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 DARÈS DE PHRYGIE.

 

Histoire de la Guerre de Troie

texte latin

 

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AVERTISSEMENT AU SUJET DE DARÈS DE PHRYGIE.

IL n'est pas moins certain qu'il a existé un Darès de Phrygie, auteur d'une Histoire de la Guerre de Troie, qu'il ne l'est qu'un Dictys de Crète a écrit la même histoire. Ce Darès, né en Phrygie, et prêtre troyen, était dans l'armée de Priam, et l'un des confidents d'Hector, à qui, d'après le témoignage d'Antipater, rapporté par Ptolémée Ephestion, livre I, il conseilla de ne pas tuer Patrocle, compagnon d'Achille. Eustathe, commentateur d'Homère, qui rapporte le même fait d'après Antipater, ajoute que Darès fut tué par Ulysse dans le moment où il prenait la fuite. Élien s'exprime ainsi dans le XIe livre de ses histoires diverses, chap. I : les poèmes d'Orébanthius de Trézène existaient avant ceux d'Homère, comme le rapportent les Trézéniens. Darès de Phrygie, dont je sais qu'il existe encore aujourd'hui une Iliade, vivait aussi avant Homère.
Cette histoire s'étant perdue, il est arrivé qu'un écrivain qui peut-être l'avait lue, a voulu s'amuser à en composer une de ses souvenirs, et à nous la donner sous de nom de Darès de Phrygie, tout en y mêlant plusieurs lambeaux défigurés d' Homère et de Dictys; il aura cru aussi que la simplicité et la sécheresse du style persuaderaient aux lecteurs qu'il n'avait fait qu'une traduction littérale, et que quelques hellénismes leur répondraient de son exactitude et de sa fidélité; mais cet auteur maladroit n'a pas réfléchi qu'en se cachant sous le nom de Cornélius Népos, cet écrivain, dont le goût est si pur et la latinité si élégante dans sa simplicité, il dévoilait son imposture. En effet, il aurait été impossible à Comélius Népos de travestir ainsi son style, quelque traduction littérale qu'il eût voulu faire : en s'efforçant d'être simple, il aurait toujours évité la sécheresse.
Quoi qu'il en soit de Darès ou de son imitateur , cette histoire de la guerre de Troie a paru assez importante à plusieurs savants pour qu'ils lui fissent l'honneur de la commenter, et d'ailleurs elle offre assez de traits remarquables, pour que nous ne regrettions pas le temps que nous avons mis à la traduire. On doit bien penser que nous ne nous sommes pas crus obligés de rendre la sécheresse de notre pseudonyme par une autre sécheresse.
Nous avons tâché de faire une traduction dont la lecture fût supportable, en supprimant des répétitions et en variant les expressions et les tours du style : traduire un tel auteur avec une scrupuleuse fidélité, ce serait une coupable infidélité.
Avant de terminer cet avertissement, il ne sera pas inutile de dire un mot des différentes éditions et traductions de notre Darès. La première édition parut à Milan en 1477, et fut suivie de plusieurs autres, soit de Venise, soit de Pologne et autres endroits. En 1680, madame Dacier en donna une édition avec des notes ad usum Delphini, et en 1702, Périzonius en fit paraître deux à Amsterdam, l'une in-4°, et l'autre en un volume in 8°. Toutes ces éditions comprennent aussi le Dictys.
Dans une dissertation imprimée vol. 17. de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres par l'abbé le Boeuf, on trouve que Darès fut mis en vers français par Godefroi de Waterford, jacobin hibernois, et par un nommé Servais Copale, à la fin du 13e siècle. On croit avoir en vers français du 12e une traduction du Darès dans la bibliothèque de Milan, et la même était conservée à Paris chez les Célestins.
Il n'y a que deux traductions en prose française dont nous ayons pu nous procurer les titres : voici celui de la première: Additions et Séquences de l'Iliade de Darés, en françois, par Jean Samnon, Paris, Petit, 1530. La seconde est intitulée: la vraie et brève Histoire de la Guerre et ruine de Troie, anciennement écrite en grec, ensemble une harangue de Ménélaüs pour la répétition d'Héléne, traduit en françois par Mathurin Hérest. Paris, Nivelle , 1553. Nous observerons que les auteurs du Dictionnaire historique, en 13 vol.
in-8°. attribuent cette traduction au fameux G. Postel.
Il existe d'autres traductions de notre auteur en langues étrangères, savoir une en allemand, par Hermanstadt, et une autre en russe, faite par l'ordre de Pierrele-Grand.
Nous ne devons pas oublier de relever ici l'erreur de ceux qui prétendent qu'un moine anglais nommé Iscanus, est l'auteur de cette histoire. Si un savant libraire de Paris avait su qu'il en existait un manuscrit à la Bibliothèque impériale, dont l'ancienneté remonte au Xe siècle, il n'aurait pas renouvelé cette assertion dans l'ouvrage qu'il vient de publier sur la littérature grecque. Iscanus, ou celui qui a pris ce nom, a bien composé un poème latin où l'on trouve toutes les circonstances de l'histoire de Darès; mais cela prouve seulement qu'il connaissait Darès, et qu'il a voulu le rendre en vers latins.

CORNELIUS NEPOS A SALLUSTE, SALUT.

Pendant mon séjour à Athènes, m'occupant avec beaucoup d'ardeur de recherches convenables à mes études, je fis la découverte d'une histoire par Darès de Phrygie, écrite de sa propre main, et qui, comme le titre le porte, a été composée pour instruire la postérité de la guerre des Grecs contre les Troyens. Je m'en emparai avec empressement, et je résolus de la traduire au plutôt dans notre langue. Pour empêcher qu'on ne m'attribuât cet ouvrage, je n'ai rien voulu ajouter à l'original, ni en rien retrancher, même sous prétexte de le rendre meilleur. Comme cette histoire est écrite avec vérité et simplicité, j'ai pensé qu'elle devait être rendue dans un latin littéral, afin que les lecteurs pussent mieux connaître les circonstances de la guerre de Troie, et juger lequel des deux est le plus digne de foi, ou de Darès, qui a vécu et combattu dans le temps que les Grecs faisaient la guerre aux Troyens, ou d'Homère, qui n'est venu au monde qu'un grand nombre d'années après cet événement, Je vous dirai que plusieurs des personnes d'Athènes regardent Homère comme un écrivain sans jugement (01), pour avoir fait combattre ensemble les dieux et les hommes. En voilà assez sur ce sujet : je reviens à ce que je vous ai promis.

SOMMAIRE DES CHAPITRES.

Jason part sur le navire Argo avec ses compagnons pour faire la conquête de la toison d'or. - Laomédon, roi de Troie, ordonne aux Argonautes de s'éloigner des côtes troyennes. - Jason et ses compagnons enlèvent la toison d'or. Hercule déclare la guerre à Laomédon, le tue, enlève sa fille Hésione, et pille la ville de Troie. - Priam, fils de Laomédon, monte sur le trône, fortifie Ilion, et envoie Anténor en Grèce pour demander satisfaction aux princes grecs - Anténor se rend auprès de Pélée, de Télamon, de Castor, de Pollux et de Nestor. Sa mission est sans succès, et il revient à Troie. - Priam tient conseil avec ses fils et autres princes troyens. Discours d'Hector. - Récit d'Alexandre, fils de Priam. Prédiction d'Hélénus. On équipe une flotte contre les Grecs. - Préparatifs de Priam. Discours de ce prince, d'Anténor et de Panthus. Enthousiasme des Troyens. Prédiction de Cassandre. - Alexandre est nommé commandant des troupes de la flotte. Il rencontre Ménélas. Il aborde à l'île de Cythère. - Hélène, épouse de Ménélas, roi de Sparte, se rend à Cythère. Alexandre la voit , conçoit une passion pour elle, et la fait conduire sur ses vaisseaux. - Retour d'Alexandre à Troie. Priam approuve l'enlèvement d'Hélène, et la donne pour épouse à son ravisseur. Ligue des princes grecs pour tirer vengeance du crime d'Alexandre. Disparition de Castor et de Pollux. - Portraits des princes et princesses grecs et troyens. Suite de ces portraits. - Rassemblement des princes grecs. Dénombrement de leurs forces. - Les Grecs consultent l'oracle d'Apollon. Priam assemble une armée. Rencontre de Calchas et d'Achille. Le départ de la flotte grecque est suspendu par la colère de Diane. Départ de cette flotte. Premiers exploits des Grecs. - Agamemnon envoie des ambassadeurs à Priam. Expédition d'Achille et de Télèphe contre le roi de Mysie. Theutras laisse en mourant son royaume à Télèphe. - Conférence des ambassadeurs d'Agamemnon avec le roi Priam. La guerre est résolue. - Noms des princes auxiliaires de Priam. - Débarquement des Grecs sur le rivage troyen. Combats entre les deux armées. Mort de Patrocle, Hector est blessé. Reconnaissance d'Ajax et d'Hector. - Trêve. Jeux funèbres en l'honneur de Patrocle. Sédition excitée par Palamède. Nouveau combat, nouveau carnage. - Combat. Ménélas est blessé. - Combat. Victoire des Troyens. - Grande bataille. Carnage affreux pendant quatre-vingts jours. Trêve de trois ans entre les deux armées. - Combats qui durent trente jours. Trêve de trois mois. Combats suivis d'autres trèves. - Songe d'Andromaque. Hector reçoit de Priam l'ordre de ne pas combattre. Les Troyens sont repoussés. Hector reparaît à la tête des troupes. Combat de ce prince avec Achille. Hector est tué par Achille après l'avoir blessé. Combat de Memnon et d'Achille. - Nouvelle trêve. Funérailles d'Hector. Les Grecs décernent le commandement de l'armée à Palamède, après qu'Agamemnon a donné sa démission. - Nouveau combat. Exploits et blessure de Sarpédon. Les Troyens sont vaincus. Trêve. Palamède envoie Agamemnon en Mysie. Travaux ordonnés par Palamède. Nouveaux préparatifs des Troyens. Célébration de l'anniversaire de la mort d'Hector. Amour d'Achille pour Polyxène, fille de Priam. - Expiration de la trêve. Nouveau combat. Déiphobe, fils de Priam, est tué par Achille. Sarpédon est tué par Palamède. Celui-ci est tué â son tour par Alexandre. Victoire des Troyens. - Agamemnon reprend le commandement de l'armée des Grecs. Le combat recommence. Défaite des Grecs par Troïle, fils de Priam. Funérailles de Palamède. - Achille conseille aux Grecs de faire la paix. Malgré son refus de combattre, les chefs de l'armée sont d'avis qu'il faut pousser la guerre contre les Troyens. - Nouveau combat où Troïle fait des prodiges de valeur. Diomède est blessé ainsi qu'Agamemnon. Trêve de six mois. Achille est nouveau sollicité de combattre. - Les Grecs sont vaincus deux fois par Troïle. Trêve de trente jours. - Nouveaux succès de Troïle. Achille paraît sur le champ de bataille. Il est blessé par Troïle. Quelques jours après, celui-ci est tué par .Achille, qui est blessé de nouveau par Memnon. Achille tue ensuite Memnon. Déroute des Troyens. Trêve de trente jours. Funérailles de Troile et de Memnon. - Lâche résolution d'Hécube. Alexandre tue Achille en trahison. - Les Grecs consultent l'oracle d'Apollon. Réponse de cet oracle. Néoptolème, fils d'Achille, arrive à l'armée grecque. Ajax tue Alexandre. Hélène assiste aux funérailles de ce prince. - Arrivée de Penthésilée, reine des Amazones, au secours des Troyens. Elle est tuée par Néoptolème. Investissement de Troie. - Conseil tenu par Priam. Discours d'Anténor en faveur de la paix. Antimaque, fils de Priam, parle pour la guerre; Énée pour la paix. - Discours de Priam contre Anténor et Énée. Ferme résolution de ce prince à continuer la guerre. Ordres qu'il donne à Amphimaque. - Anténor et plusieurs autres princes troyens s'assemblent pour délibérer sur le parti qu'ils ont à prendre dans les circonstances. Anténor leur propose d'envoyer un député à Agamemnon pour traiter avec lui de la reddition de Troie. Polydamas est chargé de cette mission. - Agamemnon fait part au conseil des Grecs de la proposition de Polydamas. Sinon se rend sous les murs de Troie pour s'assurer de la sincérité de ce Troyen. Engagement des Grecs à l'égard d'Anténor, Énée, etc. Conseil que leur donne Polydamas. - Retour de Polydamas à la ville. L'armée des Grecs est reçue dans les murs de Troie. Néoptolème donne la mort à Priant. Pillage de la ville. - Les vainqueurs exécutent les promesses qu'ils ont faites à Polydamas au sujet d'Anténor et autres Troyens. Sur la demande d'Anténor, Hélénus et Cassandre sont mis en liberté. Hélénus, à son tour, obtient la même faveur pour Hécube et Andromaque. - Une tempête s'oppose au départ de la flotte des Grecs. On consulte Calchas. D'après sa réponse, Polyxène est immolée sur le tombeau d'Achille. Départ d'Énée. Hélène part avec Ménélas. - Durée de la guerre de Troie. Nombre des Grecs et des Troyens qui périrent dans les combats. Nombre des Troyens qui suivirent Énée, Anténor, Andromaque et Hélénus.

CHAPITRE I.
Eson, frère de Pélias, roi du Péloponnèse (02), avait pour fils Jason, prince d'une valeur distinguée, et chéri de tous ceux qui vivaient sous l'obéissance de son oncle, à cause de l'hospitalité qu'il exerçait à leur égard. Ces avantages firent craindre à Pélias qu'il ne formât quelque entreprise pour le chasser du trône. Pour se débarrasser d'un neveu que ses craintes lui rendaient incommode (03), il lui dit qu'il y avait dans la Colchide une toison d'or (04), et qu'une telle conquête était digne de sa valeur: il ajouta que s'il enlevait cette toison, il lui donnerait tout ce qu'il lui demanderait ou ce qui dépendrait de lui. Comme Jason n'était pas moins empressé de voir les pays lointains qu'il était courageux, et comme il espérait de se rendre encore plus illustre par cet exploit, il répondit à Pélias qu'il était tout prêt à exécuter cette entreprise, s'il ne manquait ni d'hommes ni de moyens. Satisfait de cette réponse, le roi fait appeler son architecte Argus (05), et lui ordonne de construire le plus beau vaisseau qu'il pourra, et sur le modèle que Jason lui fournira. Bientôt il se répand dans toute la Grèce un bruit qu'il se fabrique un vaisseau sur lequel Jason doit se rendre à Colchos pour en enlever une toison d'or. De toute part les amis et les hôtes de ce prince accourent auprès de lui, et lui promettent de l'accompagner. Jason les remercie de leur bonne volonté, et les invite à se tenir prêts à partir lorsqu'il en sera temps. Ce temps venu, il envoie des lettres à tous ceux qui lui ont offert leurs services, et tous, sans différer, se rendent sur le vaisseau qui avait été nommé Argo. Le roi Pélias y fit transporter tout ce qui était nécessaire pour l'expédition, et n'oublia pas d'exhorter Jason et ses compagnons à faire tout leurs efforts pour réussir dans une entreprise dont le succès devait procurer de la gloire à la Grèce et les illustrer eux-mêmes.

Nous ne nommerons point ici les compagnons de Jason : que celui qui voudra les connaître lise le livre des Argonautes (06).

CHAPITRE II.

Dès que Jason fut arrivé près des côtes de la Phrygie, il fit entrer son vaisseau dans un port à l'embouchure du Simoïs, et débarqua avec tous ses compagnons. Laomédon, roi des Troyens, apprit bientôt qu'un vaisseau d'une grandeur extraordinaire, qui portait un grand nombre de jeunes guerriers grecs, était entré dans le port du Simoïs. Vivement ému de cette nouvelle, il se représenta le danger auquel ses états seraient exposés si les Grecs s'accoutumaient jamais à débarquer sur les rivages troyens, et sans délai il leur envoya l'ordre de s'éloigner, avec menace de les y contraindre par les armes. Jason et ses compagnons furent d'autant plus indignés de cette brutalité de Laomédon, qu'ils ne s'étaient rien permis d'injurieux à son égard mais comme ils craignaient de ne pouvoir résister à la multitude des barbares, s'ils méprisaient l'ordre qu'ils avaient reçu, et que d'ailleurs ils ne s'étaient pas préparés au combat, ils remontèrent sur leur vaisseau et s'éloignèrent. Arrivés à Colchos, ils en enlevèrent la toison d'or, et retournèrent aussitôt dans leur pays.

CHAPITRE III.

Hercule ressentit vivement l'affront que lui et les compagnons de Jason avaient reçu de Laomédon : dans le dessein d'en tirer vengeance, il se rendit à Sparte auprès de Castor et Pollux, et les engagea à ne pas laisser impuni l'outrage que ce prince leur avait fait, en les forçant de s'éloigner de ses rivages et du port où ils étaient entrés ; il ajouta que les Argonautes recevraient bientôt de nombreux secours s'ils épousaient leur querelle.
Castor et Pollux lui promirent de faire tout ce qu'il désirait. Après les avoir quittés, il se rendit à Salamine, auprès de Télamon, et le pria de se joindre à lui pour aller à Troie venger ses propres injures : Télamon lui fit la même réponse que Castor et Pollux. Pélée, qu'il alla voir à Phtie, et à qui il fit la même demande, lui fit la même promesse. De Phtie, il s'embarqua pour Pylos où régnait Nestor. Ce prince lui demanda le motif de son voyage. Hercule répondit qu'indigné d'un affront' que le roi de Phrygie lui avait fait, il avait pris la résolution de conduire une armée en Phrygie. Nestor applaudit à son dessein, et lui promit ses services. Quand Hercule se fut ainsi assuré de la bonne volonté de ces princes, il équipa douze vaisseaux, sur lesquels il fit embarquer des troupes d'élite; et lorsque le temps lui parut favorable pour se mettre en mer, il écrivit à ces mêmes princes pour les faire souvenir de leurs promesses. Dès qu'ils se furent rassemblés auprès de lui avec leurs soldats, tous ensemble ils firent voile vers la Phrygie; et après une heureuse navigation, ils arrivèrent de nuit au promontoire de Sigée. Sans perdre un instant, Hercule, Télamon et Pélée firent débarquer les troupes, et laissèrent un détachement pour garder la flotte sous les ordres de Castor, Pollux et Nestor. Laomédon accourut vers la mer à la tête d'un corps de cavalerie, et engagea le combat. Hercule s'était avancé jusque sous les murs de Troie, dont les habitants n'avaient fait aucun préparatif de défense. A cette nouvelle, Laomédon revient aussitôt sur ses pas, rencontre les Grecs commandés par Hercule, et reçoit la mort de la main de ce héros. Télamon entra le premier dans la ville d'Ilion (07) : pour le récompenser de sa valeur, Hercule lui donna Hésione, fille du roi Laomédon. Les fils de ce prince éprouvèrent son triste sort, excepté Priam qui, dans cette circonstance, se trouvait en Phrygie où son père l'avait envoyé à la tête d'une armée. Lorsque Hercule et ses compagnons eurent pillé la ville de Troie, ils transportèrent tout leur butin sur les vaisseaux et mirent à la voile pour retourner en Grèce. Télamon emmena Hésione.

CHAPITRE IV.

Lorsque Priam eut appris que son père avait été tué, ses concitoyens dépouillés; que les Grecs avaient transporté leur butin sur leurs vaisseaux, et que sa soeur avait été donnée à un de leurs chefs, il ne put supporter l'indigne traitement qu'avait éprouvé son pays. Sans délai, il se rend à Ilion avec sa femme Hécube et ses enfants Hector, Alexandre, Déiphobe, Hélénus, Troïle, Andromaque, Cassandre et Polyxène (08). Il avait eu bien d'autres enfants de ses concubines ; mais il ne reconnaissait pour membres de la famille royale que ceux qui lui étaient nés en légitime mariage. Aussitôt qu'il fut de retour à Ilion, pour n'être pas surpris à l'avenir, comme son père l'avait été, il fit construire des remparts beaucoup plus vastes et plus élevés que les anciens, et d'autres fortifications qu'il fit garder par un grand nombre de soldats. Il se fit aussi bâtir un palais dans lequel il consacra un autel à Jupiter Stator (09). Cependant il envoya Hector en Péonie pour y lever des troupes; ensuite il fit placer six portes autour de sa capitale, et leur donna les noms d'Anténor, de Dardanus, d'Ilion, de Scée, de Thymbrée et de Troie (10). Après avoir fait d'Ilion une forte place, il laissa écouler un certain espace de temps. Dès qu'il eut pris la résolution de tirer vengeance des attentats commis par les Grecs. contre son père, il fit venir Anténor, et lui dit que son dessein était de l'envoyer en Grèce en qualité d'ambassadeur, pour dire aux Grecs qu'il leur pardonnerait d'être entrés dans ses états avec une armée, d'avoir tué son père Laomédon, et d'avoir enlevé sa soeur Hésione, s'ils lui rendaient cette princesse.

CHAPITRE V.

Après avoir reçu les ordres de Priam, Anténor s'embarqua et se rendit à Magnésie, auprès de Pélée. Pendant les trois premiers jours, son hôte ne s'occupa à son égard que de remplir les devoirs de l'hospitalité; mais le quatrième il lui demanda le motif de son voyage (11). Anténor lui expose l'ordre qu'il a reçu de Priam d'exiger des Grecs qu'ils lui rendissent Hésione. Pélée, frère de Télamon, voyant bien que cette affaire le regardait, ne peut supporter cette déclaration du prince troyen, et lui ordonne de sortir aussitôt de ses états. Anténor part dans l'instant, remonte sur son vaisseau, et fait voile vers l'île de Salamine où régnait Télamon. Arrivé au palais de ce prince, il le conjura de rendre à Priam sa soeur Hésione, qu'il avait en sa possession, lui faisant observer qu'il était contraire â l'équité de retenir si longtemps captive une jeune princesse du sang royal.

« Je n'ai à me reprocher aucune injure envers Priam lui répond Télamon; mais je ne céderai à personne un présent que j'ai reçu comme la récompense de ma valeur. Sortez au plus tôt de Salamine.»

Anténor obéit, et partit pour l'Achaïe, d'où s'étant rendu auprès de Castor et de Pollux, il les pria de donner satisfaction au roi, en lui faisant rendre sa soeur. Ces princes lui répondirent qu'ils n'avaient fait aucune injure à Priam, et que Laomédon les avait insultés le premier. Après cette réponse, ils lui ordonnèrent de se retirer. Nestor, qu'il alla voir à Pylos, et à qui il exposa l'objet de son ambassade, lui reprocha d'avoir osé mettre le pied dans la Grèce, lorsque c'étaient les Troyens qui les premiers avaient outragé les Grecs. Anténor ne pouvant obtenir aucune satisfaction, et touché vivement des affronts que Priam recevait en sa personne, se rembarqua pour retourner dans sa patrie. A son arrivée, il rapporta au roi les réponses que les Grecs lui avaient faites, les mauvais traitements qu'il avait éprouvés de leur part, et l'exhorta à leur déclarer la guerre.

CHAPITRE VI.

Priam fait avertir aussitôt ses fils et tous ses amis de se rendre dans son palais, Anténor, Anchise, Énée, Ucalégon, Bucolion, son frère Panthus, Lampon, et tous les fils qu'il a eus de ses concubines. Lorsqu'ils sont assemblés, il leur apprend qu'il axait envoyé Anténor chez les Grecs, pour leur demander satisfaction de la mort de son père, et les engager à lui rendre Hésione; que partout cet ambassadeur avait été mal accueilli, et n'avait éprouvé que des refus; et que, comme les Grecs avaient rejeté ses justes demandes, il lui paraissait convenable d'envoyer une année en Grèce pour la saccager à son tour, et empêcher ses habitants de se jouer à l'avenir des barbares (12). Il exhorta ensuite ses enfants à se mettre à la tête de cette expédition, principalement Hector, l'aîné de tous. Celui-ci prit alors la parole et dit :

« Je suis tout disposé à exécuter les ordres du roi, mon père, à venger la mort de Laomédon, mon aïeul, et à ne pas laisser impunis les affronts que les Troyens ont reçus des Grecs; mais je crains que nous ne soyons pas heureux dans la guerre que nous voulons leur déclarer, soit par les nombreux secours qui leur arriveront de toute part, soit par la valeur des guerriers européens, soit enfin par la mollesse des peuples de l'Asie : d'ailleurs nous manquons d'une flotte pour cette expédition. »

CHAPITRE VII.

« En bien! interrompit Alexandre, il faut au plus tôt nous procurer cette flotte et l'envoyer en Grèce.  Si le roi y consent, je me charge de la commander, et je lui promets que, par la bonté des dieux dans la protection desquels je mets toute ma confiance, je ne reviendrai pas sans avoir eu la gloire de vaincre mes ennemis. Un jour que je chassais dans la forêt du mont Ida, continua-t-il, je m'endormis et je vis en songe Mercure qui me présentait Junon, Vénus et Minerve, pour que je décidasse laquelle des trois était la plus belle. Vénus me promit que, si je lui dormais le prix de la beauté, elle me ferait épouser la plus belle femme de la Grèce. Gagné par cette promesse, je prononçai qu'elle était la plus belle. Ainsi Priam doit espérer que Vénus protégera Alexandre » (13).

Déiphobe appuya le sentiment d'Alexandre, en disant qu'il espérait que si l'on envoyait en Grèce une flotte bien équipée, les Grecs rendraient Hésione et donneraient toute satisfaction aux Troyens : mais Hélénus se mit à prédire qu'un jour les Grecs feraient une descente sur les rivages d'Ilion ; qu'ils renverseraient cette capitale de fond en comble; que ses parents et ses frères périraient par le fer ennemi; et que ce serait l'épouse qu'Alexandre aurait amenée de la Grèce qui attirerait tous les malheurs sur sa patrie. Troïle, le plus jeune des fils de Priam, mais dont le courage égalait celui d'Hector, soutint avec force qu'il fallait se préparer à la guerre, sans s'effrayer de la prédiction d'Hélénus. Toute I'assemblée approuva ce sentiment, et décida que l'on équiperait une flotte et que l'on partirait pour la Grèce.

CHAPITRE VIII.

Priam envoya d'abord Alexandre et Déiphobe en Péonie pour y lever des troupes, et peu après il assembla le peuple d'Ilion. Après avoir ordonné à ses plus jeunes fils d'obéir à leurs aînés dans tout ce qu'ils leur commanderaient de relatif aux circonstances, il rappela aux Troyens le souvenir des injures qu'ils avaient reçues des Grecs, et leur apprit que, pour en avoir satisfaction et recouvrer sa soeur Hésione, il leur avait envoyé Anténor; que cet ambassadeur n'avait éprouvé que des outrages et des refus. Il ajouta que pour ces raisons il avait formé le dessein d'envoyer en Grèce une flotte commandée par son fils Alexandre, pour tirer vengeance de la mort de son père et des maux qu'ils avaient causés à ses sujets. Lorsqu'il eut achevé de parler, Anténor raconte: par son ordre les traitements injurieux qu'il avait reçus en Grèce; il exhorta les Troyens à ne point s'effrayer de la guerre qui allait être déclarée, mais à bien remplir leurs devoirs de soldats: il entra ensuite dans quelques détails sur la conduite qu'il avait tenue pendant son ambassade. Après qu'il eut parlé, Priam invita ceux qui, dans l'assemblée, n'approuvaient pas la guerre, à déclarer leurs sentiments et leurs motifs. Alors Panthus s'adressant au roi et à sa famille :

« J'ai appris de mon père Euphorbe, leur dit-il, que si Alexandre épouse une femme grecque, et qu'il l'amène dans ce pays, les derniers malheurs fondront sur les Troyens. N'est-il pas préférable, le repos dans lequel, nous vivons maintenant, aux troubles d'une guerre qui peut nous ravir notre liberté ? Pourquoi, lorsque nous sommes tranquilles, irons-nous nous exposer à des dangers ? »

Le peuple méprisa le conseil de Panthus, et supplia le roi de lui déclarer ses volontés. Alors ce prince dit qu'il fallait préparer des vaisseaux pour aller faire la guerre aux Grecs, et ajouta que rien ne manquait de ce qui était nécessaire pour leur construction et leur équipement. A ces paroles les Troyens s'écrièrent qu'il ne dépendrait pas d'eux que les ordres du roi ne fussent exécutés. Priam les remercia de leur bonne volonté, congédia l'assemblée, et, sans perdre de temps, envoya, sur le mont Ida, un grand nombre d'ouvriers pour y couper les bois nécessaires à la construction d'une flotte. Hector reçut aussi l'ordre de se rendre dans la Phrygie supérieure pour y lever au plus tôt une armée. Dès que Cassandre fut instruite de la résolution que son père avait prise, elle se mit à prédire tous les maux que les Troyens auraient à souffrir si Priam envoyait une flotte coutre les Grecs.

CHAPITRE IX.

Après un certain espace de temps, plusieurs vaisseaux furent mis en état de tenir la mer, et l'on vit arriver les soldats qu'Alexandre et Déiphobe avaient levés en Péonie. Lorsque la saison parut favorable à la navigation, Priam harangua son armée dont il donna le commandement à Alexandre. Déiphobe, Énée et Polydamas furent nommés pour accompagner ce jeune prince, qui, avant son départ, reçut de Priam l'ordre de s'approcher d'abord de Sparte, et de se rendre auprès de Castor et de Pollux pour leur redemander Hésione et la réparation des outrages dont les Grecs s'étaient rendus coupables envers les Troyens. Le roi ordonna de plus, qu'en cas de refus, il lui enverrait un courrier, afin qu'il pût faire partir aussitôt une armée pour la Grèce. Après avoir reçu ces ordres, Alexandre mit à la voile, emmenant avec lui le pilote dont s'était servi Anténor. Quelques jours avant d'arriver sur les côtes de la Grèce, et comme il cinglait vers l'île de Cythère, il rencontra Ménélas qui se rendait à Pylos (14) auprès de Nestor. Le roi de Sparte ne vit pas sans étonnement dans ces parages une flotte étrangère dont il ignorait la destination. Ces dent princes, qui tenaient une route inconnue à l'un et à l'autre, s'étant approchés, se considérèrent avec beaucoup de curiosité. Comme dans le même temps on célébrait à Argos une fête en l'honneur de Junon, Castor et Pollux s'y étaient rendus avec Hermione, leur nièce et fille d'Hélène, pour visiter Clytemnestre, leur soeur et femme d'Agamemnon. Dans la même circonstance, Alexandre aborda à l'île de Cythère, où il y avait un temple de Vénus, et offrit, aussitôt après être descendu sur le rivage, un sacrifice à Diane (15). A la vue de la flotte royale, les habitants de l'île sont frappés d'étonnement, et demandent aux compagnons d'Alexandre de quel pays ils sont, quel est leur dessein. Ceux-ci répondent que leur chef a été envoyé par le roi Priam auprès de Castor et de Pollux, pour s'entretenir avec eux d'une affaire importante.

CHAPITRE X.

Alexandre n'avait pas encore quitté l'île de Cythère, lorsqu'Hélène, femme de Ménélas, s'y rendit pour offrir à Diane et à Apollon un sacrifice dans un temple élevé sur le rivage de la mer. A cette nouvelle, le prince troyen accourut, et comme il savait bien qu'il était fort beau de visage, il se mit à se promener devant la princesse, avec un égal désir de la voir et d'en être vu. On avait aussi annoncé à Hélène qu'Alexandre, fils de Priam, se trouvait dans la ville où elle était, et depuis ce moment elle désirait ardemment de le voir. Ils se virent, et tous deux, frappés d'une admiration réciproque pour leur beauté , se considérèrent longtemps avant de se complimenter, selon l'usage établi entre des personnes de leur rang. Alexandre épris d'amour pour cette belle reine, forme le dessein de l'enlever: en conséquence, il ordonne à ses soldats de se tenir prêts sur la flotte, de lever l'ancre à l'entrée de la nuit, ensuite d'enlever Hélène, et de l'emporter du temple sur les vaisseaux. Au signal convenu les soldats entrent dans le temple, enlèvent Hélène sans lui faire aucun mal , la transportent sur la flotte et avec elle quelques femmes de sa suite. Au bruit de cette violence, les habitants de la ville s'assemblent et font de longs efforts pour s'y opposer; mais Alexandre, aidé de ses soldats, les met en fuite, pille le temple, fait conduire un grand nombre de prisonniers sur ses vaisseaux, et met à la voile dans le dessein de retourner en Phrygie. Arrivé dans le port de Ténédos (16), il met tous ses soins à consoler Hélène (17), et informe le roi , son père, de ce qu'il vient de faire. Lorsque Ménélas apprit à Pylos l'enlèvement de la reine, son épouse, il se rendit à Sparte avec Nestor, et envoya à Argos prier son frère Agamemnon de se rendre auprès de lui.

CHAPITRE XI.

Cependant Alexandre arriva chez Priam avec sa proie, et lui fit le récit de son exploit. Ce prince s'en réjouit, parce qu'il espérait que les Grecs, pour recouvrer Hélène, lui rendraient sa soeur Hésione, et tout ce qu'ils avaient enlevé aux Troyens ; et après avoir calmé l'affliction de cette princesse, il la donna pour épouse à son ravisseur, malgré les prédictions funestes que renouvela sa fille Cassandre, dès l'instant qu'elle l'aperçut. Irrité de son audace, il ordonna qu'elle fût emmenée et enfermée. Arrivé à Sparte, Agamemnon s'occupa d'abord de consoler son frère; ensuite ces deux princes envoyèrent dans toute la Grèce des courriers pour informer les rois et les peuples de l'affront qu'ils venaient de recevoir, les engager à s'assembler, à prendre les armes et à déclarer la guerre aux Troyens. Auprès d'eux se réunissent bientôt Achille avec Patrocle, Euryale, Tlépolème (18), Diomède. Ces princes décident qu'il faut sans délai se venger des Troyens, et pour cet effet lever une armée, équiper une flotte; ils choisissent en même temps Agamemnon pour leur général, et envoient des députés auprès de tous les Grecs pour les inviter à se rassembler dans le port d'Athènes avec des vaisseaux bien équipés, afin d'en partir tous ensemble pour la Phrygie. Castor et Pollux, ayant appris l'enlèvement de leur soeur Hélène, montèrent aussitôt sur un vaisseau et se mirent à sa poursuite (19). Ils relâchèrent d'abord à Lesbos; mais s'étant remis en mer, ils furent assaillis d'une violente tempête : comme ils ne reparurent plus, le bruit courut quelque temps après qu'ils avaient été reçus parmi les dieux immortels. Les Lesbiens craignant donc qu'ils ne se fussent égarés, mirent un vaisseau en mer pour aller à leur découverte; après s'être avancés jusqu'au rivage de Troie, ils rapportèrent à leurs concitoyens qu'ils n'avaient rencontré leurs traces nulle part.

CHAPITRE XII.

Darès de Phrygie, auteur de cette histoire, qui combattit sous les murs de Troie jusqu'à la prise de cette ville, assure que ces Lesbiens, qu'il avait vus pendant les trêves, avaient assisté à une partie des combats que les Grecs avaient livrés aux Troyens, et que des Dardaniens (20) lui avaient appris quels étaient la figure et le caractère de Castor et de Pollux (21). Leur ressemblance était parfaite; ils avaient des cheveux blonds, de grands yeux, le teint blanc, les traits réguliers et une taille élancée. Hélène, qui leur ressemblait, était belle, simple et douce, avait les jambes bien faites, une marque entre les deux sourcils, une fort petite bouche. Priam, roi des Troyens, était beau de visage, grand, avait beaucoup de douceur dans le son de la voix et de majesté dans le maintien. Hector était bègue, blanc et crépu, avait les yeux louches, des membres fort dispos, un aspect vénérable, une barbe épaisse, de la décence, de la valeur, de la grandeur d'âme, et une bonté qui le faisait chérir des Troyens. Déiphobe et Hélénus, semblables à leur père, quant aux formes extérieures, différaient entre eux de caractère : le premier était plein de courage, et le second avait beaucoup de douceur, de savoir, et prédisait l'avenir. Troïle était d'une taille élevée; fort beau de visage, d'une vigueur au-dessus de son âge, courageux, et impatient de signaler sa valeur. Alexandre avait le teint blanc, la taille dégagée, ne manquait pas de courage (22); ses yeux étaient fort beaux, ses cheveux blonds et bouclés, ses traits aimables; sa voix était douce; il était prompt à la course, et passionné pour le commandement. Énée était roux, vigoureux, éloquent, affable, courageux et prudent, respectueux envers les dieux, beau de visage, et avait des yeux noirs où brillait la gaîté. Anténor était grand et mince, prompt dans ses mouvements, dissimulé et circonspect. Hécube était d'une haute stature, avait de la majesté, de la beauté, un courage viril, aimait la justice et le culte des dieux. Andromaque avait des yeux brillants, un teint blanc, une taille élevée, de la beauté, de la modestie, de la sagesse, de la pudeur et de l'affabilité. Cassandre était rousse et de la moyenne taille, avait le visage rond ; des éclairs sortaient de ses yeux; elle connaissait l'avenir. Polyxène était blanche, grande, belle, avait le cou long (23), de beaux yeux, de longs et blonds cheveux, les membres bien proportionnés, les doigts allongés, les jambes droites, les pieds très bien faits ; elle surpassait en beauté toutes les autres princesses troyennes : à ces dons extérieurs elle unissait un caractère franc, libéral et généreux.

CHAPITRE XIII.

Voici les portraits des princes grecs : Agamemnon était blanc, d'une haute stature, vigoureux, éloquent, prudent, et d'une illustre origine. Ménélas était d'une taille médiocre (24), roux, beau, poli, et agréable à tout le monde. Achille avait la poitrine large, une belle figure, beaucoup de force dans les membres, une taille majestueuse, des cheveux fort crépus et qui exhalaient l'odeur du myrte, de la bonté, une valeur bouillante, un visage gai, un coeur généreux (25). Patrocle était un bel homme; il avait de grands yeux verts, de la modestie, de la droiture, de la prudence et de la générosité. Ajax Oilée était carré, vigoureux, majestueux, complaisant, courageux. Ajax, fils de Télamon, avait une grande force de corps, une voix éclatante et forte, des cheveux noirs , et l'ennemi n'avait à espérer de lui aucun quartier (26). Ulysse était beau, mais fourbe ; sa figure était riante, sa taille moyenne; il avait de l'éloquence et de la sagesse. Diomède était robuste, fort, bienfait, avait un visage dur, l'habitude de pousser des cris, de l'impétuosité dans les combats, une tête ardente (27), et beaucoup d'impatience et d'audace. Nestor était de la plus haute stature, avait le nez aquilin, les épaules larges, la peau blanche, de beaux traits, était prudent et capable de donner d'excellent conseils. Protésilas était blanc, avait une figure noble, était léger à la course, et courageux jusqu'à la témérité. Néoptolème était grand, robuste, emporté, bègue, avait le visage doux, le nez recourbé, les yeux ronds, et d'épais sourcils. Palamède était grêle, élancé, sage, magnanime, complaisant; Podalire épais, vigoureux, fier et naturellement triste; Machaon grand, vaillant, ferme, prudent, patient, et porté à la compassion; Mérion roux, de la moyenne taille, ramassé, vigoureux, opiniâtre, brutal, impatient; Briseis était belle, grande, avait la peau fort blanche, des cheveux blonds qui se bouclaient avec grâce, des sourcils qui se joignaient à leur naissance, de beaux yeux, des membres bien proportionnés; de plus, elle était douce, prévenante, et avait beaucoup de modestie, de candeur, et de piété envers les dieux.

CHAPITRE XIV.

Tous les princes grecs dont nous venons de parler, et beaucoup d'autres, se rassemblèrent dans le port d'Athènes, avec leurs troupes et leurs vaisseaux. Agamemnon en amena cent de Mycènes; Ménélas, soixante de Sparte; Arcésilas et Proténor, cinquante de la Béotie; Ascalaphe et Ialmène, trente d'Orchomène (28) ; Epistrophus et Sehédius,quarante de la Phocide; Ajax, fils de Télamon, amena de Salamine son frère Teucer, et de l'Élide Amphimaque, Diorès, Talpius, et Polyxenus, avec quarante vaisseaux; Nestor, quatre vingts de Pylos; Thoas, quarante de l'Etolie; Ajax-Oïlée, de Locres, trente sept; Antiphus et Phidippe trente; Idoménée et Mérion, quatre-vingts de l'île de Crète; Ulysse, douze d'Ithaque; Euméle, dix de Phère; Protésilas et Podarcès, quarante de Phylaque; Podalire et Machaon, trente-deux de Trica; Achille avec Patrocle et les Myrmidons, cinquante de Phtie. ; Tlépolème, neuf de l'île de Rhodes ; Eurypile, quarante d'Orchomène ; Antiphus et Antimaque (29), douze de l'Élide ; Polypéte et Léontéus, quarante de Larisse (30) ; Diomède, Euryale, Sthénélus, quatre-vingts d'Argos; Philoctète, sept de Mélibée; Gunéus, vingt-un de Cyphus; Prothoüs, onze de Magnésie (31); Agapénor, soixante de l'Arcadie; Mnesthée, cinquante d'Athènes. Tels étaient les chefs des Grecs ; leur nombre était de quarante-sept, et celui de leurs vaisseaux de douze cent onze.

CHAPITRE XV.

Lorsqu'ils se furent tous rendus à Athènes, Agamemnon les assembla pour les exhorter à tirer vengeance de la commune injure qu'ils avaient reçue des Troyens ; ensuite il leur conseilla d'envoyer avant leur départ, consulter l'oracle d'Apollon de Delphes sur le succès de leur expédition. Tous y consentent; Achille est chargé de cette commission et part avec Patrocle. Cependant Priam, informé des préparatifs des Grecs pour lui déclarer la guerre, mande auprès de lui toutes les troupes qui gardaient les frontières de la Phrygie les plus éloignées de la mer, et en lève avec beaucoup d'ardeur d'autres dans I'intérieur de ses états. Achille, arrivé à Delphes, se rendit aussitôt vers l'oracle. Le dieu lui répondit du fond de son sanctuaire que les Grecs vaincraient les Troyens, et qu'ils prendraient leur ville après un siège de dix ans. Après cette réponse, Achille offrit un sacrifice, selon l'ordre qu'il en avait reçu. Sur ces entrefaites, Calchas, fils de Thestor, homme doué d'une science divine, envoyé par les Phrygiens chez lesquels il avait pris naissance (32), était arrivé à Delphes pour offrir des présents à Apollon. L'oracle qu'il consulta lui répondit qu'il devait partir avec la flotte que les Grecs conduisaient contre les Troyens, que par la science de l'avenir dont il était doué, il devait les engager à ne pas abandonner le siège de Troie que cette ville ne fût prise. Ce fut dans le temple qu'Achille et lui se rencontrèrent. Alors ils comparèrent l'une à l'autre la réponse que chacun d'eux avait reçue de l'oracle. Réunis par l'hospitalité, ils se lient bientôt d'une étroite amitié, et partent ensemble pour Athènes. Achille rend compte de son voyage dans le conseil des généraux de l'armée ; tous se réjouissent des réponses de l'oracle, reçoivent Calchas au milieu d'eux, et mettent à la voile. Malheureusement des vents contraires retiennent les vaisseaux en mer : Calchas consulte le cri des oiseaux, et répond que les Grecs doivent retourner en Aulide pour y sacrifier à Diane. Ceux-ci obéissent à cet oracle. Agamemnon apaise la déesse par un sacrifice (33), et ordonne à ses compagnons de lever l'ancre et de se diriger vers les rivages troyens. Philoctète, qui avait accompagné les Argonautes à Troie, se charge de montrer cette route à la flotte. Pendant leur navigation, les Grecs débarquèrent auprès d'une ville qui appartenait à Priam (34) ; ils s'en rendirent maîtres; après l'avoir pillée, ils cinglèrent vers Ténédos, dont ils massacrèrent tous les habitants.

CHAPITRE XVI.

Après avoir fait le partage du butin, et assemblé son conseil, Agamemnon envoie en ambassade à Priam, Ulysse et Diomède, pour lui redemander Hélène et tout ce qu'Alexandre avait emporté de Cythère. Pendant que les deux ambassadeurs s'acquittaient de cette commission, Achille et Télèphe, qui avaient été envoyés en Mysie (35), ravageaient ce royaume, marchaient contre le roi Teuthras, et faisaient partout un riche butin. Ce prince étant venu les attaquer, ses troupes furent mises en déroute, et lui-même fut blessé par Achille. Comme celui-ci allait l'achever, Télèphe, qui vint à se rappeler que dans son enfance il avait reçu, avec son père Hercule, l'hospitalité à la cour de ce roi, accouant promptement et le couvrit de son bouclier. On rapporte à ce sujet que Diomède (36), chassant dans les états de Teuthras avec des chevaux extrêmement vigoureux et féroces, Hercule le tua, et remit son hôte en possession de tout son royaume. Ce fut pour cette raison que Télèphe courut au secours de Teuthras. Comme celui-ci voyait bien qu'il ne pouvait revenir de sa blessure, il lui laissa son royaume, et le fit reconnaître pour son successeur par son armée. Il mourut peu d'instants après, et Télèphe lui fit de magnifiques funérailles. Achille conseilla à ce prince de conserver le royaume qu'il venait d'acquérir, et lui fit observer qu'il se rendrait beaucoup plus utile à l'armée des Grecs par les subsistances qu'il pourrait lui fournir pendant qu'elle ferait le siège de la ville de Troie, que s'il allait en personne combattre les Troyens. Télèphe suivit ce conseil, et Achille, maître d'un butin considérable, retourna à Ténédos où l'armée se trouvait encore. A son arrivée, il instruisit Agamemnon de tout ce qui s'était passé en Mysie, et ce prince le loua de tout ce qu'il avait fait.

CHAPITRE XVII.

Les deux ambassadeurs envoyés vers Priam étaient arrivés dans la ville de Troie. Ulysse expose à ce monarque les ordres qu'il a reçus d'Agamemnon; il lui demande qu'Hélène, avec tout le butin fait à Cythère, soit rendue à son époux, et qu'une satisfaction convenable soit faite à Ménélas, s'il veut que les Grecs se retirent avant de commencer aucune hostilité (37). Priam lui rappelle les outrages des Argonautes, la mort de son père, la prise de sa capitale, et l'esclavage de sa soeur Hésione, enfin les traitements injurieux qu'a éprouvés Anténor pendant son ambassade; il finit par rejeter la paix qu'on lui offre, et par une déclaration de guerre ; en même temps, il donne des ordres pour que les deux ambassadeurs soient reconduits hors des frontières de ses états. Ceux-ci, arrivés au camp de Ténédos, y publient la réponse de Priam, et le conseil de l'armée s'assemble pour délibérer à ce sujet.

CHAPITRE XVIII.

Voici les noms des princes qui marchèrent avec leurs armées au secours de Priam, et ceux de leurs provinces. De Zélia vinrent Pandarus, Amphion et Adraste; de Colophonie, Mopsus (38), Carès, Nastès et Amphimaque; de Lycie, Sarpédon, Glaucus; de Larysse, Hippothoüs et Copésus (39) ; de Ciconie, Euphémus; de Thrace, Pyrrhus et Acamas; de Méonie, Antiphus et Mesthlès; de l'Ascanie, Ascagne et Phorcys; de la Paphlagonie, Pilémène; de l'Éthiopie, Persès et Memnon; de Thrace, Rhésus et Archiloque (40) ; de l'Adrestie, Adraste et Amphius (41); de l'Alizonie, Epistrophus. A ces princes et à ses propres armées, Priam donna pour chefs, Hector, Déiphobe, Alexandre, Troïle, Énée, Memnon. Pendant qu'Agamemnon et son conseil délibéraient à Ténédos, Palamède, fils de Nauplius, arriva de Cormus (42) avec trente vaisseaux. Une maladie l'avait empêché de se rendre à Athènes; mais aussitôt qu'elle le lui avait permis, il s'était mis en mer. Les chefs de l'armée reçurent cette excuse, le remercièrent, et le prièrent d'entrer dans le conseil.

CHAPITRE XIX.

Comme les Grecs étaient incertains s'ils débarqueraient de nuit ou de jour sur le rivage troyen, Palamède leur prouva par de bonnes raisons que leur descente devait se faire pendant le jour, et qu'il fallait attirer dans la plaine l'armée ennemie. Tous les chefs approuvent cet avis, et chargent Agamemnon d'en diriger l'exécution. Ensuite ils envoient en Mysie et dans d'autres endroits, pour en amener des vivres, les fils de Thésée, Démophoon, Athamas et Anius (43). Sur le point de partir, Agamemnon assemble l'armée, lui adresse un discours flatteur, lui donne ses ordres, l'exhorte à bien combattre, et à se tenir prête à partir au premier signal. Ce signal donné, on part de Ténédos, et toute la flotte rangée de front sur une seule ligne, s'avance vers le rivage de Troie, en présence de l'armée troyenne toute prête à s'opposer au débarquement. Protésilas descend le premier et taille en pièces ou met en fuite tous les ennemis qui se rencontrent sur son passage. Hector s'avance contre lui, le tue, et disperse les soldats qui l'accompagnaient. Lorsque ce prince paraissait, les Grecs prenaient la fuite ; lorsqu'il se retirait, les Troyens fuyaient à leur tour. Après un grand carnage de part et d'autre, on voit arriver Achille sur le champ de bataille : il met bientôt en déroute toute l'armée ennemie, et la poursuit jusqu'aux remparts de Troie. La nuit met fin au combat, et Agamemnon en profite pour faire débarquer et camper le reste de ses troupes. Le jour suivant, Hector fit sortir ses Troyens de leurs remparts,et les rangea en bataille. Agamemnon marche contre lui, en faisant pousser de grands cris à ses soldats (44) : alors commence un combat furieux et acharné. Dans ce premier choc, périssent plusieurs vaillants guerriers : Hector tue Patrocle de sa main (45) ; déjà il se disposait à le dépouiller, lorsque Mérion accourt et enlève le cadavre du champ de bataille; il est poursuivi à son tour et mis à mort par le vainqueur de Patrocle, qui s'apprête à le dépouiller lui-même. Mnesthée survient et blesse Hector à la cuisse. Quoique blessé, le prince troyen donne la mort à plusieurs milliers de Grecs, et sans doute il les aurait mis tous dans une déroute complète, si Ajax, fils de Télamon, n'était venu s'opposer à sa victoire et l'attaquer lui-même. Pendant qu'ils se livrent un terrible combat, Ajax dont Hésione, soeur de Priam, était la mère, reconnaît Hector pour être de son sang (46). Ils cessent alors de se porter des coups; Hector empêche qu'on ne mette le feu aux vaisseaux ennemis; ils se font des présents l'un à l'autre, et se retirent en se donnant des marques d'une amitié réciproque.

CHAPITRE XX.

Le lendemain, les Grecs fatigués du combat de la veille et affaiblis par leurs pertes, demandèrent une trêve qui leur fut accordée. Achille pleura la mort de son cher Patrocle, et les autres Grecs celle de leurs amis qu'ils avaient perdus. Agamemnon fit de pompeuses funérailles à Protésilas, et ordonna que tous les morts fussent enterrés avec honneur. Achille, de son côté, fit célébrer des jeux funèbres auprès du tombeau de son ami. Ce fut pendant cette trêve que Palamède se mit à exciter une sédition dans le camp : il disait que le roi Agamemnon n'était qu'un ignorant, incapable de commander une armée ; il vantait aux soldats ses connaissances et ses inventions; c'était lui qui avait dirigé la descente, fortifié le camp, placé les sentinelles, inventé le mot d'ordre, les poids et les mesures, et l'art de ranger une armée en bataille; il disait ensuite qu'après tant de services qu'il avait rendus aux Grecs, il n'était pas juste qu'Agamemnon, qui d'abord n'avait été nommé généralissime que par un petit nombre de chefs, conservât le commandement sur le grand nombre de ceux qui étaient arrivés ensuite, et qui tous, en nommant leurs généraux, avaient eu égard principalement à leur génie et à leur courage. Les deux années de la trêve (47)e étant écoulées dans les querelles suscitées par ces discours séditieux, Agamemnon, Achille, Diomède, Ménélas, conduisent l'armée sur le champ de bataille : Hector, Énée, Troïle marchent à leur rencontre. Le carnage n'est pas moins grand que dans les combats précédents. Dans les deux années un grand nombre de braves descendent dans les enfers. Hector tue de sa main Boétès, Archiloque et Proténor (48). Le combat finit avec le jour. Pendant la nuit, Agamemnon assemble les chefs de l'armée, et les invite à se rendre tous le lendemain sur le champ de bataille, et à s'attacher surtout à la poursuite d'Hector par la main duquel plusieurs de leurs plus braves compagnons ont péri.

CHAPITRE XXI.

Dès le point du jour, Hector, Énée, Alexandre, conduisent l'armée troyenne dans la plaine tous les Grecs sortent de leur camp; le combat s'engage, et plusieurs milliers de soldats mordent la poussière. Ménélas se met à la poursuite d'Alexandre; mais celui-ci se retourne et lui perce la cuisse. Malgré sa blessure, le héros grec, aidé d'Ajax de Locres, ne renonce point à poursuivre son ennemi. Hector voit ces deux guerrier, acharnés contre son frère, et accourt avec Énée pour le secourir. Celui-ci couvre Alexandre de son bouclier, et du champ de bataille le reconduit à la ville. La nuit arrive et l'on cesse de combattre. Le jour suivant, Achille et Diomède se mettent à la tête des Grecs; Hector et Énée commandent les Troyens. Bientôt le sang coule de toutes parts; Orcoménée, Palamène, Epistrophus, Schédius, Elpénor, Dorius (49), Polyxène, tous capitaines de la plus grande valeur, tombent sous les coups d'Hector : Énée renverse Amphimaque et Nirée. Du côté des Grecs, Achille donne la mort à Euphémus, à Hippothoüs, à Pyléus, à Astérïus; et Diomède à Xantippe et à Mesthlès. Agamemnon voyant périr tant de braves guerriers, fait cesser le combat, et pendant que les Troyens retournent triomphants dans leur ville, inquiet, il assemble les chefs de l'armée, il les exhorte à combattre avec plus de valeur encore, malgré les échecs qu'ils ont éprouvés, et en même temps, il leur fait espérer qu'une armée arrivera bientôt de la Mysie à leur secours.

CHAPITRE XXII.

Le lendemain il fait marcher au combat toute l'armée avec tous ses chefs. Les Troyens s'avancent en même temps sur le champ de bataille. On se bat avec le plus grand acharnement; le carnage est affreux, et plusieurs milliers de soldats périssent dans l'une et l'autre armée; pendant quatre-vingts jours consécutifs, on combattit sans relâche. Agamemnon voyant chaque jour tomber un grand nombre de siens, et qu'il n'était plus possible d'enterrer les morts, envoya Ulysse et Diomède à Priam, pour lui demander une trêve de trois ans : il jugeait que cet espace de temps lui était nécessaire pour faire d'honorables funérailles à ses guerriers, procurer une parfaite guérison à tous les blessés, réparer les dommages faits à ses vaisseaux, recevoir des renforts, et se procurer des vivres. Ulysse et Diomède partent pendant la nuit (50). Un Troyen, nommé Dolon, vient à leur rencontre, et leur demande par quel motif ils se rendent de nuit à la ville tout armés : ils répondent qu'Agamemnon Ies a envoyés auprès du roi Priam. Ce prince, informé de leur arrivée et de l'objet de leur mission, assemble tous les chefs de son armée, et leur apprend qu'Agamemnon lui a envoyé des députés pour lui demander une trêve de trois ans. Une si longue suspension d'armes paraît suspecte à Hector; mais le roi ayant ordonné à chaque membre du conseil de dire son sentiment, tous pensèrent qu'il fallait accorder aux Grecs la trêve qu'ils demandaient. Pendant cet intervalle, les Troyens rétablirent leurs remparts, guérirent leurs blessés, et enterrèrent leurs morts avec tous les honneurs dus à leur vaillance.

CHAPITRE XXIII.

Lorsque cette longue trêve fut expirée, Hector, Troïle et Énée, se mirent à la tête des Troyens ; Agamemnon, Ménélas, Achille et Diomède, marchèrent contre eux à la tête des Grecs. A la première attaque, Hector fait éprouver la force de son bras aux vaillants chefs (51) Phidippe, Antiphus et Mérion. Sous l'épée d'Achille tombent Lycaon et Euphorbe (52). Dans l'une et l'autre armée, plusieurs milliers de soldats mordent la poussière. Priam ne put soutenir le spectacle de tant de guerriers troyens dont un combat de trente jours avait jonché le champ de bataille, et à son tour il fit demander à Agamemnon une trêve de trois mois, que celui-ci lui accorda de l'avis du conseil. Ce temps écoulé, on se battit de nouveau pendant douze jours, avec non moins de fureur qu'auparavant. De part et d'autre, plusieurs braves capitaines reçoivent la mort; un grand nombre sont blessés et meurent avant d'être guéris. Le besoin d'une nouvelle trêve se fait sentir à Agamemnon ; il la fait demander pour trente jours à Priam qui la lui accorde, après en avoir délibéré avec son conseil.

CHAPITRE XXIV.

Comme le carnage allait recommencer avec les combats, Andromaque, épouse d'Hector fut avertie par un songe que ce héros devait s'abstenir de paraître sur le champ de bataille. Elle lui en rendit compte; mais il méprisa ce lâche conseil. Toute éplorée, elle envoie prier le roi de lui défendre d'aller au combat. Priam accueillit sa demande, et ordonna à Hélénus, Alexandre, Troïle, Énée et Memnon, de prendre le commandement des troupes. A cette nouvelle, Hector adresse de vifs reproches à Andromaque, lui demande ses armes, et ne se laisse toucher ni par ses discours, ni par ses lamentations. Alors Andromaque désolée, les cheveux épars, saisit son fils Astyanax (53), et l'étend devant les pieds d'Hector, qui demeure inflexible. Désespérée, elle pousse des cris qui mettent toute la ville en mouvement; elle court au palais du roi, raconte à ce prince le songe qu'elle a eu, et lui apprend qu'Hector persiste à vouloir se rendre sur le champ de bataille, sans que le spectacle de son fils, étendu à ses pieds, ait pu lui faire changer de résolution. Priam ordonne alors à tous les chefs de marcher au combat, et retient Hector auprès de sa personne. Agamemnon, Diomède, Achille, Ajax le Locrien, ne voyant pas Hector à la tête des Troyens, en combattirent avec plus d'ardeur, et plusieurs généraux ennemis tombèrent sous leurs coups. Hector informé que le désordre s'est mis parmi les Troyens et que, sans lui, ils vont être repoussés, s'échappe du palais de Priam, et s'élance sur le champ de bataille. Aussitôt il coupe la tête à Eionée (54), blesse Iphinoüs, tue Léontéus, et perce la cuisse à Sthénélus d'un coup de javelot. Achille le voyant ainsi donner la mort aux plus vaillants capitaines, accourt dans l'intention de le tuer, et de délivrer par son trépas plusieurs milliers de Grecs qui auraient encore péri de sa main. Cependant un grand nombre de guerriers tombent de tous côtés sur le champ de bataille, et la mêlée devient de plus en plus meurtrière. Hector immole Polypète; mais comme il se dispose à dépouiller sa victime, il est attaqué par Achille. Alors, un terrible combat se livre entre ces deux rivaux. Des grands cris s'élèvent et de la ville et des deux armées. Hector blesse Achille à la cuisse; mais celui-ci, comme s'il était insensible à la douleur, redouble ses attaques, et la mort de son ennemi est le prix de ses efforts. Après cet exploit, il se jette sur les Troyens, en fait un grand carnage, les met en déroute, et les poursuit jusqu'au pied de leurs remparts. Toutefois Memnon (55) ose lui résister : tous deux ils se combattent avec un courage égal et des succès égaux, et ne se quittent enfin qu'après s'être blessés l'un l'autre. La bataille finit avec le jour. Achille rentra dans le camp, et pendant toute la nuit, les Troyens pleurèrent le trépas d'Hector.

CHAPITRE XXV.

Le lendemain, Troïle conduisit l'armée troyenne contre les Grecs. Agamemnon consulta les chefs de la sienne, et leur conseilla de demander à l'ennemi un armistice de deux mois. En conséquence des députés furent envoyés à Priam qui accueillit leur demande. Ce monarque profita de cette trêve pour rendre les derniers honneurs à son fils Hector; il le fit enterrer (56), selon la coutume de sa nation, devant la principale porte de la ville, et ordonna qu'auprès de son tombeau, on célébrât des jeux funèbres. Pendant la trêve, Palamède recommença d'entretenir de ses plaintes l'armée des Grecs, au sujet du commandement suprême qu'ils avaient décerné à Agamemnon. Ce prince crut enfin devoir céder à la sédition, et dit aux soldats qu'ils étaient libres de se choisir un autre général :

« Jamais je n'ai désiré le commandement, leur dit-il, après les avoir assemblés; je recevrai pour mon successeur celui que vous désignerez; je lui cède volontiers ma place; je serai satisfait s'il nous venge des ennemis; et peu m'importe par qui nous serons vengés, pourvu que nous le soyons. Que chacun dise ici son sentiment (57). »  

Alors Palamède s'avance, vante son propre génie, et montre par ce qu'il a fait déjà ce qu'il est capable de faire encore. Frappés de son discours, les Grecs lui décernent le commandement : il les remercie, se rend à leur voeu, et commence aussitôt l'exercice de son autorité. Le seul Achille désapprouve ce changement.

CHAPITRE XXVI.

Là trêve expirée, Palamède fait sortir du camp son armée, munie de tout ce qui lui était nécessaire; et bien préparé au combat il la range en bataille, et l'exhorte à bien faire son devoir. Déiphobe, qui commande les Troyens, en fait autant de son côté. On en vient aux mains; l'armée troyenne se bat avec un grand courage, et Sarpédon avec ses Lyciens, après avoir enfoncé les Grecs, les taille en pièces et en renverse un grand nombre. Tlépolème le Rhodien s'avance contre lui et l'attaque; mais après un long combat, il reçoit une blessure mortelle et tombe. Persès (58), fils d'Admeste, prend sa place, et commence un nouveau combat avec Sarpédon; mais ses efforts contre l'ennemi qu'il serre de près sont inutiles, et à son tour il reçoit la mort. Sarpédon néanmoins ne se retira pas vainqueur sans avoir été blessé. Pendant plusieurs jours consécutifs, les deux armées se battirent avec acharnement et perdirent plusieurs de leurs chefs; mais celle de Priam fut la plus maltraitée. Pour faire enterrer ses morts et guérir ses blessés, ce prince demanda une suspension d'armes : elle lui fut accordée; Palaméde en profita pour envoyer Agamemnon vers les descendants de Thésée, Démophoon et Athamas, que ce même Agamemnon avait députés en Mysie, pour y rassembler et faire transporter dans le camp les vivres que Télèphe avait fournis (59). Arrivé auprès de Démophoon et d'Athamas, Agamemnon leur apprend la sédition, que Palamède a excitée contre lui. Tous deux ne peuvent contenir leur indignation; mais il les calme, en leur disant qu'il a cédé volontairement le commandement à Palamède. Cependant celui-ci rassemble des vaisseaux; il ajoute au camp de nouvelles fortifications, et l'environne de tours. Les Troyens, de leur côté, tiennent leurs troupes en haleine; réparent leurs murailles avec activité, creusent des fossés et élèvent des retranchements; en un mot ils disposent tout pour de nouveaux combats.

CHAPITRE XXVII.

L'anniversaire de la mort d'Hector, Priam, Hécube, Polyxène et d'autres Troyens, se rendent à son tombeau (60). Achille les rencontre; ses regards et ses pensées s'arrêtent sur Polyxène, et bientôt il est épris pour cette princesse de l'amour le plus violent. Depuis ce moment, l'existence lui devient odieuse, sa nouvelle passion le consume, et moins que jamais il peut supporter qu'Agamemnon ait été dépouillé du commandement de l'armée, et qu'à lui-même on ait préféré Palamède. Pressé par son amour, il charge un Phrygien, le plus fidèle de ses esclaves, de se rendre auprès d'Hécube, de demander de sa part à cette princesse sa fille Polyxène en mariage, et de l'assurer que s'il en obtient cette faveur, il se retirera avec ses Myrmidons, et que les autres chefs ne tarderont pas à suivre son exemple. L'esclave part aussitôt et exécute les ordres qu'il a reçus. Hécube lui répond qu'elle donnera son consentement à ce mariage si Priam y consent lui-même. Après cette réponse, elle le renvoie vers Achille. Agamemnon revient de la Mysie avec un grand convoi de vivres. Hécube, de son côté, va trouver Priam, et lui rend compte de la demande qui venait de lui être faite.

« Je ne puis consentir à cette alliance, répond ce prince; non que je la croie indigne de moi ; mais parce que je pense que si Achille, après avoir épousé ma fille, s'en retourne en Grèce, les autres chefs ne suivront pas son exemple : d'ailleurs, il n'est pas juste que je donne ma fille en mariage à mon ennemi. Si Achille désire l'accomplissement de cet hymen, qu'il nous procure une paix durable; que l'armée des Grecs se retire, et qu'un traité inviolable mette le sceau au rétablissement de la bonne intelligence entre eux et moi : à ces conditions je donnerai avec empressement Polyxène à Achille. »

Quelque temps après, l'esclave d'Achille étant revenu auprès d'Hécube, elle lui rapporta ce discours de Priam. Bientôt Achille en est instruit par le fidèle émissaire. Alors tout le camp retentit de ses plaintes :

« Fallait-il pour la cause de la seule Hélène, d'une seule femme, mettre toute la Grèce, toute l'Europe en mouvement? Laisser périr chaque jour tant de milliers d'hommes ? s'exposer à tant de dangers? faut-il que la liberté de la Grèce dépende des hasard d'une telle guerre. Il faut faire la paix au plutôt, il faut se rembarquer. »

Une année se passa ainsi.

CHAPITRE XXVIII.

Palamède fait avancer ses troupes hors du camp et les range en ordre de bataille. Déiphobe fait les mêmes dispositions. Achille, toujours irrité, ne sort pas de sa tente. Le combat commence. Palamède saisit une occasion favorable, se jette sur Déiphobe et lui coupe la tête (61). Les combattants s'animent de plus en plus les uns contre les autres, et le trépas vole dans les rangs des deux armées. Palamède, toujours à la tête de celle qu'il commander, ne cesse de l'exhorter à combattre avec courage. Sur ces entrefaites, Sarpédon s'avance contre lui, et reçoit la mort. Triomphant de cet exploit, Palamède, toujours aux premiers rangs, insulte les Troyens. Alexandre, dans le moment même où il montre le plus d'insolence et de joie, lui lance un trait qui lui perce le cou de part en part (62). Cet exploit de Pâris ranime le courage des Troyens ; de leur armée part une nuée de traits, et Palamède tombe frappé d'un coup mortel. Après la mort de leur général, les Grecs plient; les Troyens les poursuivent, attaquent leurs vaisseaux, y mettent le feu, et menacent leur camp. Achille apprend cette déroute, et dissimule. Mais Ajax (63), fils de Télamon, s'oppose seul aux efforts des Troyens. Le combat finit avec le jour. Retirés dans leur camp, les Grecs pleurent Palamède, et font l'éloge de ses connaissances, de son équité et de sa clémence. De leur côté, les Troyens pleurent la mort de Déiphobe et celle de Sarpédon.

CHAPITRE XXIX.

Nestor, comme le plus vieux des chefs de l'année des Grecs, les assemble. pendant la nuit, Ies exhorte à choisir un généralissime, et en même temps leur propose Agamemnon, comme celui dont l'élection sera à peine contestée.

«Je vous rappellerai, dit-il aux membres du conseil, que lorsqu'Agamemnon nous commandait, nous obtenions des succès, et que l'armée n'a pas été malheureuse sous a ses ordres. Si quelqu'un pense autrement que moi, qu'il dise son sentiment, je l'y engage. »

Tous les chefs applaudirent à ces paroles, et choisissent Agamemnon pour les commander. Le lendemain, les Troyens étant sortis de leur ville en ordre de bataille et tout joyeux de leurs exploits de la veille, Agamemnon fait avancer contre eux toutes ses troupes. Bientôt le combat s'engage, et pendant la plus grande partie du jour les années sont successivement mises en déroute l'une par l'autre. Enfin Troïle s'avance aux premiers rangs des Troyens, et les Grecs sont taillés en pièces et poursuivis jusqu'à leur camp. Le jour suivant, il fait mordre la poussière à plusieurs chefs ennemis, et pendant sept jours consécutifs, le combat continue avec acharnement. Enfin Agamemnon obtient de Priam une trêve de deux mois. Pendant cet intervalle, ce chef suprême des Grecs fit à Palamède de pompeuses funérailles, et rendit les derniers honneurs aux chefs et aux soldats morts sur le clamp de bataille.

CHAPITRE XXX.

Avant l'expiration de la trêve, ce prince députa vers Achille Nestor, Ulysse et Diomède, peur l'engager à combattre. Toujours plongé dans la douleur, ce héros reçut mal les envoyés et leur répondit qu'il avait pris la résolution de se plus se montrer sur le champ de bataille, parce qu'il en avait fait la promesse à Hécube dont il aimait la fille Polyxène; qu'il fallait conclure avec les Troyens une paix éternelle; que pour la cause d'une femme, les Grecs ne devaient pas exposer chaque jour leur liberté à tant de dangers, et qu'il désespérait de la victoire après tant de combats inutilement livrés à l'ennemi pendant un si long espace de temps. Lorsque Agamemnon fut informé par ses députés de cette réponse d'Achille, et de la ferme résolution qu'il avait prise de ne plus combattre, il assembla tous les clefs de l'armée pour les consulter sur le parti qu'il devait prendre. Après qu'il les eut invités à dire chacun son sentiment, Ménélas prit la parole pour exhorter son frère à mener au plus tôt l'armée contre l'ennemi;

« Ne nous effrayons pas, ajouta-t-il, du refus et de l'excuse d'Achille; je lui persuaderai de se rendre sur le champ de bataille. Au reste, je ne crains rien, s'il rejette mes raisons. Les Troyens n'ont plus leur Hector; ils n'ont pas un seul guerrier qui puisse le remplacer. »

Diomède et Ulysse prennent la parole après Ménélas, et soutiennent que Troïle n'est pas moins vaillant qu'Hector, et qu'enfin il faut terminer la guerre. Calchas consulte le cri des oiseaux et répond qu'il faut combattre, et qu'on ne doit pas s'inquiéter pourquoi les Troyens viennent d'être victorieux.

CHAPITRE XXXI.

Le jour marqué pour le combat, Agamemnon,  Ménélas, Diomède et Ajax font sortir l'armée de ses retranchements, et la conduisent sur le champ de bataille, où Ies Troyens paraissent bientôt. On en vient aux mains, on se bat avec fureur; Troïle blesse Ménélas, tue un grand nombre d'ennemis, et met les autres en déroute. Le lendemain, accompagné d'Alexandre, il paraît à la tête de l'armée troyenne. Diomède reçoit une blessure de sa main; Agamemnon lui-même, sur lequel il s'est jeté, en reçoit une au visage, et beaucoup d'autres Grecs tombent sous ses coups. Le combat dure plusieurs jours, et des milliers de soldats des deux armées restent sur le champ de bataille. Agamemnon, affligé de la perte de tant de guerriers, et dont l'armée était affaiblie par tant de combats, fait demander à Priam une trêve de six mois. Priam fait part de cette demande à son conseil. Troïle s'oppose à une trêve si longue, et soutient qu'il faut attaquer l'ennemi au plus tôt et incendier sa flotte. D'après l'invitation du roi, les autres membres du conseil (64) exposent leur avis, et tous décident qu'il faut accorder aux Grecs la trêve qu'ils demandent. Agamemnon fait d'abord guérir les blessures de Diomède et de Ménélas; ensuite, de l'avis de son conseil, il se rend avec Nestor auprès d'Achille, pour l'engager à combattre. Celui-ci, toujours affligé, répondit d'abord qu'il avait pris la résolution de ne plus faire la guerre, et qu'il fallait conclure la paix avec les Troyens. Après beaucoup de plaintes, il promit pourtant à Agamemnon, en lui disant qu'il n'avait rien à lui refuser, d'envoyer ses soldats au combat quand le jour en serait venu ; mais il s'excusa d'y aller lui-même. Agamemnon le remercia du renfort qu'il lui promettait, et partit.

CHAPITRE XXXII.

Les six mois de la trêve écoulés, les années marchent l'une contre l'autre. Achille range ses Myrmidons et les envoie à Agamemnon, tout préparés au combat. Le choc devient plus terrible, et l'ardeur des combattants plus grande des deux côtés. Troïle, à la tête de ses bataillons, fait un grand carnage des Grecs; il poursuit les Myrmidons, se porte contre le camp, et tue ou blesse tous ceux qui s'opposent à son impétuosité : Ajax, fils de Télamon, est le seul qui l'arrête. Les Troyens s'en retournent triomphants dans leur ville. Le jour suivant, Agamemnon fait avancer toutes ses troupes, leurs chefs à leur tête. Les Myrmidons se rendent aussi sur le champ de bataille. Les Troyens, tout joyeux, s'avancent pour combattre. Nouveau combat, nouveau carnage, qui dure plusieurs jours. Troïle renverse, met en déroute et poursuit les Myrmidons. Une trêve de trente jours parait alors nécessaire à Agamemnon; il la fait demander à Priam; elle lui est accordée. Pendant cet intervalle, tous les guerriers qui, dans les deux armées, ont perdu la vie, reçoivent les honneurs de la sépulture.

CHAPITRE XXXIII.

L'expiration de cette trêve fut suivie d'un combat non moins meurtrier que les précédents. Il y avait déjà quelques heures que le jour avait paru, lorsque Troïle se montra sur le champ de bataille. Bientôt les Grecs éprouvent sa valeur : tous ceux qui se présentent devant lui sont renversés, taillés en pièces, et de tous côtés on ne voit que des bataillons en désordre, qui prennent la fuite en poussant de grands cris. Lorsque Achille voit ce héros insulter aux Grecs, les poursuivre sans relâche, et les faire plier de toute part, il s'élance sur le champ de bataille ; Troïle s'avance contre lui, l'attaque le premier et lui fait une blessure qui l'oblige de se retirer. On se battit sans interruption pendant six jours ; le septième, lorsque les deux armées, au plus fort du combat, prenaient la fuite chacune de son côté, Achille, que sa blessure avait empêché de se montrer pendant quelques jours, assembla ses Myrmidons, les harangua, et les exhorta à se jeter sur Troïle. La plus grande partie du jour s'était écoulée. quand Troïle, d'un air triomphant, parut à cheval à la tête des Troyens. A son aspect, les Grecs poussent un grand cri et prennent la fuite. Dans ce moment paraissent les Myrmidons; ils se précipitent sur lui, et plusieurs d'entre eux reçoivent la mort de sa main. Dans la chaleur du combat, son cheval reçoit une blessure et tombe. Pendant qu'il fait ses efforts pour se dégager, Achille survient et lui arrache la vie. Déjà le vainqueur entraîne son cadavre, lorsque Memnon accourt, le lui enlève, le blesse, et le poursuit dans sa fuite. Achille s'arrête et se retourne. Après avoir fait panser sa blessure, il revint au combat pour attaquer Memnon. Pendant quelques instants, ces deux guerriers se battent avec un succès égal : enfin le premier porte à son adversaire un coup mortel, suivi de plusieurs autres, non sans avoir lui-même été blessé. Après la mort du chef des Perses, l'armée troyenne fut mise en déroute, et tous ceux qui échappèrent à la poursuite des Grecs s'enfuirent dans la ville dont ils fermèrent les portes. Le lendemain, Priam envoya demander à Agamemnon une trêve de trente jours, qui lui fut accordée : il en profita pour faire à Troïle et à Memnon (65) de magnifiques funérailles. Les deux partis ensevelissent leurs morts.

CHAPITRE XXXIV.

Hécube, affligée de ce que les plus vaillants de ses fils, Hector et Troïle, avaient été tués par Achille, prit pour se venger une résolution aussi lâche que téméraire. Elle manda auprès de sa personne son fils Alexandre, et lui tint ce discours :

« Mon fils, il faut que vous me vengiez, moi et vos frères : tendez à cet effet des embûches à Achille, et donnez lui la mort au moment où il s'y attendra le moins. Comme il m'a fait demander Polyxène en mariage, je dois l'inviter au nom du roi, votre père, à se rendre à la porte de la ville dans le temple d'Apollon Thymbréen, pour y conclure la paix et l'alliance qu'il désire. Je ne doute pas qu'il ne vienne aussitôt. Vous cacherez des soldats dans le temple, et lorsqu'il s'entretiendra avec nous, vous vous jetterez sur lui : j'aurai assez vécu si vous le tuez. »

Comme Alexandre avait de l'audace, il promit à Hécube d'exécuter au plus tôt ses volontés. Il choisit donc pendant la nuit un certain nombre des soldats les plus courageux de l'armée, les plaça dans le temple, et leur donna le signal auquel ils devraient sortir de leur embuscade quand le moment en serait venu. De son côté, Hécube fit inviter Achille au nom de Priam, à se rendre dans le temple d'Apollon. Celui-ci, toujours épris de Polyxène, reçut ce message avec beaucoup de joie, et remit son départ au lendemain. Ce jour venu, il part, emmenant aven lui Antiloque, fils de Nestor. A peine est-il entré dans le temple, que les soldats qui y étaient cachés sortent de leur embuscade, et, encouragés par Alexandre, lui lancent des traits de tous côtés. Enveloppant alors son bras gauche, et tenant son épée de la main droite, il se précipite avec Antiloque contre ses assassins, dont plusieurs expirent sous ses coups. Après s'être vaillamment défendu, il tombe enfin avec Antiloque, percé de plusieurs traits par Alexandre. Ainsi périt Achille, victime de la plus lâche trahison, non sans avoir vendu bien chèrement sa vie. Alexandre ordonna que son corps fût abandonné aux oiseaux de proie; mais Hélénus, alléguant plusieurs raisons, s'opposa à l'exécution de cet ordre, et fit rendre aux Grecs les cadavres d'Achille et d'Antiloque. Lorsque ces restes déplorables furent apportés dans le camp, Agamemnon fit déposer avec une pompeuse solennité ceux d'Achille dans un tombeau qu'il lui fit élever, et autour duquel toute l'armée célébra des jeux funèbres, pendant une trêve que Priam avait accordée.

CHAPITRE XXXV.

Ces tristes cérémonies achevées, Agamemnon assembla son conseil, et lui adressa un discours à la fin duquel on décida à l'unanimité que les dieux seraient consultés sur le parti que l'on aurait à prendre. L'oracle répondit (66) à ceux qui avaient été chargée de cette mission que la guerre ne serait heureusement terminée que par le fils d'Achille. Lorsqu'à leur retour, ils eurent publié cette réponse, Ajax dit au conseil que puisque Néoptolème était le fils d'Achille, on devait le faire venir à l'armée, pour qu'il tirât vengeance de la mort de son père. Cet avis ayant été adopté par Agamemnon et les autres chefs, Ménélas fut chargé de se rendre aussitôt dans l'île de Scyros, auprès du roi Lycomède, aïeul de Néoptolème, pour l'engager à laisser partir ce jeune prince pour l'armée. Lycomède consentit à cette demande, et le fils d'Achille partit avec Ménélas pour la Phrygie. Le terme de la trêve étant venu, les deux armées recommencent à se battre. Ajax se place à la tête des Grecs et pousse de grands cris. Un grand nombre de guerriers tombent bientôt sur le champ de bataille. Alexandre, armé d'un arc, donne la mort à plusieurs ennemis, et fait à Ajax une blessure dans le flanc. Tout blessé qu'il est, Ajax le poursuit au milieu des Troyens, et ne s'arrête qu'après l'avoir étendu mort. Après cet exploit, ne pouvant plus se soutenir, il se fait transporter (67) dans le camp, où il meurt presque aussitôt que le trait a été retiré de sa blessure. Le cadavre d'Alexandre est porté dans la ville. Aussitôt après la mort de ce prince, Diomède se précipita sur les Troyens déjà fatigués, les mit en fuite et les poursuivit jusqu'au pied de leurs remparts. Agamemnon le suivit avec le reste de l'armée qu'il fit camper pendant la nuit autour de la ville, et donna l'ordre à une partie de ses troupes de veiller avec la plus grande attention, en attendant que l'autre prit sa place. Le jour suivant, le roi Priam fit inhumer Alexandre dans la ville. Hélène n'assista pas à ses funérailles sans donner des marques de la plus vive douleur. En effet, il l'avait toujours traitée d'une manière convenable. De leur côté, Priam et Hécube n'avaient jamais cessé de la regarder comme leur propre fille, ni d'avoir pour elle les égards qu'elle méritait, pour n'avoir ni méprisé les Troyens ni regretté les Grecs (68).

CHAPITRE XXXVI.

La lendemain, Agamemnon rangea son armée eu bataille devant la principale porte de la ville, et se mit à provoquer les Troyens au combat ; mais Priam, qui attendait Penthésilée et ses Amazones (69), plutôt que de combattre, aima mieux se tenir tranquille, réparer les fortifications de sa capitale et faire reposer ses troupes. Aussitôt que Penthésilée fut arrivée, cette guerrière fit avancer son armée contre les Grecs. Alors commença un sanglant combat qui dura plusieurs jours. Enfin les Grecs sont repoussés jusque dans leur camp : à peine Diomède peut-il empêcher qu'il ne soit pillé, que la flotte ne soit incendiée, et l'armée entièrement détruite. Après ce combat, Agamemnon défendit à ses troupes de sortir du camp jusqu'à l'arrivée de Ménélas et de Néoptolème; elles obéirent malgré les provocations de la reine des Amazones. A son arrivée, le fils d'Achille se revêtit des armes de son père, ensuite il se rendit à son tombeau où il poussa de grands cris et se livra à de tristes lamentations. Cependant Penthésilée, selon sa coutume, dispose ses troupes au combat, et s'avance jusqu'au camp des Grecs. Néoptolème en fait sortir ses Myrmidons, les dispose an combat et marche à sa rencontre; Agamemnon le suit avec le reste de l'armée. Le premier choc est terrible. Le fils d'Achille fait d'abord un grand carnage des ennemis ; Penthésilée accourt, et se présente à lui animée d'un grand courage. Pendant plusieurs jours ils ne cessèrent de se combattre, et tous deux donnèrent la mort à plusieurs braves guerriers. Enfin Penthésilée fait une blessure à Néoptolème qui, rendu furieux par la douleur, lui porte de plus grands coups, et lui donne la mort (70). Encouragé par cette victoire, il met en déroute toute l'armée troyenne, et la poursuit jusqu'aux pieds de ses murailles, dont toute l'armée grecque fait ensuite l'investissement afin qu'aucun Troyen n'en puisse sortir.

CHAPITRE XXXVII.

Se voyant ainsi enfermés dans leurs remparts, Anténor, Polydamas et Énée vont trouver Priam, et l'engagent à assembler le conseil pour délibérer sur le parti qu'exigent les circonstances. Priam se rend à leur vœux, et leur ordonne de dire leur sentiment. Anténor prend alors la parole et dit

« Sire, tous les princes défenseurs de Troie, Hector et vos autres fils, ont été tués; le plupart des princes étrangers qui vous ont amené des secours ont éprouvé le même sort, et nous avons encore contre nous de grands et de vaillants capitaines, Agamemnon, Ménélas, Néoptolème, jeune guerrier non moins redoutable que son père, Ulysse, Nestor, Diomède, Ajax de Locres, et plusieurs autres dont la prudence égale la valeur. Quelle situation est celle des Troyens! enfermés dans leurs murailles, ils sont découragés, atterrés, et devenus incapables de plus rien entreprendre. Que ne rendons-nous Hélène et le butin qu'Alexandre emporta avec elle de la Grèce ! que ne faisons-nous la paix ! »

Après que d'autres chefs troyens eurent prononcé des discours en faveur de la paix, Amphimaque, fils de Priam, jeune homme d'un grand courage, se levant, adressa d'abord à Anténor des paroles outrageantes, ainsi qu'à ceux qui pensaient comme lui  et se mit à leur faire de vifs reproches au sujet de leur conduite.

« Faisons plutôt avec l'armée, ajouta-t-il, une irruption dans le camp des Grecs ; ou remportons la victoire, ou, vaincus, mourons pour  la patrie. »

Énée se leva lorsqu'Amphimaque eut cessé de parler, et, par un discours plein d'une douce persuasion, réfutant celui du fils de Priam, il prouva par de fortes raisons qu'il fallait demander la paix à l'ennemi.

CHAPITRE XXXVIII.

Lorsque Énée eut cessé de parler, Priam, animé de la plus vive indignation, lui fit des sanglants reproches, ainsi qu'à Anténor.

« Eux seuls, dit-il, m'ont poussé à la guerre, eux seuls m'ont conseillé d'envoyer des ambassadeurs chez les Grecs. N'est-ce pas Anténor qui, de retour de cette ambassade, nous entretint des outrages qu'il avait reçus des Grecs ? Énée n'était-il pas le complice d'Alexandre dans l'enlèvement d'Hélène, et dans le pillage des trésors qu'il emporta avec elle ? Je suis fermement résolu à continuer la guerre; je vous ordonne à tous de vous tenir prêts à faire une vigoureuse sortie au signal que je tous donnerai. Je suis déterminé à vaincre ou à mourir. »

Après ces paroles, Priam exhorta ceux qui composaient le conseil à bien faire leur devoir, et les congédia, emmenant avec lui Amphimaque dans son palais. Là, il lui déclara qu'Il appréhendait que ceux qui lui avaient conseillé de faire la paix ne livrassent la ville à l'ennemi, qu'ils avaient dans le peuple un grand nombre de partisans, et qu'il était urgent de les faire mourir. Il ajouta que si on leur ôtait la vie, il défendrait la patrie avec succès, et qu'il se promettait de vaincre les ennemis. Il l'invita en même temps à lui être fidèle et soumis, à prendre les armes, à se tenir prêt, ce qu'il pourrait faire sans donner lieu à aucun soupçon; enfin il lui dit que le lendemain, après avoir offert un sacrifice, il inviterait à souper ceux dont il voulait se défaire. Amphimaque approuva le dessein de Priam, lui promit d'exécuter ses ordres, et se retira.

CHAPITRE XXXIX.

Le même jour, Anténor, Polydamas, Ucalégon, Amphidamas, Dolon, s'assemblent en secret. Réunis, ils ne peuvent s'empêcher de se témoigner mutuellement leur surprise de ce que le roi, tout bloqué qu'il était par les Grecs dans sa capitale, s'obstinait à repousser la paix, et à vouloir périr avec la patrie et tous ses serviteurs.

« Je connais, leur dit Anténor, le parti qu'il faut prendre, et qui nous sera utile à tous; je vous eu ferai part si vous avez confiance en moi, et si vous vous fiez les uns aux autres. »  

Tous lui promettent le secret, et s'y engagent par serment. Se voyant donc obligé de se découvrir, il fait proposer à Énée de livrer la ville aux ennemis, s'il veut pourvoir à son salut et à celui de ses amis, et engage les autres à envoyer quelqu'un d'entre eux à Agamemnon pour traiter avec lui de cette reddition. Afin de déterminer Énée à cette trahison, il ne manque pas de lui dire qu'il appréhende vivement que le roi, qui était sorti du conseil irrité de ce qu'il avait proposé de faire le paix, ne prit quelque funeste résolution. Les amis d'Anténor approuvent sa proposition, et envoient secrètement Polydamas, l'un d'entre eux, vers Agamemnon.

CHAPITRE XL.

Lorsque Polydamas fut arrivé au camp des Grecs, Agamemnon assembla secrètement et pendant la nuit les chefs de l'armée, et les instruisit de ce qu'il venait d'apprendre de cet envoyé. Tous furent d'avis qu'il devait garder aux traîtres la parole qu'il leur avait donnée. Ulysse et Nestor, qui craignaient quelque surprise, furent seuls d'un sentiment contraire; mais Néoptolème réfuta leurs raisons. Pendant qu'ils se disputaient, le conseil décida que l'on demanderait un mot d'ordre à Polydamas ; celui-ci ayant donné le mot, on chargea Sinon de le porter à Énée, à Anchise et à Anténor. Cet émissaire arrivé sous les murs de Troie, dont les portes n'avaient pas encore été livrées à la garde d'Amphimaque, prononça le mot d'ordre, et on lui répondit par les noms d'Anchise, d'Énée et d'Anténor. Alors, pleinement rassuré, il retourna aussitôt vers Agamemnon. D'après son rapport, le conseil des Grecs décida. que l'on s'engagerait par serment à permettre à Anténor, Énée, Ucalégon, Polydamas, Dolon, à leurs parents, à leurs épouses, à leurs proches, et à tous ceux qui habitaient avec eux, de sauver toutes leurs richesses et les choses sacrées (71) qui leur appartenaient. Cet engagement ratifié et revêtu de la sanction du serment, Polydamas conseille aux Grecs de conduire pendant la nuit leur armée devant la porte de Scée, sur laquelle était représentée la tête d'un cheval (72), parce qu'Anténor et Anchise, qui la gardaient pendant la nuit, la leur ouvriraient et leur montreraient un flambeau. Il ajouta que c'était le signal de leur arrivée, et qu'aussitôt ils trouveraient des guides pour les conduire au palais du roi.

CHAPITRE XLI.

Lorsque tout est convenu et arrêté, Polydamas retourne à la ville. A son arrivée, il rend compte à Énée, à Anténor et aux autres conjurés de tout ce qui s'est passé dans le conseil des Grecs, et les avertit de placer leurs soldats à la porte de Scée, de rouvrir pendant la nuit, de montrer un flambeau et de recevoir l'armées ennemie. La nuit venue, Énée et Anténor se rendent aussitôt au poste que Polydamas vient de leur désigner, introduisent Néoptolème avec le reste de l'armée, lui montrent un flambeau, et lui demandent en même temps de protéger leur fuite et celle de tous ceux de leur parti. Mais, sans s'arrêter, Néoptolème se précipite dans la ville, taille en pièces tous les Troyens qui se trouvent sur son passage, entre dans le palais de Priam, le poursuit, et lui donne la mort devant l'autel de Jupiter. Hécube, fuyant avec Polyxène, rencontre Énée, et lui remet cette princesse: Énée la conduit et la cache dans la maison de son père Anchise.
Andromaque et Cassandre cherchent un asile dans le temple de Minerve. Pendant tout le jour suivant et toute l'autre nuit, les Grecs ne cessèrent de piller la ville et d'emporter leur butin.

CHAPITRE XLII.

Au commencement du deuxième jour, Agamemnon assembla tous les chefs dans le temple de Minerve. Là, il rendit grâces aux dieux, fit l'éloge de l'armée, et ordonna que tout le butin fût rassemblé dans un même endroit pour être également partagé. Ensuite il demanda aux soldats s'il leur plaisait que l'on tint les engagements secrets avec Énée et Anténor et les autres qui avaient trahi leur patrie.  Toute l'armée ayant donné son consentement par acclamation, il se fit amener ces Troyens, et leur rendit tout ce qui leur appartenait. Dans ce moment, Anténor demanda à Agamemnon la permission de parler; l'ayant obtenue, il apprit aux Grecs, après leur avoir rendu grâces, qu'Hélénus et Cassandre n'avaient jamais cessé de dissuader Priam, leur père, de faire la guerre, que c'était Hélénus qui avait conseillé à ce prince d'ériger un tombeau à Achille (73), et qu'il était doué d'une science universelle. Agamemnon, ayant consulté le conseil sur le discours d'Anténor, donna la liberté à Hélénus et à Cassandre. A son tour, Hélénus se mit à supplier Agamemnon en faveur d'Hécube et d'Andromaque, disant qu'elles n'avaient jamais cessé de le chérir; sa prière fut écoutée, et de l'avis du conseil, les deux princesses recouvrèrent leur liberté et tout ce qui leur appartenait. On décida ensuite que le butin serait également partagé, que l'on offrirait des sacrifices aux dieux, que l'on s'acquitterait des voeux auxquels on s'était engagé envers eux, et l'on fixa le jour du départ de l'armée.

CHAPITRE XLIII.

Comme les troupes allaient se rembarquer, il s'éleva sur mer une grande tempête qui dura plusieurs jours. Calchas, consulté, répondit que les divinités infernales n'étaient pas encore satisfaites. Alors il vient dans l'esprit à Néoptolème que Polyxène, qui avait été cause de la mort de son père, n'a pas été trouvée dans le palais de Priam. Il en porte ses plaintes à Agamemnon, il en accuse l'armée, et ordonne à Anténor, qu'il a fait appeler, de chercher la princesse et de la lui amener. Anténor se rend donc auprès d'Énée, cherche Polyxène dans sa maison où elle se tenait cachée, et pour hâter le départ del Grecs, la conduit à Agamemnon. Ce prince la remet entre les mains de Néoptolème, et celui-ci l'égorge auprès du tombeau de son père. Agamemnon irrité contre Énée (74), parce qu'il avait donné asile à Polyxène, lui ordonna de sortir aussitôt de sa patrie avec tous les siens. Le prince troyen obéit et partit avec tous ses vaisseaux, laissant Anténor maître de la ville et de son territoire (75). Quelques jours après le départ d'Agamemnon, Hélène, plus triste que joyeuse, retourna en Grèce avec son époux Ménélas ; et Hélénus (76), accompagné d'Hécube, d'Andromaque et de Cassandre, se rendit dans la Chersonnèse.

CHAPITRE XLIV.

Voilà tout ce que Darès de Phrygie, qui suivit la destinée d'Anténor, a écrit en grec (77). Ida guerre de Troie dura dix ans huit mois et douze jours (78). Selon le journal de l'armée que Darés a suivi, il périt du côté des Grecs huit cent six mille hommes jusqu'au moment où la ville fut livrée, et deux cent soixante-huit mille Troyens (79). Énée s'embarqua sur les vingt-deux vaisseaux dont Alexandre s'était servi dans son expédition : trois mille trois cents Troyens de tout âge l'accompagnèrent; deux mille cinq cents suivirent Anténor, et douze cents Andromaque et Hélénus. Ici finit l'histoire de Darès.


























 

(01)  On pourrait croire que notre prétendu Cornélius Népos a eu ici en vue l'injuste jugement de Platon sur Homère; mais il ne devait pas en faire l'opinion des Athéniens Qui ne se rappelle pas qu'Alcibiade, étant entré un jour dans une école publique d'Athènes, donna un soufflet à l'instituteur, parce qu'il n'avait pas un Homère parmi ses livres? Qui ne sait pas qu'Alexandre-le-Grand avait enfermé dans la cassette de Darius les oeuvres de ce grand poète, et qu'il plaçait cette cassette sous son oreiller ?

(02) Pélias n'était point roi du Péloponnèse, mais de Thessalie, dont il avait chassé son frère Éson qui y régnait avant lui.

(03) Plusieurs auteurs anciens écrivent que Pélias avait été averti par l'oracle de se garder de celui qui n'aurait qu'un soulier. Il comprit bientôt par l'événement ce que cet avertissement signifiait ; car un jour qu'il offrait sur le rivage un sacrifice à Neptune, auquel il avait invité un grand nombre de personnes, Jason entre autres, celui-ci, qui se trouvait à la campagne, empressé de s'y rendre, traverse à la nage le fleuve Anaure ou Énippe, et y laisse un de ses soutien. En le voyant, Pélias se souvient de l'oracle; il s'approche de lui, et lui demande ce qu'il ferait, s'il en avait le pouvoir, à celui qui, selon un oracle, devrait un jour lui donner la mort. Jason ayant répondu qu'il ordonnerait à cet homme de lui apporter la toison d'or, Pélias lui enjoignit aussitôt de l'aller chercher.

(04) Cette toison était à Colchos, suspendue à un chêne dans un petit bois consacré au dieu Mars, et gardée par un dragon qui ne dormait jamais. Les uns rapportent que c'était celle d'un bélier qui avait transporté Phryxus au-delà de l'Hellespont, et qui était de couleur d'or, ou, comme disent d'autres, couleur de pourpre. Les autres prétendent que ce n'était autre chose qu'un livre fermé d'une peau, qui renfermait la manière de faire la pierre philosophale : c'est le sentiment d'Eustathe, dans son Commentaire sur Denis le géographe. Enfin, il en est d'autres qui pensent que ce qui avait donné lieu à la fable de cette prétendue toison, c'était un fleuve de la Colchide qui charriait de l'or, que les habitants recueillaient dans des peaux auxquelles ils avaient fait de petits trous : c'est ce que disent Strabon et Appien.

(05) Plusieurs écrivains ont prétendu que le navire, Argo tirait son nom du constructeur Argus; mais le savant Bochard nous apprend que les Phéniciens et les Syriens appelaient Arca ou Arco de longs navires, et qu'il est arrivé de là que le premier bâtiment long qui a été construit chez les Grecs a été nommé Argo, par le changement de la lettre c en la lettre g. Cette explication est d'autant plus vraisemblable, qu'avant le temps de Jason et des Argonautes, les Grecs n'avaient que des bâtiments ronds. C'est le sentiment de Pline, du scoliaste d'Apollonius et d'Hérodote. Selon Apollodore, le vaisseau Argo était conduit par cinquante rameurs, vingt-cinq de chaque côté, ainsi il devait avoir au moins cinquante coudées de longueur, en en laissant deux pour chaque rameur.

(06) Aurait-il existé, du temps de la guerre de Troie, un livre intitulé les Argonautes ? Sans doute notre auteur veut parler des Argonautiques attribués à Orphée, mais cet Orphée et quelques autres, que l'on place avant la guerre de Troie, ont été imaginés par les poètes, ainsi que l'a démontré Vossius dans son Traité de la Poèsie, liv. I. Il faut consulter, au sujet des Argonautes, Apollonius de Rhodes, Valérius Flaccus, Apollodore, Diodore de Sicile, Hygin, etc. Leur expédition est antérieure d'environ cinquante ans à la guerre de Troie.

(07) Apollodore rapporte le même fait dans son deuxième livre, et ajoute qu'Hercule, irrité de son audace, s'avança contre lui pour le tuer ; mais que Télamon s'apercevant de son dessein, se mit à entasser les unes sur les autres les pierres qui se trouvaient près de lui, et que comme Hercule lui en demandait la raison, il lui répondit qu'il élevait un autel à Hercule καλλινίκω, beau vainqueur.

(08) Comment Priam qui commandait une armée en Phrygie, aurait-il emmené avec lui sa femme et tous ses enfants? D'ailleurs, selon Homère, il est faux qu'il en eût alors un aussi grand nombre que Darès le fait entendre.

(09) Romulus voyant son armée en déroute dans une bataille contre les Sabins, fit voeu de bâtir un temple à Jupiter Stator. Ce surnom latin de Jupiter ne date que de cette époque, postérieure de près de cinq cents ans à la guerre de Troie, et il ne fut confirmé à ce dieu que parce que les soldats romains s'arrêtèrent, steterunt, pour retourner contre l'ennemi. Preuve de l'imposture de notre auteur.

(10) Suivant Homère, la porte de Dardanus et celle de Scée n'en faisaient qu'une seule. Voyez Hésychius au mot Δαρδανίαι.

(11) C'était la coutume dans ces temps éloignés que les ambassadeurs et autres voyageurs, pour se remettre de leurs fatigues, passassent quelques jours dans la maison de leurs hôtes avant de les instruire du motif de leur arrivée. Nous lisons dans l'Iliade que Bellérophon se reposa neuf jours chez le roi de Lycie, et que le dixième il lui remit les lettres de son gendre Proetus.

(12) Il ne faut pas s'étonner que Priam se donne le nom de barbare; dans Euripide, Hécube et Hector prennent cette dénomination, qui alors n'avait pas le sens que nous lui avons donné, en la confondant avec les adjectifs cruel et féroce.

(13) Ceci ne paraît être qu'une fable que Darès imaginée pour l'adapter à l'histoire de Pâris. D'autres auteurs écrivent que Pâris avait composé un hymne eu l'honneur de Vénus, dans lequel il lui donnait la préférence sur Junon et Pallas. C'est de là qu'est venue cette fable où les trois déesses l'établissent juge de leur beauté. Voyez Cédrénus, et Suidas, au mot Πάριον.

(14) Il y avait trois villes de Pylos dans le Péloponnèse ; une dans l'Elide, auprès du fleuve Sellée; la seconde en Arcadie, voisine du fleuve Amathus; et la troisième dans la Messénie. Toutes trois elles se vantaient d'avoir appartenu à Nestor; mais Strabon prouve fort bien, liv. VIII, d'après Homère, que la seconde était sa véritable patrie. Darès, au contraire, fait entendre que c'est la troisième, quand il dit que Ménélas, se rendant par mer de Sparte à Pylos, où régnait Nestor, rencontra les vaisseaux de Pâris dans le voisinage de Cythère. Assurément s'il l'avait fait partir pour la Pylos d'Arcadie, il lui aurait fait prendre sa route par terre comme la plus courte.

(15) Madame Dacier demande pourquoi Alexandre n'offrit pas plutôt un sacrifice à Vénus ; sous la protection de laquelle il s'était placé, et pourquoi Darès, qui fait mention d'un temple de cette déesse, le fait sacrifier à Diane. Nous répondrons à cette note, ou qu'il y avait sur le rivage de Cythère un temple consacré à Dilate où, sans aller plus loin, il pouvait sur-le-champ lui offrir un sacrifice, ou que s'étant attiré la vengeance de Junon et de Minerve, il voulait leur opposer Diane et Vénus, en se montrant aussi zélé pour le culte de la première que pour celui de la seconde. Ayant passé son enfance et une partie de sa jeunesse sur le mont Ida, il était naturel qu'il fût attaché au culte de la déesse des forêts.

(16) Selon Dictys, Alexandre s'étant embarqué sans consulter les vents, fut poussé sur les côtes de Phénicie, et, selon Diodore de Sicile, sur celles de l'Égypte, où régnait alors Protée, qui s'empara des richesses qu'il avait enlevées, et les renvoya à Ménélas.

(17) Darès prétend qu'Hélène ne fut pas enlevée malgré elle; c'est aussi et que pensent plusieurs autres auteurs, et ce qui a fait dire à un scoliaste d'Homère, sur le XXIIIe livre de l'Odyssée, que Vénus fit prendre à Pâris la figure de Ménélas, que la princesse croyant que c'était effectivement son époux qu'elle avait devant les yeux, le suivit d'elle-même jusqu'à ses vaisseaux où il la fit entrer. C'est vouloir expliquer par un prodige nuisible à la vérité historique ce qui peut arriver naturellement.

(18) Tlépolème, chef des Rhodiens, était fils d'Hercule et d'Antioche. Après avoir tué Lycimnias, frère d'Alcmène, il prit la fuite, et débarqua dans l'île de Rhodes dont il fit la conquête.

(19) Castor et Pollux n'existaient déjà plus; car, dans un combat qu'ils livrèrent à Ida et à Lyncé en Arcadie, Castor ayant été tué, Pollux fut enlevé dans le ciel pour y partager avec lui la vie des immortels. Ils avaient été tous deux du nombre des Argonautes.

(20) Sans doute ces Dardaniens étaient les mêmes qui avaient accompagné à Sparte ou Anténor ou Alexandre.

(21) On ne sait sur quel modèle Darès a tracé ces portraits ou plutôt ces signalements, et ceux qui suivent. Peut-être avait-il sous les yeux des originaux que nous n'avons plus. Ce qu'il y a de certain, c'est que plusieurs des traits dont il a fait usage sont de tradition, et se rencontrent dans quelques auteurs anciens. Au reste, cette galerie de portraits, qui ne se trouve que là, n'est pas sans intérêt, sauf les répétitions.

(22) Ceux qui penseraient que Pâris était sans courage, parce qu'il tua Achille en trahison, se tromperaient : il combattit plusieurs fois avec beaucoup de valeur, et tua plusieurs capitaines grecs de sa main.

(23) Hélène avait aussi un long cou ; ce qui ferait croire que chez les Anciens la longueur du cou entrait dans l'idée qu'ils se formaient de la beauté d'une femme. Le Musée Napoléon possède plusieurs statues antiques de femmes où cette qualité du cou se fait remarquer..

(24) Homère cependant nous apprend que lorsque Ménélas était debout à côté d'Uysse aussi debout, il le surpassait en hauteur de toute las épaules.

(25) Nous avons cru devoir rendre ainsi l'expression capillo myrteo. Les feuilles du myrte sont d'un vert foncé, ovales et odorantes. Les deux premières qualités ne conviennent point à une chevelure.

(26) In hostem atrocem, cruel envers l'ennemi, ou dont l'ennemi n'avait à espérer aucun quartier.

(27) C'est ce que nous appellerions, dans le style familier; un crâne, un cerveau brûlé.

(28) Il faut lire ex Ormeno, d'Ormène. La même observation est à faire pour Dictys de Crète.

(29) Il est faux qu'Antiphus soit venu de l'Élide; Homère le joint à Phidippe, et dit que tous deux amenèrent trente vaisseaux des îles de Nisyras, de Carpathos, de Casos et de Cos : Dictys dit la même chose.

(30) C'est d'Argisse, selon Homère.

(31) Homère et Dictys lui en donnent quarante.

(32) Je ne sais par quelle raison Darès fait Calchas Phrygien. Porphyre le fait naître dans l'île d'Eubée et fils d'Abas.

(33) Darès a raison de ne pas parler du sacrifice d'Iphigénie : son récit est plus conforme à la vérité historique. Homère n'en dit pas un mot.

(34) On ne sait quelle était cette ville : sans doute il fallait qu'elle fût située sur le rivage de la mer. Était-elle dans une île ou en Thrace ?

(35) Dictys raconte les faits bien différemment, et son récit est plus conforme à la tradition et à l'histoire. Voyez le commencement du liv. II.

(36)  Ce Diomède, différent de celui qui combattit à Troie dans l'année des Grecs était fils de Mars d de Cyrène, et roi de Thrace. Les poètes ont imaginé que ses cavales se nourrissaient de chair humaine. Il fut tué par Hercule. Voyez à ton sujet ce qu'en disent Apollodore et Hygin. Darès tâche d'accommoder cette fable à l'histoire, lorsqu'il dit que ces cavales étaient extrêmement vigoureuses et féroces. Palaephatus mérite plus de croyance en disant que Diomède avait une si grande passion pour les chevaux, qu'il consuma tout son bien pour les nourrir. Ainsi Actéon fut dévoré par ses chiens.

(37)  Voilà une déclaration de guerre précédée d'une négociation. Les Grecs n'étaient pas si barbares à l'époque de la guerre de Troie; il y avait un droit des gens qui empêchait que deux souverains on deux peuples ne se fissent la guerre avant que l'un eût exposé ses griefs à l'autre. L'institution des féciaux chez les Èques, ensuite chez les Romains, est un beau témoignage ta faveur de l'antique existence de ce droit.

(38)  Dictys place Mopsus au nombre des généraux grecs : il se trompe aussi. Ce Mopsus ne se trouva ni parmi les Grecs, ni parmi les Troyens.

(39) Selon Homère, Pyléus était le compagnon d'Hippothoüs

(40) Darès joint ici à Rhésus, Archiloque, qu'Homère donne pour compagnon à Enée, et fait fils d'Anténor.

(41) Plus haut, Darès avait fait venir de Zélios Amphion et Adraste, avec Pandarus. 

(42) Personne, que je sache, ne connaît ou le pays, ou l'île, ou la ville de Cormus.

(43) Anius était roi de Délos et prêtre d'Apollon.  C'est de lui que parle Virgile dans le troisième livre de son Enéïde :

Egressi, veneramur Apollinis urbem.
Rex Anius, rex idem hominum Phoebique saceerdos, etc.

Voyez la fin du premier livre de Dictys.

(44) Ceci est contraire à ce que dit Homère, savoir que tes Troyens marchaient au combat en poussant de grands cris, comme des oiseaux de proie, et que les Grecs gardaient le silence. C'était aussi la coutume de tous les Asiatiques, de crier en combattant. C'est encore celle des Cosaques, et autres barbares sous la domination de le Russie.

(45) C'est contre la vérité de l'Histoire, que Darès avance que Patrocle ne fut tué pat Hector que dans le deuxième combat.

(46) Darès est le seul qui parle de cette reconnaissance d'Hector et d'Ajax. Nous ajouterons ici une réflexion : c'est que si Ajax, fils de Télamon, était aussi fils d'Hésione, soeur de Priam, comme il devait voir au moins vingt-quatre ans, cette princesse devait être âgée au moins de quarante ans. Il s'était donc écoulé depuis la mort de Laomédon à peu près vingt-cinq ans. Si Hésione n'avait que quinze ou seize ans lorsqu'elle fut enlevée, voilà donc une génération entière employée en préparatifs, soit par Priam contre les Grecs, soit par les Grecs contre Priam.

(47) Cette trêve et la plupart des autres qui la suivirent jusqu'à la prise de Troie, ont bien l'air d'avoir été imaginées pour remplir, avec les combats, l'espace de dix ans qu'a duré, dit-on, le siège de cette ville célèbre. Néanmoins, il est à remarquer que si notre auteur, le prétendu Darès, avait voulu inventer une histoire à plaisir, il n'aurait pas sans cesse répété la même formule, sans manquer totalement d'imagination, car il lui aurait été bien aisé de trouver des épisodes propres à remplir son cadre. Cette simplicité, si cette histoire est supposée, est peut-être le piège le plus dangereux qu'il pût tendre à ses lecteurs. On a le même reproche à faire à Dyctis. Le siège de la ville de Véies par les Romains dura aussi dix ans ; mais ce n'était qu'un blocus.

(48) Ce Boétès est inconnu. Homère ne parle nulle part de la mort d'Archiloque, et dit que Proténor fut tué par Polydamas.

(49) Epistrophe et Schédius étaient tous deux chefs des Phocéens. Homère dit bien que Schédius fut tué par Hector, mais il ne parle nulle part d'Epistrophe. Pour Elpénor, il en est fait mention dans l'Odyssée, l. X.. Il mourut dans le palais de Circé, d'une chute qu'il avait faite d'un toit sur lequel il était monté. Dorius, qu'on ne trouve qu'ici, est peut-être le même que Diorès, qu'Homère fait mourir d'une autre main que de celle d'Hector.

(50) Ici Darès a changé le trait relatif à Ulysse et à Diomède. La vérité est qu'ils se rendirent de nuit, comme espions, au camp des Troyens; et qu'ils arrêtèrent Dolon qui, avec les mêmes intentions, se rendait à celui des Grecs.

(51) Homère ne parle point de la mort de Phidippe et d'Antiphus. Mérion avait déjà été tué par Hector.

(52) Homère dit aussi qu'Achille tua Lycaon, qui était fils de Priam; mais il rapporte qu'Euphorbe fut tué par Ménélas, près du cadavre de Patrocle. Euphorbe était fils de Panthée.

(53) Darès a lié deux événements qu'Homère a séparés. Dans le livre ζ de l'Iliade, il fait paraître Andromaque accompagnée de son fils Astyanax, conjurant Hector de ne point aller combattre; et dans le livre X il montre Priam et Hécube faisant tous leurs efforts pour retenir ce héros.

(54) Aucun auteur n'a jamais parlé d'un Ejonée, en racontant l'histoire de la guerre de Troie. Il y a bien en un Ejonée, père de Rhésus, mais il n'assista pas à cette guerre; s'il y avait assisté, il aurait combattu dans les rangs des Troyens.

(55) D'autres disent que Memnon avait été tué par Hector dans un des combats précédents. Voyez Dictys.

(56) Ainsi, dans ces temps reculés, on n'enterrait pu les morts dans l'enceinte des villes. Il faut encore remarquer que Darès est le seul qui parle de cette circonstance. Personne n'ignore qu'Achille enleva le corps d'Hector après l'avoir tué, et le traîna, attaché à son char autour des murs de Troie: c'est le sentiment de madame Dacier; mais ne peut-on pas dire, pour la justification de Darès, que Priam rendit les honneurs à Hector, après avoir racheté son corps du féroce Achille ? Le seul reproche qu'on aurait à lui faire, ce serait donc de n'avoir pas parlé de cet événement, qui néanmoins en valait bien la peine.

(57) Ces sentiments d'Agamemnon sont fort beaux, fort nobles, pour un prince de la race d'Atrée et de Thyeste; c'est bien dommage qu'il n'ait jamais tenu un pareil discours, Palamède n'ayant jamais en le commandement général de l'armée des Grecs. Voyez la note 59.

(58) Darès a déjà parlé d'un certain Persès, compagnon de Memnon, comme d'un auxiliaire des Troyens : si c'est le même, comment a-t-il pu prendre la place de Tlépolème pour combattre Sarpédon, allié de Priam ?

(59)  Ici madame Dacier a l'air de s'étonner qu'Agamemnon, ci-devant généralissime des Grecs, ait été chargé par Palamède de faire venir des vivres de la Mysie, et qu'il ait accepté une telle commission. La mauvaise humeur qui a dicté les notes de cette femme savante sur Darès de Phrygie, l'a empêché de remarquer que, dans l'hypothèse où Agamemnon aurait cédé le commandement à Palamède, il serait rentré dans la classe des subordonnés, et qu'en cette qualité il aurait dû ou accepter cette commission, ou se rendre coupable de désobéissance, ou s'en retourner à Mycènes. Tout ce qui précède et tout ce qui suit fait honneur au caractère d'Agamemnon, et donne la raison pour laquelle les princes grecs l'avaient choisi pour leur chef entre tant de rois et de princes.

(60) Il faut remarquer cette circonstance: le jour anniversaire de la mort d'Nector, Priam et Hécube se rendent à son tombeau. Pourquoi ? sans doute pour y offrir un sacrifice. Voilà donc l'anniversaire de la mort d'un homme célébré dans la plus haute antiquité; voilà donc un culte mortuaire, une croyance implicite de l'immortalité de l'âme chez des peuples païens, et dans le même temps que Jephté était juge en Israël. Nous ne voyons pas dans l'histoire romaine que Ies Romains aient jamais offert des sacrifices pour célébrer l'anniversaire de la mort d'un citoyen.

(61) Dictys rapporte que Déiphobe fut tué par Ménélas.

(62) Darès est le seul qui dise que Palamède fut tué par Alexandre. Dictys rapporte qu'il fut tué en trahison par Diomède et Ulysse. Voyez à ce sujet le discours de Sinon, dans le second livre de l'Enéïde.

(63) Ceci est emprunté d'Homère et de Dictys; il n'y a que le temps de changé.

(64) Déjà on a dû remarquer que Priam et Agamemnon ne prennent aucune résolution importante sans avoir consulté les chefs de l'armée : il arrive aussi que, de temps en temps, Agamemnon assemble l'armée, exercitum; et Priam lui-même a convoqué une fois l'assemblée du peuple troyen, pour lui rendre compte des mauvais traitements qu'Anténor avait éprouvés en Grèce.

(65) Dictys nous apprend que les Troyens, après avoir brûlé le corps de Memnon, enfermèrent ses cendres dans une urne, et les envoyèrent dans sa patrie.

(66) D'autres que Darès prétendent que ce fut Hélénus qui prédit aux Grecs que la ville de Troie serait prise par Néoptolème. Voyez Sophocle dans son Philoctète, et Tzetzés sur Lycophron.

(67) L'auteur d'un argument sur l'Ajax de Sophocle parle ainsi : « Les sentiments des auteurs sur la mort d'Ajax diffèrent entre eux Les uns disent qu'ayant été blessé par Pâris, il retourna dans le camp, perdant tout son sang par la blessure qu'il avait reçue; les autres assurent que les Troyens avaient été avertis par un oracle de l'attaquer avec de la boue, parce qu'il ne pouvait être blessé avec le fer, et que c'était de ce genre de mort qu'il avait péri. D'autres enfin soutiennent qu'il se tua lui-même; et c'est ainsi que Dictys rapporte sa mort.

(68) Ceci est conforme à ce que dit Homère; mais Euripide, dans sa Troade, dit qu'après  la mort de Pâris, elle essaya souvent de sortir de Troie pour se rendre dans le camp des Grecs, et que, comme elle tâchait un jour de descendre des murailles avec des cordes, elle fut surprise par les sentinelles , et ramenée dans la ville. Auquel des deux ajouter foi?

(69). Selon Dictys, Penthésilée arriva au secours des Troyens avant la mort d'Hector, qui fut tué par Achille comme il allait au-devant de cette reine.

(70) Tous les autres historiens disent que Penthésilée fut tuée par Achille; et Dictys nous apprend que son corps fut jeté par Diomède dans le Scamandre.

(71) Les anciens avaient dans leurs maisons de petites idoles auxquelles ils offraient des sacrifices domestiques. Nous lisons dans Virgile qu'Enée emporta avec lui sa dieux pénates lorsqu'il sortit de Troie; et dans l'Écriture sainte, que Laban poursuivit Jacob, parce qu'il le soupçonnait de lui avoir enlevé ses dieux.

(72) Cette tête de cheval, représentée sur la porte de Scée, est une chose plus vraisemblable, que le fameux cheval de bois de l'Enéïde, dont parle aussi Dictys.

(73). On ne lit que dans Darès, qu'Hélénus conseilla aux Troyens de faire élever un tombeaux à Achille; ceci contredit encore ce qu'il a dit plus haut, savoir qu'Hélénus obtint que le corps de ce héros serait rendu aux Grecs.

(74) Dictys prétend qu'Énée resta dans la ville de Troie, et qu'il n'en fut chassé par Anténor que quelque temps après. Virgile le fait partir la nuit même où les Grecs y firent leur entrée.

(75) Il y a dans l'original, Aeneas cum suis omnibus navibus proficiscisur, Antenori terram tradidit. Est-ce Agamemnon qui abandonne à Anténor le territoire de Troie, ou bien est-ce Enée? Nous avons dit que c'était Énée. Néanmoins Anténor partit quelque temps après pour aller fonder une ville en Italie; au fond du golfe Adriatique.

(76) Selon d'autres écrivains, Hélénus et Andromaque tombèrent en partage à Néoptolème, Hécube à Ulysse, et Cassandre à Agamemnon.

(77) Ce qui suit a donc été composé par un autre que Darès. Cependant l'auteur de l'épître qui se trouve en fin de cet ouvrage dit qu'il n'en a rien retranché et n'y a rien ajouté.

(78) On ne sait rien de positif sur la durée du siége de Troie. Ce qu'il y a de certain, c'est que cette ville fut prise dans la pleine lune, un peu avant le solstice d'été, l'an du monde 2767. C'est le sentiment de Scaliger dans sa Chronologie. Jephté était alors juge en Israël.

(79) Tant de milliers d'hommes ne combattirent jamais ensemble dans les champs troyens.  On doit penser que les Grecs, qui n'étaient qu'au nombre de cent mille, et que les Troyens, qui ne passaient pas cinquante mille, étaient sans cesse remplacés par d'autres, à mesure que les combats les faisaient périr sur le champ de bataille.