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 AGATHANGE

 

HISTOIRE DU RÈGNE DE TIRIDATE

 

ET DE LA PRÉDICATION DE SAINT GRÉGOIRE L’ILLUMINATEUR.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

AGATHANGE.

 INTRODUCTION.

Agathange, historien du quatrième siècle de notre ère, qui ouvre la série des annalistes arméniens dont les écrits nous sont parvenus, emplissait auprès du roi Tiridate II (Dertad) les fonctions de secrétaire. Les détails de la vie de ce personnage nous sont complètement inconnus. Cet écrivain est différent d’un autre Agathange, fils de Callistrate, dont parlent Léon Allatius et Fabricius. Les anciens écrivains de l’Arménie, comme Zénob de Glag et Moïse de Khorène, représentent Agathange comme un historien « sincère et très véridique », et Lazare de Pharbe lui décerne le titre « d’homme bienheureux ». Agathange, dans la préface de son Histoire, nous apprend qu’il était né à Rome, où lissait étudié les lettres grecques et latines; mais cette préface, qui se trouve seulement dans deux manuscrits arméniens, passe pour être apocryphe, et il serait téméraire de faire fond sur un document aussi peu certain, n’existant point dans la traduction grecque, plus complète à certains égards que le texte arménien.

Le nom d’Agathange, Ἀγαθάγγελος, nous donne à penser que le personnage qui le portait était un Grec, vraisemblablement originaire des contrées occidentales de l’Arménie, situées sur la frontière des possessions byzantines en Asie. Toutefois ce nom, dont les Arméniens ont parfaitement connu le sens, puisqu’ils en donnent l’équivalant dans leur idiome, pari-hretchdag, « bon ange », paraît dire une traduction de l’appellation perse Οἰβάρας, mentionnée par quelques écrivains de l’antiquité, notamment par Ctésias, Nicolas de Damas, et par l’abréviateur de l’histoire de Trogue-Pompée, sous une forme un peu altérée, Sœbarès. Nicolas de Damas dit en effet : Ὁ γὰρ Οἰβάρας δύναται ἑλλάδι γλώσσῃ Ἀγαθάγγελος. Dans les additions qu’il a jointes à son édition de la Vie de César par Nicolas de Damas, M. Alfred Didot rapporte l’opinion d’Eugène Burnouf sur l’origine du nom d’Οἰβάρας, où le savant indianiste a reconnu le mot rend hubdra, signifiant « celui qui apporte le bien, le porte-bonheur. »

L’histoire qui nous est parvenue sous le nom d’Agathange nous a été conservée dans les deux langues arménienne et grecque. Il est aujourd’hui démontré que le texte arménien a servi de prototype à la version grecque. Mgr Sukiaz de Somal avait d’abord formulé cette opinion avec réserve, et les savants Mékhitaristes vénitiens l’exprimèrent plus tard d’une façon formelle, dans la préface de l’édition italienne de l’Histoire d’Agathange, qui parut à Saint Lazare, sous le nom de M. Tomasseo. Les doctes religieux ont reconnu en effet que le texte arménien d’Agathange est conçu dans l’idiome le plus pur, et qu’il ne contient aucune trace d’hellénisme, tandis qu’au contraire le texte grec présente des différences sensibles avec l’arménien, et paraît en être la version due à un traducteur qui n’aurait pas toujours rendu avec fidélité le sens du document qu’il avait sous les yeux. L’opinion des savants Mékhitaristes, en ce qui concerne les deux textes de l’Histoire d’Agathange qui nous sont parvenus, est à l’abri de toute critique. Mais ce point établi ne constitue qu’un côté de la question; et, après avoir fait une étude approfondie des deux textes arménien et grec qui nous ont été conservés, nous avons cru découvrir que ces deux rédactions ne sont pas l’œuvre originale d’Agathange et qu’elles ont dû être précédées d’un texte plus ancien qui a disparu aujourd’hui. Ce qui nous fait supposer l’existence d’une première rédaction de l’Histoire du secrétaire de Tiridate, c’est la présence, dans les deux textes bilingues que nous possédons, d’une notable quantité d’interpolations, indiquant un remaniement général de l’œuvre d’Agathange, et la mention de personnages historiques qui ont vécu un siècle et demi après l’époque où florissait notre auteur. En outre, dans les deux rédactions qui nous sont parvenues sous le nom d’Agathange, le secrétaire de Tiridate se sert d’expressions tellement peu en rapport avec le respect dû à la majesté du roi d’Arménie, qu’il n’est pas possible d’admettre qu’un historien chargé par son souverain d’enregistrer tous les actes de sa vie, ait pu rédiger une biographie aussi peut édifiante de son maître, avant sa conversion au christianisme. Enfin, il est impossible d’admettre qu’Agathange ait pu dire qu’il fut témoin oculaire des événements et des prodiges qu’il raconte, et qu’il soit l’auteur de cette longue digression renfermant toute l’exposition de la doctrine de S. Grégoire l’Illuminateur, qui n’a dû être coordonnée et rédigée dans les termes qui nous ont été transmis, qu’à une époque où la foi chrétienne avait jeté déjà de profondes racines dans l’Arménie.

Toutes ces raisons nous autorisent donc à supposer que les textes bilingues de l’Histoire d’Agathange que nous possédons actuellement sont l’œuvre d’un écrivain chrétien postérieur, qui aura fait subir à l’ouvrage original du secrétaire de Tiridate une transformation complète. En effet, l’Histoire d’Agathange, telle que nous la lisons aujourd’hui dans les textes arménien et grec, est bien plutôt l’œuvre d’une hagiographe, qui a voulu retracer le martyre de S. Grégoire, celui de sainte Hripsimè et de ses compagnes, qu’une histoire particulière du premier roi chrétien de la Grande Arménie. Au surplus, les doutes que nous émettons sur l’authenticité de l’Histoire d’Agathange avaient déjà été énoncés par le cardinal Baronius, et par les PP. Papebrock et Stilting, dans les Acta Sanctorum, qui firent de grandes réserves touchant l’authenticité des faits rapportés par le secrétaire de Tiridate.

Il est fort difficile, dans l’état actuel de nos connaissances, de se faire une idée bien nette des raisons qui firent préférer par les Arméniens le texte remanié d’Agathange à la composition originale de l’auteur. Pour ce qui est de l’époque de la seconde rédaction, il semble qu’elle a dû être entreprise au commencement du cinquième siècle, c’est-à-dire au moment où la littérature arménienne acquit les développements considérables dus au zèle des saints traducteurs. En effet, au commencement du quatrième siècle, un des premiers annalistes arméniens, Zénob de Glag, dont l’Histoire fut d’abord écrite en syriaque, eut sous les yeux le texte original du livre d’Agathange, différent de celui qui nous est parvenu, comme on peut s’en convaincre en comparant le passage où cet historien renvoie au livre du secrétaire de Tiridate, passage qu’on chercherait vainement dans les deux textes que nous possédons.

On ne saurait induire du témoignage de Lazare de Pharbe, écrivain du cinquième siècle qui, au commencement de son Histoire, parle assez longuement de celle d’Agathange, si cet annaliste a eu sous les yeux le texte original du secrétaire de Tiridate ou bien la seconde rédaction. Cependant nous sommes disposé à croire que déjà, du temps de Lazare, le texte primitif d’Agathange avait disparu, car il semble faire allusion plutôt à la seconde rédaction qu’au texte original, puisqu’il désigne l’histoire de Tiridate sous le nom de « Livre de S. Grégoire », ce qui impliquerait déjà l’existence de l’écrit hagiographique qui nous a été transmis sous le nom d’Agathange.

Moïse de Khorène, qui vivait au commencement du cinquième siècle, paraît n’avoir également connu que la seconde rédaction d’Agathange. En effet, les cinq passages de son Histoire où il renvoie au livre de cet annaliste se trouvent exactement mentionnés dans la double rédaction, arménienne et grecque, de l’œuvre du secrétaire de Tiridate.

On ne peut donc plus avoir de doutes sur l’existence d’une rédaction originale du livre d’Agathange qui a disparu et a été remplacée, environ un siècle et demi plus tard, par une seconde rédaction très différente de la première, où l’élément historique a fait place à toute une série de légendes rédigées après coup par un hagiographe anonyme. Au surplus, l’existence de deux textes différents de l’Histoire d’Agathange n’a rien qui doive nous surprendre, car le même fait s’est produit également pour l’histoire du syrien Zénob de Glag, écrivain contemporain du secrétaire du premier roi chrétien de la Grande Arménie.

A partir du cinquième siècle, les écrivains arméniens qui ont fait usage du livre d’Agathange n’ont eu très certainement à leur disposition que la seconde rédaction; et, bien que les mentions très abrégées qu’ils font de cette Histoire ne nous permettent pas, en ce qui les concerne, de trancher la question d’une manière absolue, toutefois il semble fort naturel de croire que les panégyristes, que Jean Catholicos et qu’Étienne Orbélian par exemple, ne connurent pas l’Histoire originale d’Agathange.

L’histoire qui nous est parvenue sous le nom d’Agathange a toujours joui chez les Arméniens d’une très grande réputation, car ils la considèrent comme le plus ancien monument de leurs annales nationales. Telle que nous la possédons actuellement, l’Histoire d’Agathange s’est vulgarisée chez les Grecs, qui la firent entrer dans leurs Ménologes, chez les Egyptiens, les Arabes et les Chaldéens. La première édition grecque de l’Histoire du secrétaire de Tiridate, ou plutôt la seconde rédaction due à un hagiographe anonyme, est celle d’Agapius. Ensuite vient l’édition du P. Stilting, qui s’est servi du plus ancien manuscrit connu, appartenant à la bibliothèque des Médicis de Florence, copié par le P. Papebrock, et qui est bien préférable à celui donné dans le Paradisius d’Agapius. Le P. Stilting a donné également, à la suite du texte grec d’Agathange, une Vie abrégée de S. Grégoire, en latin, qui paraît avoir été rédigée au douzième siècle, d’après l’original grec, et qui se trouve à Rome, dans la bibliothèque Barberini.

Le texte arménien d’Agathange a été plusieurs fois réimprimé; la première édition parut à Constantinople en 1709, et fut réimprimée dans la même ville en 1824. Le manuscrit dont se servirent les éditeurs fut copié à Amid, et appartient aujourd’hui à la bibliothèque du monastère de S. Lazare de Venise. La troisième édition est celle des Mékhitaristes de Venise, qui parut en 1835 et qui a été réimprimée en 1862. Des sept manuscrits dont les savants religieux se servirent pour donner leur édition, celui de la Bibliothèque impériale de Paris fut préféré, comme étant le texte dont la rédaction paraissait la plus parfaite. L’édition de Venise, quoique infiniment plus soignée que celle de Constantinople, pourra cependant être améliorée par la suite, lorsqu’il sera permis de transcrire le précieux palimpseste conservé dans la bibliothèque du monastère des Mékhitaristes de Vienne, et qui est sans contredit le texte le plus ancien que l’on connaisse de l’Histoire d’Agathange, en arménien.

L’œuvre originale d’Agathange, retouchée par l’hagiographe anonyme, a servi de prétexte à une foule de biographies de S. Grégoire et des SS. Hripsimè et Gaïanè, qu’on rencontre principalement dans les Panégyriques, dans les Martyrologes et dans d’autres écrits appartenant la littérature religieuse de l’Arménie. Un prêtre de cette nation, Jacques Balthazarian, traduisit en beaucoup de ces compositions, qui offrent un caractère plutôt religieux qu’historique. Son travail existe à Rome, dans les Archives des Jésuites, et à Naples, dans celles du couvent de S. Grégoire l’Arménien.

C’est principalement en Italie qu’a été imprimée le plus souvent la Biographie de S. Grégoire l’Illuminateur, d’après le texte du Paradisius. Dès l’année 1576, Blaise Acciaiuolo composa en italien une Vie de l’apôtre de l’Arménie, qu’il dédia à Lucrèce Caracciolo, abbesse du monastère de S. Grégoire. En 1630, Dominique Gravina, de l’ordre des frères prêcheurs, publia également une Vie du même apôtre. En 1636, Ange Volpe de Montepeloso, frère mineur, écrivit en italien une Vie de S. Grégoire qui fut imprimée à Naples. Enfin, en 1717, Antoine-Marie Bonacci publia à Rome, en italien, une vie de l’Illuminateur de l’Arménie.

La traduction latine, mise en regard du texte grec donné par le P. Stilting, fut, durant de longues années, la seule version qui existât de l’Histoire d’Agathange. En 1841, les savants religieux de S. Lazare de Venise traduisirent en italien le texte arménien d’Agathange, dans la Collection des historiens arméniens, confiée aux soins de M. Tomasseo. La partie dogmatique du livre fut supprimée avec intention dans cette édition, comme n’appartenant pas directement aux faits purement historiques, que les éditeurs avaient principalement en vue de faire connaître au monde savant.

Telle que nous la possédons aujourd’hui, l’Histoire d’Agathange, qui s’étend depuis l’an 226 à l’an 330 de notre ère, se compose de trois parties comprenant: 1° l’histoire et le martyre de S. Grégoire, des SS. Hripsimè et Gaïanè et de leurs compagnes, y compris la délivrance de l’apôtre de l’Arménie; 2° la doctrine de S. Grégoire; 3° enfin, l’histoire de la conversion de l’Arménie, qui se termine par le récit du voyage du roi Tiridate et de S. Grégoire à Rome, et de leur visite à l’empereur Constantin le Grand et au pape S. Sylvestre.

L’édition que nous publions aujourd’hui comprend [le texte grec et la version latine, donnés par le P. Stilting, ainsi que] la traduction française inédite du texte arménien de l’histoire d’Agathange, faite sur l’édition de Venise. Nous avons fait précéder notre version d’une traduction de la préface arménienne attribuée à Agathange, qui figure en tête de l’édition des Mékhitaristes. Si nous avons cru devoir faire des suppressions dans plusieurs endroits de l’Histoire du secrétaire de Tiridate, c’est afin d’éviter des longueurs qui n’ont aucun intérêt historique. Toutefois les coupures ne portent que sur les passages purement religieux, parce que les questions qui y sont traitées eussent été déplacées dans une collection qui est destinée à faire connaître spécialement les productions profanes du génie grec et les faits relatifs à l’histoire de l’antiquité. Afin de rendre notre publication aussi complète que possible, nous avons joint au livre d’Agathange un fragment d’une Histoire d’Arménie attribuée à cet écrivain par un annaliste du septième siècle, Sébéos, évêque de la satrapie des Mamigoniens, dont l’unique manuscrit découvert, il y a quelques années, dans la bibliothèque d’Edchmiadzin, a été signalé à l’attention des savants par M. Brosset, et dont le texte a été publié à Constantinople par M. Thaddée Mihrtadian. Cette Histoire de Sébéos n’a pas encore été traduite en français, mais il en existe une version russe, publiée par les soins et sous le patronage de l’Académie impériale des sciences de S. Pétersbourg.

Nous n’avons pas cru devoir joindre à l’ouvrage d’Agathange la Lettre d’alliance de Tiridate et de Constantin, qui est comme un complément de ce livre, parce que ce document est apocryphe, et qu’il est démontré que c’est l’œuvre d’un écrivain du douzième ou du treizième siècle. Au surplus, cette composition n’a aucun caractère historique, et appartient spécialement à la littérature religieuse de l’Arménie.

NOTE ADDITIONNELLE.

Le P. Sukias Baron, Mékhitariste, chargé de la rédaction du catalogue des manuscrits arméniens de la Bibliothèque impériale de Paris, a découvert dans le manuscrit, ancien fonds, n°51, que le texte arménien d’Agathange qui nous est parvenu est une traduction faite sur une version grecque par un écrivain du septième siècle, Eznig le prêtre, auteur différent de Eznig de Goghp, qui vivait au cinquième siècle. Eznig a entrepris, à ce qu’il paraît, sa traduction à l’occasion de la première invention des reliques de sainte Hripsimè, sous le patriarcat de Gomnidas (cf. Sébéos, Histoire d’Héraclius en arm., ch. 35, p. 139; Cple, 1851, in 8°), qui a composé une hymne sur cette vierge et ses compagnes (Storia di Agatangelo, Venise, 1843, in 8°, p. 209-222, traduction italienne de Louis Carrer). — Mes doutes sur l’authenticité des textes arménien et grec d’Agathange qui nous sont parvenus sont donc parfaitement justifiés, puisque nous avons la preuve actuellement que l’Histoire de Tiridate, attribuée jusqu’à présent au secrétaire de ce prince, est l’œuvre d’un hagiographe dont le travail a été mis en lumière au septième siècle seulement, par Eznig le prêtre, à l’occasion de la découverte du corps de sainte Hripsimè.


 

HISTOIRE DU RÈGNE DE TIRIDATE

ET DE LA PRÉDICATION DE SAINT GRÉGOIRE L’ILLUMINATEUR.

Préface attribuée à Agathange[1]

(Traduction faite sur le texte arménien.)

L’ardent désir des navigateurs est d’arriver heureusement au port; c’est pourquoi ils s’efforcent, dans leur avidité pour les richesses et le gain, de combattre les caprices des flots, des tempêtes et des ouragans. Au moment propice, ils se réunissent plusieurs, et, à force de rames, ils dirigent ces coursiers de bois et de fer; ils s’encouragent tour à tour, et, le cœur rempli d’incertitude et de crainte, ils marchent sur la plaine d’azur, sans que leurs pieds fassent un mouvement, et ils volent sur la surface des eaux agitées. Les vagues furieuses se relèvent comme des montagnes, et puis s’abaissent peu à peu, comme David le chante sur sa harpe : « Elles s’élèvent et s’amoncellent; elles s’abaissent et s’aplanissent. »[2] Enfin, à l’abri de l’agitation des flots, ils se hâtent d’arriver dans leur pays; là, ils racontent à leurs proches, à leurs voisins, les vicissitudes cruelles de leur voyage, leur ballottement continuel sur les flots inconstants, en vue de recueillir quelque gain, car, en exposant leur vie et en la disputant à la mort, leur but est de s’enrichir. Et, bien que les vagues soulevées par un vent impétueux prennent diverses couleurs, semblables aux agitations de la jeunesse; et que, blanchies d’écume, elles se repoussent pour s’avancer ensuite sur le sable du rivage, cependant les matelots, en arrivant au port, sourient de leur frayeur.

Ceux-là aussi, qui mesurent la profondeur de l’abîme, tantôt uni, tantôt s’affaissant avec fracas, tremblent devant le danger, en se voyant ainsi suspendus sur les eaux; mais, en songeant à la possibilité du succès, ils s’efforcent de résister à la fureur de la mer en courroux, et se disent :

« Quand nous serons de retour avec nos richesses, nous montrerons avec joie à nos parents et à nos voisins le prix de nos labeurs. » Ils veulent s’affranchir du nom de pauvres et délivrer les leurs de la tyrannie des princes qui les accablent d’impôts; [ils veulent] leur donner de quoi satisfaire leurs obligations et les débarrasser du joug de la servitude; enfin [ils veulent] devenir les bienfaiteurs de leurs voisins, avoir un nom respecté de leurs ennemis, et faire la joie de tous ceux qui leur sont chers. Pour cela, ils déclarent une guerre terrible à l’immensité de la mer, en vue de trouver la sécurité de leur existence, lorsque, loin des abîmes écumants, ils seront à l’abri dans le port. Contraints ainsi par le danger de leur profonde misère, ils ont hâte de satisfaire à la loi du devoir, peut-être pour racheter leurs personnes et s’exonérer de leurs charges; peut-être aussi se sont-ils endettés, et veulent-ils obtenir un double gain, afin de désintéresser les exacteurs et de se procurer quelques ressources.

Il s’en trouve aussi beaucoup qui, à cause de semblables malheurs, s’adonnent à la profession pénible du négoce. Il y en a qui emploient leurs richesses au profit de leur pays, [ou bien] pour orner la personne des rois de perles précieuses, de pierreries et d’étoffes de diverses couleurs. Ils sont aussi utiles aux pauvres et vendent à bas prix les marchandises; et, avec de nouvelles et merveilleuses découvertes, ils font avancer la civilisation. Ils pourvoient aux besoins de l’humanité par un bien-être nécessaire; ils nourrissent beaucoup de monde; ils garnissent les maisons des médecins d’aromates odorants et de racines efficaces; ils donnent des vêtements aux gens nécessiteux, et de la célébrité aux provinces. Ils mesurent la longueur de l’espace, eux qui sont voyageurs dans l’univers; ils apportent avec eux la joie avec ses bienfaits. A d’autres, ils donnent la force; au monde, la puissance; ils rassasient ceux qui ont faim; ils désaltèrent ceux qui ont soif, et ils comblent les riches de trésors. Cependant, sous le coup de la violence, ils parviennent à se sauver de la détresse, et assurent aux autres le bien-être. Leur industrie habituelle les rend familiers et agréables. Ces voyages continuels au moyen desquels on met à profit les sommes les plus minimes, ils les augmentent à l’infini. Pour cela, ils pénètrent avec ardeur dans la vaste mer, non pas suivant leur volonté, mais suivant l’impulsion du vent qui, en soufflant, les pousse et les repousse sur l’immensité des eaux, à la recherche du gain, entre la vie et la mort.

Il est une nécessité analogue, plus grande même encore, qui force l’homme à naviguer sur la mer de la science; car il n’y a personne qui puisse s’imposer un travail aussi fatiguant, s’il n’y est sollicité par l’ordre impérieux d’un homme tout-puissant. Et quel est donc celui qui se plaît à mesurer la profondeur des abîmes de la mer? Dans ces longs voyages, on ne cherche qu’à se procurer quelque profit. Ainsi, pour nous, ce n’est pas une orgueilleuse résolution qui nous pousse à entreprendre témérairement ce travail; mais nous sommes contraints malgré nous, par les ordres formels des princes, à naviguer sur la mer des lettres. Un ordre royal a forcé le pauvre fonds de notre intelligence à payer l’impôt, à consigner dans la forme historique les vicissitudes arrivées de nos jours. A ceux qui viendront après nous, nous laissons cependant l’immense travail de confier avec ordre, à la mémoire, les événements accomplis dans le cours des siècles. Ce n’est pas non plus de notre plein gré que nous nous mettons à ce travail,[3] mais, ne pouvant pas nous opposer à un commandement royal, nous raconterons les choses de notre mieux.

Prêtons-nous donc à ce commerce des traditions, abordons le péril mortel, et présentons la série des événements politiques que nous avons minutieusement recherchés et examinés, suivant l’ordre des temps et conformément au commandement que nous avons reçu. Quant à l’excellence des événements spirituels qui sont les véritables richesses de ceux qui aiment Dieu, nous les offrons comme des perles précieuses, perles fines, brillant d’une rare beauté, n’ayant ni taches ni défauts dans leur pure blancheur, pour orner les couronnes des monarques, ou bien, comme les perles précieuses de l’inde, pour garnir le bandeau royal. Certes, elles ne sont pas trouvées facilement même par les souverains; mais on les découvre avec beaucoup de dépenses, à la suite de longs voyages et de grandes fatigues. Aussi la splendeur des pierreries de ces hommes spirituels, mises en vente par nous, n’orne pas seulement la tête du roi en présence des autres, mais elle embellit, elle élève, elle satisfait, elle console chacun en particulier. Ces parures donnent aux princes la majesté, comme le diadème de la couronne aux bandeaux resplendissants; et en même temps elles enrichissent le pauvre, elles le délivrent, l’arrachent de son fumier, et le rendent illustre à l’égal [des rois]. Elles comblent les nations de bénédictions et l’année de douceur,[4] elles remplissent les indigents d’une céleste abondance; elles offrent le repos à ceux qui sont fatigués, et à tous les maux un remède efficace; elles peuvent guérir sans le secours des racines et des aromates, donner aux villes la prospérité par les faveurs du Seigneur, et obtenir par leurs prières la grandeur de la nation. Ils indiquent le bonheur de s’élever jusqu’à Dieu, par les voies célestes, eux qui sont les voyageurs du royaume de Dieu. Ce sont eux qui, pleins de zèle pour le Seigneur, moururent et passèrent à la vraie vie, en léguant au monde leurs noms et leurs mérites, ils sont la vie et le salut de ceux qui sont appauvris par le péché; ils sont les trésors cachés de la richesse du roi céleste. Ils réjouissent par leur foi ceux qui, comme Adam, ont perdu le vêtement de la lumière. Ils rassasient ceux que le péché de l’ignorance a affamés, et ils désaltèrent ceux qui ont soif à la coupe de la vérité, ils présentent en abondance le trésor céleste à ceux qui en ont le plus besoin, puisqu’ils ouvrent à tous les portes de la miséricorde de J.-C. Et pour cela, ils aimèrent leur Seigneur, et ils furent aimés de lui; ils intercèdent et ils obtiennent pour tous les faveurs dont ils ont besoin. C’est par leur entremise que Dieu accorde de telles paroles et une si grande prospérité, non seulement aux âmes, mais encore aux corps, pour que la divine miséricorde descende sur eux et distribue au monde une indulgente piété. Pour cela, naviguant sur la mer orageuse du monde pécheur, ils surmontèrent le danger, combattirent contre les flots et arrivèrent au port tranquille du céleste nocher. Ils offrirent une couronne de gloire au roi de la lumière, à l’abri des orages du mal, aussitôt qu’ils furent parvenus à la cité, prêts pour la joie éternelle, ornés de pierres précieuses et couronnés de perles d’une splendeur spirituelle; après qu’ils eurent abandonné leur propre vie à ceux qui les martyrisaient, pour se procurer la richesse qui ne passe pas; portant hautement, solidement et entièrement la prospérité humaine sur le navire de la foi.

Et quel prix pourrait égaler une telle récompense? Un seul pourrait l’égaler d’une manière parfaite: la volonté du cœur, en se confiant avec foi et amour aux oracles. Aussitôt la brillante et précieuse perle, attachée à la bonne volonté, y restera fixée comme un joyau. Baisse la tête, et tu auras sur le champ une couronne spirituelle qui t’ornera beaucoup plus que des pierres précieuses. Aspire au banquet royal, et tu goûteras aussitôt la saveur des mets. Aie seulement soif d’amour, et la source de vie te désaltérera entièrement. Lave-toi de tes souillures, et aussitôt tu seras paré d’un vêtement plus éclatant que la fleur du lis.

C’est pourquoi, voulant entrer dans la profondeur du discours historique, je dis à ceux qui voudront écouter attentivement cette utile narration : L’ordre m’en a été donné, à moi Agathange, originaire de la grande ville de Rome, instruit dans la science des anciens, ayant appris les lettres romaines et grecques, et n’ignorant pas l’art d’écrire en abrégé. Ainsi, étant arrivé dans le royaume des Arsacides, au temps du brave, du vertueux, du fort, du belliqueux Tiridate (Dertad), qui surpassa en valeur tous ses ancêtres, qui déploya une vigueur d’athlète et fit des entreprises de géant, il nous a imposé de raconter, non pas ses hauts faits, ni des fictions ou des fables embellies par des récits exagérés et mensongers, mais les épisodes des diverses expéditions, les événements des temps de troubles et de guerres, de dire tout le sang répandu, les armées massacrées, les révoltes militaires, les incursions, la ruine des provinces, la chute des villes, la prise des bourgs, la lutte des hommes, leur héroïsme et leurs vengeances. Cet ordre m’a été donné par le grand roi Tiridate, en vue de raconter d’après la succession des temps, d’abord les exploits de son père Chosroès (Khosrov), les guerres heureuses à l’époque des troubles du royaume et de la confusion des peuples, puis la mort du valeureux Chosroès, qui en fut la cause; comment s’accomplit cet événement et ce qui en advint; la valeur dont hérita Tiridate, et tout ce qu’il fit durant son règne; de quel endroit et comment arrivèrent les martyres aimées de Dieu, qui brillèrent presque du même éclat que des flambeaux, pour dissiper les sombres nuages qui obscurcissaient l’Arménie; comment elles donnèrent leur vie pour la vérité de Dieu; comment le Seigneur eut pitié de l’Arménie, en la visitant et en opérant, par le moyen d’un homme, tant de miracles; avec quelle patience et par quel triomphe celui-ci souffrit tant d’épreuves pour le Christ; ses tourments dans la fosse ses combats comme un lutteur de profession dans la ville d’Artaxate (Ardaschad); comment il mérita le nom de martyr; comment on le crut mort, et son retour à la vie par la volonté de Dieu; les soins qu’il prit de l’Arménie; comment il devint le messager de la doctrine du Christ et de la bonté divine, après le châtiment miraculeux; comment Tiridate bienfaisant, en embrassant une vie inespérée, devint bon pour tous, et, par la grâce divine, le fils de sa patrie régénérée, en jouissant de la véritable existence.

Ainsi donc, comme nous l’avons dit, nous allons écrire, non pas d’après les renseignements puisés à d’anciennes traditions, mais après avoir vu nous-mêmes, de nos propres yeux, les personnages; après avoir été témoin des vicissitudes spirituelles et de la lumineuse et glorieuse doctrine placée au-dessus de toutes les autres, à laquelle le roi soumettait tout son peuple, au joug imposé par Dieu; ou plutôt, ce n’était pas lui, mais bien la volonté du Christ tout-puissant. Quand ils travaillèrent à renverser les édifices et à fonder les saintes églises, ils l’érigèrent ensuite (S. Grégoire l’Illuminateur), comme pasteur de l’Eglise, et ils jouirent de sa doctrine. Lorsque Tiridate retourna au pays des Romains, au temps du pieux Constantin, empereur (roi) des Grecs et des Romains, il entra avec lui en relations de foi, revint avec de riches présents, au comble de l’allégresse, et consacra à Dieu beaucoup de temples. Nous raconterons toutes ces circonstances avec ordre et en détail; nous donnerons la doctrine du saint, qui fut trouvé digne d’être élevé au siège épiscopal, d’avoir le titre de patriarche, lui, le grand défenseur de la vertu. Nous dirons aussi ce qu’il était, de qui il fut fils, et comment il avait mérité de faire le bien qu’il avait reçu par la grâce de Dieu. Je monterai donc le coursier de l’esprit, je parcourrai le champ de l’intelligence, je viserai au but de la pensée, je voguerai avec le bras de la mémoire et je m’avancerai bravement avec le calam.[5] J’exprimerai par mes paroles, mes pensées, et je ferai sortir de mes lèvres les vérités de la science. Puis, me dirigeant avec force, je tournerai rapidement la roue de ces narrations historiques, et, de bon cœur, je naviguerai sur les eaux de la mer des âges. Car, ayant consulté les documents écrits de ma patrie, il faut que je dise par ordre comment fut prêché l’Evangile du Verbe de vie donné par Dieu à la race de Thorgom[6] dans l’Arménie; comment et par qui les Arméniens l’ont reçu, et quel est celui qui apparut comblé des grâces divines. Quelle fut aussi la lumineuse doctrine et la vie angélique, remplie de vertu, d’une noble patience et de la grâce du très fort champion, du confesseur du Christ et du martyr de la vérité; et combien Dieu accorda de prospérité, de paix, d’abondance, de fertilité et de santé, grâce à ses prières. Comment, par son amour pour Dieu et par la force que le Christ lui avait accordée, les vains cultes tombèrent et se brisèrent, et la religion divine se répandit sur toute l’Arménie. Comment, ayant construit des églises dans tout le pays, ayant démoli les temples de la vanité, dans lesquels se trouvaient accumulées les erreurs de la fausse religion des anciens; l’inutile adoration des pierres et du bois; la stupide invocation des fantômes, lorsqu’ils étaient ivres de mensonge et des impuretés de l’idolâtrie, et que, semblables à la lie, ils tombaient dans les abîmes de l’Océan du mal. C’est alors que le juste S. Grégoire, étant devenu le prédicateur et le maître de toute l’Arménie, enseigna à ne pas s’arrêter dans les sentiers des péchés de ce monde semblable à la mer, et qu’étant entré dans le port sûr et tranquille de la vie du Père, il y prépara leur demeure.

Or, nous, ayant traversé d’un vol rapide les tourbillons profonds, les ondes immenses toujours agitées, qui coulent avec la fureur de torrents déchainés; ayant parcouru les cités, les îles et les pays lointains; ayant trouvé des marchandises en grande quantité et des objets d’un grand prix, très ornés et procurant d’immenses bénéfices, nous les avons apportés au lieu sûr de votre profit. Hâtons-nous d’ouvrir les dépôts de nos marchandises; vendons aux auditeurs le fruit de nos pénibles recherches; captivons leur attention et offrons notre histoire, surtout d’après ton ordre, très puissant Tiridate, roi de la Grande Arménie! afin que la prospérité du pays, qui est le produit de cette vente, et que le fruit de nos fatigantes navigations, viennent s’ajouter à ton trésor.


 

AGATHANGE.

HISTOIRE DE TIRIDATE LE GRAND ET DE LA PRÉDICATION DE SAINT GRÉGOIRE L’ILLUMINATEUR.

(Traduction de l’arménien.)

CHAPITRE I.[7]

Lorsque[8] le royaume des Parthes penchait vers sa ruine, Ardaschir, fils de Sassan,[9] satrape de la province de Sdabr,[10] tua Artaban (Ardavan), fils de Vologèse (Vagharsch),[11] et lui ravit le pouvoir. Puis il attira dans son parti les armées perses, qui abandonnèrent et repoussèrent avec mépris la souveraineté des Parthes, et ils choisirent d’un commun accord Ardaschir, fils de Sassan, pour leur souverain. Chosroès (Khosrov),[12] roi des Arméniens, apprit la nouvelle de la mort d’Artaban.[13] Chosroès occupait le deuxième rang dans la monarchie perse (car le roi d’Arménie était considéré comme le second).[14] Bien qu’il eût connu sans tarder cette nouvelle, il ne put faire aucun préparatif de guerre. Il rentra donc dans son pays, plongé dans une tristesse profonde, sans avoir pu prévenir ces événements et y porter remède.

[§ 10.] Mais,[15] au commencement de l’année suivante, Chosroès, roi d’Arménie, fit une levée de soldats. Il réunit les armées des Aghouank et des Géorgiens, ouvrit la porte des Alains[16] et leur[17] défilé, et en fit sortir les Hum pour attaquer les frontières de la Perse. Il dévasta la contrée d’Assyrie jusqu’aux portes de Ctésiphon (Dispon); il saccagea et livra au fer et au feu les villes populeuses et les bourgs florissants, il ruina le pays et le laissa sans habitants. Il ne cherchait qu’à tout détruire; il abattait les villes jusque dans leurs fondements et prétendait même changer les lois de la monarchie perse. Il avait juré de venger sa race, qui avait été privée de ce royaume. Se fiant sur le nombre de ses soldats, et espérant beaucoup de leur valeur, il s’enorgueillissait et brûlait de haine et du désir de se venger. Il lui arriva donc rapidement comme auxiliaires les nombreuses et braves cohortes de cavalerie bien armée des Aghouank, des Lepin, des Djgheb, des Gasp,[18] avec beaucoup d’autres de ces contrées, pour venger le sang d’Artaban. Il était si affligé que les Perses, ayant abandonné ses parents, se fussent soumis comme vassaux à la nouvelle domination des Sdahr (Perses), qu’il envoya également une ambassade à ces mêmes parents, pour qu’ils s’assemblassent avec le concours des belliqueuses populations et des courageux soldats des Kouschans[19] et d’au-delà, et de leurs propres sujets. Mais ses parents, les chefs des familles et les principaux d’entre les Parthes, ne l’écoutèrent pas, parce qu’ils étaient déjà soumis à Ardaschir et satisfaits d’être ses sujets, plutôt que de le devenir de leur compatriote et de leur parent.[20]

[§ 11.] Cependant Chosroès rassembla la multitude de ses soldats et tous ceux qui étaient arrivés de différents côtés pour le secourir à la guerre. Quand le roi des Perses vit cette masse fondre sur lui avec tant d’impétuosité, il s’avança aussi contre elle en déployant toutes ses forces. Mais, comme il ne put leur opposer d’obstacle, il se mit à fuir. Les autres le poursuivirent et mirent en déroute toute l’armée des Perses, qui couvrit la campagne et les chemins de cadavres épars de tous côtés; puis ils dispersèrent tous ceux que le fer épargna. Le roi des Arméniens, après cet exploit meurtrier, retourna joyeux en Arménie, dans la ville de Vagharschabad,[21] située dans la province d’Ararat, ayant remporté la victoire et ramassé un butin considérable.[22] Il ordonna qu’on expédiât des messagers et qu’on écrivit des lettres en différents lieux, pour adresser des actions de grâces aux divinités dans les Temples des Sept autels.[23] Il gratifia les localités de la race arsacide consacrées au culte national d’offrandes de taureaux blancs et de chèvres blanches, de chevaux et de mulets blancs, d’ornements d’or et d’argent avec des franges éclatantes, de tissus de soie, ornés de guirlandes et de festons, de couronnes d’or et d’ornements d’argent, de magnifiques vases d’argent et d’or enrichis de pierreries, de vêtements splendides et de superbes parures. Il y ajouta en outre la cinquième part du butin qu’il avait enlevé, et fit de grandes largesses aux prêtres. Il en fit également aux soldats qui l’avaient accompagné, et ensuite il les congédia.

CHAPITRE II.

[§ 12.] Au commencement de l’année suivante, Chosroès rassembla une armée considérable, la partagea en cohortes, et, outre ses soldats, il en leva beaucoup d’autres et les envoya dans les contrées de l’Assyrie et même chez les Arabes (Dadjik)[24] qui s’étaient armés pour prêter leur concours. Ils dévastèrent tout le pays et revinrent triomphants. Si bien que, ravageant sans relâche pendant dix ans, ils ruinèrent tout le pays placé sous la dépendance du roi des Perses. Celui-ci, voyant tous ces désastres, en fut accablé, abattu et troublé, et il ne savait quel parti prendre. Il fit venir près de lui tous les rois et les gouverneurs, les satrapes et les généraux, les chefs et les princes de son royaume, pour tenir conseil avec eux. Il les conjura tous de s’efforcer à trouver quelque moyen de défense. « Si on trouve un moyen, disait-il, je vous promets une grande récompense; si on découvre, disait-il encore, quelqu’un qui puisse me venger et calmer ma colère, je lui donnerai le second rang dans mon empire et il n’aura au-dessus de lui que le trône. S’il est ou d’un rang élevé ou d’une condition inférieure, je le récompenserai par les plus grands honneurs.

[§ 13.] Alors un de ceux qui assistaient au conseil, et qui était un des principaux gouverneurs de l’empire des Parthes, nommé Anag, se leva, et, se tenant au milieu de l’assemblée, il promit à son maître de le venger de sa famille comme de ses propres ennemis. Le roi se tourna vers lui et lui dit: « Si tu te charges de ma vengeance de toute ton ardeur, je t’accorde de nouveau le pays de Pahlav[25] comme patrimoine de ta famille;[26] je te décore d’une couronne, je te comble d’honneurs et de gloire durant tout mon règne, et tu seras le second après moi.[27] » —« Prends soin des miens, répliqua le Parthe, car aujourd’hui même, accompagné de mon frère, je prends congé de toi. » Alors le Parthe, ayant fait tous ses préparatifs, s’en alla avec son frère, ses serviteurs, leurs femmes et leurs enfants et avec toute sa suite, du côté de l’Arménie, comme s’il émigrait et s’il se révoltait contre le roi des Perses, et il vint se présenter au roi Chosroès,[28] [§ 14.] dans la province d’Oudi, dans la ville de Khaghkhagh,[29] où se trouvait le palais d’hiver du roi d’Arménie.[30] Ce qu’ayant entendu, le roi d’Arménie s’en réjouit; il vint à sa rencontre et l’accueillit avec une joie extrême, surtout lorsqu’Anag commença à lui parler par feinte, et lui expliqua les secrètes intentions de son arrivée.

Je suis venu vers toi, dit-il, pour que nous nous vengions ensemble de notre ennemi commun. Le roi, le voyant arriver avec toute sa famille, le crut sincère; il lui accorda des honneurs comme à un souverain et lui donna le second rang dans son royaume. Tout le temps des jours rigoureux et glacés de l’hiver se passa ainsi dans la joie. Lorsqu’arrivèrent ensuite les jours qui ouvrent les portes du printemps et que tempèrent le souffle des zéphyrs, le roi quitta cette région, et descendit avec les siens à la ville de Vagharschabad, dans la province d’Ararat. Tandis que, là, il se reposait dans la joie, il lui vint à l’esprit de lever des troupes avec lesquelles il résolut de parcourir et de ravager de nouveau les domaines des Perses. Le Parthe, ayant appris cette résolution, se souvint de l’engagement qu’il avait contracté envers le roi des Perses, et se rappela aussi les promesses qu’il lui avait faites. Aussi, désirant recouvrer son propre pays appelé Pahlav, [§ 15.] il médita un projet criminel. Ayant pris à l’écart le roi et son propre frère, comme pour faire une promenade et s’entretenir d’affaires secrètes, ils se munirent d’épées tranchantes. Tout à coup ils tirèrent leurs armes et en frappèrent le roi.[31] Aussitôt la nouvelle de cet assassinat se répandit partout; la foule et les lamentations allèrent en grossissant; mais les meurtriers, durant ce temps, étant montés sur leurs chevaux, prirent la fuite. Les satrapes de l’armée arménienne, ayant appris leur fuite, se partagèrent en différentes troupes et les poursuivirent. Les uns coururent au pont même qui mène à la ville d’Ardaschad,[32] parce que le fleuve Araxe était gonflé jusqu’au bord de ses rives, et ses eaux étaient troublées et grossies par la fonte des neiges et des glaces. Les autres, ayant franchi le pont de la ville de Vagharschabad, appelé pont de Medzamor,[33] coururent aussi à l’extrémité du pont d’Ardaschad, et, ayant cerné les fugitifs dans un étroit passage, ils les précipitèrent du pont de Dapher[34] dans le fleuve. Ensuite ils s’en retournèrent en poussant des cris de douleur, et tout le pays de concert pleurait son roi. Celui-ci, avant de rendre le dernier soupir, ordonna qu’on exterminât toute la famille [de son assassin]. Alors on commença à faire un grand carnage, et on n’épargna ni les hommes mûrs, ni l’âge qui ne sait pas encore distinguer la main droite de la gauche.[35] Les femmes mêmes tombèrent sous le fer; deux petits enfants, arrachés par leurs nourrices au massacre des fils du Parthe, échappèrent seuls à la mort. L’un fut conduit en Perse et l’autre en Grèce.[36]

CHAPITRE III.

[§ 16] Or il advint que le roi des Perses, ayant appris ces événements, se livra à la joie;[37] il y eut des danses et une fête de triomphe, et il accomplit les vœux nombreux qu’il avait faits aux Temples du Feu. Il enrôla des soldats, entra en campagne, lança des partis armés dans le royaume d’Arménie et enleva des hommes et des chevaux, des vieillards et des enfants, des jeunes filles et des jeunes gens.[38] Cependant un des fils de Chosroès roi des Arméniens, qui était encore en bas âge et qui s’appelait Tiridate (Dertad), échappa aux envahisseurs, car ses gouverneurs[39] s’enfuirent avec lui à la cour de l’empereur du pays des Grecs. Ensuite le roi de Perse, étant venu en Arménie, s’empara du pays et lui imposa son nom. Il mit en fuite les troupes grecques, les repoussa jusqu’à leurs frontières,[40] fit creuser des fossés pour marquer leurs limites,[41] et nomma Porte du fossé l’endroit qui s’appelait auparavant Ojdz.[42] Il emmena avec lui le reste des habitants, et s’empara du pays. Pendant ce temps, Tiridate vint chez un comte appelé Licinius (Ligianès)[43] et trouva chez lui la nourriture et l’instruction.

[§ 17.] Cependant le fils du Parthe, qui s’était réfugié en Grèce, grandit et étudia à Césarée, ville de Cappadoce, et sa gouvernante[44] l’élevait sans cesse dans la crainte du Christ. Avant été instruit dans les doctrines de la foi chrétienne, l’Ecriture-Sainte lui devint familière, et il grandit dans la crainte de Dieu. Son nom était Grégoire. Lorsqu’il eut appris par sa gouvernante l’acte commis par son père, il s’en alla vers le roi Tiridate[45] avec la libre volonté de le servir.[46] Toutefois il se cachait, ne voulait pas faire savoir de qui il était fils, et il refusait de dire d’où et comment il était venu. S’étant consacré au service du roi, il lui était soumis entièrement. Dans ce temps-là, l’Eglise de Dieu était persécutée par le prince des Grecs.[47] Tiridate, s’étant aperçu que Grégoire appartenait au culte chrétien, commença à lui faire des reproches et des menaces et le mit souvent en prison, couvert de chaînes, pour qu’il abandonnât le culte du Christ et qu’il lui obéit, en adorant de fausses et impures divinités.

[§ 18.] A cette époque le prince des Goths[48] rassembla des soldats, et, ayant réuni une armée considérable, déclara la guerre au prince des Grecs.[49] Il lui envoya des ambassadeurs pour lui dire: « Pourquoi mettons-nous tant de gens en campagne, tant d’hommes hors de combat, et ruinons-nous le pays en y jetant la consternation? Me voici seul, loin de mes cohortes et marchant contre toi. Avance-toi de ton côté, et trouvons-nous ensemble en champ clos. Si je triomphe, les Grecs resteront soumis à sua domination; si au contraire tu es victorieux, nous serons soumis à tes lois pour la vie, et, au lieu de répandre du sang, nous ne songerons qu’au bien général. » Ayant entendu ces paroles, le roi des Grecs fut effrayé, puisque son adversaire ne voulait pas livrer de bataille rangée et qu’il refusait de consentir aux propositions de l’ambassade, n’étant pas d’une complexion vigoureuse. Aussi, saisi de terreur, il ne savait que répondre. A ce moment l’empereur ordonna d’expédier des messagers et des décrets aux princes et aux officiers de son empire, pour qu’ils se hâtassent de venir le trouver. Tous les princes, les troupes et les satrapes arrivèrent sans retard. Licinius se hâta de rejoindre également le camp du roi avec son armée.

[§ 19.] Tandis que les corps d’armée étaient en marche, accompagnés de Tiridate, il arriva qu’ils entrèrent dans un chemin resserré par des haies de vignes et des blés, près des portes de la ville[50] qui, à cette heure de la nuit, étaient fermées. Ne trouvant pas à ce moment des fourrages pour les chevaux de l’armée, on découvrit, dans une étable à bœufs, une grande quantité de foin amoncelé; mais personne ne pouvait arriver jusqu’â la hauteur de l’enceinte. Tiridate, y étant monté et y ayant pénétré ensuite, jetait aux soldats botte par botte, jusqu’à ce qu’ils en eussent leur suffisance; puis il lança également au milieu de l’armée les gardiens du grenier et même les ânes,[51] et franchit ensuite la muraille.[52] Licinius, voyant cette force extraordinaire, en fut étonné. Le matin, comme le jour paraissait, on ouvrit les portes de la ville et toutes les troupes y entrèrent. Licinius se présenta au roi,[53] avec tous les grands, les généraux, les capitaines et les princes.

[§ 20.] Le roi lui fit part de la proposition du roi des Goths. Licinius lui répondit: « Que mon seigneur soit sans aucune inquiétude; il y a à sa porte un homme capable de lui résister; c’est Tiridate qui descend des rois du pays d’Arménie. Et il se mit à raconter l’acte audacieux de la nuit précédente. Le roi ordonna aussitôt qu’on amenât Tiridate en sa présence, et lui fit part du défi qu’on lui avait jeté. On fit ensuite tous les préparatifs pour la rencontre qui devait avoir lieu le jour suivant. Le lendemain, à l’aube [du jour], le roi ordonna qu’on revêtit Tiridate de la pourpre et des ornements royaux. Ils lui mirent l’emblème de la dignité souveraine, et comme personne ne le connaissait, le bruit courut que c’était l’empereur lui-même. Il traversa la masse des troupes, et, accourant au bruit de la trompette, il arriva en face des ennemis. Le roi des Goths et le prétendu empereur s’avancèrent, en aiguillonnant les flancs de leurs coursiers, et se heurtèrent. Tiridate, triomphant, saisit le roi et le conduisit en face de l’empereur.[54]

[§ 21.] Alors ce prince le combla d’honneurs, lui fit de riches présents, lui ceignit la tête du diadème, lui donna la pourpre et le décora des ornements impériaux.[55] Il lui confia une armée nombreuse pour son service, et le renvoya dans sa patrie, en Arménie. Après avoir remporté cette victoire, Tiridate, roi de la Grande Arménie, prit la route de la Grèce. Arrivé dans ce pays, il rencontra beaucoup de soldats perses qui avaient soumis le pays à leur domination. Il en tua un grand nombre, et mit le reste en fuite en les repoussant jusqu’aux frontières des Perses. Tiridate reconquit le domaine de ses pères, et étendit sa puissance jusqu’aux confins de son empire.[56]

V.

La première année de son règne dans la Grande Arménie, Tiridate se rendit dans la province d’Acilicène (Eghéghiatz)[57] au village d’Erez,[58] dans le temple d’Anahid,[59] pour y faire des sacrifices. Ayant rempli cet indigne ministère, il descendit et campa sur la rive du fleuve Lycus (Kaïl).[60] Étant entré dans sa tente et s’étant mis à table, au moment où tout le monde se préparait à boire, le roi donna l’ordre à Grégoire (Krikor) de faire à l’autel d’Anahid une offrande de couronnes et d’épais rameaux. Mais celui-ci refusa de rendre aucun hommage aux divinités.

[§ 22.] Alors le roi commença à parler à Grégoire en ces termes : « Tu es étranger et ignoré parmi nous; comment oses-tu donc adorer un Dieu que je n’adore pas? » Ensuite il ordonna de le mettre en prison durant tout le jour. Le lendemain, il commanda qu’on amenât Grégoire en sa présence. Le roi lui parla alors de cette manière : « Il y a déjà tant d’années que je te connais, tu m’as toujours servi fidèlement; j’ai toujours été satisfait de tes services, et mon intention était de t’accorder la vie (des faveurs). Pourquoi donc refuses-tu d’exécuter ma volonté? » Grégoire lui répondit: « Dieu a commandé que les serviteurs obéissent à leurs maîtres sur la terre, et tu conviens que je t’ai servi de tout mon pouvoir. Mais le respect et le service que l’on doit à Dieu, on ne peut les accorder à aucun autre, parce que lui seul est le Créateur du ciel et de la terre, des anges qui glorifient sa majesté, des hommes qui sont son ouvrage et qui doivent l’adorer et accomplir sa volonté, et de tout ce qui est dans la mer et sur la terre. » Le roi répliqua: « Sache que tu as rendu inutile le mérite de tes services auxquels je rends témoignage. Donc, au lieu de faveurs que tu avais méritées, je multiplierai tes disgrâces; au lieu d’honneurs, je te couvrirai de honte; tu n’auras plus ni charges, ni dignités, mais je te donnerai la prison, des chaînes et une mort terrible, si tu refuses de rendre un culte aux divinités, et surtout à la noble darne Anahid, la gloire et la vie de notre nation,[61] qui a été honorée par tous les rois et en particulier par le roi des Grecs; car elle est mère de toute science, bienfaitrice du genre humain, et fille du grand et fort Aramazd. »[62]

 [§ 23.] Grégoire reprit: « Je t’ai obéi autant qu’il était en moi, je n’ai pas perdu le mérite de mes services, puisque le Seigneur a prescrit d’obéir aux maîtres de la terre. Donc c’est Dieu qui récompense lui-même les services. Je n’attendais aucune récompense de toi, mais de mon Créateur de qui dépendent tous les êtres visibles et invisibles. Quant à ce que tu me dis, que tu multiplieras mes disgrâces au lieu de doubler mes faveurs, en me privant de cette vie, tu augmentes la joie qui m’a été préparée par le Christ, dont la félicité est éternelle, dont le règne n’a pas de fin et dont les joies ne diminuent point. Si, au lieu d’honneurs, tu m’accables de ton mépris, tu m’accordes par là la splendeur des anges, adorateurs bienheureux de leur Créateur. Et pour ce qui est de me menacer de la prison et des chaînes, au lieu de m’élever en dignité, tu me rends heureux, car de cette manière, je ressemblerai à mon Seigneur par ses liens et je me réjouirai avec lui le jour de son avènement. En me chassant de ta table, tu me prépares une place au banquet d’Abraham, père des croyants et de tous les justes qui jouiront du royaume de Dieu. Me menaces-tu de la mort? voici que tu me fais entrer dans le chœur du Christ, où sont tous ceux qui ont été appelés, les patriarches, les justes, les prophètes, les apôtres, les martyrs et tous les élus. Tu me menaces de m’enlever par la mort l’espérance de la vie, parce qu’en vérité tu n’as point d’espérance. Ne sais-tu pas que l’espérance de ceux qui adorent Dieu se raffermit? Tous ceux qui, comme toi, adorent des dieux muets, et les ouvrages inanimés faits par la main des hommes, désespèrent véritablement de la vraie vie de Dieu....

[§ 24.]. « Quant à la noble dame Anahid que tu appelles Grande-Déesse, il y eut peut-être jadis une femme de ce nom, à qui des hommes, au moyen d’enchantements idolâtriques et de fantômes représentant différentes figures de démons, imaginèrent de faire élever des temples et des statues, pour les adorer. Ces simulacres n’ont pas de vie; ils ne peuvent faire ni le bien ni le mal, ils ne peuvent honorer leurs ministres, ni punir ceux qui les outragent. Il n’y a qu’un esprit aveugle qui puisse adorer les dieux que vous honorez. »

CHAPITRE IV.

VI.

[§ 28.] Le roi prit la parole et dit : « Combien de fois t’ai-je averti et ordonné de ne puis répéter en ma présence ces fables que tu as trouvées et apprises, et qu’il ne t’appartient pas de me raconter? Je t’ai ménagé à cause de tes services et parce que j’espérais que tu reviendrais au vrai culte, en adorant les divinités dont tu offenses de nouveau l’honneur. Tu invoques un autre Créateur inutile, et tu outrages ceux qui sont vraiment créateurs, même la grande Anahid qui vivifie et protège l’Arménie. Tu en fais de même pour le grand et fort Aramazd, créateur du ciel et de la terre. Nos autres divinités, tu les appelles muettes et insensées. Dans ton arrogance, tu nous as outragés, en nous appelant chevaux et mulets. Or, puisque tu as accumulé tant d’offenses, en nous comparant même à des animaux, je te livrerai aux tourments, je mettrai un frein à ta langue, afin que tu saches que ce sont les paroles que tu as osé répéter devant moi qui en sont cause. Je t’ai fait un grand honneur en daignant parler avec toi, et tu m’as répondu comme à un égal. »

[§ 29.] Et il ordonna qu’on lui attachât les mains derrière le dos, qu’on lui mit un mors dans la bouche, une grande quantité de sel sur le dos, qu’on lui liât la poitrine; et, au, moyen d’une corde attachée aux mains et aux pieds, qu’on le hissât avec une machine, à l’endroit le plus élevé des murs du palais. Il resta ainsi lié très-étroitement pendant sept jours. Après ce temps, le roi ordonna qu’on le délivrât de ses liens cruels et qu’on l’amenât devant lui. Il commença à lui parler ainsi : « Comment as-tu pu souffrir, supporter, résister et vivre jusqu’à aujourd’hui? as-tu senti au moins que, comme un âne et un mulet, tu as véritablement porté ta charge et que tu es resté courbé dessous? C’est parce que tu as osé insulter nos Dieux, en disant qu’ils étaient insensibles, qu’ils t’ont infligé ce châtiment. Maintenant, si tu ne veux pas rendre un culte aux idoles, si tu continues à les outrager, tu endureras des tourments encore plus cruels … »

VII.

[§ 30.] Alors le roi commanda qu’on le suspendit par un pied la tête en bas; que, dans cette position, on brûlât sous lui du fumier et qu’on le frappât fortement avec des verges mouillées. D’après l’ordre du roi, dix hommes le martyrisèrent, et il resta ainsi suspendu durant sept jours

CHAPITRE V.

VIII.

[§ 47.] Et il commanda qu’on apportât des entraves de bois, pour les lui mettre aux os des jambes et qu’on les serrât avec de fortes cordes qui faisaient couler le sang à l’extrémité inférieure de ses doigts de pieds. Alors le roi lui dit : « Ne ressens-tu aucune douleur? » Il répondit en ces termes: « La force m’est donnée, puisque j’ai prié le Créateur de l’univers, l’architecte et le constructeur de toutes les choses visibles et invisibles. » Le roi alors ordonna qu’on lui ôtât ses liens, et, ayant fait apporter des coins de fer, on les lui enfonça dans la plante des pieds. Ensuite on le prit par la main et on le faisait courir çà et là d’un côté à l’autre. Le sang coulait de ses pieds et arrosait la terre en abondance.

 [§ 48.] Le roi dit alors : « Maintenant frappez-le, pour que de ses larmes il ressente de l’allégresse. » Et ils lui donnèrent des coups sur la tête et le frappèrent cruellement. Le roi lui demanda alors : « Est-ce de l’allégresse ? » — Il lui répondit : « Sans doute, car, si le laboureur ne suait pas sous l’ardeur brûlante du soleil, il n’aurait pas la joie de jouir du fruit de son labeur durant le repos de l’hiver. » Le roi reprit ensuite: « Tu vas aussi travailler dans la position terrible où tu te trouves. » Et il fit apporter du sel, du nitre et du vinaigre, le fit coucher à terre, le visage tourné en l’air, la tête serrée dans un étau de menuisier, et lui fit mettre un roseau dans les narines pour lui faire absorber ce mélange. Puis il fit apporter des sacs faits de peaux de brebis remplis des cendres d’un brasier, pas assez remplis pour qu’il ne pût respirer, mais suffisamment pour que la cendre, lui montant au cerveau, pût le tourmenter. On les lui mit sur la tête, et on lui serra l’ouverture du sac autour du cou; il resta ainsi pendant six jours.

IX.

[§ 49.] ….. Et le roi, s’irritant de plus en plus, lui fit lier les pieds avec des courroies, et le fit suspendre la tête en bas; il lui fit mettre un entonnoir à l’anus, et, avec des outres, il lui fit verser de l’eau dans les entrailles …….

X.

[§ 50.] Et il ordonna qu’on lui déchirât les flancs avec des crochets de fer, jusqu’à ce que le sol fût arrosé de son sang ……………. Puis il commanda qu’on apportât des clous et des crochets de fer dans beaucoup de paniers, qu’on les dispersât par terre très rapprochés, et, après avoir enlevé à Grégoire ses vêtements, on le jeta dessus. On lui perça tous les membres, on le traîna, on l’ensevelit presque dans les pointes de fer, et on le roula de telle sorte qu’il ne resta plus une seule partie de son corps qui ne fût couverte de blessures ……….

 [§ 51.] ………Et le roi ordonna, qu’après lui avoir mis des cercles de fer aux genoux, on le frappât avec des marteaux, et qu’on le suspendit jusqu’à ce qu’on lui eût brisé les genoux. Et il demeura ainsi suspendu pendant trois jours. Le quatrième jour, il ordonna qu’on l’amenât en sa présence …………….

[§ 53.] ……….Et il ordonna qu’on fit fondre du plomb dans des chaudières de fer; et, quand il fut bouillant et liquide comme de l’eau, on le répandit sur lui. Tout son corps fut couvert de brûlures. Mais Grégoire n’en mourut pas et il résista avec un grand courage. Et, à quelques demandes qu’on lui adressât, il répondait aussitôt ………….

XI.

[§ 54.] Tandis que Tiridate s’attachait à lui parler avec douceur et à lui promettre des richesses et des honneurs, en disant : « S’il ne m’écoute pas, j’augmenterai encore ses souffrances et je le tourmenterai de telle façon qu’il ne pourra plus les supporter, voici qu’un des satrapes[63] se présenta devant le roi pour lui donner cet avis : « Cet homme est indigne de vivre, c’est pourquoi il ne veut plus exister ni voir la lumière; depuis longtemps il habite parmi nous, et nous ne le connaissions point. C’est le fils du perfide Anag, qui tua ton père Chosroès, dévasta l’Arménie et la livra au pillage et à la captivité. Or le fils de ce criminel est indigne de vivre. » Après tant de tortures, de souffrances, de fléaux, de gibets et de douleurs atroces qu’il supporta avec tant de résignation pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le roi, ayant su d’une manière positive qu’il était fils d’Anag le Parthe, meurtrier de son père Chosroès, ordonna qu’on le conduisit pieds et mains liés, dans la province d’Ararat, qu’on l’enfermât dans le donjon du château de la ville d’Ardaschad, et qu’on le descendit dans une caverne très profonde[64] pour qu’il y mourût. Il y resta durant treize ans.[65]

[§ 55.] Le roi s’en vint ensuite dans son palais d’hiver de la ville de Vagharschabad, dans la province l’Ararat, située dans la partie orientale de l’Arménie. Ensuite, durant tout le temps de son règne, le roi Tiridate détruisit et dévasta le pays placé sous la domination des Perses, ruina l’Assyrie et y fit un grand carnage. A cause de cela, ceci passa en proverbe: « Comme le fier Tiridate, qui, dans son impétuosité, renversa les digues des fleuves, et, dans son audace, arrêta leurs cours vers la mer. » Et en vérité, il était audacieux, magnanime et doué d’une grande vigueur. Sa taille était très élevée; il était très robuste et très fort; c’était un vaillant et courageux guerrier. Il avait passé toute sa vie au milieu des batailles, et avait toujours remporté la victoire. Il s’acquit une grande renommée, et l’éclat de ses triomphes se répandit par toute la terre. Il mit en déroute tous ses ennemis, et vengea ses ancêtres. Il fit d’immenses ravages dans toute l’Assyrie, et partout il enlevait du butin. Il passa au fil de l’épée les armées perses, rassembla des dépouilles considérables, et, à la tête de la cavalerie grecque, il culbutait les cohortes ennemies. Il fit une levée d’hommes parmi les Huns, et réduisit en servitude une grande partie de la Perse.[66]

[§ 56.] Pendant les treize années que Grégoire séjourna dans la caverne profonde du château, une veuve qui était dans ce château, ayant appris en songe sa captivité, préparait chaque jour un petit pain et le lançait dans la caverne. Par un effet de la divine Providence, il s’en nourrit durant toutes les années qu’il y fut enfermé. Par une faveur du Seigneur, il demeura vivant dans cette caverne, où tous ceux qu’on y jetait moururent par suite de l’odeur fétide de la fange de ce bourbier, de la quantité de reptiles et de la profondeur de la caverne. En effet, ce lieu était particulièrement destiné à ceux qui s’étaient rendus coupables d’homicides en Arménie.

XII.

[§ 57.] A cette époque, le roi Tiridate expédia un édit dans toutes les contrées soumises à sa domination dont voici la teneur : « Tiridate, roi de la Grande Arménie, aux grands, aux princes aux satrapes, aux préfets et à tous ceux qui sont sous ma puissance, dans les bourgs, dans les villes, dans les villages, dans les campagnes, aux nobles et au peuple, à tous salut également. Puissent la santé et la prospérité vous arriver avec l’aide des dieux; une abondante fertilité par le puissant Aramazd, la protection de la grande déesse Anahid, et un grand courage par le vaillant Vahk’n,[67] à tous les Arméniens de notre pays;[68] la sagesse aux Grecs du pays des empereurs, et protection à ceux des divins Parthes, descendants de nos aïeux. Sachez, chacun en particulier, par cet ordre, tout ce que nous avons fait pour votre prospérité. Quand nous étions dans le pays des Grecs, nous vîmes la sollicitude des rois pour procurer la félicité dans leur pays, honorant le culte des dieux par des sacrifices, par des offrandes magnifiques, des dons différents, toutes sortes de fruits et leur offrant toute espèce de présents; observant leur culte très pieusement et avec amour, adorant et vénérant de toutes les manières les dieux illustres, magnifiques et immortels. Nous avons vu également comment ces mêmes dieux donnaient la tranquillité, la prospérité, la richesse et l’abondance au pays, et une population florissante, comme la récompense de leur zèle pour le culte des dieux. C’est pourquoi les rois du pays, pour leur en inspirer la crainte, choisirent des hommes pour veiller au culte des dieux, parce que, si le vulgaire par ignorance, ou si quelqu’un par oubli ou par démence, voulait mépriser leur culte, les préfets, selon l’ordre établi par les rois, les extermineraient dans leurs provinces, afin que les dieux augmentent la félicité du royaume. Car, si quelqu’un les méprisait, il exciterait leur colère contre nous, il se perdrait lui-même, en provoquant de grands dommages et d’irréparables malheurs. C’est précisément à cause de cela que les rois des Grecs donnèrent, dans leur royaume, l’ordre menaçant de condamner à mort les coupables.[69] Or, nous aussi, jaloux de votre félicité et désirant que les dieux augmentent avec abondance leurs dons envers vous, nous ordonnons que vous restiez fidèles à leur culte et à leur glorification, pour obtenir par leur intervention la prospérité, l’abondance et la paix. De même que chaque père de famille prend soin de sa maison et des siens, nous aussi, nous veillons avec sollicitude à la prospérité de l’Arménie. Ainsi donc vous tous, nos grands bien-aimés, satrapes, nobles, préfets, villageois et citadins, et vous, nos sujets arsacides (Arschagouni), élevés et nourris pour le bien de votre roi, honorez les dieux. S’il se trouve quelqu’un qui les offense, s’il tombe entre vos mains, prenez-le, et, après lui avoir lié les pieds, les mains et le cou, conduisez-le à la Porte Royale; et ses biens, ses récoltes, ses terres, ses possessions et ses trésors, tout sera pour ceux qui l’auront dénoncé. Soyez satisfaits avec l’aide des dieux et de votre roi; soyez aussi heureux, car nous le sommes. »

Ensuite le roi Tiridate, pendant tout le temps de son règne, guerroya avec la Perse et tira vengeance des anciennes batailles. Ainsi, pendant les treize ans que Grégoire resta dans la caverne, il y eut une guerre continuelle et terrible entre Tiridate et le roi des Perses.[70] Il ordonna encore qu’on expédiât un autre édit dans les provinces de son royaume et qui était conçu en ces termes: « Tiridate, roi de la Grande Arménie, aux pays tributaires et aux provinces, aux satrapes, aux soldats, aux villageois et à tous, salut. Soyez satisfaits, car nous aussi sommes satisfaits. Vous savez comment, dès le temps de nos ancêtres, nous obtînmes la victoire et la paix avec l’aide des dieux, comment nous avons subjugué toutes les nations, et nous les avons conservées sous notre obéissance. Mais quand nos hommages ne furent plus agréables aux dieux et que nous ne savions plus les apaiser dans leur courroux, ils nous renversèrent de force du faite de notre puissance.

[§ 58.] « Et cela à cause de la secte des chrétiens. Or nous vous commandons que, s’il s’en trouvait quelques-uns (puisqu’il n’est que trop vrai que ce sont eux qui s’opposent au culte des dieux), on les dénonce aussitôt; et, à ceux qui le feront, il sera distribué des présents et des largesses de notre trésor royal. Mais celui qui les cacherait ou qui ne les dénoncerait pas, s’il est découvert ensuite, qu’il soit condamné à mort, et envoyé au tribunal du roi; il mourra, et sa maison sera dévolue au fisc. De même que je n’ai pas épargné mon fidèle Grégoire que j’aimais infiniment, puisque, précisément pour cela, je lui fis endurer d’atroces tourments, et puis ensuite je l’ai fait jeter dans une caverne profonde pour y servir aussitôt de pâture aux serpents, sans avoir égard à ses grands services, dès qu’il s’agissait de l’amour et de la crainte des dieux. Que ceci serve d’exemple, et redoutez une mort semblable. Ainsi vous vivrez sous la protection des dieux, et vous pourrez attendre de nous des bienfaits. Soyez satisfaits, car nous le sommes aussi. »

XIII.

[§ 59.] En ce temps-là, il arriva que l’empereur (Dioclétien, Tioghlidianos) voulut prendre une épouse; or, des peintres allèrent dans toutes les parties de son empire, pour retracer exactement sur des tableaux la beauté du sujet, les charmes du visage, les yeux grands et noirs, le teint de la peau, afin d’exposer ensuite au roi ces images agréables à sa vue. En ce temps-là aussi, il y avait dans la ville des Romains un monastère de vierges solitaires, mortifiées, qui ne vivaient que de légumes. C’étaient des chrétiennes chastes, pures, saintes et fidèles, qui, le jour et la nuit, à toute heure, étaient dignes d’adresser au ciel une sainte prière, des louanges et des actions de grâces. La supérieure s’appelait Gaïanè, et une de ses disciples avait nom Hripsimè; elle était fille d’un homme de race royale, et pieux.[71]

[§ 60.] Les peintres entrèrent de force dans l’habitation de ces saintes femmes; et, voyant la beauté modeste de Hripsimè, ils en furent frappés, ils la peignirent avec différents autres portraits, et les envoyèrent au roi. Lorsque le roi vit la rare beauté de Hripsimè, retracée sur le tableau, il fut pris d’un amour insensé, et voulut fixer sans retard le jour de ses noces, attendant avec impatience le moment de la fête. Ensuite on envoya en toute hâte des ambassadeurs et des messagers dans tout l’empire, afin que tous apportassent des présents et des cadeaux pour les noces royales, et que leur joie rendit plus solennelles les cérémonies, suivant l’usage des princes. Quand les pieuses femmes virent les flèches de l’Ennemi (le démon) lancées selon la coutume, contre les saints adorateurs du Christ, elles comprirent que [§ 61.] l’Ennemi avait choisi le roi comme l’instrument de sa malice, comme déjà, dans le Paradis, il se servit du serpent tour insinuer l’oubli du précepte dans l’oreille insensée de la première femme. Ainsi, se cachant sous les traits du roi impie, il voulait combattre les églises fondées par Dieu. Quant au roi, enorgueilli par les insinuations insidieuses de l’Ennemi, il suscitait des persécutions aux églises de Dieu; insensé et stupide, il adorait les fantômes des morts, les statues muettes d’idoles d’or, d’argent, de bois, de pierre, de cuivre, et leur rendait un culte impur. Il s’en glorifiait, et il voulait ébranler la pierre sur laquelle repose l’Église; mais, ne pouvant y parvenir, il fut écrasé.[72] Cependant, dans son orgueil, il causait beaucoup de dommages aux églises de Dieu.

 [§ 62.] Mais la bienheureuse et vertueuse Gaïanè, avec Hripsimè, élevée dans la sainteté, et ses autres compagnes, en pensant au vœu religieux de chasteté qu’elles avaient fait, pleuraient ensemble sur cet ordre du roi impie et dépravé, qui exigeait de faire leurs portraits. Elles se mirent donc à prier avec une grande ferveur, et sollicitèrent l’aide du Dieu miséricordieux, pour qu’il les délivrât du danger qui les menaçait ……………..

[§ 65.] Après cela, sainte Gaïanè et sa compagne Hripsimè, avec leurs vertueuses compagnes, prirent la fuite et vinrent dans un pays lointain pour conserver leurs âmes dans la sainteté, loin de ces hommes grossiers …….

[§ 66.] ……………… Elles arrivèrent ensuite en Arménie dans la province d’Ararat, dans la ville de Vagharschabad, aussi appelée Norkaghakn (Ville Neuve), capitale du roi d’Arménie. Elles se retirèrent dans un endroit où l’on réunissait les cuves pour les vignes qui sont situées entre l’Orient et le Nord, et elles vivaient ensemble des choses qu’elles achetaient à la ville; elles n’avaient point d’autres provisions. Une d’elles seulement savait travailler le verre, et fabriquait des perles, dont le prix servait pour leur nourriture quotidienne.

 

XIV.

[§ 67.] En ce temps-là, une grande perturbation se manifesta dans le pays des Romains, et on expédiait de tous les côtés des courriers et des messages, afin de pouvoir retrouver les fugitives. Alors un ambassadeur fut envoyé à Tiridate, roi de la Grande-Arménie, et vint trouver ce prince dans la ville de Vagharschabad. Quand l’envoyé lui remit l’édit, le roi le prit de sa main avec joie. Voici ce qu’il contenait: « L’empereur Dioclétien  (Tioghlidianos) César à notre bien-aimé frère Tiridate, notre collègue, salut. Ta fraternité doit connaître les dommages qui nous sont causés toujours par la secte perfide des chrétiens, parce qu’en toutes choses notre majesté et notre gouvernement sont méprisés par eux et par leur religion. Ils n’ont aucune retenue; ils adorent un crucifié; ils révèrent aussi un bois, et ils honorent également les ossements de ceux qui ont été tués; ils pensent que c’est une gloire et un honneur de mourir pour leur Dieu. Ils ont été condamnés par la justice de nos lois, parce qu’ils insultèrent et tourmentèrent nos ancêtres et nos prédécesseurs dans ce royaume. Le fil de nos épées s’est émoussé, et ils n’ont pas redouté la mort. Séduits par un Juif crucifié, ils enseignent à mépriser les rois, et à ne se point soucier des statues des dieux. Ils ne tiennent aucun compte de l’influence des astres, du soleil, de la lune et des étoiles, qu’ils regardent comme créés par ce crucifié. Ils enseignent aussi à mépriser les images des dieux; ils les ont tous repoussés de leur culte; ils engagent même les femmes à abandonner leurs maris, et les maris leurs femmes.

[§ 68.] « Et cependant, bien que nous leur ayons infligé des peines et des supplices, ils s’enflamment encore davantage, et leur secte se répand partout. J’ai vu une jeune et belle vierge de leur secte, j’ai voulu en faire mon épouse, et ils ont osé me la ravir. Non seulement elle ne fut point dans le ravissement de devenir ma compagne, moi son roi, mais elles toutes ne craignirent point mes menaces; et comme je n’appartiens point à leur secte, elles me regardèrent comme un être impur, souillé et abominable, et on l’a fait fuir dans les pays soumis à ta domination. Maintenant, mon frère, fais en sorte de les retrouver partout où elles seront, tire vengeance de celles qui sont avec elle et de sa supérieure, et fais-les mourir. Quant à la belle et divine fugitive, envoie-la près de moi. Cependant, si sa beauté te charmait, garde-la, car on n’a jamais rencontré chez les Grecs une beauté qui lui soit comparable. Sois en paix avec le culte des dieux et avec toute félicité. »

xv.

[§ 69.] Or il arriva qu’après avoir pris lecture de cet édit, le roi donna aussitôt des ordres sévères pour qu’on fit sans tarder des recherches dans tous les pays soumis à sa domination. Il expédia des messagers de différents côtés, pour qu’on lui amenât les fugitives aussitôt qu’on les aurait trouvées, et il promit en récompense des présents magnifiques. Pendant qu’ils s’empressaient, aux confins de l’Arménie, dans l’espoir de semblables promesses, ces saintes martyres se tenaient cachées dans la ville royale de Vagharschabad, capitale du royaume. Peu de jours après, à la suite de recherches incessantes, elles furent découvertes ………...

[§ 70.] ................ Or, on les trouva dans l’endroit où l’on met les cuves en réserve. Car, quand l’édit du grand roi des Grecs fut remis à Tiridate, il s’éleva un grand tumulte dans le pays des Arméniens. On fit fermer toits les chemins et toutes les issues des provinces, et on fit partout des recherches. Lorsque quelqu’un fit savoir qu’il les avait vues, et que la chose se fut vérifiée, on ordonna de suite à une légion de troupes à pied de cerner pendant deux jours le lieu où elles se trouvaient. Trois jours après, la renommée de la modeste et admirable beauté de Hripsimè se répandit parmi le peuple et sur toutes les places. Tout le monde était dans l’agitation, et l’unanimité des louanges augmentait l’étonnement. Une foule immense accourait de toutes parts pour rendre hommage à sa beauté. Les satrapes et les grands accouraient aussi à l’envi pour la voir. Les nobles, confondus avec le peuple, se pressaient les uns les autres, à cause du dérèglement de leurs mœurs et de l’impureté effrénée des païens. Quand ces saintes femmes virent la malice de ces hommes insensés et dépravés, elles se mirent à se lamenter et à sangloter tout haut; elles élevaient leurs mains au ciel, en demandant leur salut au Seigneur tout-puissant qui les avait déjà sauvées de la malice impure des païens. Puisse Dieu leur accorder la victoire en l’honneur de la foi! Et, s’étant voilé le visage, elles se prosternaient à terre, par honte de ces hommes dissolus qui faisaient foule pour les voir.

CHAPITRE VII.

[§ 71.] Beaucoup de ceux qui étaient les confidents du roi, ayant vu la beauté de Hripsimè, en parlèrent au prince qui en fut émerveillé. Le lendemain, dès le matin, le roi ordonna qu’on conduisit la bienheureuse Hripsimè au palais royal, et qu’on retint Gaïanè et ses compagnes dans le lieu où elles se trouvaient. Aussitôt on fit venir du palais des litières couvertes de plaques d’or; des serviteurs arrivèrent à la porte de l’endroit où l’on mettait les cuves en réserve et qui leur servait de demeure hors de la ville. Par ordre du roi, on apprêta également des vêtements magnifiques, brillants, splendides, éclatants, des ornements très riches pour qu’elle s’en parât et qu’elle entrât avec pompe dans la ville, pour être présentée au roi; car, avant de l’avoir vue, il av.it songé à la prendre pour épouse, à cause du récit qu’on lui avait fait de sa beauté …………………..

XVI.

[§ 74.] Les choses en étant à ce point, une foule immense de peuple se réunit aux ministres du roi, qui étaient venus pour conduire Hripsimè à la cour, ainsi que les satrapes, les principaux d’entre les grands qui étaient arrivés pour lui faire honneur et pour l’escorter jusqu’au palais, comme épouse du roi Tiridate et reine des Arméniens ………………..

[§ 75.] A ce moment, on entendit dans le ciel un grand éclat de tonnerre; tous en furent épouvantés, et on entendit une voix qui leur dit: « Prenez courage, soyez fermes; parce que je suis avec vous, je vous ai gardées dans toutes vos voies, je vous ai conduites en sûreté jusqu’ici, pour que mon nom soit glorifié devant les peuples de ces contrées septentrionales. Surtout toi, Hripsimè, ainsi que le dit ton nom, tu fus véritablement jetée[73] de la mort à la vie avec Gaïanè et ses compagnes bien-aimées. Ne craignez point, mais venez dans le lieu de l’ineffable allégresse, que mon Père et moi nous avons préparé à vous et à ceux qui vous ressemblent. Et il tonna si longtemps que les hommes en furent saisis d’effroi; beaucoup de chevaux de la troupe se cabrèrent de frayeur, et, en bondissant et en ruant, ils renversèrent à terre beaucoup de leurs cavaliers, en foulèrent plusieurs aux pieds et les tuèrent. La foule épouvantée se pressa tellement que plusieurs furent étouffés; il y eut un grand massacre, et on entendit des cris et des lamentations. Tous furent saisis de confusion et de terreur, beaucoup de gens moururent, et plusieurs teignirent la terre de leur sang. Dans ce désordre et dans ce massacre de la multitude, quelques-uns des officiers du roi coururent aussitôt, et lui rapportèrent ce qu’ils avaient entendu; ils arrivèrent avec des signes d’écriture[74] et, après avoir enregistré toutes les paroles [de la sainte], ils les lurent en présence du roi. Le roi dit alors : « Puisqu’elle ne vient pas de bon gré en grande pompe, qu’on la transporte de force au palais, et qu’on la conduise dans mes appartements royaux. »

[§ 76.] Alors les soldats du roi emmenèrent sainte Hripsimè, tantôt la traînant à terre, tantôt la portant dans leurs bras ………………..

[§ 77.] Pendant que sainte Hripsimè offrait à Dieu ses prières, le roi Tiridate entra dans la chambre où elle était renfermée. Or, quand il fut entré, la foule qui était au dehors du palais et dans les rues dansait, sautait et chantait des chansons. Beaucoup encombrèrent de tables le milieu de la ville, les autres le palais. Ils voulaient célébrer ainsi les noces, en excitant à danser. Mais le Seigneur Dieu regarda sa bien-aimée Hripsimè afin de la sauver; il prêta l’oreille à ses prières, il lui donna la force, comme il l’avait donnée à Jaël et à Debbora,[75] pour qu’elle fût délivrée du tyran injuste et violent. Or le roi, étant entré, voulut la saisir pour satisfaire sa passion; mais elle, enveloppée de la force de l’Esprit-Saint, résista avec un courage viril, et lutta depuis la troisième jusqu’à la dixième heure, et le roi fut vaincu. Celui qu’on réputait avoir une force extraordinaire, qui chez les Grecs avait donné tant de preuves de sa vigueur, qui avait rempli tout le monde d’étonnement, et qui dans son propre royaume, lorsqu’il fut revenu dans sa patrie, avait déployé son courage et sa valeur,[76] cet homme si remarquable en toutes choses fut ce jour-là vaincu par une jeune fille, par la volonté et la grâce du Christ. Et quand il fut vaincu et harassé, il perdit courage, et il sortit de la chambre.

[§ 78.] Et il fit venir la bienheureuse Gaïanè, et après lui avoir fait mettre un carcan de bois au cou, il la fit amener à la porte de la chambre. Lui-même y rentra et ordonna à ses serviteurs de forcer l’inflexible Gaïanè de dire à Hripsimè: « Accomplis la volonté du roi, tu vivras et nous vivrons aussi. » Gaïanè consentit à parler à sa compagne, et, s’étant approchée de la porte, elle dit à Hripsimè qui était dans la chambre : « Ma fille, que le Christ t’épargne une pareille honte et vienne à ton secours; qu’il ne soit jamais vrai, ma fille, que tu renonces à l’héritage de la vie éternelle de Dieu, pour une vie fugitive qui n’est rien, qui est aujourd’hui et qui demain n’existe plus. » Lorsqu’on entendit quels conseils elle lui donnait, on prit des pierres et on l’en frappa sur la bouche, de manière à lui briser les dents, pour la forcer de dire à Hripsimè de faire la volonté du roi. Mais elle l’encourageait encore davantage, en lui disant « Prends courage, ……………………. »

 [§ 80.] Sainte Gaïanè dit toutes ces choses en langue romaine (latine) à sa fille, lorsqu’elle était à la porte de la chambre, et durant que le roi luttait avec sainte Hripsimè. Mais, parmi les serviteurs du roi, il s’en trouvait quelques-uns qui comprirent ce discours prononcé dans le langage des Romains. Or, quand ils surent ce que Gaïanè disait à sa compagne, ils l’arrachèrent de la porte; car, bien qu’ils la frappaient cruellement, qu’ils lui hachaient le visage avec une pierre, de manière à lui casser les dents, qu’ils lui brisaient la mâchoire, elle ne changea pas de langage, ne dit pas autre chose à la jeune fille, mais elle répéta ce qu’elle avait commencé à formuler devant eux. Hripsimè lutta de nouveau avec le roi depuis la dixième heure jusqu’à la première veille de la nuit, et elle resta triomphante. La jeune fille était fortifiée par l’Esprit-Saint en luttant contre le roi; elle le repoussait, elle le domptait, jusqu’à ce qu’enfin, fatigué et languissant, elle le terrassa. Elle lui enleva et lui déchira ses vêtements, elle lui arracha le bandeau royal, et elle le laissa couvert de honte. Elle lui mit son manteau en lambeaux et remporta la victoire, en conservant sa pureté. Elle ouvrit les portes du palais et en sortit de vive force, en fendant la foule du peuple, sans que personne pût la retenir. Puis, courant par la ville, elle sortit par la porte d’orient. Etant venue à l’endroit où l’on serrait les cuves, où était d’abord leur demeure, elle jeta un cri pour avertir ses compagnes.

[§ 81.] Ensuite, s’étant éloignée de la ville, elle alla vers l’endroit situé entre le nord et l’orient, sur un point montant et sablonneux, près la grande route qui conduit à la ville d’Ardaschad. Là, s’agenouillant pour prier ………………..

[§ 83.] Pendant que sainte Hripsimè parlait ainsi, les ministres du roi, les chefs des gardes et les bourreaux, avec des torches allumées devant eux, arrivèrent en toute hâte cette nuit-là même. Ils parurent à l’improviste, lui lièrent les mains derrière le dos et voulurent lui couper la langue. Mais elle ouvrit la bouche et leur présenta sa langue à couper. Ils la dépouillèrent de ses vêtements, et, ayant enfoncé quatre pieux en terre, ils l’attachèrent par les pieds et par les mains, et, en ayant approché les torches, ils lui brûlèrent le corps avec la flamme pendant longtemps; puis ils la tuèrent à coups de pierre. Pendant qu’elle vivait encore, ils lui arrachèrent les yeux, et ensuite ils mirent son corps en pièces, en disant: « Que tous ceux qui oseront mépriser la volonté du roi et n’en tenir aucun compte périssent de la sorte. » Il y avait avec les compagnes de Hripsimè plus de soixante et dix personnes, tant hommes que femmes. Les compagnes cherchèrent à ensevelir leurs corps, car il y en eut trente deux qui furent massacrées en même temps …………….. Et, ayant prononcé ces paroles toutes ensemble, elles expirèrent.

[§ 84.] Une autre, qui fut tuée aussi dans leur demeure de la resserre aux cuves, dit en laissant le monde: « Je te remercie, ô Dieu bienfaisant, qui ne m’as point exclue; j’étais malade et je n’ai pu me mettre à la suite de mes compagnes. Pourtant, Seigneur doux et miséricordieux, reçois mon âme, et mets-la avec la troupe de tes saintes martyres, mes compagnes et mes sœurs, près de ta servante, et de notre guide Gaïanè, et de ta bien-aimée Hripsimè, notre fille. » Et en disant ces mots, elle mourut. On prit leurs corps et on les jeta en pâture aux chiens de la ville, aux bêtes féroces de la terre et aux oiseaux du ciel.

XIX.

[§ 85.] Quant au roi, il ne prenait nul souci de sa honte, comme il l’aurait dû. Célèbre comme il l’était à la guerre, et s’étant montré fort comme un géant, aux jeux Olympiques des Grecs; ayant remporté tant de victoires au-delà de l’Euphrate; dans les pays des Dadjik (Arabes) il eut un cheval gravement blessé; ayant pris le cheval et ses harnais, il serra sa cuirasse et passa l’Euphrate à la nage. Cependant ce prince si fort et si vigoureux qui fut, par la volonté de Dieu, vaincu par une jeune fille, ne songeait plus à la honte qui le couvrait, mais, épris ardemment de sa beauté, il était triste et accablé après la mort de la jeune fille, et il éclatait en lamentations : Voyez, disait-il, cette secte abominable des chrétiens, comme elle égare les hommes en les éloignant du culte des dieux. Ils les privent des jouissances de cette vie, et les empêchent de redouter la mort. Ils ont fait de même pour l’admirable Hripsimè, qui n’a pas sa pareille parmi toutes les femmes qui sont sur terre. Mon cœur a brûlé pour elle, et moi, le roi Tiridate, tant que je vivrai, elle ne s’effacera point de ma mémoire. Je connais bien le pays des Grecs et des Romains, les contrées des Parthes qui nous appartiennent, et l’Assyrie, et le pays des Dadjik (Arabes), et l’Adherbadagan (Adherbeidjan). Mais pourquoi les énumérer les uns après les autres? Les pays que j’ai visités pendant la paix, beaucoup d’autres que j’ai parcourus pendant la guerre, en les saccageant, sont en nombre considérable; mais dans aucun d’eux je ne vis une semblable beauté, et elle a été perdue par les séductions de ses compagnes. Leurs sortilèges ont été tellement puissants, que moi-même j’ai été vaincu.

[§ 86.] Le jour d’après, le chef des archers se présenta pour obtenir l’ordre de tuer sainte Gaïanè. Le roi, en entendant cela, troublé par l’amour, consterné, stupéfait, anéanti, ne se souvenant plus de ce qui était advenu à sainte Hripsimè, la croyait encore vivante. Il promettait d’élever à de grandes dignités et à de grands honneurs quiconque parviendrait à séduire la jeune fille et la persuaderait de venir à lui. Celui à qui il s’adressait lui dit « Ainsi périssent, ô roi, tous les ennemis, et ceux qui méprisent les dieux et la volonté des rois. Mais celle qui perdit l’admirable Hripsimè vit, ainsi que deux de ses compagnes. » Ayant appris que sainte Hripsimè était morte, le roi retomba de nouveau dans sa tristesse, se roula à terre, versa des larmes, et entra dans une fureur terrible. Puis il ordonna qu’on arrachât la langue à la vertueuse Gaïanè, avant de la tuer, parce qu’elle avait osé perdre par de perfides conseils celle qui parmi les mortels avait la beauté d’une déesse (et cette beauté, les déesses la lui avaient donnée), et qu’on la fit mourir dans d’atroces tourments, Le chef des bourreaux se présenta alors, et il se vanta de la faire mourir cruellement. Il les fit sortir chargées de chaînes, par la porte méridionale de la ville, vers le chemin conduisant au pont de Medzamor, dans le lieu où l’on avait coutume d’exécuter tous les condamnés; c’était un endroit marécageux, proche dit fossé qui entourait la ville.

[§ 87.] Ils enfoncèrent en terre quatre pieux pour chacune d’elles, et tandis qu’ils les préparaient, sainte Gaïanè et ses compagnes parlèrent ainsi : « Nous te remercions, Seigneur …………………. »

[§ 88.] Après cela, les bourreaux vinrent, et leur arrachèrent leurs vêtements. Ils les attachèrent chacune solidement aux quatre pieux; ils leur firent des incisions dans la peau des jambes, y placèrent des tubes de roseaux, et, en soufflant, ils les écorchèrent, pendant qu’elles respiraient encore, depuis les pieds jusqu’aux seins. Ils leur percèrent la nuque, et leur arrachèrent par cette ouverture la langue. Ils leur entrèrent des pierres dans le corps, et leur firent sortir les entrailles. Et comme elles étaient encore vivantes, ils leur tranchèrent enfin la tête avec le glaive. Ceux qui les avaient accompagnées du pays des Romains dans la contrée d’Arménie étaient au nombre de soixante dix personnes. Mais celles qui furent massacrées avec les saintes femmes Gaïanè et Hripsimè, et celles qui partagèrent avec elles le martyre, étaient seulement trente sept. Donc le vingt-sixième jour du mois d’Hori,[77] sainte Hripsimè fut martyrisée avec la sainte cohorte des trente trois martyres ses compagnes; et le vingt-septième jour du même mois, sainte Gaïanè avec deux de ses compagnes, qui combattaient avec elles reçurent la couronne de la victoire.[78]

CHAPITRE VIII

XX.

[§ 89.] Durant six jours, le roi fut plongé dans le deuil et dans aine sombre tristesse, par suite de son amour passionné pour la beauté de Hripsimè puis il prit la résolution d’aller chasser dans la plaine de Paragan Nechamag (?).[79] Il fixa l’heure et commanda sa garde de prendre des rets, des cordes, des lacets, et beaucoup de pièges. Le roi, monté sur son char, était sur le point de sortir de la ville, quand le châtiment du Seigneur s’appesantit sur lui. Un démon immonde s’empara du roi et le renversa à terre de son char. Aussitôt il entra dans une grande fureur, et il s’arrachait les chairs. Semblable à Nabuchodonosor, roi des Babyloniens,[80] n’ayant plus rien d’humain, il prit la forme des sangliers et habitait avec eux. Puis, étant entré dans un lieu couvert de roseaux, il paissait l’herbe comme une brute, et il se roulait complètement nu dans les champs. Cependant, comme on voulait le retenir dans la ville, on ne put y parvenir, d’abord à cause de sa vigueur naturelle, ensuite par la force des démons qui s’étaient emparés de tout son être.[81] Les habitants de la ville, également possédés du démon, devenaient furieux, et une infinité de malheurs fondait sur tout le pays. Toute la famille royale, serviteurs et ministres, étaient frappés de semblables châtiments, et un deuil immense était répandu en tous lieux.

[§ 90.] Dans ce temps-là, la sœur du roi, nommée Khosrovitoukhd, eut un songe inspiré par Dieu.

Elle vint parler au peuple auquel elle raconta sa vision, disant: « J’ai eu cette nuit un songe. Un homme au visage radieux vint et me dit : Il n’y a pas d’autre moyen de faire cesser les châtiments qui vous accablent, que d’envoyer à la ville d’Ardaschad, pour y chercher le prisonnier Grégoire. Dès qu’il sera arrivé, il vous indiquera un remède à vos souffrances. Lorsqu’ils eurent entendu ces paroles, ils en rirent et lui dirent: Es-tu donc devenue folle, es-tu donc possédée aussi? Comment cela se peut-il, puisqu’il y a quinze ans qu’on l’a jeté dans une caverne profonde, et tu dis qu’il est encore vivant? Qui sait seulement si ses os se trouvent encore dans cet endroit? car, le jour où il y fut jeté, il sera mort sur le champ, à la vue des reptiles. » Cependant la sœur du roi eut encore la même vision au moins cinq fois de suite, avec menace, si elle ne la racontait pas, d’un grand châtiment, et de voir les souffrances du roi et des autres hommes augmenter jusqu’à la mort, avec un accroissement de douleurs. Khosrovitoukhd, étant rentrée, répéta les paroles de l’ange avec une grande terreur et une insistance particulière.

 [§ 91.] Ils envoyèrent aussitôt un grand satrape, nommé Oda,[82] qui arriva à la ville d’Ardaschad, afin de tirer Grégoire de la caverne où il était renfermé. Or, quand Oda fut venu à la ville d’Ardaschad, les habitants allèrent à sa rencontre, en lui demandant la cause de son arrivée, Il répondit: « Je suis venu pour chercher le prisonnier Grégoire. » Et eux très étonnés répondirent: « Qui peut savoir s’il est encore là? Il y a bien longtemps qu’on l’a enfermé dans ce lieu. » Alors Oda raconta le songe et les événements qui étaient arrivés. Puis on apporta de longues et solides cordes, et, quand on les eut nouées, ils les descendirent dans la caverne. Oda appela à haute voix et dit: « Grégoire, où que tu sois, sors, parce que le Seigneur Dieu, que tu adores, a commandé qu’on te tirât de ce lieu. » Et Grégoire, s’étant levé aussitôt, prit la corde, la secoua et s’y cramponna. Et ceux qui étaient au dehors, l’ayant entendu, le hissèrent et virent tout son corps noir comme du charbon; on lui apporta des habits et on l’en revêtit. Puis on l’accompagna avec joie dans la ville d’Ardaschad, et on se mit en route pour le conduire à Vagharschabad.

[§ 92.] Alors le démon, s’étant emparé du roi, le conduisit au-devant de lui, tout brisé par ses souffrances; et les satrapes attendaient Grégoire hors de la ville. Or, quand ils le virent venir de loin avec Oda et beaucoup d’autres hommes de la ville d’Ardaschad, ils se précipitèrent à sa rencontre, et, se dévorant les chairs avec une épouvantable fureur, ils écumaient devant lui. Le saint, s’agenouillant aussitôt, se mit en prières, et ils revinrent à la raison tout à coup. Grégoire commanda qu’on leur mit des vêtements et qu’on cachât leur nudité. Le roi et les satrapes, s’étant approchés, embrassaient les pieds de saint Grégoire, disant: « Nous te supplions de nous pardonner tout le mal que nous t’avons fait. » Il les releva et leur dit : « Je suis un homme semblable à vous, et j’ai un corps pareil au vôtre. Mais vous, reconnaissez votre Créateur qui a fait le ciel, la terre, le soleil, la lune, les étoiles, la nier et le désert, car lui seul peut vous guérir. »

 [§ 93.] Grégoire se mit à les interroger : « Où sont déposés les corps des martyres de Dieu? » ils répondirent : « De quelles martyres veux-tu nous parler? » Il reprit : « De celles que vous fîtes mourir pour Dieu. » Et ils lui montrèrent l’endroit où elles étaient. Alors le saint courut recueillir les corps à l’endroit où elles avaient été suppliciées. Elles étaient restées là, en plein air, près de la ville. Et ils virent que la toute-puissance de Dieu avait conservé leurs corps durant neuf jours et neuf nuits, et qu’aucune bête féroce, aucun chien, aucun oiseau, ne s’était approché pour les dévorer, enfin que la corruption ne s’y était pas mise. Ils apportèrent beaucoup d’étoffes pour les envelopper. Mais le bienheureux Grégoire ne trouva pas les brocarts apportés par le roi et par les autres personnes, dignes de ces corps sacrés, et il enveloppa chaque sainte dans sa robe déchirée, « Pour le moment, que tout reste dans cet état, jusqu’à ce que vous soyez dignes d’envelopper leurs corps. » Puis, les ayant pris avec lui, il se transporta dans l’endroit où l’on emmagasinait les cuves et qui servait de demeure aux saintes femmes, et lui-même y resta pour y fixer sa résidence. Et toute la nuit, saint Grégoire priait Dieu pour leur salut, afin qu’ils se convertissent, et qu’ils trouvassent le moyen de faire pénitence. Le jour suivant, le roi, les satrapes, les grands avec une grande foule de peuple vinrent se prosterner à genoux devant saint Grégoire et devant les restes saints des martyres du Seigneur. Ils priaient en disant : « Pardonne-nous tout le mal que nous t’avons fait, et demande pour nous à ton Seigneur que nous ne périssions point. »

[ 108.] …………… Et ayant dit cela, saint Grégoire les congédia. Mais le roi et les grands, frappés par le châtiment, ne le quittaient jamais, et le jour et la nuit; ils restaient dans la vigne avec lui, près de la porte de rendrait où l’on resserrait les cuves, revêtus d’un cilice et assis sur la cendre, et ils jeûnèrent durant soixante six jours. Et le bienheureux Grégoire, sans prendre de repos, ne cessa jour et nuit durant soixante-cinq jours de discuter, d’avertir, d’enseigner et de persuader. En sage médecin, il s’efforçait de trouver le remède efficace, pour qu’ils se confiassent à lui comme malades.

CI.

[§ 109.] …………… Or les soixante six jours étant écoulés, le roi, les princes, les satrapes avec leur peuple,[83] vinrent au lever du soleil se prosterner devant saint Grégoire; les femmes y étaient également avec leurs jeunes enfants pleins d’innocence; tous le priaient de les délivrer des châtiments qui s’étaient appesantis sur eux et de la verge terrible dont les avait frappés le juge inflexible; et, plus que tous les autres, le roi, qui avait pris la forme des pourceaux immondes. En effet, ses membres s’étaient couverts de poils, et sur tous ses os il lui était poussé des soies comme aux sangliers sauvages, les ongles de ses pieds et de ses mains s’étaient durcis comme les ongles des animaux qui labourent la terre avec leur groin et se nourrissent de racines. Ainsi les traits de son visage s’étaient allongés en forme de museau, semblable à celui des brutes qui vivent au milieu des roseaux.

[§ 110.] A cause de sa féroce nature et de ses actes abominables, le roi, déchu des honneurs du trône, et semblable aux brutes privées de raison, errait avec elles dans les buissons, se dérobant à la vue des hommes. Quand le saint confesseur du Christ, Grégoire, sortit de la caverne qui lui servait de prison et arriva à l’endroit où étaient les martyres, tous les possédés, comme par un effet de la divine Providence, accoururent et vinrent ensemble dans ce lieu. Le roi lui-même, semblable à un animal du genre des pourceaux, sortit des roseaux hantés par une quantité de bêtes sauvages, et, poussant des grognements, labourant le sol avec son visage, ayant l’écume à la bouche, s’approcha du bienheureux Grégoire qui se mit en prières. Il demanda d’abord au Dieu très miséricordieux, non pas la transformation des traits du visage des êtres châtiés, mais celle de leur intelligence, pour qu’ils pussent comprendre les mystères et écouter sa doctrine. Et ils obtinrent d’être assez guéris pour pouvoir entendre, comprendre et parler avec facilité. Cependant, jusqu’au soixante sixième jour de l’instruction, le roi avait le même aspect, enveloppé dans ses liens, et entouré d’un peuple innombrable accouru de tous les pays.

[§ 111.] A ce moment, ils se prosternèrent devant lui et sollicitèrent leur guérison. Le roi était loin d’avoir une figure humaine, et il se trouvait dans cette humiliation; mais il pouvait parler, écouter et comprendre. Grégoire, ayant entendu leur prière, répondit: « Et moi aussi, comme si j’étais parmi vous, je solliciterai votre délivrance; quant à vous, implorez votre guérison de tout votre cœur. En attendant, hâtez-vous d’élever des chapelles où nous déposerons les martyres de Dieu, pour qu’elles obtiennent pour vous le soulagement de vos peines, que vous soyez délivrés des supplices amers, cruels, épouvantables qui sont préparés et dont vous êtes menacés, et que vous soyez dignes du paradis du Christ. » Ils le supplièrent alors qu’il commandât ce qu’il voulait qu’on fit.

CII.

Il se mit alors à leur raconter sa vision, et leur dit : « Venez maintenant, et je vous raconterai, mes frères, quel signe le Créateur m’a donné de son amour pour vous, c’est-à-dire, la vision admirable qui m’est apparue; comment Dieu est descendu vers ces saintes martyres, et comment il les a élevées à une hauteur inaccessible dans le royaume des cieux. »

[§ 112-113.] « Or voici la merveilleuse, ineffable et divine vision qui m’est apparue des grâces vivifiantes qui vous seront accordées. Voici quelle était sa forme : Vers le milieu de la nuit, tandis que, fatigués de veiller, vous vous étiez endormis, je veillais encore et je méditais sur l’infinie miséricorde de Dieu, qui se montra si prompte à vous visiter et à vous placer comme au creuset des avertissements de sa sage et divine doctrine. Et je me rappelais l’amour des saintes martyres pour leur admirable Créateur, car elles jouissaient des ineffables récompenses qui leur étaient préparées. Alors un grand bruit de tonnerre se fit entendre; c’était un mugissement terrible comme le roulement des vagues gonflées et furieuses de la mer. La voûte du firmament céleste s’ouvrit comme un pavillon, et il en descendit un homme éclatant de lumière; il m’appela par mon nom, et me dit « Grégoire! » Et moi, regardant, je vis son visage; épouvanté et tremblant, je tombai à terre. Et il me dit : « Regarde en haut, et contemple les merveilles que je te montre. » Et moi, regardant, je vis le firmament céleste ouvert, les eaux divisées et comme des vallées et des cimes de montagnes accumulées çà et là et tellement élevées que l’œil ne pouvait les atteindre. Et une lumière répandue sur elles descendait jusqu’à la terre, et en même temps que la lumière, d’innombrables cohortes d’hommes étincelants et ailés ; et leurs ailes étaient flamboyantes. La lumière était semblable aux légers atomes de la poussière, qui, au moment de la chaleur du printemps, se jouent dans le rayon de soleil glissant par une fenêtre ou par toute autre issue. Et les cohortes, en même temps que la lumière, inondèrent toute la terre; et comme la lumière se répandait, elles se répandirent avec elle. Et un homme au visage terrible, grand et formidable, descendit le premier d’en haut. Il tenait à la main un énorme marteau d’or, et tous le suivaient. Il arrivait d’un vol rapide, semblable à un aigle aux ailes puissantes. Il descendit et vint jusqu’à terre, au milieu de la ville, et il frappa la croûte épaisse de l’immense contrée. Et le coup en retentit jusque dans les abîmes de l’enfer, et toute la terre, jusqu’où pouvait atteindre la vue, devint unie comme une plaine.

[§ 114.] « Et j’aperçus au milieu de la ville, près du palais du roi, un piédestal rond en or, large comme un grand plateau, duquel s’élevait une immense colonne de feu, avec un nuage pour chapiteau, surmonté d’une croix flamboyante. Et je regardai, et je vis trois autres piédestaux, un à l’endroit où fut martyrisée sainte Gaïanè avec deux de ses compagnes, l’autre, là où sainte Hripsimè fut martyrisée avec ses trente compagnes; le troisième sur l’emplacement de la resserre des cuves. Et ces piédestaux étaient de couleur rouge sang, et les colonnes étaient de nuages et les chapiteaux de feu. Et sur les trois colonnes, des croix lumineuses, semblables à la croix du Seigneur. Et les croix de ces colonnes étaient semblables au chapiteau de la colonne de lumière qui était plus élevée que toutes les autres. Et sur les croix de ces quatre colonnes s’unirent ensemble des arcs admirables; et sur ces arcs je vis un édifice avec une coupole, en forme de pavillon, formé de nuages; c’était une œuvre prodigieusement divine. Et sous ce pavillon, sur les arcs, je vis les trente-sept saintes martyres, toutes éclatantes dans leurs robes blanches, avec des formes d’une beauté ineffable. En haut de l’édifice, je vis un trône, divin et admirable, tout entier de feu, où se dressait la croix du Seigneur. La lumière répandue de toutes parts l’enveloppa et se confondit avec les rayons de la croix, pour former une colonne de lumière rayonnante qui s’étendit jusqu’à la base des colonnes.

[§ 115.] « Et une source abondante jaillit, coula et se répandit sur toute la plaine, la couvrit entièrement, aussi loin que l’œil pouvait voir. Et elle devint une mer unie et azurée, et tous les champs parurent de la couleur du ciel. Et je vis un nombre immense d’autels de feu, et, près de chaque autel, une colonne surmontée d’une croix, et une multitude innombrable m’apparut brillante comme les étoiles. Et je vis d’immenses troupeaux de chèvres noires qui, après avoir traversé les eaux, se changèrent en agneaux, et leur couleur devint blanche, et leur laine scintillait et lançait des étincelles. Et tandis que je regardais, tout à coup les troupeaux enfantèrent et se multiplièrent, et les agneaux qui venaient de naître remplirent la campagne, et tous étaient d’une couleur très brillante. Tout à coup, d’autres naquirent encore et se multiplièrent. Et une moitié, ayant traversé les eaux, se changea en loups noirs, ils assaillirent les troupeaux et commencèrent à en faire un immense carnage, et le sang coulait à flots. Et tandis que je regardais, je vis poindre des ailes aux troupeaux, et ils devinrent ailés, et, prenant leur vol, ils vinrent se joindre aux cohortes rayonnantes. Et il coula un torrent de feu qui emporta les loups, et je contemplais toutes ces choses avec étonnement...

[§ 120.] …………. Et on entendit un grand tremblement de terre; et, lorsque le jour parut, la vision s’évanouit.

CHAPITRE XI.

[§ 121.] ................. C’est pourquoi il m’a dévoilé en songe l’avenir, pour que je vous le raconte, et que sa volonté s’accomplisse aussitôt en vous. Hâtez-vous donc, vous aussi, d’exécuter ses préceptes. Venez, élevons des chapelles pour transférer les martyres dans le lieu du repos, et elles-mêmes vous encourageront à vous renouveler.

CIII.

Ayant dit ces mots, Grégoire ordonna qu’on préparât aussitôt les matériaux pour construire, et toute la foule, dès qu’elle l’eut entendu, se mit ardemment à l’œuvre. Ils entassèrent, dans les endroits indiqués, les uns des cailloux, les autres de grosses pierres, quelques-uns des briques, quelques autres des cèdres, et ils disposaient chaque chose, remplis de joie et pénétrés d’une grande crainte. Grégoire lui-même, prenant le niveau des maçons, jetait les fondements de la chapelle destinée au repos des martyres. Toute la multitude était accourue à son aide; ils élevaient l’édifice suivant un plan bien arrêté. Chaque homme se mettait au travail; les femmes aussi prêtaient leur assistance, suivant la faiblesse de leurs forces.

Ainsi ils travaillaient tous ensemble avec foi et saisis de crainte, afin qu’il ne restât personne qui ne participât aux grâces salutaires. Et ils élevèrent trois chapelles, l’une du côté de la ville entre le nord et le levant, là où fut martyrisée Hripsimè avec ses trente-trois compagnes, et ils construisirent l’antre au midi de la même ville, là où la supérieure Gaïanè souffrit le martyre, et la troisième près de la resserre des cuves, dans la vigne où était leur habitation.[84]

[§ 122.] Ils les construisirent, les embellirent, et les ornèrent de lampes d’or et d’argent sans cesse allumées, de grands lustres resplendissants de lumière et également de candélabres brûlant toujours.

CIV.

Et il commanda qu’on fit pour chacune d’elles une caisse de bois de sapin, avec de fortes attaches et des garnitures de fer. Chaque caisse ayant été préparée suivant ses ordres, ils les portèrent à l’entrée de la resserre des cuves, devant saint Grégoire. Celui-ci les prit, entra seul dans la resserre, et ne permit à aucun autre d’y pénétrer, disant : « Il ne vous convient pas de vous en approcher et de les toucher, parce que vous n’êtes pas encore guéris, ni purifiés par le baptême. » Lorsqu’il était renfermé seul, il plaça chacune des saintes clans une caisse séparée, et il l’ensevelit avec soin dans une robe; puis il mit dessus le signe du Christ. Pendant ce temps-là, le roi, les princes du sang et tous les grands, les satrapes, les nobles et toute l’armée, apportèrent des aromates odoriférant, du pur encens, des étoffes de soie de diverses couleurs et des tissus d’or. Et la reine et les princesses, les femmes des grands et les filles des nobles, apportèrent des robes de pourpre tissées d’or, des tissus bleus et blancs comme la neige, pour les ornements destinés aux saintes. On entassait l’or, l’argent et les tissus, à la porte de la resserre des cuves.

[§ 123.] Quand saint Grégoire sortit et qu’il vit tant de richesses entassées à la porte de la resserre des cuves, il ne voulut pas les employer pour les saintes: « Ne vous ai-je pas dit qu’il ne convient pas que vous approchiez d’elles ce qui vous appartient, tant que le baptême ne vous aura point purifiés?............... »

CV.

Cependant le roi Tiridate, à l’exception de la parole, conservait toujours la forme d’un pourceau. Il en avait les cornes des pieds et des malus, son visage ressemblait à un grouin, ses dents étaient comme des défenses de sanglier, et son corps tout entier était hérissé de poils. Il avait la tête et la figure voilées, son corps était revêtu d’un cilice, et il paraissait ainsi à tout le peuple.

[§ 124.] Donc le roi s’approcha de saint Grégoire, et le supplia de guérir ses pieds et ses mains, pour qu’il pût aussi travailler à la construction des chapelles des saintes. Alors le bienheureux Grégoire, ployant les genoux devant le Seigneur de tous, devant le Dieu bienfaisant et miséricordieux, se prosterna devant les caisses où étaient renfermés les corps des saintes martyres du Christ, et, les invoquant, il leva les bras, les étendit vers le ciel, en implorant la guérison du roi et de tous les assistants. Puis il revint près du roi, et, par la grâce du Christ, il lui guérit les pieds et les mains car la corne lui tomba des pieds et des mains[85] pour qu’il pût aussitôt travailler avec ses mains, et prendre part aux travaux élevés en l’honneur des saintes. Le roi demanda à Grégoire ce qu’il voulait qu’il fit. Il lui donna la mesure des caisses afin qu’il creusât la terre pour chacune d’elles, dans les chapelles destinées à leur repos. Et il pria de nouveau Grégoire qu’il ordonnât à son épouse, la reine Aschkhen[86] et à sa sœur Khosrovitoukhd de s’associer aussi au travail. Le saint donna cet ordre, et elles se rendirent avec lu pour l’aider dans son œuvre. Et lorsqu’il eut pris la mesure des caisses, elles creusaient, dans le temple des saintes martyres, l’endroit où elles devaient reposer.

[§ 125.] Le roi prit alors la bêche et la pioche, et il creusait la terre selon la grandeur des caisses. Et les deux autres, la reine Aschkhen et la sœur du roi Khosrovitoukhd, se passaient de main en main, dans le pan de leur tunique, la terre qu’elles enlevaient pour la porter dehors. Et ainsi, selon l’ordre [qu’elles avaient reçu], elles disposèrent d’abord la tombe de sainte Hripsimè, et puis celles de ses trente deux compagnes, dans l’endroit même où fut répandu le sang de leur bienheureux martyre, là où on allait dresser le glorieux autel du Christ. Et également dans la chapelle Située au midi de la ville, là où furent martyrisées sainte Gaïanè et ses deux compagnes, le roi lui-même avec sa sœur Khosrovitoukhd et avec, la reine Aschkhen[87] préparèrent leurs tombes de leurs propres mains. Puis le roi vint solliciter de saint Grégoire l’autorisation de se transporter sur le sommet du mont Massis,[88] voyage qui exigeait sept journées. Il prit dans ce lieu, sur la cime de la montagne, des pierres très dures, pesantes, longues, grosses, énormes, dont une seule n’eût pu être mise en mouvement par une multitude d’hommes. Mais le roi, doué d’une force extraordinaire, plaçant sur son épaule huit de ces blocs, à la manière d’Haïg,[89] les apporta à la chapelle des vierges. Lui seul dressa sur le seuil quatre énormes blocs, comme pour réparer sa lutte insensée avec la sainte, dans sa chambre, lorsque, gardée par la grâce du Seigneur, elle en triompha d’une façon si victorieuse. Aussi, à ce moment, il lui offrit comme couronne de sa victoire le travail de ses mains.

[§ 126.] Après avoir élevé et terminé les trois chapelles sacrées, ils les ornèrent et les embellirent d’une manière digne; puis ils transportèrent chaque martyre dans sa chapelle. On mit sainte Gaïanè avec ses deux compagnes dans la chapelle du midi, au lieu de son martyre. Et ils transportèrent aussi la bienheureuse Hripsimè avec ses trente-deux compagnes dans la chapelle de l’orient, du côté de la grande église. Et celle qu’ils avaient martyrisée seule dans la resserre aux cuves, ils lui élevèrent une chapelle au nord de la ville. Et ils transportèrent toutes les saintes martyres du Christ, chacune dans le lieu de son repos. Et chaque chose fut accomplie suivant l’ordre de la vision apparue à saint Grégoire. Et dans les trois chapelles élevées sur les sépultures de ces martyres vivantes [en Dieu, il éleva le signe sacré de la croix du Seigneur, en recommandant au peuple d’adorer le Seigneur leur Créateur devant ce signe qui vivifie tout le monde....

Aussitôt il alla avec le roi et avec tout le peuple au lieu indiqué de la colonne de feu sur la base d’or; ils environnèrent aussitôt ce lieu d’une haute muraille, ils la munirent de portes et de serrures, et là aussi ils élevèrent le signe de la croix salutaire;[90] et quiconque venait en cet endroit pouvait adorer à genoux le Dieu Créateur.

CVIII.

[§ 129.] ……………. Et aussitôt le roi, de sa propre volonté, prescrivit et recommanda à saint Grégoire d’enlever tout d’abord et d’anéantir les anciennes divinités de sa patrie, qui ne sont pas des dieux. Puis le roi alla lui-même avec toute l’armée de la ville de Vagharschabad à Ardaschad, pour y détruire les autels d’Anahid, à l’endroit appelé Erazamoïn.[91] Il rencontra d’abord sur sa route le temple du dieu Dir[92] où l’on expliquait les songes inspirés par ce dieu; c’était le temple du maître enseignant la sagesse des prêtres, qui portait le nom d’école de l’écrivain d’Ormizd, et dans laquelle s’enseignaient tous les arts.[93]

[§ 130.] Ils se mirent aussitôt à le détruire; ils l’incendièrent et le laissèrent en ruines. Là, apparut une immense troupe de démons, ayant la forme humaine, montés sur des chevaux ou à pied, armés de lances et de javelots, munis d’armes et de projectiles; ils couraient, criaient et poussaient des hurlements terribles. Lorsqu’ils se furent enfuis, ils se précipitèrent dans le temple d’Anahid. Delà, ils combattaient contre ceux qui s’approchaient, et, du sommet de l’édifice, ils décochaient contre ceux qui se trouvaient en bas, des flèches inoffensives et une grêle de pierres, ce qui effraya peu les nouveaux adeptes. Quand Grégoire vit cela, il fit le signe du Seigneur, courut à la porte du temple, et toutes les constructions de l’édifice, ébranlées jusque dans leurs fondements, s’écroulèrent. Les matériaux en bois s’allumèrent à l’improviste et brûlèrent par la puissance de la croix divine, et la fumée s’éleva comme les ramures d’un arbre jusqu’aux nues. Tous les démons prirent alors la fuite devant le peuple, déchirant leurs vêtements et se frappant le front, hurlant et poussant des cris déchirants: « Malheur à nous, parce que Jésus, fils de Marie, nous chasse de la terre tout entière; il nous faut quitter ces lieux, par la puissance des morts et des captifs; qu’allons-nous devenir, fugitifs que nous sommes, puisque sa gloire remplit l’univers? Irons-nous au milieu des habitants du Caucase, du côté du nord? là peut-être pourrons-nous nous cacher et vivre, et au lieu de combattre avec les vents, sans relâche, séparés des habitations des hommes, pourrons-nous accomplir notre volonté contre eux. »

Tous ceux qui entendirent ces paroles [§ 131.] furent confirmés dans la foi. Alors la troupe ténébreuse des démons disparut de ce lieu, comme une fumée. Mais le peuple qui était arrivé là détruisit aussitôt les fondements qui restaient; il distribua les trésors qui y étaient accumulés aux mendiants, aux pauvres et aux nécessiteux. Le terrain, les ministres, avec les prêtres païens et leurs biens, furent donnés pour le service de l’Eglise. Ensuite Grégoire, semant chez eux tous la parole du culte véritable de Dieu, les amena dans le sentier du Seigneur et il les instruisit dans les préceptes du Créateur. Dans toutes les villes de l’Arménie, dans les cités, les bourgs et les campagnes, il indiquait l’emplacement de la maison de Dieu. Cependant il n’en creusait nulle part les fondements, il n’élevait nulle part aucun autel au nom de Dieu, car il n’était pas revêtu des honneurs du sacerdoce. Il entourait seulement les localités consacrées de murailles et y dressait le signe de la croix. Il élevait également, au commencement des rues et des chemins, sur les-places et dans les carrefours, le signe conservateur et protecteur ……………..

[§ 132.] Il choisit ensuite les principaux de la race des Arsacides (Arschagouni) et leur enseignait la doctrine. Le premier parmi eux était le roi Tiridate, avec toute sa famille. Il s’efforçait également d’indiquer à toutes les intelligences la science de la vérité. En prêchant ainsi et en répandant partout le saint Evangile du Seigneur, il les instruisait pour qu’ils se conduisissent bien dans le chemin de la vie éternelle. Il leur recommandait principalement d’adorer seulement le Seigneur leur Dieu, et de ne servir que lui.

CIX.

Puis, invoquant pour eux la grâce du Dieu bienfaisant, il s’en alla avec le roi dans les autres parties de l’Arménie, semer le Verbe de vie. Il parvint dans le canton de Taranaghi,[94] pour y détruire le temple des faux dieux, parce qu’il y avait dans le bourg de Thortan[95] le temple d’un dieu glorieux et célèbre, appelé Parschimnia.[96] Ils le ruinèrent d’abord, et mirent en pièces la statue.[97] S’étant emparés de tous les trésors en or et en argent, ils les distribuèrent aux pauvres, et le bourg avec toutes les terres et les champs furent donnés au nom de Dieu. Là aussi on éleva le signe de la croix du Sauveur de tous. Ensuite le saint, prenant le caractère d’apôtre sacré, avec l’aide efficace du roi, s’occupa à détacher les habitants de cette province du culte de leurs ancêtres et de leurs coutumes sataniques, pour les amener au service de l’obéissance du Christ. Et pendant qu’ils semaient en eux le Verbe de vie, qu’il les exerçait tous dans le culte de Dieu, il se manifesta des miracles éclatants aux habitants du pays, et les démons, sous des formes diverses, s’enfuirent en masses pressées du côté de la Chaldie.[98]

[§ 133.] Les ayant aussi confirmés dans la foi, Grégoire s’en alla dans une place forte appelée Ani,[99] sépulture des rois d’Arménie, et là également, ils ruinèrent les statues du dieu Aramazd, qu’on disait être le père de tous les dieux. Après avoir élevé aussi dans cet endroit le signe divin, ils donnèrent le bourg avec son château pour le service de l’Eglise. Ensuite, il se dirigea sur la province d’Eghéghiatz qui est sur les confins, dans le bourg d’Erez où se trouvaient les temples les plus considérables des rois d’Arménie, consacrés spécialement au culte d’Anahid. Là, les démons, s’étant réunis comme une armée, avec des boucliers, combattaient en faisant retentir les montagnes d’un bruit épouvantable et de leurs hurlements. Ensuite ils prirent la fuite, et les hautes murailles, s’écroulant tout à coup, aplanirent le sol. Saint Grégoire, avec le roi, l’armée et tous ceux qui étaient venus, brisèrent la statue d’or de la déesse Anahid,[100] détruisirent tout et enlevèrent l’or et l’argent.

CX.

Ensuite, ayant traversé le fleuve Kaïl (Lycus), ils détruisirent la statue de Nanéa,[101] fille d’Aramazd, dans le bourg de Thil,[102] et ayant pris et rassemblé le trésor des deux temples, ils les laissèrent en offrande avec les terres aux églises de Dieu. Ainsi, dans beaucoup d’endroits, ils ruinaient les idoles muettes, perverses, fondues, sculptées, taillées, vaines, inutiles, pernicieuses, créations de l’ignorance d’hommes insensés, eux qui s’étaient convertis de plein gré et avaient été confirmés dans la foi.

[§ 134.] …………. Saint Grégoire se hâta d’arriver dans le canton de Terdjan,[103] pour y prêcher et y introduire la culture apostolique, délivrer les habitants de la barbarie abominable, idolâtre et satanique, pour instruire ces races barbares, et les conduire de la vie âpre et sauvage de l’idolâtrie dans la voie droite et à la sagesse divine, et leur faire connaître la vérité évangélique. Il alla également au temple de Mihr[104] qu’on disait fils d’Aramazd, dans la ville de Pakaïaridj[105] dans l’idiome des Parthes, et le détruisit aussi, jusqu’aux fondements. Il en prit les trésors pour les distribuer aux pauvres, et il consacra le terrain à l’Église. Il confirma les habitants du pays dans la science de la vérité. Ensuite il commença à instruire avec soin dans la sagesse divine la cour du roi, ainsi que les grands et les nobles de l’armée.

CHAPITRE XII.

CXI.

[§ 135.] Ensuite le roi Tiridate, avec sa femme la reine Aschkhen et sa sœur Khosrovitoukhd, commanda qu’on réunit toutes ses troupes, et d’après ses ordres elles arrivèrent aussitôt au rendez-vous indiqué, qui était la ville de Vagharschabad, dans la province d’Ararat. Le roi y vint aussi et toutes les cohortes s’y rassemblèrent ; les grands, les préfets, les gouverneurs, les nobles, les généraux, les commandants, les princes, les satrapes, les juges, les magistrats, tous se présentèrent devant le roi. Celui-ci décida, de concert avec eux, de hâter la possession de si grands biens: « Hâtons-nous d’élire pour notre pasteur Grégoire, qui nous a été donné par Dieu comme guide, pour qu’il nous illumine par le baptême, et qu’il nous renouvelle par le sacrement du Créateur. » Mais Grégoire ne voulait pas consentir à recevoir le grand honneur du sacerdoce. Je ne puis, disait-il, soutenir une telle dignité à cause de sa grandeur, car c’est un honneur et une gloire ineffable donnée par le Christ, d’être intercesseur entre Dieu et les hommes. Cherchez donc et trouvez quelqu’un qui en soit digne.

[§ 136.] Alors Dieu envoya au roi une vision admirable, parce qu’il voyait l’ange de Dieu qui lui parlait: « Vous devez, disait-il, conférer sans tarder le sacerdoce à Grégoire, afin qu’il vous éclaire par le baptême. » L’ange de Dieu apparut également à Grégoire, et il lui dit de ne point s’y refuser : « car, disait-il, cela est ordonné par le Christ. » Alors il consentit aussitôt et dit : « Que la volonté de Dieu soit faite! »

CXII.

Alors le roi, avec hâte, avec crainte et aussi avec une grande joie, rassembla les principaux satrapes et les gouverneurs du pays. En premier lieu, le prince de la maison d’Ankegh;[106] le second, le prince d’Aghdsnik[107] qui était grand ptiachtchkh;[108] le troisième, le prince chef des eunuques;[109] le quatrième, le prince thakatir, chef de la cavalerie;[110] le cinquième, le prince généralissime, chef des troupes arméniennes;[111] le sixième, le prince du pays de Gortouk;[112] le septième, le prince du pays de Dzop;[113] le huitième, le prince du pays des Karkars,[114] nommé le second ptiachtchkh; le neuvième, le prince du pays des Reschdouni;[115] le dixième, le prince du pays de Mog;[116] le onzième, le prince du pays de Siounik;[117] le douzième, le prince du pays de Zotek;[118] le treizième, le prince du pays d’Oudi;[119] le quatorzième, le prince préfet du canton de Zaravant et de Her;[120] le quinzième, le prince de la race de Malkaz;[121] le seizième, le prince des Ardzrouni.[122] Ce sont la les princes choisis, les préfets et les gouverneurs, les chefs de mille et de dix mille soldats d’Arménie, de la race de Thorgom. Le roi, les ayant rassemblés, les envoya en Cappadoce, dans la ville de Césarée, qui dans l’idiome arménien s’appelle Majakh.[123] C’est là qu’ayant envoyé Grégoire, Tiridate voulait le faire nommer grand Pontife de tout son pays.

CXIII.

[§ 139.] …………… Grégoire monta dans le char enrichi d’or du roi, traîné par des mules blanches; et tous les princes réunis l’accompagnèrent avec des chars et des chevaux, avec des troupes et des bannières, chacun conduisant sa cohorte. Ils quittèrent la province d’Ararat et la ville de Vagharschabad, et ils arrivèrent aux frontières des Grecs, où ils trouvèrent l’hospitalité dans toutes les villes et furent reçus avec de grands honneurs. On leur témoignait une grande joie, on leur donnait des fêtes et des banquets, lorsqu’on apprenait les miracles opérés par Dieu, la conversion salutaire de ceux qui étaient venus, et leur progrès dans la voie du bien. Etant ainsi fêtés sur toute la route, ils arrivèrent à Césarée et ils y virent le saint catholicos Léonce (Léontios), tout le clergé de l’Église par ordre de dignités, et tous les ministres des mœurs angéliques. Après les avoir salués, ils racontèrent tout ce que Dieu avait opéré, et ils présentèrent la lettre du roi au saint pontife qui la reçut avec de grandes démonstrations d’allégresse. Tous les habitants, les accueillant avec amour, leur faisaient avec joie une grande fête; ils accueillirent saint Grégoire à cause des mérites de ses vertus et des souffrances qu’il avait endurées dans son martyre, et ils le reçurent avec des cierges, des chants et des hymnes spirituelles. Les grands de la ville lui témoignèrent un grand respect, et l’honorèrent de grand cœur, suivant la coutume de ceux qui appartiennent au Christ. Ainsi, il fut honorablement accueilli de tous, à cause du bonheur qu’il avait éprouvé en obtenant le titre de martyr.

 [§ 140.] Alors on convoqua dans la ville de Césarée un concile composé de beaucoup d’évêques pour ordonner saint Grégoire, et lui concéder l’honneur de l’humble sacerdoce du Christ et la dignité de l’épiscopat pour la gloire de Dieu. Les saints évêques réunis et le saint catholicos Léonce lui imposèrent les mains avec le saint Evangile, pour qu’il reçut l’autorité sur la terre et dans le ciel et les clefs du royaume céleste.[124] Ensuite ils prirent congé de saint Grégoire et des princes, avec de grands honneurs, et lui donnèrent une lettre et une escorte. Ceux-ci se mirent en route, et, ayant quitté la ville, avec la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ils arrivèrent à la ville de Sébaste, où, ayant trouvé des demeures, ils résidèrent plusieurs jours. Grégoire y rencontra beaucoup de moines qu’il persuada de venir avec lui pour les ordonner prêtres dans son pays, et il en emmena un grand nombre. Il fut magnifiquement reçu par les évêques de cette ville, par les grands et par le peuple. Partout où ils passaient, une foule immense se pressait pour voir le saint évêque Grégoire, et pour recevoir sa bénédiction ……………… Ensuite ……………….. ayant accompli de cette manière leur long voyage, en bonne santé, en prospérité et remplis d’allégresse spirituelle, ils arrivèrent en Arménie.

CXIV.

[§ 141.] Étant arrivé aux confins de L’Arménie, Grégoire apprit que le temple de Vahak’n, dans le canton de Daron, était rempli d’or et d’argent et de beaucoup de présents offerts par les grands rois, et célèbre par le nom de la huitième statue du dieu appelé Vahak’n, destructeur de dragons. C’était l’endroit des sacrifices des rois de la Grande Arménie, situé sur le sommet du mont Karké[125] et proche de l’Euphrate, en face de la grande montagne du Taurus, et, à cause des nombreux sacrifices qui s’y faisaient, on l’appelait encore Achdichad (lieu des sacrifices).[126] Trois temples étaient encore restés debout : le premier était le temple de Vahak’n;[127] le second, celui de la divine Mère d’or, et la statue avait aussi ce nom, c’est-à-dire la Mère d’or;[128] le troisième temple était celui de la déesse Astghig, appelé aussi la résidence de Vahak’n, et qui est l’Aphrodite des Grecs. Grégoire alla pour le détruire aussi; car la masse ignorante des habitants sacrifiait toujours dans les temples qui existaient encore.

[§ 142.] En revenant de la Grèce, il apportait avec lui quelques reliques des ossements du grand prophète, du bienheureux Jean-Baptiste (Méguerditch) et du saint martyr du Christ Athénogène.[129] Cependant, arrivé en face de ces temples, près de l’Euphrate, il voulut porter les reliques à l’un des temples pour détruire les autels des idoles, et élever des chapelles aux saints. Quand ils arrivèrent près du fleuve Euphrate, distant de deux courses de cheval, ils eurent à traverser encore une vallée où il y avait un peu d’eau. Les mules blanches du carrosse où se trouvaient les divins trésors, les reliques, s’étant arrêtées, il fut impossible de les faire avancer dans la vallée. Mais l’ange de Dieu, étant apparu à Grégoire, lui dit : « Il plait au Seigneur que ces saints de Dieu demeurent ici. » Aussitôt toute la troupe, s’étant mise au travail, éleva bien vite une chapelle, et donna à ces saints leur repos.[130]

CXV.

Pendant qu’ils élevaient la chapelle, Grégoire commanda à la troupe et aux princes qui étaient avec lui de monter pour abattre à coups de marteau le temple des idoles. Ayant gravi en se pressant, ils ne purent trouver les portes du temple pour y entrer, parce que les démons les leur avaient cachées. Ils tâchaient d’y pénétrer par l’extérieur, mais les outils de fer ne purent entamer les murailles. Aussitôt les princes accoururent et firent part des obstacles qu’ils avaient rencontrés.

[§ 143.] ………………. Un vent violent s’éleva bientôt du bois de la croix que le saint pontife portait à la main. Le vent souffla fortement, aussi haut que la cime de la montagne; et, y étant arrivé, il abattit, renversa et déracina tout l’édifice des autels des idoles, et le lit si bien disparaître qu’on n’aperçut ensuite plus rien dans cet endroit, ni pierre, ni bois, ni argent; il semblait qu’il n’y avait jamais eu là de constructions. Ceux qui s’y trouvaient renfermés, les ministres païens et leurs sectaires furent anéantis; leurs ossements mêmes disparurent …………………..[131]

Il gravit ensuite à l’endroit où étaient les temples, et, ayant rassemblé les gens du pays, il les convertit au culte divin, Il jeta les fondements de l’église et éleva un autel à la gloire du Christ. C’est là qu’on commença d’abord à construire des églises et des autels au nom de la Sainte Trinité et à établir les fonts baptismaux.[132] D’abord il purifia par le baptême les grands satrapes qui l’avaient accompagné à la ville de Césarée, puis ensuite les habitants du pays. Il s’arrêta vingt jours en cet endroit, où il baptisa plus de cent quatre-vingt.dix mille personnes. Il éleva un autel dans la chapelle du repos des saints qu’il avait construite, y célébra le sacrifice salutaire, et là il distribua le corps et le sang vivifiant du Christ. Il prescrivit qu’on célébrât dans ce lieu chaque année la fête des saints, et que là, s’étant tous réunis, ils sanctifiassent une fête en leur mémoire, le septième jour du mois de Sahmi,[133] parce que ce fut là qu’il éleva des églises, et qu’il ordonna des prêtres. Tout à l’entour, on construisit des églises entourées de murailles et on y établit des prêtres.

[§ 144.] Ensuite, en quittant ce lieu, avec la glorieuse puissance de la croix, il emporta une partie des reliques des saints, pour leur élever des chapelles en d’autres endroits. Et parcourant toutes les provinces, visitant les bourgs et les campagnes, il construisait des églises, donnait le baptême et consacrait des prétres.

CXVI.

Le grand roi Tiridate, ayant appris que Grégoire était arrivé en Arménie, partit avec son armée, la reine Aschkhen et sa sœur Khosrovitoukhd, de la ville de Vagharschabad, dans la province d’Ararat, pour aller au-devant de Grégoire. Il arriva au bourg de Pakovan,[134] qui en langue parthe se dit Titzavan (bourg des idoles),[135] et il y séjourna un mois. Ensuite il voyagea pour doter différents pays d’églises, de prêtres et de ministres, et introduire la discipline pour le service divin et pour purifier beaucoup de gens par le baptême. Il arriva ensuite dans un lieu appelé Titzavan, avec tous les grands, les soldats et la foule du peuple qui s’était rassemblée dans différentes localités, le suivait partout et obtenait de lui la guérison et tout ce qui était nécessaire. Et lui, avec une doctrine abondante, semait chez tous le Verbe de vie. Le bienheureux évêque, suivi des ministres de l’Évangile qui étaient avec lui et dont nous ne pouvons mentionner les noms, s’étant recommandé à la grâce de Dieu, arriva au pied du mont Nebad.[136]

[§ 145.] Le roi vint à sa rencontre avec toute l’armée sur le bord du fleuve Euphrate, et Grégoire, le rencontrant en cet endroit, les remplit tous de la grâce de l’Évangile du Christ. Puis, avec une grande révérence et un contentement parfait, ils retournèrent au bourg, où les princes présentèrent au roi la réponse qu’ils avaient apportée à la lettre ………………………….

CHAPITRE XIII.

CXVII.

[§ 149.] Là, Grégoire posa les fondations pour élever une église et il plaça dans cette maison du Seigneur les reliques des saints qu’il apportait avec lui. Et de cette manière, dans chaque endroit des provinces, il fondait des églises, il dressait des autels, et consacrait des prêtres. Tout le pays s’étant converti de bon gré, tous persévéraient dans la prière et dans la crainte de Dieu. Lorsque les jours de jeûne furent accomplis, Grégoire convoqua les cohortes de l’armée, le roi lui-même, avec son épouse Aschkhen, la grande princesse Khosrovitoukhd, tous les grands, et, au jour fixé, il les conduisit tous sur la rive de l’Euphrate, et là il les baptisa tous, au nom du Père, du Fils et du saint Esprit [137] ……………………..

cxix.

[§ 150.] ………………….. Ceux de l’année royale qui furent baptisés durant ces sept jours, tant hommes qu’enfants, étaient au nombre de plus de quatre millions, il ordonna qu’on célébrât solennellement la commémoration des saints qu’il avait apportés avec lui, au jour même où l’on célébrait déjà le culte inutile du dieu Amanor,[138] au moment de l’apparition des fruits nouveaux, et où l’on fêtait joyeusement dans cette localité le dieu hospitalier, dans les premiers jours de Navassart. Enfin il ordonna que, les réunissant ensemble, ils célébrassent à la fois, le même jour, dans ce bourg, la commémoration du grand et bienheureux Jean Baptiste et du saint martyr de Dieu, Athénogène.[139] Ensuite le bienheureux Grégoire, enseignant sa doctrine et ouvrant le cœur du peuple pour la saisir, et proposant ses enseignements comme une mer montante, les remplissait tous des biens spirituels.[140]

[§ 152.] Après avoir visité chaque localité de la Grande Arménie, il éleva des églises dans toutes les provinces, les villes, les bourgs, les villages et les campagnes. Le roi écrivit également par tout son royaume pour qu’on donnât à chaque église quatre champs dans les campagnes, et dans les bourgs sept domaines, comme offrande au Seigneur. Il institua des prêtres en tous lieux, et il commanda qu’on adorât seulement le Seigneur Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Il multiplia partout les ministres de l’autel de Dieu, et consacra des prêtres dans toutes les églises pour chaque autel. Ainsi, il instituait les évêques, comme chefs du peuple du Seigneur, et il leur imposa de gouverner avec un zèle prudent et dévoué le troupeau du Seigneur. Saint Grégoire persuada ensuite au roi de rassembler dans plusieurs localités beaucoup d’enfants de divers pays et de diverses provinces et de les instruire. Ayant mis ce peuple grossier, sauvage et barbare dans le creuset de la doctrine, par l’ardeur de l’amour spirituel, il leur enlevait l’écorce et la rouille des démons impurs et des cultes superstitieux, et il les déshabituait tellement des coutumes de leur patrie, qu’ils disaient : « J’ai oublié mon peuple et la maison de mon père.[141] »

CXX.

[§ 152.] Le roi Tiridate ordonna qu’on amenât beaucoup d’enfants des différentes parties de l’Arménie, pour étudier la doctrine et pour en faire des maîtres dévoués; qu’on amenât spécialement dans des localités désignées, et en différentes catégories, les enfants des prêtres réprouvés des idoles, et qu’on leur accordât un salaire annuel. Il les partagea en deux catégories, l’une qui devait apprendre la langue syriaque, et l’autre le grec. Ainsi tout à coup, ce peuple grossier, nomade et brutal, s’instruisant dans la doctrine des prophètes et des apôtres, connut et posséda l’Evangile, et apprit les divines traditions. Grégoire arriva d’abord dans son domaine de Rodangag[142] dans la province d’Ararat, dans la ville de Vagharschabad, là où avaient commencé les châtiments divins, où il avait eu la vision et où il avait ensuite élevé le signe de la sainte croix; c’était là aussi qu’avaient été ensevelies les saintes de Dieu, que leurs chapelles furent édifiées, et que l’autel fut élevé au Seigneur sur le lieu du repos des saintes. Il bâtit à l’endroit assigné la maison de Dieu, comme cela lui avait été révélé dans la vision, et il éleva l’autel du Christ.[143]

[§ 153.] Il multiplia les églises dans tous les lieux où existaient autrefois des temples qu’il avait détruits et dans des pays et des endroits différents, Il consacra des prêtres, et, avec la confirmation du Christ, il les fortifia tous pour recevoir le Saint-Esprit. Ainsi, dans toute l’Arménie, il répandit la culture de la prédication évangélique, depuis la ville de Satala[144] jusqu’au pays des Chaldik, et depuis Gaghardch[145] près les confins des Massagètes,[146] vers le pays des Alains, jusqu’au pays des Caspiens, à Phaïdagaran,[147] ville du royaume d’Arménie; depuis la ville d’Amid[148] jusqu’à Medzpin[149] en côtoyant la Syrie, la nouvelle Schiragan et Mahkherdan,[150] et près des Gortouk jusqu’au pays des Mèdes (Mares), et aux domaines du prince de Mahkherdan; enfin il étendit ses soins évangéliques jusqu’à l’Adherbadagan.[151] Tout le temps de sa vie, l’été et l’hiver, le jour et la nuit, avec une infatigable sollicitude, avec une marche lente et évangélique, il porta le nom du Christ sauveur, en présence du roi et des princes et de tous les pays, ne rencontrant pas d’adversaires; il revêtit chaque âme de la grâce divine et des armes du Saint-Esprit.

[§ 154.] Il sauva la vie à beaucoup de prisonniers qui avaient été martyrisés, les délivrant par la puissance terrible de la gloire du Christ; il anéantit beaucoup d’ordres sévères, injustement écrits. Il confirma dans une confiante espérance beaucoup d’hommes simples et sincères, et, avec sa consolante doctrine. Il les exhorta à la glorieuse apparition du Dieu très grand, seigneur et sauveur de tous, Jésus-Christ, et il les dirigea vers l’ordre et la piété. Il envoyait également des cénobites par troupes, dans les lieux habités et sauvages, dans les campagnes et sur les montagnes, réfugiés et rassemblés dans des grottes. Il prit aussi les enfants de quelques prêtres païens et il les élevait et les instruisait sous ses yeux. Il s’occupait de les nourrir et de les instruire avec une ferveur et un zèle spirituels. Il consacra ceux qui avaient mérité la dignité épiscopale. Le premier se nommait Albin (Aghpian), qui fut prélat au-delà de l’Euphrate; le second Euthalius (Eudaghios), qui fut pasteur dans le pays de Passen; le troisième Bassus (Pasos); le quatrième Moïse; le cinquième Eusèbe; le sixième Jean; le septième Agapius (Agapès); le huitième Arditès;[152] le neuvième Arsougès; le dixième Antiochus; le onzième Dirigès; le douzième Cyriaque (Guiragos). Ce sont eux qui furent choisis parmi les prêtres païens pour être évêques des divers diocèses, et étendre la prédication. Mais celui qui voudrait se souvenir du nom des autres ne le pourrait pas.

CHAPITRE XIV.

[§ 155.] Il laissa Albin, homme sincère et rempli de l’amour de Dieu, pour veiller sur l’armée de la cour royale; et lui, de temps en temps, s’en allait sur les montagnes et il se donnait lui-même comme exemple aux autres. Il prenait quelques-uns de ses disciples des différents monastères, et ils allaient ensemble habiter sur des montagnes solitaires, cachés dans des grottes et dans des cavernes, heureux de se nourrir d’herbes …………….

CXXIII.

[§ 158.] ..................... En ce temps-là, l’Arménie devenait heureuse, enviée et admirée. Comme autrefois Moise fut tout à coup maître de la loi des Hébreux, avec tout le chœur des prophètes, comme Paul avec la troupe des apôtres et le salutaire Evangile du Christ; ainsi Grégoire vint et apparut, et aux Arméniens il parla la langue arménienne.[153] Etant allé dans diverses provinces, il choisissait un lieu solitaire dans les déserts, et là il résidait, et de là il les instruisait. Il institua des évêques dans toutes les provinces de l’Arménie sou diocèse. Ceux qui furent appelés par lui à la dignité épiscopale étaient au nombre de plus de quatre cents, et les ordres des prêtres, des diacres et des lecteurs et d’autres ministres du Seigneur étaient innombrables. Le roi Tiridate fit ce pacte avec tous les hommes sous sa domination, grands et petits, qu’ils obéiraient avec fermeté à tous les commandements du Seigneur, et qu’ils croiraient au Créateur de tout leur cœur. Tous, étant persuadés, s’empressaient d’accomplir l’ordre. Le roi supplia Grégoire de rester auprès de lui et de l’accompagner dans ses voyages; mais il n’y consentit pas, aimant mieux habiter dans des déserts. Il veillait à s’humilier dans des jeûnes, afin que l’orgueil ne s’élevât pas pour le faire tomber. Il avait résolu durant toute sa vie de se nourrir seulement tons les quarante jours et de jeûner le reste du temps, jusqu’au jour où il serait invité par le Christ à son repos.

[§ 159.] Et tandis que le roi affligé désirait, ainsi que tous, qu’il habitât au milieu d’eux, et se plaignait de lui; quelques-uns de ceux qui le connaissaient avertirent le roi que saint Grégoire, dans sa jeunesse, avait été d’abord marié et qu’il avait eu deux fils, dont le premier s’appelait Verthanès (il était séculier et s’était voué également à la prêtrise), et le second, Rhesdaguès, avait été élevé dès l’enfance dans le service de Dieu. Ce dernier était entré dans l’ordre des moines solitaires qui habitaient sur les montagnes; il avait supporté de grandes afflictions, et suivait l’Evangile en tous points. Il s’était adonné entièrement aux choses spirituelles, à la solitude, au séjour des montagnes, à la faim et à la soif, vivant d’herbes, s’enfermant dans l’obscurité, couvert d’un cilice, dormant sur la terre, se privant même souvent du doux repos de la nuit, du sommeil réparateur, et veillant debout, il faisait tout cela depuis peu de temps. D’autres s’étaient réunis à lui et il les avait élevés dans le même culte évangélique. Ayant ainsi fortement et volontairement supporté toutes les tentations qui lui étaient survenues, et étant sanctifié de la sorte, il fut connu et devint cher à Dieu et aux hommes. Or le roi Tiridate, ayant entendu toutes ces choses, expédia, sans plus tarder, trois princes honorables et estimés, avec des lettres, pour que les deux fils de Grégoire fussent aussitôt amenés près de lui.

[§ 160.] Les envoyés du roi, qui devaient les amener, étaient: le prince Ardavast, généralissime de toutes les armées de la Grande Arménie; le second, Dadjad, prince de la province d’Aschotz;[154] le troisième, Tad, héraut (précurseur) du roi.

CXXIV.

Ceux-ci, étant arrivés dans la contrée de Cappadoce, rencontrèrent Verthanès dans la ville de Césarée, et saint Rhesdaguès qui habitait dans le désert de son monastère. Ce dernier ne voulait pas quitter sa solitude, jusqu’à ce que beaucoup de chrétiens, s’étant réunis, le persuadèrent de partir, car, il est mieux pour toi, disaient-ils, de travailler à l’œuvre de la culture divine que d’habiter en solitaire dans le désert. Et ils les envoyèrent. Ceux qui étaient venus s’en retournèrent en Arménie et présentèrent au roi les deux fils de Grégoire qu’ils avaient ramenés avec eux. Le roi les reçut et alla avec eux en personne à la recherche de saint Grégoire partout où ils croyaient le rencontrer. Enfin on le découvrit dans la province de Taranaghi, sur le mont Manaiark,[155] dans le désert. Alors le roi Tiridate supplia le bienheureux Grégoire, puisqu’il ne voulait pas consentir à rester avec lui par amour de la vie solitaire, de consacrer évêque son saint fils Rhesdaguès qu’il lui avait amené. Grégoire le consacra évêque à sa place, d’après ces paroles de l’Écriture: « Au lieu des pères, les enfants seront comme princes de la terre.[156] »

[§ 161.] Car, plus que son père, celui-ci démontra sa doctrine du vivant de son père; et puis il lui succéda et monta sur le siège du patriarcat de la Grande Arménie.[157] Puis le grand Grégoire lui-même s’en alla dans les pays qu’il avait organisés et dans les provinces de l’Arménie qu’il avait instruites, pour consoler, fortifier, renouveler, confirmer …………………………

CHAPITRE XV.

CXXV.

[§ 163.] Dans ce temps-là, Constantin, fils du roi Constance,[158] régna en Espagne et en Italie, et il crut en Dieu, Créateur du ciel et de la terre, et dans le Verbe son fils unique, et dans le saint Esprit de sa divinité. Il rassembla une nombreuse armée sur les rivages du grand Océan, et il les adjura tous de croire à la vérité, en écoutant les oracles d’un Dieu unique, et que tous, comme une seule nation parfaite, glorifiassent Dieu. Se confiant en Dieu, il marcha contre les rois païens, et en peu de temps les mit tous en déroute; il renversa, par la puissance de la Croix du Christ, les rois impies et scélérats Dioclétien, Marcien,[159] Maximien, Lucien[160] et Maxence, et il extermina toute la race des rois impurs et païens. Il releva également les églises ruinées et les autels détruits de la maison du Seigneur; il mura les endroits où les saints avaient été martyrisés et il multiplia la gloire des bienheureux martyrs. Il augmenta l’honneur des prêtres de Dieu; il établit la paix par toute la terre, en détruisant le scandale, afin que personne ne chancelât dans la voie du Seigneur. Il renversa les temples impies des démons; et ces mêmes démons avec leurs ministres prirent la fuite et disparurent. Il combla d’honneurs et de présents ceux qui n’avaient cessé de vivre dans le culte vrai et pieux de Dieu.

[§ 164.] C’est pourquoi il remporta sur tous la victoire, parce qu’il avait la bannière de la croix et que, par ses édits, il répandit dans l’univers le ferme commandement de la vérité, pour que les hommes restassent fermes dans la foi reçue de Dieu: imposant à tous de vivre religieusement avec la lumière puissante de la foi divine. Ainsi il dispersait les cohortes des ténèbres et domptait toutes leurs forces. Mais ceux qui consentaient à se faire les adorateurs de la vérité devenaient ses amis, et, en les honorant, il les appelait auprès de lui. De cette manière, ayant acquis la puissance sur les hommes, il établit sa domination et il disait avec raison que son royaume était fondé par Dieu. Il devint si pieux et si constant que, tous les jours de sa vie, un ange lui apparut et le bénissait chaque matin, en prenant le signe du Christ de sa couronne, et le lui posait sur le front. Ainsi le bienheureux et admirable Constantin voyait l’ange céleste son ministre; et lui, le véritable adorateur et l’ami de Dieu toujours victorieux, offrait au Christ sa pourpre royale, confirmait son royaume dans la foi, et établissait dans toutes les églises la croyance à la vérité.

CXXV.

[§ 164.] Alors cette grande nouvelle arriva dans la Grande Arménie, à la cour arsacide de Tiridate, roi de la Grande Arménie. Celui-ci, l’ayant apprise, offrit au Seigneur de tous des louanges infinies, et, avec les témoignages d’une immense joie, il remerciait celui qui, dans tons les pays, glorifiait son saint nom. Après qu’il eut pris des renseignements, le grand roi des Arméniens tint conseil pour entreprendre son voyage. Ayant fait ses préparatifs, il prit avec lui le grand archevêque Grégoire, son fils Rhesdaguès, l’évêque Albin, et les quatre préfets de sa cour qu’on appelait ptiachtchkh de la milice : le premier, le commandant des frontières de Nor-Schirag; le second, le commandant des pays de l’Assyrie; le troisième, celui des pays arabes; le quatrième, celui des pays des Massagètes; de plus, le grand prince de la race d’Ankegh, le thakatir, chef de la cavalerie, et le généralissime, prince de Mog,[161] le prince de Siounik, le prince des Reschdouni, le prince de la race de Makaz,[162] le gouverneur de Schahab, et le surintendant des chasses royales. En outre il emmena beaucoup d’autres grands et soixante-dix-mille soldats d’élite, [§ 166.] et il s’en alla de la ville de Vagharschabad dans la province d’Ararat, et arriva aux frontières des Grecs. Il traversa avec une grande allégresse beaucoup de pays, et reçut de grands honneurs et des marques de respect dans toutes les villes. Beaucoup de princes venaient à sa rencontre et lui offraient leurs respectueux hommages. Ainsi, voyageant promptement et par terre et par mer, ils arrivèrent enfin en Italie, dans la province des Dalmates,[163] et à la ville capitale de Rome. Aussitôt l’avis en fut donné au palais royal. Dès qu’il eut appris cette nouvelle, le roi sacré par Dieu et le digne possesseur de ce trône, Constantin, avec le pontife, grand archevêque de la ville royale, Sylvestre (Selpestros),[164] les honorant d’une grande estime, et avec toutes les marques de l’allégresse, les firent reposer quelque temps dans la ville universelle. Puis le pieux roi Constantin, rempli d’admiration, demanda au roi Tiridate de quelle manière lui était arrivé le miracle de Dieu. Et Tiridate raconta devant l’empereur tous les biens qu’il avait reçus de Dieu, et n’eut pas honte de rappeler le châtiment qui l’avait changé en bête sauvage; la pieuse résignation des saintes martyres, ce qui arriva, et l’endroit où’ elles reposaient actuellement. Et il montrait au roi Grégoire lui-même, et lui disait: « C’est l’homme par le moyen duquel nous avons connu la bonté de Dieu. » Et il raconta ses souffrances et les miracles prodigieux qu’il accomplit.

[§ 167.] L’empereur (Gaiser) Constantin, dans l’admiration, se prosterna et s’agenouilla devant Grégoire pour recevoir sa bénédiction et lui rendit des honneurs comme au confesseur du Christ, autant qu’il le méritait. Il montra aussi au roi Tiridate de l’affection comme à un frère bien-aimé, avec une grande joie, surtout parce qu’il avait reconnu Dieu. Il fit alliance avec lui, ayant pour médiatrice la foi dans le seigneur Christ, pour qu’on observe entre les deux royaumes une amitié durable.[165] Aussi le roi des Arméniens se confirmait encore davantage dans sa foi dans la Sainte-Trinité. Il raconta aussi comment les martyres de Dieu avaient été suppliciées. Puis l’empereur Constantin se mit également à raconter leur vie incomparable; car il savait déjà combien elles étaient vertueuses, quand elles étaient dans leur patrie, et à quelle noble race elles appartenaient. Il raconta aussi les victoires que Dieu lui avait accordées, et comment Il avait triomphé de tous les ennemis de la vérité: « Sache, mon frère, lui dit-il, que Dieu fait connaître sa miséricorde par toute la terre, afin que toutes ses créatures le connaissent et glorifient sa vérité, parce qu’il veut de tels adorateurs! »

[§ 168.] Puis on leur fit de grands honneurs, on leur donna des subsistances, et on les entoura de la glorieuse pompe en usage à la cour, de prêtres et de nobles de la ville. On leur fit des présents et des cadeaux précieux, comme marque de respect et d’affection. Puis, prenant congé des Augustes, et étant salués par le saint catholicos, par le clergé et par les illustres seigneurs de la ville, et étant montés sur un char comblé des souhaits de l’empereur, ils s’en allèrent avec une grande pompe et un grand cortège, pour commencer leur royal voyage. On les comblait d’honneurs dans toutes les villes, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés en Arménie, dans la province d’Ararat, à la ville de Vagharschabad, où étaient les chapelles des saintes martyres. Les ornements d’or donnés par l’empereur furent mis dans le tombeau des saintes. Ils élevèrent et ornèrent d’autres églises. Ensuite le grand Grégoire entreprit de rendre visite à ses premiers disciples, et il les confirmait dans la véritable instruction.

CXXVII.

[§ 169.] Ensuite le grand et auguste empereur Constantin ordonna à tous les évêques de se réunir dans la ville de Nicée. Alors le grand roi Tiridate et le saint catholicos Grégoire envoyèrent Rhesdaguès, muni de tout ce qui était nécessaire. Il arriva avec tous les évêques à ce grand concile de Nicée où fut exposée la croyance universelle qu’on devait accepter. On établit des règles définies, des canons invariables, suivant la divine volonté du très Haut. Et là, le grand empereur Constantin, étant entré, confessa sa foi, et, couronné de la bénédiction du concile, il laissa sa mémoire sur la terre, et dans les cieux il s’assura la récompense. Le bienheureux Rhesdaguès, étant reparti, arriva en Arménie avec la foi resplendissante, et avec les canons de Nicée, confirmés et acceptés par Dieu. Alors il présenta au roi et au saint catholicos le dépôt qu’il avait apporté. Saint Grégoire, ayant fait quelques additions à ces canons[166] de concert avec le roi Tiridate, illumina son diocèse d’Arménie pour tous les jours de sou existence.

[§ 171.] ................... De cette manière, passant en véritable apôtre tous les jours de sa vie, conformément aux préceptes qu’il avait reçus, il fit de même, d’année en année, jusqu’à sa mort.[167] Et il était plongé et rayonnant dans l’amour du Christ.

[§ 172.] Nous, qui avons reçu de ta Majesté, ô Tiridate, l’ordre de tout exposer, comme il convient à un historien, nous n’avons pas écrit conformément aux règles de l’éloquence grecque, en exposant les événements avec art, mais nous avons regardé dans la divine Ecriture, comme dans un miroir, les préceptes très hauts inspirés au bienheureux Moïse, en vue d’écrire tous les faits pour les conserver aux siècles futurs. Ce commandement fut donné aussi à d’autres prophètes : « Prends, dit-il, une tablette polie et neuve et écris avec le style d’un écrivain courageux »,[168] et ailleurs : « Écris cette vision sur une tablette et couche-la dans un livre, pour que quiconque la lira la comprenne facilement ».[169] Et David, parlant plus clairement, indique que les lois divines sont données en héritage à toutes les nations, et il dit ainsi : « Que ceci soit écrit pour la génération dernière ».[170] Et ailleurs: « Le Seigneur racontera aux peuples par écrit[171] ce qu’est venu accomplir le Sauveur de tous, le Christ, avec son gracieux commandement : « Allez par toutes les nations »,[172] et « cet Evangile sera prêché dans tout l’univers »,[173] pour démontrer que l’Evangile serait bientôt divulgué et pratiqué avec une fructueuse culture.

[§ 173] Or, pour agir conformément à ces écrits, nous avons raconté tout ceci, non pas d’après les données conservées dans d’anciens ouvrages, mais ayant vu les personnages de nos propres yeux,[174] étant témoins des faits spirituels, et ayant entendu le cher enseignement dont nous avons été aussi les ministres suivant le précepte évangélique. Nous n’avons pas raconté faussement, jouant avec nos propres paroles; mais, ayant laissé le trop, nous avons seulement consigné les choses principales sans [y ajouter] beaucoup de détails. Car nous n’avons pas écrit pour nous, mais pour les rois; et, lorsqu’on lira ce livre en ta présence, on en reconnaîtra la véracité, car nous ne pouvions minutieusement noter tout ce que firent les saints, mais nous nous sommes bornés à ce qui est facile et nécessaire, selon la manière des apôtres. Laissant de côté les nombreux mérites des saints, sans entrer dans les détails, nous avons seulement noté le plus utile et le plus important. Nous avons agi de cette manière, non pour ajouter à l’honneur des élus de Dieu qui sont célèbres et vénérables par la gloire vivifiante de la croix, mais pour donner l’exemple et inspirer le courage à leurs enfants spirituels, qui doivent être instruits par eux pendant de longues générations, suivant le chantre spirituel qui dit: « Ainsi qu’il a commandé à nos pères de montrer ces choses à nos enfants, pour qu’elles soient connues d’une autre génération. » Les enfants qui naîtront les raconteront à leurs enfants, pour qu’ils mettent en Dieu leur espérance, qu’ils n’oublient pas ses œuvres, qu’ils cherchent avec soin ses préceptes et qu’ils ne deviennent pas comme leurs pères[175] », mais, parlant à leur Créateur, ils s’expriment ainsi : « Tu es le Seigneur notre Dieu! »

 


 

APPENDICE.

FRAGMENT DU IVe LIVRE DE L’HISTOIRE DE MOÏSE DE KHORÈNE.

On savait par le témoignage de Thomas Ardzrouni, écrivain du dixième siècle, auquel on doit une Histoire de la maison satrapale des Ardzrounis, et par quelques allusions d’Asaoghig et de Samuel d’Ani, qu’il avait existé jadis un quatrième livre de l’Histoire d’Arménie de Moise de Khorène. Ce quatrième livre n’était pas, comme on aurait pu le supposer, une continuation du récit des événements rapportés dans les trois premiers, mais plutôt une sorte de commentaire de cette histoire, où l’auteur développait certains chapitres qu’il avait rédigés avec trop de concision. On peut donc supposer que ce quatrième livre était plutôt une seconde histoire, entreprise par l’Hérodote arménien, et c’est à cette opinion que le savant P. Léon Alischan paraît s’être arrêté, dans une remarquable notice qu’il a imprimée dans le Pazmaveb, journal arménien des Mékhitaristes de St-Lazare de Venise (1851, page 69 et suiv.). Jusqu’au moment où le P. Alischan publia son mémoire, on ne connaissait aucun fragment du quatrième livre de l’histoire de Moïse de Khorène, lien que certaines personnes assurent qu’il se conserve en manuscrit dans la bibliothèque du couvent patriarcal arménien de Saint-Jacques (Sourp Agop), à Jérusalem. Toutefois l’opinion la plus accréditée est celle qui considère cette partie de l’Histoire de Moïse de Khorène, comme à jamais perdue. Le P. Alischan, en compulsant les manuscrits du couvent de Saint-Lazare de Venise, a découvert un fragment fort précieux de ce quatrième livre, dans un Donagan ou Martyrologe, et cette découvertes été une véritable révélation. Le fragment en question contient le récit de l’assassinat et des funérailles du roi Tiridate. Il se trouve reproduit dans le texte original, à la suite de la savante notice du P. Alischan(page 75 du Pazmareb, de 1851).

ASSASSINAT ET FUNÉRAILLES DU ROI TIRIDATE.

Cependant le roi Tiridate (Dertad), après avoir cru dans le Christ, fit briller la vertu la plus éclatante jusqu’au moment de sa mort, arrivée alors qu’il était fort avancé en âge. Mais l’endurcissement de notre nation, et son orgueil qui se manifesta depuis l’origine, furent la source de tontes nos infortunes. En effet, quelques hommes pervers, à l’instigation de Sapor (Schapouh), conçurent le projet de tuer Tiridate, et de rétablir de nouveau le paganisme en Arménie. Parmi les conjurés se trouvait le chambellan (sénégabed) du roi, imitant en cela l’exemple du traître Judas. D’ailleurs, le roi ignorait le nom et le nombre des conjurés; c’est pourquoi, ayant mandé en sa présence le chambellan, il voulut savoir de lui si une semblable conjuration existait dans le palais. Le chambellan, à cette communication du roi, se troubla et fut saisi de frayeur; il déclara n’avoir connaissance de rien de semblable. Aussitôt après son entrevue avec le roi, il alla trouver, encore plein d’épouvante, ses complices. Ceux-ci, effrayés, promirent d’abandonner le projet impie qu’ils avaient conçu, et, à sa prière, ils feignirent tous par crainte d’y renoncer. Cependant le roi, persistant dans ses soupçons, et mettant son espoir et sa vie entre les mains de Dieu, se retira du côté de l’occident, dans le canton d’Eghéghiatz, en feignant d’ignorer complètement cette conspiration. Parmi les conjurés, dont le nombre était considérable, il s’en trouva quelques-uns, comme les nobles de la contrée de Siounik, qui, désirant assurer la tranquillité de leurs domaines, secondaient les vues de Sapor avec plus de zèle que les autres, et vinrent rejoindre le roi. Comme ils se trouvaient auprès de Tiridate pendant une chasse aux bêtes fauves, ils profitèrent de cette occasion pour lui décocher un trait, lancé comme par l’effet du hasard. Alors le roi rentra dans son palais et se coucha, légèrement blessé. Alors le chambellan, qui était au nombre des conjurés, s’approcha du roi afin de panser sa blessure; et, jugeant qu’elle n’était point mortelle, il lui donna du poison. Tiridate expira sur le champ. Ce fait fut révélé dans la suite par les complices mêmes du coupable.

Le corps du roi fut transporté à Thortan, placé dans un cercueil garni d’argent, et orné d’étoffes précieuses; il était tramé par des mulets dont les harnais étaient d’or. Des cohortes de soldats armés, portant des étendards, l’escortaient à droite et à gauche. En avant du cercueil, on chantait des hymnes funèbres et on faisait brûler des parfums. Après, marchaient sur deux files les amis, les familiers, les parents; plusieurs des fils [du roi] suivaient à pied le cortège. Derrière le cercueil, les trompettes et les harpes faisaient entendre des sons funèbres qu’accompagnaient de leurs chants des femmes éplorées; sans compter une masse considérable de peuple qui fermait la marche. Dès que le cortège fut arrivé à l’endroit désigné pour la sépulture, on éleva un tombeau monumental en marbre blanc, et là on déposa ce trésor précieux, cette victime pure, cette illustre dépouille, ce bienfaiteur du pays. On couvrit le cercueil de cristal et on inhuma [le corps du roi] à l’endroit désigné sous le nom de « délassement du grand Grégoire l’Illuminateur », qu’il avait entouré lui-même d’une muraille et qu’il appelait son « jardin ». On établit pour règle dès lors de célébrer chaque année [en cet endroit] l’anniversaire de la mort du roi; et après avoir confié à l’évêque du village le soin d’accomplir cette fête, on s’en retourna. Telle fut la fin de Tiridate qui, après un règne de soixante-quinze ans, rendit son âme au Père, au Fils et au Saint-Esprit.

NOTE ADDITIONNELLE.

J’ai reçu dernièrement de M. Brosset, membre de l’Académie des sciences de Saint Pétersbourg, l’inventaire traduit par lui des manuscrits géorgiens conservés au monastère d’Ivéron, au mont Athos, dont j’ai donné un court résumé dans l’Introduction de la Géographie de Ptolémée.[176] En faisant une étude plus approfondie des matières contenues dans cet inventaire dressé en 1836 par un prêtre géorgien, le P. Hilarion, j’ai découvert qu’il existait, dans un volumineux martyrologe, une traduction en langue géorgienne de l’Histoire d’Agathange. Ce curieux document, dont on ignorait jusqu’à présent l’existence, forme le § 15 des pièces contenues dans le manuscrit en question. Cette traduction commence ainsi : « Vie du saint prêtre Grégoire, évêque d’Arménie. — Lorsque l’empire des Perses était divisé ……………. ». Ces derniers mots sont précisément le début de l’Histoire d’Agathange, en arménien, ce qui est pour nous la preuve que la version géorgienne de la « Vie de Grégoire » été faite directement, comme la version grecque, sur le texte arménien qui nous est parvenu.

 

 


 

[1] Des sept manuscrits consultés par les PP. Mékhitharistes de Venise, deux seulement contiennent cette préface qu’ils ont placée en tête de leur édition d’Agathange, publiée à Venise (en arm., 1835, in-18). On a émis quelques doutes sur l’authenticité de cette préface; mais nous devons faire observer toutefois que Zénob de Glag, Moïse de Khorène, Lazare de Pharbe et quelques autres ailleurs y font allusion. Le texte de cette préface a été altéré en beaucoup d’endroits par les copistes, ce qui rend le sens parfois difficile à saisir. Nous devons faire également remarquer que la préface d’Agathange n’existe pas dans la version grecque.

[2] Psaume CIII, v. 8.

[3] C’est-à-dire de raconter les événements contemporains.

[4] Psaume LXIX, v. 12.

[5] Le roseau taillé dont les Orientaux se servent pour écrire.

[6] Selon les traditions arméniennes, Thorgom, père de Haïg, premier patriarche de l’Arménie, serait le même que Thaglath (Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. I, ch. 9). Les historiens arméniens donnent souvent à la nation arménienne l’épithète de « race de Thorgom. »

[7] Vers l’époque de la naissance du Christ, la famille des Arsacides qui régnait en Perse se divisait en quatre branches: Arschavir ou Phraate IV (Moïse de Khorène, liv. II, ch. 28. — Richter, Hist. Krit. Versuch... p. 78. — Saint-Martin, Fragments d’une hist. des Arsacides, t. II, p. 370) avait laissé trois fils Ardaschès, Garda, Sourên, et une fille, Koschm, mariée à Aspahabed, généralissime des armées de l’Iran. Ardaschès ou Artaban III (Richter, op. cit., p. 106) monta sur le trône, mais ses frères et sa sœur ne le reconnurent pas et se révoltèrent. L’arrivée en Perse d’Abgar d’Edesse apaisa pour un temps la discorde dans la maison royale. Il fut décidé en conseil qu’Ardaschès régnerait à titre héréditaire, que les frères et la postérité de sa sœur prendraient le nom de Pahlav, nom générique des Arsacides de Perse, qu’ils occuperaient le premier rang entre tous les seigneurs perses, et qu’en cas d’extinction de la famille d’Ardaschès, ils régneraient dans l’ordre suivant d’abord la famille de Garên-Pahlav, et, si celle-ci venait à s’éteindre, les familles Sourên-Pahlav et Aspahabed-Pahlav. Cet arrangement calma pour quelque temps les partis hostiles; toutefois les dissensions Intestines ne s’éteignirent qu’à la chute même de la dynastie parthe. Les membres de la branche Garên-Pahlav, comme les plus proches héritiers, soutenaient mollement le gouvernement; mais les deux autres branches, qui avaient peu d’espoir d’arriver au trône, créaient constamment des embarras à la branche aînée et se rangeaient du côté de ses ennemis. Ces rapports hostiles ne contribuèrent pas peu à l’affaiblissement des Parthes dans les derniers temps, et les Romains en profitèrent plus d’une fois pour soutenir leurs ennemis (Patcanian, Essai d’une histoire de la dynastie des Sassanides). Ces complications expliquent la suite des événements que raconte Agathange.

[8] Le texte arménien d’Agathange commence seulement ici et offre, comme on le verra, des différences assez sensibles avec le texte grec qui en est la traduction.

[9] Ardaschir n’était pas le frère de Chosroès comme l’avancent Procope et Zénob de Glag, d’accord en cela avec le texte grec d’Agathange. Ces deux princes étaient simplement alliée (Oukhthannès d’Edesse. ms. de la Bibi. imp., nouv. fonds arm., n° 47, p. 67). Moïse de Khorène et Dion Cassius ne parlent pas de la parenté d’Artaban et de Chosroès.

[10] La province de Sdahr est la Persépolis des Grecs et des Latins; Istakhar, selon Saint-Martin (Mém. sur l’Arm., t. II, p. 469, note 117). Le nom de l’ancienne capitale de la Perse était aussi l’appellation particulière de la province où elle était située. Moïse de Khorène (liv. II, ch. 69) dit que Sdahr, qu’il orthographie aussi Sdahr, était la patrie d’Ardaschir. Le géographe Vartan dit que Sdahr était renommée par ses belles étoffes de soie (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 438-439).

[11] Moïse de Khorène (liv. II. ch. 69) donne à Vologèse le nom de Vagharsch et lui accorde 50 ans de règne. Zénob de Glag (p. 20 de l’édit. arm. de Venise et p. 25 de la trad. fr.) dit également que le père d’Artaban s’appelait Vagharsch.

[12] Le texte grec porte seulement Χός pour Χοσφόης. Plus loin le nom de Chosroès est écrit constamment Cousarwn. Il s’agit ici de Khosrov le Grand, que les Grecs et les Latins appellent Chosroès, roi arsacide d’Arménie, qui régna de l’an 198 ou 214 à 259 de J.-C. (Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 412. — Tchamitch, Hist. d’Arm., t. III, p. 46-48).

[13] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. II, ch. 19.

[14] Voir pour les détails de la lutte entre l’Arménie et la Perse: Zénob de Glag, Hist. de Daron, p. 20 et suiv. du texte et p. 25 et suiv. de la trad. fr. — Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. II, ch. 69, 71 à 73. — Cf. aussi Patcanian, Essai..., p. 18, 41 et suiv.

[15] Le texte grec est ici plus complet que l’arménien, car il ajoute: Chosroès étant rentré dans sa province d’Érasène. L’Érasène est le Campus Araxenus des Occidentaux, aussi appelé ‘Araxhnion pedion par Strabon (liv. XI, ch. ii, 4). Il fut désigné plus tard sous le nom de pays d’Arscharounikh. Dans l’origine, les Arméniens avaient donné à ce pays le nom d’Eraskhadzor, « vallée de l’Araxe ». C’est dans ce canton que se trouvaient les villes d’Erovantaschad et de Pakaran (St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 108-109).

[16] La Porte des Alains, ou bien encore Portes du Caucase ou Portes de Dzor (cf. Procope, de Bell. Goth., liv. IV, ch. 3). C’est le défilé appelé aujourd’hui Dariel, mot formé du persan Deri-alan, « Portes des Alains ». Voici la description que Pline (liv. VI, ch. 11) donne de ce défilé : « Ingens naturae opus, montibus interruptis repente, ubi fores obditae ferratis trabibus, subter medias amne Dyriodori fluente, citraque in rupe castello communito ad arcendas transitu gentes innumeras. » Les Géorgiens donnent à ce défilé le nom de Porte de l’Aragwi. (Klaproth, Voy. dans le Caucase et la Géorgie, t. I, p. 670-676 de l’éd. allem).

[17] Le texte grec porte ici un nom propre, Ζουάρος, qui ne se trouve pas dans l’arménien. C’est une méprise du traducteur grec, qui a pris le pronom ziouro, « leur », pour un nom propre. Rien de semblable n’existe en arménien, ce qui est une preuve positive que le texte grec d’Agathange est la traduction de l’arménien, comme nous l’avions déjà fait observer dans l’Introduction.

[18] Ces noms désignent les nomades scythes et sarmates du nord de l’Arménie et de la Géorgie. Le texte grec dit Λιφίννιοι καὶ Σιλβάνοι. Pline (liv. VI, ch. 10) mentionne également quelques.uns de ces peuples: gentes Sylvorum et infra Lubienorum.

[19] Les Kouschans sont mentionnés dans Moïse de Khorène (liv. I, ch. 13).

[20] Moïse de Khorène (liv. II, ch. 67) raconte les tentatives faites par Chosroès, roi d’Arménie, pour entraîner ses parents dans la ligne contre Ardaschir, et s’appuie sur le témoignage même d’Agathange dont il reproduit pour ainsi dire textuellement les paroles. Mais, trouvant que les détails fournis par le secrétaire de Tiridate sont trop restreints, Moïse de Khorène (liv. II, ch. 68) donne un récit circonstancié de ces événements, en le faisant précéder de l’histoire de la fondation des satrapies de Garên Pahlav, de Sourên-Pahlav et d’Aspahabed-Pahlav, créées par Ardaschès en faveur de ses frères. Plus loin (liv. II, ch. 71), l’historien arménien raconte la jalousie des représentants de deux de ces satrapies, les Sourên et les Aspahabed, contre la branche régnante sortie de leur race, et leur adhésion à l’élévation d’Ardaschir, qui avait tué Artaban et s’était emparé de sa couronne. Chosroès, roi d’Arménie, qui soutenait Artaban, vit avec chagrin la défection de ses parents, dont un seul, le représentant de la maison de Garên, lui était resté fidèle (Moïse de Khorène, liv. II, ch. 72). « Ardaschir, ajoute l’historien, se vengea de la race de Garên-Pahlav en tuant tous les hommes et les descendants mâles de cette race, sauf un enfant qui échappa à ce massacre, et fut le chef des Gamsarian (liv. II, ch. 73). »—Cf. aussi Patcanian, Essai d’une hist. des Sassanides, p. 18 et suiv.; 41 et suiv. de la trad. fr.

[21] Vagharschabad, c’est-à-dire ville construite par Vagharsch ou Vologèse. Sur la fondation de cette ville, cf. Moïse de Khorène (liv. II, ch. 65) qui donne les détails les plus circonstanciés touchant l’édification de cette cité fameuse dont l’origine est entourée d’une légende.

[22] Cf. sur cette campagne le récit de Moïse de Khorène (liv. II, ch. 71, 73) et celui d’Oukhthannès d’Edesse (nos de la Bibl. imp., nouv. fonds arm., n°47, p. 60-67).

[23] C’étaient vraisemblablement les autels principaux de l’Arménie, situés dans le territoire de Phaidagaran, où se trouvait un canton du nom d’« Autel des sept niches ». (Indjidji, Géogr. anc. de l’Arm., en arm., p. 326).

[24] Les Arméniens donnent le nom de Dadjik à tous les peuples qui professent la religion musulmane, sans distinction de nationalité. Ici, il est question plus spécialement des Arabes qui étaient voisins de l’Assyrie.

[25] Pahlav est la province de Pabla, dont le chef-lieu portait le même nom. Zénob de Glag appelle cette ville Palahav de Hardav, c’est-à-dire Pahlav de Parthie (Cf. Patcanian, Essai d’une Hist. des Sassanides, p. 18,19; et trad. fr., p. 35. — Zénob de Glag, trad. fr. p. 26, note 3).

[26] Cf. Moïse de Khorène, liv. II, ch. 28, 67.

[27] Cf. Sébéos, Hist. d’Héraclius (en arm.), liv. III, ch. 1.

[28] Zénob de Glag (p. 20 et suiv, du texte et p. 26 de la trad. te.) raconte les mêmes détails, mais plus brièvement. — Cf. aussi Moïse de Khorène (liv. II, ch. 74.)

[29] Khaghkbagh était située dans la partie septentrionale de la province d’Oudi. Non loin des murs de cette ville coulait le petit fleuve Lopnas qui se jetait dans le Kour (Lazare de Pharbe, Hist. d’Arm., en arm., p. 110), appelé Cyrus par les Occidentaux.

[30] Ce fut en effet dès le troisième siècle que Khaghkhagh devint la résidence d’hiver des rois d’Arménie. Plus tard, elle eut la même destination sous les rois des Aghouank (Élisée, Hist. des Vartaniens, ch. 3).

[31] Cf. Moïse de Khorène, liv. II, ch. 74. —Zénob de Glag, p. 20 et suiv, du texte et p. 26-27 de la trad. fr.

[32] Cette ville, située au confluent de l’Araxe et du Medzamor, fut pendant longtemps la capitale de l’Arménie. Les Grecs la nommaient ‘Artaxata ou ‘Artaxiasata (Strabon, liv. XI, ch. 14. — Ptolémée, Géogr., liv. V, ch. 13. — Etienne de Byz., de Urbib., hoc verbo). Selon Strabon et Plutarque (Vie de Lucullus) elle fut fondée d’après les avis d’Annibal, par Artaxias, d’abord gouverneur, et puis ensuite roi d’Arménie. Tiridate, qui la rebâtit après qu’elle eut été ruinée par Corbulon, lui donna le nom de l’empereur Néron qui lui avait rendu ses Etats (Dion Cassius, liv. 63, apud Xiphil.). Cette ville n’est plus aujourd’hui qu’un monceau de ruines.  

[33] Medzamor, grand marais, appelé aussi Azad, libre; c’est une rivière qui coule à l’ouest près de Tévin et va rejoindre l’Araxe un peu au-dessus de cette ville.

[34] Cf. Indjidji, Géogr. ancienne, p. 487.

[35] cf. Moise de Khorène, liv. II, ch. 74. — Zénob de Glag, p. 21 du texte arm. et 27 de la trad. fr.

[36] Zénob de Glag (p. 21 et 22 du texte arm., et p. 17-28 de la trad. fr.) raconte qu’après le meurtre d’Anag et des membres de sa famille, un certain Pourtar d’une famille distinguée de la Perse et qui avait épousé à Césarée Sophie, sœur d’Euthale, prévint Okohi, femme d’Anag, de l’ordre donné par Chosroès de mettre à mort tous les membres de la famille de son époux. Ce Pourtar se chargea de cacher le fils d’Anag, appelé Grégoire, pour le sauver de la mort, et le confia à Sophie. Sourên, frère de Grégoire, fut conduit en Perse par ses gouvernantes et fut élevé à la cour du roi des Hephtalites, auprès de Khosrovouhi, sœur d’Anag, femme de Diran, fils de Djevanchir (Oukhthannès d’Edesse, op. cit., p. 68. —Vartan, Hist. univ., en arm., p. 37). Devenu grand, Sourên passa sur le territoire des Djens et devint le roi du pays (Zénob, p. 22 du texte et p. 29 de la tr. fr. — Oukhthannès d’Edesse, p. 68). Pourtar, ayant conduit Grégoire en Cappadoce, le fit élever et instruire dans les lettres grecques et syriaques. A l’âge de douze ans, Grégoire épousa Marie, fille de David, dont il eut Verthanès et Rhesdaguès (Zénob, p. 22 du texte et p. 31-32 de la trad. fr. — Moïse de Khorène, liv. II, ch. 80. — Oukhthannès, p. 72. — Vartan, Hist. univ., p. 37) qui devinrent plus tard patriarches de la nation arménienne.

[37] Zénob de Glag dit que le roi de Perse érigea en fête le jour de la mort de Chosroès (p. 21 du texte, et p. 27 de la trad. fr. — Oukhthannès, p. 62-63, 67).

[38] Cf. Moïse de Khorène (liv. II, ch. 76) qui emprunte ce qu’il raconte de l’invasion de l’Arménie par Ardschir, à Firmilien, évêque de Césarée, disciple d’Origène, auteur d’une Histoire des persécutions suscitées contre l’Eglise par les empereurs Maximien et Decius, histoire aujourd’hui perdue et que cite Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique, liv. VII, ch. 13.

[39] Moïse de Khorène (liv. II, ch. 76) nomme l’un de ces satrapes, qui s’appelait Ardavazt Mantagouni.

[40] Moïse de Khorène (liv. II, ch. 76) raconte que, pendant les règnes de Tacite et de Florien, Ardschir ravagea l’Arménie, battit les troupes grecques (romaines) et réduisit les habitants du pays en captivité. Tacite marcha contre Ardschir qui le mit en fuite, après quoi l’empereur fut assassiné à Djanik, dans le Pont, par les siens, tandis que son frère Florien mourait de la même manière, peu de temps après, à Tarse en Cilicie. Vopiscus (Vie de Tacite) est beaucoup moins précis que Moïse de Khorène, et c’est à peine s’il parle de l’expédition dirigée par Tacite contre les Perses. Quant à la mort de Tacite, Vopiscus ne dit pas si ce prince, qui était âgé de soixante quinze ans, quand il revêtit la pourpre, périt de mort violente.

[41] Moise de Khorène (liv. II, ch. 77) dit qu’Ardschir fit faire le bornage du pays, et éleva des termes pour indiquer les limites de la terre, et que ces bornes furent désignées sous le nom de termes ardaschiriens.

[42] L’emplacement de cette localité est incertain, car cet endroit paraît être différent de la ville du même nom qui était située dans la province de Siounie. La version grecque d’Agathange rend le nom d’Ojdz par τόπος Χάσματος.

[43] Il est certain qu’il est question ici de C. Fl. Licinius Licinianus qui, en 307, fut associé à l’empire avec Galère, et en 311, prit le titre d’Auguste avec Constantin et Maximin Daza. — Cf. Moïse de Kh., II, 79.

[44] Cette gouvernante s’appelait Sophie; c’était une chrétienne de Césarée, mariée à Pourtar, Perse de nation, qui était venu s’établir en Cappadoce (Moïse de Khorène, II, 80).

[45] Tiridate II, appelé Dertad par les Arméniens, reçut le surnom de Grand. Il était fils de Chosroès, surnommé aussi le Grand, assassiné par Anag. Tiridate fut le premier roi chrétien de la Grande Arménie, et régna de l’an 286-287 à l’an 314 de notre ère, par la volonté de Dioclétien qui l’éleva sur le trône d’Arménie dans la troisième année de son règne (Moïse de Khorène, liv. II, ch. 82. —Mékhitar d’Aïrivank, Hist. d’Arm., en arm., p. 43).

[46] Cf. Zénob de Glag, p. 22 et 23 du texte, et p. 32 de la trad. fr. — Moïse de Khorène, liv. II, ch. 80.

[47] Agathange fait allusion ici à la persécution de Dioclétien, ordonnée contre les chrétiens, en 303.

[48] Ce roi des Goths est appelé Hratché ou Hertché, par les écrivains arméniens. Il était fils d’Askednè ou Saktène, sœur de S. Jacques de Nisibe, l’un des plus illustres Pères de l’Église arménienne. Jacques était lui-même fils de Khosrovouhi, sœur d’Anag, père de S. Grégoire (Zénob de Glag, p. 22 du texte et p. 29 et 30 de la trad. fr. — Oukhthannès d’Edesse, p. 68)’. Hratché, venu avec ses parents, dans le pays des Goths, fut, à la suite de circonstances heureuses, élevé à la dignité royale (Oukhthannès, p. 68. — Vartan, Hist. univ., p. 37).

[49] Cf. Zénob de Glag, p. 22 du texte et p. 30 de la trad. fr. — Le prince des Grecs dont il est question dans ce passage n’est autre que Dioclétien.

[50] Il est difficile de savoir à quelle localité il est fait allusion dans ce passage. Les Mékhitaristes, dans les notes jointes à la traduction italienne d’Agathange (p. 21, note 1), hésitent à affirmer qu’il soit question de Rome ou de toute autre ville de l’empire.

[51] L’arménien dit formellement que c’étaient « des ânes », itchian; mais le traducteur grec a cru lire i’ tchantz, « des chiens ».

[52] Cette action d’éclat n’est pas relatée par Moïse de Khorène (liv. II, ch. 79) qui a rassemblé cependant une foule de particularités intéressantes touchant Edesse et la force de Tiridate, d’après l’Histoire, aujourd’hui perdue, de Firmilien, évêque de Césarée.

[53] C’est-à-dire à l’empereur Dioclétien.

[54] Cf. Zénob de Glag (p. 22 du texte, et p. 29-30 de la trad. fr.). —Bardesane d’Édesse qui avait composé une Histoire d’Arménie, mentionnée par Zénob, et par Oukhthannès d’Edesse (p. 68), racontait dans ce livre, à ce que nous apprend ce dernier historien, que « Dertad et Hratché échangèrent entre eux un colloque », après quoi il déclare ignorer ce qu’on lit ensuite de Hratché. Il est probable qu’Oukhthannès a voulu faire allusion au combat singulier de Tiridate et de Hratché, à la suite duquel ce dernier, saisi par le prince arménien, fut amené en présence de Dioclétien.

[55] L’élévation de Tiridate au trône d’Arménie, par l’ordre de Dioclétien, eut lieu la troisième année du règne de ce dernier, à ce que nous apprend Moïse de Khorène liv. II, ch. 82), c’est-à-dire en 287. Oukhthannès d’Edesse a donc commis une erreur en disant que ce fut à l’empereur Probus que Tiridate fut redevable de sa couronne (p. 93 et suiv).

[56] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. II, ch. 82.

[57] Le canton d’Eghéghiatz est celui que les géographes anciens, notamment Strabon (liv. XI, ch. 14, § 2) et Ptolémée (liv. V, ch. 13), appellent l’Acilicène. Il était situé sur les rives de l’Euphrate, pris de la ville d’Erzenga (Ardzendjan). — (Cf. Indjidji, Géogr. anc., p. 14. —Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 45.

[58] Erez, aussi apidé Eriza, Erzinga, ville située à l’O. de l’Euphrate, au sommet d’une colline, au nord du fleuve Kaïl ou Lycus. Tigrane II l’avait décorée de splendides édifices (Moïse de Khorène, liv. II, ch. 13, 57). — Cf. Indjidji, Géogr. anc., p. 14. —St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 71.

[59] Ce temple d’Anahid à Erez est cité par Pline (V, 33), Strabon (XI, ch. 14, § 16), Procope (Bel. pers., I, 17), et d’autres encore (Emin, Rech. sur le pagan. arm., p. 13). — La déesse Anahid est d’origine assyro-babylonienne; son nom était Anahala en ancien persan, mot qui veut dire « sans tache », épithète du génie femelle de l’eau, appelé aussi Ardoul Sour (Cf. Zend-Avesta, trad. d’Anquetil Duperron, t. III, p. 172 et suiv. — Oppert, Expédit. de la Mésopotamie, t. II, p. 194 et suiv. — Reinaud, Mém. sur la Mésene et la Kharacène, dans les Mémoires de l’Acad. des Inscr. et Belles-lettres, t. XXIV, P. II, p. 24, note 2). Anahid est la même que la Beltis des Assyriens, la Mélita des Babyloniens (Hérodote, I, 131), qui était également adorée en Perse sous le même nom. —M. Emin a développé avec beaucoup de pénétration tout ce qui a trait au culte d’Anahid en Arménie, dans ses Recherches sur le paganisme arménien (p. 10 de la trad. fr. de M. de Stadler), et a démontré que cette divinité était différente d’Artémis, avec laquelle les Grecs l’avaient à tort identifiée.

[60] Le fleuve Kaïl, que les Grecs, et notamment Strabon (liv. XI, ch. 14. § 7), ont traduit par Λύκος, et Pline par Lycus (V, 24), descend des montagnes de Trébizonde et va se jeter dans l’Euphrate.

[61] Cf. Emin, Recherches sur le p. arm., p. 11 de la trad. fr.

[62] Aramazd, l’Ahura-Mazda du Zend-Avesta, Oromazès, Ormuzd ou Ormizd des Occidentaux. Les Arméniens lui donnaient le titre de père des dieux, et l’épithète de grand et fort, créateur du ciel et de la terre, produisant la fertilité et l’abondance. Les Grecs, qui avaient un goût très prononcé pour les assimilations, ont identifié Aramazd à Ζεῦς (Emin, Rech. sur le p. arm., p. 9 et suiv.).

[63] Moïse de Khorène (liv. II, ch. 82) nous apprend le nom de ce satrape. Dadjad, dit-il, beau-frère de Ardavazt Mantagouni, fut créé prince du canton d’Achotz. Ce fut Dadjad qui prévint Ardavazt, lequel avertit à son tour Tiridate, que Grégoire était fils d’Anag. Zénob de Glag. Hist. de Daron (p. 32 de la trad. fr.), dit au contraire que Tiridate apprit ce fait de la bouche « de la sœur du beau-père de Grégoire ».

[64] La légende de S. Grégoire l’Illuminateur est un des faits les plus mémorables des annales religieuses de l’Arménie. Elle se trouve consignée dans la plupart des écrits religieux et profanes qui traitent de l’histoire de cette époque. Agathange donne à ce sujet des détails très circonstanciés que l’on trouve rapportés dans le Ménologe arménien (30 sept. et 18 nov.). — Cf. aussi J.-B. Haucher, Vies des Saints, en arm., t. II, p. 520 et t. III, p. 74, 321 et suiv. — Le souterrain du château d’Ardaschad, que les Arméniens désignent-sous le nom de caverne ou de puits, est appelé actuellement Khor-virab « fosse profonde ». On a construit sur l’emplacement de cette localité, illustrée par le martyre de S. Grégoire, un monastère célèbre, mentionné par Vartan dans sa Géographie (St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 418 et suiv.). — Cf. aussi Indjidji, Géogr. anc., p. 480. — Le P. L. Alischan, Géogr. de l’Arm., p. 72, § 139. — Chakhatounoff, Descript. d’Edchmiadzin, t. II, p. 277 et suiv., § 371. — Il existe dans ce monastère une grande quantité d’inscriptions arméniennes d’une époque assez récente, et qui rappellent que ce lieu servit de prison à l’apôtre national de l’Arménie. La plus intéressante est gravée sur un fût de colonne, au bas du clocher; elle est en caractères pehlwi, et n’a pas encore été publiée jusqu’à présent. J’en dois la communication à M. Bergé, de Tiflis, qui m’a également envoyé la copie de toutes les inscriptions arméniennes de Khor-virab, dont le père Chakhatounoff a publié le texte, souvent altéré, et dont Dubois de Montpereux a donné quelques traductions dans son Voyage autour du Caucase.

[65] Les historiens ne sont pas d’accord sur le nombre d’années que S. Grégoire passa dans la caverne d’Ardaschad; les uns disent qu’il y resta treize ans, d’autres quatorze; mais presque tous les écrivains fixent la durée de sa détention à quinze ans (Zénob de Glag, p. du texte et p. 32 de la trad. fr. — Oukhthannès d’Edesse, p. 75-77. — Vies des saints arm., loc. cit.).

[66] Les exploits de Tiridate sont racontés tout au long par Moïse de Khorène (liv. II, ch. 75, 79, 82, 85) d’après l’Histoire, aujourd’hui perdue, de Firmilien, évêque de Césarée, que l’annaliste arménien a résumée dans son livre.

[67] Le dieu Vahak’n, qui fait partie du Panthéon arménien, appartient, selon M. Emin, à la classe des demi-dieux, désignés par les auteurs nationaux sous le nom de tutzazn « hommes d’origine divine ». Vahak’n était fils de Tigrane Ier, roi d’Arménie, contemporain de Cyrus et de Crésus. Sa mémoire s’est conservée dans les chants des rhapsodes; et un fragment relatif à la naissance de ce dieu nous a été transmis par Moïse de Khorène (liv. I, ch. 30). Agathange donne dans un passage de son Histoire un précieux renseignement sur ce dieu, qui portait l’épithète de Vitchbakal, « destructeur de dragons ». Vahak’n avait son temple à Achdichad, dans la province de Daron, non loin de l’Euphrate (Emin, Recherches sur le pagan. arm., p. 41 et suiv. de la trad. fr.).

[68] Nous ferons observer ici que le texte grec ne renferme que le préambule du décret de Tiridate, que l’arménien donne dans son entier.

[69] Ce passage fait allusion aux édits des empereurs romains ordonnant les persécutions contre les chrétiens. Tiridate s’appuie sur ce précédent, pour rendre également un édit de persécution, en sa qualité de prince allié des Romains, auxquels il devait sa couronne et la possession de son royaume.

[70] Le roi des Perses était alors Sapor, fils d’Hormisdas. (Cf. Moïse de Khorène, liv. II, ch. 85-87).

[71] L’histoire des saintes Hripsimiennes ou Ripsimes, noms générique que les Latins donnent aux compagnes de Hripsimè, se trouve racontée tout au long dans le Panégyrique de sainte Hripsimè, dont l’auteur est Moïse de Khorène (Œuvres complètes , Venise, 1843, p. 297), par S. Nersès Schnorhali, dans ses poésies sacrées (Œuvres compl., Venise, 1830, p. 468, 469, 472, 475, 520), dans le livre des Hymnes, ou Charagan, passim, et dans les « Vies des saints arméniens » 8 et 6, octob.). Les Mékhitaristes ont donné à la fin de leur traduction d’Agathange en italien (append. 2) plusieurs hymnes du patriarche Gomidas et de S. Nersès Schnorhali en l’honneur des saintes Hripsimiennes, traduites en vers italiens par M. Luigi Carrer (p. 209 et suiv.). — Cf. aussi les Vies des saints grecs (29 sept.) et latins (30 du même mois). — Malgré tout le respect dû à la tradition concernant les saintes Hripsimiennes, je ne puis m’empêcher de comparer ce que racontent Agathange, les hagiographes et les panégyristes, au sujet de ces martyres, avec un événement historique contemporain rapporté par Lactance (de Mort. persec., ch. 15, 39, 40, 41, 50 et 51), et qui me paraît avoir servi de texte à la légende du voyage et du martyre en Arménie de sainte Hripsimè et de ses compagnes. Dioclétien avait eu de Prisca, sa femme, une fille appelée Valéria qui épousa Galère. Ce dernier, en mourant, recommanda à Licinius sa femme et son fils Candidianus qu’il avait eu d’une concubine. Licinius ne se vit pas plutôt maître du sort de Valéria, qu’il lui proposa de l’épouser; mais cette princesse refusa et chercha un refuge auprès de Maximien qui voulut également la prendre pour épouse. Valéria repoussa cette proposition, et elle fut dès lors en butte aux plus injustes persécutions; ses biens furent confisqués, son entourage périt dans de cruelles tortures, et elle-même fut traînée d’exil en exil. Une vieille femme, amie de Valéria, une vestale et la femme d’un sénateur, accusées injustement d’avoir engagé Valéria à repousser Maximien, furent mises à mort, parce qu’elles avaient contrarié l’amour de ce prince. Valéria, reléguée dans les déserts de la Syrie, trouva le moyen d’instruire son père Dioclétien de ses malheurs. Ce prince, retiré à Salone, demanda à Maximien de lui rendre sa fille; mais il ne put fléchir la colère de l’empereur et mourut de chagrin. Valéria chercha alors à se dérober aux poursuites continuelles dont elle était l’objet de la part de Maximien. Pendant quinze mois elle erra déguisée, mais elle finit par être arrêtée en 315, avec sa mère, à Thessalonique. Licinius les condamna toutes deux à mort, et elles furent exécutées. Quelques auteurs ont prétendit que Valéria et sa mère étaient chrétiennes, et que Dioclétien les avait contraintes à offrir de l’encens aux idoles. La vie si accidentée de ces deux femmes, leur supplice, leur mort, offrent de telles analogies avec le récit d’Agathange qui dit que Hripsimè était d’origine royale, que je suis disposé à croire que ce que raconte le secrétaire de Tiridate des saintes Hripsimiennes, a peut-être son origine dans l’histoire des aventures malheureuses de Valéria, de Prisca et des femmes de leur suite, qui furent victimes de l’amour insensé de Maximien. Je signale ce rapprochement, sans rien conclure de positif; peut-être l’attention sera-t-elle appelée sur ce point historique qui jointe d’être examiné avec soin. — Cf. sur la vie et les aventures de Valéria et de Prisca, Lebeau, Hist. du Bas-Empire (éd. St-Martin), t. I, p. 144 et suiv., et pour plus de détails l’ouvrage même de Lactance, auquel ce récit a été emprunté par le savant historien français.

[72] Luc. XX, 18.

[73] Le nom de Hripsimè, qui est grec, vient de ῥίπτω, jeter et au figuré affronter un danger.

[74] L’usage d’écrire en abrégé existait chez les Arméniens, à ce que l’on peut induire de ce passage et d’un antre qui se trouve également dans Agathange (éd. arm. de Venise, p. 85) où il est dit: « Les secrétaires du roi Tiridate enregistrèrent avec des signes d’écriture, nechanakirkh, tout ce qui avait été dit par le saint homme (Grégoire l’Illuminateur). Ces mots « signes d’écriture » font allusion à des abréviations que M. Emin (de l’Alphabet arménien, p. 6 et suiv. de la trad. fr.) suppose être des caractères hiéroglyphiques ou cunéiformes, dont il a rapporté bon nombre d’exemples dans sa savante notice. Cependant, en l’absence de renseignements positifs sur l’écriture tironienne des Arméniens avant la vulgarisation de l’alphabet Mesrobien, il est bien difficile de se faire une idée exacte de ce qu’Agathange a voulu dire, en parlant des nechanakirkh.

[75] Juges, IV, 9, 24.

[76] Cf. Moïse de Khorène, l. II, ch. 79, 82, 85.

[77] Second mois arménien correspondant à septembre et octobre.

[78] Cf. Moïse de Khorène, Panegyr. des SS. Hripsim.; op. cit., loc. cit. —La fête des SS. Hripsimiennes est célébrée dans l’église d’Arménie le lundi après l’octave de la Pentecôte celles des Gaïaniennes, c’est-à-dire des martyres compagnes de Gaïanè, le mardi d’après. Les Grecs célèbrent cette fête le 29 septembre. Les Latins et les Arabes chrétiens, le 30, et enfin les Coptes le 16 du même mois.

[79] Le nom de cet endroit est altéré dans tous les manuscrits, Paragon Nechamag, Nechemag, Ichemag, Chemag, Emag (Agathange, texte arm., p. 662).

[80] Daniel, IV, 12, 13.

[81] Le roi Tiridate était vraisemblablement atteint de lycanthropie, espèce particulière d’aliénation mentale et de délire mélancolique, dans les accès duquel les malades s’imaginent être changés en loup ou en toute autre espèce d’animal sauvage, hurlent comme les fauves, fuient le jour la compagnie des hommes et courent la nuit à travers les champs. On donne aussi le nom de lycanthropie à une maladie de l’âme qui rend sauvage et misanthrope l’homme qui en est atteint. J.-.J. Rousseau fut une des victimes de cette touchante folie, qui diffère complètement de la maladie dont fut atteint le roi Tiridate. — Les anciens parlent souvent dans leurs récits de la lycanthropie. On se rappelle à ce sujet le récit de Nicéros, au banquet de Trimalchion (Pétrone, Satyricon, ch. LXII, p. 92 et suiv., éd. H. de Guerle).

[82] Oda, de la famille satrapale des Amadouni, gendre de la famille des Selgouni, était père adoptif de Khosrivitoukhd, fille de Chosroès, et sœur de Tiridate. Ce personnage résista à Ardschir, roi de l’erse, et s’enferma dans le fort d’Ani (Moïse de Khorène, l. II, ch. 77). Oda avait élevé la sœur de Tiridate, et avait gardé à Nitach les trésors du roi. Tiridate, en montant sur le trône, éleva Oda à la charge de premier ministre (Moïse de Khorène, II, 82), pour le récompenser de ses services et de son dévouement.

[83] Chaque satrape possédait une, deux, et quelquefois même plusieurs provinces, dont il avait le gouvernement sous l’autorité immédiate du roi. De plus ces satrapes avaient leur année à eux, différente des contingents qu’ils envoyaient au souverain, et qui formaient l’armée royale (cf. Moïse de Khorène, III, 8. — Indjidji, Archéol. arm., en arm., t. II, p. 87).

[84] Les églises des saintes Hripsimè, Gaïanè et de leurs compagnes ont été élevées à petite distance de l’endroit où se dressent actuellement les constructions du célèbre monastère d’Edchmiadzin, résidence du catholicos des Arméniens dissidents, chef suprême de la religion. L’église consacrée à sainte Gaïanè a été construite par le catholicos Ezdras ou Ezr en 630, et réparée par Philippe patriarche, en 1652. L’église de sainte Hripsimè Hit bâtie par le catholicos Gomidas en 618 et réparée en 1653 par Philippe. (Sébéos, Hst. d’Héraclius, ch. 25, p. 131.)— Cf. Dubois de Montpereux, Voyage autour du Caucase, t. III. p. 213. — Chakhatounoff, Descr. d’Edchmiadzin, en arm., t. I, p. 261. 273 et suiv. — Brosset, Rapports sur un voy. en Arménie, III, p. 82 et suiv.

[85] Sozomène (Hist. ecclés., II, 9) attribue la conversion de Tiridate à un miracle, sans parler cependant de S. Grégoire et de son intervention pour obtenir la guérison du roi.

[87] Aschkhen était fille d’Achkhatar; elle était aussi grande de taille que le roi. Tiridate la fit inscrire au rang  des Arsacides, lui lit revêtir la pourpre, ceindre la couronne, pour en faire son épouse. D’Aschkhen naquit Khosrov ou Chosroès (Cf. Moïse de Khorène, liv. II). A la mort du Tiridate, la reine Aschkhen se retira à Carni, où elle mena une vie toute religieuse jusqu’à sa mort.

[88] Le mont Ararat est appelé Massis par les Arméniens.

[89] L’arménien se sert de l’expression halgapar qui est intraduisible, et qui exprime la force herculéenne du roi qu’il compare à celle de Haïg, chef de la race arménienne, qui passait pour un géant d’une force extraordinaire (Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., I, 10).

[90] L’Eglise élevée par S. Grégoire porta le nom de « Descente du fils unique ». C’est sur son emplacement que se dressent les constructions actuelles de l’église du monastère patriarcal d’Edchmiadzin, décrites par Dubuis de Montpereux, dans son Voyage autour du Caucase », par le P. Chakhatounoff, « Descript. d’Edchmiadzin », par M. Brosset dans son Rapport sur un voyage en Arménie, et en général par tous les voyageurs qui ont écrit des relations de leurs pérégrinations dans la province d’Erivan, sur le territoire de laquelle se trouve le couvent patriarcal de l’Arménie.

[91] Erazamoïn, de eraz, songe, et mouïn, faculté, — c’est-à-dire, interprétation des songes (Cf. Emin, Recherches sur le pag. arm., p. 18 de la trad. fr.). — Cet endroit se trouvait dans la province d’Ararat. — Cf. Indjidji, Arm. anc., p. 497 et suiv.

[92] Le dieu Dir n’est cité qu’en ce seul endroit d’Agathange, et on ne trouve nulle part, dans les écrivains arméniens, qu’il soit fait mention de cette divinité. M. Emin (Rech. sur le pag. arm., p. 18 et suiv.) le compare à Hermès ou Mercure, et affirme qu’il était le même que le Tir assyrien, fils de Nébo. — Le nom de Tiridate, en arménien Dertad, est composé du nom Dir et de dad qui signifient « don de Dir », comme Mihrdad (Mithridate) veut dire « don de Mithra ». (Emin., op. laud., p. 20, note 1.)

[93] Cette phrase a été différemment interprétée per les savants Mékhitaristes qui semblent ne pas avoir reconnu le nom du dieu Dir que leur texte donne sous la forme Dour.

[94] Le canton de Taranaghi est appelé Daranissa par Ptolémée, Géogr., V, 15, 14.

[95] Le bourg de Thortan, dans la Haute-Arménie, était situé à l’orient de l’Euphrate. C’est dans cette localité que fut enterré S. Grégoire avec quelques-uns de ses successeurs. (Faustus de Byzance, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 2. —Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., II, 88. —Mesrob, Vie de S. Nersès, ch. 1. —Cf. aussi Indjidji, Arm. anc., p. 6.)

[96] Le dieu Parschimnia est d’origine assyrienne. On le désignait sous l’épithète de spitakapar, « glorieux ». Moïse de Khorène (l. I, ch. 13 liv. II, 14) l’appelle Parchamin, et Anania de Schirag le nomme Parcham l’Assyrien. La légende raconte que pendant l’hiver Vahak’n lui vola de la paille, et s’enfuit avec le fruit de son larcin à travers la voûte des cieux, en laissant tomber des brins qui formèrent la Voie lactée, appelée par les anciens Arméniens trace du voleur de paille. (Emin, Rech. sur le pag. arm., p. 17.) Cf. plus haut, p. 24, et p. 40.

[97] Moïse de Khorène (liv. II, ch. 14) dit que la statue de Parchamin fut transportée de la Mésopotamie par Tigrane II, fils d’Ardaschès, dans le village de Thortan, et ajoute que cette statue était d’ivoire et de cristal, montée en argent.

[98] C’est-à-dire dans le pays de Chaldie qui se trouvait dans le Pont. — Cf. plus haut, p. 44, note 3.

[99] Le fort d’Ani, appelé aussi Gamakh, et que Constantin Porphyrogénète (De adm. imp., ch. 50) nomme Kamaca, était situé sur la rive occidentale de l’Euphrate, dans le canton de Taranaghi. Ce fort était célèbre, non  seulement par son temple d’Aramazd et par la sépulture des rois, mais aussi parce qu’on y gardait les trésors de la couronne. Vers la fin du quatrième siècle, les tombeaux des rois d’Arménie furent détruits par Méroujan Ardzrouni, commandant les années perses en Arménie, après la mort d’Archag II (Faustus de Byzance, liv. III, ch. 2, et liv. IV, ch. 24). Lors de la domination byzantine, Ani fut occupé par une garnison grecque, chargée de protéger la partie orientale de l’empire contre les Arabes (Cf. Indjidji, Arm. anc., p. 7 et suiv.).

[100] La statue d’or d’Anahid était célèbre chez les Arméniens et les Occidentaux. Pline en a donné la description (Hist. nat., liv. 33, ch. 24), en disant que cette statue d’or massif fit partie du butin emporté par Marc-Antoine, lors de son expédition contre les Parthes. C’est sans doute cette statue d’or qui avait valu à Anahid les surnoms de oskedzin , « créée d’or », osklamaïr, « mère d’or », oskéhat, « d’or », que lui donnent les auteurs arméniens, et notamment Agathange (Cf. Emin, Recherches sur le pag. arm., p. 14 de la trad. fr.).

[101] Nanéa, Nané, est une divinité très peu connue. Les Grecs l’assimilaient à Artémis (Josèphe, Ant. jud., XIII, 13); mais les Arméniens semblent en faire une forme d’Astlig ou de Vénus (Emin, Recherches sur le pag. arm., p. 16).

[102] Thil, bourg de la Haute Arménie, appelé Qalina par Ptolémée (V, 13, 12). C’est dans ce bourg que furent enterrés les fils de S. Grégoire et le patriarche S. Nersès (Faustus de Byzance, III, 2; V, 24. — Mesrob, Vie de S. Nersès, en arm., ch. I et 10).

[103] Le canton de Terdjan faisait partie de la Haute Arménie; il correspond à la Derxène ou Xerxène de Strabon (liv. XI, 14, § 5). Au quatorzième siècle, le canton de Terdjan se nommait Atakh, à ce  que nous apprend Vartan dans sa Géographie (St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 434-435).

[104] Mihr est un dieu d’origine perse, le même que Mithra (Emin, Rech. sur le p. arm., p. 20 et suiv. de la trad. fr.). La traduction grecque a assimilé Mihr à Vulcain, Ἥφαιστος le rapprochement n’est pas exact. Il est vrai que Tigrane avait fait dresser la statue de Vulcain dans le temple de Mihr à Pakaïaridj, statue qu’Ardaschès avait enlevée comme butin de guerre et transportée en Arménie (Moïse de Khorène, II, 14). Toutefois ces deux divinités sont très différentes, et ne peuvent en aucune façon être confondues l’une avec l’autre.

[105] Sur cette ville, cf. Indjidji, Géogr. anc., p. 24, et St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 74.

[106] La race d’Ankegh était issue de Baskam, petit-fils de Haïgag (Moïse de Khorène, I, 13), surnommé Dork (II, 8). Faustus de Byzance dit que les possessions de cette satrapie se trouvaient dans le canton de Dzop, situé dans la quatrième Arménie.

[107] Cette province, appelée aussi Aghdzen, située au sud de l’Arménie et sur les bords du Tigre, correspond au pachalik d’Amid. Les Byzantins la nommaient Arzanène (Indjidji, Arm. anc., p. 62. — St-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. I, p. 156 et suiv.).

[108] Le titre de ptiachtchkh, que les Grecs ont rendu par πητίαξ (Visconti, Icon. grecque, t. 11, p. 386), veut dire « commandant des frontières. » (Cf. Moïse de Khorène, II, 8.)

[109] Ce personnage portait, selon Moïse de Khorène (II, 7), le nom d’Haïr-ichkhan, « prince-père ».

[110] Le thakatir qui pose la couronne » était également asbed « chef de la cavalerie ». Cette charge appartenait aux Pakradouni (Bagratides), issus du juif Pakarad, auquel Valarsace avait conféré cette importante dignité (Moïse de Khorène, II, 7, 8).

[111] Ce prince s’appelait Ardavazt Mantagouni (Moïse de Khorène, II, 82).

[112] Canton de la province de Gordjaïk (Moïse de Kh., II, 8.)

[113] Dans la quatrième Arménie. Ce canton répond à la Sophène de Strabon (XI, 14, 2). —Cf. Moïse de Kh., II, 8.

[114] Le Koukherkh est une province de l’Arménie septentrionale, qui répond à l’ancienne Gogarène de Strabon (XI, 14, 4).

[115] Canton de la province de Vasbouragan, situé sur les rives méridionales du lac de Van.

[116] Province de la Grande Arménie, située à l’orient du Tigre, dans les montagnes du Kurdistan, et qui paraît être la même que la Moxoène d’Ammien Marcellin (liv. 25, ch. 7).

[117] Cette province s’étendait depuis l’Araxe jusqu’au-delà du lac de Sevan. Les satrapes de cette province descendaient de Haïg, et étaient qualifiés par les Grecs d’Ἄρχοντες τοῦ Συνῆς (Const. Porphyr., De caerem. aul. byz., t. I, p. 397). Plus tard la Siounie devint l’apanage des princes Orbélians, qui en furent dépouillés par les Musulmans.

[118] La tribu des Zotek, issue de la race d’Ahran (Moïse de Khorène, II, 7), occupait le pays situé à l’orient du Kour ou Cyrus.

[119] La tribu des Oudi occupait le territoire situé à l’extrémité septentrionale de l’Arménie sur les rives du Kour. C’est ce pays qui est appelé Otène par Pline (VI, 13). — Cf. St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 226 et suiv.

[120] Ces deux cantons faisaient partie de la Persarménie, et se trouvaient situés sur le versant des montagnes du Kurdistan vers l’est, et du côté d’Ourmiah. — Cf. St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 178.

[121] La race de Malkaz descendait des Khorkhorouni, issus de Haïg. Le chef de cette race était commandant des gardes du corps du roi (Moïse de Khorène, II, 7).

[122] Cette satrapie fut fondée par Vagharschag. Le chef avait le privilège de porter les aigles devant le roi (Moïse de Khorène, II, 7). Les Ardzrouni régnèrent au dixième siècle clans le Vasbouragan (Thomas Ardzrouni, Hist. des Ardzrounis, en arm. — Indjidji, Archéol. arm., t. II, p. 109-111).

[123] Mazaca fut fondée, selon les traditions arméniennes, par Majakh, deux malle ans avant J.-C. (Moïse de Kh., I, 13). Le nom de Césarée, qui remplaça celui de Mazaca, fut donné à cette ville par Tibère (St-Martin, Mém. sur l’Arm., I, p. 185-186).

[124] Sur l’apostolat de S. Grégoire et la légalisation ecclésiastique de ses travaux qu’il alla chercher lui-même à Césarée, avec le titre d’évêque d’Arménie, consultez Fabricius, Lux salutaris, p. 640. — Blumhardt, Hist. génér. de l’établiss. du Christ. (trad. de Bost.), t. I, p. 292. — Lenain de Tillemont, Mémoires, t. V, p. 112.

[125] Le mont Karké faisait partie de la chaîne des montagnes du Kurdistan (St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 32).

[126] Ville principale du canton de Daron, dans la province de Douroupéran, célèbre par les temples des dieux nationaux de l’Arménie.

[127] Le dieu Vahak’n était représenté dans ce temple sous la forme d’un homme tuant un dragon. Les anciens bardes arméniens récitaient au son du pampirn les exploits de Vahak’n, qui avait délivré le pays des monstres qui l’infestaient (Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., I, 31).

[128] Ce nom était donné à la déesse Anahid, comme nous l’avons dit dans une note précédente.

[129] Athanakinès ou Athénogène, évêque de Sébaste, fut martyrisé sous Dioclétien (Vies des Saints, 17 juillet). Il est curieux de lire dans Zénob de Glag (Histoire de la province de Daron, p. 34 et suiv. de la trad. fr.) l’histoire des événements qui mirent S. Grégoire en possession des reliques de S. Jean-Baptiste et de S. Athénogène. Il paraît que l’évêque de Césarée vendit à S. Grégoire, pour la somme de 1.200 tahégans, les reliques de ce dernier.

[130] Le monastère de S. Jean-Précurseur, en Arménie, Sourp Garabed, fondé par S. Grégoire sur l’emplacement où il déposa les reliques de ce saint et celles d’Athénogène (Zénob de Glag, p. 50 et suiv. de la trad. fr.), devint la résidence des évêques de la principauté des Mamigoniens. On appelle encore ce monastère, couvent de Ghag ou des Neuf-Sources, Innagnian, à cause de neuf cours d’eau qui se trouvent dans son voisinage (Indjidji, Géogr. anc. de l’Arm., p. 99).

[131] Cf. le récit détaillé de la prise de possession de cette localité appelée Kiçané, sur te territoire de Balounik, dans le canton de Daron, qu’a donné Zénob de Glag (Histoire de Daron, p. 36 et suiv. de la traduction fr.).

[132] Faustus de Byzance appelle cette première église « la mère des églises d’Arménie » (Hist. d’Arm., III, 3, 14. — IV, 14). Elle fut détruite par Abderrahim, neveu de Mahomet, à ce que nous apprend le continuateur arménien de l’Histoire de Zénob, Jean Mamigonien.

[133] Le 16 d’octobre. Maintenant les Arméniens célèbrent cette fête le deuxième dimanche après la Pentecôte.

[134] Ville de la province d’Ararat dans le canton de Pakrévant, dans le voisinage du mont Massis. Elle fut fondée à la fin du premier siècle, par Sempad Bagratide, général des armées du roi Ardaschès II, qui la peupla avec des captifs amenés de Pakaran (Moïse de Khorène, II, 45).

[135] En arménien Titzacan a la signification de « bourg des idoles », tikh, idole, et avan, bourg.

[136] Le mont Niphate était au sud-ouest du mont Ararat, vers les sources de l’Euphrate. Les anciens géographes comme Strabon (XI, 12, § 4) et Ptolémée (V, 13) en parlent comme d’une montagne célèbre. Virgile en fait aussi mention dans le IIIe livre des Géorgiques (vers 30), et Horace dans son IIe livre (Ode IX, à Valgius), où il qualifie le Niphate de montagne glacée, « rigidum Niphaten... »

[137] Le martyrologe arménien, dix-huitième jour de novembre, constate que Grégoire imposa alors à Tiridate le nom de Jean.

[138] La fête d’Amanor, « nouvel an », divinité d’origine perse, avait lieu au commencement du nouvel an, c’est-à-dire le premier jour de Navassart (11 août), et durait six jours. Cette fête avait été instituée par Vagharschag (Moïse de Khorène, II, 66). Les pieux pèlerins qui venaient à cette fête, de tous les points de l’Arménie, restaient à l’entour du temple de Bagavan, où ils recevaient l’asile et participaient aux produits des sacrifices (Emin, Rech. sur le p. arm., p. 23 et suiv. de la trad. fr.).

[139] On célébra aussi plus tard dans cette localité la fête de sainte Gaïanè.

[140] Cédrénus (ad ann. XIX Const. magni) confirme le témoignage d’Agathange, touchant la conversion de l’Arménie tout entière par S. Grégoire l’Illuminateur· Ἡ πᾶσα Ἀρμενία εἰς τὴν τοῦ Χριστοῦ πίστιν μετατίυεται.

[141] Psalm., XLIV, 11.

[142] Ce nom est altéré dans tous les manuscrits, ce qui empêche d’identifier cette localité avec aucun nom connu.

[143] L’église patriarcale d’Edchmiadzin, à laquelle il est fait allusion dans ce passage, a été souvent décrite par les voyageurs, notamment par Dubois de Montpereux, M. Brosset, et le P. Chakhatounoff dans sa « Description de l’Arménie et du siège patriarcal d’Edchmiadzin. »

[144] Satala, ville de la Petite-Arménie sur la branche septentrionale de l’Euphrate. Elle porte aujourd’hui le nom d’Erzinga (Indjidji, Arm. mod., p. 98. —L. Alischan, Géogr. de l’Arm., p. 59).

[145] Canton du Koukarkh, appelé le Klardjethi en Géorgien, et qui était situé à l’extrémité septentrionale de l’Arménie, près du Dawakhethi (Moïse de Kh., liv. II, 83). C’est peut-être les monts Coraxiani de Pline, V, 27 VI, 9.

[146] Le grec porte Οὔννων, des Huns.

[147] Ville capitale de la province du même nom, située dans le canton de Vartanaguerd. C’est là que Sanadroug se rendit indépendant au commencement du quatrième siècle et prit le titre de roi (Moïse de Kh., III, 3). Cette ville s’appela sous les Musulmans qui s’en emparèrent, Baylekan (Aboulféda, Géogr., text. arab., p. 404).

[148] Ville de la province d’Aghdsnikh, sur le Tigre, dans le pays de Diarbékir (St-Martin, Mém. sur l’Arm., t, I, p. 165 et suiv.).

[149] Medzpin, aussi appelée Nisibe, ville importante de l’Aghdsnikh, dont il est souvent question dans l’histoire d’Arménie (SI-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 161).

[150] Nor-Schirag ou Nouvelle-Schirag se trouvait sur les confins de la Syrie, mais en dehors de l’Arménie. Le père Indjidji l’identifie avec la Coelésyrie. Mahkherdan était également située en dehors de l’Arménie, au sud. Il en est fait mention dans Faustus de Byzance (IV, 50).

[151] L’Adherbeidjan, canton de l’Arménie dépendant de la province de Vasbouragan et qui confinait avec la province persane d’Adherbeidjan (St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 127 et suiv.).

[152] Il est cité dans la rubrique du ch. 80 du livre II de l’Histoire de Moïse de Khorène.

[153] Ce renseignement sur l’usage de la langue arménienne est précieux, car il est pour nous la preuve que l’idiome national était en usage parmi le peuple, malgré l’absence de caractères alphabétiques spéciaux à la langue arménienne, qui s’écrivait avec les caractères grecs, syriaques ou perses. On peut induire également de ce passage que l’arménien n’était pas la langue dont se servaient les premiers apôtres qui vinrent prêcher le christianisme en Arménie, et nous savons en effet que les premiers prêtres du pays furent des Syriens et même des Grecs, comme semblent l’indiquer les noms propres d’hommes, portés par les premiers évêques ordonnés par S. Grégoire (Cf. plus haut, § 154).

[154] Cf. sur ce personnage, qui était beau-frère d’Ardavast Mantagouni, ce qu’en dit Moïse de Khorène, liv. II, ch. 78 et 82.

[155] La caverne ou l’antre de Mané tirait son nom d’une des compagnes de sainte Hripsimè, qui ne suivit pas ces dernières en Arménie, et s’arrêta en cet endroit, sachant que tous les lieux appartiennent à Dieu (Moïse de Khorène, l. II, ch. 91). On ignore quel nom portait originairement la montagne où se trouvait l’antre de Mané. Au douzième siècle, les Arméniens nommaient cette montagne te mont Sebouh, et le géographe Vartan lui donne le nom de Kohanam « je rends grâce » Géogr., dans St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 432-433), qui est une épithète donnée par le peuple à toute montagne élevée.

[156] Psalm. XLIV, 17.

[157] Saint Grégoire monta sur le trône pontifical de l’Arménie vers l’an 303 ou 304 de notre ère. Son fils cadet Rhesdaguès le remplaça en 306, et occupa le patriarcat jusqu’en 314, époque à laquelle le fils aîné de Grégoire, Verthanès, succéda à son frère.

[158] Constantin Ier le Grand, fils de Constance Chlore.

[159] Le nom de Marcien, qui régna de l’an 450 à 457, est une preuve manifeste des retouches et des interpolations qu’a subies le texte d’Agathange; et même, on peut conclure que le texte qui nous est parvenu est postérieur de plusieurs siècles à la rédaction primitive. Il paraît évident que les noms de ces empereurs n’ont pu être cités qu’après la réunion du concile œcuménique de Chalcédoine, qui amena la séparation des Eglises d’Orient et d’Occident.

[160] Il est probable que le nom de Lucien est une faute de copiste pour Licinius, que le grec appelle Licinianus.

[161] La province de Mog, limitrophe de celle d’Aghdsnikh à l’est du Tigre, dans les montagnes du Kurdistan, répond à l’ancienne Moxoène d’Ammien Marcellin (liv. XXV, ch. 7). Les princes de Mog se succédèrent pendant plusieurs siècles dans cette province, et leurs descendants régnaient même dans le pays au commencement du dixième siècle (Jean Cathol., Hist d’Arm., ch. 116, p. 291 de la trad. de St-Martin).

[162] Le grec dit ἀπογράφοντα ἄρχοντα qui semble indiquer un chancelier. Les Mékhitaristes, dans les notes jointes à l’édition italienne d’Agathange, émettent l’opinion que cette indication cache peut-être le titre que portait Agathange, qui était secrétaire du roi. Toutefois le texte arménien, qui est très différent en cet endroit, n’autorise cette supposition qu’avec une extrême réserve.

[163] Les historiens anciens de l’Arménie donnent assez souvent le nom de Dalmates aux Latins, probablement parce qu’à cette époque, il y eut plusieurs empereurs d’origine illyrienne.

[164] Le texte grec l’appelle Eusèbe, ce qui est une faute des copistes.

[165] Beaucoup de critiques ont mis en doute le voyage de Tiridate et de S. Grégoire à Rome, bien que la relation de cet événement nous ait été transmise par la plupart des anciens écrivains profanes et religieux de l’Arménie. Cependant, comme ce fait a été passé sous silence par les historiens occidentaux, on s’accorde à le croire controuvé. Pour ce qui est de la Lettre d’alliance entre les deux souverains, arménien et romain, et entre le catholicos Grégoire et le pape Sylvestre, il paraît certain que ce document est apocryphe. On y rencontre en effet des mots empruntés au langage des Croisés, ce qui est la preuve manifeste que cette pièce est l’œuvre d’un écrivain contemporain des dernières guerres saintes. Pour entreprendre la critique des deux questions si épineuses du voyage de Tiridate en Occident et de l’antiquité de la Lettre d’alliance, il faudrait entrer dans de longues et minutieuses discussions qui nous entraîneraient trop loin. Nous dirons seulement que les Arméniens eux-mêmes révoquent en doute l’authenticité du voyage et de la lettre, comme on pourra s’en convaincre, en lisant le travail récent sur ce sujet de Garabed Chahnazsrian, publié à Paris, en 1862 (en arménien), sous le titre de Réfutation de la prétendue alliance entre saint Grégoire et saint Sylvestre.

[166] Ces documents se trouvent dans les recueils de canons arméniens, dont il existe bon nombre de manuscrits dans les bibliothèques d’Edchmiadzin, Venise (Saint-Lazare), Paris, etc.

[167] On est étonné de ne trouver dans Agathange aucun détail sur la mort de S. Grégoire. Galanus, auteur d’un ouvrage fort remarquable, intitulé Conciliatio ecclesiae armeniae cum romana, en 3 vol. in 4°, raconte que S. Grégoire mourut dans des lieux solitaires, ignorés de tous, et que son corps fut trouvé par des bergers. Au temps de l’empereur Zénon, le saint apparut en songe à un ermite et lui commanda de prendre son corps et de l’ensevelir dans la ville de Thortan, ce que fit l’ermite. Zénon ordonna de le transporter ensuite à Constantinople, en ne laissant qu’une partie de ces reliques dans la première ville. Ces faits sont relatés dans le Bréviaire de l’ordre des frères prêcheurs, en arménien. Ce qui resta en Arménie des reliques de saint Grégoire fut partagé et placé dans de riches reliquaires ornés de pierres précieuses. Une partie fut déposée dans l’église patriarcale de Vagharschabad (Edchmiadzin), siège pontifical de saint Grégoire; l’autre, après différentes péripéties, fut déposée dans l’église du monastère patriarcal de Sis, en Cilicie. A Edchmiadzin on conserve aujourd’hui encore la dextre du premier patriarche de l’Arménie; et à Sis, j’ai vu moi-même, en 1852, l’autre bras de saint Grégoire enfermé dans une châsse d’argent en forme de bras (V. mon Voyage en Cilicie, p. 400). Pour ce qui est des reliques apportées à Constantinople, elles furent plus tard transférées en Italie, où elles furent déposées dans une église de Naples, appelée Saint-Liguor, corruption de Saint-Grigor ou Grégoire, appartenant à des moines bénédictins (Cf. Baronius, Annot. ad Martyrol, 11 junii et 30 sept.).

[168] Isaïe, VIII, 1.

[169] Isaïe, XXX, 8. —Habac., 22.

[170] Psalm., CI, 19.

[171] Psalm., LXXXVI, 6.

[172] Matth., XXVIII, 19.

[173] Marc. XVI, 15.

[174] Ce passage a été un des points capitaux qui ont fait taxer de mensonge le livre d’Agathange par le bollandiste Stilting. Il est vrai qu’on est autorisé à penser qu’Agathange n’a pas été témoin de tous les faits qu’il a enregistrés, et il est probable que l’hagiographe qui a dénaturé son livre aura conservé cette phrase de l’œuvre primitive, sans penser que les interpolations et les additions ajoutées par lui feraient suspecter la bonne foi du secrétaire de Tiridate.

[175] Psalm., LXXVII, 5-8.

[176] Cf. p. 105 de l’Introduction qui précède la reproduction en photolithographie du ms. de la Géographie de Ptolémée, appartenant au monastère de Vatopédi, au mont Athos (Paris, A. Firmin Didot, 1867, in folio).