COSMAS DE PRAGUE
CHRONIQUE DES BOHEMIENS
Oeuvre numérisée et traduite (en partie) par Marc Szwajcer
Cosmas de Prague (environ 1045 – 21 octobre 1125) est un ecclésiastique de Bohême, un écrivain, historien et chroniqueur né dans une famille noble de Bohême. Entre 1075 et 1081, il étudie à Liège. À son retour en Bohême, il épouse Božetěcha avec laquelle il a probablement un fils et devient prêtre. En 1086, Cosmas est nommé prébendier de Prague, une position qui lui assure des revenus élevés. À ce titre, il voyage fréquemment en Europe.
Il est l'auteur de la Chronica Boemorum (Chronique des Bohémiens), la principale source historique concernant les débuts des Slaves en Bohême et qui se divise en trois livres :
· le premier, achevé en 1119, commence avec la création du monde et s'achève en l'an 1038. Il décrit la fondation de l'État tchèque par les premiers Slaves de Bohême aux alentours de l'an 600 et la fondation de la dynastie des Přemyslides avec Přemysl et son épouse Libuše,
· le deuxième décrit les années 1038 – 1092 ont pour sujet les règnes de Břetislav Ier et Vratislav II,
· le troisième livre couvre la période 1092 – 1125 et la guerre civile qui éclate à la mort de Vratislav II. Il s'achève avec le règne de Vladislav Ier, en 1125, année de la mort de Cosmas.
Cette chronique n’est historique que pour le XIe siècle.
Cosmas PragensisCHRONICA BOHEMORUM.INCIPIT PROLOGUS AD SEVERUM MELNICENSEM PRAEPOSITUM.Domno Melnicensis ecclesiae praeposito Severo, tam litterali scientia quam spirituali intelligentia praedito, Cosmas Pragensis ecclesiae solo nomine decanus, post hujus vitae stadium in celesti regno bravium. Quanta mentis meae devotione ac dilectione vestrae fraternitati substernor, Deum testor, eloqui nequeo. Neque enim est magna dilectio, quam humana comprehendit ratio. Dilectio enim vera nichil proprium, nichil secretum aut occultum habere quit, quod non ei promat, quem sincero affectu diligit. Ea mihi nisi affuisset, nequaquam tantae auctoritatis viro haec mea senilia deliramenta offerre praesumpsissem. Quaerens enim quaesivi, quid jocundum, quid ociosum vobis offerrem: set nichil tam ridiculosum quam opusculum meum inveni. Si enim suaviter ridemus, cum aliquem offendi pede ad lapidem videmus, quot in hoc opere meas offensiones, quot grammaticae artis synalimphas videbitis; de quibus si per singula ridere velitis, ultra modum potestis uti proprietate hominis. Sive enim vobis soli hee seniles nugae placeant sive displiceant, rogo ne tercius eas oculus videat. ITEM AD MAGISTRUM GERVASIUM PRAEFATIO OPERIS SUBSEQUENTIS.Liberalium arcium quibusque studiis pleniter inbuto, et omnimodae scientiae sapientia delibuto, archigerontae Gervasio, Cosmas, quod dicitur haud dici dignus, Deo tamen et sancto Wenceslao famulantium famulus, debitae orationis munus et mutuae dilectionis pignus. Cum acceperis hanc scedulam, scias quod tibi transmiserim Boemorum chronicam, quam ego nullo grammaticae artis lepore politam, set simpliciter et vix lacialiter digestam, tuae prudenciae singulari examinandam deliberavi, quatinus tuo sagaci judicio aut omnino abjiciatur ne a quoquam legatur: aut si legi adjudicatur, lima tuae examinationis ad unguem prius elimetur, aut potius, quod magis rogo, per te ex integro lacialius enucleetur. Nam id solum operae precium duxi in meo opere, ut vel tu, cui a Deo collata est sapientia, vel alii pociores sapientia vel scientia, sicut Virgilius habuit Trojae excidia, et Stacius Aeacida, ita ipsi hoc meum opus habeant pro materia, quo et suam scientiam posteris notificent, et nomen sibi memoriale in secula magnificent. Igitur hujus narrationis sumpsi exordium a primis incolis terrae Boemorum, et perpauca quae didici senum fabulosa relatione, non humanae laudis ambitione, set ne omnino tradantur relata oblivioni, pro posse et nosse pando omnium bonorum dilectioni. Bonis et peritis semper placere cupio ; idiotis autem et discolis displicere non pertimesco. Scio enim nonnullos affore aemulos, et eos emori risu subsannationis, cum viderint scema hujus operationis; qui tantummodo docti sunt aliis derogare, et ipsi per se nichil sapiunt erogare. De talibus canit propheta: Sapientes sunt ut faciant mala, bene autem facere nesciunt (Jerem. IV, 22). Hii namque ea solummodo linceis oculis inspiciunt, et in corde suo, velut in adamante, figunt memoriter quae dicta sunt inproprie, aut ubi mens mea dormitans titubavit. Quid mirum? Quandoque bonus dormitat Homerus. Horum ergo nec invidiosis derogationibus perterreor, nec yronicis adulationibus permulceor: qui volunt, legant, qui nolunt, abjiciant. Tu autem, frater karissime, si me tuum amicum diligis, si meis precibus tangeris, praecinge lumbos mentis et accipe in manum rasorium, calcem et calamum, ut quod superest radas, et quod non est desuper addas, inproprie dicta proprietate muta ; ut sic mea inscientia tua sublevetur facecia. Non enim ab amico corrigi erubesco, qui etiam ab amicis nimio affectu emendari exposco. Continet autem hic liber primus Boemorum gesta, prout mihi scire licuit, digesta usque ad tempora primi Bracislavi filii ducis Odalrici. Annos autem dominicae incarnationis idcirco a temporibus Borivoy primi ducis catholici ordinare coepi, quia in initio hujus libri nec fingere volui, nec cronicam reperire potui, ut, quando vel quibus gesta sint temporibus scirem, quae ad praesens recitabis in sequentibus. Vale et tuo jussu aut me ad cetera evolvenda praecingam, aut ibi gradum sistam et meis ineptis modum figam coeptis. Vive, vale, mea ne rennues optata, set imple. Est autem haec chronica composita regnante quarto Heinrico Romano imperatore, et gubernante sanctam ecclesiam Dei papa Kalisto sub temporibus ducis Boemorum Wladizlay, simul et praesulis Pragensis ecclesiae Hermanni, ut in sequentibus datur omnibus scire volentibus, quibus sint acta annis Christi vel indictionibus. |
COSMAS DE PRAGUECHRONIQUE DES BOHEMIENSPROLOGUEIci commence le prologue adressé à Sévère. Au seigneur Sévère Prévôt de l'Eglise de Melnick : aussi distingué par la science des lettres, que par l'intelligence spirituelle. Cosme, Doyen titulaire de l'Eglise de Prague lui souhaite, qu'après avoir couru dans le stade de cette vie, il en reçoive le prix dans le royaume du ciel. Quelle est la dévotion & la dilection de ma pensée, lorsque je me prosterne devant votre paternité : c'est une chose dont je prends Dieu à témoin & que je ne puis exprimer : & il faut qu'une dilection ne soit pas grande lorsque la raison humaine la peut comprendre : car une véritable dilection ne peut rien avoir à soi, rien de secret ou de caché, qu'elle ne veuille aussitôt en faire part à celui qu'elle aime d'une affection sincère : or si je ne ressentais pas une semblable affection, je n'aurais jamais osé offrir à un homme d'une aussi grande autorité, ces radotages de ma vieillesse. J'ai voulu vous présenter quelque chose de gracieux & d'oiseux & je n'ai rien trouvé de plus ridicule que ce petit ouvrage. Mais puisque nous rions lorsque nous voyons quelqu'un se heurter le pied contre une pierre, vous pourrez rire aussi lorsque vous me verrez heurter les règles de la grammaire. Des quelles choses, si vous voulez rire, je vous permets d'user à cet égard de la propriété de l'homme : mais soit que ces niaiseries de ma vieillesse vous plaisent, ou ne vous plaisent pas je vous prie que l'œil d'un tiers ne les voie points PREFACEPréface adressée à Maître Gervaise.[1] A l'Archi-géronte Gervasius savant dans les études & les arts libéraux & imbu de toute sagesse. Cosme, le serviteur de ceux qui fervent Dieu & St Wenceslas, lui présente ce gage d'une mutuelle affection. Lorsque vous recevrez cette cédule, fâchés qu'elle contient la chronique des Bohèmes, que j'ai écrite non avec l'élégance grammaticale, mais avec négligence & simplicité : je charge de son examen votre prudence singulière. Si vous la rejetez elle ne sera lue par qui que ce soit, mais, si vous la jugez digne de l'être, que la lime de votre critique commence par y passer ou plutôt changez le tout autant qu'il sera possible. Car selon moi le seul mérite de mon ouvrage, c'est que vous à qui le ciel donné la sagesse ou quelque autre remarquable par la science, vous pourrez la faire passer à la postérité & vous faire un nom mémorable en prenant ici votre sujet : & c'est ainsi que Virgile, s'est servi de la ruine de Troie & Stace des Eacides. Or donc je commence ma narration par les premiers habitants de la terre des Bohèmes & le peu que j'ai appris, par les relations fabuleuses des anciens je le place ici, non par l'ambition des louanges humaines, mais afin que ces choses ne soient point livrées à l'oubli. Je désire de plaire aux bons & aux habiles & je ne crains pas de déplaire aux idiots & aux méchants. Je sais qu'il y a des envieux qui mourront de rire, lorsqu'ils verront le plan de cet ouvrage : ce sont des gens, qui empêchent les autres & ne savent rien faire eux mêmes. C'est de ceux là que le prophète dit : Ils sont savants à mal faire & ne savent pas faire le bien. Si je dis quelque chose improprement, ou que ma pensée sommeille un peu : ils ont des yeux de lynx pour l'apercevoir & ils le gravent dans leur mémoire comme dans du diamant Et bien, qu'y a-t-il à cela de singulier : le bon Homère s’endort aussi quelquefois : Mais je ne suis point effrayé de leurs envieuses déhortations & je ne me laisse point traire par leurs adulations ironiques. Ceux qui le veulent n'ont qu'à le lire : ceux qui n’en veulent pas, n'ont qu'à le laisser. Mais pour vous mon très cher frère, si vous m'aimez comme un ami, si vous êtes touché par mes prières, mettez vous à l'ouvrage, prenez en main le canif, la chaux & la plume. Effacez ce qu'il y a de trop, ajoutez ce qui manque ; Ce qui est dit improprement, changez-le en y mettant l'expression propre, afin qu'ainsi mon ignorance soit corrigée par la douceur car je ne dois pas rougir des corrections d'un ami, moi qui m'expose à celle de mes ennemis. Or ce livre premier contient les faits des Bohèmes, aussi bien que j'ai pu les savoir, jusques au règne de Brzieczyslaw premier, fils du Doc Odalric. Quand aux années de l'incarnation de Jésus Christ, je n'ai commencé à les compter, qu'aux temps de Borziwog premier Duc Catholique : car pour les temps compris dans les commencements de ce livre, je n'ai pas voulu les imaginer ; & je n'ai pu trouver aucune chronologie pour les événements que j'y raconte. Adieu. J'attends vos ordres pour continuer mon ouvrage ou pour m'arrêter & mettre fin à mes ineptes conceptions — ? Vivez, portez vous bien & ne vous refusez pas à mes vœux. Et cette Chronique a été composée sous le règne de Henri IV, Empereur des Romains ; le Pape Calixte gouvernait l'Eglise de Dieu. Wladislas était Duc des Bohèmes ; Hermann était le chef de l'Église de Prague. ********************** |
INCIPIT PRIMUS LIBELLUS IN CHRONICAM BOEMORUM QUAM COMPOSUIT COSMAS PRAGENSIS ECCLESIAE DECANUS1. Post diluvii effusionem, post virorum maligna mente turrim aedificantium confusionem, humanum genus, quod tum fere constabat in 72 viris, pro tam illicitis et temerariis ausis cum divina ultione quot capita virorum tot in diversa linguarum genera dividerentur, sicut historica relatione didicimus, unusquisque eorum vagus et profugus, longe lateque dispersi, per diversa spacia terrarum errabant, ac de die in diem corpore decrescentes, in generationes et generationes multipliciter crescebant. Unde humanum genus, Dei nutu omnia disponente, in tantum diffusum est per orbem terrae, ut post multa secula tandem has etiam in partes deveniret Germaniae: cum enim omnis illa regio sub arctoo axe Thanaytenus et usque ad occiduum sita, licet in ea singula propriis loca nominibus nuncupentur, generali tamen vocabulo Germania vocitatur. Ad hoc ista retulimus, ut nostrae intentionis melius exequi possimus propositum. Veruntamen interim, priusquam ad exordium narrationis veniamus, situm terrae hujus Boemicae, et unde nomen sit sortita, breviter exponere temptabimus. 2. In divisione orbis secundum geometricos Asia nomine sub suo dimidium mundi obtinuit, et dimidium Europa et Affrica. In Europa sita est Germania, cujus in partibus versus aquilonalem plagam est locus late nimis diffusus, cinctus undique montibus per gyrum, qui mirum in modum extenduntur totius terrae per circuitum, ut in aspectu oculorum quasi unus et continuus mons totam illam terram circucat et muniat. Hujus terrae superficiem tunc temporis vastae tenebant solitudines nemorum sine habitatore hominum; nimis tamen sonorae erant examinibus apum et diversarum modulationibus volucrum. Ferae silvarum innumerae ceu maris harenae, vel quot sunt stellae in aethere, nec ab ullo per territae errabant per devia terrae, et bestiarum gregibus vix sufficiebat tellus. Ad numerum locustarum aestate per arva saltantium, vix poterant aequiparare armenta jumentorum. Aquae illic nimis perspicuae et ad humanos usus sanae; similiter et pisces, suaves et ad comedendum salubres. Mira res, et unde perpendere potes quam in alto aere haec pendeat regio, cum nulla peregrina hanc influat aqua, set quotquot amnes, parvi et immanes ex diversis montibus orti, a majori aqua quae dicitur Labe recepti, usque aquilonale fluunt in mare. Et quia haec regio tempore in illo intemptata jacebat aratro, et homo qui temptaret adhuc eam non intrarat, de fertilitate sive sterilitate ejus magis placuit tacere, quam inexpertam rem dicere. Has solitudines quisquis fuit ille hominum-- incertum est quot in animabus--postquam intravit, quaerens loca humanis habitationibus oportuna, montes, valles, tesqua, tempe visu sagaci perlustravit, et ut reor, circa montem Rip, inter duos fluvios, scilicet Ogram et Wlitavam, primas posuit sedes, primas fundavit et aedes, et quos in humeris secum apportarat, humi sisti penates gaudebat. Tunc senior, quem alii quasi dominum comitabantur, inter cetera suos sequaces sic affatur: O socii non semel mecum graves labores per devia nemorum perpessi, sistite gradum, vestris penatibus litate libamen gratum, quorum opem per mirificam hanc vobis olim fato praedestinatam tandem venistis ad patriam. Haec est illa, haec est illa terra, quam saepe me vobis promisisse memini, terra obnoxia nemini, feris et volatilibus referta, nectare mellis et lactis humida, et ut ipsi perspicitis, ad habitandum aere jocunda. Aquae ex omni parte copiosae, et ultra modum piscosae. Hic vobis nichil deerit, quia nullus vobis oberit. Set cum haec talis, tam pulchra ac tanta regio in manibus vestris sit, cogitate aptum terrae nomen quod sit. Qui mox quasi ex divino commoniti oraculo: Et unde, inquiunt, melius vel aptius nomen inveniemus, quam, quia tu o pater diceris Boemus, dicatur et terra Boemia? Tunc senior motus sociorum augurio, coepit terram osculari prae gaudio, gaudens eam ex suo nomine nuncupari; et surgens ac utrasque palmas tendens ad sidera, sic orsus est loqui: Salve, terra fatalis, mille votis quaesita nobis, olim diluvii tempore viduata homine, nunc, quasi monimenta hominum, nos conserva incolomes, et multiplices nostram sobolem a progenie in progenies. 3. Quorum autem morum, quam honestorum vel quantae simplicitatis et quam admirandae probitatis tunc temporis fuerint homines, quamque inter se fideles et in semetipsos misericordes, cujus etiam modestiae, sobrietatis, continentiae, si quis his modernis hominibus valde contraria imitantibus pleno ore narrare temptaverit, in magnum deveniret fastidium. Propterea haec praetermittimus, et pauca, ac quae sunt vera, illius primae aetatis de qualitate dicere cupimus. Felix nimium erat aetas illa, modico contenta sumptu, nec tumido inflata fastu. Cereris et Bachi munera haud norant quia neque erant. Sera prandia solvebant glande vel ferina carne. Incorrupti latices haustus dabant salubres. Ut solis splendor vel aquae humor, sic arva et nemora, quin etiam et ipsa connubia erant illis communia Nam more pecudum singulas ad noctes novos incunt hymeneos, et surgente aurora trium gratiarum copulam et secreta amoris rumpunt vincula; et ubi nox quemque occuparat, ibi fusus per herbam, frondosae arboris sub umbra dulces carpebat somnos. Lanae vel lini eis usus ac vestis ignotus, hieme ferinis aut ovinis pellibus utuntur pro vestibus. Nec quisquam meum dicere norat, set ad instar monasticae vitae, quicquid habebant, nostrum ore, corde et opere sonabant. Ad stabula non erant repagula, nec portam inopi claudebant, quia neque fur, neque latro, neque inops quisquam erat; nullum scelus aput eos furto gravius et latrocinio. Nullius gentis arma videre, tantummodo sagittas, et has propter feriendas feras habuere. Quid plura? Proh dolor! prospera in contraria, communia in propria cedunt; securam paupertatem olim amabilem quasi coenosam rotam vitant et fugiunt, quia amor habendi saevior ignibus Aethnae in omnibus ardet. His ac talibus malis emergentibus, de die in diem pejus et pejus injuriam, quam nemo prius inferre norat, alter ab altero sibi illatam patienter sufferebat, et cui querimoniam suam apploraret, judicem nec principem habebat. Post haec quicumque in sua tribu vel generatione, persona, moribus potior et opibus honoratior habebatur, sine exactore, sine sigillo, spontanea voluntate ad illum confluebant, et de dubiis causis ac sibi illatis injuriis salva libertate disputabant. Inter quos vir quidam oriundus extitit nomine Crocco, ex cujus vocabulo castrum jam arboribus obsitum in silva, quae adjacet pago Stibrene, situm esse dinoscitur. Vir fuit hic in suis generationibus ad unguem perfectus, rerum secularium opulentia praeditus, judiciorum in deliberatione discretus, ad quem tam de propriis tribubus quam ex totius provinciae plebibus velut apes ad alvearia, ita omnes ad dirimenda convolabant judicia. Hic tantus vir ac talis, expers virilis fuit prolis; genuit tamen tres natas, quibus natura non minores, quam solet viris, sapientiae dedit divitias. 4. Quarum major natu nuncupata est Kazi, quae Medeae Colchicae herbis et carmine nec Paeonio magistro arte medicinali cessit; quia saepe Parcas cessare interminali ab opere Ipsaque fata sequi fecit sua carmine jussa. Unde et incolae hujus terrae, quando aliquid est perditum, et quod se posse rehabere desperant, tale proverbium de ea ferunt: Illud nec ipsa potest recuperare Kazi. Ad Cereris natam haec est ubi rapta tyrannam, ejus usque hodie cernitur tumulus, ab incolis terrae ob memoriam suae dominae nimis alte congestus, super ripam fluminis Mse, juxta viam qua itur in partes provinciae Bechin, per montem qui dicitur Osseca. Laude fuit digna set natu Tetcka secunda, Expers et maris, emunctae femina naris, quae ex suo nomine Tethin castrum natura loci firmissimum, praeruptae rupis in culmine juxta fluvium Msam aedificavit. Haec stulto et insipienti populo Oreadas, Driadas, Amadriadas adorare et colere, et omnem superstitiosam sectam ac sacrilegos ritus instituit et docuit; sicut hactenus multi villani velut pagani, hic latices seu ignes colit, iste lucos et arbores aut lapides adorat, ille montibus sive collibus litat, alius quae ipse fecit ydola surda et muta rogat et orat, ut domum suam et se ipsum regant. Tertia natu minor set prudentia major, vocitata est Lubossa, quae etiam urbem tunc potentissimam juxta silvam quae tendit ad pagum Stebecnam construxit, et ex suo nomine eam Lubossin vocitavit. Haec fuit inter feminas una prorsus femina in consilio provida, in sermone strennua, corpore casta, moribus proba, ad dirimenda populi judicia nulli secunda, omnibus affabilis set plus amabilis, feminei sexus decus et gloria, dictans negotia providenter virilia. Set quia nemo ex omni parte beatus, talis ac tantae laudis femina, heu dira conditio humana! fuit phitonissa. Et quia populo multa et certa praedixit futura, omnis illa gens commune consilium iniens, patris ejus post necem hanc sibi praefecit in judicem. Ea tempestate inter duos cives, opibus et genere eminentiores et qui videbantur populi esse rectores, orta est non modica litigio agri contigui de termino. Qui in tantum proruperunt in mutuam rixam, ut alter alterius spissam unguibus volaret in barbam, et nudis convitiis semetipsos turpiter digito sub nasum confundentes, intrant bachantes curiam, ac non sine magno strepitu adeunt dominam, et ut ratione justitiae dubiam inter eos dirimat causam suppliciter rogant. Illa interim, ut est lasciva mollities mulierum quando non habet quem timeat virum, cubito subnixa, ceu puerum enixa, alte in pictis stratis nimis molliter accubabat. Cumque per callem justitiae incedens, personam hominum non respiciens, totius controversiae inter eos ortae causam ad statum rectitudinis perduceret, tunc is, cujus causa in judicio non obtinuit palmam, plus justo indignatus terque quaterque caput concussit, et more suo terram ter baculo percussit, ac barbam pleno ore saliva conspergens exclamavit : O injuria viris haud toleranda! femina rimosa virilia judicia mente tractat dolosa. Scimus profecto quia femina sive stans seu in solio residens parum sapit, quanto minus cum in stratis accubat? Revera tunc magis est ad accessum mariti apta, quam dictare militibus jura. Certum est enim, longos esse crines omnibus set breves sensus mulieribus. Satius est mori, quam viris talia pati. Nos solos obprobium nationibus et gentibus destituit natura, quibus deest rector et virilis censura, et quos premunt feminea jura. Ad haec domina illatam sibi contumeliam dissimulans, et dolorem cordis femineo pudore celans, subrisit et: Ita est, inquit, ut ais; femina sum, femina vivo, set ideo parum sapere vobis videor, quia vos non in virga ferrea judico, et quonian sine timore vivitis, merito me despicitis. Nam ubi timor est, ibi et honor. Nunc autem necesse est valde, ut habeatis rectorem femina fortiorem. Sic et columbae olim albiculum milvum, quem sibi elegerant in regem, spreverunt, ut vos me spernitis, et accipitrem multo fortiorem sibi ducem praefecerunt, qui fingens culpas tam nocentes quam innocentes coepit necare et ex tunc usque hodie vescitur columbis accipiter. Ite nunc domum, ut quem vos cras eligatis in dominum, ego assumam mihi in maritum. Interea praedictas advocat sorores, quas non impares agitabant furores, quarum magica arte et propria ludificabat populum per omnia; ipsa enim Lubossa fuit, sicut praediximus, phitonissa, ut Chumaea Sybilla, altera venefica ut Cholchis Medea, tertia malefica ut Aeaeae Circes. Illa nocte quid consilii inierint illae tres Eumenides, aut quid secreti egerint, quamvis ignotum fuerit, tamen omnibus luce clarius mane patuit, cum soror earum Lubossa et locum ubi dux futurus latuit, et quis esset, nomine indicavit. Quis enim crederet quod de aratro sibi ducem praerogarent? Aut quis sciret, ubi araret qui rector populi fieret? Quid enim phitonicus furor nescit? Aut quid est, quod magica ars non efficit ? Potuit Sybilla Romano populo seriem fatorum fere usque in diem judicii praedicere, quae etiam, si fas est credere, de Christo vaticinata est, sicut quidam doctor in sermone suae praedicationis versus Virgilii ex persona Sibyllae de adventu Domini compositos introducit. Potuit Medea herbis et carmine saepe e coelo Hyperionem et Berecinthiam deducere; potuit ymbres, fulgura et tonitrua elicere de nubibus; potuit regem Eiacum de sene facere juvenem. Carmine Circes socii Ulixis conversi sunt in diversas ferarum formas, et rex Picus in volucrem, quae nunc dicitur picus. Quid mirum? Quanta egerunt artibus suis magi in Aegipto? qui pene totidem mira carminibus suis fecerunt, quot Dei famulus Moyses ex virtute Dei exhibuisse perhibetur. Hactenus haec.
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1. Après le déluge, après la confusion des hommes qui voulurent élever une tour avec mauvaise intention, le genre humain consistait en soixante et dix pères de famille dont chacun parlait une langue différente, juste punition des offenses multipliées qu’ils avaient faites à la divinité. Du moins voilà ce que nous en avons appris par l’histoire. Or donc chacun ayant une langue à lui, s'en alla errer de son côté, et les hommes dispersés décroissant de taille et se multipliant davantage de génération en génération, se répandirent tellement qu'il en vint même en Germanie. Car l’on appelle Germanie toute cette partie de la terre qui va depuis le pôle arctique jusques au Tanaïs, quoique chacun des pays qui y sont, aient leur nom particulier. Nous avons dit toutes ces choses, afin de mieux faire voir le but auquel nous tendons, mais avant que d'aller plus loin nous voulons expliquer la situation de la Bohème, et d'où lui est venu son nom. 2. Les géomètres divisent la terre en deux parties : ils donnent la moitié à l'Asie et l'autre moitié à l'Europe et à l'Afrique. La Germanie est située en Europe, et vers le nord de la Germanie est un pays très étendu, entouré de montagnes contiguës qui semblent au premier coup d'œil une seule montagne qui entoure ce pays comme un retranchement. Alors la surface de cette terre était couverte de vastes forêts sombres et solitaires ; l'on n'y entendait que le bourdonnement des abeilles et le chant varié des oiseaux, et les bêtes sauvages y étaient aussi nombreuses que le sable de la mer ou les étoiles du firmament. La terre suffisait à peine à nourrir leurs sauvages troupeaux, et ils y erraient tranquillement sans que rien ne leur inspirât de la terreur. L'on pourrait à peine y comparer le nombre des sauterelles qui s'élancent l'été sur les sillons. Les eaux y étaient pures et salutaires. Les poissons y sont d'un goût agréable, et très sains. Comme ce pays est suspendu dans les airs à une très grande hauteur, aucune rivière n'y entre de dehors, mais elles y ont leurs sources dans l'enceinte des montagnes, et reçues par la Laba (ou Elbe) elles vont porter leurs eaux à la mer du nord. Cette terre donc n'avait pas encore été entamée par la charrue, le soc n'y était point entré, non plus que l'homme qui devait y faire entrer le soc. Ainsi quelle fut alors sa fertilité ou sa stérilité, c'est une chose que personne ne peut savoir, et sur laquelle il vaut mieux se taire. Quel fut cet homme qui y entra le premier ? C’est une chose que l’on ne sait pas non plus, et l'on ignore aussi combien de monde il eut avec lui. Il cherchait des lieux propres à s'y établir, et son œil pénétrant parcourait les montagnes et les vallées. Quant à moi je crois qu'il s'établit d'abord sur le mont Rip, entre les deux fleuves Ogra et Wultawa, qu'il y bâtit les premières maisons et qu'il y posa les pénates qu’il avait apportés sur ses épaules. Alors lui qui était leur ancien et que les autres regardaient pour ainsi dire, comme leur maître, leur parla en ces termes : O mes compagnons qui m'avez suivi avec milles peines au travers des forêts privées de chemins, vous êtes arrivés dans cette patrie que les destins vous avaient promise, posez-y vos pénates, et offrez-leur des libations agréables, Voilà, voilà cette terre dont je vous ai parlé si souvent ; elle n'appartient à personne, les quadrupèdes et les oiseaux y sont en abondance, elle est baigné par le nectar du miel et par la douceur du lait, et l'air y est très agréable. Les eaux y abondent de toutes parts, et sont extraordinairement poissonneuses. Mais puisque cette région si belle vous appartient, songez à lui adonner un nom. -— Alors les autres comme inspirés par un oracle divin dirent tout à la fois : Et quel nom pouvons-nous lui donner, sinon le tien, ô père Bohémus ! Que Cette terre s'appelle donc Bohème.[2] — Alors leur ancien, inspiré du même oracle que ses compagnons, baisa cette terre ; puis élevant ses deux mains vers le ciel, il dit : Salut, ô terre tant de fois désirée, déserte depuis les temps du déluge, reçois nous comme un reste de genre humain, et multiplie notre race de génération en génération ! 3. Mais quelle fut alors l'honnêteté des mœurs, sa simplicité, la probité, la fidélité, la miséricorde, la sobriété et la continence ? C'est une chose qu'on ne peut dire aux hommes d'aujourd'hui, car ce serait à coup sûr les ennuyer. C'est pourquoi nous nous tairons sur toutes ces vertus, et nous contenterons de dire quelques circonstances que l'on nous a apprises sur la manière de vivre de ce premier âge. Age heureux où l'on savait se contenter de peu de chose sans s'enfler du faste de la vanité ! L'on ne connaissait point les dons des Bacchus et de Cérès. Les repas étaient composés de glands ou de la chair des bêtes sauvages, et des sources pures fournissaient une boisson salutaire. Cette eau était commune à tous, aussi bien que la lumière du soleil, et il en était de même des bois, des champs, et même des femmes. Car semblables aux bestiaux, ils passaient toutes les nuits à un nouvel hymen, et l'aurore en se montrant brisait les liens de fer de l'amour, et le nœud formé par les trois grâces, et trouvait le couple heureux, couché sous l'arbre touffu où la nuit l'avait surpris.[3] Ils ne connaissent ni la laine ni le lin, mais en hiver ils s'habillaient de peaux de mouton ou de bêtes sauvages. Ils ne savaient pas dire le mien, mais à l'instar des moines ils disaient le nôtre, et cette douce parole retentissait dans leur cœur, et se montrait dans leurs œuvres. Leurs étables n’avaient point de serrures, et leurs portes n’étaient point fermées aux pauvres ; car il n'y avait ni pauvres, ni voleurs ni jaloux. Nul crime ne leur paraissait aussi grand que le vol. Ils n'avaient aucune espèce d'armes, excepté des flèches pour tuer les bêtes sauvages. Oh douleur ! la prospérité se change en adversité, la communauté en propriété. Ils fuient la sécurité des pauvres, et l'amour du gain s'allume dans leurs âmes comme le feu dans les flancs de l'Etna. Les injures mutuelles se multiplièrent, et l'on n'avait aucun prince pour faire justice. Depuis l'usage s'établit d'aller chez la personne qui dans chaque tribu était la plus honorée, pour ses richesses et ses mœurs, et d'y plaider sa cause, sauf la liberté, et sans avoir besoin d'exacteur ni de sceaux.[4] Alors il y eut un homme de cette race appelé Croh, et il y a encore un château ruiné et recouvert par la forêt qui porte son nom, et qui est proche du bourg de Ztibene.[5] C'était l'homme le plus parfait de sa génération, amplement partagé des biens du siècle, discret dans la délibération de ses jugements et tout le monde accourait pour porter ses procès devant, lui de toutes les tribus voisines, comme les abeilles vont à la ruche. Cet homme eût trois filles auxquelles la nature libérale distribua la sagesse, en portions aussi grandes que sont d'ordinaire celles des hommes. 4. L'ainée de ces filles était appelée Kazi, et ne le cédait point à Médée de la Colchique dans la connaissance des herbes et des paroles magiques, ni au maître Péonien dans la science médicinale, et souvent elle avait arrêté les parques dans leur travail, et forcé le destin à lui obéir. Si bien qu'aujourd'hui même les habitants disent proverbialement d'une chose perdue : Kazi elle-même ne pourrait pas la retrouver. — Enfin Kazi alla rejoindre la fille de Cérès, et son tombeau se voit encore aujourd'hui sous un tertre de terre rapportée, sur les bords de l'Alsa, sur le chemin qui mené à la province ; de Bechin par la montagne Osseca.[6] La seconde fille s'appelait Tethka ; elle connaissait les hommes, et avait bon nez. Ce fut elle qui bâtit le château de Techin sur un rocher escarpé, près du fleuve Ossa. Ce fut elle qui enseigna un culte sacrilège, et apprit au peuple ignorant à adorer les oréades, les dryades[7] et les hamadryades ; et aujourd'hui encore beaucoup de paysans adorent des sources, des feux, des bosquets, des arbres ou des pierres. Les uns offrent un culte criminel à des montagnes ou à des collines ; d'autres fabriquent des idoles sourdes et muettes, et les prient de mettre sous leur garde eux et leurs maisons. La cadette par l'âge, mais l'ainée des trois sœurs par la raison s'appelait Lubossa, et ce fut elle qui bâtit la ville aujourd'hui si puissante qu'alors elle appela Lubossa, et qui était située proche de la forêt qui conduit au bourg de Zubecna. C’était une femme étonnante entre les femmes, prévoyante dans le conseil, forte dans le discours, chaste dans son corps, pure dans ses mœurs, unique pour juger les différends du peuple, affable pour tous, mais encore plus aimable, l'honneur du sexe féminin par son habileté à conduire et gouverner les hommes. Mais comme personne n'est également bien partagé en toutes choses, cette femme d'ailleurs si digne de louange, oh cruelle condition humaine ! le dirai-je ? cette femme était pythonisse. Et comme plusieurs de ses prédictions s'étaient vérifiées, et quelle se mêlait de tout, le peuple en fit son juge après la mort de son père. Or donc il arriva que deux hommes éminents par leur noblesse et leurs richesses eurent une dispute très vive au sujet de deux champs contigus, et en vinrent au point de mettre leurs ongles aigus dans les barbes épaisses l'un de l'autre ; ils se mirent le doigt sous le nez ; se dirent des injures toutes nues, et entrèrent avec un bruit bacchique dans la maison et la salle de justice de leur dame et maîtresse. Les femmes s'abandonnent volontiers à une mollesse lascive lorsqu'elles ne sont point retenues par la crainte d'un mari. Ainsi Lubossa était couchée sur des tapis peints, et de hauts matelas, s'appuyant négligemment sur son coude. Ce fut dans cette attitude qu’elle entra dans le sentier de la justice, et le suivit sans faire attention aux personnes qu'elle avait devant elle, mais seulement à la nature de leur cause, et enfin elle décida le procès en faveur de l'une des deux parties. Alors l’homme oui avait perdu, en fut indigné plus qu'il n'aurait dû. Il se donna des coups sur la tête trois ou quatre fois de suite, frappa la terre de son bâton, aspergea sa barbe de sa salive qu'il crachait à pleine bouche, et puis il dit : O injure que des hommes ne sauraient souffrir ! une femme astucieuse juge les intérêts des hommes ! Nous savons tous très bien qu'une femme a peu de bon sens, soit qu'elle soit debout ou assise, mais elle doit en avoir encore bien moins lorsqu'elle est couchée sur des matelas. Alors elle est propre à recevoir un mari, mais non pas à donner des lois à des guerriers. Les femmes ont les cheveux longs, et le jugement très court. Des hommes doivent mourir plutôt que de souffrir de pareilles choses. Nous sommes les seuls hommes au monde qui soient gouvernés par une femme, et à ce titre nous serons regardés comme l'opprobre des nations. — La dame dissimula l'injure qu'on lui faisait, et cachant sa honte par un doux sourire, elle dit : La chose est comme vous la dites ; je suis une femme, je vis comme une femme, et je vous parais savoir peu, parce que je ne vous gouverne pas avec une verge de fer. Vous vivez sans crainte, ainsi vous avez droit de me mépriser, car là où est la crainte, là est aussi le respect. Mais il faut que vous ayez, enfin un chef plus féroce qu'une femme. Il arriva un jour que les colombes avaient pour roi un milan qu’elles méprisaient comme vous me méprisez. C'est pourquoi elles élurent pour duc un épervier très féroce. Celui-ci trouvant des coupables partout, dévorait les colombes les plus innocentes, et jusques au jour d'aujourd'hui les éperviers ne se nourrissent encore que de colombes. A présent que chacun retourne chez lui, et demain celui que vous aurez élu pour duc, je le prendrai pour mari. — Ensuite Lubossa fit venir ses deux sœurs qui étaient agitées de fureurs semblables aux siennes, et qui l'aidaient à jouer le peuple par le moyen de la magie. Car Lubossa, comme nous l'avons dit plus haut, était pythonisse, ainsi que l’avait été la Sibylle de Cumes ; la seconde était une empoisonneuse comme Médée, et la troisième une sorcière pleine de maléfices comme Circé. On ne sait point ce qui se passa pendant la nuit entre ces Euménidés, mais le résultat en parut le lendemain, car Lubossa déclara qu'elle savait où était caché le duc futur, et elle le nomma par son nom. Qui est ce qui pouvait croire qu'on prendrait un duc à la charrue ? ou qui pouvait s'imaginer que tandis qu'il labourait la terre, il était élu pour le chef du peuple ? Mais qu'est-ce qui pourrait rester caché à la fureur d'une pythonisse, ou qu'est-ce qui est impossible à la magie ? La Sibylle a pu prédire les destins de Rome jusqu'au jour du jugement, et même elle a prédit la venue du Christ, à ce que dit un certain docteur qui a introduit dans son discours les vers mêmes que Virgile prête à la Sibylle. Médée avec des herbes et des paroles à pu faire descendre du ciel Hypérion et Bérécynthie, attirer les pluies, les tonnerres et les foudres, et rajeunir le roi Egacus. Circé transforma les compagnons d'Ulysse en différents animaux, et le roi Picus en pivert. Que n'ont point fait les mages en Egypte ? Ils en ont fait autant avec leurs paroles magiques que Moïse avec la parole de Dieu : mais en voilà assez là dessus.
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5. Postera die, ut jussum fuerat, sine mora convocant coetum, congregant populum; conveniunt simul omnes in unum, femina residens in sublimi solio concionatur ad agrestes viros : O plebs miseranda nimis, quae libera vivere nescit, et quam nemo bonus nisi cum vita amittit, illam vos non inviti libertatem fugitis, et insuetae servituti colla sponte submittitis. Heu tarde frustra vos poenitebit, sicut poenituit ranas, cum yárus, quem sibi fecerant regem, eas necare coepit. Aut si nescitis, quae sunt jura ducis, temptabo vobis ea verbis dicere paucis. Inprimis facile est ducem ponere, set difficile est positum deponere; nam qui modo est sub vestra potestate, utrum eum constituatis ducem an non, postquam vero constitutus fuerit, vos et omnia vestra erunt ejus in potestate. Hujus in conspectu vestra febricitabunt genua, et muta sicco palato adhaerebit lingua. Ad cujus vocem prae nimio pavore vix respondebitis: « Ita domine, ita domine, » cum ipse solo suo nutu sine vestro praejudicio hunc dampnabit, et hunc obtruncabit, istum in carcerem mitti, illum praecipiet in patibulo suspendi. Vos ipsos, et ex vobis quos sibi libet, alios servos, alios rusticos, alios tributarios, alios exactores, alios tortores, alios praecones, alios cocos seu pistores aut molendinarios faciet. Constituet etiam sibi tribunos, centuriones, villicos, cultores vinearum simul et agrorum, messores segetum, fabros armorum, sutores pellium diversarum et coriorum. Filios vestros et filias in obsequiis suis ponet; de bubus etiam et equis sive equabus seu peccoribus vestris optima quaeque ad suum palatium tollet. Omnia vestra quae sunt potiora, in villis, in campis, in agris, in pratis, in vineis auferet, et in usus suos rediget. Quid multis moror? Aut ad quid haec, quasi vos ut terream, loquor? Si persistitis in incepto et non fallitis voto, jam vobis et nomen ducis et locum ubi est indicabo. Ad haec vulgus ignobile confuso exultat clamore; omnes uno ore ducem sibi poscunt dari. Quibus illa: En, inquit, en ultra illos montes --et monstravit digito montes-- est fluvius non adeo magnus nomine Belina, cujus super ripam dinoscitur esse, villa, nomine Stadici. Hujus in territorio est novale unum, in longitudine et in latitudine 22 passuum, quod mirum in modum, cum sit inter tot agnos in medio positum, ad nullum tamen pertinet agrum. Ibi dux vester duobus variis bubus arat; unus bos praecinctus est albedine et albo capite, alter a fronte post tergum albus, et pedes posteriores habens albos. Nunc, si vobis placet, meum accipite thalarium et clamidem ac mutatoria duce digna, et pergite ac mandata populi atque mea referte viro, et adducite vobis ducem et mihi maritum. Viro nomen est Premizl, qui super colla et capita vestra jura excogitabit plura --nam hoc nomen latine sonat praemeditans vel superexcogitans -- Hujus proles postera hac in omni terra in aeternum regnabit et ultra. 6. Interea destinantur qui jussa dominae et plebis ad virum perferant nuncii; quos ut vidit domina quasi inscios de via cunctari: Quid, inquit, cunctamini? Ite securi, meum equum sequimini, ipse vos ducet recta via et reducet, quia ab illo non semel illa via est trita. Vana volat fama, nec non et opinio falsa, quod ipsa domina equitatu phantasmatico semper in noctis conticinio solita sit ire illo, et redire prae gallicinio: quod Judaeus credat Apella. Quid tamen ? Procedunt nuncii sapienter indocti, vadunt scienter nescii, vestigia sequentes equi. Jamque montes transierant, jam jamque adpropinquabant villae ad quam ibant, tum illis puer unus obviam currit, quem interrogantes aiunt : Heus bonae indolis puer, estne villa ista nomine Stadici : aut si est in illa vir nomine Premizl?--Ipsa est, inquit, quam quaeritis villa, et ecce vir Premizl prope in agro boves stimulat, ut, quod agit, citius opus peragat. Ad quem nuncii accedentes inquiunt: Vir fortunate, dux nobis diis generate! Et, sicut mos est rusticis, non sufficit semel dixisse, set inflata bucca ingeminant
Salve dux, salve, magna
dignissime laude, Et monstrant vestes sternuntque caballum. Domina nostra Lubossa et plebs universa mandat, ut cito venias, et tibi ac tuis nepotibus fatale regnum accipias. Omnia nostra et nos ipsi in tua manu sumus, te ducem, te judicem, te rectorem, te protectorem, te solum nobis in dominum eligimus. Ad quam vocem vir prudens, quasi futurorum inscius, substitit, et stimulum quem manu gestabat in terram fixit, et solvens boves: Ite illuc inde venistis! dixit; qui statim citius dicto ab oculis evanuerunt, et nusquam amplius comparuerunt. Corilus autem, quam humi fixit, tres altas propagines, et quod est mirabilius, cum foliis et nucibus produxit. Viri autem illi videntes haec talia ita fieri, stabant obstupefacti. Quos ille grata vice hospitum invitat ad prandium, et de pera subere contexta excutit mucidum panem et formatici partem, et ipsam peram in cespite pro mensa et super rude textum ponit et caetera. Interea dum prandium sumunt, dum aquam de amphora bibunt, duae propagines sive virgulta duo aruerunt et ceciderunt, set tertia multo altius et latius accrescebat. Unde hospitibus major excrevit admiratio cum timore. Et ille: Quid admiramini? inquit. Sciatis ex nostra progenie multos dominos nasci, set unum semper dominari. Atqui si domina vestra non adeo de hac re festinaret, set per modicum tempus currentia fata expectaret, ut pro me tam cito non mitteret: quot natos heriles natura proferret, tot dominos terra vestra haberet. 7. Post haec indutus veste principali et calciatus calciamento regali, acrem ascendit equum arator; tamen suae sortis non inmemor, tollit secum suos coturnos ex omni parte subere consutos, quos fecit servari in posterum, et servantur Wissegrad in camera ducis usque hodie et in sempiternum. Factum est autem, dum per compendia viarum irent, nec tamen adhuc illi nuncii ceu ad novitium dominum familiarius loqui auderent, set sicut columbae, si quando aliqua peregrina ad eas accedit, inprimis eam pavescunt, et mox in ipso volatu eam assuefaciunt et eam quasi propriam faciunt et diligunt; sic illi cum fabularentur equitantes et sermocinationibus iter adbreviarent, ac jocando per scurilia verba laborem fallerent, unus, qui erat audacior et lingua promptior: O domine, dic, inquit, nobis, ad quid hos coturnos subere consutos et ad nichilum nisi ut projiciantur aptos nos servare fecisti, non satis possumus admirari. Quibus ille: Ad hoc inquit eos feci et faciam in aevum servari, ut nostri posteri sciant, unde sint orti, et ut semper vivant pavidi et suspecti, nec homines a Deo sibi commissos injuste opprimant per superbiam, quia facti sumus omnes aequales per naturam. Nunc autem et mihi liceat vos vicissim percontari utrum magis laudabile est, de paupertate ad dignitatem provehi, an de dignitate in paupertatem redigi? Nimirum respondebitis mihi, melius esse provehi ad gloriam, quam redigi ad inopiam. Atqui sunt nonnulli parentela geniti ex nobili, set post ad turpem inopiam redacti et miseri facti; cum suos parentes gloriosos fuisse et potentes aliis praedicant, haud ignorant, quod semetipsos inde plus confundunt et deturpant, cum ipsi per suam hoc amiserunt ignaviam, quod illi habuerunt per industriam. Nam fortuna semper hanc ludit aleam sua rota, ut nunc hos erigat ad summa, nunc illos mergat in infima. Unde fit, ut dignitas terrena, quae erat aliquando ad gloriam, amissa sit ad ignominiam. At vero paupertas per virtutem victa, non se celat sub pelle lupina, set victorem suum tollit ad sydera, quem olim secum traxerat ad infera. 8. Postea vero quam iter emensi fuerant, et jam jamque prope ad urbem venerant, obviam eis domina stipata suis satellitibus accelerat, et inter se consertis dextris cum magna laetitia tecta subeunt, thoris discumbunt, Cerere et Bacho corpora reficiunt, cetera noctis spatia Veneri et Himenaeo indulgent. Hic vir, qui vere ex virtutis merito dicendus est vir, hanc efferam gentem legibus frenavit, et indomitum populum imperio domuit, et servituti qua nunc premitur subjugavit, atque omnia jura quibus haec terra utitur et regitur, solus cum sola Lubossa dictavit.
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5. Le lendemain le peuple se rassemble, et Lubossa assise sur un trône élevé, lui parla en ces termes : O peuple digne de compassion, qui ne connaît pas le prix de cette liberté pour qui d'autres peuples sacrifient leur vie, vous fuyez la liberté pour soumettre vos têtes au joug de l'esclavage ; vous vous en repentirez comme les grenouilles qui avaient choisi une hydre pour roi. Il est facile d'avoir un duc, mais une fois qu'on l'a, il n'est pas facile de s'en défaire. A présent il est encore en votre puissance d'avoir un duc ou de n'en point avoir, mais une fois que vous l'aurez, vous serez vous-mêmes en sa puissance avec tous vos biens. Lorsque vous serez en sa présence vous tremblerez si fort que l’on entendra vos genoux s'entrechoquer ; votre langue muette s'attachera à votre palais desséché. Lorsqu'il parlera, vous répondrez : Oui seigneur ! oui seigneur ! Et lui sans vous consulter, et d'un signe de tête, condamnera celui-ci, fera mutiler celui-là, enverra un troisième en prison, et un quatrième à la potence. D'entre vous-mêmes il prendra les uns pour ses serviteurs, d'autres pour ses paysans, d'autres pour en faire des tributaires, des exacteurs, des bourreaux, des crieurs publics, des cuisiniers, des batteurs en grange ou des meuniers. Il aura des centurions, des tribuns, des vignerons, des moissonneurs, des armuriers, des hommes pour coudre des peaux et des cuirs. Vos fils et vos filles seront à son service, il prendra le meilleur d'entre vos bœufs, vos chevaux ou vos juments, et de tout ce qu'il y aura dans vos prés, vos champs et vos vignes. Mais en voilà assez sur ce sujet, j'ai dit tout ce qui pouvait vous détourner de votre projet ; si vous y persistez, je suis prête à vous nommer votre duc, et vous dire le lieu de sa demeure. — Alors tout le peuple poussa des cris confus, et demanda le nom de son duc. — Alors Lubossa montrant du doigt certaines montagnes dit : Au delà de ces monts est une petite rivière appelée Belena, sur laquelle est un village appelé Ztadiez. Là est un champ nouvellement labouré qui a douze pas de long et douze de large, et ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que ce petit champ n'appartient à personne, tandis qu'il est entouré de champs qui ont tous, des propriétaires. C'est là que votre duc laboure avec une charrue attelée de deux bœufs, pies. L'un a le ventre coupé de blanc et la tête blanche ; l'autre est blanc depuis la tête jusqu'au dos, et il a les pieds blancs. A présent prenez ma longue robe, une chlamyde et du linge (de rechange). Allez, et ramenez mon mari et votre duc. Son nom est Primizl, car il pensera à bien des choses qui ensuite pèseront Sur vos têtes, (car Primizl se traduit en latin par praemeditans, excogitans) et sa postérité régnera éternellement sur toute cette terre, et encore au delà de l'éternité. 6. On nomma les députés, et comme la dame les voyait incertains de la route qu'ils avaient à prendre, elle leur dit : Pourquoi hésitez-vous ? suivez mon cheval, il vous mènera par le plus court chemin, car il l'a déjà fait plus d'une fois. — Il court un vain bruit et une fausse opinion de ceux qui pensent que la dame elle-même y allait toutes les nuits au moyen d'une équitation fantastique, et revenait encore avant le chant du coq ; mais il faudrait être bien crédule pour y ajouter foi. Or donc les députés s'avancent en suivant le cheval, savamment mal instruits, ou sciemment ignorant. Ils passent les montagnes, et comme ils approchaient d'un village, ils rencontrèrent un petit garçon, et lui dirent : Ecoute, enfant d'un bon caractère, n'est-ce pas là le village de Ztadiez ? et y a-t-il dans ce village un homme appelé Primizl ? Oui dit le petit garçon c'est-là le village que vous demandez, et voilà Primizl qui aiguillonne ses bœufs comme pour finir plus vite l’ouvrage qu'il a entrepris. Les députés s'avancèrent vers l'homme qu'on leur avait indiqué, et lui dirent : Salut, o toi que les dieux nous ont donné pour duc ! Et comme les rustres ne se contentent jamais de dire les choses une fois, ils le répètent plusieurs fois à pleine bouche, et ajoutent encore cet vers : Salut duc, salut ; tu es digne des plus grandes louanges : Dételle tes bœufs, change d'habit ; et monte sur ce cheval Alors ils montrèrent le cheval qui hennissait, et les habits, et puis ils dirent : Notre maîtresse Lubossa et tout le peuple vous font dire que vous veniez vite pour recevoir un royaume qui doit être à vous et à vos enfants. Nous sommes dans votre main avec tout ce qui nous appartient, vous serez notre juge, notre gouverneur, notre protecteur et notre seul maître par notre propre élection. — Alors l'homme prudent s'arrêta un instant comme frappé de l'idée d'un avenir incertain ; puis il planta dans la terre l'aiguillon qu'il tenait dans la main, et dételant ses bœufs, il leur dit : Retournez d'où vous étiez venus. — Il dit, et les bœufs disparurent en un clin d'œil, et n'ont jamais reparu depuis. Pendant ce temps-là, l'aiguillon qu'il avait planté terre poussa trois branches qui se couvrirent de feuilles, et produisirent des noix. Les députés voyant cela étaient très surpris. Primizl les invita à dîner, et tirant d'un panier tissu d'écorce du pain et un morceau de fromage, il le posa sur le panier même qu'il fit servir de table ; puis il s'assit sur le gazon. Tandis qu'ils dînaient, et buvaient de l’eau dans une cruche, deux branches s'enflammèrent et tombèrent ; mais la troisième s'éleva d'autant plus vite. Les députés voyant ce prodige en conçurent de l’admiration et de la crainte. Mais Primizl dit : Qu'y-a-t-il là qui vous étonne ? Sachez que de nous naîtront beaucoup de seigneurs, mais qu'il n'y en aura qu'un seul qui gouvernera. Si votre dame ne s'était pas tant pressée ; mais qu'elle eût attendu l'ordre des destins sans m'envoyer chercher si vite, alors votre terre aurait eu autant de seigneurs qu'il serait né de nous, enfants mâles. — 7. Ensuite ce simple laboureur se revêtit de l'habit royal, mit à ses pieds la chaussure royale, et monta sur le cheval fougueux ; mais il prit avec, lui ses, vieux cothurnes dont la semelle était d'écorce, et ordonna qu'on les conservât avec soin, et on les conserve encore aujourd'hui à Wissegrad dans la chambre du duc où ils resteront éternellement. Tandis que l'on avançait ainsi, les députés suivant leur nouveau maître gardaient le silence par timidité. Ainsi lorsqu'une colombe étrangère vient dans un pigeonnier, les autres la craignent d'abord, et ne se familiarisent avec elle que lorsqu'elles ont voltigé ensemble pendant quelque temps, et que l'étrangère commence, pour ainsi dire, à paraître leur appartenir. Tout de même les députés bohèmes commencèrent à mettre en avant plusieurs propos, comme pour abréger la longueur du chemin, et tromper le temps par des discours bouffons (Scurilla verba). Enfin l'un d'eux, plus audacieux et plus prompt à parler que les autres, dit : Seigneur, nous ne pouvons assez nous étonner que vous nous ayez ordonné de conserver ces cothurnes tissus d'écorce qui véritablement ne nous paraissent bons à rien ? Prirmizl leur répondit : Je les ai fait conserver exprès, afin que nos descendants connussent leur origine, et vécussent ainsi dans une crainte, salutaire qui les empêchât d'opprimer les hommes dont le sort leur était confié par la divinité, car la nature nous a créés égaux. Et à présent c'est moi qui veux vous questionner ; dites-moi ce qui est meilleur, de passer de la pauvreté aux grandeurs, ou des grandeurs à la pauvreté ? Vous me répondrez sans doute qu'il vaut mieux aller à la gloire que d'en revenir, pour trouver la misère. Cependant bien des gens, d'une noblesse illustre ensuite se trouvent réduits à un état honteux et misérable, et quand ils parlent de leurs ancêtres riches et puissants, ils se font encore du tort, puisqu’alors il paraît que c'est leur lâcheté qui a fait perdre ce qu'avait fait gagner l'industrie de leurs ancêtres ; car la fortune fait toujours aller sa roue, élevant et abaissant tour-à-tour, et conduisant de la gloire à l'ignominie. Mais la pauvreté vaincue par la vertu ne se cache point sous une peau de loup ; au contraire elle élève aux astres celui qu'elle faisait ramper auparavant. 8. — Comme ils approchaient de la ville, la dame vint à leur rencontre avec ses gardes ; ils se donnent la main, et entrent joyeusement sous un même toit. Ils donnent les premiers instants à Cérès et à Bacchus, et le reste de la nuit à Vénus et à l'Hymen. Or donc Primizl sut asservir à des lois cette nation effrénée et licencieuse, et jusques au jour d'aujourd'hui toutes les lois qui l'asservissent viennent de Primizl et de Lubossa.
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9. Inter haec primordia legum quadam die praedicta domina, phitone concitata, praesente viro suo Premizl et aliis senioribus populi astantibus, sic est vaticinata : Urbem conspicio fama quae sydera ianget, Est locus in silva, villa qui distat ab ista Terdenis stadiis, quem Wlitava terminat undis. Hunc ex parte aquilonali valde munit valle profunda rivulus Brusnica ; at australi ex latere latus mons nimis petrosus, qui a petris dicitur Petrin, supereminet loca. Loci autem mons curvatur in modum delphini marini porci, tendens usque in praedictum amnem. Ad quem cum perveneritis, invenietis hominem in media silva limen domus operantem. Et quia ad humile limen etiam magni domini se inclinant, ex eventu rei urbem quam aedificabitis, vocabitis Pragam. Hac in urbe olim in futurum binae aureae ascendent olivae, quae cacumine suo usque ad septimum penetrabunt coelum, et per totum mundum signis et miraculis coruscabunt. Has in hostiis et muneribus colent et adorabunt omnes tribus terrae Boemiae nationes reliquae. Una ex his vocabitur Major Gloria, altera Exercitus Consolatio. Plura locutura erat, si non fugisset spiritus pestilens et prophetans a plasmate Dei. Continuo itur in antiquam silvam, et reperto dato signo in praedicto loco urbem, totius Boemiae dominam, aedificant Pragam. Et quia ea tempestate virgines hujus terrae sine jugo pubescentes, veluti Amazones militaria arma affectantes et sibi ductrices facientes, pari modo uti tirones militabant, venationibus per silvas viriliter insistebant, non eas viri, set ipsaemet sibi viros, quos et quando voluerunt, accipiebant; et sicut gens Scitica Plauci sive Picenatici, vir et femina in habitu nullum discrimen habebant. Unde in tantum feminea excrevit audacia, ut in quadam rupe, non longe a praedicta urbe, oppidum natura loci firmum sibi construerent, cui a virginali vocabulo inditum est nomen Divin. Quod videntes juvenes, contra eas nimio zelo indignantes, multo plures insimul conglobati non longius quam unius buccinae in altera rupe inter arbusta aedificant urbem, quam moderni nuncupant Wissegrad, tunc autem ab arbustis traxerat nomen Hrasten. Et quia saepe virgines solertiores ad decipiendos juvenes fiebant, saepe autem juvenes virginibus fortiores existebant, modo bellum, modo pax inter eos agebatur. Et dum interposita pace potiuntur, placuit utrisque partibus ut componerent cibis et potibus simbolum, et per tres dies sine armis sollempnem insimul agerent ludum in constituto loco. Quid plura? Non aliter juvenes cum puellis ineunt convivia, ac si lupi rapaces quaerentes edulia, ut intrarent ovilia. Primum diem epulis et nimiis potibus hylarem ducunt.
Dumque volunt sedare sitim, sitis
altera crevit, Inflans tunc lituum, dedit unus eis ita signum, dicens: Lusistis satis, edistis satis atque bibistis; Surgite, vos rauco clamat Venus aurea sistro. Moxque singuli singulas rapuere puellas. Mane autem facto, jam pacis inito pacto, sublatis Cerere et Bacho ex earum oppido, muros Lemniaco vacuos indulgent Vulcano. Et ex illa tempestate, post obitum principis Lubossae, sunt mulieres nostrates virorum sub potestate. Sed quoniam omnibus Ire quidem restat, Numa quo devenit et Ancus, Premizl jam plenus dierum, postquam jura instituit legum, quem coluit vivus ut deum, raptus est ad Cereris generum. Cui Nezamizl successit in regnum. Hunc ubi mors rapuit, Mnata principales obtinuit fasces. Quo decedente ab hac vita, Vogen suscepit rerum gubernacula. Hujus post fatum Unezlau rexit ducatum. Cujus vitam dum rumpunt Parcae, Crezomisl locatur sedis in arce. Hoc sublato e medio, Neclan ducatus potitur solio. Hic ubi vita decessit, Gostivit throno successit. Horum igitur principum de vita aeque et morte siletur, tum quia ventri et somno dediti, inculti et indocti assimilati sunt peccori, quibus profecto contra naturam corpus voluptati, anima fuit oneri ; tum quia non erat illo in tempore, qui stilo acta eorum commendaret memoriae. Set sileamus de quibus siletur, et redeamus unde paulo deviavimus. 10. Gostivit autem genuit Borwoy, qui primus dux baptizatus est a venerabili Metudio episcopo in Moravia, sub temporibus Arnolfi imperatoris, et Zuatopluk ejusdem Moraviae regis. Nec superfluum esse judicavimus, quod referente fama audivimus, huic operi nostro hoc in loco summatim literarum apicibus inserere bellum, quodque olim antea retro dierum, tempore ducis Neclan in campo qui dicitur Turzco consertum est inter Boemos et Luczanos, qui nunc a modernis ab urbe Satec vocitantur Satcenses. Unde autem antiquitus nuncupetur ea natio Luczano, nolumus praeterire sub silentio. Quippe illa distinguitur provincia quinque regionibus locorum per compendia. Prima regio est sita circa rivum nomine Gutna. Secunda ex utraque parte est fluvii Uzka. Tercia extenditur per circuitum torrentis Bocnica. Quarta, quae et silvana dicitur, sita est infra terminos fluminis Msa. Quinta, quae in medio est, dicitur Luka : pulcherrima visu et utillima usu ac uberrima satis, nec non habundantissima pratis, unde et nomen ipsa regio traxit, quia luca latine pratum dicitur. Et quoniam haec regio primum, longe antequam Satec urbs condita foret, est inhabitata hominibus, recte ejus incolae sunt a regione Luczane nuncupati. His praefuit dux nomine Wlaztizlav, vir bellicosus et in bellicis armis animosus, ac consiliis supra modum dolosus, satisque in praeliis felix potuisset dici, si sors suprema non clausisset eum fine infelici. Nam contra Boemos frequenter susceperat bellum, et semper Marte secundo atque diis auspicibus praevaluerat, terramque eorum saepe ingressus cedibus, incendiis ac rapinis crudeliter devastarat, et ipsos populi primates in tantum praesidiis attenuaverat, ut parvo clausi in oppido, quod dicitur Levigradec, hostium incursiones timerent oppido. Hic condidit urbem, quam appellavit nomine suo Wlaztizlav, inter duos montes Meduez et Pripek, scilicet in confinio duarum provinciarum Belina et Lutomerici, et posuit in ea viros iniquos, ob insidias utriusque populi, quia hii adjuvabant partes Boemorum. Et sicut in omni vicissitudine rerum prosperitas elevat, adversitas humiliat cor hominum, ex nimia quam semper obtinuit in praeliis prosperitate, exaltatum est cor ducis et elevatum, ut mente feroci exardesceret omnem Boemiam ad obtinendum. Ah ! mens hominum ignara futurorum saepe suo fallitur augurio, saepe fit, quod ante ruinam cor extollitur, sicut ante letitiam saepe humiliatur. Mox tumido inflatus fastu superbiae, scire volens virtus sua quantae sit potentiae, mittit gladium per omnes fines tocius provinciae, hac conditione principalis sentenciae, ut quicunque corporis statura praecellens gladii mensuram segnius jusso egrederetur ad pugnam, procul dubio puniretur gladio. Quos cicius dicto ut vidit in condicto coadunatos loco, stans in medio aggere, corona vulgi septus, clippeo subnixus, manu ensem vibrans, sic est exorsus: O milites, quibus ultima in manibus est victoria, olim non semel vicistis, jam actum agitis. Quid opus est armis? Arma ad speciem militiae portare faciatis. Quin potius falcones, nisos, herodios et omne hujusmodi genus volatilium, quod magis aptum est ad jocunditatem et ludum, tellite vobiscum, quibus carnes inimicorum, si forte sufficient, dabimus ad vescendum. Teste Marte deo et mea domina Bellona, quae mihi fecit omnia bona, per capulum ensis mei juro quem manu teneo, quod pro infantibus eorum catulos canum ponam ad ubera matrum. Levate signa, tollite moras; semper nocuit differre paratis. Ite jam velociter et vincite feliciter. Exoritur clamer ad aethera utilis et inutilis, fortis et vilis, potens et inpotens, perstrepunt arma, saltat scabiosa equa, ut acer equus in pugna. 11. Interea quaedam mulier, una de numero Eumenidum, vocans ad se privinum, qui jam iturus erat ad praelium. Quamvis, inquit, non est naturale novercis, ut benefaciant suis privignis, tamen non immemor consortii tui patris, cautum te faciam, quo possis vivere si vis. Scias Boemorum strigas sive lemures nostras praevaluisse votis Eumenides, unde nostris usque ad unum interfectis, dabitur Boemiis victoria. Hanc tu, quo tandem valeas evadere cladem, quem in primo congressu interficies tibi adversantem, utramque sibi abscidens aurem, mitte in tuam bursam, et inter utrosque pedes equi in modum crucis evaginato ense terram lineabis. Hoc enim faciens invisibiles ligaturas laxabis, quibus ira deorum vestri equi obligati deficient et cadent, quasi ex longo itinere fatigati, moxque insiliens equum, terga vertes, et si magnus post te fragor ingruerit, nunquam retro aspicias, fugam sed acceleres, atque ita tu solus vix effugies. Nam qui dii vobiscum comitabantur in praelium, versi sunt in auxilium inimicis vestris. A contra Boemis resistere non valentibus, hostibus quippe jam tociens triumphantibus, una Salus erat victis nullam sperare salutem. Sed sicut semper infideles homines, et eo ad malum proniores, ubi deficiunt vires et bonae artes, ilico ad deteriores pravitatis vertuntur partes: haud aliter gens ista vanis sacris dedita, plus mendaciis credula, jam desperantes viribus et armis militaribus, quandam adeunt sortilegam et consulunt eam atque instant ut edicat. Quid opus sit facto in tali discrimine rerum, Aut quos eventus futurum obtineat bellum. Illa, ut erat plena Phitone, ambigua non tenuit eos diu verborum ambage: Si vultis, inquit, triumphum victoriae consequi, oportet vos prius jussa Deorum exsequi. Ergo litate diis vestris asinum, ut sint et ipsi vobis in asylum. Hoc votum fieri summus Jupiter, et ipse Mars sororque ejus Bellona, atque gener Cereris jubet. Queritur interim miser asellus et occiditur, et, ut jussum fuerat, in mille millies frusta conciditur, atque ab universo exercitu cicius dicto consumitur. Quibus ita esu animatis asinino --res similis prodigio--cerneres laetas phalanges et viros mori promptos ut silvaticos porcos; et sicut post aquosam nubem fit sol clarior et visu jocundior, ita post nimiam inerciam exercitus ille fuit alacrior et ad pugnam audatior.
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9. Or donc un jour la dame susdite, remplie de l'esprit de Python, se mit à prophétiser en présence de son mari et des anciens du peuple, et elle dit : Je vois une ville dont la réputation doit aller jusques aux astres. Il y a dans cette forêt un village éloigné d'ici de treize stades ; les ondes de la Multawa le baignent d'un côté ; au nord il est défendu par un ravin profond et le ruisseau de Bruznica, au midi est une colline haute et pierreuse appelé Pétrin ; cette colline se courbe comme un dauphin où un porc marin, et son extrémité vient aboutir au fleuve. Quand vous arriverez dans cet endroit, vous trouverez au milieu de la forêt un homme qui raccommodera le prag ou seuil de sa porte. Présage heureux, car le plus grand seigneur est forcé de abaisser la tête pour entrer dans la porte d'une humble cabane, et à cause de cela vous appellerez Praga, la ville que vous bâtirez. Deux oliviers d'or croîtront un jour dans cette ville, et leurs sommets atteindront le septième ciel ; après avoir étonné la terre par leurs prodiges, ils seront adorés par toutes les tribus bohèmes et par toutes les nations. Un de ces oliviers s'appellera Wchwala, en latin Major gloria, le second Tresswoga, en latin Exercitus consolatio. — Elle en eût dit davantage, mais elle fut abandonnée par l'esprit pestilentiel qui prophétise ainsi sans la permission de Dieu. Dans ce temps-là les vierges de cette terre n'étaient soumises à aucun joug, et même elles portaient les armes comme les Amazones, chassaient dans les forêts, et se créaient des chefs pour les commander, et elles ne se donnaient point à des hommes, mais en choisissaient elles-mêmes ; leurs habits étaient aussi pareils en tout à ceux des hommes, comme chez les Scythes appelés Plauciens ou Picenates. Enfin leur audace en vint au point quelles construisirent un fort sur un rocher escarpé, non, loin de la ville susdite qu'elles appelèrent Diewin. Les jeunes gens indignés des cette conduite, construisirent un autre fort sur un rocher assez proche de l'autre pour que l'on y entendit le son du buccin. Ce fort est aujourd'hui appelé Wisserad, mais alors il était appelé Chrasten, parce qu'il était construit au milieu, de broussailles. Les jeunes gens étaient plus braves, mais les filles étaient plus habiles à tromper. Et tantôt ils étaient en guerre, et tantôt ils faisaient paix. Pendant un de ces intervalles de paix, les deux parties jugèrent à propos de composer un symbole de viandes et de boissons (festin, en commun) et d'avoir des jeux solennels dans, un certain endroit. Les jeunes gens arrivèrent à ce festin, semblables à des loups qui viennent au milieu d'un troupeau de brebis. Le premier jour est consacré à manger et à boire un peu trop, car tandis qu'ils éteignent une soif, ils en allument une autre. Les jeunes gens ont de la peine à retarder jusqu'à la nuit les marques de leur allégresse. La lune éclairait une nuit pleine, de calme, et de sérénité. Alors l'un d'eux donna un signe avec la trompette et dit : vous avez assez joué, bu et mangé ; à présent Vénus vous appelle avec, son sistre aigu. — Aussitôt chaque jeune homme enleva une jeune fille. Le matin la paix était déjà entièrement conclue ; l'on ôta du fort de Diewin tout ce qui appartenait à Cérès et à Bacchus, et le fort lui-même fut livré à Vulcain, dieu de Lemnos. Depuis lors, et après la mort de Lubossa nos femmes ont toujours été sous la puissance de leurs maris. Et comme tous les législateurs meurent aussi bien que les autres hommes, et que Numa et Ancus sont aussi morts, Primizl mourut aussi, et alla chez le gendre de Cérès qu'il avait adoré de son vivant. Nezamisl lui succéda ; celui-ci étant mort, Mnatie obtint la principauté, celui-ci étant mort, Woyn lui succéda, puis Wnidaw, puis Crezomysl, puis Neklan.[8] Neklan succéda à Crzezomysl, Hostivit succéda à Neklan. L'on ne sait rien sur la vie & la mort de ces princes, tant parce qu'ils étaient adonnés à la gourmandise & à la paresse, que parce qu'il ne se trouvait alors personne en état d'écrire leurs actions. Ainsi gardons le silence sur les choses que l'on nous a tu & revenons à notre sujet. 10. Hostivit fut père de Borziwoy : Celui fut le premier baptisé, par Metodius évêque de Moravie, du temps de l'Empereur. Arnolf & de Zwatopig Roi de Moravie. Cependant nous croyons qu'il ferait bon de rapporter, et que la renommée nous a appris d'une guerre qu'il y a eu du temps du Duc Neklan entre les Bohèmes & les Luczaniens & d'une bataille qu'il y a eu dans le champ appelle Turzko. Les Luczaniens font appelles aujourd'hui Satciens, à cause de la ville de Sate, aujourd'hui Saaz, mais nous ne voulons pas passer sous silence l'origine de leur premier nom. Car cette province est distinguée en cinq régions. La première sur la rivière Gutna. La seconde région est sur les deux rives du fleuve Uzka. La troisième région s'étend autour du torrent Brocznika. La quatrième région qui s'appelle aussi la boisée, est dans les limites du fleuve Mzie.[9] La cinquième qui est au milieu des autres s'appelle Luka. C'est une contrée belle à voir & de bon rapport fertile, abondante surtout en prés, dont elle tire même son nom car Luka veut dire Prés. Cette région avait été habitée longtemps, avant que la ville de Satech fut habitée & c'est pourquoi les habitants de cette ville, étaient avec raison appelles Luczaniens Le Duc des Luczaniens était Wlastislaw, homme plein de courage à la guerre & de perfidie dans les conseils. L'on aurait pu le dire, heureux dans les combats si le sort ne lui eut réservé une fin malheureuse : souvent il faisait la guerre aux Bohèmes & toujours avec avantage, il entrait sur leurs terres et les dévastait par le meurtre, l'incendie & les rapines : Les premiers du peuple n'osaient point l'attendre dans leurs forts, mais ils étaient renfermés dans la ville de Levigrodek. Ce prince bâtit une ville à laquelle il donna son nom & l'appela Wlastislaw. Cette ville est entre les deux montagnes appelées Meduez &Przipek, aux confins des deux provinces de Belina & Lutomerici. (auj. Bilin & Leitmeritz) Or comme il arrive toujours que la prospérité élève & que l'adversité humilie le cœur de l'homme, la fortune qui accompagnait constamment le Duc dans tous ses combats, exalta son cœur & plein de pensées féroces, il brulait du désir de conquérir toute la Bohême. Ah ! combien l'homme est ignorant des choses futures & le trompe dans ses espérances. Souvent le cœur est enflé au moment d'une ruine entière & quelquefois une grande joie, succède au plus grand abattement. Wlastislaw enflé par le faste de la superbe, voulu connaître quelle était sa puissance. A cet effet il envoya un glaive, ordonna que celui dont la taille surpasserait la hauteur du glaive, devait aussitôt se rendre à l'armée sous peine d'être puni par le glaive : Sa volonté ne fut pas plutôt connue, que son peuple se rassemble ; il se mit alors au milieu d'eux, ceint de la Couronne, s'appuyant sur son bouclier & brandissant son épée & tint ce discours : O soldats, qui tenez dans vos mains votre dernière victoire. Vous avez déjà vaincu plus d'une fois. Il faut faire encore ce que vous avez déjà fait souvent. Pourquoi avez-vous pris vos armes, vous n'en n'avez pas besoin. Il fallait plutôt prendre vos faucons, vos gerfauts, vos éperviers & autres oiseaux qui servent à l'amusement, nous les aurions nourri avec la chair de nos ennemis. J'en atteste Mars & Bellone, j'en jure par mon épée. Les mères y allaiteront de petits chiens, que je mettrai contre leur sein, à la place de leurs enfants. — Levez vos étendards le retard nuit à qui est prêt. Allez vite vous reviendrez vainqueurs. Les cris s'élèvent jusques au ciel. L'homme propre au combat & celui qui n'y est pas propre, font retentir leurs armes, le courageux comme le poltron, le fort comme le faible, la jument galleuse saute comme le fougueux coursier. 11. Alors une certaine femme qui était du nombre des Euménides, appela son beau-fils, qui allait déjà au combat & lui dit : Il n'est pas ordinaire aux femmes d'un second lit de faire du bien aux enfants du premier, cependant par égard pour ton père je veux t'apprendre, à conserver ta vie. Saches donc que les Strigi, qui sont les dieux infernaux des Bohèmes ont prévalu sur les nôtres, d'où il arrivera que nos soldats seront tués jusques au dernier. Or donc si tu veux, échapper à ce carnage, il faut que tu coupes les deux oreilles au premier ennemi que tu tueras dans le combat & tu les mettras dans ta bourse. — Ensuite tu feras avec ton épée une croix sur la terre entre les jambes de ton cheval ; de cette manière tu couperas les liens invisibles, par lesquels ces animaux seront retenus, comme s'ils étaient fatigués de quelque grand voyage, lorsque tu seras sur ton cheval & le dos tourné, il faudra fuir avec beaucoup de promptitude & sans jamais regarder en arrière, lors même que tu te croirais poursuivi par les bruits les plus effrayants. Et de cette manière tu échapperas à peine, car les dieux qui vous guidaient dans, les combats, se sont tournés du côté de vos ennemis. Les Bohèmes, de leur côté ne se croyaient pas en état de résister à des ennemis, qui les avaient vaincus tant de fois mais comme les mécroyants choisissent les voies perverses lors qu'ils se sentent faibles ; ainsi cette nation adonnée à un culte vain & mensonger, s'adressa à une sorcière & lui demanda ce qu'il y avait à faire dans ce danger pour se rendre favorables les événements de la guerre. Celle-ci toute remplie de Python ne les laissa pas longtemps dans l'embarras & leurs dit : Si vous voulez remporter la victoire il vous faut d'abord remplir les ordres des dieux, ainsi sacrifiez leurs un âne, ce font les ordres de Jupiter, de Mars, de Bellone & du gendre de Cérès. — Ainsi l'on chercha un pauvre âne qui fut aussitôt déchiré en mille pièces à coups de fouet & dévoré par toute l'armée : ce manger les anima tellement, que vous auriez vu aussitôt les phalanges témoigner de la joie & les hommes prêts à mourir comme des porcs sauvages : ce qui tenait du prodige. Et comme après les nuées pluvieuses, le soleil paraît plus brillant & plus agréable ; ainsi cette armée passait de la poltronnerie au courage & en paraissait plus brillante.
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12. Interea dux eorum Neclan, tepore pavidior et pardo fuga velocior, pugnam inminentem pertimuit, et ficta infirmitate in castro supradicto delituit. Quid facerent membra sine capite, aut milites in praelio sine duce? Erat ea tempestate quidam vir praecipuus honestate corporis, aetate et nomine Tyro, et ipse post ducem secundus inperio, qui ad occursum mille obpugnantium in praelio nullum timere, nemini scivit cedere. Hunc dux clam ad se vocat et praecipit ut arma sua induat, et paucis clientibus id scientibus, herilem equum jubet ut ascendat, atque vice sui milites ad pugnam praecedat, quae non longe ab urbe, sed quasi duobus stadiis distabat. Ventum erat ad campum ab utrisque exercitibus condictum; sed prius Boemi praeoccupant collem in medio campo eminentem, unde et hostes praeviderent adventantes, et is qui aestimabatur dux, stans in eminentiori loco, concionaretur ad milites Tyro: Si fas, inquit, esset duci verbis addere virtutem militibus multiplicibus vos tenerem sermonum ambagibus. Sed quia hostis ad oculum stat, et breve tempus ad exortandum extat Fas mihi sit vos vel paucis succendere dictis. Omnibus in bello dimicandi par est devotio, sed impar vincendi ratio. Illi paucorum pugnant pro gloria, nos pro patria dimicamus et populi atque nostra libertate et salute ultima; illi ut rapiant aliena, nos ut defendamus dulcia pignera et cara connubia. Confortamini, et estote viri. Nam deos vestros quos actenus habuistis offensos, placastis votis quibus placari voluerunt. Ergo timorem eorum ne timueritis, quia, quibus in praelio timor officit animo, maximo versantur in periculo; audatia autem habetur pro muro, audacibus et ipsi dii auxiliantur. Credite mihi, ultra illa castra vestra salus posita est et gloria. At si terga hostibus vertitis, mortem tamen non effugietis. Set utinam mortem! verum pejus morte agetur; conjuges vestras in conspectu vestro violabunt, et in sinu earum infantes ferro trucidabunt, et ad lactandum eis catulos dabunt, quia victis una est virtus, victoribus nil denegare. Interea dux Lucensis, ferocissimus mente, cum superbissima gente, quibus et hodie a malo innatum est superbire, veniens ex adverso, ut vidit hostes non cedere loco, jubet suos paulisper stare illico, et quasi condolens super fata inimicorum, his dictis acuit animos suorum : O miserabiles timidorum hominum manes, frustra prendunt colles, quibus desunt vires et bellicae artes, nec juvat collis, si est virtus debilis. Cernitis, quia in planis vobis non audent occurrere campis, nimirum si non fallor, jam fugere parant. Sed vos, priusquam fugiant, irruite super eos inpetu repentino, et sub pedibus vestris ceu frivola stipularum ut conterantur, faciae more solito. Parcite ne ignavorum sanguine polluatis fortia tela, sed pocius submittite quae portatis volatilia, ut perterrefaciatis falconibus pavidas acies ut columbas. Quod ut factum est, tanta fuit densitas diversarum avium, ut sub pennis earum obscuraretur aer velut sub aquosa nube, vel nigrae tempestatis tempore. Hoc cernens intrepidus Tyro, coeptum interrumpens colloquium ad suos dixit : Si forte contigerit me mori in praelio, sepelite me in hoc colliculo, et construite mausoleum mihi in secula memoriale. Unde et hodie nominatur militis acerrimi bustum Tyri. Moxque prosiliens ceu maxima moles rupis, quae fulmine rupta de summitate alti montis fertur per abrupta loca, sternens omnia obstacula, haud aliter ruit fortissimus heros Tyro in confertissimos hostium cuneos. Ac veluti, si quis in horto tenera papavera succideret ferro, ita obstantium metit ense capita hostium; donec plenus astilibus, quasi herinatius, in media strage super magnam struem occisorum cecidit. Incertum est, quis, a quo, vel quali vulnere quisque ceciderit, nisi hoc solum scimus pro certo, quia Boemi potiti sunt triumpho, Lucensibus omnibus interfectis usque ad unum, praeter illum videlicet quem noverca olim praemonuerat euntem ad praelium. Isque dum jussa peregit novercae praepeti elapsus fuga, dumque concitus venerit ad domum, ecce uxor sua plangebatur defuncta. Quam ut videret vir suus, dum discooperuisset faciem ejus --res similes fictae--visum est funus habere in femineo pectore vulnus et abscisas aures. Tunc vir recolens quod factum fuerat in praelio, protulit aures de bursa cruentis cum inauribus, atque recognovit hanc fuisse in specie illius quem adversantem occidit in bello. 13. Post haec intrantes Boemi in terram illam et nullo resistente devastantes eam civitates destruxerunt, villas combusserunt, spolia multa acceperunt. Inter quae filium herilem apud quandam vetulam mulierem inveniunt latitantem. Quem dux ut vidit, quamvis paganus, tamen ut catholicus bonus, misericordia super eum motus aetatulae ejus et formae pepercit, et novam urbem in plano loco construens nomine Dragus super ripam fluvii Ogre juxta pagum Postolopirth, ubi nunc cernitur sanctae Mariae coenobium, tradidit civitatem et puerum pedagogo, cui antea pater suus eum commiserat, nomine Duringo qui fuit de Sribia genere, excedens hominem scelere, vir pejor pessimo et omni belua crudelior. Quod utique factum est omnium consilio comitum, ut populus qui dispersus fuerat ad filium herilem, suum quippe principem, ceu apes ad suam materculam confluerent; tum si quando resistere vellent in plano loco facile capi possent, tum quia cum viro alienigena non tam cito conspiraret plebs indigena. His ita dispositis repedant ad propria cum magna leticia, atque victrices aquilas in sua referunt stacia. Interea scelestus Zribin ille, deterior infidele, perpetrat scelus crudele. Nam quadam die piscatores nunciant stacionem piscium non modicam in placida aqua sub glatie nitida ; erat enim glacies perspicua, quam nec adhuc aura corruperat, nec pulvis commaculaverat. Tunc ille Judas secundus Durinch, ratus esse congruum tempus ad exercendam suam nequiciam, quam dudum mala mente, malo animo conceperat in domini sui necem, ait ad puerum: Eamus piscari, quem fraude parabat necare. Quo cum pervenissent, inquit : O mi dominelle, perspice natantes ecce sub glatie pisces plus quam mille. At ille, sicut erat puer, pueriliter genua flectens, dum inspicit sub glatie pisces, securus securim tenero collo excepit et cui hostis pepercit, suus eum pedagogus interfecit. Diffugiunt omnes a tali spectaculo. At ille plus quam parricida, quod non potuit uno ictu securis peragit cultello, caput suo dominello abscidens ut porcello, quod abscondens sub clamide velut domini sui pro honore, munda involvit sindone, ut ad ducem, qui sibi eum commiserat, infelix malo suo deferat. Fert sine mora funesta dona, sperans pro tali facto innumera consequi munera, et invenit ducem in Pragensi palatio cum omnibus residentem comitibus in concilio; atque optimum ratus fore, ut in conspectu omnium facinus suum referat in medium, intrat et salutat ducem, et resalutatus stans exspectat, et ut data est sibi copia fandi, dixit: En ego, en ego solus mea effeci securi, ut vos omnes dormiatis in utramque aurem securi. Saepe enim una et minima scintilla, quam incaute custos domus reliquit sub tenui favilla, excitat ignes magnos, et non solum domum, sed etiam involvit et comburit ipsos domus dominos. Hanc ego scintillam praecavens et praevidens in futurum vobis nocituram extinxi, et vos vestrosque posteros a ventura clade, quasi ex divino oraculo praemonitus, protexi. Vos autem, qui estis capita terrae, huic facto nomen invenite. Si est meritum, facite ut omnes sciant, quantum merui; aut si dicitis esse scelus, plus mihi debetis, quod vos ipsi non facitis scelus. An ideo debuistis infanti parcere, quia pater ejus vestros infantes interficere et catulos voluit ponere ad sugendum vestras conjuges? Certe nec carnes suaves rabidi nec suave lupi jus. Ecce paterni sanguinis ultor, vobis quandoque nociturus jacet sine vestro sanguine victus, Quin ite potius, accipite regnum ocius, quod sine metu possidebitis in sempiternum felicius. Et statim protulit caput in disco tenellum, in quo nichil adhuc vivi hominis fuit exterminatum, nisi tantum quod erat voce privatum. Expavit dux, corda tremuerunt comitum, confusum inhorruit murmur. Tunc dux torsit caput a munere nefando et solvit ora talia fando: Aufer ab aspectu nostro tua dona sceleste, tua scelera excedunt modum et veniam, nec dignam inveniunt vindictam. Ad hoc flagicium nec potest dignum excogitari praejudicium, nec par supplicium. An putas, quod facere non potuissem quod fecisti, si voluissem? Michi autem fuit licitum occidere inimicum, sed non tibi dominum. Hoc quod peccasti peccatum majus est, quam dici potest peccatum. Certe quicunque te occiderit vel occidere te judicaverit, non solum peccatum sed duplex incurrit peccatum, quia et peccatum quod occidaris, et peccatum quod occidisti dominum, pro utroque peccato triplicatum portabit peccatum. Verum si pro hoc tam scelere immani aliquod a nobis donativum sperasti, scias tibi pro magno munere hoc dari, ut unam de tribus quam velis eligas mortem. Aut te praecipites ex alta rupe, aut te manibus tuis suspendas in quavis arbore, aut scelerosam vitam tuo finias ense. Ad haec vir ingemiscens ait: Heu ! quam male virum habet, cum praeter spem sibi evenit. Et statim abiens in alta alno se suspendit laqueo; unde alnus illa quamdiu non cecidit, quia juxta viam erat, dicta est alnus Durinci. Et quoniam haec antiquis referuntur evenisse temporibus, utrum sint facta an ficta, lectoris judicio relinquimus. Nunc ea quae vera fidelium relatio commendat, noster stilus, licet obtusus tamen devotus, ad exarandum digna memoriae se acuat. 14. Anno dominicae incarnationis 894, Borivoy baptizatus est, primus dux sanctae fidei catholicus. Eodem anno Zuatopulch, rex Moraviae, sicut vulgo dicitur, in medio exercitu suorum delituit et nusquam comparuit. Sed revera tum in se ipsum reversus, cum recognovisset quod contra dominum suum imperatorem et compatrem Arnolphum injuste et quasi immemor beneficii arma movisset -- qui sibi non solum Boemiam, verum etiam alias regiones, hinc usque ad flumen Ogram, et inde versus Ungariam usque ad fluvium Gron subjugarat, -- penitentia ductus, mediae noctis per opaca, nemine senciente, ascendit equum, et transiens sua castra fugit ad locum in latere montis Zober situm, ubi olim tres heremitae inter magnam et inaccessibilem hominibus silvam ejus ope et auxilio aedificaverant ecclesiam. Quo ubi pervenit, ipsius silvae in abdito loco equum interficit, et gladium suum humi condidit, et ut lucescente die ad heremitas ascendit, quis sit illis ignorantibus, est tonsuratus et heremitico habitu indutus, et quamdiu vixit omnibus incognitus mansit; ubi cum jam se mori cognovisset, monachis semetipsum, quis sit, innotuit et statim obiit. Cujus regnum filii ejus parvo tempore sed minus feliciter tenuerunt, partim Ungaris illud diripientibus, partim Teutonicis orientalibus, partim Poloniensibus solotenus hostiliter depopulantibus. 15. Borivoy autem genuit duos filios Spitigneum et Wratizlaum ex ea quae fuit filia Zlavoboris comitis de castello Psov nomine Ludmila. Quo feliciter universae carnis viam ingresso, successit paternum in principatum Spitignev ; post cujus obitum obtinuit Wratizlav ducatum, qui accepit uxorem nomine Dragomir de durissima gente Luticensi, et ipsam saxis duriorem ad credendum, ex provincia nomine Stodor. Haec peperit binos natos, Wencezlaum Deo et hominibus acceptabilem, et Bolezlaum fraterna cede execrabilem. Qualiter autem gratia Dei semper praeveniente et ubique subsequente, dux Borivoy adeptus sit sacramentum baptismi, aut quomodo per ejus successores his in partibus de die in diem sancta processerit religio catholicae fidei, vel qui dux quas aut quot primitus ecclesias credulus erexit ad laudem Dei, maluimus praetermittere quam fastidium legentibus ingerere, quia jam ab aliis scripta legimus: quaedam in privilegio Moraviensis ecclesiae, quaedam in epilogo ejusdem terrae atque Boemiae, quaedam in vita vel passione sanctissimi nostri patroni et martiris Wencezlai ; nam et escae execrantur quae saepius sumuntur. Inter hos autem annos quos infra subnotavimus facta sunt haec, quae supra praelibavimus: non enim scire potuimus, quibus annis sint gesta sive temporibus. Addit cod. 7 sequentia: Interea deficiente nostra materia, quam nemo illius temporibus hominum, clericorum seu laicorum memoriae commendavit posterorum, rursus ad nobilia facta Romanorum imperatorum recurramus. 16. Anno dominicae incarnationis 895. ... Anno dominicae incarnationis 928. 17. Anno dominicae incarnationis 929. 4 Kalend. Octobris sanctus Wencezlaus, dux Boemiorum, fraterna fraude martirizatus Bolezlav in urbe, intrat perpetuam coeli feliciter aulam. Nam Bolezlaus, haud dignus dici sancti viri germanus, quam fraudulenter fratrem suum invitaverit ad convivium, quem potius machinabatur ob regni retinendi gubernacula necandum, aut qualiter coram hominibus sed non apud Deum, dissimulaverit fratricidii reatum, sufficienter dictum puto in passionis ejusdem sancti viri tripudio. Cujus post vitae bravium alter Cain Bolezlaus heu! male adoptatum obtinuit ducatum. Haec autem inter convivia quae, ut supra retulimus, fraterna caede execrabilia, nascitur proles eximia ducis Bolezlai ex conjuge egregia, cui ex eventu rerum nomen est inditum Ztrahquaz, quod nomen sonat terribile convivium. Quod enim terribilius potest esse convivium, quam in quo perpetratur fratricidium? Ergo dux Bolezlaus, sceleris patrati conscius, timens penas Tartari, mente semper recolens sagaci quoquo modo possit Deus super hoc crimine placari, votum vovit Domino dicens: Si iste meus filius, inquit, superstes fuerit, ex toto corde meo Deo eum voveo, ut clericus sit et serviat Christo omnibus diebus vitae suae, pro meo peccato et hujus terrae pro populo. 18. Post haec genitor voti non inmemor, cum esset jam puer docibilis et multum parentibus amabilis, non ferens pater ut suis disceret prae oculis, misit eum Radisponam tradens sub regulares alas abbati sancti Emmerammi martiris. Ibi ecclesiasticis et regularibus sanctionibus est imbutus, ibi monachico habitu indutus, ibi usque ad virile robur est enutritus; de caetero ejus vitae cursu in sequentibus sat manifestabitur. De actibus autem ducis Bolezlai nihil aliud dignum relatione percipere potui nisi unum, quod vobis operae precium pandere duxi. Nam servus Dei Wencezlaus ecclesiam in metropoli Praga sub honore sancti Viti martyris constructam non tamen consecratam, morte praeventus, reliquit. Hanc ut consecrare dignaretur, qui tunc praeerat Ratisponensi ecclesiae praesul nomine Michael, dux Bolezlaus supplex, missis legatis cum magnis muneribus et majoribus promissionibus atque pollicitationibus, quo peticionem suam adimpleret, vix impetravit. Quod utique haud annuisset praesul, nisi ob recordationem animae et salutem Wencezlai amici sui jam interfecti id deliberasset fieri, quia vir Dei Wencezlaus. dum carne viguerat, nimio eum affectu coluerat utpote patrem spiritualem et benignissimum praesulem. Nam et praesul Michael similiter hunc sibi adoptaverat in filium dilectissimum, tum saepe instruens timore et amore Dei, tum saepe mittens ei sua donaria, quibus maxime illo in tempore indigebat nova ecclesia Christi. Mox ubi dux est factus compos voti, plebs universa et proceres atque clerici obviam advenienti episcopo ruunt devoti, et cum magno honore et laeticia recipiunt eum in metropolis Pragae aedificia. Quid multa? 10 Kalend. Octobris dedicata est S. Viti martiris ecclesia, laetus repedat praesul ad propria.
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12. Alors le Duc Neklan, plus peureux qu'un lièvre craignant de se trouver au combat, feignit une maladie & resta au camp. — Que peuvent faire des membres sans tête, ou des soldats sans général. Il y avait alors un jeune homme remarquable par l'honnêteté de son corps, il s'appelait Tyro. Il était pour le commandement le second après le Duc & il ne savait ni craindre, ni céder lors même qu'il aurait eu mille ennemis à combattre. Neklan le fit venir secrètement, lui ordonna de prendre ses armes & son cheval & de mener les troupes au combat qui devait avoir lieu à deux stades de la ville. Les Bohèmes occupèrent les premiers une colline qui était au milieu du champ du bataille & Tyro leur parla en ces termes : Si un général pouvait donner à ses troupes du courage par des discours, je vous parlerais longtemps, mais comme l'ennemi est à notre vue & qu'il n'y a pas de temps à perdre, je me contenterai d'un petit nombre de paroles. Dans la guerre tout le monde veut combattre, mais tout le monde n'a pas les mêmes raisons de remporter la victoire. Eux combattent pour la gloire, nous pour la patrie & l'existence, eux pour enlever nos femmes & les gages de leur tendresse, nous pour les défendre. Prenez donc courage & soyez des hommes, car les Dieux qui jusqu'à présent vous étaient contraires, ont été apaisés par les sacrifices qu'ils avaient demandé eux mêmes. Ceux qui se laissent aller à la crainte, courent les plus grands dangers. L'audace vaut un mur & les dieux lui sont favorables, croyez-moi si vous voulez fuir vous n'échapperez pourtant pas à la mort, mais votre mort serait pire que la mort même. Vos femmes seront violées en votre présence, vos enfants feront égorgés sur leur sein & on leur donnera des petits chiens pour les allaiter, car le seul courage qui reste aux vaincus est de ne rien résister à leurs vainqueurs. Cependant le féroce Duc des Luczaniens, venait à la tête de sa troupe orgueilleuse. Et aujourd'hui encore ils ont un orgueil inné dont ils ne peuvent se défaire. Le Duc donc voyant que les ennemis ne fuyaient pas, ordonna aux siens de s'arrêter & prenant un ton compatissant dit : Oh ! misérable poignée d'hommes timides, qui ne sont ni courageux ni guerriers. Vous avez beau chercher des collines, voyez comme ils n'osent pas vous attendre dans la plaine il me semble déjà les voir fuir. N'attendez pas qu'ils se soient enfui, foulez-les à vos pieds. Gardez-vous de souiller vos traits dans leur sang impur ; lâchez vos oiseaux. Les faucons suffiront pour remplir de terreur cette armée de colombes timides. Lorsque tous ces oiseaux furent lâchés, il s'en forma une nue épaisse, comme celles qui produisent la tempête. L'intrépide Tyro voyant cela, dit aux siens : Si la fortune veut que je meure dans le combat, enterrez-moi sur cette colline & faites y construire un mausolée, qui soit fameux dans les siècles. Et de là vient qu’aujourd'hui même, l'on appelle Tyri, le buste d'un guerrier très brave.[10] Bientôt s'élançant au milieu des bataillons ennemis, Tyro paraît semblable à ces rochers qui détachés par la foudre, roulent dans les précipices & renversent tout ce qui se trouve sur leur chemin, ou plutôt notre héros moissonne les têtes des ennemis, comme si ce n'était que des têtes de pavots jusqu'à ce qu'enfin il tombe hérissé de traits. L'on ne sait point comment chacun est mort, de quels traits & de quelles blessures. L'on sait seulement, que les Bohèmes, avaient remporté la victoire & que les Lucéens avaient été tuées jusqu'au dernier à l'exception de celui à qui sa belle mère avait donné les conseils que l’on a vu plus haut. Celui-ci étant revenu chez lui, trouva que sa femme était morte & que toute la maison la pleurait : Il lui découvrit le visage & vit qu'elle avait une blessure à la poitrine & les oreilles coupées : Alors se ressouvenant de ce qu'il avait fait pendant le combat, il tira les oreilles qu'il avait dans la bourse & reconnut aux pendants que c'étaient celles de sa femme & que c'était elle qu'il avait tuée sous une forme étrangère. 13. Ensuite les Bohèmes entrèrent dans cette terre & n'y trouvant plus de résistance, la dévastèrent entièrement, détruisirent les villes, brûlèrent les villages & enlevèrent beaucoup de butin : Entre autres ils trouvèrent un jeune enfant du Prince qui était en nourrice chez une vieille. Le Duc quoique païen, eut pitié de cet enfant, comme aurait pu faire un bon catholique. Il fit donc bâtir une ville nouvelle qu'il appela Dragus sur le rivage du fleuve Ogre près du Bourg de Postoloprt, là ou l'on voit aujourd'hui le couvent de Ste Marie. Ensuite il confia la ville & l'enfant au même instituteur que lui avait donné le père. Cet homme s'appelait Durink, il était originaire de Zourbia s'était un scélérat plus cruel qu'une bête féroce. Lorsque cela fut fait, l'on permit au peuple dispersé de se rassembler autour de leur prince comme des abeilles autour de leur reine & comme la ville était en plaine, il n'était pas à craindre qu'ils puissent se révolter & celui qui les commandait étant étranger, il y avait moins de danger que si c'eut été un des leurs. Toutes ces choses étant ainsi arrangées, les Bohèmes reprirent joyeusement le chemin, de chez eux & les aigles triomphantes furent remises à leurs place. Pendant ce temps là, ce scélérat Zribin plus méchant qu'un infidèle, commit un crime cruel ; car un jour des pécheurs vinrent dire qu'il avait beaucoup de poissons arrêtés sous une glace nouvelle. Cette glace était transparente, l'air ne l'avait point gâté & la poussière ne l'avait point taché. Alors ; Durink ce second Judas voyant une circonstance favorable pour commettre un crime qu'il méditait depuis longtemps dit à l'enfant : Allons pécher. Lorsque tout le monde fut arrivé il dit : Oh ! mon petit seigneur, voyez plus de mille petits poissons qui nagent là sous la glace. L'Enfant se mit à genoux pour regarder & Durink lui porta un coup de hache : mais n'ayant pu lui couper la tête d'un seul coup, le scélérat tira son couteau & acheva son jeune seigneur comme il aurait pu faire un cochon de lait. Aussitôt il enveloppa cette tête dans une pièce d'étoffe, afin de la porter au Duc de Bohême dont il espérait de grandes récompenses. Il attendit que ce prince fût au milieu de son conseil, dans le palais de Prague. Alors il parla en ces termes : Je viens de faire en sorte avec ma hache, que vous puissiez tous dormir en sûreté sur l'une & l'autre oreille. Quelquefois une légère étincelle que le maître de la maison laisse par mégarde, produit un grand embrasement & brûle non seulement la maison, mais encore les maîtres de la maison. Moi, ayant peur de cette étincelle & excité comme par un oracle divin, je l'ai éteinte & vous ai préféré d'un grand malheur vous & vos descendants. Vous qui êtes ici les chefs, trouvez une récompense digne de moi. Si j'ai bien fait, faites que tout le monde le sache & si vous dites que j'ai commis un crime, vous m'en devez d'autant plus de reconnaissance, que je vous l'ai épargné. Deviez-vous laisser vivre le fils de celui qui voulait égorger vos enfants & forcer vos femmes d'allaiter des petits chiens. Voici quel eut été le vengeur de son père, il ne peut plus vous faire de mal, à présent prenez son royaume, il vous appartiendra éternellement. Et alors il présenta cette tendre tête, qui avait encore conservé toute sa forme. Le Duc en eut horreur, aussi bien que les comtes & il s'éleva un murmure confus. Le Duc détourne les yeux de dessus cet horrible présent & parla en ces termes. Sors d'ici scélérat, emporte tes dons funestes, tes crimes comblent toute mesure & ne sauraient être assez punis & l'on ne saurait imaginer un supplice qui ne fut au dessous de ce qu'ils méritent, crois-tu qu'il ne me fut pas aisé de faire ce que tu as fait. Il m'était permis de tuer un ennemi & il ne te l'était pas d'assassiner ton maître (il y a ici quelques phrases incompréhensibles & d’ailleurs insignifiantes.) La seule récompense que je t'accorderai est la permission de choisir entre trois genres de mort, ou de te précipiter du haut d'un rocher, ou de te pendre toi même à un arbre, ou de te tuer avec ton épée. Alors cet homme dit en gémissant Oh ! qu'il est cruel d'être ainsi trompé dans ses espérances — & aussitôt il sortit & alla se pendre à une aulne, cet arbre qui n'est pas encore péri est proche du chemin & s'appelle l'aulne de Durink. Nous laissons au lecteur à décider si ces relations que les anciens nous ont transmises, sont des Actions ou des vérités.-— Et à présent nous allons aiguiser notre style obtus, afin de le rendre digne de tracer l'histoire des événements, que nous a conservé la mémoire des fidèles. 14. En l’année de l’Incarnation 894, Bořivoj fut le premier duc à être baptisé dans la sainte foi catholique. Dans la même année, Zwatopluk, Roi de Moravie, disparut au milieu de son armée & jamais on ne le revit depuis. C'est ce que le peuple raconte mais voici la vérité : Il rentra en lui-même & se repentit d'avoir fait une guerre injuste, contre l'Empereur Arnolphe son seigneur & son compère, oubliant qu'il lui avait fournis non seulement la Bohême, mais encor d'autres régions, de ce côté ici jusqu'au fleuve Odra & de l'autre jusqu’à la rivière Gron. Or donc Zwatopluk conduit par la pénitence monta à cheval à minuit sans en rien dire à personne, traversât secrètement son camp & alla à la montagne Zober, ou trois ermites avaient autrefois élevé une église par son recours, au milieu de forêts inaccessibles. Etant arrivé en cet endroit il tua son cheval, enterra son épée & se présenta aux ermites à la pointe du jour. Là il fut tonsuré & prit l'habit érémitique & tant qu'il vécut on ignore qui il était, mais en mourant il le dit aux moines & mourut l'instant d'après. Ses fils régnèrent après lui pendant peu de temps & leur règne ne fut pas heureux. Les Hongrois enlevèrent une partie de leurs états, fit les Allemands Orientaux aussi bien que les Polonais, les ravagèrent maintes fois. 15. Deux fils naquirent à Bořivoj: Spytihněv et Vratislav (11). Ils étaient de son épouse Ludmilla (12), fille du comte Slavibor du château de Pšov (13) Lorsque Bořivoj entra sur le chemin de la vie éternelle, il fut remplacé par Spytihněv; et après la mort de ce dernier, Vratislav récupéra le duché ; il prit pour femme, Dragomir, femme de la rude tribu des Liutizi (14) et de la province appelée Stodor; en ce qui concerne la foi, elle était plus dure que la pierre. Dragomir eut deux fils: Venceslas (15), agréable à Dieu et aux hommes, et Boleslas (16), maudit fratricide. Nous préférons garder le silence sur la façon dont, partout suivi par la grâce de Dieu, le duc Bořivoj reçut en conséquence le sacrement du baptême et comment via ses successeurs, la sainte religion chrétienne progressa jour après jour dans ces pays, ainsi que sur la manière dont le premier prince chrétien, fit établir des églises à la gloire de Dieu ; nous avons choisi de ne pas en parler pour ne pas offenser le lecteur, parce que tout cela peut être lu dans des œuvres écrites par d'autres: une partie dans le privilège accordé à l’église de Moravie (17), une partie dans l'épilogue de la Moravie et de la Bohême (18), une autre partie dans la vie de notre saint martyr et patron Venceslas. En effet, on finit par détester les plats que l’on mange trop souvent (19). Les événements que nous avons racontés, se sont passés ces années-là, mais durant quelles années, tout cela se passa, nous ne le savons pas plus précisément. 16( 20) . Lacune. Année de l’Incarnation 895 …. Année de l’Incarnation 928. 17. En l’année de l’Incarnation 929, le 4 des calendes d’octobre (21), saint Venceslas, duc de Bohème, martyrisé par son frère dans la ville de [Stará] Boleslas, entra heureux dans l’éternelle chambre des cieux. Alors Boleslas, peu digne d’être appelé frère de ce saint homme, comment il invita insidieusement son frère à une fête où il avait prévu de le tuer pour s’emparer du pouvoir du royaume, ou bien comment il dissimula son coupable fratricide aux hommes mais non pas à Dieu, je crois qu’on en a suffisamment parlé dans la passion de ce saint homme. Après cette brève affaire, Boleslas devint un autre Caïn et il obtint le duché si malheureusement convoité. Pendant cette fête où fut perpétré le détestable fratricide dont nous avons parlé, naquit alors un bel enfant de la femme du duc Boleslas ; à cause de l’événement on lui donna le nom de Strachkvas (22), ce qui signifie « terrible fête. » Qu’aurait-il pu y avoir de plus horrible qu’une fête où s’est accomplie un fratricide ? C’est pourquoi le duc Boleslas, conscient du crime commis, craignant le châtiment des Tartares, pensant toujours à la manière d’apaiser Dieu, fit un vœu au Seigneur en disant : « Si mon fils survit, je le consacrerai à Dieu de toute mon âme. Qu’il soit clerc et serve Dieu pendant tous les jours de sa vie pour la rédemption de mon péché et le bien du peuple de cette terre. » 18. Après cela, n’ayant pas oublié sa promesse, comme l’enfant était doux et aimé de ses parents, son père, ne pouvant supporter de le voir étudier devant ses yeux, l’envoya à Regensburg, à l’abbé de saint Emmeran martyr (23). Là il fut éduqué selon les critères ecclésiastiques et monastiques, revêtu de l’habit de moine, jusqu’à l’âge adulte. La suite du cours de sa vie sera suffisamment exprimée dans ce qui va suivre. En ce qui concerne les actes du duc Boleslas, je n’en vois aucun digne d’être signalé (24) si ce n’est l’un d’eux que j’ai décidé de porter à votre connaissance. Alors Venceslas, serviteur de Dieu, fut empêché par la mort de consacrer une église dédiée à saint Vitus (25) martyr dans la ville de Prague. Comme il la croyait digne de consécration, le duc Boleslas envoya humblement des messagers à Michel (26), qui dirigeait l’église de Regensburg, avec de grands présents, de grandes promesses et propositions, afin qu’il remplisse sa demande. C'est avec beaucoup de difficulté qu’il arriva à ses fins. L’évêque n’aurait pas approuvé cela à moins que ce fût en mémoire de l’âme et du salut de Venceslas, maintenant assassiné. Car l’homme de Dieu Venceslas, quand il était fait de chair, lui avait porté une grande affection tant en père spirituel qu’en évêque bienfaisant. L’évêque Michel l’avait ainsi adopté comme son fils bienaimé, l’instruisant souvent dans la crainte et l’amour de Dieu, et lui envoyant souvent des dons à la nouvelle église du Christ si nécessaires en cette période. Dès que le duc eut terminé son vœu, tout le monde : nobles, peuple et clergé se précipita pour accueillir l’évêque, le recevoir avec grand honneur et se réjouir dans les édifices de la métropole de Prague. Que dire de plus ? Ayant terminé la consécration de l’église à saint Vitus martyr le dixième jour des calendes d’octobre (27), l’évêque s’en retourna heureux chez lui.
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[1] J’ai porté cette épître dédicatoire pour faire connaître à mes lecteurs le père de l’histoire de Bohême, & le seul historien de cette nation que puissent consulter ceux qui aiment la vérité, & j'en viens tout de suite à l'histoire des temps compris dans ce volume. [2] Ceux qui ont lu mon livre quarante deuxième doivent déjà connaître le bon doyen de Prague, particulièrement par son épître dédicatoire à l'archigéronte Gervaise. L'on y voit que son but principal est de fournir à quelque bon poète le sujet d’une Enéide, et c'est donc cela qu'il met dans la bouche de son pater Bohémus des expressions qui ne peuvent convenir qu'à Enée. Mais ce goût pour la poésie n'influe jamais sur la vérité des faits racontés par notre auteur. Je m'en suis convaincu par une étude particulière de toute son histoire, et je le ferai voir toutes les fois que l'occasion s'en présentera. La première remarque importante à faire c'est que la Bohême était déserte lorsque les habitants actuels y entrèrent, et en cela Cosme est conforme à l'histoire qui nous apprend que les Marcomans en avaient été des longs temps chassés, et j'aime mieux que Cosme me dise qu'elle avait toujours été déserte depuis le déluge, car cela me prouve qu'il n'y a point chez lui d'immixtion d'érudition étrangère, mais qu'il raconte simplement les traditions de son pays. Au reste Bohemia vient de Bojen-haim qui veut dire la demeure des Bojens. Ces Bojens y avaient habité avant les Marcomans, et Bohemia étant le nom latin, Cosme a cru devoir donner à Czech le nom latin de Bohémus car il n'y a pas doute qu'il a voulu ici parler de Czech. Il est encore important d'observer que Czech s'établit d'abord sur le mont Rip, entre l'Egra et la Moldava, ce qui indique clairement la Chersonnèse formée par ces deux rivières et par l'Elbe, là où est aujourd'hui la ville de Raudnitz. Mais si Czech avait été frère de Lech, et fut venu avec lui de Croatie ; il y a apparence qu'il ne se serait pas tout de suite établi à ce coin-là de la Bohème, mais aussi cette fraternité est-elle un conte des plus modernes. Czech venait du pays des Serbes entre la Saale et l'Elbe, comme le dit clairement Constantin Porphyrogénète, et il est par conséquent tout simple qu'il se soit d'abord établi sur les montagnes de Rip. [3] L'on voit bien qu'il y a ici de la poésie, et même de la poésie érotique ; mais il ne serait pas impossible qu'il y eût aussi de la tradition. Nestor parle en vingt endroits de peuplades slaves qui ne connaissaient pas le mariage. On enlevait les femmes près des fontaines, et puis on les menait à certaines foires ou elles avaient l'occasion de faire de nouvelles connaissances, et de former de nouvelles liaisons. Tous les voyageurs disent qui la peuplade de Martaban, près d'Alexandrette, offre encore un exemple de la communauté des femmes, et j'ai connu en Afrique une tribu de Noalis, chez qui les femmes changent de mari à leur gré, et toute la cérémonie consiste pour la femme à sortir pendant la nuit sans que son mari s'en aperçoive. Le matin à son réveil il trouve une femelle de chameau attachée devant sa tente, et il ne lui est plus permis de faire des perquisitions ; du moins j'ai lieu de croire que cela est ainsi, quoique je n'en aie pas été précisément témoin oculaire, par la raison qu'il est trop dangereux d'aller chez ces peuples ; mais j'ai connu des Noalis, et j'ai manqué d'être pris par eux dans le golfe de Zoara. Je me permets cette petite digression, parce que c'est un grand défaut en critique que de nier tout ce qui nous paraît extraordinaire ; cela mène au pyrrhonisme voltairique qui est très commode pour la paresse, mais bien contraire à l'esprit que l'on doit porter dans l'étude de l'homme et des nations. [4] L'on voit donc qu'il s'est passé un temps indéterminé entre Czech, conducteur de la colonie, et Croh dont il va être question, et nous voyons effectivement que Charlemagne trouva les Bohèmes qui s'étendaient jusqu'au Danube, ce qui suppose une immigration déjà ancienne. Au reste on ne doit point douter, ou du moins il n'y a pas de bonnes raisons de mettre en doute, que Czech premier, chef des immigrants, n'ait donné son nom à la colonie, car c'était fort l'usage des Slaves, ainsi que nous l’avons vu par les exemples de Duleba, Radym, Watko et autres. Il ne faut pas confondre ce je dis ici avec ce que j'ai dit des dynasties qui portaient quelquefois non pas le nom du premier dynaste, mais le nom de son père, de son grand-père, ou de son premier ancêtre connu. [5] Quelque savants ont voulu que le Croh des Bohèmes fût le Cracus des Cracoviens, leur Primul la Przemyslaw des Polonais, mais comme les histoires respectives attribuent à ces princes des actions tout-à-fait différentes, il n'y a que la ressemblance des noms qui puisse faire croire à l'identité de personnes ; or la ressemblance des noms n'est jamais une raison chez les peuples slaves où les noms sont significatifs et composés, c'est ainsi que l'on trouve des Brazlaw, des Boleslas, des Gostomysl, dans l'histoire de toutes leurs différentes races, et le nom de Przemyslaw est un des plus répandus. C'est même encore aujourd'hui un nom de baptême assez commun en Dalmatie. Pour ce qui est du château bâti par Cracus près du bourg Ztibene, il semble qu'il faille le chercher aux environs de Prague, près des établissements de ses filles ; or je vois-là sur la carte le bourg de Zdiby, dont le nom me paraît ressembler assez à celui de Ztibene, ce qui rend ma conjecture du moins aussi bonne que celle qu'ont faite là dessus Dobner et Dubravius. [6] Quelle chute que celle qui nous mène de Médée qui se fait obéir par le destin, à une liseuse de bonne aventure qui fait retrouver les effets perdus. Mais c'est que le bon doyen se croit poète, et s'exprime en conséquence, et qu'ensuite il en revient pourtant à recueillir ses traditions indigènes qui sont précisément ce que nous recherchons chez lui, car leur naïveté s'y trouve tout entière, tandis qu'elle est toute défigurée dans les écrivains postérieurs. C'est ainsi que Cosme de Prague rend cet ancien proverbe bohème par les paroles suivantes : Illud nec ipsa potest recuperare Kazi. — Et Hayek dit déjà : idem Kassa quidem divinando assequatur. — Ce qui est tout autre chose. Pour ce qui est de la Mogila de Kazi, elle ne serait peut-être pas difficile à retrouver. La rivière qui est appelée ici Alsa, est appelée Msa dans le manuscrit de Dresde ; ainsi c'est la Miza qui est bien sur le chemin de la province de Bechin ; ainsi il faudra chercher sur cette rivière près de son embouchure. Pour ce qui est de la montagne Osséca, elle ne peut pas donner de grands renseignements. Osiek ou Wosiek veut dire un abatis d'arbres, et beaucoup d'endroits en ont tiré leurs noms en Bohème, tels que Wosieczan, Wosieczyn, Wosek etc. [7] Le culte des dryades n'est autre chose que le culte des arbres qui était particulièrement en vogue dans la Prusse, mais aussi dans quelques endroits de l'Allemagne. Les Varègues russes, établis sur le bord de Niémen, y apprirent à adorer les chênes, et l'enseignèrent ensuite aux Slaves, et lorsque leur marchands réunis avaient passé les cataractes du Dniester, ils abordaient à l'île de St. George, et y faisaient des sacrifices à un chêne très grand et très ancien, ainsi que nous l'apprend Constantin Porphyrogénète. Mais je ne crois pas que les Slaves aient d'eux-mêmes adoré les arbres, et toutes les fois qu'ils l'ont fait, l'on y remarque la trace d'une introduction étrangère. L'île de St. George s'appelle aujourd'hui Hortyckoi Wysep. L'on y a établi une colonie d'anabaptistes. Pour ce qui est de la rivière Ossa, elle ne m'est point connue, non plus qu'aux autres indicateurs des antiquités bohèmes. Je croirais donc qu'il y a encore là une faute de copiste, et qu'il faut aussi lire Msa ; et alors la ville bâtie par Tethka, serait Tettin que je vois sur ma carte être assez proche de Prague. Si l'on n'est pas content de mes conjectures, je prie qu'on les compare avec celles de Hayek, Dobner, Dubrawius, et l'on verra comment ils ont tordu et retourné les noms pour les faire cadrer avec leurs systèmes. [8] L'on peut voir que le règne de Crezomysl tombait déjà dans le troisième tiers du neuvième siècle. Ainsi il n'y a pas de faute chronologique à supposer que les règnes de Nezamisl, Mnata, Woyn et Wnislaw aient rempli les deux premiers tiers de ce siècle. Or nous avons une présomption des plus fortes pour croire que Primizl a régné dans le dernier tiers du huitième siècle ; c'est que le diacre Paul Warnefried, historien des Lombards, parlant des Amazones de l'antiquité, dit que de son temps même il se passait quelque chose de semblable aux extrémités de la Germanie. C'est à Monsieur le comte de Buat que nous devons ce rapprochement aussi heureux que décisif pour la chronologie bohème. Enfin nous observions que tous les lieux dont il est question dans l'histoire de Croh, Lubossa et Primizl sont peu éloignés de Prague, et dans des forêts non encore défrichées, et en cela Cosme de Prague est encore conforme aux annales des Francs qui nous représentent les Bohèmes comme partagés en un grand nombre de petites peuplades. Mais pour que ces peuplades aient eu le temps de s'étendre jusque au Danube, et cependant de former une sorte de nation, il est naturel de reculer le temps de Czech, liberté que notre auteur nous laisse pleinement, puisqu'il ne détermine pas le temps qu’il y a eu entre Czech et Croh. [9] Les savants de la Bohême ne sont point d'accord sur les noms de rivières que l'on voit ici. Il paraît pourtant que les états de Wlastislas s'étendaient le long des frontières montueuses de la Franconie depuis l’Elbe jusques aux sources de la Beranna. [10] Tyro est appelé, Styrko & Styro, dans les autres Chroniques. Son nom avait passé en proverbe, comme on voit dans une stance de Dalemile : Tu es appelé un torchon, ne te fais pas appeler Styrkon. (11) Spytihněv Ier est duc de Bohême de 894 à 915, il est le fils aîné de Bořivoj Ier de Bohême et de sainte Ludmila de Bohême. A la mort de son père, Spytihněv est encore un enfant. La Bohême tombe sous la juridiction de la Grande-Moravie. Spytihněv profite de l’anarchie qui suit la mort de son suzerain Svatopluk Ier en 894 pour prendre le pouvoir. Le prince Vratislav régna de 915 à 921. (12) Sainte Ludmilla, née aux environs de 860 et décédée le 15 septembre 921, est l'épouse de Bořivoj Ier de Bohême auquel elle est mariée, encore presque enfant, en 874. De cette union naissent six enfants dont l'ainé Spytihněv naît en 875, suivent trois filles et deux garçons dont Vratislav en 888… Suite au décès de son fils Vratislav, Ludmilla rentre en conflit avec sa belle-fille Drahomira qui s'est emparée de la régence. Ce conflit culmine avec l'assassinat de Ludmilla, le 15 septembre 921, au château-fort de Tetín : elle est alors étranglée par deux Varègues à la solde de sa belle-fille qui ont utilisé pour ce faire le propre châle de la souveraine-douairière, châle qui est devenu le symbole de son martyr bien qu'elle ne soit pas, à proprement parler, morte pour sa foi. (13) Pšov est mentionné dans « la Vie de St Venceslas ». (14) Liutizi — Une tribu de slaves baltes, peuplant le territoire du Mecklenburg et mentionnée également par Helmold de Bosau. (15) Saint Venceslas Ier de Bohême (Václav en tchèque ; prénom parfois transcrit en Venceslav ou Wenceslas), né aux alentours de l'année 907 à Stochov près de Libušín et mort le 28 septembre de l'année 929 ou de l'année 935, fut un souverain tchèque. Il est le saint patron de la République tchèque, où il est célébré les 28 septembre. Boleslav, avide de pouvoir et aidé par plusieurs seigneurs, conspire contre son propre frère en l'attirant à la fête des patrons de l'église Saints-Côme-et-Damien de la ville de Stará Boleslas, non loin de Prague. Sans arme, Venceslas est attaqué par son frère et d'autres conspirateurs, il meurt devant la porte de l'église. Trois ans plus tard, Boleslav Ier de Bohême repentant fait transporter la dépouille de son frère à l'intérieur de la cathédrale Saint-Guy de Prague (16) Boleslav Ier le Cruel (en tchèque Boleslav I. Ukrutný) fut duc de Bohême de 935 à 967. Il mourut en 973. (17) Il s’agit sans doute de le la Bulle Industriae Tuae publiée en juin 880 par le Pape Jean VIII et instituant la province ecclésiastique de Grande-Moravie dont Méthode prend la tête en tant qu'archevêque. Il nomme également le clerc allemand Wiching évêque de Nitra et reconnait le vieux-slave comme langue liturgique au même titre que l'hébreu, le latin et le grec. (18) Ce document semble inconnu. (19) Cosmas sous-entend qu’il ne veut pas lasser son lecteur en répétant ce qu’il sait déjà. (20) De 894 à 929 il y a une lacune difficile à expliquer dans la Chronique de Cosmas. Des cas analogues existent entre (952 et 966), et (970, 971, 978, 979) etc. (21) 28 septembre. (22) Ce fils serait né le jour du martyre du frère de Boleslas. Le chroniqueur Adalbert en parle également. (23) Tuto († 10 octobre 930) était le neuvième évêque de Ratisbonne/Regensburg de 893 à 930. Il est vénéré comme bienheureux. Tuto fut comme les autres évêques du diocèse d'abord abbé-évêque à la tête du monastère de St Emeran. Saint Emmeran de Ratisbonne/Regensburg (également Emmeramus, Emmeram, Emeran, Heimrammi, Haimeran ou Heimeran) naquit à Poitiers et fut un évêque chrétien et un martyr. Il mourut vers 652 et est enterré à Saint-Emmeran à Ratisbonne/Regensburg, en Allemagne. Son jour de fête dans le calendrier catholique des Saints est le 22 Septembre. (24) Boleslas eut malgré tout le temps de faire quelques petites choses dignes d’intérêt quoi qu’en pense Cosmas: il entra en conflit avec l'empereur Otton Ier et dut, vers 950, se reconnaître son vassal et payer le tribut de la paix (tributum pacis). À l'est, il participa avec ses troupes à la bataille du Lech, le 10 août 955, au cours de laquelle les Hongrois furent définitivement écrasés. Boleslas profita de leur déroute pour occuper la Moravie, la Slovaquie occidentale, la Silésie, et la Croatie blanche avec Cracovie. Boleslas paracheva l'édification d'un état modernisé, il inaugura la frappe monétaire et transforma en taxe fixée en argent la contribution des habitants libres. (25) La traduction devrait écrire saint Guy, mais on a conservé Vitus, encore appelé saint Vite, saint Guido selon les pays. (26) Michel, évêque de Ratisbonne de 942 à 972 ; il fut évêque après la mort de Venceslas. Cosmas se trompe donc puisqu’il est en l’an 929, époque à laquelle Tuto était évêque de Ratisbonne/Regensburg. (27) 22 septembre.
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