Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Reverendissimis ac beatissimis domnis et dominis et Patribus sanctis, Adalardo, Wale et Helisacharo. Nuper cum a palatio tempus redeundi nobis jam fuisset indultum, suavissima dilectio vestra sedit et audivit me mussitantem potius quam loquentem contra eos qui querelas Judaeorum astruebant. Cumque audita fuissent a vobis et modificata quae dicebantur altrinsecus, surrexistis, et ego post vos. Vos ingressi estis in conspectu principis: ego steti ante ostium. Post paululum fecistis ut ingrederer. Sed nihil audivi, nisi absolutionem discedendi. Quid tamen vos dixeritis clementissimo principi praefata de causa, qualiterque acceperit, quidve responderit, non audivi. Ad vos postea non accessi, praepediente pudore ignavo, et molestia fatigante me: quae mihi utique accessit, non tam ex involutione rerum, quam ex ignobilitate mentis. Quamobrem recessi turbatus, arripui iter incertus, perveni domum confusus, resedi afflictus. Causas vero hujus afflictionis scriberem. Sed timeo mansuetudini vestrae laborem ingerere. Portitor tamen harum litterarum potest vobis edicere, si patitur longanimitas vestra. Aliqua sane, quae silenda non puto, propter quae mihi et ad fidissi mam paternitatem vestram dirigo, innotesco prudentiae vestrae. Primum, quod summopere mihi necesse est scire, et, ut existimo, etiam omnibus, ut dare dignemini consilium quod divino congruat operi, quid faciendum sit de mancipiis Judaeorum ethnicis, quae illi comparaverunt, et nutriti apud illos, inter nos discunt linguam nostram. Audiunt de fide, vident celebrationes solemnitatum; et per haec compunguntur ad amorem Christianitatis, et desiderant fieri in corpore Ecclesiae, membra Christi; et confugiunt ad Ecclesiam, baptismum postulantes: Utrum videlicet debeamus illis hoc abnegare, an praebere, ubi possumus. De qua re ego quidem talem teneo rationem. Omnem profecto hominem creaturam Dei esse, et in unoquoque homine, quamvis servo, majorem portionem habere Dominum Deum, qui in utero creavit, ad lucem hujus vitae produxit, concessam vitam custodivit, sanitatem servavit, quam illum qui viginti aut triginta solidis datis, fruitur corporis ejus servitio. Nec est qui dubitet quod unusquisque servus, membrorum corporis opera carnali domino debens, mentis religionem soli debeat Creatori. Propter quod omnes sancti praedicatores, socii apostolorum, docentes omnes gentes et baptizantes, non exspectaverunt dominorum carnalium licentiam ut servos baptizarent, quasi non eos oporteret baptizari, nisi eis permittentibus; sed scientes, et praedicantes, quod servi et domini unum habeant Dominum Deum in coelis, omnes baptizaverunt, omnes in uno corpore redegerunt, omnesque fratres et filios Dei esse docuerunt; ita tamen ut unusquisque in quo vocatus est, in hoc permaneret, non studio, sed necessitate, sed et si qui possent liberi fieri magis uterentur. In promptu est etiam ratione colligere, si qui ethnicorum ad Christum fugiunt, et non recolligimus, sed repudiamus propter carnales dominos, esse impium et crudele, cum humanae animae nullus esse possit dominus, nisi conditor. Sed et illud putamus esse considerandum, quia si religiosus imperator adversus gentes quae a Christi nomine alienae sunt arma movet, et victor effectus, subjicit eos Christo et sociat religioni, opus est pietatis et laude dignum; quomodo negligendum est, si inter subjectos tales existant qui desiderent baptismum? Neque hoc dicimus, ut Judaei perdant pretia quae in talibus dederunt; sed quia offerimus pretia secundum statuta priorum; et illi non recipiunt, putantes sibi favere magistratus palatii, et melius illis cupere, quam caeteris qui supradicta asserunt. Haec sunt de quibus precamur vestrum consilium aut jussionem per vos domini imperatoris. Quod utique necesse non esset, si ille, qui magister est Judaeorum, ita attenderet ut vos ei faciendum dixistis. Nam si secundum vestram jussionem ille consideraret fideliter ministerium nostrum, sicut nos ei honorem exhibere volumus in ministerio suo, nulla esset necessitas injuriam facere interrogando, nisi propter augmentum doctrinae. Caeterum de causis Judaeorum non esset ulla contentio aut discordia, si ille rationabiliter agere voluisset. Nunc autem facite nobiscum secundum charitatem quam diffudit Spiritus sanctus in cordibus vestris, et adhibete consolationem servo vestro, quia sub magno timore diversis anxietatibus torqueor. Si enim petentibus baptismum Judaeis aut servis eorum negamus, timeo damnationem divinam; si damus, timeo offensionem humanam, et tam infestas laesiones domus nostrae. De quibus laesionibus et discordiis, quia in his litterulis scribere indignum duxi, parvum breviculum pietati vestrae direxi, per quem cognoscere valeatis quae sint. Neque dignetur felix mansuetudo vestra mihi irasci, quia importunus vobis existo talia flagitando; sed considerate quia causa est Ecclesiae, ratio fidei, et opus divinum. Insuper et mihi omnis fiducia in vestra sanctitate. Et idcirco assumite sanctum laborem propter aeternam retributionem, et adjuvate Ecclesiam nostram, opem ferendo et instituendo, quoniam debitores estis propter multitudinem fiduciae quam habet in vobis.
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« Aux très vénérables et très heureux Seigneurs et Pères Adalard, Vala et Hélisachar. « Lorsque dernièrement il venait de nous être permis de quitter le palais et de nous en retourner, votre très suave affection voulut bien nous entendre exprimant plutôt des murmures que des paroles nettement articulées contre ceux qui se font à la cour les souteneurs des plaintes des juifs à notre égard. Après un échange de quelques mots et de quelques observations de part et d'autre, vous vous levâtes, et moi après vous. Vous entrâtes dans le cabinet de l'empereur; je demeurai debout à la porte. Un instant s'étant écoulé, vous me fîtes entrer, mais je n'entendis aucune autre parole, sinon que je pouvais me retirer. Qu'aviez-vous dit au très clément prince, comment l'avait-il accueilli, qu'avait-il répondu? Je n'en sus absolument rien. Je n'allai pas vous le demander ensuite, par l'effet de la peine que je ressentis et d'une certaine honte qui m'ôta tout courage. Ce qui me retint, ce fut beaucoup moins la difficulté de bien m'expliquer, que la timidité de mon faible cœur. Je repris le chemin de Lyon troublé et plein d'incertitude; j'arrivai chez moi tout confus, et depuis je n'ai cessé d'être dans l'affliction. Je vous écrirais volontiers les causes de mon affliction, si je ne craignais d'importuner votre mansuétude. Le porteur de ma lettre pourra vous les exposer, si votre longanimité y consent. Mais voici un point que je ne saurais passer sous silence ; je me crois obligé de m'en ouvrir à votre très sûre et très prudente paternité. Daignez me donner un conseil d'une nécessité indispensable ; daignez me dire ce que je dois faire, pour accomplir l'œuvre de Dieu, au sujet des esclaves païens achetés par les juifs et nourris auprès d'eux? Vivant parmi nous, ces esclaves apprennent notre langue ; ils entendent parler de notre foi ; ils voient nos fêtes et nos solennités. D'où il arrive qu'ils sont excités à l'amour du christianisme, désirent devenir membres du Christ, et, se réfugiant dans nos églises, demandent le baptême. Devons-nous leur refuser cette grâce, ou bien la leur accorder dès qu'ils peuvent la recevoir ? Pour moi, voici comment je raisonne. Il est certain que tout homme est la créature de Dieu ; il est certain que le créateur qui donne la vie et la conserve à un homme, cet homme fût-il esclave, a plus de droits sur lui que le maître qui a acheté son service corporel vingt ou trente sous. Qui peut en douter ? L'esclave doit le travail de ses membres à son possesseur, mais à son seul créateur il doit la religion de son âme. Les premiers prédicateurs de l'Évangile, les imitateurs des apôtres, ont-ils donc jamais attendu la permission des maîtres pour baptiser les esclaves? Ils savaient et prêchaient que les esclaves et les maîtres n'ont qu'an seul Seigneur dans le ciel, et il les baptisaient les uns et les autres, et ils n'en faisaient qu'un seul corps, et ils leurs apprenaient qu'ils étaient tous fils de Dieu, et entre eux des frères, ajoutant ceci : que chacun devait, non par choix mais par nécessité, rester dans la condition où la foi l'avait trouvé, mais que s'il pouvait récupérer sa liberté, il faisait bien d'user de ce pouvoir. La raison ne dit-elle pas que si des païens viennent au Christ, et que si loin de les recueillir nous les repoussons, à cause de leurs maîtres charnels, c'est une conduite impie et cruelle? Car le vrai Seigneur de l'âme humaine, c'est celui qui l'a créée. Comment ! pendant que le religieux empereur combat les nations étrangères au Christ, pour les lui soumettre par ses victoires et les associer à la famille chrétienne, s'il est parmi ses sujets des infidèles, qui réclament vivement le baptême, il faudra négliger cette œuvre de piété si digne de toute louange ? Ce n'est pas que nous prétendions le moins du monde faire perdre aux juifs le prix de leurs esclaves ; nous le leur offrons suivant les lois anciennement établies; mais ils refusent de le recevoir, parce qu'ils se savent autorisés par les officiers du palais qui sont beaucoup plus favorables à leurs prétentions qu'à nos justes exigences. Voilà sur quoi nous vous demandons conseil, ou bien, par vous, un ordre de l'empereur qui nous donne raison. Si Evrard, qui est ici le magistrat des juifs, se conformait aux instructions que vous lui avez données, je n'aurais pas besoin de vous adresser cette prière. Il n'avait, selon ces instructions, qu'à tenir compte des devoirs de mon ministère, de même que, pour ma part, je suis tout disposé à l'honorer dans ses fonctions, pour empêcher de se produire une requête qui est pour lui une injure, si pour moi elle doit être une source de bonne doctrine. Au reste nous n'aurions eu aucune mésintelligence ni aucun débat au sujet des juifs, s'il avait voulut raisonnablement agir. Maintenant donc usez à mon égard de cette charité que le Saint-Esprit a répandue dans vos cœurs ; accordez-moi consolation et réconfort au milieu des craintes et des anxiétés qui m'assiègent. Car si je refuse aux esclaves des juifs le baptême qu'ils sollicitent, je redoute la damnation divine; si je l'accorde, je redoute la vengeance humaine et toutes les dévastations qu'on fera subir à ma maison. Pensant qu'il eût été peu digne de l'insérer dans cette lettre, je vous envoie à part l'indication sommaire des dommages et des vexations qui m'ont déjà été infligés. Que votre bonté ne s'offense pas de toutes mes importunités, mais veuillez considérer qu'ici ce qui est en cause, c'est l'Église, c'est la foi, c'est l'œuvre de Dieu. Pour ce qui me concerne, en vous est tout mon recours. Chargez-vous donc d'une tâche si sainte en vue de l'éternelle récompense. Aidez mon Église, portez-lui secours, car vous le lui devez pour la confiance sans bornes qu'elle a placée en vous. » Avant de passer outre, un mot d'explication sur l'affranchissement des esclaves chrétiens ne sera pas inutile. — Toute la législation civile et ecclésiastique, depuis Constantin, Théodose, jusqu'à Charlemagne, en passant par le pape saint Grégoire le Grand, défendait aux juifs d'avoir des esclaves chrétiens ; si leurs esclaves infidèles se convertissaient au christianisme, ils devaient être rendus à la liberté, moyennant un prix de rachat égal à ce qu'ils avaient coûté. Les juifs, pour conserver leurs esclaves, avaient donc tout intérêt à empêcher qu'on leur conférât le baptême. Mais saint Agobard ne faisait que de revendiquer le droit toujours en vigueur dans la société chrétienne, en les recevant au baptême et en les affranchissant. Sans doute l'espoir d'être affranchis devait inspirer parfois des conversions suspectes, il en avait toujours été ainsi; mais l'Église paraît à cet inconvénient possible en obligeant ses ministres à n'admettre à la profession du christianisme que des catéchumènes suffisamment instruits et qui donnaient des marques de conviction. L'archevêque de Lyon n'était pas homme à transgresser volontairement cette prescription religieuse qui atteignait sa conscience. Ce que les juifs parvenaient à esquiver, c'était donc bien sans contredit la juste application d'une loi éminemment chrétienne et raisonnable. Les trois personnages auxquels s'était adressé saint Agobard, tous hommes d'église, et d'ailleurs d'une intègre vertu, devaient être parfaitement disposés en faveur de sa réclamation, et sans doute ils la présentèrent à l'empereur ; mais, malgré leur 'haute position, ils n'avaient souvent qu'un crédit fort limité; plus d'une fois même, victimes des cabales qui s'agitaient à la cour, ils subirent pour eux-mêmes de rigoureuses disgrâces. Cette première lettre ne paraissant avoir aucun effet, notre prélat en rédigea une seconde, adressée cette fois à l'un des trois précédents conseillers impériaux et à l'abbé Hilduin, archichapelain du palais, qui, à ce titre, approchait de près le pouvoir. Il y donne de nouveaux détails sur la conduite des juifs, à Lyon, et il redouble de vigueur dans l'exposé des raisons qui rendent de tels abus intolérables à un évêque.
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