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De la face qui paraît sur la lune

TOME IV
Que les bêtes ont l'usage de la raison

 

 

PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

LES ANIMAUX DE TERRE ONT-ILS PLUS D'ADRESSE QUE CEUX DE MER ?

 

 

texte grec

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LES ANIMAUX DE TERRE ONT-ILS PLUS D'ADRESSE QUE CEUX DE MER ?

DIALOGUE.

AUTOBULE, SOCLARUS (01).

(959a) AUTOBULE. On demandait un jour à Léonidas ce qu'il (959b) pensait de Tyrtée. «C'est, répondit-il, un poète propre à enflammer le courage des jeunes gens. Ses vers leur inspirent cette ardeur qui, dans les combats, leur fait mépriser la vie pour acquérir de la gloire (02).» Pour moi, mes amis, je crains que l'éloge de la chasse, qu'on a lu hier devant nous, n'ait excité dans nos jeunes gens un amour si démesuré de cet exercice, qu'ils s'y livrent uniquement à l'avenir, et comptent tout le reste pour rien. Moi-même, je l'avoue, j'ai senti renaître pour la chasse un goût plus vif qu'il ne convient à mon âge, et comme la Phèdre d'Euripide, je brûle

De suivre avec la meute un cerf (959c) dans les forêts,

tant le nombre et la force des raisons qu'on a alléguées ont fait d'impression sur moi !

SOCLARUS. Vous avez raison, mon cher Autobule ; l'éloquence de l'orateur, qui, depuis longtemps, avait interrompu l'exercice de la parole, me parut en avoir repris une nouvelle vigueur, afin d'intéresser les jeunes gens qui l'écoutaient. Je fus charmé surtout de lui entendre citer l'exemple des gladiateurs pour nous prouver qu'un des


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principaux motifs d'estimer la chasse, c'est qu'elle porte vers un autre objet le plaisir, ou naturel ou inspiré par l'éducation, de voir des hommes armés combattre les uns contre les autres ; qu'elle le remplace par un spectacle innocent, où le courage et l'adresse, dirigés par l'intelligence, luttent contre une force aveugle et féroce. Par là il a justifié cette observation d'Euripide :

Les hommes ont reçu peu de force en partage ;
(959d) Mais l'industrie et l'art leur donnent l'avantage
De vaincre, de dompter les plus fiers animaux
Qui vivent sur la terre ou dans le sein des eaux.

AUTOBULE. Mais, mon cher Soclarus, c'est aussi de là que cette insensibilité, cette âpreté sauvage est née dans les hommes, qui, une fois qu'ils ont connu le meurtre, ont contracté à la chasse l'habitude de voir sans horreur couler le sang des animaux, et ont même pris plaisir à les égorger et à les mettre en pièces. Le premier délateur que les trente tyrans d'Athènes firent mettre à mort fut jugé digne du supplice ; on applaudit à l'exécution du second et du troisième. Ces succès ayant enhardi les tyrans, ils en vinrent peu à peu à condamner des gens de bien et finirent par égorger les citoyens les plus vertueux (03). (959e) De même  le chasseur qui, le premier, tua un ours ou un loup, reçut des applaudissements. Un bœuf ou un pourceau qui avaient touché aux offrandes sacrées parurent aussi justement condamnés à mort (04). Bientôt les cerfs, les lièvres et les chevreaux, dont on mangea la chair, invitèrent à faire


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servir sur les tables celle des moutons, et même, en quelques endroits, celle des chiens et des chevaux. Mais ceux qui, les premiers, ont mis en pièces un oiseau privé ou un pigeon domestique, et cela, dit Sophocle, non pour apaiser leur faim, comme les chats et les belettes, mais pour satisfaire leur goût, ceux-là ont fortifié dans l'homme ce que la nature a mis en lui de sanguinaire et de féroce ; ils l'ont rendu inaccessible à la pitié et (959f) ont presque étouffé sa sensibilité naturelle. Les pythagoriciens, au contraire, prescrivaient d'user de douceur envers les animaux, afin de contracter l'habitude de l'humanité et de la compassion à l'égard des hommes ; (950a) car l'habitude, formée peu à peu sur des affections légères, nous mène insensiblement très loin.

Mais je ne sais comment nous nous sommes jetés dans une conversation qui nous a fait oublier l'entretien d'hier, que nous devons continuer aujourd'hui. Nous y convînmes, vous le savez, que tous les animaux ont une certaine portion de raison ; et par là nous fournîmes à ceux de nos jeunes gens qui aiment la chasse la matière d'une dispute aussi savante qu'agréable, qui avait pour objet d'examiner si les animaux de terre sont plus industrieux que ceux de mer. C'est la question qu'on doit décider aujourd'hui, si toutefois Aristotime et Phédime veulent tenir rengagement qu'ils ont pris. (960b) Le premier a promis à ses compagnons de prouver que les animaux terrestres étaient les plus intelligents, et l'autre s'est engagé à plaider la cause des animaux aquatiques.

SOCLARUS. Ils sont toujours dans les mêmes dispositions, Autobule, et ils ne tarderont pas à se rendre ici pour cet effet ; je les ai vus s'y préparer dès le matin. Mais en attendant que la dispute commence, reprenons, si vous le voulez, un des articles qui devait être traité dans la conférence d'hier, et qui ne le fut pas, soit parce que le temps nous manqua, ou parce qu'on crut qu'il ne serait pas dis-


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 cuté assez sérieusement à table. Un des convives avait jeté à la traverse une question assez intéressante, empruntée de l'école du Portique. Ces philosophes disent que l'immortel étant opposé au mortel, l'incorruptible au corruptible, l'incorporel au corporel, il faut aussi qu'il y ait un irraisonnable (960c) opposé au raisonnable, afin que, dans un si grand nombre de substances opposées deux à deux, ce couple de contraires ne soit pas le seul défectueux et imparfait.

AUTOBULE. Et qui voudrait nier, mon cher Soclarus, que la substance raisonnable étant dans la nature, l'irraisonnable n'y soit aussi ? Elle existe, et en grand nombre, dans tous les êtres inanimés, et il ne faut pas chercher d'autre contraire à la substance raisonnable ; car tout ce qui est sans âme, n'ayant point de raison, est, par cela seul, le contraire de tout ce qui, ayant une âme, a aussi la raison et l'intelligence en partage. Si quelqu'un prétend qu'afin que la nature ne soit pas défectueuse, il faut que toute substance douée d'une âme soit raisonnable ou irraisonnable, un autre (980d) lui objectera avec fondement que, entre les substances animées, les unes devront avoir de l'imagination et du sentiment, et les autres en être privées, afin que dans chaque genre la nature ait des habitudes et des privations opposées, et qu'elle soit ainsi dans un équilibre parfait. Il serait absurde de vouloir que parmi les êtres animés les uns soient sensibles, les autres insensibles, que les uns aient de l'imagination, et que les autres n'en aient pas, puisque tout être qui est animé a, par cela seul, et du sentiment et de l'imagination. Il ne le serait pas moins de prétendre qu'entre ces êtres, les uns sont raisonnables et que les autres ne le sont pas, surtout en parlant avec des hommes qui croient que tout être qui a du sentiment a aussi de l'intelligence, et qu'il n'est pas d'animal qui n'ait des opinions et des raisonnements, comme il a (960e) de sa nature de la sensibilité et des appétits. Car la


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nature, qui, comme les stoïciens eux-mêmes l'avouent, ne fait rien que par une cause et pour une fin certaines, n'a pas créé l'animal sensible afin qu'il fut simplement affecté de sensations. Mais comme il y a plusieurs choses qui lui sont bonnes, et d'autres qui lui sont contraires, il ne subsisterait pas un seul instant s'il n'était pas capable de rechercher les unes et d'éviter les autres. Or, le sentiment donne également aux animaux la connaissance des unes et des autres ; mais le discernement, qui est une suite de ce sentiment, leur fait désirer et poursuivre ce qui leur est utile, repousser et fuir ce qui leur est nuisible et pernicieux. Ce discernement ne peut se trouver dans des êtres qui n'ont pas la faculté de raisonner, (960f) de juger, de se ressouvenir et de méditer. En leur ôtant l'attente, la mémoire, la prévoyance, la disposition, l'espérance, la crainte, le désir et la peine, vous leur rendez inutiles les yeux, les oreilles, tous les autres sens naturels et toute imagination, puisqu'ils n'ont pas le pouvoir d'en faire usage. Il vaudrait mieux qu'ils en fussent privés que de souffrir le travail, la tristesse et la douleur, (961a) sans avoir aucun moyen de s'en garantir. Straton le physicien a composé un ouvrage dans lequel il prouve que, sans intelligence, on n'est pas capable de sentiment ; car souvent il nous arrive de parcourir des yeux un livre ou d'entendre parler sans y rien comprendre, parce que notre esprit est occupé d'autre chose ; mais quand ensuite il revient à lui-même, il se rappelle et repasse l'une après l'autre les choses qui lui avaient échappé. Aussi a-t-on dit que c'est l'entendement qui voit et qui entend, que tout le reste est sourd et aveugle (05). En effet, l'impression faite sur nos yeux ou nos oreilles ne produit aucune sensation si l'entendement est distrait. Le roi Cléomène


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(961b) était à un dîner où on lut un ouvrage qui fut fort applaudi ; et comme on lui demanda ce qu'il en pensait : C'est à vous à me le dire, répondit-il ; car pour moi, j'avais l'esprit dans le Péloponnèse (06). Il faut donc nécessairement que tous les êtres qui ont du sentiment aient aussi de l'intelligence, puisque l'entendement seul les rend sensibles.

Mais admettons que le sentiment n'a pas besoin d'intelligence pour exercer sa fonction naturelle. Dès que l'animal n'aura plus cette sensation qui lui fait distinguer ce qui lui est utile de ce qui peut lui nuire, comment en conservera-t-il la mémoire ? comment craindra-t-il ce qui lui est nuisible, ou recherchera-t-il ce qui lui est utile ? comment pourra-t-il se les procurer quand il n'en jouira pas ? (961c) qui lui préparera des asiles et des retraites ? qui lui suggérera, soit des ruses pour tendre des piéges, soit des ressources pour éviter ceux qu'on lui dresse ? Cependant ces philosophes eux-mêmes, dans leurs introductions, ne cessent de nous étourdir par leurs définitions, et de nous dire que la résolution est la pensée fixe d'une chose qu'on veut effectuer ; l'entreprise, un mouvement antécédent à un autre ; la préparation, un acte antérieur à l'action principale ; la mémoire, la compréhension d'une proposition précédemment énoncée, et que le sentiment a saisi lorsqu'elle était présente. De toutes ces choses, il n'y en a pas une qui ne soit du ressort de l'intelligence, et elles se trouvent toutes dans tous les animaux. Ils donnent encore le nom de notions aux conceptions qui sont sédentaires dans l'esprit, et celui de pensées à celles qui y sont en mouvement. (961d) Mais puisqu'ils accordent que toutes les passions sont en général de mauvaises opinions et de faux jugements, il est singulier qu'ils ne remarquent point dans les animaux tant d'actions et tant de mouvements qui procèdent ou de colère ou de crainte, et même de jalousie


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et d'envie. Mais eux–mêmes ne punissent-ils pas leurs chiens et leurs chevaux quand ils ont fait quelque faute, et cela, non par caprice, mais afin de les corriger, en leur imprimant ce sentiment de tristesse qui est l'effet de la douleur, et que nous appelons repentir ? Quant aux voluptés, ils donnent le nom d'attrait à celle qui nous vient par l'oreille, et celui d'enchantement à celle qu'on reçoit par les yeux. Or, ils emploient l'une et l'autre espèce à l'égard des animaux. Les cerfs et les chevaux sont sensibles au son de la flûte (961e) et du hautbois. Les cancres squinades sortent de leurs coquilles quand ils entendent jouer du flageolet (07). On dit que l'alose vient sur l'eau quand elle entend chanter et battre des mains. Le moyen-duc prend plaisir à voir des personnes danser en cadence, et il se laisse attraper en voulant les contrefaire (08). Quant à ceux qui parlent si déraisonnablement de ces sortes de matières, qu'ils prétendent que les animaux n'éprouvent ni plaisir, ni colère, ni crainte, que le rossignol ne prépare point son chant, que l'abeille n'a pas de mémoire ; mais que ces animaux n'ont que l'apparence de ces affections ; que le lion parait seulement être en colère, et le cerf trembler de peur, je ne vois pas ce qu'ils pourraient répondre à ceux qui leur diraient que les animaux (961f) ne voient ni


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n'entendent ; qu'ils n'ont pas de voix, qu'ils ne vivent même pas, et que ce ne sont en eux que de vaines apparences. L'un n'est pas, ce me semble, plus contraire à l'évidence que l'autre.

SOCLARUS. Je suis bien de votre avis, mon cher Autotobule ; mais il me paraît déraisonnable de vouloir comparer les mœurs, (862a) la vie, la conduite et les actions des animaux avec celles des hommes, quand je vois que les premiers, avec beaucoup de vices, n'ont aucune tendance vers la vertu, qui est la fin naturelle de la raison, rien qui en montre en eux le désir ou le progrès. Pourquoi donc la nature leur aurait-elle donné le commencement de la raison, puisqu'ils ne peuvent pas parvenir à sa fin ?

AUTOBULE. Cela ne paraît point absurde à ces philosophes, mon cher Soclarus : ils établissent pour principe de la société civile et de la justice l'amour des pères pour leurs enfants ; et quoiqu'ils voient combien cette affection a de force dans les animaux, ils n'en soutiennent pas moins qu'ils n'ont aucune idée de (962b) justice. Ainsi les mulets, tant les mâles que les femelles, ont tous les organes destinés à la génération. Ils éprouvent pour leur reproduction le même attrait que les autres animaux ; et cependant ils ne peuvent point parvenir à la fin de la génération. Voyez encore combien ils se rendent ridicules lorsque, soutenant que Socrate et Platon ne sont pas moins vicieux que le dernier des esclaves, qu'ils sont aussi fous, aussi débauchés et aussi injustes, ils vont reprocher aux animaux que la nature n'a pas mis en eux une disposition assez pure ni assez parfaite pour la vertu ; comme si la faiblesse et la dépravation n'étaient pas, de leur propre aveu, des défauts qui tiennent à la raison, (962c) et dont les animaux sont remplis ; car nous voyons dans le plus grand nombre déjà timidité, de l'intempérance, de l'injustice et de la méchanceté. Prétendre donc que tout être que la nature n'a pas rendu susceptible de la raison parfaite est


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par cela seul privé de toute raison, n'est-ce pas dire à peu près que le singe n'est point laid ni la tortue lente, parce que l'un n'est pas susceptible de beauté ni l'autre de vitesse ?

D'ailleurs ils n'aperçoivent pas une différence qu'ils ont cependant sous les yeux. La raison toute simple est un don de la nature ; la droite raison, la raison parfaite, est l'effet de l'instruction et de l'étude : ainsi tous les animaux ont naturellement de la raison ; mais cette rectitude de raison qui fait la véritable sagesse, à peine citeraient-ils un seul homme qui l'ait possédée. Il y a une grande différence dans la vue (962c) et le vol des divers animaux ; l'épervier a l'œil bien plus perçant que la cigale, et l'aigle a l'aile beaucoup plus forte que la perdrix ; de même tous les êtres raisonnables n'ont pas la faculté de s'élever à ce que la raison a de plus fin et de plus subtil. On remarque dans les animaux plusieurs signes de sociabilité, de courage, de prévoyance et d'adresse pour faire leurs provisions et les administrer ; on y en voit aussi d'injustice, de lâcheté, de stupidité. La dispute qui s'est élevée entre nos jeunes gens en est la preuve ; c'est en supposant quelque différence à cet égard que les uns ont accordé aux animaux terrestres, et les autres aux animaux aquatiques plus d'aptitude (962e) à la vertu. Cette différence est bien sensible quand on compare les cigognes avec les hippopotames : les premières nourrissent leurs pères quand ils sont devenus vieux, les autres les tuent afin de s'accoupler avec leurs mères. Quel contraste encore entre les pigeons et les perdrix ! ceux-là cassent leurs œufs, et quelquefois même ils tuent leurs femelles, parce qu'elles refusent l'accouplement pendant qu'elles couvent ; au contraire, les perdrix mâles partagent avec les mères le soin de couver : ils sont les premiers à nourrir les petits ; et si la femelle est trop longtemps hors du nid, le mâle la force, à coups de bec, de retourner à ses œufs ou à ses petits.


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Antipater (09), qui reproche aux ânes et aux moutons (862f) leur négligence et leur malpropreté, a oublié, je ne sais pourquoi, de parler des lynx et des hirondelles. Les premiers cherchent avec soin un endroit écarté pour y cacher la pierre de lynx (10) ; et les hirondelles enseignent à leurs petits à se retourner pour jeter hors du nid leur ordure. Pourquoi ne dit-on pas qu'un arbre soit plus susceptible d'instruction qu'un autre, comme on dit qu'un chien l'est plus qu'un mouton ? ou qu'un légume soit plus timide (963e) qu'un autre, comme on le dit du cerf par rapport au lion ? (863a) Entre les choses qui n'ont pas de mouvement ou qui sont privées de la parole, on ne dit pas que l'une soit plus lente ou ait la voix plus faible qu'une autre ; de même, entre les êtres qui n'ont pas l'usage de la raison, on ne dira point que l'un soit plus rusé, plus lâche, plus intempérant qu'un autre. L'inégale distribution de cette faculté fait seule entre eux les différences que nous y apercevons.

SOCLARUS. Mais l'homme n'a-t-il pas une étonnante supériorité sur les animaux en prudence, en adresse, en justice, en sociabilité ?

AUTOBULE. Mais, vous dirai-je à mon tour, un grand nombre d'animaux ne sont-ils pas très supérieurs à l'homme en force et en légèreté ? N'ont-ils pas la vue et l'ouïe bien meilleures ? (963d) Dit-on pour cela que l'homme soit aveugle, sourd et impotent ? La nature ne nous a pas refusé une bonne vue, ni la force et la grandeur du corps, quoiqu'à cet égard nous soyons bien inférieurs aux éléphants et aux chameaux. De même, parce que les animaux ont une intelligence plus bornée et plus lente que la nôtre, il ne faut pas les croire privés de toute intelligence et de


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toute raison ; seulement elle est en eux plus faible, plus obscure, et semblable à une vue trouble et ternie. Si je n'étais persuadé que nos jeunes gens, (963c) instruits comme ils le sont et versés dans la connaissance des anciens auteurs, nous rapporteront une foule de traits pris des animaux de terre et de ceux de mer, je ne pourrais m'empêcher de vous citer un grand nombre d'exemples de leur intelligence naturelle et de la facilité qu'ils ont à s'instruire. La superbe ville de Rome nous en fournirait seule une multitude, que nous pourrions, comme on dit, puiser en pleine eau dans les spectacles que les empereurs donnent dans les amphithéâtres (11). Mais je ne touche pas à cette matière, qui servira d'ornement à leurs discours.

Je veux en attendant considérer avec vous à loisir un autre objet. Je pense que chaque partie de notre corps est sujette à un défaut, à une maladie, qui lui sont particulièrement affectés, comme la cécité aux yeux, le déboîtement aux hanches, le bégaiement à la langue ; et ces défectuosités ne tombent jamais sur d'autres parties. On ne dit point que ce qui n'est pas naturellement destiné (963d) à voir et à marcher, ce qui n'a ni langue ni voix, soit exposé à devenir aveugle, à boiter ou à bégayer. On ne pourrait donc pas appeler fou, enragé et furieux ce qui de sa nature ne serait pas susceptible de sens, d'intelligence et de raison ; car une certaine affection ne saurait tomber sur un être privé de la faculté dont cette affection cause la privation, la mutilation ou l'affaiblissement. Or, vous avez sûrement vu quelquefois des chiens enragés ; pour moi, j'ai vu des chevaux qui l'étaient, et l'on dit que les bœufs et les renards sont sujets à le devenir. Mais il


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nous suffit de l'exemple des chiens, dont personne ne doute, et qui prouve que ces animaux sont doués d'une portion assez considérable de raison, qui, troublée et mise en désordre, (963e) lui cause la maladie qu'on appelle la rage, car nous ne voyons pas qu'alors leur vue ou leur ouïe soit altérée. Ce serait aller contre l'évidence que de dire d'un homme qui est hypocondriaque ou dans le délire, que son jugement, son entendement et sa mémoire ne sont pas troublés ; l'expérience nous démontre que des personnes affectées de folie sont entièrement privées de raison. Ce serait de même, ce me semble, combattre ouvertement la vérité que de prétendre qu'un chien enragé éprouve autre chose qu'un trouble violent dans la partie de lui-même qui auparavant pensait, raisonnait, avait de la mémoire, au point que, dans ses accès de rage, il méconnaît les personnes (963f) qui lui étaient les plus chères, il fuit les lieux qu'il avait coutume de fréquenter, et ne voit pas ce qui se présente devant lui.

SOCLARUS. Votre raisonnement me paraît juste ; mais les philosophes du Portique et ceux du Lycée soutiennent fortement le contraire, fondés sur ce que la justice ne peut avoir une origine certaine, et qu'elle n'existe même pas (964a) si l'on accorde la raison à tous les animaux ; car alors il faut de toute nécessité, ou que nous soyons injustes en les traitant comme nous le faisons, ou que si nous les épargnons et que nous nous abstenions d'en faire usage, il nous soit impossible de vivre, ou du moins de vivre commodément et de n'être pas réduits à une vie agreste et sauvage. En effet, sans parler des peuples nomades et des Troglodytes, dont le nombre est si grand (12)


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et qui n'ont d'autre nourriture que la chair des animaux, nous, qui passons pour mener une vie douce et humaine, quels travaux nous restera-t-il à faire sur terre, sur mer et sur les montagnes ? Quel art à exercer, quel embellissement autour de nous, si, les animaux étant raisonnables et de la même nature que nous,(964b)  il convient que, loin de leur faire aucun mal, nous les traitions avec ménagement ? Je ne vois aucun remède, aucune solution à cette difficulté qui nous ôte les ressources de la vie ou qui nous rend injustes, si nous nous écartons des lois et des bornes antiques qui, suivant Hésiode, séparent les différentes natures et distinguent chaque espèce.

Les poissons, les oiseaux et les bêtes sauvages
Se déchirent entre eux par d'horribles carnages.
C'est que de la justice ils ignorent les lois ;
L'homme seul en connaît, en respecte les droits.

Puis donc qu'ils ne peuvent pas exercer la justice envers nous, nous ne pouvons pas non plus être injustes à leur égard ; et ceux qui n'admettent point cette conséquence nous (964c) ôtent tous les avantages de la vie et ferment toute voie à la justice.

AUTOBULE. Certainement, mon cher Soclarus, vous avez bien rendu les vrais sentiments de ces philosophes ; mais il ne faut pas faire avec eux comme avec les femmes qui ont un enfantement difficile, et à qui l'on donne des remèdes pour le faciliter. Ne leur procurons pas ainsi les moyens d'enfanter la justice si aisément et presque sans effort. Ils ne sont pas eux-mêmes, dans les points les plus importants de la philosophie, si complaisants pour Épicure, auquel ils refusent la chose la plus simple, cette légère déclinaison des atomes, avec laquelle il plaçait dans l'univers les astres, les animaux, la Fortune, et nous conservait en même temps notre libre arbitre (13).Il faut prouver


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ce qui est douteux, et ne prendre pour principe de ses raisonnements que ce qui est certain. Ils ne doivent donner que comme une supposition ce qu'ils disent de la justice à exercer envers les animaux, puisqu'on est loin de le leur accorder, et qu'ils ne le démontrent pas. (964d) Il est une autre voie d'établir la justice parmi les hommes, qui n'est pas aussi incertaine, aussi fragile, et qui, conforme à l'évidence, nous mène par un sentier tout différent. C'est celle que mon fils, voire ami, guidé par Platon, montre à ceux qui n'aiment point à disputer, mais qui cherchent à s'instruire. Que l'homme ne soit pas totalement exempt d'injustice dans la manière dont il traite les animaux, c'est l'opinion d'Empédocle et d'Héraclite, qui se plaignent souvent de la nature, qui l'accusent d'agir en ennemie, (964e) d'employer la violence, l'artifice et le déguisement, et de n'arriver à ses fins que par une foule de passions injustes ; ils vont jusqu'à dire que la génération des hommes est une injustice, puisqu'on y joint le mortel avec l'immortel, et que l'être engendré se fait un plaisir d'arracher violemment et contre nature une portion de celui qui l'engendre ; mais cette accusation me parait dure et forcée.

Il est une autre voie de conciliation honnête qui, sans priver les animaux de raison, disculpe d'injustice ceux qui n'en font qu'un usage convenable. Ce moyen, introduit par nos anciens sages, fut depuis rejeté et détruit par la conspiration de l'intempérance et de la sensualité. Pythagore l'a rétabli et nous a montré (964f) comment on pouvait sans injustice user des animaux. On n'est pas injuste en punissant de mort les animaux nuisibles et qui ne sont pas de


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société avec l'homme ; on ne l'est pas non plus lorsqu'on apprivoise les animaux domestiques et amis de l'homme, et qu'on les emploie aux travaux auxquels la nature les a rendus propres.

Tels sont les jeunes bœufs, les ânes, les chevaux,

qui, suivant le Prométhée d'Eschyle, nous ont été donnés

(965a) Afin de partager nos utiles travaux.

Ainsi l'on se sert des chiens pour garder les chèvres et les brebis, pendant qu'on les fait paître, qu'on les trait ou qu'on les tond. Mais on n'ôte point aux hommes les nécessités et les ressources de la vie parce qu'on ne leur sert point des plats remplis de poissons et de foie gras ; qu'ils n'ont pas dans leurs banquets des bœufs et des chevreaux entiers à découper ; ou que pour se divertir sur leurs théâtres et se donner le plaisir de la chasse, ils ne peuvent plus forcer des animaux à se battre, ou en égorger d'autres que la nature a laissés sans défense. On ne doit jouer et s'amuser qu'avec ceux qui peuvent partager nos plaisirs, et ne pas imiter ces enfants qui, comme disait Bion, (965b) s'amusent à jeter des pierres aux grenouilles ; mais les grenouilles, loin de se plaire à ce jeu, en sont les victimes. Il ne faut pas non plus s'exercer à la chasse ou à la pèche pour le plaisir de voir souffrir des animaux, de les égorger, et surtout d'arracher cruellement des petits à leur mère. Car ce n'est pas l'usage même des animaux qui en soi est injuste ; c'est l'abus qu'on en fait, c'est la violence, c'est la barbarie avec laquelle on les traite.

SOCLARUS. Arrêtez-vous, Autobule, et renvoyez à une autre fois votre accusation. Je vois venir plusieurs jeunes gens, tous grands chasseurs, qu'il ne serait pas facile de remettre à un autre jour, et qu'il ne faut pas offenser.

AUTOBULE. Vous me donnez un bon avis. Je reconnais parmi eux Eubiotus (965c) et mon ami Ariston, les deux fils de


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Dionysius de Delphes, Eacidès et Aristotime, et enfin Nicandre, fils d'Euthydamus,

Tous habiles chasseurs,

comme dit Homère, et qui, par cette raison, se rangeront du côté d'Aristotime. Au contraire, ces habitants de villes insulaires ou maritimes, Héracléon de Mégare, Philostrate d'Eubéa,

Qui tous font leur état de courir sur les mers,

sont conduits par Phédime. Quant au dernier que j'aperçois,

J'ignore en quelle classe il voudra se ranger.

Je parle d'Optatus, notre compagnon d'âge, qui a souvent offert les prémices de sa chasse et de sa pêche à Diane, également honorée sous le nom d'Agrotère et sous celui de Dictymne (14). (965d) Il vient à nous d'un air qui semble dire qu'il restera neutre entre les deux partis. Me trompé-je, mon cher Optatus (15), quand je prévois que vous serez arbitre entre ces jeunes gens ?

OPTATUS. Vous l'avez deviné, mon cher Autobule ; car il y a longtemps que la loi de Solon qui punissait tout citoyen lequel, dans une sédition, ne se rangeait d'aucun parti, est tombée en désuétude.

AUTOBULE. Placez-vous donc auprès de nous, et si nous avons besoin d'une autorité, au lieu de feuilleter les ouvrages d'Aristote, nous nous en rapporterons à votre ex-


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périence, et nous donnerons notre suffrage en connaissance de cause.

SOCLARUS. Eh bien ! jeunes gens, êtes-vous convenus de l'ordre dans lequel vous parlerez ?

PHÉDIME. Oui, Soclarus ; après un long débat à ce sujet, (965e) le Sort, qui, suivant Euripide,

Est fils de la Fortune, a fini la querelle.

Il a décidé que la cause des animaux terrestres serait plaidée la première.

SOCLARUS. C'est donc à vous, Aristotime, à commencer ; nous sommes disposés à vous écouter.

ARISTOTIME. Le barreau est ouvert aux plaideurs... (16).  Il y a des animaux qui font périr leurs petits en courant après leurs femelles quand elles sont près de mettre bas. Il y a parmi les poissons une espèce de mulets qu'on appelle pardes (17), qui se nourrissent de leurs propres mucosités. Le polype se mange lui-même pendant l'hiver qu'il passe

Dans une maison froide, au sein de la misère (18) :

tant il est ou paresseux, ou stupide, ou goulu, ou même tout cela ensemble ! Platon, dans ses Lois, (965f) ordonne, ou plutôt désire que les jeunes gens ne s'adonnent point à la pêche, parce qu'ils n'exercent pas leur force, leur vigueur, leur industrie, leur agilité et leur souplesse à poursuivre et à combattre des loups marins, des congres et des scares (19), (968a) au lieu qu'à la chasse les animaux féroces excitent


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le courage et la hardiesse de ceux qui les attaquent ; par leurs ruses, ils aiguisent la prudence de ceux qui leur tendent des piéges, et par leur vitesse, la force et la patience de ceux qui les poursuivent ; et voilà ce qui fait de la chasse un exercice honorable. Mais la pêche n'a rien qui puisse la faire estimer ; aussi aucun dieu ne s'est-il fait appeler exterminateur des congres ou des surmulets, comme Apollon et Diane ont pris les surnoms de destructeur des loups et de vainqueur des cerfs (20). Faut-il s'en étonner, puisqu'il est plus glorieux pour l'homme lui-même de prendre un sanglier, un cerf, un chevreuil, ou même un lièvre, que de l'acheter, et qu'au contraire il lui est plus honorable d'acheter un thon, un crabe ou une amie (21), que de le prendre à la pêche, (966b) parce que cet exercice ne demandant ni invention, ni adresse, ni ruse, a toujours été regardé comme une occupation peu noble et indigne d'un homme de cœur ?

Après tout, puisque les philosophes, pour montrer que les animaux ont de la raison, apportent en preuves leurs projets, leurs préparatifs, leurs souvenirs, leurs affections, le soin de leur progéniture, leur reconnaissance pour les bienfaits, leur ressentiment des injures, leurs ressources pour fournir à leurs besoins, les caractères des différentes vertus comme du courage, de la sociabilité, de la tempérance et de la magnanimité, examinons si les animaux maritimes ont quelqu'une de ces qualités : nous y en trouverons tout au plus quelques faibles indices, que les plus exactes recherches peuvent à peine découvrir. (966c) Au contraire, nous en verrons dans les animaux terrestres les preuves les plus certaines et les plus évidentes. Et d'abord


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considérons comment des taureaux qui se disposent au combat font voler autour d'eux la poussière. Voyez les sangliers aiguiser leurs défenses. Les éléphants, qui savent que celle de leurs dents dont ils se servent pour fouiller la terre et arracher les plantes dont ils se nourrissent finit par s'émousser, emploient toujours la même à cet usage et réservent l'autre bien affilée pour les combats. Le lion en marchant tient ses pattes repliées pour cacher ses griffes, de peur que la terre n'en émousse les pointes, (966d) et afin de rendre sa trace plus difficile à découvrir ; car rarement voit-on les griffes du lion imprimées sur la terre, et ceux qui sont à sa poursuite ne voyant que des marques peu sensibles y sont souvent trompés. Vous avez ouï dire que l'ichneumon (22) s'arme pour la bataille comme peut faire un soldat : il enduit son corps de boue, et s'en forme comme une cuirasse épaisse pour aller combattre le crocodile. Nous voyons les préparatifs des hirondelles avant qu'elles pondent leurs œufs. ; elles placent d'abord au fond du nid les brins de paille les plus forts pour en être comme le fondement, et ensuite elles en entrelacent de plus légers. Si elles s'aperçoivent qu'il a besoin d'un limon gluant qui lui serve de ciment, elles volent à fleur d'eau sur les rivières ou sur la mer, (966e) et mouillent seulement le bout de leurs ailes de manière qu'elles ne soient que moites, et non appesanties par l'humidité. Alors elles prennent de la poussière dont elles enduisent leur nid, et en lient tous les endroits trop lâches qui pourraient s'entr'ouvrir. Quant à la forme de leurs nids, elle n'est ni angulaire ni polygone, mais partout unie et approchant le plus qu'il est possible de la forme sphérique, de toutes


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la plus solide, celle qui a le plus de capacité, et qui donne moins de prise aux animaux qui voudraient les attaquer par dehors.

Qui n'admirerait, et pour plus d'une raison, le travail de l'araignée ? Il a servi de modèle aux femmes pour ourdir leurs toiles, et aux chasseurs pour faire leurs filets. Premièrement la finesse de ses réseaux, qui ne sont pas détachés les uns des autres, ni (966f) séparés comme l'estame du tisserand, n'en forme qu'un seul tissu que lie une humeur visqueuse qu'elle y mêle imperceptiblement. En second lieu, la couleur de sa toile, qui est celle de l'air, ne présente qu'une surface obscure, et par cela plus propre à tromper. Mais ce qui est plus admirable que tout le reste, c'est de voir avec quelle adresse elle dirige et gouverne sa machine quand quelque insecte vient à s'y prendre. Aussitôt, comme un habile chasseur, (967a) elle tire à elle son filet et en enveloppe sa proie. L'habitude journalière de ce spectacle peut seule nous le rendre croyable ; sans cela, nous le traiterions de fable comme ce qu'on raconte des corbeaux d'Afrique, qui, lorsqu'ils veulent boire et que I'eau est trop basse, y jettent des pierres pour la faire monter à une hauteur où ils puissent atteindre. Étant un jour dans un vaisseau, je vis un chien qui, en l'absence des mariniers, jetait de petits cailloux dans une cruche d'huile qui n'était pas pleine ; et j'admirai qu'il pût faire en lui-même ce raisonnement, que des corps légers, pressés par d'autres plus pesants, devaient nécessairement monter. J'en puis dire autant des abeilles (967b) de Crète et des oies de Cilicie. Les premières, lorsqu'elles ont à doubler une pointe de terre exposée aux vents, se lestent avec des grains de sable, afin que le vent ne les emporte point. Les oies, en traversant le mont Taurus, pour éviter les aigles qui habitent cette montagne, prennent dans leur bec une assez grosse pierre, comme pour mettre un frein à cette envie de crier qui leur est si naturelle, et échapper


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à leurs ennemis à la faveur du silence. L'ordre que les grues observent dans leur vol prouve aussi leur intelligence. Quand le vent est fort et impétueux, elles ne vont pas, comme dans un temps calme, toutes de front ou en forme de croissant ; elles se disposent en triangle, (967c) et de sa pointe fendent l'air qui les entoure, et qui par là ne peut déranger l'ordre de leur marche. Lorsqu'elles sont à terre, celles qui sont chargées de faire sentinelle pendant la nuit se tiennent sur un seul pied et prennent une pierre dans l'autre. L'effort qu'elles font pour la retenir les empêche longtemps de s'endormir, et lorsque enfin le sommeil la leur fait lâcher, le bruit qu'elle fait en tombant les réveille aussitôt. Je ne m'étonne pas après cela qu'Hercule, en tenant son arc sous son aisselle et le serrant de son bras vigoureux,

La massue à la main se livrât au sommeil.

Je ne suis pas surpris non plus qu'on ait trouvé le moyen d'ouvrir une huître, après avoir vu la ruse du héron. (967d) Cet oiseau, quand il a avalé une coquille d'huître qui s'entr'ouvre, quoiqu'il souffre beaucoup, la garde patiemment dans son gosier jusqu'à ce qu'il sente qu'amollie par la chaleur, elle est tout à fait ouverte ; alors il la rejette, et en tire ce qu'il y a de bon à manger.

Quant aux provisions et à l'économie des fourmis, il est impossible d'en donner exactement les détails ; mais de n'en rien dire, ce serait une négligence impardonnable. Il n'est point dans la nature de miroir aussi petit des plus grandes et des plus belles choses ; c'est une goutte d'eau pure et limpide où sont représentées toutes les vertus. Là brillent l'amitié, la sociabilité, le courage, la patience dans les travaux, et des traits multipliés (987e) de tempérance, de prudence et de justice. Le philosophe Cléanthe, qui soutient d'ailleurs que les animaux n'ont pas de raison, dit avoir été témoin du fait suivant. Il vit des


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fourmis se rendre à une autre fourmilière que la leur,  portant le corps mort d'une fourmi. A l'instant plusieurs fourmis sortirent à leur rencontre, et après avoir paru conférer ensemble, elles rentrèrent ; après plusieurs allées et venues, elles apportèrent enfin un ver comme pour la rançon du mort ; (967c) les premières remirent le corps, emportèrent le ver et se retirèrent. Au reste, c'est un spectacle qu'on a tous les jours sous les yeux que leur complaisance mutuelle quand elles se rencontrent : celles qui ne portent rien cèdent la place à celles qui sont chargées ; lorsque le fardeau est trop lourd à porter, elles le rognent et le divisent, afin qu'ainsi partagé, elles puissent le voiturer plus facilement. C'est, suivant Aratus, un signe de pluie quand les fourmis transportent leurs œufs hors de leurs trous, afin de les exposer à l'air et de les rafraîchir.

Bien souvent les fourmis, dans des cas de détresse,
Portent hors de leurs trous les fruits de leur tendresse.

Quelques critiques, au lieu de leurs œufs, lisent leurs provisions, et ils disent que ces animaux exposent à l'air celles qu'ils ont serrées, lorsqu'ils s'aperçoivent qu'elles commencent à moisir (968a) et qu'ils craignent de les voir pourrir tout à fait. Mais la précaution qu'ils prennent pour empêcher que les grains de blé qu'ils ont amassés ne germent surpasse toute prudence humaine. Le blé ne se maintient pas toujours sec ni exempt d'altération : il s'amollit et se résout en lait lorsqu'il commence à vouloir germer. De peur donc qu'il ne se forme en germe et qu'il ne puisse plus servir à leur nourriture, elles en rongent le bout par où le germe se développe (23). Je n'adopte


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pas tout ce que rapportent ceux qui dérangent leurs fourmilières pour en faire, en quelque sorte, l'anatomie ; mais ils disent qu'au lieu d'une ouverture droite qui donnerait une entrée facile aux autres animaux, (968b) elles ont plusieurs détours, plusieurs sinuosités obliques qui s'entre-coupent et se terminent en trois cavités, dont la première est leur habitation commune, l'autre le magasin où elles serrent leurs provisions, et la troisième leur sert à enterrer les morts.

Vous ne trouverez pas déplacé, je pense, qu'après les fourmis je parle des éléphants, afin de considérer le pouvoir de l'intelligence dans les plus grands et dans les plus petits des animaux, et de voir sensiblement qu'elle n'est pas affaiblie dans les premiers et qu'elle ne manque point aux autres. Il y en a qui admirent dans l'éléphant l'éducation dont il est susceptible et dont il fait preuve sur nos théâtres, ces mouvements (968c) et ces danses que les hommes ont peine à imiter, quelque soin qu'ils y mettent, ou même à retenir. Pour moi, je vois éclater davantage l'intelligence de cet animal dans les affections et dans les penchants qui lui sont naturels et qu'on ne lui inspire pas, comme étant les plus simples et les plus vrais. Il n'y a pas longtemps qu'à Rome on en dressait plusieurs à des tours et à des exercices extraordinaires, difficiles à exécuter. Il s'en trouvait un dans le nombre, qui, moins intelligent que les autres et retenant avec plus de peine, avait été souvent châtié : on le surprit qui s'exerçait la nuit au clair de la lune, et répétait les leçons qu'il avait reçues. (968b) Agnon raconte qu'en Syrie un particulier en élevait un dont le gouverneur dérobait la


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moitié de la mesure d'orge qu'il recevait chaque jour pour la nourriture de cet animal. Le maître, un jour, ayant voulu le voir manger, le gouverneur lui versa la mesure tout entière. L'éléphant, avec sa trompe, en sépara la moitié, et fit ainsi connaître adroitement à son maître le tort que lui faisait son gouverneur. Le même écrivain rapporte qu'un autre .éléphant s'étant aperçu que le gouverneur mêlait des pierres et de la terre dans son orge, jeta des cendres dans le pot où il faisait cuire son dîner. (968e) Un autre, à Rome, tourmenté par des enfants qui lui piquaient la trompe avec des stylets, en saisit un par le milieu du corps, l'enleva, et paraissait prêt à l'écraser. Tous ceux qui étaient présents ayant jeté de grands cris, il le remit doucement à terre et s'en alla sans lui faire d'autre mal, le jugeant assez puni par une aussi belle peur. On raconte des choses merveilleuses de ceux qui sont sauvages et vivent en liberté, surtout quand ils passent des rivières. Le plus jeune et le plus petit d'entre eux y entre le premier ; les autres se tiennent sur le bord, et s'ils voient que sa croupe est au-dessus de l'eau, ils en concluent qu'étant plus hauts que lui, (968f) ils peuvent traverser la rivière en toute sûreté (24).

Mais à cette occasion je ne puis mettre une précaution du renard, qui a quelque rapport à celle des éléphants. Les mythologistes disent que lors du déluge, Deucalion, renfermé dans l'arche, lâchait dehors la colombe, qui lui donnait un signe certain du temps qu'il faisait. Tant que le déluge dura, elle rentra dans l'arche ; quand le beau temps eut reparu, elle s'envola pour ne plus revenir (25). Aujourd'hui, quand les Thraces veulent passer une


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rivière dont la surface est glacée, ils font sonder par un renard l'épaisseur de la glace. (969a) Cet animal s'approche doucement du bord et prête l'oreille : s'il entend du bruit, il conjecture que la glace n'est pas épaisse, et il s'arrête ou s'en retourne si on lui en laisse la liberté. Mais s'il n'entend pas le mouvement de l'eau, il passe la rivière hardiment. Et ne croyons pas que ce soit la finesse seule de l'ouïe qui, sans aucun raisonnement, lui fasse faire cette distinction : c'est une induction qu'il tire de sa sensation naturelle, et qui lui l'ait dire : « Ce qui fait du bruit est en mouvement ; ce qui est en mouvement n'est pas glacé ; ce qui n'est pas glacé est liquide ; ce qui est liquide plie et ne soutient pas. »

Les dialecticiens disent que le chien, lorsqu'il se trouve dans un carrefour qui se partage (969b) en plusieurs chemins, fait un raisonnement composé de propositions disjonctives : La bête que je poursuis, dit-il en lui-même, est passée par un de ces chemins ; or, elle n'a pris ni celui-ci ni celui-là : elle a donc suivi ce troisième. La sensation de son odorat ne lui donne que l'une des prémisses, et c'est la raison qui lui fournit la majeure et la conséquence. Mais le chien n'a pas besoin de ce témoignage des dialecticiens, car il est faux et imaginaire. C'est son odorat qui, par la trace du pied de la bête et par les émanations qu'elle y laisse, lui montre par où elle a passé, sans qu'il s'embarrasse des propositions disjonctives ou conjonctives. (969c) Mais on peut reconnaître le naturel de cet animal par un grand nombre d'autres affections et d'autres services qui ne tiennent ni à son odorat ni à sa vue, et qui ne peuvent procéder que de son intelligence et de sa raison. Si je m'arrêtais ici à vous exposer tout ce qu'il montre à la chasse de patience, d'adresse et d'obéissance ponctuelle, je vous prêterais à rire, à vous qui en êtes chaque jour les témoins. Mais je ne puis m'empêcher de vous dire qu'un citoyen romain ayant été tué pendant les


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guerres civiles, aucun des meurtriers ne prit lui couper la tête qu ils n'eussent tous ensemble tué à. coups d'épée un chien qui le défendait. Le roi Pyrrhus, dans un voyage, rencontra un chien qui gardait le corps de son maître, qu'on avait tué ; et ayant appris qu'il était là depuis trois jours sans manger et sans quitter un instant le cadavre, il fit enterrer le mort (969b) et emmena le chien avec lui, en donnant ordre à ses gens d'en avoir bien soin. Quelques jours après il fit la revue de son armée ; il était assis sur son tribunal, et tous les soldats passaient devant lui. Le chien se tenait tranquillement à ses côtés, lorsque tout à coup, ayant aperçu les meurtriers de son maître, il s'élança sur eux en aboyant avec fureur et se tournant souvent vers Pyrrhus, qui conçut, ainsi que tous les assistants, les plus violents soupçons contre ces soldats. Ils furent arrêtés sur-le-champ et appliqués à la question. D'après quelques autres légers indices qu'on eut d'ailleurs, ils avouèrent le meurtre et furent punis de mort.

(969e) Le chien du sage Hésiode avait de même, dit-on, convaincu les fils de Ganyctor de Naupacte d'avoir assassiné son maître. Mais ce que nos pères'ont vu pendant qu'ils faisaient leur cours d'études à Athènes est plus frappant que tout ce que j'ai rapporté jusqu'ici. Un voleur s'étant glissé dans le temple d'Esculape, en déroba les plus beaux vases d'or et d'argent, et sortit croyant n'avoir été vu de personne. Le chien qui. gardait le temple, et qui se nommait Capparus, avait bien aboyé, mais, voyant qu'aucun des ministres du temple ne venait à ses cris, il se mit à la poursuite du sacrilège qui avait pris la fuite, et quoiqu'il lui jetât des pierres, (969f) il ne laissa pas de le suivre sans relâche. Quand le jour fut venu, il le suivit de plus loin, mais sans le perdre de vue ; s'il lui jetait du pain, il ne le prenait pas ; s'il se couchait pour dormir, il passait la nuit près de lui ; quand il se levait pour continuer sa marche, il se remettait à le suivre ;


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quand il rencontrait quelque passant, il le flattait de la queue et courait sur le voleur en aboyant de toutes ses forces. Ceux qui poursuivaient le sacrilège ayant appris ces détails des personnes qu'ils rencontraient, et s'étant informés de quelle taille et de quel poil était le chien, ils continuèrent leur poursuite avec plus d'ardeur et attrapèrent enfin le voleur à Crommyum (26), (970a) d'où ils le ramenèrent  à Athènes, accompagné du chien, qui les précédait avec les plus vives démonstrations de joie, et qui semblait se faire honneur de la prise du sacrilège. Les Athéniens ordonnèrent qu'il serait nourri aux dépens du public, et ils enjoignirent aux prêtres d'en avoir le plus grand soin : ils imitaient en cela l'humanité dont leurs ancêtres avaient usé envers un mulet.

Pendant que Périclès faisait bâtir dans la citadelle d'Athènes le temple appelé l'Hécatompède (27), on amenait tous les jours une grande quantité de matériaux sur des chariots traînés par des mulets. Parmi ceux de ces animaux qui avaient autrefois bien servi et qu'à cause de leur vieillesse on laissait paître en liberté, il y en avait un qui venait chaque jour au Céramique (28), (970b) se placer devant les mulets qui traînaient les pierres ; il allait et venait à leurs côtés, comme pour les animer et les encourager au travail. Le peuple d'Athènes, charmé de son zèle, ordonna qu'il fût nourri aux dépens du public et qu'on lui donnât sa portion comme à un athlète qui aurait obtenu son congé (29).


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Ceux qui disent que nous n'avons aucun rapport de justice avec les animaux, ont raison pour ceux qui vivent an fond des eaux ; car, privés de tout sentiment de douceur, ils ne peuvent former avec nous aucune société d'affection et de bienveillance, et Homère a eu raison de dire à un homme dur et insociable :

C'est au sein de la mer que vous prîtes naissance.

Par là il faisait entendre que la mer ne produit aucun animal qui ait de la douceur et de la bonté. Mais ce serait être soi-même cruel et sauvage (970c) que d'étendre cette imputation aux animaux terrestres. Dira-t-on, par exemple, qu'il n'y avait aucune réciprocité d'affection entre le roi Lysimachus et son chien Hyrcan, lequel, après la mort de ce prince, se tint seul auprès de son corps, et quand on le mit sur le bûcher, se jeta au milieu des flammes et s'y brûla ? On rapporte la même chose d'un chien de Pyrrhus, non du roi d'Épire, mais d'un particulier de ce nom. Après la mort de son maître, il ne quitta point son lit. Lorsqu'on l'emporta, il se mit sur le brancard auprès de lui, et se précipita sur le bûcher où il fut consumé par les flammes. Le roi Porus ayant été percé de coups dans un combat contre Alexandre, (970d) l'éléphant qui le portait lui ôta de sa trompe plusieurs traits avec beaucoup de précaution, et quoiqu'il fût lui-même dangereusement blessé, il ne se rendit que lorsqu'il s'aperçut que son maître, qui avait perdu une grande quantité de sang, était prêt à s'évanouir. Alors, dans la crainte qu'il ne tombât, il se baissa très doucement, afin que le roi pût se poser à terre sans se blesser (30). Le cheval Encéphale se laissait monter à nu par un palefrenier ; mais quand il


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était couvert de ses riches harnais, il ne souffrait pas d'autre cavalier qu'Alexandre, et si quelqu'un s'approchait à dessein de le monter, l'animal courait sur lui en ruant, en hennissant, (970e) et il l'aurait écrasé s'il n'eût pris précipitamment la fuite (31).

Je sens que vous aurez remarqué dans ces divers exemples des traits de caractère bien différents. Mais il n'est pas facile de trouver dans ces animaux ingénieux une seule action qui ne présente qu'une vertu simple et unique. Ainsi, à l'amour pour leur progéniture se mêle toujours un vif désir de louange. On voit briller la sagesse à travers leur générosité ; leur adresse et leur intelligence ne sont jamais séparées du courage et de la magnanimité. Mais si l'on veut diviser et distinguer leurs vertus, on verra que les chiens nous donnent à la fois l'exemple de la douceur et de la fierté en s'éloignant de ceux qui se montrent simples et modestes, comme on le voit dans Homère à l'égard d'Ulysse :

(970f) Ce prince, à son retour, d'un visage tranquille
Voit des chiens menaçants accourir contre lui,
Et pose le bâton qui lui servait d'appui.

Ils n'attaquent pas ceux qui semblent s'abaisser et s'humilier devant eux. On avait, dit-on, envoyé à Alexandre un des meilleurs chiens de l'Inde, pour le faire combattre devant ce prince. On lui lâcha successivement un cerf, un sanglier et un ours. Le chien ne parut pas y faire attention, et se tint toujours couché. Enfin on lui présente un lion : à l'instant il se dresse sur ses pieds et se dispose au combat. (971a) Il montrait évidemment par là que c'était le seul adversaire qu'il jugeait digne de lui, et qu'il méprisait tous les autres (32). Les chiens qui courent les lièvres et 


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qui les tuent eux-mêmes, prennent plaisir à les mettre en pièces et à boire leur sang. Mais si le lièvre, comme il arrive souvent, désespérant de leur échapper, épuise dans une dernière course tout ce qu'il a de force, et qu'il tombe mort avant qu'ils aient pu le saisir, alors ils n'y touchent pas et se tiennent auprès en remuant la queue, comme s'ils voulaient faire entendre que c'est pour remporter la victoire et non pour en manger la chair, qu'ils ont combattu contre lui.

Dans le grand nombre d'exemples que je pourrais rapporter des finesses et des ruses des animaux, je laisse celles des renards, des loups, des grues et des geais, (971b) qui sont connues de tout le monde. Mais je citerai un fait attesté par Thalès, le plus ancien des sept sages, qui sut, dit-on, tourner admirablement contre un mulet sa propre ruse. Une troupe de mulets chargés de sel passait une rivière : un d'eux se laissa tomber dans l'eau, et le sel s'étant fondu, le mulet, en se relevant, se sentit délivré de sa charge. Il en comprit la cause et s'en souvint, en sorte que depuis, toutes les fois qu'il traversait la rivière, il se couchait à dessein et se roulait dans l'eau pour y faire tremper les sacs qui contenaient le sel. Thalès, informé du fait, ordonna qu'au lieu de sel on remplit les sacs de laine et d'éponges, et qu'ainsi chargé on le conduisît avec les autres. (971c) Il employa sa ruse ordinaire, et ayant rempli d'eau sa charge, il sentit, en se relevant, qu'il était la dupe de sa finesse. Depuis, il passa la rivière avec précaution, et eut grand soin que les sacs ne pussent pas toucher à l'eau, même par mégarde. L'amour maternel inspire aux perdrix une autre ruse. Lorsque leurs petits sont trop faibles pour voler et se dérober à ceux qui les poursuivent, elles leur montrent à se coucher sur le dos, à se couvrir d'une motte de terre ou de brins de paille, et à s'y tenir cachés pendant qu'elles détournent les chasseurs et les attirent à elles en voltigeant autour d'eux, en


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s'élevant peu de terre et les amusant ainsi par l'espoir de les prendre, (971d) jusqu'à ce qu'elles les aient éloignés de leurs petits. Quand les lièvres se retirent dans leurs gîtes, ils portent leurs petits en différents endroits, et souvent à un arpent de distance les uns des autres, afin que s'il survient un chasseur ou un chien, ils ne soient pas tous en danger d'être pris. Eux-mêmes, après avoir confondu leurs traces en courant de côté et d'autre, ils finissent par s'élancer avec force le plus loin qu'ils peuvent, et se couchent au gîte.

Quand l'ours est pris de la maladie qu'on appelle pholia (33), avant que de tomber entièrement dans la torpeur et de devenir si pesant (971e) qu'il ne puisse plus marcher, il nettoie avec le plus grand soin l'antre dans lequel il doit se retirer ; et quand il est près d'y descendre, il marche à pas suspendus, touchant à peine la terre de ses pattes ; après quoi il se met sur le dos, se traîne dans sa caverne, et s'y couche. Les biches font le plus souvent leurs petits le long des grands chemins, parce que les bêtes carnassières en approchent rarement (34). Pour les cerfs, quand ils se sentent surchargés d'embonpoint, ils changent d'habitation, et cherchent dans la retraite une sûreté qu'ils ne trouveraient plus dans la légèreté de leur course. La manière dont les hérissons de terre pourvoient (971f) à leur défense a fait naître le proverbe suivant :

En mille tours divers le renard est fécond.
Le hérisson n'en a qu'un seul, mais il est bon


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Lorsqu'il voit approcher le renard,

D'une pomme de pin son corps prend la figure,
Et présentant ses dards, fait craindre sa piqûre.

Mais sa prévoyance pour la nourriture de ses petits est encore plus ingénieuse. Dans l'automne, vers le temps des vendanges, il se glisse sous des ceps de vigne, secoue avec ses pieds les grappes de raisins, en fait tomber les grains, et, se roulant à terre, il les enfile dans ses épines. (972a) Nous nous sommes amusés plus d'une fois à le voir faire ; il avait l'air d'une grappe de raisin ambulante, tant il était couvert de grains ; alors il se coule dans sa tanière, donne à manger à ses petits et réserve le reste pour leur provision. La tanière a deux ouvertures, dont l'une est tournée vers le midi et l'autre vers le nord. Lorsqu'il sent que le temps va changer, à l'exemple des pilotes qui changent de voile selon le vent, il bouche celle qui est en face du vent, et il ouvre l'autre. Jadis un habitant de Cyzique, ayant observé cette industrie du hérisson, passa pour deviner de quel côté devait souffler le vent.

(972b) Juba dit que les éléphants donnent de grands exemples de prudence et d'amour social. Pour les prendre, on creuse des fosses profondes qu'on recouvre de branches légères et de terre. Lorsqu'il en tombe un dans la fosse, comme ils marchent toujours en troupe, les autres y jettent du bois et des pierres jusqu'à ce que la fosse soit assez remplie pour qu'il puisse en sortir aisément. Le même historien rapporte que ces animaux, sans avoir été instruits par personne, font des prières aux dieux, se purifient avec de l'eau de mer, et adorent le soleil levant, en élevant leur trompe en guise de main. Aussi est-ce le plus religieux de tous les animaux ; (972c) ce qui arriva à Ptolémée Philopator en est la preuve. Quand ce prince eut


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vaincu Antiochus (35), il voulut en témoigner magnifiquement sa reconnaissance aux dieux, et entre plusieurs autres victimes, il immola quatre éléphants. Mais dans la suite, troublé par des songes nocturnes dans lesquels un dieu semblait le menacer de sa colère, pour lui avoir offert cet étrange sacrifice, entre plusieurs autres expiations, il fit jeter en fonte quatre éléphants de bronze à la place de ceux qu'il avait immolés. Les lions ne montrent pas moins de sociabilité les uns envers les autres. Les jeunes mènent à la chasse ceux qui sont vieux et pesants ; lorsqu'ils les voient fatigués, ils les laissent se reposer et continuent leur chasse. (972d) Dès qu'ils ont saisi quelque proie, ils poussent des cris semblables aux mugissements d'un taureau ; les vieux, qui distinguent ce que ces cris signifient, vont les joindre, et tous ensemble dévorent la proie.

Parmi les animaux, il en est plusieurs dont les amours sont cruels et féroces ; mais d'autres ont des inclinations plus douces et plus agréables. Telle fut à Alexandrie celle d'un éléphant qui aima une jeune bouquetière, maîtresse du grammairien Aristophane ; l'animal ne fut pas celui des deux rivaux qui fit éclater le moins son amour ; car, en se promenant dans le marché aux fruits, il en prenait toujours pour les lui apporter, se tenait longtemps devant elle, et se servant de sa trompe en guise de main, (972e) il la caressait avec plaisir. Un dragon étant devenu amoureux d'une fille d'Étolie, venait la voir pendant la nuit ; il se glissait doucement auprès d'elle, s'entortillait autour de son corps sans lui faire aucun mal, même par mégarde, et il se retirait tranquillement à la pointe du jour. Comme ses visites étaient très assidues, les parents de la fille l'envoyèrent au loin. Le dragon ne parut pas de trois ou quatre jours, sans doute parce qu'il la cherchait de tous


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côtés ; l'ayant enfin trouvée après bien des recherches, il s'approcha d'elle, non avec sa douceur accoutumée, mais d'un air sévère, et lui ayant lié les mains (972f) avec les plis de son corps, il la frappait de l'extrémité de sa queue ; cependant il montrait un courroux amoureux qui laissait voir plus de désir de pardonner que d'envie de punir. Je ne vous parle point de cette oie d'Égypte qui conçut de l'amour pour un jeune homme, ni du bélier qui aima la musicienne Glaucé. Ces faits sont connus de tout le monde, et je vous crois rassasiés de ces sortes d'histoires ; ainsi je vous en fais grâce.

Mais les étourneaux, les corbeaux et les perroquets qui apprennent à parler et se montrent si dociles à ceux qui leur enseignent à former des sons articulés, plaident, (973a) ce me semble, avec avantage la cause des autres animaux ; et en s'instruisant, ils nous apprennent à nous- mêmes qu'ils sont doués non seulement de la raison intérieure, mais de la faculté de la rendre sensible par la voix et par la parole. Aussi me paraît-il souverainement ridicule de vouloir comparer ces animaux avec d'autres espèces qui n'ont pas même assez de sons pour hurler, gémir ou se plaindre. Car le chant des oiseaux qui n'ont pas été instruits est plein de douceur et de grâce, au jugement même des plus habiles musiciens, qui comparent les plus beaux poèmes au chant des cygnes et des rossignols. Comme il faut faire plus d'usage de sa raison pour enseigner que pour apprendre, nous ne pouvons douter de celle des animaux, puisqu'au rapport d'Aristote, (973b) il s'instruisent les uns les autres. On a vu, dit ce philosophe, des rossignols qui montraient à chanter à leurs petits (36) ; ce qui le prouve, c'est que les rossignols qu'on a pris jeunes, et qui n'ont pu recevoir l'éducation de leurs mères, ne chantent pas aussi bien que les autres ; car les


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mères les forment à chanter en même temps qu'elles les nourrissent ; et ils apprennent, non par intérêt ou par un amour de gloire, mais parce qu'ils prennent plaisir à bien chanter, et qu'ils préfèrent la beauté de leur voix à tous les autres avantages. Je veux à cette occasion vous raconter un fait que j'ai appris de plusieurs témoins oculaires, tant grecs que romains.

Un barbier de Rome, dont la boutique était en face du temple qu'on appelle (973c) le Forum des Grecs, avait une pie qui rendait avec une facilité merveilleuse toutes sortes de voix, la parole des hommes, les cris des animaux, les sons des instruments. Personne ne l'instruisait ; c'était d'elle-même qu'elle en avait pris l'habitude, et elle se faisait, pour ainsi dire, un point d'honneur d'imiter tout ce qu'elle entendait. On fit un jour les funérailles d'un homme riche du voisinage ; il y avait un grand nombre d'instruments à ce convoi, qui, suivant l'usage, s'arrêta dans cette place ; et comme on prenait plaisir à entendre les musiciens, sur l'invitation du public, ils y firent une assez longue pause. Le lendemain la pie fut muette et ne proféra pas un seul son, même pour ses besoins (973d) et pour ses habitudes les plus ordinaires. Les passants, accoutumés à admirer son langage, furent encore plus surpris de son silence, et trouvaient fort étrange de ne pas lui entendre proférer un seul mot. On soupçonna d'abord que quelque autre barbier l'avait empoisonnée par jalousie ; d'autres, et c'était le plus grand nombre, crurent que le bruit des trompettes lui avait assourdi les oreilles et qu'elle avait perdu la voix avec l'ouïe. Ce n'était rien de tout cela, et la suite fit voir que ce silence était une méditation profonde, une retraite intérieure de sa faculté imitative qui préparait et montait sa voix comme un instrument ; car tout à coup la parole lui revint avec plus d'éclat que jamais, et, sans rien répéter de ce qu'elle avait accoutumé de dire jusqu'alors, (973e) elle rendit parfaitement ce


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que les trompettes avaient joué, avec tous les passages, toutes les reprises et les cadences qu'elle avait entendus. Cela confirme une observation que j'ai déjà faite, que les animaux montrent encore plus de raison en s'instruisant eux-mêmes qu'en apprenant d'autrui.

Mais je ne puis passer sous silence ce que j'ai vu moi-même à Rome apprendre à un chien. Il était à un bateleur qui faisait jouer une pièce dont les acteurs étaient nombreux et le sujet assez composé Le chien représentait plusieurs choses analogues à l'action de la pièce, et entre autres on faisait sur lui l'essai d'une drogue simplement narcotique, mais que les spectateurs devaient croire un poison. L'animal prit le pain dans lequel la drogue était mêlée, (973f) et peu de temps après l'avoir mangé, il se mit à s'agiter, à trembler, à laisser tomber sa tête appesantie ; enfin il s'étendit comme s'il eût été roide mort ; il se laissa traîner et transporter suivant que le demandait le sujet de la pièce. Quand ensuite les discours et les mouvements des acteurs lui firent connaître qu'il était temps de se réveiller, il commença à se remuer un peu, comme s'il sortait d'un sommeil profond ; (974a) il leva la tête, regarda de tous côtés, et, au grand étonnement de tous les spectateurs, il se dressa sur ses pieds, courut à celui qui devait le recevoir et le caressa avec les plus vives démonstrations de joie. Ce spectacle amusa tout le monde, et en particulier le vieux empereur Vespasien, qui était venu le voir au théâtre de Marcellus.

Mais n'est-il pas ridicule que nous fassions ici un mérite aux animaux de leur facilité à s'instruire, tandis que nous-mêmes, comme Démocrite l'a prouvé, nous sommes leurs disciples dans des choses très importantes ? L'araignée nous a appris à ourdir de la toile et à coudre ; l'hirondelle à bâtir ; c'est à l'envie d'imiter le cygne et le rossignol que nous devons la musique. Des trois parties de la médecine, les animaux pratiquent de chacune ce qu'il


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y a de plus utile (974b) et de plus noble ; ils ne se bornent pas à la connaissance des simples, comme les tortues qui prennent de l'origan et les belettes de la rue quand elles ont mangé du serpent, les chiens qui se purgent avec du chiendent, le dragon qui s'éclaircit la vue avec du fenouil. L'ours, lorsqu'il sort de sa retraite, mange de l'arum sauvage, dont les sucs acrimonieux et apéritifs lui ouvrent les intestins qu'une longue abstinence a presque collés les uns contre les autres (37). Quand il est dégoûté, il s'approche d'une fourmilière, se couche et tire sa langue, qui est molle et imbibée d'une humeur douce et gluante ; il attend qu'elle soit couverte (974c) de fourmis, après quoi il la retire, avale ces insectes, et est guéri. Les Égyptiens ont appris, dit-on, l'usage des lavements, en voyant l'ibis s'en donner avec l'eau de mer. Leurs prêtres emploient, pour se purifier, l'eau dont cet oiseau a bu, parce qu'il ne boit jamais d'une eau corrompue ou malsaine. Il est des animaux qui se guérissent par l'abstinence et par la diète. Ainsi les lions et les loups, quand ils ont mangé avec excès et qui'ils sont dégoûtés, se tiennent longtemps couchés, pour ranimer leur chaleur naturelle. On raconte qu'un tigre à qui l'on avait donné un chevreau dans un temps où il faisait diète, fut deux jours sans y toucher. Le (974d) troisième jour que la faim le prit, il demanda autre chose en secouant fortement sa loge, et ne voulut pas manger le chevreau que l'habitude de vivre ensemble lui faisait regarder comme son compagnon. Les éléphants pratiquent aussi la chirurgie, ils arrachent du corps des blessés les flèches, les traits et les tronçons de lances, et cela sans agrandir leurs plaies et sans les faire souffrir. Les chèvres de Crète, lorsqu'elles ont été percées d'une flèche, mangent du dictame, qui fait sortir facilement le trait, et leur exemple a appris aux femmes enceintes à faire usage


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de cette plante pour se procurer un enfantement plus facile (38). Dès que ces animaux ont reçu quelque blessure, ils ne cherchent pus d'autre remède que le dictame.

Voilà sans doute des connaissances merveilleuses ; (974e) mais il est encore plus étonnant de voir des animaux apprendre à compter et posséder la science du calcul. Tels sont les bœufs de Suse, qui arrosent les jardins du roi avec des puits à roues, et qui font chaque jour un nombre de tours déterminé : c'est cent pour chacun. Il est impossible de leur en faire faire davantage ni de gré ni de force ; on l'a souvent essayé, mais toujours inutilement. Dès que leur tâche est remplie, ils s'arrêtent, sans qu'il soit possible de les faire marcher, tant ils savent bien compter et conserver dans leur mémoire le nombre de tours qu'ils ont faits (39). C'est de Ctésias le Cnidien (40) que j'ai emprunté ce récit. Les peuples d'Afrique se moquent des Égyptiens, qui disent que leur oryx (974f) jette un cri au même jour et à la même heure que se lève l'étoile qu'ils nomment Sothis, et que nous appelons la canicule ou le Sirius (41). Ils ajoutent qu'au lever héliaque de cet astre toutes les chèvres se tournent à la fois vers l'orient ; que c'est même la preuve la plus certaine que le Sirius a fini sa révolution, et qu'elle est d'accord avec les calculs des mathématiciens. (985a) Mais pour mettre en finissant le dernier trait à mon discours, passons, comme, on dit, la ligne sacrée, et parlons de la divinité des animaux et de leur faculté divina-


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toire. La divination la plus certaine, la plus claire et la plus ancienne est celle qui se tire du vol des oiseaux. Leur légèreté, leur intelligence, leur grande mobilité qui les plie à toutes sortes d'impressions, en font entre les mains de la Divinité des instruments dociles, soit pour leur imprimer divers mouvements, soit pour en tirer des sons, des gazouillements, des gestes et des figures, pour les tenir suspendus dans les airs ou les leur faire fendre avec la rapidité du vent, et par ces différents signes empêcher certaines de nos actions et de nos entreprises, et en conduire d'autres à leur entière exécution. (975b) Voilà pourquoi Euripide appelle en général les oiseaux les hérauts des dieux, et qu'en particulier Socrate se disait le compagnon de servitude des cygnes. Parmi les anciens rois, Pyrrhus aimait qu'on lui donnât le surnom d'aigle, et Antiochus celui d'iérax (42). Mais quand on veut se moquer d'un homme grossier et pesant, on l'appelle poisson. Il est enfin une multitude de choses que les dieux nous découvrent ou nous annoncent par le ministère des animaux terrestres et des volatiles ; mais le défenseur des animaux aquatiques n'en pourrait alléguer une seule en leur faveur. Tout en eux est sourd, aveugle, et privé de tonte prévoyance divine. Jetés dans un abîme où ils n'ont aucune communication avec la Divinité, destiné aux gens impies, et semblable à celui que les scélérats habitent dans les enfers, la partie raisonnable et intelligente de leur âme y est entièrement éteinte, (975c) et la partie la moins noble, celle qui est le principe des sensations, y est comme noyée, et, pour ainsi dire, délayée dans l'élément qu'ils habitent, et où ils semblent plutôt palpiter que vivre.


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HÉRACLÉON. Froncez le sourcil, mon cher Phédime, et embrassez avec courage notre défense, à nous habitants des îles et des côtes maritimes. Ceci n'est plus un jeu, Aristotime a parlé très sérieusement ; c'est un véritable combat, un plaidoyer en forme, auquel il n'a manqué qu'un barreau et une tribune.

PHÉDIME. Dites plutôt, Héracléon, que c'est un piège et une surprise manifeste. Ce vaillant athlète vient à jeun, comme vous voyez, attaquer des gens qui se sentent encore de la bonne chère qu'ils ont faite hier. Cependant je ne reculerai pas, je suis grand amateur de Pindare, et je ne veux pas qu'on m'applique le vers de ce poète, où il dit :

(975d) Sous des prétextes vains refuser le combat,
C'est nuire à sa valeur, c'est en ternir l'éclat.

Nous avons bien le temps aujourd'hui ; non seulement nos chœurs de danse, mais nos chiens, nos chevaux et tous nos filets se reposent. Jaloux de nous livrer uniquement à cette dispute, nous avons fait une trêve générale avec tous les animaux de terre et de mer. Mais ne craignez rien ; ma réponse sera très simple, je n'alléguerai pas les opinions des philosophes, les fables de l'Égypte et de l'Inde, dont personne n'est garant. Je ne produirai qu'un petit nombre de faits connus et sus de tout le monde, et qu'attestent encore tous ceux qui voyagent sur mer. Les exemples que nous donnent les animaux terrestres sont exposés (975e) à tous les yeux, et rien n'empêche de les voir. La mer nous en laisse connaître peu et même assez faiblement. Elle nous cache la naissance et l'éducation de la plupart des animaux qu'elle contient, les moyens d'attaque et de défense qu'ils emploient et dans lesquels on aurait souvent à admirer leur prudence, leur mémoire, leur sociabilité. L'ignorance où ils nous laissent à cet égard nuira nécessairement à ma cause.


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D'ailleurs les animaux terrestres, naturalisés, pour ainsi dire, avec les hommes, en prennent les mœurs et les usages, y puisent une sorte d'éducation, s'y instruisent et apprennent à les imiter. Cette habitude adoucit la rudesse et (975f) l'austérité de leur naturel, comme l'eau douce tempère l'amertume de l'eau de mer ; ce qu'ils ont de grossier et de pesant est fortement excité par le mouvement que leur imprime leur commerce fréquent avec les hommes. Mais les animaux maritimes, que de grands intervalles séparent de toute société humaine, qui n'ont rien ajouté par des habitudes acquises (976a) à leurs dispositions naturelles, n'ont qu'un genre de vie borné, et restent tels qu'ils sont sortis des mains de la nature, sans adopter jamais des mœurs étrangères, et cela non par un vice de leur caractère, mais à raison des lieux qu'ils habitent ; car leur nature admet et conserve autant de connaissance et d'instruction qu'ils sont capables d'en recevoir. Telles sont ces anguilles qu'on nomme sacrées, qui sont très familières avec les hommes, entre autres celles de la fontaine d'Aréthuse (43) ; tels, en plusieurs autres lieux, des poissons qui accourent à la voix de ceux qui les appellent, comme on le dit en particulier de la lamproie de Crassus, dont ce Romain pleura la perte. Un jour Domitius lui reprocha d'avoir donné des pleurs à un poisson. Et vous, lui repartit Crassus, n'avez-vous pas enterré trois femmes sans verser une larme ? Les crocodiles connaissent la (976b) voix des prêtres, ils souffrent qu'ils les touchent, ils vont même jusqu'à leur présenter leurs dents à nettoyer et à essuyer avec des linges. Il n'y a pas longtemps que Philinus, homme d'un mérite distingué, nous raconta, à son


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retour d'Égypte, qu'il avait vu à Antéopolis (44) un crocodile mollement couché sur un lit, dormir tranquillement auprès d'une vieille femme. On dit qu'un des Ptolémées ayant un jour appelé le crocodile sacré, et cet animal n'étant pas venu à sa voix ni à celle des prêtres qui lui faisaient les plus vives instances, on regarda ce refus comme un présage de la mort du prince, laquelle en effet arriva peu de temps après. (976c) Cela prouve que les animaux aquatiques ne sont pas totalement privés du don si précieux de la divination, et qu'ils en partagent l'honneur avec les animaux terrestres. J'ai même ouï dire qu'à Syra, bourg de Lycie, entre les villes de Phellos et de Myre, Ies gens du pays s'asseyent au bord de l'eau pour y considérer attentivement les poissons et exercer, comme avec les oiseaux, une sorte de divination en examinant leurs mouvements, leurs détours, leurs attaques et leurs fuites. Ces exemples suffisent pour prouver que ces animaux ne nous sont pas absolument étrangers ni sans aucun commerce avec nous.

Quant à cette intelligence qui leur est naturelle et qui n'emprunte rien d'ailleurs, nous en avons à l'égard de tous une grande preuve, c'est qu'aucun animal aquatique, si l'on en excepte ceux qui s'attachent aux pierres et aux rochers, n'est pour l'homme aussi facile à prendre (976d) que les ânes le sont aux loups, les abeilles aux guêpiers (45), les cigales aux hirondelles et les serpents aux cerfs, dont le nom vient, non de leur légèreté, mais de la propriété qu'ils ont d'attirer les serpents. Le mouton appelle en quelque sorte le loup par la trace de son pied ; la panthère, par l'odeur agréable qu'elle exhale, attire la plu-


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part des animaux, et en particulier le singe (46). Mais les animaux maritimes ont presque tous un pressentiment qui les rend soupçonneux, qui, réveillant leur intelligence naturelle, les tient en garde contre les piéges qu'on leur tend. Aussi la pêche, loin d'être un art simple et grossier, exige-t-elle un grand nombre d'instruments et beaucoup de ruses pour parvenir à tromper les poissons (976e) et à les surprendre ; c'est ce que prouvent une foule d'exemples que nous avons sous les yeux.

Pour pécher à la ligne, il faut choisir un roseau qui, sans avoir beaucoup de grosseur, soit cependant assez fort pour résister aux secousses que lui donnent les poissons quand ils sont pris à l'hameçon. Il le faut mince et délié, de peur que, jetant trop d'ombre, il n'effraie ces animaux naturellement inquiets. Le fil doit être lisse et uni et n'avoir qu'un petit nombre dé noeuds, sans cela ils se méfieraient de quelque surprise. Il faut que les soies auxquelles l'hameçon est attaché approchent, autant qu'il est possible, de la couleur blanche, qui, par sa conformité avec celle de l'eau, (976f) rend ses soies moins sensibles dans la mer. Ces vers d'Homère,

Elle se précipite à l'instant sous les flots,
Comme l'on voit un plomb s'enfoncer dans les eaux,
Quand de corne légère une ligne entourée
Porte au poisson avide une mort assurée ;

ces vers, dis-je, mal entendus par quelques personnes, leur ont fait croire que les anciens se servaient de poils de taureau pour leurs lignes. Ils disent que dans ce pas sage le mot employé par Homère signifie poil, et qu'il a la même racine que les mots tondre et tonsure, comme


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(977a) celui dont Archiloque se sert pour désigner un petit-maitre qui a le plus grand soin de sa chevelure ; mais c'est une erreur. On n'employait pour les lignes que des crins de cheval, et l'on rejetait même ceux de jument, parce que amollis par l'urine qui mouille souvent leur queue, ils sont moins propres à cet usage. Aristote dit qu'il n'y a point de subtilité et de recherche à mettre dans l'interprétation de ces vers, parce que en effet les pécheurs garnissent d'un bout de corne la partie antérieure de l'hameçon,
afin que le poisson ne puisse pas avaler le fil et le rompre (47). Ils se servent d'hameçons arrondis pour prendre les mulets et les amies, qui ont la bouche petite, et qui se méfient d'un hameçon long et droit. Souvent même le mulet, soupçonnant celui qui est rond, nage autour, en frappant l'appât de sa queue, et (877b) il en emporte ce qui paraît au dehors ; s'il ne peut réussir de cette manière, il serre et rétrécit sa bouche, et ne touchant à l'appât que du bout des lèvres, il en prend ce qu'il peut. Quand le loup marin est pris à l'hameçon, il montre plus de courage que l'éléphant ; il tire, non du corps d'un autre, mais du sien propre, le fer qui le blesse, et secouant sa tête avec force pour élargir la plaie, il supporte la douleur de ce déchirement, jusqu'à ce qu'il se soit débarrassé de l'hameçon. Le renard marin se laisse rarement prendre, il connaît le piége et l'évite ; mais s'il arrive qu'il y soit pris, il retourne son estomac, ce qu'il fait aisément à cause de la vigueur et de la flexibilité de son corps ; (977c) et alors l'hameçon tombe de lui-même (48).

Ces premiers exemples prouvent une intelligence que leur intérêt excite au besoin, et dont ils se servent avec


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autant d'adresse que de subtilité. Il en est d'autres qui montrent en eux, outre cette prudence, un amour social et un penchant marqué à s'entre-secourir. On le voit surtout dans les scares et les barbeaux. Quand un scare a avalé l'hameçon, ceux qui l'accompagnent accourent aussitôt et rongent la ligne. S'il est pris dans un filet, ses compagnons lui donnent leur queue à mordre ; il la serre de toutes ses forces, et les autres tirent tant, qu'enfin ils l'entraînent hors du filet. Les barbeaux montrent encore plus de courage pour se secourir mutuellement ; ils se mettent sous la ligne, et dressant l'épine qu'ils ont sur le dos, et qui est dentelée comme une scie, (977d) ils s'efforcent de scier la ligne et de la couper (49). Au contraire, parmi les animaux terrestres, nous n'en connaissons aucun qui ose secourir son compagnon en danger ; on ne le voit ni dans l'ours, ni dans le sanglier, ni dans la lionne, ni dans le léopard. A la vérité, dans nos amphithéâtres, tous ceux d'une même espèce se réunissent, et courent ensemble dans l'arène ; mais de se défendre les uns les autres, ils n'en ont ni les moyens, ni même la pensée ; ils ne savent que fuir et sauter, pour s'éloigner le plus qu'ils peuvent de celui d'entre eux qu'ils voient blessé ou expirant. Car ce trait des éléphants, qui, voyant tomber un des leurs dans la fosse, y portent du bois pour lui faire comme une levée et l'aider à en sortir ; ce trait, mon cher Aristotime, nous vient de loin, et me paraît un peu merveilleux. Faut-il, comme en vertu d'une ordonnance royale, adopter aveuglément le récit de Juba( 50) ? (977e) Mais en le prenant pour vrai, combien d'exemples ne peut-on pas alléguer qui prouvent que les animaux maritimes ne le cèdent point aux plus industrieux des animaux terrestres


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en amour social et en prudence ? Commençons par cette dernière qualité, nous parlerons ensuite de l'autre.

Les pêcheurs ayant reconnu que la plupart des poissons se moquaient de l'hameçon et de la ligne, (977e) comme de vieilles ruses éventées, ont eu recours à la force. A l'exemple des Perses, ils les ont enfermés dans des seines, d'où ils ont espéré que nulle intelligence, nulle adresse, ne pourraient les dégager. Ils se servent de rets et de trubles pour prendre les mulets, les girelles, les mormes, les sargets, les goujons de mer et les loups marins. Ceux qui se précipitent au fond de la mer, tels que les mulets, les dorades et les scorpènes, se prennent par le moyen des éperviers et des seines. Le nom qu'Homère donne à ces sortes de filets, désigne qu'ils prennent tout. Cependant les lamproies de mer et les loups marins savent s'en débarrasser. Quand ces derniers poissons sentent qu'on traîne l'épervier, ils frappent le fond de la mer, et y creusent jusqu'à ce que le trou soit assez grand pour qu'ils se mettent à l'abri du filet ; ils s'y tiennent, et attendent tranquillement que l'épervier soit passé. (977f) Quand le dauphin se voit pris dans une seine, il y reste sans crainte, et même avec plaisir, parce qu'il mange à discrétion les poissons qui y sont renfermés avec lui, sans avoir besoin de les poursuivre : lorsqu'il sent que le filet approche de terre, il le déchire et s'échappe. (978a) S'il n'a pas le temps de s'enfuir et qu'il soit pris, la première fois, on ne lui fait aucun mal ; seulement on lui attache un jonc au sommet de la tête, et on le lâche. S'il est pris de nouveau, comme on le reconnaît à cette marque, on le punit à coups de bâton ; mais il s'y expose rarement : car la plupart se ressouviennent de la grâce qu'on leur a faite la première fois, et ils ne retombent plus dans la même faute (51). Mais


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dans le grand nombre d'exemples que je pourrais citer de l'adresse des poissons à éviter les piéges ou à s'en tirer, je ne dois pas oublier celui de la sèche. Ce poisson a près du cou une bourse pleine d'une couleur noire qu'on appelle (978b) tholus. Lorsqu'il est pris, il répand autour de lui cette liqueur, qui, noircissant l'eau aux environs et le cachant lui-même, le dérobe à la vue du pêcheur (52). En cela, il imite les dieux d'Homère, qui souvent cachent et enlèvent dans un nuage les héros qu'ils veulent garantir du danger.

Mais en voilà assez sur cet objet. Voyons maintenant combien la plupart ont d'adresse pour tendre des piéges et pour assaillir leur proie. L'étoile de mer, qui sait que tout ce qu'elle touche se dissout et se fond, se laisse manier par tous ceux qui veulent la prendre (53). Vous connaissez la propriété qu'a la torpille ; non seulement d'engourdir ceux qui la saisissent, (978c) mais encore de frapper de torpeur, à travers la seine, les mains de ceux qui la touchent. Il est même des auteurs qui, ayant poussé plus loin leurs recherches sur la nature de cet animal, disent que s'il est encore vivant quand on le tire du filet, et qu'on répande d'un peu haut do l'eau sur son corps, on sent l'engourdissement gagner peu à peu toute la main, et produire son effet le long de l'eau, qui vraisemblablement en éprouve elle-même le pouvoir. Ce poisson donc, connaissant en lui cette propriété, ne s'expose jamais à combattre de front ; mais nageant autour du poisson qu'il veut prendre, il lance, comme autant de traits, les émanations qui sortent de son corps, et après avoir d'abord engourdi l'eau, (978d) il communique cette torpeur au poisson,


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par le canal de l'eau, en sorte que son ennemi ne peut ni fuir ni se défendre, et qu'il reste immobile comme s'il était enchaîné (54).

Le poisson appelé pêcheur est connu de tout le monde, et son nom lui vient de la ruse qu'il emploie, et qui, suivant Aristote, est aussi mise en usage par la sèche. Il jette de son cou une espèce de boyau qui lui sert de ligne, qu'il allonge et qu'il retire à volonté. Lorsqu'il voit près de lui quelque petit poisson, il lui laisse mordre ce boyau, qu'il ramène peu à peu à lui, sans que le poisson s'en aperçoive, et lorsqu'il est à sa portée, il le saisit (55). Personne n'ignore la propriété (978a) qu'a le polype de changer de couleur ; le poète Pindare l'a assez célébrée dans ces vers :

Du polype imitez la couleur variable ;
Et comme à chaque objet sa peau devient semblable,
Ainsi île chaque peuple imitant les humeurs,
Prenez habilement leur esprit et leurs mœurs.

Théognis a dit aussi :

Imitez le polype et sa changeante humeur ;
De chaque objet qu'il touche, il retient la couleur.

Il est vrai que le caméléon change aussi de couleur, mais ce n'est pas pour tendre des piéges ou pour se cacher : c'est par une suite de sa timidité naturelle, et, suivant Théophraste, par un effet de la quantité d'air dont il est rempli. Peu s'en faut que tout son corps ne soit comme un poumon, (978f) ce qui fait croire qu'il est plein de vent,  et que par conséquent il peut changer facilement de couleur. Dans le polype ce changement est une action de l'animal, et non une impression qui l'affecte. C'est à dessein qu'il 


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change de couleur, c'est pour se cacher à la poursuite des ennemis qu'il redoute et pour prendre ceux dont il se nourrit. Il est faux qu'il mange ses propres bras, comme quelques auteurs le prétendent ; mais il est très vrai qu'il craint la lamproie et le congre, qui peuvent beaucoup lui nuire, au lieu qu'il ne peut leur faire aucun mal, parce qu'ils glissent et lui échappent. (979a) Au contraire la langouste, quand elle peut saisir ces derniers poissons, en vient aisément à bout. Leur peau lisse ne leur est d'aucun secours contre l'écaille âpre et dure de la langouste ; mais aussi quand le polype peut serrer la langouste (56) dans ses bras, elle périt bientôt. Ainsi la nature a donné aux poissons cette alternative d'attaque et de défense, qui est pour eux une sorte de combat et d'exercice dans lequel ils éprouvent leur prudence et leur adresse.

Aristotime nous a vanté le pressentiment que les hérissons de terre ont du vent qui doit souffler, et le vol des grues en triangle. Pour moi, je ne citerai pas en particulier les hérissons de la mer de Cyzique ou de Byzance, mais en général ceux de (979b) toutes les mers. Quand ils sentent approcher la tempête, ils se lestent avec de petits cailloux, afin que leur légèreté ne les expose pas à être renversés ou entraînés par les vagues, et que le poids de ces pierres les tiennent fermes à leur place (57). L'intelligence que montrent les grues, en changeant l'ordre de leur vol selon le vent, n'est pas particulière à une seule espèce de poissons, elle est commune à tous ; ils nagent toujours contre le vent, et ont grand soin de ne pas l'avoir par derrière, de peur qu'il ne rebrousse leurs écailles et que leur corps, se trouvant à découvert, n'en soit blessé.


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Voilà pourquoi ils portent toujours la tête au vent ; par ce moyen, (979c) l'eau qu'ils fendent en avant tient leurs nageoires serrées, coule légèrement sur la surface de leurs corps, presse leurs écailles et empêche qu'elles ne se hérissent. Cette adresse est, comme je viens de le dire, commune à tous les poissons, l'ellope seul excepté, qui suit toujours, dit-on, le fil de l'eau et le cours du vent, sans craindre que ses écailles en soient rebroussées, parce qu'elles sont couchées vers la tête, et non du côté de la queue (58). Le thon connaît si bien le moment précis des équinoxes et des solstices, qu'il les enseigne à l'homme lui-même, sans avoir besoin de tables astronomiques ; car il s'arrête au lieu où le solstice d'hiver le surprend, et il n'en sort pas jusqu'à l'équinoxe (59). (979d) C'est sans doute une précaution bien sage de la part de la grue que de serrer une pierre dans sa patte, afin que, si elle vient à s'endormir, le bruit que la pierre fait en lui échappant la réveille ; mais, mon ami, que le dauphin montre bien plus de sagesse ! Ce poisson ne peut jamais s'arrêter ni cesser un instant de nager, parce qu'il est dans sa nature de se mouvoir toujours et de ne perdre le mouvement qu'avec la vie ; quand donc il a besoin de sommeil, il monte à la surface de l'eau, et se mettant sur le dos, il se laisse aller vers le fond, bercé par le mouvement des flots, jusqu'à ce qu'il vienne à toucher la terre ; réveillé alors par le coup qu'il reçoit, il s'élance de nouveau à la surface et redescend encore, sachant ainsi se procurer avec adresse une sorte de repos entremêlé de mouvement. (979e) Les thons, dit-on, font de même, et par le même motif.


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Après avoir montré que les poissons ont la connaissance astronomique des révolutions du soleil, connaissance attestée par Aristote lui-même, je dois parler aussi de leur science arithmétique, ou plutôt je citerai d'abord celle qu'ils ont en optique, et qu'Eschyle me paraît n'avoir pas ignorée, car il a dit :

A l'exemple du thon, il cligne son oeil gauche.

Les thons ont cet oeil un peu faible. Voilà pourquoi, quand ils entrent dans la mer du Pont, ils tirent sur la droite le long de la côte, et quand ils en sortent, ils prennent vers la gauche. N'est-ce pas montrer beaucoup de prudence et de précaution, que de confier leur sûreté au meilleur de leurs yeux (60) ? Comme ils ont besoin de l'arithmétique pour maintenir leur société (979f) et leur affection mutuelle, ils ont porté cette science très loin. Ils aiment à vivre ensemble et à marcher en troupe et pour cela, ils se rangent en cube, et, formant un bataillon serré à six faces égales, jamais ils ne rompent en nageant cet ordre régulier. (980a) Ainsi quand ceux qui observent leur approche ont pu compter combien ils sont sur une de leurs faces, ils savent aussitôt leur nombre total, parce qu'on sait que la profondeur de leur figure est toujours égale à sa longueur et à sa largeur. Les amies tirent leur nom de l'habitude qu'elles ont, aussi bien que les jeunes thons, d'aller toujours en troupe. Pour les autres espèces qu'on voit vivre et marcher de compagnie, le nombre en est si grand qu'on ne saurait les compter.

Il faut donc se borner aux sociétés particulières et intimes que quelques uns de ces animaux forment entre eux. De ce nombre est le pinnotère,  qui a fait dépenser


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tant d'encre à Chrysippe. Ce philosophe le cite toujours le premier pour exemple dans ses ouvrages de physique et de morale. (980b) Apparemment qu'il ne connaissait pas le spongotère, car sûrement il ne l'aurait pas oublié. Le pinnotère est, dit-on, une espèce de cancre qui ne quitte jamais la pinne marine, et l'observe avec soin pendant qu'elle a sa coquille ouverte. Lorsqu'il y voit entrer quelqu'un de ces petits poissons qu'ils peuvent prendre l'un et l'autre, il y entre, mord la chair de la pinne pour l'avertir : aussitôt elle ferme sa coquille, et ils mangent en commun leur proie, qu'ils ont ainsi renfermée dans un fort (61). L'éponge est conduite et gouvernée par un petit poisson qui ne ressemble pas à un cancre, mais à une araignée ; elle n'est pas privée d'âme, de sang et de sentiment ; mais naissant sur les rochers comme plusieurs autres (980c) animaux marins, elle a un mouvement propre de contraction et de dilatation, lequel cependant ne s'exerce que par l'avertissement et la direction d'autrui. Comme le tissu de sa peau est très lâche et percé de plusieurs pores, que sa mollesse rend ses sensations obtuses et fait qu'elle ne sent pas les animaux qui entrent dans ses pores, le spongotère l'en avertit ; aussitôt elle se contracte et dévore sa proie ; mais si c'est un homme qui s'approche ou qui la touche, avertie alors plus fortement par son gardien, elle se hérisse de peur et se resserre tellement qu'on a bien de la peine à la couper (62). Les pourpres réunies en grand nombre font, comme les abeilles, leurs  cellules en


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commun, et y déposent, dit-on, leurs petits. Elles tirent de leur coquille ce qu'elles y ont amassé (980d) d'algue et de mousse pour leur nourriture ; et là, rangées en rond, elles se servent à manger réciproquement (63).

Mais est-il étonnant que ces petits poissons vivent ainsi en communauté, quand on voit le crocodile, l'animal le plus farouche et le plus cruel qui soit dans les étangs, dans les rivières et dans les mers, montrer dans son commerce avec le roitelet un esprit de société si admirable ?

Cet oiseau, de l'espèce de ceux qui vivent le long des lacs et des rivières, fait la garde auprès du crocodile, et, sans avoir besoin de chercher sa propre nourriture, il vit des restes de ce poisson. Lorsqu'il voit l'ichneumon couvert de boue, comme les athlètes le sont de poussière, s'approcher pour surprendre (980e) le crocodile endormi, il le réveille en criant et en le frappant de son aile. Le crocodile est si familier avec lui, qu'il le laisse entrer dans sa gueule et souffre volontiers qu'avec son bec il lui ôte les morceaux d'aliments qui sont restés entre ses dents. Quand il en a assez et qu'il veut fermer sa gueule, il baisse doucement sa mâchoire pour avertir l'oiseau de se retirer, et il ne la rabat entièrement que lorsqu'il est sûr que le roitelet est envolé (64).

Le poisson appelé guide est pour la grandeur (980f) et pour la forme assez semblable au goujon, excepté qu'au dehors il ressemble à un oiseau qui hérisse de peur son plumage, tant ses écailles sont droites ; il accompagne toujours quelque poisson cétacé, et nage devant lui pour le guider et l'empêcher de donner dans quelque bas-fond, dans la vase ou dans une gorge étroite, d'où il sortirait difficilement. (981a) Le monstre le suit et se laisse mener avec


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docilité, comme un vaisseau est dirigé par le gouvernail. Toute autre chose qui tombe dans sa gueule, un animal, un vaisseau, une pierre, est aussitôt engloutie et se perd dans ce gouffre immense. Mais la baleine, connaissant ce petit poisson, le reçoit dans sa gueule comme une ancre ; il s'y endort, et pendant son sommeil le monstre s'arrête ; quand le guide sort, il se remet à le suivre, sans le quitter ni jour ni nuit. Autrement il s'égare, il erre au hasard ; et l'on en a souvent vu échouer et périr sur la côte faute de guide, comme un vaisseau qui n'a point de gouvernail. J'en ai été moi-même témoin à Anticyre ; et l'on dit que dans une époque plus reculée, il y en eut un qui fut jeté sur le rivage (981b) près de la ville de Bunes, où il pourrit et répandit la peste dans les environs (65).

Maintenant, je le demande, est-il raisonnable de comparer avec une société et des habitudes si intimes cette amitié que, suivant Aristote, les renards et les serpents forment ensemble pour se défendre contre l'aigle, leur ennemi commun ? ou celle des outardes avec les chevaux, parce que ces oiseaux prennent plaisir à gratter leur fiente ? Pour moi, je ne vois ni dans les abeilles ni dans les fourmis une pareille attention à se soigner réciproquement. A la vérité, elles travaillent en commun pour accroître leurs possessions, mais elles ne s'occupent pas réciproquement de leur bien particulier. Nous verrons plus sensiblement cette différence, si nous considérons (981c) le plus ancien comme le plus important des devoirs pour les êtres en société, le soin de leur reproduction. Premièrement, les poissons qui habitent des mers voisines de quelque lac, ou dans lesquelles des rivières se déchargent, lorsqu'ils sont près de faire leurs petits, remontent vers ces eaux


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douces et choisissent les endroits où elles sont le plus tranquilles ; car ils ont besoin d'un grand calme pour faire leurs petits. D'ailleurs, les lacs et les rivières n'ont pas de monstres marins ; en sorte que leur progéniture y est en sûreté. Voilà pourquoi l'on en voit un si grand nombre qui vont faire leurs petits dans le Pont-Euxin, parce que cette mer n'a d'autres poissons cétacés que des phoques et des dauphins, qui même n'y sont pas bien grands. Une autre raison de ce choix, c'est que plusieurs rivières considérables (981d) qui s'y déchargent en rendent l'eau plus douce et plus convenable aux mères. Mais rien n'est plus admirable que la conduite du barbier, appelé par Homère le poisson sacré. Il est vrai que quelques grammairiens pensent qu'en cet endroit, sacré signifie grand, comme on appelle un de nos grands os fos sacrum, et qu'on donne à l'épilepsie, une de nos plus graves maladies, le nom de mal sacré. D'autres entendent en général le mot sacré d'une chose consacrée à la Divinité et à laquelle on ne doit pas toucher. Cependant Ératosthène appelle la dorade un poisson sacré, Dont le front est orné d'une bande dorée. Plusieurs croient qu'on nomme ainsi l'ellope parce qu'on le trouve rarement et qu'il n'est pas facile à prendre. Cependant il en paraît assez souvent près des côtes de Pamphylie, et quand les pécheurs en ont pris un, ils mettent des couronnes sur leurs têtes et des guirlandes autour de leurs barques ; en rentrant dans le port ils sont reçus avec des cris de joie et des applaudissements universels. (981e) Mais l'opinion la plus générale est que ce nom désigne le barbier, et qu'on le lui donne parce que dans les lieux où il est on ne voit point de monstres marins ; en sorte que les plongeurs qui cherchent les éponges, s'ils ont pu apercevoir un barbier, plongent avec hardiesse, et les autres poissons y font avec confiance leurs petits, parce qu'ils


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ont dans le barbier un garant de leur sûreté. Il est difficile d'en assigner la cause et de décider si les monstres marins fuient naturellement ce poisson, comme les éléphants évitent le pourceau, et les lions le coq, ou bien s'il y a des indices certains pour reconnaître qu'il n'y a point de monstre dans une mer, et que le barbier, qui a naturellement de l'intelligence et de la mémoire, les ait observés et s'en ressouvienne (66).

C'est sans doute un sentiment commun aux femelles de tous les animaux, que la tendresse pour leurs petits. Mais parmi les poissons, les mâles le partagent. On ne les voit pas, comme quelques animaux terrestres, dévorer leur progéniture ; (981f) ils ont soin des œufs aussi bien que les femelles, au rapport d'Aristote. Ceux qui suivent leurs femelles répandent leur semence sur les œufs, parce qu sans cela les petits ne parviendraient pas à leur grandeur, naturelle et resteraient imparfaits. Les tanges de mer en particulier forment une sorte de nid avec de l'algue marine, et y placent leurs petits pour les préserver de l'agitation des vagues (67). (982a) Le chien de mer ne le cède point en amour et en sollicitude pour ses petits aux plus doux et aux plus privés des autres animaux. Il fait d'abord son œuf, et lorsqu'il est éclos, il ne le met pas hors de son corps, il l'y garde et l'y nourrit avec soin, comme pour l'engendrer une seconde fois. Quand il est un peu plus grand, la mère le laisse sortir de son sein, et lui apprend à nager, en se tenant toujours auprès de lui ; ensuite elle le reprend dans son corps, où il trouve sa demeure, sa nourriture et sa retraite, jusqu'à ce qu'il soit assez fort pour se défendre lui-même. La sollicitude de la tortue (982b) pour sa progéniture n'est pas moins admirable : elle sort


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de la mer pour pondre ses œufs, qu'elle dépose près du rivage ; el comme elle ne peut pas rester longtemps hors de l'eau pour les couver, elle les met sur la grève, et les couvre du sable le plus fin et le plus doux qu'elle peut trouver. Après lis avoir ainsi cachés et couverts avec précaution, elle fait, dit-on, des marques avec ses pieds pour reconnaître l'endroit. D'autres disent que le mâle renverse la femelle sur le dos, et imprime sur le sable, comme une espèce de sceau, la forme de son écaille. Mais ce qui est encore plus merveilleux, c'est qu'elle calcule exactement jusqu'au quarantième jour ; (982c) car c'est dans cet espace que les œufs éclosent, et à cette époque précise, elle vient reconnaître son dépôt, et le découvre avec autant de satisfaction et de joie qu'un homme en aurait à retrouver son trésor.

Le crocodile est pour tout le reste à peu près comme la tortue ; seulement, on n'a pu imaginer encore ce qui le guide dans le choix du lieu où il dépose ses œufs, et l'on attribue sa prévoyance à cet égard à une sorte de divination plutôt qu'à son raisonnement ; car il pose justement ses œufs, sans se tromper d'un pas, à la hauteur où le Nil doit déborder et couvrir la terre chaque année ; de sorte que le laboureur (962d) qui les rencontre le premier, annonce aux autres quelle sera la hauteur du débordement, tant le crocodile la mesure avec exactitude, afin de pouvoir conserver ses œufs s :ms qu'ils soient mouillés ! Dès que les petits sont éclos, si la mère en voit un qui, au sortir de la coque, ne saisisse pas la première proie qui se présente, comme une mouche, une fourmi, un ver, une paille ou un brin d'herbe, elle le déchire à belles dents et le tue. Mais elle soigne avec tendresse ceux qui montrent du courage et de l'ardeur ; et, à l'exemple des hommes les plus sages, elle se décide dans son affection d'après son jugement et non d'après la passion. Les veaux marins font aussi leurs petits sur la terre, mais peu à peu


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ils les attirent dans la mer, leur en font faire l'essai, (982e) et les en retirent promptement ; ils répètent cela plusieurs fois, en les prenant l'un après l'autre, jusqu'à ce qu'ils y soient accoutumés et qu'ils soutiennent hardiment la vie de la mer. Les grenouilles, quand leurs amours commencent, s'entr'appellent avec un son de voix qui respire la tendresse et les invite à s'unir. Lorsque le mâle a par ce moyen attiré la femelle, ils attendent ensemble que la nuit soit venue ; car ils ne peuvent pas s'accoupler dans l'eau, et sur la terre ils craignent le grand jour. Dès que l'obscurité commence, ils sortent de l'eau et s'accouplent sans crainte. Au reste, quand ces animaux sentent qu'il va pleuvoir, ils jettent des cris beaucoup plus forts qu'à l'ordinaire, et c'est un des signes les plus certains de la pluie.

Mais, ô Neptune, de quelle énorme faute ai-je manqué de me (982f) rendre coupable ! A quel ridicule me serais-je exposé si, pendant que je m'amuse à parler des veaux marins et des grenouilles, j'avais oublié celui de tous les animaux marins qui est le plus sage elle plus cher aux dieux ! Car le plus beau chant du rossignol est-il comparable à celui des alcyons ? La tendresse des hirondelles pour leurs petits, l'amour des colombes pour leurs maris, et l'industrie des abeilles, peuvent-ils être mis en parallèle avec ceux de ces oiseaux ? De quel autre animal les dieux ont-ils autant honoré l'enfantement et la naissance ? L'île seule de Délos fut rendue stable pour recevoir Latone au moment de ses couches. Mais quand l'alcyon fait ses petits au temps du solstice d'hiver, les dieux font régner le calme sur toutes les mers et suspendent l'agitation des flots. (983a) Aussi n'est-il point d'animal que les hommes aiment autant que l'alcyon, à qui ils doivent, au fort de l'hiver, sept jours et sept nuits d'une navigation tranquille, pendant lesquels ils vont sur mer avec plus de sûreté que sur la terre. Détaillerai-je les verins de ces oiseaux ? Tel est


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l'amour de la femelle pour son mari, qu'elle vit avec lui, non pas une seule saison, mais toute l'année ; et cela non par l'attrait du plaisir, car jamais elle ne reçoit aucun autre mâle, mais par l'affection qu'elle lui porte, comme une femme honnête ne se sépare point de son mari. Quand le mâle, affaibli et appesanti par l'âge, a de la peine à la suivre, (983b) elle le soutient et le nourrit dans sa vieillesse, sans jamais s'en éloigner ni le laisser seul. Elle le charge sur ses épaules, le porte partout, le sert avec le plus grand soin, et ne le quitte qu'après sa mort. Rien n'égale sa tendresse et son attention pour ses petits. Dès qu'elle se sent pleine, elle s'occupe aussitôt de la construction de son nid. Et pour cela elle ne détrempe pas de la boue, pour la coller aux toits et aux murailles, comme l'hirondelle, elle n'y emploie pas tous les membres de son corps, comme l'abeille, qui, entrant tout entière dans sa cellule, met tout ce qu'elle a de force pour la façonner et la diviser en hexagones réguliers.

L'alcyon n'a d'autre (983c) instrument et d'autre arme que son bec, et sans aucun secours étranger il construit son nid avec tant d'art, qu'à moins de l'avoir vu on ne peut imaginer l'exactitude de ses proportions. Telle qu'un habile constructeur de vaisseaux, elle choisit entre toutes les formes la seule qui ne l'expose pas à être renversée ou enfoncée dans la mer. Elle ramasse des arêtes d'un poisson qu'on nomme aiguille de mer, elle les lie ensemble et les entrelace en long et en large, comme le tisserand croise l'estam et la trame ; ensuite elle les plie et les courbe les unes et les autres et en forme un corps arrondi semblable à un vaisseau à rames, mais qui, par sa longueur, (983b) ressemble à une nasse de pêcheur. Quand il est fini, elle le pose sur les flots, afin que la mer le batte légèrement et lui découvre les endroits qui ont besoin d'être fortifiés et resserrés. Pour ceux qui sont bien joints, le mouvement des flots les affermit encore davantage, au point que ni


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le fer ni la pierre ne sauraient le rompre ou le défaire (68). Ce qu'il y a de plus merveilleux, c'est la forme et la proportion de sa cavité intérieure. Elle est d'une telle justesse, qu'elle ne peut donner entrée qu'au seul alcyon, que l'ouverture même en est cachée aux autres oiseaux, et que l'eau (983e) de la mer n'y pénètre point (69). Il n'est sans doute personne de vous qui ne connaisse ces nids ; pour moi qui en ai souvent vu et manié, j'ai été tenté à chaque fois de dire avec Homère :

Le temple de Délos offre un pareil prodige.

Je parle de cet autel de corne qu'on compte parmi les sept merveilles du monde, et qui est tout fait de cornes droites de taureaux, sans qu'on y ait employé ni colle, ni ciment, ni aucune autre espèce de lien.

Je supplie Apollon de me pardonner si moi, qui suis insulaire et musicien, je ne parle point de la sirène de mer, tant célébrée par les poètes ; si je ne réponds point à ces questions ridicules qu'on a faites : pourquoi Apollon n'est pas appelé le destructeur des congres, ni Diane l'exterminatrice des surmulets. Nous voyons que Vénus (983f) protége ces animaux, et qu'à cause de cela elle est honorée dans des temples qu'on lui élève près de la mer ; ce qu'il y a de certain, c'est que cette déesse n'aime pas qu'on lui en immole aucun. Vous savez qu'à Leptis (70) les prêtres de Neptune ne mangent rien qui vienne de la mer ; qu'à Éleusis, les initiés aux mystères honorent le surmulet ; qu'à Argos, la prêtresse de Junon s'abstient, par respect,


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d'en manger ; car cette espèce de poisson détruit, le plus qu'elle peut, le lièvre marin, dont la chair est mortelle pour l'homme. Voilà pourquoi on les épargne comme des animaux amis de l'homme et qui lui sont utiles. (984a) Au reste, il y a dans plusieurs villes de la Grèce des temples et des autels consacrés à Diane, surnommée Dictymne, et à Apollon Delphinien ; et la ville que ce dieu a particulièrement choisie pour sa demeure fut bâtie par une colonie de Crétois qu'un dauphin y avait conduits (71) ; non que ce dieu eût pris lui-même la forme de cet animal, comme le prétendent les mythologistes, mais il leur envoya un dauphin qui leur servit de guide dans leur navigation, et les fit aborder à Cirrha (72). On raconte que ceux qui furent envoyés à Sinope par le roi Ptolémée Soter pour en apporter Sérapis et Bacchus, furent, malgré tous leurs efforts, jetés par un vent violent au delà du promontoire de Malée, à la (984b) droite du Péloponnèse. Comme ils erraient sur la mer, agités de vives inquiétudes, ils aperçurent devant la proue de leur vaisseau un dauphin qui semblait les appeler et s'offrir à les guider vers des rades où ils seraient en sûreté. Il marchait devant eux, les menant de station en station, jusqu'à ce qu'enfin il les conduisit à Cirrha, où ils débarquèrent. Là, après leur sacrifice d'actions de grâces, ils surent que des deux statues qui étaient dans cette ville, ils devaient emporter celle de Pluton et laisser celle de Proserpine, après avoir pris l'empreinte de sa forme. Il est naturel qu'Apollon aime cet animal, qui a du goût pour la musique, et auquel Pindare se compare, en disant qu'il est provoqué et excité par son exemple lorsqu'il le voit


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(984c) Sur une mer tranquille accourir aux accords
Dont le charme puissant fait retentir ses bords.

Mais je crois que l'humanité du dauphin le rend encore plus cher à ce dieu. C'est le seul animal qui aime l'homme pour lui-même. Parmi les animaux terrestres, il en est qui sont ennemis de tous les hommes ; et les plus doux n'aiment par intérêt que ceux qui les nourrissent et avec qui ils vivent : tels sont le chien, le cheval et l'éléphant. Les hirondelles, qui trouvent dans nos maisons tout ce qui leur est nécessaire, le logement et la sûreté, fuient cependant l'homme et le redoutent comme une bête féroce. Le dauphin est le seul animal à qui la nature ait inspiré pour l'homme cette affection pure et désintéressée qui, selon les plus vertueux philosophes, (984d) fait le caractère de la véritable amitié. Sans jamais avoir besoin d'aucun homme, il a pour tous en général une égale bienveillance, et il en a secouru plusieurs, entre autres Arion, dont l'histoire si célèbre est connue de tout le monde. Vous-même, mon cher Aristotime, vous avez rappelé fort à propos le trait d'Hésiode ; mais vous avez laissé le récit imparfait : après avoir vanté le chien de ce poète, il ne fallait pas oublier le dauphin. Car, après tout, c'était un indice assez faible de la part du chien que rie courir en aboyant avec force après les meurtriers de son maître. Mais des dauphins ayant trouvé auprès de Némée un cadavre qui flottait sur la mer, ils le chargèrent sur leur dos, le portèrent alternativement, et allèrent le déposer au promontoire de Rhyum, et là il fut reconnu qu'il avait été tué (73).

(984e) Myrtile de Lesbos raconte qu'Enalus d'Eolie, amant de la fille de Phinée, laquelle, par ordre de l'oracle d'Amphitrite, avait été précipitée dans la mer par les descendants de Penthilus, s'y jeta après elle, et fut reçu par un dauphin qui le porta jusqu'à Lesbos. L'affection qu'un de


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ces animaux conçut pour un jeune homme de Jassos (74) était si vive, qu'elle fut regardée comme un véritable amour. Tous les jours il nageait et jouait avec lui sur les eaux ; il se laissait manier librement, et quand le jeune homme montait sur son dos, l'animal, loin de s'y refuser, le portait avec plaisir partout où il voulait aller ; et cela à la vue de tous les habitants de Jassos, qui venaient souvent sur le bord de la mer pour être témoins de ce spectacle. Un jour qu'il survint une pluie violente, accompagnée de grêle, le jeune homme glissa de dessus le dauphin et se noya. (984f) L'animal l'ayant chargé sur son dos, le porta au rivage, s'y jeta lui-même sans vouloir quitter le corps, et s'y laissa mourir, croyant qu'il devait partager le sort du jeune homme dont il avait en quelque sorte causé la mort (75).  Les Jassiens, pour perpétuer le souvenir de cet événement, mirent depuis sur leur monnaie la figure d'un enfant assis sur un dauphin.

Ce récit rend croyable ce qu'on raconte de Céranus, tout fabuleux qu'il paraît. (985a) C'était un habitant de l'île de Paros, qui, se trouvant un jour à Byzance, vit tirer un filet où il y avait plusieurs dauphins qu'on se disposait à tuer ; il les acheta tous et les mit en liberté. Peu de temps après, il s'embarqua sur une galère à cinquante rames où étaient plusieurs pirates. Le vaisseau fit naufrage dans le détroit qui sépare les îles de Naxos et de Paros ; tous les autres passagers périrent, et lui seul il fut sauvé par un dauphin qui le prit sur son dos et le porta d ; :ns une caverne de l'île de Sicine (76) que l'on montre encore aujourd'hui, et qui


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de son nom s'appelle Céranium. On croit que c'est de lui qu'Archiloque a dit :

De cinquante mortels abîmés sous les flots
Céianus est le seul qui soit sauvé des eaux.

(985b) Lorsqu'il mourut, ses parents ayant brûlé son corps sur le bord de la mer, il parut auprès du rivage un grand nombre de dauphins, qui semblaient être venus pour honorer ses funérailles, car ils ne se retirèrent qu'après que la cérémonie fut achevée.

Stésichore (77) dit qu'Ulysse portait sur son bouclier l'image d'un dauphin, et voici la raison qu'en donnent, au rapport de Crithéus, les habitants de Zacinthe. Télémaque, son fils, étant encore dans l'enfance, tomba dans un endroit de la mer assez profond, d'où il fut retiré par des dauphins qui le portèrent à bord. Depuis, Ulysse, en reconnaissance, fit graver l'image d'un dauphin sur son anneau et sur son bouclier. (985c) Mais comme je vous avais promis, en commençant, que je ne rapporterais aucune fable, et qu'en parlant des dauphins je me suis laissé aller, je ne sais comment, à vous conter des faits sans vraisemblance, tels que ceux d'Ulysse et de Céranus, je me condamne moi-même à terminer brusquement mon discours.

ARISTOTIME. Maintenant les juges peuvent prononcer.

SOCLARUS. Il y a longtemps que nous disons avec Sophocle :

Vos discours opposés tendent au même but.

Car si vous rapprochez les raisonnements dont vous avez fait usage l'un et l'autre, vous aurez combattu avec le plus grand avantage ceux qui veulent refuser aux animaux la raison et l'intelligence.


(01) Autobule était l'aîné des quatre fils de Plutarque, et Soclarus est peut-être le père de celui pour l'instruction duquel il avait composé son traité sur la Manière de lire les poètes.

(02) Dans la guerre des Mésséniens et des Spartiates, Tyrtée, en récitant des vers à la tête des troupes de Sparte, parvint à leur inspirer un tel courage qu'elles triomphèrent des Messéniens.

(03) Les trente tyrans, dans l'espace de quelques mois, firent périr plus de citoyens que dix ans de guerre n'en avaient moissonné. Le premier des calomniateurs punis par ces tyrans se nommait Epitédius.

(04) Diomus, prêtre de Jupiter Protecteur des villes à Athènes, fut le premier qui tua un bœuf à l'occasion suivante : Pendant qu'on célébrait la fête de ce dieu, appelée Diipolie, et que, suivant l'ancien usage, les fruits destinés aux offrandes étaient placés sur l'autel, un bœuf s'en approcha et toucha aux gâteaux sacrés. Le prêtre, aidé de ceux qui étaient présents à la cérémonie, tua l'animal.

(05) Cette maxime est d'Épicharme, poète sicilien, qui vivait du temps d'Hiéron, tyran de Syracuse. On lui attribue l'invention de la comédie ; il en avait composé plusieurs dont les anciens faisaient le plus grand cas.

(06) Il y a eu trois rois de Sparte de ce nom ; il s'agit ici du troisième. Plutarque a écrit sa Vie conjointement avec celle d'Agis, autre roi de Sparte.

(07) Le cancre squinade, ainsi appelé parce que sa chair a un goût semblable à celui de la squille, se nomme aussi cancre pagure. Cet animal se dépouille de sa croûte ou coquille comme le serpent de sa peau. Les anciens regardaient ce changement involontaire comme un effet de la sagesse de l'animal ; c'est pourquoi ils le pendaient au cou de la statue de Diane d'Éphèse, déesse de la sagesse. Ceste sagesse n'est autre chose que la précaution que prend l'animal de se tenir renfermé jusqu'à ce que sa nouvelle enveloppe se trouve durcie. Au reste, sa sensibilité à la musique, non plus que celle de l'alose, ne sont point attestées par les naturalistes modernes.

(08) Le hibou n'est pas le seul animal qui se plaise à faire des gestes ridicules et bouffons en présence des hommes et des autres oiseaux. M. de Buffon observe que ces mouvements bouffons sont communs à presque tous les oiseaux de nuit. Il remarque que l'oiseau appelé demoiselle de Numidie a ces gestes bien supérieurement au hibou.

(09) C'était un philosophe stoïcien de Tarse en Cilicie.

(10) Cette pierre de lynx, ainsi nommée par les anciens à cause de l'origine fabuleuse qu'on lui donnait, est l'hyacinthe orientale, pierre précieuse d'un jaune rougeâtre. On la trouve en Arabie en morceaux de la grosseur d'un pois et quelquefois de la grosseur d'une aveline.

(11) On sait jusqu'à quel point les Romains portèrent leur goût pour les spectacles. On produisait sur les théâtres des animaux de toute espèce, et jusqu'à des éléphants dressés à tous les exercices auxquels leur masse énorme semblait les rendre les moins propres. Ils marchaient en cadence, dansaient avec la plus grande précision, et faisaient tous les tours qu'on aurait crus réservés pour les animaux les plus petits et les plus légers.

(12) Porphyre, de l'Abstinence des animaux, parag 4, rapporte aussi cet exemple et dans les mêmes termes. Les Nomades étaient des peuples errants et sans habitation fixe, qui vivaient de chasse ou de pêche. Il y a apparence que Plutarque parle ici de ceux d'Arabie, voisins des Troglodytes, peuples situés près du golfe Arabique, non loin de l'Égypte et de l'Éthiopie  et qu'on appelait ainsi parce qu'ils habitaient dans les cavernes.

(13) Démocrite, dont Épicure avait adopté le système, ne donnait aux atomes que deux propriétés, la pesanteur et la direction en ligne droite. Comme avec ces deux qualités seules il était difficile d'expliquer les phénomènes de l'univers, Épicure leur supposa une troisième qualité, qui était ce mouvement de déclinaison en vertu duquel les atomes s'accrochant les uns aux autres, pouvaient former des combinaisons, des agrégats, et produire tous les corps physiques, et même toutes les facultés de l'être intelligent.

(14) Le premier de ces surnoms signifie qui vit dans les champs ; et on le donnait à Diane à cause de son goût pour la chasse. Le surnom de Dictymne vient d'un mot grec qui veut dire filet.  Il fait allusion à  l'amour de Diane pour la pêche. Dictymne était aussi une nymphe de Crète qui ne pouvant éviter les poursuites de Minus, dont elle était aimée, se jeta dans la mer, et tomba dans le filet d'un pêcheur, d'où lui vint son nom. Elle s'appelait auparavant Britomartis.

(15) Optatus est choisi pour arbitre, comme aimant égaiement la chasse et la pêche, et connaissant les animaux de terre et ceux de mer.

(16) Il y a ici une lacune qui doit être assez considérable.

(17)  Le mulet est un poisson de la classe des muges, qui se prennent dans la mer, les étangs et les rivières.

(18) Dans ce vers, Hésiode assure que le polype se mange les bras pendant l'hiver ; mais Pline prétend que c'est le congre qui dévore les bras du polype.

(19) Le loup marin est un poisson très vorace dont les anciens faisaient grand cas.

(20) Porphyre, qui rapporte ces deux surnoms d'Apollon et de Diane, cite un passage de Claudius le Napolitain, qui se servait de ces dénominations pour prouver qu'il était permis de tuer les animaux et de les manger.

(21) Ce dernier poisson est celui qu'on nomme aujourd'hui boniton. Son nom grec amie vient de ce qu'il vit en troupes.

(22) L'ichneumon ressemble assez au chat ; c'est un animal très commun en Égypte, où il avait les honneurs divins, non parce qu'il tue les crocodiles, mais parce qu'il brise les œufs de ces animaux, et les détruit par là d'une manière plus prompte et plus sûre. La ruse que Plutarque lui attribue est confirmée par les naturalistes modernes ; mais c'est contre l'aspic et non contre le crocodile qu'il l'emploie.

(23) Les observations modernes détruisent cette industrie et cette prévoyance. La nourriture que les fourmis apportent n'est point mise en réserve ; elle est consommée sur-le-champ pour les besoins de la fourmilière,  lesquels sont très nombreux, parce que dans les trois espaces d'individus dont elle est composée, il n'y en a qu'une qui travaille : ce sont les neutres ou qui n'ont point de sexe. Elles vont chercher les provisions journalières pour les mâles et les femelles, qui n'ont d'autres soins que de multiplier l'espèce. Ainsi l'on ne doit pas s'étonner de les voir aller et revenir si promptement pour chercher et reporter le butin ; elles ont à fournir à la nourriture d'un peuple très nombreux.

(24) Pline a pris plaisir à rassembler une foule de traits de l'intelligence de ces animaux, également reconnue par les anciens et les modernes.

(25) C'est là une imitation frappante de l'histoire de Noé dans l'arche, et qui prouve l'origine antique de cette tradition commune qu'on ne peut pas attribuer à Plutarque, puisqu'il ne la rapporte que d'après les anciens mythologistes.

(26) Crommyum était un bourg entre Corinthe et Mégare. 

(27) Ce temple était consacré à Minerve sous le nom de Parthénon, ou temple de la Vierge.

(28) C'était un quartier d'Athènes, embelli de plusieurs portiques, dans lequel on enterrait les citoyens qui avaient rendu des services signalés à leur patrie. Il y avait une autre place de ce nom où l'on faisait de la poterie, et c'était de là que lui venait son nom. 

(29) Pline dit que ce mulet vécut quatre-vingts ans, ce qui excède de beaucoup la vie ordinaire de ces animaux, qui est d'environ trente ans. Il ajoute qu'on rendit une ordonnance qui obligeait les grainetiers à lui laisser manger les graines qui tombaient du crible quand on vannait le blé.

(30) Philostrate dit qu'Alexandre fit vouer cet animal au Soleil, sous le nom d'Ajax, avec cette inscription : Alexander Jovis filius Ajacem soli. Alexandre, fils de Jupiter, voue Ajax au Soleil.

(31) Quelques écrivains disent qu'il ne se laissait jamais monter par d'autre que par Alexandre.

(32) On trouve aussi cette histoire dans Élien et dans Pline.

(33) Ce nom, qui signifie caverne, a été donné à cette maladie de l'ours, parce que, lorsqu'il est devenu trop gras, il se retire dans une caverne, où, suivant Aristote, Hist. anim., t VIII, chap. xvii, il reste longtemps sans manger. On prétend que comme   il est naturellement fort gras et que son embonpoint est excessif à la fin    de l'automne, cette abondance de graisse lui fait supporter sans peine cette longue abstinence, et qu'il ne sort de sa  bauge que lorsqu'il est affamé. M. de Buffon paraît douter de ce fait.

(34)  Aristote le dit de même, ainsi qu'Élien.

(35)  C'est Antiochus le Grand, roi de Syrie, à qui Ptolémée fit la guerre au sujet de la Célésyrie.

(36) Cette observation est confirmée par les modernes.

(37) L'arum, ou pied de veau, plante d'une saveur très  âcre.

(38) Le dictame, si célébré par Virgile, est une espèce d'origan fort agréable à l'odorat et à la vue, qui croît en Candie sur le mont Ida, d'où on nous l'apporte sec.

(39) Les chevaux, et en général les animaux à qui l'on impose une tâche régulière, font de même ; on en voit tous les jours des exemples.

(40) Ctésias de Cnide vivait du temps de Xénophon. Il resta prisonnier en Perse, et en écrivit une histoire dont nous n'avons plus que des extraits.

(41) On croit communément que l'oryx est une chèvre sauvage ; et le trait superstitieux que Plutarque va rapporter par rapport aux chèvres d'Égypte le confirme.

(42)  L'iérax est une espèce de petit vautour. On dit que cet Antiochus, roi de Syrie, qui vivait dans le second siècle avant l'ère chrétienne, fut appelé ainsi parce que, semblable à un oiseau de proie, il passait sa vie à ravir le bien d'autrui.

(43) Porphyre parle de ces anguilles sacrées de la fontaine d'Aréthuse, citées aussi par Élien. Il rapporte de même le trait reproché à Crassus, mais avec une différence considérable. Il ne parle point de Domitius ni de la réponse que Crassus lui fit ; il dit au contraire que ce Romain pleura sa lamproie, tandis qu'il avait paru très peu sensible à la mort de trois de ses enfants qu'il avait perdus peu de jours auparavant.

(44) C'était une ville d'Égypte qui tirait, dit-on, son nom d'Antée.

(45) Le guêpier est un oiseau de la grosseur d'un merle, mais plus long. Pour la figure du corps, il ressemble beaucoup au martin-pêcheur. Il se nourrit non seulement d'abeilles, de cigales et même de scarabées, mais aussi de plusieurs plantes ou graines. Il est très commun en Crète, où on lui donne le nom de mélisophage.

(46) Cette odeur de la panthère, que les anciens ont si fort célébrée, n'est pas reconnue par les naturalistes modernes. Aristote lui-même n'en parle que comme d'un ouï-dire ; et comme on ne pouvait la distinguer, on disait qu'elle n'était sensible que pour les bêtes.

(47) Ce qui a pu causer l'équivoque, c'est qu'à raison de l'ancien usage de garnir la ligne de corne au-dessus de l'appât, le crin qu'on a mis depuis au lieu de la corne de bœuf a été appelé κέρας, corne.

(48) Ce que Plutarque dit du renard marin, Aristote l'attribue au scolopendre de mer ; et, par rapport au renard, il dit que lorsqu'il est pris à l'hameçon il remonte le plus haut qu'il peut le long de la ligne, et la rouge.

(49)  Les naturalistes modernes ne confirment point, par leurs observations, ce qui est dit ici du scare et du barbeau, et qui paraît un peu exagéré.

(50) Juba, historien, était roi de Mauritanie.

(51) L'existence du dauphin, tel que les anciens le représentent, est une fable.  Le poisson auquel on donne aujourd'hui ce nom est un cétacé qui ressemble beaucoup au marsouin, dont il diffère par son bec, qui est beaucoup plus pointu.

(52) C'est ordinairement lorsque la sèche est poursuivie par quelque poisson qu'elle emploie ce moyen.

(53) L'étoile de mer est un insecte marin ainsi nommé à cause de sa figure. Aristote et Pline parlent de la propriété que Plutarque lui attribue.

(54) Cette propriété de la torpille, qui est un poisson plat à peu près de la figure d'une raie, a été reconnue par tous les naturalistes modernes.

(55) Ce poisson est connu parmi nous sous les noms de grenouille de mer ou pècheuse de galanga ; les Italiens l'appellent diable de mer.

(56) La langouste ou sauterelle de mer est un crustacé couvert d'une croûte peu dure ; c'est une espèce de cancre ou d'écrevisse de mer qui n'a point de pince comme les autres crustacés.

(57) Le hérisson de mer est plus connu sous le nom d'oursin. On a remarqué que ces animaux présagent la tempête, mais ce n'est pas de la manière que Plutarque le raconte.

(58) On croit que l'ellope est le poisson que nous nommons esturgeon. Il paraît que les anciens faisaient grand cas de ce poisson. Nous avons vu dans Ies Propos de table, que les Grecs donnaient aux poissons le nom générique d'ellopes, par la raison, dit Plutarque, qu'ils n'ont pas de voix. 

(59) Aristote, dans son histoire des animaux, en parlant des voyages du thon, dit seulement qu'il passe dans la mer Noire au printemps, et qu'il y séjourne l'été. Ce que Plutarque ajoute ensuite par rapport au dauphin a tout l'air d'une fable.

(60) Aristote donne la même raison de la préférence que les thons donnent au côté gauche de cette mer. Pline dit qu'il y a dans le Bosphore, auprès de Chalcédoine, un rocher extrêmement blanc qui réfléchit le soleil sur la surface de l'eau, et que les thons, effrayés par la vue de ce rocher, se jettent du côté de Byzance, où se fait toute la pêche.

(61) Plutarque n'est pas le seul qui ait parlé de ce fait singulier ; il est raconté par plusieurs auteurs anciens. M, de Bomace le rapporte comme vrai, et cite le savant Hasselquist comme en ayant été témoin dans son voyage de Palestine.

(62) Dès le temps d'Aristote, on doutait si l'éponge était une plante, un animal ; aujourd'hui la nature de l'éponge semble fixée, et il paraît qu'on doit la mettre dans la classe des polypiers, c'est-à–dire qu'elle est l'oeuvre d'un animal qu'un nomme polype, tels que ceux qui construisent le corail, les madrépores, etc. D'après cela on peut apprécier le récit de Plutarque sur le spongotère.

(63) Le coquillage dont il est question ici est celui d'où les anciens tiraient leur couleur de pourpre si estimée. Il est connu aussi sous les noms de buccin et de murex, qui sont des espèces de pourpres. 

(64) L'origine de ce conte remonte à Hérodote, qui le rapporte dans son histoire.

(65) Ce prétendu guide des poissons cétacés est un animal fabuleux et inconnu à nos naturalistes modernes. Antiryre était une île de l'Archipel où il croissait beaucoup d'ellébore ; c'est pour cela que les poètes, en plaisantant, y envoient les fous. Bunes était une ville d'Illyrie.

(66) Ce poisson est celui que les anciens nommaient anthias, et que nous avons nommé barbier, parce qu'il a sur le dos une pinne dont le premier aiguillon, long et fort, est comme un rasoir.

(67)  Ce poisson, nommé aussi mole, ressemblait à une tanche d'eau douce par-devant, et à une sole par-derrière.

(68) Les anciens ont attribué à cet oiseau les plus grandes merveilles ; mais aucun n'a été à cet égard aussi loin que Plutarque. On voit ici avec quelle complaisance il en parle ; mais presque tout ce qu'il en dit, et surtout la construction de son nid quand les eaux sont tranquilles, est fabuleux.

(69) Aristote dit que ces nids ont une ouverture étroite qui en est l'entrée, et qu'elle est si petite que, quoique la mer renverse le nid, l'eau n'y pénètre pas. Comment cela peut-il être, puisque l'oiseau y entre ?

(70) Ville d'Afrique.

(71) Apollon et Diane portaient tous les deux le surnom de Delphiniens, parce qu'ils étaient jumeaux.

(72) Plutarque ou son copiste se sont vraisemblablement trompés, et ont mis Cirrha pour Sinope, puisque c'était dans cette dernière ville que Ptolémée avait eu ordre d'envoyer chercher Sérapis.

(73) Rhyum était un promontoire situé sur la côté septentrionale du golfe de Corinthe.

(74) Jassos était une ville de Carie située dans une île du même nom.

(75) Voilà encore un de ces récits qui n'est qu'une pure fable, ainsi que le fait suivant. Plutarque paraît l'avoir senti ; mais on a pu remarquer en plus d'une occasion qu'il avait du goût pour le merveilleux, goût au reste assez ordinaire aux anciens écrivains. Cette histoire a aussi été rapportée très au long par Élien.

(76) Sicine, petite île de la mer Égée, anciennement appelée Énoé, près d'Eubée.

(77)  Poète lyrique qui vivait vers la quarante-deuxième olympiade, dans le septième siècle avant Jésus-Christ.