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PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

ACTIONS COURAGEUSES ET VERTUEUSES DES FEMMES.

 

 

texte grec

 

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ACTIONS COURAGEUSES ET VERTUEUSES DES FEMMES.

Ce traité peut se diviser en deux parties : la première comprend les exemples de vertu donnes par toutes les femmes d'une même ville, et que Plutarque appelle des exemples publics; la seconde renferme les actions vertueuses faites par une seule femme, et qu'il nomme les exemples particuliers. Le mot de vertu ne doit pas se prendre ici dans le sens rigoureux qu'on lui donne ordinairement. Les faits dont nous allons voir le récit ne sont pas tous des actions bonnes el honnêtes, soit en elles-mêmes, soit dans leur objet; ἀρετὴ, qui est le terme dont Plutarque se sert, signifie également vertu, force, courage, et c'est surtout dans ces deux dernières acceptions qu'il faut l'entendre ici.

[242e] J'ai, Cléa (01), sur la vertu des femmes, une opinion bien différente de celle de Thucydide, qui croit que la plus estimable est celle dont les étrangers parlent le moins, soit en bien, soit en mal. Il pense apparemment que la réputation d'une femme vertueuse doit, comme sa personne, être renfermée avec soin, et ne pas se répandre au dehors.

L'opinion de Gorgias (02), qui veut qu'une femme, en cachant sa beauté, laisse percer sa bonne renommée, me paraît beaucoup plus raisonnable, et j'approuve la loi des Romains [242f] qui ordonne que les femmes, après leur mort, reçoivent publiquement, aussi bien que les hommes, les éloges qu'elles auraient mérités pendant leur vie (03).


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Aussi, lorsque; nous perdîmes la vertueuse Léontis (04), j'eus avec vous un assez long entretien, dans lequel je vous proposai les motifs de consolation que la philosophie put me fournir. Aujourd'hui, d'après le désir que vous me témoignâtes alors, je vous envoie la suite de cette conversation, dont le but était de montrer que la vertu des femmes est la même que celle des hommes. [243a] J'en ai consigné des preuves dans plusieurs traits d'histoire racontés avec simplicité, et où je ne me suis rien moins proposé que de vous amuser par des récits agréables.

Si néanmoins, comme on n'en peut douter, les exemples ont le double avantage de persuader et de plaire, cet ouvrage, en démontrant la vérité que je veux établir, aura encore le mérite de vous intéresser, et de former, selon l'expression d'Euripide, cette union si belle des Muses et des Grâces, qui opère si facilement la persuasion dans un cœur épris de l'amour du beau.

Maintenant, je le demande, si, pour prouver que les femmes n'ont pas moins de talents pour la peinture que les hommes, je produisais des tableaux peints par des femmes, qui ne fussent pas inférieurs à ceux que nous ont laissés les Apelle, les Zeuxis et les Nicomachus, [243b] aurait-on droit de me reprocher que je cherche à flatter et à plaire plutôt qu'à persuader ? Je ne le pense pas. Ensuite, si j'avançais que le talent de la poésie ou de l'imitation est commun aux hommes et aux femmes, et que je comparasse les vers de Sapho avec ceux d'Anacréon, et les oracles de la sibylle avec les prédictions de Baccis (05), pourrait-on condamner avec justice un genre de


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preuve qui produirait la conviction par l'agrément et le plaisir? Je ne le crois pas non plus.

De même, est-il une voie plus sûre pour connaître en quoi la vertu des hommes et celle des femmes se ressemblent, et en quoi elles diffèrent, que de comparer la vie et les actions des uns et des autres, [243c] comme les productions d'un art admirable? que d'examiner, par exemple, si la magnificence de Sémiramis et celle de Sésostris, la prudence de Tanaquil (06) et celle du roi Servius Tullius, la grandeur d'âme de Porcia (07) et de Brutus, de Timoclée et de Pélopidas, ont la même forme, le même caractère, en les considérant et dans ce qu'elles ont de commun, et dans leurs propriétés essentielles.

Car les vertus ont des différences marquées, qui sont comme leurs couleurs distinctives, selon la diversité des naturels. Elles se conforment aux mœurs des personnes, à leur tempérament et à leur conduite. Achille avait une autre bravoure qu'Ajax ; la prudence d'Ulysse n'était pas la même [243d] que celle de Nestor, et la justice d'Agésilas ne ressemblait pas à celle de Caton. Irène (08) aimait son mari autrement qu'Alceste, et la grandeur d'âme de Cornélie (09) n'était point celle d'Olympias.

Ce n'est pas que j'admette pour cela plusieurs sortes de prudence, de force et de justice, qui soient différentes en elles-mêmes. Les diverses formes qu'elles prennent dans les divers individus n'empêchent pas qu'elles ne se rapportent toujours à une vertu générique et essentielle.

Au reste, dans les exemples que je pourrais rapporter,


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je ne prendrai point ceux qui, étant plus célèbres, doivent être connus d'une personne qui, comme vous, fait de la lecture son occupation habituelle. Je m'arrêterai seulement à ceux qui, dignes d'être transmis à la postérité, ont été omis par les auteurs qui ont composé avant moi des recueils historiques de ces sortes de faits. Comme dans ce nombre de traits mémorables, il en est de publics et de particuliers, [243e] je crois qu'il convient de commencer par ceux de la première espèce.

EXEMPLES PUBLICS.

LES TROYENNES.

La plupart des Troyens qui échappèrent à la ruine de leur patrie, après avoir longtemps erré sur des mers inconnues où les avaient jetés la tempête et leur peu d'expérience dans la navigation, abordèrent enfin en Italie. En cherchant des ports et des rades commodes, ils parvinrent à l'embouchure du Tibre, et de là se répandirent dans le pays pour y prendre langue. En leur absence, il vint en pensée aux femmes que le moindre établissement, dans quelque pays que ce fût, serait, pour des hommes qui se conduiraient avec sagesse, préférable à une navigation toujours incertaine ; et qu'il fallait faire leur patrie de la terre où ils se trouvaient, puisqu'il était impossible de recouvrer [243f] celle qu'ils avaient perdue.

D'après cette réflexion, elles font, d'un commun accord, le complot de brûler la flotte ; et Roma (10), l'une d'entre elles, leur en ayant donné l'exemple, elles l'exécutent aussitôt. Les Troyens apercevant de loin leurs vaisseaux en feu, accourent vers la mer pour tâcher de les sauver. Alors les femmes, qui commençaient à craindre leur vengeance, vont au-devant d'eux, embrassent, les unes leurs maris, [244a] les autres leurs proches, et à force


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de caresses, parviennent à les apaiser. De là est venu l'usage, qui subsiste encore aujourd'hui parmi les dames romaines, de saluer leurs proches en les embrassant.

Les Troyens, cédant à la nécessité, satisfaits d'ailleurs de l'humanité et de la bienveillance que leur avaient témoignées les naturels du pays, n'eurent plus de regret à ce qu'avaient fait leurs femmes, et ils s'établirent dans cette contrée avec les Latins.

LES PHOCÉENNES (11).

L'action des Phocéennes, quoiqu'elle n'ait été racontée par aucun historien de nom, n'est inférieure à aucun des faits mémorables dont les femmes puissent se glorifier. Les grands sacrifices que les Phocéens [244b] font encore aujourd'hui auprès d'Hyampolis (12), et leurs anciens décrets, en sont des témoignages certains. J'ai rapporté le fait avec toutes ses circonstances dans la Vie de Daïphantus (13). Voici ce qu'il y eut de personnel aux Phocéennes.

Les Thessaliens et les habitants de la Phocide se faisaient une guerre implacable (14). Ceux-ci avaient fait mourir dans un seul jour, dans toutes les villes de la Phocide, les magistrats et les tyrans que les Thessaliens y avaient établis, et les premiers avaient fait mettre en croix deux cent cinquante otages des Phocéens. En même temps ils étaient entrés avec toutes leurs troupes dans la Phocide, par le pays des Locriens, après avoir arrêté par un décret qu'ils massacreraient tous ceux qui seraient en âge de porter les armes', et qu'ils réduiraient en esclavage les


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femmes et les enfants.

Daïphantus, fils de Bathyllius, qui, avec deux autres magistrats, gouvernait alors la Phocide, persuada [244c] aux Phocéens 'd'aller au-devant des ennemis, et de les combattre. Mais il leur proposa de rassembler auparavant en un même lieu les femmes et les enfants de toute la Phocide, de dresser autour d'eux un immense bûcher, et d'y placer des gardes- avec ordre, s'ils apprenaient que leurs concitoyens eussent été vaincus, de mettre aussitôt le feu au bûcher, et de les brûler tous.

Toute l'assemblée applaudit à cette proposition. Mais un citoyen s'étant levé, observa qu'il était juste de communiquer d'abord aux femmes ce dessein ; que si elles n'y consentaient pas, il fallait l'abandonner, et ne pas les y contraindre par la force. Les femmes en ayant été instruites, s'assemblent de leur côté, approuvent la résolution prise par leurs concitoyens, [244d] et vont sur-le-champ couronner Daïphantus, pour avoir ouvert l'avis le plus glorieux à sa patrie. Les enfants, dit-on, donnèrent aussi leur consentement dans une assemblée qu'ils tinrent entre eux. Les Phocéens alors livrèrent la bataille auprès de Cléone d'Hyampolis, et remportèrent la victoire. Les Grecs appelèrent ce décret des Phocéens le Désespoir; et ceux-ci, pour perpétuer le souvenir de cette victoire, ont toujours célébré depuis, auprès d'Hyampolis, avec la plus grande solennité, des fêtes publiques en l'honneur de Diane. Ils les nomment Elaphébolies (15).

LES FEMMES DE CHIOS (16).

Les habitants de Chios ont fondé la colonie de Leuconie (17). Voici quelle en fut l'occasion.


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Un des principaux de l'île s'était marié. Comme on lui amenait [244e] son épouse dans un char, le roi Hippoclus, ami du nouveau marié, qui assistait, avec beaucoup d'autres, à la cérémonie, et qui, ayant un peu de vin dans la tête, cherchait à s'égayer, sauta dans le char, non à dessein d'insulter la nouvelle mariée, mais pour s'amuser, comme c'était l'usage du pays. Cependant les amis du jeune époux se jetèrent sur lui et le tuèrent.

Les habitants de Chios ne tardèrent pas à éprouver la vengeance céleste, et l'oracle ayant ordonné de faire mourir les meurtriers d'Hippoclus, ils dirent qu'ils étaient tous complices de ce meurtre. Le dieu les condamna tous à abandonner la ville, puisqu'ils avaient eu tous part au crime. Alors ils rassemblèrent tous ceux qui avaient fait, partagé on approuvé le meurtre, et [244f] quoiqu'ils fussent en grand nombre, et la plupart puissants, on les envoya tous à Leuconie, ville que les habitants de Chios avaient autrefois possédée en commun avec ceux d'Érythres (18), après l'avoir enlevée aux Coronéens.

Dans la suite, la guerre étant survenue entre eux, les Erythréens, le plus puissant des peuples d'Ionie, vinrent attaquer Leuconie ; et ceux de Chios n'étant pas en état de leur résister, ils convinrent de sortir de la ville sans emporter autre chose que [245a] chacun une tunique et un manteau. Leurs femmes, instruites de cet accord, leur firent honte d'abandonner leurs armes et de passer ainsi nus au milieu des ennemis. Ils répondirent qu'ils s'y étaient engagés par serment. Mais elles répliquèrent qu'ils devaient garder leurs armes, et dire aux ennemis que la tunique et le manteau d'un homme de cœur étaient sa lance et son bouclier. Animés par ces paroles, ils parlèrent avec


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fermeté aux Érythréens, en leur montrant leurs armes; et ceux-ci, intimidés par leur audace, les laissèrent passer librement, contents d'en être délivrés à ce prix. C'est ainsi qu'enhardis [245b] par leurs femmes, ils sauvèrent leur honneur.

Le trait suivant, arrivé dans des temps postérieurs, n'est pas moins honorable aux citoyennes de Chios. Philippe (19), fils de Démétrius, pendant qu'il assiégeait leur ville, fit publier une proclamation insultante et barbare, par laquelle il invitait les esclaves à se rendre auprès à lui, avec promesse de leur donner la liberté, et de leur faire épouser les femmes de leurs maîtres. Celles-ci, transportées de fureur, courent aux remparts, et, secondées des esclaves eux-mêmes qui partageaient leur indignation, elles fournissent [245c] aux combattants des pierres et des armes, les animent par leurs discours, font pleuvoir elles-mêmes sur les assiégeants une grêle de traits, et obligent Philippe de se retirer, sans qu'il eût vu un seul esclave passer dans son camp.

LES ARGIENNES.

De tous les exemples publics de courage donnés par des femmes, il n'en est point de plus glorieux que le combat soutenu par celles d'Argos contre le roi Cléamène, pour la défense de leur patrie, sous la conduite de Télésilla. Cette femme, issue, dit-on, d'une famille illustre, se voyant d'une complexion faible, consulta les dieux sur les moyens de fortifier son tempérament. Ils lui conseillèrent de cultiver les Muses. Docile à cet avis, elle s'appliqua tout entière à la musique et à la poésie ; et, délivrée bien-


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tôt de ses infirmités, elle devint, par ses talents poétiques, l'admiration de ses concitoyennes.

[245d] Cléomène, roi de Sparte, après avoir tué dans un combat un grand nombre d'Argiens (quelques uns le font monter à sept mille sept cent soixante-dix-sept, ce qui a tout l'air d'une fable), conduisait contre Argos ses troupes victorieuses, lorsque les femmes qui étaient dans la vigueur de l'âge, saisies tout à coup d'une espèce de fureur divine, forment le projet hardi de repousser les ennemis. Elles prennent les armes, et, conduites par Télésilla, montent sur les remparts, où elles se mettent en défense, au grand étonnement des Lacédémoniens, forcent Cléomène de se retirer avec perte de plusieurs des siens, et chassent Démarate, [245e] son collègue, qui, au rapport de Socrate, avait déja pénétré dans la ville, et s'était emparé d'un des quartiers.

En reconnaissance de ce service, celles qui avaient péri dans le combat furent ensevelies honorablement dans la voie Argienne ; les autres, pour récompense de leur valeur, eurent le privilége d'élever une statue à Mars (20) . Les uns fixent la date de cette action mémorable au septième jour, et d'autres à la nouvelle lune du quatrième mois, qui, chez les Argiens, portait autrefois le nom de Mercure (21). C'est du moins à cette époque qu'on célèbre encore à Argos les sacrifices appelés injurieux, pendant lesquels


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les femmes [245f] portent des habits d'homme, et les hommes sont habillés en femmes.

Au reste, pour réparer le vide que la déroute des Argiens avait laissé dans la ville, on maria les femmes, dont le nombre excédait celui des hommes, non à des esclaves, comme le dit Hérodote, mais aux citoyens les plus distingués des villes voisines, à qui on donna le droit de bourgeoisie à Argos. Encore témoignèrent-elles beaucoup de mépris pour ces maris étrangers, dont elles n'avaient pas une grande idée. Car elles firent une loi qui ordonnait que les nouvelles mariées mettraient des barbes postiches quand leurs maris s'approcheraient d'elles.

LES PERSIENNES.

[246a] Les Perses, à la sollicitation de Cyrus, déclarèrent la guerre à Astyage, roi des Mèdes. Ils furent battus et obligés de se retirer en désordre. Les ennemis étaient près d'entrer avec eux dans la ville, lorsque les femmes coururent à leur rencontre, et se découvrant le sein : « Où fuyez-vous, leur crièrent-elles, ô les plus lâches des hommes ? Prétendez-vous rentrer dans ce sein d'où vous êtes sortis? » Cette vue et ces paroles firent sur eux une telle impression, que, honteux de leur lâcheté, ils font face à l'ennemi, recommencent le combat, [246b] et obligent les Mèdes à prendre la fuite.

Cyrus, à cette occasion, fit une loi qui portait que toutes les fois que le roi de Perse entrerait dans la ville, chaque femme recevrait une pièce d'or. On dit qu'Ochus (22), prince d'un naturel vicieux et d'une avarice sordide, évitait d'entrer dans la ville, et en faisait le tour afin de frustrer les femmes de cette rétribution. Alexandre, au contraire, y entra deux fois, et donna le double aux femmes grosses.

LES GAULOISES.

Avant que les Gaulois eussent franchi les Alpes pour


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s'établir dans cette contrée de l'Italie qu'ils habitent aujourd'hui (23), il s'éleva parmi eux une sédition violente [246c] qui dégénéra en guerre civile. Les femmes s'étant jetées au milieu des combattants, se firent instruire du sujet de leurs querelles, et les jugèrent avec tant de justice et d'impartialité, qu'elles rétablirent la paix parmi eux. Depuis, les Gaulois ont conservé l'usage de délibérer de la guerre et de la paix avec leurs femmes et de les choisir pour arbitres des différends qu'ils ont avec leurs alliés. Dans le traité qu'ils firent avec Annibal, il fut stipulé que si les Gaulois avaient quelque plainte à former, le jugement en serait remis aux préteurs et aux généraux carthaginois en Espagne ; qu'au contraire, si les Carthaginois avaient à se plaindre, [246d] les Gauloises seraient juges de la contestation.

LES MÉLIENNES.

Les Mêliens, devenus trop nombreux pour le terrain qu'ils occupaient, s'embarquèrent sous la conduite de Nymphée, jeune homme d'une grande beauté, pour aller fonder ailleurs une colonie. L'oracle leur avait ordonné de s'établir dans- l'endroit où ils auraient perdu ceux qui les portaient. Ils abordèrent en Carie, et pendant qu'ils étaient descendus à terre, la tempête fit périr leurs vaisseaux. Les Cariens (24), qui habitaient la ville de Cryasse, soit par pitié pour leur misère, soit par crainte de leur audace, leur proposèrent de demeurer avec eux, et leur cédèrent une portion de leur territoire.

Mais quand ensuite ils virent qu'ils s'étaient fort multipliés [246e] en peu de temps, ils résolurent de les faire périr


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par trahison dans un grand repas qu'ils leur donneraient à ce dessein. Une jeune Carienne, nommée Caphène, aimait secrètement Nymphée ; et ne pouvant se résoudre à voir périr son amant, elle lui découvrit le complot de ses concitoyens. Lors donc que les Cariens vinrent les inviter, Nymphée leur fit observer que l'usage des Grecs était de ne jamais manger dehors sans leurs femmes. Les Càriens répondirent qu'ils pouvaient les amener. Alors Nymphée instruit les Méliens de ce qui se passait, leur ordonne [246f] de se rendre au festin, sans armes, mais de donner chacun à leurs femmes une épée qu'elles cacheraient sous leur robe, et de les faire placer chacune auprès de son mari. Au milieu du repas, les Cariens donnèrent le signal convenu, et les Grecs, voyant qu'il était temps d'agir, prennent leurs épées du sein de leurs femmes, chargent vigoureusement les Barbares, et les massacrent tous.

Devenus par là maîtres du pays, ils détruisirent la ville et en bâtirent une autre, qu'ils appelèrent la Nouvelle-Cryasse. [247a] Caphène épousa Nymphée, et reçut toutes les récompenses qui étaient dues au service signalé qu'elle avait rendu aux Méliens. Qui n'admirera le courage et la discrétion de ces femmes, parmi lesquelles il ne s'en trouva pas une seule, dans un si grand nombre, à qui la crainte fît, même involontairement, trahir le secret?

LES THYRRHÉNIENNES.

Les Thyrrhéniens (25), après s'être emparés des îles de Lemnos et d'Imbros (26), enlevèrent à Braurone (27) quelques


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femmes athéniennes, dont ils eurent des enfants que les Athéniens, dans la suite, chassèrent de ces deux îles, comme étant à moitié barbares. Ils abordèrent au promontoire de Ténare. Là les secours qu'ils donnèrent aux Spartiates, dans la guerre des Ilotes (28), [247b] leur fit obtenir le droit de bourgeoisie à Lacédémone et la liberté de s'y marier ; mais comme ils n'avaient pas l'entrée au Sénat et dans les magistratures, on les soupçonna de tramer quelque conspiration contre l'État. Les Spartiates s'étant donc saisis d'eux, les renfermèrent dans des prisons, où ils les faisaient garder avec soin, en attendant qu'ils pussent acquérir des preuves manifestes de leurs complots. Les femmes des prisonniers s'étant rendues au lieu où on les détenait, obtinrent des gardes, à force de prières, la permission de voir et d'embrasser une seule fois leurs maris.

Dès qu'elles furent entrées, elles dirent à leurs maris de changer au plus tôt d'habits avec elles, et, ainsi déguisés, [247c] de sortir avec précaution. Elles restèrent dans la prison, préparées à tout souffrir, et leurs maris, à la faveur de ce déguisement, passèrent au milieu des gardes sans être reconnus. De là, s'étant retirés sur le mont Taygète, ils invitèrent les Ilotes de venir se joindre à eux. Les Spartiates, qui craignaient tout de cette défection, firent la paix avec eux, après être convenus qu'ils emmèneraient leurs femmes, que Sparte leur fournirait de l'argent et des vaisseaux pour aller chercher ailleurs un établissement, et qu'elle les reconnaîtrait pour ses colons et ses alliés.

[247d] L'accord ainsi fait, les Pélasges partirent sous la conduite de Pollis et de- son frère Crataïdas, tous deux Lacédémoniens. Une partie s'établit à Mélo, les autres, en plus


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grand nombre, firent voile vers la Crète avec Pollis, pour éprouver la vérité de l'oracle qui leur avait prédit que lorsqu'ils auraient perdu leur divinité et leur ancre, ils verraient finir leurs courses sur les mers, et bâtiraient une ville dans le lieu même où ils auraient fait cette double perte. Lorsqu'ils eurent débarqué dans cette partie de l'île de Crète qu'on appelle la Chersonèse (29), des terreurs paniques dont ils furent saisis au milieu de la nuit les obligèrent de se rembarquer avec tant de précipitation et de désordre, qu'ils laissèrent à terre la statue de Diane, [247e] que leurs pères avaient apportée de Braurone (30) à Lemnos, et qu'ils avaient toujours eue avec eux depuis qu'ils étaient partis de cette dernière île. Mais le bruit qui les avait effrayés ayant cessé, ils désirèrent de la recouvrer. En même temps, Pollis observa que l'ancre ne tenait plus à sa boucle (apparemment qu'elle s'était prise à la fente de quelque rocher, et qu'en la tirant avec force, on l'avait détachée de la boucle sans s'en apercevoir). Alors il dit à ses compagnons que l'oracle était accompli, et leur donna le signal de cingler vers la Crète. Il fut bientôt maître du pays, dont il défit les habitants dans plusieurs combats, s'empara de Lyctis (31) et des autres villes, et s'y établit avec les siens. Aussi les Lyctiens se regardent comme originaires d'Athènes, par leurs mères, et ils prétendent être une colonie des Spartiates.

LES LYCIENNES.

[247f] Le fait suivant, arrivé en Lycie (32), quoique appuyé sur une tradition constante, a tout l'air d'une fable.


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Amisodare, que les Lyciens nomment Isaras, vint, dit-on, de Zélée, colonie des Lyciens, sur des brigantins commandés par Chimarrus (33), homme belliqueux, mais féroce et cruel. Son vaisseau avait pour enseigne un lion à la proue, et à la poupe un dragon. [248a] Il fit les plus grands ravages dans la Lycie, en sorte qu'on n'osait plus naviguer, ni même habiter les villes voisines de la mer. Bellérophon, monté sur le cheval Pégase, se mit à sa poursuite, et le tua. Il chassa ensuite les Amazones; et, après de si grands services, au lieu de la reconnaissance qu'il devait attendre du roi lobate, il en reçut les traitements les plus injustes.

Ce jeune guerrier s'étant rendu sur le bord de la mer, pria Neptune de frapper de stérilité les États d'Iobate. A peine se fut-il retiré après cette prière, que la mer, se débordant, inonda le pays. C'était le spectacle [248b] le plus effrayant que de voir les flots élevés suivre Bellérophon, et couvrir au loin toute la campagne. Les Lyciens vinrent conjurer Bellérophon de faire cesser ce fléau ; mais ils n'en purent rien obtenir. Les femmes alors, quittant leurs habits, allèrent en cet état au-devant de lui, et la pudeur ayant fait reculer Bellérophon, les flots se retirèrent aussi.

Ceux qui rejettent ce que ce récit a de fabuleux, ne croient pas que ce prince eût attiré les flots par ses imprécations. Ils disent que la partie la plus fertile de la plaine était plus basse que la mer, et que Bellérophon ayant fait couper la côte qui contenait les eaux, la mer se répandit dans la campagne. Les Lyciens ne purent rien obtenir de lui par leurs prières; [248c] mais les femmes étant venues en foule lui demander grâce, il eut honte de les
refuser, et se laissa fléchir. D'autres prétendent que cette chimère, si fameuse


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chez les poètes, était une montagne opposée au soleil du midi, dont elle réfléchissait avec force les rayons, et par là causait dans la plaine des chaleurs brûlantes qui faisaient sécher tous les fruits ; que Bellérophon, ayant reconnu la cause de ce fléau, le fit cesser en coupant la portion de la montagne la plus unie, et qui renvoyait avec pins de force les rayons du soleil; que payé d'ingratitude par les Lyciens, dans le ressentiment qu'il en avait conçu, il s'était vengé d'eux, mais que les femmes l'avaient apaisé.

[248d] Nymphis (34), dans le quatrième livre de son histoire d'HéracIée, raconte le fait d'une manière très vraisemblable. Selon lui, Bellérophon tua dans les campagnes de Xanthe (35) un sanglier furieux qui dévorait les fruits et faisait périr les animaux. Les Xanthiens ne lui en ayant témoigné aucune reconnaissance, il les chargea d'imprécations, et obtint de Neptune qu'il sortît du sein de la terre des exhalaisons salées dont l'amertume corrompait tous les fruits. Ce fléau ne cessa que lorsque, par respect pour les femmes, qui vinrent lui demander grâce, il pria Neptune d'arrêter les effets de sa vengeance. De là est verra l'usage des Xanthiens de prendre le nom de leurs mères, et non celui de leurs pères.

LES SALMANTIDES.

[248e] Annibal, fils de Barca, avant de porter la guerre en Italie, assiégea Salmantique, ville considérable d'Espagne (36). Les habitants, qui craignaient d'être pris d'assaut, offrirent de se soumettre aux Carthaginois, et de donner à Annibal trois cents talents d'argent avec trois cents otages. Mais dès qu'il eut levé le siége, ils se repentirent


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de la capitulation qu'ils avaient faite, et ne tinrent aucune de leurs promesses. Annibal revint mettre le siége devant la ville, et pour donner plus d'ardeur à ses soldats, il leur en promit le pillage. Les Barbares, effrayés, lui livrèrent la ville [248f] avec leurs armes, leurs biens, leurs esclaves, et ils ne demandèrent que la liberté de leurs personnes. Les femmes, persuadées qu'on se contenterait de visiter les hommes, mais que pour elles on ne les fouillerait pas, prirent toutes des épées, qu'elles cachèrent avec soin, et sortirent à la suite de leurs maris.

Lorsqu'ils furent tous hors de la ville, Annibal les fit garder dans un des faubourgs par les Massyliens (37), et envoya piller la ville par le reste des troupes. Les Massyliens, qui voyaient [249a] tout le butin que faisaient leurs camarades, ne purent se contenir. Indignés de se voir frustrés d'une si riche proie, ils oublient la garde qui leur est confiée, et se répandent dans la ville pour piller comme les autres. Alors les femmes exhortent leurs maris à profiter de l'occasion, et leur remettent les épées qu'elles avaient prises. Quelques unes même osèrent attaquer ceux des gardes qui étaient restés, et une d'entre elles arracha la lance d'un interprète nommé Bannon, et l'en frappa. Mais heureusement pour lui, il avait sa cuirasse, qui le garantit. Les maris, après avoir tué ou dissipé les Carthaginois, prirent la fuite avec leurs femmes. Annibal, instruit de ce qui s'était passé, se mit à leur poursuite, et massacra tous ceux qu'il put atteindre. Les autres évitèrent la mort en gagnant les montagnes. Ensuite ils envoyèrent des députés à Annibal, pour lui demander grâce ; [249b] ils l'obtinrent et eurent la liberté de rentrer dans la ville.


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LES MILÉSIENNES.

Les filles des Milésiens (38) furent tout à coup saisies d'une espèce de frénésie fort étrange, dont on n'a jamais su la véritable cause. On a seulement conjecturé que des influences malignes et empestées, en corrompant l'air, avaient subitement troublé leur raison et produit cette démence. Un désir violent de mourir, en s'étranglant, s'empara d'elles, et plusieurs, en effet, finirent secrètement leur vie de cette manière. Ni les larmes de leurs parents, ni les exhortations de leurs amis, ne pouvaient les détourner de cette résolution funeste, [249c] et elles venaient à bout de tromper la vigilance et l'adresse de ceux qui les gardaient.

On attribuait au courroux céleste cette fureur barbare qui paraissait au-dessus de tous les remèdes humains, lorsque, par l'avis d'un homme sensé, on fit une loi qui ordonnait que toutes celles qui se seraient donné la mort seraient portées au bûcher toutes nues à travers la place publique. Cette loi fit entièrement cesser ce désir violent de la mort, dont ces filles étaient saisies. Quelle preuve plus sensible d'un naturel honnête et vertueux, que cette crainte de l'infamie, ce soin de la pudeur, même au delà du trépas, dans des personnes qui n'avaient pas craint ce que les hommes redoutent le plus, la douleur et la mort !

LES FILLES DE CIOS.

[249d] Les filles de Cios (39) étaient dans l'usage de se réunir pour les sacrifices publics, et de passer la journée ensemble. Les jeunes gens qui les recherchaient en mariage assistaient à leurs jeux et à leurs danses. Le soir, elles ren-


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Iraient chacune dans leur maison, et y rendaient à leurs parents et à leurs frères tous les services dont ils avaient besoin, jusqu'à leur laver les pieds. Souvent plusieurs jeunes gens recherchaient une même fille ; mais leur amour était si raisonnable et si soumis, qu'aussitôt qu'elle était promise à l'un d'eux, tous les autres se désistaient de leur poursuite. Telle était dans ce pays la chasteté des femmes, que, dans l'espace de sept cents ans, il n'y eut pas un seul exemple d'une femme infidèle, ni d'une vierge qui se fût laissé corrompre.

LES FEMMES DE LA PHOCIDE.

[249e] Les tyrans des Phocéens (40) s'étaient emparés de Delphes. Pendant que les Thébains leur faisaient la guerre qu'on appela sacrée (41), les bacchantes, après avoir, dans leurs transports de fureur, erré de côté et d'autre pendant la nuit, entrèrent, sans y penser, dans la ville d'Amphisse (42). Fatiguées de leurs courses, et l'esprit encore tout troublé, elles se couchèrent pêle-mêle dans la place publique, et s'y endormirent. Les femmes d'Amphisse, craignant que les soldats des tyrans phocéens, qui étaient en grand nombre dans cette ville leur alliée, ne vinssent insulter les bacchantes, coururent toutes [249f] à la place publique, et les environnant en silence, les laissèrent dormir paisiblement. Lorsqu'elles furent réveillées, elles leur donnèrent tous les soins convenables, leur apportèrent des vivres, et ob-


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tinrent même de leurs maris de les reconduire, pour plus grande sûreté, jusqu'aux confins de leur territoire.

VALÉRIA ET CLÉLIE.

[250a] L'affront fait à Lucrèce, et sa vertu, firent chasser de Rome Tarquin le Superbe, septième roi de cette ville depuis Romulus. Elle était femme d'un citoyen qui, par sa naissance, tenait au sang des rois, et fut violée par un des fils de Tarquin, qu'elle avait reçu dans sa maison. Aussitôt elle instruisit ses parents de l'outrage qu'elle venait de recevoir, et se donna la mort. Tarquin, chassé du trône, après plusieurs tentatives pour y remonter, engagea Porsenna, roi des Étrusques, à aller assiéger Rome avec une puissante armée. [250b] Les Romains, pressés par la guerre et par la famine, sachant que ce prince joignait aux talents militaires un grand fonds de justice et d'humanité, le prirent pour arbitre des prétentions de Tarquin. Celui-ci le refusa constamment, et soutenait que Porsenna, s'il ne restait pas fidèle à son alliance, ne pourrait être un juge équitable.

Porsenna, voyant son opiniâtreté, l'abandonna, et fit amitié avec les Romains, à condition qu'ils lui rendraient les terres conquises et les prisonniers qu'ils avaient faits sur les Étrusques. On lui donna pour otages dix [250c] jeunes gens et autant de filles. Parmi ces dernières était Valéria, fille du consul Publicola. Le traité n'était pas encore accompli, qu'il retira toutes ses troupes de devant Rome. Les jeunes Romaines qu'on avait données pour otages s'éloignèrent un peu du camp de Porsenna, sous prétexte de se baigner dans le fleuve. Clélie, l'une d'entre elles, leur proposa de retourner à Rome à la nage. Aussitôt elles lient leurs tuniques autour de leur tête, et se tenant toutes par la main, elles osent traverser un fleuve profond et rapide, et arrivent enfin, quoique avec bien de la peine, à l'autre bord.

D'autres disent que Clélie ayant trouvé un cheval, le


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monta, lui fit passer doucement le fleuve, [250d] en servant de guide à ses compagnes, qui nageaient à sa suite, qu'elle les encourageait par ses paroles, et venait au besoin à leur secours. Je dirai tout à l'heure sur quel fondement ils l'ont avancé. Les Romains les voyant échappées au danger, admirèrent leur courage et leur audace; mais ils n'approuvèrent pas leur désertion, et ne voulurent pas qu'on pût reprocher à tout un  peuple d'avoir moins de bonne foi qu'un seul homme. Ils leur donnèrent une escorte pour les reconduire au camp de Porsenna. Elles avaient à peine passé le fleuve, que Tarquin, qui s'était mis en embuscade, manqua de les enlever. Mais Valéria eut le bonheur de gagner le camp avec trois de ses esclaves ; [250e] et Aruns, fils de Porsenna, qui était promptement accouru au secours des autres, les arracha des mains des ennemis.

Lorsqu'elles parurent devant le roi, il leur demanda quelle était celle qui avait donné à ses compagnes le conseil de la fuite. Clélie, qui vit que les autres, par ménagement pour elle, gardaient le silence, se dénonça elle-même. Porsenna, plein d'admiration pour son courage, fit amener un cheval superbement enharnaché, dont il fit présent à Clélie, et la renvoya aux Romains avec ses compagnes, après les avoir comblées de bontés. C'est ce qui a fait dire que Clélie, en fuyant du camp de Porsenna, avait traversé le Tibre à cheval. [250f] Les autres disent au contraire que ce fut le roi d'Étrurie qui, admirant en elle une force et une audace supérieures à son sexe, lui fit un présent convenable à un guerrier. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on voit encore aujourd'hui, dans la Voie Sacrée, la statue équestre d'une femme, que les uns disent être Clélie, et d'autres Valéria.

MICCA ET MÉGISTO.

Aristotime (43), soutenu par Antigonus, roi de Macédoine,


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avait usurpé la souveraine puissance à Élide, et s'y était affermi ; mais, naturellement féroce, [251a] il usait de son pouvoir de la manière la plus injuste et la plus cruelle. D'ailleurs, réduit par la crainte à être l'esclave des Barbares, à qui il avait confié la garde de sa personne et de son autorité, il fermait les yeux sur les outrages et les cruautés que ces étrangers ne cessaient d'exercer contre les citoyens. De ce nombre fut le malheureux Philodème. Il avait une fille d'une grande beauté, nommée Micca. Lucius, l'un des préfets des gardes du tyran, voulut avoir cette jeune personne, moins par le mouvement d'un amour véritable que pour satisfaire une passion brutale. Il envoie des soldats avec ordre de la lui amener. Les parents, réduits à la nécessité d'obéir, ordonnent à Micca de suivre les satellites. Cette fille, d'un caractère aussi ferme que vertueux, se jette aux pieds de son père, et le conjure de permettre qu'elle meure [251b] plutôt que de se voir aussi indignement déshonorée.

Lucius, qui voit que ses satellites tardent trop, ivre de vin et de passion, se lève de table et court chez Micca, tout bouillant de colère. Il la trouve la tête dans les genoux de son père, et lui ordonne de le suivre. Sur son refus, il lui arrache ses habits, et la fouette cruellement, sans que la douleur lui fasse jeter un soupir. Ses parents, qui ne peuvent rien obtenir par leurs prières et par leurs larmes, prennent les dieux et les hommes à témoins du traitement cruel et injuste qu'ils éprouvent Le Barbare, transporté de fureur et d'ivresse, [251c] égorge la jeune fille sur le sein même de son père.

Le tyran, loin d'être touché d'un attentat aussi atroce, fit périr encore plusieurs citoyens, et en exila un plus grand nombre. Il en sortit, dit-on, jusqu'à huit cents à la


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fois, qui se retirèrent chez les Étoliens, et les conjurèrent de les aider à retirer des mains du tyran leurs enfants et leurs femmes. Peu de temps après, Aristotime lui-même fit publier un édit qui permettait aux femmes d'aller joindre leurs maris, et d'emporter ce qu'elles voudraient de leurs biens dotaux. Il vit combien cette proclamation leur avait fait plaisir, par le grand nombre de celles qui s'empressaient de quitter la ville ; [251d] elles étaient plus de six cents. Il fixa donc un jour pour les faire partir toutes ensemble, sous prétexte de pourvoir à leur sûreté.

Le jour venu, elles se rendent aux portes de la ville, avec tout l'argent qu'elles avaient pu ramasser. Les unes tenaient leurs enfants entre les bras, les autres les faisaient monter dans des chariots, et elles attendaient mutuellement que toutes fussent prêtes pour le départ, lorsque tout à coup des soldats envoyés par le tyran leur crient de loin d'arrêter. Arrivés auprès d'elles, ils leur ordonnent de se retirer, font tourner les chars, les poussent brusquement au milieu d'elles sans aucune précaution, et ne leur permettent ni de marcher, ni de rester, ni d'aller au secours de leurs enfants, [251e] qui, en tombant de dessus les chars, étaient ou tués dans leur chute, ou écrasés sous les roues, tandis que les soldats jetant de grands cris, faisaient marcher à coups de fouet, comme de vils troupeaux, les malheureuses mères, qui se renversaient les unes sur les autres. Ils les traînèrent ainsi dans les prisons, et portèrent à Aristotime l'argent qu'elles avaient ramassé.

Cette exécution barbare remplit d'indignation tous les Éléens. Les femmes consacrées à Bacchus, et qu'on appelle les Seize (44), prenant des branches d'olivier dans leurs mains, et ceignant leurs têtes de bandelettes sacrées, vont trouver Aristotime sur la place publique ; les


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gardes s'étant éloignés par respect, elles se tiennent devant lui en silence, et lui présentent leurs rameaux d'olivier. Dès qu'il reconnut qu'elles venaient lui demander grâce pour les femmes qu'il avait fait emprisonner, il s'emporta contre ses gardes, qui avaient souffert qu'elles approchassent de lui, leur ordonna de les chasser de la place à grands coups, et les condamna chacune à une amende de deux talents.

Ce fut alors qu'Hellanicus forma le dessein de se défaire du tyran, et de mettre sa patrie en liberté. Sa vieillesse et la mort de ses deux fils le faisaient mépriser du tyran, qui croyait n'avoir rien à craindre de lui. Il fit part de son projet à quelques uns de ses concitoyens. [252a] Dans le même temps, ceux que le tyran avait exilés vinrent de l'Étolie dans l'Élide, s'emparèrent du fort Amymone, poste très avantageux, et y reçurent un grand nombre de citoyens qui s'enfuyaient de la ville. Aristotime, qui commençait à craindre la suite de ces premiers mouvements, va trouver les prisonnières, et, croyant réussir par la crainte plutôt que par la douceur, il leur ordonne d'écrire à leurs maris pour les engager à sortir de l'Élide, avec menaces, si elles le refusent, de les faire périr toutes, après les avoir fustigées et fait égorger leurs enfants sous leurs yeux. Comme il les pressait de déclarer [252b] si elles étaient dans la disposition d'obéir, elles restèrent longtemps en silence, en se regardant les unes les autres, et se témoignaient mutuellement, par un air de satisfaction, qu'elles n'étaient pas effrayées de ces menaces. Enfin, Mégisto, femme de Timoléon, la première d'entre elles, soit par son mérite personnel, soit par le rang de son mari, sans daigner se lever, sans souffrir que ses compagnes le fissent, lui répondit en ces termes :

" Si tu n'étais pas le plus lâche de tous les hommes, ce ne serait pas avec nous que tu traiterais de ce que doivent faire nos maris, puisque nous sommes sous leur


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puissance; mais t'adressant à eux-mêmes, tu n'aurais pas cherché à nous tromper par des impostures. [252c] Que si, désespérant de les gagner, tu veux te servir de nous pour les surprendre, ne te flatte plus de nous en imposer, et ne pense pas qu'ils soient si imprudents que de trahir, pour sauver leurs femmes et leurs enfants, la liberté de leur patrie. Déjà séparés de nous, ils seront moins sensibles au malheur de nous perdre qu'à l'avantage de délivrer leurs concitoyens de ton insolence et de ta cruauté. »

Aristotime, furieux de ce discours, ordonna qu'on amenât sur-le-champ le fils de Mégisto, et qu'on l'égorgeât à ses yeux. Comme les soldats le cherchaient parmi les enfants de son âge, avec qui il s'exerçait à la lutte, sa mère elle-même l'appela : « Viens, [252d] mon fils, lui dit-elle, tu vas être affranchi d'une tyrannie cruelle avant que d'en avoir connu toutes les horreurs. Ta mort me sera moins pénible que la douleur de te voir subir un si indigne esclavage. » Aristotime tire son épée, à dessein de la tuer elle-même, et déjà il courait sur elle avec fureur, lorsqu'un citoyen nommé Cylon, que le tyran regardait comme un de ses partisans, mais qui au fond le haïssait, et était même entré dans la conspiration tramée par Hellanicus, l'arrêta, en lui représentant quai allait se déshonorer par un trait de lâcheté indigne d'un homme de cœur, instruit dans l'art de gouverner. Enfin, après bien des instances, le tyran rentra en lui-même, et se retira.

Dans ce même temps, il lui arriva un prodige singulier. Il reposait avec sa femme à l'heure de midi, [252e] pendant qu'on préparait son dîner, lorsqu'un aigle, planant dans les airs au-dessus de son palais, laissa tomber, comme à dessein, une très grosse pierre sur le toit de la chambre où était Aristotime. Le bruit que la pierre fit en tombant, et les cris que jetèrent du dehors- ceux qui avaient vu l'oiseau, effrayèrent le tyran, qui, instruit de ce qui venait d'arriver, fit appeler le devin qu'il consultait dans toutes


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ses affaires, et lui demanda d'un air troublé ce que signifiait ce prodige. [252f] Le devin le rassura en lui disant que l'aigle lui promettait le secours de Jupiter; mais il déclara à ceux des citoyens à qui il crut pouvoir se confier, que la vengeance divine était prête à fondre sur la tête du tyran. Hellanicus en conclut qu'il n'y avait pas de temps à perdre, et qu'il fallait, dès le lendemain, exécuter le projet formé contre le tyran. La nuit suivante, il crut voir en songe un des fils qu'il avait perdus, qui lui parlait ainsi: «Que faites-vous, mon père? vous dormez, et il faut que demain vous commandiez dans la ville. » [253a] Encouragé par cette vision, il exhorta les conjurés à se tenir prêts pour le lendemain.

Cependant Aristotime ayant appris que Cratère, qui marchait à son secours avec une puissante armée, était campé à Olympie, en conçut une telle audace, qu'il osa se rendre sur la place publique sans gardes, accompagné de Cylon. Hellanicus trouvant l'occasion favorable, au lieu de donner aux conjurés le signal convenu, s'écrie à haute voix en levant les mains au ciel : « Qu'attendez-vous, citoyens? Quel plus beau champ de bataille que celui qui s'offre à vous au milieu de votre patrie? » [253b] Aussitôt Cylon tire son épée et frappe un de ceux qui suivaient Aristotime. En même temps, Thrasybule et Lampis coururent sur le tyran, qui se sauva dans le temple de Jupiter. Les conjurés l'y suivirent, et, l'ayant massacré, ils traînèrent son corps sur la place publique en appelant les citoyens à la liberté. Ils étaient à peine rendus sur la place, que les femmes y arrivent de leur côté en jetant de grands cris, environnent leurs maris, et leur mettent des couronnes sur la tête .

Le peuple aussitôt courut en foule au palais du tyran, dont la femme s'enferma dans sa chambre et se pendit de désespoir. [253c] Aristotime laissait deux filles d'une grande beauté. Les Éléens s'en étant saisis, les traînèrent hors du


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palais, à dessein de les tuer, après qu'ils leur auraient fait éprouver les plus indignes outrages. Mégisto accourut avec ses compagnes, et leur représenta la honte dont ils allaient se couvrir si, en se disant un peuple libre, ils imitaient les forfaits des tyrans. Le plus grand nombre, touché de la grandeur d'âme et des larmes de cette femme respectable, abandonnèrent le projet honteux de les déshonorer, et leur permirent de se tuer elles-mêmes. On les fit rentrer dans le palais, où on leur signifia l'ordre de se donner sur-le-champ la mort. L'aînée, nommée Myro, [253d] détache sa ceinture, et, se la passant autour du cou, embrasse sa sœur, l'exhorte à la regarder et à faire comme elle : « afin, ajouta-t-elle, de ne pas nous déshonorer par une mort indigne de nous. » Sa sœur la conjure de la laisser mourir la première, et se saisit de la ceinture. « Je ne vous ai jamais rien refusé, lui dit l'aînée, et je vous accorde encore cette grâce. Je vous verrai donc mourir, ma chère sœur, et ce spectacle sera plus cruel pour moi que la mort que je souffrirai. » Elle enseigne à sa sœur la manière d'attacher la ceinture autour de son cou, [253e] et quand elle la vit morte, elle l'étendit à terre, et la couvrit avec soin; elle pria Mégisto de lui rendre, après sa mort, le même service, et de faire en sorte qu'elle fût déposée avec décence. Il ne se trouva pas, parmi les spectateurs, une seule personne assez dure ou assez ennemie du tyran, pour ne pas donner des larmes à ces deux jeunes filles, dignes, par leur courage, d'un meilleur sort.

Dans le grand nombre de traits publics de vertu qui ont illustré les femmes, je nie borne à ceux que je viens de rapporter. Je passe aux exemples particuliers, et je les citerai tels qu'ils se présenteront à ma mémoire. Je ne crois pas, pour ces sortes de récits, devoir m'assujettir à l'ordre des temps.


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EXEMPLES PARTICULIERS.

PlÉRIA.

[253f] Quelques uns des Ioniens qui étaient venus s'établir à Milet prirent querelle avec les fils de Nélée (45), et se retirèrent à Myunte (46), où ils eurent beaucoup à souffrir de la part des Milésiens, qui, pour se venger de leur défection, leur avaient déclaré la guerre. Ils faisaient cependant quelques trêves, et ils n'avaient pas rompu tout commerce entre eux. Les femmes mêmes de Myunte, à certains jours de fête, se rendaient toutes à Milet. Il y avait à Myunte un citoyen du premier rang, nommé Pythès, dont la femme s'appelait lapygia, et la fille Piéria. Le jour qu'on célébrait à Milet la fête de Diane [254a] et le sacrifice nommé Néléien, Pythès y envoya sa femme et sa fille, qui lui avaient témoigné le plus grand désir d'assister à cette cérémonie. Phrygius, celui des fils de Nélée qui avaient le plus d'autorité chez les Milésiens, était amoureux de Piéria, à qui il demanda ce qu'il pourrait faire qui lui fût le plus agréable. « Ce serait, lui répondit Piéria, de faire en sorte que je pusse venir souvent à Milet avec une compagnie nombreuse. » Phrygius, qui comprit qu'elle demandait la paix et l'union entre les deux peuples, fit terminer la guerre. Depuis ce temps, le nom de Piéria fut célèbre dans les deux villes ; et encore aujourd'hui, le désir des femmes de Milet est qu'elles soient aimées de leurs maris comme Piéria l'était de Phrygius.

POLYCRITE.

[254b] Néera, femme d'Hypsicréon le Milésien, occasionna une guerre entre les habitants de Milet et ceux de l'île


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de Naxos (47). Elle aimait un Naxien nommé Promédon, qui logeait chez son mari, et elle vivait avec lui dans un commerce criminel. La crainte qu'Hypsicréon ne vînt enfin à le découvrir la détermina à suivre à Naxos Pomédon, qui la mit au nombre des prêtresses de Vesta (48). Les Naxiens, sous prétexte de cette consécration, mais dans le fait pour complaire à Promédon, refusèrent de la rendre à son mari, et la guerre s'alluma entre les deux villes.

Plusieurs peuples voisins, et surtout ceux d'Érythres, embrassèrent avec chaleur le parti des Milésiens. [254c] La guerre fut longue et signalée par de grands désastres. Le crime d'une femme l'avait commencée, la vertu d'une autre la termina. Diognète, général des Érythréens, commandait dans un fort très avantageusement situé, d'où il faisait des sorties fréquentes contre ceux de Naxos, à qui il avait enlevé beaucoup de butin et plusieurs femmes de condition libre. Il devint amoureux d'une d'entre elles, qu'il traitait, non comme sa prisonnière, mais comme il aurait pu faire sa femme même.

Un jour que les Milésiens célébraient une fête dans leur camp, et qu'ils ne pensaient tous qu'à boire et à se divertir, [254d] Polycrite demanda à Diognète s'il trouverait bon qu'elle envoyât de la pâtisserie à ses frères. Ce général le lui permit, et la pressa même de le faire. Elle inséra dans un gâteau un avis écrit sur une plaque de plomb, et chargea celui par qui elle l'envoyait de dire à ses frères de le manger en particulier. En ouvrant le gâteau, ils trouvèrent la plaque, sur laquelle Polycrite leur écrivait de venir la nuit suivante attaquer les ennemis, qu'ils surprendraient en désordre, plongés dans le vin, et hors d'état de leur résister. Ils communiquèrent cet avis à


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leurs chefs, et les déterminèrent à l'attaque du fort, dont ils n'eurent pas de peine à s'emparer. Ils y massacrèrent un grand nombre d'ennemis ; [254e] mais Polycrite obtint d'eux la vie de Diognète.

Les habitants de Naxos vinrent la recevoir aux portes de la ville, au milieu des acclamations publiques, et lui mirent des couronnes de fleurs sur la tète. Polycrite ne put soutenir l'excès de sa joie, et tomba morte à l'entrée de la ville. Elle fut enterrée dans le lieu même, et son tombeau s'appelle le Monument de t'Envie, parce qu'il semblait que la Fortune, jalouse de sa gloire, lui eût envié les honneurs qu'on lui destinait. Voilà comment les historiens de Naxos racontent ce fait.

Aristote dit que Polycrite n'avait pas été prise par les Érythréens, mais que Diognète, ayant eu une occasion de la voir, en était devenu éperdument amoureux, [254f] et lui avait promis de faire tout ce qu'elle désirerait, pourvu qu'elle répondît à son amour. Polycrite le lui promit, à condition qu'il lui accorderait une seule chose, pour laquelle, au rapport de ce philosophe, elle exigea son serment avant que de la lui déclarer. Diognète ayant juré de lui tout accorder, elle demanda qu'il lui livrât Délie (c'était le nom du fort où il commandait), que sans cela elle ne consentirait jamais à ses désirs. Diognète, vaincu par sa passion et par la religion du serment, livra le fort à Polycrite, qui le remit au pouvoir de ses concitoyens. Par là, ceux de Naxos se trouvèrent égaux en force aux Milésiens, et firent la paix aux conditions qu'ils voulurent.

LAMPSACE.

[255a] Il y avait à Phocée (49) deux frères jumeaux de la race


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des Codrides (50), nommés Phobus et Blepsus. Phobus fut le premier qui, au rapport de Charon (51), historien de Lampsaque, se précipita du promontoire de Leucate dans la mer. Son rang et son pouvoir l'égalaient presque aux rois. Il fit, pour ses propres affaires, un voyage à Parium (52), où il se lia d'amitié avec Mandron, roi des Bebryces, surnommés Pithyesses (53), et le secourut dans la guerre qu'il avait à soutenir contre des peuples voisins. Mandron, au départ de Phobus, lui fit les plus vives démonstrations d'amitié, [255b] et lui offrit de plus de lui céder une portion de la ville et de son territoire, s'il voulait établir à Pithyesse une colonie de Phocéens.

Phobus ayant fait agréer la proposition à ses sujets, envoya son frère à Pithyesse avec les nouveaux colons, et Mandron exécuta fidèlement ce qu'il avait promis. Les Phocéens en peu de temps acquirent de grandes richesses, par le butin qu'ils faisaient sans cesse sur les Barbares du voisinage ; ce qui donna aux Bebryces, d'abord de la jalousie, et ensuite de la crainte. Ils désiraient fort de s'en délivrer; mais n'ayant pu persuader à Mandron, prince vertueux et juste, d'user avec les Grecs de mauvaise foi, [255c] ils résolurent de profiter d'un voyage qu'il fit pour se défaire d'eux par ruse.

Lampsace, fille de Mandron, instruite de leur dessein, essaya d'abord d'en détourner ses amis et ses proches, et leur représenta quelle impiété, quel forfait ils allaient


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commettre en taisant périr des bienfaiteurs qui, après les avoir si utilement secourus dans la guerre, étaient devenus leurs concitoyens. Toutes ses représentations furent sans effet. Alors elle fit dire secrètement aux Grecs ce qu'on tramait contre eux, et les avertit de se tenir sur leurs gardes.

Les Phocéens ayant donc fait les préparatifs d'un sacrifice et d'un festin, attirèrent, sous ce prétexte, les Pithyesses dans un des faubourgs de la ville ; ensuite, se partageant en deux bandes, les uns s'emparent des remparts, [255d] et les autres font main-basse sur les habitants. Devenus maîtres de la ville, ils appelèrent Mandron, pour délibérer avec lui sur ce qu'ils avaient à faire. Dans cet intervalle, Lampsace étant morte de maladie, ils l'ensevelirent avec les plus grands honneurs, et donnèrent son nom à la ville. Mandron, pour éviter tout soupçon de trahison, ne voulut pas habiter avec eux ; seulement il leur demanda de lui renvoyer les femmes et les enfants de ceux qui avaient été tués. Ils les lui envoyèrent avec la plus grande fidélité, et, peu contents des honneurs héroïques (54) qu'ils avaient d'abord décernés à Lampsace, ils lui sacrifièrent, dans la suite, comme à une divinité, et ont continué de le faire jusqu'à nos jours.

ARÉTAPHILE.

[255e] Arétaphile de Cyrène (55), bien moins ancienne que les femmes dont je viens de parler, mais qui, par ses vertus et par ses actions, est comparable aux plus célèbres hé-


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ruines, vivait du temps de Mithridate. Elle était fille d'Églator, et femme de Phédimus, deux personnages très illustres. Sa prudence et son habileté dans les affaires politiques égalaient sa rare beauté, et les malheurs de sa patrie firent paraître avec éclat ses grandes qualités.

Nicocrate, après avoir usurpé la tyrannie de Cyrène, fit périr un grand nombre de citoyens, tua de sa main Mélanippe, grand-prêtre [255f] d'Apollon, et s'empara du sacerdoce. Il fit mourir ensuite Phédimus, le mari d'Arétaphile, et la força de l'épouser. A tant d'autres attentats contre les lois, il ajouta celui de placer aux portes de la ville des satellites qui, portant des mains sacrilèges sur les morts qu'on allait enterrer, les perçaient à coups de poignard, et leur appliquaient des lames ardentes, pour s'assurer si quelques citoyens, en contrefaisant le mort, ne sortaient pas secrètement de la ville.

Arétaphile supportait avec peine ses propres malheurs, quoique le tyran, qui l'aimait avec passion, la laissât jouir d'une grande partie de sa puissance. [256a] Féroce et intraitable pour tout le monde, il avait pour elle la plus grande douceur ; mais les maux de sa patrie, si indignement opprimée, l'affligeaient vivement. C'était sans cesse de nouvelles cruautés, sans qu'on entrevît aucun espoir de vengeance. Les exilés, faibles et craintifs, dispersés de côté et d'autre, n'osaient rien entreprendre. Arétaphile donc, n'attendant que d'elle-même le salut commun, animée d'ailleurs par l'exemple généreux de Thébé, la femme du tyran de Phères (56), quoique dépourvue des secours que celle-ci avait trouvés dans ses proches, résolut de se défaire de son mari par le poison. Elle s'en procura de


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plusieurs espèces; et comme elle faisait l'essai de chacun, elle fut découverte et dénoncée au tyran.

[256b] Sur les premiers indices, Calina, mère du tyran, femme d'un caractère cruel et sanguinaire, voulait qu'on fit périr à l'instant Arétaphile au milieu des tourments et des opprobres. L'amour du tyran pour sa femme affaiblissait en lui le désir de la vengeance ; et la fermeté avec laquelle Arétaphile repoussait l'accusation justifiait ses délais. Lorsque enfin elle se vit convaincue, et qu'il n'y eut plus moyen de nier qu'elle n'eût préparé des poisons, elle en fit l'aveu, mais elle dit qu'ils n'étaient pas mortels. « Il s'agissait pour moi, ajouta-t-elle, des plus grands intérêts. [256c] La gloire et la puissance dont je jouis, et que je dois à votre tendresse pour moi, m'ont rendue un objet d'envie à bien des femmes méchantes. Je craignais leurs artifices et leurs poisons ; j'ai voulu leur opposer des armes égales. C'est peut-être une folie, une faiblesse de mon sexe, mais qui, je crois, ne mérite pas la mort. Jugerez-vous votre femme criminelle, parce qu'elle a eu recours à des filtres amoureux pour se faire aimer de vous plus que vous ne vouliez ? »

Cette manière de se justifier détermina Nicocrate à la faire appliquer à la question, et ce fut Calbia, cette femme impitoyable, qui y présida elle-même. [256d] Arétaphile en soutint les tourments avec une constance qui lassa Calbia, et la força de l'abandonner. Nicocrate, persuadé de son innocence, fit cesser la torture, et eut regret de l'y avoir appliquée. Bientôt même, emporté par son amour, il revint à Arétaphile, vécut avec elle comme par le passé, et chercha à regagner le cœur de sa femme, en lui prodiguant les caresses et les honneurs. Mais Arétaphile, qui avait résisté aux tourments et à la douleur, était bien éloignée de céder à des caresses. Soutenue par les motifs louables qui la faisaient agir, et par la honte d'abandonner son entreprise, elle eut recours à d'autres moyens.


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Elle avait une fille nubile d'une grande beauté. [256e] Elle s'en servit pour tendre un piége infaillible à Léandre, frère du tyran, jeune homme facile à surprendre par l'attrait du plaisir. On croit même assez généralement qu'elle usa de sortilèges et de prestiges pour que sa fille s'assujettît entièrement Léandre, et se rendît maîtresse de son esprit. Lorsqu'il eut donné dans le piége, et qu'à force de prières, il eut obtenu du tyran la permission de l'épouser, la fille, instruite par sa mère, commença par lui proposer de rendre la liberté à sa patrie ; elle lui représenta que lui-même il n'était pas libre sous la tyrannie, puisqu'il n'était pas sûr de pouvoir prendre à son gré une femme, ni de la garder. D'un autre côté, ses amis, qu'Arétaphile avait gagnés, ne cessaient, par des [256f] calomnies adroites, de jeter dans son cœur des soupçons contre son frère. Dès qu'il sut qu'Arétaphile avait les mêmes projets que lui, il ne songea plus qu'à les exécuter ; et par le moyen d'un esclave nommé Daphnis, qu'il avait suborné, il se 'défit de Nicocrate. Mais loin de s'attacher à Arétaphile et de suivre ses conseils, il fit bientôt voir, par son insolence et la brutalité de sa conduite, qu'il avait voulu ôter la vie à son frère, mais non détruire la tyrannie. [257a] Il conserva cependant toujours du respect et de la déférence pour Arétaphile. Elle, de son côté, dissimulant sa haine sans lui résister ouvertement, préparait en secret l'exécution des nouveaux projets qu'elle méditait. D'abord elle lui suscita la guerre d'Afrique, en excitant sous main un petit prince de cette contrée, nommé Anabus, à faire des courses dans le pays et à pousser ses hostilités jusqu'aux portes de la ville. Ensuite elle accusa auprès de son gendre ses amis et ses généraux de faire nonchalamment la guerre, et d'incliner pour la paix, qu'au fond, disait-elle, il était de son intérêt de désirer, s'il voulait affermir sa domination. Elle ajouta qu'elle travaillerait volontiers


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à la procurer, et que, s'il le souhaitait, elle amènerait Anabus à s'aboucher avec lui avant que la guerre l'eût jeté dans des maux qui seraient peut-être sans remède.

Léandre y ayant consenti, elle eut d'abord un entretien avec [257b] Anabus, qu'elle détermina, à force de présents et de promesses, à se saisir du tyran lorsqu'il viendrait au lieu de la conférence. Léandre balançait à s'y rendre ; mais par respect pour Arétaphile, qui lui offrit d'assister à l'entrevue, il sortit de la ville désarmé et sans suite. Lorsqu'il fut près du camp ennemi et qu'il aperçut Anabus, il commença à tergiverser, et dit qu'il voulait attendre ses gardes. Arétaphile, pour l'encourager, employait tour à tour les exhortations et les reproches. [257c] Enfin, impatientée de ses délais, elle le saisit d'une main hardie, l'entraîne avec force, et le livre au barbare. Les Africains s'en emparent, le chargent de chaînes, et le gardent avec soin, jusqu'à ce que les amis d'Arétaphile eussent apporté l'argent qu'elle avait promis à leur chef.

Ils arrivèrent suivis d'une foule de citoyens qui, au premier bruit de la détention du tyran, étaient accourus au lieu du rendez-vous. La vue d'Arétaphile leur fit presque oublier leur ressentiment contre Léandre et le soin de leur vengeance. Le premier mouvement que leur inspira le sentiment de leur liberté fut de lui rendre leurs hommages en versant des larmes de joie, et de l'environner comme une divinité bienfaisante. [257d] Ce concours dura le reste de la journée ; et ce ne fut qu'avec peine que, le soir, retirant Léandre des mains des Barbares, ils rentrèrent dans la ville. Lorsque enfin ils eurent satisfait leur reconnaissance par les honneurs et les louanges qu'ils prodiguaient à Arétaphile, ils pensèrent à punir les tyrans. Calbia fut brûlée vive, Léandre, cousu dans un sac et jeté dans la mer.

On voulait qu'Arétaphile partageât le gouvernement avec les principaux citoyens ; mais contente d'avoir, pour


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ainsi dire, conduit jusqu'au dénouement une action si compliquée et si féconde en incidents, dès qu'elle vit sa patrie libre, elle rentra dans la retraite ; et, sans prendre aucune part aux affaires, [257e] elle passa tranquillement le reste de sa vie avec ses amis et ses proches, dans les occupations
ordinaires à son sexe.

CAMMA.

Parmi les tétrarques de Galatie (57), les deux plus puissants étaient Sinatus et Sinorix. Ils étaient unis par les liens du sang. Le premier avait épousé une jeune princesse nommée Camma, d'une beauté frappante, mais d'une vertu plus admirable encore. A sa chasteté, à sa tendresse pour son époux, elle joignait une prudence et une grandeur d'âme peu communes. Sa douceur et sa bonté lui avaient gagné l'affection de tous ses sujets. Ce qui ajoutait un nouvel éclat à sa personne, c'est qu'étant prêtresse de Diane, [257f] la divinité la plus respectée des Gaulois (58), elle paraissait magnifiquement parée dans les sacrifices et les cérémonies publiques.

Sinorix était devenu éperdument amoureux d'elle; mais désespérant de la gagner par séduction ou de la ravir de force tant que son mari vivrait, il osa former le projet infâme de le faire périr par rase, et il l'exécuta. Il n'attendit pas longtemps pour rechercher en mariage Camma, qui, passant la plus grande partie du jour dans le temple, [258a] supportait son malheur avec courage, et, sans s'abandonner à la douleur ni aux larmes, attendait une occasion favorable pour se venger de Sinorix. Il lui faisait les plus vives instances, et cherchait à colorer son crime des prétextes les plus spécieux. Il lui disait que, supérieur en tout le reste à Sinatus, ce n'était point par méchan-


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ceté qu'il l'avait fait périr, mais par l'amour dont il était épris pour elle.

D'abord Camma ne mit point de dureté dans ses refus; bientôt même elle parut s'adoucir. Ses amis et ses proches, qui voulaient obliger Sinorix, dont ils respectaient la grande puissance, la pressaient de se rendre à ses désirs. [258b] Elle y consentit enfin, et fit dire à Sinorix de venir dans le temple de Diane pour contracter leur union sous les yeux de la déesse, et la prendre pour garant de leur toi mutuelle. Elle le reçut avec douceur, et le conduisit au pied de l'autel. Là, après avoir fait une libation à la déesse, avec une coupe qu'elle tenait à la main, elle but une partie de la liqueur, et donna le reste à Sinorix. C'était de l'hydromel empoisonné. Dès qu'il eut achevé de boire, elle jeta un grand cri, et s'adressant à Diane : « Puissante déesse, lui dit-elle, je vous prends à témoin que c'est dans l'attente seule de ce jour que j'ai survécu à Sinatus, et que le seul bien que j'aie goûté depuis si longtemps a été l'espoir de la vengeance. Mes vœux sont remplis, et je vais rejoindre mon époux. [258c] Pour toi, le plus scélérat des hommes, ordonne qu'au lieu d'une chambre nuptiale, on te prépare un tombeau. »

A ces mots, Sinorix, à qui des premières convulsions faisaient déjà sentir l'effet du poison, monte sur son char dans l'espérance que le mouvement et l'agitation pourraient en être le remède. Mais il en descendit bientôt pour se faire mettre dans une litière, et il mourut le soir même. Camma vécut encore le reste de la nuit ; elle eut le temps d'apprendre la mort de Sinorix, et expira avec joie.

STRATONICE.

[258d] La Galatie eut encore deux femmes dont les noms méritent de passer à la postérité : Stratonice, femme de Déjotarus, et Chiomare, épouse d'Ortiagon.


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conseilla elle-même de prendre une autre femme dont il aurait des enfants qu'elle adopterait comme siens. Déjotarus admirant sa générosité, lui laissa la liberté de faire ce qu'elle voudrait. Stratonice choisit parmi des captives une jeune fille d'une grande beauté nommée Électre, qu'elle unit à Déjotarus. Ce prince en eut plusieurs enfants, que Stratonice éleva avec autant de tendresse et de soin que s'ils eussent été les siens propres.

CHIOMARE.

[258e] Dans la guerre où les Romains, sous la conduite de Manlius, vainquirent les Galates (59),  Chiomare, femme d'Ortiagon, fut prise avec plusieurs autres Gauloises. Le centurion à qui elle était échue en partage, homme avare et débauché, abusa d'elle indignement. Mais ensuite, vaincu par son avarice, sur l'offre qu'on lui fit d'une grosse somme d'argent s'il voulait lui rendre la liberté, il y consentit, et la conduisit lui-même au bord d'un fleuve qui séparait le camp romain de celui des ennemis. Les Galates qui apportaient le prix de sa rançon, passèrent le fleuve, et comptèrent l'argent au centurion, qui leur remit Chiomare entre les mains. [258f] Elle fit signe à l'un d'eux de frapper le centurion, qui lui disait adieu en l'embrassant. Le Galate la comprit et abattit la tête du centurion. Chiomare la prit, l'enveloppa dans sa robe ; et lorsqu'elle fut auprès de son mari, elle la jeta toute sanglante à ses pieds. Son mari, étonné, lui dit : « Ma femme, il est si beau de garder la foi. — Oui, répliqua-t-elle, mais il est plus beau encore de n'avoir laissé vivre qu'un seul des deux hommes qui ont joui de moi. » Polybe dit avoir entretenu cette femme à Sardes, et avoir admiré sa grandeur d'âme et sa prudence.


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UNE FEMME DE PERGAME (60).

[259a] Mithridate (61), après avoir attiré à Pergame, sous les apparences de l'amitié, soixante des principaux Galates, les traitait injurieusement, et se conduisait à leur égard en vrai despote. Ils en étaient tous indignés. Torédorix, l'un d'entre eux, tétrarque des Tosiopes, homme d'une force de corps extraordinaire et d'un courage égal, forma le dessein de saisir Mithridate, lorsqu'il rendrait la justice dans le gymnase, et d'aller le précipiter, avec le tribunal même, dans la vallée voisine. Mais le hasard fit que ce jour-là Mithridate ne vint pas au gymnase, et manda chez lui les Galates. Torédorix exhorta ses amis à ne point se rebuter pour cela, et lorsqu'ils seraient tous réunis chez Mithridate, [259b] de se jeter sur lui, et de le mettre en pièces. Ce prince fut instruit du complot, et ordonna qu'on fit périr tous les Galates l'un après l'autre. Bientôt il se ressouvint d'un jeune homme qui était d'une grande beauté, et touché de compassion, il se repentit de l'ordre qu'il avait donné. Il ne doutait pas qu'il n'eût été exécuté des premiers, et témoignait tout le regret qu'il avait de sa mort.

Cependant, il envoya dire qu'on l'épargnât, s'il en était encore temps. Ce jeune homme, nommé Bépolitanus, eut alors une aventure fort heureuse. Il portait, quand il fut arrêté, une robe de grand prix. Le bourreau, qui voulait la conserver pour lui sans qu'elle fût souillée de sang, la lui ôtait lentement et avec précaution. [259c] Il n'avait pas encore fini, qu'il vit les courriers du roi qui venaient à toute bride, criant grâce pour Bépolitanus. C'est ainsi qu'il dut son salut à l'avarice qui en a perdu tant d'autres.


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Torédorix, après avoir eu la tête tranchée, fut laissé sans sépulture, et aucun de ses amis n'osa enlever son corps pour lui rendre les derniers devoirs. Une femme de Pergame, avec qui il avait familièrement vécu, eut le courage de le faire. Les gardes l'ayant surprise, se saisirent d'elle, et l'amenèrent au roi. On dit que Mithridate, frappé d'abord de sa jeunesse et de son air de simplicité, [259d] fut bien plus touché encore, lorsqu'elle lui eut avoué que l'amour avait été le motif de son courage. Il lui permit d'emporter le corps de Torédorix, et de prendre sur les revenus royaux les frais de la sépulture.

TIMOCLÉE.

Théagène de Thèbes (62) avait eu pour sauver sa patrie les mêmes vues qu'autrefois Épaminondas, Pélopidas et les autres citoyens les plus vertueux. Il périt dans cette bataille de Chéronée, si funeste à la Grèce (63), au moment où, vainqueur du corps ennemi qu'il avait en tête, il le poursuivait avec chaleur. Ce fut lui qui répondit à un Macédonien qui lui demandait jusqu'où il comptait le poursuivre : « Jusqu'en Macédoine. » [259e] En mourant il laissait une sœur qui, par ses vertus, attestait celles de son frère. et montrait que la grandeur d'âme était héréditaire dans cette famille. Timoclée (c'était le nom de cette femme vertueuse), dut à sa vertu de supporter avec courage ce qu'elle éprouva de personnel dans le désastre de sa patrie.

Lorsque Alexandre eut pris Thèbes, et que ses soldats se furent répandus dans la ville pour la piller, un homme brutal et féroce entra dans la maison de Timoclée. C'était le commandant d'un corps de Thraces ; il portait le même nom que le roi de Macédoine, mais d'ailleurs il ne ressemblait en rien à ce prince. Car, sans respect pour la


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naissance et la vertu de Timoclée, [259f] après avoir bu avec excès, il assouvit sur elle sa brutalité, et, non content de cet outrage, il voulut la forcer de lui remettre l'argent qu'il la soupçonnait d'avoir caché. Il employait tour à tour les menaces et les caresses, et lui promettait qu'elle serait pour toujours sa femme. Timoclée saisissant l'occasion qu'il lui présentait, lui parla ainsi : « J'aurais voulu mourir avant cette nuit cruelle, afin qu'après avoir tout perdu, j'eusse du moins conservé mon honneur; [260a] mais puisque je n'ai pu éviter cette dernière perte, et que les dieux vous destinent à être pour toujours mon protecteur, mon maître et mon époux, je ne vous frustrerai point de ce qui doit vous appartenir. Mon sort désormais ne dépendra plus que de vous. J'avais des bijoux, de la vaisselle et de l'or monnayé. Dès que j'ai vu la ville au pouvoir des ennemis, j'ai fait tout prendre par mes esclaves, qui ont tout jeté, ou plutôt déposé dans un puits sans eau, et connu de très peu de personnes. Il est couvert avec soin, et caché par un bois épais. Je vous donne tous ces biens ; puissent-ils faire votre bonheur ! [260b] Ils vous prouveront quelle était la grandeur et l'opulence de ma famille. »

A ce récit, le Macédonien, sans vouloir attendre le jour, se rendit sur-le-charnp au puits, précédé de Timoclée. Arrivé au jardin, il le fait fermer avec soin, de peur d'être aperçu, et descend dans le puits, vêtu d'une simple tunique. L'insensé ne voyait pas que les Parques redoutables le conduisaient au supplice, et que Timoclée allait être l'instrument de leur juste vengeance. Lorsqu'elle connut, par le son de sa voix, qu'il était au fond du puits, elle fit pleuvoir d'en haut une grêle de pierres, secondée de ses esclaves, qui roulaient les plus grosses, et elles ne cessèrent que lorsqu'elles furent assurées de sa mort.

Le bruit de cet événement s'étant répandu, les Macédoniens vinrent enlever le corps, et comme on avait publié l'ordre [260c] de ne plus faire périr aucun Thébain, ils se


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saisirent de Timoclée, et la conduisirent à Alexandre, à qui ils racontèrent l'action audacieuse qu'elle venait de faire. Ce prince, qui, a la gravité de sa démarche, à son air ferme et assuré, jugea de l'élévation de son caractère, lui demanda qui elle était. Timoclée, sans s'étonner, lui répondit d'un ton plein de confiance : « J'eus pour frère Théagène, qui commandait les Thébains à la bataille de Chéronée, et qui périt en combattant contre vous pour défendre la liberté de la Grèce, et nous éviter les horreurs que nous éprouvons aujourd'hui . Après avoir été traitée d'une manière si indigne de ma naissance, je ne crains pas la mort. Il me sera bien plus doux de mourir que de passer une seconde nuit semblable à la dernière, si vous ne voulez pas m'en garantir. »

[260d] Tout ce qu'il y avait de gens sensibles auprès d'Alexandre ne purent retenir leurs larmes. Mais ce prince, qui vit en elle une femme supérieure à la compassion, admira sa vertu, et ce discours même qui contenait contre lui un reproche si vif. Il ordonna à ses officiers de veiller à ce qu'il ne se commît plus de pareilles violences dans des maisons illustres, et rendit la liberté à Timoclée et à tous ceux de ses proches qu'on put découvrir.

ÉRYXO.

Battus, surnommé l'Heureux (64), eut pour fils Arcésilas, dont les mœurs ne ressemblaient en rien à celles de son père. [260e] Celui-ci l'avait condamné à un talent d'amende, pour avoir fait fortifier sa maison. Après la mort de son père, Arcésilas, à qui son caractère avait fait donner le surnom de Sauvage, et qui avait pour conseil et pour ami un homme méchant, nommé Laarque, régna en vrai tyran. Laarque, qui songeait à s'emparer du gouvernement, faisait périr ou exiler les principaux citoyens de Cyrène, 


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et mettait toutes ces violences sur le compte d'Arcésilas. Il finit par lui donner un poison qui le fit tomber dans une maladie de langueur dont il mourut. Ensuite il s'empara du trône, sous prétexte de le conserver à Battus, fils d'Arcésilas.

La jeunesse de celui-ci, et un définit naturel de conformation, l'avaient fait mépriser du peuple. [260f] Mais on avait le plus grand respect pour sa mère, femme vertueuse, pleine d'humanité, et qui tenait à une famille nombreuse et puissante. Aussi Laarque la ménageait-il beaucoup ; il la recherchait même en mariage, et lui promettait, quand elle l'aurait épousé, d'adopter Battus pour son fils, et de l'associer au trône. [261a] Éryxo (c'était le nom de cette femme estimable) en délibéra avec ses frères, et feignant de consentir au mariage, elle dit au tyran d'en conférer avec eux. Il les vit à cet effet; mais comme ils mettaient à la conclusion de l'affaire des délais affectés, Éryxo fit dire à Laarque, par une de ses esclaves, que le retardement apporté par ses frères à son mariage cesserait bientôt, s'ils avaient eu une fois commerce ensemble ; qu'ils seraient les premiers à presser le mariage ; qu'il vînt donc la trouver la nuit, et que ce préliminaire amènerait tout à une heureuse fin. Laarque, ravi de ces témoignages de tendresse de la part d'Ëryxo, se livre aux plus flatteuses espérances, et lui fait répondre qu'il se rendra chez elle au premier avis qu'elle lui fera donner.

Éryxo avait tout concerté avec Polyarque, [261b] l'aîné de ses frères. Le jour est pris pour le rendez-vous, et Polyarque se cache dans l'appartement de sa sœur, avec deux jeunes gens armés qui avaient à venger la mort de leur père, que le tyran venait de faire périr. Laarque se rendit sans gardes chez Éryxo, où sur-le-champ il fut assailli par les deux jeunes gens, qui le tuèrent à coups d'épée. Ils jetèrent le corps par-dessus les murailles. On montra Battus au peuple, comme l'héritier légitime des États de son


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père, et Polyarque rétablit à Cyrène l'ancienne forme de gouvernement.

Il y avait dans la ville un grand nombre de soldats d'Amasis, roi [261c] d'Égypte, dont Laarque avait éprouvé la fidélité, et c'était surtout par leur moyen qu'il s'était rendu redoutable à Cyrène. Ils députèrent vers Amasis quelques uns d'entre eux, pour accuser Polyarque et Eryxo. Ce prince irrité se préparait à faire la guerre aux Cyrénéens, lorsque sa mère mourut. Le soin des funérailles ayant suspendu ses projets, on apprit à Cyrène la résolution qu'il avait prise. Polyarque crut devoir se rendre auprès de lui, afin de se justifier. Eryxo voulut y aller avec son frère, résolue de partager ses périls ; et leur mère Critola, quoique fort avancée en âge, les y accompagna : [261d] elle était sœur de l'ancien Battus, surnommé l'Heureux ; ce qui lui donnait une grande considération. Quand ils furent en Égypte, ils n'eurent pas de peine à faire approuver leur conduite à tous les courtisans d'Amasis, et ce prince lui-même ne put s'empêcher d'admirer la sagesse et le courage d'Éryxo. Il leur rendit les mêmes honneurs qu'à des rois, et après les avoir comblés de présents, il les renvoya dans leur pays. .

XÉNOCRITE.

Xénocrite de Cumes (65) ne mérite pas moins notre admiration par la manière dont elle se défit du tyran Aristodème, surnommé le Mou. Quelques uns ont cru qu'on l'appelait ainsi à cause de sa mollesse, mais c'est une erreur. [261e] Ce surnom, qui signifie impubère (66), lui fut donné par les Barbares, parce qu'avant l'âge de puberté, étant encore au nombre de ces jeunes garçons qui portaient de


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longs cheveux, et qu'on appelait, pour cette raison, coronistes (67), il s'était signalé dans les guerres contre les Barbares voisins, non seulement par sa hardiesse et par ses exploits, mais encore par sa prudence et son adresse. Ses grandes qualités lui attirèrent l'admiration de ses concitoyens, et le firent élever aux premiers emplois. Il fut envoyé au secours des Romains, lorsqu'ils étaient vivement pressés par les Étrusques, qui voulaient rétablir sur le trône Tarquin le Superbe. Dans cette expédition, qui dura longtemps, il s'attacha singulièrement [261f] à caresser les soldats, et en faisant le personnage d'un démagogue plutôt que celui d'un général d'armée, il leur persuada de le seconder dans le projet qu'il avait formé de détruire le Sénat et de chasser de la ville les meilleurs et les plus puissants citoyens.

Devenu par leur secours tyran de Cumes, il se surpassa lui-même en scélératesse, par les indignités qu'il exerça contre les femmes et les enfants des familles les plus honnêtes. On rapporte qu'il forçait ceux-ci à laisser croître leurs cheveux, à se parer avec mollesse, et qu'il obligeait les autres de se faire tondre en rond, de porter des robes pareilles à celles qu'ont les jeunes gens avant l'âge de puberté et des tuniques fort courtes. [262a] Il devint passionnément amoureux d'une jeune fille nommée Xénocrite, dont le père était alors en exil, et sans chercher à gagner sa confiance et son amour, il la prit d'autorité, persuadé qu'elle s'estimerait heureuse de vivre avec lui et de voir que tout le monde enviât son bonheur. Mais Xénocrite, moins touchée de ces prétendus avantages qu'indignée de se voir unie à un homme avec qui elle n'avait pas contracté un mariage légitime, désirait, autant que les plus vifs ennemis du tyran, la liberté de sa patrie. Aristodème, dans ce même temps, faisait creuser un


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fossé d'une étendue considérable, sans aucune espèce de besoin ou d'utilité, et par le seul plaisir de vexer ses sujets [262b] et de les accabler de travaux ; ils étaient tous obligés de transporter par jour une certaine quantité de terre. Une femme, qui travaillait comme les autres, vit un jour Aristodème venir de son côté. Aussitôt elle détourne les yeux, et se couvre le visage avec un des pans de sa robe. Lorsqu'il fut parti, les jeunes gens lui demandèrent en raillant pourquoi elle craignait de voir Aristodème, et qu'elle ne faisait pas de même pour les autres. « C'est, répondit-elle, que de tous les Cuméens, il n'y a qu' Aristodème qui soit un homme. »

Ces paroles firent une vive impression sur tous les assistants, et la honte qu'en conçurent les plus généreux leur inspira le dessein d'affranchir Cumes de la tyrannie. [262c] Xénocrite, qui les avait entendus, dit qu'elle aimerait mieux porter de la terre et voir son père de retour, que de partager la puissance et la fortune d' Aristodème. Ce discours fortifia dans leur dessein ceux qui avaient conjuré contre lui, et dont Thymotélès était le chef. Xénocrite leur ayant ménagé une entrée libre et sûre dans le palais, ils attaquèrent le tyran désarmé et sans gardes, et n'eurent pas de peine à se défaire dé lui. C'est ainsi que Cumes fut mise en liberté par deux femmes, dont l'une fit naître la première pensée du complot, et l'autre en facilita l'exécution. On voulut combler Xénocrite d'honneurs et de présents ; mais elle refusa tout, et ne demanda que la permission de donner la sépulture à Aristodème. Les Cuméens, non contents de lui accorder ce qu'elle désirait, la nommèrent prêtresse de. Cérès, persuadés que ce choix ne serait pas moins agréable à la déesse que convenable à Xénocrite.

LA FEMME DE PYTHÈS.

La femme de Pythès, qui vivait du temps de Xerxès, roi de Perse, est célèbre par sa sagesse et son humanité.


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Son mari, dit-on, avait découvert des mines d'or. Les richesses considérables qu'il en tirait ayant allumé en lui une cupidité insatiable, il se livrait tout entier au soin de les exploiter, et forçait tous ses sujets, sans exception, [263e] de renoncer à tout autre travail pour fouiller, tirer et nettoyer l'or de ses mines. Il en avait déjà péri plusieurs, et tous les autres perdaient courage, lorsque leurs femmes vinrent en foule trouver la reine, et déposèrent à sa porte les signes de leur supplication. Elle leur donna de bonnes espérances, et les renvoya. Aussitôt elle fait venir des orfèvres en qui elle avait confiance, les enferme dans un des appartements du palais, et leur fait faire des pains d'or, des fruits, de la pâtisserie et d'autres mets qu'elle savait être du goût de son mari, le tout du même métal.

Pythès était alors en voyage. A son retour, quand il voulut souper, elle lui fit servir une table et des mets d'or, [263f] sans qu'il y eût rien à manger. D'abord Pythès fut charmé de l'adresse avec laquelle ils étaient imités ; mais lorsque ses yeux furent rassasiés, il dit qu'on lui servît de quoi souper ; mais à chaque chose qu'il demandait, on le lui présentait en or. A la fin, il se fâcha, et dit qu'il avait faim. « Prenez-vous-en à vous-même, lui dit alors sa femme. Vous nous avez fait avoir de l'or en abondance, mais tout le reste nous manque. [264a] Tous les arts sont négligés, toutes les branches d'industrie abandonnées; on ne cultive plus les terres, nous avons cessé de semer, de planter, de nous fournir des autres productions de la terre, pour n'en tirer qu'un métal inutile, qui nous donne les plus grands embarras, et qui désole nos sujets. » Ce discours fit impression sur Pythès, et sans abandonner entièrement l'exploitation des mines, il n'y employa que la cinquième partie de ses sujets, et appliqua le reste à l'agriculture et aux autres arts.

Lorsque Xerxès partit pour son expédition contre la


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Grèce, Pythès, qui l'avait reçu avec la plus grande magnificence et lui avait fait de riches présents, lui demanda, pour toute grâce, que, de plusieurs enfants qu'il avait, [264b] il lui en laissât un seul pour avoir soin de sa vieillesse. Xerxès, irrité de cette demande, fit égorger et couper par morceaux celui de ses enfants qu'il avait souhaité de garder auprès de lui, et emmena les autres, qui furent tous tués dans différents combats. Pythès, vivement affligé de tant de pertes, éprouva ce qui arrive ordinairement aux âmes faibles et vicieuses. Dégoûté de la vie, il craignait encore plus la mort ; ne voulant point vivre et ne pouvant mourir, il prit le parti le plus extraordinaire. Il y avait dans la ville une plate-forme que côtoyait un fleuve nommé Pythopolis. [264c] Il se fit construire un tombeau sur cette plate-forme, et détourna le cours du fleuve afin qu'il vînt baigner les pieds de son tombeau. Dès que l'ouvrage fut achevé, il remit dans les mains de sa femme toute l'autorité, et s'enferma dans le tombeau, avec ordre à la reine de n'en jamais approcher, mais de lui envoyer tous les jours son souper dans un bateau, jusqu'à ce qu'elle vît le bateau passer outre sans qu'on eût touché au souper; qu'elle cessât alors de lui rien envoyer, parce que ce serait une preuve qu'il n'existait plus. C'est ainsi qu'il passa le reste de ses jours. Sa femme gouverna avec beaucoup de sagesse, et fit oublier à ses sujets les maux qu'ils avaient soufferts sous le règne de son mari.

FIN DU PREMIER VOLUME.


(01) Cléa était grande-prètresse de Bacchus, ou la première des thyades à Delphes, comme on le voit par le traité d'Isis et d'Osiris. Nous verrons dans celui-ci qu'elle cultivait la philosophie, et était très versée dans la lecture. Aussi Ménage l'a-t-il mise avec raison au nombre des femmes savantes de l'ancienne Grèce, dont il a écrit l'histoire.

(02) Fameux orateur grec qui vivait vers la onzième olympiade. Pausanias dit qu'il vécut cent cinq ans. Platon a intitulé du nom de ce rhéteur son dialogue sur la rhétorique.

(03) L'usage de louer les morts était très ancien à Rome. Valérius Publicola, qui fut substitué au consul Collatinus, l'année de l'expulsion des rois, en donna le premier exemple. Brutus, son collègue, étant mort pendant son consulat, il fil publiquement son éloge; ce qui fut, dit Plutarque, si agréable au peuple, que l'usage s'introduisit de louer après leur mort les citoyens vertueux. C'était sur la place publique, près de la tribune, que l'on prononçait l'éloge funèbre.

(04) Léontis, selon Ménage, dans son histoire des femmes célèbres, était mère de Cléa.

(05) Fameux devin de Béotie, qui passait pour être inspiré par les nymphes marines.

(06) Tanaquil était femme de Tarquin l'Ancien, cinquième roi de Rome. Elle eut la plus grande réputation de sagesse et de prudence. On proposait son union avec Tarquin, comme le modèle d'un mariage heureux.

(07) Porcia était fille de Caton et femme de Brutus, l'un des assassins de César. Elle se distingua parmi toutes les dames romaines par sa science et par ses vertus.

(08) Je n'ai rien pu découvrir sur celte /rêne, dont aucun autre historien, à ma connaissance, ne fait mention.

(09) La mère des Gracques, ou Carnélie, la dernière femme de Pompée.

(10) Le nom de Roma a été commun à plusieurs personnes de ce même temps.

(11) Il s'agit ici des femmes de la Phocide, contrée de la Grèce située entre la Béotie et la Locride. Delphes en était la capitale. Strab. liv. 9.

(12)  Hyampolis ou ville des Hyantes. Pausanias dit que les Hyantes ayant été chassés de Thèbes par Cadmus, allèrent s'établir dans la Phocide, prés du Mont-Parnasse, et y bâtirent une ville qui fut appelée de leur nom, Hyampolis. Xerxès la brûla, et Philippe acheva de la détruire.

(13) Cette Vie de Daïphantus est perdue avec bien d'autres. Pausanias, qui rapporte aussi ce fait, nomme ce chef des Phocéens, Daïphane.

(14) Selon Pausanias, cette guerre précéda l'irruption des Perses dans le Péloponnèse.

(15) Ce mot signifie perce-cerf. Ces fêtes, selon Athénée, avaient pris leur nom des gâteaux qu'on offrait à Diane ce jour-là, et qui avaient la forme de cerfs.

(16) Chios ou Chio, île de la mer Égée, entre celles de Lesbos et de Samos. Selon Pausanias, cette île reçut son nom de Chius, fils de Neptune, que ce Dieu nomma ainsi, parce qu'il tomba beaucoup de neige le jour qu'il naquit, et que χιών en grec, signifie neige.

(17) Pausanias parle d'une fontaine de ce nom dans l'Arcadie, dont l'eau était extrêmement limpide, et du lac Leucon, dans la Béotie. Peut-être que Leuconie était bâtie auprès de ce lac.

(18) Érythres, ville d'Ionie dans l'Asie Mineure, fondée, dit-on, par Érytltrus, fils de Rhadamanthe. On croit qu'elle avait donné le jour à la sibylle Hiérophile, qui de là fut nommée la sibylle d'Érythrée.

(19) Ce Philippe était le quinzième roi de Macédoine depuis Alexandre le Grand. Ce fut sous son commandement que les Achéens firent la guerre contre les Étoliens. Lorsqu'elle fut terminée, ce prince fit alliance avec Annibal ; et, dans la suite, les Romains, pour s'en venger, lui déclarèrent la guerre. Il fut vaincu par le proconsul T. Quinctius Flaminius. Cette guerre finit par la destruction du royaume de Macédoine sous Persée, que  P. Émile fit prisonnier.

(20) Pausanias dit que les Argiens, quelque temps après, élevèrent une statue à Télésilla dans le temple de Vénus. Cette femme célèbre y était représentée ayant plusieurs volumes de poésie à ses pieds, et tenant dans ses mains un casque qu'elle paraissait vouloir mettre sur sa tête. Pour la dédicace de la statue de Mars, elle fut dévolue aux femmes, parce que ce dieu, selon le témoignage de Lucien, était devenu, depuis ce trait mémorable, la divinité particulière des femmes.

(21) C'était le mois de juin, qui, en commençant l'année par le mois de mars, comme ç'a été longtemps l'usage, se trouvait le quatrième, et était dans toute la Grèce consacré à Mercure. La nouvelle lune signifie ici le prunier jour du mois, parce que anciennement l'année était réglée sur le cours de la lune, et les mois commençaient avec le retour de cet astre.

(22) Il y a apparence qu'il s'agit du fils d'Artaxerxés Memnon, qui régnait peu de temps avant la destruction de l'empire des Perses par Alexandre.

(23) Cette partie de l'Italie dont s'emparèrent les Gaulois comprenait ce que nous appelons aujourd'hui le Génois, le Parmesan, le Milanais, la Toscane, les Étals de Venise. Depuis l'invasion des Gaulois, elle prit le nom de Gaule Cisalpine, parce qu'elle était située en decà des Alpes, par rapport aux Romains.

(24) Les Cariens habitaient la Carie, province de l'Asie Mineure, voisine de l'Ionie et de la Lydie.

(25) Les Tyrrhéniens dont il s'agit ici sont les mêmes que les Pélasges. C'était une très ancienne nation de l'Arcadie, qui alla dans la Thessalie, d'où elle fut chassée, cinq générations après, par les Curètes et par les Lelèges, c'est-à-dire par les Étoliens et les Locriens. De là les Pélasges se répandirent en Épire, en Macédoine, en Crète, et passèrent en Italie, dont ils furent, dit-on, les premiers habitants, sous le nom de Tyrrhéniens.

(26) Lemnos et Imbros étaient deux îles, celle-ci de la Thrace, et l'autre de la mer Égée, fameuse dans la mythologie par les forges de Vulcain.

(27) Braurone était un des bourgs de l'Attique.

(28) Cette révolte des Ilotes arriva à la suite de ce fameux tremblement de terre qui causa de si grands ravages dans la Laconie, vers l'an 470 avant Jésus-Christ, et dont Plutarque parle dans la Vie de Cimon. Il ruina la plus grande partie de la ville de Lacédémone.

(29) La Chersonèse, ou presqu'île de Crète, avait une ville de même nom.

(30) Diane était particulièrement révérée à Braurone; et les Athéniens célébraient tous les cinq ans des fêtes en son honneur. Elles avaient pour objet de consacrer à celle déesse les jeunes filles, vêtues de robes blanches.

(31) Lyctis, une des villes les plus considérables de la Crète, était la patrie d'Idoménée.

(32) Lycie, contrée de l'Asie Mineure dont les habitants, appelés d'abord Solymes, reçurent ensuite le nom de Lyciens, de Lycus, fils de Pandion, roi d'Athènes. Ils étaient célèbres par leur adresse à lancer des flèches.

(33) Amisodare, Chimarrus et la ville de Zélée ne me sont pas connus d'ailleurs.

(34) Nymphis, selon Suidas, était un historien d'Héraclée, ville da Pont.

(35) Xanthe était une ville de Lycie, située à trois lieues de l'embouchure d'en fleuve du même nom, qui était consacré à Apollon.

(36) On trouve dans Ptolémée une ville d'Espagne nommée Salmantique.

(37) Les Massyliens étaient des peuples d'Afrique dans la Mauritanie, sur les bords de la Méditerranée, prés du mont Atlas. On représente les Massylieus comme des gens guerriers et amoureux de leur liberté. Ils conduisaient leurs chevaux sans frein, par le seul secours d'une verge.

(38) Les Milésiens habitaient la ville de Milet, dans l'Ionie, une des plus anciennes de la Grèce. Elle était fameuse par ses belles laines, et plus encore par la naissance de Thalès, de Pittacus et de plusieurs autres personnages célèbres.

(39) Ville de Phrygie, selon Pline, liv. V, chap. 52, qui dit qu'elle avait été fondée par les Milésiens.

(40) Il y avait les Phocéens d'Asie et les Phocéens d'Europe : ce sont les derniers dont il s'agit ici.

(41) La guerre sacrée fut occasionnée par une entreprise des Phocéens, qui s'emparèrent d'une partie du champ sacré, et qui ensuite pillèrent le temple de Delphes. Ils furent mis à l'amende par les amphictyons; mais ils se révoltèrent, et prirent les armes. Philippe mit lin à celle guerre, qui avait duré dix ans.

(42) Il y avait plusieurs villes de ce nom. Celle dont il s'agit ici était dans la Phocide locrienne, voisine de celle de Delphes. Selon Pausanias, elle tirait son nom d'une petite fille d'Eole. Minerve y avait un temple fameux.

(43) Aristotime, fils de Damarète, avait usurpé l'autorité souveraine à Élide, soutenu par les troupes d'Antigonus. Mais il avait à peine joui six mois de sa puissance, que quatre citoyens, que Pausanias nomme Chilon, Hellanicus, Lampis et Cydon, conjurèrent contre lui, et le tuèrent.

(44) Apparemment parce qu'elles étaient au nombre de seize.

(45) Ce Nélée, différent du père de Nestor, était fils de Codrus, et avait fondé la ville de Milet.

(46) Myunte était une ville d'Ionie voisine de Milet.

(47) Naxos était une ile de la mer Égée, connue aussi sous le nom de Dynysia, parce qu'elle était consacrée a Bacchus, appelé Dyonisius par les Grecs, ou parce qu'il y avait beaucoup de vignes dans son territoire.

(48) Parthénius, d'après Théophraste, rapporte te commencement du récit de Plutarque; mais la suite ne s'y trouve pas.

(49) Phocée, ville maritime d'Ionie, dans l'Asie Mineure, avait été baie par une colonie d'Athéniens, qui, selon Strabon, lui donnèrent le nom de Phocée, à cause de la grande quantité de veaux marins qui paraissaient sur le rivage pendant qu'on la bâtissait. Les Phocéens d'Asie, excédés par les longues guerres que leur faisaient les Perses, abandonnèrent leur pairie d'un commun consentement. Après donc s'être répandus sur les côtes de l'Italie, où ils bâtirent plusieurs villes, ils fondèrent celle de Marseille.

(50) On donnait ce nom aux descendants de Codrus, roi d'Athènes.

(51) Charon de Lampsaque était fils de Pythoclès, et vivait sous le premier Darius. Il avait écrit une histoire d'Éthiopie, une de Perse et plusieurs autres ouvrages dont Suidas donne la liste.

(52) Ville de l'Asie Mineure, voisine de la Bithynie.

(53) Les Bebryces habitaient le pays qui fut depuis nommé Bithynie, dans l'Asie Mineure.

(54) Les Héros n'avaient pas les mêmes honneurs que les dieux. Les premiers n'étaient honorés que par des offrandes et des prières; les autres par des sacrifices el des libations. Mais cette distinction ne dura pas toujours, et plusieurs héros eurent des temples, des autels et des sacrifices.

(55) Cyrène, ville célèbre de Libye en Afrique, fut construite par une colonie de Grecs, que Battus y avait amenés. Le berger Aristée, fils d'Apollon et de Cyrène, lui donna le nom de sa mère. Aristippe, disciple de Socrate, était de Cyrène, et fonda la secte appelée des cyrénaïques, du nom de sa patrie.

(56) Thébé était femme d'Alexandre, tyran de Phéres. Lassée des perfidies et des cruautés qu'Il ne cessait de commettre, elle le fit assassiner dans son lit par ses deux frères, qu'elle avait introduits le jour dans une chambre voisine de celle du tyran. Ces deux femmes vivaient à environ trois cents ans l'une de l'autre.

(57) La Galatie était une contrée de l'Asie Mineure, voisine de la Bithynie et de la Phrygie, qui avait pris son nom des Gaulois, qui s'en rendirent maîtres du temps de Brennus.

(58) Diane, comme déesse des bois, était particulièrement adorée des Gaulois.

(59) Cette guerre de Manlius contre les Galates suivit de près la seconde guerre punique, et concourut avec celle de Macédoine. Manlius, qui l'avait conduite, triompha l'an 489 avant Jésus-Christ.

(60) Pergame, ville célèbre de l'Asie Mineure, fut très puissante sous les Attales, dont le dernier fit le peuple romain son héritier.

(61) Ce Mithridate, roi de Pergame, régnait vers la fin de la république romaine. Il amena des troupes au secours de César, dans la guerre d'Égypte.

(62) Théagène était un capitaine thébain distingué par sa valeur.

(63) Elle fut gagnée par Philippe, père d'Alexandre, sur les Grecs confédérés, la cent onzième olympiade, deux ans avant la mort de ce prince.

(64) Battus. fondateur et premier roi de Cyrène, ville de Libye, parlait avec difficulté; ce qui lui avait fait donner le surnom de Battus, qui veut dire bègue.

(65)  Cumes, ville maritime d'Italie sur la côte de la Campanie, fut fondée par une colonie de Grecs dont les uns venaient de Chalcis, ville d'Eubée, et les autres de Cumes, ville maritime de l'Asie Mineure dans l'Éolide.

(66) Μαλακός, dont une des significations est mou, paresseux, a aussi celle de doux, de délicat, et peut convenir à quelqu'un qui est encore à la fleur de l'âge.

(67) Sans doute parce que ces jeunes gens coupaient leurs cheveux en rond, et s'en formaient une espèce de couronne.