ANONYME
VIE DE LOUIS VIII.
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE,
depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au 13e siècle
AVEC UNE INTRODUCTION DES SUPPLÉMENS, DES NOTICES ET DES NOTES;
Par M. GUIZOT,
PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS.
A PARIS,
CHEZ J.-L.-J. BRIÈRE, LIBRAIRE,
RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS, N°. 68.
1824.
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L’auteur de la Vie de Louis VIII est resté complètement inconnu ; Duchesne a publié le premier ce petit ouvrage ; Dom Brial l'a inséré dans le Recueil des historiens Français en y ajoutant les pièces officielles, dont le chroniqueur avait fait mention sans en donner le texte ; c'est sur cette dernière édition que notre traduction a été faite. Nous avons regretté de ne trouver, sur le règne de Louis VIII, aucun document plus étendu ; mais la portion la plus importante de l'histoire de ce roi, son expédition en Angleterre, est antérieure à son avènement au trône, et les historiens anglais sont les seuls qui l'aient racontée avec détail. Telle qu'elle est, cette petite chronique contient : quelques faits qu'on chercherait vainement ailleurs.
Le très fameux Philippe, roi de France, qui avait dompté les Normands, étant mort l'an du Seigneur 1223, la veille des ides de juillet, Louis, son fils aîné, qu'il avait eu d'Isabelle, fille de Baudouin, comte de Hainaut, lui succéda au trône, et le 8 des ides d'août de l'année ci-dessus rapportée, le jour de la fête de saint Sixte, à la trente-sixième année de son âge, il fut couronné roi de France à Reims par Guillaume, archevêque de cette ville, avec Blanche, sa femme, en présence de Jean, roi de Jérusalem, et des grands du royaume. Par là, la couronne revint à la race de l'empereur Charlemagne, de laquelle on sait qu'il tirait son origine du côté de sa mère.
Les Francs, d'origine troyenne, encore livrés aux rites du paganisme, établirent leur domination dans les Gaules, comme on le voit maintenant, et ce pays fut par eux appelé France. L'an du Seigneur 484, Childéric, leur roi, qui avait pris la ville de Trêves, étant mort, Clovis, son fils, maintint fortement et étendit ce royaume de France. Ayant reçu avec ses sujets, de la main de saint Rémi, la grâce du baptême, il régna heureusement, et sa postérité gouverna le royaume jusqu'à l'an du Seigneur 750, si ce n'est que, pendant environ quatre-vingt-huit ans depuis le temps de Clovis ou Louis, mari de la reine sainte Batilde, les rois, dégénérant de leur courage accoutumé, laissèrent les maires du palais disposer de la puissance du royaume. C'est pourquoi il arriva que Pépin, père de Charlemagne, descendant de la race royale par Batilde, fille de Clotaire Ier, fut créé maire du palais sous l'imbécile roi Childéric. Ce Childéric ayant été rejeté par les Francs et enfermé dans un monastère, Pépin, par l'autorité apostolique et l'élection des Francs, fut sacré roi avec sa femme et ses fils, par le pape Etienne, dans l'église de Saint-Denis, en France et dans leur postérité fut à jamais consacrée la succession au trône, et toute invasion étrangère contre eux fut, par l'apostolique, interdite, sous peine d'anathème. Sa race gouverna le royaume de France jusqu'à l'an du Seigneur 986. A cette époque, Hugues Capet, comte de Paris et duc des Francs, s'étant emparé du royaume, il passa de la race de Charles à celle des comtes de Paris, qui provenaient d'origine saxonne. On lit dans les Gestes de saint Riquier et de saint Valeri que leurs corps furent transportés, de leurs églises, dans celle de Saint Bertin, à Saint-Omer, en Flandre, et qu'ils y furent déposés comme dans lin lieu plus sûr, à cause de la crainte qu'inspiraient les Normands et les Danois, qui avaient presque dévasté la France. Lorsque, dans le temps de Charles le Simple, les Normands se furent convertis à la foi du Christ, ces corps furent reportés dans leurs églises. Les moines de l'église de ces saints les ayant redemandés, les moines de Saint Bertin voulaient avec le secours d'Arnoul, comte de Flandre, les retenir par violence. Alors saint Valeri apparut en songe à Hugues le Grand, comte de Paris, père de Hugues Capet, et lui dit : « Va vers Arnoul, comte de Flandre, et dis-lui qu'il transporte nos corps, de l'église de Saint Bertin, dans les nôtres ; car nous aimons mieux être chez nous que chez les étrangers. » Hugues lui ayant demandé qui il était, et qui était son compagnon, il lui répondit : Je m'appelle Valeri, et mon compagnon Riquier de Ponthieu : exécute promptement et sans détour ce que par nous Dieu t'ordonne. Hugues s'étant donc rendu vers Arnoul, lui apprit le message dont il était chargé. Mais celui-ci, d'un esprit superbe, refusa de lui rendre les corps des saints. Alors Hugues dit avec fermeté à Arnoul : « Pense, en ce jour et en ce lieu, à me remettre avec honneur et bonne volonté les corps des saints, car si maintenant tu ne le fais volontiers, plus tard tu le feras malgré toi. » Arnoul, dompté par la crainte et par la puissance de Hugues, orna d'or et d'argent deux coffres, dans lesquels il déposa les reliques de ces saints, et au jour fixé, il les rapporta avec respect à Hugues dans un monastère situé sur les bords de la mer, et qui appartient à la France. Hugues replaça chacun d'eux dans son église. La nuit suivante, saint Valeri apparut de nouveau en songe à Hugues, et lui dit : « Comme tu as fait avec zèle ce qui t'a été ordonné, et que tu nous as rapportés dans nos églises, tes successeurs régneront dans le royaume de France jusqu'à la septième génération. » Nous pouvons trouver exactement, depuis le roi Hugues Capet, fils du comte Hugues, jusqu'à Louis, dont nous allons parler, sept générations. Car Hugues Capet, le premier roi de la race du comte Hugues, engendra Robert, qui engendra Henri, lequel engendra Philippe Ier ; Philippe Ier engendra Louis le Gros ; Louis le Gros engendra Louis le Jeune, qui engendra Philippe il, père de ce Louis dont il s'agit ici. Le roi Philippe eut Louis, comme il a été dit, d'Elisabeth ou Isabelle, fille de Baudouin, comte de Hainaut. Ce Baudouin provenait de la race d'Hermengarde, comtesse de Namur, fille de Charles, duc de Lorraine, et oncle de Louis, dernier roi de la race de Charlemagne, et qui mourut sans héritier. Hugues Capet usurpa la couronne sur lui, et le fit mourir en prison à Orléans. Jusqu'à lui, la race de Pépin et de l'empereur Charlemagne était demeurée en possession du trône. Louis ayant hérité du trône de son père, il est clair que par lui la couronne revint à la race de Charlemagne ; et d'après l'ordre donné de réintégrer les corps des saints et la prédiction qui s'ensuivit, on peut voir que le changement eut lieu par la volonté de Dieu. On lit dans les Gestes des Aquitains que la race de Charles avait été réprouvée parce que, négligeant la faveur de Dieu, elle parut plutôt abandonner que créer des églises. Mais laissons cela au jugement de Dieu, qui change les temps et transporte les royaumes, ainsi qu'il est écrit. Un royaume est «transféré d'un peuple à un autre, à cause des injustices, des violences, des outrages et des différentes entreprises. » Et ailleurs ; Dieu a renversé les trônes des princes superbes, et il y a fait asseoir à leur place ceux qui étaient humbles. » Mais revenons à notre propos. Le roi Louis, aussitôt après son couronnement, parcourut son royaume, et reçut partout les hommages de ses hommes liges.
Vers le même temps, Amaury, comte de Montfort, quittant le pays des Albigeois pour revenir en France, à. cause de la disette des vivres, abandonna Carcassonne, ville très bien fortifiée, et d'autres châteaux qu'il avait conquis sur les hérétiques Albigeois, à grand'peine et avec des dépenses inestimables, et qu'avaient possédés les Français durant quatre ans. La même année, Jean, roi de Jérusalem, ayant pris à Tours, le premier dimanche du carême, le bâton de pèlerin, partit pour Saint Jacques de Galice. Revenant ensuite par l'Espagne, il prit pour femme dame Bérengère, sœur du roi de Castille, nièce de Blanche, reine de France.
L'an du Seigneur 1224, Louis, roi de France, tint, le cinquième jour de mai, à Paris, un parlement général, dans lequel le pape Honoré retira pour un temps l'indulgence qu'il avait accordée de sa propre autorité, dans le concile de Latran, pour ceux qui combattraient contre les hérétiques Albigeois, et reconnut pour catholique Raimond, comte de Toulouse.
Réponse que le seigneur roi fit à l'évêque d’Ostie, touchant l'affaire des Albigeois, le 5 mai 1224.
« Vous saurez que le très cher seigneur feu Philippe, notre père, roi des Français, célèbre et de pieuse mémoire, n'a pas voulu d'abord se mêler de l'affaire de l'Albigeois, ni se charger d'un pareil fardeau, quoiqu'il y ait ensuite fait beaucoup de dépenses, et qu'elle ait coûté la mort et bien des frais à un grand nombre de chevaliers de France. Vous saurez que deux fois nous avons en propre personne travaillé fidèlement, et autant que nous l'avons pu, pour ladite a flaire dans ce même pays. Lorsque notre père eut terminé le dernier jour de sa vie, le seigneur évêque d'Ostie vint vers nous, nous suppliant humblement d'apporter notre avis dans l'affaire des Albigeois, parce que les prélats de France voulaient l'entreprendre, s'ils obtenaient à ce sujet notre assentiment et consentement. Quoique incertain sur l'état du royaume, nous avons accordé à nos prélats la permission d'entamer cette affaire.
Ensuite le même seigneur nous demanda notre avis sur les fortifications des châteaux occupes par le comte Amaury dans le pays des Albigeois, afin qu'il pût ramener sains el saufs ceux qui étaient dans ces châteaux, et qu'ils ne fussent point livrés à la mort. Alors nous avons fait donner à ce même Amaury dix mille marcs de secours de la part de notre père. Ledit Amaury, par le moyen de cet argent, ramena les chevaliers et les serviteurs qui étaient dans ces châteaux, et rendit les châteaux et lieux fortifiés qu'il occupait dans ce pays.
Ensuite vinrent vers nous l'archevêque de Bourges et l'évêque de Langres, qui apportèrent avec eux une lettre du seigneur Pape, dans laquelle il tâchait, par beaucoup d'assurances et de persuasions, de nous engager à nous charger personnellement de cette affaire ; et ils nous promirent de vive voix, de la part du soigneur Pape et des cardinaux, de nous ouvrir les trésors de l'Eglise, et de nous donner d'autres secours et conseils, autant qu'ils le pourraient faire, selon le Seigneur. Ayant pris conseil de nos prélats et de nos barons, nous envoyâmes au seigneur Pape lu demande des choses qui nous paraissaient nécessaires pour l'affaire des Albigeois.
Le seigneur Pape nous manda par le seigneur évêque d'Ostie qu'il était prêt à satisfaire entièrement à nos demandes. Comme il avait été ordonné au seigneur évêque d'Ostie de venir vers nous, et de satisfaire à nos demandes, il arriva un envoyé du seigneur empereur, qui promit et offrit tant et de si grandes choses pour le secours de la Terre Sainte, qu'il fallut que le seigneur Pape et la cour de Rome s'occupassent de l'affaire de la Terre Sainte, et quittassent pour le moment celle des Albigeois, parce que le seigneur Pape et la cour de Rome avaient promis au seigneur empereur qu'ils ne feraient passer aucune affaire avant celle de la Terre Sainte.
Ensuite le seigneur Pape nous a fait savoir, par le même seigneur et par sa lettre, que si Raymond croyait que nous emploierons toutes nos forces pour le dompter, il n'oserait pas nous attendre, et reviendrait au commandement de l'Eglise ; c'est pourquoi il nous a engagé et prié instamment de nous efforcer, par des menaces et des avertissements, de l'amener à faire la paix avec l'Eglise, en chassant les hérétiques, mi satisfaisant les églises et les personnes ecclésiastiques, en pourvoyant pour l'avenir aux libertés de l'Eglise, et en traitant avec Amaury, comte de Toulouse. Nous avons répondu audit évêque d'Ostie, que puisque le seigneur Pape ne voulait point pour le présent satisfaire à nos raisonnables demandes concernant cette affaire, nous nous en regardions comme déchargé, ainsi que nous l'avons publiquement affirmé en présence de tous les prélats et barons de France. Quant à la paix à laquelle le seigneur Pape voulait que nous engageassions le comte Raymond par des menaces et des avertissements, nous avons répondu au seigneur évêque d'Ostie qu'il n'était pas nécessaire d'examiner les articles de foi, ni de traiter d'un règlement qui concerne les affaires de la foi ; mais nous voulons bien que l'Eglise romaine, à qui appartient l'examen de la foi, traite avec ledit Raymond comme il lui plaira de le faire, sans porter atteinte à nos droits ni aucune diminution à nos fiefs, en sorte qu'on ne leur impose aucune charge nouvelle et inaccoutumée.
Enfin nous avons dit au même seigneur, de ne plus nous rapporter aucun message au sujet de l'affaire des Albigeois, dont nous sommes entièrement déchargés. »
Peu de temps après, à la fête de saint Jean-Baptiste, le roi Louis lui-même, avec une armée innombrable d'évêques, de barons, de serviteurs et de chevaliers, se rendit à la ville de Tours ; et de là, marchant vers le château de Montreuil-Bellai, il conclut de nouveau une trêve d'un an avec Aimeri, vicomte de Thouars.
Acte d’Aimeri, vicomte de Thouars, au sujet de la trêve par lui accordée à Louis, roi des Français, en 1224.
« Vous saurez que j'ai accorde au seigneur Louis, roi de France, et à son successeur, en cas qu'il vînt à mourir, et à ses domaines et fiefs, une trêve ferme et stable, de même espèce que celle que j'ai conclue autrefois avec Philippe, d'heureuse mémoire, roi de France, depuis la fête de la naissance de saint Jean-Baptiste, l'an du Seigneur 1224, jusqu'à l'accomplissement de la présente année ; elle est établie en cette forme :
« 1. Quinze jours après le terme fixé, je serai son homme lige contre tout homme et toute femme que ce puisse être. Je tiendrai entièrement de lui mes terres et mes fiefs, comme je les tenais, du roi d'Angleterre en deçà de la mer, et mes vassaux tiendront aussi de lui les fiefs et les revenus qu'ils tenaient du roi d'Angleterre.
« 2. Ledit seigneur roi paiera chaque année à Geoffroy d'Argençon cent quarante livres de Tours, cent livres de Tours à Geoffroy Bouchard, et cent soixante livres de Tours à mes autres vassaux, jusqu'à ce qu'il leur ait rendu leurs terres, qu'ils ont perdues quand j'ai quitté le service du seigneur Philippe, roi des Francs. Mes vassaux feront hommage au seigneur Louis, roi des Français, comme ils l'ont fait au roi d'Angleterre.
« 3. J'observerai, et mes vassaux aussi, ces conventions envers le seigneur roi, et le seigneur roi les observera aussi envers moi et mes vassaux, à moins que pendant ce temps le roi d'Angleterre ne me puisse libérer de quelque manière envers le roi des Français, et ne me fasse rendre l'acte de mon engagement, alors je serais tenu de rendre au seigneur roi l'acte qu'il m'a passé en cette occasion.
« 4. Pour caution de l'exécution fidèle de ces conventions, j'ai donné de mon côté, Hugues de Thouars, mon frère, Gui et Aimeri, mes fils, Geoffroy d'Argençon, mon neveu ; le seigneur Guillaume, archevêque de Parthenay ; Thibaut de Beaumont, seigneur de Berthier ; Briant de Montaigu, Geoffroy Bouchard, Guillaume, fils d'Auffroy ; le seigneur Pierre, évêque de Sainte-Hermine, Renaud de Maulevrier, Rogon de Montrevel, P. Brûle, Jean de Cambrai, Simon de Chausse-Rouge, mon neveu, Geoffroy, prévôt de Thouars, Aimeri de Lusignan, Thibaut Léger, Renaud de Beurie et Thibaut de Montfaucon ; en sorte que si je m'écartais des dites conventions, ils se rendraient eux-mêmes dans la prison du seigneur roi de France à Saumur ou à Chinon, jusqu'à ce que l'infraction fût amendée, comme il est contenu dans la présente lettre.
« 5. Pendant ladite trêve, les marchands et tous les autres habitants de la terre du seigneur roi des Français pourront aller et venir en sûreté et sans danger dans mon territoire et mes fiefs, et y acheter des vivres et autres choses nécessaires ; et pendant ladite trêve mes vassaux ne marcheront pas contre ledit roi des Français.
« 6. Moi et mes vassaux, dont les noms sont rapportés dans la présente lettre, nous jurons notre foi d'observer fidèlement ces conventions, et pour les confirmer validement, je les munis de mon seing, et mes vassaux ont de même donné audit roi des Français, en confirmation, leurs lettres patentes revêtues de leur sceau.
« 7. Quant à l'hommage que je dois, et aux autres conventions à observer, moi et mes cautions y sommes engagés envers le successeur dudit roi, au cas que le seigneur roi vienne à mourir. Fait l’an du Seigneur 1224, dans le mois de juin. »
Après quoi, la veille de la fête de saint Martin d’été, le roi Louis assiégea le château de Niort. Ayant dressé des machines, il foudroya d'une telle quantité de pierres Savari de Mauléon et les autres qui en défendaient les remparts, qu'ils se rendirent à lui, et lui livrèrent ce noble château. Ils sortirent en conservant tout ce qui leur appartenait, mais ils jurèrent sur le saint Évangile qu'ils ne combattraient contre le roi dans aucun château, excepté La Rochelle, jusqu'à la fête suivante de la Toussaint. Le roi Louis, après avoir pris et ensuite fortifié le château de Niort, marcha promptement sur Saint Jean-d’Angély. Mais les habitants, craignant pour eux, se rendirent, eux et leurs biens, et le reçurent avec honneur. Le roi, illustré ainsi par d'heureux succès, assiégea La Rochelle dans les ides d'août, et, ayant dressé des échelles contre les murailles, assaillit avec impétuosité Savari de Mauléon, qui y était renfermé avec près de trois cents chevaliers et d'innombrables serviteurs, et en essuya de fréquentes attaques. Enfin Savari et ceux qui étaient assiégés avec lui, croyant recevoir de l'argent de Henri, roi d'Angleterre, reçurent, dit-on, les coffres qu'il leur avait envoyés pleins de pierres et de son. Ainsi la discorde fut semée entre eux et les Anglais, qui étaient venus à leur secours de la part du roi d'Angleterre. Tandis que ces choses se passaient par la volonté divine, le lendemain de la fête de saint Pierre aux Liens, tous et chacun des habitants de Paris firent une solennelle procession depuis l'église de Sainte-Marie jusqu'à Saint-Antoine, afin que le Roi et triomphateur de tous accordât la victoire à leur roi. A cette procession assistèrent trois reines, à savoir Isemberge, femme de feu Philippe, roi de France, dame reine Blanche, femme du roi Louis, avec ses fils ; et dame Bérengère, reine de Jérusalem, et nièce de Blanche, reine de France. Le Dieu des vengeances exauça promptement les larmes et les soupirs de ces reines et du peuple, car le jour suivant, le roi Louis, ayant donné un sauf-conduit aux Anglais, reçut La Rochelle et les serments des bourgeois de cette ville. Ainsi les Anglais, qui s'étaient longtemps cachés dans ce dernier recoin du pays d'Aquitaine, l'ayant perdu, furent entièrement chassés de tout le royaume de France. Les grands du pays de Limoges, du Périgord et ceux de l'Aquitaine, à l'exception des Gascons, qui habitent au-delà de la Garonne, promirent avec beaucoup de soumission fidélité au roi Louis, et lui gardèrent leur foi.
Pendant l'octave de l'Assomption de sainte Marie, un concile fut, par l'autorité apostolique, assemblé à Montpellier. Le pape Honoré, entre autres commissions dont il avait chargé l'archevêque de Narbonne, lui avait donné ordre d'écouter quel accommodement de paix Raimond, comte de Toulouse, et les autres Albigeois offriraient à la sainte mère Église, et de lui faire savoir ce qu'il avait à faire. Ledit archevêque, ayant assemblé les évêques, les abbés et tout le clergé de la province entière, reçut du comte de Toulouse et des autres barons le serment qu'ils rétabliraient dans le pays la tranquillité et la soumission à l'Église de Rome, qu'ils rendraient en entier au clergé ses revenus que, pour les dommages qu'il avait soufferts, ils lui paieraient quinze mille marcs pendant trois ans, qu'ils feraient promptement justice des hérétiques qui avaient avoué leur hérésie, ou avaient été convaincus, et que, selon leur pouvoir, ils extirperaient de toute la province la perversité de l'hérésie.
Serment prêté par Raimond, comte de Toulouse, et les autres barons, dans le concile tenu à Montpellier l’an 1224.
« Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1224, le 7 des calendes de septembre, nous, Raimond, par la grâce de Dieu, duc de Narbonne comte de Toulouse, marquis de Provence, désirant avec la plus grande ardeur faire la paix avec la sainte Église de Rome, pour l'honneur de Dieu et de son Église romaine, et de notre très saint père en Jésus-Christ, le souverain pontife Honoré, nous offrons d'un cœur pieux et avec une vraie dévotion, en notre nom et en celui de nos vassaux et alliés, à vous, seigneur Arnaud, archevêque de Narbonne, et par vous à la sainte Église de Rome et au seigneur pape, tout ce que dans une autre entrevue nous vous avons offert à vous, et par vous à la sainte Église romaine ; à savoir que :
« 1. Nous observerons et ferons observer pareillement et fidèlement dans notre terre la foi catholique, comme la prêche et renseigne la sainte Eglise de Rome ; en outre nous purgerons fidèlement notre terre des hérétiques jugés tels par l'Église, en confisquant leurs biens, et leur infligeant à eux-mêmes des punitions corporelles.
« 2, Nous observerons et ferons rigoureusement observer une paix pleine et entière dans notre pays, en expulsant les routiers de nos frontières. Nous restituerons pleinement aux églises et aux personnes ecclésiastiques tous leurs droits ; nous conserverons et ferons conserver entièrement, dans la suite et pour toujours, les libertés des églises et autres lieux de religion.
« 3. En outre, pour les pertes et injures souffertes par les églises et les personnes ecclésiastiques, et afin qu'à cause du respect et de l'honneur dus à l'Église romaine et au seigneur pape, il puisse être pourvu à l'honneur du comte de Montfort, nous donnerons à l'Église deux mille marcs d'argent, payables aux termes convenables, à condition toutefois que le seigneur pape nous absoudra des prétentions que forme ledit comte de Montfort sur nos terres et celles de nos alliés, et qu'il nous fera restituer les actes obtenus, dit-on, à ce sujet par ledit comte de Montfort ou son père, du souverain pontife et du seigneur roi des Français, ou de son père.
« 4. Mais comme, ni à la première, ni à la seconde entrevue, il n'a assisté pour le comte de Montfort personne avec qui nous pussions délibérer sur le traité que notre saint père Honoré nous avait ordonné de conclure, nous ne pouvons pour le moment répondre entièrement à cet égard. Nous envoyons maintenant vers le seigneur pape une solennelle ambassade, avec laquelle il puisse traiter pleinement, tant sur ladite paix que sur toute autre chose ayant rapport, à notre réconciliation, et, par le moyen de la grâce divine conduire tout à une fin convenable. Nous promettons avec déférence de ratifier pour toujours et d'observer inviolablement ce qui, par l’ordre et la volonté du seigneur pape, aura été réglé ou fait à notre sujet avec ces envoyés.
« 5. Croyant avoir en grande partie accompli envers les églises et les ecclésiastiques la restitution promise dans l'autre entrevue, cependant nous promettons maintenant spécialement de rendre en entier, d'après le jugement du seigneur pape ou du seigneur Arnaud, archevêque de Narbonne, ou de quelque évêque que ce soit dans son diocèse, tout ce qui reste à restituer aux églises et aux ecclésiastiques. Quant à la restitution des fiefs des Toulousains et de leurs biens, nous ferons tout ce que le seigneur pape voudra qu'on fasse.
« 6. Enfin, si ce que nous offrons au seigneur pape ne lui paraît pas suffisant, comme régner c'est obéir à la sainte Église, nous obéirons humblement et dévotement en tout et pour tout, selon notre pouvoir, à la miséricorde et aux ordres du seigneur pape, sans cependant porter atteinte à la domination de notre sérénissime roi de France et du seigneur l'empereur. Nous donnerons les sûretés convenables, au jugement du seigneur pape, de l’accomplissement de toutes ces choses.
« Nous, Roger de Bernard, par la grâce de Dieu, comte de Foix, et Trencavel, par cette même grâce, vicomte de Bourges, nous promettons de la même manière de faire et maintenir perpétuellement ces choses dans toute notre terre, comme l'a promis plus haut notre seigneur 3e comte de Toulouse pour lui, pour nous et ses autres alliés. Donné à Montpellier, le jour et l’année marqués ci-dessus. »
Dans l'octave de la Saint-Martin d'hiver, une conférence eut lieu à Vaucouleurs entre Louis, roi de France, et Henri, roi d'Allemagne, fils de l'empereur Frédéric, récemment couronné roi d'Allemagne par l'ordre et la volonté de son père. Ils y traitèrent tous deux de beaucoup de choses concernant leurs royaumes ; mais, ne venant à bout de rien, ou de peu de chose, ils s'en retournèrent chez eux.
Pendant que Savari de Mauléon naviguait vers l'Angleterre pour réclamer les secours de Henri, roi de ce pays, les Anglais qui étaient avec lui, se défiant de sa conduite, essayèrent de s'en emparer secrètement ; mais leur projet fut découvert, et ils retournèrent en Angleterre sans avoir pu l'accomplir. Savari, échappé ainsi des mains des Anglais, après avoir éprouvé bien des fois leur infidélité, se soumit au roi de France, Louis, et lui fit hommage lors de la Nativité du Seigneur.
Cependant Henri, roi d'Angleterre, et les grands de son royaume, affligés de la perte de l'Aquitaine, convoquèrent dans leur royaume une assemblée générale, et demandèrent pour leur roi l'aide de tous et de chacun pour recouvrer l'Aquitaine. Acquiesçant unanimement aux désirs de leur roi, tant clercs que laïques, tous résolurent entre eux, et promirent fidèlement de donner pour ce secours la quinzième partie de leurs biens meubles. Cela fait, le roi rassembla une armée, fit préparer une flotte, et envoya son frère Richard avec trois cents vaisseaux chargés d'hommes d'armes vers la ville de Bordeaux. Richard s'en étant approché aussitôt par un temps calme, assiégea et prit un château appelé Sainte-Macaire. Après quoi, ravageant le pays d'alentour, il assiégea et attaqua la Réole. Mais les habitants de cette ville, très habiles aux armes, se défendirent, et résistèrent courageusement. Après que le frère du roi d'Angleterre eut longtemps tourmenté cette ville par divers assauts, sans obtenir aucun succès, le roi de France Louis, touché pour ladite ville, y envoya des hommes d'armes soldés, sous les ordres de son maréchal. A leur arrivée, Richard leva le siège, et marcha à leur rencontre sur les bords de la Dordogne. Les Français, ne pouvant aller plus avant à cause du fleuve, assiégèrent et prirent le château de Limeuil, et mirent sous la domination de leur roi Louis le seigneur de Bragerat. Dès que les Anglais en furent instruits, n'osant en venir aux : mains avec eux, ils s'en retournèrent en Angleterre. L'an du Seigneur 1225, au mois d'avril, il vint en Flandre un homme qui se prétendait le feu comte Baudouin, empereur de Constantinople, et se disait échappé comme par miracle de la prison des Grecs. Un grand nombre l'ayant vu, reconnaissant véritablement en lui beaucoup de signes appartenant au comte Baudouin, et apprenant de lui beaucoup de discours, faits et autres indices dudit comte, le reçurent comme leur seigneur, et rejetèrent aussitôt de presque tout le comte de Flandre la comtesse, fille du comte Baudouin, qu'ils avaient en haine depuis longtemps. Celle-ci, désolée de perdre son pouvoir, alla trouver le roi de France Louis, et le supplia instamment, en lui donnant plusieurs raisons, de lui faire rendre son comté.
Engagement de Jeanne, comtesse de Flandre envers le roi de France, pour en obtenir du secours afin de recouvrer son comté.
« Moi Jeanne, comtesse de Flandre et de Hainaut, je fais savoir à tous que j'ai juré à mon très cher seigneur Louis, par la grâce de Dieu illustre roi de France, que je m'engage, après qu'il aura passé Péronne, à lui rendre, ainsi que le portent les conventions suivantes, les frais et dépenses qu'il fera dans la guerre que j'ai contre mes vassaux, lesquels se sont rangés du parti de celui qui se prétend comte Baudouin.
« 1. Si dans cette guerre il dépense vingt mille livres parisis, je lui rendrai vingt mille livres parisis, s'il dépense moins, je lui rendrai moins, mais s'il dépense plus de vingt mille livres, je ne serai tenue que de lui en rendre vingt mille.
« 2. Cet argent sera payé de cette manière : Chaque année il lui sera payé, à lui ou à ses héritiers, mille livres parisis en deux termes, à savoir : à la fête de la Toussaint cinq cents, et cinq cents à l'Ascension, jusqu'à ce que soient payées les vingt mille livres ou moins, s'il dépense moins dans cette guerre. Et si chaque année on ne payait pas mille livres, comme il a été régit, ledit seigneur roi pourrait sans méfaire prendre saisie de mes biens et ceux de mes vassaux, jusqu'à fin du paiement.
« 3. Pour tout ledit paiement le seigneur roi sera en possession de Douai et d'Ecluse, jusqu'à ce que ladite somme soit soldée ; et lorsqu'elle sera payée, Douai et Ecluse redeviendront envers le roi ce qu'elles sont maintenant.
« 4. Il en sera ainsi pour les prisonniers et les gains de la guerre : si on prend d'assaut une ville ou un château, tout le gain sera en commun entre le seigneur roi et moi. Si dans le combat on prend des chevaliers ou des serviteurs, ou des arbalétriers qui soient mes vassaux, le seigneur roi aura leur corps, et moi leurs terres qui sont de mon fief. Si on fait dans le combat des prisonniers qui ne soient pas mes vassaux, leur rançon sera en commun entre le seigneur roi et moi.
« 5. Si le seigneur roi assiège un château ou une ville, les hommes de cette ville ou de ce château pourront faire la paix avec moi avant qu'on ne dresse les machines, et le seigneur roi ne pourra rien exiger sur cette paix. Après que les machines auront été dressées, ils ne pourront conclure avec moi ni paix ni trêve que du consentement du seigneur roi, et le seigneur roi y sera pour moitié.
« 6. En outre, tout ce que j'aurai de la rançon des prisonniers dans cette guerre, je serai tenue de le rendre au seigneur roi dans le susdit paiement.
» 7. J'ai juré aussi que je garderai avec bonne foi et sans mauvaise intention le corps du seigneur roi et de ses vassaux et de tous ceux qui l'accompagneront, et je le ferai jurer pareillement à tous ceux de ma terre que le seigneur roi nommera, et que je pourrai avoir.
« 8. Il faut qu'on sache que le seigneur roi n'est tenu à me prêter secours, ainsi qu'il l'a promis, que sur son fief, et avec cette armée au sujet de laquelle j'ai pris cet engagement.
« Marguerite, ma sœur, a, par mon ordre, ma volonté et mon consentement, juré d'observer ces conventions, et de rendre ledit argent, si je subissais le sort commun à tous les hommes.
« Fait à Paris, l'année du Seigneur 1225, mois de mai. »
Le roi consentant à ces propositions, rassembla beaucoup de monde, et vint à Péronne, où, donnant un sauf-conduit à celui qui se prétendait le comte Baudouin, il l'appela à une entrevue. Celui-ci y étant venu avec une multitude de gens, interrogé en présence du roi, du légat et de beaucoup d'autres, sur un grand nombre de choses, il refusa devant tous d'y répondre ; ce que voyant, le roi violemment irrité lui ordonna de sortir de son royaume dans l'espace de trois jours, et lui donna un sauf-conduit et la liberté de s'en retourner. Le faux Baudouin étant retourné à Valenciennes, fut abandonné par les siens ; et enfin, fuyant à travers la Bourgogne sous le déguisement d'un marchand, il fut pris par un certain chevalier, rendu à la comtesse, et renfermé dans une prison ; ensuite les siens lui ayant fait subir différents supplices, finirent par le pendre.
La même année, à la fête des apôtres Pierre et Paul, un romain diacre cardinal de Saint-Ange, remplissant en France l'office de légat, vint à Tours, et le troisième jour suivant marcha vers Chinon avec le roi de France Louis. Là, le roi prolongea jusqu'à la tête de la Madeleine la trêve conclue avec Aimeri, vicomte de Thouars ; étant aussitôt retourné en France, il convoqua un parlement à Paris, la veille de Sainte Marie Madeleine, le vicomte de Thouars vint à Paris, et fit hommage au roi en présence du légat et des députés du roi d'Angleterre.
Vers la Purification de sainte Marie, le roi Louis et beaucoup de grands du royaume de France et d'archevêques, d'évêques et de barons rassemblés à Paris, prirent l'étendard de la croix contre les hérétiques albigeois, et reçurent la bénédiction des mains du cardinal romain.
L'an du Seigneur 1226, le roi de France Louis, et tous ceux qui avaient pris la croix, se réunirent à Bourges ; de là marchant par les villes de Nevers et de Lyon, ils arrivèrent à Avignon, ville très fortifiée et comme imprenable, et excommuniée depuis sept ans par l'Eglise de Rome, à cause de sa perverse hérésie. Tandis que le roi s'imaginait obtenir pacifiquement le passage par Avignon, à cause de quelques traités qu'il avait conclus auparavant avec les habitants de cette ville, ils lui fermèrent leurs portes, et laissèrent le roi dehors avec les siens. Le roi s'étonna, et prenant une courageuse résolution, assiégea la ville par trois endroits. La veille de la fête de l'apôtre saint Barnabé, qui était le mercredi d'après la Pentecôte, on dressa des machines ; les balistes, les pierriers et les mangonneaux servaient peu, parce que ceux qui étaient dedans se défendaient courageusement. Le siège dura jusqu'à la fête de l'Assomption de sainte Marie. Cependant la mortalité devenant très grande, il mourut environ deux mille des nôtres, tant des grêles de flèches et de pierres qu'on leur lançait, que de maladies. Guy, comte de Saint-Paul, homme brave à la guerre, bon catholique et vertueux, y mourut frappé d'une pierre lancée par une baliste. L'évêque de Limoges y mourut aussi, et le comte de Champagne s'en retourna chez lui sans la permission du roi ni du légat. Alors les habitants d'Avignon, réfléchissant a la constance du magnanime roi qui avait déclaré par serment, avec ses grands, qu'il ne se retirerait pas que la ville ne fût prise ou rendue, donnèrent deux cents otages des meilleurs citoyens de leur ville, et jurèrent de demeurer soumis aux ordres de l'Eglise. Par l’ordre du légat et du roi, on combla les fossés, trois cents maisons garnies de tours qui étaient dans la ville, et tous les murs furent abattus et rasés de fond en comble. La ville fut absoute, et le légat y introduisit de bonnes et louables institutions. Maître Nicolas de Corbie, moine de Cluny, fut consacré évêque de ce lieu.
Le roi, éloignant son armée d'Avignon, s'avança dans la Provence, et toutes les villes, forteresses et châteaux jusqu'à quatre lieues de Toulouse, se rendirent paisiblement à lui. Le roi, nommant en son lieu, pour gouverner tout ce pays, Imbert de Beaujeu, se hâta de revenir en France. Le jour avant la fête de la Toussaint, comme le roi s'en retournait chez lui, il fut saisi d'une maladie mortelle, et le dimanche suivant, à savoir l'octave de la Toussaint, à Montpensier, un Auvergne, l’an du Seigneur 1226, il quitta ce monde pour aller vers le Christ. Il fut pendant tout le temps de sa vie bon catholique et d'une admirable sainteté car il ne souilla jamais sa chair, si ce n'est seulement avec sa femme, unie à lui par un mariage légitime. Là, on dit que fut accomplie la prophétie de Merlin, qui dit : « Le lion pacifique mourra dans le ventre de la montagne ». On n'a pas ouï dire qu'aucun roi avant lui fût jamais mort en ce lieu. Son corps fut transporté par les siens dans l'église de Saint-Denis, en France, et enterré avec honneur auprès de son père, le roi Philippe Auguste.
Testament de Louis VIII, roi des Français.
« Au nom de la sainte et indivisible Trinité, amen. Louis, par la grâce de Dieu, roi des Français, dans le Seigneur, à tous ceux auxquels parviendront les présentes lettres, salut. Voulant pourvoir pour toujours et de toutes les manières à ce que la tranquillité du règne de notre successeur ne puisse un jour être troublée, sain de corps et d'esprit, par la grâce de Dieu, de qui procède tout bien, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1225, mois de juin, nous avons disposé de la manière suivante de toute la terre que nous possédons et de tous nos biens meubles.
« D'abord nous voulons et ordonnons que notre fils, qui nous succédera sur le trône, possède toute la terre qu'a possédée notre très cher père Philippe, de pieuse mémoire, et comme il l'a tenue, et comme nous la tenons en fiefs et domaines, excepté les terres, fiefs et domaines que nous en exceptons par le présent écrit.
« 2. Nous voulons et ordonnons que notre second fils ait toute la terre d'Arras en fiefs et domaines, et toute l'autre terre que nous possédons du côté de notre mère Elisabeth, réservant la dot de sa mère, si elle me survit. Que si notre dit fils qui possédera Arras, mourait sans héritier, nous voulons que toute la terre d'Arras, et les autres terres qu'il aura possédées, reviennent librement et en entier à notre fils, notre successeur en notre royaume.
« 3. Nous voulons aussi, et ordonnons que notre troisième fils possède tout le comté d'Anjou et du Maine en fiefs et domaines avec ses appartenances.
« 4. Nous voulons et ordonnons que notre quatrième fils ait le comté de Poitou et toute l'Auvergne en fiefs et domaines avec toutes leurs appartenances.
« 5. Nous voulons et ordonnons que la terre que tient de nous en don notre très cher et fidèle frère Philippe, comte de Boulogne, retourne à notre successeur, roi de France, si ledit Philippe, comte de Boulogne, vient à mourir sans héritier.
« 6. Nous voulons et ordonnons que notre cinquième fils soit clerc, ainsi que tous les autres qui naîtront après lui.
« 7. Quant aux biens meubles qui sont en notre possession, nous en ordonnons ainsi. Nous donnons à notre fils, qui nous succédera au trône, pour la défense du royaume, tout ce que nous avons dans notre tour de Paris, auprès de Saint-Thomas, en or, en argent et en monnaies.
« 8. Nous voulons et ordonnons que, sur notre mobilier, soient satisfaits ceux à qui nous pourrions avoir fait tort.
« 9. Nous donnons et léguons à notre chère femme, Blanche, illustre reine des Français, trente mille livres.
« 10. Nous léguons et donnons à notre chère fille, Elisabeth, vingt mille livres.
« 11. Nous léguons et donnons à deux cents des maisons du Seigneur, vingt mille livres, c'est-à-dire cent livres à chacune d'elles.
« 12. Nous donnons et léguons à deux mille maisons de lépreux, dix mille livres, c'est-à-dire cent sous à chacune d'elles.
« 13. Nous donnons et léguons, pour célébrer notre anniversaire, à soixante abbayes de l'ordre des Prémontrés, six mille six cents livres, c'est-à-dire soixante livres à chacune '.
« 14. Nous donnons et léguons aussi, pour célébrer notre anniversaire, quatre mille livres à quarante abbayes de l'ordre de Saint-Victor, c'est-à-dire cent livres à chacune d'elles.
« 15. Nous donnons et léguons à l'abbaye de Saint-Victor, pour célébrer notre anniversaire, quatre cents livres.
« 16. Nous donnons et léguons à l'abbaye de Sainte Marie de la Victoire, près de Senlis, mille livres, outre les revenus que nous lui avons donnés.
« 17. Nous donnons et léguons à soixante abbayes de l'ordre de Cîteaux, six mille livres, c'est-à-dire cent livres à chaque abbaye, pour célébrer notre anniversaire.
« 18. Nous donnons et léguons, pour célébrer notre anniversaire, deux mille livres à vingt abbayes de moines de l'ordre de Cîteaux, à savoir cent livres à chaque abbaye.
« 19. Nous donnons et léguons aux orphelins, aux veuves et aux pauvres femmes à marier, trois mille livres,
« 20. Nous donnons et léguons à tous nos serviteurs deux mille livres.
« 21. Nous voulons qu'on observe de toutes manières, ainsi qu'il est contenu plus haut, le partage que nous avons fait entre nos fils, afin que nulle discorde ne se puisse élever entre eux, c'est-à-dire que nous voulons que notre fils qui nous succédera au trône ait et possède tout le royaume de France et toute la terre de Normandie, comme nous la possédions et tenions le jour où nous avons arrêté le présent testament, à l'exception des comtés que nous avons exceptés plus haut, à savoir : le comté d'Arras, le comté d'Anjou et du Maine, et les comtés d'Auvergne et de Poitou, que nous avons partagés à nos autres fils, ainsi qu'il a été statué plus haut.
« 22. En outre nous voulons qu'on vende toutes nos pierres précieuses faisant partie de notre couronne, et les autres, et que du prix qu'on en retirera on construise une nouvelle abbaye de l’ordre de Saint-Victor, en l'honneur de la bienheureuse vierge Marie, et qu'on vende semblablement, pour construire ladite abbaye, tout l'or qui est dans les couronnes, dans les anneaux ou les autres joyaux.
« 23. Nous nommons exécuteurs de notre testament, pour le mobilier, nos aînés et fidèles l'évêque de Chartres, l'évêque de Senlis et l'évêque de Paris, et avec eux l'abbé de Saint-Victor. Que si tous ne peuvent pas assister à son exécution, deux d'entre eux l'exécuteront fidèlement avec l'abbé de Saint-Victor. Que si, après satisfaction de tous ceux à qui nous avons fait tort, et le paiement de nos dettes, nos meubles ne s’utilisaient pas pour acquitter lesdits legs, nous voulons qu'on retranche de ces legs ce qu'on jugera à propos d'en retrancher. »
FIN DE LA VIE DE LOUIS VIII.