Plutarque, traduit par Latzarus

PLUTARQUE

LES VIES DES HOMMES ILLUSTRES.

VIE DE PAUL-EMILE

Traduction française : BERNARD LAZRARUS

autres traductions : Pierron (avec texte grec)

 

 




 

 

PLUTARQUE

VIE DE PAUL-ÉMILE (227-153 av. J.-C.)

Traduction Bernard Latzarus, 1950

I. Origine et Jeunesse de Paul-Émile. — II. Ses débuts dans la politique. Il est nommé augure. Son zèle dans l’exercice de ce ministère. Sa conduite dans ses commandements. — III. Son expédition victorieuse en Espagne. Son désintéressement. — IV. Divorce et remariage de Paul-Émile. Adoption de ses fils aînés. Mariage de ses filles. — V. Son consulat. Son expédition en Ligurie. Il se représente vainement au consulat et se consacre à l’éducation de ses fils. — VI. Guerre contre Persée. Irritation des Romains contre leurs généraux. — VII. Succession des Rois de Macédoine, de Démétrios Poliorcète à Persée. Préparatifs de guerre de Philippe. Sa mort. Caractère de son successeur Persée. — VIII. Persée fait la guerre aux Romains. Ses succès. Il essaie de s’entendre avec les Barbares. — IX. Désignation de Paul-Émile pour commander l’expédition contre Persée. — X. Discours de Paul-Émile au peuple. Estime qu’il s’acquiert. — XI. Son heureuse traversée. Il est favorisé par l’avarice de Persée. — XII. Les Gaulois abandonnent Persée ; il abandonne les Illyriens. Paul-Émile rétablit la discipline dans l’armée romaine. — XIII. Paul-Émile trouve de l’eau pour ses hommes. Réflexions sur l’origine des cours d’eau. — XIV. Paul-Émile découvre un passage qui n’était pas gardé. Expédition de Sciplon Nasica vers l’Olympe. — XV. Succès de Nasica. Persée se décide à livrer la bataille décisive en avant de Pydna. — XVI. Jonction de Paul-Émile avec Nasica. Inquiétude causée dans les deux camps par une éclipse de lune. Sacrifices de Paul-Émile à la Lune et à Hercule. Il n’engage pas la bataille dès le matin. — XVII. Début de la bataille. Description de l’armée macédonienne. — XVIII. Inquiétude et sang-froid de Paul-Émile. Versions diverses sur la conduite de Persée. — XIX. Défaite des Macédoniens. — XX. Exploits de Marcus Caton. Fin de la bataille. — XXI. Retour des vainqueurs au camp. Scipion Émilien perdu et retrouvé. XXII. Fuite de Persée. Traits de cruauté et d’avarice de ce Prince. — XXIII. Marques de la protection divine sur Paul-Émile. — XXIV. Autres événements prodigieux, arrivés en d’autres temps. — XXV. Persée est contraint de se rendre aux Romains. Accueil que lui fait Paul-Émile. — XXVI. Discours de Paul-Émile à son entourage sur l’inconstance de la fortune. — XXVII. Libéralité et désintéressement de Paul-Émile. — XXVIII. Pillage de l’Épire. — XXIX. Retour de Paul-Émile à Rome. Oppositions à son triomphe. — XXX. La première tribu refuse le triomphe à Paul-Émile. Intervention de Marcus Servilius. — XXXI. Le triomphe est voté. Les deux premières journées du cortège. — XXXII. Le troisième jour. Les enfants de Persée. — XXXIII. Persée et Paul-Émile. — XXXIV. Paul-Émile perd ses deux derniers fils. — XXXV. Son discours au peuple. — XXXVI. Destin de Persée et de ses enfants. — XXXVII. Paul-Émile enrichit le trésor public. Sa conduite politique, comparée à celle de Scipion Émilien. Sa censure. — XXXVIII. Sa mort et ses obsèques.

I. La gens Emilia était, à Rome, du nombre des vieilles familles patriciennes, la plupart des historiens en conviennent. Le premier de cette maison qui laissa l’appellation d’Emile à sa postérité aurait été Mamercus, fils du philosophe Pythagore et surnommé Emile à cause du charme et de la douceur de son éloquence : c’est là ce qu’affirment quelques-uns de ceux qui attribuent à Pythagore l’éducation du Roi Numa. La plupart des Emilii qui arrivèrent à la gloire durent le succès à leur amour pour la vertu ; mais, chez Lucius Paulus [1] , l’échec de Cannes montra en même temps sa prudence et son courage. Car n’ayant point réussi à convaincre son collègue [2] de renoncer à combattre, il prit, malgré soi, part à la bataille, mais non à la fuite ; au contraire, quand celui qui avait engagé les troupes dans le péril les abandonnait, lui-même tint ferme et mourut en combattant l’ennemi. Sa fille Emilie épousa le grand Scipion [3] . Son fils Paul-Emile est le sujet de cet ouvrage. La jeunesse de Paul-Emile s’écoula en un temps où fleurissaient la gloire et la vertu des hommes les plus remarquables et les plus grands. Mais elle brilla par d’autres habitudes que celles de ses contemporains alors en vue et ne suivit pas, au début, la même route. Il n’exerçait pas son éloquence dans les procès ; les embrassades, les poignées de mains et les attentions dont la plupart se servaient pour circonvenir le peuple en le caressant et en le flattant, il les négligea complètement. Non qu’il manquât de dispositions pour l’éloquence ou la démagogie ! Mais il cherchait à s’assurer, comme supérieure à ces deux avantages, la gloire du courage, de la justice et de la loyauté, vertus qui le mirent tout de suite au-dessus des autres.

II. En tout cas, ayant brigué l’édilité avant les autres grandes charges, il fut préféré à douze personnages qui avaient porté leur candidature avec lui et qui par la suite furent, dit-on, tous consuls. On l’admit ensuite dans le collège sacerdotal des augures, que les Romains désignent comme surveillants et gardiens de la divination par le vol des oiseaux et les signes célestes. Ce n’était là, en apparence, qu’un honneur, d’ailleurs recherché à cause du prestige de la compagnie. Mais Paul-Emile s’appliqua si bien à l’étude des coutumes traditionnelles et comprit si parfaitement la déférence circonspecte des anciens envers la divinité qu’il fit, de l’exercice de ce sacerdoce, un art des plus subtils, et confirma, par sa conduite, l’opinion des philosophes qui ont défini la piété « la science du culte des dieux » [4] . Car tout s’accomplissait, grâce à lui, avec compétence et avec zèle. Il donnait congé à toutes les autres affaires quand il s’acquittait de ses fonctions d’augure. Il n’omettait, il n’innovait rien et discutait même avec ses collègues sur de menus détails rituels. On peut croire, sans doute, que la divinité est accommodante et ne nous reproche pas nos négligences. Mais il leur montrait que, pour l’Etat du moins, c’est une conduite dangereuse que l’indulgence et l’indifférence à cet égard. On ne commence jamais, pour ébranler un régime, par une grande illégalité ; mais, en sacrifiant l’exactitude dans les minces circonstances, on relâche la vigilance sur les obligations graves. De même pour les usages militaires et nationaux, il s’en montrait l’observateur et le gardien fidèle. Il ne faisait pas de popularité dans ses expéditions et ne cherchait pas à s’assurer, comme la plupart de ses contemporains, un second commandement en déployant, dans l’exercice du premier, de la complaisance et de la douceur envers ses subordonnés. Loin de là : comme un prêtre chargé d’initier à des mystères terribles, il expliquait, une à une, les dispositions du service en campagne ; et, en se montrant redoutable aux indisciplinés et aux transgresseurs du règlement, il travaillait à relever la patrie ; car la victoire sur les ennemis n’était guère à ses yeux qu’un accessoire de l’éducation civique.

III. La guerre ayant éclaté entre les Romains et Antiochos le Grand [5] , les meilleurs capitaines y étaient occupés. Alors se produisit en Occident une autre guerre par suite des grands mouvements d’Espagne [6] . On y envoya Paul-Emile comme préteur. On ne lui donna pas seulement six licteurs, comme à ceux qui, d’ordinaire, exercent cette magistrature. il en eut six de plus, privilège qui conférait à sa charge la majesté consulaire. Il vainquit deux fois les Barbares en bataille rangée et en tua environ trente mille. Le succès fut, semble-t-il, un témoignage éclatant de son génie stratégique ; car l’heureuse situation du champ de bataille qu’il choisit et le passage d’un fleuve donnèrent à ses soldats des facilités pour vaincre. Il conquit deux cent cinquante villes, qui l’accueillirent de plein gré. Laissant la province organisée, pacifiée et désormais fidèle, il revint à Rome sans avoir gagné personnellement une drachme dans sa campagne. Ce fut toujours un homme peu soucieux de son intérêt ; il dépensait facilement et ne faisait pas d’économies, quoique sa fortune ne fût pas grande : après sa mort, elle suffit tout juste à rembourser la dot de sa femme.

IV. Il épousa Papiria, fille de Papirius Nason, personnage consulaire. Après être resté longtemps en ménage avec elle, il la répudia, bien qu’ayant eu d’elle des enfants fort bien doués ; car c’est elle qui lui donna l’illustre Scipion [7] et Fabius Maximus [8] . La cause exacte de cette séparation ne nous est point parvenue. Il semble qu’en cette occasion se soit vérifié le mot que voici sur un divorce. Un Romain répudiait sa femme ; et comme ses amis le blâmaient en lui disant :« N’est-elle pas sage ? n’est-elle pas belle ? n’est-elle pas féconde ? » il allongea le pied et leur demanda : « Ma chaussure n’a-t-elle pas belle apparence ? n’est-elle pas neuve ? Mais pas un de vous ne pourrait savoir à quel endroit elle me blesse. » Car, en fait, si des fautes graves ont, par leur scandale, amené d’autres divorces, d’autre part les heurts légers, mais fréquents, résultats d’une antipathie et d’une incompatibilité d’humeur qui échappent aux étrangers, créent, dans la vie conjugale, une mésentente irrémédiable. Pour en revenir à Paul-Emile, après avoir répudié Papiria, il épousa une autre femme, dont il eut deux enfants mâles, qu’il garda chez lui. Quant aux premiers, il les fit entrer par adoption dans les plus grandes maisons et les familles les plus illustres ; l’aîné entra dans celle de Fabius Maximus, cinq fois consul [9]  ; quant au puîné, le fils de Scipion l’Africain, dont il était le cousin, l’adopta et lui donna le nom de Scipion. Des filles de Paul-Emile, l’une épousa le fils de Caton l’Ancien et l’autre, Aelius Tubéron, grand homme de bien et le Romain que sa pauvreté honorait le plus [10] . Ils étaient seize parents, tous des Aelii, et ne possédaient à eux tous qu’une bien petite maisonnette, avec un seul petit bien, qui leur suffisait. Ils vivaient tous ensemble autour du même foyer avec des enfants nombreux et leurs femmes. Au nombre de celles-là était la fille de ce Paul-Emile, deux fois consul, deux fois triomphateur. Loin de rougir de la pauvreté de son mari, elle admirait la vertu qui le rendait pauvre. Les frères et les parents de nos jours, à moins d’avoir des régions entières, des fleuves et des remparts pour délimiter leurs possessions et un vaste espace de terrain pour les séparer, ne cessent d’être en désaccord. Voilà les leçons que l’histoire propose à la méditation attentive des hommes qui veulent assurer leur salut.

V. Paul-Emile, élu consul, fit une expédition contre les Ligures, nation limitrophe des Alpes, que quelques-uns appellent aussi Ligustins [11] . C’était une race guerrière et passionnée, à qui le voisinage des Romains apprit la tactique. Les Ligures habitent les confins de l’Italie, qui expirent aux Alpes, et, dans les Alpes mêmes, les régions baignées par la mer Tyrrhénienne [12] et qui regardent vers l’Afrique ; ils sont mêlés aux Gaulois et aux Ibères établis sur la côte. Mais alors, passant la mer sur des barques de pirates, ils ruinaient le commerce par leurs pillages jusqu’aux colonnes d’Hercule. Lors de l’invasion de Paul-Emile, ils lui opposèrent la résistance de quarante mille hommes. Il n’avait en tout que huit mille soldats pour s’attaquer à des effectifs cinq fois supérieurs. Il les attaqua pourtant, les défit, et les cerna dans leurs remparts. Il leur fit ensuite des ouvertures pleines de bienveillance en vue d’une conciliation ; car il n’était pas dans la volonté des Romains d’anéantir la nation ligure, qu’ils considéraient comme une barrière ou une palissade dressée pour arrêter les mouvements des Gaulois, peuple toujours en effervescence autour de l’Italie. Ils eurent donc confiance en Paul-Emile, auquel ils remirent leurs vaisseaux et leurs villes. Lui, sans avoir fait d’autre mal aux villes que de raser les remparts, les leur rendit ; quant aux vaisseaux, il les leur ôta tous absolument et ne leur laissa pas d’embarcations plus grandes que des barques à trois rangs de rames [13] . Pour les prisonniers qu’ils avaient faits sur terre et sur mer, il les libéra tous, et il en trouva beaucoup, tant Grecs que Romains. Ce consulat eut donc de remarquables les actions que j’ai dites. Par la suite, il fit voir souvent son désir de redevenir consul et posa même sa candidature une fois. Il échoua, et, après cette déconvenue, resta tranquille le reste du temps, s’occupant de ses fonctions sacerdotales et donnant à ses enfants la même éducation nationale et traditionnelle qu’il avait reçue. Il leur dispensait aussi la culture grecque avec plus de zèle encore. Car il entretenait autour de ces jeunes gens non seulement des grammairiens, des sophistes et des rhéteurs, mais encore des sculpteurs, des peintres, des dresseurs de chevaux et de chiens, des maîtres de vénerie, tous Grecs. Et le père, à moins d’être retenu par une affaire d’Etat, assistait toujours aux leçons et aux exercices, étant, de tous les Romains, le plus attaché à ses enfants.

VI. On était alors à un tournant de la politique. Les Romains, en guerre contre Persée, Roi de Macédoine [14] , mettaient en cause leurs généraux, qui, d’après eux, faute de compétence et de courage, menaient la campagne de façon honteuse et ridicule et laissaient faire à leurs troupes plus de mal qu’ils n’en causaient à l’ennemi. Rome venait, en effet, de contraindre Antiochos, surnommé le Grand, à renoncer à la domination de l’Asie ; elle l’avait rejeté au delà du Taurus [15] , enfermé dans ses Etats de Syrie et réduit à se contenter d’acheter la paix quinze mille talents [16] . Peu de temps auparavant, en Thessalie, elle avait écrasé Philippe [17] et affranchi la Grèce du joug macédonien. Elle avait aussi vaincu définitivement un homme auquel pas un Roi n’était comparable en audace et en puissance, Hannibal [18] . Les Romains jugeaient donc intolérable de lutter avec Persée comme s’il pouvait, à lui seul, balancer la fortune de Rome, lui qui, depuis longtemps déjà, les combattait sans autres armes que les tronçons échappés à la défaite paternelle. Ils ignoraient que Philippe, après sa défaite, avait rendu la puissance militaire des Macédoniens beaucoup plus forte et plus efficace. A ce sujet je vais faire une courte digression en remontant plus haut.

VII. Antigone [19] , le plus puissant des successeurs et des lieutenants d’Alexandre, s’était assuré, pour lui et ses descendants, le titre de Roi. Il eut pour fils Démétrios [20] , dont le fils fut Antigone, surnommé Gonatas [21] , dont vint Démétrios qui, ayant lui-même régné peu de temps, mourut en laissant un fils en bas âge, Philippe. Redoutant l’anarchie, les grands de Macédoine appelèrent Antigone, qui était le cousin du défunt, et lui firent épouser la mère de Philippe. Ils le nommèrent d’abord régent et généralissime ; puis, éprouvant sa modération et son souci du bien public, Roi. Il fut surnommé Doson (celui qui donnera), parce qu’il faisait des promesses sans les tenir. Après lui Philippe régna. Il eut d’abord un règne des plus prospères, étant encore un tout jeune homme, et donna à penser qu’il rendrait à la Macédoine son rang d’autrefois, et contiendrait à lui seul la puissance des Romains, qui déjà se dressait contre tous les peuples. Mais, vaincu dans un grand combat à Scotusse [22] , par Titus Flamininus [23] , il prit peur, livra toutes ses possessions aux Romains et s’estima heureux d’en être quitte pour une sanction bénigne [24] . Plus tard, se résignant mal à cette situation et comprenant que régner par la grâce des Romains, c’était bon pour un captif épris des douceurs de la vie et non pour un homme doué d’intelligence et de coeur, il porta ses vues sur la guerre, qu’il se mit à préparer en secret, avec toutes les précautions possibles. Laissant affaiblies et presque désertes, pour que l’ennemi les méprisât, les villes situées sur les grandes routes et sur les bords de la mer, il réunit, dans la partie haute du royaume, des troupes considérables. Il remplit les régions intérieures, les forteresses et les villes, d’armes, d’argent et d’hommes pleins de vigueur. Il engraissait la guerre et la tenait, pour ainsi, dire, cachée dans l’ombre. Il avait trente mille armures qui ne faisaient rien pour le moment, huit millions de médimnes [25] de blé en réserve dans ses magasins, et assez d’argent pour entretenir, pendant dix ans, dix mille mercenaires destinés à défendre le pays. Mais il n’eut pas le temps de mettre ces ressources en branle et en action, le chagrin et le découragement ayant hâté la fin de sa vie ; car il reconnut avoir injustement sacrifié l’un de ses fils, Démétrios, aux calomnies de l’autre, celui qui valait le moins. Le survivant, Persée, reçut en héritage, avec le trône, la haine de son père pour les Romains, sans être capable d’en porter le poids, à cause de la petitesse et de la mesquinerie d’un caractère où, entre des vices et des passions de toute sorte, dominait l’avarice. On dit qu’il n’était même pas de naissance royale et que sa mère, une couturière d’Argolide, nommée Gnaethénion, l’avait cédé, tout nouveau-né, à la femme de Philippe, qui le présenta comme son propre fils [26] . C’est le principal motif pour lequel il semble avoir causé la mort de Démétrios, dans la crainte que la famille royale, ayant un héritier légitime, ne découvrît sa bâtardise, à lui.

VIII. Cependant, tout dépourvu de noblesse et vil que fût Persée, les forces dont il disposait l’entraînèrent à faire la guerre [27] . Il tint bon et résista longtemps aux généraux romains, personnages consulaires, repoussa des armées et de grandes flottes, et même prit quelquefois l’offensive avec succès. Publius Licinius fut le premier à envahir la Macédoine. Persée le défit dans un combat de cavalerie, lui tua deux mille cinq cents soldats d’élite et fit six cents prisonniers. De plus, comme la flotte romaine mouillait à Oréos [28] , il lui donna l’assaut à l’improviste, prit vingt transports avec leur cargaison et coula les autres, qui étaient chargés de blé ; il s’empara aussi de quatre quinquérèmes. Il livra sur terre un deuxième combat, où il tint en échec le consulaire Hostilius, qui essayait de forcer le passage d’Elimies [29]  ; puis, ce général battant furtivement en retraite par la Thessalie, Persée lui offrit le combat, que l’autre n’osa pas accepter. En marge de la guerre, il fit une expédition contre les Dardanées [30] , pour montrer qu’il méprisait les Romains et prenait son temps avec eux ; il tailla en pièces dix mille Barbares et remporta un butin considérable. Il remuait, de plus, les Gaulois établis sur les bords de l’Ister [31] et qu’on appelle Basternes [32] , peuple de cavaliers et de soldats ; et il engageait les Illyriens, par l’entremise de leur Roi Genthius, à faire la guerre de concert avec lui. Le bruit se répandit même que tous ces Barbares, soudoyés par lui, envahiraient l’Italie en passant par la Gaule inférieure, le long de l’Adriatique.

IX. En apprenant ces nouvelles, les Romains décidèrent de ne plus attacher d’importance aux démonstrations et aux promesses des candidats ; mieux valait appeler au commandement un homme sensé, qui sût se conduire dans les grandes circonstances. Ce fut Paul-Émile. Il était déjà d’un âge avancé, puisqu’il avait près de soixante ans ; mais il se trouvait en pleine force physique et il avait autour de lui un rempart de gendres et de fils tout jeunes, une foule d’amis et de parents très influents. Tous lui conseillaient de se rendre au désir du peuple qui l’appelait au consulat. Au début, il faisait des façons avec la multitude, dont il repoussait les avances en disant qu’il ne voulait pas commander. Mais, comme on allait tous les jours à sa porte, qu’on l’appelait au Forum et qu’on l’acclamait, il se laissa faire. Dès qu’on vit son nom parmi ceux des candidats au consulat, on crut qu’au lieu de briguer une magistrature il apportait la victoire et l’heureuse conclusion de la guerre en permettant aux citoyens de descendre au Champ de Mars [33]  : si grands étaient l’espoir et l’enthousiasme unanimes ! On le fit consul pour la seconde fois [34] . Le peuple ne laissa pas, comme d’habitude, tirer les provinces au sort ; on lui conféra d’emblée le commandement de l’expédition de Macédoine. On dit que, le jour où il fut proclamé généralissime des armées romaines contre Persée, reconduit chez lui avec de grands égards par le peuple entier, il trouva sa fillette Tertia, encore un petit enfant, tout en larmes. Il l’embrassa et lui demanda le motif de son chagrin. Elle se jeta à son cou, et dit en lui rendant son baiser : « Tu ne sais donc pas, père, que notre Persée est mort ? » C’était un petit chien qu’elle élevait. « A la bonne heure, ma fille ! répondit Paul-Émile : j’en accepte l’augure. » L’orateur Cicéron rapporte ce trait dans son livre De la Divination [35] .

X. D’habitude les Romains élus au consulat témoignaient leurs reconnaissance au peuple en lui adressant une harangue du haut de la tribune. Paul-Émile réunit donc les citoyens en assemblée. Il leur dit qu’il avait brigué son premier consulat parce qu’il désirait lui-même le pouvoir, et le deuxième parce qu’eux demandaient un chef. Aussi ne leur avait-il aucune reconnaissance ; et même, s’ils croyaient qu’avec un autre la guerre marcherait mieux, il se désistait du commandement. Si, au contraire, ils avaient confiance en lui, ils ne devaient pas se mêler de la conduite de la guerre ; car, s’ils cherchaient à commander à un commandant en chef, ils seraient encore plus ridicules dans les campagnes qu’à présent. Ces paroles lui attirèrent un grand respect des citoyens. Ils s’attendirent à de grands résultats, et la masse des électeurs se réjouit d’avoir laissé de côté les flatteurs du peuple pour choisir un chef qui avait de la franchise et de la fierté. Tant, pour dominer et arriver à être grand entre tous, le peuple romain se faisait alors l’esclave de la vertu et du devoir !

XI. Que Paul-Émile, après son embarquement, ait joui d’une heureuse navigation et fait une traversée facile, j’attribue cet avantage à la Fortune, qui l’amena bien vite et sûrement au camp. Mais si, me reportant à la guerre, j’envisage la stratégie, si je considère que, soit par la promptitude de son action audacieuse, soit par ses mesures excellentes, soit par le concours zélé de ses amis, soit par son courage dans les périls et ses raisonnements appropriés aux circonstances, il est venu à bout de sa mission, je ne puis donner la chance pour cause à ce résultat brillant et éclatant, comme dans le cas d’autres généraux. A moins de dire précisément que l’avarice de Persée a été pour Paul-Émile une bonne fortune en renversant la situation des Macédoniens, qui était grande, magnifique, et faisait concevoir pour la guerre les plus belles espérances. Tout fut ruiné, parce que Persée avait peur de donner de l’argent. Les Basternes avaient répondu à son appel. Ils étaient dix mille cavaliers et dix mille fantassins légers, tous mercenaires, gens qui ne connaissaient ni l’agriculture, ni la navigation, ni la pâture des bestiaux et ne pratiquaient qu’une seule besogne et qu’un seul métier, la guerre continuelle et la victoire sur leurs adversaires. Lorsqu’ayant établi leur camp en Médique [36] ils prirent contact avec les soldats envoyés par le Roi, la seule présence de ces hommes de haute taille, d’une adresse merveilleuse au maniement des armes, arrogants et hautains dans leurs menaces à l’égard des ennemis, donna de l’audace aux Macédoniens et leur fit croire que les Romains, loin de résister, trembleraient à ce terrible aspect et à la vue de ces mouvements étranges et formidables. Voilà les dispositions que Persée inspirait à ses soldats et les espérances dont il les enflait. Mais comme on lui réclamait mille drachmes [37] par capitaine, il eut le vertige à l’idée d’une si grande quantité d’or ; il en perdit la tête et, par lésinerie, refusa. Il sacrifiait ainsi cette alliance. On eût dit qu’il faisait les affaires des Romains au lieu de leur faire la guerre, et qu’il devait rendre à ses ennemis un compte exact des dépenses de la campagne. Il pouvait pourtant les prendre pour maîtres, eux qui, en dehors de leurs autres préparatifs, avaient cent mille soldats rassemblés et à pied d’oeuvre pour les besoins urgents. Et malgré tout, lui qui avait à s’opposer à une armée si grande et devait soutenir une guerre si largement financée par l’ennemi, comptait son or, marquait d’un signe chaque pièce et craignait d’y toucher comme si c’eût été le bien d’un autre. Et il faisait cela sans être issu de Lydiens ou de Phéniciens [38] . Au contraire, en raison d’une parenté avec Alexandre et Philippe, il prétendait s’approprier leur courage [39] . Seulement, ces Princes dominaient tout parce qu’à leurs yeux le succès s’achetait par l’argent, et non l’argent par le succès. On disait, en tout cas, que les villes grecques, ce n’était pas Philippe qui les prenait, mais l’or de Philippe. Et Alexandre au départ de son expédition contre les Indiens, s’apercevant que les Macédoniens traînaient après eux les richesses pesantes et encombrantes des Perses, commença par brûler les chars du Grand Roi, devenus les siens, et décida ensuite ses officiers à faire de même et à partir pour la guerre allégés et comme affranchis. Persée, au contraire, qui répandait l’or pour lui, ses enfants et sa cour, ne voulut pas acheter son salut moyennant une faible somme, et ce riche, emmené prisonnier avec une grande fortune, préféra étaler aux yeux des Romains tout ce que son avarice lui avait fait garder pour eux.

XII. Les Gaulois ne furent pas les seuls qu’il laissa partir après les avoir dupés. Il avait aussi déterminé Genthius d’Illyrie à commencer la guerre, en lui promettant trois cents talents [40] . Il montra aux envoyés de ce Prince l’argent tout compté et le fit sceller dans des sacs. Genthius, se croyant ainsi sûr de tenir ce qu’il avait demandé, commit un acte impie et terrible : il fit arrêter et mettre aux fers les ambassadeurs de Rome qui étaient venus le trouver. Persée jugea que, pour exciter Genthius à la guerre, il n’était plus nécessaire de le payer, après des gages d’hostilité tellement irrécusables et la rupture de la paix que constituait une si grande injustice. Il priva donc le malheureux de ses trois cents talents et, peu après, le laissa prendre comme au nid dans son royaume, avec ses enfants et sa femme, par le préteur Lucius Anicius, envoyé contre lui à la tête d’une armée. Venant combattre un adversaire comme celui-là, Paul-Émile le méprisait, tout en admirant ses préparatifs et ses forces. Persée avait, en effet, quatre mille cavaliers, et la phalange ne comprenait guère moins de quarante mille fantassins. Il s’était établi près de la mer, au pied de l’Olympe, sur des positions qui ne présentaient d’accès nulle part et que, de tous côtés, il avait fortifiées par des remparts et des palissades. Il se croyait là bien tranquille et pensait épuiser Paul-Émile à force de temps et de dépenses. Mais Paul-Émile avait la pensée active et prête à toutes les décisions, comme à toutes les expériences. Comme il voyait ses soldats, arrachés à leur tranquillité précédente, marquer leur mécontentement et s’ingérer en parole dans les décisions du général, dont beaucoup leur paraissaient inefficaces, il leur en fit le reproche et leur intima l’ordre de ne pas se tourmenter et de ne pas avoir d’autre souci que de maintenir chacun en bon état sa personne et ses armes et de se servir de l’épée en Romains, quand l’occasion leur en serait fournie par le chef. Il ordonna que les gardes de nuit fussent prises sans javelots, dans la pensée que les sentinelles seraient plus attentives et lutteraient davantage contre le sommeil, si elles ne pouvaient pas se défendre contre une surprise des ennemis.

XIII. Les hommes étaient surtout incommodés par le manque de boisson ; car l’eau était rare et mauvaise, et coulait goutte à goutte le long de la mer. Paul-Émile, voyant une grande montagne ombragée d’arbres tout auprès (c’était l’Olympe), conclut, de l’aspect verdoyant de la forêt, à la présence de nappes d’eau souterraines. Il creusa donc pour ces eaux des soupiraux et des puits nombreux au pied de la montagne. Ils furent aussitôt remplis d’une eau pure, qui, resserrée jusqu’alors, affluait maintenant, sous l’influence de l’attraction et de la pesanteur, vers les vides qu’on lui ménageait. Et cependant, au dire de quelques savants, il n’y a pas d’eaux prêtes à jaillir de sources cachées dans les lieux d’où elles coulent. Ces courants ne révèlent pas un réservoir. Il n’y a pas épanchement, mais génération et afflux, causés par l’humidité locale de la forêt, dont les exhalaisons se liquéfient sous l’action de la densité et de la fraîcheur. La compression en profondeur produit donc une masse fluide. Car, de même que les mamelles des femmes ne sont pas, comme des vases, pleines d’un lait prêt à couler, et qu’opérant, au contraire, une transmutation intérieure de leur nourriture, elles font le lait, puis le filtrent, ainsi les endroits de la terre rafraîchis et, en apparence, remplis de sources, n’ont pas d’eaux cachées, ni de sinuosités qui laissent échapper les eaux courantes. Tous ces fleuves profonds ne viennent pas d’une nappe d’eau souterraine, toute prête : en réalité, le vent et l’air, comprimant l’humidité par la pression et la condensation, la changent en eau. En tout cas, les endroits que l’on creuse font sourdre et couler davantage l’eau quand on les tâte ainsi, comme les mamelles des femmes répandent le lait quand on les tète, parce qu’ils mouillent et amollissent l’exhalaison. Au contraire, les terrains auxquels on ne touche pas ont une solide protection contre la naissance des eaux, étant à l’abri du mouvement qui produit l’humidité. Ceux qui soutiennent la théorie précitée ont donné prise à cette objection des sceptiques : « On pourrait dire, à ce compte, que le sang même n’existe pas chez les animaux et qu’il naît au moment des blessures, par le changement de l’esprit ou des chairs qui produit un écoulement et une dissolution. » Mais à cette réfutation [par l’absurde] on peut opposer un fait : dans la profondeur des conduits souterrains et des mines, on rencontre des fleuves qui, au lieu de grossir petit à petit, comme cela serait naturel s’ils naissaient du mouvement imprimé soudain à la terre, coulent à flots pressés. Bien plus, il arrive que, des montagnes ou des rochers ayant été fendus par un coup violent, un flot impétueux en jaillisse pour s’arrêter ensuite. En voilà assez sur ce point.

XIV. Quant à Paul-Émile, il resta tranquille pendant quelques jours, et l’on dit que jamais, entre de si grandes armées face à face de si près, il n’y eut tant de calme. Mais, comme, remuant et essayant tout, il finit par apprendre qu’il restait un seul passage qui n’était pas gardé, celui qui, à travers la Perrhébie [41] , conduisait à Pythion et à Pétra [42] , ce manque de protection lui causa plus d’espérances que la difficulté naturelle de ce défilé escarpé, raison de l’absence de garde, ne lui inspirait de craintes. Il mit l’affaire en délibéré. Le premier parmi les officiers présents, Scipion Nasica [43] , gendre de Scipion l’Africain, et dont l’autorité, par la suite, fut très grande dans le Sénat, promit de se mettre à la tête de la colonne d’encerclement. Après lui Fabius Maximus, l’aîné des fils de Paul-Émile, encore tout jeune homme, se leva, plein d’enthousiasme. Paul-Émile ravi leur donna moins de soldats que ne le dit Polybe [44] , mais juste le nombre indiqué par Scipion lui-même dans le billet qu’il écrivit à un Roi quelconque au sujet de ces opérations. Les Italiens hors rang étaient au nombre de trois mille, et l’aile gauche arrivait à cinq mille. Nasica leur ajouta cent vingt cavaliers et deux cents des hommes envoyés par Harpale, Thraces et Crétois mêlés [45] . Il fit mouvement par la route qui longeait la mer et établit son camp près d’Héraclée [46] , comme s’il allait s’embarquer pour cerner avec sa flotte le camp ennemi. Mais, après le souper des soldats, à la tombée de la nuit, il dévoila aux officiers sa véritable intention et fit prendre, pendant la nuit, à son armée la direction opposée, en s’éloignant de la mer. Il s’arrêta et ordonna une pause sous les murs de Pythion. En cet endroit la hauteur de l’Olympe atteint plus de dix stades [47] , comme l’indique une inscription de celui qui l’a mesurée. La voici :

La cime de l’Olympe qui surplombe le temple d’Apollon Pythien a une hauteur (et on l’a mesurée perpendiculairement),

d’une dizaine de stades complète, à laquelle il faut ajouter

un arpent diminué de quatre pieds [48] .

Le fils d’Eumèle a pris cette mesure,

Il s’appelait Xeinagoras. Toi, Prince, réjouis-toi et fais-nous de nobles dons [49] .

A vrai dire, les géomètres soutiennent que ni la hauteur d’une montagne, ni la profondeur de la mer, n’excèdent dix stades. Mais Xeinagoras ne paraît pas avoir indiqué cette dimension au hasard ; il a procédé avec méthode et à l’aide d’instruments.

XV. Nasica passa donc la nuit là. Persée, lui, voyant Paul-Émile se tenir tranquille sur place, ne devinait pas ce qui se faisait. Mais un déserteur crétois, qui s’était échappé en route de l’armée romaine, vint lui signaler le mouvement enveloppant des Romains. Il en fut bouleversé ; et toutefois, au lieu de lever le camp, il confia dix mille mercenaires étrangers et deux mille Macédoniens à Milon [50] , avec la consigne de faire diligence pour occuper les passages par surprise. Ceux-là, d’après Polybe [51] , dormaient encore quand les Romains tombèrent sur eux. Nasica dit, au contraire, qu’il y eut un combat très vif sur les hauteurs et que ses troupes coururent un grand danger. Lui-même, attaqué par un mercenaire thrace, le frappa de son javelot en pleine poitrine et le renversa mort ; puis il contraignit les ennemis à battre en retraite et Milon à fuir honteusement, sans armes et vêtu d’une simple tunique. Il n’eut alors qu’à le suivre tranquillement, en faisant descendre son armée dans le plat pays. Le retour inopiné des fuyards au camp de Persée fit lever le camp à ce Prince en toute hâte ; il ramena ses troupes en arrière, tant il était terrifié et déçu dans ses espérances ! Il lui fallait cependant, ou bien tenter le sort des armes en avant de Pydna [52] , ou bien disperser son armée et attendre dans les villes la guerre, qu’il n’était pas possible, si elle entrait en Macédoine, d’en faire sortir sans beaucoup de sang et de morts. Dans cette situation, si son attaque partait de là, il avait l’avantage du nombre, et, de plus, l’ardeur était grande chez ses soldats, qui luttaient pour leurs femmes et leurs enfants sous les yeux du Roi, témoin de toutes leurs actions et s’exposant lui-même à leur tête. Les amis de Persée l’encourageaient par ces considérations. Il rétablit son camp, prit ses dispositions de combat, examina le terrain et répartit les commandements, dans l’intention d’attaquer les Romains d’emblée. Le champ de bataille était une plaine, appropriée aux évolutions de la phalange, qui exigeaient un sol plat et uni, et adossée à des collines, qui, tenant l’une à l’autre, offraient aux soldats d’infanterie légère et aux archers des abris, avec le moyen d’envelopper l’ennemi. Au milieu coulaient deux fleuves, l’Eson et le Leucos, peu profonds en cette saison, car on se trouvait au déclin de l’été, mais qui paraissaient cependant devoir causer quelques difficultés aux Romains.

XVI. Paul-Émile, après avoir fait sa jonction avec Nasica, descendait, à la tête de son armée rangée en bataille, au-devant des ennemis. Mais quand il vit leur ordonnance, étonné de leur nombre, il arrêta sa marche et se mit à réfléchir. Les jeunes officiers, pleins d’ardeur pour le combat, arrivaient près de lui à toute bride et le priaient de ne pas différer, Nasica surtout, à qui son succès de l’Olympe avait donné confiance. Paul-Émile lui dit en souriant : « Oui, si j’avais ton âge ! Mais les nombreuses victoires que j’ai remportées, en m’apprenant comment on se fait battre, m’empêchent d’engager un combat dès mon arrivée contre une phalange compacte et déjà en ordre de bataille. » Là-dessus il fit disposer en peloton les premiers rangs, ceux qui étaient visibles de l’ennemi, et leur donna l’apparence d’une formation de combat. Quant aux troupes de queue, il leur fit, au contraire, faire demi-tour, établir un retranchement et camper. Ainsi, les soldats évoluant continuellement en arrière de ceux qui les précédaient, il défit, sans qu’on y vît rien, sa formation de combat, et ramena tous ses hommes, sans aucune confusion, à l’intérieur du camp. La nuit tombée, au moment où, après souper, les hommes s’étaient adonnés au sommeil et au repos, soudain la lune qui était pleine et au zénith, s’obscurcit, et, la lumière lui faisant défaut, elle prit toutes sortes de teintes et finit par s’éclipser totalement [53] . Alors que les Romains, suivant leur coutume, appelaient le retour de sa lumière en frappant sur des cuivres et en élevant vers le ciel bien des torches et des flambeaux allumés, les Macédoniens ne faisaient rien de pareil ; un frisson de terreur glaçait tout leur camp, et l’on murmurait que ce phénomène annonçait la perte du Roi. Paul-Émile, lui, n’était pas absolument un ignorant sur de telles matières. Il avait entendu parler des irrégularités dues aux éclipses, qui, à des époques réglées, jettent la lune, entraînée par un mouvement circulaire, dans un cône d’ombre projeté par la terre et la cachent jusqu’au moment où, ayant traversé la zone ténébreuse, elle resplendit à nouveau de la lumière qu’elle emprunte au soleil. Mais comme il faisait, dans la vie, une grande place à la divinité, qu’il était fort attaché aux sacrifices et pratiquait la divination, dès qu’il vit la lune redevenir nette, il lui sacrifia onze veaux. Au lever du jour, il offrit un sacrifice à Hercule. Il immola vingt victimes sans obtenir de présage favorable ; enfin la vingt et unième donna des signes qui annonçaient une victoire par la défensive. Il promit donc à ce dieu cent boeufs et des jeux sacrés. Il prescrivit ensuite aux officiers de disposer l’armée pour le combat. Lui-même attendit que le soleil baissât vers le couchant afin d’éviter que les soldats, en combattant dès le matin, ne l’eussent en pleine figure. Il passa cet intervalle assis sous sa tente, qui était ouverte sur la plaine et le camp ennemi.

XVII. Vers le soir, d’après certains historiens, une ruse imaginée par Paul-Émile lui-même fit prendre à l’ennemi l’initiative du combat : les Romains jetèrent dans ses rangs un cheval sans mors et coururent à sa poursuite, ce qui fut le début de l’opération [54] . Selon d’autres auteurs, un convoi de fourrage de l’armée romaine fut attaqué par les Thraces, que commandait Alexandre. Il y eut une violente réaction de sept cents Ligures ; mais un plus grand nombre d’hommes arrivèrent à la rescousse des deux côtés, et c’est ainsi que s’engagea la bataille. Paul-Émile, comme un pilote prévoit la tempête, conjecturait par l’agitation et le mouvement des armées, la grandeur de l’opération ; il sortit de sa tente et fit le tour des formations d’infanterie lourde pour les encourager. Nasica, lui, se porta à cheval sur le lieu de l’escarmouche et vit que presque tous les ennemis en venaient aux mains. En tête marchaient les Thraces, dont la vue, il l’affirme, l’effraya surtout. C’étaient des hommes de stature élevée ; leurs boucliers et leurs jambarts resplendissaient de blancheur. Vêtus de tuniques noires, ils brandissaient, par-dessus l’épaule droite, des sabres de fer droits et pesants. Après les Thraces, venaient les mercenaires, aux équipements variés, pêle-mêle avec les Péoniens. Enfin un troisième corps, l’élite des combattants qui, parmi les Macédoniens eux-mêmes, offraient le type le plus pur du courage et de la virilité. Ils éblouissaient par l’or répandu sur leurs armes et la fraîcheur de leurs habits de pourpre. Pendant qu’ils se mettaient en position de combat, les Boucliers d’Airain [55] , sortant du rempart, remplissaient la plaine de l’éclat du fer et de la splendeur du cuivre, et la montagne des cris désordonnés par lesquels ils s’encouragaient. Ceux-là étaient survenus si audacieusement et avec tant de vitesse que leurs premiers morts tombèrent à deux stades [56] du camp romain.

XVIII. Pendant l’attaque, Paul-Émile arriva et s’aperçut que déjà les Macédoniens des corps d’élite avaient appuyé la pointe de leurs sarisses [57] contre les boucliers des Romains, leur ôtant ainsi la faculté de combattre à l’épée. Mais quand les autres Macédoniens, eux aussi, firent, vivement couler leurs boucliers de l’épaule, et, sur un seul signal, inclinèrent leurs piques pour tenir en respect les Romains, il vit la solidité de cette haie de boucliers et la dureté du choc des piques. Alors l’abattement et la crainte le saisirent ; car il n’avait encore jamais rien vu de plus terrible ; et souvent, par la suite, il se ressouvint de son émotion devant ce spectacle. Mais à ce moment-là, devant les combattants, il se montra calme et même gai. Il parcourut leurs rangs à cheval, sans casque ni cuirasse. Le Roi de Macédoine, lui, Polybe l’affirme [58] , prit peur dès le début du combat ; et, faisant tourner bride à son cheval, il s’enfuit vers la ville sous couleur de faire un sacrifice à Héraclès, qui n’accepte pas les lâches sacrifices offerts par des lâches, et n’exauce pas les voeux illicites. Car il n’est pas permis que, sans tirer, on atteigne le but, que, sans tenir ferme, on soit victorieux, ni, en somme, que le paresseux réussisse ou que le faible ait du succès. Au contraire les prières de Paul-Émile furent favorisées par la divinité ; car, s’il demandait l’avantage et la victoire, c’était les armes à la main, et, combattant lui-même, il s’adressait à Dieu comme à un allié. Cependant un certain Posidonios [59] qui vécut, dit-il, dans ce temps-là et fut mêlé à ces événements, affirme, dans son Histoire de Persée en plusieurs volumes, que ce Prince n’a pas quitté le champ de bataille par lâcheté et que le sacrifice ne fut point un simple prétexte. La veille du combat, il aurait été blessé, à la jambe, d’un coup de pied de cheval. Il prit part au combat en dépit de cette incommodité et des efforts de ses amis pour le retenir. Il se fit amener un de ses chevaux de selle, le monta et vint se mêler, sans cuirasse, aux hommes de la phalange. Comme des projectiles de toute sorte tombaient sur lui de chaque côté, un javelot tout en fer [60] l’atteignit, sans le toucher, il est vrai, de la pointe, mais en passant obliquement le long de son flanc gauche. Ce contact impétueux déchira sa tunique et ensanglanta sa chair d’une meurtrissure peu visible, et dont toutefois il porta longtemps la marque. Voilà donc la défense que Posidonios présente pour Persée.

XIX. Comme les Romains, quand ils furent en face de la phalange, n’arrivaient pas à la rompre, Salvius, le chef des Péligniens, saisissant l’enseigne de ses hommes, la jeta dans les rangs ennemis. Or c’est un crime et une impiété pour les Italiens d’abandonner une enseigne. Les Péligniens accoururent donc à l’endroit où la leur était tombée ; et, quand ils furent aux prises avec l’ennemi, on fit et on souffrit de chaque côté des atrocités. Les uns essayaient d’écarter les sarisses avec leurs épées, de les écraser sous leurs boucliers, et même de les détourner en les prenant à pleines mains. Les autres, tenant ferme leur pique à deux mains, fonçaient sur ceux qui se heurtaient à leurs armes, sans que ni bouclier, ni cuirasse, pût amortir la violence du coup, et renversaient, la tête la première, les corps des Péligniens et des Marruciens [61] , qui, sans aucune réflexion, obéissant à une rage bestiale, donnaient tête baissée au-devant du coup et d’une mort évidente. Ainsi, les hommes du premier rang ayant été tués, ceux du second reculèrent. Ce n’était pas tout à fait une fuite, mais une retraite vers le mont Olocre. Pourtant, à cette vue, Paul-Émile, d’après Posidonios, déchira sa tunique. On le comprend : parmi les Romains, les uns venaient de céder ; les autres se troublaient devant la phalange, qui n’offrait pas de fissure, et qui, bien au contraire, opposant à l’ennemi une haie de lances, était de toutes parts inaccessible. Mais l’inégalité du terrain et l’allongement du front ne permirent pas de maintenir partout cette cohérence parfaite. Il s’aperçut donc que la phalange macédonienne finissait par présenter, en maint endroit, des déchirures et des fentes ; phénomène explicable dans une grande armée, où l’élan des combattants varie ; aussi broyée sur certains points, s’affaissait-elle sur d’autres. Il ramena donc promptement ses troupes au combat, les divisa en pelotons et leur ordonna de fondre sur les intervalles et les vides de la formation ennemie, d’y pénétrer et de livrer ainsi, au lieu d’un combat unique d’ensemble, plusieurs combats partiels et simultanés. Paul-Émile donna ces instructions aux officiers, qui les répétèrent à leurs hommes ; et ceux-ci se glissèrent à l’intérieur de la phalange pour la désorganiser. Ils attaquaient de flanc sur les points mal défendus ; ailleurs, ils rompaient la continuité par des manoeuvres d’encerclement. Aussitôt, c’en fut fait de la force et de l’efficacité de la phalange, désormais brisée. Les combats qui suivirent étaient d’homme à homme ou entre petits groupes. Les Macédoniens, frappant avec de petits poignards les boucliers de fer, qui protégeaient l’ennemi jusqu’aux pieds, et n’ayant que de légers boucliers à opposer aux épées des Romains, qui, par leur pesanteur et la raideur de leur tranchant, perçaient toutes les armes défensives pour arriver au corps, furent défaits.

XX. Contre la phalange il y eut donc une action très vive. Là précisément aussi Marcus, le fils de Caton et le gendre de Paul-Émile, en déployant toute sa valeur, perdit son épée. Sa réaction fut celle d’un jeune homme qui avait reçu bien des enseignements et devait à son illustre père de donner des preuves de grand courage. Il lui parut impossible de vivre en abandonnant aux ennemis une dépouille conquise sur lui. Aussi se précipita-t-il dans la mêlée, expliquant son aventure à tous ceux de ses amis ou de ses familiers qu’il pouvait voir et les pressant de l’assister. Il s’en trouva beaucoup ; et c’étaient des hommes de coeur, qui, d’un seul élan, écartant les autres combattants, se groupèrent autour de lui et se jetèrent sur l’ennemi. Après un combat acharné, beaucoup de sang et de blessures, ils restèrent maîtres du champ de bataille, maintenant désert et nu, et purent se mettre à la recherche de l’épée. Ils la découvrirent à grand-peine, cachée sous un monceau d’armes et de cadavres. Ils en eurent beaucoup de joie ; et, chantant un hymne de victoire, ils poussèrent plus brillamment encore ceux des ennemis qui continuaient à tenir. Enfin les trois mille hommes d’élite qui restaient en ligne et persistaient à combattre furent tous taillés en pièces. Les autres s’enfuirent et on en fit un grand carnage, de sorte que la plaine et le pied de la montagne furent remplis de cadavres et que les eaux du fleuve Leucos, d’après le récit des Romains, étaient encore teintes de sang le lendemain du combat. Car on dit qu’il mourut plus de vingt-cinq mille Macédoniens. Les Romains eurent, d’après Posidonios, cent tués, et, d’après Nasica, quatre-vingts.

XXI. Le sort de cette grande bataille fut réglé aussi vite que possible ; car, ayant commencé de se battre à la neuvième heure, les Romains furent victorieux avant la dixième [62] . Ils employèrent le reste du jour à la poursuite, qu’ils prolongèrent sur un espace de cent vingt stades [63] , et n’interrompirent qu’à la nuit tombante. Les vainqueurs furent accueillis par les valets d’armée, qui allèrent à leur rencontre, des flambeaux allumés à la main, et les conduisirent, avec des transports de joie, à leurs tentes illuminées et décorées de lierre et de lauriers. Seul le général en chef était en proie à une grande douleur ; car, des deux fils qui combattaient dans son armée, on ne retrouvait nulle part le plus jeune, celui qu’il aimait le plus et qu’il voyait de nature plus vertueuse encore que ses frères. Ce jeune homme avait l’âme ardente et éprise de gloire, mais c’était encore un enfant par l’âge. Paul-Emile supposait donc qu’il avait trouvé la mort en se jetant, par inexpérience, dans les rangs ennemis [64] . Son angoisse et son extrême douleur furent remarquées de l’armée ; et les soldats, interrompant leur repas, sautèrent sur leurs pieds et coururent de divers côtés avec des flambeaux. Beaucoup d’entre eux se rendirent à la tente de Paul-Émile ; beaucoup aussi devant les remparts, où ils cherchaient le jeune homme parmi les premiers morts. Un abattement général régnait dans le camp, et la plaine était remplie d’une grande clameur, celle des gens qui appelaient Scipion : car il était adoré de tout le monde depuis ses débuts, ayant plus d’aptitudes pour le commandement et les affaires d’État qu’aucun des jeunes gens de son temps. Enfin sur le tard, comme déjà l’on désespérait presque de lui, il revint de la poursuite avec deux ou trois compagnons, couvert du sang nouvellement répandu des ennemis, comme un jeune chien de chasse qui, dans la joie de la victoire, s’était laissé entraîner trop loin. C’est ce Scipion qui, par la suite, rasa Carthage et Numance, et fut de beaucoup le plus courageux et le plus puissant des Romains de sa génération. Ainsi la Fortune, remettant à un autre temps sa revanche des succès de Paul-Émile, lui laissa complète, pour le moment, la joie de la victoire.

XXII. Persée, lui, s’enfuyait de Pydna à Pella [65] , suivi de sa cavalerie, qui avait presque entièrement échappé au désastre. Mais comme les fantassins de son escorte, accusant les cavaliers de lâcheté et de trahison, les jetaient à bas de leurs chevaux et les frappaient, il eut peur de ce tumulte et fit faire un détour à son cheval. Il arracha sa pourpre, afin de ne pas se faire remarquer, la mit devant lui, et porta le diadème dans ses mains. Puis, voulant s’entretenir avec ses amis pendant la marche, il descendit, et il poussait son cheval devant lui. Mais ses amis feignaient, l’un de rattacher une chaussure dénouée, l’autre, de baigner son cheval, un troisième, de chercher à boire. Ils restaient donc en arrière, et peu à peu s’échappaient, redoutant moins l’ennemi que la cruauté de leur propre Roi ; car, ulcéré de ses revers, il cherchait à détourner sur tout le monde la responsabilité de sa défaite. Entré de nuit à Pella, il y fut accueilli par Euctor et Eulée, ses préposés aux finances, qui, soit par des reproches sur sa conduite, soit par une franchise déplacée et par leurs conseils, le mirent en colère. Il les tua l’un et l’autre en les frappant de son poignard. Personne ne resta donc plus avec lui, en dehors d’Évandre de Crète, d’Archédamos d’Étolie et du Béotien Néon. Parmi ses soldats, les Crétois l’avaient accompagné, non par dévouement, mais parce qu’ils s’attachaient obstinément à l’argent, comme les abeilles à leurs cellules. Car il emportait des trésors immenses, et il leur permit de piller des coupes, des cratères, d’autres pièces de vaisselle d’argent et d’or, jusqu’à concurrence de cinquante talents [66] . Mais arrivé d’abord à Amphipolis [67] et ensuite à Galepse [68] , comme sa crainte s’était un peu relâchée, il retomba dans son vice familier et le plus anciennement ancré chez lui, la lésinerie. Il se lamentait auprès de ses amis, regrettant d’avoir dilapidé sans réflexion, au profit des Crétois, quelques-unes des coupes d’or d’Alexandre le Grand ; et il priait instamment les détenteurs de ces objets en versant des larmes, de les lui rendre contre la valeur en numéraire. Ceux qui le connaissaient bien, s’aperçurent qu’il faisait le Crétois avec les Crétois [69]  ; les autres se fièrent à lui, rendirent les objets et furent frustrés, car il ne rendit pas l’argent. Il gagna de la sorte sur ses amis trente talents [70] , que, peu après, ses ennemis devaient lui prendre, et, avec cette somme, il passa dans l’île de Samothrace, où il se réfugia en suppliant dans le temple des Dioscures [71] .

XXIII. Les Macédoniens passent pour être toujours attachés à leurs Rois ; mais alors, comme si, la pièce maîtresse brisée, tout se fût effondré en même temps, ils se soumirent à Paul-Émile, qu’ils rendirent, en deux jours, maître de la Macédoine entière. Et voilà un fait de nature à confirmer l’opinion de ceux qui attribuent les exploits de Paul-Émile à une heureuse fortune. De plus, ce qui lui arriva lors d’un sacrifice était aussi miraculeux. C’était à Amphipolis. Il immolait les victimes quand la foudre tomba tout à coup sur l’autel, y mit le feu et les consuma. Mais le plus extraordinaire et ce qui marque le mieux la faveur divine est la rapide diffusion de ses succès. Trois jours après la défaite de Persée à Pydna, pendant une course de chevaux à Rome, le bruit se répandit soudain dans les premiers rangs des spectateurs que Paul-Émile, vainqueur de Persée dans un grand combat, conquérait toute la Macédoine. La nouvelle circula rapidement dans la masse du peuple ; la joie éclata ; les applaudissements et les acclamations remplirent ce jour-là toute la ville. Ensuite, comme aucun indice sérieux ne permettait de remonter à la source de l’information, et que, visiblement, tout le monde la recueillait dans les mêmes conditions, la rumeur se dispersa et s’évanouit. Mais quelques jours après, quand on fut exactement informé, l’on s’étonna de cette annonce anticipée ; car, dans le mensonge, il y avait une vérité.

XXIV. On cite d’autres faits analogues. Le combat des Italiens sur le Sagra [72] fut annoncé le jour même en Péloponnèse ; et l’on sut aussi vite à Platées la bataille de Mycale contre les Mèdes [73] . La victoire de Rome sur les Tarquins, alliés aux Latins [74] , fut annoncée, quelques instants après qu’elle avait eu lieu, par deux beaux hommes de haute taille. On suppose que c’étaient les Gémeaux [75] . Le premier qui les rencontra sur le Forum, devant la fontaine, en train de rafraîchir leurs chevaux inondés de sueur, s’étonna de ce bruit de victoire. Alors ils lui touchèrent, dit-on, la barbe de leurs deux mains en souriant silencieusement ; et aussitôt, de noire elle devint rousse, ce qui valut à la nouvelle sa confirmation et à l’homme le surnom d’Ahénobarbe, c’est-à-dire de Barbe d’Airain [76] . Tout cela, ce qui s’est passé de nos jours l’a rendu croyable. En effet, quand Antoine fit défection à Domitien [77] et qu’on s’attendait à une grande guerre du côté de la Germanie, soudain, dans Rome troublée, le peuple puisa spontanément en lui-même la certitude d’une victoire, dont il répandit le bruit dans toute la Ville. On disait partout qu’Antoine lui-même était tué et que pas une fraction de son armée vaincue ne subsistait. La nouvelle se répandit avec tant de fracas et fut tellement accréditée que même beaucoup de magistrats offrirent des sacrifices d’action de grâces. On rechercha celui qui avait lancé la nouvelle : on ne trouva personne ; le bruit circulait de bouche en bouche et finit par se noyer dans la foule ignorante, comme en une mer immense. On s’aperçut alors qu’il n’avait aucune source certaine, et bientôt il n’en fut plus question. Mais Domitien, déjà parti pour la guerre avec une armée, rencontra en chemin la mission chargée de lui remettre le bulletin de victoire officiel. Le succès avait été acquis le jour même où il fut annoncé à Rome, et à une distance de plus de vingt mille stades [78] . Cela, nul de nos contemporains ne l’ignore.

XXV. Cnéus Octavius, amiral de la flotte de Paul-Émile, était venu mouiller devant Samothrace. Il respectait l’asile de Persée, par piété envers les dieux, mais lui coupait tous les moyens de fuir hors de l’île. Cependant le Roi put acheter un Crétois, nommé Oroandès, possesseur d’un petit vaisseau, qui promit de le prendre à son bord. Cet homme, en bon Crétois, prit l’argent ; mais, après avoir dit à Persée de venir la nuit au port, près du temple de Déméter, avec ses enfants et les serviteurs indispensables, il leva l’ancre dès le soir venu. Persée se trouvait dans une situation pitoyable. Il s’était laissé glisser par une fenêtre étroite le long du mur avec ses enfants et sa femme, qui n’avaient pas l’expérience de la fatigue et des voyages. Il erra ensuite sur la grève, et fit entendre un gémissement très plaintif quand un témoin lui annonça que déjà Oroandès cinglait en haute mer. Le jour brillait maintenant, et, privé de toute espérance, il s’enfuit avec sa femme vers le mur d’où il était descendu, sans se cacher aux Romains, mais en s’efforçant de les devancer. Quant à ses enfants, il les avait confiés à Ion, autrefois son mignon et désormais un traître. Cet Ion fut la cause déterminante de la perte du malheureux, dont il livra les enfants à Rome. Alors Persée, comme une bête à laquelle on a pris ses petits, se remit aux mains de leurs détenteurs, auxquels il livra sa personne. Il se fiait surtout à Nasica, et c’est lui qu’il demanda. Mais, comme Nasica n’était pas là, Persée déplora sa propre infortune, et, considérant la nécessité où il était réduit, il se livra à Cnéus. Il fit bien voir alors qu’il était atteint d’un vice encore plus ignoble que l’amour de l’argent, l’attachement à la vie, et il se priva, par là, du seul bien que la fortune n’ôte pas aux malheureux, la pitié. Il avait demandé à être conduit à Paul-Émile ; et celui-ci, croyant avoir affaire à un grand homme dont la chute malheureuse avait pour seule cause l’envie de la Fortune, se leva pour aller à sa rencontre, les larmes aux yeux, escorté de ses amis. Mais le Roi, honteux spectacle, se jeta la face contre terre, et, embrassant les genoux du vainqueur, il faisait entendre des paroles viles et des prières que Paul-Émile ne supporta ni n’écouta. Il jeta un regard douloureux et chagrin sur Persée, et lui dit : « Pourquoi, malheureux, justifier la Fortune du plus grave reproche qu’on puisse lui faire, par une conduite qui donne à penser que ta disgrâce n’est pas imméritée et que ce n’est pas ton destin d’aujourd’hui, mais celui d’autrefois, dont tu étais indigne ? Pourquoi rabaisser ma victoire et amoindrir mon succès en te révélant comme un être vil et un adversaire peu fait pour les Romains ? La vertu chez les malheureux leur attire une grande vénération, même quand ce sont vos ennemis ; mais la lâcheté, fût-elle couronnée de succès, est, aux yeux des Romains, le comble du déshonneur ».

XXVI. Cependant il le releva et lui tendit la main. Il le remit ensuite à Tubéron ; et, après avoir fait entrer sous sa tente ses enfants, ses gendres et les plus jeunes de ses officiers, il resta longtemps silencieux, comme perdu dans ses pensées, ce qui les étonna tous. Il se mit ensuite à les entretenir de la fortune et des affaires humaines : « Est-ce qu’il vaut la peine, dit-il, devant le succès, quand on est homme, d’être arrogant et de s’enorgueillir de la conquête d’une ville, d’un peuple, d’un empire ? N’y aurait-il pas lieu plutôt de réfléchir à l’inconstance de la Fortune, qui, en mettant sous les yeux du guerrier un exemple de la commune faiblesse, nous apprend à ne rien considérer comme durable et solide ? En effet, quelle occasion peut-il y avoir pour les hommes de prendre confiance, quand l’avantage acquis sur un adversaire nous force surtout à craindre les coups du sort et que la considération du destin, dont la marche cahotante prend tour à tour toutes les directions, inspire un tel découragement, même aux heures de joie ? En foulant aux pieds l’héritage d’Alexandre, le conquérant qui s’était élevé au plus haut degré de puissance et s’était assuré l’autorité la plus absolue, héritage effondré en moins d’une heure, et en voyant les Rois, qui naguère avaient pour escorte des fantassins par dizaines de mille et des cavaliers par milliers, recevoir, des mains de l’ennemi, la nourriture et la boisson au jour le jour, croyez-vous notre situation actuelle assurée et notre destin à l’abri du temps ? Et vous, les jeunes gens, n’allez-vous pas laisser tomber le vain orgueil et l’arrogance nés de la victoire pour vous humilier et vous abaisser devant l’avenir, en épiant toujours le moment où s’exercera pour chacun de nous la revanche de la divinité sur le succès présent ? » Après bien des réflexions de cet ordre, Paul-Émile, dit-on, renvoya les jeunes gens, bien avertis par ce discours, qui, à la façon d’un frein, rabattait leur orgueil et leur insolence.

XXVII. Ensuite il donna repos à son armée. Lui-même se mit à voir la Grèce, et tint une conduite à la fois glorieuse et humaine ; car sur son passage, il réconfortait les peuples, affermissait les États et faisait don aux cités soit de blé, soit d’huile pris dans les magasins royaux. Voyant à Delphes une grande colonne carrée de pierre blanche, sur laquelle on devait mettre la statue en or de Persée, il ordonna d’y mettre la sienne ; car il convenait que les vaincus cèdent la place aux vainqueurs. A Olympie, il prononça, dit-on, ce mot fameux : « Phidias a sculpté le Zeus d’Homère. » Après l’arrivée des dix commissaires envoyés de Rome, il rendit le pays aux Macédoniens avec le droit d’habiter leurs cités libres et indépendantes, en payant aux Romains cent talents [79] , la moitié de ce qu’ils versaient à leurs Rois. Il donna le spectacle de concours de toute sorte, immola des victimes aux dieux, offrit aussi des banquets et des repas, dont les frais énormes étaient, il est vrai, couverts par les finances royales. Mais l’ordre et le bon goût qui présidaient à ces fêtes, l’attribution des rangs, la bienveillance de l’accueil, le sens exquis et délicat des égards et des attentions dus à la dignité de chaque invité, firent l’admiration des Grecs. Ils ne pouvaient assez s’étonner que même les réjouissances eussent part à la sollicitude de Paul-Emile et qu’un homme qui faisait de si grandes choses sût réserver leur place aux petites. Mais le héros prenait encore plaisir à voir que, parmi tant de brillants apprêts, lui-même était pour les assistants le spectacle le plus agréable dont ils pussent jouir, et, si l’on s’étonnait de son application à bien recevoir, il répondait : « Il faut la même intelligence pour bien régler l’ordonnance d’une armée ou celle d’un banquet, l’une visant à terrifier les ennemis, l’autre à réjouir les convives autant que possible. » Plus que toutes ses autres vertus, on louait sa libéralité et sa grandeur d’âme ; car une grande quantité d’argent et d’or s’étant trouvée dans les coffres du Roi, il ne voulut même pas voir ces richesses et les fit remettre aux questeurs pour le Trésor public de Rome. Il permit seulement à ses fils, qui aimaient la littérature, d’emporter les livres du Roi, et, en distribuant les prix de la valeur, il donna à son gendre Aelius Tubéron une coupe du poids de cinq livres [80] . C’est ce Tubéron qui, nous l’avons dit, vivait avec quinze membres de sa famille sur une petite terre qui les nourrissait tous. Cette coupe fut, dit-on, la première pièce d’argenterie qui entra dans la maison des Aelius, sous les auspices du courage et de l’honneur. Jusque-là, ni eux, ni leurs femmes ne se servaient d’argenterie, ni d’orfèvrerie.

XXVIII. Tout étant bien disposé, il dit adieu aux Grecs et exhorta les Macédoniens à se souvenir que les Romains leur avaient donné la liberté et à la conserver par leur attachement aux lois et leur concorde. Il fit ensuite passer son armée en Epire, ayant entre les mains un sénatus-consulte, qui lui ordonnait de récompenser, aux dépens des villes de ce pays, les soldats qui étaient venus à bout avec lui de la lutte contre Persée. Voulant tomber sur tout le monde en même temps et sans que personne s’y attendît, il manda les dix principaux citoyens de chaque ville et leur prescrivit d’apporter à jour fixe tout l’argent et tout l’or qu’ils avaient dans leurs maisons et dans leurs temples. Avec chacun d’eux il envoya, comme à cette intention même, un détachement en armes et un centurion, qui faisait semblant de chercher et de recueillir l’or. Le jour venu, toutes ces troupes, en un seul et même moment, se ruèrent ensemble dans les villes, qu’elles se mirent à piller. En une heure, elles réduisirent cent cinquante mille hommes en esclavage et saccagèrent soixante-dix villes. Pourtant, d’un si grand désastre et d’une destruction si totale, il ne revint à chaque soldat pas plus de onze drachmes [81]  ; et tout le monde eut un frisson d’horreur devant le résultat de la guerre : un peuple entier avait donc été réduit en menue monnaie pour donner finalement un si petit gain et un si mince bénéfice par tête !

XXIX. Après l’exécution de cette mesure, qui répugnait à son naturel clément et doux, Paul-Émile descendit vers Oricos [82] , et de là, il passa en Italie avec ses troupes. Il remonta le Tibre sur la galère royale à seize rangs de rameurs, décorée d’armes conquises, de pavillons écarlates, de tentures de pourpre. Les Romains affluaient hors de la Ville comme pour voir un triomphe anticipé, et marchaient parallèlement au flot qui poussait lentement le navire. Mais les soldats qui avaient jeté un regard d’envie sur les richesses du Roi sans obtenir le partage, objet de leurs réclamations, étaient animés d’une colère sourde contre Paul-Émile. Ils dissimulèrent au public le vrai motif de leur mécontentement en l’accusant d’être pour eux un chef sévère et despotique. Aussi ne déployaient-ils aucun zèle pour assurer son triomphe. Se rendant compte de cet état d’esprit, Servius Galba, ennemi de Paul-Émile, et qui avait été au nombre de ses tribuns, osa dire hautement qu’il ne fallait pas lui accorder le triomphe. Il lança dans la masse des soldats beaucoup de calomnies contre le général pour enflammer encore l’irritation déjà existante et demanda aux tribuns de la plèbe un jour de délai, car celui où l’on était ne suffirait pas à l’accusation, puisqu’il restait seulement quatre heures de soleil [83] . Les tribuns lui ordonnant de dire dès lors ce qu’il pouvait avoir à dire, il commença un long discours, plein de diffamations de toute sorte, qui prit le reste du jour. La nuit s’étant faite, les tribuns congédièrent l’assemblée ; après quoi, les soldats enhardis accoururent autour de Galba. Ils s’attroupèrent et revinrent par groupes, à l’aube, occuper le Capitole ; car c’est là que les tribuns devaient tenir l’assemblée du peuple.

XXX. Au point du jour, le peuple fut appelé à voter. La première tribu refusait le triomphe à Paul-Émile, et la rumeur s’en répandit aussitôt dans le reste du peuple et au Sénat. La masse, profondément attristée de l’outrage fait au grand homme, se livrait à des clameurs sans efficacité ; mais les plus connus des membres du Sénat se récriaient contre l’indignité du fait et s’encourageaient mutuellement à réprimer l’arrogance et l’audace des soldats, qui se porteraient à toutes les illégalités et à toutes les violences, si rien ne venait les empêcher d’ôter à Paul-Émile les honneurs du triomphe. Ecartant la foule, ils montèrent en corps au Capitole et dirent aux tribuns de suspendre le vote jusqu’à ce qu’eux-mêmes eussent fait à la foule les représentations qu’ils voulaient. Tout le monde s’arrêta et le silence se fit. Alors un personnage consulaire qui avait tué vingt-trois ennemis en combat singulier, Marcus Servilius, monta à la tribune et dit : « Je connais maintenant mieux que jamais quel grand général a été Paul-Emile, en voyant l’indiscipline et la mollesse de l’armée dont il s’est servi pour réussir de si grands et de si beaux exploits, et je m’étonne que le peuple qui se glorifie des triomphes remportés sur les Illyriens et les Ligures [84] se refuse à voir le Roi de Macédoine vivant et, en sa personne, la gloire de Philippe et d’Alexandre, menés en captivité par la force des armées de Rome... » — « Comment, en effet, votre conduite ne serait-elle pas révoltante ? continua-t-il. Sur un bruit de victoire mal fondé qui s’est répandu naguère dans la Ville, vous avez sacrifié aux dieux pour obtenir bientôt la preuve matérielle de ce qu’on vous annonçait ; et, quand le général en chef est de retour avec la victoire réelle, vous privez les dieux de l’honneur qui leur revient, et vous-mêmes de votre joie légitime, comme si vous aviez peur de contempler la grandeur de vos succès ou comme si vous désiriez épargner l’ennemi ! Encore vaudrait-il mieux que la pitié pour le vaincu, et non l’envie à l’égard du vainqueur, empêchât le triomphe du généralissime ! » — « Mais, ajouta-t-il, la malignité autorise un tel degré de licence, et cela par votre faute, qu’un homme ose parler de campagnes et de triomphes quand il n’a pas une blessure, qu’il éclate de santé, et que ses couleurs attestent une vie sédentaire ! Et il nous en parle à nous, à qui tant de plaies donnent quelque compétence pour apprécier le fort et le faible des généraux ! » En même temps, il écarta ses vêtements et montra sur sa poitrine des cicatrices en nombre incroyable. Puis, comme il se retournait, il découvrit [par mégarde] quelques-unes des parties du corps qu’il ne paraît pas convenable de dévoiler au public ; et, s’adressant à Galba : « Toi, dit-il, cela te fait rire ; et moi, je m’en glorifie devant les citoyens ; car c’est pour eux qu’à force de monter à cheval jour et nuit j’ai contracté un mal dont voici les marques. Mais allons, appelle les Romains aux urnes. Et moi, je descendrai, je les suivrai un à un, et je reconnaîtrai les méchants, les ingrats, et ceux qui aiment mieux, à la guerre, être flagornés que commandés. »

XXXI. Cette intervention, dit-on, coupa court à l’opposition de l’élément militaire, et le retourna, de sorte que toutes les tribus décernèrent le triomphe à Paul-Emile. La fête fut, d’après la tradition, célébrée comme il suit. Le peuple avait fait établir des tribunes dans les théâtres pour courses de chars, qu’on appelle cirques [85] , ainsi qu’autour du Forum, et il occupait aussi tous les autres points de la Ville, d’où l’on pouvait voir le cortège. Il regardait, paré de toges blanches. Tous les sanctuaires étaient ouverts, pleins de couronnes et de parfums [86]  ; beaucoup d’huissiers et de licteurs refoulaient les gens qui, courant de côté et d’autre, affluaient vers le centre ; on maintenait ainsi les voies ouvertes et nettes. La pompe triomphale avait été répartie sur trois jours, dont le premier suffit à peine au défilé des statues, des tableaux et des colonnes pris à l’ennemi et qui occupaient deux cent cinquante chars. Le lendemain, les plus belles et les plus riches armes des Macédoniens passaient sur de nombreux chariots. Elles resplendissaient de l’éclat du cuivre fraîchement fourbi et du fer ; et, quant à leur disposition, elles étaient arrangées artistement et harmonisées, mais de façon telle qu’on en aurait cru l’amoncellement, dans sa profusion, dû au hasard. Casques contre boucliers, cuirasses contre jambières ; boucliers crétois et boucliers d’osier thrace, carquois mêlés aux mors de chevaux, les épées nues surgissant dans cet amas où se dressaient aussi les piques macédoniennes. On avait calculé de telle sorte l’écartement de ces armes qu’en s’entrechoquant dans le trajet elles rendaient un son rude et effrayant ; aussi, même vaincues, ne pouvait-on les voir sans frayeur. Après ces chariots, marchaient trois mille hommes, portant de la monnaie d’argent dans sept cent cinquante vases d’une contenance de trois talents [87] (quatre hommes par vase). D’autres portaient des cratères d’argent, des coupes en forme de cornes [88] , des gobelets, des calices, tous objets bien en vue, d’une grandeur aussi extraordinaire que l’épaisseur des ornements ciselés.

XXXII. Le troisième jour, dès l’aube, se mirent en marche des trompettes, qui faisaient entendre un air, non pas de parade ou de procession, mais de ceux par lesquels les Romains s’excitent eux-mêmes au combat. Après eux on menait cent vingt boeufs gras, aux cornes dorées, parés de bandeaux et de guirlandes. Les adolescents qui les conduisaient étaient ceints, pour le sacrifice, de tabliers richement brodés, et il y avait aussi des acolytes qui charriaient des vases d’argent et d’or destinés aux libations. Ensuite, les porteurs de la monnaie d’or, qui remplissait des vases de la contenance de trois talents, comme l’argent. Le chiffre total des vases était de soixante-dix-sept. A ceux-là succédaient les porteurs de la coupe sacrée que Paul-Émile avait fait faire [89] , du poids de dix talents [90] , et incrustée de pierres précieuses, puis ceux qui exhibaient les coupes d’Antigone, de Séleucos et de Thériclès [91] , et toute la vaisselle d’or de Persée. Venaient ensuite le char de Persée, ses armes et son diadème reposant sur elles. Un petit intervalle ; et les enfants du Roi étaient menés en esclaves et, avec eux, une masse de gouverneurs, de maîtres et de précepteurs en larmes, qui tendaient eux-mêmes les mains vers les spectateurs et montraient à ces petits enfants à prier et à implorer. Il y avait deux garçons et une fille [92] , qui, à cause de leur âge, ne comprenaient pas du tout la grandeur de leurs maux ; aussi inspiraient-ils plus de compassion dans leur inconscience de la catastrophe. C’est à peine si l’on remarqua l’approche de Persée ; tant la pitié tenait les yeux des Romains fixés sur ces pauvres petits ! Beaucoup de gens versaient des larmes ; et la douleur se mêla pour tous à l’intérêt jusqu’au moment où les enfants furent passés.

XXXIII. Persée lui-même marchait en arrière de ses enfants et de leur suite, vêtu de deuil et chaussé à la mode de son pays. En raison de la grandeur de ses maux, il paraissait stupéfait de tout et semblable à quelqu’un qui aurait perdu la tête. Il était escorté d’une foule d’amis et de familiers, visiblement accablés de douleur, et qui, tournant toujours vers lui des yeux baignés de larmes, donnaient au public l’impression qu’ils déploraient le malheur du Roi et se souciaient fort peu de leur propre situation. Persée avait d’ailleurs envoyé demander à Paul-Émile la grâce de ne pas être mené en cortège et de ne pas subir l’humiliation du triomphe. Le général, se moquant, à ce qu’il semble, de la lâcheté du vaincu et de son attachement à la vie, avait répondu : « Mais cela était auparavant en son pouvoir, et l’est encore, s’il le veut ! » Il voulait dire que Persée aurait dû préférer à la honte une mort que le malheureux n’avait pas osé affronter, se laissant amollir par des espérances, qui faisaient de lui désormais une part du butin de Paul-Émile. A la suite des serviteurs du Prince on portait des couronnes d’or, au nombre de quatre cents, que les cités avaient envoyées à Paul-Émile avec des ambassades, pour prix de sa victoire. Enfin lui-même s’avançait, monté sur un char superbement orné ; mais cet homme, en dehors d’une si grande pompe, eût encore mérité d’être vu. Vêtu d’une robe de pourpre brodée d’or, il tenait, de la main droite, une branche de laurier. Toute l’armée portait aussi des lauriers ; elle suivait le char du général, rangée par cohortes et par légions, et chantait, soit des airs nationaux mêlés de rires, soit des hymnes de triomphe et des couplets pour célébrer les exploits de Paul-Émile, qui attirait les regards, et, peut-on dire, l’envie de tous. Non, sans doute, qu’aucun des hommes de bien lui en voulût. Mais, apparemment, une divinité se vit assigner le rôle de diminuer les grands bonheurs, quand ils surabondent, et de mêler les circonstances de la vie humaine en sorte que, pour personne, elle ne fût exempte et pure de maux. Bien au contraire, suivant le mot d’Homère [93] , ceux-là paraissent avoir le plus de bonheur, dont les destins se tournent alternativement vers l’une ou l’autre direction.

XXXIV. Paul-Émile avait en effet quatre fils, dont deux avaient été transplantés dans d’autres familles, comme je l’ai déjà dit [94] , Scipion et Fabius, et deux encore enfants, qu’il gardait chez lui, nés d’une autre femme. L’un de ces derniers mourut à l’âge de quatorze ans, cinq jours avant le triomphe de son père ; le second, qui avait douze ans, succomba trois jours après cette fête. Aucun Romain ne resta donc sans s’associer à ce double deuil, et même tout le monde, sans exception, trembla devant la cruauté du sort, qui n’avait pas craint d’introduire dans une maison pleine d’enthousiasme, de joie et de sacrifices d’action de grâces, un tel sujet de douleur, et de mêler des lamentations et des larmes aux chants de victoire et aux triomphes.

XXXV. Cependant Paul-Émile, réfléchissant à bon droit que les hommes n’ont pas seulement à déployer du courage et de la hardiesse contre les armes et les piques, mais sans distinction contre tous les coups du sort, sut équilibrer si bien des circonstances adverses que le mal fut éclipsé par le bien et les deuils de famille par les avantages de l’État. Ainsi, la grandeur du triomphe ne fut pas amoindrie, ni le prestige de la victoire atténué. En tout cas, aussitôt après avoir enseveli le premier de ses enfants qui était mort, il triompha, comme je l’ai dit. Le second ayant succombé après le triomphe, il réunit en assemblée le peuple romain et lui tint le langage d’un homme qui n’avait pas besoin de consolation, mais, au contraire, consolait ses concitoyens affligés de sa propre infortune. Il dit d’abord que n’ayant jamais jusque-là rien craint des choses humaines, mais en revanche redoutant toujours ce qui, dans le domaine des affaires divines, est le plus douteux et le plus sujet aux vicissitudes, la Fortune, d’autant plus qu’en cette guerre elle n’avait cessé de le pousser en avant, comme un souffle favorable, il s’attendait toujours à un retournement et à un reflux. «Car en un seul jour, continua-t-il, ayant traversé la mer Ionienne, je suis passé de Brindes à Corcyre ; et, à cinq jours de là, j’ai été à Delphes, où j’ai sacrifié au dieu. Il m’a fallu cinq jours encore pour aller en Macédoine prendre le commandement de mon armée ; j’ai procédé à la purification habituelle et, commençant dès lors mon action, j’ai, en quinze autres jours, donné à la guerre le terme le plus glorieux. Je me méfiais de la Fortune précisément à cause de l’heureuse issue de ma campagne ; et, ma tranquillité assurée du côté des ennemis, qui n’étaient plus à craindre, je redoutais surtout, pendant la traversée, un retour offensif de la mauvaise chance, quand je ramenais une si grande armée victorieuse, du butin et des Rois prisonniers. Cependant, même arrivé chez nous sain et sauf, et voyant la Ville pleine de joie, d’enthousiasme et de sacrifices d’action de grâces, je tenais encore la Fortune en suspicion, car je sais qu’elle n’accorde aucun des grands biens dont elle dispose, dans toute sa pureté et hors des atteintes de l’envie. Et cette crainte, mon âme, pleine d’angoisse et qui envisageait avec inquiétude l’avenir de l’État, ne s’en est pas défaite avant que je ne me fusse heurté à un si grand désastre pour ma famille : j’ai dû, coup sur coup, préparer, dans ces jours sacrés, les funérailles de fils parfaits, les seuls que je me réservais comme héritiers de mon nom. Me voilà donc maintenant à l’abri des plus grands dangers ; je reprends courage, et je crois que la Fortune vous restera fidèle et hors d’atteinte. C’en est assez de mes malheurs ; en épuisant ses coups sur moi, elle a pris sa revanche de mes succès. Elle possède un exemple non moins éclatant de la faiblesse humaine dans le triomphateur que dans le captif mené en triomphe, sauf que Persée, même vaincu, garde ses enfants, et que Paul-Émile vainqueur a perdu les siens. »

XXXVI. Telles furent, dit-on, les nobles et grandes paroles, inspirées par une dignité naturelle et sans affectation, que Paul-Émile fit entendre devant le peuple. Quant à Persée, en dépit de la pitié que lui inspirait sa catastrophe et des grands efforts qu’il fit pour lui porter secours, il parvint seulement à le faire transférer du cachot, comme disent les Romains [95] , dans un endroit propre, où le captif jouit d’un traitement plus humain. C’est là qu’on le gardait, et, suivant la plupart des historiens, il s’y laissa mourir de faim. Quelques-uns donnent de sa mort une version étrange et extraordinaire. Les soldats chargés de sa surveillance eurent quelque chose à lui reprocher et, dans leur mécontentement, faute d’autre moyen de le tourmenter et de le maltraiter, ils l’empêchaient de dormir, s’appliquaient minutieusement à le tenir éveillé de n’importe quelle façon, tant qu’enfin il mourut de fatigue. Deux de ses enfants moururent aussi. Le troisième, Alexandre, excellait, dit-on, dans l’art de la gravure et y faisait des ouvrages délicats. Il apprit l’alphabet romain et la langue latine, ce qui lui permit de servir de greffier aux magistrats et on le reconnaissait capable et intelligent dans ce service.

XXXVII. On ajoute aux exploits de Paul-Émile en Macédoine un service, rendu à la masse des Romains, qui le rendit très populaire : il versa au Trésor tant d’argent que le peuple n’eut plus d’impôts à payer jusqu’au temps d’Hirtius et de Pansa, qui furent consuls pendant la première guerre entre Antoine et César-Auguste [96] . Et ce qui fut aussi chez Paul-Émile une particularité extraordinaire, c’est qu’étant spécialement chéri et choyé du peuple, il resta cependant du parti de l’aristocratie, sans rien dire ni faire pour plaire au grand nombre on le vit toujours, au contraire, se ranger du côté des personnages les plus grands et les plus considérables. C’est cela même que, dans une période ultérieure, Appius reprochait à Scipion l’Africain [Émilien]. Ils étaient alors les premiers hommes d’État de la Ville et briguaient la charge de censeur, l’un ayant autour de lui le Sénat et l’aristocratie, suivant la tradition de sa famille, et l’autre, déjà grand par lui-même, se voyant renforcé par le zèle et l’enthousiasme du peuple. Scipion faisait donc son entrée au Forum quand Appius vit à ses côtés des hommes sans naissance et même d’anciens esclaves, mais tous habitués du Forum, capables de soulever des masses, et, dans une compétition électorale, de tout emporter par leurs clameurs. Alors, il poussa ce grand cri : « Paul-Émile, gémis en apprenant sous terre que le crieur public Aemilius et Licinius le séditieux conduisent ton fils à la censure ! » Mais Scipion possédait la bienveillance du peuple parce qu’il grandissait cette classe le plus possible ; et Paul-Émile, bien que du parti de l’aristocratie, n’était pas moins aimé du plus grand nombre que les pires démagogues et les plus empressés, en apparence, à complaire à la foule. Les Romains le firent bien voir en lui décernant, par-dessus tant d’autres honneurs, la censure, qui est la magistrature la plus sainte de toutes et confère de grands pouvoirs, en particulier pour l’examen de la conduite des citoyens. Car les censeurs ont le droit d’exclure du Sénat ceux qui mènent une vie indécente et d’y faire entrer les meilleurs des Romains, ainsi que de noter d’infamie, en leur enlevant leur cheval, les jeunes gens débauchés [de l’ordre équestre]. Ce sont eux aussi qui veillent à l’estimation des fortunes et au recensement des citoyens. On en compta, sous la censure de Paul-Émile, 337.452, et il mit à la tête du Sénat [97] Marcus Aemilius Lepidus, déjà quatre fois honoré de cette préséance. Il chassa de cette assemblée trois sénateurs obscurs et, dans la revue des chevaliers [98] , il fut modéré, comme Marcius Philippus son collègue.

XXXVIII. Après avoir rempli la plupart des grandes obligations de sa charge, il fut atteint d’une maladie, critique au début, puis inoffensive, mais pénible et tenace. Sur le conseil des médecins il se rendit par mer à Élée, en Italie [99] , et y fit un assez long séjour dans une propriété voisine du rivage et parfaitement tranquille. Les Romains le regrettèrent et firent souvent entendre, au théâtre, des acclamations qui montraient leur ardent désir de le revoir. Comme il était tenu de prendre part à un sacrifice et que, désormais, sa santé paraissait satisfaisante, il revint à Rome. Il fit le sacrifice avec les autres prêtres, et le peuple répandu autour de lui manifestait visiblement sa joie. Le lendemain, il offrit lui-même un nouveau sacrifice aux dieux en action de grâces pour sa guérison. La cérémonie achevée, comme on l’a dit plus haut [100] , il rentra chez lui et se coucha. Avant d’avoir pu sentir et constater l’aggravation de son état, il perdit connaissance et tomba dans le délire. Il mourut deux jours après, sans avoir été privé ni frustré de rien de ce qui passe pour nécessaire au bonheur. Et, en effet, son convoi funèbre comporta une pompe et un empressement qui rehaussèrent la vertu de ce grand homme par les plus éclatants témoignages de vénération. Son mérite n’eut pour parure ni l’or, ni l’ivoire, ni l’opulence et la profusion, mais l’affection, l’estime, l’enthousiasme que marquaient non seulement des citoyens romains, mais encore des étrangers. En tout cas, ce qu’il put se trouver là d’Espagnols, de Ligures et de Macédoniens, assistèrent aux obsèques. Les uns, étant forts et jeunes, prirent le lit funèbre et le placèrent sur leurs épaules ; les plus âgés suivaient en appelant Paul-Émile le bienfaiteur et le sauveur de leurs patries. Car non seulement, au temps de ses victoires, il avait montré à tous de la douceur et de l’humanité ; mais encore il passa tout le reste de sa vie à leur faire constamment du bien et à s’intéresser à eux comme à de proches parents. Sa fortune était, dit-on, de 370.000 drachmes [101] à peine. Il en institua héritiers ses deux fils ; mais le plus jeune, Scipion, la laissa toute à son frère, étant entré lui-même dans la maison plus riche de l’Africain.

Tels furent, dit-on, le caractère et la conduite de Paul-Émile.


 

[1] Consul en 216, tué à la bataille de Cannes.

[2] Marcus Terentius Varro.

[3] Le premier Africain.

[4] Allusion peut-être à l’Euthyphron de Platon.

[5] Vers 192 av. J.-C. Le conflit était latent depuis 196. Antiochos le Grand régna sur la Syrie de 223 à 188.

[6] En 190 av. J.-C. La grande insurrection avait été écrasée vers 199. Il ne s’agissait plus que de mouvements locaux.

[7] Scipion Emilien.

[8] Quintus Fabius Aemilianus, adopté par le fils ou le petit-fils de Fabius Cunctator (le Temporisateur).

[9] Quintus Fabius Maximus Verrucosus Cunctator ( ?-203 av. J.-C.).

[10] Quintus Aelius Tubero, père du stoïcien.

[11] Les Ligures avaient servi comme mercenaires dans les armées de Carthage.

[12] Partie de la mer Méditerranée comprise entre l’Italie, la Corse, la Sardaigne et la Sicile.

[13] Les galères militaires pouvaient comporter quatre ou cinq rangs de rames.

[14] Persée, fils aîné de Philippe V, régna de 179 à 168 av. J.-C.

[15] Au sud de l’Asie Mineure, entre la Cappadoce et la Cilicie.

[16] Environ 86 millions de francs-or [1950].

[17] Philippe V, fils de Démétrios II, régna de 220 à 179. Il était monté sur le trône à dix-sept ans.

[18] Il est difficile de considérer comme une victoire la mort d’Hannibal, contraint au suicide en 183 à la cour de Prusias, Roi de Bithynie, qui allait le livrer aux Romains.

[19] Antigone, Roi d’Asie (382-301), vaincu et tué à Ipsos par Lysimaque. Cf. Vie de Démétrios.

[20] Démétrios Poliorcète (le Preneur de Villes) (337-283), Roi de Macédoine de 296 à 287.

[21] Antigone Gonatas, Roi de Macédoine de 277 à 239, date de sa mort. Son surnom est interprété diversement. Son fils Démétrios II régna de 239 à 229 ; Antigone Doson, de 229 à 220.

[22] Ville de Thessalie. On appelle d’ordinaire cette bataille du nom de deux collines du voisinage, les Cynoscéphales (Têtes de Chiens). Elle eut lieu en 197.

[23] Titus Quinctius Flamininus, consul en 128.

[24] Il dut payer une indemnité de guerre de cinq cents talents (2.780.000 francs-or), un tribut annuel de cinquante talents (273.000 francs-or), réduire son armée à cinq cents hommes et s’engager à ne pas faire de guerre sans l’assentiment du Sénat.

[25] Un médimne vaut environ 52 litres.

[26] On ne voit pas très bien quel eût été le but de cette supposition d’enfant, ni comment la Reine aurait pu en imposer de la sorte à son mari.

[27] Il ne la commença que sept ans après son avènement.

[28] En Eubée.

[29] Sur les frontières de l’Epire et de la Thessalie.

[30] En Illyrie.

[31] Du Danube.

[32] Peuplade germanique, établie entre le Dniester et le Dniéper, ainsi qu’à l’embouchure du Danube.

[33] Pour l’élection.

[34] En 168.

[35] Cicéron, De Divinatione, I, 46.

[36] Contrée de la Thrace, entre le Strymon et le Mésios.

[37] 900 francs-or [1950].

[38] Les Rois de Lydie avaient une réputation de richesse qu’atteste bien l’acception populaire du nom de Crésus, le dernier de la dynastie. Les Phéniciens étaient connus pour leur mercantilisme.

[39] La descendance d’Alexandre était éteinte ; Persée se réclamait à tort du plus illustre de ses prédécesseurs.

[40] 1.668.000 francs-or [1950].

[41] Région de Thessalie, bornée par la Macédoine, les monts Cambuniens, le Pinde, le Pénée et l’Ossa.

[42] Pétra, ville maritime d’Epire.

[43] Publius Cornelius Scipio Nasica Corculum, célèbre plus tard comme jurisconsulte, et souverain pontife en 150 av. J.-C.

[44] Dans un livre perdu.

[45] Ne pas confondre cet Harpale avec le concussionnaire mentionné dans la vie de Démosthène.

[46] Ville de Macédoine, nommée aussi Pélagonia.

[47] 1.800 mètres.

[48] 27 m. 800.

[49] Cette invocation paraît s’adresser à Apollon.

[50] Aucun rapport, naturellement, avec le célèbre client de Cicéron.

[51] XXIII, 26.

[52] Pydna, ville de Macédoine, à l’ouest du golfe Thermaïque.

[53] C’était, semble-t-il, le 21 juin de l’année julienne.

[54] Le Romain ruse naïvement avec l’oracle.

[55] Troupe d’élite.

[56] Un peu plus de trois cents mètres.

[57] Piques macédoniennes, longues de cinq à six mètres.

[58] XXII, 26, 27-30.

[59] Il ne peut être question, semble-t-il, de l’illustre Posidonios d’Apamée (135-61 av. J.-C.).

[60] D’ordinaire, la pointe des javelots était emmanchée dans du bois.

[61] Peuple d’origine sabine, dans l’Italie centrale.

[62] On se battit de trois à quatre heures de l’après-midi.

[63] Un peu plus de vingt et un kilomètres.

[64] C’était un jeune homme de dix-sept ans.

[65] Résidence des Rois de Macédoine depuis le grand Philippe.

[66] 278.000 francs-or [1950].

[67] En Chersonèse, sur la rive est du Strymon.

[68] Entre le Strymon et le Nestos.

[69] Allusion à la renommée de perfidie des Crétois, qu’atteste un vers d’Epiménide, rapporté par Saint Paul (Epître à Tite, I, 12).

[70] Environ 167.000 francs-or [1950].

[71] Castor et Pollux.

[72] Entre les Locriens et les Crotoniates.

[73] En 479 av. J.-C.

[74] La bataille du lac Régille (496 av. J.-C.).

[75] Castor et Pollux.

[76] Il appartenait à la gens Domitia et fut l’ancêtre de Néron.

[77] En 92 ap. J.-C.

[78] Environ 3.600 kilomètres.

[79] 556.000 francs-or [1950].

[80] Une livre valait 327 grammes.

[81] 9 francs-or, 90 [1950].

[82] Sur la côte d’Epire.

[83] Il était environ deux heures de l’après-midi.

[84] Les Illyriens avaient été soumis en 219 par le père de Paul-Emile, alors consul ; les Ligures, par Paul-Emile lui-même.

[85] Ces tribunes donnaient apparemment sur l’extérieur.

[86] Un sanctuaire, demeure du dieu, n’est ouvert que par exception, pour permettre des offrandes et des actions de grâces, en des circonstances déterminées, à la divinité qui y réside.

[87] Un talent attique pesait environ 36 kilogrammes.

[88] C’était la forme primitive.

[89] Pour l’offrir à Jupiter Capitolin.

[90] 360 kilogrammes.

[91] Il y a eu trois Rois de Macédoine du nom d’Antigone, et six Rois de Syrie du nom de Séleucos. Thériclès était un potier célèbre.

[92] Les deux garçons s’appelaient Philippe et Alexandre ; on ignore le nom de la fille.

[93] Iliade, XXIV, vers 525 sqq.

[94] Cf. supra, V.

[95] La prison publique, dite probablement à tort Mamertine par certains archéologues. Elle passait pour avoir été bâtie par Ancus Martius et comprenait trois cachots superposés, dont le plus profond aurait été construit par Servius Tullius, d’où son nom de Tullianum.

[96] En 43 av. J.-C.

[97] Le Prince du Sénat, porté par les censeurs en tête du tableau officiel des sénateurs (album senatorium) était généralement choisi parmi les plus anciens consulaires. Il n’avait d’autre prérogative que d’opiner le premier.

[98] Les censeurs pouvaient dégrader un chevalier, soit pour le mauvais entretien de son cheval, soit pour une faute contre l’honneur ou les moeurs. Leurs décisions n’étaient pas toujours impartiales.

[99] C’est la ville de Lucanie que l’on appelle aussi Vélie.

[100] On comprend mal cette incise, Plutarque n’ayant rien dit de tel.

[101] 330.000 francs-or [1950].

 

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