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ŒUVRES D'AUSONE

 

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

 

ORDRE DES VILLES CÉLÈBRES.

 

sur les douze Césars         le jeu des sept sages  

 

 


 

ŒUVRES D'AUSONE

ORDRE DES VILLES CÉLÈBRES.

I. Rome[i].

LA première entre les cités, c'est le séjour des dieux c'est Rome dorée.

II. Constantinople et Carthage.

CARTHAGE se lève par déférence devant Constantinople, sans tout à fait lui céder le pas, parce que le troisième rang lui répugne, bien qu'elle n'ose pas aspirer seule au deuxième, qui appartient à toutes deux. L'une prévaut par son antique puissance, l'autre par sa fortune récente. L'une a été, l'autre commence ; l'excellence de ses mérites nouveaux efface l'ancienne splendeur de sa rivale, et force Didon de s'incliner devant Constantin. Carthage accuse les dieux de la honte qui va la, couvrir, si elle cède encore aujourd'hui, elle qui n'accorda qu'avec peine la, préséance à Rome. Que le souvenir de votre antique fortune abaisse votre orgueil. Allez de pair, et rappelez-vous enfin que, sans un bienfait des dieux, vous n'auriez point changé votre puissance et vos noms si humbles autrefois, alors que vous étiez, toi Lygos la Byzantine, et toi la Punique Byrsa.

III. Antioche et Alexandrie.

ANTIOCHE, où se plaît le laurier d'Apollon, serait, la troisième, si la colonie d'Alexandre acceptait la quatrième place. Mais toutes deux ont le même rang ; et dans le délire de leur ambition, toutes deux luttent de vices, bouleversées sans cesse l'une et l'autre par les désordres de la multitude, par les soulèvements d'une populace forcenée. L'une, défendue par, le Nil, et reculée au loin au sein des terres, est fière de sa richesse et de sa sûreté. L'autre vante si puissance rivale qui tient tête aux Perses infidèles. Et vous aussi marchez égales, soutenez la gloire du nom macédonien  : car c'est Alexandre le Grand qui éleva l'une, et l'autre eut pour fondateur Seleucus, qui portait en naissant l'image d'une ancre sur la cuisse[ii]. Telle que l'empreinte d'un fer brûlant, cette marque resta gravée dans sa famille, et passa comme un signe naturel de sa race à toute là suite de ses descendants.

IV. Trèves[iii].

DEPUIS longtemps la Gaule guerrière réclame mes chants en faveur de Treveri, la ville impériale, qui, voisine du Rhin, semble au sein d'une paix profonde et repose en sûreté, parce qu'elle nourrit, habille et arme les forces de l'empire. Ses épaisses murailles. s'étendent sur le revers d'une colline. A ses pieds coule la Moselle, large et tranquille fleuve qui lui apporte les commerces lointains de toutes lés contrées.

V. Milan.

A MILAN, tout est merveille  : abondance de biens, maisons nombreuses, élégantes, hommes distingués par le génie, l'éloquence, et la douceur de leurs mœurs. Un double mur agrandit l'aspect de la ville, où s'élèvent, un cirque, les délices du peuple ; un théâtre fermé, où s'échelonnent d'immenses gradins ; puis des temples, le Palais et ses remparts, et l'opulent hôtel de Moneta, et le quartier célèbre sous le nm de Bains d'Hercule, et par-tout des péristyles ornés de statues de marbre, et des murailles entourées de fossés en forme de circonvallation. Tous ces ouvrages semblent, par leurs vastes formes, rivaliser de magnificence, et ne sont point écrasés par le voisinage de Rome.

VI. Capoue.

JE ne tairai point Capoue, sa puissance maritime, son élégance, ses festins, ses délices, ses richesses, toutes ses vieilles gloires. Malgré les retours de l'inconstante fortune, elle eut confiance en sa prospérité, et ne sut point garder de mesure. Aujourd'hui l'esclave de Rome, elle était jadis sa rivale. Balançant toujours à observer ou à trahir sa foi, à mépriser le sénat ou à lui rendre hommage, elle osa espérer les curules pour ses auspices de Campanie, pour un consul tiré de son sein, et s'élever assez haut pour partager l'empire du monde. Bien plus, à la cité maîtresse de l'univers, à la mère du Latium, elle déclara la guerre  : elle se fiait à ses généraux sans toge. Elle jura fidélité aux armes d'Annibal, et, bientôt déçue, elle passa, l'insensée ! sous le joug de cet ennemi, avec des airs de souveraine. Puis, entraînés à leur ruine par leurs vices communs, les Carthaginois se perdirent par la luxure, et la Campanie par le faste (jamais l'orgueil, hélas ! ne rencontre de solides fondements !) ; et cette ville, autrefois si puissante par sa force et par ses richesses, cette autre Rome, qui pouvait orner son cimier d'une aigrette rivale[iv], la voilà reléguée au huitième rang, où encore elle se soutient à peine.

VII. Aquilée.

CE n'était point ici ta place  : cependant un surcroît d'éclat récent te range la neuvième, Aquilée, parmi les villes célèbres. Colonie italienne, assise en face des montagnes d'Illyrie, on vante ton port et tes remparts ; mais ton plus beau titre de gloire, c'est d'avoir été choisie par Maximus[v] en ses derniers jours pour être témoin de l'expiation tardive, après un lustre entier, des crimes de cet ancien goujat de nos armées[vi]. Heureuse d'avoir pu contempler l'agréable spectacle d'un si grand triomphe, tu as vu punir par un guerrier de l'Ausonie ce bandit de la Bretagne[vii].

VIII. Arles.

OUVRE, double Arélas, ouvre tes ports, aimable hôtesse, Arélas, petite Rome des Gaules[viii], voisine de Narbo Martius, et de Vienna qui doit sa puissance aux colons des Alpes. Le cours rapide du Rhône te divise en deux parts si égales, que le pont de bateaux qui réunit les deux rives forme une place au milieu de ton enceinte. Par ce fleuve, tu reçois le commerce du monde romain, et tu le transmets à d'autres, et tu enrichis les peuples et les cités que la Gaule[ix], que l'Aquitaine enferme en son large sein.

IX. Mérida.

JE dois te chanter après ces villes, Emerita[x] ; illustre cité des Ibères, qu'un fleuve arrose en courant à la mer, et devant laquelle toute l'Espagne abaisse ses faisceaux. Corduba[xi] ne peut te disputer ton rang, ni Tarraco[xii] avec sa puissante forteresse, ni Bracara[xiii] si fière des trésors qu'elle puise au sein de l'océan.

X. Athènes.

IL est temps de chanter Athènes[xiv], foncée par des enfants de son sol, et qui fut autrefois le sujet d'un débat entre Pallas et Cousus. La première elle vit naître l'olivier, symbole de la paix ; seule elle recueille toute la gloire de l'éloquence attique ; et de ses murs se répandirent, chez les peuples d'Ionie et de nom achéen, ces colonies grecques qui se dispersèrent au loin dans cent villes.

XI. Catane et Syracuse.

QUI pourrait oublier Catane et la quadruple Syracuse ? l'une célèbre par la piété de deux frères au milieu des flammes ; l'autre par les merveilles de sa fontaine et de son fleuve, qui, glissant tous deux sous les vagues salées de la mer Ionienne, se réunissent dans un lieu qu'ils préfèrent, et, joignant leurs flots doux encore, échangent les baisers de leurs eaux sans mélange[xv].

XII. Toulouse.

JE ne laisserai jamais dans l'oubli Tolosa, ma nourrice.. Un rempart de briques l'enveloppe de ses vastes contours  : à ses côtés coule le beau fleuve de la Garonne. Des peuples sans nombre répandent la vie dans cette cité, voisine des Pyrénées chargées de neige, et des Cévennes couvertes de pins, assise entre les villes de l'Aquitaine et les nations de l'Ibérie. Elle a donné naissance à quatre villes, sans s'épuiser ou perdre un seul de ses habitants[xvi] ; les colonies qu'elle a créées, elle les embrasse toutes en son sein.

XIII. Narbonne.

JE ne tairai point ta gloire, Narbo Martius[xvii]. Sous ton nom, une province étendue au loin dans un immense royaume imposa lés lois de son autorité à des peuplades nombreuses. Et la contrée où les Allobroges se mêlent aux Séquanes, et celles où les cimes alpestres arrêtent les limites de l'Italie, où les neiges des Pyrénées bornent l'Ibérie, où le Leman donne naissance au cours impétueux du Rhône, où les Cévennes enferment et resserrent les champs de l'Aquitaine, jusqu'aux Tectosages qui portent l'antique nom de Volces[xviii]  : tout cela fut Narbo. Tu arboras la première, dans les Gaules, le nom romain, et les faisceaux d'un proconsul du Latium. Qui rappellera tes ports, tes montagnes, tes lacs ? tes peuples divers, si différents de costume et de langage ? et ce temple antique de marbre die Paros, d'une si imposante magnificence, et que n'auraient méprisé autrefois, ni Tarquin, ni Catulus, ni enfin celui des Césars qui releva les combles dorés du Capitole ? C'est à toi que les mers de l'Orient et l'océan des Ibères versent leurs marchandises et leurs trésors ; c'est pour toi que voguent les flottes sur les eaux de la Libye et de la Sicile  : et tous les vais-seaux chargés qui parcourent en tous sens les fleuves et les mers, tout ce qui navigue dans l'univers entier vient aborder à tes rives.

XIV. Bordeaux[xix].

DEPUIS longtemps je me reproche un impie silence, ô ma patrie ! Toi, célèbre par tes vins, tes fleuves, tes grands hommes, les mœurs et l'esprit de tes citoyens, et la noblesse de ton sénat, je ne t'ai point chantée des premières ! comme si, convaincu de la faiblesse d'une pauvre cité, j'hésitais à essayer un éloge non mérité ! Ce n'est point là le sujet de ma retenue  : car je n'habite point les rives sauvages du Rhin, ou les sommets de l'Hémus et ses glaces arctiques. Burdigala est le lieu qui m'a vu naître  : Burdigala où le ciel est clément et doux ; où le sol, que l'humidité féconde, prodigue ses largesses ; où sont les longs printemps, les rapides hivers, et les coteaux chargés de feuillage. Son fleuve qui bouillonne imite le reflux des mers. L'enceinte carrée de ses murailles élève si haut ses tours superbes, que leurs sommets aériens percent les nues. On admire au dedans les rues qui se croisent, l'alignement des maisons, et la largeur des places fidèles à leur nom ; puis les portes qui répondent en droite ligne aux carrefours, et, au milieu de la ville, le lit d'un fleuve alimenté par des fontaines ; lorsque l'Océan, père des eaux, l'emplit du reflux de ses ondes, on voit la mer tout entière qui s'avance avec ses flottes.

Parlerai-je de cette fontaine couverte de marbre de Paros, et qui bouillonne comme l'Euripe ? Qu'elle est sombre en sa profondeur ! comme elle enfle ses vagues ! quels larges et rapides torrents elle roule par les douze embouchures ouvertes à son cours captif dans la margelle, et qui pour les nombreux besoins du peuple ne s'épuise jamais ! Tu aurais bien voulu, roi des Mèdes, rencontrer pour ton armée cette fontaine[xx], quand les fleuves desséchés te firent faute ; et promener ses eaux par les villes étrangères, toi qui ne portais partout et toujours avec toi que l'eau du Choaspès[xxi].

Salut, fontaine dont on ignore la source, fontaine sainte, bienfaisante, intarissable, cristalline, azurée, profonde, murmurante, limpide, ombragée. Salut, génie de la ville, qui nous verses un breuvage salutaire, fontaine appelée Divona par les Celtes, et consacrée comme une divinité. L'Apone ne donne pas un plus sain breuvage, le Nemausus un cristal plus pur, le Timave et ses vagues marines une onde plus abondante.

Que ce dernier chant ferme le cercle des ailles célèbres. Si Rome brille à l'autre extrémité, que Burdigala fixe sa place à celle-ci, et partage ainsi le faîte des honneurs. Burdigala est ma patrie ; mais Rome passe avant toutes les patries. Burdigala a mon amour, Rome a mon culte ; citoyen dans l'une, consul dans toutes les deux[xxii], mon berceau est ici, et là ma chaise curule.

  sur les douze Césars         le jeu des sept sages  



[i] Rome, Constantinople, Antioche et Alexandrie. M. Villemain, dans ses Nouveaux Mélanges (de l'Éloquence chrétienne dans le IVe siècle), a tracé, d'après les orateurs chrétiens, un tableau éloquent et animé de d'aspect religieux, politique et littéraire de ces quatre villes à la même époque :
« Dans l'Asie se montre Antioche, avec ses églises et ses théâtres, ce mélange d'imagination et de mollesse qui favorise également les austérités et les plaisirs : c'est là que les disciples du culte nouveau ont reçu pour la première fois ce nom de chrétien, répandu, deux siècles après, sur tous les points du monde ; c'est là que Libanius, païen par amour d'Homère, ouvrait son école que suivit Chrysostome ; c'est là que Julien, devenu maître de l'empire, et toujours sophiste, écrivait des satires contre les chrétiens, ses sujets, Antioche est placée sur les bords du fleuve Oronte, dans une plaine enchanteresse que couronnent d'âpres sommets, oit sont épars quelques solitaires. Le christianisme a tout obtenu d'elle, excepté le sacrifice du cirque et du théâtre ; mais aucuns jeux sanglants n'attristent cette ville charmante. Les fêtes, les bals nocturnes, les réunions de science et de plaisir occupent ses paisibles habitants. Les divisions des sectes n'amènent aucun combat ; elles se raillent l'une l'autre sans se persécuter. Libanius écrit tranquillement le panégyrique de Julien après sa mort, et sur les ruines du polythéisme ; mais la foule se presse sur les pas du jeune et éloquent Chrysostome. Le sanctuaire retentit des applaudissements qu'excitent ses discours. On le suit dans les campagnes, aux portes de la ville ; de vastes toiles sont tendues dans les airs peur défendre de l'ardeur du soleil un nombreux auditoire enivré du charme de ses paroles.
« Telle est la vie des Grecs d 4sie, devenus sujets de Rome et chrétiens, sans avoir presque changé leurs mœurs, leurs usages et leur génie.
« Mais, ailleurs, dans les écrits d'Athanase, apparaît Alexandrie, aussi tumultueuse, aussi pleine d'orages, qu'Antioche est paisible : c'est l'entrepôt de tous les commerces, la patrie de toutes les sectes. Elle est habitée à la fois par les plus contemplatifs et les plus industrieux de tous les hommes. Près de cet observatoire fondé par les Ptolémées, près de cette bibliothèque immense et qui s'accroît sans cesse, sont des ateliers innombrables. Personne ne paraît oisif, excepté les philosophes. On est occupé fout le jour à tisser le lin, à fabriquer le papier, à soufflerie verre, à forger les métaux ; les aveugles mêmes travaillent. Dans cette foule d'habitants, d'étrangers, de voyageurs, il n'est aucune opinion, aucune secte, aucune singularité de mœurs ou de doctrine qui ne se cache impunément ; là, jamais la persécution n'atteignit le christianisme. Une population nombreuse et hardie fait trembler les gouverneurs romains. Nulle ville n'est à la fois plus studieuse et plus agitée ; les mœurs des habitants ont quelque chose de féroce, et leurs mains sont souvent sanglantes. On se dispute par les armes la possession d'un temple. On combat plus encore pour l'archevêché. Le crédit de cette dignité est grand sur l'esprit du peuple. Alexandrie, par son commerce, fournit de blé Rome et l'Italie ; et quand on veut perdre Athanase auprès de l'empereur, on l'accuse avec vraisemblance du projet d'affamer Rome, en suspendant par son pouvoir le départ des flottes d'Égypte.
« Constantinople, ses mœurs, son luxe, la cour impériale et ses vices paraissent mieux encore dans les orateurs du Ive siècle. C'est la métropole du monde et de la religion ; c'est là que brillent tour à tour sur le siége épiscopal Grégoire de Nazianze et Chrysostome ; mais en même temps c'est le centre où viennent aboutir les sectes inventées par l'esprit subtil d'Alexandrie et la philosophie de la Grèce ; c'est là qu'on vient les mettre à profit, en les produisant à la cour, et en tâchant d'y gagner quelque chambellan ou quelque eunuque du palais. Là donc se montrent dans toute leur nudité les misères de l'empire d'Orient, le despotisme capricieux des princes, les intrigues du palais, la corruption d'une grande ville faite trop vite, qui n'était ni grecque ni romaine, et semblait une colonie plutôt qu'une capitale. Mais Constantinople, par sa nouveauté même, n'avait rien dans ses monuments, dans ses fêtes, dans ses usages, qui rappelât l'ancien culte. Elle était de la même date que le triomphe du christianisme.
A Rome, au contraire, le christianisme n'avait qu'une demi-victoire. Les deux sociétés, les deux cultes, le passé et l'avenir, étaient en présence et en guerre. Les temples, les cirques, les théâtres, les rues mêmes de Rome, toutes pleines de monuments païens, entretenaient le zèle religieux d'une partie des habitants. Plusieurs familles sénatoriales, surtout, tenaient encore à l'ancien culte, comme à la gloire de leurs aïeux. Le peuple remplissait les églises chrétiennes et les cimetières des martyrs. Les esclaves, les pauvres, adoptaient la loi nouvelle, où ils trouvaient des consolations et des secours ; déjà cependant on accusait les vices des prêtres, la pompe et le faste des évêques. Au milieu du ive siècle, le siège épiscopal de Rome fut disputé par un combat sanglant. Les païens voyaient avec joie ces honteux débats, et les opposaient ironiquement à la simplicité, à la modestie qu'ils se plaisaient à reconnaître dans quelques évêques des provinces d'Italie. Il est à remarquer que, pendant ce siècle, l'église de Rome ne produisit pas un seul grand écrivain, un seul grand orateur, comme ceux qui naissaient en Afrique, en Grèce, en Asie ; mais elle travaillait à s'étendre au loin : elle cherchait à dominer les églises d'Afrique, de Gaule et d'Ibérie. Elle visait au gouvernement des hommes plutôt qu'à la gloire de bien parler et de bien écrire ; elle tâchait de se rendre arbitre des querelles nombreuses excitées par l'esprit sophistique des Grecs ; elle offrait sa communion aux docteurs d'Orient persécutés pour des controverses, et les gagnait en leur donnant asile. Presque aucune secte ne se formait dans l'église de Rome. Son génie était, en cela, l'opposé du génie grec : il se tenait aux anciens formulaires, innovait peu, redoutait le changement comme une hérésie, et, sans égaler la gloire de l'église d'Orient, devait à la longue l'emporter sur elle par une sorte de prudence temporelle et de ténacité. Le génie grec, plus libre et plus hardi, et devenu, depuis les conquêtes d'Alexandre, plus oriental qu'européen, portait dans le cbristianisme les subtilités, les allégories. L'Égypte et l'Asie Mineure en étaient le théâtre ; mille sectes, mille opinions bizarres y naissaient de l'imagination superstitieuse des habitants. Les Romains, ou plutôt les peuples qui parlaient la langue latine, avaient quelque chose de moins savant, de moins ingénieux ; ils n'étaient que des théologiens grossiers auprès des Grecs d'Alexandrie ; mais ils étaient plus calmes et plus sobres dans leurs opinions. Ils se déliaient de la métaphysique subtile que les Orientaux mêlaient aux dogmes de la foi ; et ce schisme, cette répugnance mutuelle, qui, plusieurs siècles après, sépara les deux églises, avait sa racine dans les premiers âges du prosélytisme chrétien. On devrait en retrouver aussi la trace dans les monuments oratoires des deux littératures ; mais le parallèle ne saurait être exactement suivi. Non seulement l'église orientale avait une incontestable supériorité d'imagination et d'éloquence ; mais parmi les écrivains de l'église latine, tous ceux qui brillèrent d'un grand éclat semblaient appartenir à l'Orient : les uns, en effet, avaient vécu dans la Syrie, dans l'Égypte, et respiré l'enthousiasme aux rives du Jourdain ; les autres, nés sous le climat brûlant de l'Afrique, étaient plus Orientaux que Latins ; la langue romaine se transformait dans leurs écrits, et prenait une sorte d'irrégularité sublime et barbare. »

[ii] Voir JUSTIN, liv. XV, ch. 4.

[iii] « Quand Ausone parle de Trèves, qui donne aux légions des vêtements et des armes, il dit vrai ; car il y avait à Trèves une manufacture d'armes, et, devançant le rôle commercial que devaient jouer un jour les villes libres des Pays-Bas, Trèves était l'entrepôt des laines d'Angleterre. » (M. J.-J. AMPÈRE, Hist. litt. de la France avant le XIIe siècle, t. I, p. 252.)

[iv] Ce vers est assez obscur : j'ai suivi dans ma traduction le sens donné par Fleury. Wernsdorf, qui a inséré ces Villes d'Ausone dans ses Poetæ minores (t. IV, p. 507 et suiv. de l'éd. Lemaire), explique autrement ce vers. Il croit que la métaphore qu'il renferme est tirée de la forme conique d'une pyramide ou d'une colonne, symbole de la grandeur de Rome ou de Capoue : Metaphoram potius suntptam putem, dit-il, a fastigio pyramidis vel columnœ, cui conum adjungit ipse noster, Mosell. v. 312 ; atque hac similitudine significat poeta Capuam potuisse imperii et potentiœ suœ fastigium ita extollere et exornare, ut pares utrique coni essent, Romœ et Capuœ.

[v] Maxime, qui avait usurpé l'empire et fait tuer Gratien, en 383, fut lui-même tué par Théodose, en 388, à Aquilée, où il s'était réfugié, cinq ans juste et presque jour pour jour après le meurtre de Gratien.

[vi] Maxime avait été valet dans la maison de Théodose : Ille quondam domus tuœ negligentissimus vernula, mensularumque servilium statarius lixa, dit Pacatus (Panegyr., c. XXXI).

[vii] C'est en Bretagne que Maxime s'était fait proclamer empereur. — Voir, sur l'élévation et la chute de Maxime, TILLEMONT, Hist. des Emp., t. V, p. 175 et 293.

[viii] « Ausone nomme Arles la petite Rome des Gaules, et célèbre son marché opulent qui recevait le commerce du monde : on voit qu'Arles, à cette époque, était double. La portion de la ville située sur la rive droite du Rhône n'existe plus. Le commerce d'Arles s'est déplacé au moyen âge ; il a remonté jusqu'à Beaucaire, comme Marseille a reconquis celui dont Narbonne l'avait dépossédée. » (M. J.-J. AMPÈRE, Hist. litt. de la France avant le XIIe siècle, t. I, p. 253). — Voir aussi sur Arles, la Géogr. ancienne histor. et comparée des Gaules, par M. Walckenaër, t. I, p. 279.

[ix] Scaliger et M. Ampère citent, à l'appui de ces vers d'Ausone, un rescrit de l'empereur Honorius, adressé en 418, c'est-à-dire vingt ou trente ans après la mort d'Ausone, au préfet des Gaules, et qui présente une magnifique idée de l'étendue et de la prospérité du commerce arlésien à cette époque. Je n'en citerai qu'un passage, avec la traduction qu'en a donnée M. Fauriel dans son Histoire de la Gaule méridionale, t. I, p. 149 :
Tanta est enim loci opportunitas, tanta est copia commerciorum, tanta illic frequentia commeantium, ut quidquid usquam nascitur, illic commodius distrahatur. Neque enim ulla provincia fructus sui facultate lætatur, ut non nisi hæc propria Arelatensis soli credatur esse fecunditas. Quidquid enim dives Oriens, quidquid odoratus Arabs, quidquid delicatus Assyrius, quod Africa fertilis, quod speciosa Hispania, quod fecunda Gallia, potest habere præclarum, ita illi exhibetur affatim, quasi sibi nascantur omnia, quæ ubique constat esse magnifica......

« Telle est la commodité de cette ville, la richesse de son commerce, la multitude qui la fréquente, que, quelque part qu'une chose naisse, c'est là qu'il est avantageux de la transporter. Il n'y a point de production spéciale dont une province s'estime heureuse, que l'on ne puisse croire le produit propre de cette province Arlésienne. Et, en effet, tout ce que le riche Orient, tout ce que l'Arabie parfumée, tout ce que la délicate Assyrie, la fertile Afrique, la belle Espagne et la forte Gaule ont de signalé, abonde tellement dans cette ville, que là semble naître tout ce qu'il y a de précieux ailleurs...... »

[x] Mérida.

[xi] Cordoue.

[xii] Tarragone.

[xiii] Braga

[xiv] « Athènes, dit M. Villemain, est encore, au IVe siècle, la ville des arts et des lettres. Pleine de monuments et d'écoles, elle attire toute la jeunesse studieuse de l'Europe et de l'Asie. Elle est peuplée de ces enthousiastes du premier âge qui sont à la fois avides de science et de merveilleux, qui veulent tout pénétrer, tout comprendre, qui cherchent la vérité avec une inquiète candeur, et la défendent avec fanatisme. Cette jeunesse suit les mouvements de ses maîtres, s'associe à leurs combats, à leurs triomphes avec la même ardeur, la même agitation qui faisait autrefois tressaillir et palpiter la foule attentive à la course des chars. Bruyante et studieuse, elle remplit la ville d'Athènes de ses jeux pour célébrer la venue d'un nouveau disciple, et elle passe de longues heures aux leçons de l'Académie. Athènes est à la fois remplie d'églises chrétiennes et d'idoles. Le polythéisme s'y conserve, protégé par les arts. Les défenseurs futurs des deux cultes se trouvent confondus, sans le savoir, dans les mêmes écoles. Ces jeunes hommes, si graves et si doux, admirés de leurs camarades dont ils évitent les folies, ces deux inséparables, qui, parmi les séductions d'Athènes, ne con-naissent que le chemin de l'église chrétienne, et celui des écoles, c'est Grégoire de Nazianze et son ami : on les cite dans toute la Grèce ; ils excellent dans les lettres et l'éloquence profane. Près d'eux passe souvent, sans leur parler, un jeune homme, à la démarche irrégulière et précipitée, au regard brillant et plein de feu, laissant tomber les boucles de sa chevelure, le cou légèrement penché, la physionomie mobile et dédaigneuse. Il porte le manteau philosophique ; mais la foule qui le suit annonce sa fortune on plutôt ses périls : c'est le frère de l'un des Césars, c'est Julien, qui, désarmant la jalouse haine de l'empereur Constance, est venu dans Athènes pour étudier les lettres dans leur sanctuaire. Il passe pour chrétien, et Constance lui a même fait prendre le titre de lecteur dans une église ; mais son amour d'Homère est l'espérance des Grecs encore attachés à l'ancien culte. On vante son génie, sa passion des sciences. On annonce de lui de grandes choses, que semblent justifier son rang, ses talents, sa jeunesse préservée par un merveilleux hasard des cruautés de Constance. »

[xv] Ces jolis vers rappellent ce passage si connu de Virgile : Sic tibi, quum fluctus, etc. (Éclog. X, v. 5), imité par Voltaire (Henriade, ch. IX)
Belle Aréthuse, ainsi ton onde fortunée
Roule, au sein furieux d'Amphitrite étonnée,
Un cristal toujours pur et des flots toujours clairs,
Que jamais ne corrompt l'amertume des mers ;

et une charmante idylle de Moschus (la sixième), traduire récemment avec une grâce et une délicatesse exquise par M. Sainte-Beuve :

SUR ALPHEE ET ARÉTHUSE.

Quittant Pise et ses jeux, Alphée au flot d'argent
Cherche, à travers les vers, Aréthuse en plongeant ;
Et dans son sein il porte à la Nymphe adorée
L'olivier des vainqueurs et la pondre sacrée.
Profond, pur, et chargé des amoureux cadeaux,
Il fend le flot amer, sans y mêler ses eaux ;
Et le grand flot dormant ne sent rien, et l'ignore,
Et l'a laissé passer. Ah ! c'est Amour encore,
Le mauvais ; le perfide et le rusé songeur,
C'est lui dont l'art secret fit du fleuve un plongeur !

[xvi] C'est-à-dire, d'après Adrien de Valois, que Toulouse se partagea en cinq quartiers, sans cesser d'être une seule et même ville.

[xvii] On ne sait trop d'où Narbonne a pris ce surnom de Martius. Fleury croit pouvoir assurer que ce nom lui a été donné par Q. Marcius Rex, sous le consulat duquel Narbonne reçut une colonie romaine, en l'an de Rome 633 ou 636, d'après Velleius Paterculus, liv. I, ch. 15, et Eutrope, liv. IV.

[xviii] « On a prétendu qu'Ausone avait attribué Narbonne aux Tectosages. Le texte d'Ausone dit seulement que le pays dont Narbonne était la capitale s'étendait jusqu'au Rhône à l'est, et renfermait les Volcæ Tectosages à l'ouest. » (M. WALCKENAËR, Géogr. anc. hist. et comp. des Gaules, t. I, p. 191, note.)

[xix] « Ausone célèbre, avec une complaisance bien naturelle, sa ville de Bordeaux et son Aquitaine : Bordeaux, déjà célèbre par son vin, insignem Baccho ; l'Aquitaine, dont les mœurs étaient particulièrement élégantes et polies. L'Aquitaine était dès lors une terre oratoire ; elle l'a été jusqu'à nos jours, jusqu'à la Gironde. » (M. J.-J. AMPÈRE, Hist. littéraire, t. I, p. 253.)

[xx] Juvénal dit de même (sat. X, v. 176) :
.................. Credimus altos
Defecisse amnes, epotaque flumina Medo
Prandente.

[xxi] On sait que les rois de Perse trouvaient si bonne l'eau du Choaspès, qu'ils en faisaient porter avec eux dans leurs expéditions.

[xxii] Les commentateurs ont torturé d'une manière ridicule le sens de ces vers. Grævius et Fleury font une transposition : Consul in hac sum, civis in ambabus ; car, disent-ils, Ausone ne pouvait être consul dans deux villes. D'autres, ne voulant rien changer au texte, ont prétendu qu'Ausone, consul à Rome, pouvait être duumvir, ou même, selon Du Cange, échevin à Bordeaux, ce que le poète exprimait par le seul mot de consul. Adrien de Valois a complètement réfuté toutes ces suppositions ; il explique ainsi ce passage :
« Les consulats, ou échevinages, ou mairies, n'ont été établis dans les villes de Gaule que plus de huit siècles après le temps d'Ausone. Ausone donc dit qu'il aime Bordeaux d'autant qu'il y est né, et qu'il en est citoyen ; mais qu'il honore et qu'il a en vénération Rome, parce qu'il y a pris, avec le nom de consul ordinaire, la selle curule et les autres marques consulaires, et qu'il y est entré en possession d'une dignité qui, durant son année, l'a rendu, non seulement à Rome, mais aussi à Bordeaux et dans tout l'empire romain, la seconde personne de l'État. Car, qui était consul ordinaire, était nommé et reconnu consul par tout l'empire romain, et non seulement à Rome, mais dans toutes les villes et places de l'empire. Son nom servait de marque durant l'année de son consulat, non seulement à toutes les chartes et à tous les actes des particuliers, mais aux édits mêmes et aux lois des empereurs. C'est là le vrai sens des deux vers d'Ausone, ou il n'y en a point du tout. » (Valesiana, p. 23 1.)

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