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ÉLIEN

LETTRES RUSTIQUES

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 


AVANT-PROPOS

 

Claudius Aelianus, qui revendiquait si superbement son titre de citoyen romain, eut de bonne heure coutume de noter dans le grec le plus élégant qu’il pût écrire les histoires diverses qu’il avait rencontrées touchant les dieux, le héros, les hommes, les bêtes, les plantes et même les pierres, parfois miraculeuses aussi. Son amour pour le sol natal ne fut point altéré, bien qu’il parlât une langue étrangère; et il se tint pour obligé à de tels scrupules nationaux, que jamais, à ce que raconte Philostrate en ses Vies de Sophistes, une voulut sortir de l’Italie, ni monter sur un navire, ni connaître la mer qui l’eût sollicité sans doute à voir les îles heureuses, Athènes la Sainte et, sur l’Acropole, la Vierge guerrière toujours en armes, immuable protectrice de la cité.

Jeune encore, comme il venait d’apprendre auprès de Pausanias la sagesse et l’art de bien dire, il fut attristé par les rites impies d’Hélagabal et quitta la Ville pour fuir le Syrien efféminé, vêtu d’étoffes flottantes et légères, dont la beauté rappelait Dionysos enfant. Il quitta la Ville et regagna Préneste, et les montagnes, originelles nul biographe na pris, soin d’en avertir les historiens, mais on imagine aisément cette volontaire retraite dans les campagnes amies. C’est là, je pense, qu’il composa les Lettres rustiques, après avoir déroulé chaque matin, pour une lecture vagabonde, Aristophane, Théocrite et le Virgile alexandrin des Eglogues.

Les sujets de ces lettres ne sont point variés ni inattendus: souci de la terre et des animaux domestiques, contestations entre voisins, galanteries avec les filles peu farouches, reproches aux courtisanes avides que l’on admire de loin. Mais la langue ingénieuse et compliquée valut au rhéteur son renom et le fit appeler μελίγλωσσον, μελίφθογγον, celui de qui le parler est aussi doux que le miel. Il advient souvent que cette prose égale certaines épigrammes de l’Anthologie ; les atticistes sévères la jugeraient volontiers impure et haïssable, alors qu’elle nous charme précisément par son vocabulaire composite et les rencontres d’une syntaxe hasardeuse.

La plainte de Baitôn regrettant ses abeilles fugitives plaira comme un air pastoral, entendu de loin, par un clément crépuscule d’été; et l’on goûtera les paroles de Kallipidès à Knêmôn sur la musique qui insinue dans l’âme « quelque chose de la mer calme ». Mais, une fois au moins, Claudius Aelianus a outrepassé l’élégance, dans la lettre adressée à Derkyllos par la courtisane Opôra, dont le nom voulait dire Automne.

Automne! non point la saison mélancolique où les choses lasses vont mourir, mais la richesse sensuelle et luxuriante de la terre, les cuves qui bouillonnent et fument, l’opulence des chairs nubiles. Et dans toute la superbe de la jeunesse de la beauté, Opôra songe à l’hiver, un peu comme chez François Villon la Belle Heaulmière regrettera les heures de liesse amoureuse: « Mon nom m’enseigne que la beauté des corps ressemble à l’automne. Tant qu’elle fleurit, il convient que nous recevions pour elle largesse égale; mais quand elle s’est écoulée, qu’est-ce de nous qu’un arbre dénudé à la fois de fruits et de fleurs. Et la nature encore a donné aux arbres de reverdir les courtisanes n’ont qu’une automne ».

N’eût-il inscrit sur les tablettes de cire que ces pensées anxieuses, Claudius Aelianus serait sauvé de l’oubli. Leur charme dangereux et funèbre renie déjà la gloire héroïque de la lumière et de la joie; et cette émotion en face de la décrépitude humaine, inconnue aux poètes antérieurs, annonce que bientôt les âmes dolentes suivront, jour des siècles, sur les routes de la nuit, le triste pasteur de Galilée.


 

LES LETTRES RVSTIQUES.

 

 

 

I. Euthykomidès à Blépaios

Je rafraîchissais les raisins hâlés par le soleil, quand Mania s’en vint qui faisait la sotte et la coquette et me harcelait d’agaceries. Moi qui depuis longtemps avais quelque désir d’elle, je pensais à la brusquer.

Je l’ai prise sans qu’il lui déplût : j’ai laissé aller les grappes pour m’approcher; je me suis glissé et me suis plu beaucoup à faire en saison la vendange de sa beauté.

Que cela, par Pan, soit pour toi les grands mystères.

II. Kômarkhidès à Dropaios

Héméron le doux s’est heurté la jambe contre un chêne liège : il a l’aine enflée. Je préférerais qu’il se remît à quatre médimnes de figues sèches.

Salue la brebis de douce laine de qui j’ai coutume de te faire l’éloge et le couple de génisses et la chienne et Mania elle aussi.

III Eupithidès à Timônidès

Ta servante me fait tort: elle me vole mes gerbes à la dérobée. Si elle s’arrête, tant mieux pour toi nous demeurerons amis; mais si elle continue son manège, je t’attaquerai pour dommage.

Car certes, ils gémiraient justement, les tombeaux des ancêtres, si moi Eupithidès le Korydallide je ne regardais pas à me laisser voler et cela par une esclave qui vaut peut-être deux mines!

IV. Anthémiôn à Drakès

Qu’as-tu fait de bon et quelle peine utile t’es-tu donnée? Pour moi j’ai planté une perchée de vigne, j’ai fait ensuite auprès de tendres boutures de figuiers et j’ai fiché des oliviers autour de la bergerie.

Puis, le diner et la purée de pois; j’ai vidé trois larges coupes et je me suis endormi de bon cœur.

V. Baitôn à Anthémiôn.

Mes ruches sont vides d’abeilles. Elles ont quitté la maison, elles qui jusqu’ici n’étaient point fugitives; au contraire elles demeuraient fidèles, et comme un domicile elles habitaient leurs rayons. Elles avaient une prairie humide de rosée et libérale en fleurs et nous leur donnions des festins variés: elles aimaient le travail et nous traitaient de retour avec leur miel abondant et délicieux et jamais elles n’étaient infécondes de ce doux enfantement.

Maintenant elles sont parties; elles s’en sont allées sans que nous leur ayons fait aucune peine, non! par Aristaios et Apollon lui-même. Elles sont fugitives et leur maison est vide, et les fleurs, les fleurs de la prairie y dépérissent.

Quand je me rappelle leur vol et leurs danses gracieuses, c’est comme si je pensais que j’ai perdu des filles. Je suis en colère contre elles : pourquoi ont-elles laissé leur nourricier, leur vrai père, un protecteur, un gardien qui n’était point revêche?

Mais il faut que je les recherche, les vagabondes, et où elles se sont posées dans leur fuite et aussi qui les a recueillies; car celui-là les garde sans y avoir aucun droit. Puis, quand je les aurai retrouvées, je ferai mille reproches aux ingrates et aux infidèles.

VI. Kallaros à Kalliklès.

Et où détournera-t-on le ru? Car si tu ne le dérives pas sur la route et s’il ne va point passer chez les voisins tu ne m’obligeras pourtant pas à le boire tout entier.

Il y a longtemps que l’on a dit: « Mauvaise chose qu’un mauvais voisin. » Tu n’en es pas le moindre témoignage. Mais tu ne gagneras rien à la violence car je ne te vendrai point la pièce de terre et c’est en justice plutôt que le maître en discutera avec toi, si tu as la tête saine.

VII. Derkillos à Opôra.

Ce n’est point parce que tu prétends être belle et pour avoir beaucoup d’amoureux, ce n’est point pour cela que je te loue. Peut-être les autres t’admirent-ils à cause de ta beauté; mais moi, tu me plais à cause de ton nom, et pour lui je te loue ainsi à l’égal du sol de la patrie. [Opôra, Automne !]

Et j’admire la subtilité de celui qui t’a ainsi appelée, afin que les habitants de la ville ne fussent point seuls en folie pour toi, mais avec eux le peuple rustique. Qu’y a-t-il de mal à rire d’Opôra? Ce nom invite à l’amour, mais un homme surtout qui vit dans la culture. Je t’ai envoyé les dons de celle qui aux champs s’appelle comme toi, des figues, des raisins et du moût, qui sort des cuves; au printemps je t’enverrai aussi des roses, automne des prairies.

VIII. Opôra à Derkillos.

Si tu aimes vraiment mon nom ou si tu plaisantes, tu le sais sans doute. Pour moi, je ne vois pas que tu puisses faire le fier des présents que tu m’envoies. Beaux cadeaux, tes fruits à deux oboles et ton vin que la jeunesse rend méchant!

Que la Phryge en boive ! Moi je bois du Lesbos et du Thasos et j’ai besoin d’argent.

Envoyer l’automne à Opôra, c’est faire du feu sur le feu. Il t’est facile d’en avoir en raisonnant comme moi. « Fléchis-toi aux dépens de ceux qui veulent approcher! » voilà le sens  que me donne mon nom.

Il m’enseigne que la beauté des corps ressemble à l’automne. Tant qu’elle fleurit, il convient que nous recevions pour elle largesse égale; mais quand elle s’est écoulée, qu’est-ce de nous qu’un arbre dénudé à la fois de fruits et de fleurs?

Et la nature encore a donné aux arbres le don de reverdir: les courtisanes n’ont qu’une automne. Il faut qu’elles s’en épargnent quelque chose pour la vieillesse.

IX. Khrémès à Parménôn.

Sur le tard, j’ai appris que tu me donnais un bon conseil en m’engageant à fuir les courtisanes. Elles béent après le gain; elles se donnent des airs de nous aimer et continuellement nous ferment la porte.

Mais le plus fâcheux de tout, c’est qu’elles ne veulent coucher avec nous que pleines et rassasiées. Mais elles font comme Akkô et jouent des petites bouches. Puis elles trempent leur pain dans le plat et, en cachette, elles dévorent et avalent tout, tandis que devant nous elles font les renchéries.

Pour moi, je fais tout au plus vite; je me dépêche de les prendre et de leur ouvrir les jambes et de m’en retourner vert mes chèvres. Cette misérable Thébaïs de perdition, la joueuse de flûte, j’aurais dû l’enlever à bras le corps, la jeter sur le lit et me passer mon désir. Maudit soit le soldat qui m’en a empêché! Thrasyleôn, je crois, ou je ne sais quoi de pareil entrelacé avec le monstre.

X. Philériphos à Simylos.

J’entends dire que tu as un porc salace. Que ne le prends-tu de force pour la couper, comme nous avons accoutumé de faire aux boucs? Cela inspire aux animaux la tranquillité et d’être admirablement sages.

Je suis certes expert en ces choses. Je les remets tout de suite en les bourrant de sel et les enduisant de poix ensuite il se portera mieux qu’un ricin ou une citrouille et il cessera d’aimer et de saccager ton bien.

Mais quel homme de bon sens pourrait nourrir un forcené verrat?

XL Lamprias à Tryphê.

Les jeunes gens élèvent des chiens bons à courre; mais jamais je n’ai vu lièvre plus vite ni plus décharné. C’est merveille même que je l’aie pris. Une fois dépouillé et dévêtu de sa peau, on a pu le voir, ou plutôt, car je m’exprime mal, il est devenu maintenant encore plus invisible.

Mais toi, Tryphê, cesse de rire avec moi comme si tu avais mangé des grives. Malheureuse, si ton père te voit, il t’adviendra quelque grand méchef. J’en ai peur même quand il est là, et toi, je ne sais comment, tu coquettes toujours et ne tiens compte de lui.

XII. Typhê à Lamprias.

J’attacherai à un clou, ô Lamprias, la peau du lièvre afin qu’elle soit un trophée de tes chasses, selon la guise de nos grands chasseurs. Et une inscription rappellera ta chasse heureuse.

Mais l’as-tu pris ou t’en a-t-on fait présent? Comment, si petit, l’as-tu vu d’abord? Tes chiens certes eurent bon nez : ils ne l’eussent su voir, mais ils l’ont senti.

Et toi, depuis que tu t’es mis à la chasse, tu es devenu pour nous Hippolytos garde qu’Aphrodite ne s’irrite aussi de ton dédain.

XIII. Kallippidês à Knêmôn.

Dans la vie rustique, l’un des plus grands biens est la douceur de l’user. Le calme et le loisir inspirent à ceux de la terre une belle affabilité. Mais toi, je ne sais comment, tu es un homme des champs et tu ne te montes point un bon voisin pour ceux qui te confinent.

Tu nous jettes des mottes de terre et des poires sauvages et tu pousses de grands airs quand tu vois un homme comme si tu pourchassais un loup; tu es insociable et ton voisinage est, comme on dit, saumâtre.

Pour moi, si ce n’était pas le champ de mon père que je cultive, je le vendrais de bon cœur afin de fuir un voisin terrible. Mais, ô très cher Knêmôn, quitte ces fâcheuses manières et que la colère ne te mène point à l’oubli de tes torts, car tu risquerais de ne t’apercevoir que tu es fou..

Prends ces messages amis comme venant d’un ami pour le remède de ta conduite.

XIV. Knêmôn à Kallippidês.

Il ne fallait rien répondre; mais puisque tu es curieux et que tu me forces, malgré moi, à un entretien, je regarde toujours comme autant de gagné de te parler par truchement et point en face. Que cette réponse te soit, comme on dit, la réponse des Skythes.

Je suis fou et altéré de sang et je déteste l’espèce humaine; aussi à ceux qui s’approchent de mou champ, je lance des mottes de terre et des cailloux.

Je tiens Perseus pour doublement bienheureux il avait des ailes et ne trouvait personne sur son chemin et il était trop haut pour converser avec qui que ce fût ou aimer âme qui vive. J’envie aussi très fort la puissance qu’il avait de changer en pierres ceux qui lui venaient encontre. S’il m’advenait de l’obtenir par quelque heureuse fortune, rien ne serait plus commun que les statues de pierre et j’en ferais l’épreuve sur toi le premier.

Où as-tu appris à me donner le rythme et gagné le désir de me rendre doux, moi qui veux passionnément du mal à tout le monde. A cause de cela, j’ai laissé en friche la partie de mon champ qui est près de la route et elle reste dénuée de fruits.

Toi seul te prétends de mes intimes et te travailles à m’avoir pour ami quand je ne suis même pas mon propre ami.

Pourquoi donc en effet suis-je un homme?

XV. Kallippidês à Knêmôn.

Tu ne diffères point des fous furieux pour te montrer aussi sauvage et malfaisant dans ta conduite. Il faut cependant que même contre ton vouloir tu t’adoucisses par respect de la mitoyenneté et pour faire honneur aux dieux terminaux qui nous sont communs.

Je sacrifie à Pan et je prie pour les rites des Phylasies ceux qui me sont les plus liés. Je voudrais que toi aussi tu vinsses parmi eux; après avoir bu avec nous et pris part aux libations tu en deviendras un peu plus doux. Car Dionysos a coutume de faner et d’endormir la colère et d’éveiller la bienveillance il te débarrassera de cette bile qui n’est point trempée, en éteignant dans le vin la torche de ton ire.

Quand tu auras entendu une joueuse de flûte, peut-être, ô Knêmôn, te laisseras-tu aller au chant et glisser doucement vers la musique, et tu en auras dans l’âme quelque chose de la mer calme. Et il n’y aurait point de mal à ce que, pris de vin, tu te misses à lever le jambot.

Même si, dans ton ivresse, tu venais à tomber sur une jeune fille en train d’appeler sa servante ou qui cherchât sa nourrice perdue, tu pourrais accomplir une action chaude et juvénile. Il ne serait point hors de propos de faire quelque chose de cette guise, pendant le sacrifice à Pan car il est aussi des plus amoureux et fort capable de sauter sur les vierges.

Cesse de froncer le sourcil et détends avec bonne humeur cette figure refrognée et couverte de nuages. C’est là le conseil d’un ami qui te veut du bien.

XVI. Knêmôn à Kallippidês.

C’est pour t’injurier que je te réponds et pour donner libre cours à ma colère contre toi mais j’aurais grand besoin que tu fusses présent, afin d’en finir de ma propre main.

Quel désir as-tu de me nuire et pourquoi t’évertuer à me perdre en m’invitant à un repas, à un banquet de sacrifice? D’abord le poil me hérisse terriblement de voir beaucoup de gens et de m’y trouver mêlé, et je fuis un sacrifice commun comme les lâches ont peur de l’ennemi.

J’ai aussi le vin pour suspect parce qu’il est étrangement puissant en perfidies et capable de s’en prendre à la raison.

Quant aux Dieux, je les salue tous, Pan et les autres, et je ne les invoque qu’en passant mon chemin. Mais je ne sacrifie rien, car je ne veux point faire l’indiscret à leur égard.

Et toi, imbécile, tu me prétends attirer avec les joueuses de flûte et les chants. Ce serait; une raison de t’entreprendre une fois de plus alors, il t’est beau de danser et d’avoir une chaude rencontre avec une jeune fille?

Tu m’as l’air capable de te jeter dans le feu et de te précipiter sur des épées; mais tu ne seras mou ami ni quand tu sacrifies ni autrement.

XVII. Derkyllos à Aiskrêas.

N’ai-je pas dit que tu as rencontré Ploutos clairvoyant et point aveugle, et que tu me railles à propos de la terre et de la fortune qui prend soin aussi des braves gens.

On voit que tu es l’un de ces hommes pour qui du temps de Kronos tout venait spontanément de la terre. Ils vivaient dans une cité commune épargnée par l’envie et où les mœurs étaient simples; ils habitaient comme une seule demeure tout l’espace qui s’étend sous le ciel.

Maintenant que tu es devenu riche, quel homme serait assez médisant et méchant pour t’en vouloir et te jalouser.

Puissent les mœurs des paysans n’être jamais infectées d’une telle peste, la jalousie de la fortune et le souci de l’argent! Qu’elle s’attaque aux chèvres sauvages et aux rhéteurs des tribunaux.

XVIII. Démylos à Blépsias.

Mon voisin Lachès a abandonné le labourage et la culture de la terre. Il est monté sur un navire; il parcourt, à ce qu’on dit, l’Aigaion; il mesure d’autres mers; il se fait ballotter par les vagues et mène la vie d’une mouette et lutte contre les vents adverses.

Un promontoire l’accueille après un promontoire; il regarde avec convoitise un ample gain et promène son esprit autour de richesses amoncelées. Ainsi il a dit adieu pour longtemps aux chevreaux que voici et à la vie pastorale.

Il ne pouvait mener la vie parcimonieuse et frugale que donnent les champs; il ne se satisfaisait point de ce qu’il avait voilà qu’il voit en sa fantaisie des Aigyptiens et des Syriens; il admire la montre; il est très occupé, par Zeus ! à compter intérêt sur intérêt, à calculer argent sur argent, et le gain du double fret, à l’aller et au retour, lui enflamme et lui incendie la pensée.

Mais il ne songe point aux tempêtes ni aux vents contraires, ni à l’instabilité de la mer, ni aux époques mauvaises.

Nous autres, nous gagnons peu en peinant beaucoup. Mais la terre est plus solide que la mer, et, plus digne qu’on s’y confie, nous fait espérer d’elle des fruits plus assurés.

XIX. Mormias à Khrémês.

Généreux hors de propos, je sacrifiais pour les noces et je me promenais avec une couronne et je faisais ma cour aux dieux du dedans et à ceux du dehors. Mon fils avait emmené l’attelage des champs, comme pour conduire la fiancée de la ville à la terre paternelle c’est une joueuse de flûte qu’il a rachetée s’en trouvant amoureux.

Il lui avait fait prendre le costume des fiancées et m’amenait, comme on dit, une pigeonne pour une colombe. Celle-ci joua d’abord la pudeur tout à fait virginalement, et, comme c’est l’habitude des mariées, elle cachait son art; c’est à peine si leur sagesse a laissé voir la fente et leurs machinations contre moi.

Mais ils ne me mépriseront point tout à leur aise comme si j’étais de brique. Le beau marié, je l’enverrai aux corbeaux et je le déshériterai, s’il ne met fin à son arrogante insolence, pour fouiller la terre et herser avec moi. L’épousée, celle-là, je la vendrai si elle ne prend sa part d’ouvrage avec la Phryge et la Thratte!

XX. Phaidrias à Sthénôn.

Cest aux champs que naissent tous les biens, et la terre en est parée, et elle en nourrit tous les hommes. Parmi les fruits, il y en a qui sont bons toute l’année et d’autres qui durent peu et qu’il faut manger en saison. De tous les dieux sont les créateurs et la terre-mère à son tour en est la nourrice.

Mais c’est aux champs aussi que naissent la justice et la modération, les plus beaux des arbres, les meilleurs des fruits. Ne méprise donc point les laboureurs: car il y a là aussi une espèce de sagesse, non celle que la langue brode et qu’embellit la force des mots, mais une sagesse très silencieuse et dont la vie elle-même affirme la vertu.

Si on t’écrit cela avec plus de lettres que n’en dispense la chorégie des champs, ne t’émerveille point: nous ne sommes Libyens ni Lydiens, mais laboureurs Athênéens.