Plutarque, traduit par R. Richard

PLUTARQUE

OEUVRES MORALES.

TOME III :

LES SYMPOSIAQUES, OU LES PROPOS DE TABLE : LIVRE I

Consolation à sa femme sur la mort de sa fille - Symposiaques : livre II

Traduction française : D. RICHARD

 

 

 

PLUTARQUE

 

LES SYMPOSIAQUES, OU LES PROPOS DE TABLE.

 

AVIS AU LECTEUR.

Voici le traité le plus instructif et le plus amusant de Plutarque. A la vérité, les solutions relatives a la physique sont remplies d'erreurs; mais ce sont les erreurs du siècle et non de l'écrivain. Ces légères taches, d'ailleurs, sont bien rachetées par une foule de connaissances précieuses, et surtout par la peinture de la vie sociale et des mœurs domestiques : tableaux animés de l'antiquité, et qu'on ne trouve que dans cet ouvrage.

La forme de dialogue adoptée par Plutarque nous fait en quelque sorte participer à la douce gaieté de ces repas, où des convives choisis et peu nombreux assaisonnaient les questions les plus intéressantes et les plus sérieuses du sel piquant d'une aimable plaisanterie. Les manières simples et naïves des personnages nous inspirent la confiance et nous font entrer sans fatigue dans les plus petits détails des anciennes mœurs. Aucune recherche, aucun faste, ne venaient gâter ces simples banquets, dont l'amitié et le libre épanchement faisaient tous les frais. Dans ces sortes dé repas, dit Varron, le nombre des convives n'était pas ordinairement moindre que celui des Grâces, et n'excédait pas celui des Muses. Aussi on voit la confiance et une aimable liberté régner dans toutes les discussions qu'assaisonnent, soit les égards de la politesse, soit les épanchements de l'amitié.
 

 

 

 

 

 

 

 

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LIVRE TROISIÈME.

PRÉFACE.

Le poète Simonide, mon cher Sénécion, était un jour à table avec un étranger qui ne parlait à personne, et qui gardait un profond silence. « Mon ami, lui dit le poète, si vous êtes un sot, vous faites une action bien sage ; mais si vous êtes sage, vous agissez bien sottement. » Il est bon, dit Héraclite, de cacher son ignorance ; mais cela n'est pas facile dans les plaisirs que la liberté de la table inspire. Homère a dit :

Le vin, clans le repas, exerce sa puissance ;
Le sage y chante, y rit et se mêle à la danse;
Sa langue s'abandonne aux propos indiscrets.

Le poète, dans ces vers, a voulu nous montrer la différence qu'il y a entre l'usage modéré du vin et l'ivresse. Une pointe de vin provoque à danser, à chanter et à rire ; l'ivresse rend babillard, et fait découvrir ce qu'il eût été prudent de taire. Aussi Platon dit-il qu'on ne peut connaître le caractère de la plupart des hommes qu'en mangeant et en buvant avec eux ; et Homère, en disant :

Ils ne se sont pas vus dans les mêmes repas,

montre qu'il connaissait la vertu qu'a le vin de produire la démangeaison de parler, et de faire découvrir ce qu'il faudrait celer.

Manger et boire sans rien dire, ce ne serait pas le moyen de se connaître. Mais comme le vin provoque à parler, et que la langue fait sortir du cœur bien des choses qu'on y aurait cachées sans cela, les convives, en buvant ensemble, apprennent à se connaître. On pourrait donc avec 245 fondement reprendre Esope, et lui dire : « Mon ami, pourquoi cherches-tu des fenêtres par où chacun puisse voir dans les pensées d'autrui? Le vin nous découvre tels que nous sommes ; il ne nous permet pas de rester cachés ; il nous ôte le masque qui nous déguisait, et écarte la loi qui nous servait de maître. » Ainsi le vin est utile à Esope, à Platon et à ceux qui veulent éprouver quelqu'un ; mais des convives qui ne cherchent point à se surprendre mutuellement, à pénétrer les secrets les uns des autres, et qui ne veulent que converser ensemble amicalement, ceux-là proposent de ces questions qui font que les imperfections de l'âme restent cachées, et que ses bonnes qualités se produisent avec confiance. Ils engagent des conversations aussi utiles qu'agréables, qui sont, pour les gens de lettres, comme des prairies émaillées qu'ils parcourent avec plaisir. C'est dans cette vue que je vous envoie le troisième livre des Propos de table, dont la première question a pour objet les couronnes de fleurs qu'on porte dans les banquets.

QUESTION I.

S'il convient de porter à table des couronnes de fleurs.

Dans un banquet que le musicien Ératon donnait à Athènes à un grand nombre de convives après un sacrifice qu'il avait fait aux Muses, la conversation tomba sur les couronnes de fleurs. Comme à la fin du souper il en fit apporter à la ronde de toutes les espèces, Ammonius (01) nous plaisanta de ce qu'au lieu de couronnes de laurier, nous en mettions de roses ; il nous dit que c'était un ornement puérile, et qui convenait bien plus aux jeux folâtres des jeunes filles ou des femmes qu'à une assemblée de philosophes et de gens de lettres (02) ». « Je m'étonne, 246 poursuivit-il, qu'Eraton, qui proscrit dans la musique les ornements affectés, et qui fait un crime au bel Agathon (03) d'avoir, le premier, dans sa pièce des Mysiens, introduit le genre chromatique dans la tragédie (04), remplisse lui-même son banquet de fleurs de toute espèce ; qu'en voulant fermer l'entrée de l'oreille aux délices et à la volupté, il leur ouvre les portes des yeux et des narines pour les introduire dans l'âme, et qu'il fasse servir au plaisir des couronnes qui devraient être consacrées à la religion. Les parfums exhalent une odeur plus pure que ces fleurs, qui sortent presque flétries des mains des bouquetières. Cependant on ne les admet point dans un banquet de philosophes, parce que le plaisir qu'ils procurent n'est pas fondé sur le besoin, et ne tient à aucun désir naturel. Les personnes qu'amène à un souper quelqu'un des convives sont toujours, suivant une coutume louable, aussi bien reçues que ceux qu'on avait invités. On en voit un exemple dans Aristodème, que Socrate amène au banquet d'Agathon (05); mais si quelqu'un y vient de lui-même, il faut lui fermer la porte. On ne doit aussi admettre dans un repas que les plaisirs qui sont conformes au vœu de la nature, et que la raison y appelle ; et il 247 faut en bannir toutes les voluptés que le besoin ne demande pas. »

A ce discours d'Ammonius, quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas son caractère furent si troublés, que, sans faire semblant de rien, ils détachèrent leurs couronnes. Pour moi, qui savais qu'Ammonius n'avait mis cette question en avant que pour nous exercer à en chercher les raisons, j'adressai la parole au médecin Tryphon : « Mon ami, lui dis-je, il faut ou que vous quittiez avec nous cette couronne de roses si vermeilles que vous portez, ou que vous nous disiez ici, comme vous le faites souvent chez moi, quels secours les buveurs trouvent dans les couronnes de fleurs qu'ils-ont sur leur tête. — Eh quoi ! dit sur-le-champ Eraton, est-il donc décidé qu'on ne doive admettre aucune volupté dans un festin, à moins qu'elle n'y paie son écot, et qu'il faille rejeter tout plaisir qui ne porte point avec lui son salaire ? A la bonne heure, que nous nous fassions une peine d'y admettre les parfums et la pourpre, qui sont des superfluités fort chères et qu'un roi barbare traitait de vêtements trompeurs et d'essences factices (06) ; mais les couleurs et les odeurs naturelles sont simples et pures; elles ne diffèrent point sous ce rapport des fruits que les arbres produisent. Ne serait-ce pas une inconséquence que de cueillir et d'employer ces fruits que la nature nous donne, et de rejeter, sous prétexte du plaisir qu'elles procurent, les odeurs et les couleurs que les différentes saisons nous prodiguent, si elles n'offrent d'ailleurs quelque utilité? Il y a, ce me semble, de la contradiction à dire, comme vous le faites, que la nature 248 n'a rien fait en vain, et de prétendre que ses productions ont seulement pour but le plaisir de l'homme, sans lui procurer d'autre avantage que de flatter agréablement ses sens.

« Ne voyez-vous pas que les arbres et les plantes poussent d'abord des feuilles, qui servent à garantir leurs fruits et à l'abri desquelles les arbres eux-mêmes, conservant ou la chaleur ou la fraîcheur de l'air, supportent sans risque les vicissitudes des saisons ? Pour les fleurs, tant qu'elles restent sur les plantes, elles ne nous sont d'aucune utilité, si ce n'est qu'elles flattent notre odorat par le parfum admirable qu'elles exhalent, et notre vue par les couleurs dont elles sont émaillées, et que tout l'art de la teinture ne saurait imiter. Aussi, quand on dépouille les arbres de leurs feuilles, ils semblent prendre un air de tristesse et de chagrin. Leur tige, réduite à une nudité honteuse, paraît couverte d'ulcères. Il ne faut donc pas seulement, comme dit Empédocle,

Épargner avec soin les feuilles du laurier;

mais, en général, ménager celles de tous les autres arbres, ne point se parer de leurs dépouilles en les privant de leurs feuilles avec violence et contre nature. Mais quand on les dépouille de leurs fleurs, ils n'en éprouvent aucun dommage; ce n'est proprement qu'une sorte de vendange, et, si on ne les cueille pas dans leur saison, elles tombent d'elles-mêmes toutes flétries.

« Les peuples barbares se couvrent des peaux de leurs moutons au lieu de faire des draps de leur laine. C'est les imiter et ne pas faire des plantes un usage convenable que de former des couronnes avec leur feuillage plutôt qu'avec leurs fleurs. Voilà ce que j'avais à dire pour la défense des bouquetières; car je ne suis pas grammairien, pour citer ici les poètes, dans lesquels nous voyons que ceux qui avaient remporté le prix dans les jeux sa- 249 crés étaient couronnés de fleurs (7). Je dirai seulement que la couronne de roses était consacrée aux Muses, comme je me souviens de l'avoir lu dans Sapho, qui dit à une femme ignorante :

La mort, en te couvrant des ombres éternelles,
Détruira pour toujours ta mémoire et ton nom ;
Car tu n'as point cueilli ces roses immortelles
Que produit l'Hélicon.

Mais il faut voir si Tryphon ne trouvera pas dans la médecine quelque exemple en leur faveur.

—Les anciens, dit alors Tryphon, n'ont rien oublié sur cette matière, eux qui faisaient un si grand usage des plantes en médecine (8) ; et il en subsiste des preuves encore aujourd'hui. Les Tyriens offrent au fils d'Agénor, et les Magnésiens à Chiron (9), qui, les premiers, ont, dit-on, exercé la médecine, les prémices des plantes dont ils se servent pour le traitement des maladies. Bacchus fut regardé comme un bon médecin, non-seulement pour avoir inventé l'usage du vin, qui est le remède le plus efficace et le plus agréable, mais aussi pour avoir enseigné à ceux que transportait une fureur bachique, à se couronner de lierre, et pour avoir mis en honneur cette plante qui, par sa fraîcheur, apaise les chaleurs du vin et 250 rend cette liqueur moins nuisible (10). Les noms de plusieurs plantes montrent quelle était, sur ce point, l'attention des anciens. Celui du noyer vient de la vapeur pesante qui s'en exhale, et dont la vertu assoupissante nuit à ceux qui s'endorment à son ombre. Le narcisse a été ainsi nommé, parce qu'il engourdit les nerfs et qu'il cause des pesanteurs narcotiques (11). C'est pour cela que Sophocle l'appelle l'ancienne couronne des grands dieux, c'est-à-dire des dieux infernaux. Le nom de la rue vient de la propriété qu'elle a de sécher et de durcir par sa chaleur les germes productifs, et d'être par là contraire aux femmes enceintes (12) Quant à l'améthyste et à la pierre qui porte son nom, ceux qui croient que ce nom leur a été donné à cause de la propriété qu'elles ont d'empêcher l'ivresse, sont dans l'erreur. Il est tiré de la couleur des feuilles, qui n'est point vive et franche, et ressemble à celle d'un vin pâli (13). On pourrait citer un grand nombre d'autres plantes qui ont pris leur nom de leurs propriétés; mais celles dont j'ai parlé suffisent pour faire connaître l'attention et l'expérience des anciens sur cet objet, et les motifs qu'ils avaient en se couronnant de fleurs pendant le repas.

« Quand le vin pur porte à la tête et qu'il donne aux vaisseaux trop de tension, il trouble les organes de nos sensations. Les émanations des fleurs sont d'un merveilleux secours contre ces effets pernicieux, et forment une espèce de palissade autour de la tête comme autour d'une citadelle. Celles qui ont de la chaleur ouvrent les pores

du corps, et donnent une issue facile aux fumées du vin. Si elles sont modérément froides, elles repoussent, par une impulsion légère, les vapeurs qui montent au cerveau : telles sont les couronnes de violettes et de roses, qui, par leur odeur astringente, répriment les pesanteurs de tête. La fleur du souchet, celles du safran et de la gantelée procurent à ceux qui ont un peu trop bu un sommeil paisible. Leurs exhalaisons douces et légères dissipent sans effort les humeurs crues et indigestes qui se forment dans le corps des buveurs, y ramènent le calme, et leur procurent une digestion facile.

« Il y a d'autres fleurs dont les émanations, en pénétrant jusqu'au cerveau, désobstruent les pores des organes de nos sensations, subtilisent les humeurs sans agitation ni violence, les raréfient par leur douce chaleur, et réchauffent la substance du cerveau, qui est naturellement froide. Voilà pourquoi les anciens suspendaient à leur cou des guirlandes de fleurs, dont le parfum s'élevait jusqu'à leur cerveau, et ils se frottaient la poitrine avec les essences qu'ils composaient de ces mêmes fleurs. On en voit la preuve dans Alcée, qui demande qu'on verse des essences sur sa tête, depuis si longtemps souffrante, et sur sa poitrine chenue. Les odeurs ainsi attirées par les narines vont frapper le cerveau de leur chaleur salutaire. Le nom de ces guirlandes venait, npn de ce qu'ils croyaient que l'ame avait son siége dans le cœur, mais, comme je viens de le dire, des émanations qui en sortaient. Au reste, il ne faut pas s'étonner que les exhalaisons des fleurs aient une si grande vertu ; car on dit que l'ombre du smilax ', quand il est dans sa fleur, fait mourir les gens qui s'endorment sous son feuillage ; que les vapeurs du pavot, lorsqu'on exprime les sucs de cette plante, font évanouir ceux qui n'emploient pas assez de précautions; que la garance sauvage fait passer le hoquet à ceux qui la prennent dans leur main, ou qui ne font même que la regarder. Cette plante, semée autour des étables, est encore bonne, à ce qu'on prétend, pour garantir les troupeaux de maladies. Le nom de la rose est tiré de l'abondance de ses exhalaisons odorantes; c'est même ce qui fait qu'elle se flétrit promptement. Elle est rafraîchissante, et cependant sa couleur approche de celle du feu ; ce qui est assez naturel, parceque sa fraîcheur intérieure pousse au dehors la chaleur qu'elle contient, et la fixe à sa surface. »

i Le smilax des anciens est noire if, qu'ils regardaient comme un poison dangereux.

QUESTION II.

Si le lierre est de sa nature chaud ou froid.

Nous applaudîmes tous à ce que Tryphon venait de dire. Mais Ammonius, prenant la parole, dit en souriant : « Il serait injuste de critiquer sans ménagement un discours qui est aussi varié et aussi fleuri que le sont ces couronnes. Je relèverai cependant ce qu'on y a dit du lierre, en attribuant à sa fraîcheur la vertu d'émousser la force du vin ; car, au contraire, il est chaud et brûlant, et son fruit mêlé dans le vin cause l'ivresse, porte le trouble et l'inflammation dans le corps. On dit même que si l'on en arrache une branche, elle se tord comme le bois qui a passé au feu '. La neige, qui se conserve souvent plusieurs jours de suite sur les autres plantes, quitte promptement le lierre, ou plutôt se fond et se dissipe sur-le-champ, à cause de la chaleur de cet arbrisseau.

« Une chose plus étonnante encore, c'est ce que Théophraste raconte, qu'Alexandre ayant donné ordre à Harpalus de transporter les plantes de la Grèce dans les jardins de Babylone, dont le sol est sec et brûlant, et de choisir surtout celles dont les larges feuilles formaient des ombrages épais, le lierre fut le seul qui ne put pas se naturaliser dans le pays, malgré tous les soins et toutes les peines qu'Harpalus se donna. Il y séchait promptement et périssait, parceque, chaud de sa nature et transplanté dans un terrain chaud, il ne pouvait pas y trouver le degré de température qui lui eût été nécessaire. Les excès détruisent les facultés ; voilà pourquoi les contraires se conviennent. Les plantes froides aiment le chaud, et celles qui sont chaudes veulent du froid. De là vient que les terrains montueux, exposés aux vents et à la neige, produisent les arbres résineux dont on fait des torches, tels que les pins et les sapins ; et sans cela, mon cher Tryphon, les arbres froids perdent facilement leurs feuilles, parceque le peu de chaleur qu'ils ont se dissipe bientôt et les abandonne ; au lieu que la chaleur et la substance onctueuse qui sont dans l'olivier, le laurier et le cyprès les conservent toujours verts, et il en est de même du lierre.

' Sa grande flexibilité en est une cause toute simple, sans avoir besoin de recourir à sa chaleur.

o Ainsi le bon Bacchus n'a pas introduit l'usage du lierre comme un préservatif contre l'ivresse, ni comme ennemi du vin, puisqu'au contraire il a donné au vin pur un nom tiré de l'ivresse, et qu'il en a pris lui-même un de ses surnoms '. Je crois plutôt que comme ceux qui aiment le vin, s'ils ne peuvent en avoir de véritable, boivent de la bierre, du cidre ou du vin de palmier; de même ce dieu, voulant avoir pendant l'hiver une couronne de pampre, et trouvant la vigne dépouillée de son feuillage, il en fit une de lierre, à cause de sa ressemblance avec la vignes. Son bois est aussi tortu et ses branches rampantes. Ses feuilles sont molles, et éparses sans ordre autour de ses rameaux ; ses baies surtout ressemblent aux grappes de raisin quand il commence à tourner ; en général, il approche beaucoup de la forme de la vigne. S'il est vrai qu'il soit de quelque secours contre l'ivresse, je l'attribuerai encore à sa chaleur, qui dilate les pores, ou plutôt qui facilite la digestion du vin ; car je veux bien, Tryphon, pour l'amour de vous, conserver à Bacchus la qualité de médecin. »

1 Le surnom de Bacchus, dont Plutarque parle ici, est celui de Mithymneus, lequel, selon cette étymologie, signifie proprementqui aimel'ivrette.

s 11 n'est pas étonnant que Bacchus, qui était particulièrement honoré dans la Thrace, et les bacchantes, qui y rendaient à ce dieu un cutte spécial, soient représentés avec des couronnes de lierre, et que leurs Ihyrses en fussent entrelacés. Les montagnes de Thrace étaient couvertes de cette plante ; et c'est là, peut-être, la véritable origine de cet usage.

T. III 15

A cela Tryphon demeura dans le silence, pensant à ce qu'il pourrait répondre. Eraton, s'adressant à chacun de nous autres jeunes gens, nous excitait à soutenir Tryphon, le défenseur de nos couronnes, ou à les déposer. Ammonius, pour nous donner, à cet égard, toule sûreté, nous promettait de ne pas combattre ce que nous dirions. Tryphon, de son côté, nous pressait de parler; je m'en chargeai donc. « Ce n'est point à moi, dis-je, mais à Tryphon à prouver que le lierre est froid, puisqu'il l'emploie comme réfrigératif et astringent; mais ce qu'on vient de dire que, mêlé dans le vin, il cause l'ivresse, n'est point vrai. L'impression qu'il fait sur ceux qui boivent de ce mélange ne doit pas s'appeler ivresse, mais plutôt un trouble, un étonnement d'esprit, tel que le causent la jusquiame et plusieurs autres plantes qui causent une sorte de fureur. Ce qu'on a dit sur la tortuosité de ses rameaux est sans fondement. Il ne faut pas attribuer aux facultés naturelles des effets qui sont contre nature. Les bois mêmes se courbent, lorsque le feu en fait évaporer toute l'humidité et qu'il les plie avec violence, en augmentant leur chaleur naturelle. Prenez garde que cette tortuosité et cette forme rampante ne soient plutôt l'effet de sa faiblesse et de sa fraîcheur, qui font qu'il s'arrête souvent dans sa croissance, et qu'il ne pousse que des jets interrompus, comme un voyageur fatigué marche et se repose alternativement. Aussi a-t-elle besoin d'embrasser une autre plante qui lui serve d'appui, par l'impuissance où elle est de se soutenir elle-même, faute de cette chaleur qui fait croître et monter les plantes. Si la neige s'y fond promptement, cela vient de la moiteur de ses feuilles. L'eau la fait fondre de même sur-le-champ, et divise ces flocons spongieux, qui semblent n'être qu'un amas de bulles légères. Voilà pourquoi elle ne fond pas moins vite dans les lieux froids et humides que dans ceux qui sont exposés au soleil.

« Quant à sa verdure perpétuelle, et comme dit Empédocle, à la constante fermeté de ses feuilles, elle ne peut venir de sa chaleur, comme ce n'est pas non plus la fraîcheur des plantes qui fait tomber facilement leurs feuilles. Le myrte et l'adiante ', qui sont des plantes froides, sont toujours verts. Il y en a qui attribuent cet effet à une certaine égalité de température. Empédocle y ajoute une autre cause : c'est la symétrie des pores de leurs feuilles qui leur transmettent toujours avec ordre et d'une manière égale une nourriture qui suffit àjeur entretien. Mais dans les arbres qui perdent tous les ans leurs feuilles, les pores supérieurs sont trop lâches, et les inférieurs trop étroits ; en sorte que ceux-ci ne leur envoient pas assez de nourriture, et que les autres ne la retiennent pas ; que le peu même qu'ils en reçoivent, ils le répandent aussitôt, comme l'eau s'échappe à travers les rigoles qui ne sont pas bien unies. Mais les plantes qui sont toujours humectées par une sève abondante et dans une proportion convenable, conservent leur verdure et n'éprouvent pas la flétrissure de la vieillesse.

«Mais transplanté à Babylone, il ne voulut point s'y naturaliser, et il y périt.bientôt. Je sais gré à cet arbrisseau généreux, client et commensal du dieu de la Béotie, d'avoir refusé de s'établir chez des Barbares, de n'avoir pas suivi l'exemple d'Alexandre, qui s'allia à des nations étrangères,

i C'est le capillaire,



 


 

(01) Il avait été le maître de Plutarque.

(02) Les couronnes qu'on distribuait aux poètes ou aux orateurs qui avaient remporté le prix étaient ordinairement ou de laurier, arbre consacré à Apollon, ou de lierre, plante consacrée à Bacchus, que les poêles reconnaissaient aussi pour une des divinités qui les inspiraient.

(03) Cet Agathon est celui dont Platon a décrit le repas dans son Banquet. Il était poète tragique, et avait aussi fait des comédies. Sa beauté l'avait rendu très célèbre.

(04) Ce mot veut dire couleur. Les Grecs marquaient ce genre par des caractères rouges ou diversement colorés. Boëce attribue à Timothée de Milet l'invention du genre chromatique ; mais Athénée la donne à Épigonus. Plutarque, dans son traité de la Musique, dit que le genre chromatique ne s'employait pas dans la tragédie, et que ce n'était point par ignorance que les poêles s'en abstenaient, mais par choix et pour se conformer à la manière de Pindare et de Simonide, c'est-à-dire à la manière ancienne.

(05) Aristodème est celui qui raconte à Platon tout ce qui s'est passé au banquet d'Agathon.

(06) Ce prince barbare était un roi d'Ethiopie, à qui Cambyse voulut faire la guerre après qu'il se fut rendu maître de l'Égypte. Il lui envoya d'abord des espions, qui, sous prétexte de lui porter des présents de la part de Cambyse, étaient chargés d'examiner le pays. Parmi ces présents, il y avait un habit de pourpre et des parfums. Quand le roi les eut vus, il demanda ce que c'était, et comment ils se faisaient. Sur la réponse des envoyés, il dit : Ces hommes sont trompeurs, et leurs vêtements le sont aussi.

(7) La couronne qu'un donnait aux athlètes vainqueurs était faite ordinairement de quelques branches d'arbres. Aux jeux olympiques, elle était d'olivier sauvage ; aux isthmiques, de pin, d'ache ; aux néméens et aux pythiens, de laurier. L'usage varia quelquefois pour ces jeux. Dans les autres jeux, on donnait souvent d'autres prix que des couronnes, comme on le voit dans Homère, aux jeux qu'Achille fait célébrer pour les funérailles de Patrocle, et dans Virgile, pour ceux qu'Énée donne en Sicile. Mais quand Plutarque dit que les vainqueurs des jeux sacrés étaient couronnés de fleurs, il parle sûrement des poètes qui avaient remporté le prix, comme l'exemple qu'il rapporte semble le prouver.

(8) La médecine des anciens consistait principalement dans l'usage des plantes.

(9) C'est le fameux centaure de ce nom, qui fut le précepteur d'Hercule, d'Esculape et d'Achille, et qui passe pour avoir le premier fait connaître l'usage des plantes et de la médecine.

(10)  Athénée parle aussi de cette propriété du lierre pour dissiper l'ivresse, mais il donne à entendre que c'est moins par une vertu intrinsèque de la plante, que parce qu'en serrant la tête, elle diminue la douleur que causent les vapeurs du vin. Il reconnaît cependant qu'elle rafraîchit la tête, sans l'affecter par une odeur trop forte.

(11) La fleur de cette plante est en effet un peu narcotique.

(12) Cette plante est regardée comme incisive, atténuante et discussive.

(13)  On sait que cette prétendue propriété de l'améthyste, soit de la plante, soit de la pierre, contre l'ivresse et contre les poisons, est une pure fable.

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(19) Cette opinion si commune chez les anciens, que la putréfaction et l'humidité produisent des animaux vivants, est contraire aux principes de fa saine physique, qui ne connaît point de production sans germe ou sans semence.

(20) Cette opinion se trouve établie dés la plus haute antiquité chez les peuples de l'Asie, de l'Egypte et dé la Grèce. Ils comparaient le monde à un œuf, et disaient, comme le font encore aujourd'hui les Indiens, que cet œuf comprenait en soi le ciel, la terre et l'abîme. Les philosophes de Thèbes en Egypte représentaient le monde sous le symbole d'un œuf, et ils ajoutaient que cet œuf était sorti de la bouche de Kneph, qu'ils regardaient comme l'être souverain et l'intelligence qui avait formé le monde.

(21) C'est une expression qu'Hérodote emploie souvent, lorsqu'il rie veut pas faire connaître les cérémonies religieuses des peuples dont il écrit l'histoire.

(22) On disait proverbialement ouvrir une porte a une chose, pour dire la faciliter. Ici Plutarque prend le proverbe en sens contraire, et dit à Firmus qu'il a ouvert le monde entier contre son opinion, parce qu'on va tirer contre elle un argument pris de la nature et de la formation du monde.

(23)  Cette guerre, qui commença par la révolte de quarante esclaves qui s'étaient sauvés de Capoue, donna de l'embarras aux Romains, et dura deux ans. Elle fut enfin terminée par la mort de Spartacus, leur chef, soixante onze ans avant Jésus-Christ.

(24) Les anciens croyaient assez généralement que les premiers animaux, et même les premiers hommes, étaient sortis de la terre.

(25) L'histoire de la création, si elle eût été connue des anciens, leur aurait épargné toutes ces questions puériles et ces suppositions métaphysiques, qui ne portent sur aucune base solide.

(26) C'est une de ces erreurs si communes chez les anciens, en fait de physique et d'histoire naturelle. Celle-ci avait été causée par la difficulté qu'il y avait à découvrir les parties de la génération de ces animaux, qui sont enveloppées de graisse. Mais la nature suit toujours sa marche dans la multiplication des êtres. Il est démontré aujourd'hui que les anguilles sont vivipares, comme les vipères, quoiqu'elles tirent leur origine d'œufs ; mais ces œufs éclosent dans le corps de la mère, et elle met au monde ses petits tout vivants. ( Dict. d'hist. nul. au mot anguille.)

(27) Platon, pour prouver que la terre en général, et en particulier celle de l'Attique, avait d'elle-même produit des hommes, dit que c'est la terre qui sert de modèle à la femme dans sa conception ; ce qui est un peu contradictoire avec ce qu'il dit ailleurs plus raisonnablement.

(28)  Ce Sosiclès ne m'est point connu d'ailleurs. Coronée était une ville de Béotie, célèbre par la victoire qu'Agésilas y remporta sur les Thébains.

(29) Nous avons vu, dans la question x du liv. 1er, qu'il était d'usage de donner un grand repas pour célébrer la victoire du poète qui avait remporté le prix sur ses concurrents.

(30)  On comprenait sous ce nom tous les exercices usités dans les gymnase» et les palestres, et auxquels les athlètes s'escrimaient dans les jeux publics.

(31)  Il y a dans le grec, le cérome. C'était une espèce d'onguent fait avec de l'huile, où l'on mêlait une certaine quantité de cire et de poussière, et dont on frottait les athlètes, afin de donner à leurs membres la souplesse qui leur était nécessaire.

(32) Le pancrace était composé de la lutte et du pugilat. La première consistait à se secouer avec force pour tâcher de se renverser, et l'autre à porter des coups à son adversaire et à les éviter. Cette étymologie du mol lutte parait la plus vraisemblable.

(33) ie ce que la lutte était, du temps de Plutarque, un exercice très adroit, il ne s'ensuit point qu'il ne fût pas le plus ancien. Il est probable que, dans l'origine, il était plus simple, et que la seule force y décidait de la victoire, mais que, dans la suite, l'expérience et la réflexion l'ayant perfectionné, on employa l'artifice et la souplesse, et qu'on en fit un art qui eut besoin de leçons.

(34) Philinus était un philosophe pythagoricien, que nous avons vu un des interlocuteurs du dialogue sur les vers de la pythie.

(35) Dans le pugilat, il ne s'agissait que de se porter des coups avec le poing, et c'est pour cela qu'il était défendu aux athlètes de se joindre et de se serrer, comme dans la lutte. Dans le pancrace, ils pouvaient se colleter et se porter mutuellement des coups.

(36) Le Céphise était la rivière qui coulait auprès d'Athènes.

(37)Cette observation est vraie et attestée par une roule d'expériences sur les arbres et sur les insectes. L'huile, en bouchant leurs pores, arrête la circulation de la sève dans les uns et des humeurs dans les autres, et les fait bientôt périr.

(38) Sans exclure précisément les différentes raisons que Plutarque allègue pour expliquer cet effet physique, je crois que la véritable cause est dans la différence de la sève de ces arbres résineux et de celle des autres arbres, qui fait qu'elles ne peuvent pas s'unir ensemble.

(39) Ce poisson, que nous appelons en français sucet ou arrête-nef, et dont on peut voir la description dans le Dictionnaire d'histoire naturelle, au mot remore, est un de ceux sur lesquels les anciens ont débité le plus de merveilles. Son nom lui vient de la vertu qu'ils lui attribuaient d'arrêter les vaisseaux.

(40)  Ce Chérémonianus n'est point connu.

(41) Plante aromatique de ce nom.

(42) Opinions qui ne sont pas confirmées par les observations des naturalistes. Plutarque lui-même n'y ajoutait pas trop de foi.

(43)  Les anciens appelaient loups des freins très durs.

(44) Il pouvait se faire que la fatigue causée à l'animal par les secousses qu'il avait éprouvées sous la dent du loup attendrissent sa chair, et c'était une raison pour qu'elle se corrompit plus tôt. Pour le vice que la laine en contractait, c'est encore une de ces opinions fausses que les anciens adoptaient si facilement sur les plus légères apparences, et d'après quelques faits particuliers qu'ili établissaient en thèse générale.

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(49) Glaucias ne m'est point connu d'ailleurs.

(50)  Ces nymphes prenaient leur nom d'un antre du mont Cithéron en Béotie, appelé Sphragidium, c'est-à-dire caché et obscur. Le mot grec répond à celui de cachet. Une tradition ancienne prétendait que ces nymphes y rendaient autrefois des oracles. Les Athéniens leur offraient tous les ans un sacrifice, par ordre de l'oracle de Delphes, en reconnaissance de ce qu'ils n'avaient perdu, suivant Hérodote, liv. ix, c. 69, à la bataille de Platée, que cinquante-deux hommes, qui tous étaient de la tribu Eantide, comme le rapporte, d'après Ciidémus, Plutarque dans la Vie d'Aristide.

(51) La tribu Éantide ou Ajacide tirait son nom d'Ajax, qui avait régné à Egine, île très voisine d'Athènes. Ce prince, illustre par ses faits d'armes au siège de Troie, avait été mis au rang des héros, et recevait à ce titre des honneurs publics. Il était enterré auprès d'Athènes. Comme on supposait à ces héros le pouvoir de nuire ou de faire du bien, les Athéniens, qui savaient à quels excès de fureur et de vengeance la jalousie avait porté Ajax, craignaient de l'irriter et de ressentir les effets de sa colère, s'ils excitaient de nouveau sa jalousie en paraissant ne pas l'honorer autant qu'il le désirait. Ce fut par ce motif qu'on arrêta que dans les fêtes et dans les cérémonies publiques, sa tribu ne serait jamais placée au dernier rang.

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(54) Malgré cette précaution, les Orchoméniens trouvèrent le tombeau d'Hésiode, et transportèrent chez eux les ossements de ce poète.

(55) Aucun écrivain de l'antiquité ne fait mention du trait historique ou fabuleux que Plutarque fait racontera Pittacus. On peut donc croire qu'il est de son invention.

(56) Ces maximes étaient gravées dans le temple de Delphes; c'est pourquoi Chersias les rappelle ici.

(57) Le mot até, tantôt signifie punition, repentir, tantôt sert de nom propre à une espèce de déesse, qui est pour les hommes la cause de toutes les actions capables de nuire ou de mener au repentir.

(58) Voyez dans Homère le récit mythologique concernant Até, qu'Homère a mis dans la bouche d'Agamemnon, au liv.19e de l'Iliade, v. 9.