre, de l'église de Soissons où ils avaient été transférés, encore pour les soustraire à la persécution des Normands, un boiteux se traînait, comme il pouvait, avec le peuple qui accompagnait les deux saints avec grand respect et dévotion. Il n'était pas boiteux de naissance, mais cette déplorable infirmité lui était survenue. Comme on arrivait au village de Vasnes il se trouva tout à coup aussi droit qu'auparavant, et jetant ses béquilles, se mit à marcher de son pied, et alla en toute allégresse glorifier le Seigneur qui se montrait si admirable en ses saints.

Enfin pour prouver combien la vengeance divine est prompte à frapper ceux qui violent la sainteté de ce lieu, et qui osent attenter aux biens donnés à ces bienheureux martyrs, je ne citerai que l'exemple qui suit.

Au temps qu'il y avait dans le royaume de France de grandes discordes entre le roi Eudes et le roi Charles, toutes rapines, pillages et voleries s'exerçaient impunément et sans prétexte. Il n'y avait ni droit ni loi qui fût observée, aucune crainte de Dieu, ni des lois humaines, tout allait par force et violence. Un jour donc il arriva que des maraudeurs s'en vinrent à un certain village, et commencèrent à enlever à ces pauvres gens le peu qu'ils possédaient. Alors une pauvre bonne femme s'enfuyant avec ses effets courut de toutes ses forces vers l'église des saints martyrs. Un des pillards l'aperçoit, pique son cheval, et se met à la poursuivre à toute bride, espérant bientôt l'atteindre, et lui enlever ce qu'elle avait de plus précieux; quelqu'un qui était présent lui cria Malheureux! garde-toi de la poursuivre jusqu'au parvis des saints, mal t'en arrivera. Celui-ci poussait toujours, sans crainte ni respect aucun mais à peine son cheval eut-il mis le pied sur le parvis, qu'il tomba sur la tête et se rompit le cou. Le cavalier lui-même fut si grièvement blessé qu'il eut la jambe rompue depuis le genou jusqu'au pied, et que la chair, ouverte comme si on l'eût tranchée avec le fer, laissait voir à nu l'os tout dépouillé; et celui qui tout-à-l'heure était venu cavalier superbe, maintenant humilié et ne pouvant plus marcher sur ses pieds, fut porté hors du parvis de l'église par des mains étrangères. Comme on donna pour lui aux saints martyrs son cheval et tout ce qu'il possédait, il échappa a la mort; mais tout le reste de sa vie estropié et incapable d'aucun ouvrage, il vécut malheureux et inutile, portant partout en sa débilité témoignage de la vertu divine, et par l'exemple de la vengeance de Dieu exercée sur lui, détournant tous les autres de jamais tenter chose semblable, s'ils ne voulaient souffrir même peine.

C'est aussi un fait bien connu et que personne n'ignore, qu'au tombeau de ces saints martyrs l'huile s'est quelquefois accrue. Le curé avait placé près de l'autel un vase de terre, où se gardait l'huile qui servait à entretenir la lampe qui brûlait sur le sépulcre. Il n'y restait plus que très peu d'huile, quand subitement elle commença à croître, et, sans que personne s'en aperçût, monta bientôt jusqu'au bord du vase; or, comme elle continuait toujours de monter, et que ne pouvant plus être contenue dans l'étroite capacité du vase, elle coulait par dessus les bords, le clerc chargé de la garde de l'église s'en aperçut, et, sans en rien dire à personne, mit un autre vase dessous; en très peu de jours il recueillit un setier d'huile, et le cacha furtivement, car le malheureux se flattait de faire tourner un miracle au profit de sa cupidité, et de parvenir à dérober pour lui seul ce qui devait profiter à tous. Mais le Christ, qui voulait glorifier ses saints devant tout le monde, ne permit pas que le crime honteux de ce misérable, et le don qu'il avait fait pour honorer ses martyrs, restassent plus longtemps cachés. Un jour le curé entra, je ne sais pour quelle cause, dans une maison attenante à l'église, et dans laquelle l'évêque de Soissons a coutume de demeurer quand il vient en ce lieu; il découvrit ce vase plein d'huile jusque par dessus les bords; ne comprenant pas d'où pouvait venir une si abondante provision, quand on avait tant de peine à en trouver, il s'avisa de demander au clerc qui avait commis un si grand crime, qui était cette huile, et qui l'avait déposée là. Et comme celui-ci dit qu'il n'en savait rien, les enfants qui venaient là pour apprendre les psaumes, et qui connaissaient toute l’affaire, racontèrent au curé le miracle et le vol du gardien. Aussitôt le curé court droit au vase qui était auprès de l'autel, et trouve le pavé encore tout mouillé de l'huile qui avait été répandue. Et pendant qu'il glorifiait le Seigneur, qui est infini dans ses saints, un autre gardien vint s'accuser à son tour d'avoir pris en cachette une grande partie de cette huile, et de l'avoir employée à ce qu'il avait voulu, et comme il avait voulu.

 

FIN DE L'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE RHEIMS.


 
 

[1] Raoul ou Rodolphe, duc de Bourgogne.

[2] En 929.

[3] En 935.

[4] Ce fut le second concile de Nîmes.

[5] En 936, le 15 janvier, et le 14 suivant D. Vaissète.

[6][6] En Angleterre.

[7] En 943.

[8] En 944.

[9] En 945.

[10] En 946.

[11] Othon le Grand, fils d’Henri l’Oiseleur.

[12] En 947.

[13] En 948.

[14] Conrad dit le Sage, duc de Franconie et de Lorraine, gendre de l’empereur Othon Ier.