Par le vartabed
Traduite pour la première fois sur l’édition des RR. PP. Mekhitaristes de Saint-Lazare
ET ACCOMPAGNE DE NOTES par M. EVARISTE PRUD’HOMME
L’écrivain, dont nous avons entrepris de faire passer la composition dans notre langue, est connu dans l’histoire de la littérature arménienne sous les noms d’Arisdaguès de Lasdiverd, dont le dernier n’est autre que celui de sa patrie. Le R. P. Indjidj, à qui nous sommes redevables d’une Géographie ancienne de l’Arménie justement estimée, range cette bourgade parmi les localités dont la position est incertaine; mais les expressions dont se sert Arisdaguès, en parlant de la destruction d’Ardzen (chapitre xii), tendent à prouver qu’elle était située dans le voisinage de cette ville. Quant à la date de sa naissance et à celle de sa mort, nous ignorons complètement l’une et l’autre; tout ce qu’il nous est permis d’affirmer à ce sujet, c’est qu’il mourut après l’année 1071, époque à laquelle nous conduit la suite des événements qu’il raconte.
Dans le titre de son livre il est qualifié de vartabed, c’est-à-dire docteur, dignité qui, suivant les usages de l’Église arménienne, n’est conférée qu’aux seuls moines. Comme tel, il appartenait sans doute à quelqu’un des nombreux: et célèbres monastères qui couvraient, au XIe siècle, la province de la Haute Arménie, et dont plusieurs subsistent encore de nos jours.
Outre son histoire qu’il écrivit pour ses frères en religion (Mémorial), la littérature arménienne possède d’Arisdaguès une homélie sur le baptême et les tentations du Christ qui se trouve sous son nom dans le recueil appelé Djarendir. Nous n’avons à nous occuper ici que de son histoire.
L’auteur la commence à l’an 1000, à la mort de David, curopalate de David et à la première campagne de Basile II en Arménie, quelques années avant la fin de celle d’Étienne Açogh’ig dont il est le continuateur immédiat, et la termine à l’an 1071, avec la défaite et la prise de l’empereur Romain IV Diogène par Alp Arslan, deuxième sultan des Turcs Seldjoukides. Deux grands faits résument à eux seuls l’histoire de l’Arménie durant cette période: la suppression du royaume d’Ani, moins par les armes que par les perfidies concertées de la cour de Byzance et des sujets de Kakig II, en 1045, l’invasion des Seldjoukides, suivie de la destruction de la puissante capitale des Bagratides, moins de vingt ans après, en 1064, et, comme conséquence, l’extinction de la nationalité et de l’indépendance du peuple arménien sur le sol natal. Histoire vraiment lamentable qui, depuis 1033 surtout (Mémorial), n’est qu’une série ininterrompue de scènes de sang et de carnage. Le sombre tableau qu’en a tracé notre auteur forme un ensemble plein d’intérêt, où ont puisé tour à tour ceux de ses compatriotes venus après lui, particulièrement Matthieu d’Édesse, et beaucoup plus circonstancié, bien que non parfait, que ce que nous ont laissé sur le même sujet les historiens byzantins, arabes et persans. Son but, en les racontant, a été, comme il le répète en plusieurs endroits, de provoquer les larmes de sous ceux qui le liront. Aussi son livre sent-il fortement l’élégie, et n’est-ce pas sans raison qu’il a été surnommé lui-même par ses compatriotes le vartabed pleureur. Ce caractère élégiaque, j’allais dire jérémiaque, se montre plus ou moins vigoureusement accentué dans la plupart des historiens de la nation, mais Arisdaguès est incontestablement un de ceux chez qui il est le plus prononcé. Il n’arrive pas sur le sol d’Arménie un désastre quelconque, invasion ennemie, destruction de ville, massacre de populations, sur lequel il ne trouve matière à composer des lamentations, où la pensée s’élève parfois à des hauteurs remarquables, dont la forme toujours la même ne diffère en rien de celle consacrée depuis des siècles par Isaïe et Jérémie, mais où éclatent, dans un style brillant et déchirant, les accents du plus généreux et du plus ardent patriotisme. D’ailleurs, outre les notions historiques qu’on y observe souvent, elles offrent partout une peinture vivante de l’état physique du pays et sont une image vraie de la tournure d’esprit et des mœurs du peuple. Pour ces diverses raisons, nous avons cru, malgré la monotonie qui peut en résulter, devoir les conserver pour la plus grande partie dans notre traduction, à l’exception notamment de la préface et du mémorial qui, si l’on en retranche les deux faits que nous avons cités précédemment, n’est qu’une longue lamentation dépourvue de toute espèce d’intérêt.
Sous un point de vue différent, nous mentionnerons deux chapitres d’histoire religieuse (chapitres xxii et xxiii) dans lesquels sont consignés les dogmes d’une secte d’hérétiques appelés par Arisdaguès Thontracites, mais qui sont en réalité des Pauliciens (partisans de Paul de Samosate) ou Manichéens nouveaux, avec les efforts tentés par eux pour répandre leurs doctrines dans l’Arménie, où ils existaient déjà depuis longtemps, bravant les malédictions et les anathèmes des catholicos. Les détails qu’il donne, combinés à ceux extraits des lettres de Grégoire Magistros, composent tout le bagage historique que nous possédons sur le compte de ces sectaires à cette époque.
A côté de ces documents qui concernent plus particulièrement l’histoire de son pays, l’ouvrage d’Arisdaguès contient encore une somme d’autres renseignements qui, pour n’avoir peut-être ni le même genre ni le même degré d’intérêt, n’en méritent pas moins de fixer notre attention.
Les quatre premiers chapitres renferment des fragments historiques, importants par leur valeur, relatifs à la Géorgie; ils n’ont pas échappé à la sagacité de M. Brosset qui en a enrichi son Histoire de la Géorgie.
Pour ce qui regarde l’histoire byzantine, si les faits rapportés par Lasdiverdtsi n’ajoutent pas une très grande quantité de choses nouvelles à celles acquises par ailleurs, faut-il du moins reconnaître qu’ils sont en conformité parfaite avec les récits des historiens byzantins, tels que Cédrénus, Zonaras, Skylitzès et autres, et les corroborent.
Contemporain ou témoin oculaire de tous les événements accomplis dans sa patrie pendant l’intervalle de temps que comprend son livre, Arisdaguès devait avoir à sa disposition une masse considérable de matériaux. Toutefois, uniquement préoccupé du désir d’émouvoir ses lecteurs, il nous apprend, à plusieurs reprises, qu’il ne nous a transmis qu’un très court abrégé de tout ce qu’il a vu, juste seulement ce qu’il estime nécessaire pour l’objet qu’il se propose. Omissions fâcheuses dont quelques unes sont d’autant plus regrettables qu’elles n’ont pu être comblées jusqu’ici par les documents d’une époque postérieure, et qui nous ont mis, en maintes circonstances, dans l’obligation d’allonger nos notes au delà des limites que nous nous étions d’abord prescrites. Quant aux renseignements qu’il lui a plu de nous communiquer, ils sont marqués avec une exactitude scrupuleuse et laissent peu de chose à reprendre. En effet, plusieurs des erreurs que nous avons relevées paraissent être plutôt le fait de l’ignorance ou de l’incurie des copistes que celui de l’auteur même.
Le plus grave reproche que l’on soit en droit d’adresser à Arisdaguès, c’est son usage immodéré des textes de la Bible. En sa qualité de vartabed, il avait fait, comme ses frères en religion, une lecture assidue des saintes Écritures, et, sans en avoir peut-être poussé l’étude aussi loin que cet autre docteur dont parle Açogh’ig (III, chapitre ix), qui les avait apprises entièrement par cœur dans sa jeunesse et avait vieilli sans en avoir rien perdu, il ne semble pas moins les posséder à fond. Pour lui, de même que pour la plupart des docteurs de son temps et de son pays, et pour beaucoup d’autres d’en deçà, la Bible n’est pas seulement le livre de la foi par excellence, mais encore le nec plus ultra de la science universelle dans ses ramifications diverses, l’alpha et l’oméga de tout savoir.
Dans les événements humains, quelle qu’en soit la nature, il ne voit pas autre chose que l’action de la Providence divine disposant tout à son gré pour le plus grand bien de sa créature; de là ces explications prolixes et creuses, par des passages de la Bible, des faits les plus vulgaires, sous forme de comparaisons, dont son livre abonde, et qui interrompent trop souvent la suite du récit. L’histoire n’en pouvant tirer aucun profit, nous les avons supprimées totalement.
La connaissance profonde que notre auteur possédait des saintes Écritures perce également dans son style, qui est par tout élégant, animé, fleuri, imagé, mais sans beaucoup de variété, riche dans les descriptions, mais vague, pathétique et larmoyant dans l’élégie, enfin merveilleusement approprié au but qu’il se proposait et au caractère de ses lecteurs nationaux. En un mot, c’est bien plutôt de la poésie que de la prose, Cf. Soukias Somal. — Quadro della storia letteraria di Armenia, p. 73, et par la manière dont il a traité son sujet, il rappelle naturellement celle de Nersès Schnorhali dans son Élégie sur la prise d’Édesse, avec le mètre de moins, mais le fonds de plus. Ajoutons que sous le rapport de la grammaire, le style d’Arisdaguès est d’une pureté presque irréprochable et n’a rien à envier aux bons modèles des siècles précédents, bien qu’on y découvre çà et là des mots et surtout des tournures qui annoncent déjà le voisinage de la décadence de la littérature arménienne.
A l’exception des quatre chapitres mentionnés plus haut, dont M. Brosset a donné des extraits dans son Histoire de la Géorgie, et de trois autres fragments insérés avec des notes par M. Ed. Dulaurier dans sa Chronologie arménienne, l’Histoire d’Arménie d’Arisdaguès n’a été traduite jusqu’ici dans aucune langue européenne. La traduction complète que nous offrons au monde savant a été faite sur l’excellente et unique édition qu’en ont publiée les RR. PP. Mekhitaristes de Saint Lazare, avec quelques variantes, d’après cinq manuscrits de leur bibliothèque, en un vol. in 8°, Venise, 1844. Nous n’en dirons rien si ce n’est que nous nous sommes constamment efforcé de la rendre aussi fidèle, aussi littérale, et de reproduire l’original autant qu’il a été en nous. D’autres jugeront et diront jusqu’à quel point nous avons réussi.
Paris, ce 18 mai 1863.
E. Prud’homme.
De la part des nations étrangères qui nous environnent.
A la mort de David (Tavith), le curopalate, qui était un prince fort, bienfaiteur du pays, libéral, ami des pauvres et vraiment pacifique, car, de son temps, chacun, suivant la prophétie, reposait sous sa vigne et son olivier,[1] Basile (Vasil), empereur des Romains, part, la vingt-cinquième année de son règne,[2] à la tête d’une armée imposante et arrive, à marches forcées, dans le district d’Eguégh’iats.[3] Les soldats de la légion noble de Daïk’ allèrent à sa rencontre. Honorés par lui de riches présents, chacun suivant sa dignité, son titre ou son grade, ils furent comblés d’une grande joie. Mais bientôt s’accomplit sur eux cette prophétie inspirée par l’Esprit Saint à David « Le matin, ils pousseront de terre, ils brilleront et fleuriront comme l’herbe; le soir, ils se faneront, se sécheront et tomberont. » L’empereur étant entré dans le pays d’Agh’ôri, vint coucher auprès de la forteresse de Havadjitch.[4] Une rixe s’étant élevée, je ne sais pour quels motifs, entre les soldats occidentaux appelés Russes et la légion noble, trente hommes des plus honorables de cette dernière moururent en cet endroit.[5] Ce châtiment ne leur arriva pourtant pas sans qu’ils l’eussent bien mérité. En effet, le jeudi saint, les soldats de Daïk’, ayant versé un poison mortel dans le calice, en firent boire au bienheureux David; fatigués de lui, et séduits par les récompenses qu’ils attendaient des promesses de l’empereur, ils s’étaient débarrassés ainsi de leur prince.[6] C’est pour quoi la juste justice de Dieu leur rendit selon leurs œuvres. Ce jour-là, pas un noble de Daïk’ n’échappa; tous payèrent d’une mort immédiate la peine de leur crime. A eux s’appliquent ces sévères paroles du grand Isaïe: Puisque ce peuple a dédaigné l’eau de Siloë, au cours tranquille, et demandé pour roi R’azin et le fils de Tabel (Dapel), voici ce que dit le Seigneur: « J’amènerai contre vous les eaux d’un fleuve puissant et débordé, le roi d’Assyrie avec sa gloire. »
L’empereur trouva en cet endroit Pakarad, roi des Aph’khaz, et Kourkên, son père, qui étaient venus au-devant de lui;[7] il les accueillit avec de grandes marques de distinction, conféra à Pakarad la dignité de curopalate,[8] à son père celle de magistros[9] et les congédia en paix. Basile de son côté traversant le district de Hark’[10] et Manazguerd[11] se dirige en courant sur Pakrévant,[12] arrive à Oukhthik’,[13] et s’empare de nombre de districts, de forteresses et de villes à la tête desquels il établit des gouverneurs, des juges et des commandants, après quoi reprenant tranquillement sa route, il rentre dans Constantinople, sa capitale. Ceci se passait en l’année 1150 de notre ère (21 mars 1001 - 20 mars 1002).[14] Ensuite le pays se reposa pendant quatorze ans.
Dans cet intervalle, l’empereur, tout occupé du soin des provinces occidentales, se rend maître du pays des Bulgares, de leurs districts et de leurs villes.[15] Malgré les guerres perpétuelles que, depuis le commencement de son règne, il avait soutenues contre ce peuple, il n’avait pu jusque-là réussir à le dompter. Mais alors se présenta une occasion favorable d’accomplir ses desseins. Le roi des Bulgares, après des victoires multipliées, venait de mourir. Ses fils, n’ayant pas voulu se soumettre l’un à l’autre, se jetèrent eux-mêmes entre les mains de l’empereur, car tout royaume divisé en lui-même ne peut subsister. Telle fut la cause de la réduction de cette contrée.[16] Après avoir dépouillé de leur héritage les enfants du roi avec toute leur famille, Basile leur donna en échange des villes situées sur le territoire grec. Quant aux troupes nationales, il les réunit dans un même lieu sous prétexte de leur distribuer des récompenses; puis en ayant fait dresser par écrit le dénombrement, il les envoya dans l’Orient d’où elles ne revinrent jamais. Elles ruinèrent complètement les provinces. Oh! que de fléaux elles amenèrent avec elles! que de calamités sema partout sur son passage ce peuple méchant et inhumain, au cœur dur et barbare! auquel il convient d’appliquer cette lamentation du prophète: « Devant lui s’étend un paradis de délices, et derrière une campagne de désolation. » Mais reprenons le fil de notre récit.
En l’année 464 (18 mars 1015 - 17 mars 1016) de notre ère, mourut le roi des Aph’khaz, Pakarad, laissant la couronne à Kêork, son fils.[17] L’empereur écrivit à celui-ci une lettre ainsi conçue: Abandonne l’apanage du curopalate dont j’ai fait présent à ton père, et contente-toi de ton patrimoine. Kêork n’y voulut point consentir; mais fier de sa jeunesse, il répondit par un refus: De tout ce que mon père a possédé en souveraineté, disait-il, je ne donnerai pas même une maison à personne. » A cette nouvelle, l’empereur envoya une armée pour soumettre le pays. Les braves soldats de Daïk’ rencontrèrent les troupes romaines près du grand village d’Oukhthik’, les mirent en déroute mais ne causèrent aucun mal ni au village ni à aucun autre lieu habité. Ce fut le commencement de la ruine de la province de Daïk’.
A cette époque, l’Arménie était gouvernée par Kakig, Ma d’Aschod, frère de Sempad et de Kourkên[18] de la famille des Pakradouni.[19] Roi fort et victorieux dans les combats, il maintint le pays en paix.[20] De son temps, les institutions ecclésiastiques furent en honneur et les enfants du vœu de sainteté jetèrent un vif éclat; la connaissance du Seigneur remplit la terre, comme la masse d’eau qui couvre la surface des mers, suivant l’expression du prophète. En effet, le trône patriarcal était occupé par le seigneur Sarkis,[21] homme nourri dans la sainteté au sein de l’Église et exercé par la pratique des austérités monastiques dans le couvent de l’île de Sévan.[22] Par la grâce de Dieu et ses propres mérites, il avait été élevé sur le siège de notre Illuminateur, d’après les règles duquel ayant dirigé sa vie corporelle, il acheva ses jours après avoir combattu un bon combat.
En ce temps-là florissaient les vartabeds Sarkis, Diran et Hénoch,[23] attachés tous trois au palais patriarcal; Samuel, qui avait le gouvernement du monastère de Gamèrdschatsèn-Tzorots;[24] Joseph, supérieur de Hèntzouts,[25] Étienne de Darôn, qui a composé, dans un ordre admirable, une Histoire universelle, depuis le premier homme jusqu’à la mort de Kakig dont il est question en ce moment;[26] Jean, surnommé Gozèr’n (le Petit chameau), du même district, qui a écrit des livres dogmatiques;[27] Grégoire, remarquable par la profondeur de ses discours,[28] et nombre d’autres dont l’orthodoxie exhaussait fort la corne de l’Église. Ceux qui nous lorgnaient d’un oeil d’envie, éblouis par la splendeur du savoir de ces vartabeds, se cachaient en rampant, comme des rats, dans les trous des murs.
Après un règne long et digne des meilleurs souvenirs, Kakig termina ses jours dans une profonde vieillesse,[29] laissant pour lui succéder deux fils, Sempad, appelé aussi Jean, et Aschod,[30] Sempad, extrêmement gros et corpulent, se distinguait, dit-on, par une intelligence rare; Aschod unissait à une taille bien prise un courage bouillant et la passion de la guerre. Les deux frères étant tombés en désaccord sur le partage du pays, il fallut recourir à un arbitre. Kêork, roi des Aph’khaz, choisi pour médiateur, rétablit la paix entre eux. A Sempad il assigna, en sa qualité d’aîné, la puissante Ani avec les districts environnants, puis à Aschod la portion intérieure du pays qui regarde la Géorgie et la Perse[31] Sempad, satisfait de cet arrangement, retourna dans sa capitale. Obligé par son obésité de s’arrêter en route, il dormit sans le moindre souci. Cependant un des princes des États d’Aschod, se présentant devant Kêork, lui demanda justice, en disant: « Schadig,[32] mon patrimoine, m’a été ravi injustement par Sempad. » A cette nouvelle, Kêork, transporté d’une violente colère, envoya des soldats à sa poursuite. Ceux-ci fondirent à l’improviste sur Sempad, à qui son embonpoint ne laissa pas le temps de monter à cheval.[33] Les princes qui formaient son cortège, s’étant dérobés par une fuite rapide, les soldats de Kêork s’élancèrent sur les traces des retardataires dont ils firent des monceaux de cadavres tout le long de la route jusqu’à la porte d’Ani; puis pénétrant dans la ville, ils dépouillèrent la cathédrale de ses ornements et arrachèrent les clous de la croix en disant par forme de mépris: « Nous les emportons pour en forger des fers à nos chevaux.[34] » La juste justice de Dieu les punit plus tard de ce forfait par la main des Romains, ainsi que nous le raconterons en son lieu. Sempad, resté prisonnier, fut conduit au roi des Aph’khaz qui le retint sous bonne garde; enfin, après s’être fait remettre par lui trois forteresses, il le relâcha.
Incapable de résister aux agressions des nobles qui, campés autour de ses frontières, lui avaient enlevé injustement de nombreuses portions de territoire, Aschod quitte son pays et se rend à la Porte des Romains. Là, ayant réussi à plaire à l’empereur, il sollicite son appui. A la tête des troupes qui furent mises à sa disposition, il rentre dans son pays, s’empare, avec l’aide de Dieu, de quantité de districts et de forteresses, et devient plus puissant que tous ses prédécesseurs, tellement qu’une multitude de nobles, abandonnant à Aschod leurs possessions héréditaires, lui firent spontanément l’hommage de leurs personnes. Jusqu’ici notre récit n’a eu rien que d’agréable.
Cependant dans l’année 467 de notre ère (17 mars 1018 - 16 mars 1019), l’empereur envoie un certain prince de Nicomédie. A peine arrivé, celui-ci décrète une levée d’hommes par tout le pays, et, après en avoir réuni un nombre considérable, commence la reconstruction de Théotoupolis (Théodosiopolis).[35]
En l’année 468 (17 mars 1019 - 16 mars 1020), le seigneur Pierre est sacré catholicos du vivant du vénérable Sarkis.[36] Deux ans après, en 470 (16 mars 1021 - 15 mars 1022), l’empereur passe de nouveau en Orient à la tête d’une puissante armée, et vient établir son camp dans la vaste plaine de Garin. De là, il envoie des messagers à Kêorki, roi de Géorgie, pour l’inviter à venir en personne faire sa soumission. Un évêque, Géorgien de nation,[37] qui résidait à Vagh’arschaguerd,[38] étant allé à la rencontre de l’empereur, lui avait dit d’un ton plein d’affirmation: « Aussitôt que tu seras entré dans les districts d’Eguégh’iats ou de Garin, il viendra au-devant de toi. » Confiant dans ces paroles et l’assurance don née, Basile attendait d’étape en étape l’arrivée du roi. Mais celui-ci refusait de se rendre à l’appel de l’empereur, parce que beaucoup des siens l’effrayaient en lui disant: « Quand il te verra, il te fera mourir, ou te retiendra prisonnier, et tu ne parviendras pas à conserver ton trône. » En entrant dans le district de Pacen,[39] Basile expédia d’abord deux courriers, puis trois, car il désirait extrêmement achever pacifiquement son voyage, et que le pays restât prospère. Après avoir épuisé les messages, l’empereur, ému de colère, ordonne de ruiner par le fer, l’incendie et l’esclavage, le grand village d’Ogomi,[40] avec les bourgades et les hameaux environnants. Ayant fait enlever les prisonniers, il enjoignit de les transporter dans le district de Khagh’dik,[41] et, traversant lui-même le district de Pacen, pénétra sur le territoire de Vanant ou Ph’orag.[42] Kêorki, saisissant l’occasion favorable, fond sur la ville d’Oukhthik’, donne l’ordre à ses soldats de livrer aux flammes ses élégants édifices et d’emporter toutes les richesses des habitants, sans faire le moindre mal à personne. A cette nouvelle, l’empereur, devenu encore plus exaspéré, s’avance contre lui. Les deux armées s’étant rencontrées auprès du lac Bagh’agatsi[43] se précipitèrent l’une sur l’autre avec un fracas épouvantable. L’éclat resplendissant des glaives, la lumière flamboyante des casques enveloppaient la montagne d’éclairs, les étincelles jaillissant sous le choc des sabres inondaient la terre. Basile lui-même, en contemplant ce spectacle, admirait la bravoure des combattants. Semblables aux flots d’un torrent qui se brisent contre un rocher, les troupes romaines, en se heurtant contre les Géorgiens, tournèrent le dos. Là périt l’illustre prince R’ad.[44] Son cheval, s’étant engagé dans un marais, ne put le traverser; ce que voyant, les ennemis, l’épée à la main, tuèrent cet homme digne de louanges. Sa mort fut un deuil immense pour la province de Daïk’. Kêorki alla se retrancher avec son armée dans les forteresses des Aph’khaz.[45] Pendant ce temps-là, l’empereur envoya des détachements faire des incursions sur différents points de la contrée, avec l’ordre formel et terrible de n’épargner ni le vieillard, ni l’adolescent, ni l’enfant, ni l’adulte, ni homme, ni femme, ni l’âge, ni le sexe. De cette manière il détruisit de fond en comble douze districts.[46] Spectacle lamentable et vraiment digne de larmes! Les demeures des rois aux voûtes hardies, les palais construits à très grands frais par d’habiles architectes, qui devaient faire l’admiration des yeux et fournir à leurs habitants la jouissance de tous les plaisirs, ont été brûlés et réduits en cendres, et leurs possesseurs sont tombés en même temps sous le glaive. O la sinistre histoire! ô cruauté barbare! Comment pourrai-je, moi, pauvre intelligence et ignorant entre tous, retracer les événements qui eurent lieu à cette époque et pleurer, comme il convient, nos malheurs! Il faudrait pour cela l’âme de Jérémie, qui sait égaler les lamentations aux calamités! Cependant je les raconterai en peu de mots, quelle que soit leur longueur, pour l’instruction de la génération à venir, afin que les enfants qui naîtront les répètent eux-mêmes à leurs enfants, pour qu’ils n’oublient pas les œuvres de Dieu, qui châtie dans une juste mesure tous ceux qui s’écartent de la justice, suivant ces paroles de Job: « Il punira ceux qui le haïssent en face et n’ajournera pas sa colère. »
Redis donc la douloureuse histoire de ces temps, les vénérables cheveux blancs des vieillards souillés de sang et de carnage, les jeunes hommes moissonnés par le glaive, la multitude innombrable de personnes que les Grecs privèrent de la vue. Tous ces maux qui leur furent infligés ne sont, à, mon avis, que la peine du crime qu’ils avaient commis, en enlevant, à la porte de la cathédrale, les clous de la croix marquée du sceau royal, en disant avec mépris qu’ils en forgeraient des fers pour leurs chevaux. Ils furent punis avec justice, et les châtiments dont ils offrirent le triste spectacle étaient bien mérités. Les dames nobles furent traînées sur les places publiques, la tête dépouillée de leur voile, et exposées dans une honteuse nudité à la face du soleil; celles qui auparavant pouvaient à peine visiter à pied les malades et les lieux de pèlerinage, aujourd’hui, pieds et tête nus, marchent devant leurs vainqueurs insolents, privées de leurs parures, déshonorées et livrées à mille sortes d’outrages. Parmi les enfants à la mamelle, les uns, violemment arrachés des bras de leurs mères, étaient brisés contre la pierre; d’autres, percés de coups de lance sur leur sein, mêlaient leur sang au lait qui devait les nourrir; d’autres, jetés au milieu des carrefours, expiraient sous le sabot des chevaux des soldats romains.
O Dieu qui permettais alors toutes ces choses! ô ordre impitoyable de l’empereur! tant de vengeances n’assouvirent pourtant pas sa colère, mais sa main était encore levée pour ajouter d’autres maux à ceux que nous avions déjà soufferts. Le pays, autrefois prospère, ainsi dépeuplé par ces actes inhumains, resta ruiné et désert jusqu’à l’entrée de l’hiver.
Je ne sais quelle fut la cause de tous ces malheurs. Etait-ce par forme d’avertissement? Etait-ce pour châtier les habitants des débordements de leur impiété? Etait-ce cruauté des soldats des nations barbares qui composaient les troupes occidentales? Je l’ignore.[47] Au commencement de l’hiver, l’empereur, en retournant dans les prairies du Pont, descendit dans le district de Khagh’dik’ et y passa la nuit. Le catholicos Pierre, qui venait par derrière, le rejoignit vers l’époque de la grande fête de l’Épiphanie, et fut accueilli par lui avec de très grands honneurs.
Il est d’usage, ce jour-là, que les princes chrétiens qui professent des sentiments de piété, se mêlant aux chefs de l’Église, descendent avec eux à pied dans l’eau pour y célébrer le mystère du baptême du Seigneur. Le jour de la fête étant donc arrivé,[48] l’empereur invita le catholicos Pierre et les évêques romains présents en cet endroit à bénir l’eau, chacun suivant leur coutume. Lorsque le patriarche versa l’huile consacrée dans les ondes, des faisceaux de lumière jaillirent tout à coup de leur surface.[49] A cette vue, tous les assistants rendirent gloire à Dieu, la corne de notre foi fut exhaussée, et Pierre, comblé de plus d’honneur encore par l’empereur et ses officiers, s’en retourna chez lui.[50] Mais ici une lettre fut la cause de la ruine de l’Arménie. En effet, Jean avait donné l’ordre au patriarche de rédiger une lettre et de porter à Basile un testament par lequel il léguait à ce dernier, pour en jouir après sa mort, ses villes et son royaume;[51] car il n’avait point d’enfant à qui il pût laisser sa couronne, son fils étant mort de bonne heure sans être parvenu au trône paternel.[52] L’empereur étant parti, arriva prendre ses quartiers d’hiver dans le pays que nous avons dit plus haut. Ses soldats vendirent leurs prisonniers à vil prix à des nations lointaines.
Vers ce temps-là mourut le saint et digne catholicos, le seigneur Sarkis;[53] il fut enseveli dans le monastère de Hor’omos.[54]
L’empereur, ayant passé l’hiver dans les prairies du Pont, retourna, dès le commencement du printemps, dans la province de Daïk’, et vint, à marches forcées, camper dans le district de Pacen. Cependant, nombre de princes que, de temps à autre, et pour des causes de différentes sortes, Basile avait dépouillés de leur dignité, rugissaient comme des lions enfermés dans une cage. Jugeant donc l’occasion favorable, ils se réunirent dans un lieu déterminé. Là, ils formèrent un projet perfide qu’ils ne purent mettre à exécution ils résolurent, d’un commun accord, de se révolter contre l’empereur et d’en élever un autre de leur choix à sa place.[55] Lorsqu’ils se furent confirmés dans ce dessein, ils le dévoilèrent au grand jour et établirent leur camp au milieu d’une vaste plaine, où un nombre considérable de partisans vint se joindre à eux.[56] Ils commencèrent par se renvoyer, les uns aux autres, la couronne impériale. Enfin, s’étant concertés en semble, ils l’offrirent au fils de Phocas, surnommé Dzer’aviz qui, depuis longtemps déjà, était, par suite des fautes de son père, dépossédé de son titre de prince. Celui-ci résista d’abord à leurs prières. Mais ses complices, continuant leurs instances, réussirent, à force de sollicitations, à le décider à accepter l’empire.
Basile, jeté par cette nouvelle dans un grand embarras, se retira dans la puissante forteresse de Maztad, suivant une ancienne coutume des empereurs grecs.[57] Fut-ce vengeance de la justice céleste qui ne permet pas que les serviteurs se révoltent contre leurs maîtres, ou par un effet d’une bienveillance particulière de Dieu pour l’empereur, dans cette circonstance, je l’ignore; mais ce que je sais d’une manière certaine, et ce que j’ai vu de mes propres yeux, c’est que ceux qui se soulevèrent contre lui périrent d’une mort ridicule. Déjà, au commencement du règne de Basile, Bardas (Vart) surnommé Sclérus (Siglaros), s’étant révolté contre lui, avait entraîné à sa suite presque tous les Romains, au point que l’empereur s’était vu dans la nécessité de demander au curopalate de Géorgie le secours de son armée. Avec son aide, il avait battu l’usurpateur qui, forcé de prendre la fuite et d’abandonner le pays, s’était allé réfugier à Babylone,[58] ville de Chaldée.
Plus tard, tourmenté du même mal, Phocas, son homonyme, avait soumis tout l’Orient dont il était resté maître pendant sept ans.[59] Basile, à la tête de quatre mille hommes seulement, ayant traversé la mer pendant la nuit, fondit sur les troupes beaucoup plus nombreuses du rebelle. De toute la multitude de partisans qui accompagnaient celui-ci, pas un ne mourut, excepté leur chef. L’empereur, lui ayant fait trancher la tête, avait donné l’ordre de sonner de la trompette en signe de paix.[60] La guerre terminée, les soldats s’en étaient retournés chacun chez soi, et Basile était rentré en triomphe dans Constantinople, sa capitale.
L’issue de la folle et puérile entreprise des nouveaux conjurés ne fut pas plus heureuse, et l’édifice élevé par eux sur le sable s’écroula au choc de la première vague qui le frappa. David, nommé aussi Sénékhérim,[61] se sentant serré de près par les Perses,[62] avait, peu de temps auparavant, deux ou trois ans, cédé à Basile son patrimoine, la province de Vasbouragan[63] et reçu en échange de l’empereur la ville de Sébaste avec les districts environnants.[64] Depuis cette époque, les Romains étaient maîtres de tout l’Orient.[65] Mis par les rebelles dans leur confidence, Sénékhérim avait fait cause commune avec eux. Mais tout à coup, semblables à quelqu’un qui se réveille d’un profond sommeil, ou à l’homme fort qui secoue son ivresse, les conjurés, en présence de la mauvaise tournure que prenaient les choses, ne voyant pas d’autre moyen de rompre cette funeste conspiration, sortent du camp, emmenant avec eux leur empereur, comme pour parler de choses secrètes, et, levant sur lui l’épée, le tuent à l’improviste.[66] Sénékhérim lui trancha la tête et la fit porter en toute diligence à l’empereur par ses gens.
Aussitôt que cette nouvelle fut connue, les partisans qui étaient réunis autour d’eux, se sauvant l’un après l’autre, se hâtèrent de rentrer incognito chez eux, et toute cette conjuration fut dissoute sur le champ.
En recevant la tête de l’usurpateur, Basile ordonna de l’exposer en haut d’une perche, à la vue du camp entier, parce que dans son armée se trouvaient en grand nombre des soldats qui, à la vérité, le suivaient des pieds, mais qui, de parole et d’esprit, étaient unis à Dzèr’aviz. Il agit ainsi dans sa profonde sagesse, afin que ce spectacle éloignât de ses troupes les pensées vaines, et replaçât dans leurs cœurs l’obéissance à l’empereur.
A la suite de ces événements, Basile descend avec son armée dans la vaste plaine de Pacen et envoie un détache ment de cavaliers païens s’emparer du rebelle Ph’ers,[67] puis, continuant sa route, il arrive à l’extrémité du district dans un lieu nommé Salkora, et ayant fait creuser un fossé profond autour de son camp, en guise de retranchement, il demeura en cet endroit un mois et plus.
Cependant les soldats envoyés par lui, s’étant saisis de Ph’ers et d’Andronic, son gendre et son complice, les menèrent jusqu’à la forteresse de Khago’dh’-Ar’idj, sur les confins du district de Garin; parvenus à un village qui fait face à cette forteresse, ils mirent pied à terre, conduisirent leurs prisonniers au pied des murs et leur tranchèrent la tête, conformément aux ordres de l’empereur. Ph’ers et Andronic, en se révoltant contre lui, avaient conclu avec l’Aph’khaz un traité par lequel ils s’étaient engagés à donner à ce dernier, pour sa part, le territoire qui s’étend jusqu’au lieu susmentionné. Ce territoire avait été possédé auparavant par David le curopalate, non point comme patrimoine, mais à titre de présent qu’il avait reçu de Basile, en récompense de son obéissance et de sa fidélité, et parce qu’il avait promis de lui donner son district à sa mort. Ceux-ci, sans s’inquiéter de tout cela, distribuaient libéralement des terres qui ne leur appartenaient pas. Ce fut pour ce motif que Basile leur fit trancher la tête.
Pendant son séjour à Salk’ora, l’empereur exigea de Kêork la remise des trois forteresses que Kourkên avait enlevées injustement des possessions du curopalate, avec leurs dépendances,[68] et lui expédia, à cet effet, des exprès avec une lettre conçue en termes conciliants: « Abandonne, lui disait-il, ce qui ne fait point partie de ton patrimoine, reste paisiblement dans tes domaines, et ne m’empêche pas de continuer ma route vers la Perse. » Kêork refusant, il lui députa Zacharie, ce même évêque de Vagh’arschouguerd dont nous avons dit plus haut quelques mots. Celui-ci réussit, par des paroles persuasives, à circonvenir Kêork, qui céda enfin et écrivit à l’empereur qu’il consentait à sa demande. Zacharie s’en revint plein de joie emportant la lettre.
Au bout d’un jour de marche, il fut atteint tout à coup dans l’endroit où il devait s’arrêter par des coureurs réclamant la lettre que l’insensé se repentait d’avoir écrite. L’ayant prise de ses mains, ils s’en retournèrent. Zacharie, continuant sa route, rejoignit l’empereur, à qui il raconta ce qui s’était passé. Basile s’informa auprès de l’évêque de l’état de l’armée de Kêork et de ses préparatifs pour entrer en lutte. Zacharie répondit: « Il a des troupes nombreuses comme pas un autre roi, des soldats robustes, valeureux et prêts à se battre. » A ces mots, l’empereur, ému de colère, reprit: « Tu viens de ta part des rebelles pour m’intimider. » Puis il prescrivit de le transporter à Constantinople, en disant: « Va te reposer là jusqu’à ce que, mis en fuite, j’aille te rejoindre. » Mais il avait donné l’ordre à ceux qui devaient le conduire de lui couper la langue. L’évêque partit pour ne jamais revoir sa ville, et resta dans le même endroit jusqu’au jour de sa mort.
Après cela, l’empereur, abandonnant son campement de Salk’ora, s’avança avec son armée jusqu’en un lieu appelé Schègh’ph’a. A cette nouvelle, l’Aph’khaz, sans laisser à Basile le temps de dresser son camp et de le fortifier d’un retranchement, imagina le stratagème que voici, Il envoie en députation un de ses principaux évêques qu’il suivait lui-même à la tête de ses troupes, dans l’espoir de surprendre les Grecs à l’improviste, de jeter l’épouvante parmi eux et de les mettre en déroute. Ils s’élancent donc au galop de leurs chevaux, l’un devant l’autre, non pas à la manière de soldats qui vont au combat, mais comme des gens en quête de butin. Du temps de Joram, les Moabites, ayant attaqué Israël, périrent misérablement sous le glaive. Tel fut le sort des Aph’khaz. Accourus témérairement sur leurs chevaux, le poids de leur armure de fer, la vitesse et la longueur de la course ayant épuisé leurs forces, ils tombèrent au milieu des Romains, tout frais en ce moment, qui en exterminèrent un nombre incalculable. Les autres coururent se renfermer avec le roi dans leurs forteresses, poursuivis par les Grecs qui les massacrèrent jusqu’au coucher du soleil. L’empereur ordonna de réunir dans le même lieu les têtes des ennemis morts et de distribuer un tahégan[69] par tête à chacun de ses soldats qui en apporterait. Ceux- ci, fouillant de tous les côtés, apportèrent les têtes devant l’empereur, et les amassèrent en pile, puis, par son ordre, ils en élevèrent des monceaux de distance en distance, le long de la route, pour frapper d’étonnement et d’épouvante ceux qui les verraient.
Kêorki, se sentant déchu de toute espérance, supplia l’empereur de le laisser s’en aller en paix. Celui-ci, touché de compassion, lui écrivit en ces termes: « Ne pense pas que, parce que je t’ai vaincu, j’exige aujourd’hui de toi plus qu’auparavant; rends-moi les terres que le curopalate m’a données en héritage, et livre-moi ton fils en otage; alors il y aura paix entre toi et moi. » Kêorki se laissa persuader et consentit à tout. L’empereur établit dans le district des commandants qui le partagèrent maison par maison, village par village, champ par champ, comme par le passé. En recevant les otages, il promit de les renvoyer au bout de trois ans. Ensuite, il part à la tête de ses troupes, tourne l’Arménie, et va camper avec sa cavalerie dans la vaste plaine de Her.[70] Là, il prescrit à ses soldats d’abattre les arbres qui entouraient la ville, mais le gouverneur le pria d’accepter un tribut et sa soumission.
Pendant que Basile était dans ces pensées, et que, par tout le pays, les Perses, consternés et tremblants de peur, cherchaient des moyens de salut, tout à coup le ciel se voila de nuages épais et des torrents d’eau fondirent sur la terre. En suite, il souffla du nord un vent piquant sous l’action duquel la pluie se transforma en grêle, en neige et en glace qui couvrirent la surface du sol de leurs couches profondes. Au reste, la saison naturelle des frimas était arrivée, car on était alors au cœur de l’hiver. La neige ayant continué de tomber, et la gelée sévissant de plus en plus, les chevaux et les mulets, engourdis par le froid, furent réduits à l’impossibilité de remuer. Par suite de l’excessive rigueur de la température, les extrémités des pieds et des mains des fantassins se détachaient comme brûlées par le feu. Les cordes des tentes et les piquets, fixés à la terre par la violence de la gelée, restaient immobiles. Ce fléau me semble être la punition des massacres qu’ils avaient commis sur les chrétiens. Ceux-ci, il est vrai, avaient été livrés à cause de leurs péchés, mais ils auraient dû user envers eux de miséricorde, suivant ces paroles que Dieu adressait au Babylonien: « J’ai livré mon peuple entre tes mains, et toi, tu n’as pas eu pitié de lui. C’est pourquoi ils furent châtiés par des froids excessifs, non pas sur le sommet des montagnes, mais dans les plaines les plus basses et les lieux les plus chauds, en face de leurs ennemis. C’est ainsi, qu’au temps de Moïse, l’Égypte fut frappée d’une grêle et d’une gelée qui n’étaient point naturelles au climat du pays, par quoi les barbares virent clairement que le bras du Tout-puissant combattait contre eux. Dans ces circonstances, ceux qui, grâce à la force de leur constitution plus vigoureuse, avaient résisté au fléau, montèrent à cheval, et, fuyant devant le froid comme devant les ennemis, insoucieux de leurs biens, passèrent avec l’empereur sur le territoire des Ardzrouni.[71] A cette vue, les habitants de Her s’élançant à l’improviste hors de leurs murs, se précipitèrent ivres de joie sur les traces des Grecs et leur enlevèrent un butin considérable en chevaux, mulets, tentes et autres objets d’équipement que ceux-ci ne purent défendre, tant ils étaient incommodés par le froid. Ainsi outragé par les pillards, l’empereur comprit clairement que le Seigneur avait livré les Géorgiens en ses mains selon qu’il est écrit au Livre des Rois que: « Ce n’est point par sa propre force que le vainqueur remporte la victoire; c’est le Seigneur qui ôte à l’ennemi sa force. » L’empereur, étant donc parti avec le reste de son armée, arriva, après de nombreuses haltes, dans Constantinople, sa capitale. Au bout de trois ans, il renvoya comblé de présents le fils de l’Aph’khaz.
Constantin, son frère germain et son associé à l’empire, se trouvant, à cette époque, dans le district de Nicée, l’empereur ordonna d’envoyer des courriers pour l’inviter à se rendre en hâte auprès de lui. Les ministres le promirent, mais ils gardèrent chez eux la lettre de l’empereur, parce qu’ils ne voulaient pas que Constantin régnât sur eux. Après avoir, à plusieurs reprises, renouvelé ses ordres, Basile, m’apercevant de leur fourberie, commanda à ses serviteurs de lui amener un cheval. Il se leva de son lit, monta à cheval, et sortit de son palais dans la ville, où il se montra à tous les regards. Nombre de ceux qui le virent s’allèrent, par peur, cacher jusque dans les coins les plus obscurs de leurs demeures. Les courriers partirent alors et ramenèrent sur le champ Constantin dans la capitale. Aussitôt qu’il fut arrivé, Basile lui posa sur la tête la couronne impériale, le déclara empereur,[72] et lui recommanda, comme autrefois David à Salomon, de ne point laisser la vie aux perturbateurs du royaume et à tous ceux qui refuseraient de le reconnaître pour leur souverain, mais il n’ajouta pas, comme David: « Invente des prétextes pour te saisir de leurs personnes. » Basile, ayant repris le lit, perdit peu à peu ses forces et mourut deux jours après. Il avait régné cinquante ans.[73] Le jour de sa mort un phénomène merveilleux parut dans le ciel. Le soir, vers l’heure à laquelle il rendit le dernier soupir, un éclair étincelant, fendant tout à coup la voûte éthérée, se précipita sur la terre. Tous ceux qui furent témoins du prodige déclarèrent qu’il annonçait la mort de l’empereur.
A Basile succéda Constantin, son frère germain, qui occupa le trône quatre ans.[74] Comme c’était un homme pacifique et généreux, il demeura en repos pendant la première année de son règne, et le pays recouvra la tranquillité après les violentes agitations dont il avait été le théâtre. Les gouverneurs de provinces nommés par le grand Basile furent maintenus dans leurs charges. Cependant Nicéphore Comnène (Gomianos), homme vaillant et belliqueux qui, placé par Basile à la tête du gouvernement de la province de Vasbouragan, s’était signalé par de brillants exploits contre les Perses et rendu célèbre dans tout l’Orient, conçut, à la mort de l’empereur, une pensée criminelle. Il conclut un traité avec Kêorkê dans le but de se faire roi en Orient.[75] Instruites de ce projet, les troupes de Cappadoce se rassemblèrent, le surprirent à l’improviste, coupèrent les cordes de sa tente qu’ils abattirent sur lui; puis s’étant saisies de sa personne et de celles de ses complices, elles les renfermèrent dans une forteresse et en donnèrent avis à l’empereur. Ceci arrivait dans la première année du règne de Constantin qui correspondait à l’année 475 de notre ère (15 mars 1027 - 14 mars 1026).
Constantin, informé de ce qui se passait, n’infligea, pour le moment, aucun châtiment aux rebelles. Il attendit une année entière, jusqu’à ce qu’il fût pleinement instruit des faits. Alors, dans le cours de la deuxième année, il envoya un exécuteur qui aveugla Comnène avec sept de ses conjurés.[76] C’est une chose vraiment bien regrettable que le sort d’un homme illustre qui se laisse entraîner à un acte de folie, lui si digne de bons souvenirs, et qui avait donné aux Romains Ardjêsch[77] avec le territoire de cette ville!
Dans le courant de cette seconde année, l’empereur envoya en Orient, en qualité de gouverneur, l’eunuque Nicétas (Niguidom).[78] Celui-ci étant passé en Géorgie, persuada, par des discours captieux, quantité de nobles du pays à quitter leurs possessions héréditaires pour se rendre à la cour de Constantin. L’empereur, en les voyant, fut rempli de joie; il les combla de présents magnifiques, d’honneurs et de dignités, et leur donna, en échange de l’abandon de leurs domaines, des bourgades et des villages dont il leur assura la propriété à perpétuité par un écrit revêtu de son sceau. Au commencement de la troisième année, l’eunuque Syméon (Simon)[79] partit pour l’Orient avec des forces considérables; il était lieutenant de l’empire, dignité qu’on désigne en grec par le mot paracœmômenos (bar’éguimanos[80]). Il se rendit en Géorgie, mais il n’eut le temps de rien terminer, car la nouvelle de la mort de l’empereur étant arrivée peu de temps après, il se hâta de retourner avec son armée à Constantinople.
Basile, roi fort entre tous, toujours victorieux dans les combats, avait réduit sous ses lois nombre de provinces. Ses exploits belliqueux ne lui ayant point laissé le loisir de se marier ni d’élever d’enfants pour hériter de son empire, ainsi que les rois ont l’habitude de faire, à sa mort, la couronne passa, comme nous l’avons dit plus haut, à Constantin, son frère germain, lequel n’eut pas davantage d’enfants. Seulement, il possédait deux sœurs dont il donna Zoé, l’aînée, en mariage à Romain, officier dans l’armée grecque qu’il désigna pour son successeur, après quoi il s’en alla bientôt lui-même par la voie où passent tous les mortels.
La première année de son règne,[81] Romain réunit une armée à la tête de laquelle il se dirigea sur le territoire d’Antioche avec le projet de marcher contre Alep (Haib), de s’emparer de cette ville et de la détruire. Arrivé à la Montagne Noire[82] il y rencontra une multitude de monastères et de couvents habité par des anachorètes qui, sous une forme corporelle, avaient l’apparence d’êtres immatériels. Couverts, pour tout vêtement, d’une simple étoffe de poils de chèvre ou d’une tunique, ils ressemblaient par là à Jean; mais au lieu que ce dernier vivait de sauterelles et de miel sauvage, eux, après avoir travaillé, la bêche de fer à la main, épuisés de fatigue, n’avaient pour réparer leurs forces qu’une nourriture faite de semences d’orge, abandonnant aux amis du monde et de ses plaisirs les viandes aux apprêts variés, les mets savoureux et la joyeuse liqueur que fournit le fruit de la vigne. Retirés au sommet de la montagne, comme le premier des prophètes, ils étaient en colloque perpétuel avec Dieu.
En les apercevant, l’empereur demanda à ses officiers quelle était cette multitude d’hérétiques. Ils lui répondirent: « Ce sont des troupes d’hommes qui font sans cesse des prières pour la paix du monde et la conservation de votre existence. — Je n’ai point besoin de leurs prières, répliqua Romain; prenez dans tous ces couvents des archers pour le service de mon empire. » Partisan déclaré des doctrines du concile de Chalcédoine, il était ennemi de la foi orthodoxe.[83] Il envoya à, Constantinople l’évêque des Syriens qu’il abreuva de mépris et de risées, avec l’ordre de lui couper la barbe, de le promener sur un âne par les places et les rues de la ville et de le couvrir de crachats, après quoi il le fit mettre en prison où il mourut. Tel était ce prince insensé. Il ne se souvint point de la bienveillance que les empereurs, ses prédécesseurs, avaient montrée aux nations soumises à leur puissance; il voulait de son autorité privée introduire dans l’Église de Dieu des formes nouvelles, oubliant ces paroles infaillibles du Seigneur: « Quiconque se heurtera contre cette pierre sera brisé, et elle broiera celui sur qui elle tombera. C’est pourquoi les justes jugements de Dieu ne tardèrent pas à l’atteindre. Un corps de Dadjiga,[84] composé de huit cents à mille hommes au plus, l’ayant rencontré en chemin, fondit sur les masses de troupes qui l’accompagnaient, en firent un massacre immense, s’emparèrent de ses trésors et de ceux de ses soldats, et rentrèrent dans leur ville.
Romain, accablé de honte, s’enfuit de toute la vitesse de son cheval dans sa capitale.[85] Profondément humilié dans la violence de son orgueil, il put se rappeler ces paroles du cantique de David: « Il vaut mieux placer sa confiance dans le Seigneur et les prières des saints que dans les princes et dans l’abondance des trésors; car les richesses ne servent de rien au jour de la colère. » Depuis cette époque, il ne quitta plus sa capitale jusqu’au jour de sa mort.
Le prince d’Édesse appelé Émir par les musulmans dans leur langue, qui tenait cette place de ses ancêtres à titre héréditaire, étant mort sans enfant, sa femme, qui s’était éprise d’une passion violente pour un de ses serviteurs, nommé Salama, l’établit en possession de la ville à la place de son mari.[87]
Mais celui-ci, redoutant que les notables ne lui refusassent obéissance, expédia un de ses confidents à Maniacès (Maniag),[88] qui avait le gouvernement des frontières du territoire romain, et résidait à Samosate,[89] ville qu’on dit avoir été bâtie anciennement par Samson.[90] Il le priait de faire savoir à Romain que, s’il consentait à lui donner une principauté à titre héréditaire et perpétuel par lettre et l’anneau sur les terres de l’empire, lui, Salama’i remettrait la Ville sans combat entre les mains de l’empereur. Après avoir pris connaissance de cette proposition, Romain lui écrivit pour l’informer de son adhésion, le créa Anthipatus Patrice[91] et combla sa femme de magnifiques honneurs et de distinctions.
Les habitants, en entendant les cris des assaillants et le son des trompettes saisis d’effroi et tremblants, se précipitèrent hors des murs en désordre, semblables aux flots de la mer amoncelant et se heurtant les uns contre les autres, dans l’impossibilité de prévoir l’issue de l’attaque, les mahométans qui habitaient Édesse s’échappèrent pendant la nuit et se répandirent dans les villes voisines, où ils racontèrent les soudaines calamités qui étalent venues fondre sur eux. A cette nouvelle, des masses de soldats, se donnant rendez-vous, se réunirent au même endroit, marchèrent contre Édesse, ouvrirent une brèche dans le rempart et pénétrèrent dans la place où ils commirent d’énormes massacres. Beaucoup d’habitants se fortifièrent dans la cathédrale, d’autres dans des lieux sûrs ou dans les tours. Cependant les assiégeants incendièrent nombre de lieux,[92] lancèrent du feu jusque dans la sainte cathédrale même, puis ayant ouvert le trésor que les anciens rois d’Arménie y avaient amassé pour les besoins du temple du Seigneur, ils l’enlevèrent précipitamment et s’en retournèrent chez eux. Depuis ce jour-là Édesse fut soumis aux Romains.[93]
Romain, prince digne d’aucun bon souvenir, étant sorti le jeudi saint du palais pour haranguer ses soldats, resta jusqu’à midi à distribuer à chacun, suivant son rang, ses faveurs impériales. La cérémonie terminée, il donna l’ordre de préparer de l’eau dans un bassin d’or pour s’y baigner; A peine était-il entré dans la baignoire remplie d’eau chaude que quelques uns de ses serviteurs, le saisissant par les cheveux, lui tinrent la tête enfoncée sous l’eau jusqu’à ce qu’il eut cessé de vivre, d’accord avec l’impératrice dans l’accomplissement de ce crime.[94] Romain avait régné sept ans.[95]
Les empires représentés par la tête d’or, la poitrine et les bras d’argent, le ventre et les flancs d’airain de la statue d’airain que le prophète Daniel vit en songe ne sont plus. Mais les jambes et les pieds de fer mêlé d’argile étaient la figure de l’empire romain actuel. Car celui qui présidait alors à ses destinées ne gouvernait ni comme les rois des autres nations ni comme un fils de roi. Le souverain qui tient son pouvoir de son père et de ses aïeux, celui-là est de fer, mais l’étranger, qui n’est pas de famille royale, est d’argile. Cette vérité se manifeste fréquemment chez les Grecs, ainsi que nous le voyons de nos jours par l’empereur dont l’histoire nous occupe en ce moment. Michel n’était ni de race royale, ni fils de roi, ni même rangé par ses fonctions parmi les grands officiers. Obscur serviteur du palais[97] il était devenu l’objet d’une passion adultère de la part de l’impératrice, qui avait fait étouffer son mari dans l’eau par amour pour lui, crime dont on dit qu’il avait été lui-même un des exécuteurs.[98] Cet acte satanique était à peine consommé que l’impératrice mande auprès d’elle les notables de la ville, leur montre le cadavre de Romain qu’elle dit avoir été frappé d’une mort soudaine, puis, un instant après, ayant fait venir Michel, elle le déclare empereur en le prenant pour son mari en présence de toute l’assemblée.[99] Michel avait une famille nombreuse et des frères auxquels il distribua les principales dignités.[100] Il crée l’un Magistros et lui confère Thessalonique avec le gouvernement de la Bulgarie et des provinces occidentales; il nomme un autre grand Domestique (Temesligos)[101] et l’envoie dans la célèbre Antioche chargé du gouvernement du Dadjgasdan[102] et des provinces méridionales. Son second frère, qui était eunuque et moine, s’appelait Or’thanor.[103] Michel l’établit dans la ville impériale de Constantinople, l’élève à la dignité de Syncelle (Singlidos)[104] et lui confie l’administration générale avec la justice du palais.[105]
Cruellement obsédé par l’esprit malin, Michel courait se réfugier dans les églises et les tombeaux des saints. Je ne sais si c’était vengeance de la mort injuste de Romain, ou possession naturelle. D’autres l’expliquent autrement: ils disent que la couronne ne devant pas lui appartenir légitimement, il était allé à Thessalonique consulter une magicienne, comme autrefois, au temps de Basile, ce jeune homme dont on raconte les choses qu’il exécuta par l’intermédiaire d’une pythonisse, et s’était voué au service du père de tous les maux; qu’échauffée par le démon de l’impudicité, Zoé l’avait pris pour mari et établi maître de tout l’empire. Parvenu au trône, Michel, suivant la coutume des empereurs, était obligé d’aller à l’église aux jours de fêtes du Seigneur, ne pouvant supporter les obsessions de l’esprit malin qui le croyait alors en révolte contre lui. Ceci se trouve confirmé par le témoignage de ceux qui racontent qu’il résidait souvent à Thessalonique, auprès de la magicienne, à ce que l’on supposait.[106] Quoi qu’il en soit de ces diverses opinions, toujours est-il que le démon qui le tourmentait ne le quitta qu’à sa mort.
Sous son règne, il fut fait un immense massacre des troupes romaines dans la ville et forteresse de Pergri[107] située sur le territoire du pays des Ardzrouni.[108] Cette ville était depuis longtemps soumise aux Perses[109] qui l’avaient enlevée avec ses dépendances.[110] Gavasilas,[111] gouverneur du Vasbouragan, étant venu l’attaquer avec une armée considérable, s’en empara et en confia la garde à une division de cavalerie. Sur ces entrefaites, il fut remplacé par un autre gouverneur qui emmena la garnison et s’en alla camper à une très grande distance, dans un endroit appelé Ardzag,[112] à cause de l’abondance des fourrages et autres objets nécessaires à la cavalerie qui s’y trouvaient. Le seigneur de Pergri, nommé Khèdrig, qui était prisonnier dans la forteresse, informa de sa position les commandants des troupes perses de la province. Ceux-ci, s’étant concertés sur le champ les uns avec les autres, se rassemblèrent en un même lieu et se portèrent contre la ville qu’ils bloquèrent. Les soldats romains, appesantis par la débauche et le vin, ne purent veiller à leur sûreté, et celui qui protège Israël leur retira son appui. Les Perses, fondant sur eux l’épée à la main, en exterminèrent; environ vingt quatre mille. Ceci arriva non point pour récompenser les Perses de leur justice, mais pour punir nos soldats qui expièrent sous le cruel tranchant du glaive leurs iniquités, suivant cette parole du Seigneur; « Il perdra les méchants par le méchant. » Les troupes cantonnées à Ardzag ne parvinrent point à les secourir. Les Perses rentrèrent chez eux chargés de butin et des dépouilles des morts. En chemin, comme ils avaient un grand nombre de prisonniers, Khèdrig ordonna de creuser dans la terre une fosse de la dimension d’un homme, de les lier et de les égorger sur le bord jusqu’à ce qu’elle fût pleine, après quoi il y descendit et se baigna dans le sang des victimes pour calmer la rage dévorante de son cœur.
A l’entrée de l’année suivante, l’empereur envoya de nouvelles troupes. Celles-ci dressèrent des machines et des balistes à l’aide desquelles elles détruisirent un mur de la citadelle. Les assiégés, n’apercevant aucun moyen de salut (beaucoup d’entre eux déjà avaient succombé), supplièrent les chefs de l’armée grecque de les laisser retourner sains et saufs dans leur pays, promettant de leur livrer la forteresse avec ses dépendances. Ceux-ci accueillirent favorablement cette proposition, et à partir de ce jour-là Pergri fut irrévocablement soustraite à la domination des Perses.[113]
Au commencement de son règne, le soleil s’obscurcit dans le mois d’arats, un vendredi, au déclin du jour. C’était en l’année 482 de notre ère (13 mars 1033 - 12 mars 1034).[114] A cette vue, nombre de savants pensèrent que ce jour était celui de la naissance de 1’Antéchrist ou le présage des plus grands malheurs. Ces malheurs arrivèrent, en effet, de notre temps, à l’époque où nous conduit le fil de notre récit. Nous avons vu de nos propres yeux ces châtiments de la colère de Dieu, ces calamités épouvantables qui sont tombées sur la nation arménienne en punition de nos péchés. Déjà quelque temps auparavant s’était montré un prodige terrible qui avait frappé de stupeur tous ceux qui en furent témoins, prodige pareil à ceux qui précédèrent la dernière destruction de Jérusalem, contre laquelle le Sauveur proférait cette menace
Il viendra des jours d’angoisses tels qu’il n’en a jamais paru sous le ciel depuis l’origine du monde, et comme il n’y en aura jamais, » parce que les enfants des hommes se sont révoltés contre leur maître et leur créateur, et l’ont regardé comme l’un d’eux. Un homme, du nom d’Ananie, criait au milieu de Jérusalem de toute la force de sa voix ces paroles lamentables: « Malheur à Jérusalem! malheur à la ville sanguinaire! ils sont arrivés pour toi les jours de la vengeance, et la suite, ainsi que le raconte l’illustre Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique. La même chose eut lieu à Pergri de notre temps. Un homme, comme Ananie, inconnu de tout le monde, sans parents, sans amis ni patrie, et qui, venu de l’Orient, avait traversé les districts d’Abahounik’,[115] de Hark’, de Mananagh’i[116] et d’Ëguéghiats qu’il ne devait plus revoir, criait à haute voix, sans interruption, le jour comme la nuit:
« Malheur à moi! malheur à moi! » sans ajouter un mot de plus. A ceux qui lui demandaient: « D’où es-tu? de quel pays viens-tu? pourquoi dis-tu cela? » il ne donnait pas d’autre réponse que son éternelle lamentation qu’il répétait sans relâche; ce qu’entendant, les insensés pensèrent qu’il avait perdu la raison; les sages, au contraire, disaient: « Cet homme sera une cause de calamités pour tout le pays. » Mais arrêtons-nous ici pour reprendre la suite de notre récit et revenons à notre empereur.
Il avait nommé son neveu (le fils de sa sœur) César.[117] Au bout de sept ans et huit mois de règne,[118] il tomba malade et s’endormit du sommeil de la mort. L’impératrice, ayant adopté le César pour son fils, le proclama empereur à la place de son mari.[119] Au lien de lui montrer de la reconnaissance pour les bienfaits qu’il en avait reçus, celui-ci forma, de concert avec sa famille, le projet de l’exiler dans une île lointaine, afin de rester seuls maîtres du pouvoir. Ils exécutèrent en effet leur complot. Mais Théodora, sœur de l’impératrice, ayant convoqué les notables de Constantinople, les informa de ce qui s’était passé. A cette nouvelle, les notables appelèrent les troupes d’Occident qu’ils réunirent autour d’eux, puis se présentant brusquement devant l’empereur, ils lui dirent: « Montre-nous notre souveraine porphyrogénète qui tient de ses ancêtres et de ses pères l’hérédité de cet empire, » car plusieurs craignaient qu’elle ne fût déjà morte. Effrayé de leur accord et de leur violence, Michel prescrivit de ramener sur le champ l’impératrice de l’exil. Théodora n’eut pas plus tôt revu sa sœur qu’elle donna l’ordre d’arrêter l’empereur avec ses parents et leurs amis. Celui-ci, ayant pris la fuite, voulait pénétrer dans la cathédrale, se cacher sous l’autel et se sauver par ce moyen, mais il ne put y parvenir.[120] Des gens qui le poursuivaient, arrivant à, toute vitesse, le saisirent et le ramenèrent avec eux; puis l’ayant jeté dans un lieu immonde sous terre, ils lui crevèrent les yeux ainsi qu’au grand Domestique et à nombre d’autres.[121] Théodora livra ensuite leurs demeures au pillage, à la ruine et à la destruction.
Le peuple de Constantinople s’y précipita en masse, en emporta un butin considérable, et démolit jusque dans leurs fondements leurs magnifiques et splendides palais, qu’il transforma en monceaux de décombres. La multitude en désordre, échauffée par l’appât du pillage, se ruait avec une fureur telle qu’elle renversa un des murs du palais et enleva quantité de richesses du trésor impérial, et ce n’est qu’avec peine que les notables, secondés par le soleil repliant son orbe sur lui-même, purent mettre un terme à la fureur du peuple.
L’empereur qui, la veille, assis sur un trône d’or, donnait des ordres à l’univers, aujourd’hui, privé de la lumière, est assis sur un siège de vanité et d’ignominie. Ceux qui croyaient commander à la mer et au continent à tout jamais, en un instant, ont perdu jusqu’aux conditions de leur propre existence, justement comparables à ces herbes des toits dont parle le prophète, qui se sont séchées avant d’avoir été cueillies, qui n’ont point rempli les mains du moissonneur, dont n’ont point été chargés les bras de ceux qui enlèvent les gerbes, et pour lesquelles les félicitations des passants n’ont point coulé dans les oreilles (du maître). Telle est l’histoire éphémère de ce César qui régna six mois.[122]
[1] Suivant l’Histoire de la Géorgie, traduite en français par M. Brosset, t. I, David le curopalate était fils d’Adarnarsé, souverain des arthles, et roi de la province arméno-géorgienne de Daïk’, située au nord-est de la Haute Arménie, au nord de la province d’Ararad, à l’ouest de celle de Koukark’, à l’est du pays de Khagh’dik’ et de celui des Lazes, et enfin au sud de la partie de la Colchide et de l’Ibérie qui forme le royaume de Gouriel. (Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. I. — Indjidj, Arménie ancienne) Nous ne connaissons point la date de son avènement au trône.
En 976, lors de la révolte de Bardas Skléros, il envoya au secours de Basile, qui lui en avait fait la demande, un corps d’armée qui contribua puissamment à réduire le rebelle. En récompense de ses services, il avait reçu de l’empereur des Grecs, mais seulement à titre viager, et ainsi que l’explique plus loin Arisdaguès, ch. iii, « parce qu’il avait promis de lui donner son district à sa mort, » Khagh’do’ Ar’idj, Kgh’éçour, Zormaïri, Garin, Pacen, la forteresse de Sévong, appelée Martagh’ï, avec les districts de Hark’ et d’Abahounik’. — Cf. Étienne Açogh’ig, Histoire universelle, III, ch. xv.
D’après Açogh’ig, historien justement apprécié pour l’exactitude de ses dates, « il mourut dans une vieillesse avancée, le jour de la grande fête vivificatrice de Pâques, en 449 de l’ère arménienne, » 21 mars 1000 - 20 mars 1001 de l’ère chrétienne. (Açogh’ig, Hist. univ., III, ch. XLIII.) Pâques tomba cette année-là le 31 mars. L’Hist. de la Géorgie, trad. fr., t. I, le fait mourir en l’année 1004.
« Comme il n’avait ni fils, ni frère à qui il pût laisser son trône et sa couronne, il légua sa légion noble à l’empereur des Grecs, Basile. » (Açogh’ig, loc. laud.) On lit dans l’Epitomé historique de Vartan de Partzêrpert, dont le R. P. Léon Alischan, du couvent de Saint-Lazare, a publié l’année dernière, à Venise, une excellente édition anonyme, p. 93: « Le curopalate David, n’ayant point d’héritiers, légua, par un testament irrévocable, son patrimoine à Basile, Oukhthik’, Namrévan, Mandzguerd, ville de l’Abahounik’, avec tous ses biens. » il est dit d’autre part, dans l’Hist. de la Géorgie, trad. franç., t. I, que David, n’ayant pas de fils) avait adopté Bagrat, fils de Gourguèn, roi des Aph’khaz. Le témoignage d’Açogh’ig, cité plus haut, nous autorise à croire qu’il révoqua cette adoption avant de mourir.
« C’était un homme doux et pacifique entre tous les rois, ses contemporains. Il fut une source de paix et de prospérité pour les diverses nations de l’Orient et particulièrement pour les Arméniens et les Géorgiens. Il éteignit de tous côtés la fureur des guerres par les victoires qu’il remporta sur les peuples, ses voisins, dont les rois lui adressèrent spontanément leur soumission. » — Açogh’ig, loc. laud.
[2] Basile II, fils de Romain l’Ancien, monta sur le trône avec Constantin, son frère, vers la fin de 975, d’après Cédrénus et Skylitzès suivis par Baronius et Petan, au commencement de 976, suivant Lebeau et M. de Muralt, Essai de Chronographie byzantine, Saint-Pétersbourg, in 1855. Samuel d’Ani, Chronographie, édit. Angelo Maï et J. Zohrab, Milan, in-4°, 1828 place son avènement en l’année 424 de l’ère arménienne (28 mars 975 - 27 mars 976). Açogh’ig, Hist. univ. III, ch. x et xiv, en 425 (mars 976 - 26 mars 977). En adoptant le calcul de Skylitzès, calcul qui paraît le plus probable, la vingt-cinquième année du règne de Basile porte à l’an 4000 son expédition en Arménie, date qui concorde exactement avec celle assignée à la mort de David par l’historien Açogh’ig, ainsi que nous l’avons vu plus haut. Açogh’ig nous apprend, loc. laud., que Basile était à Tarse de Cilicie, lorsqu’il apprit la nouvelle de la mort de David.
Voir, pour la dénomination de « Romains» donnée par Arisdaguès et par tous les historiens arméniens aux Grecs du Bas-Empire, Chronique de Matthieu d’Édesse, trad. franç. par M. Ed. Dulaurier, dans les notes.
[3] Eguégh’iats aujourd’hui Ezenga district de la haute Arménie. C’est l’Acilisène de Strabon et de Ptolémée.
[4] Le P. Indjidj, Arm. anc., pense qu’au lieu d’Agh’ôri, il faudrait lire Agh’orli, qui est le nom d’un district de la province de Daïk’, dans lequel se trouve la ville et forteresse de Hadvajitch, située sur la montagne du même nom. — Cf. Açogh’ig, Hist. univ., III, ch. XLIII.
[5] Les motifs de cette rixe, qu’Arisdaguès nous dit ne pas connaître, sont racontés par Açogh’ig, avec la rixe elle-même, de la manière suivante: « Les princes et les nobles de Daïk’ avaient établi leur camp, auprès de celui des Grecs. Or, un fantassin russe, étant sorti du camp, y rentra apportant une botte de foin. Un soldat géorgien, s’approchant de lui, la lui enleva. Les Russes vinrent au secours de leur camarade. De son côté, le Géorgien appela les siens, qui accoururent et tuèrent le premier auteur de cette querelle. Aussitôt tout ce qu’il y avait là de Russes se mit en mouvement et se prépara au combat. Ils étaient au nombre de 6,000 hommes d’infanterie, armés de la lance et du bouclier L’empereur en avait demandé l’envoi à leur roi (Volodimir), à l’époque du mariage de sa sœur (Anne), dont Basile lui avait accordé la main. » — Cf. Açogh’ig, Hist. univ., III, ch. XLIII.
[6] Suivant Matthieu d’Édesse, David, s’apercevant qu’on l’avait empoisonné, prit un contrepoison qui calma ses douleurs. Mais Hilarion, archevêque géorgien, que les nobles de Daïk’ avaient chargé du soin d’exécuter leur complot, pénétra dans la chambre de David pendant qu’il dormait, retira le coussin qui soutenait sa tête et le lui plaça sur la bouche; puis se précipitant dessus avec force, il l’étouffa. — Cf. Chron. de Matthieu d’Édesse, trad. franç., ch. xxiv; — Sempad le Connétable, édit. de M. l’archimandrite G. Schahnazarian, un vol. in 4°, Paris, 1859.
[7] Pakarad avait succédé en 980 à son oncle Dimitri sur le trône d’Aph’khazêth, où il est le deuxième du nom. M. Brosset pense qu’il fut élu dans le Karthli en 985; il est le troisième de ce nom dans la série des rois de ce pays. Cf. Hist. de la Géorgie, trad. franç., t. I, p. 292.
Les Aph’khaz, dont le pays est nommé par les auteurs byzantins Abasgia ou Avasgia; par les habitants Absta; par les Arabes Abkhaz; par les Géorgiens Aphkhazêth, et par les Turcs Abaza, occupent, depuis un temps immémorial la portion du pourtour oriental de la mer Noire, située au pied du versant occidental du Caucase, entre la Circassie au nord et la Mingrélie au sud. Convertis au christianisme par Justinien, au vie siècle, ils furent dès lors placés dans la dépendance des empereurs de Constantinople. Deux siècles après, leurs princes secouèrent le joug et se firent reconnaître rois; Bientôt ils contractèrent des alliances avec la famille des Bagratides de Géorgie et finirent par absorber complètement ce pays. Il reste très peu de traces de christianisme parmi ce peuple, qui naguère encore adorait les idoles et les arbres. Aujourd’hui les Aph’khaz sont soumis au protectorat de la Russie.
[8] On donnait le nom de curopalate au commandant de la garde prétorienne, appelé par quelques écrivains préfet des prétoriens, du latin cura palatii; c’était le grand maître du palais. — Cf. Du Cange, Glossarium mediœ et infimœ latinitatis.
[9] Magister officiorum, titre d’une des dignités les plus considérables à la cour des empereurs grecs, correspondant à peu près à la dignité de conseiller aulique ou de conseiller d’État. A l’origine, il n’y eut qu’un magistros, mais dans la suite le nombre en fut porté jusqu’à quatorze. Ce titre fut donné aussi à des généraux d’armée, alors il était synonyme de magister militiae. — Cf. Du Cange, Glossarium mediae et infimae graecitatis. Le magistros était au-dessus du curopalate dans l’échelle hiérarchique.
[10] District de la province de Douroupéran, à l’orient de Darôn. Il tire son nom de celui d’un plateau élevé sur lequel Haïg, le fondateur de la nationalité et de la monarchie arméniennes, fixa sa première demeure avec sa famille, à son retour de Babylone, et qu’il appela « Hark’ », pères, en souvenir de Thorgom et de ses ancêtres: c’est la Kharka de Constantin Porphyrogénète. — Cf. Moïse de Khoren, I, ch. x; — Sébéos, édition de Thaddée Mihrtad, Constantinople, un vol. in 4°, 1851, p. 4;— Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 100; — Indjidj, Arm. anc., p. 415.
[11] Manazguerd, Manadzguerd, Mandzguerd, ville située sur la rive septentrionale du Mourad-Tchaï, sur les confins orientaux du district de Hark’, limitrophes de celui d’Abahounik’, et placée, pour cette raison, par les historiens arméniens, tantôt dans l’un tantôt dans l’autre de ces districts. A une époque reculée, elle se nommait Manavazaguerd et était la résidence des princes de la descendance de Manavaz, fils de Haïg, par qui elle avait été construite. Les écrivains byzantins lui donnent le nom de Mantzikiert, Mazikert et de Manzikiert; elle est appelée Melazguerd par les Arabes et les Turcs. — Cf. Faustus de Byzance, Venise 1832, un vol. in-8, p. 263 - Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 105; — Indjidj, Arm. anc., p. 116-118.
[12] District de la province d’Ararad, vers les sources de l’Euphrate, voisin des districts d’Arscharounik’, de Pacen et de Dzagh’-Oden, la Bagrandavene de Ptolémée. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. 108. — Indjidj, Arm. anc., p. 403.
[13] Ville de la province de Daïk’.
[14] Ainsi que nous l’avons vu, note 2, p. 350, la vingt-cinquième année du règne de Basile correspondit à l’an 1000. Notre auteur est donc en retard d’un an pour l’expédition de l’empereur en Arménie.
[15] Basile, pendant le cours de son règne, de 981 à 1019, fit aux Bulgares de fréquentes guerres dont il ne sortit pas toujours victorieux. Dans l’intervalle de quatorze ans de repos pour l’Arménie, dont parle Arisdaguès, il dirigea contre ce peuple deux nouvelles expéditions, l’une en 1006, l’autre en 1044. On peut comparer au sujet de cette dernière campagne les récits de Cédrénus, de Zonaras et de Glycas avec celui bien différent de Matthieu d’Édesse, qui l’anticipe de trois ans. (Chron. de Matthieu d’Édesse, trad. franç. ch. xxxvi.).
[16] Ce ne fut qu’en 1019 que les Bulgares furent complètement soumis.
[17] Pakarad III mourut le vendredi 7 mai de l’année 1014, laissant le trône à Kêork Ier du nom, qui n’était alors âgé que de dix huit ans. (Cf. Hist. de la Géorg., trad. franç., t. I, p. 302.). Ici notre auteur est encore en retard d’un an.
[18] Aschod III, surnommé le Miséricordieux à cause de son inépuisable charité, avait laissé, en mourant, la couronne à Sempad son fils aîné, à qui ses conquêtes valurent d’être appelé Diézéragal, le maître du monde. A Sempad succéda son frère cadet, Kakig I, en 990 de l’Ère chrétienne, 989 suivant Mich. Tchamitch, Histoire d’Arménie, t. II, p. 872 et t. III, dans les Tables, p. 73. Kourkên, le plus jeune des trois frères, avait reçu en apanage Daschir, Sévortik’ dans le Tzoro’-Ked, Gaïen, Gaïdzon, Khorkhor’ounik’, Pazguerd dans le district de Daschir, avec d’autres forteresses célèbres appelées par les Géorgiens Somkhéth. (Cf. Vartan de Partzerpert, Epit. hist., p. 90.) Il est la souche des rois goriguians de l’Agh’ouanie arménienne.
[19] Les Pakradounî ou Bagratides, dont l’origine remonte très haut dans l’histoire, sont issus de Schampath ou Schepath l’un de ces dix mille seigneurs et notables Juifs transportés de Jérusalem à Babylone par Nabuchodonosor, qui l’envoya à Hratchia’, roi d’Arménie, sur sa demande. Pakarad, un des descendants de Schampath, reçut de Valarsace Ier, en récompense de ses services et de sa constante fidélité, la dignité de Thakatir, qui consistait à poser la couronne sur la tête du roi, avec le titre de généralissime des armées d’Occident. (Cf. Moïse de Khoren, Histoire d’Arménie, I, chap. xxii; II, chap. iii et vii.) Au VIe siècle, une branche de cette famille monta sur le trône de Géorgie et s’est perpétuée jusqu’à nos jours sous le nom russe de Bagration. Ceux restés en Arménie n’eurent pas une fortune moins brillante, quoique plus tardive. Après l’extinction des Arsacides en Arménie, on les voit, en qualité de gouverneurs du pays, lutter constamment contre la tyrannie des Perses, ou, à la tête des armées arméniennes, repousser les invasions des Arabes. Enfin, en 885, Aschod Pakradouni, surnommé le Grand, reçut la couronne royale des mains mêmes de ses ennemis, et fonda la dynastie des Bagratides d’Ani.
[20] Ses victoires et la magnificence de son règne méritèrent à Kakig le surnom de Schah roi des rois, dont Sempad, son prédécesseur, avait déjà été honoré avant lui. Il recula les limites de son royaume bien au delà de celles faites par son frère. « C’était, dit Açogh’ig, Hist. univ., III, chap. xxx, un homme à l’esprit fin, profondément versé dans l’art de la guerre et libéral dans la distribution de ses dons, » et, s’il faut en croire Samuel d’Ani, « il surpassa tous les rois Bagratides par sa sagesse et sa bravoure. » — Cf. Samuel d’Ani, Chronogr., édit. Angelo Maï et J. Zohrab.
[21] Sarkis I, successeur de Khatchig I, fut élevé au siège patriarcal en un concile des évêques des provinces arméniennes et grecques convoqué par l’ordre de Kakig, le mardi de Pâques de l’année 444 de l’ère arménienne, 29 mars 992 de l’ère chrétienne.
[22] L’île de Sevan est située au milieu du petit lac et district de Kégh’am ou de Kégh’arkouni, dans la province de Siounik’, maintenant lac de Sevan. Le monastère dont parle notre historien subsiste encore aujourd’hui et jouit parmi les Arméniens d’une très haute réputation. Il fut construit, à la fin du VIII siècle, par le catholicos Maschdots, sous l’invocation des douze apôtres, et placé sous la règle de Saint Basile. Sarkis est le troisième abbé de Sevan, élevé sur le siège de saint Grégoire, surnommé par les Arméniens l’Illuminateur, pour avoir éclairé du flambeau de l’Évangile leur pays, enveloppé auparavant des ténèbres de l’idolâtrie. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., p. 64 et 148. — Indjidj, Arm. anc., p. 274, et Arm. mod., p. 256.
[23] Ces trois vartabeds ne sont pas connus, que je sache, autrement que par Arisdaguès, et la littérature arménienne ne possède rien d’eux.
[24] Le monastère de Gamèrdschatsén-Tzorots, appelé aussi Gamèrdscha-Tzor et Gamèrdschats-Tzor (Vallée du Pont ou des Ponte), est situé dans le district d’Arscharounik’ ou Eraskhatzor (vallée de l’Araxe), province d’Ararad. Il fut élevé, au Xe siècle de notre ère, par des moines arméniens chassés du pays d’Eker (la Mingrélie actuelle) par les partisans du concile de Chalcédoine. Ce monastère, soumis comme celui de Sevan à la règle de Saint Basile, est un des plus célèbres de l’Arménie. Samuel, son troisième abbé, était, suivant le témoignage d’Açogh’ig, « un homme profondément versé dans la connaissance de l’Écriture sainte et de la musique. » (Indjidj, Arm. anc., p. 399; — Açogh’ig, Hist. univ., III, chap. vii.) Au rapport du chronographe M d’Aïrivank’, Hist. d’Arm., un vol. in-8°, p. 57; Moscou, 1860, édit. de M. J.-B. Emin, il est l’auteur d’un calendrier des fêtes qui, d’après Mgr Soukias Somal (Quadro della storia letteraria di Armenia, Venise, 1829) n’est pas à la hauteur de la réputation que lui font Açogh’ig et Lasdiverdtsi.
[25] Hèntzouts, écrit Endzaiouts par Matthieu d’Édesse, appelé aussi Garmir Vank’ (Monastère rouge) à cause de la couleur de la pierre dont son église était bâtie, est situé dans le district de Garin, province de la Haute Arménie, à trois heures environ au nord-est d’Erzeroum. Il fut construit à la même époque, à la suite des mêmes événements, et placé sous la même règle que les précédents. (Cf. Indjidj, Arm. anc., p. 35, et Arm. mod., p. 75). Joseph, supérieur de ce couvent, est cité avec de grands éloges par Açogh’ig, Hist. univ., III, chap. vii. Sempad le Connétable nomme ce monastère Antzev.
[26] L’histoire d’Étienne de Darôn, plus connu sous le surnom d’Açogh’ig ou le Chantre, commence à Adam et est divisée en trois parties, dont la dernière, de beaucoup la plus longue et la plus intéressante, contient l’histoire de la dynastie des Bagratides. Historien élégant et sobre, le principal mérite d’Açogh’ig consiste dans l’exactitude avec laquelle il note les événements qu’il raconte. M. l’archimandrite G. Schahnazarian en a donné à Paris, en 1859, une édition en un volume in-4 dans laquelle il manque plusieurs chapitres.
L’auteur nous apprend, par un mémorial placé à la fin de son livre, qu’il a écrit son histoire à la prière du patriarche Sarkis dont nous avons parlé dans la note 2, p. 355, et qu’il l’acheva en l’année 1004 de l’incarnation, dans la quinzième année du règne de Kakig. Or, nous verrons plus bas que Kakig Schahenschah ne mourut qu’en 1019 ou 1020 C’est donc par erreur que Lasdiverdtsi nous dit qu’Açogh’ig conduit son histoire jusqu’à la mort de ce prince.
[27] Jean de Darôn, ainsi appelé, soit parce qu’il était natif de cette province, soit parce qu’il appartenait au monastère de ce nom, et surnommé Goz (le Petit chameau), on ne sait pourquoi, est un des docteurs de cette époque les plus vantés par les historiens arméniens pour sa piété et l’étendue de ses connaissances mathématiques et astronomiques. Outre les livres dogmatiques dont parle Lasdiverdtsi qui sont perdus, il avait composé, à la prière d’Anania, évêque de Valarsaguerd, un traité chronologique du calendrier dont il reste quelques fragments (Cf. Soukias Somat, Quadro della storia letteraria di Armenia, p. 69-70), et écrivit, vers 1054, par l’ordre du catholicos Pierre I, successeur de Sarkis, une histoire des Bagratides qui, malheureusement, n’a pas été retrouvée jusqu’ici. — Cf. Mékhithar d’Aïrivank’, Hist. d’Arm., p. 59.
En l’année 1007, de grands troubles s’étant élevés à Constantinople au sujet de la Pâque que les Grecs, égarés par le faux comput d’Irion, célébrèrent le dimanche des Rameaux, Basile écrivit au roi d’Arménie de lui envoyer Joseph, abbé de Hèntzouts dont il a été parlé plus haut, et Jean Gozèr’n, pour apprendre aux Grecs l’époque exacte de la Pâque. Les deux docteurs, refusant de se rendre à cette invitation, se contentèrent d’écrire une lettre où, « par une suite de raisonnements bien enchaînés, » ils réfutaient victorieusement les Grecs. Toutefois, ceux-ci ne voulant pas s’avouer vaincus, Basile fit venir Samuel, « docteur très savant et très profond, » qui démontra clairement au clergé de Constantinople l’erreur dans laquelle il était plongé. (Cf. Chron. de Matth. d’Édesse, trad. franç., chap. xxxiii et xxxiv) Ce Samuel est le même que celui dont nous avons parlé à la note de la page précédente.
[28] Grégoire, surnommé Narégatsi parce qu’il était moine du couvent de Nareg, fondé au 10 siècle, dans le district de Reschdounik’, province de Vasbouragan, à la même époque où, dans d’autres provinces, s’élevaient les monastères de Gamérdachaizor et de LI est un des hommes les plus éminents par sa sainteté et ses écrits, dont l’Arménie s’honore. Il était fils de Khosrov le Grand, évêque d’Antzévatsik’, dans la même province, sous la direction de qui il fit ses premières études, qu’il continua ensuite avec les leçons du docteur Anania, à Nareg. A vingt ans, il écrivit un commentaire sur le Cantique des cantiques, puis, à la prière de ses frères, ses Élégies sacrées, au nombre de quatre-vingt-quinze, et successivement, des panégyriques, des hymnes et une explication du chapitre xxxviii du livre de Job. Tous ces ouvrages, à l’exception du dernier, ont été imprimés par les RR. PP. Mekhitaristes du couvent de Saint-Lazare, avec des notes du P. G. Avédik’. Par l’élévation et la sublimité des idées, par la chaleur et le lyrisme qu’il déploie dans ses Élégies sacrées, Grégoire Narégatsi est sans égal dans la littérature arménienne; mais on ne peut s’empêcher d’avouer que, malgré les éclaircissements du savant Mekhitariste il ne soit resté obscur en bien des endroits. — Cf. Soukias Somal, Quadro della storia letteraria di Armenia, p. 63-66.
[29] Les historiens arméniens ne sont point d’accord sur la date de la mort de Kakig. Vartan Partzérpertètsi, Hist. univ., édit. de M. J.-B. Emin, Moscou, 1861; le même, Epit. hist., p. 92, le fait mourir en 444 de l’ère arménienne (23 mars 995 - 22 mars 996). C’est un anachronisme grossier, moins pourtant encore que celui de Matthieu d’Édesse qui l’enlève de la scène du monde en 420 de l’ère arménienne (29 mars 971 - 28 mars 972) (Chron., trad. franç., chap. xiii). Samuel d’Ani, Chronogr. édit. Angelo Maï et J. Zohrab, lui assigne vingt-neuf ans de règne, fixe la date de son avènement à l’année 442 (23 mars 993 - 22 mars 994), et celle de sa mort à 470 (16 mars 1021 - 15 mars 1022). Guiragos de Kantzag, Histoire d’Arménie, éditée par M. Osgan ‘Ohanniciants, Moscou, 1858, un vol. in-12 p. 49, se contente de dire qu’il régna vingt-neuf ans, sans relater la date ni de son avènement au trône ni de sa mort. Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 49, p. 896 et 1037; t. III, dans les Tables, p. 75, d’après des documents qui nous sont inconnus, le fait régner vingt neuf ans et dix mois, ce qui nous donne pour la date de sa mort la fin de 1049 ou le commencement de 1020.
[30] Seul d’entre tous les historiens et chronographes arméniens, Vartan attribua à Kakig un troisième fils qu’il nomme Apas et place entre Sempad et Aschod. Voici, du reste, son récit, que nous traduisons littéralement: « Kakig mourut, laissant son royaume à ses trois fils, Jean, Apas et Aschod. A Jean il donna la couronne, Ani et Schirag, Saint Grégoire avec la vallée d’Aschotsèk’, Anpert et la plaine d’Ararad, Ga Gaïdzon, Davousch, district de Sévortik’, et partagea le reste entre Aschod et Apas. » Cf. Vartan, Hist. univ., p. 42e le même, Epit. hist, p. 92. Ce témoignage a été rejeté par Tchamitch. Suivant ce dernier, Apas était non point le fils de Kakig, mais bien de Mouschegh’, frère d’Aschod III, et premier roi de Gars. Mais une inscription de l’an 459 (19 mars 1040 - 18 mars 1044), gravée, par l’ordre de Gadramidé, épouse de Kakig, sur les murs de la cathédrale d’Ani et publiée par M. Brosset, d’après une copie fournie par le R. P. Léon Alischan, tranche forcément le litige en faveur de Vartan. Après avoir raconté qu’elle a achevé la cathédrale, commencée par S le prédécesseur de son mari, elle ajoute:
« Je l’ai embellie d’ornements précieux, offrande faite au Christ par moi et par ma race, à savoir, par mes fils Sempad, Apas et Aschod. » — Cf. Ruines d’Ani, par M. Brosset, Saint-Pétersbourg, 1860-61, 1ère partie, p. 23.
Ce troisième fils, le second dans l’ordre de la nature, dont Gadramidé, sa mère, nous révèle elle-même l’existence en l’année 1040, était-il encore vivant neuf ans plus tard, lors de la mort de son père? Le récit de Vartan nous semble le démontrer surabondamment.
Jean Sempad a donné son nom à un code de lois que les habitants d’Ani émigrés en Pologne emportèrent avec eux, et dont ils conservèrent l’usage jusqu’à la suppression, par Joseph H, de toutes les lois particulières des peuples de l’empire d’Autriche, dont ils faisaient alors partie. — Cf. Samuel d’Ani, Chronogr., édit. Angelo Maï et J. Zohrab, p. 72, note 2.
Une traduction latine de ce code faite sur l’original arménien, en 1516, par les ordres de Sigismond, roi de Pologne, a été publiée dans le tome XL des Sitztengsberichfe der Kaiseri. Akademie der Wissenschafter Philosophisch historische classe, n° de juillet 1862, à Vienne, d’après deux manuscrits de Lemberg, par M. le docteur Ferdinand Bischoff, professeur à l’Université I. et R. de cette ville.
[31] Matthieu d’Édesse raconte les choses d’une manière un peu différente. Suivant cet historien, Jean Sempad se serait arrogé le trône de Kakig aussi tôt après la mort de ce dernier, tandis qu’Aschod, parcourant le pays avec des troupes, le ravageait sur un grand nombre de points et tenait Ani investie. A la tête d’une armée composée de ses partisans et des renforts qu’il avait obtenus de Sénék’érim, roi du Vasbouragan, ainsi que de Kourkên, roi d’Antzévatsik’, Aschod marcha contre la ville d’Ani, sous les murs de laquelle il livra bataille aux troupes de Jean. Les habitants d’Ani furent complètement défaits. C’est alors que les Bagratides et toute la noblesse arménienne songèrent à rétablir la paix entre les deux frères. Le patriarche Pierre et les satrapes se rendirent auprès d’Aschod et rédigèrent une convention stipulant qu’Aschod serait roi des contrées voisines du district de Schirag, et que Jean régnerait dans la ville d’Ani, et en outre que, si Jean mourait le premier, son frère deviendrait maître de tout le royaume. — Cf. Chron. de Mathieu d’Édesse, trad. franç., chap. viii et ix.
Dans tout ceci, il n’est fait, comme on le voit, aucune mention de Kêork. Vartan est d’accord avec Arisdaguès sur la médiation du roi de Géorgie. Il ajoute trois lignes plus bas, Épit. hist., Aschod régna sur le pays de Trouts (c’est-à-dire sur les districts en dehors de celui de Schirag), et Apas à Gars. Si ces derniers mots ne sont pas une addition postérieure d’un copiste ignorant, ils renferment une erreur manifeste qui donne en partie raison à Tchamitch contre leur auteur. Il est certain, en effet, que le roi, nommé Apas, qui régnait à cette époque, avec tant d’éclat, dans la célèbre ville de Gars, était bien fils de Mouschegh’, et non point de Kakig. Quant au fils de ce dernier, nous pensons qu’il dut survivre peu de temps à son père, car Vartan lui-même n’en fait plus mention nulle part dans son livre.
C’est ici le lieu de parler d’Ani, la célèbre capitale du royaume échu en partage à Jean Sempad. Cette ville, nommée en persan et en arabe Any, en grec Anion, était située dans le district de Schirag, province d’Ararad, au confluent de l’Akhourian et du Wah. Suivant le témoignage de Lazare de Ph’arbe, édit, de Venise, 1793, un vol. in 4°, p. 209, Ani n’était, au ve siècle, qu’une forteresse possédée par les princes de la famille satrapale de Gamçaragan, descendant des souverains arsacides de Perse, ils la cédèrent, au viiie siècle, au prince Bagratide Aschod. En 961, sous le règne d’Aschod III, elle devint la capitale du petit royaume de Schirag et la résidence des souverains de la famille des Bagratides, sous le gouvernement desquels elle fut extrêmement florissante. Aschod III l’agrandit considérablement et l’entoura d’une enceinte de remparts appelée par Vartan la petite muraille. En 980, Sempad II, son fils, y ajouta de nouveaux agrandissements et la fortifia d’une nouvelle muraille, qu’il prolongea jusque sur les bords de l’Akhourian en la flanquant de tours très élevées. Ces deux princes, et, après eux, Kakig I, l'embellirent en outre de nombreux et superbes édifices, tels qu’églises, palais, hôpitaux et marchés. Elle était aussi la résidence des patriarches d’Arménie, dont le siège y fut établi vers la fin du x siècle, — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 111 et sqq.; — Indjidj, Arm. anc., p. 447 et sqq.; — M. Brosset, Ruines d’Ani.
[32] Forteresse du district de Djagadk’, province d’Ararad. — Cf. Açogh’ig, Hist. univ., III, ch. II; — Indjidj, Arm. anc., p. 43.
[33] Kêork avait donné l’ordre à ses soldats de se tenir en embuscade, et d’attendre une occasion où Jean sortirait d’Ani pour s’emparer de sa personne, sans combat. Un jour donc que le roi se rendait à son palais d’hiver, il fut obligé de s’arrêter en chemin. C’est là que les Géorgiens, l’ayant sur pris à l’improviste le firent prisonnier. Tchamitch place ces faits dans les années 1020 et 1024, d’accord avec les calculs de Lebeau. — Cf. Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 898.
[34] D’après leurs usages religieux, les Géorgiens, contrairement aux autres peuples chrétiens, se servent de croix sans clous.
[35] Cette ville, beaucoup plus connue sous le nom de Gar chez les historiens arméniens, est située dans le district de Garin, la Caranitide de Strabon et de Pline, province de la Haute Arménie. Moïse de Khoren nous apprend, Hist. d’Arm., III, chap. L qu’elle fut bâtie vers l’an 415 par Anatolius, qui l’appela Théodosiopolis en l’honneur de Théodose le Jeune, son maître. Elle était située au pied des montagnes avec des sources d’eau chaude dans son voisinage. Aboulféda la nomme Erzeroum (forteresse des Romains) et Caticala (V. Géographie d’Aboulféda, trad. franç. par M. Reinaud, t. II, 1re partie, p. 65, 76 et 92). C’est sous le premier de ces deux noms qu’on l’appelle encore aujourd’hui. Voir pour plus amples détails Saint Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 66-69 et pour l’histoire de cette ville Indjidj. Arm. anc., p. 28-34 et Arm. mod., p. 65-75 où l’auteur décrit longuement et les diverses transformations de Garin et l’état actuel d’Erzeroum.
[36] Samuel d’Ani, Guiragos et Vartan font siéger Sarkis vingt-quatre ans, ce qui, en prenant pour la date de son avènement la date fournie par Açogh’ig. Hist. univ., III, chap. xxxii, 29 mars 992 de l’ère chrétienne, porterait celle de l’avènement de Pierre à l’an 1016. Le calcul d’Arisdaguès, auteur contemporain, nous paraît devoir être suivi de préférence. Tchamitch assigne à Sarkis vingt sept ans de pontificat et se trouve, par conséquent, d’accord avec notre historien pour le commencement de celui de Pierre. — Cf. Tchamitch. Hist. d’Arm., t. II, p. 896 et t. III dans les Tables, p. 76.
Pierre I surnommé Kédatartz, pour une raison que nous verrons bientôt, était, suivant le même auteur (loc. laud.), frère de Khatchig I. Il fut sacré par Sarkis à Ani. (Vartan Partzèrpertétsi, Epit. hist., p. 93.) C’était un homme très versé dans la littérature tant sacrée que profane, et aimant beaucoup la poésie. Il ne nous reste de lui que quelques hymnes sacrées pour les martyrs et les morts. — Cf. Soukias Samal, Quadro della storia letteraria di Armenia, p. 72.
[37] Au chap. iv, Arisdaguès, parlant de ce même évêque de Vagh’arschaguerd, l’appelle du nom de Zacharie.
[38] Ville du district de Pakrévant, dans la province d’Ararad, fondée au 10 siècle de notre ère par le roi Vagh’arsch, aujourd’hui Alaschguerd. — Cf. Saint-Martin. Mém. sur l’Arm., p. 124. — Indjidj, Arm. anc., p. 405.
[39] District de la province d’Ararad, à l’est de celui de Garin. Il se divisait autrefois en deux parties, l’une septentrionale nommée Haut Pacen et Pacen sans bois, l’autre simplement Pacen, au midi; mais 420 ans environ avant l’ère chrétienne, sous Arschag I, une colonie de Bulgares étant venue s’établir dans la partie nord de ce district, sous la conduite d’un certain Vount, celle-ci s’appela Vanant, du nom de son nouveau maître, et la partie méridionale garda celui de Pacen. — Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm., II.
Aujourd’hui encore les habitants distinguent le district de Pacen en Pacen septentrional et en Pacen méridional; mais ces divisions ne correspondent point aux anciennes de même nom. (Indjidj, Arm. anc., p. 381.) C’est la Phasiane de Constantin Porphyrogénète.
[40] Village, alors très populeux, du district de Pacen, au pied de la montagne de Dziranis. C’est aujourd’hui une bourgade habitée exclusivement par des Arméniens, à une heure de distance du couvent de Haçan-Kaleh, dans la montagne de même nom. — Cf. Indjidj. Arm. mod., p. 88.
[41] Une des quatre provinces de la Colchide, entre Trébizonde et le district de Garin. On l’appelle Chaldée Pontique par opposition à la Chaldée Assyrienne.
[42] Vaste district de la province d’Ararad, au nord de celui de Pacen et à l’ouest de celui de Schirag. Voir pour l’origine de ce nom la note ci-contre. Ce district avait été érigé en royaume au milieu du dixième siècle par Aschod III en faveur de Mouschegh’ son frère. Les habitants de ce pays, qui descendaient d’anciens peuples du Caucase, aimaient passionnément le brigandage auquel ils se livraient comme à un métier honorable (Moïse de Khoren, Hist. d’Arm., III, chap. XLIV). Cette passion se transmit de père en fils comme un héritage. Au temps de Mouschegh’, le brigandage était arrivé à un point tel qu’il s’exerçait non pas seulement dans les lieux écartés, mais jusque dans la ville même de Gars, où tout le long des nuits retentissaient les cris des victimes des détrousseurs. Ils ne furent extirpés que par Apas, successeur de Mouschegh’, qui purgea complètement la ville de tous les voleurs grands et petits. — Cf. Açogh’ig, Hist. univ., III, chap. xvii.
Quant à la dénomination Ph’orag dont Arisdaguès semble faire un synonyme de Vanant, nous pensons avec Indjidj, Arm. anc., p. 34 que c’est tout simplement le nom de la localité, plaine ou vallée, où campa Basile à son entrée dans le district de Vanant
[43] Petit lac entre les provinces d’Ararad et de Daïk’, nommé aujourd’hui lac de Tcheldér. — Topographie de la Grande Arménie, par le R. P. Léon Alischan, 4 vol. in Venise 1855, p. 14 et 25.
[44] R’ad, général de Kêork, appartenait à la grande famille des Orbélians, alors très puissante en Géorgie. Il était fils de Libarid I et frère de Zwiad, le même que Zoïad de Matthieu d’Édesse et de Sempad le Connétable et que Zévad de Samuel d’Ani. (Voir le Tableau généalogique des Orbélians dressé par M. Brosset, Hist. de la Géorgie, trad. franç., t. 1, addition xix, p. 350.) Suivant Samuel d’Ani, Zévad ayant été fait prisonnier, Kêork donna son fils pour le racheter. (Samuel d’Ani, manuscrit arménien de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n° 96, fol. 37 r°) R’ad est nommé Horatius par Cédrénus.
[45] Ce récit de notre historien est parfaitement d’accord avec celui des auteurs byzantins, qui disent que dans une première bataille entre les Géorgiens et les Grecs, la victoire resta indécise.
[46] Vartan Partzérpertétsi, Hist. univ., p. 426, donne le même chiffre. Samuel d’Ani porte à vingt-quatre le nombre des districts dévastés par les ordres de Basile (loc. laud.).
[47] Notre auteur veut parler des Russes et des Bulgares, qui formaient une partie de l’armée que Basile avait emmenée avec lui en Orient.
[48] Le 6 janvier, fête de l’Épiphanie, est chez les Arméniens le commencement de l’année ecclésiastique. Suivant une coutume antique qui, dans les premiers siècles, était commune à toutes les Églises, coutume fondée sur le calcul du temps écoulé entre la conception et la naissance du Sauveur d’après le récit consigné par saint Luc dans son Évangile, chap. ii, l’Eglise arménienne orientale célèbre ce jour-là en même temps la Nativité et le Baptême de Jésus-Christ. — Cf. Exposé de la foi de l’Eglise arménienne par le patriarche saint Nersès Schnorhali, adressé à l’empereur Manuel Comnène en 1166 dans Histoire, dogmes, traditions et liturgie de l’Eglise arménienne orientale, par M. Ed. Dulaurier, édit., p. 92 et seq. On lit ce qui suit dans un sermon de Grégoire de Datev, qui se trouve dans le manuscrit arménien n° 70 de la Bibliothèque impériale, fol. 44, r°: Jacques, frère du Seigneur, et, après lui, Cyrille, avaient fixé au 6 janvier la fête de la Nativité et celle du Baptême. Mais l’impie Artémon, prétendant que les apôtres avaient caché la naissance du Christ par jalousie, transporta la Nativité au 25 décembre, et maintint le Baptême au 6 janvier.
Les Arméniens catholiques solennisent la Noël le 25 décembre comme l’Église grecque et l’Église latine.
[49] Nous croyons devoir rapporter ici le récit que donne Guiragos de ce même événement parce qu’il nous fait connaître une curieuse coutume des Grecs lors de cette fête.
« Le jour de l’Epiphanie de Notre Seigneur, tous les chrétiens se trouvaient réunis, avec une foule immense d’autre peuple, à Trébizonde, selon la coutume, pour assister à la bénédiction de l’eau. Par suite de la jalousie dont les Grecs étaient animés contre les Arméniens, ils avaient assigné à Pierre et à la multitude qui l’accompagnait le haut de la rivière, se réservant pour eux-mêmes le bas. Considérant leur bénédiction comme défectueuse, ils s’étaient placés en dessous avec la pensée de consacrer de nouveau les eaux bénites par eux auparavant. Ils avaient l’habitude d’apporter avec eux une colombe blanche qui, après avoir effleuré la surface de l’eau, prenait son essor; de cette manière, ils faisaient croire à ceux qui n’avaient pas assisté à la cérémonie que le Saint-Esprit était descendu sous la forme de cet oiseau. Le patriarche Pierre s’étant mis en prières, la rivière remonta vers sa source (d’où le surnom de « qui fait remonter le courant d’un fleuve »), et il en jaillit une vive lumière qui obscurcissait les rayons du soleil. Puis quand la colombe allait, selon l’usage, plonger dans l’eau, tout à coup un aigle s’abattant dessus, la saisit et s’envola. » — Guiragos, Hist. d’Arm., p. 52-53.
[50] Nous lisons dans la narration de ce prodige par un auteur anonyme contemporain que lorsque le fleuve eut repris son cours, « l’empereur et toute son armée tombèrent aux pieds du bienheureux et saint catholicos, baisant avec de bruyantes effusions le signe sacré et jetant de l’eau con sacrée sur leur tête. Basile déposa même sa couronne dans le fleuve et pria le seigneur Pierre de lui verser avec la main de l’eau sur la tête, puis saisissant dans ses bras la croix sainte qui avait fait rebrousser le fleuve, il la couvrait de baisers insatiables et en signait tous ses sens. A son exemple, Je métropolite et le peuple entier pressèrent dans de chaleureux embrassements le signe victorieux et la main du catholicos Lorsque la nuit vint, les fidèles n’avaient pas encore achevé de baiser la croix. » (Voir le Paz maveb numéro de janvier 1862, article du R. P. Léon Alischan, intitulé: Sorte de journal d’histoire arménienne. Voir aussi Sempad le Connétable qui raconte en abrégé les mêmes faits, p. 47).
La croix par la vertu de laquelle le patriarche Pierre arrêta le cours du Djorokh était, d’après une tradition arménienne consignée dans la Vie des Saints sous la date du 2 mars, un fragment du bois de la vraie croix apporté de Rome par saint Grégoire l’Illuminateur, qui l’avait reçu en présent du pape Sylvestre.
Aucun des historiens arméniens, à ma connaissance, qui parlent de cette merveille, n’indique le lieu exact où elle fut opérée. Toutefois la comparaison des récits d’Arisdaguès et de Guiragos avec ceux de Vartan, Hist. univ., p. 1 de Sempad le Connétable, p. 47 et de Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 908, nous autorise à croire que ce fut aux environs de Trébizonde.
[51] Jean Sempad avait pris part à la révolte de Kêork contre Basile. Craignant que l’empereur ne vint fondre au printemps sur l’Arménie, il n’avait imaginé rien de mieux, pour y échapper, que de lui céder ses états, à la condition de rester roi sa vie durant. Voici comment l’historien anonyme cité à la note précédente raconte l’ambassade du patriarche Pierre chargé de remettre à Basile l’acte de renonciation de Sempad III.
« Le catholicos partit pour aller trouver l’empereur à Trébizonde, accompagné de douze évêques, de soixante-dix moines, des deux savants vartabeds, le très érudit Joseph de Héndzouts et le vigoureux et invincible Gozér’n Jean, et de trois cents hommes choisis dans l’armée et la noblesse; il emmenait en outre des sommes d’or et d’argent provenant du trésor royal, des chevaux et des mulets. Basile, en le voyant, éprouva une grande joie, car la renommée de sa vertu et de sa sainteté l’avait précédé depuis longtemps. C’était en effet un homme admirable, rempli de toutes sortes de bonnes qualités, et possédant le don divin de guérir les malades et de chasser les démons. C’est pourquoi l’empereur l’honora plus que tous les patriarches grecs. Il reçut avec une satisfaction marquée les présents qu’il lui apportait et accueillit avec de brillantes distinctions honorifiques les évêques et les nobles de sa suite. »
Suivant Vartan, Hist. univ., p. 1, Jean Sempad se serait décidé à faire cette donation pour se soustraire, par l’intervention de Basile, aux inquiétudes que lui causait le roi de Géorgie. Alors Basile aurait mandé Kêork, et, sur son refus, il serait allé ravager son royaume, et revenu de là prendre ses quartiers d’hiver en Chaldée. Sempad le Connétable nous apprend qu’il fallut trois mois à l’empereur pour soumettre le pays.
[52] Arisdaguès est le seul historien, je crois, qui nous révèle l’existence éphémère, il est vrai, d’un fils de Jean Sempad. Cédrénus et Samuel d’Ani nous apprennent que Jean épousa, au plus tôt à la fin de 1028 une nièce de Romain III Argyre, c’est-à-dire sept ans environ après l’acte de cession dont parle notre auteur. Ce fils mort en bas âge serait donc issu d’un premier mariage de Sempad dont nous ne trouvons aucune mention dans l’histoire.
[53] Tchamitch place la mort de Sarkis vers la fin de 1019 ou le commence ment de 1020. —Cf. Hist. d’Arm., t. II, p. 896.
[54] Monastère du district de Schirag fondé au siècle, sous le règne d’Apas, roi d’Arménie, par des moines arméniens expulsés du territoire grec à cause de leur attachement aux doctrines de leur église. Il fut ainsi appelé par ses fondateurs en souvenir du pays qu’ils avaient été forcés de quitter, ou, comme l’explique Guiragos du nom des prêtres grecs, en arménien Hor’omos érêts. — Cf. Indjidj. Arm. anc., p. 429-430. Il se nomme aujourd’hui Khôschavank.
[55] Les conjurés avaient à leur tête Nicéphore Phocas, surnommé Dzèr’aviz, fils de Bardas Phocas, et Xiphias qui, mécontents de n’avoir pas été choisis pour commander l’expédition contre les Géorgiens, se révoltèrent contre Basile. Suivant Matthieu d’Édesse, cité par M. Brosset, Nicéphore aurait réussi à attirer dans son complot le roi de Géorgie Sempad avec son frère Aschod, ainsi que David, fils de Sénék’érim, roi du Vasbouragan, réfugié alors à Sébaste. — Cf. M. Brosset, Hist. de la Géorgie, trad. franç., t. I, p. 307, note 2; et Sempad le Connétable, p. 48.
[56] Notre auteur ne nous apprend ni le nom ni la position de la plaine où les conjurés réunirent leurs partisans; mais la manière dont il raconte les faits nous donne suffisamment le droit de penser qu’elle était située dans le voisinage de la province de Daïk’ et du district de Pacen.
[57] M. Brosset place cette forteresse dans le district de Pacen. (Hist. de Géorg., trad. franç., t. 1, p. 308, note 2.) Indjidj ne la mentionne nulle part.
[58] Par le nom de Babylone, Arisdaguès entend évidemment parler de Bagdad, fondée par Abou-djafar al Mansour, en 762, sur les deux rives du Tigre, à quatre journées de marche de l’ancienne cité des Chaldéens, à qui elle succéda comme métropole de l’Orient, et qui fut elle-même, pendant cinq cents ans, la capitale de khalifes arabes. Bardas Sclérus resta trois ans dans cette ville sous la garde d’lbn Khosrov, qui en était alors maître. Relâché au bout de ce temps, il alla trouver Bardas Phocas, qui lui avait promis de joindre sa fortune à la sienne, mais celui-ci se saisit de sa personne par trahison, et le fit enfermer dans son château de Tyropée. Phocas étant venu à mourir dans cet intervalle, sa femme rendit la liberté à Sclérus, qui se réconcilia avec Basile dont il reçut la dignité de curopalate. Il mourut peu de temps après. — Cf. Açogh’ig. (Hist. univ. III, chap. xv); — Cédrénus, t. II, p. 443.
[59] La révolte de Phocas est de 987 et sa mort de 989; il ne fut donc maître de l’Orient que deux ans, contrairement à l’assertion de notre auteur.
[60] Suivant les historiens byzantins, Phocas serait mort subitement au moment où te combat allait être livré, empoisonné par Syméon, son domestique, qui aurait reçu de l’argent de l’empereur à cet effet. Acogh’ig dit qu’il mourut misérablement sur le champ de bataille (Hist. univ., III, chap. vii), et Matthieu d’Édesse que Basile le fit mourir, mais sans nous apprendre de quelle façon. (Chron., trad. franç., chap. xxvi).
[61] Le texte porte: « David surnommé Sénék’érim. » Il y a évidemment là une erreur de copiste, car, au chapitre x, parlant de ce même David, l’auteur le qualifie justement de « fils de Sénék’érim. »
[62] Arisdaguès désigne par ce nom les Turks Seldjoukides, maîtres alors de la Perse.
[63] La plus vaste des quinze provinces de la Grande Arménie; elle s’étendait depuis les montagnes au sud du lac de Van jusqu’à celles de Siounik’, et était bornée au nord par les provinces d’Ararad et de Siounik’, à l’est par la Persarménie, au sud par la province de Gordjêk’, et à l’ouest par celle de Douroupéran. Les Byzantins la nomment Àspouracan, Vasparacan et Aspracatzie. On la trouve désignée quelquefois dans les auteurs arméniens sous le nom de pays des Ardzrouni, qui est celui des princes de la puissante famille par qui elle était possédée depuis une haute antiquité, au moins en partie.
Ces princes tirent leur origine d’Adramélek et de Sarasar, fils de Sennachérib, roi d’Assyrie. Après avoir tué leur père, les deux meurtriers se réfugièrent dans le pays d’Ararad, auprès du roi Sgaïorti (Rois IV, xix, 37; Isaïe, XXXVII, 38, Tobie, I, 24.) Sarasar alla s’établir dans le sud-ouest de l’Arménie, sur les confins de l’Assyrie; ses descendants peuplèrent la montagne de Sim, et furent appelés, du nom de leur ancêtre, Sanacounk’, ou, par abréviation et vulgairement, Sacounk’. Adramélek se fixa au sud-est. C’est de lui que proviennent les Ardzrouni, ainsi nommés parce qu’ils avaient reçu de Vagh’arschag Ier le privilège héréditaire de porter les enseignes arméniennes figurées par un aigle. (Moïse de Khoren, Hist. d’Arm., I, chap. xxiii, II, chap. vii), ou de la plaine d’Ârdzèvik’ occupée pour la première fois par Cyrus, un de leurs descendants, contemporain de Vagh’arschag, ou de la conformation aquiline de leur nef, ou d’Arz, demeure d’Adramélek et de Sarasar, ou encore par comparaison à l’impétuosité de l’aigle avec la hardiesse et l’intrépidité duquel ils se précipitaient au milieu des batailles. — Cf. Thomas Ardzrouni, p. 46.
La province du Vasbouragan avait été érigée en royaume au commencement du Xe siècle, en faveur de Kakig Ardzrouni, à la prière de qui Thomas, son parent, écrivit, dans un style pompeux, mais quelque peu emphatique, l’origine et l’histoire de sa famille. Cette histoire, continuée jusqu’en 1303, par un écrivain anonyme, par l’ordre et aux frais de Zacharie, catholicos d’Agh’thamar, et à la prière d’Étienne Orbélian, métropolite de Siounik’, a été publiée en 1853 à Constantinople en un volume grand in-8°. On y rencontre quelques lacunes.
L’invasion du Vasbouragan par les Seldjoukides, leur première dans l’Arménie, et la cession de cette province à Basile par Sénék’érim, qui ne la possédait intégralement que depuis 1003, sont de l’an 470 ère arménienne (16 mars 1024 - 15 mars 1025). Thomas Ardzrouni, Histoire de la famille Ardzrouni, p. 346; — Samuel d’Ani, Chron., édit. d’Angelo Maïet, J. Zohrab, p. 71). L’acte de donation, tel que nous le lisons dans la Vie des saints, comprenait 72 forteresses, 4.400 villages (ailleurs 400 seulement) considérables et productifs, et 10 villes. Sénék’érim se réserva les monastères au nombre de 75 (ailleurs 900) avec les villages qui en dépendaient (Samuel d’Ani, loc. laud., Sempad le Connétable, p. 46; —Indjidj, Arm. anc., p. 159-160). Il reçut en échange Sébaste, Larissa, Abara, et nombre d’autres possessions dans la Cappadoce, avec le titre de patrice et de duc de la Mésopotamie. — Cf. Cédrénus, t. II, p. 464.
[64] Sénék’érim se retira à Sébaste avec ses trois fils, David, Adom, Abonçahl, et une suite de 14,000 hommes, sans compter les femmes et les enfants. (Thomas Ardzrouni, loc. laud.)
La cession des États de Sénék’érim et sa prise de possession des villes que Basile lui donna en compensation sont, fixées faussement par Cédrénus à l’an 1015 - 1016 (Cédrénus, t. II, p. 556).
[65] A l’exception toutefois des domaines des Bagratides, dont Les Grecs ne s’emparèrent qu’un peu plus tard.
[66] D’après les historiens byzantins, Dzèr’aviz fut traîtreusement mis à mort par Xiphen, son complice. Suivant Matthieu d’Édesse cité par M. Brosset, ce serait David, fils aîné de Sénék’érim, qui, sur la prière de Basile, l’aurait fait tuer par ses gens, au moment où il rentrait chez lui, à la suite d’une querelle avec le rebelle qui le conjurait de rester fidèle à a cause. (M. Brosset, Hist. de la Géorgie, trad. franç., t. I, page 307, note) D’après Sempad le Connétable, p. 48, David reçut en présent de Basile, en récompense de ce service, Césarée, Dzam et Khavadanék, avec leurs territoires.
[67] Le patrice Phocas des Byzantins. M. Brosset pense que ce personnage était fils de Dschodschig, préfet du Dorostole en 1046. (Hist. de la Géorg., trad. franç., t. I, p. 308, note 4.) Un peu plus loin, p. 337, il y est dit que Ph’eris, le Ph’ers de notre auteur, fils de Dschodschig, eut la tête tranchée par ordre de l’empereur Basile.
[68] Il s’agit probablement ici des trois forteresses que Jean Sempad avait été obligé de livrer lui-même au roi Kêork pour prix de sa liberté. (Voir ch. ii).
[69] Nous ne connaissons point aujourd’hui la valeur exacte du tahégan, en persan dehgani; il équivalait peut-être au dinar des Arabes. Il y avait des tahégans d’or et des tahégans d’argent. — Cf. Anania de Schirag dans le Traité des Poids et Mesures des anciens, en arménien, par le R. P. Pascal Aucher, Venise, in-8°, 1821 p.74.
[70] Ville principale du district de même nom dans la province de Persarménie.
[71] Voir pour cette dénomination chap. III
[72] Contrairement au témoignage de Skylitzès, de Cédrénus, de Zonaras et de Glycas, tous les historiens arméniens comptent comme successifs les règnes de Basile II et de Constantin. Cette communauté d’erreur de la part de ces historiens ne peut avoir d’autre cause que la nullité bien connue de Constantin pendant tout le temps que vécut son frère.
[73] Arisdaguès est le seul, parmi les historiens de sa nation, qui fixe d’une manière exacte la durée du règne de Basile, d’accord avec Cédrénus et Zonaras. Il mourut au mois de décembre, induction 9, année du monde 6534 = 1025 ère chrétienne, à l’âge de soixante dix ans, dont il avait régné cinquante. (Cédrénus, t. II, p. 419-480; Zonaras, t. II, p. 7.) Il recommanda par son testament à Constantin de traiter paternellement l’Arménie, et appela sa sollicitude sur les fils de Sénék’érim, ainsi que sur tous les grands d’Arménie en général. — Cf. Chron. de Matthieu d’Édesse, trad. franç., chap. xxxviii; Sempad le connétable, p. 49.
[74] Constantin IX survécut à son frère un peu moins de trois ans (c’est à dire deux ans, onze mois et cinq jours), sa mort étant arrivée le 8 novembre 1028.
[75] Cédrénus ne parle point de ce traité. Suivant cet historien, Nicéphore Comnène, ayant fait signer à ses soldats un écrit par lequel ils s’étaient engagés avec serment de le servir fidèlement et de ne jamais l’abandonner en face de l’ennemi, cet acte fut considéré par l’empereur comme une conspiration contre sa personne. (Cédrénus, t. II, p. 482).
[76] D’après Cédrénus, loc. laud., c’est à Constantinople, où le rappela l’empereur, que Nicéphore Comnène, condamné pour crime de lèse-majesté, eut les yeux crevés.
[77] Ville du district d’Agh’iovid, province de Douroupéran sur la côte nord-ouest du lac de Van; l’Ardzes de Constantin Porphyrogénète. Sa position semble répondre au pays d’Arsea de Ptolémée, Géogr., liv. V, chap. xiii. (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 136; —Indjidj, Arm. anc., p. 426.) Les Arabes l’appellent Ardjysch. — Cf. Géog. d’Aboulféda, trad. franç., t. II, 1re partie, p. 52.
[78] Nicétas était originaire des montagnes de Pisidie et avait été créé duc d’Ibérie par Constantin. (Lebeau, t. XLV, p. 42.)
[79] Syméon, un des grands officiers de Constantin, avait été fait drungaire des vigiles. (Cédrénus, t. II, p. 480.)
[80] On appelait accubiteur, l’officier qui couchait auprès de l’empereur. C’était une des charges les plus élevées à la cour de Byzance. — Cf. Codinus, De officiis palatii constantinopolitani, chap. v, p. 56.
[81] Romain III, surnommé Argyre, succéda immédiatement à Constantin, son beau-père.
[82] Appelée aussi mont Amanus et située dans la chaîne du Taurus, à l’est de la Cilicie, parallèlement au globe d’Iskendoroun, Sempad le Connétable la nomme Bagh’agdziag. Le grand nombre de couvents arméniens, syriens, grecs et latins bâtis sur ses flancs lui a fait donner par les Arméniens le nom de Montagne sainte. Jacques de Vitry, chap. xxxii, explique de la manière que voici l’origine de l’épithète noire donnée à cette montagne: « Antiochia habet a septentrionali parte montem quemdam, qui vulgariter montana nigra dicitur; in quo sunt multi eremitœ ex omni gente et nalione et plura monasteria tam groecorum quam latinorum monachorum. Et quoniam fontibus et rivis totus est irriguus, mons Nero, id est, aquosus, nun cupatur. Neros enim graece, aqua latine. Simplices autem et laïci, noire, id est, nigra, exponunt vulgari sermone. »
[83] Lorsque par les ordres de l’empereur Marcien, se réunit, en 451, le concile de Chalcédoine, les Arméniens, occupés à guerroyer pour le maintien de leur religion contre les Perses, ne purent y envoyer de représentants. Profitant de cette circonstance, des partisans d’Eutychès et de Dioscore, dont le concile avait condamné les doctrines, passèrent en Arménie et publièrent partout que les pères de Chalcédoine avaient ressuscité l’erreur de Nestorius. Sur la foi de ces imputations calomnieuses, les Arméniens rejetèrent le concile, sans s’enquérir autrement de ce qui y avait été fait, tout en professant la coexistence des deux natures en Jésus-Christ, telle exactement qu’elle avait été définie par saint Cyrille d’Alexandrie et sanctionnée par ce concile contre Eutychès qu’ils rangent au nombre des hérétiques et sur qui ils prononcent anathème. Cette haine des Arméniens contre le concile de Chalcédoine s’est transmise pendant des siècles, de génération en génération, sans que les théologiens et écrivains de cette nation se soient donnés la peine d’en discuter l’origine. - Consulter sur la profession du dogme des deux natures en Jésus-Christ par les Arméniens le livre intitulé: Exercice de la foi chrétienne selon la confession orthodoxe de l’Eglise arménienne, en arménien, par M. Mser, publié à Moscou en 1850 avec l’approbation et le sceau du catholicos de la nation, résidant à Edchmiadzin, p. 20, 24 et 90.
[84] Comme les anciens auteurs arméniens l’expression Dadjig comprend feus les peuples nomades. Arisdaguès l’applique ici aux Arabes en particulier. M. d’Ohsson fait dériver ce mot du syriaque Tayoyo, au pluriel Tayoyé sous lequel les Syriens désignaient autrefois les Arabes, et spécialement la tribu Tay, la plus considérable de celles qui erraient dans leur propre pays. Cette étymologie est parfaitement d’accord avec ce que dit Michel le Syrien que les Arabes étaient appelés Dadjigs du nom de leur chef Tayéo. — Cf. Michel le Syrien, manuscrit arménien de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n° 90, folio 436, verso. C.-F. Neumann, Translations from the chinese and armenian, Londres, 1834, prétend y voir le chinois Ta-yue.
Dans la suite, les Turks, les Turkomana et les Mongols établis dans la Perse appliquèrent cette dénomination aux musulmans habitants des villes et des campagnes, d’origine persane et arabe. (M. d’Ohsson, Histoire des Mongols, t. I, p. 247, note 4; — Saint-Martin, Fragments d’une Histoire des Arsacides, t. I, p. 26.) Tât ou Tadjik est aujourd’hui encore le nom donné en Perse à cette portion de la population qui vit dans les champs et les lieux arrosés, ou réside dans les villes. — Cf. Voyage en Arménie et en Perse, par Am. Jaubert, p. 250. De nos jours, les Arméniens renferment sous le nom de Dadjigs tous les peuples professant l'islamisme et particulièrement les Ottomans.
[85] Les troupes grecques, qui détestaient Romain, avaient résolu, au moment d’en venir aux mains avec les Arabes, de l’abandonner au milieu du combat. Informé de ce complot, Romain se sauva pendant la nuit; les Arabes, instruits de sa fuite, se précipitèrent sur l’armée grecque, à qui ils tuèrent dix mille hommes. Quatorze jours après, un paysan de Gouris le trouva au milieu des arbres presque morts de froid. Il le transporta chez lui sans le connaître, le rappela par ses soins à la vie et le confia à des hommes qui le conduisirent à Marasch d’où, rejoint par les débris de son armée, il reprit la route de Constantinople. — Cf. Chron. de Matthieu d’Édesse, trad. franç., chap. XLII; - Sempad le Connétable, p. 54.
On peut lire dans Cédrénus, Zonaras et Glycas, le récit détaillé de cette expédition de Romain.
[86] Édesse, en arménien Etecia et Our’ha, en syriaque Ourraoa, en arabe et en turc Ros (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p.158.) Son nom d’Our’ha vient, suivant Denys de Telmahar, Chronique syriaque, d’Ourrbouï, fils de Khewia, son premier souverain, lequel régna 126 ans avant Jésus Christ. (Saint-Martin, Frag. d’une hist. des Arsac., t. I, p. 404.) D’après le P. Indjidj, Our’ha serait la même chose que la ville d’Ur en Chaldée, la célèbre patrie d’Abraham. (Indjidj, Antiquités d’Arménie, t, III, p. 465.) Conquise au commencement de l’ère chrétienne par Abgare, roi arménien de Nisibe, qui la restaura et l’embellit de monuments magnifiques, elle fut pendant une grande partie du Ier siècle la capitale de l’Arménie. — Cf. Saint Martin, Frag. d’une hist. des Arsac., t. I, p.416 - 447.
[87] Consulter pour les préliminaires de la prise de cette ville le récit longuement circonstancié et bien différent de Matthieu d’Édesse (Chron., trad. franç., chap. XLVIII), reproduit en abrégé par Sempad le Connétable, p. 54, 52.
[88] Georges Maniacès, protospathaire, un des généraux les plus habiles et les plus illustres de l’empire à cette époque.
[89] En arménien Samouçad, Samosdia, Schamouschad et Schamschad, en syriaque Schamischat, en arabe Soumaïcât, capitale de la Commagène, sur l’Euphrate. (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 494.)
[90] La tradition de la constriction de cette ville par le terrible juge des Hébreux, probablement d’origine syrienne, n’est appuyée sur aucun fait historique connu, et paraît n’avoir pas d’autre fondement que la futile et quasi-ressemblance des noms de Samson et de Samosate, dans la langue syriaque.
[91] Ces deux dénominations, dont la première est synonyme de proconsul, étaient de simples titres honorifiques, ne conférant aucune espèce d’autorité à ceux qui en étaient revêtus, et dont les empereurs de Constantinople gratifiaient non seulement leur courtisane, mais encore les princes étrangers et les personnages de distinction. — Cf. Constantin Porphyrogénète, De administratione imperii t. IL, p. 68
[92] Suivant Matthieu d’Édesse, Chron., trad. franç., l’église incendiée par les mahométans se nommait Saint Sophie. Cette église, dont le nom avait été emprunté à celui de Sainte Sophie de Constantinople, devait être d’une date assez récente et ne peut s’accorder en aucune façon avec ce que son auteur appelle la « sainte cathédrale. » Une tradition rapportée par Indjidj attribue à Abgar la construction à Édesse, sous le vocable de la Mère de Dieu, d’une église avec sept coupoles dont il en reste encore une. (Cf. Indjidj, Arm. mod., p. 333). Elle paraît être la seule à qui on puisse appliquer ce que dit Arisdaguès des trésors y amassés par les anciens rois d’Arménie pour les besoins du culte. Quant à ces anciens rois d’Arménie à qui le cathédrale était redevable de ses richesses, il ne peut être question que d’Abgar son fondateur, suivant la tradition; car Moïse de Khoren nous apprend qu’Ananoun, son fils et son successeur, rouvrit, aussitôt après la mort de son père, les temples des idoles, et embrassa le paganisme. Les successeurs de ce dernier furent également tous païens, et, à partir du jour où Édesse tomba au pouvoir des Romains, elle ne fut plus possédée par les rois d’Arménie. — Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm., II, chap. 34.
[93] La date de ce fait, sur laquelle se tait notre auteur, est rapportée par Matthieu d’Édesse et Sempad le Connétable, d’accord avec Cédrénus et Aboulféda à l’année 1031. Aboulfaradj lui assigne l’année 1021, en retard de deux mois. La soumission d’Édesse a été racontée également, mais en abrégé, par Cédrénus, t. II, p. 571, 572; Aboulfaradj, Chronique syriaque, p. 234 et Aboulféda, Annales muslemici, t. III, p. 77, 79.
[94] Zoé avait donné un poison lent à Romain par l’intermédiaire de Jean Orphanotrophe; mais comme il ne mourait pas assez vite à son gré, elle le fit étouffer par Michel, frère de Jean, et autres conjurés, l’an du monde 6512, indict. IL = 1034, le jeudi saint, 11 avril. - Cédrénus, t. II, p. 507.
[95] Romain Argyre régna cinq ans et six mois. — Cf. Cédrénus, t. II, p. 107; — Georges Codinus, De antiquitatibus Constantinopolitanis, p. 456; — Joël, Chronographia compendiaria, p. 64.
[96] Michel IV, surnommé le Paphlagonien.
[97] Cédrénus dit de lui et de son frère Nicétas: « Utique argentanais faciaux et argent adulte rabat, » et ajoute, en parlant de Michel en particulier, qu’il était très beau « formalisations. » - Cédrénus, t. II, p. 504.
[98] Ainsi que nous l’avons vu plus haut, ch. viii, note 4, par le témoignage de Cédrénus, il fut le principal exécuteur du crime qui mit fin aux jours de Romain Argyre.
[99] La nuit même du jour où son mari avait été étouffé par son ordre, pendant le chant de la Passion, Zoé convoqua les notables ainsi que le patriarche Alexis et leur présenta Michel avec qui elle fit bénir sur-le-champ son mariage par le patriarche en personne. — Cf. Cédrénus, t. II, p. 507.
[100] Michel avait quatre frères: Jean, Nicétas, Constantin et Georges.
[101] Domesticum scholarurn qui scholis domesticorum, vel certe militaribus copiis, quae ad imperatoris custodiam excubabant, praeerat. — Cf. Du Cange, Gloss. med. et inf. latinitatis; — Codinus Curopalates, De officiis pal. constantinop., chap. ii, iv et v.
[102] Par le mot « Dadjgasdan », notre auteur veut parler de la Syrie qui était occupée presque entièrement par les Arabes.
[103] Ce frère de Michel est le même que Jean surnommé Orphanotrophe par les auteurs byzantins.
[104] On appelait Syncelle dans l’Église grecque le coadjuteur et successeur désigné du patriarche en fonctions avec qui il habitait sous le même toit. — Cf. Codinus Curopalates, De officiis pal. constantinop., chap. xx; Goar, ad cap. xx, p. 376; du Cange, Gloss. med. et inf. latinitatis. Jean Orphanotrophe n’arriva jamais au patriarcat
[105] Insoucieux des choses de ce monde, Michel livra à son frère Jean l’administration générale des affaires du gouvernement, y compris la guerre. — Cf. Glycas, p. 589; - Cédrénus, t. II, p. 510.
[106] Cédrénus et Glycas racontent, d’accord avec Arisdaguès, que Michel, obsédé par l’esprit malin, habitait la plus grande partie du temps à Thessalonique, non point auprès d’une magicienne, comme notre auteur, mais dans le tombeau même du glorieux et victorieux martyr Démétrius, » sollicitant de ce saint la guérison de sa terrible maladie, la démence, dont le démon, suivant le témoignage de Cédrénus, ne le quitta qu’avec la vie.
[107] Pergri, en arabe Berkery, appelée Percri, par Constantin Porphyrogénète, place forte au milieu d’une vallée, au nord-est et tout près du lac de Van, dans le district d’Ar’pérani province du Vasbouragan, aujourd’hui Barkry dans le pachalik de Van et à douze heures de cette ville. — Cf. Saint Martin, Mém. sur l’Arm., t. II. p. 437: — Indjidj, Arm. anc., p, 494 et Arm. mod., p. 167.
[108] Pour cette dénomination, voir ch. III, p. 43, note 5.
[109] Par le mot « Perses » il faut entendre ici les Arabes. Nous avons vu déjà cette dénomination donnée par notre auteur aux Turcs Seldjoukides. Cette confusion de noms provient de ce que les deux peuples auxquels Arisdaguès les appliqua également occupaient des pays voisins l’un de l’autre et professaient les mêmes doctrines.
[110] Malgré les exploits de plusieurs souverains de la famille des Bagratides et ceux des derniers princes ou rois du Vasbouragan, les pays qui bordaient la partie septentrionale du lac de Van restèrent en possession d’émirs arabes jusque vers le milieu du xi siècle. Les plus célèbres sont les Merwanides dont la famille possédait. Manazguerd, Khelath, avec le territoire au nord ouest du lac, et Arôjèsch en face de Pergri.
[111] Ce Gavasilas est le même personnage que Nicolas Cavasilas ou Nicolas le Bulgare, surnommé Chrysélius par Cédrénus. Il avait succédé à Michel Iasitas dans le gouvernement de Vasbouragan — Cf. Cédrénus, t. II, p. 502.
[112] Indjidj pense que l’endroit nommé Ardzag par Arisdaguès est le même qu’Ardzguê, ville très ancienne du district de Peznounik’, province de Douroupéran, sur le bord du lac de Van, entre Ardjèsch et Khélath — Indjidj, Arm. anc., p. 123 et 412.
[113] L’occupation de Pergri par les Grecs est de l’année 1038. — Cf. Chron. de Matthieu d’Édesse, trad. franç., chap. XLIX; — Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 917-918.
[114] En l’année 482 de l’ère arménienne, le mois d’arats correspondit au 10 août - 8 septembre 1033. Or nous avons vu plus haut, ch. ix, p. 160, note 4, que Michel monta sur le trône le jour même de la mort de Romain Argyre, le 14 avril 1034; il résulte de là que notre auteur avance de sept à huit mois l’avènement de Michel.
Parmi les historiens arméniens qui mentionnent cette éclipse, Samuel d’Ani lui donne pour date l’année 484 (13 mars 1035 - 12 mars 1036). (Samuel d’Ani, Chronogr. manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n° 96, folio 54 v°); Matthieu d’Édesse, Chron., trad. franc., chap. XLVIII, et Sempad le Connétable, p. 52, lui assignent 485 (12 mars 1036 - 14 mars 1037). Nous la trouvons dans les tables astronomiques sous l’année 1033, 20 juin, midi, date qui est parfaitement conforme avec celle fournie par Lasdiverdtsi.
[115] L’un des seize districts de la province de Douroupéran, à l’est, et limitrophe du district de Hark’. — Cf. Indjidj, Arm. anc., p. 1.
[116] District de la province de Haute Arménie situé entre le district de Hark’ à l’est et celui d’Ëguéghiats à l’ouest, célèbre par ses mines de sel gemme dont la blancheur égale à celle de la manne lui a valu le nom de Mananagh’i (sel de manne). C’est aujourd’hui le district de Thékman. Cf. Indjidj, Arm. anc., p. 22; Arm. mod., p. 83.
[117] Marie, sœur du Michel le Paphlagonien, avait été mariée à Étienne, calfateur de navires, d’où le surnom de Calafate donné à Michel V, issu de ce mariage.
[118] Après un règne de sept ans et huit mois, Michel le Paphlagonien mourut le 10 décembre de l’an du monde 6550, indiction X= 1041 (Cédrénus, t. II, p. 534). Suivant Georges Codinus, De antiq. constantinop., p. 156, il avait régné sept ans et neuf mois.
[119] Avant de le faire asseoir sur le trône, Zoé exigea de Michel la promesse ratifiée par serment qu’il la traiterait comme une souveraine et une mère, qu’il n’apporterait aucun obstacle à l’exécution de ses volontés, et la laisserait agir en toutes choses selon son bon plaisir. — Cf. Glycas, p. 590 et Joël, Chron. compend., p. 62.
[120] Cédrénus dit qu’il s’était sauvé de très grand matin dans le monastère de Stude de l’autre côté du détroit. — Cédrénus t. II, p. 539
[121] Le lieu où Michel et ses complices furent aveuglés est appelé Sigma par Zonaras, t. II, p. 245, et Glycas, p. 592.
[122] Michel Calafate fut relégué au monastère des Élegmes après un règne de quatre mois et cinq jours, le 24 avril 1042, suivant Cédrénus, t. II, p. 642, et Zonaras, t. II, p, 246, ou quatre mois et dix-neuf jours, au dire de Georges Codinus, De antiq. constantinop., p. 16. Lasdiverdtsi prolonge donc son règne d’un mois et demi au moins au delà de ses véritables limites.