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EUSÈBE DE CÉSARÉE

 

Préparation évangélique

LIVRE XΙ

livre X - livre XΙI

texte grec

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

EXORDE DE CETTE DIVISION DE L’OUVRAGE

 

La dixième section de la Préparation évangélique qui vient de sortir de nos mains, contenant surtout les témoignages du dehors, à l'exclusion d'expressions qui nous sont propres, a prouvé jusqu'à l'évidence, que les Grecs n'avaient rien pris dans leur propre fonds, pour fonder leur sagesse; et que, si on en excepte la force de la diction et le charme du style, tout le reste a été dérobé aux Barbares ; qu'ils n'ont pas ignoré non plus les oracles des Hébreux, et ont su s'en servir dans une certaine mesure ; qu'enfin, ils n'ont pas conservé leurs mains pures de pillage, dans la lutte des productions de l'esprit. Ce n'est pas nous qui l'avons avancé, ainsi que je le dis, mais ce sont eux-mêmes qui en on æ donné la démonstration. Nous ne nous en sommes pas tenus là, nous avons fait voir que les Grecs étaient à peu près les plus récents des peuples, tant pour les progrès de l'entendement, que pour l'âge; distants par un immense intervalle de l'antiquité des Hébreux, que nous avons établie par le calcul des temps, dans cette même partie de notre ouvrage : voilà le point où nous sommes parvenus. Que nous reste-t-il à faire pour acquitter, comme dette, l'engagement que nous avons contracté? Nous devons mettre au jour l'accord qui règne en. certains points, si ce n'est en tous, entre les théories philosophiques et dogmatiques de la Grèce et les oracles des Hébreux; ce que nous exécuterons en écartant les preuves surabondantes, pour invoquer le témoignage unique de celui qu'on peut considérer comme le Coryphée de tous les autres, comme la règle la plus certaine pour arriver à la solution de ce problème : c'est Platon que je veux dire. Lui seul en effet, par l'élévation que sa renommée a prise au-dessus de toutes les autres, semble devoir suffire à constater la vérité que nous recherchons. Si cependant, pour éclaircir la pensée de ce philosophe, il était parfois nécessaire de recourir au témoignage de ceux qui l'ont imité dans ses doctrines, nous rapporterons leurs paroles, pour confirmer l'exactitude de nos assertions, en déclarant toutefois, que si la plupart des thèmes qu'il a soutenus sont l'expression de la vérité, on nous accordera cependant de pouvoir démontrer, lorsque l'occasion s'en présentera, qu'il n'a pas toujours atteint ce but; et cela ne tient pas à l'intention de le dénigrer, mais servira à notre justification, pour avoir préféré la philosophie barbare à celle des Grecs.

 

CHAPITRE Ier.

DE L'ACCORD ENTRE LA PHILOSOPHIE DE PLATON ET CELLE DES HÉBREUX,  DANS LES POINTS ESSENTIELS.

 

Platon ayant divisé toute la philosophie en trois classes : la physique ou naturelle, l'éthique ou morale, la logique ou rationnelle ; ayant de plus subdivisé la physique en deux, l'observation des choses qui tombent sous, les sens, et la contemplation des êtres incorporels (1), vous trouverez cette triple division de l'enseignement philosophique, chez les Hébreux, en ce que, bien avant la naissance de Platon, la même marche avait été adoptée par eux dans leur philosophie. Mais il convient d'entendre d'abord Platon, ensuite nous reporterons notre attention sur les Hébreux. Je rappellerai donc les axiomes de Platon, d'après ceux qui se sont donnés pour ses délégués, et entre lesquels Atticus tient un rang distingué. Voici en quels termes il expose les doctrines de son maître, dans l'ouvrage qu'il oppose à (2) ceux qui veulent expliquer Platon par Aristote.

 

CHAPITRE II.

TIRÉ D’ATTICUS SUR LA TRIPLE (3) DIVISION DE LA PHILOSOPHIE SUIVANT PLATON.

 

« La philosophie tout entière se divisait donc en trois parties·, savoir l'éthique, la philosophie physique, et la logique ; la première a pour objet de définir en quoi consiste le beau et bon (καλὸν καὶ ἀγαθὸν), de régler, dans le meilleur ordre possible, les relations de la famille ; aussi bien que d'ordonner la réunion entière du peuple, dans des rapports qui soient les meilleurs, en lui donnant des lois en parfaite harmonie avec l'état social le plus prospère. La seconde division s'élevant à l'étude des choses divines, se propose de nous faire connaître les premières causes, et les causes secondes qui procèdent des premières ; c'est là ce que Platon a décoré du nom de (ἡ περὶ φύσεων ἱστορία) histoire ou recherche de la nature. La troisième partie embrasse les moyens de parvenir, à la discussion et à la découverte des deux premières. Quant à ce que Platon, le premier, et par dessus tous les autres, a rapproché et concentre toutes les parties de la philosophie, dispersées avant lui, et comme jetées çà et là, à la manière des membres de Penthée, en sorte de faire apparaître;, comme on l'a dit, la philosophie telle qu'un corps vivant et complet ; certes, c'est un fait évident pour tous. Ce ne furent en effet, ni Thalès, ni Anaximène, ni Anaxagore, ni aucun de ceux qui furent adonnés aux mêmes études, dont on sait pertinemment que l'.attention fut exclusivement fixée sur la nature des choses. Ce ne furent pas non plus Pittacus, Périandre, Solon ni Lycurgue, ni ceux qui les suivirent, que l'on connaît pour avoir renfermé toute leur philosophie dans la constitution politique des Etats. Zénon et toute l'école d'Hélée, est notoirement signalée comme s'étant occupée principalement de l'art oratoire. Platon succédant à tous ceux que nous venons de nommer, doué d'un génie accompli, et infiniment supérieur à ses devanciers, peut être regardé comme véritablement envoyé des Dieux, pour faire embrasser la philosophie dans son ensemble : il n'a rien omis, en effet, de tout ce qui pouvait être nécessaire à ce plan : il a discuté avec soin chaque partie, sans rien retrancher d'essentiel, sans rien ajouter de superflu. Puis donc qu'il appartient au disciple de Platon, comme nous l'avons dit, d'aspirer à connaître toute la philosophie, en étudiant les lois de la nature, en dissertant sur les mœurs, en traitant des règles de la dialectique, livrons-nous à l'examen de chacune de ses parties. » Telles sont les expressions d'Atticus, auquel le Péripatéticien Aristoclès vient joindre son suffrage dans le septième livre de son traité de la physiologie (4), ou étude de la nature. »

 

CHAPITRE III.

d'aRistoclÈs suR la philosophie de platon.

 

« Platon a, plus que qui que ce soit, placé la philosophie dans son vrai jour, et l'a portée à la perfection. Thalès et ceux qui l'ont suivi n'ont envisagé que les lois de la nature. Les Pythagoriciens ont tout enveloppé d'un langage mystérieux ; Xénophane et ses disciples, en soulevant des questions subtiles, et des controverses, n'ont apporté dans les études philosophiques que du vertige et du trouble, sans leur rendre aucun service réel : Socrate lui-même, plus que personne, n'a fait, suivant le proverbe, qu'apporter du feu sur du feu (5), comme Platon l'a confessé. Etant doué d'un esprit prodigieux et très habile à embarrasser ses adversaires Sur toute espèce de sujet, il a soulevé, le premier, les questions sur la morale et sur la politique, aussi bien que sur la nature des idées, et le premier il a essayé de les résoudre ; mais en attaquant toutes les difficultés à la fois, et en étendant ses recherches à tout, il est mort avant d'avoir accompli sa tâche. D'autres ayant morcelé la philosophie, ont consacré leur vie à en étudier des parties : les uns s'adonnant à la médecine, les autres aux sciences mathématiques. Il en est qui n'ont étudié que les poètes et les musiciens : le plus grand nombre, frappés d'étonnement en voyant la puissance de l'éloquence, se sont donnée les uns pour orateurs, les autres pour dialecticiens. Parmi les successeurs de Socrate qui ont été nombreux, on en a vu de toutes les opinions, se combattant les uns et les autres; ceux-ci ont célébré le cynisme, c'est-à dire l'absence de toute recherche et l'insensibilité (6); ceux-là, au contraire, ont vanté la volupté : les uns se targuaient de leur science qui s'étendait à tout ; les autres soutenaient simplement qu'ils ne savaient rien ; tels se vautraient sans décence, aux yeux du public, s'entretenant avec les premiers venus, tandis que d'antres passaient leur vie dans une retraite inabordable à tout le monde, et ne liant conversation avec personne. Platon cependant, ayant réfléchi qu'il devait exister une science des choses divines et une des choses humaines, en fit, le premier, la distinction : il dit que l'une avait pour objet l'étude de la nature universelle, que l'autre ne s'étendait qu'aux actions humaines ; qu'une troisième était applicable au langage. Il soutenait que nous ne pouvions pas pénétrer dans la connaissance de l'humanité, si nous ne l'avions fait précéder par la science des choses divines. De même que les médecins, avant de se livrer à la thérapeutique des parties du corps, se préoccupent de l'état des corps entiers ; de même le philosophe qui veut considérer les choses d'ici-bas, doit auparavant connaître la nature de l'univers, dont l'homme n'est qu'une partie; et le bien étant double, celui qui s'applique à nous et celui de l'ensemble, celui de l'ensemble doit être préféré comme prédominant·, c'est par lui en effet que le nôtre est produit. Aristoxène, le musicien, rapporte le propos suivant des Indiens : Un habitant de cette contrée (7) se trouvant à Athènes, aborda Socrate, et lui demanda comment il s'y prenait pour enseigner la philosophie: c'est, dit Socrate, en recherchant ce qui intéresse la vie des hommes. Sur quoi l'Indien se prit à rire, en disant qu'il ne pouvait pénétrer dans la connaissance de l'homme, s'il ignorait les choses divines ; car quelque effort qu'il fît, il ne pourrait jamais être certain de la vérité ou de l'erreur de ce qu'il enseignerait. C'est pour cela que Platon a divisé la philosophie en trois, celle qui considère l'universalité des choses, celle qui a pour objet la politique, enfin la logique. »

Ayant reconnu que telle était la philosophie platonicienne, il est temps d'examiner celle des Hébreux, qui a précédé la philosophie de Platon d'un temps considérable, et qui procède comme le faisait celle-ci. Vous trouverez chez eux, en vous y appliquant, une division tertiaire, tout à fait en accord avec celle des Grecs, qui donne les enseignements de la morale, de la logique et des sciences physiques.

 

CHAPITRE IV.

DES DOGMES MORAUX CHEZ LES HÉBREUX.

 

Si vous considérez attentivement la manière de se conduire de ces hommes, vous y découvrirez plutôt parleurs œuvres que par leurs discours, avec quels soins ils se livraient, avant tout, à la pratique de la morale. Comme la fin de tout ce qui est bien, et comme le dernier terme de la vie heureuse consiste dans la piété et dans l'amour de Dieu, qui s'acquiert par la correction des mœurs ; pénétrés d'un vif sentiment d'admiration pour cet état, ils en poursuivirent la possession à tout prix, et non pas celle de la volupté corporelle ù la suite d'Epicure. Ils n'admirent pas non plus, avec Aristote, la triple classification des biens, qui met sur le même rang les liens du corps avec ceux extérieurs et ceux de l'âme : ils ne donnaient pas dans cet excès d'ignorance et d'ineptie, que certains philosophes (les académiciens), ont cru anoblir, en lui donnant le nom d'Εποχή le doute, l'arrêt. Ils n'ont pas compris non plus cette vertu (des Stoïciens), qui tire son principe de notre âme. Quelle vertu peut exister dans l'humanité, et que peut-elle en soi, séparée de Dieu, pour exempter notre vie de toute souffrance? Faisant donc tout dépendre de l'espérance en Dieu à laquelle ils rattachaient leur existence, comme à un câble que rien ne peut rompre, ils proclamaient qu'il n'y avait de vraiment heureux que celui qui est aimé de Dieu (ou qui aime Dieu) θεοφιλής. En effet, Dieu étant le dispensateur de tous les biens, l'arbitre de notre vie, la source de toute vertu, Dieu pourvoyant à tous nos besoins, tant pour le dehors que pour notre corps, doit suffire seul au bonheur, pendant sa vie, de celui qui a composé tout son être, d'après la piété la plus sincère, pour gagner son amour. C'est dans cette pensée que Moïse, sage par excellence, le premier de tous les écrivains, nous ayant transmis la relation de la manière dont vivaient avant lui les Hébreux, chéris de Dieu, nous a développé, dans sa narration historique, leur existence politique et pratique ; mais il a eu soin de commencer son récit par l'exposition de l'origine de l'univers, en nous montrant Dieu comme la cause unique de tout ce qui existe. Puis décrivant la cosmogonie et l'anthropogonie, après quoi, descendant du général au particulier, à l'aide des souvenirs des anciens patriarches, il a fait naître dans ses auditeurs le zèle pour imiter leur vertu et leur piété : il a fait plus, étant devenu lui-même législateur suprême, toutes ses lois ne respirent que la piété ; il y montre partout son caractère religieux, apportant la prévoyance la plus soutenue à tout ce qui tend à la correction des mœurs. C’est ce que déjà nous avons fait connaître dans le livre qui a précédé. Il serait trop long de passer ici en revue tous les prophètes venus après Moïse, pour faire juger de leurs efforts, afin de porter les hommes à la vertu, et pour les éloigner du vice. Que serait-ce, si je rapportais tous les enseignements moraux du plus sage des rois, de Salomon, qui leur a donné des titres particuliers, nommant Παροιμίαι, un recueil de sentences abrégées, par forme d'apophtegmes, roulant sur un même sujet? Il est, en conséquence, prouvé que les enfants des Hébreux ont cultivé la morale de toute ancienneté ; bien avant que les Grecs apprissent les premiers éléments du langage : ils se sont formés dans cette science, et l’ont communiquée libéralement à tous ceux qui se sont mis en rapport avec eux.

 

CHAPITRE V.

DE LA LOGIQUE PRATIQUE CHEZ LES HÉBREUX.

 

La manière dont les Hébreux font usage de la logique n'est pas celle qui plaît aux Grecs, qui ont cru devoir la cultiver par l'habileté des sophismes et par des arguments, dont tout l'artifice tend à la déception : pour les Hébreux, c'est par la perception directe de la vérité, dont l'éclat a été présenté à leurs âmes, par la divinité qui l'a révélée, et l'a faite briller aux yeux de leurs théosophistes; c'est pour la possession de ce bien inappréciable, qu'enflammant le cœur des disciples qu'ils forment aux sciences, qui leur sont particulières, ils les appliquent à l'étude des discours sacrés, aux récits des histoires sérieuses, à la composition d'odes et d'épodes en vers, à la rédaction des problèmes et de· énigmes, et du certaines allégories pleines de sagesse et de vues profondes ; à quoi ils unissent le charme de la diction et la persuasion de l'éloquence : telles sont les études auxquelles ils les assujettissent dès leur plus tendre enfance. Ils ont certains Deuterotes (rabbins), car c'est ainsi qu'ils nomment ceux qui chez eux remplissent les fonctions d'interprètes (ἐξηγηταὶ) des saintes Écritures, qui développent et éclaircissent, sinon pour tous, au moins pour ceux qui sont propres à ce genre de connaissances, les obscurités qui se rencontrent dans les passages· énigmatiques. C'est dans cette pensée que le plus âgé d'entre eux, Salomon, a rédigé l'exorde de ses proverbes, déclarant en quelque sorte quelle avait été pour lui la cause de cette publication. Il dit donc : « Tout homme ayant besoin de connaître la sagesse et la science, d'orner son esprit des discours de la prudence, de s'initier dans la marche contournée des formes du langage, de concevoir la véritable justice et de régler son jugement; afin de donner, dit-il, la finesse aux âmes candides, le sentiment et l'intelligence au jeune âge, (j'ai composé ce livre). En entendant ces Proverbes, l'habile deviendra plus habile, et l'homme doué de pénétration acquerra la science du gouvernement : il comprendra la parabole et le discours mystérieux, les sentences des sages et les énigmes. » Telles sont les promesses qui sont données dans cet ouvrage; et en effet, quiconque mettra du prix à connaître en détail les propositions qu'il renferme, les solutions qu'il donne, la logique pratique, spéciale à la sagesse et à la langue des Hébreux, qui y est enseignée; logique qui se retrouve dans tous les écrits des prophètes, obtiendra la fin qu'il se propose, en lisant attentivement et à loisir ces écrits. Que s'il veut, de plus, acquérir la pratique de cette langue, il découvrira en l'étudiant, jusqu'à quel degré les hommes barbares se sont montrés logiciens, sans céder en rien dans leur propre langue, aux sophistes ni aux orateurs. Il découvrira encore dans leur livre, des poésies cadencées, entre lesquelles se distinguent la grande ode de Moïse, et le psaume 118 de David, qui sont écrits dans le mètre dit héroïque, par les Grecs; ils les considèrent, en effet, comme des hexamètres, étant formés de 16 syllabes : leurs autres rythmes mesurés peuvent être comparés, en tant que leur langue s'y prête, aux vers trimètres et tétramètres; mais ceci n'a de rapport qu'à la forme du langage. Quant à la force de raisonnement, et à la profondeur de la pensée, elles sont telles, qu'on ne saurait l'attendre des hommes : on y lit, en effet, les oracles de Dieu et de la vérité elle-même, les prédictions et les avertissements sur l'avenir y sont renfermés, aussi bien que les enseignements les plus pieux et les véritables doctrines sur la nature des choses. Je vous offrirai une preuve de l'exactitude logique de ces hommes, par la rectitude qui a présidé à l'imposition de noms aux choses, parmi eux ; et ce qui va suivre vous donnera toute facilité de vous en convaincre, par l'accord qui règne entre Platon et ces mêmes hommes, en ce qui concerne l'étude étymologique : j'aurai donc recours à son témoignage.

 

CHAPITRE VI.

DE LA RECTITUDE DANS L'IMPOSITION DES NOMS, CHEZ LES HÉBREUX.

 

Moïse, le premier, bien avant qu'il fût question de philosophie chez les Grecs, dans mille endroits de ses écrits, s'est occupé de l'imposition des noms, tantôt disposant l'éponymie de la manière la plus conforme à la nature des choses, tantôt renvoyant à Dieu le jugement du surnom, servant à désigner les hommes pieux. Ayant compris que l'application des noms aux choses était une œuvre de la nature et non de l'institution humaine, il devança Platon en cela, lequel se conforma entièrement à cette doctrine. Car ce sont les Hébreux et non d'autres barbares, que Platon a eus en vue, lorsqu'il dit que les barbares conservent cette manière de voir attendu qu'il ne serait pas facile de trouver chez d'autres peuples cet usage aussi fidèlement mis en pratique. Le philosophe dit donc, dans le Cratyle,[1] que le nom n'est pas ce qu'il plaît à chacun d'appeler, et d'après une convention réciproque de part et d'autre, pour nommer ainsi la voix qu'ils proféreront mais qu'il existe une rectitude de dénomination des choses qui est la même pour tous les hommes, soit Grecs, soit barbares. »

Et plus bas, il ajoute :

« Vous jugez donc ainsi que l'Onomatothéte (8} (celui qui invente un nom), soit ici, soit chez les barbares,-n'est pas plus mauvais dans un lien que dans un autre, pourvu que la forme du nom rende, dans des syllabes quelconques, le sens convenable à la chose dénommée. »

Ensuite, ayant dit que l'homme doué de la science de la juste imposition des noms est à la fois dialecticien et Onomatothète, il ajoute :

« N'est-ce pas l'œuvre d'un charpentier de faire un gouvernail d'après l'ordre, du pilote, s'il veut que son gouvernail soit bien fait ?

« Cela me paraît ainsi.

« Ce sera également l'œuvre de l'Onomatothète, de créer les noms d'après les indications d'un dialecticien, s'il veut que son nom soit convenablement appelé ?

« C'est parfaitement juste.

« En ce cas, ô Hermogène, cette dénomination court le danger d'être très mauvaise, qui n'aura eu que des hommes vulgaires et sans éducation pour créateurs; et Cratyle a raison de dire que les noms sont attribués aux choses par la nature et que tout homme n'est pas un ouvrier de noms; mais seulement celui qui, pénétrant dans la dénomination que la nature réclame pour chaque chose, peut en caractériser l'espèce et l'exprimer en lettres et en syllabes. »

Après avoir dit cela, Platon rappelle encore, à fois répétées, la mention des barbares, et affirme hautement que la plupart des noms sont parvenus des barbares aux Grecs. Voici dans quels termes il le dit :

« Je crois que les Grecs, surtout ceux qui sont sous la domination des barbares, ont pris beaucoup de noms de ces derniers à Hermogène. Comment donc le découvrira-t-on ?

« En se livrant à des recherches sur la manière présumante dont la langue grecque s'est formée, d'après la voix grecque; et non pas d'après celle d'où le nom lui est venu, je sais bien qu'on se jetterait dans un grand embarras.

 « Hermogène : Cela est très vraisemblable. »

Tels sont les termes de Platon. Mais Moïse l'a devancé, ayant été aussi sage législateur qu'habile dialecticien (9). Ecoutez-le.[2]

« Dieu a formé toutes choses de la terre, les bêtes des champs, tous les volatiles dit ciel; il les amena devant Adam pour qu’il vît comment il les appellerait, et tout nom qu'Adam donna à toute âme vivante, devint sa dénomination. ·» En disant cela : devint sa dénomination, qu'a-t-il voulu indiquer, sinon nous apprendre que les noms qu'il leur donna étaient conformes à leur nature ; car cette dénomination, faite au moment, prouve que longtemps auparavant elle existait dans la nature? Elle, existait donc et avait une antériorité d'être, à l'égard des objets dénommés, quand le premier homme, inspiré par une puissance divine, la leur attribua. Cet Adam lui-même étant un nom générique hébraïque, qui est devenu pour Moïse le nom appellatif de l'homme, né de la terre: car, chez les Hébreux, Adam, veut dire terre. C'est par cette raison que le premier homme ayant été tiré de la· terre, il a été justement nommé Adam par Moïse. Cette dénomination a encore une autre acception ; étant prise pour rouge, ce qui indique la nature de sa carnation. Moïse a signifié par ce nom d'Adam, terrestre ou né de la terre, et en même temps corporel ou charnel. Les enfants des Hébreux nomment encore l’homme d'une autre manière, lui donnant pour nom Enos, ce qui, disent-ils, répond à notre (λογικὸς), ou doué tic raison, étant distinct par sa nature de l'homme terrestre : Adam. Enos renferme encore une signification particulière, qu'on peut traduire dans la langue grecque par (ἐπιλήσμων) oublieux. La faculté de raisonner qui réside en nous, est en effet sujette à l'oubli, par son mélange avec le mortel et l'irraisonnable. Car ce qui est entièrement pur, incorporel, divin, et doué de raison, non seulement conserve la mémoire des événements précédents, mais même aura, par la vertu supérieure de sa pénétration, la prescience des choses futures. Tandis que le corps qui est noyé dans les chairs, transpercé par les os et les nerfs, chargé d'une masse pesante, donnant tous les signes d'ignorance et d'oubli, a été, par une juste appréciation da nom, appelé dans la langue hébraïque Enos, qui signifie oublieux. Nous lisons, en effet, dans un des prophètes : « Qu'est-ce que l’homme, pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l'homme pour que vous le visitiez? » Ce qui, dans l'original hébreu, offre pour le premier emploi d'homme : Enos; comme s'il eût dit plus clairement : qu'est-ce que cet oublieux, pour, que vous, ô mon Dieu, en ayez conservé la mémoire, malgré son oubli. Et ceci : Et le fils de l'homme, pour que vous le visitiez, est rendu par les mêmes, le fils d'Adam. En sorte qu'Enos et Adam sont la même chose, avec cette différence, que par Adam on entend l'homme charnel, et par Enos, l'homme doué de raison. C'est de cette manière que les livres sacrés des Hébreux donnent l'étymologie des noms.

Platon déclare, que dans la langue grecque, ἄνθτοπος est ainsi nommé du verbe ἀναθτρεῖν, parce que des que l'homme voit il considère et raisonne sur ce qui frappe ses regards, afin d'être (ἀναθρῶν ἅ ὄποπε), contemplateur de ce qu'il a vu.

Les Hébreux appellent encore l'homme Is ; ce nom pour eux est tiré de Es, par quoi ils dénomment le feu, afin que le nom rappelle la chaleur et l'inflammation de sa nature. La femme, par la raison qu'on dit qu'elle a été tirée de l'homme, partage cette dénomination avec l'homme. Issa, en effet, est le nom qu'on donne à une femme, comme Is est celui d'un homme. Platon dit que ἀνήρ (l'homme) est ainsi nommé d’ἄνω ῥωή, qui émane d'en haut, et γυνὴ lui paraît vouloir rappeler γονή, le germe on la semence. Moïse, d'après l'étymologie de la langue Hébraïque, nomme le ciel firmament (consolidation), parce qu'après l'existence incorporelle et intellectuelle, le corps solide et sensible de l'univers a le premier pris place. Tandis que Platon dit, que le nom d'Οὐρανὸς lui a été justement donné, parce qu'il fait ἄνω ὁρᾷν, regarder en haut. Ensuite les Hébreux ont donné au Dieu suprême un nom spécial, mystérieux, qu'il est interdit de· proférer, que l'imagination même ne peut concevoir. Le nom d'après lequel ils le rappellent, se prononce Eloim, qui est formé, à ce qu'il paraît, de 'Ηλ, qui se rend par force et puissance: de manière, à ce que le nom de Dieu, chez eux, soit dérivé de la racine qui exprime la puissance et la force; ce qui donne l'idée d'une puissance qui n'est limitée par rien, qui peut tout, par la raison que toutes les choses n'ont de cohésion que par lui. Platon fait dériver θεὸς et θεοί, de θέειν, qui signifie courir, disant que c'est pourquoi les astres des cieux sont ainsi nommés.

Nous croyons avoir assez fait ressortir par ces types, la justesse de l'imposition des noms, chez les Hébreux et dans Platon. Celui-ci donne ensuite des exemples de l'intention qui a présidé, chez les hommes, au choix des appellations individuelles par lesquelles ils se désignent; et il cherche à en rendre compte. Je ne sais sur quoi il fonde qu'Hector était ainsi appelé des verbes κρατεῖν et ἔχειν, parce qu'il était roi des Troyens : Agamemnon vient d'ἄγαν μένειν, à cause de sa persistance forte et invincible dans ses résolutions contre les Troyens. Oreste doit son nom à son caractère montagnard ὀρεινὸν, sauvage et même féroce. Atrée vient de ce que son caractère était ἀτηρὸς, c'est-à-dire pervers. Pélops veut dire un homme qui ne voit pas loin, mais seulement les objets qui sont rapprochés de lui. Tantale indique un ταλάντατος, un homme excessivement malheureux, à cause de toutes les infortunes qui Pont assailli. Vous trouverez dix mille autres étymologies pareilles, rapportées par Platon, dans le but de prouver que les premiers hommes n'ont pas donné de noms par institution; mais qu'ils sont dus à la nature. Dans Moïse, vous ne sauriez dire qu'il y ait rien de forcé, ni qui prouve l'affectation d'une invention sophistique. Ainsi, en apprenant que le nom de Caïn, chez les Hébreux, répond à celui de (Ζῆλος) envie, chez lez Grecs, vous comprendrez facilement comment celui qui portait ce nom en était digne (10), par le sentiment dont il fut animé contre son frère Abel. Abel est interprété par affliction; il fut, en effet, cause d'une grande affliction pour ses parents qui, par une prévoyance inspirée de Dieu, donnèrent à leur fils des noms convenables à leurs destins. Que serait-ce, si je faisais apparaître le nom d'Abraham ? C'est un astronome, déjà en possession de la science astronomique, et de celle des mouvements célestes, lorsque bornant toutes ses études aux connaissances cultivées par les Chaldéens, il se nommait Abram; ce qui, dans la langue grecque, correspond au nom de Père (11) sublime (πατὴρ μετέωρος). Cependant, Dieu, par son attraction au-delà des choses visibles, lui attribua aussitôt un nom qui rendait cette idée; « tu ne t'appelleras plus, lui dit-il, du nom d'Abram; mais Abraham sera ton nom, parce que je t'ai destiné à être père de plusieurs nations.[3] » Quant à l'étendue de la signification de ce nom, il serait trop long de vouloir la développer ici. Il suffira, pour ce qui nous intéresse, de citer Platon en témoignage de ce qui vient d'être dit, que quelques noms sont parfois dus à une puissance plus divine. Voici ses propres paroles : « La manière dont les noms ont été donnés doit, dans ce cas, être observée avec d'autant plus de soin, que peut-être quelques-uns viennent-ils d'une puissance plus divine que celle de l'homme.» Et l'histoire sainte des Hébreux en donne la confirmation, par de nombreuses autorités : 1° celle de Moïse, qui nous a enseigné le premier de tous, que c'est d'une puissance plus divine (θειοτέρας), qu'Abraham et son fils Isaac, puis ensuite Israël tirèrent leurs noms. Isaac se traduit par rire, voulant nous faire sentir, par ce symbole, la joie qui accompagne la pratique de la vertu, que Dieu promet d'impartir, comme un don par excellence, à ceux qui l'aiment. Le fils de celui-ci est Israël. Précédemment il avait porté le nom de Jacob. Dieu, au lieu de Jacob, lui donna le nom d'Israël, en transformant l'homme d'exercice et de pratique, en un homme de théorie; car Jacob veut dire, qui supplante (12), c'est-à-dire qui livre le combat qui a pour prix, la vertu; Israël, voyant Dieu, représente l'esprit gnostique et théorique, dans l'homme.

Mais qu'est-il besoin que j'essaie ici de développer la rectitude qui a présidé à l'imposition des noms, chez les Hébreux, en tirant mes preuves de Moïse, dont la sagesse l'emporte sur toutes les autres, puis des livres saints et de mille autres; cette exposition demanderait beaucoup plus de loisir que le plan de cet ouvrage ne m'en concède? Mais quoi, les Grecs ne sauraient nous donner les étymologies des premiers éléments de la grammaire, Platon même ne saurait déduire la raison qui a créé la distinction des voyelles et des consonnes; tandis que les enfants des Hébreux seraient en état de nous montrer l'origine de l'Alpha, qui est nommé Alph par eux, et qui signifie instruction ; de Béta, qu'il leur plaît de prononcer Beth, nom d'une maison pour eux; en sorte, que le sens attaché à ces voix est, l'instruction de la maison, ou pour parler plus clairement, la doctrine ou instruction domestique. La troisième lettre, au lieu de Gamma, ils la prononcent Gimel, c'est ainsi qu'ils appellent la plénitude. Ensuite, la quatrième lettre dont le son est Delth, signifie les (13) tablettes (Δέλτοι) ; ils marquent donc par ces quatre lettres, que l'enseignement écrit remplit les tablettes· En continuant cet examen des autres éléments grammaticaux, avec réflexion et maturité, on se rendrait compte du nom de chacun. Quant à ce qu'on rapporte des sept voyelles, qui, réunies ensemble, possèdent un nom et un son mystérieux, que les enfants des Hébreux écrivent en quatre lettres,· et qu'ils rapportent à la suprême puissance de Dieu, c'est une tradition transmise des pères aux enfants, qu'il est interdit à la multitude de proférer, attendu que c'est un mystère. Et je ne sais d'où il est arrivé que quelqu'un des sages de la Grèce, en ayant eu connaissance, y a fait allusion dans les vers suivants : « Les sept lettres voyelles me célèbrent, moi qui suis le Dieu impérissable; le père infatigable de tous les êtres, je suis la Cythare indestructible de l'univers; c'est moi qui ai trouvé l'accord harmonieux du tourbillon des cieux (14)·» Si l'on voulait continuer le même examen, pour chacun des autres éléments grammaticaux des Hébreux, on leur trouverait un sens pareil (15). Nous nous sommes déjà livrés à ce travail, lorsque nous avons démontré que les Grecs avaient reçu des secours de tout genre, de la part des barbares. Si quelqu'un s'appliquait à l'étude spéciale de la langue hébraïque, il verrait avec quelle justesse de signification les noms ont été distribués par ces hommes. Cependant, comme le nom appellatif de toute la nation vient d'Héber, qui signifie passager (en effet, le mot Héber dans la langue Hébraïque, a la signification de trajet et passage), le raisonnement nous enseigne de nous préparer à la transition d'ici-bas à Dieu, sans nous attacher irrévocablement à la contemplation des choses visible· ; mais de songer à passer de celles-ci, à celles qui sont soustraites à nos regards, c'est-à-dire à la connaissance du Dieu créateur et ordonnateur de l'univers. C'est en ce sens qu'ils ont nommé Hébreux, ceux · qui les premiers se consacrèrent au seul être qui dirige tout, parce qu'il en est l'unique cause, et s'y attachant par une piété pure et sincère, ont mérité d'être appelés passagers. Quant à leur entendement, qu'ai-je besoin de m'étendre plus longuement sur ce sujet, en rassemblant tout ce qui prouve la rectitude et la diligence des Hébreux dans l'emploi des noms? Une question pareille ne pourrait être bien traitée que dans un ouvrage spécial. Mais pour me résumer, je dirai qu'il me semble avoir suffisamment démontré, par ce qui précède, le zèle des Hébreux pour l'étude de la logique, si, comme Platon le déclare, ce n'est pas l'œuvre d'hommes vulgaires et sans éducation, mais celle d'un législateur sage et dialecticien, d'avoir appliqué aux choses des dénominations puisées dans la nature; comme nous l'avons fait voir de la part de Moïse et des livres saints des Hébreux. Que vient-il, à considérer, après la logique, sinon la physique et les progrès que les enfants des Hébreux ont faits dans cette science?

 

CHAPITRE VII.

DE LA PHILOSOPHIE NATURELLE CHEZ LES HÉBREUX.

 

La troisième partie de la philosophie des Hébreux a pour objet la physique, qui se divise, suivant eux, en deux sections: la considération des substances intellectuelles et incorporelles, puis celle des substances qui tombent sous les sens. Les prophètes si consommés en tout point, ont su mêler cette instruction à leurs discours, chaque fois que l'occasion le requérait. Ce n'est point par des probabilités, ni par tous les efforts de l'intelligence mortelle qu'ils l'enseignaient; ce n'est pas en se prévalant de l'autorité des maîtres qui les avaient instruite ; mais par l'impulsion d'une puissance supérieure et divine, et par l'inspiration de l'esprit de Dieu, qu'ils communiquaient leur savoir. C'est de la sorte, que les prédictions sans nombre sur les événements futurs leur sont dues, et que des instructions positives sur la nature des choses ont été données par eux. Ils ont aussi fourni des observations zoologiques; mais ils se sont surtout fait remarquer par les notions de botanique répandues dans leurs prophéties. Moïse qui était très versé dans la connaissance des propriétés des pierres, a fait un usage très habile de cette science dans l'habillement du grand-prêtre. Salomon a reçu de la Sainte-Ecriture au témoignage qu'elle n'a accordé à aucun autre, sur sa supériorité en philosophie naturelle, en ces termes : « Salomon[4] proposa 8.000 paraboles; il avait composé 5.000 odes. Il parla sur les bois, depuis le cèdre du Liban jusqu'à l'hyssope qui pousse sur les murailles. Il parla sur les bestiaux, sur les oiseaux, sur les reptiles, sur les poissons, et tous les peuples venaient pour entendre la sagesse de Salomon: il recevait des dons de tous les rois de la terre, qui avaient entendu parler de sa sagesse. » C’est de là que l'auteur du livre de la Sagesse, qui porte le nom de ce prince et respire la plus haute vertu, s'est décidé à le faire parler en ces termes :[5]

« C'est (Dieu), dit-il, qui m'a donné la science certaine des choses, qui m'a fait connaître l'enchaînement de l'univers, la vertu des éléments, le commencement, la fin et le milieu des temps, les variations qui tiennent au changement des tropiques dans la marche du soleil, les modifications des saisons, le cours des ans, la position des astres, la nature des animaux, les instincts des bêtes sauvages, la force des vents, les pensées des hommes, les propriétés des plantes, les vertus des racines, tout ce qui est caché et n'a pas encore été révélé. C'est la sagesse inventrice de tous les arts qui m'a instruit. »

Le même Salomon dit encore dans l'Ecclésiaste, en proclamant la nature et l'essence toujours muable des corps:[6] « Vanité des vanités, tout est vanité. Que retire l'homme de tout son travail, du travail auquel il se livre sous le soleil ? » Puis il ajoute : « Que s'est-il passé jadis? ce qui se passera un jour. Qu'a-t-il été fait? ce qu'on fera encore. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. »

Telles sont ou à peu près toutes les doctrines physiques sur l'essence des corps ; et en passant en revue les autres Hébreux doués de sagesse, vous les trouverez en possession de la même science. Ainsi que je l'ai déjà dit, ils ont disserté sur les plantes à l'infini, sur les animaux terrestres et aquatiques, enfin sur la nature des oiseaux. Que dis-je? ils ont raisonné sur les astres du ciel. On trouve, en effet, dans leurs écrits des mentions, qui ne sont nullement superficielles, de ce qu'il plaît aux Grecs de nommer l'Ourse, la Pléiade, l'Orion, l'Arctoure, l'Arctophylax et le Bouvier; sur l'ensemble de l'univers, sur les conversions et les altérations de toutes les substances, sur l'essence de l'âme, sur la nature visible des êtres raisonnables, sur leurs opérations invisibles, sur la providence universelle, et avant tout cela, sur la première cause de tout ce qui existe, sur les doctrines théologiques de la seconde cause, sur ce qui n'est soumis qu’à l'action de l'entendement; sur toutes ces choses, dis-je, ils ont laissé des traités complets, profonds de pensées et soigneusement rédigés, en sorte que, sans crainte d'errer, on peut dire que tous ceux qui, chez les Grec, prétendent avoir fait les mêmes découvertes, étant plus jeunes, n'ont fait que suivre les traces des inventeurs plus anciens. En voilà assez de dit sur la physique générale. Ayant divisé en deux parties toute la physique, celle qui traite des choses soumises aux sens ne leur a pas semblé de nature à être exposée à la multitude jusque dans ses notions les plus délicates, et ainsi ils n'ont rien voulu apprendre à cette tourbe concernant les causes de la nature universelle, se bornant à lui faire savoir que le monde n'était pas l'effet du hasard, qu'on ne devait pas en attribuer le principe à un entraînement irraisonnable, gratuit et sans motif, de la matière ; mais que le Verbe de Dieu le dirige comme un cocher, que sa sagesse ineffable en est le pilote.

Quant aux substances intellectuelles, leur existence, leurs espèces, l'ordre de subordination dans lequel et les sont rangées, leurs facultés, les différences qui les séparent, tout cela est dit et inculqué dans les livres saints. On l'a fait entendre à toutes les classes, autant qu'il importait qu'elles en fussent instruites, pour les entretenir dans la piété et dans la pratique d'une vie chaste et honnête. Le surplus qui cherche à creuser dans la profondeur de ces sciences mystérieuses, le leur laissant ignorer, ils ne l’ont communiqué qu'à ceux qui étaient capables de le comprendre et de le retenir. Il ne suffira de donner un échantillon des considérations auxquelles ils se sont livrés à ce sujet, leur opposant Platon, et les autres philosophes qui se sont le plus occupés de pareilles recherches.

 

CHAPITRE VIII.

DE LA PHYSIQUE APPLIQUÉE AUX CHOSES DE L'ENTENDEMENT.

 

Il est facile de se convaincre, par les termes mêmes dont Platon s'est servi, tout admirable qu'il est, qu'il n'a fait que suivre Moïse et les prophètes, dans tout ce qu’il a écrit comme théorie et enseignement, sur les substances intellectuelles et incorporelles ; soit qu'il ait appris ces choses, en les entendant d'eux-mêmes; (en effet, il est constant qu'il a été en Egypte, et qu'il y a séjourné à l'époque où les Hébreux ayant été chassés de leur patrie, se réfugièrent chez les Egyptiens, pour se soustraire à la domination des Perses (16) ; soit qu'il ait dû à ses propres méditations, de découvrir les mêmes vérités sur la nature des choses; soit enfin que Dieu l'ait jugé digne jusqu'à un certain degré, qu'il lui révélât cette science,[7] ce Dieu en effet, dit l'apôtre, leur a été révélé; car ce qui est invisible en Dieu, est devenu visible par ses œuvres depuis la création du monde : savoir, sa puissance éternelle et sa divinité, en sorte qu'ils sont devenus inexcusables. »

La comparaison que nous allons en faire, va vous donner la démonstration de ce que j'avance.

 

CHAPITRE IX.

DE L’ÊTRE PAR EXCELLENCE SUIVANT MOÏSE ET PLATON.

 

Moïse, dans son inspiration, ayant rendu cet oracle, comme proféré par la bouche de Dieu:[8] « Je suis celui qui est. Vous direz ainsi aux enfants d'Israël : celui qui est, m'a envoyé vers vous. » Par ces expressions, a donné à comprendre hautement qu'il n'y avait qu'un Dieu, et que lui seul méritait qu'on lui donnât ce nom, qui n'appartient qu'à lui et ne convient qu'à lai. Salomon s'étant écrié, en enseignant comment tous les corps sensibles naissent et périssent, « Qui a été autrefois? ce qui doit être un jour, il n'y a rien de nouveau sous le soleil : qui est-ce qui dira voici que cela est nouveau? cependant cela a eu lieu dans les siècles qui nous ont précédé, et qui sont bien loin de nous (Eccl. 1. 9 et 10) » En conformité de ces doctrines, nous dirons que toutes les substances se divisent en deux : celles intellectuelles et celles qui tombent sous les sens. Ce qui est intellectuel, est par sa nature incorporel, doué de raison, impérissable et immortel. Ce qui est soumis aux sens, est dans un écoulement perpétuel qui tend à la dissolution, et n'a d'existence que par la mobilité et le changement. Toutes ces choses étant ramenées à un principe unique, nous offrent une substance simple, ingénérée, le propre et véritable être des dogmatistes, cause de tout ce qui existe, tant corporel qu'incorporel. Maintenant, voyez de quelle manière Platon, ayant calqué non seulement la pensée, mais les phrases, et jusqu'aux mots de l'écriture des Hébreux, s'approprie cette doctrine, en la développant et l'éclaircissant ainsi qu'il suit : « [9] Qu'est-ce qui existe de tout temps et qui n'a point été engendré ? qu'est-ce qui est toujours engendré, sans avoir jamais une existence réelle ? Le premier n'est compréhensible que par la pensée, à l'aide du raisonnement, étant toujours dans les mêmes conditions d'existence. Le second n'étant imaginé qu'au moyen des sens dépourvus d'intelligence, naissant et mourant, n'est jamais, à proprement parler, et en réalité, existant. » Est-ce que ce grand philosophe n'a pas clairement développé l'oracle que nous avons rappelé de Moïse : Je suis celui qui est; en le transformant de lui-même dans ces termes:[10] « Qu'est-ce qui existe de tout temps, sans avoir été jamais engendré? et en l'ayant encore plus clairement fait comprendre, lorsqu'il dit que l'être n'est pas autre chose, que ce qui n'étant pas saisissable par les yeux de la chair, ne se perçoit que par l'entendement. S'étant interrogé sur ce qu'est l’être, il se répond à lui-même, en disant : « C'est ce qui n'est compréhensible que par la pensée à l'aide du raisonnement. Le mot de Salomon étant ainsi conçu : qu'est ce qui a été produit? ce qui doit encore se produire. Qu'est-ce qui a été fait? ce qui doit encore se faire. On verra que Platon l’a interprété à peu près dans les mêmes termes:[11] « Ce qui n'est concevable qu'au moyen de sens dépourvus d'intelligence ; qui naît et qui meurt, n'est, à proprement parler, jamais existant. » A quoi il ajoute : « Toutes les divisions pareilles du temps, le, était, le, sera. C'est à tort et sans nous en apercevoir, que nous les incorporons dans l'existence éternelle. Nous disons en effet, était, est, sera ; mais il n'y a que est, qui convienne au langage vrai, était et sera, ne peuvent être dits que de ce qui est engendré dans les temps; car ce sont des motions. Ce qui est, est toujours et inébranlablement dans les mêmes termes, il ne lui convient pas d'être ni plus vieux ni plus jeune, dans l'ordre des temps, ni de naître dans le passé, ni d'être né dans le présent, ni de devoir naître un jour absolument parlant, en un mot, rien ne lui appartient de ce qui est engendreraient, dans les choses soumises aux sens.

« Toutes ces expressions sont des manières d'être du temps, qui étant renfermé dans les nombres veut cependant imiter l'éternité, en s'exprimant de cette sorte : savoir, que le passé est passé que le présent, est présent, quel avenir est l’avenir. » Toutefois, de peur que l'on ne suppose que nous avons donné un sens erroné aux paroles du philosophe, je vais citer des commentaires qui vous donneront la véritable acception dans laquelle elles doivent être entendues: Un grand nombre d'interprètes se sont en effet appliqués à découvrir la pensée qui les a dictées. Il me suffira maintenant de transcrire les explications dues à Numénius le Pythagoricien, qui est fort honorablement connu : elles sont tirées du second tome de son livre du Bien. (17).

 

CHAPITRE X.

DU SECOND TOME DE L’OUVRAGE DE NUMÉNIUS LE PYTHAGORICIEN,

INTITULÉ DU BIEN.

 

« Serrons-nous donc le plus près possible, autant que notre intelligence nous en donne le moyen, à l'Etre et disons qu'il n'était pas jadis, qu'il ne sera pas-un jour; mais qu'il est toujours dans un temps fixe : le seul présent. Si l'on veut appeler le présent Eternité, j'y consens. Nous devons croire que le temps qu'on nomme passé s'est écoulé, et à tel point qu'il s'est dérobé de manière à ne plus faire partie de l'être; quant au futur il n'est pas encore, on annonce bien qu'il est fait pour parvenir à l'être. Mais il n'est rationnel sous aucun rapport de ranger parmi les Etres ni ce qui n'est plus ni ce qui n'est pas encore et qui ne sera peut-être jamais; en sorte que le tout étant entendu ainsi, il en résulte une grande impossibilité de langage, de soutenir qu'une chose est à la fois et n'est pas. Or, si ces précédents sont exacts, à plus forte raison deviendra-t-il impossible de dire que ce qui n'a pas d'existence réelle, considéré abstractivement, puisse en avoir, comparé au véritable Etre. L'Etre, en effet, est éternel, immuable; toujours dans les mêmes conditions d'être : il n'a point pris naissance, il n'a point subi de destruction, il n'a point gagné en grandeur ni perdu en petitesse, il n'a été ni plus ni moins en quantité ni rien des autres choses; il ne saurait changer de place ; en effet il n’a possibilité de se mouvoir ni en avant ni en arrière, ni en haut ni en bas, ni à droite ni à gauche, ni circulairement sur son axe, il sera plutôt fixe et compacte, il reste toujours le même dans le lieu qu'il occupe.

Après d'autres paroles, il ajoute :

« Tout ceci n'est qu'un acheminement à ce que j'ai à dire, et pour ne rien dissimuler, je conviendrai que je n'ignore pas tout ce qu'emporte avec soi le mot incorporel; car il me semble qu'il est déjà plus doux de le dire que de le taire; et qu'on ne se prenne pas à rire lorsque je dirai que ce terme est ce que nous cherchons depuis longtemps, et qu'il est synonyme de substance et d'être. La raison véritable de ce nom tient à ce qu'il n'est point engendré et est à l'abri de la destruction, à ce qu'il ne reçoit aucune impulsion vers le mouvement et n'admet de changement ni en bien ni en mal; il est simple, il.est invariable, toujours dans la même nature, sans pouvoir sortir de cette uniformité, ni par sa volonté ni par celle des autres. Platon a dit, dans le Cratyle, que les noms sont appliqués aux choses, par leur ressemblance. Accordons cela et qu'on admette que l'Etre est l'incorporel. »

Ensuite un peu plus bas il revient à là charge en disant :

« J'ai dit que l'Etre était l'incorporel, j'ajoute qu'il est l'intellectuel; car autant que je puis m'en rappeler, les choses, que j'ai dites, étaient telles. J'engage donc à ce qu'on veuille relire cet écrit, en m'excusant de me répéter, j'ajouterai seulement que si les principes qu'il renferme ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de Platon, on doit croire qu'ils ont été empruntés à quelque autre grand homme, comme Pythagore.

« Voici ce que dit Platon; permettez que je le rappelle en partie :

« Qui est-ce qui existe de tout temps sans avoir jamais été engendré ? Qui est-ce qui est toujours engendré sans avoir jamais d'existence réelle ? Le premier n'est compréhensible que par la pensée, à l'aide du raisonnement ; le second, qui n'est imaginé qu'à l'aide des sens, dépourvus d'intelligence, naissant et mourant, n'est jamais, à proprement parler, existant.»

Lui demande-t-on ce qu'est l'Etre, il répond sans hésitation : ce qui n'a point été engendré ; car l'engendrement, continue-t-il, ne va point à l'Etre, il aurait dû changer. Or rien de ce qui est muable n'est éternel. Ensuite il revient sur ce qu'il dit : « Si en effet l'Etre est partout et de toute manière éternel, s'il est immuable, ne pouvant jamais sortir de sa condition actuelle, demeurant constamment dans l'ordre de choses dans lequel il est placé ; certes une telle chose ne peut se concevoir que mentalement, par le secours du raisonnement. Si au lieu de cela, le corps est dans un état de perdition et changement perpétuel ; il nous échappe et n'est pas réellement existant. N'est-ce donc pas une haute sottise de dire qu'il existe, lorsqu'on ne peut le définir; que l'imagination seule nous en donne l'idée ? Et comme le dit Platon : Ce qui naît et ce qui périt n'a réellement pas d'existence. »

Ceci est dû à Numénius, expliquant à la fois Platon et Moïse; bien plus encore Moïse. C'est donc avec raison qu'on lui attribue le mot qu'il· passe pour avoir dit : Qu'est-ce que Platon, sinon Moïse parlant la langue Attique (18) ?

Considérez, après ce qui vient d'être allégué, si Plutarque, en expliquant la même pensée avec plus d'étendue, ne concourrait pas à dire les mêmes choses que les philosophes; et qui plus est, s'il ne s'accorderait pas avec toutes les autres doctrines théologiques, tant celles où les Hébreux font intervenir Dieu parlant lui-même : C'est pourquoi je suis votre Dieu et je ne change pas (Malach. III. 6), que celles où le prophète s'adressant à Dieu, lui parle en ces termes : « Toutes les choses visibles éprouveront des altérations et des changements, vous seul êtes toujours le même et vos années n'auront point de fin (Ps. 101. 28).

Examines donc si ces paroles que Dieu proféra par l'organe de Moïse, Je suis celui qui est; puis : Je suis le Seigneur votre Dieu, je ne changerai pas ; enfin, Vous êtes toujours le même; ne semblent pas interprétées et commentées par Plutarque s'exprimant dans les termes que je vais citer, tirés du traité de l'inscription Et, sur le temple de Delphes.[12]

 

CHAPITRE XI.

EXTRAIT DU TRAITÉ DE PLUTARQUE, INTITULÉ DE εἰ, INSCRIT A DELPHES.

 

« Je crois que cette lettre (la cinquième) ne signifie ni un nombre, ni un ordre d'interrogation, ni une conjonction (optative ni dubitative), ni une expression des autres parties elliptiques du discours ; mais que c'est la manière d'aborder et de nommer Dieu, la plus parfaite, qui en même temps qu'elle le désigne par le son proféré, nous met dans la pensée, l'idée de la puissance divine. En effet le Dieu, comme pour saluer chacun de ceux d'entre nous qui s'approchent de lui, leur adresse le γνῶτι σεαυτόν: connais-toi toi-même, qui certes ne le cède en rien au χαῖρε d'usage : réjouissez-vous; et nous, en échange, en répondant au Dieu, nous prononçons Εῖ, (vous êtes) rendant parce mot le salut le plus vrai, le plus éloigné du mensonge, le seul enfin qui convienne véritablement au Dieu unique, auquel rien ne manque de ce qui constitue la véritable existence. Toute nature mortelle placée intermédiairement à la naissance et à la mort, ne nous donne qu'une image· infidèle, qu'une opinion erronée et incertaine de cette chose ; mais si l'on, veut s'appesantir par la méditation sur l'idée que ce mot : existence, comporte, il arrive qu'elle vous échappe, d'autant plus qu'on la presse davantage : semblable à l'eau qu'on serrerait avec force dans ses mains, dans le but de la comprimer et de la condenser. Ainsi la pensée poursuivant, jusque dans ses derniers retranchements, la faculté propre à chacun des êtres passibles et sujets au changement, s'égare, ne pouvant saisir aucune fixité entre ces deux termes, la naissance et la mort, où l'ou puisse dire qu'il jouit véritablement de l'existence. On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve, dit Héraclite (19). On ne peut pas non plus deux fois saisir la substance mortelle dans son essence; mais par son imperceptible et rapide changement, elle dissipe de nouveau, et de nouveau recompose, ou plutôt ce n'est ni de nouveau, ni postérieurement; mais c'est en même temps et à la fois qu’elle combine et se décompose ; qu'elle acquiert et dépense; en sorte que ce qui naît d'elle ne parvient jamais à une existence complète, par la raison que jamais elle ne se repose ni ne s'arrête dans son engendrement. Du germe transformé, elle compose un embryon, de l'embryon elle fait un enfant, puis un adolescent, un jeune homme, un homme, un vieillard, un être décrépit: chaque premier engendrement et chaque âge étant détruit par l'engendrement et l'âge qui le remplace. Et cependant nous sommes assez ridicules pour craindre la mort, lorsque nous sommes déjà morts mille fois et que nous recommençons à mourir. Ce n'est pas seulement, comme le disait Héraclite, la mort du feu qui est la production de l'air, ni la mort de l'air qui donne naissance à l'eau. Cela se prouve encore mieux par nous-mêmes : L'homme fait est tué par le vieillard, comme l'adulte l'avait été par l'homme fait, et l'enfant avait succombé sous l'adolescent, après avoir lui-même donné la mort au nourrisson. Le jour d'hier est mort dans aujourd’hui, qui, à son tour, cessera d'être demain. L'un ne dure pas, l'autre n'est pas. Nous sommes plusieurs autour d'un fantôme d'existence, autour de la matrice commune d'une matière qui afflue et s'échappe. En effet, comment, si nous demeurions les mêmes, pourrions-nous nous complaire dans d'autres occupations que celles qui nous charmaient autrefois? Comment aurions-nous, ou des penchants ou des aversions contraires a ce que nous avions précédemment? Pourquoi admirer ce que nous condamnions, condamner ce que nous admirions? Pourquoi changeons-nous de langage? Pourquoi avons-nous d'autres sentiments, sans conserver ni la même figure, ni la même tournure, ni la même manière de penser. Il est impossible que, sans changement, on puisse être aussi diversement affecté; et l'homme qui change n'est plus lui-même. S'il n'est plus lui-même, il n’est donc pas du tout; mais par le fait de son changement, il est devenu autre, d'autre qu'il était déjà. La sensation, par l'ignorance où elle est de l'être, ment quand elle donne ce nom à l'apparence. Qu'est-ce donc que l'Etre véritable? C'est l'éternel, l’ingénéré, l'impérissable, ce en quoi aucun temps n'apporte de changement. Le temps est quelque chose d'essentiellement mobile qui, s'unissant à la matière mue dont il prend l'apparence, ressemble à un vase de perdition et de régénération, qui laisse tout écouler sans rien retenir ; pour qui ces locutions : ensuite, auparavant, sera, a été, attestent surabondamment le défaut d'existence. Ce dont on peut dire, que ce qui n'a pas encore été, que ce qui a déjà cessé d'être, font partie intégrante, n'est-ce pas une stupidité et une absurdité de prononcer qu'il soit quelque chose? Et c'est sur cela que nous fondons surtout la notion du temps. Lorsque nous proférons dans ce moment, à présent, maintenant, le discours qui soit immédiatement vient l'anéantir et le dissoudre, il vient le morceler entre l'avenir et le passé ; comme on est forcé de faire (21} lorsqu'on veut voir le rayon solaire. Si la chose mesurée et l'étalon de mesure sont soumis aux mêmes accidents, sans conserver aucune stabilité, ce n'est plus rien qu'une annexe de la matière qui naît et périt ainsi que toute chose dans le calcul des temps. En conséquence, on ne peut rien dire qui soit pareil à l'égard de l'Etre, savoir : qu'il était ou qu'il sera. Ces expressions n'indiquent que des nuances variées, des modifications, des illusions de stabilité dans ce qui, par sa nature, n'a point d'existence.

« Au lieu de cela, on peut dire que Dieu existe, car il n'est aucunement soumis au temps, mais à l'éternité qui est immuable, indivisible quant à la durée, invariable dans ses positions, et dont on ne peut dire ni d'abord, ni après, ni futur, ni passé, ni plus ancien ni plus nouveau. Etant un, Dieu remplit, par le seul maintenant, toute l'éternité ; il est le seul dont on puisse affirmer qu'étant réellement, il n'a point été, qu'il ne sera pas, qu'il n'a point commencé, qu'il ne finira pas. C'est ainsi que, dans une profonde piété, nous devons le saluer en l'abordant comme l'ont fait quelques anciens, par ces mots εἶ ἔν (vous êtes un). En effet, la divinité n'est point multiple comme chacun de nous, assemblage étrange, artistement combiné, de mille oppositions de sentiments et de penchants. Au lieu de cela, l'Un doit être l'Etre, et l'Etre doit être l'Un; toute diversité étrangère à l'Etre, finit par donner naissance au néant. »

 

CHAPITRE XII.

QUE LA DIVINITÉ N'A POINT DE TERME QUI L’EXPLIQUE.

 

Moïse et les prophètes des Hébreux, s'accordant pour dire que la divinité est ineffable, ἄῤῥετον, ce terme est devenu le symbole dont ils l'appellent, déclarant, par ce mot, leur impuissance de le signifier. Platon est d'accord avec eux à cet égard : entendez comment il s'exprime dans sa grande lettre:[13]

 « Cela ne peut se dire à la manière des autres sciences, et ne peut se comprendre que par l'habitude de la méditation, et en vivant intimement avec la chose elle-même; Semblable à une flamme qui s'allume par un feu voltigeant, et qui s'emparent de l'âme, s'y nourrit d'elle-même. »

Cette comparaison tirée de la flamme, nous a déjà été fournie par un autre prophète des Hébreux, qui dit : « La lumière de votre visage s'est manifestée sur nous, Seigneur.[14] Un autre dit encore : « Nous verrons la lumière dans votre lumière (22). »

 

CHAPITRE XIII.

QU’IL N’Y A QU’UN SEUL DIEU.

 

Moïse, ayant dit en parlant du Dieu de l'univers, qu'il n'y a qu'un seul Dieu, « Écoutez Israël le Seigneur notre Dieu. Le Seigneur est un.[15] »

Platon semble concourir avec lui, lorsqu’il nous enseigne qu'il n'y a qu'un Dieu et qu'un ciel. Disant aussi dans le Timée:[16] « Quant à savoir si nous avons eu raison de dire qu'il n'y avait qu'un ciel, et, si nous n'aurions pas dû plutôt dire qu'il y avait plusieurs cieux, et même en quantité innombrable, s'il a été créé d'après son type exemplaire, il ne doit y en avoir qu'un, car sa concavité enferme toutes les espèces d'animaux qu'il est possible de concevoir; et il ne saurait en exister un second avec lui. »

On voit par là, qu'il ne reconnaissait qu'un seul Dieu, bien qu'en se conformant à l'usage des Grecs, il ait eu l'habitude d'en parler au nombre pluriel ; on le voit encore par sa lettre à Denys, dans laquelle lui donnant les marques symboliques des lettres qu'il lui écrit avec un soin particulier, et de celles qu'il jette indifféremment sur ses tablettes, qui n'ont aucun signe sérieux ; à ces dernières, il dit qu'il mettra en tête le nom des dieux, tandis qu’il inscrira celui de Dieu, à celles qui se recommandent à son attention.[17] Voici ses paroles :

« Quant au symbole des lettres que je vous adresserai, qui seront écrites sérieusement et celles qui ne le seront pas, je crois que vous devez vous en rappeler. Toutefois, mettez-vous le dans la tête, et veuillez à faire une sérieuse attention ; car il y a beaucoup de gens qui me prient de vous écrire, que je ne peux pas facilement et ouvertement éconduire. En tête d'une lettre sérieuse, vous trouverez le nom de Dieu; celui des dieux commencera les lettres d'un moindre intérêt. »

Le même philosophe déclare hautement, dans les livres des Lois,[18] qu'il tient ce dogme, concernant Dieu, des anciens.

« Dieu ayant en lui, suivant une doctrine ancienne, le commencement, la fin et le milieu de tous les êtres, accomplit sans divagation son œuvre, en circulant suivant sa nature. La justice marche toujours à sa suite, pour châtier ceux qui transgressent la loi divine. C'est en s'attachant à elle, en la suivant avec modestie et un maintien composé, que l'on assure son bonheur à venir. Mais celui qui, exalté par l’orgueil, ou confiant dans ses richesses, dans les honneurs dont il est revêtu, dans sa beauté corporelle, unissant la jeunesse à la sottise, enflamme son âme de l'impertinence, qui ne sied ni à un archonte ni à un stratège; il aurait beau être capable de commander aux autres, il sera laissé par Dieu, dans l'abandon. Au milieu de cet isolement il s'unit à tous ceux qui lui ressemblent, se livre à des mouvements impétueux, portant par tout le trouble avec lui. Dans le premier moment, il semble, à la multitude, être un personnage important; mais bientôt après, pliant sous le poids d'un juste châtiment, il renverse de fond en comble sa propre existence, sa famille et sa patrie.» Voici comment Platon s'exprime : Comparez à ces passages:

« Dieu ayant en lui le commencement, la fin et le milieu de tous les être; » ce qui est dit dans une prophétie des Hébreux;[19] « je suis le Dieu premier, et je suis encore après ces choses (23) ; » il accomplit sans divagation son œuvre, en circulant suivant sa nature ; son visage connaît la rectitude. » Comparez, à ces mots: « La justice marche à sa suite, pour châtier ceux qui transgressent la loi divine·, » « le Seigneur est juste, et il aime les justices.[20] » Puis : « c'est à moi qu'appartient la vengeance,[21] et je rendrai la pareille, dit le Seigneur. » Et ceci :[22]· « C'est pourquoi le Seigneur est vengeur, et rendra la pareille à ceux qui se livrent sans mesure à l'orgueil. » Opposez à ces mots : « C'est en s'attachent à elle, en la suivant avec modestie et un maintien composé, que l'on assurera son bonheur à venir. » Ceux-ci suivent et se rapportent à ces paroles : « Vous marcherez à la suite du Dieu votre Seigneur (Deutér., 13. 4.) : » « Celui qui se laisse exalter par l'orgueil, sera abandonné de Dieu » à celles-ci : « Dieu résiste aux superbes : il donne sa grâce aux humbles. » (Proverbes, 3. 34). Puis : « La joie des impies sera suivie d'une chute épouvantable (Job. 20. 5). »

Entre dix mille textes, en voici un petit nombre que j'ai cités, pour prouver ce que les Hébreux pensaient du Dieu de l'univers. Passons maintenant à l'examen de ce qu'ils croyaient sur la cause seconde.

 

CHAPITRE XIV.

DE LA CAUSE SECONDE, SUIVANT LES HÉBREUX ET PLATON.

 

Quant à la première cause de toutes choses, ce que nous avons dit et la manière dont nous l'avons dit, doit suffire pour faire connaître notre doctrine. Examinons maintenant ce qui a rapport à la seconde cause, que les oracles des Hébreux nous enseignent comme étant le Verbe de Dieu et Dieu issu de Dieu, et que nous sommes nous-mêmes instruits à nommer ainsi. Moïse, en effet, admet ouvertement deux Seigneurs dans sa théologie, lorsqu'il dit : « Le Seigneur fit pleuvoir de la part du Seigneur, le feu et le soufre (Gen. 19. 24) sur la ville des impies.» Dans ce texte, Moïse, suivant son usage, s'est servi du même emploi de caractères hébraïques, pour les désigner l'on et l'autre, savoir : du mot Tétragramme, que leur religion défend qu'on prononce.

David, un autre de leurs prophètes, qui était en même temps un de leurs rois, a dit d'accord avec Moïse (Ps. 101. 1) : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite : » exprimant le Dieu suprême par le nom du premier Seigneur, et le second par l'emploi de la seconde dénomination. Or, à quel autre est-il permis de supposer que la divinité du Dieu ingénéré, cède sa droite, si ce n'est à celui qui est son Verbe, que le même prophète, dans un autre écrit, caractérise d'une manière plus manifeste, en le nommant le Verbe du Père, l'indiquant comme le Démiurge (créateur) annoncé par les prophètes, de l'ensemble des choses : « Par le Verbe du Seigneur, les cieux ont été solidement fondés (Ps. 32. 6)? » Il le présente encore comme le Sauveur de tous ceux qui avaient besoin d'être guéris par lui : « Il envoya son Verbe, et il les guérit (Ps. 106. 20). » Puis Salomon, qui fut en même temps son fils et son successeur, sous une autre dénomination, nous représente la même idée : au lieu du Verbe, il l'appelle la Sagesse et le fait apparaître, disant ces paroles en son nom (Prov. 8, 12. 22) : « Je suis la Sagesse, j'habite dans le conseil, j’ai appelé près de moi la science et la réflexion. » Ensuite il ajoute : « Le Seigneur m'a créé pour être le commencement de ses voies, dans les œuvres (qu'il se propose) ; il m'a fondé avant l'éternité, dans l'origine : avant de faire la terre, avant d'asseoir les montagnes, il m'a engendré avant toutes les collines : lorsqu'il préparait le ciel, j'étais assis auprès de lui. » Ce qui va suivre, est encore de lui. (Prov., 5, 1, 9) « Le Seigneur a fondé la terre dans sa sagesse, il a préparé le ciel dans sa prudence. » Il dit encore de lui : (Sagesse, 7, 21) « J'ai connu tout ce qui est caché et tout ce qui est évident ; car la sagesse, qui est l'artisan de toutes choses, a été mon docteur. » Puis il demande : (Sagesse, 6, 24) « Qu'est-ce que la sagesse, et comment est-elle advenue ? je vais vous l'annoncer, je vous révélerai des mystères, et je vous mettrai sur leur trace, depuis l'origine de la création. » Ensuite il l'explique de cette manière : « Cette sagesse est un esprit intelligent, saint, seul engendré, nombreux en parties, léger, facile à émouvoir, transparent, incorruptible, tout-puissant, considérant toutes choses, passant à travers tous les esprits intelligents, purs, et les plus légers : La sagesse est plus mobile que toute espèce de mouvement : elle chemine et traverse toute chose, par sa pureté. C'est la vapeur de la puissance divine, c'est une émanation pure de la gloire du Tout-Puissant; c'est pourquoi rien d'impur ne peut se rencontrer en elle. C'est un rayon de la lumière éternelle, c'est le miroir sans tache de l'énergie divine, c'est l'image de sa bonté (Sagesse, 7); elle s'étend avec force d'une extrémité à l'autre extrémité, elle gouverne tout avec douceur (Sagesse, 8), » C'est l'Ecriture qui parle ainsi. Mais Philon l'Hébreu, en interprétant avec plus de clarté l'idée de dogme, le rend de la manière suivante (24).

 

CHAPITRE XV.

DE PHILON SUR LA DEUXIÈME CAUSE.

 

« Il est honorable, pour, ceux qui ont mis toutes les relations sociales dans l'étude et la science, de désirer de voir l'Etre par excellence, ou s'ils ne peuvent y parvenir de voir au moins son image la plus sainte : le Verbe.[23] »—Il dit encore dans le même ouvrage :« S'il n'est arrivé à qui que ce soit de pouvoir être nommé avec convenance fils de Dieu, qu'on s'empresse au moins de s'orner des qualités qui distinguent son premier-né : le Verbe, le plus ancien des anges, qu'on doit nommer l'Archange polyonyme (de beaucoup de noms), car il est appelé le principe, le nom de Dieu, son Verbe : l'homme d'après son image est le voyant Israël. Cela fait que j'ai été amené un peu avant, à louer les vertus de ceux qui disent que nous sommes tous les fils d'un seul homme ; et si nous ne sommes pas devenus encore capables d'être crus les enfants de Dieu, soyons-le au moins de son image invisible du Verbe; car le Verbe le plus ancien, est l'image du Dieu très saint.[24] » Ensuite il ajoute : « J'ai entendu l'un des compagnons de Moïse, qui proclamait cet oracle : Voici l’homme qui a pour nom : Orient, (ἀνατολή): appellation la plus étrange, si vous supposez qu'elle désigne un être formé d'un corps et d'une âme; mais si vous comprenez que cette substance incorporelle porte en elle l'idée de la divinité, vous conviendrez incontestablement, que ce nom d'ἀνατολή, lui a été donné avec la plus grande convenance ; car c'est le fils le plus ancien, que le père de toutes choses a fait éclore, qu'il nomme ailleurs son premier-né, et le fils imitant les voies du père, qui dirigeant ses regards vers les exemples archétypes de son père, y a conformé ses créations.[25] » Ces paroles, tirées du juif Philon, doivent suffire; elles appartiennent au traité qui porte pour titre : De l'habitude des méchants de s'attaquer aux bons (25).Ayant déjà donné, dans les livres de la Préparation évangélique qui ont précédé, de nombreuses professions de foi, preuves de la piété des Hébreux, je regarde comme inutile d'insister davantage sur leur croyance concernant la seconde cause, et je renvoie à leurs livres, ceux qui mettent du prix à acquérir plus d'instruction sur cette matière. Les doctrines théologiques de ce peuple sur la seconde cause de l'existence du monde, étant donc telles et tellement enseignées, il est à propos d'entendre Platon parler dans l'Epinomide (26).

 

CHAPITRE XVI.

DE PLATON SUR LA SECONDE CAUSE.

 

« Rendons des hommages (égaux à ces puissances) non pas en sorte d'attribuer l'un à l'une,· le Mois à l'autre, tandis qu'aux autres nous n'accorderons pas la moindre part, ni le moindre temps de celui pendant lequel le ciel accomplit son mouvement circulaire, en maintenant cet ordre admirable que nous voyons et que lui a tracé le logos le plus divin entre tous les dieux : Ce Verbe que· l'homme capable de science (27), a commencé par admirer, pour s'éprendre ensuite du désir le plus vif que puisse ressentir une nature mortelle, d'apprendre à le mieux connaître. »

« Dans sa lettre à Hermias, Eraste et Corisque : « Vous devez lire tous trois ensemble cette lettre, plutôt en commun, sinon, au moins deux à la fois, suivant la faculté que vous en aurez, et le plus souvent qu'il vous sera possible, en considérant cela comme un pacte, comme une loi suprême à laquelle vous vous astreindrez par serment, d'unir vos efforts, qui ne seront point sans succès, et l’instruction sera sœur de ces mêmes efforts, invoquant, comme arbitre de ces-serments, le Dieu, chef de tous les Etres, tant vivants qu'à venir, et le Seigneur, père du chef et cause d'existence (ἡγεμών καὶ ἀίτιος). C'est lui qui sera le terme de notre science; si bous nous livrons à une philosophie solide et véritable, autant qu'il est donné aux heureux parmi les hommes d'y parvenir.[26] »

Ne vous semble-t-il pas que Platon se soit mis à la suite des dogmes des Hébreux ? et d'où aurait-il pu tirer, d'ailleurs, qu'il · y ait un autre Dieu meilleur et générateur de Celui qu'il· nomme la cause de tous les Etres, qu'il salue du nom de père du Panhegemon? Pourquoi attribue-t-il le nom de Seigneur au père du Démiurge, sans que jamais, avant lui, une semblable dénomination ait frappé les oreilles des Grecs, ni pénétré dans leur intelligence ? Si de nouveaux témoignages vous sont nécessaires pour acquérir une conviction inébranlable de la pensée du philosophe et de la manière dont il l'exprimait, écoutez ce que dit Plotin dans son exposition des trois Hypostases archiques. Voici comme.il explique la doctrine du philosophe.

 

CHAPITRE XVII.

DE PLOTIN SUR IA SECONDE CAUSE.

 

« Si l’on s'étonnait de voir que le inonde fût doué de sensibilité, (28) en considérant sa grandeur, sa beauté, l'ordre imprimé de toute éternité à sa rotation, les dieux tant visibles, qu'invisibles, qui y sont répandus, les démons, les animaux et les piaules, qu'on se reporte vers son Archétype, qui est son plus véritable aspect': là, on trouvera toute intelligence, et qu'il n'y a rien en lui que d'éternel, tant dans son intellect que dans sa vie essentielle; on y découvrira l'entendement, (νοῦς)sans mélange, qui en est le régulateur suprême avec la sagesse infime.

Plus bas il ajoute :·

« Quel est donc celui qui l'a engendré ? l'Etre simple, qui avant que cette multitude d'Etres eût apparu, a été cause de leur existence en une aussi immense quantité : celui qui a fait le nombre. Le nombre n'a pas d'existence a priori. Qu'aurait été, en effet, un, sans la dualité, et comment deux aurait-il donné l'idée de second en dehors de l'unité.

En suivant il dit encore :

« Comment donc, et quelle idée peut-on s'en former? Celle d'une lumière diffuse autour d'une substance inaltérable en essence, que nous comparerons à la clarté éblouissante qui environne le soleil. Il en est de même à l'égard de Dieu : C'est une émanation constante de lui-même sans changement dans le principe qui l'a produite ; et tous les Etres, aussi longtemps qu'ils subsistent, tirent leur existence hypostatique de son existence nécessaire et antécédente, à laquelle ils rattachent la leur, toute extérieure qu'elle soit, et qu'ils tiennent de sa seule puissance ; c'est comme une image permanente des archétypes dont il émane. Le feu répand ainsi sa chaleur hors de lui, et la neige ne concentre pas en elle tout le froid qui la condense. Les corps odorants en donnent surtout l'idée : tant qu'ils continuent d'être, ifs projettent autour d'eux une hypostase qui est perçue par tout ce qui s'en rapproche. De même que tous les sujets parvenus à leur développement engendrent, de même l'être parfait, de toute éternité doit éternellement engendrer ; mais ce qu’il engendre lui est inférieur. Que doit-on dire de l'être pariait par excellence? rien de lui, abstractivement parlant ; mais que les plus grandes choses en proviennent. La plus grande essence de toutes, après, lui, et la seconde, est le νοῦς, l'intelligence ; car le νοῦς le voit et n'a besoin que de lui, tandis que lui n'a pas besoin du νοῦς. Ce qui est engendré par l’intelligence suprême doit être intelligence ; car l'intelligence est la meilleure de toutes les choses, parce que toutes les choses viennent après elle. »

Il ajoute à la suite :

« Tout ce qui est engendré est chéri par son auteur; surtout quand ils sont seuls, le générateur et l'engendré. Mais quand cet auteur est ce qu'il y a de plus excellent au monde, l'engendré se rattache à lui par nécessité ; en sorte qu'il n'y a pas d'autre distinction entre eux que l'existence différente. Nous disons que le νοῦς est l'image de son auteur, par l'obligation de nous rendre, intelligibles. »

Après toutes ces choses, il dit encore (c. 8).

« Voici la cause de la triple expression de Platon. Toutes les fois qu'il parle du Roi, il dit premier, en parlant des premières notions ; second, en parlant des secondes ; troisième en parlant, des troisièmes. Il dit qu'il est père de la cause, appelant la cause νοῦς ; le Démiurge est pour lui synonyme de νοῦς. Il ajoute qu'il fait provenir l'âme dans cette coupe. Le νοῦς donc, ou l'intelligence, étant la cause, le père il le nomme τἀγαθόν (le bien), la chose au-dessus du νοῦς et au-dessus de toute substance ; souvent encore il l'appelle l'Etre τὸ ὄν, et le νοῦς il l'appelle l'Idée (ἰδέα) ; en sorte que Platon reconnaît que l'intelligence (νοῦς)est procréée par le bien τἀγαθόν, et que du νοῦς procède l'âme (ψυχή)· Ces manières de parler ne sont pas nouvelles ni d'aujourd'hui, mais anciennes, quoique dites d'une manière enveloppée ; les façons de dire actuellement employées ne sont que les interprétations des anciennes, et nous donnerons la preuve que-ces opinions sont anciennes par les textes de Platon lui-même. »

Voici en quels termes Plotin s'énonce. Pour Numénius, qui soutient les doctrines, de Platon dans son traité περὶ τἀγαθοῦ (du bien suprême), écoutons ses explications sur la seconde cause.

 

CHAPITRE XVIII.

DE NUMÉNIUS SUR LE MÊME SUJET.

 

« Quiconque vent acquérir une connaissance exacte du premier et du second Dieu, doit d'abord définir avec ordre et méthode chacune de ces choses; ensuite, lorsqu'il croira avoir accompli convenablement ce précédent, il devra s'efforcer d'en parler avec décence, sinon il fera mieux de se taire. S'il venait, en effet, à en parler prématurément, et avant d'avoir fait toutes les dispositions préparatoires, son trésor, suivant le proverbe, ne serait plus que de la cendre. Ne nous exposons donc pas à ce revers. Après avoir invoqué Dieu pour qu'il nous règle lui-même dans cette recherche et qu'il nous découvre le trésor de la pensée méditative, commençons ainsi.

« Il faut, après avoir, prié, définir ainsi :

« Le premier Dieu, existant par lui, est simple, en ce qu'étant compris en lui, il ne peut subir aucune distraction. Le second (30) n'est également qu'un; mais appliqué à la matière dont le dualisme est le propre, il l'unit, en étant divisé parcelle dont l'instinct est de désirer d'avoir, pour dissiper. En tant qu'il appartient à l'intellect, il aurait voulu se renfermer en lui-même; mais par le soin qu'il prend de la matière, en la considérant, il cesse de s'occuper de soi-même, et se mettant en contact avec l'être sensible, le cultivant, il contracte dans son propre caractère les qualités de la matière à laquelle il a porté les mains »

Après d'autres choses il ajoute :

« On ne doit donc pas supposer que le premier ait été créateur (Démiurge) ; mais nous devons penser qu'il est père du Dieu créateur, étant le premier Dieu. Si donc, en approfondissant la question du créateur, nous disions que le premier a dû lui préexister ; et que c'est ainsi qu'on peut concevoir qu'il a pu exercer un pouvoir suprême, cette manière d'entrer en discours n'aurait rien que de convenable; mais si, à l'occasion du même, nous cherchions à comprendre ce qu'est le premier Dieu, je redouterais d'aborder un pareil sujet. Je passerai donc sous silence une semblable matière, et je m'efforcerai de prendre le Commencement de mon discours sous un autre point de vue. Mais avant de le faire, avouons-nous à nous-mêmes, par une confession sincère, que nous entendons que le premier Dieu reste étrangère toute espèce d'œuvre comme Roi, et que c'est le Dieu Démiurge qui gouverne tout, en parcourant le ciel. Lorsque le νοῦς est envoyé dans les régions inférieures, dans ces divagations, c'est par lui que l'intelligence s'approvisionne chez tous les êtres, destinés par leurs facultés à y prendre part. Lorsque le Dieu nous envisage, qu'il s'applique à chacun de nous, alors il arrive aux corps de s'animer et de vivre, le Dieu les réchauffant par ses rayons; mais s'il détourne ses regards, et les concentre dans sa propre considération, alors les facultés matérielles s'éteignent, mais l'intellect vit en jouissant d'une vie de pure félicité. » Ces paroles sont de Numénius.

Comparez-y ce qui a été, d'ancienne date, chanté par les Hébreux sur le même sujet, et qui est tiré de la prophétie de David.

« O seigneur (Ps. 103. 21), combien vos œuvres sont magnifiques! vous avez tout fait dans la sagesse. La terre s'est couverte de votre création, qui attend tout de vous, pour lui donner les aliments, dans les temps convenables. Leur donnez-vous, ils s'empresseront de récolter? En ouvrant votre main tout regorgera des dons de votre bonté. Détournez-vous votre visage, la trouble et l'agitation s'en empareront? Vous leur ôterez la respiration, ils tomberont dans l'anéantissement ; ils rentreront dans la poussière d'où ils sont sortis. Mais vous leur renverrez votre esprit, ils seront récréés, et vous renouvellerez, la face de la terre.»

En quoi cela diffère-t-il de la pensée développée par le philosophe :

« Lorsque le Dieu nous envisage et qu'il s'applique à chacun de nous, alors il arrive aux corps de s'animer et de vivre, le Dieu les échauffant par ses rayons; mais s'il détourne ses regards et les concentre dans sa propre considération, alors les facultés matérielles s'éteignent.»

Ecoutons encore la parole du Sauveur : « Je suis la vigne, mon père est le vigneron, et vous êtes les pampres (Jean, 15, 5). »

Entendons de nouveau Numénius, professant ses doctrines théologiques sur la seconde cause. Comme il fait parler l'agronome à celui qui cultive, ce rapport se présente d'une manière frappante entre le premier Dieu et le Démiurge. « Le rapport qui existe, dit-il, de l'agronome à celui qui cultive, se présente d'une manière frappante, entre le premier Dieu et le Démiurge. L'être ὁ ὢν, étant le germe de toute âme, jette la semence dans les êtres qui ont en partage de la faire fructifier. Puis le législateur laboure, répartit, laboure une seconde fois dans chacun de nous, ce qui avait été jeté d'avance, venant de dehors.»

Plus loin, en parlant de la manière dont la seconde cause émane de la première, voici en quels termes il s'exprime :

« Quels sont les dons qui, entrant dans le domaine du donataire au détriment du donateur, sont la marque de sa déférence ? Ce sont les richesses de tout genre, argent monnayé, ciselé, au titre; toutes ces choses sont mortelles et humaines. Les dons divins sont d'une nature telle, qu'étant donnés et venant d'ici pour aller là, ils n'ont rien enlevé du lieu d'où ils sortent, tout en apportant à celui où ils arrivent. Ils enrichissent l'un sans appauvrir l'autre; bien plus, ils acquièrent une nouvelle valeur par la réminiscence des choses que l’on connaissait auparavant. Ce trésor, si précieux, c'est la science, cette belle acquisition qui vient au secours de celui qui la reçoit, sans rien ravir à celui qui la donne. Ainsi que l'on voit un flambeau s'allumer à un autre flambeau, qui a la lumière dont celui ci précédemment était privé; toutefois c'est la matière inflammable dont il est formé, qui a pu recevoir l'éclat lumineux. Il en est de même de la science; donnée et reçue, elle demeure également dans le donateur et dans l'impétrant. Quelle en est la cause, ô étranger ? c'est qu'elle n'est pas humaine; c'est que la substance qui possède l'aptitude à la science est la même dans Dieu qui la donne, et dans vous et moi qui là recevons. C'est par cette cause, dit Platon, que la sagesse a été communiquée aux humains, par Prométhée, avec le concours d'un feu étincelant (Platon dans le Philébus, p. 16 de H· Etienne.)»

Il dit encore en continuant :

« Telles sont les manières d'être du premier et du second Dieu : savoir que le premier, persévère dans son immobilité, que le second est toujours en mouvement ; le premier est exclusivement dans les choses intellectuelles; le second joint à l'intellect ce qui est du ressort de la sensation. Ne soyez donc pas étonné que j'aie ainsi parlé. Vous apprendrez encore des choses plus merveilleuses. A l'opposé du mouvement rapide du second Dieu, j'appellerai mouvement inné, l'immobilité du premier, d'où est sorti l'ordre de l'univers, dont l'influence unique, éternelle et salutaire, s'étend à tous les êtres. »

Dans le 6e livre, après tout ce que nous venons de lire, il ajoute :

« Comme Platon savait que le Démiurge seul était connu des hommes, tandis que le premier, qu'il appelle du nom de νοῦς, leur était complètement inconnu, ce fut la raison pour laquelle il s'est exprimé comme on le ferait en disant : « O humains, celui que vous supposez · être le νοῦς n'est pas le premier Dieu ; mais il est un autre νοῦς, plus ancien que lui et plus divin. »

Il dit encore, après d'autres choses :

« Le pilote· lancé au milieu de l'Océan, assis sur le banc élevé du gouvernail, dirige le navire, sans quitter sa place, par le mouvement qu'il imprime à la barre. Ses yeux et son esprit, tendus vers les régions supérieures de l'air, cherchent dans les météores célestes la direction du chemin qu'il doit faire suivre au navire, flottant sous lui, à travers les mers. De même, le Démiurge enchaînant par l'harmonie, la matière, afin qu'elle ne s'échappe ni ne s'égare, est également assis sur la matière comme sur le vaisseau, dans la mer, pour en diriger l'harmonie par le gouvernail de la pensée; mais au lieu de fixer ses regards sur le ciel, c'est vers le Dieu suprême qu'il les porte; et il puise, dans cette contemplation, le discernement de la sagesse, et dans son élan vers lui, la vertu active. »

Le Verbe-Sauveur a dit :

« Le fils ne peut rien faire de lui-même, s'il ne regarde faire son père (Jean, 3, 19).

Tout· ce que nous venons de citer sur ce sujet est de Numénius, ou plutôt; ce sont les doctrines propres à Platon, et non pas les siennes qu'il développe ainsi : ce que nous n'avons pas besoin de confirmer par les propres paroles du philosophe. Mais Platon lui-même n'a pas été le premier à en faire usage, et les extraits que nous avons cités des sages des Hébreux, ont clairement prouvé qu'ils l'avaient devancé. Aussi, l'un des derniers philosophes qui se sont rendus célèbres, Amélius, zélé partisan, s'il en fût, de la philosophie platonicienne, tout en nommant barbare le théologien hébreu, qu'il n'a pas daigné désigner sous son nom, n'a pu, cependant, résister à citer les propres expressions de l'évangéliste Jean. Voici en quels termes.

·

CHAPITRE XIX.

D’AMÉLIUS SUR LA THÉOLOGIE DE NOTRE ÉVANGÉLISTE JEAN.

 

« C'était ce Verbe à qui tout ce qui existe doit son origine, comme le voudrait dire Héraclite, et que par Jupiter, le barbare veut nous représenter assis près de Dieu, et Dieu lui-même, dans l'arrangement et au milieu du trouble de la création du l'univers. Toutes choses ont été faites par lui sans efforts, c'est en lui que l'animal vivant puise l'être et la vie. Il dit qu'étant tombé dans les corps et s'étant revêtu de chair, il a pris l'apparence d'un homme, de manière, toutefois, à montrer, même alors, toute la majesté de sa nature. Enfin, s'étant séparé de son corps, il est redevenu Dieu, et l'est tel qu'avant de prendre un corps et une chair, et de s'être mis au rang des humains (30 bis). »

Ce n'est pas d'une manière emblématique, mais hautement et la tête levée, qu'Amélius a fait cet emprunt à la philosophie des Barbares. Or, quel autre Barbare était-ce pour lui que Jean, l'évangéliste de notre Sauveur, Hébreu, né d'Hébreux; qui commence ainsi l'écrit dans lequel il expose sa théologie ? « Au commencement, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Il était dans le commencement en Dieu : tout a été fait par lui, et pas une seule chose n'a été faite sans lui, de tout ce qui a été fait. La vie était en lui; la vie était la lumière de tous les hommes, et le Verbe a été fait chair et il a habité par nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire telle que celle du fils unique du père. »

Mais voici encore, sur le même sujet, un autre théologien hébreu. Ecoutons comment il s'exprime : « Qui est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature, parce qu'en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre. C'est par lui que tout s'est ordonné; tout a été créé en lui, tant les choses visibles que les invisibles (Paul, Coloss., 1, 15). »

Nous voyons de la sorte l'accord des sages de la Grèce et des Hébreux, pour nous faire connaître l'essence et les attributs de la seconde cause. Passons maintenant à l'examen de la troisième.

 

CHAPITRE XX.

DES TROIS HYPOSTASES ARCHIQUES.

 

Les oracles des Hébreux, après avoir parlé du père et du fils, plaçant en troisième ordre le Saint-Esprit} et, supposant de cette manière la sainte et bienheureuse Trinité, cette troisième puissance dépassant toute la nature créée, en ce qu'elle prime toutes les essences intellectuelles qui doivent leur création au fils, et comptant comme troisième depuis la première cause, voyons de quelle manière Platon a donné une indication détournée des mêmes choses dans la lettre à Denys, en disant:[27] « Je dois vous parler en énigmes, de manière que, si cette tablette éprouvait dans ses plis quelque accident sur terre ou sur mer, celui qui viendrait à la lire, n'y comprît rien. En voilà l'énoncé. Autour du roi de l'univers, toutes les choses sont répandues et n'ont d'existence que par lui ; il est la cause de tout ce qui est bien. La seconde cause est entourée des secondes, et la troisième des troisièmes. L'âme de l'homme s'élance vers elles par le désir de savoir ce qu'elles sont, en portant ses regards sur les analogues en ce genre. »

Les commentateurs qui ont tenté d'éclaircir Platon, rapportent au premier Dieu ce qui est dit du premier ; à la seconde cause, ce qui lui appartient ; enfin, à l'âme de l'univers, ce qui est dit du troisième, en donnant une définition qui le montre comme troisième Dieu (31). Mais les livres divins placent, ainsi que nous l'avons fait connaître dans le discours de la création, la sainte et bienheureuse Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Faisons succéder à ces choses l'examen de la nature essentielle du bien.

 

CHAPITRE XXI.

DE LA NATURE ESSENTIELLE DU BIEN.

 

La divine écriture des Hébreux nous ayant enseigné de différentes manières quelle est l'essence du bien, nous donne à comprendre que le bien n'est pas autre chose que Dieu même, lorsqu'elle dit : « Le Seigneur est bon pour tous ceux qui mettent leur confiance en lui, pour l'âme qui le cherchera.[28] » Puis: « Rendez témoignage au Seigneur, parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde est pour les siècles (Ps. 105. 1): » enfin, parce qu'a dit notre Sauveur à celui qui le questionnait sur ce sujet (Matth., 19, 17). « Pourquoi m'interrogez-vous sur ce qu'est le bien? nul n'est bon, si ce n'est Dieu seul. »

Ecoutons ce que dit Platon dans le Timée.

« Disons la cause qui a porté le suprême ordonnateur de l'univers à l'engendrer et à le coordonner. Il était bon ! or, l'être bon ne saurait jamais avoir d'envie contre qui que ce soit. Etant exempt de passion, il a voulu que toutes ces choses lui ressemblassent le plus possible. »

Dans la République, il dit ce qui suit:[29]

« N'est-il pas vrai que le soleil aussi n'est pas la vue ; mais en étant cause, il est soumis à la vision de ce même organe? Cela est vrai, dit-il. — Eh bien, repris-je, dites que c'est de la même sorte que j'entends qu'est le fils du bien. Le bien l'a engendré semblable à lui et il en est de même dans la région intellectuelle pour l'intelligence et les actes qui en dépendent, que da soleil dans les choses visibles pour la vue et les objets visibles. »

Ensuite il ajoute :

« Ce qui donne le caractère de la vérité à nos connaissances, et ce qui rend a celui qui sait la conviction de sa science, dites que c'est l'idée du bien. »

Puis encore :

« Vous avouerez, je pense, que le soleil ne donne pas seulement la propriété d'être vus aux objets visibles ; maïs sans être la génération, il leur donné d'être engendrés, de s'accroître et de se nourrir. Comment, non? Dans ce qui est du ressort de nos connaissances, dites que, non seulement la connaissance que nous en avons émane du bien; mais que c'est de lui que ces choses tiennent l'être et leur substance; encore que le bien ne soit pas la substance, mais qu'il soit placé, par sa dignité et sa puissance, bien au-dessus de toute substance. »

Platon dit en ceci, de la manière la plus explicite, que non seulement l'attribution d'être connue, donnée aux substances intellectuelles, mais même l’existence et la substance leur vient du bien, c'est-à-dire de Dieu. Quant à ce qu'il observe que le bien n'est pas la substance, mais qu'il est placé par sa dignité et sa puissance au-dessus de toute substance, en aorte que rien ne lui est consubstantiel, ni ne peut être cru ingénéré; attendu que tout tire l'être et la substance de celui qui n'est point substance ; mais qui, par sa dignité et son pouvoir, est au-dessus de toute substance ; c'est précisément ce que les oracles des Hébreux proclament, en déclarant avec raison qu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui est, pour tous les êtres, la cause d'existence : ainsi, tous ceux, qui ne possèdent pas par eux-mêmes l'être et la substance, qui ne participent pas à la nature du bien, ne sauraient raisonnablement être considérés comme des dieux : le bien, en effet, ne leur est pas acquis par nature. On ne peut le placer que dans un seul et non dans un autre, savoir dans le bien unique, celui que Platon a admirablement proclamé au-dessus de toute substance, primant tout par sa dignité et sa puissance.

Voici de nouveau Numénius qui, développant la pensée de Platon dans ses livres du bien (περὶ τοῦ 'Αγατοῦ), s'exprime de la manière suivante :

 

CHAPITRE XXII.

DE NUMÉNIUS. DU BIEN.

 

« Il nous est donné de classer les corps, en signalant les similitudes qui les rapprochent, et par tous les signes de ressemblance que nous découvrons en eux; mais pour le bien, nous n'avons aucun moyen de le rattacher à quoi que ce soit qui lui ressemble dans les êtres sensibles ; il le faudra bien cependant· Ainsi, qu'un homme assis sur le rivage élevé de la mer, « percevant de loin une de ces barques de pêcheurs, qui ne naviguent jamais que seules, abandonnée et balancée par le mouvement des flots, la discerne d'un seul et même coup d'œil; de même nous nous mettons en rapport avec le bien unique, placé bien loin de tous les objets sensibles, en nous isolant de tout homme, de tout animal d'une autre espèce, de tout corps grand et petit ; nous nous transportons alors dans cette indicible, inénarrable et divine solitude où le bien réside, où est son séjour de délices. Là, dans, une paix profonde, dans une bienveillance constante, le bien habite solitaire, unissant le commandement à la commisération, porté sur la substance comme· sur un char. Que si, plongé dans les choses sensibles, l'on se figure le bien comme voltigeant dans là matière, qu'ensuite on croie le trouver dans les jouissances de la volupté, on s'abuse complètement.

« Dans la réalité, ce n'est pas par une marche aisée, mais divine (qu'on s'élève à lui); et la méthode la plus efficace, pour le découvrir, est, en se détachant de toutes les impressions des sens, de se consacrer aux sciences mathématiques et de ne considérer que les nombres. Cette science, méditée, nous enseignera ce que c'est que l'unité (32). »

On lit ce passage dans le Ier livre : dans le 5e, il dit ce qui suit :

« Si la substance et l'idée sont telles que nous· puissions les concevoir, on sera forcé de reconnaître que le Νοῦς (l'intelligence) est antécédent et cause ; c'est en lui seul qu'on découvre le bien ; et si le Dieu démiurge est le principe de l'engendrement des êtres, le bien est le principe de la substance. Le Dieu démiurge est l'analogue du bien, en étant l'imitateur, de même que la génération est à la substance dont elle n'est que l'image et la représentation. Si le démiurge de la génération est bon, à plus forte raison celui de la substance sera-t-il la bonté même, qualité inhérente à la substance. Le second, étant double par nature, crée sa propre idée (ἰδέα) et l'univers dont il est démiurge; ensuite il est purement théorique. Pour que nous parvenions à concilier ces quatre choses en les distinguant par des noms, nous les partagerons sous quatre dénominations. Le premier Dieu est l'Autoagathon, le bien essentiel; son imitateur est le bon Démiurge; vient ensuite la substance ; celle qui est unique appartient au premier Dieu, l'autre dépend du second. C’est de cette dernière que le bel univers (καλὸς κόσμος) est l'image (μίμημα), embellie par la communication, du bien. »

Il ajoute, dans le sixième livre : « Tout ce qui participe de lui n'y participe qu'en un seul point et non pas en autre chose ; il y participe dans la seule faculté de raisonner. Ce n'est qu'en cela qu'il pourrait tirer avantage de son contact avec le bien; hors de là, il ne lui serait d'aucune utilité. Or, ce raisonnement, en lui, n'est dû, lorsqu'il en jouit, qu'à son rapprochement du bien seul. Vouloir chercher hors de lui la cause pour laquelle les autres, choses s'altèrent et s'améliorent, lorsqu'elle réside uniquement en lui, serait l'aberration d'une amie dépourvue de jugement. Si, en effet, le, second n'est bon que de la bonté qu'il tient du premier, comment la bonté par excellence ne découlerait-elle pas du premier, lorsque le second n'est bon que par la communication de la bonté du premier, surtout lorsqu'il ne lui en arrive rien que de.bon? C'est ainsi que Platon, à l'aide du raisonnement, a démontré la nature du bien à quiconque est doué d'un esprit pénétrant. »

Il continue ensuite : « Platon, par la manière dont il a subdivisé ces questions dans ses différents, dialogues, a mis en fait qu'il en était ainsi. En disant dans le Timée que le démiurge était bon, il s'est exprimé d'après le langage courant. Mais dans la République, il a nommé le bien ἀγαθοῦ ἰδέα, (idée du bon), comme voulant dire que l'idée (primordiale) du démiurge est le bon : ce qui nous fait comprendre qu'il n'est bon que par la communication qu'il a avec le premier et le seul. De même qu'on dit que les hommes n'ont été façonnés que d'après l'idée (exemplaire) de l'homme, les bœufs d'après l'idée (exemplaire) du bœuf, de même, par une déduction rationnelle, puisqu'il est en fait que le démiurge n'est bon que par la participation du premier bon, son idée exemplaire est le premier Νοῦς, qui n'est autre que l'ἀυτοάγαθον, le bon essentiel. »

 

CHAPITRE XXIII.

DES IDÉES D’APRÈS PLATON.

 

« L'univers ayant été procréé ainsi, il n'a pu être façonné qu'à l'instar de quelque chose que l'on peut embrasser par la pensée et la réflexion, et doué d’immuabilité. Si les choses sont ainsi, il devient de toute nécessité que l'univers soit la représentation de quelque chose. Ce quelque chose contient donc en lui-même tous les animaux doués d'intelligence, comme l'univers nous contient. »

Voilà ce qu'a dit Platon dans le Timée. Quant au sens de ces paroles, je vais le faire connaître d'après Didyme, dans l'ouvrage des doctrines coordonnées de Platon. Voici ses propres expressions (33) :

« Platon, en nous disant que les idées des substances sensibles par nature sont dues à des paradigmes (modèles) déterminés suivant leurs espèces, nous en a tracé la science et les limites. Ainsi, en dehors de tous les hommes, nous devons concevoir l'homme modèle ; en dehors de tous les chevaux, le cheval par excellence, et ainsi de même pour tous les animaux, un animal inné et impérissable, de la manière dont on obtient plusieurs empreintes d'un seul cachet et de nombreuses images d'un même homme; de même, d'une idée unique et spéciale des corps sensibles, on voit éclore des natures innombrables, de celle des hommes, tous les hommes. Le même raisonnement s'appliquant à toutes les autres substances, suivant leur nature, nous dirons que l'idée est la substance causale éternelle et le principe d'existence pour chaque chose qui la reproduit telle qu'est son principe. Or, comme les idées partielles, en qualité d'archétypes, précèdent l'existence des corps sensibles, de même, celle qui renferme en elle toutes les autres, étant la plus belle et la plus accomplie, est le paradigme de cet univers. C'est en le copiant sur ce modèle que Dieu, le démiurge, l'a construit, en vertu de sa prescience, au moyen de la réunion de toutes les substances. »

Ces paroles sont extraites de l'auteur que nous avons nommé. Mais Moïse a pris les devants en possédant toute la sagesse, lorsqu'avant la création du soleil visible, des astres et de tout l'ensemble du ciel, qu'il nomme firmament, avant la terre qu'il nomme l'Aride, avant le jour qui nous éclaire, avant la nuit, il nous parle d'une autre lumière que celle du soleil, d'un autre jour, d'une autre nuit, nous enseignant que toutes ces choses ont été faites par Dieu, comme cause première et efficiente de tout ce qui existe. Les enfants des Hébreux, sur les traces de Moïse, nous décrivent un soleil incorporel, inaccessible à tous les regards mortels, comme le prophète faisant parler Dieu dans une prosopopée : « Le soleil de justice se lèvera en faveur de ceux qui me craignent (Malachie, 4, 2). » Cette justice n'est pas telle que celle des hommes. Un autre prophète des Hébreux nous en donne l'idée, lorsqu'il dit de Dieu : « Qui a éveillé la justice des rives orientales ? Il l'a appelée pour qu'elle parût en sa présence ; elle marchera comme devant la face des peuples (Is., 41, 2). » Et le langage commun nous a déjà montré, d'après les écritures des Hébreux, le Verbe divin comme incorporel et en un rapport quelconque avec notre essence. Voici comme il s'exprime sur le sujet du verbe :

« Il est la sagesse qui nous a été engendrée de Dieu, la justice, la sainteté, la rédemption (Paul, I Cor., 1, 30). »

Les livres des Hébreux nous font encore connaître toutes les substances qui existent par nature ou par création (puisque les apôtres et les disciples du Sauveur sont aussi des Hébreux), et en outre, toutes les autres puissances innombrables et incorporelles, placées bien au-dessus des cieux, au-delà de l'existence matérielle et périssable, dont les images sont retracées dans les êtres sensibles, qui par cette raison ont reçu le nom d'images. Ils disent hautement, en effet, que l'homme est l'image d'un paradigme intellectuel, et que toute la vie de l'homme se passe en image. Voici en quels termes Moïse le déclare : « Dieu fit l'homme et il le fit à l'image de Dieu (Gen., 1, 27). » Un autre écrivain hébreu, versé dans la philosophie propre à sa nation, dit également que l'homme n'a qu'une existence en image (Ps., 38, 7). Entre les interprètes de la loi divine, entendez la manière, dont Philon développe et éclaircit la pensée contenue dans les expressions de Moïse.

 

CHAPITRE XXIV.

TIRÉ DE PHILON CONCERNANT LES IDÉES D’APRÈS MOÏSE.[30]

 

« Si l'on veut se servir de termes plus clairs, on sera fondé à dire que l'univers intellectuel n'est pas autre chose que le Verbe de Dieu apparaissant dans l'œuvre de la création. Une ville, dans la pensée, ne saurait être autre chose que la conception de l'architecte, qui conçoit mentalement le plan d'une ville à construire, et cette doctrine ne m'appartient pas, c'est celle de Moïse. Décrivant en effet la création de l'homme, il déclare ouvertement dans ce qui suit, qu'il a été formé à l'image de Dieu; or, si la partie n'est qu'une image, on doit croire également que l'ensemble est une imitation dans son espèce ; puis donc que l'univers entier l'emporte de beaucoup sur la substance de l'homme, il ne peut être que l'imitation d'une image divine : et le sceau archétype que nous nommons univers intellectuel est le Paradigme, ou l'idée archétype de toute idée, en un mot le Verbe divin. Moïse dit qu'au commencement, Dieu fit le ciel et la terre, prenant le commencement non dans le sens où le prennent, certains interprètes, c'est-à-dire dans le temps. Le temps en effet, n'avait pas d'existence avant l'univers ; mais le temps a, ou apparu simultanément à l'univers, ou postérieurement à lui : le temps n'est que l'intervalle qui se remarque dans le mouvement de l'univers. Avant la chose mue, il n'y a pas de mouvement possible : il y a donc ou une postériorité nécessaire dans le mouvement, comparativement à l'univers, ou tout au plus une création simultanée ; donc, le temps est nécessairement ou le contemporain de l'univers, ou même une production à posteriori : il serait, en effet, contre toute philosophie, de lui attribuer une existence antécédente. D'après ces données, si le commencement est pris ici en dehors du temps, il sera conséquent de ne l'expliquer que d'un commencement numérique: en sorte que ces expressions : Dieu fit au commencement, équivalent à Dieu fit en premier lieu le ciel· »

Ensuite il dit : « Le créateur fit donc d'abord un ciel incorporel, une terre invisible, l'idée archétype de l'air et du vide, dont il appelle l'une les ténèbres, parce que l'air est noir par nature ; l'autre, l'abîme, parce qu'il a une profondeur indicible, qu'il est vide et béant. Ensuite il créa la substance incorporelle de l'eau et de l'esprit; et après toutes ces choses, la septième substance créée fut la lumière, qui était également incorporelle, savoir le paradigme intellectuel du soleil, ainsi que de tous les astres lumineux qui devaient briller dans le ciel. L'ordre de priorité fut accordé à l'esprit (πνεῦμα), puis à la lumière. L'un fut nommé esprit de Dieu, parce que l'esprit est ce qu'il y a de plus vivace, et que Dieu est l'auteur de la vie ; l'autre fut nommé lumière, à cause de sa beauté incomparable. Or, la lumière intellectuelle l'emporte autant en éclat et en perspicacité sur la lumière visible, que le fait le soleil sur les ténèbres, le jour sur la nuit, et l'intelligence qui juge les sensations, et qui dirige l'âme entière, sur les yeux du corps. Cette lumière invisible, mais intellectuelle, devint l'image du Verbe divin, qui nous a enseigné lui-même sa génération ; c'est l'astre qui luit au-delà des cieux, c'est la source des astres qui frappent nos sens, que sans crainte de s'égarer, on peut nommer παναύγεια, le centre de toute clarté. C'est là que le soleil, la lune, les étoiles fixes et errantes puisent, en raison de leur force respective, les feux qu'ils nous lancent, qui ne sont qu'une pâle lueur de ce faisceau de lumière pure et sans mélange, qui s'affaiblit à mesure qu'il commence à passer de l'état intellectuel à l'état sensible : rien de tout ce qui est soumis aux sens n'est pur. »

Après quelques phrases il ajoute :

« Lorsque la lumière eut été introduite, et que les ténèbres reculèrent et se retirèrent devant elle, des bornes furent placées entre ces deux extrêmes : le crépuscule du-soir et l'aurore; et ainsi s'accomplit aussitôt pour la mesure indispensable du temps, ce que le créateur nomma avec raison Jour, non le premier, mais un jour : ainsi appelé pour marquer l'indivisibilité de l'univers intellectuel, dont la monade constitue l'essence. Là, le monde incorporel fondé sur le Verbe divin prit fin, et le monde sensible s'élabora et se compléta sur le modèle du premier. Le créateur fit alors la première et la plus excellente de toutes ses parties : le ciel, qu'il nomma avec raison du nom de firmament ou solide (στερέωμα), comme ayant une existence corporelle : tout corps, en effet, est un solide doué des trois dimensions. Quelle autre notion pouvons-nous concevoir en effet, d'un corps, que celle d'un solide borné sur toutes les faces? Il était donc d'une parfaite raison, qu'en opposant l'intellectuel et l'incorporera u sensible et au corporel, on appelât ce dernier du nom de solide ou firmament. »

Clément partage entièrement les idées de Philon, dans le sixième livre des Stromates, en ces termes[31] (34):

 

CHAPITRE XXV.

DE CLÉMENT SUR LES IDÉES.

 

« La philosophie barbare a aussi connu le monde intellectuel et le monde sensible; l'un comme archétype, et l'antre comme l'image de ce que nous nommons Paradigme; Elle compare le premier, comme intellectuel, à la monade; le second, comme sensible, à l'hexade (35), ou nombre sénaire. Ce que nous appelons Hexade, est nommé par les Pythagoriciens γάμος (mariage), pour signifier la fécondité de ce nombre. C'est dans la monade qu'elle place le ciel invisible, la terre sainte, la lumière intellectuelle. » Dans le principe, dit-elle, Dieu fit le ciel et la terre, la terre était invisible. » Puis elle ajoute : « Et Dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut. ». Dans la cosmogonie sensible, Dieu créa le ciel solide (le firmament); la terre visible, la lumière qui frappe notre prunelle. Platon ne vous semble-t-il pas avoir dérobé de là, ce qu'il nomme les idées des animaux dans le monde intellectuel, en faisant former les espèces sensibles d'après les genres intellectuels ? c'est avec toute raison donc, que Moïse fait façonner de terre le premier corps, (ce que Platon appelle γήινον σκῆνος, une tente de terre), en déclarant que l'âme douée d'intelligence a été soufflée dans le visage par Dieu. C'est là que réside la direction, suivant le dire de ses interprètes qui expliquent la transmission de l'âme dans les organes sensibles, par l'insinuation du Dieu protoplaste dans l'âme; ce qui prouve que l'homme n'a été fait qu'à l'image et à l'imitation. L'image de Dieu, c'est le Verbe, divin, royal, homme impassible : l'esprit de l'homme est l'image de cette image. » Prêtons notre attention à ce qui va suivre.

 

CHAPITRE XXVI.

DES HÉBREUX ET DE PLATON SUR LES PUISSANCES CONTRAIRES.

 

Platon s'est encore conformé aux doctrines des Hébreux, non seulement en admettant des puissances incorporelle· douées de bonté ; mais en disant qu'il en est de contraires, lorsqu'il s'exprime ainsi qu'il suit, dans le dixième livre des Lois, (p. 669, de Ficin. 896 de H. Etienne.)

« L'âme qui gouverne tous les êtres doués de mouvement, quelque part qu’ils soient, habitant en eux, comment pour rait-on ne pas dire qu'elle règle aussi le ciel? comment en en effet? en reconnaîtrons-nous une ou plusieurs? — Je répondrai pour vous, en disant plusieurs; car nous ne saurions en admettre moins de deux : celle de la puissance bienfaisante, et celle qui ne s'exerce qu'à produire des effets contraires. » En suite il ajoute un peu plus bas: « Puisque nous vous avons accordé que le ciel est rempli de plusieurs êtres bons, et aussi d'êtres ennemis, sans qu'on puisse en admettre plus; c'est donc une guerre immortelle qui nous attend, et telle qu'elle réclame une surveillance extraordinaire. Les dieux et les démons sont nos auxiliaires, et nous sommes la possession des dieux et des démons. »

D'où Platon a-t-il tiré ces choses? Je ne saurais le dire; mais ce que je puis affirmer en vérité, c'est que plusieurs siècles avant que Platon les eût dites, ce dogme avait été professé par les Hébreux. Voici comment leur écriture s'en explique :

« Et lorsque ce jour fut venu (Job, 2, 1), et que les anges de Dieu vinrent se présenter devant Dieu, le diable vint au milieu d'eux, après avoir fait le tour de la terre et l'avoir parcourue en tout sens » Ayant dénommé diable, la puissance ennemie, et anges de Dieu, les bonnes puissances, elles les nomme encore esprits divins, serviteurs de Dieu, lorsqu'elle dit : (Ps., 103, 5) « Celui qui a fait les esprits (πνεύματα) pour être ses anges, et les flammes de feu pour être ses serviteurs. » Celui-là a aussi fait concevoir le combat acharné contre les puissances contraires, qui a dit (Paul, Ephes., 6, 12): « Notre lutte n'est pas contre le sang et la chair, mais contre les puissances et les dominations des ténèbres de ce siècle, contre les esprits de malice qui sont dans les régions célestes. » Platon semble évidemment n'avoir fait que paraphraser l'oracle de Moïse qui dit (Deut., 32, 8) : « Quand le très Haut divisa les nations, quand il dispersa les enfants d'Adam, il fixa les frontières des peuples, suivant le nombre des anges de Dieu, » lorsqu'il a défini toute la race humaine, comme étant la possession -des dieux et des démons.

 

CHAPITRE XXVII.

DE L'IMMORTALITÉ DE L’ÂME SUIVANT LES HÉBREUX ET PLATON.

 

Dans ses doctrines sur l'immortalité de l'âme, Platon ne diffère en rien de Moïse : celui-ci, le premier, a déterminé l'essence immortelle de l'âme qui réside dans chaque homme, en disant qu'elle est l'image de Dieu, ou plutôt qu'elle a été faite à son image. Il a dit en effet (Deut., 32, 8) : « Le Seigneur dit : faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, et Dieu fit l'homme, et il le fit à l'image de Dieu. » Puis, divisant ce concret par le discours, en un corps qui frappe les sens, et une âme conçue par la pensée il ajoute (Gen., 1, 26) : « Dieu prit la poussière de la terre, et Dieu façonna l'homme, puis il lui souffla dans le visage un souffle de vie, et l'homme fut créé dans une âme vivante. » Ensuite il nous le montre comme chef et roi de tout ce qui est sur la terre.

Il dit en effet : « Qu'il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, et à toutes les bêtes qui sont sur la terre, et Dieu fit l'homme, et il le fit à l'image de Dieu (Gen., 1, 26). » Comment concevoir en effet, d'une autre manière, l'image et la ressemblance de Dieu, sinon des facultés qui sont en Dieu, et de.la ressemblance avec sa vertu. Platon, comme s'il avait été disciple de Moïse, s'exprime ainsi dans l'Alcibiade.[32]

« Pouvons-nous dire qu'il y ait dans l'âme quelque chose de plus divin que ce à l'aide de quoi nous réfléchissons ? Nous ne le pouvons pas. C'est donc ce en quoi elle ressemble à la divinité ; et celui qui y applique ses regards, en même temps qu'il connaîtra tout ce qui est divin, savoir Dieu et sa prévoyance, se connaîtra aussi lui-même, le mieux qu'il se puisse.(36) Il paraît donc que comme les miroirs réfléchissent plus fidèlement les traits que ne le fait le miroir qui est dans l'œil, et avec phis de pureté et de lumière, de même Dieu l'emporte en clarté et en pureté, sur tout ce qu'il y a de plus parfait dans notre âme. — Il me semble ainsi, ô Socrate. —Si nous dirigeons donc nos regards vers Dieu, nous ferons usage du meilleur miroir possible pour connaître les choses humaines, sous le rapport de la vertu de l'âme, et c’est ainsi que nous pourrions le mieux nous voir et nous connaître. — Certainement. » Ce texte est tiré de l'Alcibiade. » Dans le dialogue de l'âme, il donne l'explication détaillée de ce qui précède.[33]

«Voulez-vous que nous posions deux sortes d'Etres, l'une d'êtres visibles, l'autre d'Etres invisibles? —Soit, dit-il— L'invisible, immuable par essence, et le visible, dans une mobilité habituelle? —Admettons encore cela.-—Eh bien, est-il autre chose que nous trouvions en nous-mêmes, qu'un corps et une âme? — Rien de plus, dit-il. — Avec quelle de ces deux sortes, dirons-nous que le corps ait plus de ressemblance et de consanguinité? —Tout le monde voit d'abord que c'est avec le visible. — Et l’âme est-elle visible on non? —Elle ne l'est pas au moins pour les hommes, ô Socrate, dit-il. —Toutefois, quand nous parlons de choses visibles ou qui ne le sont pas, est-ce à la nature de l'homme que nous le rapportons, ou à une autre ? — A la nature de l’homme·. Qu'avons-nous donc dit de l'âme? qu'elle est visible ou invisible? —Invisible. —C'est donc une chose invisible? —Assurément—Notre âme est donc plus semblable que notre corps à ce qui est invisible, et notre corps à ce qui est visible? —De toute nécessité, ô Socrate. —Nous disions donc que lorsque l'âme employé le secours du corps pour étudier une chose, ou pour voir, ou pour écouter, ou pour y appliquer un autre de nos sens, (car c'est de la sorte, c'est-à-dire par la sensation, que le corps peut se rendre compte de quoi que ce soit) ; alors l'âme est attirée par le corps dans des choses qui ne sont jamais en état de fixité, elle s'égare, se trouble, éprouve des vertiges comme si elle était ivre, par cela seul qu'elle s'est mise en contact avec ces choses. — Absolument. — Lorsqu'au lieu de cela elle considère les choses seule à seule, elle s'élève dans les régions où tout est pur, éternel, immortel et constamment le même, et comme d’une origine commune avec cette nature, elle s'y associe à perpétuité, tant qu'elle reste seule à seule, et qu'elle en a la permission; alors son égarement a cessé. Elle est toujours avec les mêmes substances, immuable comme elles par l'effet de son contact avec elles: eh bien cette disposition, de l'âme est ce que nous nommons Φρόνησις, prudence. — Ce que vous dites là est parfaitement bien et la pure vérité, ô Socrate. — A quelle espèce donc, d'après ce que nous avons précédemment indiqué et ce que nous venons de dire maintenant, l'âme vous semble-t-elle plus semblable et plus intimement liée?— D'après la marche que nous avons suivie, dit-il, ô Socrate, je pense que l'homme même le moins capable d'instruction confesserait que l'âme a plus de ressemblance avec ce qui est complet dans son ensemble, avec ce qui est toujours dans les mêmes rapports d'existence intime plutôt qu'avec ce qui ne l'est pas. « Mais le corps qu'en dites-vous? —Je trouve qu'il ressemble à l'autre. Voyons encore par cette autre manière de procéder : savoir, que puisque l'âme et le corps sont dans un même sujet, la nature prescrit à l'un de commander en maître; en conséquence lequel vous paraît le plus semblable à la divinité? lequel se rapproche le plus de la condition mortelle ? ou bien ne vous semble-t-il pas que la divinité est faite, pour régir et commander, tandis que ce qui est mortel doit être soumis et esclave? —Je le pense. —Auquel de ces deux l'âme ressemble-t-elle ? — Evidemment, Socrate, l'âme ressemble à la divinité, et le corps à ce qui est mortel. Faites donc attention, ô Cebès; dit-il, si, de tout ce que nous avons dit on peut tirer la même conséquence, l'âme sera éminemment semblable à ce qui est divin, immortel, intellectuel, uniforme, indissoluble, toujours d'accord avec soi-même, immuable par nature, tandis que le corps sera le plus semblable à ce qui est, comme homme mortel, sans intelligence, polyforme, dissoluble, sans fixité dans sa manière d'être intime. Avons-nous quelque chose de plus à dire, ô Cebès, pour prouver qu'il n'en est point ainsi? — Nous n'avons rien. —Mais quoi, s'il en est ainsi, n'est-il pas évident qu'il serait désirable pour, le corps qu'il fût promptement dissous, tandis que l'âme recouvrerait une entière indissolubilité, ou quelque chose qui s'en approche? comment n'en serait-il pas ainsi ? vous concevez donc, dit-il, que lorsque l'homme sera mort, son corps visible, placé dans un sujet visible que nous nommerons, cadavre, auquel il appartient de se dissoudre, de tomber en cendres, de s'exhaler en l'air, n'éprouve pas immédiatement cet effet (de la séparation) ; mais persévère encore un temps quelconque à être ce qu'il était. Or donc, si quelqu'un doué de beauté corporelle venait à décéder, qu'à la même heure, au moment même où son corps cesse de vivre, on l'embaumât à la manière dont les Egyptiens embaument leurs morts, en sorte que si ce n'est tout entier, au moins ce corps pendant un temps d'une durée indéfinie, subsistât partiellement, savoir, en faisant abstraction de quelques portions qui se corrompent, s'il conserve les os, les nerfs et tout ce qui est analogue dans les organes, reconnaîtrons-nous nos parties presque comme immortelles, ou leur contesterons-nous ce nom? —Elles sont presque immortelles. — Eh bien comment donc pourrons-nous croire que l'âme, cette substance invisible qui s'élance invisiblement dans un autre séjour, comme elle, pur, noble, invisible, dans le véritable Hadès, enfin près du Dieu bon et prudent (ou s'il plaît à Dieu, mon âme doit se rendre incontinent),que notre âme, douée de ces privilèges et d'une nature telle, en se délivrant du corps, se dissiperait aussitôt comme une vapeur et périrait entièrement, comme une foule d'hommes le soutiennent ! O mon cher Cebès et tous Simias, il s'en faut infiniment. Mais voici bien plutôt comment les choses se passent : si l’âme sort pure du corps sans rien traîner à sa suite, par la raison que pendant sa vie elle ne s'est mise volontairement en communication avec quoi que ce soit, qu'elle a toujours fui la société, se recueillant en elle-même, parce qu'elle méditait sans cesse sur sa destination : destination qui n'est autre chose que la véritable philosophie, celle en effet qui nous montre réellement la manière de mourir sans peine, n'est-ce pas la méditation de la mort ?

« Assurément et entièrement.

« L'âme donc, ainsi préparée, se rend dans ce lieu invisible qui est semblable à elle, divin, immortel où règne la prudence. Dès qu'elle y est arrivée, elle jouit d'un bonheur parfait, étant exempte d'égarements, de déraison, de craintes, d'affections désordonnées et de toutes les infirmités qui affligent l'espèce humaine: et ce qu'on assure des initiés, lui est véritablement applicable, d'habiter avec les dieux pendant tout le temps à venir. Parlerons-nous ainsi, ô Cébès, ou le ferons-nous d'une autre manière?

« Nous le dirons ainsi par Jupiter, s'écria Cebès. « Mais si je suppose, elle se dégage du corps pleine de souillure et d’impuretés, parce qu'elle a contracté une union trop intime avec lui, parce qu'elle l'a trop soigné, trop aimé, qu'elle s'est trop livrée à ses enchantements, aux désirs et aux voluptés, au point de croire qu'il n'y a de réalité que dans les choses corporelles, dans ce qu'on peut toucher et voir, dans le boire et le manger, dans le plaisir des sens; s'étant habituée à concevoir de la haine pour tout ce qui, ténébreux et invisible aux yeux, est intellectuel ; ce qui est la matière des études philosophiques, au point de trembler en y pensant et à le fuir : une âme ainsi formée vous semble-t-elle devoir se séparer du corps de plein gré et sans être polluée?

« Non, certes, de quelque manière qu'elle s'en sépare, dit-il. » Cette citation est tirée de Platon. Porphyre en développe la pensée dans son premier livre du Traité de l’âme, adressé à Boéthus. Voici en quels termes :

 

CHAPITRE XXVIII.

DE PORPHYRE SUR LE MÊME SUJET.

 

« Voici, par exemple, un raisonnement de Platon qui parait très fort pour prouver l'immortalité de l'âme; c'est celui des semblables. Si, en effet, l'âme est semblable à l'être divin, immortel, invisible, qui ne se réduit point en atomes, que rien ne peut dissoudre, existant par lui-même et se maintenant dans son incorruptibilité; comment ne serait-il pas le paradigme du genre auquel elle appartient? En effet, quand de deux extrêmes évidemment contraires, tels que l'être raisonnable et l'être irraisonnable, on se demande à quelle partie appartient une telle chose, il n'y a qu'un seul et unique mode de démonstration, celui de faire voir auquel des deux contraires, la chose en question est semblable. Ainsi, encore que tout le genre humain, dans le premier âge et une très grande partie des hommes jusqu'à l'âge avancé, commettent de nombreuses fautes qu'on doit attribuer à la déraison; néanmoins, dès lors qu'il porte en lui des traits de ressemblance nombreux avec l'être purement raisonnable, cela suffit pour nous prouver qu'il est du genre des êtres raisonnables. Car puisque nous savons que tout ce qui fait partie des dieux, en tant qu'il est divin, est évidemment sans mélange et exempt de détérioration, que d'une autre part nous avons la certitude que tout ce qui est terrestre reçoit les atteintes de la division et de la dissolution; la question étant faite de savoir auquel des deux appartient l’âme, et à quelle partie on doit l'attribuer, Platon a cru découvrir la trace de la vérité, d'après sa ressemblance. Or, puisque l'âme ne ressemble en aucune manière à ce qui est mortel, soluble, sans intellect, étranger à la vie, et par suite tangible, sensible, naissant et mourant; et comme, au contraire, elle a une ressemblance certaine avec ce qui est divin, immortel, invisible, intellectuel, vivant et allié à la vérité, et tout ce que le philosophe énumère· des qualités de l’âme; il a semblé contraire au raisonnement d'accorder à l'âme toutes les autres ressemblances avec Dieu, et de vouloir lui refuser la parité d'existence, au moyen de laquelle, seulement, tous les autres dons sont des bienfaits. Car, ainsi que les choses différentes de Dieu par leur action virtuelle, sont par cela même étrangères à son essence constitutionnelle, aussi est-il conséquent de dire que ce qui participe d'une manière quelconque à son activité, a dû préalablement posséder une existence pareille à la sienne. C'est donc seulement d'une telle existence que de tels actes peuvent procéder, comme les ruisseaux découlent de leur source, comme les rameaux sortent de leurs troncs. »

Boéthus ayant essayé de rétorquer la force de ce raisonnement, écoutez de quelle manière. Porphyre débute dans la réponse qu'il lui a faite :

« Ce n'est que par de longs discours et des circonlocutions multipliées, que le philosophe qui en formerait l'entreprise viendrait à bout de démontrer que l'âme est immortelle et qu'elle est placée, par sa nature, au-dessus de toute destruction ; mais il n'aura pas besoin d'une vaste argumentation pour établir que, de tout ce qui est en nous, l'âme a le plus de rap port avec Dieu, non seulement à cause de cette activité constante et infatigable qu'elle exerce sur nous; mais surtout à cause de l'intelligence qui est en elle. C'est cette considération qui a porté le physicien de Crotone (Pythagore), à dire que l'âme étant immortelle, l'inertie était un état contraire à sa nature, aussi bien qu'elle l'est, pour les corps divins (célestes). Et quiconque donnera une attention sérieuse à l'étude de l'âme, vue idéalement et en elle-même, et surtout à l'entendement qui domine en elle, en voyant ces actes si multipliés de volition, ces désirs si impétueux et si souvent répétés, y découvrira une ressemblance très sensible avec Dieu. »

Il ajoute plus bas : « Si, de toutes les choses connues, l'âme est ce qui manifeste la plus grande ressemblance avec Dieu, qu'est-il besoin d'autres raisonnements pour prouver son immortalité: ce qui est le thème que nous nous sommes posé? Et ce seul argument, ajouté à tant d'autres, n'est-il pas suffisant pour convaincre les gens de bonne foi, que si l'âme n'était pas d'essence divine, elle n'entrerait pas en partage avec la divinité, d’actes qui ne conviennent qu'à celle-ci? Si, en effet, quoique enfouie, dans un réceptacle mortel, soluble, sans intelligence, qui, considéré en lui-même, n'est qu'un cadavre, dont chaque moment avance la destruction, et est un pas vers le changement qui se termine par le néant : si, dis-je, dans cet état, elle le fait ce qu'il est, et le conserve; si elle donne des signes évidents de son existence divine, obscurcie qu'elle est, et empêchée par cet entourage de destruction et de mort; si, par la pensée, on la séparait, comme un lingot d'or, de toute la boue qui la couvre, ne suffirait-elle pas pour nous montrer, d'elle-même, son véritable aspect qui n'a de ressemblance qu'avec Dieu ? Mais même dans son état de mortalité (qui n'a lieu que tant qu'elle est emprisonnée dans un corps mortel), par sa participation avec la divinité, par la similitude d'origine qu'elle conserve dans l'énergie qui lui est propre, et que tant d'entraves ne viennent pas à bout d'éteindre; ne donne-telle pas à connaître que son essence n'a rien de commun avec la destruction? »

Plus bas, il ajoute:

« L’âme paraît, avec raison, divine, lorsqu'on voit sa ressemblance avec ce qui n'admet pas de partage. Elle semble mortelle par les points de contact qu'elle a avec une nature, mortelle. Elle descend et remonte; elle a tantôt l'apparence mortelle ; puis elle ressemble aux immortels. D'une part, on voit l'homme gourmand, qui n'a pas d'autre occupation que la bonne chère, ainsi que les brutes; de l'autre, est l'homme qui, dans les dangers de mer, sauve du naufrage, par sa science, le navire prêt à périr; celui qui, dans les maladies, est capable de rappeler le malade à la santé; celui qui, découvrant la vérité dans les sciences, a donné des méthodes qui assurent nos connaissances; l'inventeur des signaux par le feu, l'observateur des horoscopes; le mécanicien qui imite les œuvres du créateur. L'homme a, en effet, pénétré, d'ici-bas, les révolutions combinées des sept planètes, au point d'en copier les mouvements, en imitant ce qui se passe dans le ciel. En révélant l'intelligence divine, semblable Dieu qui réside en lui ; combien l’homme n'a-t-il pas conçu de pensées· sublimes qui montrent une audace olympienne, divine et nullement mortelle? Mais la multitude, par son égoïsme et le penchant qui l'entraîne en bas, devenue incapable de démêler le génie qui l'éclaire; et, en le comparant aux phénomènes extérieurs, s'est persuadée qu'elle devait lui donner, ainsi qu'à ceux-ci, une existence mortelle. Elle trouve, là-dedans, l'unique moyen de se faire une illusion consolante pour sa dépravation et de se persuader que tout est semblable dans les hommes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, en s'appuyant sur l'infériorité résultant de notre débilité, manifestée par les apparences externes. »

Moïse se montre comme le maître de toutes ces doctrines, lorsque, faisant le récit de la création de l'homme dans les termes qui ont été rapportés, il a établi avec certitude les preuves de l'immortalité de l'âme, sur sa ressemblance avec la divinité. Cependant, après avoir fait voir l'accord d'expression· et de pensées entre Moïse et Platon, sur l'essence incorporelle· et invisible, il est à propos de passer en revue les autres parties de la philosophie platonicienne, pour montrer combien son chef était, en tout point, uni d'amitié et de principes avec les Hébreux, excepté lorsque, parfois détourné de sa route, il a été amené à proférer des paroles plutôt humaines que vraies. Je me propose donc de retracer dans un ordre convenable, d'abord ce qui a été heureusement énoncé par ce philosophe, d'accord avec les dogmes de Moïse, puis, ce qu'il a proposé de · son chef, en opposition à Moïse et aux prophètes, et qui ne saurait soutenir la discussion. En conséquence, après avoir fait voir l'harmonie et l'unanimité entre eux, pour ce qui concerne l'intuition des substances intellectuelles, il est temps de revenir à l'exposition des êtres physiques et sensibles, en parcourant rapidement les traits de ressemblance qui existent entre les Hébreux et lui.

 

CHAPITRE XXIX.

QUE LE MONDE A EU UN COMMENCEMENT.

 

Moïse déclarant que tout ce qui existe a commencé d'être, ayant été créé par Dieu, il le dit au début de son livre : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre; » puis, reprenant les choses par parties, il ajoute (Gen., 1). : « Voici le livre de la genèse du ciel et de la terre ; lorsque vint le jour auquel Dieu fit le ciel et la terre. » Ecoutez maintenant Platon, qui ne s’écarte pas de cette opinion, lorsqu'il s'exprime ainsi qu'il suit:[34] « Tout ce qui arrive, arrive nécessairement par une cause quelconque, car il est impossible que rien arrive sans cause. »

Puis il ajoute :

« Tout ce ciel et tout cet univers, sous quelque dénomination qu'on le désigne (mais laissons-lui ce nom), doit être étudié, d'abord sous le point de vue sous lequel on doit, dans le principe, étudier toute chose, savoir : s'il a toujours subsisté, n'ayant point eu de commencement d'existence, ou s'il n'a pris naissance que comme l'œuvre d'un principe créateur ; car il est visible, il est tangible, il a un corps. Toutes les choses qui tombent sous les sens, parce quelles sont sensibles, nous font concevoir la pensée qu'elles ont commencé. Il y a, pour nous, nécessité de dire que tout ce qui a eu un commencement d'existence a été formé par une cause quelconque. Quant au créateur et à l'ordonnateur de cet univers, c'est un travail que de le découvrir; mais lorsqu'on l'a découvert, il est impossible de le dire en présence de tout le monde. »

Il dit encore à la suite:

« On doit donc dire d'après un raisonnement assez probable, que cet univers est un animal qui doit à la providence divine d'être doué de vie et capable de concevoir la vérité. »

 

CHAPITRE XXX.

DES FLAMBEAUX CÉLESTES.

 

Moïse nous ayant également enseigné que les astres ont été créés lorsqu'il a dit : « Dieu (Gen., 1, 17) dit que des corps lumineux soient dans le firmament du ciel, à l'effet d'éclairer sur la terre ; qu'ils soient placés comme signes pour les temps, les jours et les ans, et Dieu fit les deux grands astres et les étoiles et il les plaça dans le firmament du ciel. » Platon s’est expliqué dans les mêmes termes.[35]

« C'est de la parole de Dieu et de sa pensée, dit-il, qui avait pour but de donner naissance au temps, pour qu'il y eût un tempi, que le soleil et la lune et les cinq astres désignés sons le nom de planètes, -ont été créés pour la division des temps : Dieu ayant construit leur corps les plaça dans leurs-orbites. »

Faites bien attention si ce que Platon a dit : c'est de la parole de Dieu et de sa pensée, ne représente pas exactement ce que nous lisons dans les livres hébreux : « C'est à la parole du Seigneur que les cieux ont été consolidés, et c'est du souffle de sa bouche qu'ils tirent toute leur puissance. » Et cette expression de Moïse : « Et il les plaça dans le firmament, est semblable à celle dont Platon s’est servi en disant : après avoir fait leurs corps, Dieu les plaça dans leurs orbites. »

 

CHAPITRE XXXI

QUE TOUTES LES ŒUVRES DE DIEU SONT BONNES.

 

L'écriture des Hébreux répétant à chaque nouvelle création ces paroles : et Dieu vit que cela était bon, et à la récapitulation de l'ensemble de la création, disant encore : et Dieu vit toutes ces choses, et voici qu'elles étaient extrêmement bonnes. Ecoutez maintenant comment Platon s'exprime : « Si donc cet univers est bon, que le créateur soit aussi bon, il est clair que (dans la création) il a tourné ses regards vers l'éternité. » Puis encore. « Le monde est la plus belle des choses créées et Dieu est le créateur le plus parfait. »

 

CHAPITRE XXXII

DE L’ALTÉRATION ET DES CHANGEMENTS DE L’UNIVERS.

 

Toute l'écriture sainte des Hébreux nous, donne des enseignements nombreux à ce sujet, tantôt lorsqu'elle dit : le ciel sera roulé comme un livre (Is., 34, 4); tantôt lorsqu'elle ajoute ·: il y aura un ciel nouveau, une terre nouvelle, que je ferai demeurer en ma présence (Is., 65, 17); enfin quand elle dit ailleurs : La figure de ce monde passe (I Cor. 7, 34).

Ecoutez maintenant de quelle manière Platon fonde ce dogme, dans le Timée : « Il a constitué le monde de manière à le rendre visible et sensible au toucher, et pour cet effet, son corps à été produit d'après les règles de proportion, tant, d'antres choses semblables que des éléments au nombre de quatre ; il tira de ceux-ci l'amitié (φιλία) afin que confondant un même corps en soi, il fut indissoluble par tous les autres, excepté par celui qui a enchaîné leur existence. » Il dit ensuite :

« Le temps est donc venu avec le ciel, afin qu'étant nés en même temps, ils cessassent au même moment, si un jour leur dissolution doit avoir lieu. » Il dit encore :

« Dieux issus des dieux dont je suis le créateur, comme père des œuvres qui sont émanées de moi, ma volonté est qu'elles soient indissolubles. » Il ajoute en suivant :

« Tout ce qui a été lié peut être délié ; mais ce qui offre une organisation parfaite et un heureux ensemble, vouloir le détruire serait le fait d'un être pervers. Or, puisque votre existence a eu un commencement, vous n'êtes pas immortels ni essentiellement indestructibles, néanmoins vous ne retomberez pas en dissolution, ni ne serez soumis au destin des mortels, étant par ma volonté, formés d'un lien plus fort et vainqueur des éléments dont vous provenez, puisque vous avez commencé. »

Dans le Politique, on lit ce qui suit :

« Cet univers que voici, tantôt c'est Dieu même qui le dirige lui imprimant une marche circulaire, tantôt il l'abandonne, quand les périodes de temps convenable ont atteint leur mesure ; d'autres fois encore, il tourne machinalement dans un sens contraire, en sa qualité d'animal, ayant reçu un instinct providentiel de celui qui l'a combiné dans le principe. Quant à cette marche rétrograde, voici pourquoi elle lui est advenue ; c'est par une nécessité innée.

« Par quelle cause donc ?

« Il n'appartient qu'aux seuls êtres les plus divins de tous, d'être constamment de même, et dans des données immuables, enfin d'être toujours semblables à eux. La nature du corps n'appartient pas à cet ordre de choses; c'est pourquoi ce que nous nommons ciel et univers participe, il est vrai, à beaucoup de béatitudes qu'il tient de son auteur; mais en même temps il avait les attributs du corps, de sorte qu'il lui est complètement impossible de se, soustraire au changement; cependant, par son aptitude virtuelle, il se meut d'un mouvement égal dans le même orbite ; c'est pourquoi la rotation circulaire lui est échue en partage avec la moindre parallaxe qui se puisse, dans son mouvement propre. Cependant, comme il est presque impossible à qui que ce soit de tourner constamment sur soi-même, sinon à celui qui a été le premier moteur de tous les mouvements (pour celui-là, il ne lui est permis ni de se mouvoir autrement, ni de se mouvoir contrairement à son entraînement premier) ; d'après tous ces précédents on ne doit donc dire ni que l'univers se meut de lui-même, ni toujours, ni non plus que deux mouvements circulaires opposés entre eux lui ont été imprimés par Dieu, ni enfin que deux divinités mues par des sentiments de rivalité, l'ont poussé également; mais ce qui vient d'être déclaré, qui seul peut subsister, est, que tantôt il est lancé par une cause divine, autre que lui-même, ensuite, qu'ayant reçu de son créateur, de vivre et de posséder une immortalité réparatrice, lorsqu'il est abandonne à lui-même, il marche de son propre mouvement pendant une durée de temps telle qu'il redéfait les innombrables révolutions qu'il avait accomplies, par la raison que, bien qu'il soit de la plus grande dimension, étant aussi dans un équilibre par fait, il doit se mouvoir d'après les lois de retour du plus petit balancier.

« Il me paraît que ce que vous venez de dire pour exprimer votre pensée, a été dit de la manière la plus satisfaisante.

« Remettons-nous, donc dans la pensée l'effet que nous avons constaté par les raisonnements dont nous noua sommes servis : celui qui est cause lui-même de toutes les merveilles que nous soyons ; c'est bien celui-là.

« Lequel?

« Celui par lequel l'entraînement de l'univers autour de son centre est tantôt tel que nous le voyons maintenant, tantôt diamétralement contraire.

« Comment donc ?

« C'est qu'on doit considérer cette variation dans tous les solstices, comme le dérangement le plus grand et le plus complet qui puisse se passer dans le ciel.

« Cela me paraît ainsi.

« Et l'on est forcé de penser que ceux d'entre nous qui alors habiteront au sein de cet univers, éprouveront des changements infinis?

« Cela est encore probable.

« Cependant ne savons-nous pas, que le tempérament des animaux supporte difficilement les changements répétés fréquemment, qui apportent un violent trouble, en se heurtant de toutes façons,

« Comment cela pourrait-il ne pas être?

« Il y aura donc alors nécessairement des épidémies et épizooties, des plus destructives-, en sorte qu'il ne survive à cette catastrophe qu'un petit nombre d'hommes et d'animaux. Ils seront exposés à une foule d'autres accidents, inconnus jusque là, et tenant du prodige; mais le plus grand sera sans doute celui qui se rattache à ce déroulement de l'univers, lorsque la marche régulière qui préside maintenant au maintien du monde éprouvera le bouleversement le plus complet. »

C'est à la suite de ces enseignements, qu'il parle de la résurrection des morts, d'une manière entièrement semblable aux opinions des Hébreux. Voici en quels· termes :

 

CHAPITRE XXXIII.

DE LA RÉSURRECTION DES MORTS D'APRÈS PLATON.

 

« [36]Quel était autrefois l'engendrement ou la manière dont les animaux se procréaient les ans des autres?

« Il est clair, ô Socrate, que la reproduction les uns par les autres n'était pas dans la nature de cette époque, et que la race qu'on nommait γηγενές (née de la terre) existait dans ce temps, et s'élevait da sein de la terre même, puisqu'elle était restée dans la mémoire des premiers de nos ancêtres, qui se rapprochaient dans l'ordre des temps de ceux voisins de la dernière perturbation (37); et qui naquirent vers le commencement de l'état actuel. Ils furent pour nous les hérauts des changements sur venus alors, qui aujourd'hui sont mis en question, mal à propos, par un grand nombre de personnes ; car il n'y a qu'à réfléchir sur ce qui se passe, et l'on en tirera cette conséquence, que puisque les vieillards retournent aux habitudes naturelles à l'enfance, de même les morts déposés dans la terre, en se recomposant pour revivre sur sa surface, ne feront que suivre le revirement général de l'univers, dans lequel est compris l'engendrement par les contraires ; et des γηγενεῖς (nés de la terre) se reproduiront nécessairement d’après cette marche, en sorte que ce nom sera forcément et raisonnablement assigné à ceux que Dieu n'aura pas procréés pour une autre destinée.

« Ce que voua dites, est la conséquence rigoureuse des précédents établis par vous. »

Platon, toujours en continuant, u proposé des doctrines conformes ans dogme· des Hébreux sur la destruction de l'univers, de la manière que non· allons citer.

 

CHAPITRE XXXIV.

DE LA DESTRUCTION DE L’UNIVERS.

 

« [37]Après que le temps de tous ces événements se fut écoulé et lorsque la révolution se préparait, que déjà toute la race terrestre s'était déjà insensiblement éteinte, et chaque âme attendant toutes les générations à venir, avait répandu en terre un nombre égal de germes ; alors le timonier suprême de l'univers, lâchant la barre du gouvernail, se retira dans sa Contemplation, et le Destin joint au Désir, son compagnon naturel, se livra de nouveau au renversement de l'univers. En conséquence, tous les dieux répandus dans les places diverses pour seconder le Dieu suprême dans le gouvernement du monde, ayant eu connaissance de ce qui venait de se passer, abandonnèrent les parties confiées à leurs soins, et l'univers se retournant sur lui-même et s'ébranlant du commencement à la fin, par l'impulsion contraire qui lui était imprimée, suscita au dedans de lui une immense secousse, qui détermina une nouvelle mortalité des animaux de toute espèce. Après ces événements, un temps assez considérable s'étant écoulé, le monde s'étant remis de son trouble et de son désordre, recouvrant la sérénité, il reprit le cours pour lequel il avait été ordonné et qu'il avait l'habitude de suivre, ayant le soin nécessaire et la force suffisante pour conserver de qui est en lui, avec le pouvoir de se conserver soi-même. »

Peu après il ajoute :

« C’est pourquoi le Dieu qui l'a orné de ses dons, le voyant plongé dans de graves difficultés et prévoyant les tempêtes auxquelles il reste exposé et les craquements qui le déchireraient et le feraient naufrager dans l'abîme infini du contraire; s'asseyant de nouveau à la barre du gouvernail, il replace les parties endommagées ou disjointes par la rotation précédemment opérée-en lui, le répare, l'embellit et le rend immortel et exempt de caducité. J'ai dit quelle devait être la fin de toutes ces choses. »

 

CHAPITRE XXXV.

QUE PLATON PARLE DE LA RÉSURRECTION DES MORTS EN TERMES SEMBLABLES A CEUX DES HÉBREUX

 

« [38]Ces choses ne sont rien, lui dis-je, ni quant au nombre, ni quant à la grandeur, en comparaison de ce qui attend l'un et l'autre après son décès. Il faut que vous l'écoutiez, afin que chacun des deux comprenne parfaitement ces vérités autant qu'il est possible de les faire entendre par la parole.

« Dites donc, répliqua-t-il : il est bien peu d'autres récits que je poisse entendre avec plus de plaisir.

« Je ne vous dirai donc pas, lui repartis-je, l'apologue d'Alcinoüs (38), mais celle d'Her fils d'Arménius, personnage valeureux, Pamphylien d'origine, qui ayant jadis succombé dans la guerre et qui, quand, après dix jours, on enlevait les morts déjà en état de putréfaction, fut transporté encore sain, puis ayant été rapporté chez lui, lorsqu'on devait lui rendre les derniers devoirs, le douzième jour et qu'on le plaçait sur le bûcher, il revint à la vie. Ayant repris ses sens, il raconta ce qu'il avait vu là-bas, et dit : qu'aussitôt que son âme fut sortie de son corps elle chemina avec beaucoup d'autres âmes, et arriva dans un séjour de merveilles, ou deux crevasses de terre contiguës correspondaient à deux ouvertures placées en haut dans, le ciel. Au milieu d'elles étaient assis des juges, qui après avoir discuté (les mérites de chacun), ordonnaient aux justes de prendre la route qui est à droite, qui montait à travers le ciel ; leur attachant, à la partie antérieure, des signes qui indiquaient le jugement porté à leur égard; quant aux hommes injustes, prenant le chemin à gauche qui tendait en bas, ils portaient par derrière, les signes qui retraçaient toute leur conduite. Her s'étant avancé, les juges déclarèrent qu'il fallait qu'il servît d'envoyé auprès des hommes, pour leur faire connaître ce qui se passait là-bas: ils lui prescrivirent donc de bien voir et de bien entendre tout ce qui avait lieu dans ce séjour. » Tels sont les récits de Platon : Plutarque, dans son premier livre du traité de l'âme, donne une relation à peu près semblable.

 

CHAPITRE XXXVI.

DE PLUTARQUE SUR LE MÊME SUJET

 

« Nous avons été témoins de ce qui est arrivé à Antylle, toutefois je vais le raconter à Sositelès et à Héracléon : Etant tombé malade dernièrement les médecins déclarèrent qu'il ne pouvait pas en revenir, et il fut emporté par une crise de peu de violence, et ne fit et ne dit rien qui put nous apporter quelque consolation:(39); il dit seulement qu'il était mort et qu’il avait été renvoyé, et qu'il ne mourrait plus du tout de cette maladie; que ceux qui l'avaient amené avaient été sévèrement réprimandés par le maître, ayant été envoyé vers Nicandas et ayant amené Antylle au lieu du premier. Ce Nicandas était un cordonnier, très connu de la plupart de ceux qui fréquentent les Palestres, avec lesquels il était en rapports familiers. Les jeunes gens qui l'approchaient prenaient occasion de cet événement pour · le plaisanter, comme un fugitif qui avait corrompu les serviteurs de l'autre monde ; aussitôt qu'on parlait de cela, on le voyait troublé et mécontent; enfin la fièvre l'ayant pris, il mourut dès le troisième jour. Quant à Antylle il revint à la vie, se portant parfaitement et étant le plus aimable de tous nos hôtes. »

Je n'ai cité ces faits qu’à cause des résurrections que nous trouvons mentionnées dans les écritures des Hébreux. Quant à ce qu'ils renferment, dans leurs promesses, celle d'une terre qui doit être le partage des amis de Dieu, suivant cet oracle : « Bienheureux les hommes doux, parce qu'ils hériteront du la terre (Matth.), » cela signifie une terre céleste. Le texte, -suivant nous, en donne la preuve : « La Jérusalem d’en haut est libre, c'est elle qui est notre mère. » Le prophète l'indique dans un langage allégorique, lorsqu'il dit qu'elle est bâtie de pierres précieuses du plus grand prix : « Voici que je prépare l'escarboucle pour vous servir de pierre ; je poserai vos créneaux en jaspe, et vos fondements seront de saphir : vos remparts seront élevés avec des pierres de choix. »

Voyez comme Platon dit les mêmes choses ou des choses approchant. Il se déclare dans son Traité de l'âme pleinement convaincu de la vérité de ces révélations. Voici le discours qu'il met dans la bouche de Socrate :

 

CHAPITRE XXXVII.

QUE LA MANIÈRE DONT PLATON PARLE[39] D’UNE TERRE CÉLESTE EST TOUT A FAIT CONFORME A CE QU’EN DISENT LES HÉBREUX.

 

« Pour vous faire le récit de ces choses telles qu'elles sont véritablement, il ne me faudra pas recourir à l'art de Glaucus (40) ; toutefois, cela me semble plus difficile que ce qui se rapporte à l’art de Glaucus, et peut-être ne serais-je pas, d'une part, de force à m'en bien acquitter ; et de l'autre, quand bien même je saurais le faire, la durée actuelle de ma vie ne me paraît pas pouvoir suffire à la longueur obligée de ce récit. Cependant rien ne s'oppose à ce que je trace le plan de la terre, telle que je me la représente, aussi bien que celui des lieux qu'elle occupe.

« Nous nous en contenterons, reprit Simias.

« Eh bien donc, je suis dans l'opinion, dit-il, premièrement que, si la terre est au milieu du ciel, sa forme sphérique l'exempte du besoin de l'air ou de tout autre support analogue que ce, puisse être, pour ne pas tomber; mais qu'elle est douée par elle-même de la propriété de se maintenir dans sa position tant par sa parfaite ressemblance, avec le ciel lui-même qui la presse également de toute part, que par l'équilibre exact de ses parties. En effet, un corps équilibré placé au centre d'une concavité semblable à lui, ne saurait incliner d'aucun côté ni en plus ni en moins ; il restera donc immobile, par la raison de la similitude de sa circonférence avec celle du ciel. Voilà, reprit-il, ce dont je suis persuadé avant toute chose.

« Et justement, répit Simmias.

« Ensuite, je crois que c'est un globe immense dont nous n'habitons qu'une petite portion, étant resserrés entre les colonnes d'Hercule et le Phare, occupant les bords de la mer, comme des fourmis ou des grenouilles au bord d'un marais. Je crois que beaucoup d'autres hommes habitent de vastes régions placées ailleurs ; qu'enfin il y a de tous côtés, autour de la terre, des cavités qui varient de grandeurs et déformes, dans lesquelles s'engouffrent l'eau, le brouillard et l'air. Quant à la vraie terre, elle est sereine, située vers une région du ciel parfaitement pure, dans laquelle sont les astres : région nommée Ethère par la plupart de ceux qui ont l'habitude de ces études, et dont ce que nous voyons autour de nous n'est que le sédiment, qui a un écoulement perpétuel vers les autres de la terre. Habitant dans ces creux de terre, sans nous en apercevoir, nous croyons occuper les parties supérieures de notre globe, comme si quelqu'un placé au fond le plus infime de la mer, et voyant, à travers le prisme des eaux, le soleil et les autres astres, croyait habiter sur les bords de la mer, et que la mer est le ciel. Par sa pesanteur et sa faiblesse, il ne pourrait jamais s'élever à la surface de la mer, par la raison qu'il ne pourrait ni surnager ni se soutenir dans l'atmosphère que nous respirons ; et n'ayant rien vu de ce que nous voyons, û ne saurait pas combien ce séjour est plus pur et plus beau que celui qu'il habite, dont jamais aucun humain qui l'aurait vu, ne lui ferait le récit. Voilà exactement quel est notre lot : habitant dans un creux de terre, noue croyons la fouler sous nos pieds, et nous appelons ciel ce qui n'est que l'air, comme si les astres étaient contenus dans ce prétendu ciel. Par une faiblesse et une torpeur pareilles, nous nous croyons donc dans l'impuissance d'arriver aux bornes de notre atmosphère; tandis que si quelqu'un pouvait s'y rendre, ou que, devenu oiseau, il pût y atteindre d'un vol, alors s’étant dégagé de ce qui lui faisait obstacle, semblable aux poissons que l'on tire sur le rivage et qui voient les mêmes objets que nous, il verrait ce que voient ceux qui habitent ces régions. Et si sa faculté native était telle qu'il pût contempler à loisir ce nouveau spectacle, il connaîtrait ce qu'est le véritable ciel, la véritable lumière, et la terre proprement dite : celle qui est sous nos yeux, et les pierres, et tout cet espace n’étant que dès substances altérées, corrodées, comme sont les mêmes matières soumises à l'action de l’onde salée. Et de même que rien de précieux ni de parfait, si on peut le dire, ne se trouve dans la mer, où ce ne sont que cavernes de sables, vase sans fin et bourbiers, dans tous les points de contact qu'elle a avec la terre, en sorte qu'on peut affirmer qu'elle ne produit rien de beau ni de précieux ; de même les choses de ces contrées comparées aux nôtres, remporteraient sur ces dernières dans une proportion infiniment plus forte. Puisqu'en effet il le faut, il est à propos, ô Simmias, que vous entendiez une belle fable, afin de connaître comment se passent les choses qui sont sur la terre et sous le ciel.

« Or, sachez, Socrate, répondit Simmias, que nous entendrons cette fable avec infiniment de plaisir.

« On rapporte d'abord, dit-il, ô mon cher, que cette terre est telle que, vue d'en haut, elle semblerait coupée par zones de différentes couleurs, (comme sont les sphères prismatiques dodécaèdres), dont les couleurs qu'on emploie ici-bas, et celles dont nos peintres font usage, ne sont que des nuances affaiblies; là, toute la terre est brillante de ces mêmes couleurs, plus éclatantes et plus pures que celles que nous connaissons. Ainsi l'une des bandes est de pourpre, d'une admirable beauté ; celle-ci a un fond d'or ; celle qui est toute blanche surpasse la blancheur de l'albâtre ou de la neige ; il en est de même de celles nuancées des autres couleurs, en plus grand nombre et, plus belles qu'aucune de celles que nous ayons jamais vues ; car les parties creuses de cette terre, étant remplies d'eau et d'air, occasionnent des reflets de couleurs éblouissants par leur variété; en sorte qu’à l'uniformité de la teinte générale, elle associe une variété fantastique. Les arbres et les fleurs qui naissent sur une terre semblable doivent être en harmonie avec elle pour la beauté de leurs fruits. Les montagnes, par la même raison, doivent avoir des pierres qui unissent à la perfection, la transparence et les plus belles couleurs ; les joyaux si recherchés parmi nous, la sardoine, le jaspe, l'émeraude et tout ce qui y ressemble, n'en sont que de faibles échantillons (41) ; il n'est là aucune pierre qui ne soit pareille, et il en est de plus belles. La raison en est sensible : c'est que ces pierres sont d'une pureté inaltérable, et nullement corrodées ni ternies, comme les nôtres, par la carie ou l’efflorescence produites par les suintements, qui occasionnent, tant aux pierres et à la terre qu'aux animaux et aux plantes, des difformités et des maladies.· Cette autre terre ajoute à tous ces ornements, l'éclat de l'or, de l'argent et des autres métaux : ils y sont dans tout leur lustre, répandus avec profusion sur tout le sol, en masses considérables, en sorte qu'on peut la considérer comme la décoration la plus faite pour charmer les spectateurs. »

 

CHAPITRE XXXVIII.

QUE PLATON EST DANS UNE CROYANCE SEMBLABLE A CELLE DES HÉBREUX, SUR LE JUGEMENT QUI DOIT SUCCÉDER A LA MORT.

 

L'Ecriture des Hébreux proclamant dans de nombreux passages l'existence d'un tribunal où Dieu doit juger les âmes à leur sortie de la vie présente, l’a surtout déclaré par celui où elle dit : « Il établit son tribunal, les livres y furent ouverts et l'ancien des jours s'y installa; un fleuve de feu roulait ses ondes devant lui ; des myriades de myriades le servaient, et des chiliades de chiliades se tenaient en sa présence (Daniel, 7, 9). »

Ecoutez maintenant Platon faisant mention du jugement de Dieu et spécialement du fleuve. Il passe en revue les demeures différentes des âmes pieuses et les châtiments des impies, toujours en écrivant d'après des expressions qui sont d'accord avec les discours des Hébreux. Il dit donc dans le Traité de l’âme:[40]

« Le troisième fleuve débouche entre les deux que nous avons nommés, et, non loin de son éruption, traverse un vaste espace désolé par un feu violent où il forme un lac plus grand que n'est notre mer, dans lequel la vase se mêle aux bouillonnements de l'eau. De là, plein d'une boue brûlante, il décrit un cercle, tournant autour de la terre pour parvenir d'un autre côté Vers les bords extrêmes du lac Achérusiade, aux ondes duquel il ne se mêle pas. Dans le cours circulaire, qu'il décrit autour de la terre, il se décharge souvent plus bas que le Tartare. Ce fleuve est désigné sous le nom de Pyriphlégéthon. C'est lui dont les effluves forment les volcans dans tous les lieux de la terre où ils parviennent, en face de celui-ci se trouve un quatrième fleuve, qui se lance dans un premier terrain désolé et saunage, à ce qu'on rapporte, dont la couleur est celle du bleuâtre, surnommé Stygien, parce que le lac que ce fleuve produit, en s'y versant, est le Styx. Son onde, en y tombant, acquiert des vertus singulières : s'engouffrant dans la terre, il l'enceint par un cours contraire à celui du Pyriphlégéthon et arrive au lac Achérusiade par la rive opposée, sans que jamais son onde se mêle à la sienne, puis, continuant toujours à décrire son cercle qui le ramène sur lui-même, il finit par tomber dans le Tartare, à l’opposé du Pyriphlégéthon. Le nom que les poètes lui donnent est le Cocyte.

« Ces lieux étant tels que je viens de les décrire, lorsque les morts arrivent, amenés par le Dieu qui les transporte individuellement ; la première scène qui a lieu est un jugement contradictoire, pour savoir quels sont ceux qui ont vécu honnêtement, pieusement, dans la justice, et ceux qui ne l'ont pas fait. Pour ceux dont la vie ne semble ni tout à fait juste ni complètement injuste, on les dirige vers l’Achéron, sur des chars qui les transportent jusqu'au lac. C'est là qu'ils demeurent et se purifient, et que, subissant la peine des injustices qu'ils ont commises, chacun d'eux se lave des iniquités qui lui sont reprochées, en conservant le mérite de ses bonnes actions suivant leur importance. Ceux qui paraissent avoir contracté des souillures indélébiles par l'énormité de leurs fautes, telles que des sacrilèges considérables et en grand nombre, des meurtres injustes et répétée, en violation de la loi, et tout ce qui rentre dans cet ordre de crimes; la Parque qui les poursuit, les plonge dans le Tartare, d'où ils ne ressortent plus jamais.

« Ceux dont les fautes ne sont pas incurables, encore qu'elles semblent graves, tels que ceux qui, dans un accès de colère, ont exercé des violences contre leur père ou leur mère, et qui ensuite, touchés de repentir, ont mené une meilleure, vie, ou les homicides pour une cause semblable : pour ceux-là, il y a nécessité qu'ils, soient plongée dans le Tartare et qu'après y avoir été plongés pendant un an, le flot les rejette : savoir, les homicides dans le Cocyte, les coupables de sévices envers leurs parents, dans le Pyriphlégéthon. Après· avoir été entraînés par le courant jusqu’au lac Achérusiade, ils crient et implorent, les uns ceux qu'ils ont tués, les autres ceux qu’ils ont maltraités, et les supplient de leur permettre d'entrer dans le lac et de les y recevoir. S'ils parviennent à les· toucher, ils sentent, et leurs souffrances sont terminées. Sinon, ils sont refoulés de nouveau dans le Tartare, et de là ensuite dans les fleuves, et ne cessent d'éprouver les mêmes souffrances· que quand ils ont apaisé ceux qu'ils ont offensés; car telle était la sentence prononcée par les juges à leur égard. Ceux qui passent, par excellence, pour avoir vécu saintement, sont ceux qui, même dès cette vie, s'étant affranchis et entièrement détachés des affections terrestres, comme les captifs de leurs chaînes, se sont élevés jusqu'à la demeure céleste et pure, quoique encore retenus sur la terre. Parmi ceux-ci se distinguent les hommes suffisamment purifiés par la philosophie et pour ceux-là une vie à jamais exempte de peines, pendant tout le temps à venir, leur est échue, ainsi que l'accès dans des demeures tellement belles qu'il n'est pas facile de les décrire; ce que d'ailleurs, le temps qui me reste ne me permettrait pas de faire. Mais d'après tout ce qui vient d’être dit, vous devez, ô Simmias, faire tous vos efforts pour acquérir dans cette vie la vertu et la prudence : le prix qui y est attaché est noble, et l'espérance immense. »

Cette tirade est due à Platon. Comparez maintenant ces paroles : Ils auront accès dans des demeures tellement belles qu’il n’est pas facile de les décrire, ce que le temps, qui me reste ne me permettrait pas de faire, » avec celles qu'on trouve chez nous : (I Cor. 2, 9) « L'œil n'a point vu, l'oreille n'a pas entendu, le cœur de l'homme n'a point conçu ce que Dieu a préparé à ceux qu'il aime. »

A ces demeures dont parle Platon, comparez (Jean, 14, 2) « Il y a plusieurs demeures annoncées par mon père aux amis de dieu. Aux peinture· du Pyriphlégéthon opposez le feu éternel dont les impies sont menacés, suivant les paroles qui leur sont adressées par le prophète des Hébreux (Is., 33, 14): « Qui vous annoncera que le feu brûle? qui vous annoncera ce lieu éternel ? » Puis encore : « Leur ver ne périra pas, le feu ne s’éteindra pas, ils seront en spectacle à toute chair. » Observez comme Platon parle de concert avec toutes ces pensées, lorsque, après avoir dit que les· impies iront dans le Tartare, il ajoute « d’où ils ne sortiront jamais; » puis encore, après avoir dit que les pieux vivront dans des séjours fortunés, il ajoute « à jamais, et pendant tout les temps à venir. » Et ce qui est encore dit par lui, que leur existence sera exempte de peines, n’est-il pas semblable à ces autres paroles : « La douleur, la tristesse et le gémissement ont pris la fuite (Is., 35, 10). En disant que ceux qui s'avancent vers l'Achéron n’y arrivent pas immédiatement, mais seulement après être montés dans des chars : que veut-il signifier par ces chars, sinon les corps dans lesquels les âmes des morts étant enfermées, elles partagent leurs châtiments, suivant les opinions des Hébreux?

Cependant, ce livre ayant atteint une étendue suffisante, je vais passer au douzième livre de la Préparation évangélique.

 


 

NOTES DU LIVRE XI

 

 

(1) Diogène Laërce, In, l. iii, seg. 56: Φιλοσοφίας ὁ λόγος πρότερον ἦν μονοειδὴς, ὁ φυσικός δεύτερον δὲ Σωκράτης προσέθηκε τὸν ἠθικόν τρίτον δὲ Πλάτων τὸν διαλεκτικὸς καὶ τελεσιούργησε τὴν φιλοσοφίαν. « La première philosophie n'embrassait qu'un genre, la physique; Socrate ajoute un second genre, la morale; Platon la compléta par l'adjonction du troisième, la dialectique. » V. Aurel. Augustinus, De C. Dei, viii, c 4.

« Socrates in activa (philosophia) excelluisse memoratur, Pythagoras vero magis contemplativæ, quibus potuit intelligentiæ viribus, institisse. Proinde Plato utrumque, jungendo, philosophiam perfecisse laudatur, quam in tres partes distribuit: unam moralem, quæ maxime in actione versatur; alteram naturalem, quæ contemplationi deputata est ; tertiam rationalem, qua verum disterminatur a falso. »— Plutarque, Contradict. stoïc., t. xii, p. 342, de Hutten : « Chrysippe pense que les jeunes gens doivent d'abord s'appliquer a la logique, secondement a la morale, en troisième lieu à la physique, enfin s'occuper des Dieux en dernier lieu. Comme il a répété une quantité de fois cette assertion, il me suffira de citer ses paroles tirées du ive livre des Vies (Περί βίων).

« Πρῶτον μὲν οὖν δοκεῖ μοι κατὰ τὰ ὀρθῶς ὑπὸ τῶν ἀρχαίων εἰρημένα τρία γνη τῶν τοῦ φιλοσόρου θεωρημάτων εἶναι τὰ μὲν λογικὰ, τὰ δὲ ἠθικὰ, τὰ δὲ φυσικὰ εἶτα τούτων δεῖν τάττεσθαι πρῶτα μὲν τὰ λογικὰ, δεύτερα δὲ τὰ ἠθικὰ, τρίτα δὲ τὰ φυσικὰ τῶν δὲ φυσικῶν ἔσχατος εἶναι ὁ περὶ θεῶν λόγος. »

(2 et 3) Cet Atticus paraît être le père d'Hérode Atticus, dont Suidas dans la biographie de ce dernier dit : « Ἤρξε τῆςσίας ὁ πατὴρ αὐτοῦ ττικος, καὶ τοῖς δισυπάτοις συγκατελέχθη. » « Son père fut préteur en Asie et inscrit parmi les deux fois consul. » Il paraît que le nom d'Atticus passa du père au fils par un usage assez commun chez les Romains qui ne sentirent pas, comme les Grecs, le besoin de distinguer les homonymes par les noms des pères joints à celui des fils ; attendu que chez eux les noms de famille (gentilia nomina) étaient héréditaires comme chez nous : il en était autrement chez les Grecs : ainsi les Romains nomment Apollonius Molon pour fils de Molon (V. l. ix, c. 19); Plistonices (Aulu-Gelle, Noct. attic., vi, 8), pour fils de Plistonices; Herodes Atticus (ibid., I, 2).

Atticus avait dû à la fortune et au désintéressement de l'empereur Nerva une richesse inespérée, par la trouvaille d'un trésor auquel l'empereur refusa de participer. Au premier avis qu'il en reçut, l’empereur lui répondit d'user de ce qu'il avait trouvé. Atticus étant revenu à la charge en lui annonçant que la somme trouvée était trop considérable pour ses besoins et ses habitudes. Eh bien ! abusez-en, répliqua l'empereur. Il fit, ainsi que son fils, un très noble usage ce cette opulence et ils jouirent l'un et l'autre d'une grande réputation comme écrivains. Voir Philostrate dans ses Biographies des sophistes à l'article d'Hérode. Aulu-Gelle, Loco laudato.

On a disputé chronologiquement si l’Atticus Platonicien ici cité, aussi bien que par Théodoret, Thérapeutique l. vi et xii, était bien le même que le père d'Hérode : les preuves contraires qu'on en a données ne m'ont pas paru convaincantes, et la question, en elle-même, m'a semblé de trop peu d'intérêt pour y consacrer beaucoup de temps.

(4) Jonsius, dans son livre des Ecrivains de l'histoire de la· philosophie, iv, 8, p. 250, propose de remplacer περὶ φυσιολογίας par περὶ φιλοσοφίας. Il s'appuie en cela sur l'autorité de Suidas : 'Αριστοκλῆς Μεσσήνιος τῆςταλίας, φιλόσοφος περιπατητικός συνετάξε δὲ περὶ φιλοσοφίας βιβλία δέκα· καταλέγει δὲ ἐν τούτοις πάντας φιλοσόφους καὶ δόξας αὐτῶν. » « Aristoclès de Messine en Italie (en Sicile), philosophe péripatéticien, a composé des livres de la philosophie, dans lesquels il passe en revue tous les philosophes et leurs doctrines. Πότερον σπουδαιότερος μηρος Πλάτων. Qui est plus vertueux d'Homère ou de Platon? » γραψε δὲ τέχνας ῥητορικάς : « Il a écrit aussi des livres de rhétorique; Περὶ Σαράπιδος = « Sur Sarapis ; » Ἠθικὰ βιβλία ἐννέα : « Neuf livres, de morale. » On trouvera dans la suite des fragments considérables de son livre sur la philosophie; il est cité par Théodoret, dans La Thérapeutique : Sermone, viii, p. 116, éd. de Sylburge et Sermone, xii, p. 173.

(5) Σωκράτης, αὐτὸ δ τὸ λεγόμενον, ἐγένετο πῦρ ἐπὶ πυρί καθάπερ αὐτὸς ἔφη Πλατών ; le proverbe ici indiqué se lit en effet dans Platon, l. ii, Des lois ; p. 691 B, de Læmarius, mais ce n'est point pour accuser son maître qu'il en fait usage, c'est pour interdire l'usage du vin aux jeunes gens. Διδάσκοντες ὡς οὐ χρὴ πῦρ ἐπὶ πῦρ ὀχετεύειν εἴς τε τὸ σῶμα καὶ τὴν ψυχήν ; Plutarque en a fait usage dans les Préceptes conjugaux, t. vii, de Hutten, p. 424 : Ινα μὴν πῦρ ἐπὶ πῦρ γένηται dans les préceptes d'Hygiène, ibidem, p. 375 : Ινα οὖν μὴ πῦρ ἐπὶ πῦρὶ (ὥς φασι) πλησμονή ἐπὶ πλησμονῇ καὶ ἄκρατος ἐπ ἀκράτῳ γενήται.

Ce dernier exemple confirme la leçon d'Aristoclès citée par Eusèbe contre la leçon de Platon et la première de Plutarque. Je ne doute pas que le datif ne soit préférable dans cette syntaxe.

Quant à l’application que fait Aristoclès à Socrate de ce proverbe, c'est au Socrate de Platon et non à celui de Xénophon qu'on peut l'adresser : le premier, en effet, ne cherche qu'à envelopper ses contradicteurs dans les incertitudes d'une dialectique souvent fatigante, et si le charme du style ne soutenait l'attention, on déposerait le livre, qui, souvent, n'a d'autre but que de détruire une opinion sans la remplacer : il s'ensuit que je ne comprends pas comment Platon peut attribuer à Socrate, s'il l'a fait, un tort qui revient suivant toutes les apparences à Platon lui-même; car le passage du deuxième livre Des lois ne s'applique en aucune façon à Socrate.

(6) Voir Diogène Laërce, l. iii, seg. 117, où il définit les doctrines stoïciennes qui sont émanées du Cynisme :  Φασὶ δὲ καὶ ἀπαθῆ εἶναι τὸν σοφόν, διὰ τὸ ἀνέμπτωτον εἶναι· ἄτυφόν τ' εἶναι τὸν σοφόν· ἴσως γὰρ ἔχειν πρός τε τὸ ἔνδοξον καὶ τὸ ἄδοξον. « Ils disent que le sage doit être insensible parce qu'il est impeccable : il doit être sans prétention, car pour lui ce qu'on estime et ce qu'on blâme est au même rang. »

(7)Luzac, De Digamia Socratis, p. 244, déclare que c'est Zopyre dont il est parlé au chap. 9 du liv. vi, dans le fragment d'Alexandre d'Aphrodisée. Voir Cicéron, De Fato, c. 5, Tuscidan. quœst., l. iv, c. 87.

(8)L'Onomatothète. Dans Platon on lit, suivant les anciennes éditions, νομοθέτης, « législateur; » et Vigier approuve cette leçon et en donne pour preuve ce passage du même Cratyle, p. 259 : ἆρ' οὐχὶ ὁ νόμος δοκεῖ σοι [εἶναι] ὁ παραδιδοὺς αὐτά; . « N'appelez-vous pas loi ce qui vous a donné des noms ? » ἔοικεν Cela me semble ainsi. » νομοθέτου ἄρα ἔργῳ χρήσεται ὁ διδασκαλικὸς ὅταν ὀνόματι χρῆται; « Le maître d'école se servira donc de l'œuvre du législateur, quand il emploiera le nom. » δοκεῖ μοι « Cela me semble ainsi. » νομοθέτης δέ σοι δοκεῖ πᾶς εἶναι ἀνὴρ ἢ ὁ τὴν τέχνην ἔχων; « Vous semble-t-il donc que tout homme puisse être législateur ou seulement celui qui a du talent?»

Il est bien évident qu'il faut ici νομοθέτης, Heindorf en a jugé de même dan· ses Notes sur le Cratyle, p. 20, t. iii de son Platon ; Gesner sur Quintilien, viii, 3, 37, est dans le même sentiment. Toutefois cette leçon est contredite par le manuscrit de Gudius, à ce que nous apprend Heindorf, lequel porte ὀνοματοθέτης; les manuscrits 466, 467 et 468 ont également ici νομοθέτης. Dans le passage cité, traduit par legislator dans les autres, il a nominis autor. Cette difficulté intéressant plus Platon qu'Eusèbe, j'abandonne aux éditeurs du premier la solution de ce problème.

(9) Le mot διαλεκτικὸς tant ici que dans Platon ne me paraît pas exactement rendu par dialecticien, c'est plutôt ici l'homme versé dans la connaissance des dialectes.

(10) Léon Allatius, p. 909 de son Commentaire sur l’Hexaméron d’Eustathe, accuse Eusèbe d'avoir donné une fausse signification au nom de Caïn. Nous lisons, en effet, dans les Saintes-Écritures, qu'Eve donna le jour à Caïn, en disant : « Je possède un homme par Dieu. » Ce qui fait dériver ce nom du terme de possession (Genèse, c. 4, 1.) Voir les Commentateurs.

(11) Philon, De Gigantibus, p. 292, de l'édition de Morel : « Abram est interprété père sublime, nom qui lui fut donné pour marquer un esprit entièrement livré a la contemplation des météores et des corps célestes. Quand, après avoir été éclairé et rendu meilleur; il dut changer de nom, il devint l'homme de Dieu, suivant l'oracle qui fut rendu : Je suis ton Dieu, etc. …………….. Il fut appelé père choisi de la voix, ce qui est l'interprétation d'Abraham, c'est-à-dire, l'entendement d'un homme vertueux et le père du langage par lequel nous nous communiquons entre nous. »

St-Clément d'Alexandrie, Strom., v, p. 648 :

« Tant qu'il ne s'occupait que des mouvements qui s'opèrent dans les d'eux et de la philosophie physique, il se nommait Abram, ce qui veut dire père sublime; mais depuis, ayant fait pénétrer ses regards dans le ciel, soit qu'il y eût vu, par l'esprit, le Fils, comme quelques auteurs le rapportent; ou simplement un ange plein de gloire ; ou que d'une manière quelconque il eut acquis la notion d’un Dieu Supérieur à la Créature et supérieur a Tordre de l'univers ; il a ajouté ἄλφα à ton nom, comme ayant la connaissance du Dieu unique et s'est nomme Abraham ; au lien de physicien, étant devenu sage et ami de Dieu : ce qu'où traduit par Père choisi de la voix, car la parole ou verbe, proféré, retentit, et son père est l'esprit, Νοῦς.

(12) Philo, De Abrahamo, p. 377, de l'édition de Word :  Ὁ μελλήσας σγαγιάζεσθαι χαλδαιστὶ γέλως· ξέλως δὲ, οὐκ ὁ κατὰ παιδιὰν ἐγγινόμενος Στόματι, παραλαμβάνεται νῦν, ἀλλ' διάνοιαν εὐπάθεια καὶ χαρά « Celui qui devait être égorgé se nomme en chaldéen, Rire. » Ce rire n'est pas celui qui se reprenait sur les lèvres dans la jovialité ; mais c'est la quiétude et la joie qui règne dans l'entendement.

Philo, De l’ivrognerie, p. 851

Ἰακὼβ μὲν οὖν μαθήσεως καὶ προκοπῆς ὄνομα, ἀκοῆς ἐξηρτημένων δυνάμεων, Ἰσραὴλ δὲ τελειότητος; ὅρασιν γὰρ θεοῦ μηνύει τοὔνομα· τελειότερον δὲ τί ἂν εἴῃ τῶν ἐκ ἀρεταῖς, ἢ τὸ ὄντως ἰδεῖν « Jacob est le nom de l'instruction et du progrès de l’entendement des facultés développées. Israël est celui de la perfection, car ce nom vent dire la contemplation de Dieu. Eh que peut-il exister de plus parfait dans toutes les Vertus; que de contempler l'être par excellence?

(13) J'ai substitué quatre à deux, τεττάρων à δύο car évidemment cette phrase résulte de la réunion des quatre lettres.

(14) Cette épigramme dont l'auteur est inconnu a occupé l'attention de savants du premier ordre. Joseph Scaliger dans son Commentaire sur la chronique d'Eusèbe, année 1730, déclare que c'est en l'honneur de Sérapis, divinité égyptienne, qu'elle a été composée, et que l'application qu'Eusèbe en fait ici au grand Jéhovah des Hébreux, est fausse. Il s'appuie sur l'autorité d'Hésychius, au mot ἑπταγράμματον τὸ ὀργίλον καὶ σκληρὸν καὶ Σάραπιν.

Henry de Vallois dans ses Emendationes, l. 1, c. 2, et dans Notes sur l'historien Socrate, l. v, c. 17, dit que Scaliger a eu raison de dire que cette épigramme était consacrée à Sérapis ; mais qu'il n'en a pas compris le sens ; il a compris que le nom de Sérapis consistait en sept lettres, au lieu que le poète a voulu dire toute autre chose, savoir, que c'était dans la récitation des sept voyelles qu'ils faisaient consister leurs prières d’adoration, en les variant suivant la forme d’une inscription trouvée à Bordeaux et citée par Tinet dans son Commentaire sur Ausone.

Démétrius de Phalère.

 Περὶ Ἑρμηνείας, § 7 · Ἐν Αἰγύπτῳ δὲ τοὺς θεοὺς ὑμνοῦσι διὰ τῶν ἑπτὰ φωνηέντων οἱ ἱερεῖς, ἐφεξῆς ἠχοῦντες αὐτά. « En Egypte, les prêtres célèbrent les louanges des Dieux par les sept voyelles qu'ils répètent à la suite l'une de l'autre. » Voir la note de Gale sur ce passage.

Jablonski dans les Prolégomènes à son Pantheon Ægyptiorum, p. 56, combat cette opinion. Qu'est-ce que la répétition des sept voyelles pouvait avoir d'agréable aux Dieux ? Il y a, dit-il, là-dessous un mystère qui tient à la religion et un rapport à l'harmonie des planètes qui ont chacune une voyelle pour symbole (V. Porphyre, Commentaire sur Denys de Thrace, p. 796, de l'édition de Bekker.) Il ajoute que l'auteur de cette épigramme appartient à l'école des Gnostiques ; il cite à l'appui ces Vers de Varron d'Atax dans sa Chorographie, In fragmentis astronomicis pœtarum inter catalecta Scaligeri, p. 16S :

Vidit et ætherio mundum torquerier axe

Et septem æternis sonitum dare vocibus orbes.

(15) Comparer avec ceci ce que le même auteur nous a déjà dit l. x, c. 5.

(16) J'ai cherché à me rendre compte de ce qu'Eusèbe à voulu dire par cette seconde émigration des Juifs en Égypte, par l'effet de la puissante personne : elle ne peut s'entendre que d'un fait historique asses obscur quoique s'appuyant sur quelques autorités récentes ; je veux dire l'expédition d'Ochus contre les Phéniciens et les Sidoniens révoltés, dans laquelle il semble que les Juifs furent enveloppés, ce qui occasionna d'abord leur fuite en Egypte, puis, lorsque le même Ochus se fut rendu le maître de la Judée, il transporta une partie des habitants en Hyrcanie le long de la mer Caspienne. Cet événement est rapporté par des auteurs de date récente et tous chrétiens.

Syncelle d'après Africanus, p. 156 ; Ὦχοσ Ἀρταξέρξου παῖς εἰς Αἴγυπτον στρατεύων μερικὴν αἰχμαλωσίαν εἷλεν Ἰουδαίων ὧν τοὺς ἐν Ὑρκανίᾳ κατῴκησεν ( lisez κατῴκισε), πρὸς τῇ Κασπίᾳ θαλάσσῆ, τοὺς δὲ ἐν Βαβυλώνι.

Orosius, l. iii, 7 : Tunc etiam Ochus qui et Artaxerxes post transactum in Ægypto maximum diuturnum que bellum, plurimos Judæorum in transmigrationem egit, atque in Hyrcania ad Caspium mare habitare præcepit.

Eusèbe, In chronic. ad annum, MDCLVIII. Ὦχος Ἀρταξέρξης εἰς Αἴγυπτον στρατεύων ἀποδασμὸν (deelctum) εἷλεν Ἰουδαίων οὓς ἐν Ὑρκανίᾳ κατῴκισε πρὸς τῇ Κασπίᾳ θαλάσσῃ.

S. Jérôme, dans sa traduction latine, avait fait d’Αποδασμος une ville : Ochus, Aposdasmo Judæorum capta, in Hyrcaniam accolas translatos juxta mare Caspium collocavit — Scaliger a relevé cette grossière erreur.

Maintenant il s'agit de fixer l'époque où Platon fut en Egypte : cela dut nécessairement précéder la conquête de l'Egypte par Ochus qui eut lieu la deuxième année de la 107e olympiade, 349 ans avant J.-C., et Platon mourut à 81 ans, la première année de la 108e olympiade, 346 ans avant J.-C. : d'après le récit de Diogène Laërce, c'est après avoir été en Italie (l. iii, seg. 6). En effet, il se rendit en Italie auprès des Pythagoriciens Philolaüs et Eurytus ; puis de là en Egypte auprès des prophètes (παρὰ τοῦς προφήτας) c'est-à-dire les prêtres égyptiens. Un grand nombre d'auteurs, Quintilien, Apulée, Clément d'Alexandrie, Valère-Maxime, Cicéron, dans plusieurs endroits, parlent du voyage de Platon en Egypte sans en fixer l'époque. J'en excepte Cicéron qui, dans un passage du livre de sa République, cité par Nonius au mot contendere, nous apprend que Platon ne fit ce voyage qu'après la mort de Socrate : « Audisse te credo, Platonem, Socrate mortuo, in Ægyptum, discendi causa, post in Italiam contendisse. » Socrate mourut la première année de la 95e olympiade, 398 ans avant J.-C. : Platon avait alors 32 ans ; Diogène Laërce le fait partir à 28 ans pour Mégare, Cyrène, l'Italie, enfin l'Egypte : tout cela est assez concordant Diogène lui donne Euripide pour compagnon de voyage, d'autres y ajoutent Eudoxe de Cnide, géomètre et astronome célèbre.

Eusèbe, ici, d'accord avec la plupart des auteurs chrétiens, fait de Platon un disciple de Moïse : Lactance le contredit, l. iv, Instit., c. 2 : « Soleo mirari, inquit, quod cum Pythagoras et postes Plato amore indagandæ veritatis accensi ad Ægyptios et Magos et Persas (bon pour Pythagore les Mages et les Perses, mais non pour Platon) usque penetrassent, ut earum gentium ritus et sacra cognoscerent, (suspicabantur enim sapientiam in religione versari) ad Judæos tantum non accesserint, penes quos tunc solos erat, et quo facilius ire potuissent. »

Pour rendre probable l'opinion que Platon devait à Moïse ses doctrines religieuses, on a supposé qu'une traduction du Pentateuque, antérieure à celle des soixante-dix, avait fourni au fils d'Ariston les lumières, qu'il a répandues sur la philosophie. Mais le récit d'Aristée est incontestable, en ce point qu'il n'existait aucune version des livres saints avant le règne des Ptolémées. C'est en vain que Clément d'Alexandrie, Stromat. I, p. 410, Origène contre Celse, l. vi, p. 288, éd. de Cambridge, Justin , martyr, Parœnet., « Passim, Apologia..., » Ambrosius, Sermone 18, In Psalm. 118, Théodore!, Thérap., l. ii, p. 90 et 91 de l'éd. de Sylburge, Josèphe contre Apion ,l. ii, etc., ont soutenu cette supposition : ils ont été combattus, entre autres, par saint Augustin, De Civitate Dei, l. viii, c. 11.

(17) Origène contre Celse, l. iv, p. 198 de Spencer : « Je sais que Numénius le pythagoricien a infiniment mieux interprété Platon, tout en professant les doctrines de Pythagore, en mettant, dans beaucoup de ses ouvrages, en parallèle les écrits de Moïse et des prophètes, dont le philosophe a détourné les pensées, d'une manière assez évidente. Ainsi, dans le livre intitulé Epops, dans les livres sur les nombres, dans ceux sur le lieu et dans le troisième livre Du bien, où il raconte sans le nommer une histoire de Jésus (Josué) d'une manière détournée, a-t-il réussi ou non ? ce n'est pas ici le lieu de l'examiner. »

(18) Ce mot est déjà attribué par Clément à Numénius, mais non plus sous la forme du doute comme ici. Le passage de Clément se lit au l. i des Stromates, p. 410 et 411: il est répété par Eusèbe, l. ix, c. 6, p. 411, l. xi, p. 527. Théodoret, dans sa Thérapeutique, Sermone secundo, p. 57 de Sylburge, cite le même mot de Numénius. On a dit de Philon le Juif qu'il platonisait, et ceci est plus exact, car il est plagiaire de Platon autant pour les pensées que pour le langage « Ή Φίλων πλατωνίζει, ἢ Πλάτων φιλονίζει. » Saint Jérôme, De Viris illustribus ; Isidore de Péluse, l. iii, Ép. 81 ; Photius, In Bibliotheca, Cod,, c. 15; Suidas, In Voce Philon.

(19) « Ποταμῷ γὰρ οὐκ ἔστιν ἐμβῆναι δὶς τῷ αὐτῷ καθ' Ἡράκλειτον. »

Ce proverbe, dû à Héraclite, dit σκοτεινός (l'obscur), avait assez de retentissement dans l'antiquité ; Platon, dans le Cratyle, p. 265 de Læmarius A. : Λέγει που Ἡράκλειτος ὅτι πάντα χωρεῖ καὶ οὐδὲν μένει, καὶ ὡς δὶς εἰς τὸν αὐτὸν ποταμὸν οὐκ ἂν έμβαίης « Héraclite dit quelque part que toutes choses s'écoulent et que rien ne demeure, et, comparant l'universalité des choses au courant d’un fleuve, il ajoute qu'on ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve. »

Aristote, Métaphys., iii, 6, p. 79 de Brandis, in 4° ; Ὁ Κρατύλος Ἡρακλείτῳ ἐπετίμα εἰπόντι ὅτι δὶς τῷ αὐτῷ ποταμῷ οὐκ ἔστιν ἐμβῆναι· αὐτὸς [15] γὰρ ᾤετο οὐδ' ἅπαξ.

Sénèque, Epist. 58 : « Hoc quod ait Heraclitus : in idem flumen bis non descendimus ;

Plutarque y revient plusieurs fois, Natural. Question. seconda, p. 3, t. xiii ; Ποταμο$ις γὰρ δὶς τοῖς αὐτοῖς οὐκ ἂν ἐμβαίῃς, ὥς φησι Ἡράκλειτος.

De sera numinis vindicta, p. W de l'édition isolée de Wyttenbach ;·Λήσομεν εἰς τὸν Ἡραλλείτειον ἅπαντα πράγματα ποταμὸν ἐμβαλόντες, εἰς ὃν οὔ φησι δὶς ἐμβῆναι.

Héraclite de Pont, Allégories homériques, p. 443, éd. de Gale. Ποταμοῖς τοῖς αὐτοῖς ἐμβαίνομεν τε καὶ οὐκ ἐμβαόνομεν « Nous descendons et nous ne descendons pas dans le même fleure. » Ceci est également emprunté à Héraclite l'obscur. Voir le c. 20 du quinzième livre de la Préparation, et Schleiermacher, dans le Musœum Antiquitatis de Wolf, p. 356.

(21) Plutarque a-t-il voulu parler de prisme ? Je l'ignore, son texte, très corrompu, est mieux représenté par Eusèbe.

(22)Herennius, sur la Métaphysique, Manuscrit 1885 de la Bibliothèque royale, feuillet 39, verso, ouvrage qui se trouve dans les anecdotes du cardinal May, a écrit un passage assez remarquable sur l’ἄῤῥητον, qui est traduit à la 247e p.· du second volume de l'Essai sur le polythéisme, que j'ai publié chez Hachette, in-12, 1840.

(23) Le texte des 70 diffère en peu de ce que nous donne Eusèbe.

(24) Les citations qui suivent sont tirées du livre de la confusion des langues.

(25) Ces citation» manquait an livre de Philon, dont Eusèbe déclare les avoir tirées et ne sauraient lui appartenir. V. la note 24.

(26) Il n'existe pas de dialogue de Platon sous le nom d'Épiménide ; c'est, évidemment, Épinomide qu'a voulu ou qu'a dû écrire Eusèbe, puisque ce passage se lit à la page 702, G de l'édition de Ficin, à la page 986, C de H. Etienne, 662 de Bekker : cette faute se retrouve déjà au l. x, c. 4.

(27) J'ai corrigé, dans le texte de Platon, δαήμων au lieu de εὐδαίμων, qui me paraît sans application possible dans cette place.

(28) Sensible (αἰσθητὸν) est mis ici par opposition à νοητὸν, intellectuel, c'est à peu près l'équivalent de matériel.

Πρεσβεύειν, dans le sens de soutenir, professer, représenter une doctrine philosophique, est usité par les écrivains philosophes.

Origène contre Celse, l. v, § 20, p. 244 de l'édition de Cambridge : « Celse ne doit pas croire que l'opinion des sages de l'antiquité soit défendue par des hommes qui n'annonce rien de plus que la foi qui repose, sur la doctrine des Chrétiens. »

Ammonius, dans son Commentaire sur le livre de l’Interprétatif d'Aristote, p. 31 de Sabio : « Aristote nie que les langues soient dues à li nature, seulement dans le sens dans lequel le soutiennent les disciple d'Héraclite. «

(Cette note sans numéro se rapporte à l'avant dernière ligne du chap. xvii.)

(30) Le texte porte, le second et le troisième : ὁ δεύτερος (καὶ τρίτος). Je ne mets pas en doute que καὶ τρίτος ne soit une glose qui vient tout troubler. En effet, il ne parle dans ce qui suit que d'un seul être. Je ne sais si saint Cyrille d'Alexandrie, huitième livre contre Julien, qui a emprunté au même auteur des citations, a pris celle-ci. Toujours est-il que l'altération du texte serait ancienne sans être moins réelle. Évidemment, un copiste chrétien a voulu faire apparaître la trinité, dont il n'est nullement question dans Numénius, et a écrit καὶ τρίτος, qu'on doit, en tout état de cause, mettre entre parenthèse. Une altération semblable se retrouve plus bas : les éditions portent, d'après le plus grand nombre de Manuscrits, Περὶ πατρός καὶ ὑιοῦ, au lieu de περὶ θεοῦ, que le Manuscrit 468 nous donne, que Vigier a rétabli dans sa note, et suivi dans sa traduction.

(30 bis) Aurel. Augustinus, De Civitate Dei, l. x, 29 : « Quod initium sancti evangelii, cui nomen est secundum Johansea quidam Platonicus, sicut a sancto sene Simpliciano, qui postea mediolanensi ecclesiæ præsedit episcopus, solebamus audire, aureis literis conscribendum, et per omnes ecclesias in locis eminentissimis proponendam esse dicebat. »

Voir la note de Ruhnkenius sur le Traité du Sublime de Longin, Sect. 9, p. 250 de l'édition de Toup.

(31) Ammonius, sur le livre de l'Interprétation, d'Aristote, verso de 1 la page 5, édition aldine :

« Nous devons ajouter, en faveur de ceux qui veulent se reporter à l'ontologie et étudier les différences qui séparent les causes des effets ici soumis à notre examen, qu'au-dessus des substances matérielles il existe trois ordres archiques : le divin, l'intellectuel et, en troisième lieu, le principe des âmes. Or, nous dirons que les choses tirent leur origine de la Divinité : les conceptions émanent de l'intellectuel ; et c'est du principe des âmes, caractérisé par le raisonnement et tout-à-fait distinct de la matière des corps, que proviennent les voix articulées. »

(32) Cette doctrine, qui confond la Divinité avec les nombres, est proclamée par tous les organes du pythagorisme :

« Κέκλυθι κύδιμ' ἀριθμὲ πάτερ μακάρων, πάτερ ἀνδρῶν. »

Voir la Vie de Pythagore par Jamblique, p. 124 : « Il disait que la substance éternelle était contenue dans le nombre ; que c'était le principe le plus capable de nous faire comprendre ce que sont le ciel entier, la terre et les natures intermédiaires : c'est encore la racine de l’existence permanente des dieux et des démons. » — « On voit par là que Pythagore attribuait au nombre l'existence déterminée des dieux : il avait puisé cette doctrine dans les Orphiques. »

(33) Le Didyme, dont Eusèbe a tiré cet extrait, est évidemment un historien des sectes de philosophie, dont nous trouvons un fragment analogue sur les stoïciens, l. iv, c. 15, p. 817, sous le nom d'Arius Didymus ; il y a donc lieu de croire que notre Didyme est le même Arius Didymus nommé plus bas. Ce sera encore le Didyme dont parle saint Clément d'Alexandrie dans le premier livre des Stromates sur la philosophie pythagoricienne, voy. Strom. prima, p. 366; enfin, celui que Stobée, dans les Eclogæ physicæ, l. ii, p. 14 de Heeren, cite sous le chapitre Περὶ αἱρέσεων ; peut-être doit-on lire περὶ αἱρέσεων, c'est-à-dire des sectes de philosophie ; c'est, du moins, l'opinion de tous ceux qui l'ont cité, savoir : Schiffer, De Natura philosophiæ italicœ, p. 3, et Heeren sur le passage de Stobée, qui n’a point nommé Scheffer premier auteur de cette correction. Suidas, parmi tous les Didymes qu'il fait connaître, en nomme un sous le surnom d'Ατνήιος. Jonsius, De Scriptoribus hist. philos., propose de lire 'Αρειος; d'après Eusèbe. Kuster repousse cette correction, qui me semble indubitable. Stobée, dans les Eglogæ physicœ, l. ii, p. 14 de Heeren, comme Didyme, comme nous l'avons vu pour l’auteur d'un fragment sur l'incertitude de nos connaissances, d'après Xénophane, chef de l'école d’Élée ; on doit aussi attribuer au même Didyme, suivant Heeren, un autre fragment contenu dans l'autre recueil, le Florilegium de Stobée ; c'est celui qui, sons le nom d’Ἐκτομή, contient des renseignements sur l'éthique aristotélicienne ; enfin, je le rapproche de l'Arius héracleapolite cité par notre Eusèbe, l. 1 de la Prép., c. 10 : Voici donc notre Didyme surnommée Arius, mais quel personnage est ce Didyme, et quand a-t-il vécu ? Si l’on doit s'en rapporter à Jonsius, dans le chapitre i du troisième livre des Historiens de la Philosophie, Didymus Arius a été contemporain de Varron, et voici comme il l'établit : Athénée, l. xiii, 3, cite le σύγγραμμα sur Démétrius de Phalère, composé par Asclépiade; 'Αρείου, qu'il traduit par Aroi magister, et qu'il suppose être notre Didyme Arius ; or, si ce Asclépiade a été l'Asclépiade Myrlanus, le grammairien, et que, de plus, il soit maître de Didyme Arius, il serait le contemporain de Varron ; Fabricius, au contraire, cité par M. Heeren, sur Stobée, le déclare contemporain de Néron, par des raisons approuvées par M, Heeren, et que je n'ai pas été à même de vérifier, n'ayant pas la première édition de la Bibliothèque grecque de Fabricius, a laquelle il renvoie : cette détermination d'époque importe peu aux lecteurs d'Eusèbe.

(34) Au lieu du sixième livre, ce passage appartient au cinquième des Stromates, p. 702. Cela tient-il à une erreur de copiste ou à une distribution différente des parties d'un ouvrage dont nous avons perdu le commencement ? je n'ose le décider.

(35) On sait l'importance que les pythagoriciens accordaient aux nombres, dont ils faisaient une expression de la Divinité. Le nombre six jouissait, pour sa part, d'une grande dignité ; le même Clément s'en explique dans le même livre des Stromates, p. 811 : « Les pythagoriciens, d'accord avec le prophète, déclarent le nombre six parfait à cause de la Genèse du monde ; ils l'appellent aussi meseuthys et γάμος (mariage), parce qu'il est le terme moyen du nombre direct, c'est-à-dire entre dix et deux: il est, en effet, également distant de l'un et de l'autre. De même que le mariage produit par l'union du mâle et de la femelle, de même ce nombre, formé de l'impair trois, réputé mâle, et du pair deux, censé femelle, devient un produit : deux fois trois font six. »

Euclide, dans le septième livre Des Définitions, 22, nomme parfait le nombre six, parce qu'il est formé de ses propres éléments : 1, 2, 3.

Cassiodore dit la même chose.

Par cette raison, les pythagoriciens lui donnaient le nom de Vénus. Voir Plutarque de E apud Delphos t. 7 p. 524 de l'éd. de Reiske, où le texte est vicieux. Voir Jamblique, Vie de Pythagore, i, 28 ; voir l'anonyme cité par Meursius dans le Denarium pythagoricum, c. 8 ; Macrobe, sur le Songe de Scipion, l. 1, c. 6 : « Senarius qui cum uno conjunctus septenarium facit, variæ multiplias religionis et potentiæ est, primum quod solus ex omnibus numeris qui intra decem sunt, de suis partibus constat habet enim medietatem et tertiam partem, et sextam partem : est medietas tria : tertia pars, duo : sexta pars, unum : quæ omnia simul sex faciunt.·

(36) Tout ce qui suit manque au texte d'Alcibiade, dans les éditions de Platon, et je ne vois pas que les éditeurs du philosophe en aient fait mention.

Les quatre Manuscrits d'Eusèbe portent : « qui, nés de moi sont indissolubles, même quand je ne le voudrais pas. »

J'ignore si les Manuscrits de Platon ont tous ἐμοῦ γε θέλοντος des textes imprimés.

(37)Le texte de Platon porte première; mais, évidemment, on doit avec Eusèbe, lire dernière, puisque c'est celle qui a amené l'état actuel

(38)Il y a ici une sorte de jeu de mots entre ἀλκίνου et ἀλκίμου, que j'essaierais en vain de rendre en français, et qui, peut-être, n'est qu'accidentel dans l'original.

(39)J'ai préféré παρακλητιχόν des Manuscrits 465 et 466 au παρακινετικόν du texte imprimé.

(40)L'art de Glaucus. Ce proverbe est expliqué par Diogenianus, Zenobius, Suidas, et surtout par le scholiaste de Platon sur ce passage. L'art de Glaucus veut dire une découverte très estimable dans les ans. On dit que c'est dans la métallurgie que ce Glaucus avait inventé « qu'on nomme actuellement corroyer le fer : σιδήρου κόλλησις.

(41)Origène contre Celse, l. vii, p. 351 de l'édition de Cambridge. « Il me semble que Platon a emprunté à Isaïe dans la description de la ville de Dieu, ce qu'il dit sur les pierres qui, ici bas, passent pour précieuses, qu'il déclare n'être qu'un sédiment (ἀποῤῥοή) des pierres qui sort sur la meilleure terre.

 


 

[1] Cratyle·, p. 260, B. de H. Et. 385.

[2] Genèse, 3, 7.

[3] Genèse, 17, 5.

[4] III Rois, 4, 32.

[5] Sagesse de Salomon, 7, 17.

[6] Eccl., 1, 1.

[7] Saint Paul aux Romains. I. 20.

[8] Exode, 3. 14.

[9] Timée.

[10] Timée, p. 326, éd. de Ficin.

[11] Timée, p. 529.

[12] Plutarque de Hutten. p. 238 du tome 9.

[13] Lettres, p. 718 de Ficin.

[14] Ps. 4, 7.

[15] Deut ; 6,3.

[16] Timée, p. 527 de Ficin.

[17] p. 728 de Ficin.

[18] IV des lois, p. 600.

[19] Isaïe, 41, 4.

[20] Ps. 10,8.

[21] Deutéron., 32, 35.

[22] Ps. 30, 24.

[23] Phil., de conf. ling., § 21.

[24] Phil., de conf. ling., § 28.

[25] Phil., de conf. ling., § 14.

[26] Platon, 6e lettre.

[27] 2e lettre à Denys, p. 751 de Ficin, 312 de H. Et.

[28] Jérémie, Lament., 3, 25.

[29] Livre 6.

[30] Philon, de la création du monde, p. 5, éd. Morel et Mangey.

[31] Clément, Ve stromate.

[32] 1er Alcibiade.

[33] Phédon.

[34] Timée.

[35] Timée.

[36] Platon, Politique.

[37] Platon, Politique.

[38] Platon, République, à la fin.

[39] Platon, Phédon, p. 398 de l’éd de Lyon, 108 de H. Et.

[40] Platon, Phédon.