Abbon

ABBON

 

SIÈGE DE PARIS PAR LES NORMANDS.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

COLLECTION

DES MÉMOIRES

RELATIFS

A L'HISTOIRE DE FRANCE.

 

 

 

 

SIÈGE DE PARIS

PAR LES NORMANDS.

POÈME D'ABBON.

 

 


 

NOTICE SUR

ABBON

 

Il y a souvent lieu de s'étonner de la légèreté des érudits, même des plus célèbres. Le moine Abbon et son poème sur le siège de Paris par les Normands, en fournissent de singuliers exemples. On s'est trompé sur l'auteur, faute de bien lire son ouvrage qu'on imprimait ; on a réimprimé l'ouvrage six fois sans examiner avec soin le manuscrit qu'on avait sous les yeux ; et après six éditions, après les travaux de Pithou, de Duchesne et de dom Bouquet, il a fallu qu'un septième éditeur, dom Toussaint Duplessis, fit de ce poème une étude particulière pour que les erreurs, fussent rectifiées, et le texte intelligible, ou à peu près.

La première édition parut en 1588 dans le recueil de Pithou, à qui appartenait le manuscrit. On avait souvent parlé d'Abbon, mais toujours en le confondant avec un autre Abbon, abbé de Fleury, qui mourut vers l'an 1004. Or, l'auteur du poème racontait, en témoin oculaire, le siège de Paris par les Normands de l’an 885 à l'an 887. La méprise était évidente et fut dissipée; mais le texte donné par Pithou fut très incorrect; il prêta peu d'attention à une glose qui y était jointe dans le manuscrit, et qui expliquait quelques-uns des passages les plus obscurs; enfin la transposition, l'omission même de plusieurs vers attestèrent la négligence de l'éditeur, et une ponctuation très fautive rendit l'ouvrage encore plus difficile à comprendre pour les lecteurs les plus attentifs.

En 1602, Jacques Du Breul, religieux de Saint-Germain-des-Prés, en publia une édition nouvelle; il avait le manuscrit sous les yeux et fit de la glose un plus fréquent usage que Pithou; il n'en reproduisit pas moins la plupart des fautes de la première édition, et ne rétablit pas même les vers transposés ou omis. Duchesne en 1619 et 1636, Jean Du Bouchet en 1642, réimprimèrent le poème; mais, sauf quelques changements de peu d'importance, ils ne firent guère que suivre l'édition de Pithou ou celle de Du Breul, et le texte demeura toujours presque aussi inexact et aussi obscur.

Tous ces travaux existaient déjà lorsque le P. Labbe, Oudin et dom Rivet parlèrent d'Abbon dans leurs savants écrits; ils n'en tombèrent pas moins dans de grossières erreurs, qu'une lecture un peu attentive, même sans le secours d'un texte correct, eût fait aisément éviter. Dans le moine Gozlin auquel le poème est adressé par l'auteur, Labbe et Oudin crurent reconnaître Gozlin évêque de Paris pendant le siège; or l'évêque Gozlin était mort le 16 avril 886, le siège durant encore ; Abbon raconte lui-même sa mort, et parle d'Anscheric son successeur, élevé à l'épiscopat au mois d'octobre suivant. Les erreurs de dom Rivet ne sont pas moins étranges : « Le siège de Paris, dit-il, commença en novembre 885 et ne fut levé que le dernier jour de janvier 887, après quinze mois de durée. Abbon en entreprit aussitôt l'histoire et la publia peu après le mois de novembre 888, puisque, dans le corps de l'ouvrage, il ne donne que le titre de comte à Eudes qui fut sacré roi de France, et qu'il qualifie tel dans sa préface. » Or, dans le corps de l'ouvrage et à plusieurs reprises, Abbon donne à Eudes le titre de rex futurus, rex venturus, ou même simplement de rex, et il termine son second livre par le récit sommaire des événements survenus de l'an 888 à l'an 896, ce qui en place nécessairement la composition après cette dernière année.

En insérant le poème d'Abbon dans sa Collection des historiens français, dom Bouquet releva toutes ces erreurs; il avait le manuscrit entre les mains et pouvait en donner enfin une bonne édition en consultant, en y joignant même la glose qui l'expliquait. Il n'en fit rien, et se contenta de réimprimer le texte de Duchesne; il en corrigea seulement les fautes les plus apparentes et y ajouta quelques notes utiles, mais trop rares et qui ne s'adressent pas toujours aux passages les plus embarrassants.

Ce poème curieux, bien que barbare, restait donc, après tant d'éditions, surchargé de fautes et d'obscurités, lorsqu'en 1753, dom Toussaint Duplessis, bénédictin comme dom Bouquet, entreprit enfin d'étudier scrupuleusement le manuscrit, la glose, et de les publier ensemble en les accompagnant d'un long commentaire. Il inséra ce travail dans les Nouvelles Annales de Paris jusqu'au règne de Hugues Capet, et c'est maintenant le seul recueil où le poème d'Abbon doive être lu et puisse être compris. Il s'en faut bien que le texte soit partout correct, que le commentateur ait dissipé toutes les obscurités, expliqué toutes les allusions, saisi même toujours dans ses notes le véritable sens ; mais, pour la plupart des difficultés qui restent encore, c'est à l'auteur lui-même, non plus à l'éditeur qu'il faut s'en prendre; l'érudition a fait son œuvre. D'après le temps qu'elle a mis à y parvenir, on peut; juger combien elle est souvent incomplète et trompeuse, dans les recueils même les plus justement estimés.

Voici ce qu'on sait d'Abbon. Il était moine de Saint-Germain-des-Prés, peut-être neustrien d'origine, et élève d'Aimoin, de la même abbaye. Il ne se donne lui-même dans sa préface que la qualité de lévite ou diacre; dom Rivet affirme, d'après le nécrologe de saint Germain, que plus tard il fut fait prêtre; et on y trouve en effet, vers cette époque, sous la date du 9 mars, sans indication d'année, la mort d'un prêtre Abbon. Rien ne prouve que ce soit le même; cependant cela se peut. Il écrivit son poème entre les années 896 et 898, car il y parlé, comme on vient de voir, d'événements qui se rapportent à la première, et dit ailleurs que le roi Eudes vivait encore; et Eudes mourut en 898. Plusieurs savants ont cru qu'Abbon lui-même n'avait pas vécu au-delà du neuvième siècle; un avertissement qu'il prit soin de placer en tête d'un recueil de ses sermons, dont le manuscrit se trouvait dans la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés, eût suffi pour les détromper ; il les a composés, dit-il, à la demande de Frottier, évêque de Poitiers, de Fulrad, évêque de Paris, et pour l'usage des ecclésiastiques de leurs diocèses. Frottier fut évêque de Poitiers de l'an 900 à l’an 936, et Fulrad évêque de Paris de l'an 921 à l'an 927. La mort d'Abbon ne peut donc être antérieure à l'an 922 ou 923.

Le poème sur le siège de Paris et ces Sermons sont les seuls ouvrages qui restent de lui; cinq des sermons seulement ont été publiés par d'Acheri ; ils ne se distinguent par aucun mérite particulier. Quant au poème, ce n'est pas, comme les lecteurs s'en convaincront aisément, le mérite littéraire qui en fait la valeur; la complaisance même des éditeurs ne se l'est point dissimulé ; tous se sont bornés à en publier les deux premiers livres, laissant de côté le troisième, qui ne se rapporte en rien à l'histoire et ne contient que des dissertations ou des allégories théologiques. Dans les deux premiers même, quoique l'écrivain eût dû être animé par les faits et par les sentiments qu'il avait éprouvés en y assistant, aucune beauté poétique ne se rencontre, aucune trace de talent ne se laisse apercevoir. Les hommes du ixe siècle n'étaient pas plus étrangers que nous aux émotions que suscitent dans la nature humaine la nécessité de grands efforts, la présence de cruels dangers. Les Parisiens, assiégés par les Normands, les ont certainement ressenties, car ils ont fait preuve d'opiniâtreté, d'adresse, de dévouement, de courage; ils ont eu, dans leurs murs, durant ces dix-huit mois de détresse, des héros, des traîtres, des lâches; ils ont admiré, compati, espéré, tremblé : ce sont là les sources de la poésie; Abbon n'y a point puisé, n'a fait passer dans ses vers, avec vérité et énergie, aucune des impressions qu'il avait sans doute partagées; d'emphatiques lieux communs, d'énigmatiques subtilités, des exclamations convenues, des comparaisons empruntées, c'est là tout ce que lui a inspiré un si pénétrant spectacle, et sa lourde imagination ne nous fait rien voir de ce qui l'avait à coup sûr profondément ébranlé. Telle est l'impuissance des écrivains de ce temps, en qui la pédanterie monacale s'unit à la grossièreté barbare; leurs propres émotions leur échappent; ils les ont reçues, car ils étaient hommes; ils sont hors d'état de les reproduire, de les communiquer, et les faits demeurent stériles et glacés dans leur pensée dès qu'ils se sont éloignes de leurs yeux. Mais telle est ici l'importance des faits mêmes, qu'elle suffit, pour donner au poème d'Abbon un haut, degré d'intérêt; c'est l'histoire seule qu'il y faut chercher. Nous n'avons, sur ces expéditions des Normands qui couvraient alors la France, et se renouvelaient partout presque chaque jour, aucun monument aussi précis, aussi détaillé, ni qui nous fasse aussi bien connaître tous les accidents, toutes les formes de cette lutte désordonnée de deux peuples, l'un sans gouvernement, l'autre sans patrie. Le siège de Paris par les Normands, en y comprenant toutes ses vicissitudes, dura du 25 novembre 885 au mois de mai 887; huit rudes assauts furent livrés à la ville, dont les citoyens, ecclésiastiques et laïques, se défendirent avec une admirable énergie. Abbon avait tout vu ; il suit pas à pas l'histoire du siège, et nous informe de tout, froidement, obscurément, mais avec étendue et exactitude. C'est là le mérite de son ouvrage, mérite sans gloire pour l'auteur, mais qui ne peut manquer d'intéresser vivement tout lecteur curieux de comprendre vraiment des faits que les historiens modernes racontent plus vaguement encore que les plus insipides chroniqueurs.

La traduction de ce poème était, nous n'hésitons pas à le dire, fort difficile. On en a donné jusqu'ici des fragments, des extraits, jamais une version exacte et complète. Nous ne nous flattons pas d'avoir surmonté tous les obstacles et deviné toutes les énigmes; Abbon lui-même se trouvait obscur, et crut avoir besoin de s'expliquer, si du moins il est vrai, comme dom Toussaint Duplessis est porté à le penser, que la glose jointe au texte soit son propre ouvrage. Le traducteur qui a bien voulu se charger de ce pénible travail n'a épargné ni temps, ni recherches, ni peines pour pénétrer dans le labyrinthe de chaque phrase, et leur prêter à toutes un sens raisonnable et clair. La glose et le commentaire du savant bénédictin nous ont été d'un grand secours; nous n'avons cependant pas adopté toujours l'explication qu'il a jugée préférable; dans quelques passages nous sommes convaincu qu'il s'est trompé; dans d'autres, nous avons choisi entre les conjectures. Il nous a paru inutile d'étaler dans de longues notes ces fastidieux débats; après tout, les faits historiques seuls sont importants; les lecteurs, s'il s'en trouve qui prendront la peine de comparer notre traduction avec le texte, apprécieront ce mérite de la difficulté vaincue, le seul auquel on puisse prétendre en pareille matière.

F. G.


 

 

SCEDULA

SINGULARIS CERNUI ABBONIS DILECTO FRATRI GOZLINO. EXPLICIT EPISTOLA.

PRÉFACE,

LETTRE PARTICULIÈRE DE L'HUMBLE ABBON AU FRÈRE CHÉRI GOZLIN.

Cunctorum Dei plasmatum extimus et conlevita indignus Abbo, sincaere omnemque terrigenam superantis igne dilectionis amplexando fratri Gozlino, quicquid in Christo utriusque vitae manet jocunditatis.

 

Tuae admodum mihimet acceptissimae germanitatis affectio sibimet dudum destinari crebro poposcit, ut bellorum Parisiacae polis, praecellentissimi quoque principis ab examine regni hucusque Odonis, nostro genitum labore codicellum didicit, tam contigui studiosa ingenioli quam fraterni insuper non inmemor flagri . Eandem itaque ob gratiam faustissime noveris germane, tibi hancce dirigi pagellam, cum tam rara ne umquam penes me frustretur petitio , tum solamine omnium apud lectorem amicissimi, ut cara finetenus vice illam mittentis fungatur; quin etiam a deviis prudenti dextera relevetur. Numquam enim otio reficiendi ob scolarum pluralitatem, cujus commoditati ubique locorum vacaverim. Verum qui primum fuerit prolata, constat adhuc sequens pagina membranis semel tantum mutatis, post quoque, ceu quopiam Foebo, tuo sagaci lustretur arbitrio. Denique hujus aeliminata directionis causa, aequum autumatur depromi geminas etiam opusculi inchoationis. Quarum siquidem prima fuerit causa exercitationis. Tunc etenim adhuc litteratoriae tyrunculus disciplinae, Maronis proscindebam aeglogas. Altera vero mansuri aliarum tutoribus urbium exempli. Caeterum tam tuae quam reliquorum quidem lectorum almae charitati non istud metricae conplecti volumen , quod vates taxer , notum fore molior . Nullatenus quippe hic , quae penes summos repperiuntur figmenta poetas. Atqui Faunos ferasve nusquam tripudio carminis in ludum more Sileni conglomeraverim, neu rigidas motare cacumina quercus coaegerim, tum vero silvae avesque menia quoque nunquam nostris sunt comitata vestigiis prae dulcedine cantionis; nec quovis modulamine Orco aliisve manibus animas tartarea aeripuerim caligine ritu Orphei. Plane etiam si quando affuerit velle, nusquam tamen his actibus favit possae. Ergo nec positor quidem nuncupor, nec figmenta hic habentur; sed nostrae facultatis adsint praesidia. Porro triadi nostros credidi biblos visu et auditu modo decusatos . Quorum duo quidem tam praeliis Parisiacae urbis, Odonis quoque regis, quam profecto almi ac heroys praesertim mei Germani, ejusdem sedis olim egregii praesulis, effulgent miraculis, alias tamen quibuslibet inauditis. Qui autem supplet trinitatem tercius, horumce ignarus constat. Nam cleronomos , tametsi angustum maneat situm, decentissime ornat, tum scolasticis ambientibus glosas suis in commentis obnixe complacet; allegoria vero aliquantisper cui ejus indago libuerit, renitet. Cum per semet quoniam mutis inhaeret verbis, propria manu linguas superjeci. Pedes autem in omnibus opusculi versibus adeo delegerim, quo per rarissimos forte ignorantia potiusve oblivione liquerim clodos; qui tamen periergia quaeso industriaque legentis debitae virtuti restituantur. Pentimimeris nempe seu cum cata triton trocheon eptimimeris rata similitudine per omnia currunt cesurae, quanquam bucoliceptomen perpauca. Communibus praeterea bannitae modis cum dieresi et aepisinaliffa non dense usus extiti.

 

 

 

 

Igitur largiente divino munere, suggessit haecine mihi facultas. Quid plura? Catalecticus cunctus existit versus. Tum multa prorsus alia lectori seria parebunt indita. Nec tamen putetur hoc ob aliud factum, nisi materiam vel a tua, dulcissime frater, prudentia hauriendam, seu cujuspiam alterius diserti , cum ad manus venerit metrici. Dactilici quidem versiculi trimetri praepositi causam enucleant sui, sed minime exauditi. Verum quod haud apud magistrum, saltem mereantur nancisci penes germanum.

 

Gaudia quod radii Febo, tibi sint et honores,

Cum fine in finem, clam quoque fine Deo.

La plus infime de toutes les œuvres de Dieu, le lévite indigne Abbon embrasse son frère Gozlin d'un amour sincère, et qui, par son ardeur, surpasse toute affection terrestre; puisse celui-ci goûter toutes les joies qui résident en Jésus-Christ dans cette vie comme dans l'autre!

La tendresse de ta fraternité, qui m'est si précieuse, chérissant un faible talent qui lui tient de si près, et se souvenant de mon attachement fraternel, a demandé fréquemment, depuis longtemps et dès qu'elle a su que je m'étais occupé de ce travail, que je lui envoyasse la courte relation que j'ai faite des combats qu'ont eu à soutenir la ville de Paris et Eudes, le plus grand des princes depuis l'origine du royaume jusqu'à ce jour. Très excellent frère, sache donc que le même sentiment qui t'a inspiré ce désir me porte à t'adresser cet opuscule, soit pour satisfaire, autant qu'il est en moi, à ta prière qui m'honore tant, soit aussi, ce qui est une consolation pour celui de tous les hommes qui t'aime le plus, afin que, par un sort heureux, cet ouvrage remplace auprès de son lecteur celui qui l'envoie, et même encore pour que ta main habile corrige les fautes dans lesquelles je suis tombé. La multiplicité de mes études ne m'a jamais en effet laissé le loisir de refaire ce travail, et nulle part je n'en ai trouvé le moment. Les pages suivantes sont encore telles qu'elles ont été composées d'abord et par une sorte de première inspiration de Phébus : il n'y a eu de changé que le parchemin sur lequel elles ont été copiées, et c'est dans cet état que je les soumets à la censure de ton habile jugement. Au surplus, en mettant de côté le sentiment qui m'engage à te les transmettre, il est juste que tu tiennes compte des deux buts qui ont donné naissance à cet opuscule ; le premier fut l'envie de m'exercer moi-même, car quand je l'ai fait, encore apprenti dans l'étude des lettres, je lisais pour la première fois les églogues de Virgile; le second a été le désir de conserver la mémoire d'un exemple utile à ceux qui sont chargés de veiller au sort des autres villes de l'État. Au reste, je veux qu'il soit bien connu, tant de ton extrême indulgence que de celle des autres lecteurs, que si ce livre a été écrit avec le mètre des vers, ce n'est point que j'aspire au titre de poète. Ici, en effet, on ne rencontrera aucune des fictions qui se trouvent dans les grands poètes. Nulle part je n'ai réuni, aux accents de mes chansons, les Faunes et les bêtes fauves dans des jeux tels que ceux auxquels se livrait Silène; jamais je n'ai forcé les vieux chênes à secouer leurs cimes; jamais les oiseaux, ni les forêts, ni les pierres, attirés par la douceur de mes chants, ne se sont précipités sur mes pas; jamais je n'ai su, par des modulations semblables à celles d'Orphée, tirer des âmes des ténèbres du Tartare et les arracher soit à Pluton, soit à tout autre dieu. Il y a plus, si la volonté de tenter de telles entreprises m'était venue, y réussir n'eût pas été en mon pouvoir. Je ne prétends donc pas au nom de poète; mon ouvrage ne renferme aucune fiction poétique ; Dieu veuille que d'autres secours ne manquent pas à mes faibles talents! J'ai réparti en trois livres mes lignes divisées, tant à la vue qu'à l'oreille, en mesures régulières. Deux de ces livres traitent, tant des brillants combats de la cité de Paris et du roi Eudes, que des miracles éclatants, mais inconnus ailleurs à quelques personnes, opérés par le grand Germain, mon principal héros, illustre évêque du siège de cette même ville de Paris. Quant au dernier livre, qui complète le nombre trois, il est étranger à ces objets.[1] Destiné spécialement aux clercs, il convient à leur état, et doit plaire aux érudits, qui, dans leurs Compositions, s'étudient à multiplier les gloses ; l'allégorie y brille de temps en temps pour ceux qui s'en amusent, et je me suis attaché à éclaircir, par des gloses de ma propre main, les mots quelquefois obscurs. Au surplus, la mesure des vers de tout mon ouvrage, je l'ai choisie telle qu'il m'est arrivé très rarement, peut-être par ignorance, mais plutôt encore par oubli, de laisser quelques-uns de ces vers qui ne fussent pas sur leurs pieds ; et ceux-ci, je t'en conjure, que ton habileté veille, quand tu les liras, à leur rendre le nombre qu'ils doivent avoir. Le vers de cinq pieds et celui de sept, après son troisième trochée, admettent en effet, par une similitude marquée, toute espèce de césure, quoique dans le genre de l’églogue on trouve peu d'exemples de ces césures multipliées. De plus, je ne me suis pas fréquemment servi, dans la coupe des syllabes, de la diérèse et de l'épisynalèphe.[2]

Ainsi donc, et grâces encore au secours de la bonté divine, ces pages sont tout ce que mes facultés ont pu produire. Que dirais-je de plus? Tous mes vers sont catalectiques[3] ; et sans doute beaucoup de choses utiles y frapperont le lecteur. Qu'il ne pense pas cependant que cet ouvrage ait été entrepris dans un autre but que de puiser d'utiles instructions auprès de ton expérience, frère chéri, et de celle de tous autres érudits en poésie, aux mains desquels tomberaient ces feuilles. Quant aux petits vers dactyliques de trois pieds qui précèdent mon poème, ils annoncent d'eux-mêmes leur objet; mais ils ont été mal accueillis. La faveur au reste qu'ils n'ont pu trouver auprès de mon maître, puissent-ils, frère, la rencontrer auprès de toi !

Jouis d'autant d'honneur et de joie que Phébus a de rayons,

Et jouis-en jusqu'à la fin des fins, et en Dieu la fin cachée de toutes choses !

 


 

 

 

 

VERSICULI AD MAGISTRUM DACTILICI.

VERS DACTYLIQUES

ADRESSÉS PAR ABBON A SON MAITRE.

O pedagoge sacer meritis
Aymoine piis radians
Digneque sidereo decore:
Perrogitat matites liniens
Ore pedes digitosque tuos,
Cernuus Abbo tuus jugiter
Sume botros, tibi quos tua fert
Vitis adhuc virides; rubeant
Imbre tuo radiisque tuis,
Continuo seris atque fodis
Tu, celebrande, putas et eam
Nuncque cupis, niteat pluviis
Alterius, jubare alterius?
Dulce cui tribuas rogo mel.
Nam tibi palmes et uva manet.
Floruit has mihi Parisius
Nobilis urbs, veneranda nimis,
Bella precans sua ferre tibi.
Agnita cujus ut orbe vago
Sepiat ethera palma volans,
Doxaque regnet ubique micans,
Ore tuo gradiente super.

O vénérable maître Aimoin, toi dont les pieuses vertus jettent une si vive lumière, et qui es digne des honneurs du ciel, ton disciple, ton humble Abbon, qui de sa bouche baise tes pieds et les doigts de tes mains, t'en conjure avec instance; accepte ces raisins, quoique encore verts, que t'offre une vigne qui est bien la tienne, et puissent-ils se dorer à ta rosée et aux rayons de ta chaleur ! Cette vigne, tu n'as cessé, illustre maître, de la planter, de la bâcher et de l'émonder de tes mains. Maintenant que tu désires que ses fruits brillent arrosés par les eaux et réchauffés par les feux d'un autre, je t'en supplie, répands sur eux ton miel si doux, car c'est à toi que les ceps et leurs raisins appartiennent réellement. Ces fruits, je les ai enfantés à la prière de la ville de Paris. Cette noble et illustre cité a voulu que je retraçasse pour toi ses combats. Elle s'est promis que le bruit de ses célèbres victoires, volant par tout l'univers, s'élèverait jusques aux cieux, et que sa gloire éclatante brillerait en tous lieux, si ta bouche daignait sourire à mes efforts.

 


 

BELLORUM PARISIACAE URBIS.

SIEGE DE PARIS PAR LES NORMANDS.

 

 

LIBER PRIMUS.

LIVRE PREMIER.

Dic alacris salvata Deo Lutecia summo,
Sic dudum vocitata, geris modo nomen ab urbe
Isia, Danaum latae media regionis,
Quae portu fulget cunctis venerabiliori;
Hanc Argiva sitis celebrat peravara gazarum,
Quod nothum species metaplasmi modo nomen
O collega tibi, Lutecia, pingit honeste
Nomine, Parisiusque novo taxaris ab orbe,
Isiae quasi paris merito pollet tibi consors;
Nam medio Sequanae recubans, culti quoque regni
Francigenum, temet statuis per celsa canendo;
Sum polis, ut regina micans omnes super urbes!
Quae statione nites cunctis venerabiliori.
Quisque cupiscit opes Francorum, te veneratur,
Insula te gaudet, fluvius sua fert tibi giro
Brachia, complexo muros, mulcentia circum
Dextra tui pontes habitant tentoria limfae
Levaque claudentes ; horum hinc inde tutrices
Cis urbem speculare falas, citra quoque flumen.
Dic igitur praepulchra polis, quod Danea munus
Libavit tibimet soboles Plutonis amica,
Tempore quo praesul Domini et dulcissimus heros
Gozlinus temet pastorque benignus alebat.
Hec, inquit, miror, narrare potest aliquisne?
Nonne tuis idem vidisti oculis? Refer ergo!
Vidi equidem, jussisque tuis parebo libenter.
Parle, glorieuse Lutèce, toi qu'a sauvée le Dieu tout-puissant ; le nom de Paris que tu portes depuis peu, tu le tiens de la ville d'Isia, située vers le milieu des côtes de la vaste région qu'occupent les Grecs : cette cité est renommée par son port, plus recherché que tout autre des marins. La soif ardente des richesses, qui distingue les Argiens, célèbre cette ville d'Isia, et avec une sorte d'altération, ce nom bâtard de Paris te représente, Lutèce, comme son honorable compagne, puisque l'univers, en t'appelant ainsi, te présage à juste titre un sort égal à celui de cette cité. Établie sur le milieu du cours de la Seine et au centre du riche royaume des Francs, tu t'es proclamée toi-même la grande ville, en disant : « Je suis la cité qui, comme une reine, brille au dessus de toutes les autres. » Tu frappes en effet les regards par un port plus beau qu'aucun autre. Quiconque porte un œil d'envie sur les richesses des Francs te redoute, une île charmante te possède ; le fleuve entoure tes murailles, il t'enveloppe de ses deux bras, et ses douces ondes coulent sous les ponts qui te terminent à droite et à gauche ; des deux côtés de ces ponts, et au-delà du fleuve, des tours protectrices te gardent. Dis-le donc toi-même, superbe cité, de quelles funérailles ne t'ont pas remplie les Danois, cette race amie de Pluton, dans le temps[4] où le pontife du Seigneur, le grand et cher Gozlin, ton bienfaisant pasteur, gouvernait ton église ! A quoi répond cette ville : « Je m'étonne de cette demande. Quelqu'un est-il en état de raconter de si grandes choses? Au reste, ne les as-tu pas vues de tes yeux? rapporte-les donc. Oui certes, je les ai vues, répliquai-je, et j'obéirai volontiers à tes ordres. »

Haec tibi nempe litaverunt libamina saevi:
Septies aerias centum praeter juniores
Quamplures numero naves numerante carentes,
Extat eas moris vulgo barcas resonare ;
Quis adeo fartus Sequanae gurges fuit altus
Usque duas modicumque super leugas fugiendo,
Ut mirareris, fluvius cui se daret antro,
Nil parens; abies quoniam velaverat illum
Ac quercus ulmique simul, madidae sed et alni.

 

Urbem quo tetigere quidem Titane secundo,
Egregii Sigefredus adit pastoris ad aulam,
Solo rex verbo, sociis tamen imperitabat,
Vertice flexo ad pontificem sic inchoat ore:
« O Gozline, tibi gregibusque tuis miserere,
Ne pereas, nostris faveas dictis, rogitamus;
Indulge siquidem, tantum transire quaeamus!
Hanc urbem; tangemus eam numquam; sed honores
Conservare tuos conemur, Odonis et omnes. »
Hic consul venerabatur, rex atque futurus,
Urbis erat tutor, regni venturus et altor.
Haec contra Domini praesul fidissima jecit:
« Urbs mandata fuit Karolo nobis basileo,
Imperio cujus regitur totus prope kosmus
Post Dominum, regem dominatoremque potentum,
Excidium per eam regnum non quod paciatur,
Sed quod salvetur per eam sedeatque serenum.
Ut nobis, si forte tibi commissa fuissent
Menia, quodque peregisses justum tibi narras,
Quid fore sancires? Sigemfredus: Caput, infit,
Ensis honore meum, canibus demum quoque dignum.
Toxica, ni tamen his precibus caedas, tibi tela
Nostra ministrabunt castella die veniente,
Decedente famis pestem, hoc peragentque quotannis. »
Haec ait, atque dehinc abiit, sociosque coegit.
Sic caput Aurora rapuit perdente duellum.
Nempe ruunt omnes ratibus turri properantes,
Quam feriunt fundis acriter complentque sagittis.
Urbs resonat, cives trepidant, pontesque vacillant;
Concurrunt omnes turrique juvamen adaugent.
Hic comites Odo fraterque suus radiabant
Rotbertus, pariterque comes Ragenarius; illic
Pontificisque nepos Ebolus fortissimus abba.
Hic modicum praesul jaculo palpatus acuto,
Hic ejus juvenis miles simili Fredericus
Est ictus gladio; miles periit, seniorque
Convaluit, sese medicante Dei medicina.
Hic vitae multis extrema dedere, sed acres
Pluribus infigunt plagas, tandemque recedunt,
Exanimes Danos secum multos referentes;
Jam occidui medium vergebat ad ultima Tile
Climatis australis quoque Apollo secutus Olimpho .
Nil prorsus species turris renitens erat adhuc
Perfectae, fundamentis tantum bene structis
Ac modicum ductis sursum factisque fenestris
Gaudebat; belli sed eadem nocte peracti
Altius haec circumductis crevit tabulatis;
Lignea sescuplae siquidem superadditur arci.
Sol igitur Danique simul turrim resalutant;
Praelia devotis jaciunt immania valde;
Pila volant hinc inde, caditque per aera sanguis,
Conmiscentur eis fundae laceraeque balistae,
Nil terras interque polos aliud volitabat.
At turris nocturna gemit dardis terebrata
Nox fuit ejus enim genetrix, cecini quoque supra
Urbs pavitat, cives strepitant, et classica clamant
Absque mora tremulae cunctos succurrere turri.
Christicolae pugnant, belloque resistere curant.
Belligeros inter cunctos gemini radiabant
Plus aliis fortes, alter comes, alter et abba
Alter Odo victor, bellis invictus ab ullis,
Confortando fatigatis vires revocabat,
Lustrabat jugiter speculam perimens inimicos;
Qui vero cupiunt murum succidere musclis,
Addit eis oleum ceramque picemque ministrans,
Mixta simul liquefacta foco ferventia valde,
Quae Danis cervice comas uruntque trahuntque.
Occiduunt autem quosdam, quosdamque suadent
Amnis adire vada. Hoc una nostri resonabant:
Ambusti Sequanae ad pelagos concurrite, vobis
Quo reparent alias reddendo jubas mage comptas!
Fortis Odo innumeros tutudit. Sed quis fuit alter?
Alter Ebolus huic socius fuit aequiperansque;
Septenos una potuit terebrare sagitta,
Quos ludens alios jussit praebere quoquinae .
Hisce prior mediusve fuit circumve nec ullus;
Fortiter ast alii spreta nece belligerabant;
Verum stilla quid est simplex ad caumata mille?
P geminum fidos raro quamvis vegetabat,
Mque truces posthac chile seranta chile id extat
Hice recenter eunt vicibus turrim, juge foedi
Ingeminant bellum; clamor fremitusque fit altus,
Ingentesque replent voces hinc inde ruentes
Aethera, saxa fremunt parmas quatientia pictas,
Scuta gemunt, galeae strident trajecta sagittis.
Huc praeda redeunt equites, certamina stipant,
Incolumes adeunt speculam saturique ciborum,
Anteque durcones multi repetunt morientes,
Quam lapides jaciant illamque gravent lapidando.
Dulce quibus flamen Danae spirantibus aiunt,
Quaeque suo lacerans crines lacrimansque marito:
« Unde venis? fornace fugis? scio, nate diabli,
Hanc nullus poterit vestri superare triumphus?
Non tibi nunc cererem vel apros bacchumque litavi?
Tamque cito quare repedas ad tegmina stratus?
Haec iterum gestisne tibi poni? redeunte
Elluo, sic alii? similem mereantur honorem! »
Clibanus ob humile quantum speculae sinuatus
Saeva per ora duit quamvis ignobile nomen.
Ima dehinc ardent ejus disscindere scisci :
En inmane foramen hians, majus quoque dictu!
Apparent penitus proceres jam nomine citi,
Cristatosque vident cunctos, quibus atque videntur,
Conspiciuntque viritim omnes non introeuntes.
Horror enim vetuit, quod non audacia sumpsit.
Orbita mox a turre teres jaculatur in illos,
Bis ternis arcens animas direxit Averno,
Perque pedes tracti numerum complent morientum.
Tum foribus posuere larem, Vulcania cura;
Hinc multare viros rentes et perdere turrim.
Fit rogus horribilis, fumusque teterrimus inde
Nubila militibus miscet, succedit et umbris
Scilicet arcs piceis, hora veluti diuturna,
Nam tulit haec minime sufferre diu sibi notos,
Sed nostri Dominus miserescens vertere jussit
In sortem caecam populi nebulam generantis.
Fortius ille furens Mavors regnare sategit .
Signifer en geminus concurrit ab urbe benigna
Lancea bina gerens speculam conscendit, amictum
Auribus immodicis croceum formido Danorum;
Tunc centena quium pepulit cum sanguine vitam
Centeno catapulta nimis de corpore pernix,
Hospiciumque comas ducti lintresque revisunt.
Lemnius hic moritur claudus, magno superante
Neptuno, humectant latices incendia fusi.
Pestiferae gentis miles percussus acerbo.
Rotbertus felix jaculo spiravit ibidem,
Atque Deo pauci vulgo periere juvante.
Erubuere tamen posthac veluti lupus audax
Nil rapiens praedae. repetitque quidem nemus altum,
Subtilemque nimis secum retulere fugellam.
Tercentum exanimos flentes Charone receptos
Nox comitans, turris studuit vulnus medicari.
Haec duo bella sui residens in limite currus
Ante November adest, gelidus supplere Decembri,
Solibus is caudam ternis quam caederet anni.

 

Des libations de ton sang furent répandues par ces barbares montés sur sept cents vaisseaux à voiles et d'autres plus petits navires, tellement nombreux qu'on ne pouvait les compter ; ceux-ci, le vulgaire les nomme barques. Le gouffre profond de la Seine en était tellement rempli, que ses ondes disparaissaient sous ces bâtiments dans un espace d'un peu plus de deux lieues ; on cherchait avec étonnement dans quel antre se cachait le fleuve; il ne paraissait plus; le sapin, le chêne, l'orme, et l'aune humide couvraient entièrement sa surface.

Le lendemain du jour où ces vaisseaux touchèrent le pied de la ville, l'illustre pasteur de Paris voit arriver dans son palais Sigefroi, roi, mais de nom seulement ; celui-ci cependant commandait à ses compagnons. Fléchissant la tête devant le pontife; il lui parle en ces termes : « Gozlin, prends pitié de toi-même et de ton troupeau; si tu ne veux périr, prête, nous t'en conjurons, une oreille favorable à nos paroles. Permets que nous puissions seulement traverser cette cité ; nous ne toucherons nullement à ta ville, nous nous efforcerons de conserver à toi et à Eudes tous vos biens. » A cet Eudes, comte respecté, roi futur, et qui bientôt allait devenir le père du royaume, était remise la garde de Paris. Cependant le pontife du Seigneur répond à Sigefroi par ces paroles, où respire la plus entière fidélité : « Cette cité nous a été confiée par l'empereur Charles, qui, après Dieu, le roi et le dominateur des puissances de la terre, tient sous ses lois le monde presque tout entier. Il nous l'a confiée, non pour qu'elle a causât la perte du royaume, mais pour qu'elle le sauvât et lui assurât une inaltérable tranquillité; que si par hasard la défense de ces murs eût été commise à ta foi comme ils l'ont été à la mienne, ferais-tu ce que tu prétends juste de t'accorder, et qu'ordonnerais-tu de faire ? —Si je le fais, que ma tête, répliqua Sigefroi, soit condamnée à périr sous le glaive et à servir enfin de pâture aux chiens!... Cependant si tu ne cèdes à nos prières, nos camps lanceront sur toi leurs traits et dards empoisonnés dès que le soleil[5] commencera son cours; quand cet astre le finira, ils te livreront à toutes les horreurs de la faim, et cela, ils le feront chaque année. » Il dit, part, et pressé la marche de ses compagnons. A peine l'aurore se dissipe, que ce chef les entraîne au combat. Tous se jettent hors de leurs navires, courent vers la tour,[6] l'ébranlent violemment par leurs coups jusque dans ses fondements, et font pleuvoir sur elle une grêle de traits. La ville retentit de cris, les citoyens se précipitent, les ponts tremblent sous leurs pas, tous volent et s'empressent de porter des secours à la tour. Ici brillent par leur valeur le comte Eudes, son frère Robert, et le comte Ragenaire; là se fait remarquer le vaillant abbé Ebble, neveu de l'évoque. Le prélat est légèrement atteint d'une flèche aiguë; Frédéric, guerrier à son service, dans la fleur de l'âge, est frappé du glaive ; le jeune soldat périt; le vieillard, au contraire, guéri de la main de Dieu, revient à la santé. Beaucoup des nôtres voient alors leur dernier jour, mais eux, de leur côté, font aux ennemis de cruelles blessures; ils se retirent enfin, emportant une foule de Danois à qui reste à peine un souffle de vie. Déjà le soleil, entraînant tout le ciel dans son mouvement, déclinait, dans le milieu de sa chute, vers Thulé, à l'extrémité de la région occidentale. La tour ne présentait plus rien de sa forme primitive et complète ; il ne lui restait que des fondements bien construits et des créneaux assez bas; mais, pendant la nuit même qui suivit le combat, cette tour, revêtue dans toute sa circonférence de fortes planches, s'éleva beaucoup plus haut, et une nouvelle citadelle en bois, d'une fois et demie plus grande, fut pour ainsi dire posée sur l'ancienne. Le soleil donc et les Danois saluent en même temps et de nouveau la tour; ceux-ci livrent aux fidèles d'horribles et cruels combats. De toutes parts les traits volent, le sang ruisselle, du haut des airs, les frondes et les pierriers déchirants mêlent leurs coups aux javelots. On ne voit rien autre chose que des traits et des pierres voler entre le ciel et la terre. Les dards percent et font gémir la tour, enfant de la nuit, car, comme je l'ai dit plus haut, c'est la nuit qui lui donna naissance. La ville s'épouvante, les citoyens poussent de grands cris, les clairons les. appellent à venir tous sans retard secourir là tour tremblante. Les Chrétiens combattent et s'efforcent de résister par la force des armes. Parmi nos guerriers, deux, plus courageux que les autres, se font remarquer : l'un est comte, l'autre abbé. Le premier, le victorieux Eudes, qui jamais ne fut vaincu dans aucun combat, ranime l'ardeur des siens et rappelle leurs forces épuisées; sans cesse il parcourt la tour et écrase les ennemis. Ceux-ci tâchent de couper le mur à l'aide de la sape,[7] mais lui les inonde d'huile, de cire, de poix; mêlées ensemble, elles coulent en torrents d'un feu liquide, dévorent, brûlent et enlèvent les cheveux de la tête des Danois, en tuent plusieurs, et en forcent d'autres à chercher un secours dans les ondes du fleuve. Les nôtres alors s'écrient tout d'une voix : « Malheureux brûlés, courez vers les flots de la Seine ; tâchez qu'ils vous fassent repousser une autre chevelure mieux peignée. » Le vaillant Eudes extermina un grand nombre de ces barbares. Mais le second de ces deux braves, quel était-il ? C'était l'abbé Ebble, le compagnon et le rival en courage de Eudes. D'un seul javelot il perce sept Danois à la fois, et ordonne, par raillerie, de les porter à la cuisine. Nul ne devance ces guerriers au combat, nul n'ose se placer au milieu d'eux, nul même ne les approche et n'est à leur côté; tous les autres cependant méprisent la mort et se conduisent vaillamment. Mais que peut une seule goutte d'eau contre des milliers de feux ? Les braves fidèles étaient à peine forts de deux cents hommes, et les ennemis au nombre de quarante mille, car il est constant qu'on en comptait quarante mille, renouvelant les uns après les autres leurs attaques sur la tour. Les cruels redoublent sans cesse les fureurs de la guerre ; des clameurs et des frémissements s'élèvent dans l'air, de grands cris frappent le ciel çà et là, les boucliers peints tremblent sous les éclats de pierres qui les accablent, les écus gémissent sous les coups, les casques crient, percés par les traits. Bientôt les cavaliers, revenant du pillage, accourent se joindre au combat ; frais et rassasiés de nourriture, ils marchent vers la tour : et beaucoup d'entre eux, frappés et mourants, regagnent leurs vaisseaux, sans avoir eu le temps de lancer contre la tour leurs pierres et leurs traits. Quant à ceux qui cherchent un remède à leurs brûlures dans les douces ondes du fleuve, les Danoises, en les voyant, s'arrachent les cheveux, fondent en larmes, et chacune crie à son époux : « Où cours-tu? fuis-tu d'une fournaise[8] ? Ainsi donc, enfant du démon, aucune victoire ne pourra te rendre maître de cette tour. Ne t'ai-je pas comblé des dons de Cérès, de ceux de Bacchus et de venaison? Pourquoi, sitôt épuisé de fatigues, cherches-tu ici un abri ? Désires-tu si ardemment t'y cacher de nouveau ? Vil glouton, les autres reviennent-ils de même? Puissent-ils, dans ce cas, obtenir un aussi honorable accueil! » Un fourneau, nom ignoble, étend ses sinuosités sous le pied de la tour, et de sa bouche vomit de cruels désastres.[9] La brèche qu'il a faite, les assiégeants s'efforcent de l'agrandir, en coupant le bas du rempart. Tout à coup se laisse voir une ouverture funeste, immense, et plus large qu'on ne saurait le dire. Les grands dont on a déjà cité les noms apparaissent entièrement à tous les yeux; ils voient tous les ennemis couverts de casques, eux-mêmes sont vus de tous les assiégeants, et de leurs regards ils comptent un à un les Danois, qui n'osent entrer dans la tour. La frayeur les repousse de ce fort que leur audace n'a pu emporter. Bientôt on lance sur eux, du haut de la tour, le moyeu arrondi d'une roue, qui précipite dans les enfers six hommes à la fois, et ces malheureux, retirés de la foule.par les pieds, vont grossir le nombre des mourants. L'ennemi attache alors aux portes des matières enflammées. De ce moment, tourmentés par la crainte des feux de Vulcain, les noires; se persuadent qu'ils vont perdre la tour. Un horrible bûcher s'élève, une noire fumée étend ses nuages sur nos chevaliers, la forteresse est enveloppée d'ombres épaisses, mais seulement pendant une grande heure environ. Le Seigneur en effet ne veut pas que ceux qu'il connaît si bien aient à souffrir longtemps de tels maux, et, prenant pitié de nous, il ordonne que cet épais nuage de fumée retombe sur ceux qui l'ont produit. Mars s'agite et déploie alors ses fureurs avec plus de violence, deux porte-enseignes accourent de la bonne ville et montent sur la tour, portant sur leurs lances le drapeau[10] couleur de safran, si redoutable aux yeux des Danois ; cent catapultes de leurs coups rapides étendent, privés de sang et de vie, les corps de cent ennemis, et ces morts, traînés par les cheveux, vont revoir leurs vaisseaux et y chercher un dernier asile. Cependant le boiteux Vulcain succombe sous les efforts vainqueurs de Neptune. Là, le brave chevalier Robert, heureux jusqu'alors, expire frappé d'un trait cruel par cette race pestiférée des Danois; là périssent aussi, de notre côté, quelques hommes du commun, mais en petit nombre, grâces à la bonté de Dieu. Honteux alors comme un loup dévorant qui, n'ayant pu se saisir d'aucune proie, regagne le plus épais du bois, les assiégeants prennent la fuite en toute hâte et pleurent la perte de trois cents des leurs, que Caron a reçus sans vie dans sa barque ; alors aussi les nôtres, secondés par les ombres de la nuit, s'empressent de porter remède aux maux que la tour a soufferts. Ces deux combats eurent pour témoin novembre, lorsque ce mois était déjà sur la fin de sa course, et qu'il s'en fallait seulement de trois jours que le glacial décembre vînt le remplacer et amener le terme de l'année.

 

 Sole suos fulvo radios fundente sub ethre
Sorte Dionisii lustrant equidem recubantes
Macharii Sequanae ripas, et castra beatum
Germanum circa teretem componere vallis
Commixto lapidum cumulo glebisque laborant.
Post montes et agros, saltus, camposque patentes
Ac villas equites peragrant peditesque cruenti,
Infantes, pueros, juvenes, canamque senectam,
Atque patres natosque necant, necnon genetrices:
Conjugis ante oculos caedem tribuere marito,
Conjugis ante oculos strages gustat mulierem,
Ante patrum faciem soboles necnon genitricum!
Efficitur servus liber, liber quoque servus,
Vernaque fit dominus, contra dominus quoque verna.
Vinitor agricolaeque simul cum vitibus omnes
Ac tellure ferunt crudeles mortis habenas.
Francia jam dominisque dolet famulisque relicta,
Heroe gaudebat nullo, lacrimisque rigatur.
Nulla domus stabilis vivo regitur dominante.
A tellus opulenta gazis nudatur opimus,
Sanguivomis, laceris, atris, aedacibus aequo
Vulneribus, praedis, necibus, flammis, laniatu,
Prosternunt, spoliant, perimunt, urunt, populantur
Dira cohors, funesta falanx, cetusque severus.
Posse favebat eis actutum, velle quod ipsum
Omnia se visum gestabant ante cruentum.
Valles diffugiunt humiles, tumidi prius Alpes,
Arma, simul diamant lucos cum corde fugaci.
Nemo patet, fugiunt omnes, heu! nemo resistit.
Sic decus a regni pro posse tulere venusti,
Sic celebris specimen cimbis portant regionis!
Terribiles inter acies tamen adstitit acta
Parisius ridens media inperterrita tale.

 

 

 

 

 

Ergo bis octonis faciunt mirabile visu,
Monstra rotis ignara, modi compacta triadi,
Roboris ingentis, super argete quodque cubante
Domate sublimi cooperto. Nam capiebant
Claustra sinus archana uteri penetralia ventris
Sexaginta viros, ut adest rumor, galeatos.
Unius obtinuere modum formae satis amplae
Completis autem geminis, ternum peragendo
Mittitur arte fala vexare falarica binos
Artifices nervis jaculata uno quoque plectro.
Sic nobis loetum primi meruere paratum;
Mox monade necata obiit saevissima dias.

 

Mais à peine le soleil a répandu dans l'air ses rayons rougeâtres, que les Danois parcourent les rives de la Seine du côté de l'abbaye du bienheureux Denis, assoient leur camp autour de l'église circulaire de Saint-Germain, et le fortifient de retranchements faits de pierres entassées et mêlées avec de la terre. Ensuite leurs cavaliers parcourent en furieux les montagnes, les plaines, les bois, les champs et les fermes ; de leur côté, leurs fantassins cruels tuent les petits en-fans, les jeunes garçons, les adolescents, les vieillards à cheveux blancs, les pères avec leurs fils, et les mères elles-mêmes. La femme est massacrée sous les yeux de son mari, l'époux tombe égorgé sous les yeux de l'épouse, et la mort dévore les enfants à la face de leurs pères et de leurs mères. Le serf devient libre, l'homme libre est réduit à l'état de serf; on fait du valet un seigneur, et du seigneur un valet. Le vigneron et sa vigne, le laboureur et sa terre périssent également sous le fer de l'ennemi. La triste France, dépeuplée de maîtres et de serviteurs, ne peut plus se vanter de posséder un seul héros, et est inondée de larmes. Aucune maison demeurée debout ne conserve de chef vivant qui la gouverne. Hélas ! cette terre opulente est dépouillée de ses riches trésors, de funestes, dévorantes et mortelles blessures la déchirent; le pillage, la mort, la flamme la mettent en lambeaux ; les dures cohortes, les fatales phalanges et les troupes impitoyables des Danois avides de sang la ravagent, l'écrasent, la brûlent et la dévastent. Il leur suffisait de vouloir pour pouvoir promptement toutes choses, par cela seul que leur aspect répandait l'effroi. Les petits, humbles vailles, et les grands, Alpes naguère si orgueilleuses, fuient également la fureur des armes, et tous, le cœur glacé, courent se cacher ensemble dans les forêts. Nul ne se montre, tous se dispersent, aucun ne résiste. C'est ainsi que les Danois détruisent autant qu'ils le peuvent l'éclat de ce beau royaume ; c'est ainsi qu'ils emportent sur leurs vaisseaux: ce qui fait l'ornement de cette contrée célèbre. Cependant la ville de Paris reste debout au milieu de ces terribles ouvriers qui creusent le sol sous ses murs, elle se montre inaccessible à la peur, et se rit de tous les traits qu'on lui lance.

Les Danois fabriquent alors, chose étonnante à voir ! trois machines, montées sur seize roues[11] d'une grandeur démesurée, faites avec des chênes immenses et liés ensemble ; sur chacune est placé un bélier[12] que recouvre un toit élevé; dans les cavités de leur sein, et dans l'intérieur de leurs flancs, elles pouvaient renfermer et tenir cachés, disait-on, soixante hommes armés de leurs casques. Déjà les assiégeants parviennent à terminer une de ces machines d'une forme et d'une grandeur convenables ; bientôt même deux sont entièrement construites, et ils travaillaient à la troisième ; mais de la tour on lance adroitement, de toute la force de la corde d'un arc, une javeline contre les artisans de ces deux machines. Ainsi ils reçurent les premiers la mort qu'ils nous préparaient, et l'une de ces cruelles machines détruite, toutes deux le furent également.

 

 Mille struunt etiam celsis tentoria rebus
Tergoribus collo demptis tergoque juvencum.
Bis binos tressisve viros clipeare valebant,
Quae pluteos calamus vocitat cratesve latinus.
Nox nullam recipit requiem nullumque soporem;
Veloces acuunt, reparant, cuduntque sagittas,
Expediunt clipeos, veteresque novi efficiuntur.
Cumque senis Foebi fulgor jam scandit in almas
Quadrigas agilis, noctemque repellit opacam,
Atque suos oriens oculos demittit in urbem,
En proles Satane subito castris furibundae
Erumpunt, trepidis nimium telis oneratae;
Ad turrim properant, tenues ut apes sua regna
Distentis adeunt humeris casiaque thimoque
Arboreisque simul vel ameni floribus agri:
Haud secus infelix populus contendit ad arcem
Pressis fornicibus humeris ferroque tremente.
Ensibus arva tegunt, Sequanam clipeis, et in urbem
Plumbea mille volant fusa densissime mala
Atque serunt pontes validis speculas catapultis.
Mars hinc inde furit surgens, regnatque superbus;
Totius ecclesiae cumvexa boando metalla
Flebilibus vacuas supplent camoribus auras.
Arcs nutat, cives trepidant, ingensque tubarum
Vox resonat, cunctosque pavor cum turribus intrat.
Hic proceres multi fortesque viri renitebant;
Antistes Gozlinus erat primas super omnes,
Huic erat Ebolusque nepos Mavortius abba;
Hic Rothbertus, Oddo, Ragenarius, Utto, Erilangus;
Hi comites cuncti, sed nobilior fuit Odo,
Qui totidem Danos perimit, quot spicula mittit.

 

 

 

Dimicat infelix populus pungnatque benignus.
Tres armavit atrox cuneos, quibus obtulit arci
Majorem, picto ponti geminosque parone,
Hanc sat opinati superare, hunc si potuissent.
Haec bellum patitur, multo majora set ille;
Haec depicta gemit vario sub vulnere rubra,
Ille virum luget vires obitusque fluentes.
Sanguine nulla via urbis adest intacta virorum,
Prospiciens turrisque nichil sub se nisi picta
Scuta videt, tellus ab eis obtecta latebat.
Inde super cernens lapides conspexit acerbos,
Ac diras, ut apes dense, tranare catejas .
[Juppiter aspiciens dardos prospexit acutos]
Inter sese aliud turrimque nichil metit aether.
Vox inmensa, metus major, strepitusque fit altus.
Hi bellant, isti pungnant, resonantibus armis
Praelia Normanni exacuunt crudelia sane.
Nullus habet terrae totidem qui vivere natus
Indutos gladiis pedites spectaret in unum,
Et tanta miraretur testudine picta.
Hac sibi confecere polum vitam nutrientem,
Quem nullum superare caput cupiebat eorum,
Ast infra capiunt tetre necis arma frequenter.
Mille dabant pungnam pariter stantes in agone,
Mille simul, turrim quoniam contingere cuncti
Haud una poterant, turmis certare studebant.
Arcs speculans, nudis quoniam chelis inimicus
Ingeminat populus certamen et ore patenti,
Erectas taxos arcos convertit in uncos ;
Unius hinc jaculum transmittitur os in apertum,
Quem subito conans alius clipeare migrantem,
Nempe cibum gustat primus quem repserat ore,
Ad veniens autem numerum qui clauderet almum
Hos nitens geminos auferre latenter, et ipse
Perculsus faretra, turri veniam quoque poscit.
Sub clipeo illos alii conduntque trahuntque,
Unde furore nimis pingues bellum renovarunt.
Scuta cient planctus, saxis ferientibus, ipsa,
Sanguineasque vomunt voces galeae subeuntes
Aethera, crudeli lorica mucrone foratur.
Respiciensque suas et quos fundaverat artus
Omnipotens fabricas modicum Danis superari,
Exhibuit nostris vires animosque valentes,
Inpertitus eis sensus equidem tremebundos.
Tum pereunt miseri, pluresque vehuntur ad altos
Ponentes animas torquentibus arma faselos.

 

Du cuir arraché du cou et du dos de jeunes taureaux les Danois forment alors mille grands boucliers, qu'une plume latine appellerait pluteos[13] ou crates[14] et dont chacun peut couvrir quatre ou six hommes. Pendant la nuit même les ennemis ne se donnent nul relâche, et ne goûtent pas un instant de sommeil; ils aiguisent, réparent et forgent des traits rapides, raccommodent leurs anciens boucliers et en font de neufs. Aussitôt que le vieux Phébus, tout brillant de sa rapide lumière, se lève au haut du ciel, monté sur son char attelé de quatre coursiers, chasse l'épaisse nuit, et lance ses regards sur la cité de Paris, voilà que tout-à-coup les Danois, cette race issue de Satan, se précipitent furieux, et tout chargés de traits redoutables, hors de leur camp, et, semblables à de légères abeilles qui, gémissant sous le poids du romarin, du thym et des fleurs des arbres ou des douces prairies. regagnent la ruche qui fait leur empire, ils courent vers la tour, et se dirigent à pas pressés sur cette forteresse. Ces hommes, nés pour notre malheur, s'avancent le dos courbé sous les arcs; les traits s'agitent sur leurs épaules, leurs épées couvrent la campagne, leurs boucliers dérobent aux yeux les eaux de la Seine ; des milliers de balles de plomb, répandues comme une grêle épaisse dans les airs, tombent sur la ville, et de fortes catapultes foudroient les redoutes qui défendent le pont. Mars, réveillant ses fureurs, étend de toutes parts son féroce empire. Les cloches de l'église retentissent et remplissent le vide de l'air de leurs sons plaintifs; la citadelle tremble sur ses fondements, les citoyens s'abandonnent à l'effroi, les trompettes résonnent avec un violent éclat, et la crainte s'empare de tous ceux qui gardent les tours. Là cependant se faisaient remarquer beaucoup de grands et d'hommes courageux : au dessus de tous le prélat Gozlin brillait le premier ; ensuite venait son neveu, le vaillant abbé Ebble; là on admirait aussi Robert, Eudes, Ragenaire, Utton, Hérilang; tous sont comtes, mais le plus noble de tous est Eudes, qui abattit autant de Danois qu'il lança de javelots.

Le cruel peuple ennemi combat fortement, et notre bon peuple lutte vaillamment aussi. Le féroce Danois divise son armée en trois corps rangés en forme de coin;[15] le plus considérable, il l'oppose à la tour, et les deux autres, que portent des barques peintes, il les dirige contre le pont ; il se persuade que, s'il peut s'emparer de ce pont, la tour sera bientôt en son pouvoir. Celle-ci a fort à souffrir de l'attaque des ennemis, mais le pont en souffre bien davantage encore. La tour, rougie de sang, gémit sous les coups qui la frappent; le pont pleure sur ses forces épuisées et la mort de beaucoup de ses guerriers : il n'est aucun des chemins qui conduisent à la ville que ne teigne le sang des combattants. A ses pieds, la tour ne voit au loin que des boucliers peints qui couvrent la terre et la dérobent aux regards; partout où l'on jette les yeux, on n'aperçoit que des pierres funestes et des traits cruels qui volent dans l'air comme d'épais essaims d'abeilles; et le ciel même ne voit rien autre chose entre la tour et ses nuages. De grands cris se font entendre, et partout règnent une crainte plus grande encore et un bruit effroyable. Les uns attaquent, les autres résistent, et les Normands, faisant résonner leurs armes, ajoutent encore à l'horreur du combat déjà trop cruel. Nul enfant de la terre n'a jamais pu voir et contempler tant de fantassins armés du glaive se mouvoir en une seule masse sous une tortue peinte et d'une si grande étendue. Les Danois s'étaient fait de cette tortue un toit qui garantissait leur vie, et nul d'entre eus n'osait élever la tête au dessus de cet abri, mais par dessous leurs armes semaient une affreuse mort. Mille combattent rangés en ordre de bataille, mille autres s'efforcent d'attaquer la tour, dont les assiégeants trop nombreux ne peuvent approcher tous ensemble. Ceux des nôtres qui défendent le fort,-voyant la nation ennemie renouveler le combat, les bras nus et à visage découvert, courbent et tendent leurs arcs; un trait part et s'enfonce dans la bouche alors ouverte d'un des assiégeants; un second, qui s'empresse de couvrir de son bouclier son camarade mourant, tâte à son tour du mets fatal qui remplissait la bouche du premier. Un troisième s'efforce d'enlever du champ de bataille les deux premiers, mais lui-même vient compléter le nombre mystérieux de trois, et, percé d'une flèche, fait aussi amende honorable à la tour. Leurs compagnons cachent sous leurs boucliers et entraînent les cadavres; puis, animés d'une rage nouvelle, recommencent le combat. Les aïs crient sous les pierres qui les frappent, les casques ensanglantés retentissent dans l'air sous les coups, et la cuirasse se brise sous l'épée cruelle. Le Tout-Puissant voyant les tours dont lui-même a jeté les fondements, et les Chrétiens qu'il a faits ses propres membres, à moitié vaincus par les Danois, nous donne des forces et un courage auxquels rien ne résiste, et répand sur nos ennemis un esprit de terreur, ces malheureux périssent alors, et plusieurs sont transportés expirants dans leurs funestes barques par leurs compagnons qui avaient encore les armes en main.

 

Jam Titan celeres missos praemittere curat
Ocaeano, pompare thoros otium quibus abdat.
Torvaque plebs quae jam cecini tentoria turri
Texta tulit silvis flenti, caesisque juvencis,
Quis noctem quidam bello quidamque sopore
Praeteriere, quibus circumtrivere meatus,
Pennivolas acies vibrari felle madentes,
Militibus noctu eximiam cernentibus arcem.
Mane quidem flagrante novant certamina plenis
Arma trucum terris fixa testudine giro.
Certabant plures alii fossata studere,
Quae circa resident illam, sulcosque replere;
Hinc glebas specubus frondesque dabant nemorosas,
Atque suo segetes etiam fetu viduatas,
Prata simul, virgulta quoque, et vites sine gemmis,
Hincque senes tauros pulchrosque boves vitulosque,
Postremumque necant elegos, heu! quos retinebant
Captivos, sulcisque cavis haec cuncta ferebant,
Idque die tota stantes agitant in agone.

 

Hocce pius cernens praesul, clara lacrymando
Voce vocat domini Salvatorisque parentem:
Alma redemptoris genetrix mundique salutis,
Stella maris fulgens cunctis praeclarior astris,
Caede tuas praecibus clemens aures rogitantis;
Si tibi me libeat missas umquam caelebrare,
Impius atque ferox saevus crudelis et atrox,
Captivos perimens, laqueo necis inretiatur!
Arce repente volans telum deferre sategit
Antistes Gozlinus, huic quod flendo precatur,
Qui vinctos vinctus mortis dimisit habenis,
Atque miser sociis tendit clipeumque pedemque.
Os solvit, virtute ruit, sulcosque replevit
Mensurans terram, spirans animam male natam,
Captivos juxta tritos gladio nimis ejus.
Urbs in honore micat celsae sacrata Mariae,
Auxilio cujus fruimur vita modo tuti;
Hinc indicibiles illi, si forte valemus,
Reddamus grates, placidas reboemus et odas,
Vox excelsa tonet, laudesque sonet quia dignum:
Pulchra parens salve Domini, regina polorum,
Nostra nites altrix, orbis constas dominatrix;
Quae saevis manibus Danum gladioque minace
Solvere Luteciae plebem dignata fuisti,
Luteciaeque satis poteras conferre salutem,
Quae lubrico Salvatorem cosmo genuisti.
Caelicoli caetus, virtutes ac dominatus,
Primatusque, potestatesque, thronique polorum,
O genetrix sobolis summi regis celebranda,
Te gaudent, recolunt, laudant, venerantur, adorant,
O felix uteri thalamo quae claudere mater,
Quem coeli nequeunt, tellus, vastum mare, quisti;
Atque tuum delecta patrem nobis peperisti.
Luna micans solem multo plus te renitentem
Fudisti terris, et eas quo plena manebas
Inradiando, genus nostri lapsum reparasti.
Ergo cui, regina poli, conponere quibo?
Sanctior es cunctis, sexu felicior omni.
Cultorum miserere tui jam nata potentis;
Gloria, laus et honor, radiansque decus tibi semper;
Sit benedicta Dei mater sceptris in Iesu.

 

Déjà le soleil avait envoyé de prompts messagers préparer dans l'Océan le lit superbe où il a coutume de prendre quelque repos. La féroce nation dont j'ai déjà parlé approche de la tour désolée, à l'abri de ses larges boucliers faits de bois et de peaux de taureaux fraîchement égorgés; les uns passent la nuit sous les armes, d'autres s'abandonnent au sommeil, d'autres enfin battent tous les chemins, en faisant vibrer leurs flèches armées de plumes, et dont dégoutte le poison; et du milieu même des ténèbres, la tour élevée est encore visible aux yeux des assiégeants. Dès que le soleil commence à briller, les cruels Danois renouvellent le combat sur tous les points, et tout armés environnent la tour de leur tortue. Les uns, en grand nombre, s'efforcent de sonder les fossés qui l'entourent, et d'en combler la profondeur; ils jettent dans ce gouffre des mottes de terre, les feuilles arrachées des arbres, les épis pouillés de leur grain, l'herbe des prairies, des broussailles, des vignes que ne parent plus leurs fruits, de vieux taureaux, de belles vaches et de jeunes veaux; enfin, hélas! les malheureux qu'ils retiennent captifs, ils les égorgent; tout cela ils le précipitent dans les fossés profonds, et ce jour entier ils demeurent sur le champ de bataille, dans cette continuelle occupation.

A cette vue, le pieux évêque fond en larmes, et implore à haute voix la mère du Dieu notre Sauveur. « Illustre mère du Rédempteur qui as donné le salut au monde, s'écrie-t-il, étoile brillante de la mer, toi dont l'éclat surpasse celui de tous les astres, prête une oreille miséricordieuse à mes humbles d prières; si jamais il m'a été doux de célébrer la messe en ton honneur, fais que ce peuple impie, atroce, dur, cruel, et qui, dans sa férocité, immole les prisonniers, tombe enveloppé dans les filets de la mort. » Le pontife Gozlin, priant ainsi avec larmes, s'empresse alors de lancer un trait contre le Normand qui, près de mourir lui-même, a livré à la mort les prisonniers; le barbare frappé, chancelé, laisse échapper son bouclier, ouvre la bouche, tombe violemment, mesure la terre de son corps, exhale son âme criminelle, et roule dans les fossés de la tour, auprès des captifs qu'a immolés son glaive cruel. La cité de Paris, consacrée à l'illustre Marie, brille illuminée en l'honneur de cette vierge; c'est elle qui nous sauve; c'est par son secours que nous jouissons encore de la vie; rendons-lui, si nous le pouvons, d'indicibles actions de grâces; chantons pour elle à l'envi de doux cantiques ; que nos voix tonnantes s'élèvent jusqu'aux cieux, fassent retentir les louanges qui lui sont dues, et répètent : « Salut, aimable mère du Seigneur, brillante reine des cieux, c'est toi qui nous daignes nourrir, toi qui domines l'uni vers, toi qui as bien voulu arracher le peuple de Lutèce aux mains et au glaive menaçant des Danois ; certes tu pouvais seule sauver Lutèce, toi qui as enfante le Rédempteur pour ce monde corrompu ! O toi qui as mis au jour un fils, le roi des rois, que les Cours célestes, les Vertus, les Dominations, les Principautés, les Puissances et les Trônes des cieux, t'adressent leurs félicitations et leurs louanges, t'honorent, te respectent, et t'adorent! C'est toi, heureuse mère, qui as pu renfermer dans ton sein celui que ne peuvent contenir la terre, les cieux et la vaste mer. C'est toi qui as été choisie entre toutes pour nous enfanter le Dieu ton créateur. Lune brillante, tu as donné à la terre un soleil encore plus éclatant que toi, et, répandant sur nous les grâces dont tu étais remplie, tu as relevé le genre humain de sa chute. Heine du ciel, à quoi pourrais-je te comparer? Tu es la sainte des saintes et la plus heureuse de tout ton sexe. Fille du Tout-Puissant, aie pitié de ceux qui sont fidèles à ton culte! Que gloire, honneur, louange et brillant éclat demeurent à ton nom dans toute éternité! mère de Dieu, sois toujours bénie en Jésus par tous les empires! »

 

 Foebus abit, noctisque redit caligo serenae,
Excubiisque nequam turris saepitur opimis .
Aurora girante polos, girantur et arces;
Mortiferis siquidem telis quatientibus illas,
Arrietes conflant, unumque locant ab eoo
In turrim, contemplatur septentrio celsa
In portas alium; tenuit contra latus ejus
Oc que sidens ternum. Magno cum pondere nostri
Tigna parant, quorum calibis dens summa peragrat,
Machina quo citius Danum quisset terebrari;
Conficiunt longis aeque lignis geminatis
Mangana quae proprio vulgi libitu vocitantur,
Saxa quibus jaciunt ingentia, seo jaculando
Allidunt humiles scaenas gentis truculentae.
Sepe quidem celebrum cervice trahunt elegorum,
Vah! multosque terunt Danos, plures quoque peltas .
Immunis clipeus fractu nullus fuit hictus,
Quem talis tetigit, non ullus morte misellus .
Ast infelices foveas supplere falanges
Nequiquam tendunt, potuere replere nec ullam.
Nitebantur enim arietibus pessumdare turrim;
Quos quoniam nequeunt aequis deducere campis,
Corripiunt ternas rabidi kimbas satis alta
Frondivagis equidem silvis gravidare flagrantes,
Postremum Vulcanus eis inponitur ardens.
Flammivomas oriens dimittit eas pedetemptim,
Anguinisque trahebantur ripas secus ipsae
Ad pontem, seu conspicuam conburere turrim.
Silva vomit flammas, arent latices pelagique,
Terra gemit, virides herbae moriuntur ab igni;
Lemnius atque potens Neptuno stat pede trito,
Regna poli furvus penetrat, nubesque peragrat.
Hinc tellus et ager, limfae caelique cremantur;
Urbs luget, speculaeque timent, et menia deflent;
Heu, quam magna oculis manant lacrimosa beatis
Flumina! Dant pulchri juvenes, sed et alba senectus,
Merentes gemitus, matresque jubas laniando
Terga dabant siccae, crinesque per arva revolvunt
Hae colafis nudata suis jam pectora tundunt.
At secuere genas aliae lacrimis madefactas!
Tum trepidant cives, cunctique vocant celebrandum
Germanum: Miserere tuis, Germane, misellis!
Parisius praesul fuerat sanctissimus olim,
Inlustrabat eam cujus venerabile corpus
Menia Germani nomen recinunt, et in omni
Exclamat miles specula primique virorum:
O famulis, Germane, tuis succurrere disce!
Littora seu liquidi laticis pelagus ciaet altum,
Sidereosque thronos quibus emicat, ut jubar almus
Verberat innumerus, echo comitante, boatus;
Germanum respondet et urbs vocitantibus ipsum.
Concurrunt matres pariter juvenesque puellae
Ad Sancti tumulum, suffragia poscere grata.
Infelix et ob hoc populus subiit nimis alta
Gaudia, subsannans cives Dominique catervam.
Scuta dabant alapis reprobo risu saturatis,
Argutoque tument horum distenta boatu
Guttura, et, urbanis plangentibus, aera magno
Implentur sonitu, clamore minus nihil amplo,
Vox auditur in excelsis, et luctus in aethris!
Aussitôt que Phébus eut disparu et que l'obscurité d'une nuit sereine régna sur la terre, les méchants Danois environnèrent la tour de gardes nombreuses ; mais dès que l'aurore revient briller dans le ciel, eux aussi reviennent tous cerner cette forteresse. Ils l'accablent de traits mortels, font mouvoir leurs béliers, et en placent un contre la tour, à l'orient; le côté du nord, plus élevé, en voit s'élever un autre contre les portes ; un troisième bat les murs vers l'occident. Les nôtres préparent alors des poutres pesantes, et en arment l'extrémité de dents de fer, afin de pouvoir détruire plus promptement les machines des Danois. Nos gens fabriquent aussi, avec de longs morceaux de bois liés ensemble deux à deux, des machines que le vulgaire appelle mangonneaux, propres à lancer de grosses pierres, et à l'aide desquelles ils fracassent les tentes que les féroces assiégeants ont dressées au pied de la tour; souvent nos pierres font jaillir la cervelle de la tête des misérables Danois, en écrasent plusieurs et brisent beaucoup de leurs écus. Tout bouclier que frappe la pierre est mis en pièces ; aucun des malheureux qu'elle atteint n'échappe à la mort. Cependant leurs funestes phalanges s'efforcent toujours de combler les fossés, mais en vain : ils ne réussissent pas à en remplir un seul, c'est en vain aussi qu'ils travaillent à renverser la tour à coups de bélier. Furieux de ne pouvoir attirer les nôtres à combattre en rase campagne, les Normands prennent trois de leurs vaisseaux les plus élevés, se hâtent de les charger d'arbres entiers revêtus de toutes leurs feuilles, et y mettent les feux dévorants de Vulcain.[16] Le vent d'est pousse doucement ces navires qui vomissent la flamme, et des cordes les traînent le long des rives pour détruire le pont et brûler la tour : du bois qui remplit ces bâti-mens jaillissent des flammes ardentes; les sources et le fleuve se dessèchent, la terre soupire, et l'herbe verdoyante meurt embrasée par le feu. Le noir et puissant dieu de Lemnos tient Neptune foulé sous ses pieds, s'élève jusqu'à l'empire du ciel et parcourt la région des mers. La terre et ses champs, les eaux et les cieux sont consumés. La cité de Paris pleure, ses tours tremblent, ses murs se désolent. Hélas! quels intarissables fleuves de larmes coulent en abondance de tous les yeux! La fraîche jeunesse et la vieillesse aux cheveux blancs font entendre de tristes mugissements; quelques mères, l'œil sec, s'arrachent les cheveux, se détournent de leurs enfants et se roulent dans la poussière; d'autres déchirent le vêtement qui couvre leur poitrine et la meurtrissent de leurs poings; d'autres enfin sillonnent de pleurs leurs joues humides. Les citoyens s'abandonnent à l'effroi ; tous, invoquent l'illustre Germain, et lui crient : « O Germain, prends pitié de tes ouailles malheureuses! » Germain, en effet, avait été autrefois le saint évêque de Paris, et ses restes vénérables faisaient la gloire de cette cité. Les murs redisent le nom de Germain, et dans la tour, les principaux guerriers comme le simple soldat répètent : « O Germain, daigne secourir tes serviteurs ! » Ce cri, sorti de bouches innombrables et que fait retentir l'écho, résonne sur les rivages et sur les plaines liquides de la haute mer, et frappent le trône céleste où Germain brille comme un astre superbe. La ville entière répond aux cris de toutes les voix qui appellent Germain ; matrones et jeunes filles, toutes accourent également au tombeau du saint et implorent son bienfaisant secours. A ces cris, l'impie Danois s'abandonne aux excès d'une joie impie, et se vit de nos citoyens, serviteurs du vrai Dieu. Ces brigands qui nous affrontent, étouffas par leur rire infernal, élèvent en l'air leurs boucliers, et de leur gosier distendu et gonflé poussent des hurlements aigus. L'air retentit au loin des gémissements des gens de la ville et des clameurs non moins grandes des ennemis, et sous la voûte éthérée se font entendre et les cris des uns et les pleurs des autres.[17]

At Deus omnipotens omnis fabricae raeparator
Orbis, adest praecibus Sancti rogitatus, et ipse
O Germane, venis humili succurrere plebi
Auxilio, lapidumque salire struem super altam
Flammivomas puppes, pontem ne lederet ulla,
Ipse coegisti, pontem sustentat is agger.
Continuo Domini populus descendit ad ignes,
Quos mergens in aquas, naves cepit sibi victor;
Hincque Dei sumpsit felix gaudere caterva,
Unde prius dixit gemitus magnosque dolores.
Sic nostris geritur, bellumque diesque recedit,
Noxque falam gurdis mandat custodibus ipsam.

 

Sole suas nondum claras subeunte quadrigas,
Sub luce reveunt crates sua ad oppida furtim,
Arrietes, carcamusas vulgo resonatos,
Dimisere duos; pallos vetuit removere;
Quos nostri capiunt gaudenter depeculantes.
Rexque Danos retulit Sigenfredus super omnes,
Quem turris metuit proprios sibi vellere ocellos .
Sicque, juvante Deo, durus Mavors requievit.
Januarii suprema dies statuit triduana,
Haec finire sequens studuit certamina mensis.

 

 

Tercia lux hujus fuerat belli, recolendae
Sancta genetricis tunc purificatio Christi,
Quae nostre tribuit plebi gaudere triumpho.
Praeterea conscendit equos avibus otiores
Infortuna cohors, repetens partes orientis,
Francia quas nondum populatas tristis alebat.
Cuncta prius dimisa necans, magalia poscit
Quae Rotberto aderant Faretrato agnomine claro;
Cujus erat miles tantum obsequio modo solus,
Una domus retinebat eos. Miles seniori:
Normannos contemplor, ait, cursim venientes!
Rotbertusque suum cupiens admittere scutum,
Nil vidit, quoniam populus suus abstulit illud,
Quem Danicos jussit cuneos idem speculari.
Ense forum nudo petiit tamen obvius illis,
E quibus occidit geminos, et tertius ipse
Incubuit morti, nullo sibi subveniente.
Unde nepos ejus nimium tristans Adalaelmus
Consulis intererat populo, cui talia dixit:
Eia viri fortes, clipeos sumatis et arma,
Ulciscique meum raptim properemus avunclum!
Haec, inquit, villam petiit, congressus acerbis
Ilicet hos vicitque trucidavitque nefandos;
Normanno villam victor moriente replevit.
Nil reliqui, prohibente fuga, retulere paroni
Haec eadem Rotbertus erat nitens operari.

 

Cependant le Dieu tout-puissant, le réparateur de toute la machine du monde, accueille les prières du saint qui le supplie ; toi-même, Germain, tu viens alors au secours de ton humble troupeau, tu forces les barques enflammées d'aller échouer contre un immense monceau de pierres entassées pour soutenir le pont, et tu ne permets pas que celui-ci soit endommagé par aucun de ces navires. Aussitôt le peuple du Seigneur se précipite sur les vaisseaux en feu, les enfonce dans l'abîme des ondes, ou s'en empare en vainqueur. C'est ainsi que l'heureuse troupe qui sert le vrai Dieu trouve sa joie dans ce qui avait causé d'abord ses plaintes et ses cruelles douleurs : c'est ainsi que se termine pour nous ce combat. Le jour cesse alors, et pendant la nuit tout est si tranquille que la tour reste confiée à la garde des derniers des soldats.

Le soleil n'était pas encore remonté sur son brillant char que traînent quatre coursiers, et le jour commençait à peine à poindre, que les Danois transportent furtivement dans leur camp les larges boucliers qui formaient leur tortue, ils abandonnent deux de leurs béliers, vulgairement nommés carcamuses,[18] la crainte les empêche de les emporter ; nos gens s'en emparent et les brisent ensuite avec joie. Sigefroi, ce roi par qui notre tour craignait de voir enfoncer ses portes, emmène alors tous ses Danois. Ainsi, grâces au secours de Dieu, le dur Mars nous laissa prendre quelque repos. Ces combats avaient duré pendant les trois derniers jours de janvier, et le premier du mois suivant les vit finir.

Le troisième jour de ce combat fut celui de la sainte Purification[19] de l'adorable mère du Christ, à laquelle nous dûmes notre triomphe. Cependant les fatales cohortes normandes montent sur leurs navires, plus rapides que les oiseaux, et se dirigent vers les contrées orientales[20] soumises alors à l'empire de la triste France, et qui n'avaient point encore souffert des ravages de l'ennemi. Ces barbares s'avancent et détruisent sur leur passage toutes les chaumières abandonnées du domaine du célèbre Robert, surnommé le porteur de carquois; un seul homme d'armes était alors avec lui et le servait; tous deux habitaient la même maison. « Je vois, dit l'homme d'armes au vieillard, les Normands qui viennent contre nous à toute course. » Robert veut prendre son écu, mais ne le trouve pas ; les siens, en effet, s'en étaient armés. Il ordonne cependant qu'on examine les mouvements des Danois, tire son épée, marche à leur rencontre, et tue deux ennemis de sa main; mais personne ne venant le secourir, lui-même succombe dans un troisième combat. Adalelme, le neveu de ce chef, se présente accablé de tristesse au milieu du peuple et lui parle en ces termes : « Courage, braves guerriers! prenez vos boucliers et vos armes, et courons en toute hâte venger mon oncle. » Il dit, marche vers la campagne de Robert, attaque les féroces barbares, les bat, en fait un grand carnage, et les contraint à une fuite tellement précipitée, qu'ils ne peuvent rien emporter sur leurs vaisseaux de ce qu'ils avaient pillé. C'était là précisément ce que Robert s'était efforcé de faire.

 

Post aequor residens almi niveam secus aulam
Scandere Germani temptant crebrius vocitati,
Ejus qua speciem constat lucere sepulchri.
Hic jacuit suimet jugiter venerabile corpus,
Nobiliusque monasterium cunctis fuit illud,
Nustria quae refovere sinu discebat in amplo.
Hinc propriis fuerit famulis gestatus in urbem.
Ipse Danos, quicumque dabant vestigia prato,
Militibus speculam cernentibus urbis in ejus
Rure sitam, fugiente mora tradit capiendos.
Ecclesiam cujus penetrans lacerare fenestras
Ictibus arboreis unus vitreas lanionum,
Continuo amenti rabie confunditur atrox
Curribus Eumenidum piceis artatus ab almo,
Morsque sequens miserum perdit, pietate remota,
Hisque fatigatus causis inferna petivit.

 

Mi Germane sacer, cura ne spiritus olim
Illa meus subeat, cujus miracula canto.
Haec et quo supplere queam, faveas, precor, alme;
Summa patris summi, natique, rogato, columba
Ore meo sedeat, mentem repleat, pie domne,
Actibus atque sacris virtutum floribus ornet,
Expulsis sestrice sacra vitiis procul atris.

 

Torriculi scandens alius sublime cacumen,
Mutat iter per quod subiit, gressus quoque volvit
Ardua praecelsi nimium per culmina templi;
Ossa cui fraegere sacri fastigia tecti,
Germani meritis urgentibus. Hoc super urbis
Pergama stans venturus Odo rex prodidit omni
Stipanti semet plebi, digito manifestans.
Ipse Danum semet retulit vidisse cadentem.

 

Tercius adveniens oculos direxit in amplum
Mausoleum Sancti, nolens quos liquit ibidem.
Quod subiens quartus, superis est demptus ab auris,
Obticuitque sub occidua mox sorte sopitus.

Fortunate tui quintus, Germane, parentis
Accelerat reserare thorum; primo sed adempto
Percutit hinc saxo proprium pectus, patientem
A cathedra cogens animam decedere pestis,
Quae nolens baratri tetigit caenacula tetri.
Inlustrem sobolis sanctae servat genitorem
Dextera, leva sacram prolis retinet genetricem;
Est Eleutherius pater, est Eusebia mater.

 

Les Danois tentent ensuite de s'emparer de la plaine située auprès de la belle église de Germain, si souvent invoqué par les nôtres. Là, c'est un fait notoire, brillait son tombeau; là, en effet, avaient constamment reposé jusqu'alors ses vénérables restes, et son monastère était le plus célèbre de tous ceux que la vaste Neustrie s'honorait de posséder dans son sein. C'est de là que les propres religieux de Germain ont transporté son corps dans la cité de Paris. Le saint livra bientôt à nos soldats, qui gardaient la tour bâtie dans les champs de son église, ceux des ennemis qui osaient mettre .le pied dans son pré. Un de ces brigands féroces, pénétrant jusque dans l'église de Germain, ose briser à coups de bâton les fenêtres en verre de cet édifice; sur-le-champ le saint frappe ce barbare d'une rage insensée, et l'attache au noir char des Euménides; bientôt la mort saisit sans pitié ce misérable qui, ne pouvant résister aux maux qu'il endure, roule dans les enfers.

Bienheureux Germain, toi qui m'es si cher et dont je veux chanter les miracles, fais que mon esprit ne reste pas au dessous d'une telle entreprise; je t'en conjure, grand saint, accorde-moi la grâce d'y réussir ! Puisse la divine colombe du Père et du Fils tout-puissants, j'ose le demander avec instance, pieux seigneur Germain, se reposer sur mes lèvres et remplir mon âme ! puisse cet esprit saint chasser loin de moi tous les vices impurs et parer mon cœur des fleurs et des fruits de toutes les vertus!

Un autre Danois, montant sur la plate-forme de la haute tourelle de l'église de Germain, suit une autre route que celle que l'on prend pour y parvenir, dirige ses pas sur les combles d'un difficile accès qui terminent ce temple d'une prodigieuse élévation, et, poussé par la force toute puissante du saint, il tombe du faîte et se brise les os. Ce miracle, Eudes, le roi futur de la France, debout alors sur le haut de la citadelle de la ville, le fait remarquer à la foule qui l'accompagne, le lui montre du doigt, et déclare que lui-même a vu tomber le Danois.

Un troisième jette les yeux dans l'intérieur du vaste mausolée du saint, et à son grand regret, il en perd la vue sur la place même. Un quatrième, qui, plus hardi, entre dans ce tombeau, est sur-le-champ privé de l'air qu'on respire sur la terre, et s'endort pour jamais dans le silence de la mort.

Heureux Germain, un cinquième tente d'ouvrir la tombe dans laquelle ton père est étendu ; mais la première pierre qu'il en détache lui brise la poitrine, et, du sépulcre où tu reposes, tu forces l'âme pestiférée de ce Danois de quitter son corps et de descendre malgré elle dans les profondeurs du noir abîme. De sa droite le saint fils défend les cendres de son illustre père; de sa gauche il protège celles de sa sainte mère. Ce père est Eleuthère, et Eusébie cette mère.

 

 Proh dolor! en medius cecidit pons nocte silenti,
Obsitus alluviis tumida bachantibus ira.
Nam sparsim Sequana circumfudit sua regna,
Exuviisque suis obtexerat aequora campum.
Australis gestabat eum vertex, sed et arcem
Quae tellure manet Sancti fundata boati .
Urbis inherebant dextris, alter sed et altri. .
Mane quidem surgente Dani surgunt simul acres,
Atque rates subeunt, armis onerant clipeisque,
Transque natant Sequanam, turrim cinguntque misellam.
Multa dabant illi densis certamina telis.
Urbs tremuit, lituique boant, lacrimisque rigantur
Moenia, rusque gemit totum, pelagusque remugit.
Aera circumeunt lapides et spicula mixtim;
Exclamant nostri, clamantque Dani simul omnes;
Terra tremit, nostri lugent, laetantur et illi.
Dumque volunt, cives nequeunt succurrere turri
Atque viris bello deferre juvamen anhelis,
Quos valide numero bellantes sub duodeno
Rumfea vel formido Danum non terruit umquam.
Difficile est dictu bellum, set nomina subsunt:
Ermemfredus, Eriveus, Erilandus, Odaucer,
Ervic, Arnoldus, Solius, Gozbertus, Uvido,
Ardradus, pariterque Eimardus, Gozsuinusque.
Seque neci plures sociarunt ex inimicis.
Hi quoniam nequeunt animis curvarier atris,
Aestibus accingunt carpentum arentibus arcis
Ante fores gurdi miserandae gramine plenum;
Fulmineisque velut Foebo sub rura procellis
Nox vacua celi specie confunditur alta,
Fas nulli arridente suum contemnere doma
Haud secus occuluit fumus speculam catapultis
Inmersis aliquantisper fervore tonante.
Quisque rogi proprios flatus ne clade perirent
Accipitres loris permisit abire solutis;
Quem dum jam cupiunt omnes extinguere, desunt
Vasa quibus possent latices haurire fluentes.
Namque Danum formidabant ausum fore nullum
Aequora jam Confessoris contingere gressu,
Pansa prius propter meritis miracula Sancti.
Haud modicam retinent solum nisi quippe lagenam,
Quae claram jaciendo focos Sequanam super altos,
Servantum fugit digitis dilapsa sub illos ;
Vulcano periit claudo Neptunus inermis.
Larque super turrim saliit, contrivit et omnem.
Robora congeminant gemitus oppressa sub igni,
Plus bello dominante rogo. Dimittitur illa
Militibus, pontis subeunt extrema relicta.
Prelia constituunt illic nova sevaque saevis,
Donec ad alta caput flexit Phoebus vada ponti.
Pila dabat rupesque simul celeresque cateias
Plebs inimica Deo, pransura Plutonis in urna ;
Sed quia conflictus talis superare nequibat
Militibus clamare: Fidem cepit, sed inanem,
Ad nostram properare, viri, nolite timere!
Pro dolor! alloquiis sese credunt male finctis,
Sperantes praecio redimi potuisse sub amplo;
Non alias vere caperentur luce sub illa,
Heu, nudi gladium subeunt gentis truculentae,
Et coelo mittunt animas livore fluente;
Martyrii palmam sumunt caramque coronam.

 

O douleur! voilà tout-à-coup que pendant le silence de la nuit le milieu du pont[21] s'écroule, entraîné par le courroux des ondes furieuses, qui s'enflent et débordent. La Seine, en effet, avait étendu de tous côtés les limites de son humide empire, et couvrait les vastes plaines des débris du pont, qui, du côté du midi, ne portait que sur un point où le fleuve s'abîme dans un gouffre ; il n'en fut pas de même de la citadelle qui, bâtie sur une terre appartenant au bienheureux saint Germain, resta debout sur ses fondements. L'un et l'autre tenaient au reste au côté droit de la cité de Paris. Aussitôt que le jour se lève, les cruels Danois se lèvent aussi, montent sur leurs vaisseaux, les remplissent d'armes et de boucliers, passent la Seine, cernent la malheureuse tour, et l'assaillent à plusieurs reprises de grêles de traits. La ville tremble, les clairons sonnent, les larmes inondent les murs, la terre gémit, et l'onde lui répond par des mugissements; les pierres et les dards se croisent dans l'air qu'ils obscurcissent. Les nôtres poussent de grands cris; tous les Danois en jettent en même temps de non moins forts; la terre s'en émeut : chez ceux-là c'est de l'affliction, chez ceux-ci de la joie. Des citoyens veulent, mais ne peuvent secourir la tour, ni porter aucune aide à ses défenseurs. Déjà fatigués par le combat, quoique réduits au nombre de douze, ces guerriers luttent courageusement et ne se laissent effrayer ni par les javelines des Danois, ni par la terreur qu'ils inspirent. Décrire leurs combats serait difficile; mais Hermanfroi, Hérivée, Herilang, Odoacre, Herric, Arnold, Solie, Gerbert, Uvidon, Harderad, Eimard et Gossuin, sont les noms de ces braves qui forcèrent beaucoup d'ennemis de les accompagner au tombeau. Les infâmes assiégeants, qui voient que rien ne peut courber ces âmes fières, amènent devant les portes de la malheureuse forteresse un chariot rempli de grains et y mettent le feu. De même que quand la foudre et la tempête viennent à éclater sur les campagnes, .et que la nuit Ja plus noire se confond avec le jour sous le vaste espace de la voûte des cieux, il n'est personne qui ose approcher de sa propre maison, enflammée par le tonnerre ; de même, dès que la fumée, enveloppant la tour, la cache aux catapultes, qui demeurent elles-mêmes plongées pendant quelque temps au milieu des feux tonnants de l'incendie, les Danois, redoutant de périr, laissent les flammes dévorantes du bûcher qu'ils ont allumé se livrer sans contrainte à leurs propres fureurs. Les nôtres ne craignaient pas qu'aucun des ennemis, effrayés des miracles opéras par les mérites de saint Germain, osât fouler de ses pas la terre appartenant à ce confesseur de la foi;[22] tous cherchent donc avec ardeur à éteindre le feu, mais les vases leur manquent pour puiser les eaux du fleuve. Ils n'en ont qu'un seul d'une grandeur raisonnable; mais hélas ! pendant qu'ils s'en servent pour répandre l'eau sur les flammes qui s'élèvent sans cesse, il échappe de leurs mains et tombe en bas. Neptune désarmé succombe alors sous les efforts du boiteux Vulcain. Bientôt le feu s'élance au dessus de la tour et la dévore en entier, les chênes dont elle est faite, cédant à l'incendie dévastateur plutôt qu'aux efforts de l'ennemi, font entendre d'horribles craquements. Nos guerriers abandonnent alors cette forteresse et se retirent sur l'extrémité du pont restée debout. Là ils renouvellent le combat et opposent une vigoureuse défense à de vigoureuses attaques, jusqu'au moment où Phébus dirige sa course vers les flots de la profonde mer. La race ennemie de Dieu, destinée à s'asseoir un jour à la table de Pluton, ne cesse d'accabler les nôtres de dards, d'éclats de roches et de flèches rapides ; cependant les Danois, désespérant de les vaincre dans cette lutte, leur crient : « Rendez-vous, braves guerriers, ne craignez rien, reposez-vous sur notre foi. » Foi mensongère, hélas ! ô douleur ! les nôtres se fient en ces fausses promesses de la méchanceté, et se flattent de pouvoir se racheter par une forte rançon ; et véritablement ils n'eussent jamais été pris ce jour-là sans cet artifice. Mais hélas! désarmés, ils tombent sous le glaive du féroce Normand; leur sang coule à flots et leurs âmes s'envolent vers le ciel, où elles reçoivent la palme et la sainte couronne du martyre.

 Mox reliquis ut visus adest gentilibus Erveus,
Rex, quoniam facie splendens formaque venustus,
Creditur, atque sui donis grassante tuetur;
Protenus intuitu fuso cernendo sodales
Dilectos plecti, tamquam leo sanguine viso
Ipse furit, conansque manus vitare tenentum,
Undique vi voluit semet ceu nexus, ut arma
Sumeret, ulcisci proprios socialeque vulnus;
Obtentuque carens ipso, sic insuperata
Limphantes potuit qua voce tonavit in aures:
Cedite me tensa cervice, pecunia prorsus
Nulla meam tractet vitam, morientibus istis!
Vivere quid sinitis? Frustratur vestra cupido!
Quae lux haud ejus, micuit sed crastina flatu.
Quae voces, quae lingua, quod os, aedicere possunt
Bella tot his prato egregii commissa relati ?
Quotque necaverunt Normannos hic? quot et urbi
Duxerunt secum vivos! Jam nullus eorum
Tunc audebat agrum Sancti conscendere latum.
Quorum, prae terrore, virum certamina promo,
Corpora crudeles Sequanae tradunt sine vita,
Laus corum jugiter nomenque per ora virorum,
Insignesque simul mortes et bella volabunt,
Sol radiis donec noctis pompare tenebras,
Luna diem, stellae pariter conponere discant.
Prosternuntque dehinc speculam de morte dolentem
Custodum. Cecidit telo quatiente Danorum
Signifer; hic artus misit flatumque Charoni.
Nemo meis super hoc dictis insurgere bello
Decertet; siquidem nemo nil verius ullus
Expediet, quoniam propriis obtutibus hausi;
Sic etiam nobis retulit, qui interfuit ipse
Atque natando truces gladios evadere quivit.

 

 

 

Tum Sequanam saliunt, Ligerumque petunt patriamque.
Has inter geminas peragrant praedam capientes,
Quam regio ipsa meo pandet jussu dominante.
Interea sperans Ebolus, fortissimus abba,
Gentiles quod in hanc issent cuncti, prope solus
Arce ruit, dardumque ferens castella petivit
Illorum, hastamque vibrans projecit in ipsa;
Non sonipes retulit nobis hunc, nec tulit illuc.
Confestim socium nixus munimine, saeva
Castra petit, murosque ferit; quo Lemnius adsit
Ipse jubet; pugnant nostri, constantius illi;
Argutus nimium fremitus jam fumat ab illis,
Exiliuntque foras, vulgusque fugant sine tactu,
Extiterant plures quoniam nobis; tamen illis
Obvius hic Ebolus, sociique simul, stetit heros.
Haud illum fuerant audentes tangere ferro;
Quingentis etiamsi tunc subnixus adesset
Qualis et ipse fuit, castris sese daret ultro,
Ast animas propria de sede repelleret omnes;
At quia militibus caruit, sic ludere cessat.

 

A peine cependant l'un d'eux, Hérivée, avait-il paru aux yeux de la foule de ces Gentils, que, frappés de la noblesse de sa figure et de la beauté de ses formes, ils le prirent pour un roi, l'envie d'obtenir de lui de riches présents le sauva pour un moment : mais dès que, promenant ses regards autour de lui, il aperçoit ses chers compagnons massacrés, semblable à un lion qui a vu du sang, il devient furieux, s'efforce d'échapper aux mains qui le retiennent, et, quoique attaché, cherche de tous côtés à se saisir d'une arme pour venger ses amis et le coup qui l'a frappé dans la personne de ses camarades. Cette consolation, la seule qu'il désire, lui est refusée; alors, d'une voix tonnante et que n'affaiblit pas la crainte, il crie aux oreilles des insensés Danois ; « Égorgez-moi, je tends la tête à vos coups ; non, l'argent ne prolongera pas mes jours, mes compagnons morts, pourquoi me laissez-vous vivre? Croyez-moi, votre cupidité sera trompée. » Son trépas illustra, non ce même jour, mais celui du lendemain. Quelles voix, quelles langues, quelles bouches suffiraient à redire les combats que ces braves[23] avaient livrés dans le pré de l'abbaye du saint fameux dont nous avons parlé ! combien ils avaient tué de Normands, et combien ils en avaient traîné prisonniers dans la ville de Paris ! Déjà aucun de ceux-ci n'osait plus se montrer dans les vastes champs du domaine de ce saint, tant était grande la terreur que leur inspiraient ces guerriers dont je chante les exploits. Cependant les cruels Danois jetèrent dans la Seine les cadavres sans vie de ces hommes courageux dont la gloire, les noms, la mort célèbre et les combats s'élèveront jusqu'au ciel, répétés de bouche en bouche, jusqu'à ce qu'on voie le soleil éclairer de ses rayons les ténèbres de la nuit, la lune et les étoiles briller en plein jour. Les assiégeants renversent enfin de fond en comble la tour qui pleurait la mort de ses défenseurs j mais frappé d'un trait le porte-étendard des Danois tombe et porte à Caron son corps et son dernier soupir. Que personne au surplus ne tente de s'élever contre ce que je raconte de ces combats; nul, en effet, ne peut parler sur ce sujet avec plus de vérité que moi, car j'ai tout vu de mes propres yeux, et les faits m'ont été confirmés par un des nôtres, qui lui-même se trouvait à toutes ces affaires, et parvint à éviter en nageant le glaive des féroces Danois.

Ceux-ci cependant passent la Seine, ils se dirigent vers la Loire,[24] et gagnent l'établissement qu'ils y ont formé; ils parcourent le pays situé entre ces deux rivières, et y font un immense butin; tout ce qu'ils y prirent, cette contrée, cédant à mes prières, me le dira elle-même. Cependant le vaillant abbé Ebble, croyant que tous les Gentils étaient partis pour cette région, se précipite presque seul hors de la citadelle de la ville, marche vers les retranchements des Danois, un javelot à la main, le fait vibrer dans l'air et le lance dans le camp ennemi. Il n'avait pas pris de coursier pour s'y rendre, et ce ne fut pas non plus un coursier qui nous le ramena. Sans perdre un instant, et secondé par quelques-uns de ses compagnons d'armes, il court au camp, et frappe les remparts, auxquels il ordonne de mettre le feu. Ebble commande, les nôtres attaquent ; mais du dedans on leur résiste avec courage.[25] Un bruyant frémissement s'élève au milieu des flots de fumée du camp des Danois. Ceux-ci sortent de leurs retranchements, et beaucoup plus nombreux que nous. Ils font fuir devant eux, même sans lui porter aucun coup, la tourbe qui avait suivi Ebble. Quant à ce héros, il tient ferme avec ses compagnons contre les ennemis. Ceux-ci n'ont pas tant d'audace que de le toucher même avec le fer, et si cinq cents hommes aussi courageux qu'il l'était lui-même l'eussent soutenu, il se serait jeté sur le camp des assiégeants, et aurait chassé les âmes de ces misérables de leur demeure terrestre. Mais, manquant de soldats, il se vit contraint de cesser le combat.

 

 Nustria, nobilior cunctos regionibus orbis,
Quae vaste fueras procerum genetrix dominantum,
Ne pigeat capta turri producere, quaeso,
Quot vel quas hausere Dani palmas tibi, necno
Ubera quot pecorum mulsere tuum peragrando
Distentum variis tractum gazis tamen olim
Mi soboles, aliquis censere potest? Etiamsi
Affuerint cunctae volucres, erumpere voces
Tot nequeunt, hominum quot equum pecudumque boumque
Sublegere mihi natos natasque suumque;
Flumina balatu agnorum, mea graminae laeta
Prata sonant denso mugitu tempe juvencum,
Cervorumque nemus rauco clamore remugit,
Grunnitusque mei silvas scindebat aprorum.
Haec mihi subduxere truces, si noscis et audis!

 

 

Haec oculis equidem petii, sistens super urbis
Moenia, nec visu claudebantur neque ritmo ;
At quoniam cingi nequeunt pratis nec ab agris,
Efficitur bostar Germani antistitis aula,
Completur tauris, succulis, simisque capellis.
Longa trahunt illic suspiria tumque dehiscunt,
Corpora flant dulces ventos cruciante dolore.
Adveniunt stabulatores, ea ferre quoquinae
Nitentes, cum jam maneant epulae innumeratis
Vermibus, ecclesia quorum fetore repleta;
Exportant, Sequanae referunt, non nempe quoquinae,
Ecclesiamque piant bovibus, nec caeditur ultra.

 

 

Legisti praedas, etiam cognosce trophea!
Restitit oppida quaeque capi supraema voluntas;
Obfuit at, Domino tribuente, infirma potestas .
Carnoteno innumeros conflictus applicuerunt
Allofili, verum liquere cadavera mille
Hic quingenta simul, rubeo populante duello.
Una dies istum voluit sic ludere ludum,
His ducibus, Godefredo, nec non et Odone;
Belligeri fuerant Uddonis consulis ambo.
Idem Odo praeterea opposuit se saepius illis,
Et vicit jugiter victor. Heu, liquerat illum
Dextra manus bello quondam, cujus loca cinxit
Ferrea, pene vigore nichil infirmior ipsa!
Nec satius quicquam sortiti apud hi Cinomannos,
Haud equidem reliquae cesserunt suavius urbes.
Jam quia Apollo rogat, calamus requiem mereatur.

Neustrie ! toi la plus noble des contrées de l'univers ! toi qui as donné le jour à une foule de grands qui ont étendu au loin leur domination, ne te refuse pas, je t'en conjure, à me dire de combien de richesses précieuses les Danois t'ont dépouillée, après s'être emparés de la tour de Paris, et combien ils ont trait de tes troupeaux en parcourant ton vaste territoire si rempli de trésors divers. « Lequel de mes enfants, répond la Neustrie, pourra croire un jour quelles ont été mes pertes ? Non, quand toutes les langues les plus agiles se réuniraient, elles ne sauraient dire combien d'hommes, de chevaux et de bœufs, d'autres troupeaux et de jeunes porcs, mâles et femelles, ces barbares m'ont ravis. Mes fleuves retentissaient du bêlement des agneaux; sur le gazon de mes prairies, véritable vallée de Tempe, les jeunes taureaux faisaient entendre leurs mugissements; dans mes bois résonnait le cri rauque dos cerfs, et le grognement des sangliers effrayait mes forêts ; les féroces Danois m'ont enlevé tous ces biens, tu dois le savoir, et l'avoir entendu raconter ! »

Hélas oui ! ces dégâts je les ai vus du haut des murs de la cité de Paris ; nos yeux en ont été les témoins et nos vers les redisent avec certitude. Les Danois, ne pouvant tenir tant de butin enfermé dans les camps, ni dans les forts, firent une vraie étable[26] de l'église du saint évêque Germain, et la remplirent de taureaux, de jeunes truies et de chèvres au nez court. Tous ces animaux, entassés dans ce lieu, poussent bientôt de longs gémissements; les plaies couvrent leurs corps, et, déchirés par la douleur, ils rendent le dernier soupir. Leurs gardiens arrivent pour les porter à leur cuisine, mais trouvent que déjà ils servent de pâture à d'innombrables vers; l'église entière est infectée de l'horrible odeur qui s'exhale de tous ces cadavres. Ce n'est pas à la cuisine, mais à la Seine qu'on les traîne, de ce moment, on vide l'église de bœufs, et on n'y en laisse plus égorger aucun.

« Vous avez lu mes malheurs, dit la Neustrie, sachez maintenant mes triomphes. Les villes dont les barbares voulaient le plus ardemment se rendre maîtres leur résistèrent, et, par la grâce de Dieu, ils ne purent venir à bout de s'en emparer. Ces barbares étrangers livrèrent des combats sans nombre dans le pays de Chartres, mais ils y laissèrent quinze cents morts. Cette perte ils l'éprouvèrent dans un seul jour et dans une seule bataille sanglante, que leur livrèrent Godefroi et Odon, tous deux généraux du comte Eudes. Dans la suite, ce même Odon en vint souvent aux mains avec eux, et toujours il en demeura vainqueur. Hélas! il avait perdu autrefois dans un combat sa main droite, et l'avait remplacée par une main de fer, qui n'était pas inférieure en force à sa main véritable. Les Normands ne furent pas plus heureux contre la cité du Mans, et d'autres villes ne se laissèrent pas plus vaincre que Chartres. » Mais il faut que ma plume prenne quelque repos, Apollon l'ordonne.

 

TERMINATUR PRIMUS / FIN DU LIVRE PREMIER.


 

 

LIBER SECUNDUS.

LIVRE SECOND.

Surgito Musa celer, lampas accendit eoa
Climata, luciferam propera praevertere plantam.

 

Saxonia vir Ainricus fortisque potensque
Venit in auxilium Gozlini, presulis urbis,
At tribuit victus illi laetumque cruentis
Heu paucis, auxit vitam nostris, tulit amplam
His predam. Sub nocte igitur quadam penetravit
Castra Danum, multos et equos illic sibi cepit.
Agmen Ainrico cedente nimis lanionum,
Efficitur celsus nimium clamor fremitusque;
Deserit unde quies nostros, et menia vallant.
Inmodicas voces flavere Dani morientes,
Inmenso resonant cives clangore, paventes
Ut solitum paterentur ab his ex more laborem.
Sic et Ainricus postremum castra reliquit,
Culpa tamen, fugiente mora, defertur ad arcem.
Pila ministrabant acidas referendo salutes.
Janua militibus reseratur, comminus acre
Urgetur bellum, clipei labuntur et enses.
Vita meos adamat dextros oditque sinistros,
Infestos adamat mors, vita gubernat amicos.
Inde sopor repetit cives miserosque fugella.

 

 

Rege Sigemfedo simul ast Odone loquente,
Protenus a specula currentes agmine multo,
Ducere forte truces secum conantur Odonem;
Qui primum feriendo, falae fossata volatu
Transsiliit propero, clipeum gestansque cateiam.
More suo functus bello versus stetit heros,
Exiliere viri domino suffragia dantes,
Nobilibusque stupent ejus super artibus omnes.
Conspiciens Sigemfredus nostros in agone
Esse feros, inquit sociis. Hanc linquite sedem,
Hic non stare diu nostrum manet , hinc sed abire!

 

 

Ergo suas ut Ainricus secessit ad aulas,
Germani teretis contemnunt litora sancti,
Aequivocique legunt, cujus factis bene vescor,
Circumeunt castris aequor , seo et undique vallo
Clauditur a dominusque meus, quasi carcere latro,
Ipse nichil peccans; murus circumdedit ejus
Ecclesiam nostro celsam cogente reatu.
Denique rex dictus denas capiens argenti
Sex libras nitidi nobis causa redeundi,
Normannis sese cunctis comitantibus, optat
Mel dulcis fluvii limfis conferre marinis,
Qualiter osque freti caudam Sequanae rapit albam
Equoreumque caput pennis quatitur Sequaninis
Ostentare ; sed his autem nolentibus, infit:
Eia Dani, muros urbis lustrare potentes;
Pergama circumquaque viri vestite valentes,
Et scapulas arcu validisque honerate sagittis!
Quisque ferat lapides, sed et undique tela ministret!
Hoc etiam bellum conabor et ipse videre!
Quo sermone quiescenti, surgunt simul omnes,
Inquesulas penetrant, urbis sedes quibus extat,
Menia circumeunt trucibus gladiis honerati.
Degressique foras nostri circumdare turres,
Occidunt reges geminos pluresque aliorum,
Fallacesque fugam diamant verique triumphum.
Amnis in auxilium nobis Sequanae fuit altus,
Quos sorbens penitus mersit, transmisit Averno.
Sigemfredus ovans, ridens morientibus inquit:
Nunc vallate viri pinnas, urbem capitote,
Mensurate metris aedes, quas hic habitetis!
Inde suis: Abeamus, ait, tempus venit ecce,
Quo gratum fuerit nobis istinc abiisse!
Mox hilaris Sequanam liquit pro munere sumpto.
Sic alii facerent, eadem si tunc meruissent.

 

 

 

 

 .

 

 

 

 

 

 

 

 

  

Muse, lève-toi promptement, le soleil répand déjà ses feux sur les climats d'orient, hâte-toi donc de tourner tes pas vers moi, et de m'apporter ta lumière.

Henri, homme puissant et brave, accourut de la Saxe[27] au secours de Gozlin, évêque de Paris, apporta des vivres à ce prélat, et la mort à un nombre hélas! trop peu considérable des cruels Normands; il donna ainsi aux nôtres des moyens de soutenir leur vie, et fit sur les ennemis un immense butin. Une certaine nuit il pénétra dans le camp des Danois, et leur enleva beaucoup de chevaux. Cependant, au carnage affreux que fait Henri de ces brigands, de violentes clameurs et des frémissements de rage se font entendre; les nôtres alors renonçant aux douceurs du repos, garnissent les murailles; les Danois expirants poussent des cris perçants, et les citoyens redoutant d'avoir, comme de coutume, à supporter la fatigue ordinaire d'une lutte contre les barbares, leur répondent par de grands cris. Henri, à la fin, abandonne le camp des Danois ; et ceux-ci, faisant retomber sur-le-champ leur vengeance sur notre citadelle, l'attaquent avec leurs pieux, et nous rendent leur présence funeste. Nos guerriers ouvrent les portes; alors s'engage un combat violent et corps à corps; les boucliers et les épées volent en éclats; la vie chérit les nôtres et abandonne les Danois ; la mort s'attache à nos ennemis, et la vie favorise nos amis; enfin nos citoyens goûtent les douceurs du repos, fit les misérables Normands s'abandonnent à la fuite.

Tandis cependant que le roi Sigefroi et Eudes confèrent ensemble, une troupe nombreuse de féroces Danois accourt, et s'efforce de s'emparer d'Eudes par surprise, et de l'entraîner loin de la tour; mais lui leur porte d'abord de grands coups; puis, d'un saut agile, repasse le fossé, quoique chargé de sa javeline et de son bouclier, fait volte-face, et continue de combattre en héros, comme il l'a toujours fait, les siens s'élancent vers leur chef, en le comblant d'éloges, et tous contemplent avec étonnement ses-nobles exploits. Alors Sigefroi, qui voit les nôtres se présenter pleins d'audace au combat, crie à ses compagnons : « Quittez ce lieu, il ne nous est pas donné de rester ici plus longtemps ; le mieux est de nous en éloigner au plus vite. »

Aussitôt qu'Henri s'est retiré dans ses États, les barbares abandonnent les terres de Saint-Germain le Rond[28] et passent sur celles du saint du même nom[29] dont les bienfaits me nourrissent ; ils osent s'y établir, et environnent son pré de retranchements; de toutes parts, ce saint, mon seigneur, quoiqu'il ne soit souillé d'aucun péché, se voit enfermé dans des murs comme un voleur dans sa prison, et sans doute, en punition de nos fautes, sa haute église est de tous côtés entourée d'une muraille. Cependant Sigefroi, ce roi dont on a déjà parlé, accepte soixante livres de l'argent le plus pur, consent à ce prix à se retirer loin de nous, veut que tous les Normands l'accompagnent, et brûle du désir de comparer la douceur des eaux de la tranquille Seine à l'amertume des flots de la mer, et de montrer aux siens comment la bouche de l'Océan engloutit la queue blanchissante du fleuve, et comment celui-ci frappe de ses nageoires la tête du dieu des mers. Mais les siens refusent de le suivre. « Allons, puissants Danois, leur crie-t-il, allons, courage, attaquez donc de tous côtés les murs de Paris; cernez de toutes parts, en vaillants guerriers, sa citadelle; accablez ses tours sous les coups de vos flèches formidables et de vos membres robustes; que chacun apporte des pierres ; que chacun lance à l'envi des traits : je prendrai sur moi de rester spectateur de ce combat. » A peine a-t-il fini de parler, que tous se lèvent; ils arrivent jusque dans les îles sur lesquelles repose la ville[30] ; armés de glaives meurtriers, ils entourent nos murailles. Les nôtres cependant sortent des portes, se rangent au pied des tours, et tuent à l'ennemi deux de leurs rois et beaucoup d'hommes d'un moindre rang. Bientôt les infidèles fuient à l’envi, et la victoire demeure aux adorateurs du Dieu véritable. Le fleuve de la Seine nous prêtant son secours, enfle ses ondes, engloutit au fond de ses abîmes ces malheureux, et les fait descendre dans l'Averne. Sigefroi triomphe, insulte aux mourants par ses rires et leur dit : « Braves guerriers, assiégez donc actuellement ces remparts; emparez-vous de la ville et prenez la mesure des demeures que vous devez habiter ici désormais. Quant à vous, crie-t-il aux siens, partons, le temps approche où nous nous féliciterons d'avoir quitté ces lieux. » Sans tarder davantage, et plein de joie, il abandonne les rives de la Seine, emportant avec lui le prix de sa retraite; et les autres eussent reçu comme lui de semblables présents s'ils s'en fussent rendus dignes.

Quis sentire potest, patula quod subditur aure?
Terra gemat, pontusque, polum, latus quoque mundus:
Gozlinus, Domini praesul, mitissimus heros,
Astra petit Domino migrans, rutilans velut ipsa ,
Nostra manens turris, clipeus, nec non bis-acuta
Rumphea , fortis et arcus erat, fortisque sagitta!
Heu! cunctis oculos fontes terebrant lacrimarum,
Atque pavore dolor contritis viscera scindit.
Tempestate sub hac Hugo princeps obit abba,
Evrardo Senones viduantur praesule docto;
Gaudia tunc hostes adipiscuntur sua laeti.
Qui vigiles madidae per opaca silentia noctis
Germanum nitida clarum vidisse figura
Se perhibent, moetasque sui lustrasse locelli,
Lumine gestantem rutilanti sepe laternam,
Quo sancti redolent artus forsan tumulati.

 

 

Instabant ejus festae sollemnia lucis;
Objurgantur et hi castellanis, quia sacra
Non celebrant, alto inde ruunt cum mente cachinno.
Mergitibus plaustrum per rura movent gravidatum,
Cuspide terga boum verso nimium stimulantes.
Protinus his propriae claudis sine crimine causae
Connectunt alios, pluresque dehinc aliosque;
Certabant elegi scapulis cornuque invenci,
Jamque lavant proprias rubeo de sanguine costas,
Nonque valent axem terris disjungere fixum,
Attonitique stupent domni miracula nostri.
Solvuntur tauri, stimulusque ferox requievit.
Lux segetis recidiva rotas spoliis vacuavit,
Atque suis clodum revocavit motibus axem

 

Quelle oreille pourra s'ouvrir sans peine pour entendre ce que je vais dire? Que la terre, la mer, le ciel et le vaste univers gémissent, l'évêque Gozlin, le ministre de Dieu, ce héros plein d'humanité, est passé au Seigneur;[31] il s'est élevé vers les astres, dont il a lui-même le brillant éclat, celui qui fut pour nous une ferme citadelle, un bouclier, une javeline à deux pointes aiguës, un arc redoutable et une flèche rapide et sûre. Hélas! tous nos yeux épuisent péniblement leurs sources de larmes, et la crainte déchire tous nos cœurs accablés par le chagrin. Dans ce même temps mourut également Hugues, prince et abbé tout à la fois ; et ceux de Sens se virent aussi enlever leur docte évêque Evrard. Ce fut encore alors que les ennemis, parvenus au comble de leur joie, s'y abandonnèrent avec transport ; leurs sentinelles déclarèrent en effet avoir vu, pendant le silence d'une nuit humide et noire, l'ombre de Germain, toute brillante d'un éclat éblouissant, et portant un fanal où étincelait une vive lumière, parcourir l'espace étroit du tombeau où le saint a été enseveli et que ses membres ont rempli d'une divine odeur.

Le temps des solennités de la fête de ce saint approchait; les Normands alors renouvellent ironiquement aux défenseurs des forts de Paris leurs reproches de ce qu'ils ne célèbrent pas ces saintes pompes ; puis, animés d'un esprit d'insulte, ils se répandent dans la campagne, font rouler à travers les champs un chariot chargé de gerbes de grain, et pressent cruellement de l'aiguillon les flancs des bœufs qui le traînent. Mais tout-à-coup ces animaux boitent sans qu'on puisse apercevoir en eux aucune cause de cet accident. Les Normands alors attachent au chariot plusieurs autres bœufs, puis d'autres encore; les malheureux taureaux tirent à l'envi des cornes et des épaules; déjà leurs flancs sont rougis de leur sang ; mais tous leurs efforts ne peuvent ébranler les roues attachées à la terre; les Danois restent frappés d'étonnement à la vue de ce miracle opéré par notre seigneur Germain. Les taureaux sont alors détachés, et le cruel aiguillon demeure inactif. Le lendemain le chariot est déchargé des gerbes, dépouilles de nos champs, et sur-le-champ les roues reprennent leur mouvement et tournent sur leur axe.

 

Effugiens horum quidam jussus jugulari,
Templa subintroiit Sancti, tenuit quoque bustum,
Pellitur inde miser profuga pietate necandus;
Vae miseris! multant elegum, multantur et ipsi;
Quod munus dederant socio, simili pietate
Germani meritis nactum cuncti meruerunt,
Caelitus afflicti nimium pro talibus ausis.
Unde sacerdotes statuere, locum venerantes,
Qui missas cursusque sacros illis celebrassent.
Tunc omnes cuiquam prohibent hinc tollore quicquam;
Quod violans unus, proprio deferre cubili
Ecclesiae tegmen studuit; sub quo manifeste
Effigies ejus reperita fuit puerilem,
Scilicet eventu nulli similante minuta,
Nota quibus fuerat pridem, nec noscitur ullo
Oppido, miror ubi venae nervique laterent,
Ossaque fugerunt pariter fugiente medulla,
Viscera speluncae tenuis foveam petiere.
Major habebatur magnis mirabile factum
Is qui nuncque minor pueris moriens patet esse,
Vitaque cum gemitu fugit indignata sub umbras!

 

 

 

 

 

 

Visus adest cuidam Domini sanctissimus idem.
Pectore carpenti requiem per nubila noctis
Marcelli sanctis precibus necnon Clodoaldi
Accipiens liquidam manibus benedicere lympham,
Unde rigans urbem, graditur per menia circum;
Huicque viro proprium promsit nomen, sed et urbi
Spem spondens, faciem liquit se conspicientem.

 

L'un de ces Normands, condamné à être égorgé ; s'était réfugié dans le temple du même saint et tenait embrassée sa statue. Mais le malheureux est chassé sans pitié de cet asile et livré à la mort par les siens. Malheur à ces impies! Ils avaient accablé ce malheureux et furent accablés à leur tour; le sort qu'ils avaient fait éprouver à leur compagnon, tous l'éprouvèrent justement, grâces aux mérites de Germain; ils ne trouvèrent en lui qu'une pitié semblable à celle qu'ils avaient montrée, et furent cruellement punis par le ciel d'avoir poussé l'audace au point de violer l'église. Les Danois alors, pleins d'une crainte respectueuse pour le saint lieu, y établirent des prêtres charges d'y célébrer la messe et les offices sacrés aux heures marquées, et défendirent d'un commun accord que qui que ce fût se permît d'en rien enlever. Un d'eux, enfreignant cet ordre, prit et étendit sur son propre lit une des nappes d'autel de l'église.[32] Par un miracle qui n'a rien de semblable à aucun autre, on trouva sous cette nappe tout son corps manifestement rapetissé et revenu à l'état de l'enfance ; de tous ceux qui l'ont bien connu auparavant, nul ne peut absolument le reconnaître[33] on cherche avec étonnement où se sont cachés ses veines et ses nerfs, Comment ses os et leur moelle ont disparu, et comment ses entrailles se sont renfermées dans la cavité d’un ventre si petit. Chose admirable! cet homme, qui passait pour le plus grand des Danois, remarquables par leur haute taille, tous le voient maintenant, à l'heure de sa mort, le plus petit des enfants ; et c'est dans cet état que la vie l'abandonne, et que, furieux de désespoir, il descend en gémissant chez les ombres.

Un certain homme goûtait du plus profond de son cœur les douceurs du repos au milieu des ombres de la nuit; le même saint, très cher au Seigneur, lui apparut, il le vit prendre dans sa main, à la prière de saint Marcel et de saint Cloud, une eau limpide, la bénir, et en arroser la ville en faisant tout le tour de ses murailles.[34] Le même saint découvrit ensuite son nom à cet homme, annonça que la ville pouvait concevoir d'heureuses espérances, et disparut de devant la face de celui qui le contemplait.

Nobilis hac et in urbe fuit vir carne liquescens,
Deficiens etiam flatu metuebat obire,
Castellumque capi Normannis tempore in ipso.
Attulit huic cives somnus se linquere velle,
Urbs armis quoniam cunctis deserta manebat;
Clericus inde venustatis mirae astitit illi
Ore loquens placido, rutilans vultuque sereno:
Quid metuis? surgens tremulos depone timores,
Oblitaque fuga quamplures cerne paratos
Ad bellum! Surgens alacer, muros videt omnes
Vallatos cuneis juvenum galeis oneratum.
Voxque tonat: Tutoribus his defenditur haec urbs;
Ast ego sum Germanus, ait, hujus quoque praesul.
Confortare, nihil formidabis, quoniam nunc
Faucibus haud sceleratorum grassabitur haec urbs!
Affatur sanctus, redamatque virum caro flatus;
Affatur felix, fugitque virum mala pestis;
Alloquitur Sanctus, lecto surrexit egrotus;
Almis faminibus sospes procedit egrotus,
Explicuit visu noctis quod noverat ipse.

Luce dehinc quadam, dum gestabatur et almi
Militibus propriis corpus per moenia circum,
Urbanis septem sectantibus omnipotentem
Perrogitando Deum votis sub voce canora,
Caeditur allofilo de portatoribus unus
Nomine Gozbertus caclo , percussor in umbras
Tartareas fugit moriens, icto patiente
Nil super hoc lapidis iactu, Sancto auxiliante.

Interea caedis validae corrupta procellis
Urbs patitur gladium exterius, loeti quoque pestis
Eheu nobilium plebes penitus laniabat;
Interius nec erat nobis tellus, obeuntum
Que praebere sepulturam membris potuisset
Comminus ; ulla dies nec erat, quae non generasset
Urbanos interque suburbanos truculentos
Bella, nec ulla abiit prope quae non interfectos
Pestiferos secum duxisset ad antra gehennae.

 

Dans la même cité de Paris, était un noble homme, tombé dans un extrême amaigrissement, et à qui le souffle même échappait, tant il craignait de mourir et de voir le Châtelet pris par les Normands. Vers ce même temps, un songe lui fit voir ses concitoyens décidés à l'abandonner, et la ville lui paraissait désertée par tous ses habitants : tout-à-coup, un clerc, d'une admirable beauté, et dont le visage brillait de l'éclat le plus serein, se présente à ses yeux, et, lui dit du son de voix le plus doux : « Que crains-tu? Lève-toi, laisse là tes indignes frayeurs; regarde cette multitude de citoyens, ils ne pensent plus à la fuite, et sont prêts à combattre. » Cet homme se lève, vif et dispos, et voit en effet les remparts garnis de bataillons de jeunes guerriers couverts de leurs casques. La même voix tonne alors aux oreilles des gardes qui veillent à la défense de Paris. « Je suis Germain, leur dit-il, l'évêque de cette cité; prenez courage, ne craignez rien, elle ne deviendra pas la proie de ces impies dévastateurs. » Le saint parle, et cet homme retrouve la respiration ainsi que l’embonpoint; le bienheureux parle, et ce malade est délivré de sa funeste maladie ; le ministre de Dieu parle, et le moribond se levant de sn touche, marche, entièrement guéri de ses maux pat les paroles de l'habitant des deux, et explique lui-même la vision qu'il a eue pendant la nuit.

Un autre jour, tandis que les soldats servant sous la bannière du saint portaient son corps autour des murailles de la ville, et que tous les citoyens suivaient en formant la haie, et adressaient par des chants éclatants leurs vœux et leurs prières au Dieu tout-puissant, l'un des porteurs des saintes reliques, nommé Gozbert, est tout-à-coup frappé d'une pierre par un des étrangers; mais celui qui a lancé le coup meurt, précipité dans les ombres du Tartare, et celui qui l'a reçu n'éprouve, grâces au secours du saint, d'autre mal que celui du choc de la pierre.

Cependant Paris, en proie à toutes les horreurs d'un cruel carnage, est tourmenté au dehors par le glaive de l'ennemi; au dedans, hélas! une peste mortelle étend ses funestes ravages sur la foule des nobles, et nous n'avons pas, dans le voisinage, de terre où nous puissions donner la sépulture aux cadavres des mourants. Il n'y a point de jour où les habitants de la ville et les féroces ennemis, campés dans les faubourgs, ne se livrent quelque combat, et aucun jour ne se passe sans faire descendre dans les antres de l'enfer des hommes morts de la peste.

 

Rex igitur venturus Odo transmittitur inde
Francorum Karolo suprafato basileo,
Quatinus auxilio caeleri succurreret urbi.
Post nullus procerum remanet nisi Marcius abba,
Sepe supra cujus memoratio scripta relucet.
Ipse aequites ex more Danum vestire coegit
Sex solos, redeunte die quadam, super arva
Transque volant illi Sequanam camposque peragrant.
Ex variis plenos armis sevoque sopore
Normannosque necant totidem fuerant quot et ipsi.

Nascitur hinc strepitus castris; horum resonante
Voce, truces carpunt clipeos nostrique carinam.
Nostra Dionisii tondebant littora sancti
Pecora , quae duxere sibi crebro speculata;
Verum illis Ebolus ingiter fuit obvius abba,
Qui quorum comitem quadam stravit vice telo;
Unde Dani linquunt ripam, referuntque cadaver.
Mox Ebolus senos equites dimisit ab arce,
Quattuor hi ternosque necant certamine diro.

Nocte quidem cives crebrius pecorum sub opaca
Custodes adeunt, quosdamque fugant, aliosque
Attribuunt jugulis, hoc egeruntque frequenter;
Indicioque tulere Danos urbi sine flatu
Atque simul vivos, ut sic credi potuissent.
Inquesulas penetrant solito quadam vice ritu,
Moenia qua resident urbis saevi trecenti;
Protinus ense quium bino stravere novenos,
Vulnera deposuere quibus triginta, nec extat
Posse datum quarti lumen spectare diei.
Congressi nostrum gemini, qui morte fruentes
Egregia sanctos vexere pedes super astra;
Nam senior Segebertus erat, junior Segevertus.

Forte deinde tribus cuneis cinctus galearum
Armipotens montis super Odo cacumina Martis
Enituit, cujus clipeos novus inradiavit
Sol, croceo Oceani thalamo vastipcde spreto;
Hunc prius elios adamans quam rura salutat,
Quem visu capiunt cives, et amore sub alto.
Ast hostes prohibere fores turris cupientes,
Transsiliunt Sequanam, vallantes littore circum.
Reddidit Odo tamen castellanis equitando
Se, medio inter sevos, Ebolo reserante
Huic portas , cunctique stupent hoc nobile factum.
Hinc ejus socios retro statim redeuntes
Ferreus insequitur hostis, post terga meando;
Plus geminis etiam leugis interfuit illis
Dictus Adalelmus superis pridem comes; idem:
Eia, suis inquit, satius pergamus in illos,
Quam nos hic illi inveniant! Adalaelmus hoc inquit;
Pestiferi petiere fugam, nostrique tropheum.
Scuta tonant, dardique volant, et corpora Danum
Consulis arva tegunt, gladio regnante Adalelmi.
Non dimisit eos, donec repedare coegit
Ad fluvium, posthac et ovans vitorque reversus.

 

 

 

 

En et Ainricus, superis crebro vocitatus,
Obsidione volens illos vallare, necatur.
Inque suos, nitens Sequanam transire Danorum
Rex Sinric, geminis ratibus spretis, penetravit
Cum sociis ter nam quinquagenis, patiturque
Naufragium medio fluvii, fundum petiturus,
Quo fixit, comitesque simul, tentoria morti.
Hic sua castra prius Sequanae contingere fundum
Quo surgens oritur, dixit, quam linquere regnum
Francorum, fecit Domino tribuente quod inquit.

 

Dans ces tristes circonstances, Eudes, celui qui doit bientôt régner, est envoyé pour presser Charles, ce roi des Francs dont on a parlé plus haut, d'accourir en toute hâte au secours de Paris. De tous les grands il ne resta dans cette ville que le vaillant abbé Ebble, dont le nom a souvent brillé ci-dessus dans ces vers. Un certain jour, au lever de l'aurore, ce guerrier ordonne à six de ses cavaliers de prendre les armes et le costume des Danois; ils passent la Seine, volent à travers les campagnes, parcourent la plaine, et tuent un nombre égal de Normands tout armés, mais ensevelis dans un funeste sommeil, un grand bruit s'élève soudain dans le camp ennemi; aux cris affreux que poussent les mourants, les féroces Danois prennent leurs boucliers, et les nôtres regagnent leur barque.

Nos troupeaux paissaient le long des rives qui baignent les terres de Saint-Denis; les Normands, qui souvent les avaient convoités, tentèrent de les enlever; mais constamment l'abbé Ebble marcha contre eux pour leur fermer le passage, et une certaine fois il perça d'un trait le comte qui les commandait ; les barbares alors abandonnèrent ces rives, emportant avec eux le cadavre de leur chef; et bientôt après, le même Ebble fit sortir encore de la citadelle six cavaliers qui dans un rude combat tuèrent sept ennemis.

Cependant les citoyens allaient fréquemment, par les nuits les plus noires, attaquer les gardiens des troupeaux de l'ennemi, mettaient les uns en fuite et égorgeaient les autres; ces attaques, ils les répétaient souvent; et pour donner de leurs succès des preuves auxquelles on pût croire, ils apportaient dans la ville des Danois morts, et y en amenaient d'autres encore pleins de vie. Une certaine fois cependant, trois cents des cruels ennemis pénètrent en leur manière accoutumée dans l'île, et jusque dans l'intérieur des murs qu'on y a bâtis; neuf d'entre eux tombent sur-le-champ sous le glaive de deux de nos guerriers, et trente reçoivent des blessures si profondes qu'il n'est donné à aucun d'eux de voir la lumière du quatrième jour d'après. De notre côté, deux des combattants goûtèrent seuls les douceurs d'une mort glorieuse, et portèrent jusqu'aux astres leurs pas bienheureux; l'un fut le vieux Sigebert, et l'autre le jeune Segevert.

Après ces événements, le vaillant Eudes paraît tout-à-coup sur les hauteurs de Montmartre, entouré de trois bataillons de soldats armés de casques; le soleil, qui, dédaignant le lit de pourpre du vaste Océan, commençait à paraître, lança l'éclat de ses rayons sur les boucliers de cette troupe; et cet astre, qui chérit Eudes, avant de répandre sa lumière sur ses compagnons, salue ce guerrier, l'amour des citoyens, et que tous brûlent de revoir. Cependant les ennemis, animés par le désir de lui fermer l'entrée de la tour, passent la Seine, et couvrent les rives d'alentour ; mais Eudes, monté sur son coursier, s'ouvre un passage à travers les féroces Normands, franchit les portes qu'Ebble lui tient ouvertes, rejoint ainsi les défenseurs du fort, et par ce noble fait d'armes frappe d'étonnement tous les spectateurs. Le cruel ennemi suit par derrière et presse vivement les compagnons d'Eudes, qui s'efforcent de rentrer en toute hâte à Paris, sur les traces de leur chef. Alors Adalelme, ce même comte dont on a déjà parlé ci-dessus, et qui était à plus du deux lieues, s'avance à la rencontre des Danois. « Courage, crie-t-il aux siens, mieux vaut courir au devant de ces barbares que de souffrir qu'ils nous attaquent ici. » Ainsi dit Adalelme. La race détestée prend aussitôt la fuite, et la victoire demeure aux nôtres ; les écus résonnent, les dards volent, les champs se couvrent des cadavres des Danois que moissonne le glaive destructeur d'Adalelme; il ne leur donne aucun relâche qu'il ne les ait forcés de repasser le fleuve, et revient ensuite victorieux et triomphant.

Alors fut tué Henri,[35] souvent nommé plus haut, qui voulait assiéger les Danois dans leur propre camp. Alors aussi Sinric, un de leurs rois, s'efforçant de traverser la Seine pour rejoindre les siens, refusa deux des trois barques qui se trouvaient prêtes, et se plaça dans la troisième avec cinquante de ses compagnons; mais il fit naufrage, disparut au milieu du fleuve, et trouva la mort au fond de l'abîme liquide où lui et les siens plantèrent ainsi leurs tentes. Il avait dit qu'il dresserait son camp dans le lit de la Seine, et aux lieux où elle prend sa source, avant de se résoudre à quitter le territoire de l'empire des Francs ; et ce qu'il avait dit, Dieu voulut qu'il l'exécutât ainsi.

 

Denique cum medius Titane incenditur orbis,
Cumque sitit tellus pecorique libet magis umbra,
Silibat et gratus silvas zephyrus per amenas,
Pergama loetiferis stipantur ab hostibus urbis,
Quae passim patiebatur certamen, et unum
Bellabant muri, speculae, pontes quoque cuncti,
Pugnabat pelagus, contra tellus magis ampla.
Classica valde tonant, mensis discedere cives;
Eus, clamant litui , convivia temnite cuncti!
Urbs terrore, simul cives, invaditur omnis;
Nullus in urbe locus fuerat, qui bella lateret.
Pila falas , laceraeque tegunt nimium catapultae
Arva, velut pluviae, plumbi nec non onerosi
Poma dabant peltis gemitus et grandia saxa;
Haec nobis illi tribuebant praemia semper.
At contra lapides rapidos pariterque balistas
Direxere feris nostri, celeresque sagittas.
His aer seritur hinc inde volantibus amplum;
Non inter coelos aliud tranabat et arva.
Mars magis atque magis regnat timidusque superbit
Virgo Dei Genovefa caput defertur ad urbis,
Quo statim meritis ejus nostri superarunt;
Inde fugaverunt etiam pinnis procul illos.
Robore qui multus fuerat sed corpore parvus,
Gesserit hoc miles quinis comitatus ab armis ,
Gerboldus, nusquam cujus petiit catapultae
Sanguinei rostrum siccam sine fluminis unda.
Partibus ex aliis longe surgunt acriora
Praelia, plangores clipeique cient galeaeque
Stridores ; nostri bellant, sed fortius illi.
Defecere fatigati bello quoque dextri.
Pro dolor! alta nimis flentes lamenta trahebant.
Cana senecta gemit multum florensque juventa;
Plorabant monachi, lacrimatur clericus omnis,
Aera voce tonant, luctus sed et ethra facessit.
Hi tristes animos urbem metuendo revelant
Hoste capi; caelo laeti torquere cachinnos,
Moenia vocisonos rentes lucrare, severi.
Femineusque jubas sexus lugens lacerando,
Verrebat terras proprio de crine soluto.
Eheu! nuda suis quatiebant pectora pugnis,
Un-que-gulis facies secuerunt tristia ac ora.
Voce rogant lacrimosa omnes: Germane beate,
Auxiliare tuis, alioquin nunc moriemur!
O pie nunc succurre citus, succurre, perimus!
Germanum reboat tellus necnon fluviusque,
Littora, et omne nemus pariter circum resonabat:
O Germane sacer, nobis miserere, rogamus!
Templorum campana boant merentia, clamant,
Vocibus his et humus tremuit, flumenque remugit;
Urbs extrema verens instantis carpere lucis
Omina, lamentis lacrimans spargebat amaris.

Enfin, au moment où le soleil, parvenu au milieu de sa course, brûle l'univers de tous ses feux, où la terre est dévorée de la soif, où l'ombre plaît le plus aux troupeaux, et où un doux zéphir rafraîchit de son souffle les agréables forêts, tous les forts de Paris furent entourés d'une foule d'ennemis avides de nous apporter la mort. On combattait de tous côtés; les murs, les tours, les ponts, avaient à se défendre tous en même temps ; et l’onde livrait à la terre d'horribles batailles. Les clairons, de leur voix tonnante, avertissaient les citoyens de quitter les plaisirs de la table. « Allons, leur crient les trompettes, abandonnez tous les festins. » Une terreur générale s'empare de la ville et de ses habitants ; dans Paris, il n'est aucun lieu où la guerre n'exerce ses fureurs. Les traits et les éclats de pierre que lancent les catapultes volent contre les tours, aussi serrés que la pluie qui tombe sur les champs, et les boucliers gémissent sous les coups de balles d'un plomb pesant et d'immenses quartiers de roche. Tels sont les tristes présents que ne cessent de nous faire les Danois; mais de leur côté les nôtres dirigent contre ces cruels ennemis les balistes, les pierres rapides et les flèches légères. Tous ces instruments de mort que font voler l'un et l'autre parti remplissent au loin le vide de l'air, et on les voit flotter suspendus entre le ciel et la terre. Mars, fier et audacieux, étend de plus en plus son empire. Les reliques de Geneviève, la vierge du Seigneur, sont postées alors à l'entrée de la ville; et sur-le-champ, grâces aux mérites de cette sainte, les nôtres obtiennent l'avantage, et chassent loin d'eux à coups de traits les assiégeants. Ce succès, ce fut Gerbold, grand de courage, mais petit de taille, qui l'obtint, quoiqu'il ne fût accompagné que de cinq hommes armés; jamais, en effet, il ne déchargea contre la terre la gueule de sa catapulte sans faire couler des torrents de sang. Dans les autres parties de la cité se livrent de vifs combats; partout on entend au loin les boucliers crier et les casques craquer sous les coups; nous luttons vaillamment, mais les Danois luttent plus rudement encore. Les nôtres, épuisés par les fatigues de la bataille, perdent enfin courage. Oh douleur! tous pleurent, tous poussent de profondes lamentations; la vieillesse que l'âge a blanchi, et la jeunesse brillante des fleurs du printemps, gémissent à l'envi; les moines pleurent; il n'est pas un clerc qui ne fonde en larmes; les cris tonnent dans l'air, et les plaintes s'élèvent jusqu'à la voûte éthérée, Les nôtres, craignant que l'ennemi ne s'empare de la ville, laissent voir toute la tristesse de leur âme, tandis qu'ivres de joie et persuadés qu'ils vont se rendre maîtres de nos murs, les cruels Normands insultent au ciel par leurs rires bruyants. Les femmes sanglotent, s'arrachent les cheveux, ou balaient la terre de leur chevelure en désordre. Hélas ! elles mettent en pièces les vêtements qui couvrent leur sein, et se meurtrissent de leurs poings; dans leur affliction, elles déchirent de leurs ongles leur triste visage ; et d'une voix pleurante, toutes supplient Germain en ces termes : « Bienheureux Germain, prête ton appui à tes enfants; autrement, il nous faudra mourir aujourd'hui; ô grand saint, secours-nous sans tarder, et à présent même; secours-nous, nous périssons. » La terre répète le nom de Germain ; le fleuve, ses rivages, et tous les bois d'alentour font entendre également ces cris : « O saint Germain, aie pitié de nous, nous t'en supplions. » Les cloches des temples résonnent et font entendre de lugubres accents. La terre s'émeut à ces cris, le fleuve redit ces gémissements, et la cité, qui craint de voir le jour prochain éclairer sa ruine, se désole et répand des larmes amères.

Omnibus, en Germanus adest, recolendus in orbe,
Corpore subsidioque simul, nil vota moratus,
Quo majora tenebantur certamina Martis,
Signiferosque Danum lucrari morte coegit,
Atque dehinc alios perplures, protenus urbe,
Ponte simul pellens illos; quem maxima turris
Ante suos domnum speculans congaudet ocellos.
Unde fatigati vires revocant sibi fortes,
Atque resistere decertant bellando protervis,
Qui turrim repetunt, pontem vel menia linquunt.
Mille simul speculae stabant, omnes quia pugnae
Multo non una poterant numero prohibente.
Dilabuntur humi vario trajecta mucrone
Viscera, quo pluvie celo ratibusque feruntur.

 

Jam capiente jubar migrans sub marmora Tetis
Oceano, foribus turris submittitur altus
Valde focus; flammae praecelsa cacumina turris
Cingebant, armis pugnant ignique sinistri.
Linquitur arcs dextris, valvasque jubent aperire,
Optantes prorsus praeciosam scandere mortem
Plus, quam fallacum fidei committere semet.
Nemo stetit supra speculam, solus nisi sepe
Jam Sancti famulus dicti, lignum Crucis almae
In flammas retinens, oculis haec vidit et inquit;
Densus enim fumus nimium velaverat illam.
Tum portis igitur reseratis, aridus ense
Portu ni madido moritur Vulcanus inermis,
Subtilemque fugam petiere cadavera torvi
Multa reportantes secum, Mavorsque quievit.
Haec virtute Crucis sanctae victoria nostris
Caeditur , et meritis Germani antistitis almi,
Quem reveunt ad bassilicam Stephani quoque testis
Gaudentes populi praecelsa te reboantes
Voce: Deum te laudamus, dominumque fatemur!
Urbis erat praesul clarus, tutamen et urbis
Mesticiam alterutrim nactae sie letitiamque.

 

 

 

 

 

 

 

 

Funditus his animo versus , tamquam mare choro
Cernere, Francigenis inquit, proparate sub urbem
Sexcentis statum nostris suggestibus aptum.
Talia me coram fures ? Jussis opus addunt
Dum tamen hos trames revehit primatis ad aulam,
Sectantur, glomerant cuneos posterga nefandi ,
Committunt , superant, , cedunt, fugiunt , moriuntur,
Templa fugax coetus penetrat confinia muris
Victorum, gemini quandam mirabile narro
Ecclesiam inrumpunt, farsam de morte relinquunt;
Post et equos saltu repetunt paribusque coherent;
Sic ternis Sequanam Martisque cacumina stratis
Sexcenti copulant ex milibus, hinc remeantque;
Namque triumphantes fratrum promsit geminorum
Fama fuisse Teoderici procerum ast Aledramni.

 

 

 

 

 

 

 

En princeps de quo canitur, circumdatus armis
Omnigenis, caelum veluti splendoribus astreis,
Induperator adest Karolus, comitatus opimo
Diversi populo labii, tentoria figens
Sub Martis pedibus montis, speculamque secundum.
Redditur ecclesiaeque diu pastor viduatae
Nobilis egregiusque sacrae pompatus honore
Totius Anschericus virtutis germine clarus;
Annuiturque feris licitum Senones adeundi,
Septies argenti libris causa redeundi
Martis mense datis centum sua ad impia regna.
Tunc glaciabantur torpentis saecla Novembris,
Sic Karolus rediit, moriturus fine propinquo.

 

Mais voilà que tout-à-coup Germain, digne de la vénération de tout l'univers, se rend, sans tarder, à nos vœux, vole en personne à notre secours, se porte aux lieux où Mars livre les plus grands combats, et contraint les porte-enseignes des Danois à servir de pâture à la mort. Il chasse ensuite la foule des assiégeants loin de la ville et du pont tout ensemble ; la grande tour se réjouit en voyant son seigneur, évêque devant ses portes; nos braves, fatigués, reprennent alors leurs forces et rivalisent à qui résistera les armes à la main aux cruels ennemis qui abandonnent les remparts et le pont et reviennent vers la tour; mille d'entre eux l'assiègent, et leur grand nombre empêche seul que tous puissent à la fois prendre part à l'attaque; mais leurs entrailles, transpercées par une foule de glaives, tombent sur la terre comme la pluie tombe du ciel, et leurs compagnons les reportent expirants sur leurs vaisseaux.

Déjà l'océan recevait dans son sein le soleil qui descendait vers le palais de marbre de Thétis; alors, par les mains des Danois, un violent incendie s’allume au pied des portes de la tour; bientôt les flammes ceignent le faîte élevé de la forteresse, et l'ennemi nous combat en même temps par le fer et le feu. Les nôtres abandonnent la citadelle, et ordonnent d'en ouvrir toutes les portes, aimant mieux affronter une mort glorieuse que de s'en remettre à la foi des perfides Normands. Personne ne resta sur la tour, à l'exception d'un seul religieux du saint dont nous avons parlé si souvent : cet homme, tenant au dessus des flammes le bois de la céleste croix, a vu de ses yeux et raconté les merveilles qu'on va rapporter, mais que cachait aux autres l'épaisse fumée qui enveloppait le signe de la rédemption. Quoique les portes fussent ouvertes, le feu, sans défense contre la croix, mourut tout-â-coup sans qu'on l'étouffât par l'épée, ni qu'on l'éteignît avec le secours de l'onde; les barbares prirent promptement la fuite; ces cruels traînèrent avec eux les cadavres de beaucoup des leurs, et Mars suspendit sur ce point ses fureurs. Cette victoire, les nôtres la durent à la vertu de la sainte croix et aux mérites de l'auguste évêque Germain, dont les reliques furent rapportées à la basilique du martyr Etienne, par le peuple plein de joie et chantant à haute voix : « Nous te louons, grand Dieu, et nous te reconnaissons pour le Seigneur. » Ce saint, autrefois illustre évêque de Paris, est aujourd'hui la sauvegarde de cette cité, qui passe ainsi alternativement de la tristesse à la joie.

L'âme agitée par sa colère contre les Danois, aussi profondément que l'est la mer par le vent d'ouest, le roi Charles dit à six cents Francs : « Hâtez-vous de vous rendre vers cette ville, lieu qui convient à nôtre séjour. Ces brigands oseront-ils donc commettre de tels méfaits sous mes yeux? » Sur-le-champ les Francs obéissent à ces ordres. Tandis qu'ils suivent le chemin qui mène à l'église du saint prélat, les infidèles marchent sur leurs traces, rassemblent des troupes derrière eux, et les attaquent; mais les nôtres les battent; les Normands fuient et meurent.[36] La foulé des fuyards cherche un asile dans des temples qui avoisinent les murs. Tout-à-coup deux de nos guerriers (je raconte un fait merveilleux) se précipitent dans une de ces églises, ne la quittent qu'après l'avoir remplie de morts, reprennent ensuite leurs chevaux, sautent dessus et vont se réunir à leurs compagnons. C'est ainsi que six cents des nôtres couvrirent de trois mille cadavres ennemis l'espace situé entre la Seine et Montmartre, et revinrent sains et saufs. La gloire de ce succès fut décernée par la renommée aux frères Théodoric et Aledramne, deux des grands du royaume.

Alors le prince que nous chantons, l'empereur Charles, arrive entouré de guerriers de toutes les nations, aussi brillants que les astres dont resplendit le ciel, et suivis d'une foule immense de peuples parlant diverses langues. Il fixe ses tentes aux pieds de Montmartre et près de la tour. Son premier soin est de donner pour pasteur à l'église de Paris, veuve depuis si longtemps de son évêque, le noble et illustre Anschéric, qui a su se distinguer et se faire honorer par la possession de toutes les saintes vertus. Ce monarque veut bien consentir ensuite que les barbares se retirent dans le pays de Sens et reçoivent sept cents livres d'argent, à la condition de retourner dans leur sauvage empire, au mois de mars; car à cette époque novembre tenait la terre engloutie sous les glaces. Ces choses réglées, Charles, qui bientôt devait mourir, s'en retourna.

 

Nomina, tunc ensem quorum perpessa fuisti,
Nec vocitare prius, pigra o Burgundia bello,
Nustria praecluibus thalamum nisi comeret altis
Jam tibi consilio facilis, verum modo jam scis
Inde revertentes prato sua castra reponunt.
Jam dicto, templum Sancti velut ante colentes.
Quattuor hic dominusque mei. Germanus in usum
Contractos nimium membris priscum revocavit,
Motibus atque suis admoverat organa fibris,
Subducto genibus dudum pedibusque parato
Jure suo; extinctisque fenestris unius orbi
Restituit radios solis spectare micantes.  

 

Beisino huc adiens inter saevos comitatu
Laesa nihil quodam, meritis sed tuta Beati
Femina, post quaedam meruit lumen quoque caeca,
Cujus ad accubitat puteus vestigia, cujus
Qui potabit aquas, extemplo , febre laborans,
Auxilio Sancti fidens capiet medicinam.
His panem cupiens quaedam componere, jussit
Vi sibi scotta Danum deferri namque sacerdos
Templa tuens, puteum vendebat egris praecio amplo
Depositus flammae panis, mox ipse figuram
Sanguinis accepit rubeam; post altera forte
Scitur vi conans latices, hausisse cruorem.

Quis tanti peragrare potest miracula sancti?
Ora mihi si mille aderant, totidem quoque linguae
Vocibus explentes aer caelumque boatu,
Gesta mei narrare patris numerumve nequissem.
Hic Germanus, hic est, qui passus adhuc renitere
Haud mundo cunctis nimiumque stupenda peregit,
Fundere signa prius didicit genetricis in alvo,
Anteque virtutem celsam quam cernere lucem.
Talia quis, lector, sanctorum gesserit umquam?
Caedo , sacer forsan, sodes , babtista Johannes;
Ergo meus similis Germanus huic habeatur.
Iste cadaveribus ternis vitam revocavit,
Restituens lapsis proprias sedes animabus.

 

Dis maintenant, ô Bourgogne, les noms de ces barbares dont tu as souffert les coups; jusques là, peu accoutumée à la guerre, tu ne les connaissais pas, à moins que la Neustrie, unissant à tes fils quelques-unes de ses nobles filles, ne t'entretînt de leurs fureurs; mais à présent tu sais ce que sont les Normands.[37]

En quittant la Bourgogne, les Normands revinrent[38] dans le pré, si souvent cité, de Germain, y dressèrent leur camp et respectèrent comme auparavant le temple du saint. Vers ce temps, ce Germain, mon seigneur, rendit à quatre malheureux l'ancien usage de leurs membres raccourcis et retirés d'une manière effroyable, restitua le mouvement à leurs organes et à leurs fibres, voulut que leurs genoux et leurs pieds se redressassent et reprissent leu: état naturel qu'ils avaient perdu depuis longtemps, et redonna aux yeux éteints de l'un d'eux la faculté de revoir les rayons du soleil répandant leurs feux sur l'univers.

Du fond du comté de Bessin, et à travers l'armée des barbares, vint, quelque temps après, au même temple, une femme également aveugle; mais, grâces au mérite du bienheureux, elle arriva sans qu'il lui eût été fait aucun mal et recouvra la vue. Auprès des pieds du saint est un puits dont les eaux offrent un prompt et sûr remède contre la douleur de la fièvre, à quiconque les boit avec une foi entière en son secours. Une Normande, voulant faire du pain pour les siens, ordonne qu'on lui apporte par force, et à titre de tribut, l'eau de ce puits que le prêtre, gardien du temple, vendait fort cher aux malades, mais à peine le pain est-il mis au feu, qu'il prend la couleur rouge du sang. Peu après, une autre Danoise, c'est un fait connu, voulant avoir de force de cette eau, ne puisa que du sang.

Qui pourrait, au surplus, raconter tous les miracles d'un si grand saint? Quand j'aurais mille bouches et autant de langues, quand elles rempliraient l'air et feraient retentir le ciel de leurs paroles, je serais hors d'état de rapporter les faits merveilleux du saint qui, me sert de père, et d'en dire même le nombre. Ce saint est Germain ; s'il ne lui a pas été permis de briller plus longtemps sur la terre, il y a fait du moins des miracles, dont les hommes ne peuvent trop s'étonner. Dès le sein de sa mère, et avant même de voir la lumière, il lui fut donné d'opérer des prodiges et de pratiquer la plus haute vertu. Lecteur, lequel de tous les saints a jamais produit de si grandes choses? Il n'y a peut-être que saint Jean-Baptiste; j'y consens, si vous le voulez; mais alors qu'on vous tienne donc, mon patron Germain, pour l'égal de ce saint fameux; car lui aussi a rappelé trois morts à la vie et a rétabli leurs âmes dans les demeures corporelles qu'elles avaient déjà quittées.

Urbs age Parisius sub quis defensa fuisti
Principibus? « Me quis poterat defendere, primas
Hic nisi Germanus, virtus et amor meus omnis?
Post regem regum sanctamque ejus genetricem
Rex meus ipse fuit, pastorque, comes quoque fortis;
Hic ensis bisacutus adest meus, hic catapulta,
Is clipeusque, patens murus, velox sed et arcus. »
His quia sat silvae resonant, filomela quiescat.

 

 

Plectra revolvamus vocis post terga stuporum
Foedere quo fragili fuerant infecta loquamur,
Agmina Normannum Francis e finibus antra
Ad sua nolentum descendere, sed Sequanina
Immo fluenta cupiscentum, tua rursus adire,
Quae argentum sibimet retinendo novalia monstrent,
O Burgundia non ; simulata cupido latebat;
Quod sequitur cordi affuerat, sed hoc tamen ori.
Concipiunt igitur Thetis nitendo quadrigas
Munere clam gratum pontes transcendere justo.
Ilicet Anscherici defertur episcopi ad escas;
Ast Ebali ferclis inerant Titane secante
Lucifluam cernente poli gnomone figuram
Multiplici remo contundere pocula limfae
Scandere gentiles undas conclamat eoas
Parisius; surgit securus uterque ciborum,
Arma ciunt, ripasque legunt, pinnasque facessunt.
Hic Ebalus raptat cordam vibratque sagittam;
Quam nauclerus in ascellam per navis iatum
Praevius accepit, modicum terebroque foratum.
Sic auriga necis casus pelagique faselus
Quin patitur; restant igitur caeduntque sub arcem.
Acephali ; quoniam Christum perdunt, caput ipsum.

 

 

 

 

 

 

At vero veniam deposcunt, obsidibusque
Jusjuranda parant, aliud non tangere litus
Ni Sequanae, gressumque referre cito, velut ante;
Nam nobis dederant tranquillum Matrona flumen
Quidquid alit, solito securum quod vocitamus.
Hoc nostris violare Danos ingens erat horror,
Unde forum foedus pariter commune fiebat,
Una domus, panis, potus, sedes, via, lectus,
Commixtum sibimet populum mirantur utrumque,
Quod pactum Senones primum statuere migrando
Hactenus et servaverunt, quoad usque secundo
Menibus invitis superos latices adipisci
Fas meruere dato barcas per flumina raptant.
Eheu! catholicos secum per littora vitae
Bisdenos siquidem aut necibus lorisve plicarunt.
Mox adhibent propriis vitam sine mandere castris
Vallatam geminis mortem sine tegmine prunas ,
Quae nostri praecibus sperarunt tuta tenere
Securum frangunt, Senones tempnunt, Matronamque
Aequoreo curru sulcant. Mandatur et urbi.
Guttura millenis crepitant; planctu quoque, bombis ;
Pax communis abit, foedus pessumdatur omne.
Continuo cuncti torvos disquirere cives
Urbe, foro, currunt, aliqui si forte paterent.
Euax , inveniunt quingen, plagisque trucidant.
His miscuit praestans Ebolus Mavortius abba,
Ni cupidus nimium, lascivus, et omnibus aptus;
Nam pulchre nituit studiis, quae gramma ministra
Foederis antistes causa permisit abire
Anschericus tentos, potius concidere debens.
Inde feri Meldis feriunt, urbem quoque vallant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Interea Karolus, regno vita quoque nudus,
Viscera Opis divae conplectitur abdita tristis,
Laetus Odo regis nomen regni quoque numen ,
Francorum populo gratante faventeque multo
Ilicet, atque manus sceptrum, diademaque vertex.
Francia laetatur, quamvis is Nustricus esset,
Nam nullum similem sibimet genitum reperire
Nec quia dux illi Burgundia defuit, ejus
Nustria ad insignis nati concurrit honorem.
Sic uno ternum congaudet ovamine regnum.
Praeterea astutos petiit praeceps Aquitanos;
Mox sibi subjectis, Francorum regna revisit,
Moenia Meldis adhuc Danis stipantibus urbis,
Cui praesul fuerat residens in ea Segemundus,
Praesulis Anscherici Tetbertus, belliger heros,
Germanus, consul. Minime Delius neque Febe
Apportabat ei spatium , juge sed sibi bellum
Undique constat, eisque tamen per multa resistit.
Perdidit innumeros, quotiens ex agmine saevo
Exiliens, citra muros pessumdare tetros.
Flamina quot tulerat telis, orare nequibo.
Pro dolor! armipotens inter mortalia defit
Arma ruens, nunquam sibi principe subveniente,
Exitiumque polis posthac cum praesule capto
Passa luit ; regi hinc felix micat omen Odoni!

 

Dis, cité de Paris, quels sont les héros qui t'ont défendue ? « Eh ! qui aurait pu me sauver, répond cette ville, si ce n'est l'évêque Germain, qui fait toute ma force et est l'objet de tout mon amour ? Après le Roi des rois et la sainte mère de Dieu, c'est lui qui fut mon véritable roi, mon pasteur et mon valeureux comte ; lui seul est encore mon glaive à deux tranchants, ma catapulte, mon bouclier, mon large rempart et mon arc rapide. Les peuples chantent ses miracles; c'est assez. Que la faible voix de Philomèle ne s'épuise pas à les célébrée. »

Cessons donc de dépeindre dans nos chants la série des œuvres admirables de ce saint. Disons comment les bataillons normands, peu retenus par un traité fragile, ne voulurent pas quitter les frontières de France, pour se retirer dans leurs antres. Ils avaient envie, ô Bourgogne, de remonter de nouveau, tout en retenant l'argent qu'on leur avait donné, le cours de la Seine dans ta contrée, où ne sont point de terres stériles. Mais ce désir, ils le dissimulaient et le tenaient caché. Ce qu'ils firent ensuite demeurait enseveli dans leur cœur, et ce qu'ils annonçaient n'était que dans leur bouche.[39] Ils pensèrent donc qu'il leur serait facile de traverser les ponts secrètement, en mettant leurs barques en mouvement. La nouvelle en est bientôt apportée à l'évêque Anscheric, au milieu de son repas. Une foule de guerriers étaient assis à la table au moment où l'aiguille du cadran regardait la voûte du ciel que le soleil partageait en deux parts égales et inondait de flots de lumière; tout-à-coup Paris s'écrie que les Gentils fendent les ondes de la Seine avec leurs rames et remontent les flots vers l'orient. Ebble et Anscheric, dédaignant les plaisirs de la table, se lèvent, crient aux armes, se portent sur la rive et font pleuvoir les traits. Ebble tire la corde de son arc; la flèche part; le pilote du bâtiment qui marche le premier reçoit le coup dans l'aisselle, à travers un petit trou, percé dans la barque par une tare. Le conducteur de la flotte périt, et est ainsi englouti dans les flots. Ainsi les Normands, véritables acéphales, puisqu'ils s'arment contre le Christ, vrai chef de ce monde, perdent leur chef, et s'arrêtent sous les murs de la citadelle.

Alors ils demandent grâce, et s'obligent, sous la foi du serment, et en donnant des otages, à ne toucher aucun autre rivage que celui de la Seine, et à se retirer promptement, comme ils devaient le faire avant. Ils étaient convenus, en effet, de nous laisser tout le terrain que baigne le fleuve tranquille de la Marne, que nous appelons communément notre barrière. Les nôtres tremblaient que les Danois ne la violassent; mais, par suite de ce traité, amis et ennemis se réunirent sur une place qui leur était commune à tous; ils avaient les mêmes maisons, un seul pain et une seule boisson, s'arrêtaient dans les mêmes lieux, suivaient les mêmes routes et partageaient les mêmes lits; voir ainsi les deux peuples mêlés ensemble, c'était pour tous un sujet d'étonnement. Ce traité, les Danois l'exécutèrent d'abord en se rendant chez les Sénonais, et ils s'y montrèrent fidèles jusqu'au moment où leurs barques, emportées par les flots et secondées par un vent favorable, eurent eu le bonheur d'atteindre, en dépit de nos murailles, les eaux supérieures de la Seine. Hélas! ils emmenèrent avec eux, le long des rives, vingt Catholiques, et leur arrachèrent la vie, soit en les massacrant, soit en les faisant périr sous les courroies.[40] Après en avoir tenu deux autres dans leur propre camp, privés de toute nourriture, ils les entourèrent de charbons ardents, et leur firent souffrir ainsi une mort dont les nôtres avaient espéré se garantir à force de prières.[41] Bientôt les barbares franchirent les barrières fixées, se rirent des habitants de Sens, et sillonnèrent avec leurs navires les flots de la Marne. La nouvelle en est envoyée a Paris. Mille cris et mille gémissements sortent de toutes les bouches. Toute paix cesse, tout traité est rompu entre les Normands et nous. Sur-le-champ les citoyens parcourent à l'envi la ville et la place publique, et cherchent s'ils n'y verront pas paraître quelques-uns de ces barbares. Heureusement on en découvrit cinquante, qu'on accabla de blessures. Celui qui se fit surtout remarquer contre eux fut l'abbé Ebble, fameux guerrier, distingué par ses connaissances dans les lettres, et propre à tout, s'il n'eût été trop avide de richesses, et trop abandonné aux plaisirs de la volupté. Quant à l'évêque Anscheric, au lieu de faire tuer, comme il l'aurait dû, ceux qu'on avait pris, il leur permit de s'en aller, par respect pour le traité. Les ennemis tombèrent ensuite sur les gens de Meaux, et cernèrent leur ville.

Cependant Charles, ayant cessé de régner et de vivre, était tristement descendu dans les entrailles profondes de la riche terre.[42] Eudes reçut alors avec joie, par le consentement et la faveur du peuple franc, le titre et la dignité de roi, le sceptre et le diadème. La France s'en réjouit, quoiqu’Eudes fût Neustrien ; elle ne pouvait trouver en effet aucun de ses propres enfants semblable à ce prince. La Bourgogne, quoiqu'un duc ne lui manquât point, ne refusa pas de reconnaître cet illustre fils de la Neustrie, et Eudes eut ainsi l'honneur de réunir sur sa tête triomphante une triple couronne. Il se rendit en outre en toute hâte chez les astucieux Aquitains, les soumit promptement à son pouvoir, et regagna le royaume des Francs. Les Normands étaient alors campés sous les murs de la ville de Meaux. Cette cité avait pour évêque Segemond, et pour comte Teutbert, vaillant guerrier, frère du prélat Anscheric. Ni le jour, ni la nuit ne laissaient de repos à ce héros, les armées ennemies l'attaquaient sans cesse et de tous côtés; cependant il leur résista, longtemps et courageusement. Toutes les fois qu'il sortait des murailles pour fondre sur les féroces Danois, il faisait éprouver à leur troupe cruelle des pertes innombrables, et je ne pourrais dire combien da porte-drapeaux tombèrent sous ses traits. Mais ô douleur! ce brave guerrier, n'étant pas secouru par son prince, succomba un jour qu'il se précipitait au milieu des armes meurtrières des Normands, et la ville souffrit alors toutes les horreurs de la destruction, et vit son évêque réduit en captivité. Ce fut sous ces tristes auspices que commença le règne d'Eudes.

Denique Luteciae revolant ad culmina tutae.
Convocat huc omnes proprios per regna morantes,
En, sine jam numero numerum praestans Odo nectit.
Francigeni approperant alta cum fronte superbi;
Calliditate venis acieque, Aquitania, linguae,
Concilioque fugae Brugun adiere diones.
Sessio fit non longa satis frustrata triumpho.

 

Nescio quis socios lusit Danosque cecidit
Non paucos, modico quamvis, ut fama , popello,
Quo ventus veniens, Ademarus nomine dictus.
Sclademarusque dehinc binos jugulis dedit, isque
Deditus est idem primus; primum duit umbris
Luteciae torvum, postquam primo patuere.
Principium gladii tenuit finemque recepit,
Hoc super infidos, illum corpus super ejus
Rotberti fuerat pugnax comitis Sclademarus.
Dispulerat galeas terror propriumque sub urbem
Lunatas stadiis libitum peltas trecentis.

 

Praeterea quadringentis a mille remotis
Acefalos prostravit humi peditum comitatus
Agmine tercentum pastor, certamine acerbo
Nobilis Anscherichus, pollens ex Virginis ore;
Sic alacres spolium revehunt ad moenia multum
Urbani, praestante Deo qui regnat ab alto.

 

Expediamus abhinc dignos Odone triumphos.
Falconem vocitant equitum quo millia vicit
Dena novemque dehinc Montem peditumque profana.
Hoc illi vicibus peperit natale tropheum
Lux praecursoris Domini catecasta Johannis.
Quippe latus utrimque viris comptus clipeatis
Mille, legebat iter, quando tyronis ab ore
Venantis canibus lepores nemorosa per arva
Panditur adventare aequites per millia sevos.
Id scutumque simul recipit, colloque pependit;
Armaque cum sociis stringit, penetrans inopina
Praelia. Solamen celeste petit, rapit atque
Viscera, deponunt alii clipeos, animasque;
Terga parant reliqui regalibus in quibus armis
Ex pueris libuit ternis requiescere Odonis.
Tunc dixit propriis: « Istos fortasse secuntur
Ast alii, idcirco pariter statum glomerate;
Si fuerit verbum super hoc, ne differat ullus! »
Adjecit: « Subeam tumulum specularier ipse;
Si vos perculerit clangor, nullum mora vincat! »
Cornu suum poscens, scopulum scandens, videt ecce
Armisonos lento pedites incedere gressu;
Tunc tuba cujus ab ore boans, mox omnia late
Excitat, anfractusque per astra per arva volabant,
Omnibus atque modis solido fractoque ciebat.
Omne nemus responsa dabat voci famulando,
It tuba cum celeri bombo per cuncta elementa.
Nil mirum, quoniam regale caput tonat, inquam.
Ergo sui infrenant currus , saltu quoque scandunt,
Allofilum in medium migrant, unusque securis
Vibratu pepulit, conum de vertice regis
In humeros lapsum; Domini verum quia christum
Tundere praesumpsit, ventum de pectore jecit
Hospite continuo jaculator principis ense.
Pugna adolet, ponunt animas cum sanguine gurdi;
Infames traxere fugam, primasque tropheum
Milia tot Foebo stravit spectante sub uno
Perpete tum gladio, donec a finibus illos
Francorum sequitur , prohibet. Verum nihil illud
Ad suimet requiem juvit, quia mox Aquitanos
Linquere se, numenque sui postponere, novit.

 

 

Appetit ergo furens illos, vastans populansque
Arva modo vulgus ; quamvis concludere nisus
Urbes adversus, minimum tamen aucta facultas.
Forte sed insurrexit eis, spreto aetheris arce
Sole sub undivaga posito testudine ponti,
Consul Ademarus, regi copulatus eidem
Progenie, cujus memini. Proserpina dudum
Huic cessit, cuneos dum profligavit Odonis;
Umbra fugat stellas, Ademarus ab agmine vitas;
Dormit Odo, consanguineus sua proterit arma.
Astra micant, primas vigilat, sed et avolat ipsa
Regia mox consanguinitas de sanguine laeta.
Talia cur siquidem recinam cum gesserit olim
Nam libuit regi dare propugnacula fratri
Rotberto Pictavis, Ademaro tamen haud sic
Nempe sibi cepit , plus se quia diligit illo.

 

Enfin les Danois volent de nouveau vers les murs élevés et sûrs de Lutèce. Alors Eudes y appelle tous les guerriers qui lui sont soumis et habitent ses États; ce grand prince en réunit un nombre qu'on ne saurait compter. Les Francs superbes accourent, la tête haute; tu te présentes aussi, Aquitain, renommé par ta finesse et les traits acérés de ta langue; les Bourguignons viennent également, mais avec le projet de fuir; et cette réunion, qui dura trop peu, ne remporta point de triomphes.

Je ne sais comment un guerrier aquitain, nommé Adhémar, trompa ceux de sa nation, et suivi, dit-on, d'un petit nombre d'hommes, mit à mort un grand nombre de Danois. Ensuite Scladémar s'élança au milieu du combat ; le premier, il égorgea deux Normands et les envoya dans le séjour des ombres. Du moment où les barbares se montrèrent sous les murs de Lutèce, Scladémar, qui avait été le compagnon du comte Robert,[43] fut le premier à prendre l'épée, et l'épée causa aussi sa fin : d'abord, il en frappa les infidèles, et en fut frappé à son tour. La terreur de son nom dispersait les Normands, et il leur était arrivé de fuir jusqu'à trois cents stades de la ville, jetant aux pieds des remparts et sur les chemins leurs casques et leurs boucliers.

De son côté, accompagné seulement de trois cents hommes de pied, mais fortifié par la faveur de la Vierge, l'évêque Anscheric fît mordre la poussière, dans un combat sanglant, à six cents des impies Danois. Ce fut ainsi qu'avec l'appui de Dieu, qui règne au haut du ciel, les citoyens, pleins de joie, rapportèrent dans leurs murs un immense butin.

Racontons maintenant les nobles triomphes d'Eudes. On appelle Montfaucon[44] le lieu où ce prince battit d'abord dix mille cavaliers et ensuite neuf mille fantassins des profanes Normands. Ce fut le propre jour anniversaire de la Nativité de Jean, le précurseur du Sauveur, qui lui valut ce double triomphe. N'ayant pour toute suite que mille hommes armés de boucliers, ce roi suivait son chemin ; tout-à-coup un chasseur, qui poursuivait avec ses chiens les lièvres des forêts, lui apprend que des cavaliers barbares s'approchent par milliers. Eudes saisit son bouclier, et le suspend à son col; prévoyant que des combats inattendus le menacent, il revêt ses armes, et ses compagnons en font de même, à son exemple. Après avoir imploré les secours du ciel, le héros fond sur les ennemis ; les uns perdent et leurs boucliers et la vie, les autres prennent la fuite devant trois jeunes gens qui se sont revêtus des armes royales d'Eudes. Ce prince dit alors aux siens : « Ceux que nous avons vaincus sont peut-être suivis par d'autres ; ainsi donc, tenez toujours vos rangs serrés. Au premier mot que vous entendrez de moi, ajouta-t-il, que chacun de vous soit prêt ; je vais aller moi-même à la découverte sur cette montagne, et si le son de la trompette vient frapper votre oreille, que nul de vous ne cède à la paresse. » Il dit, demande son cor, et monte sur un rocher. Tout-à-coup il voit des fantassins couverts de leurs armes s'avancer à pas lents. Aussitôt les cris retentissants de son cor portent partout au loin l'épouvante; les sons de cet instrument recourbé volent dans la plaine et s'élèvent jusqu'aux deux; il fait entendre sur tous les tons des accents tantôt continus, tantôt brisés. Docile à la voix de son maître, toute la forêt lui répond ; le bruit rapide du cor remplit l'air tout entier, et il ne faut pas s'en étonner, puisque c'est, dis-je, une voix royale qui tonne. Les gens d'Eudes sautent sur-le-champ sur leurs coursiers, et se précipitent au milieu des étrangers. L'un de ceux-ci fait vibrer sa hache au dessus de sa tête, et en décharge un coup sur le casque et les épaules du roi, mais ce malheureux, qui a osé frapper l'oint du Seigneur, reçoit dans son corps l'épée toute entière du prince, et son âme s'exhale de son sein. Le combat devient à chaque instant plus acharné; de ces barbares infâmes, les uns perdent leur sang et leur vie, les autres prennent la fuite; notre monarque triomphe; l'espace d'un seul jour lui suffit pour étendre sur la poussière tant de milliers de Danois, et son glaive ne cesse de les poursuivre jusqu'à ce qu'il les ait contraints à s'éloigner des frontières de France. Cette victoire cependant ne lui procure aucun repos, car bientôt il apprend que les Aquitains se séparent de lui[45] et méconnaissent son pouvoir.

Furieux, il marche contre eux en toute hâte, et dévaste leurs terres, ne frappant que le menu peuple sur son passage; il s'efforce de bloquer les villes qui lui sont opposées, mais ne peut y réussir. Bien plus, au moment où le soleil, quittant la voûte du ciel, se plonge dans les antres humides et mobiles de l'océan, Adhémar, ce chef dont j'ai déjà parlé, quoiqu’uni au roi Eudes par les liens du sang, lève contre lui l'étendard de la révolte. Il semblait que Proserpine fût à ses ordres, tant il mit en fuite les troupes d'Eudes. Pendant que l'ombre de la nuit cache la lumière du jour, Adhémar porte la mort dans les bataillons d'Eudes; celui-ci dort alors, et son infidèle parent extermine ses guerriers. Dès que le soleil brille, le monarque s'éveille, mais alors disparaît, gorgé de sang, celui dans les veines duquel coule le sang royal. Au surplus, je vais dire comment il avait déjà fait de telles choses. C'était lui en effet qui n'avait pas voulu souffrir que le roi donnât la ville de Poitiers à son frère Robert, et qui, s'aimant plus qu'il n'aimait son prince, s'était emparé pour lui-même de cette contrée.

 

Inde Limovicas adiens Arvernicaque arva,
Praevalidas Wilelmi acies secum videt hostis,
Ni congressuras fluvius medio prohiberet.
Perdidit ergo suos illic Wilelmus honores,
Ugoni, regnante datos, qui Bituricensis
Princeps extiterat consul; quare fuit actum
Hos inter geminos comites immane duellum.
Mille super centum defleverat inclitus archos
Claromontinsis Wilelmus Ugone negatos ;
Iste minus numero secum majore remotum.
Hic Ugo dum tandem capitur mucrone Wilelmi,
Supplicat, ut pietas ejus succurreret illi.
Olli tam sero per verba measse respondit,
Ocius et dicto trans pectora lancea transit.
Ugonis intererant cuneis Rotgarius atque
Valde viri Stefanus fortes, perplura Wilelmi
Loeta suis dantes, alter comes Ugoniusque
Ipse nepos , alter miles Stefanus nimis audax.
Proh dolor! Ugo necem flesti, Wilelme tropheum.

 

Nuncius interea regalem concutit aurem,
Gallia quod mentita sibi sit, portat in ore,
Gnati pressa jugo Karoli collum Lodovici,
Qui vocitatus ut a caelo praenomine Balbus.
Inde movens , callem, Germanica quis sibi regna
Naviter acciperet, temere disquirere vadit.
Clarus Odo castella petit, vincitque duelles ,
Hincce fugat Karolum facie cunctosque sequaces,
Delius ut pellit tenebras, ut Lucina athomos;
Admittit humiles dudum cervice superbos.
Sermo quis effari poterit, quotiens fuga celsi
Arnulfi induperatoris genitum tulit ense
Odonis Cendebaldum post terga tonante?
Subsidium Karoli, virtus, spes, hic in Odonem;
Cujus ad obtutus audacia non tamen umquam
Applicuit; verum nihil id requiei fuit illi.

 

 

En iterum misero gemitu loquor affore sevos
Allofilos. Terram vastant, populosque trucidant,
Circumeunt urbes pedibus, regnantis et aedes,
Ruricolas prendunt, nexant, et trans mare mittunt.
Rex audit, nec curat, Odo; per verba respondit.
O quam responsi facinus non ore dedisti
Tale tuo. Demon certe proprium tibi favit;
Non tua mens procurat oves Christo tibi missas?
Longius ille tuum forsan nec curet honorem.
Haec ubi fata receperunt probitate neglecti ,
Exultant hilares, barcas agitantque per omnes
Gallia quis amnes fruitur, terram pelagusque
In ditione tenent, totum tutore ferente!

 

 

Francia cur latitas vires, narra, peto, priscas.
Te majora triumphasti quibus atque jugasti
Regna tibi? Propter vitium triplexque piaclum.
Quippe supercilium Veneris quoque feda venustas ,
Ac vestis preciosae elatio te tibi tollunt!
Afrodite adeo , saltem quo arcere parentes
Haud valeas lecto, monachas Domino neque sacras;
Vel quid naturam, siquidem tibi sat mulieres,
Despicis, occurrant? Agitamus fasque nefasque.
Aurea sublimem mordet tibi fibula vestem;
Efficis et calidam tyria carnem preciosa.
Non praeter clamidem auratam cupis indusiari
Tegmine, decusata tuos gemmis nisi zona
Nulla fovet lumbos, aurique pedes nisi virgae;
Non habitus humilis, non te valet abdere vestis.
Haec facis; haec aliae faciunt gentes ita nullae;
Haec tria ni linquas, vires regnumque paternum
Omne scelus super his Christi, cujus quoque vates,
Nasci testantur bibli: fuge, Francia ab istis!

 

Psallere non tedet ; defit tamen actus Odonis,
Nobilis is quanquam mulcet superas adhuc auras.

 

Flagito, quo positor possim per amena polorum
Hoste canas, lector, gratarier atria victo.

 

Eudes se rendit ensuite à Limoges et dans les campagnes de l'Auvergne; là il trouva Wilhelm, son ennemi,[46] à la tête d'une armée formidable, prêt à l'attaquer, si le fleuve qui coulait entre les deux camps n'eût empêché le combat. Le roi dépouilla donc Wilhelm de tous ses honneurs et les donna a Hugues, alors prince et gouverneur de Bourges, ce qui fit éclater une cruelle guerre entre ces deux comtes. Le fameux Wilhelm, qui commandait à Clermont, eut en effet à regretter la perte de onze cents hommes que Hugues avait tués; celui-ci, à son tour, perdit dans Un combat cent des siens ; et pris lui-même par le glaive de Wilhelm, il le supplia de lui accorder quelque pitié; mais celui-ci répondit que c'était trop tard recourir à la prière, et, plus prompt que la parole, passa sa lance à travers le corps de son rival. Cependant, parmi les hommes de Hugues, étaient deux vaillants guerriers, l'un Rotgaire, comte et neveu de Hugues, l'autre Etienne, soldat plein d'audace. Tous deux tuèrent à Wilhelm beaucoup de ses gens; ainsi donc, ô malheur! vous avez eu, toi, Hugues, à pleurer ta mort, et toi, Wilhelm, à déplorer ta victoire.

Cependant un messager vint alors frapper l'oreille du roi de la triste nouvelle que la Gaule, trahissant ses serments envers lui, tendait le cou au joug de Charles, fils de Louis, à qui le ciel imposa, pour ainsi dire, le surnom de Bègue.[47] Eudes se met en marche sur-le-champ et court cherche! celui qui pousse la témérité jusqu'à vouloir s'emparer de ses États de Germanie. Le héros s'empare des places fortes et terrasse les rebelles, par sa seule présence, il met en fuite Charles et tous ceux qui suivent ses bannières, comme le dieu de Délos chasse les ténèbres, ou comme la lumière dissipe les atomes, et il renvoie humiliés ceux qui déjà levaient contre lui la tête avec insolence. Quel discours suffirait à dire combien de fois le monarque poursuivit de son épée tonnante et contraignit à la fuite le fils du puissant empereur Arnoul, Gendebald,[48] en qui Charles avait mis son appui, sa force et son espérance contre Eudes, dont lui-même n'eut jamais le courage de soutenir les regards? Après ce triomphe, au surplus, il ne fut pas permis au vainqueur dégoûter le repos.

Me voilà en effet réduit de nouveau à raconter avec de tristes gémissements le retour des féroces Gentils étrangers. Ils dévastent les campagnes, égorgent les peuples, parcourent les villes et les palais du roi, enlèvent les laboureurs, les chargent de fers et les envoient au-delà des mers. Eudes l'apprend, ne s'en met point en peine, et n'oppose à de tels forfaits que de vaines paroles.[49] Plût à Dieu que ta bouche, Eudes, ne se fût jamais souillée de paroles si criminelles! Ce fut sans doute le démon lui-même qui te les inspira. Eh quoi! ton esprit néglige de veiller sur les brebis que t'a confiées le Christ, et tu dédaignes même de prendre plus longtemps soin de ton propre honneur! Aussitôt que les barbares, qu'aucune probité ne saurait retenir, connurent tes paroles, ils s'abandonnèrent aux transports de la joie, couvrirent de leurs barques tous les fleuves qui arrosent la Gaule, tinrent sous leur joug la terre et l’onde; et toi, le gardien de la France, tu souffris tous ces excès!

France, dis, je t'en conjure, que sont donc devenues ces forces avec lesquelles tu as jadis triomphé de dangers plus grands, et ajoute des royaumes à ton empire. Le vice et un triple péché te tiennent engourdie. Tu te laisses emporter à l'orgueil, à un honteux amour pour les plaisirs de Vénus, et à un goût effréné pour les habits précieux. N'as-tu donc pas la force de repousser au moins de ton lit voluptueux tes propres parentes et les religieuses consacrées au Seigneur? Pourquoi te livres-tu à des goûts contre nature, lorsque tant de femmes courent au devant de tes caresses? Malheureux, nous nous permettons ce qui est défendu comme ce qui ne l'est pas. France, il te faut des agrafes d'or pour relever tes magnifiques vêtements, et de la pourpre de Tyr pour donner à ta peau un vif incarnat ; tu ne veux pour tes épaules que des manteaux enrichis d'or ; une ceinture ne plaît à tes reins que si elle est garnie de pierres précieuses, et tes pieds ne s'accommodent que de courroies dorées ; des habillements modestes ne suffisent pas à te couvrir. Voilà ce que tu fais, et aucune autre nation n'en fait autant. Si tu ne perds pas trois vices, tu perdras tes forces et le royaume des pères. De ces vices naissent tous les crimes : la Bible et les prophètes du Christ nous l'attestent, ô France, fuis-les donc à jamais !

Chanter ne m'ennuie pas, mais je n'ai plus à raconter de hauts faits d'Eudes, quoique ce noble prince jouisse encore du bonheur de respirer sur cette terre.

Moi, pauvre poète, je t'en conjure, lecteur, indique-moi quelque peuple ennemi dont je puisse raconter les défaites et plaire ainsi à ceux qui habitent les douces demeures des cieux !

 

 

 

FIN DU SIÈGE DE PARIS PAR LES NORMANDS.

 

 


 

[1] Cette même raison nous a décidé à ne pas nous occuper du ce livre, qui n'a jamais été publié, et se trouve à la Bibliothèque du Roi sous le numéro 5570 des manuscrits latins.

[2] La diérèse coupe une syllabe en deux; l'épisynalèphe unit deux syllabes en une seule.

[3] Terminés par un spondée.

[4] En 885.

[5] Le texte porte die veniente; mais ce qui prouve qu'il ne faut pas traduire par jour, et que le sens est celui qu'on a adopté ici, c'est que, d'une part, les expéditions militaires de ces temps se faisaient d'ordinaire au printemps; et que de l'autre, on voit plus bas que les Normands reviennent quand le soleil échauffe la terre. Si d'ailleurs on rejetait ce sens, comment traduire quotannis dans ce membre de phrase: Hoc peragentque quotannis, qui termine la menace de Sigefroi?

[6] Peut-être sur l’emplacement du Grand-Châtelet.

[7] Succidere musclis. Musclis est pour musculis. Musculus, machine sous laquelle les sapeurs travaillaient à couvert.

[8] Les Bénédictins veulent que fornace, que .porte le texte, soit mis pour turris; mais il s'agit d'hommes brûlés, et le sens littéral fournaise a paru plus naturel.

[9] Abbon décrit là une espèce de mine.

[10] Le texte porte ; Amictum auribus immodicis croceum formido Danorum—Amictum, dans ce cas, ne peut être qu'un morceau de drap, un drapeau, puisqu'il est porté sur des lances. Quant à auribus, il est ainsi écrit pour oribus; sans cela, quel sens aurait la phrase, et comment un drapeau serait-il effroyable aux oreilles des Danois ?

[11] Les Bénédictins veulent que ces machines soient des chars à seize roues. Rien ne le dit dans le texte, et il paraîtrait plus probable que c'étaient des espèces de tours; au reste, le texte ne dit que monstra, machines étonnantes. On s'y est tenu.

[12] Le texte porte argete pour arjete ou ariete, bélier. Il s'agit en effet de machines propres à attaquer une tour.

[13] Machine couverte de claies et de peaux de bœuf dont on se couvrait pour aller à la sape.

[14] Larges boucliers d'osier.

[15] 29 janvier 886.

[16] 31 janvier 886.

[17] Dans toute cette phrase on a attribué les clameurs et les cris aux ennemis, quoique le texte ne le dise pas positivement, parce que l'opposition a paru dans l'intention de l'auteur qui, sans cela, n'eut fait que répéter ce qu'il avait dit plus haut.

[18] 1er février 886.

[19] La Purification est le 2 février; l'auteur compte apparemment la veille de la fête comme partie de la fête, et fait finir le troisième jour du combat, c'est-à-dire, d'après ce qui précède, le dernier jour de janvier, au 1er février, à minuit, qui est le commencement de la veille de la Purification, où se disent les premières vêpres.

[20] L'Austrasie

[21] 6 Février 886.

[22] La tour était bâtie sur cette terre appartenant à Germain.

[23] Le texte ne dit pas que ce soient les guerriers dont on vient de parler qui aient livré ces combats ; mais, par ce qui précède et ce qui suit, on est conduit à ce sens, sans lequel il n'y aurait aucune liaison.

[24] Le texte porte seulement patriam; la suite prouve qu'il ne s'agit pas de leur pays, mais de l'établissement des Danois sur la Loire.

[25] Le texte porte seulement : pugnant nostri, constantius illi. — illi se rapporte évidemment aux Danois. L'auteur n'ayant pas dit plus haut qu'il en restât dans le camp, il a fallu l'indiquer.

[26] Bostar.

[27] En mars 886.

[28] Saint-Germain-L’auxerrois.

[29] Saint-Germain-des-Prés.

[30] Inquesulas penetrant urbis sedes quibus extat. Inquesulas est pour penetrantque insulas.

[31] 16 avril 886.

[32] Tegmen ecclesiae, proprement une couverture de l'Eglise. On ne peut entendre par là qu'une des nappes d'autel.

[33] La construction ne peut être, ce semble, que celle-ci : Sub quo effigies ejus reperita fuit minuta manifeste in puerilem (effigiem sous-entendu), etc. Dans cette phrase, eventu n'est pas seulement un événement, mais un miracle. Quant au sens général, il est, ce semble, celui qu'on a adopté, comme le prouve le détail qui suit.

[34] Visus adest cuidam Domini sanctissimus idem. —pectore carpenti requiem per nubila noctis. Marcelli sancti precibus, necnon Clodoaldi — accipiens manibus liquidant benedicere lympham. En supprimant le point après le premier vers, ce qui semble indispensable, la construction paraît être : Idem sanctissimus Domini visus ades cuidam carpenti pectore requiem per nubila noctis accipiens manibus liquidant lympham (sous-entendu et) benedicere (eam sous-entendu) precibus sancti Marcelli necnon Clodoaldi. Cette construction, la seule possible, ce semble, une fois admise, la traduction est littérale, et présente un sens raisonnable.

[35] En juillet 886.

[36] En septembre ou octobre 886.

[37] Nomina tunc ensem quorum perpessa fuisti—nec vocitare prius, pigra o Burgundia bello, Neustria praecluibus thalumum nisi comeret altis, Jam tibi consilio facilis ; verum modo jam scis : ce passage serait inintelligible si la glose publiée par Dom Toussaint Du Plessis n'indiquait vocitabas au lieu de vocitare, et ne mettait au dessus d'altis ces mots : nutritis filiabus, ce qui conduit au sens que nous avons adopté. Il paraît, en effet, qu'avant cette époque, les Normands n'avaient pas pénétré en Bourgogne.

[38] En 887.

[39] Simulata cupido latebat; quod sequitur cordi affuerat, sed hoc tamen ori. Mot à mot : Leur désir dissimulé était caché; ce qui suivit était dans leur cœur, mais cela était dans leur bouche. Ce que veut dire l'auteur est, ce semble, que les Normands qui s'étaient engagés à retourner dans leur pays, cachaient leur dessein d'aller en Bourgogne, dans l'espoir de passer en secret sous les ponts, pour remonter la Seine.

[40] Les courroies étaient un supplice infligé aux esclaves. On n'a pu trouver un autre sens que celui qu'on a adopté pour ces deux vers : Eheu ! Catholicos secumper littora vitae; bis denos liquident aut necibus lorisve plicarunt.

[41] Mox adhibent propriis vitam sine mandere castris, —vallatam geminis mortem, sine tegmine prunas: — quae nostri precibus sperarunt tuta tenere. La construction de cette phrase plus qu'obscure paraît être : Mox adhibent geminis (in sous-entendu) propriis castris, vitam sine mandere ( et sous-entendu ), mortem vallatam (secundum sous-entendu ) prunas sine legmine quae, etc. Mot à mot : Ils présentent à deux des nôtres, dans leur propre camp, une vie sans manger, puis une mort entourée de charbons, sans rien qui les recouvre, choses que les nôtres, etc. Le sens adopté est celui qu'on n cru pouvoir prêter à cette phrase inintelligible, et à côté de laquelle on lit, à la marge du manuscrit : aenigma.

[42] Charles le Gros mourut le 12 ou 13 janvier 888.

[43] Peut-être de Robert le Fort.

[44] Probablement Montfaucon en Argonne, entre l'Aisne et la Meuse, et non pas Montfaucon près Paris.

[45] En 892.

[46] Ce Wilhelm, surnommé le Pieux, était fils de Bernard III, comte d'Auvergne.

[47] Qui vocitatus ut a caelo praenomine Balbus. Par a cœlo, l'auteur semble indiquer que l'infirmité qui fit surnommer ce prince le Bègue lui vint du ciel ; peut-être, tout dévoué à Eudes, fait-il de cette infirmité une preuve de réprobation pour lu race de Louis.

[48] Zuentibold, duc de Lorraine, bâtard de l'empereur Arnoul.

[49] Rex audit, nec curat Odo ; per verba respondit. Littéralement ; Leur répond par des paroles. Voilà au surplus un fait clairement raconté, et dont ne parle aucun autre historien.