Agobard

ANGILBERT

 

POEME SUR LA BATAILLE DE FONTENAY

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

ANGILBERT

 

NOTICE

La bataille de Fontenoy-en-Puisaye eut lieu le 25 juin 841 sur le territoire de l'actuelle commune de Fontenoy (Yonne), au cœur de la Puisaye.

Elle opposa Lothaire Ier, le fils aîné de Louis Ier le Pieux, à ses deux frères, Louis le Germanique et Charles le Chauve. Leur neveu, le roi Pépin II d'Aquitaine, fils de feu Pépin Ier, se rangea du côté de Lothaire.

L’affrontement se termine par une éclatante victoire de Charles le Chauve et de son demi-frère Louis le Germanique.

Cette bataille fut marquée d'une violence extrême, rarement constatée jusqu'alors.

40.000 morts dont Gérard comte d'Auvergne et Ricuin, comte de Nantes (du côté de Charles).

En 1860, le second Empire se souvint de ces lointains ancêtres qui furent à l'origine de la nationalité française. Un monument fut élevé à leur gloire, sur une colline dominant le village de Fontenoy-en-Puisaye.

On peut lire sur l'obélisque : « PRAELIUM AD FONTANETUM DCCCXLI » (Bataille de Fontenay, 841)

Et sur le piédestal :

« ICI FUT LIVRÉE LE 25 JUIN 841

LA BATAILLE DE FONTENOY

ENTRE LES ENFANTS DE LOUIS LE DÉBONNAIRE.

LA VICTOIRE DE CHARLES LE CHAUVE

SÉPARA LA FRANCE DE L'EMPIRE D'OCCIDENT

ET FONDA L'INDÉPENDANCE

DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE »

 

 

 

ANGELBERTUS

VERSUS DE BELLA QUAE FUIT ACTA FONTANETO


Aurora cum primo mane tetram noctem dividit,
Sabbatum non illud fuit, sed Saturni dolium,
De fraterna rupta pace gaudet demon impius.
Bella clamat, hinc et inde pugna gravis oritur,
Frater fratri mortem parat, nepoti avunculus;
Filius nec patri suo exhibet quod meruit.
Caedes nulla peior fuit campo nec in Marcio;
Fracta est lex christianorum sanguinis proluvio,
Unde manus inferorum, gaudet gula Cerberi.
Dextera prepotens dei protexit Hlotharium,
Victor ille manu sua pugnavitque fortiter:
Ceteri si sic pugnassent, mox foret concordia.
Ecce olim velut Iudas salvatorem tradidit,
Sic te, rex, tuique duces tradiderunt gladio;
Esto cautus, ne frauderis agnus lupo previo.
Fontaneto fontem dicunt, villam quoque rustici,
Ubi strages et ruina Francorum de sanguine;
Orrent campi, orrent silvae, orrent ipse pauludes.
Gramem illud ros et ymber nec humectat pluvia,
In quo fortes ceciderunt, proelio doctissimi,
Pater, mater, soror, frater, quos amici fleverant.
Hoc autem scelus peractum, quod descripsi ritmice,
Angilbertus, ego vidi pugnansque cum aliis,
Solus de multis remansi prima frontis acie.
Ima vallis retrospexi, verticemque iugeri
Ubi suos inimicos rex fortis Hlotharius
Expugnabat fugientes usque forum rivuli.
Karoli de parte vero, Hludovici pariter
Albent campi vestimentis mortuorum lineis,
Velut solent in autumno albescere avibus.
Laude pugna non est digna, nec canatur melode,
Oriens, meridianus, Occidens et Aquilo,
Plangant illos qui fuerunt illic casu mortui.
Maledicta dies illa, nec in anni circulo
Numeretur, sed radatur ab omni memoria,
Jubar solis illi desit, aurora crepusculo.
Noxque illa, nox amara, noxque dura nimium,
In qua fortes ceciderunt, proelio doctissimi,
Pater, mater, soror, frater, quos amici fleverant.
O luctum atque lamentum! Nudati sunt mortui.
Horum carnes vultur, corvus, lupus vorant acriter;
Orrent, carent sepulturis, vanum jacet cadaver.
Ploratum et ululatum nec describo amplius:
Unusquisque quantum potest restringatque lacrimae:
Pro illorum animabus deprecemur dominum.
 

POEME SUR LA BATAILLE DE FONTENAY

 

« Quand l'aurore sépara une nuit affreuse des premières lueurs du matin, on vit paraître, non un jour de repos sabbatique (c'était le samedi), mais le fatal météore de Saturne (le samedi est le jour de Saturne). La paix a été rompue entre les frères : un démon sacrilège en tressaillit de joie.

« Le cri de guerre retentit, ici et là le combat terrible commence. Le frère prépare la mort à son frère, l'oncle à son neveu, et le fils à l'égard de son père n'a plus aucune pitié filiale.

« Jamais on ne vit carnage plus grand, non, sur aucun champ de bataille. Des chrétiens ont trouvé la mort dans un fleuve de sang. La troupe de génies infernaux est dans l'allégresse et Cerbère ouvre sa triple gueule.

« La droite si puissante de Dieu a protégé Lothaire. Pour lui, son bras a été vainqueur ; il a vaillamment combattu. Si tous les autres avaient combattu ainsi, on eut bientôt vu la concorde revenir.

« Mais voici ! De même qu'autrefois Judas a livre le Sauveur, ainsi, ô roi, tes propres généraux t'ont livré à l'épée. Sois prudent pour que le loup qui s'avance n'enlève pas l'agneau.

« Fontenay, c'est le nom que les paysans donnent à la source et au village qui ont vu le massacre et la ruine, où a coulé le sang des Francs. Les campagnes en ont horreur, les forêts en ont horreur, les marais en ont horreur.

« Que jamais la rosée ni la pluie ne rafraîchissent la prairie où sont tombés ces braves, si savants dans les combats ! Oh ! qu'on pleure longtemps ceux qui viennent ainsi de mourir !

« Je l'ai vu s'accomplir ce grand forfait que je décris dans mes vers, moi Angilbert, je l'ai vu, combattant avec les autres. Seul de beaucoup de guerriers, j'ai survécu aux premières lignes de l'armée.

« En détournant la tête, j'ai vu le fond de la vallée et la sommet de la montagne, où le roi courageux, Lothaire, pressait ses ennemis et les forçait à la fuite jusqu'au bord du ruisseau.

« Du côté de Charles et aussi du côté de Louis, les campagnes étaient blanches, couvertes de vêtements et de longues lignes de morts, comme elles sont blanches en automne quand les oiseaux s'y reposent.

« Mais cette bataille n'est pas digne de louanges. Il ne faut pas qu'on la chante en musique. L'Orient et l'Occident, le midi et l'aquilon pleureront ceux qui sont venus là recevoir du hasard le coup de la mort.

« Maudit soit ce jour fatal ! Qu'il ne compte plus dans le cercle de l'année ! Qu'il soit rayé de tout souvenir ! Que la clarté du soleil lui manque, et qu'il n'ait point d'aurore à son lever !

« Ah ! nuit affreuse, nuit amère, nuit dure, où demeurèrent gisants les forts, expérimentés aux batailles, que pleurent aujourd'hui tant de pères et de mères, tant de frères et de sœurs, tant d'amis ! »