Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Virorum praestantissimo atque illustrissimo Matfredo Agobardus in Christo Domino vivificatore ac salvatore nostro vitam et salutem aeternam. Obsecro praecellentissimam claritatem vestram ut patienter et clementer audire dignetur quae fidelis suggerit servulus: quia, teste Deo qui serutatur corda et renes, non alia intentione dico, nisi propter profectum prosperitatis vestrae praesentis pariter et futurae. Omnipotens, sempiternus, et misericors Deus, apud quem nihil praeteritum, nihil futurum est, sed omnia volumina saeculorum quae apud mortales et temporales volvuntur, intemporaliter apud eum praesentia permanent, elegit vos ante mundi constitutionem futurum nostris periculosis temporibus ministrum imperatoris et imperii, et prae caeteris honorificavit et ditavit, non solum exterius, verum etiam interius, prudentia videlicet, justitia, fortitudine et temperantia, quibus secundum Scripturas nihil utilius est in vita hominis; constituitque vos in latere rerum summam regentis; quatenus et in dispositione aequitatis illi essetis suffragator, et in remuneratione beatitudinis particeps. Nunc igitur quid potissimum expedit devotissimae intentioni vestrae, nisi ut omni conamine omnique mentis adnisu, ita in dispositionem rerum sagacissime vigiletis, ut opprimatur iniquitas, destruatur fraus et dolus, dissipetur pravitas, conteratur crudelitas, erigatur justitia, consoletur humilitas, roboretur fides, serenetur Ecclesia? Noverit namque prudentia vestra, in istis regionibus, quibus nos vicini sumus, in tantam securitatem venisse impietatem, ut pene nullus inveniatur qui justitiam diligat ab injustitiaque recedat, nisi cujus divina inspiratio mentem tangit et deducit voluntatem; ita ut gratuitum putetur, ubicunque bonitatis vestigia conspiciuntur. Quievit timor regum et legum in maltis; adeo ut plerique in praesenti neminem timendum putent, reputantes apud semetipsos, et dicentes in cordibus suis: Si querela de me ad palatium venerit, causa ad causidicos dirigetur. Illic inveniam parentes vel amicos plures, per quos indubitanter fiet ut regalem offensionem nullam incurram, quia donum absconditum exstinguet iras, et is qui timendus est, aliis interpositis, non videbit insipientias nostras. Talibus, vir eximie, occasionibus totum pene illud miserabili aevo nostro viguit, quod suo tempore Christianos quidem evasisse gloriabatur, apud paganos vero vehementius effervescere martyr beatus Cyprianus lugubri nimis ac moerenti voce deflebat : Inter leges, inquiens, ipsas delinquitur, inter jura peccatur: innocentia nec illic ubi defenditur reservatur. Quis inter haec vero subveniat? Patronus? Sed praevaricatur, et decipit. Judex? Sed sententiam vendit: qui sedet crimina vindicaturus, admittit; et ut reus innocens pereat, fit nocens judex. Nullus de legibus metus: de quaestore, de judice pavor nullus: quod potest redimi, non timetur admitti. Consensere peccatis jura, et coepit licitum esse quod publicum est. Quis illic rerum pudor, quae esse possit integritas; ubi qui damnant improbos desunt, soli tibi qui damnentur occurrunt? Quodque sine periculo dicere nequeo, multi talium putant vos esse murum inter se et imperatorem, per quem defendantur a correctione. Quin potius, praestantissime virorum, date operam ut sitis murus in augmento felicitatum, qui noxios expugnet, innocentes tueatur, Deo congruat, ab inimico discrepet, supernam remunerationem accumulet. Et licit satis ex verbis praecedentibus animi nostri clarescat intentio; ut tamen absque ulla dubitatione sciatis me non proprias querelas deplorare, cognoscat prudens benignitas vestra, haec a me dici non posse adversum comitem nostrum Bertmundum: quippe qui bene satis habeat ordinatum de justitiis comitatum suum; eo quod talem virum pro se constituerit ad haec peragenda, qui non solum propter amorem et timorem senioris sui id strenue gerat, verum etiam, quod sublimius et laudabilius est, propter amorem Dei et amorem ipsius aequitatis et justitiae, ita ut videatur nobis in his partibus nusquam fieri tam diligenter et attente. Sed prorsus haec omnia dicimus propter fidem quam sub Deo, domino etiam imperatori debemus, et pro vestra beatitudine aeterna, et praesentis vitae felicitate adipiscenda. Quoniam, ut ipsi non ambigitis, tanta familiaritas, quam apud dominum imperatorem obtinere vos Deus fecit, pro magno vobis talento spiritali ab ipso omnipotenti Domino computabitur; et desideramus ut tam strenue illud impendatis, ut merito audire mereamini a Domino in judicio ejus: Euge, serve bone et fidelis, quia super pauca fuisti fidelis, et caetera: avertatur autem a vobis illa dura et irrevocabilis improperatio, quae in negligentes redundatura est, Domino dicente: Serve male et piger, sciebas quia meto ubi non seminavi, et congrego ubi non sparsi, et caetera. Sed neque nominatim personas exprimere debeo, quibus emendatione multa opus est, ne accusator videar, quod non est officii mei; sed cupio vos ita esse sollicitum, sicut studiosissimum Dei ministrum, et consentaneum boni imperatoris adjutorem, qui ab utroque Domino dignus et fidelis inventus, merito utriusque recompensationem percipiat.
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« Au plus illustre et plus magnifique des hommes, Madfred, Agobard souhaite en Dieu notre sauveur et vivificateur la vie et le salut éternel. « C'est Dieu qui vous a prédestiné de toute éternité pour être, en ces temps difficiles, un ministre de l'empereur et de l'empire, et qui pour cela vous a comblé, au-dessus de tous, des plus riches dons tant de l'extérieur que de l'intérieur, savoir la prudence, la justice, la force, la modération, qui sont les grands biens de la vie humaine, selon nos Écritures. Oui, c'est Dieu qui vous a établi aux côtés même de celui qui tient en main la direction suprême de cet État, afin que vous l'aidiez à gouverner avec équité et que vous méritiez avec lui la même récompense. Maintenant donc, vers quoi se porte avant tout l'intention dévouée qui vous anime, sinon à déployer tous vos efforts, toute votre sagacité, toute votre vigilance pour tout régler de telle sorte que l'iniquité soit réprimée, que la fraude soit abolie, que la perversité soit vaincue, que la cruauté soit châtiée, que la justice soit triomphante, que la faiblesse soit assistée, que la foi prenne de la force et que l'Église retrouve la sérénité. Votre sagesse ne dédaignera pas de l'apprendre, dans les contrées qui nous avoisinent, on se laisse aller à une vie impie avec une telle sécurité, que nul, pour ainsi dire, ne fait le bien et ne s'éloigne du mal, à moins que, par une sorte de miracle, la grâce divine ne se charge seule de toucher l'esprit et de conduire la volonté : aussi peut-on dire que si l'on voit encore quelques traces de bonnes actions il faut le regarder comme un don tout gratuit du ciel. Toute crainte des rois et des lois s'est effacée du cœur du plus grand nombre. La plupart s'imaginent aujourd'hui qu'il n'est personne à redouter, car ils se disent à eux-mêmes : S'il est porté plainte contre moi au palais, l'affaire sera remise entre les mains des rapporteurs. Je ne manquerai pus de parents et d'amis qui sauront sans aucun doute détourner de moi tout ce qui pourrait m'attirer l'animadversion royale; un présent fait en secret éteindra les colères, et, grâce à ceux qui s'interposeront, celui de qui j'aurais quelque peine à craindre ne verra rien de mes méchancetés. « Nous en sommes vraiment, dans notre âge misérable, à cet excès de désordre dont le glorieux martyr saint Cyprien louait les chrétiens d'être sortis, mais qu'il voyait s'aggraver parmi les païens, quand il s'écriait tristement : C'est au milieu même des lois que pénètrent les délits; c'est à la source de la justice qu'est l'iniquité. Ce n'est pas l'innocence qui peut y trouver accès pour être défendue : qui donc viendrait à son secours? Celui qui doit en être le patron? Mais il est prévaricateur et il trompe. Le juge? Mais il vend la sentence. Celui qui est assis pour venger les crimes? Il les commet. Pour que l'innocent accusé succombe, le juge se fait coupable. Aucune crainte, ni des lois, ni du questeur, ni du juge : pourquoi craindre de commettre les crimes qu'on peut racheter? — Il semble que les fautes sont de droit ; à force d'être publiquement pratiqué, le mal devient permis. Pourquoi respecter quoi que ce soit et à quoi bon l'intégrité, lorsqu'il n'y a personne pour condamner les méchants et que vous ne rencontrez que des gens qui méritent d'être condamnés? Voilà où nous en sommes, et ce que je ne saurais dire sans être grandement téméraire, c'est qu'il en est un grand nombre, de ces hommes pervers, qui vous regardent vous-même comme une sorte de rempart entre eux et l'empereur, par où ils se flattent d'échapper à la correction. Homme excellent, efforcez-vous donc de vous montrer au contraire le rempart de la félicité publique, en maintenant les méchants à distance et en couvrant de votre protection les gens de bien... Quoique tout ce que je viens de dire vous indique assez le but que je me suis proposé, néanmoins, pour que vous ne puissiez douter que je n'ai nullement en vue de vous adresser des plaintes qui me soient personnelles, que votre prudente bonté sache bien que je n'ai aucun reproche à faire à notre gouverneur, le comte Bertemond, qui est parvenu à faire régner la justice d'une manière fort satisfaisante dans son comté. Car celui qu'il a établi pour s'en occuper sous lui, est un homme qui s'en acquitte vaillamment, non-seulement par amour ou par crainte de son supérieur, mais, ce qui est plus louable, par amour de Dieu et de sa justice, de telle façon que jamais peut-être nous n'avons vu déployer ici tant de vigilance et de zèle. Si nous vous disons tout cela, c'est à cause de la fidélité qu'au nom de Dieu, nous devons à l'empereur, et par le désir que nous avons de vous voir mériter les prospérités de la vie présente et la béatitude de la vie future. C'est un talent de grande valeur dont Dieu vous a confié le dépôt et dont il vous demandera compte, n'en doutez-pas, que cette confiance et cette familiarité dont il vous fait jouir auprès de l'empereur. Nous souhaitons que vous fassiez un si excellent usage de ce talent qu'un jour il vous soit dit: Bien! bon et fidèle serviteur! Euge, serve bone et fidelis! et que jamais vous n'entendiez le reproche fait au ministre négligent : Serviteur méchant et paresseux! Serve, male et piger! — Je dois bien me garder de vous désigner nominativement les personnes qui auraient grand besoin d'une bonne correction, de peur de paraître me porter pour accusateur, ce qui ne convient nullement à ma condition; mais je vous exprime mon ardent désir de voir en vous toute la sollicitude qui convient à un zélé serviteur de Dieu, à un aide dévoué de notre empereur qui est bon, afin qu'ayant dignement servi votre Maître du ciel et votre Maître de la terre, vous receviez de l'un et de l'autre une juste récompense. »
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