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JEAN MAMIGONIEN.


HISTOIRE DE DARON.

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 

JEAN MAMIGONIEN.

HISTOIRE DE DARON.

INTRODUCTION.

L’ouvrage de Jean Mamigonien, qui écrivit au septième siècle, ne devait pas faire partie de ce volume, mais, comme il est la continuation de celui de Zénob de Glag, nous n’avons pas cru devoir séparer ces deux histoires, qui du reste portent le même titre, et dont la seconde forme, pour ainsi dire, le complément indispensable de la première.

Jean Mamigonien, trente-sixième abbé du monastère de saint Jean Précurseur (Sourp Garabed), dans le canton de Daron, vivait à l’époque du patriarche Nersès III, dit le Constructeur, qui monta sur le siège pontifical de l’Arménie en 640. Ce fut par l’ordre de ce patriarche que Jean composa son Histoire, pour faire suite à celle de Zénob de Glag, car elle porte également le titre d’Histoire de Daron. Jean raconte dans le mémorial de son livre que, déjà du temps de Zénob, on considérait comme une chose utile et agréable, que chaque abbé du monastère de Sourp Garabed tînt au courant le registre des annales du canton de Daron, où étaient transcrits les actes de bravoure accomplis à la guerre par le prince, les fondations et les règlements faits par lui, et de conserver ces documents dans le trésor de l’église du couvent. Ces chroniques, s’augmentant de jour en jour, étaient désignées sous le titre d’Histoire des Syriens, parce que, jusqu’à l’époque de l’administration de Thotig ou Thaddée, tous les abbés du monastère de Sourp Garabed étaient Syriens de nation.[1] Jean fait observer cependant que, depuis l’époque de Chosroès jusqu’au règne de Tiridate, les registres des annales de Daron ne parlent en aucune façon des événements accomplis dans la satrapie des Mamigoniens, et, en vue de combler cette lacune, il a pris la résolution de se rendre dans les environs d’Edesse, où un religieux du nom de Marmara possédait des annales analogues. Ayant rencontré ce moine, il lui demanda d’examiner son recueil d’annales, et il acquit dès lors la conviction que ce document avait été écrit au monastère des Neuf-Sources, et qu’il était tombé aux mains de son possesseur, à la suite des invasions et des guerres qui avaient désolé le canton de Daron. Jean raconte ensuite qu’il possédait déjà dix des chapitres de ce registre et qu’il traduisit les vingt-huit suivants, de façon à former un corps d’annales qu’il légua après lui à ses successeurs.

L’histoire de Daron se composait donc dans l’origine de trente-huit chapitres; cependant, telles qu’elles nous sont parvenues aujourd’hui, ces annales n’en forment plus que huit seulement, dont cinq appartiennent en propre au livre de Zénob de Glag et trois à celui de Jean Mamigonien.

L’ouvrage de Jean Mamigonien est loin d’être aussi important pour l’histoire que les écrits des annalistes ses devanciers. Cet historien a accueilli avec trop de facilité certains faits d’une authenticité très douteuse, et les données chronologiques que son livre nous fournit sont, pour la plupart du temps, très erronées. L’auteur confond aussi certains personnages, et attribue aux uns des actions accomplies par d’autres individus et à des époques très différentes. On doit croire que le livre de Jean a subi, sous la plume des copistes, des modifications considérables, car on trouve dan son Histoire la mention de faits qui se sont passés après sa mort. On s’explique du reste les interpolations que l’on remarque dans le livre de Jean, quand on lit dans son mémorial qu’il engage instamment ceux qui viendront après lui à ajouter à son ouvrage les événements accomplis de leur temps. Ces continuateurs anonymes, en se conformant aux intentions de Jean, ont pu conserver sans doute le souvenir de faits qui seraient aujourd’hui oubliés, niais les changements qu’ils ont introduits dans l’œuvre originale de Zénob ont beaucoup nui à la réputation de cet écrivain, dont le style est assez vulgaire et diffère essentiellement de celui des grands littérateurs arméniens du quatrième et du cinquième siècle.[2]

L’Histoire de Jean Mamigonien a été imprimée pour la première fois à Constantinople en 1719 mais il existe une édition bien préférable à la première et qui a été donnée par les Mékhitaristes de Venise, en 1832, à la suite de l’Histoire de Zénob. Cette dernière édition a été faite à l’aide de plusieurs manuscrits qui fournissent des variantes très importantes pour les noms propres d’hommes et de lieux et pour les dates.

CHAPITRE Ier.

Sur ceux qui administrèrent successivement le monastère de Saint-Jean Précurseur (Sourp Garabed), appelé aussi couvent de Glag.

Zénob administra le monastère de Glag pendant vingt ans. Epiphane, disciple d’Antoine, lui succéda pendant trente ans. La dixième année de son administration, saint Grégoire [l’Illuminateur] vint visiter le monastère de Glag et il demeura quatre ans chez Antoine et Gronitès, sur la colline d’Avédiatz. Ceux-ci le congédièrent lui disant: « Allez habiter les déserts, les lieux solitaires, pour qu’on ne vienne pas vous glorifier à cause de votre sainteté. » Saint Grégoire quitta ce lieu et se retira dans la grotte de Mané, où il mourut sept ans après, dans la gloire de Dieu.[3]

A Epiphane succéda son disciple Etienne pendant quinze ans (dix-huit ans, selon 2 ms.). La quatrième année de son administration, saint Antoine mourut, et deux ans après saint Gronitès, qui avait séjourné pendant quarante ans dans le lieu appelé Innagnian. Il fut enterré à quelque distance de l’église, du côté méridional.[4] Il avait élevé une église de l’autre côté de Govar, près d’une source abondante et il y avait établi soixante religieux qui avaient des mœurs angéliques. C’est en cet endroit que saint Grégoire cacha les reliques.[5]

Ephrem administra pendant vingt-huit ans.

Jean, pendant dix ans (cinquante ans, selon 2 ms.); il vivait à l’époque de saint Sahag.

Ghimintos administra pendant dix ans;

Marc, pendant dix-huit ans (Margar-Macaire), pendant douze ans, selon 2 ms.)

Cyrille (Giouregh), pendant vingt-deux ans.

Il fut le premier [abbé] qui fut consacré évêque par Jean Mantagouni, catholicos des Arméniens.[6]

Grégoire administra pendant six ans;

André, pendant onze ans (huit ans, selon 3 ms.)

Nersès, pendant sept ans (quatre ans);

Jean, pendant trois ans (deux ans);

Sahag, pendant cinq ans (sept ans);

Joseph, pendant six ans;

Barthélemy, pendant quatre ans (trois ans);

Athanase, pendant dix ans (seize ans); c’est lui qui, du temps de Moïse, catholicos des Arméniens,[7] et à sa demande, fixa [le point initial de] l’ère [arménienne] dans la ville de Tevin, car il connaissait les calendriers de tous les peuples.[8]

Gomidas administra pendant huit ans (dix ans); il fut envoyé vers les Géorgiens par Abraham, patriarche des Arméniens,[9] consacrer l’union avec eux.

Etienne (Sdéphanos) administra pendant six ans. Il se rendit auprès de Gomidas, patriarche des Arméniens,[10] et comme celui-ci construisait de nouveau la chapelle des saintes Hripsimiennes,[11] il en rapporta une relique qu’il plaça dans le couvent de Glag, où il résidait.

Basile (Parsegh -Barthélemy, selon 3 ms.) administra pendant huit ans;

Thaddée, pendant trente ans (Thotig, saint et ermite, selon 2 ms.). Il fut vertueux dès l’enfance. C’était le disciple de Basile qui le chérissait à cause de sa bonne conduite, ainsi que Nouschegh, prince des Mamigoniens, qui lui donna beaucoup de fermes. Il établit dans le couvent de Glag trois cent quatre-vingt huit religieux qui ne faisaient qu’un seul repas par jour.

De son temps, quatre ermites qui ne mangeaient que des légumes et qui ne se donnaient aucun plaisir des sens, voulant se rendre à Sougav,[12] passèrent dans le pays des Grecs. Arrivés en ce lieu, il leur convint d’y vivre en solitude et ils y passèrent deux ans. [Au bout de ce temps,] trois hommes qui habitaient le Sedjestan (Sakastan), ayant entendu parler deux, vinrent au monastère de Glag et y demeurèrent avec eux: les uns au lieu dit Innagnian, sur la colline des Avédiatz, les autres dans la grotte qui se trouve au sud-est, du côté de la croix cachée, et quelques-uns sur la colline couronnée d’un bois. Ils passèrent ainsi vingt ans dans cette austérité.

Pendant le gouvernement du prince Mouschegh le Mamigonien et l’administration de Thotig, un événement merveilleux se passa ail monastère de Glag, devant la porte de Saint-Garabed. Le prince des Ardzrouni, appelé Vart le patrice, qui avait fait construire plusieurs églises et plusieurs couvents, voulant se rendre à Césarée, conduisit sa femme chez son père, et, ayant confié la contrée à la garde des autres nobles, il s’en alla. C’était une femme pieuse et qui s’appelait Marie. Elle désirait ardemment voir les saints hommes qui se trouvaient au couvent de Glag et au monastère de Garabed. Ayant pris un jour avec elle son fils aîné, encore à la mamelle, elle se présenta avec une grande insistance à la porte de l’église de Saint-Garabed. Elle supplia à plusieurs reprises les religieux de lui laisser visiter l’église, mais ceux-ci s’y refusèrent. Etienne conduisit l’enfant devant l’autel, le fit prosterner devant Dieu et le rapporta à sa mère. Celle-ci le prit, fondit en larmes, et se lamenta en disant « Malheur à moi, pécheresse, qui ne puis jouir de pareilles faveurs. Femmes, déplorez mon sort; hommes, laissez-moi répandre des pleurs! Que les montagnes m’écrasent sous leur poids et que les collines me prennent en compassion. Que les monstres me plaignent, et la race des oiseaux aura pitié de moi. Les anges auront pitié de moi, et les démons se rassembleront et se précipiteront sur moi. Ayez compassion de moi, saints serviteurs de saint Jean, et conduisez-moi daims l’église. » Puis se tournant vers son fils, elle lui dit: « Pourquoi es-tu sorti de mes bras, ô mon enfant, et n’as-tu pas eu pitié de ta mère? N’est-ce pas moi qui t’ai mis au monde, qui t’ai nourri, et pourquoi m’as-tu laissée seule? »

Après avoir parlé de la sorte, ta princesse présenta aux religieux beaucoup d’encens odoriférant qu’elle avait apporté avec elle, puis, l’ayant envoyé à Thotig, elle lui demanda la permission de la laisser pénétrer dans l’église. Il lui répondit: « Nos prédécesseurs n’ont pas permis de laisser entrer les femmes,[13] et il nous est impossible d’exaucer votre prière. Si c’est pour un zèle pieux que vous voulez visiter l’église, Dieu sera satisfait du chagrin que vous avez éprouvé. Que notre réponse n’altère en rien vos sentiments pour nous, et allez en paix. » La princesse répliqua: « Non, il n’en sera pas ainsi, et si vous voulez m’opposer la force, je ne vous crains pas et si vous me dites que saint Jean me méprise, n’est-il pas né lui-même d’une femme? le Seigneur n’est-il pas né aussi d’une femme, et les apôtres et les prophètes n’avaient-ils pas de mères? J’entrerai, Seigneur, car j’ai pour intercéder en ma faveur votre mère, afin que vous ne soyez pas irrité. N’exercez pas sur moi l’effet de votre colère, afin que je ne devienne pas la risée du monde. Puisque vous avez sucé le lait de la femme, rendez-moi digne de visiter ce temple. »

Ayant ainsi parlé, la princesse entra dans l’église, baisa le mur du temple, se prosterna à genoux devant le saint autel et dit: « Seigneur, voyez mon cœur déchiré et soyez miséricordieux envers une malheureuse, car, dans votre bonté, vous ne vous êtes pas souvenu de votre colère. Que votre nom soit éternellement béni ! » Lorsque la princesse sortit de l’église, ils furent attristés de ce qui s’était passé et ne pardonnèrent pas à cette princesse l’acte qu’elle avait commis; ils voulaient se venger et ne lui préparèrent point de repas. Alors la princesse ordonna aux gens de sa suite de préparer un dîner pour les religieux, les invita tous à y prendre part, et leur nombre s’élevait à trois cent quatre-vingt-quinze personnes. Lorsqu’ils eurent fini de manger, la princesse dit: « O saints hommes! zélés pour la propagation du culte divin, réjouissez-vous avec moi dans le Seigneur, car il m’a permis de visiter l’église sans me punir, et il a accompli le vœu de mon cœur. Or, donnez-moi votre bénédiction, et continuez à vivre saintement et en paix. Aussitôt la princesse partit avec sa suite. »

Cependant, le sacristain et l’un des religieux vinrent s’agenouiller devant le saint autel, et dirent: « O Seigneur! vous ne punissez donc pas la femme qui osa commettre un acte semblable, car après cela, toutes les autres femmes violeront ainsi l’entrée de ce monastère. Montrez à présent votre force, pour que les nations sachent qu’il ne faut pas violer ce saint lieu, et pour que ce soit un exemple et une loi pour beaucoup d’hommes. » Pendant que la princesse gravissait la petite colline au sud du couvent, et qui se trouve au sommet de Nartag (3 ms. Satag), et domine le petit fort de Medzamor qui est en bas de Nartag et qu’on appelle Antag (1 ms. Artag), elle aperçut du côté du nord une vision merveilleuse. Ayant confié l’enfant à sa nourrice, elle dit: « Je vois un homme à la longue chevelure, enflammé de colère et descendant des cieux; il entre dans l’église, il sort, il vient à moi. Dans sa main, il tient une épée effilée, humectée et rougie de sang. » A peine avait-elle prononcé cdi mots qu’elle fut frappée par l’homme de la vision, et elle tomba morte sur le coup. Voyant cela, ses serviteurs coururent avertir ceux de l’église et leur racontèrent ce qui s’était passé. Le supérieur du couvent, en apprenant cette nouvelle, s’emporta contre le sacristain qui en fut fort attristé, et pleura pendant plusieurs heures. Le supérieur se rendit avec ses serviteurs à l’endroit où la princesse avait succombé, et, lui ayant creusé une tombe, il y déposa son corps, y dressa une croix de pierre, sur laquelle on grava l’inscription que voici: Cette épée sera prés de celui qui aura l’audace de violer l’église de Dieu.

Cette croix existe encore avec l’inscription. Le supérieur prit l’enfant, le confia à sa nourrice jusqu’à ce qu’il eût atteint l’âge de puberté, après quoi il l’admit dans le couvent, l’y instruisit et le nomma supérieur du monastère avant de mourir. Son père, le prince des Ardzrouni, apprit la nouvelle de la mort de sa femme au moment où il quittait Césarée. Il en fut très attristé, mais le supérieur Thotig lui donna des consolations. Il résolut ensuite de bâtir des églises et partit pour Madravank,[14] afin de se procurer des matériaux avec lesquels il éleva une magnifique église, qu’en souvenir de sa femme, il nomma l’église de la Mère de Dieu. Il lui fit don d’ornements magnifiques et l’orna avec une rare élégance. Il dota également de grandes richesses le monastère de Saint-Jean Précurseur, de Glag.

C’est encore lui qui rendit au couvent du saint Précurseur les villages de Govar et de Baregh, car un prince impie de la maison des Mamigoniens s’était emparé de ces deux villages qui appartenaient au monastère et les avait donnés à une chanteuse. Le père Cyrille s’irrita de ce procédé et maudit le prince qui s’était emparé de propriétés appartenant au couvent. Mais ce prince fut lancé à terre par son cheval, un mois après cette malédiction, et il mourut. Cependant son fils offrit au couvent de rendre les villages que son père s’était appropriés; mais le supérieur refusa de les accepter et exigea que le prince se présentât. [Le prince des Ardzrouni] compta vingt-deux mille tahégans qu’il donna ai, prince de Daron, pour racheter Govar et Baregh, qu’il rendit au couvent, en y joignant les documents authentique. Il fit don encore au couvent de deux villages de ses domaines, Ardamed et le Trône des Princes (3 ms. Koms); puis, ayant laissé son fils près de Thotig, il rentra dans son pays. Au moment de mourir, il se fit transporter au couvent d’Innagnian, et son tombeau se trouve à trois pieds, à l’est de l’église.

En ce temps-là, les Perses assassinèrent leur roi Hormisdas (Ormizt), et son fils Chosroès (Khosrov) Dchamp se réfugia chez les Grecs (3 ms. chez les Romains). Ayant accepté le concile de Chalcédoine,[15] Chosroès marcha contre les alliés perses avec l’armée que Maurice lui confia et retourna en maître dans son pays. Lorsque Chosroès se rendit dans ses Etats, après avoir quitté la Grèce, il prit avec lui Mouschegh, seigneur de Mousch, et Khouth, prince de Daron et de Sassoun, et, ainsi que l’avait ordonné Maurice, il le conduisit à Tevin, le nomma gouverneur de l’Arménie et lui confia l’armée des Arméniens, forte de 30.000 hommes. Quant à Chosroès, il se mit à la tête de l’armée grecque composée de 70.000 soldats et marcha contre Pahl Schahasdan (3 ms. Palkhasdan). Pendant qu’on campait, les Grecs crurent manquer à leur dignité en restant avec les Arméniens, et, continuant leur marche, ils vinrent s’établir dans la ville.

Nikhordjès, qui avait assassiné Hormisdas, leva une armée de 80.000 Perses et s’avança à la rencontre de Mouschegh. Le valeureux Mouschegh parvint à peine par ses encouragements à décider les Arméniens à accepter le combat. Le prince des Mamigoniens, gouverneur de l’Arménie, engagea son armée à invoquer le secours de Dieu par l’intervention du saint Précurseur. S’étant tous conformés à cet ordre, les Arméniens s’élancèrent sur les Perses, et Dieu leur livra leurs ennemis. Mouschegh, ayant aperçu de loin le roi et l’avant reconnu, s’approcha de lui, et ils s’attaquèrent mutuellement. Mouschegh, harassé de fatigue, mais n’attachant pas plus de prix à la mort qu’à la vie, leva sa masse d’armes et en asséna un coup sur le crâne de Nikhordjès. Ce coup lui brisa la tête et sa cervelle s’échappa par ses narines. Mouschegh lui trancha la tête et, l’ayant mise dans une valise, il exhorta les siens à se battre. Ceux-ci, se ranimant, mirent en fuite les ennemis et firent prisonniers quarante-huit princes. On ne pouvait pas compter les morts, tant leur nombre était considérable. On fit, avec les princes, mille prisonniers; les Arméniens rentrèrent après cette grande victoire dans leur pays.[16]

En entendant cette nouvelle, le roi Chosroès fut dans l’allégresse, mais les soldats grecs étaient confus de honte. Lorsque le roi fit demander Mouschegh et se disposait à faire des largesses à toute son armée, l’empereur Maurice fit dire à Chosroès qu’on l’avait nommé roi à la place de son père. « Savez-vous, lui dit-il, que Mouschegh voulait vous faire tuer? » Alors Chosroès voulut s’emparer par trahison de Mouschegh et le faire mourir. Il l’envoya mander auprès de lui; mais la sœur de Chosroès, instruite de la trahison de son frère, avertit Mouschegh. Celui-ci prit avec lui quarante princes seulement, armés en guerre, lesquels, ayant ceint leur sabre de bataille, vinrent se présenter en face du roi. Ils s’approchèrent à cheval jusqu’auprès de la tente royale et éclatèrent en reproches amers, en racontant la trahison qu’on avait ourdie, ils crachèrent au visage du roi, et lui firent des reproches sur sa folle conduite. Après quoi Mouschegh quitta le roi avec les siens, le cœur gonflé de colère. Quand le roi eut appris que Mouschegh était parti fort irrité, il fut saisi de terreur, car c’était encore un jeune homme.

Mouschegh envoya au général des Grecs le message suivant: « Vous avez voulu, dit-il, m’assassiner par trahison, mais, je vous le dis, ne réveillez pas le lion qui dort, ni le renard qui a oublié ses instincts, autrement celui qui a vaincu 80.000 hommes peut bien aussi en exterminer 70.000. » Ensuite, laissant l’armée à Tevin, il se démit de sa charge de gouverneur, prit avec lui les troupes de la maison des Mamigoniens, et retourna dans ses domaines. Peu d’années après, Phocas assassina Maurice et monta sur le trône.

Chosroès marcha contre Phocas pour venger la mort de Maurice.[17] En passant près de la ville de Garin (Erzeroum), il envoya un messager à Mouschegh, prince de Daron, et lui dit: « Venez et accompagnez-moi à la porte du roi des Grecs pour demander vengeance de la mort de Maurice, sinon je ruinerai votre pays à mon retour, je vous chargerai de chaînes, et je vous conduirai à la Porte, vous, votre femme et vos enfants. » Mouschegh, ne répondit pas et commença à fortifier le pays. Chosroès se rendit en Grèce, y fit beaucoup de butin et un grand nombre de prisonniers; puis se dirigea du côté de Pasèn, à Tevin, à Her et à Pahl. Lorsqu’il fut arrivé à Garin, Chosroès envoya Mihran à Daron, contre le prince Mouschegh, afin de s’emparer de sa personne et de le conduire prisonnier en Perse. Il lui ordonna de ruiner les lieux consacrés au culte et de massacrer les religieux. Les Perses firent irruption dans le pays et se mirent à exécuter les ordres qu’ils avaient reçus.

CHAPITRE II.

Histoire des Perses. Mihran se rend à Daron erre une armée de 30.000 hommes, qui sont massacrés prés de la ville d’Otz par Vahan le Loup. Le seigneur de Mousch, de Kalouhr, de Khoulth, de Schadkh et de Sassoun va trouver Mihran.

La première année du règne de Phocas, qui assassina son maître, l’empereur Maurice, par trahison, et monta sur le trône, Chosroès se souvint de la paix signée entre lui et Maurice et passa sur le territoire des Grecs avec 140.000 hommes. Il pilla plusieurs villes et beaucoup de provinces et retourna ensuite dans ses Etats. Son neveu Mihran fut envoyé par lui à Daron, avec 30.000 hommes. Lorsqu’il fut arrivé dans la contrée de Haschdiank, ils prirent un guide, et, ayant continué leur marche, ils arrivèrent la croix de pierre (Artzan). Quand ils eurent lu l’inscription de la croix, ils la mirent en pièces,[18] et 8.000 hommes pris parmi eux se rendirent à Meghdi et à Asdéghoun. Les 22.000 autres restèrent près de la croix pourvoir les fuyards. Lorsque les sept religieux qui vivaient de légumes apprirent leur arrivée, ils vinrent au couvent et en firent sortir tous les moines. Les uns s’en allèrent, mais les autres demeurèrent; toutefois Polycarpe les envoya dans le fort d’Oghgan et ne garda au couvent que le supérieur Thotig, les religieux attachés au service de l’église, et il leur ordonna de se préparer à recevoir la communion divine. Après que les sept religieux eurent célébré la messe, ils enjoignirent à un secrétaire abréviateur, venu de la part des Grecs, décrire tout ce qu’ils allaient dire; puis, élevant les bras devant le saint autel, ils parlèrent ainsi ………………………………….[19]

Au moment où ils disaient Amen, une voix se fit entendre du ciel, qui disait: « Qu’il soit fait ainsi que vous le voulez. Je vous récompenserai lors de ma venue, et je pardonnerai les péchés à ceux qui souffriront en mon nom et en celui de mon Précurseur, car je suis miséricordieux envers chacun. Venez donc dans les lieux de lumière que vous vous êtes préparés par vos austérités. »

En entendant ces paroles, les saints se prosternèrent devant le saint autel, et puis ils sortirent de l’église. Polycarpe alla se prosterner devant la sainte croix et se mit en prières, afin de supplier Dieu de donner la paix à toute la terre, de mettre en déroute l’ennemi qui était arrivé, et [il pria ensuite] pour que les pauvres obtinssent la tranquillité dans leurs demeures. Les Perses arrivèrent tout à coup, et, apercevant Polycarpe, ils lui tranchèrent aussitôt la tête, en laissant son corps devant la croix. Puis ils vinrent en toute hâte jusqu’à la porte de l’église, aperçurent les religieux en pleurs et absorbés dans la prière, et, se précipitant sur eux, ils les massacrèrent tous les sept. C’étaient Théon, Polycarpe, Siméon, Jean, Épiphane, Timarios et Enargius (lis. Evagrius— 3 mss. Narésos). Tous les sept furent massacrés par les soldats perses de Mihran, au mois de Kaghots, le 6e jour qui était un jeudi, à la 9e heure. Leurs corps restèrent sur le lieu du supplice jusqu’au matin.

Cependant Les Perses ne purent pas découvrir la porte de l’église, car Dieu la déroba à leur vue; mais ils se mirent à donner des coups de marteau, sans pouvoir la découvrir davantage. Effrayés par les démons, ils s’éloignèrent enfin de ces lieux, car il faisait déjà nuit. Trois jours après, les serviteurs et le supérieur Thotig arrivèrent, mais les corps des saints restèrent sur place sans être enterrés, car tout le monde s’en était éloigné. Ayant reconnu qu’ils étaient morts, tous versèrent des larmes et furent plongés dans une grande tristesse. Ensuite, ayant relevé les corps, ils les descendirent dans le jardin au sud de l’église; là ils creusèrent la terre, préparèrent une sépulture et les déposèrent auprès d’Antoine et de Gronitês qui étaient venus jadis de Césarée avec saint Grégoire. On dressa sur leur sépulture la croix divine, et beaucoup de gens obtenaient leur guérison en cet endroit.[20]

Quelques hommes envoyés par le prince Mouschegh, pour s’informer du nombre des soldats, furent étonnés lorsqu’ils apprirent que les saints avaient été massacrés; ils allèrent en toute hâte trouver le prince Mouschegh et lui racontèrent les détails de cet événement. A cette nouvelle, Mouschegh demeura trois jours sans prononcer une parole. Ses soldats lui donnèrent alors un livre renfermant les lois chrétiennes et des paroles consolantes, en lui disant: « Véritable rayon de la lumière bienheureuse, vous, notre illustre général, ne vous affligez pas de leur mort, car, par leurs prières, ils sont devenus les remparts solides du monde, nos intercesseurs et nos protecteurs auprès de Dieu. Laissez maintenant la douleur de côté, et mettez en fuite Mihran qui s’est levé contre nous. » Mouschegh, comme sortant d’un songe, ordonna de mander auprès de lui Vahan qu’il avait nommé prince de Daron, lorsqu’il était gouverneur de l’Arménie. Il lui parla en ces termes: « Vahan, ô mon fils, vous connaissez mon grand âge; voilà cent vingt ans (?) que je fais la guerre, ma lance à la main, et mon front ruisselait de sang au lieu de sueur. Moi-même, j’ai rangé en personne mon armée et j’ai entrepris la guerre. A présent je suis vieux, mes membres tremblent; Dieu et vous pouvez marcher à mon aide. Or, mon fils, sachez bien que si vous succombez pour les chrétiens et pour l’Eglise, vous serez un martyr; si vous entreprenez la guerre pour des honneurs temporels, c’est de la bravoure. Je n’ai pas d’autre héritier que vous, et mes domaines vous appartiendront autant qu’à vos fils après vous. Levez-vous donc, marchez, joignez-les avec prudence, et le saint Précurseur vous sera en aide et vous servira de bouclier, car les prières des saints religieux s’élèveront à votre gauche et à votre droite. »

Vahan se chargea d’exécuter la volonté de Mouschegh; il commença à former des ambassades, les envoya vers Mihran et lui demanda de faire la paix et de sortir du pays. Mihran lui fit répondre: « Il n’en sera pas ainsi tant que je n’aurai pas fait prisonnier le prince Mouschegh et que je ne l’aurai pas conduit en Perse en présence du roi. » Vahan lui envoya dire: « Si vous me remettez le pays de manière que j’en sois le maître et le prince, je vous livrerai Mouschegh, et même je me révolterai contre lui et je me joindrai à vous, en vous enlevant ainsi tout sujet de crainte, et les choses seront ainsi réglées. » Mihran s’obligea à accepter les propositions de Vahan et le manda auprès de lui. Il vint s’installer dans la ville de Mousch, et Mouschegh se rendit au fort d’Oghgan.

Les soldats qui avaient massacré les religieux se transportèrent au fort d’Asdghon, se tinrent pendant deux jours en face des murailles sans pouvoir réussir à le prendre; puis ils allèrent trouver Mihran et lui décrivirent en détail la position de la place. Lorsque Vahan se présenta devant Mihran, celui-ci lui demanda de lui céder le fort d’Asdghon. Vahan répondit: « Non pas, seigneur, mais confiez-moi 4.000 hommes et nous irons nous emparer des places fortes où sont les favoris et les trésors de Mouschegh; car, me croyant peut-être en état de révolte, ils se mettraient sur la défensive et refuseraient de me livrer les forteresses. Maintenant rendons-nous dans la ville d’Otz, et ensuite nous nous porterons ailleurs. Mihran confia à Vahan 4.000 cavaliers d’élite qu’il conduisit jusqu’à la porte de la ville d’Otz, et il se ménagea des intelligences dans la place, afin de faire prisonniers les soldats qu’il avait avec lui, et de les faire mourir. Le lendemain, ayant parlementé avec la ville pour l’engager à ouvrir ses portes aux soldats, il commença à les y faire entrer, et, comme l’entrée de la place était étroite, peu de gens pouvaient pénétrer ensemble dans l’enceinte de la ville. Les habitants firent entrer dans les maisons les soldats qui pénétraient dans la ville, les dépouillaient de leurs vêtements, leur coupaient la tête, et les jetaient dans des trous bien dissimulés, situés en dehors des remparts. Il avait laissé seulement 50 hommes sur les 4.000 dans le village de Khartz (2 ms. Harts), et il leur avait ordonné, lorsqu’il leur enverrait l’un d’eux, d’aller trouver Mihran et de lui amener de nouvelles troupes. Lorsqu’il eut introduit les soldats dans la ville, Vahan leur envoya donc dire de lui envoyer de nouvelles troupes de Mihran. Ceux-ci vinrent trouver Mihran, et, ayant emmené avec eux 2.000 hommes d’élite, ils rejoignirent Vahan qui prépara un nouveau stratagème, dont ils ne se vantèrent pas et qui devait les perdre.

Dès qu’ils furent arrivés près de la porte appelée Mor (du marais), Vahan avait donné aux habitants les chevaux et les vêtements des soldais perses. Il les manda près de lui et leur communiqua un avis, en disant: « Lorsque les soldats perses vous apercevront, prenez tous le chemin de la ville et, en entrant dans la cité, faites sonner les trompettes comme pour annoncer la victoire; puis, laissez les portes ouvertes pour que les nouveaux arrivants croient que la place est enlevée. » Ils agirent comme il leur avait été ordonné. Or, lorsque les Perses les virent se précipiter en masse sur la ville, ils furent dans l’allégresse, et, se dirigeant vers la place, ils se hâtèrent d’y pénétrer. Vahan, se présentant sans tarder devant le front des Perses, leur annonça la prise de la ville et envoya à Mihran vingt hommes de l’armée perse en lui annonçant cette heureuse nouvelle: « Nous avons pris-la ville »; et lui-même rejoignit les soldats perses. Plusieurs soldats, en entrant dans la place et pendant que les autres les suivaient, commencèrent à se douter du piège et voulaient battre en retraite pour rejoindre Mihran. Alors Vahan se mit à leur poursuite, commença à les massacrer et à les jeter dans le marais. D’un côté, Vahan, d’un autre côté, les habitants noyèrent quarante hommes dans le marais, et, ayant fait les autres prisonniers dans la ville, il fit trancher leurs têtes que l’on rangeait sur les remparts. Lorsqu’on eut compté les têtes tombées ce jour-là, on en trouva au moins 2.000. Il ordonna de leur couper à tous le nez et le prépuce et de les mettre dans des sacs.

Vahan, ayant rassemblé ses soldats au nombre de 700, vint dans la ville de Mousch. Ayant laissé 300 hommes à Méghoua (2 mss. Meghdea) et deux cents soldats de Sanas (2 mss. Sasan) armés de lances à Dzdzmag (2 ms. Dzmag), il prit seulement avec lui 200 hommes et alla rejoindre Mihran. Lorsqu’il fut entré dans son appartement, il lui parla ainsi: « Je viens vers vous, fuyant vos soldats, car ils m’ont refusé l’entrée de la ville et une part du butin, et ils ont même enfermé mes troupes dans la place. J’arrive donc en fugitif auprès de vous. » Mihran voulut alors envoyer 1.000 hommes contre eux; mais Vahan lui dit: « Ils se sont même révoltés contre vous, car, après avoir pris le butin et les richesses de la ville, ils veulent passer dans le pays des Grecs. Mihran, se mettant de plus en plus en colère, ordonna d’envoyer 2.000 hommes contre eux. Vahan conseilla à ces soldats de ne pas franchir le fleuve de Meghdi pendant la nuit, mais de camper sur ses rives et de continuer leur route le lendemain. Peut-être les ennemis se précipiteront sur vous, et vous ne connaissez pas les localités. Il leur dit encore: « Que mille d’entre vous passent par Dzdzmag et les mille autres par la plaine. » Puis, leur ayant donné des guides, il prit congé de Mihran, afin de présider à leur départ. Dès qu’ils furent parvenus à l’endroit où il leur avait commandé de se séparer, il leur adjoignit cent hommes et ils se dirigèrent sur Dzdzmag. Vahan, s’étant mis à la tête des cent autres soldats, les suivit quelque distance.

Quand cette troupe fut parvenue sur les rives du fleuve de Meghdi, Vahan les fit camper pour qu’ils se livrassent au sommeil, et, ayant préparé des embuscades, il ordonna aux serviteurs d’éloigner les chevaux comme pour les faire paître; de cette manière il n’éveillait en rien les soupçons des Perses. Tout à coup, les soldats de Vahan firent résonner les trompettes, en avant et en arrière des Perses, les entourèrent et les précipitèrent dans le fleuve; pas un seul n’échappât. Ensuite, poussant les chevaux devant eux, ils se dirigèrent sur Dzdzmag. Cette affaire une fois commencée et terminée, les Arméniens se rendirent à Dzdzmag, pour y surprendre les autres qui n’étaient pas encore arrivés, et ils les attendirent jusqu’à ce qu’ils fussent venus. Ceux-ci descendirent de cheval, comme le leur avait prescrit Vahan, sans avoir le moindre soupçon. Bientôt après, les soldats de Vahan se placèrent à l’entrée du pont, firent entendre un bruit terrible tout autour d’eux, et ils commencèrent à les exterminer sans pitié. L’un d’eux, qui s’était réfugié dans le marais, monta à cheval et s’enfuit du côté de Mousch. Deux des soldats de Vahan se mirent à sa poursuite, l’atteignirent sur l’autre rive du fleuve, l’assommèrent en le frappant sur la tête, et sa cervelle lui sortit par les narines. L’un d’eux prenant du sable, le présenta au cadavre en disant: « Cuisinier des Perses, prenez ce sel, et le nom de cet endroit fut appelé Araghs,[21] on y construisit depuis une ville. Vahan ayant acculé les Perses sur les rives du marais, quelques-uns n’en purent sortir, et les autres tombèrent dans l’eau et s’y novèrent. On coupa le nez et le prépuce de ceux qu’on massacrait sur la terre, et on lançait leur tête dans le marais et dans la plaine. Vahan ayant rassemblé les 2.000 chevaux, les fit conduire dans le fort d’Eghantz (3 ms. d’Oghen) qu’on appelle aussi Eghnoud.[22]

Quand toutes ces choses furent accomplies, Vahan et les siens s’en allèrent retrouver Mihran (2 ms. Nikhor), et il commanda à ses serviteurs de préparer un festin et d’y convier Mihran. Mais, comme celui-ci était malade, il demeura dans son appartement et permit à Vahan seulement d’y entrer. Vahan se plaça près de la porte, et congédiait les princes qui se présentaient, en disant que le gouverneur de l’Arménie ne pouvait se rendre au festin. Mihran et Vahan entrèrent dans une chambre où était préparé un repas et ils y burent du vin. Aussitôt Vahan, prenant le sac où se trouvaient les nez et les prépuces le vida devant Mihran qui fut saisi d’épouvante et lui demanda: « Qu’est-ce que cela? Dites-moi ce que c’est! »

Vahan lui raconta les choses telles qu’elles s’étaient passées et ne lui cacha rien de ce qu’il avait fait. Mihran, au comble de la fureur en entendant ce récit, prit une lance qu’un serviteur tenait à la main et voulait en percer Vahan. Mais celui-ci, saisissant son sabre de la main, lui coupa le prépuce, le mit dans la bouche de Mihran en lui disant: « C’est vous qui avez insulté Dieu, qui avez fait mourir les religieux qui sont les colonnes du monde. » Il lui coupa le nez, le lui mit devant les yeux, puis, lui ayant ouvert le ventre, il ordonna à un serviteur de lui arracher le foie et de le lui mettre dans la bouche, Ensuite, lui ayant traversé l’abdomen d’un coup d’épée, il le fit empaler. Au moment où il venait seulement de lui couper le prépuce, il lui dit: « Donnez-moi un ordre et une lettre pour le Perse qui est chez les Abahouni, et je vomis ferai grâce de la vie. » Mihran lui donna une lettre et un ordre qu’il jura à plusieurs reprises être véridiques et que lui seul et le gouverneur des Abahouni connaissaient. Quand il eut tout appris, Vahan saisit son épée, en frappa Mihran au cœur, et il mourut aussitôt. Les serviteurs prirent les habits ensanglantés de Mihran, les cachèrent, et, ayant fait disparaitre les traces du sang sur le sol, ils le couchèrent sur le côté, dans son lit, et le couvrirent comme s’il dormait. Vahan manda alors dans la tente le secrétaire perse et lui fit écrire une lettre contenant des salutations et le mot d’ordre, et qui disait: « Dans trois jours, montez sur la colline qui se trouve au-dessus de la vallée de Goth avec 1.000 hommes seulement, pour que nous vous apercevions. »

Le secrétaire écrivit selon l’ordre qu’il avait reçu de Vahan, qui apposa sur la lettre le sceau de Mihran; puis, ayant convoqué dix des fidèles serviteurs de ce dernier, il leur confia la lettre pour la remettre à Varschir, qui avait les 1.000 hommes sous son commandement et qui résidait chez les Abahouni. Les serviteurs prirent la lettre et s’en allèrent. Vahan, ayant fait venir le héraut, lui dit: « Allez mander tel prince », dont il lui donna le nom. Celui-ci exécuta l’ordre de Vahan. Lorsque le prince fut venu et traversait un passage sombre entre six hommes qui se tenaient à droite et à gauche, passage qui conduisait dans l’appartement où il devait entrer, des hommes se précipitèrent sur lui pour lui fermer la bouche, afin que, s’il venait à crier, on n’entendit pas sa voix dans l’appartement voisin puis ils lui enfoncèrent une épée dans le cœur, et jetèrent son corps dans une autre pièce. Vahan fit mettre ensuite en prison le héraut et le secrétaire sous un prétexte quelconque.

Il manda ensuite les princes pour délibérer soi-disant sur les affaires, mais c’était une ruse, car il massacra ce jour là quatre-vingt six d’entre eux. Quand tous ces princes furent exterminés, il se rendit dans la localité où les soldats perses tenaient garnison, il les rassembla tous, éloigna ses propres soldats, ainsi que ceux des autres pays, et se mit à les insulter, en disant: « Convenait-il que vous enleviez la couronne de perles du gouverneur? à présent voici l’ordre qui vous enjoint de vous dépouiller tous à l’instant de vos vêtements jusqu’à ce qu’elle soit trouvée. » Puis, leur ayant fait ôter à tous leurs vêtements, il en enferma une partie dans une maison, et fit mettre les autres, au nombre de dix-neuf cents trois individus, dans un autre endroit, en faisant fermer les issues. Ensuite, Vahan se fit apporter la tête de Mihran, la fit suspendre à une fenêtre, et la leur montra en disant: « C’est cette tête qui voulait ruiner de fond en comble le monastère du saint Précurseur et brûler tous les religieux. » Il ordonna de mettre le feu aux deux maisons, en disant à ceux qui y étaient renfermés: « Vous m’êtes nuisibles puisque vous me faites brûler ces deux habitations, mais, s’il plaît à Dieu et au saint Précurseur, je fais le sacrifice de ce bois sans regret. Je briserai la tête de votre roi et vos têtes; et, puisque vous êtes nus, et que vous avez froid, j’obtiendrai le pardon de mes péchés et ceux de mes ancêtres en vous faisant brûler; surtout n’ayez point de honte. Ces maisons seront vos tombeaux, par la grâce du roi des Perses. »

On alimentait le feu avec de la graisse, de telle sorte que tonte la ville fut remplie de l’odeur de la fumée. Ensuite, ayant rassemblé les trésors et le butin des Perses, Vahan les envoya au fort d’Oghgan, et, ayant mandé le prince Mouschegh dans la ville, il se porta avec 3.000 hommes au-devant de Vaschir. Arrivé au sommet de la colline, il plaça dans trois endroits différents des embuscades de soldats, et envoya vers Vaschir le secrétaire et le héraut. Ceux-ci partirent et appelèrent Vaschir, en l’engageant à monter sur la colline, car il était descendu sur les bords de la mer de Dzia (mq. dans 3 ms.). Cependant le héraut et le secrétaire ignoraient tout ce qui s’était passé, car Vahan ne les laissait pas approcher de l’armée, et ils venaient seuls à distance des troupes. En effet, au moment d’incendier les maisons, Vahan les envoya sous un prétexte dans un endroit éloigné, afin qu’ils ne vissent pas ce qui se passait, si bien qu’en reconnaissant les costumes des princes ils les prirent pour des Mihraniens. Etant arrivés à Mousch, ils transmirent au gouverneur les ordres de Vahan, comme si Mihran les avait lui-même donnés. Vaschir prit alors 100 hommes, gravit la montagne et, arrivé à l’endroit [qu’il supposait] être occupé par les Perses, il entra dans la tente de Vahan, croyant y trouver Mihran en personne. En apercevant Vaschir, Vahan l’interpella en ces termes: « Qu’avez-vous résolu de faire? vous vouliez transformer en Perses les habitants de l’Arménie ? » Puis il ordonna aux gardes de la porte de tenir les soldats éloignés, fit frapper cruellement Vaschir, pour l’obliger à lui donner le mot d’ordre qui servait à convoquer les soldats. Vaschir, contraint par la douleur, écrivit au général et aux princes de le rejoindre en toute hâte. Vahan fit écrire la lettre par le secrétaire perse; il le gagna avec de l’argent, de façon à ce que sa lettre mandât pour le lendemain les soldats, « car, disait-il, les Grecs se préparent à marcher contre nous ».

Il envoya de même aux soldats éloignés la bague et la lettre de Vaschir; puis, faisant appeler les princes un à un, il leur tranchait la tête. Les autres soldats ignorèrent le massacre, jusqu’à ce qu’un des princes, étant parvenu à s’échapper, regagna son armée.

Quand Vahan eut appris que la chose était dévoilée, il fit prévenir les soldats qui étaient en embuscade de se précipiter sur les Perses; ceux-ci, les ayant attaqués par derrière, les forcèrent à se réfugier dans le fort situé de l’autre côté de la vallée de Goth. Les soldats qui se tenaient au loin en embuscade ne bougèrent même pas de leur poste. Cependant les hommes qui occupaient le fort reçurent les Persans à coups de pierres et de cailloux et les massacrèrent sans pitié. Cent de ces soldats se réfugièrent alors chez les Abahouni; mais les hommes placés en embuscade, les ayant aperçus, s’élancèrent sur eux et les firent prisonniers. Le lendemain, les autres soldats perses arrivèrent sur la colline à l’endroit où se tenait Vahan qui les reçut, les fit descendre de cheval et leur dit: « Laissez paître vos chevaux jusqu’au soir; alors nous descendrons à ce moment dans la plaine et nous marcherons contre les Grecs ». Les Perses accueillirent sa proposition, et se conformèrent à cet ordre. A ce moment, les hommes placés en embuscade se précipitèrent tout à coup sur les chevaux, les éloignèrent des soldats, et, les poussant devant eux, leur firent passer le fleuve d’Aradzani et les menèrent à Kharké. A cette vue, les soldats perses se mirent à crier ensemble: « Malheur à nous, nous sommes perdus » et cet endroit fut appelé Gori.[23]

Vahan se mit à la tête des soldats perses et les fit descendre dans la plaine. Alors ceux qui étaient en embuscade les assaillirent de tous les côtés, et, les ayant entourés, ils les massacrèrent jusqu’au dernier. Vahan ordonna d’en épargner quarante seulement, pour qu’ils pussent raconter au roi de Perse ce qui s’était passé. Puis il envoya à ce monarque la tête de Mihran, en lui faisant dire: « Lorsque ce gouverneur arriva dans notre pays, les soldats se mutinèrent; il voulut les discipliner sans pouvoir y réussir; et nous ne pûmes aller combattre les Grecs nos ennemis. Etant en amitié avec vous, et les soldats s’étant mutinés, nous avons fait trancher cette tête, et nous sommes parti. Cependant nous avons appris que vous avez quitté le Schahasdan, que vous vous étiez dirigé vers Posdr dans un lieu uni comme une plaine, et nous savons que vous marchez avec succès. Prenez la tête de votre neveu, et elle vous servira à vous guider, vous et les générations futures. Quand 1es quarante soldats furent arrivés auprès de Chosroès, ils lui remirent la tête de Mihran, ce qui lui causa un grand trouble et le couvrit d’urne honte éternelle. Mais, [le cœur] rempli d’orgueil, il envoya l’année suivante des soldats [contre l’Arménie].

Cette même année, le monastère du saint Précurseur, qui se trouve dans l’endroit appelé Innagnian, s’écroula à la suite d’un grand tremblement de terre, en sorte que les habitations qui se trouvaient dans l’enceinte du couvent furent aussi abattues. L’église, qui était construite sur les fondements du monastère, se lézarda. Le prince de Daron, Mouschegh, fit de grands dons en argent et ordonna de la reconstruire de nouveau en pierre. Cependant on ne put la rebâtir comme il convenait de le faire, parce que les soldats perses inquiétaient sans cesse les constructeurs. La même année, Mouschegh reconstruisit le monastère du saint Précurseur et mourut. Il repose à côté du prince des Ardzrouni, au côté oriental du portail de l’église.

A la mort de Mouschegh, Vahan, prince de la maison des Mamigoniens, lui succéda. A cette occasion, on célébra de grandes réjouissances dans les lieux saints où se pratiquait la foi, en présence de beaucoup de prêtres, et de soixante-dix évêques, en face de la porte de Saint Garabed, et dans le couvent de l’évêque de Glag. Mouschegh avait enlevé (aux Perses) dix-huit villages, dont les noms furent effacés des registres royaux, et il les avait donnés à l’église.

La même année mourut le bienheureux Thotig, supérieur du monastère de Glag, et il repose dans l’endroit appelé Haïrplour, qui est à droite de l’église, au nord-est. Après lui, on élut comme supérieur le jeune Etienne (Stéphanos), fils du prince des Ardzrouni dont la mère fut frappée de mort [par l’ange].[24] Ses parents reposent aussi dans le même couvent. Cet Etienne introduisit d’excellentes réformes dans la province de Daron, car on le considérait comme supérieur à l’évêque, puisqu’il était chef du couvent et avait sous sa direction 398 religieux. C’était un homme si vertueux, que tous le considéraient comme saint Jean Précurseur lui-même.

Etienne demanda au saint Précurseur de bâillonner la bouche des bêtes féroces qui brisaient les fenêtres de l’église, et, grâce à la sévérité de ses mœurs, il réprimanda le prince de Harkh qui avait épousé la femme de son frère, lui persuada de la répudier, lui conféra les ordres et lui fit élever l’église du hameau de Thil, dans la province d’Eghéghiatz.

CHAPITRE III.

Arrivée de Vakhdank à Daron avec 30.000 hommes. Il construit la ville de Boré et la forteresse de Kahar. Il se fixe pendant trois ans à Kerkour.

Le roi Chosroès rassembla pour la seconde fois une armée contre les Grecs, en se rappelant la mort de son neveu Mihran, et il mit à sa tête Vakhdank, son oncle, suivi de trente mille cavaliers d’élite. Des qu’il fut parvenu dans le canton des Abahouni, Vakhdank envoya des percepteurs d’impôts à Hark, à Haschdiank et à Daron. Les gouverneurs de ces cantons lui écrivirent: « Si Vahan paye le tribut, nous le payerons également, autrement vous quitterez le pays sans rien obtenir de nous. » En apprenant cela, Vakhdank prit un ton impérieux et s’indigna. Il laissa un gouverneur dans le canton des Abahouni, et vint aux confins de Daron, avec l’esprit fort agité. Il releva la grande ville ruinée de Tzunguerd,[25] changea son nom et lui imposa celui de sa femme Borbès, c’est-à-dire « savoureuse » qu’il avait amenée avec lui. Il fit les plantations de vignes, établit des jardins et transporta le pyrée à la porte de la cathédrale élevée par saint Sahag. Il bâtit sur le mont Taurus une forteresse à laquelle il donna le nom de Karkar,[26] car plusieurs personnes se précipitèrent en cet endroit sur des animaux qu’elles avaient pris pour des cavaliers, et changea le nom de la colline de Koroz, qu’il appela Kerkour, du nom de son fils Krékour, et s’y récréait pendant les jours d’été. Puis il envoya à Vahan beaucoup de présents avec une lettre ainsi conçue:

« Au bras puissant et fort de Vahan le terrible, avec l’aide des dieux, salut. Bien que nous soyons attristé de la mort de notre neveu, nous sommes étonné de la profondeur de votre sagesse. Je suis venu ici pour faire paix et amitié, et [je vous invite] à venir vers moi, à jurer de payer le tribut au roi, à lui être soumis et à garder votre ancienne honnêteté; enfin à ne plus agir de ruse. Portez-vous bien avec le secours des dieux. »

Vahan lui adressa une réponse conçue en ces termes:

« A votre personne lâche et efféminée, Vakhdank, et à votre année de pourceaux qui se nourrit d’immondices, salut. Si je me suis réjoui de la mort de Mihran, je pleure sur votre imbécillité. Puisque sous avez appris sa mort et reconnu la force qui m’a été donnée par Dieu, comment avez-vous osé marcher contre l’Eglise de Dieu? Si vous êtes venu pour conclure [un traité d’] amitié, pourquoi avez-vous amené votre femme avec vous? Désirez-vous avoir des enfants sortis de nos reins? Si vous êtes venu par amitié, pourquoi avez-vous construit une ville et des forteresses? Je sais que vous mentez et que vous cherchez à flatter, comme [le fait] un chien. Préférez donc votre vie à la mort, sortez du pays et allez-vous-en en paix; autrement la mort que vous subirez sera connue du pays tout entier. »

Vakhdank, animé de colère, envoya six mille hommes à Mousch contre Vahan. Quelques personnes en informèrent ce dernier et lui dirent: « Rahan marche sur vous avec six mille hommes ». Vahan, faisant une marche de nuit, se dirigea à leur rencontre sur Dzdzmag où ils étaient campés, et il les battit aussitôt avec le glaive, sans qu’ils pussent se servir de leurs chevaux, parce que Sempad, traversant le milieu du camp, détacha quatre mille chevaux, les fit passer de l’autre côté d’Aradzani et les amena du côté de Haschdiank. On donna deux cents chevaux provenant de cette première expédition à l’église dus couvent de Glag, comme une part du butin, car c’était là que se trouvait leur maison paternelle, et on confirma ce don. Vahan poursuivit les ennemis du côté du marais, en massacra un grand nombre, en blessa beaucoup, et fit noyer deux cents hommes dans les marais.

Le prince de Haschdiank avait sous son commandement trois mille six cents hommes, le prince des Balouni deux mille deux cents, le prince des Ardchk trois mille, le prince d’Eghnoud cinq mille, le prince Vahan huit mille et son fils Sempad six mille, en tout vingt-huit mille hommes. Toute cette armée était sous les ordres de Vahan, mais il l’avait divisée, et il avait laissé des gouverneurs de provinces de tous les côtés. Seulement, ce jour-là, il n’avait auprès de lui que trois mille hommes. Le prince des Haschdiank massacra beaucoup de gens; il s’était précipité, avait tranché la tête à Rahan et mis en fuite l’armée [ennemie]. Il l’assaillit de telle sorte que les vaincus demandaient grâce et promettaient de lui payer tribut. Cependant Vahan leur dit: « Donnez-nous la tête de Rahan, et nous vous laisserons aller ». L’armée ennemie était dans une grande perplexité; elle chercha cette tête sans pouvoir la trouver. Mais, s’étant saisis de son fils Vah, les soldats le donnèrent à Vahan. Cependant le prince de Haschdiank étant intervenu, dit: « Donnez-nous Rahan ou trente mille tahégans. » Ils donnèrent trente mille tahégans et s’en retournèrent [chez eux]. Vahan voyant qu’ils s’en allaient tous sans exception, mû par un sentiment divin de jalousie, se précipita sur eux et les massacra. Ceux-ci se mirent à crier et dirent: « Pourquoi recommencez-vous le combat, hommes à la parole trompeuse? » Cet endroit fut appelé Arinchs.[27] Quand on les eut conduits dans la plaine, ils en firent un massacre affreux, et ceux qui purent s’enfuir étaient à peine cinq cents, qui allèrent raconter cet événement à Vakhdank. Celui-ci, furieux, donna l’ordre de décapiter ceux qui étaient revenus, et de la sorte aucun des six mille hommes n’échappa à la mort.

Vakhdank, irrité [de la défaite de] Rahan, envoya Assour avec huit mille hommes contre Vahan. Ils vinrent camper sur les rives du fleuve de Meghdi et envoyèrent à Vahan le message suivant: « O rusé Vahan le Loup, puisque vous savez que vous allez servir le roi des Arik, pourquoi vous conduisez-vous avec autant d’audace et d’imposture? Venez nous trouver et acceptez d’être tributaire, autrement vous mourrez comme un chien. » Ayant entendu ces paroles, Vahan prit avec lui six mille hommes, et, accompagné de son fils Sempad, il marcha contre les Perses. Lorsqu’ils furent en présence, Assour commença à outrager Vahan en l’appelant loup. Celui-ci répondit: « Cette épithète m’est bien donnée, car je viens, je massacre, je m’en vais et je reviens.[28] En- suite ils se combattirent. Dès que le combat fut engagé, Sempad, fils de Vahan, attendit Assour et le rencontra. Assour, voyant que c’était un jeune homme, le méprisa, et lui dit: « Bâtard, adorateur de pierres, ôte-toi de là, car je ne combats qu’avec des pierres. » Sempad lui répliqua: « Fils du démon, votre nom d’Assoureus est justement donné,[29] car votre gloire n’est rien, et, en combattant avec un jeune homme comme moi, vous reconnaitrez votre impuissance ». Sempad, ayant tiré son épée, trancha la tête du cheval d’Assour et le fit tomber par terre. Puis se précipitant sur lui, il lui coupa la tête, et, l’élevant en l’air, il dit: « Gloire à vous, Christ et saint [Jean] Précurseur, vous avez vaincu mon ennemi ». Comme il disait ces mots, dix hommes cernèrent Vahan et, comme des bûcherons qui abattent [les arbres d’]une forêt, ils le frappaient sans pitié Vahan, se sentant défaillir, éleva la voix et dit: « Où es-tu, Sempad, mon fils? arrive à mon secours, car je suis vieux »; il avait en effet quatre-vingt trois ans. Sempad, se précipitant bravement, comme un aigle au vol rapide, disait: « Aidez-nous, saint Précurseur! » et il trancha immédiatement la tête du fils d’Assour, en la fendant par le milieu, si bien qu’il détacha l’épaule droite. Vahan, se sentant secouru, coupa la tête aux six chevaux. Dieu leur livra l’armée des Perses qu’ils chassèrent devant eux jusqu’au soir. Sur dix-huit mille hommes, trois mille seulement revinrent auprès de Vakhdank, qui resta tranquille jusqu’à l’année suivante. Cette même année, mourut Vahan le brave, vengeur de l’Église. Il [avait voulu] qu’on transportât son corps au couvent de Glag, et il est enterré à la porte du saint Précurseur, devant le seuil.

L’année suivante, Vakhdank rassembla et forma une armée de vingt mille hommes, et il envoya dire à Sempad: « Venez pour que nous combattions, ou bien soumettez-vous au tribut ».

Mais Sempad, ayant réuni dix mille hommes, se porta contre Vakhdank à Antag, et, ayant laissé cinq mille soldats sur la colline, qu’on appelle le Champ de Mort, il se porta avec cinq mille autres soldats au-devant de l’ennemi, pour le provoquer. Vakhdank envoya à sa rencontre dix mille combattants, croyant qu’il n’avait que sa seule escorte. L’armée [ennemie] arriva et le cerna pendant la nuit, car Sempad avait voulu cette nuit-là même se porter au-devant des Perses, mais les prêtres l’en avaient dissuadé. Il leur dit: « J’ai confiance en Dieu qui ne nous abandonnera pas, parce que nous avons fidèlement servi le saint Précurseur. » Il se porta au-devant de l’ennemi avec des torches. Tout à coup, on vit un homme ayant une chevelure qui lançait du feu et aveuglait les ennemis. Sempad le brave, apercevant cette lumière, dit aux soldats: « Prenez courage, mes enfants, et ne craignez rien, car le saint Précurseur est venu à notre secours, et il combat pour nous. » Que personne ne doute de la vérité de ce prodige, car les ennemis se mirent à s’attaquer l’un l’autre et à s’entretuer. C’était le Seigneur qui combattait contre eux. Le massacre fut si grand qu’il y eut des torrents de sang répandu. On donna à cet endroit le nom de Thil.

Lorsque le massacre de cette multitude fut terminé, il laissa la vie à deux cents hommes, pour qu’ils pussent témoigner aux autres [de la présence] de l’homme qu’ils avaient vu pendant la nuit; car les ennemis même l’aperçurent. Puis il envoya les chevaux dans le bourg de Mousch, à son fils qu’il avait appelé Vahan, du nom de son aïeul Vahan Gamsaragan, afin qu’avec les fantassins de la localité il pût en faire des cavaliers qu’il lui expédierait en toute hâte. Vahan, ayant formé un corps de deux mille deux cents cavaliers, les envoya vers son père Sempad, qui pendant huit jours fit des marches militaires pour instruire son armée. Ces huit jours s’étant écoulés, Vakhdank arriva dans la plaine, et dès le lendemain on se prépara à la guerre. Sempad détacha pendant la nuit deux mille cavaliers, es plaça en embuscade derrière les Perses, et en fit passer trois mille derrière ta colline, de ce côté.ci. Des deux côtés, on préparait secrètement des plans de bataille, et on partagea les huit mille hommes en six cohortes. Le matin venu, l’armée fit ses préparatifs de façon à tenir les embuscades secrètes, et, en attaquant l’ennemi de front, elle l’attira sur elle.

Dès que la lutte fut engagée, Sempad fut tout d’abord repoussé, et, gravissant la colline, il s’écria: « Où êtes-vous, braves? avancez! » De tous côtés, les soldats se précipitèrent et cernèrent l’armée des Perses. La lutte s’engagea de nouveau, si bien qu’il n’y avait plus moyen de se reconnaître, si ce n’est au son des trompettes et à la vue des étendards. Lorsque Vakhdank et Sempad se rencontrèrent, celui-là dit: « Arrêtez, bâtard, quoique vous ayez massacré beaucoup de monde, cependant aujourd’hui vous n’échapperez pas aux mains de mes braves, sans que mes glaives ne vous mettent en pièces. » Mais Sempad, s’avançant, lui coupa les jambières qui couvraient ses cuisses, le blessa cruellement et le désarçonna. Vakhdank, baissant sa lance, frappa Sempad à la poitrine, et ayant fait pénétrer la pointe de l’arme, il ne put l’enfoncer davantage. Sempad, élevant alors la voix, dit: « Saint Précurseur! Faites-vous voir et montrez-vous encore aujourd’hui à vos serviteurs, car c’est pour vous et pour ceux qui croient au Christ que nous mourons. » Ensuite, ayant abaissé sa lance contre la poitrine de Vakhdank, il traversa sa cuirasse, lui perça le cœur, et, ayant tiré son épée, il lui trancha la tête. Toutefois il ne put s’en emparer, parce qu’elle fut enlevée par la multitude.

Cependant l’un de ses serviteurs, étant parvenu à s’emparer de la tête de Vakhdank, s’enfuit en l’emportant. Sempad le rejoignit, et, lui assénant des coups de masse d’armes sur la tête, lui brisa son casque. Le crâne ayant été entamé, la masse d’armes pénétra si profondément dans le casque qu’il ne put l’en arracher que très difficilement.

Le serviteur jeta alors la tête de Vakhdank et tomba mort. Mais un autre serviteur ramassa cette tête et s’enfuit en l’emportant. Sempad, se mettant à sa poursuite, dit: « Perses, n’agissez pas ainsi légèrement, car ce fut après que Vakhdank fut dans cette situation que vous, ses serviteurs affligés, vous prenez sa tête et vous vous enfuyez; mais sachez qu’il vous faudra endurer alors le même sort [que votre maître]. » Le serviteur, jetant aussitôt la tête à la poitrine de Sempad, dit: « Allez, faites-la cuire et mangez-la, et malheur à vous, puisque vous ne l’avez pas tué plus tôt. » Sempad prit la tête, et, poursuivant le serviteur: « O Perse, qui haïssez votre maître, pourquoi n’avez-vous pas donné votre tête à la place de celle de votre maître? mais, puisque vous haïssez votre maître, eh bien! je prends votre tête. » Il le frappa au cœur avec sa lance qui le transperça d’outre en outre, et, l’ayant renversé de cheval, il lui trancha la tête et s’en revint sur la colline après ce grand triomphe. Les soldats, ayant cerné en cet endroit les Perses, les massacrèrent, il n’échappa que ceux qui gardaient les chameaux et qui étaient au nombre de 400 individus. Sempad ordonna de ne point les massacrer, car c’étaient des fuyards. Il s’empara de mille quarante chameaux et de huit mille chevaux et mulets.

Quant le combat eut cessé, Sempad ordonna d’enterrer les morts dans les vallons et les ravins, et cette colline fut appelée Colline de la Mort. Sempad marcha ensuite pendant la nuit avec son armée, et se dirigea sur la ville de Borb. Les soldats s’introduisirent dans les maisons, massacrèrent tous les gens qui s’y trouvaient et qui parlaient l’idiome perse. Ils leur coupèrent le nez, les passèrent dans un fil et les portèrent à Sempad. On compta les nez, et on trouva que quatre mille Perses, hommes, femmes et enfants, avaient été massacrés.

On s’empara du fils et de la femme de Vakhdank que l’on conduisit dans la forteresse des Chèvres, qu’on appelait auparavant château des Aigles pour les y garder. Sempad envoya ensuite Chosroès (Khosrov) auprès du roi des Perses, pour lui dire: « Payez-moi un tribut de douze années; votre armée a mangé l’herbe et le pain de mon pays; elle a brûlé les forêts; payez-moi le prix de l’eau qu’elle a bue, la valeur des maisons que mon père Vahan le Loup a brûlées à cause de vous, le prix du savon, c’est-à-dire 60.000 tahégans que nous avons dépensés pour laver nos vêtements souillés par le carnage, et ceux qui étaient teints de sang, et dont nous étions tous vêtus; sinon je marche contre vous avec cent hommes, je ferai prisonniers tous vos Perses et je les amènerai à Daron. J’attacherai auprès de vos dieux des chiens qui hurleront à leur place. Hâtez-vous de m’envoyer ce que je réclame, autrement vous verrez ce qu’il vous adviendra. Le roi, ayant entendu cela, se prit à rire [des menaces] de Sempad et ne répondit pas à sa lettre.

Cependant Sourên, frère de Vakhdank, ayant pris cent mille tahégans et s’étant mis à la tête de quatre-vingt dix personnes, vint à Daron pour racheter la femme et le fils de Vakhdank. Sempad, venant au-devant de Sourên, frère de ce dernier, le reçut avec amitié et le conduisit à Mousch. Après y être resté dix jours, Sourên se mit à la recherche de son neveu pour savoir où il était. Or [les Arméniens] lui montrèrent la forteresse dans laquelle il était gardé. Sourên dit: « Est-ce que, dans cet endroit, il fait paître des chèvres ou des diables? » Sempad sourit du propos de Sourên, envoya quelqu’un, et fit amener la femme et l’enfant devant lui. Lorsqu’on les eut amenés, Sourên dit: « Prince puissant du pays d’Arménie, donnez-nous les prisonniers comme un tribut du roi de Perse ». Le prince dit: « Je ne donnerai pas même sans argent au roi de Perse un chien mort pour qu’il en fasse un repas; à plus forte raison, je ne lui donnerai pas les prisonniers. Si cependant vous voulez les racheter, je les donnerai volontiers; autrement allez tous les trois [au château] des Aigles, pour faire paître les chèvres; rendez-vous ainsi utiles dans la forteresse et vous mangerez mon pain. »

Sourên, qui était un homme prudent, dit: « Prince pieux et puissant, si vous nous faisiez même garder le chien de votre porte, ce serait un honneur pour nous de rester auprès de votre demeure; donc, à plus forte raison, de faire paître des chèvres. Mais, si vous voulez nous écouter, acceptez de nous cent mille tahégans, six cents chameaux, six chevaux perses, et donnez-nous en échange cette femme et cet enfant. Le prince dit: « Ce que vous avez apporté nous appartient, je vous trancherai la tête et je m’emparerai de ce que vous avez amené. Si ces prisonniers vous tiennent au cœur, faites-vous chrétiens, signez vous en faisant le signe de la croix, prenez ces prisonniers et retournez chez les Perses; alors ils seront à vous, ou bien cherchez un autre moyen. » Cependant Sourên, ayant apporté les cent mille tahégans, les chameaux et les chevaux, dit au prince: « Voici la rançon. » Le prince répondit: « J’accepte cette rançon; mais les [Perses] ont emporté avec eux, de Karké, du bois pour une valeur de 160.000 tahégans; ils ont mangé, de cette plaine que voici, de l’herbe pour 400.000 tahégans, ils ont chassé et mangé les biches, les cerfs et les lièvres du pays, représentant une valeur de 60.000 tahégans; je ne compte pas le prix de l’eau et du pain; qu’ils donnent de ce vin généreux de Syrie, de Salan et de Mokhir, que depuis deux ans, ils m’ont pris et consommé; qu’ils rendent le tribut des dix cantons qu’ils ont occupés et les droits d’entrée de la ville qu’ils ont dépensés, plus quatre cents tahégans. Que les Perses payent tout cela; de plus faites-vous chrétiens, conduisez-moi en Perse, et ces prisonniers vous seront livrés. »

Sourên fut fort attristé et garda le silence pendant trois jours. Le prince envoya vers lui un messager pour lui dire: « Ne vous attristez pas, car je ferai tout ce que vous désirez; mais venez me trouver, passons de l’autre c6té [du fleuve] et allons en pèlerinage dans mon convent construit par mon père ». Ayant pris Sourên avec lui, ils passèrent sur l’autre rive de l’Aradzani, et on amena avec eux la femme et l’enfant [de Vakhdank]. Cependant, comme [le prince] se proposait de tendre un piège au Perse, il laissa de l’autre côté la femme, l’enfant et Vahan le Gamsaragan, et au cas où [Sourên] serait revenu sur ses pas, on l’aurait tué. Ayant laissé son armée, forte de quatre mille hommes à Meghdi, et le détachement perse dans le jardin du couvent des Arik, et eux n’étant accompagnés que de quatre cents soldats d’élite et de quatre cents autres soldats [de Sourên], ils se dirigèrent tous deux du côté du couvent. Lorsqu’ils arrivèrent à la Croix cachée, ils descendirent de cheval et se dirigèrent à pied au couvent, car personne ne pouvait aller à cheval en cet endroit. De même, personne n’osait gravir du côté de l’est du vallon, au pied de la pente jusqu’à l’église, car, si Tiridate et saint Grégoire n’osèrent pas y monter à cheval, quel homme eût été assez téméraire pour le faire?

Lorsqu’ils furent sur le point d’arriver au convent, les prêtres se portèrent à leur rencontre pour en défendre l’accès, à cause de Sourên. Sempad s’en irrita et dit: « Puisque vous, Perses! vous êtes si impurs, que vous n’êtes même pas dignes des bois (?), comment mériteriez-vous de vivre? » Varaz, prince des Balouni, se précipitant alors sur eux, leva son épée et trancha la tête de Sourên. Quant aux deux princes perses, on les pendit à un arbre et on les étrangla. Les autres s’en retournèrent reprendre leurs chevaux. Cependant les soldats du prince des Balouni, au nombre de trois cents, s’étaient embusqués sur la colline, dans la petite forteresse de Medzamor, au bas d’Antag. Les Arméniens se tinrent à cheval jusqu’à ce que les autres fussent venus à Medzamor. Ceux qui étaient en embuscade se portèrent à leur rencontre, cernèrent les quatre cents hommes, les massacrèrent, puis, ayant rejoint les autres soldats, ils s’en allèrent. Ceux qui étaient dans la forteresse du village d’Ardk, firent une sortie pendant la nuit, tombèrent sur les Perses, et, ayant détaché leurs chevaux qui étaient au nombre de deux mille cinq cents, ils les conduisirent dans la Vallée des épées. L’armée perse se mit à la poursuite des ravisseurs, et arriva à l’endroit appelé la Source des voleurs. Ceux qui avaient enlevé les chevaux se retournèrent alors, lancèrent à ceux qui les poursuivaient des pierres avec des frondes et des flèches, et tuèrent cinq cent vingt individus. Ils s’emparèrent également des chevaux de ces derniers, qu’ils emmenèrent avec les autres, ce qui en porta le nombre à trois mille.

Quelques fantassins de l’armée perse se cachèrent dans les vallées, et, s’étant mis à la poursuite des voleurs de chevaux, à travers la forêt, ils en firent un grand massacre. Celui qui était le chef des voleurs de chevaux et qu’on appelait Srem, revint sur ses pas, tira son épée et combattit seul [contre les assaillants], jusqu’à ce que ses compagnons vinssent à son secours. Quand ils arrivèrent, Srem était mort, car on l’avait blessé à la poitrine avec une flèche. On l’enterra dans cette vallée, et on lui donna le nom de Vallée de Srem. Les compagnons de Srem attaquèrent ceux qui les poursuivaient à coups de pierres et de flèches et en tuèrent un grand nombre; les autres prirent la fuite et se réunirent ensuite dans le même endroit. Après être descendus de leurs montures, ils firent un repas.

Deux cent cinquante hommes sortirent d’Oghgan, sous prétexte d’aller à la chasse. Lorsqu’ils virent que les Perses se reposaient sans défiance, ils se précipitèrent comme des voleurs sur eux, et aucun n’eut le temps de remonter à cheval. On les cerna, et sur le lieu même du festin on massacra cinq cent huit individus. On donna à cet endroit le nom de Réunion (Joghovs), parce qu’on y massacra ceux qui s’y étaient réunis.

Pendant que ces événements se passaient, Sempad et le prince des Balouni se cachèrent dans une vallée, et ils envoyèrent un messager à Meghdi pour dire [aux Arméniens] de se porter en hâte contre les Perses, tandis qu’ils envoyaient de leur côté contre ces derniers cent soldats pour les tenir en haleine. Les soldats, en voyant les Perses, se précipitèrent et arrivèrent un à un. Lorsque l’armée [qu’ils avaient demandée] arriva auprès de Sempad, il dit aux soldats: « Tenez-vous sur la colline, l’emplacement est favorable pour combattre, et ne bougez pas jusqu’à l’arrivée des renforts que nous attendons. » Les soldats gravirent la colline. L’armée perse dirigea alors ses efforts contre Sempad et Varaz qui se mirent à genoux devant Dieu et invoquèrent le secours du saint Précurseur en disant: « Souvenez-vous de nos services, rappelez-vous que vous nous avez secourus de loin, et ne nous abandonnez pas de si près. » Le secours de Dieu leur vint alors en aide. Ils s’avancèrent sur la colline; Sempad commandait l’aile droite, et Varaz l’aile gauche. [Bientôt] ils furent, ainsi que leurs chevaux, couverts de sang. Le sabre de Sempad était poissé de sang dans sa main et il ne put l’en détacher; le sang qui s’était coagulé autour [de la poignée] du sabre et dans la paume de sa main le fit briser. Les Perses, s’apercevant que Sempad ne pouvait pas prendre un autre sabre, se disaient les uns aux autres, en s’encourageant: « Hâtez-vous, car [le sang est] coagulé dans la main du brave; son Dieu l’a enchaîné et son sabre s’est brisé dans sa main. » Beaucoup d’ennemis l’entourèrent, et, de même que le bois sec craque en se fendant, de même les armes craquaient sur la tête de Sempad. Alors il cria à haute voix: « Honte à votre bravoure, puisque vous n’avez pas su entamer ma tête. » Il dit cela pour qu’on se souvint de cette parole. S’apercevant que le nombre des ennemis augmentait autour de lui, il éleva la voix et dit: « Où êtes-vous, bras puissant, marteau terrible [qui vous éleviez] coutre les ennemis? Soutien de ma vieillesse, prince des Balouni, avance, car des vautours et des hiboux m’ont environné. » Ce dernier, laissant le commandement de l’aile gauche à son fils Vahan qui bâtit Vahanouvid (vallée de Vahan), se précipita comme un aigle rapide [au secours de Sempad], en criant. Tous les chevaux furent saisis d’épouvante. Etant arrivé auprès de Sempad, et ayant donné un coup de lance sur le dos du Perse, il le traversa ainsi que son cheval, et il ne put ensuite arracher son arme. Puis, il dit par moquerie: « Allez mesurer votre lance et savoir combien elle a de coudées; que personne ne vous mente et ne vous dise qu’elle a moins de trois brasses, alors il vous mentirait. » Le Perse mourut sur le coup.

Sempad, regagnant la ligne de bataille, garrotta un Perse, seulement avec sa main gauche [qui était libre], et il le fit tuer, afin qu’avec ce sang chaud on pût ramollir sa main et [la poignée de] son sabre. Il prit un autre sabre et monta un nouveau cheval. Aussitôt qu’il fut en selle, il s’aperçut que mille hommes le cernaient de nouveau, lui et cinq cents cavaliers. Voyant les chevaux s’arrêter, il frappa un Perse et le renversa, puis, prenant son cheval, il le présenta au prince Varaz et lui dit: « Descendez et montez, prince des Balouni. » Celui-ci monta sur le nouveau cheval. L’armée, à cette vue, fut saisie d’étonnement. Agissant de la sorte au plus fort de ce terrible combat, ils changèrent de cheval, car plus l’armée ennemie augmentait en nombre, moins [les Arméniens] s’en émouvaient. L’ennemi devint si nombreux que [les Arméniens] ne purent même les entourer tous.

Lorsque quelques-uns des soldats de Sempad commencèrent à douter du succès de l’affaire, selon la volonté de la Providence de Dieu, ils virent venir [en ce moment] l’autre Sempad, prince de Haschdiank, amenant avec lui Vahan le Gamsaragan, le fils de Sempad et si mille combattants. Le prince Varaz, l’ayant aperçu, s’écria: « Vahan, fils d’un brave, où étiez-vous donc, que vous arrivez si tard à notre secours? » Mais Vahan, élevant la voix, disait en pleurant: « Mon vieux père, courbé par la fatigue, vit-il encore; ou est-il allé dans le repos du Seigneur? » Sempad, l’ayant entendu, dit: « Le saint Précurseur est venu à mon secours, autrement je serais mort par la main des infidèles. » Celui-ci remercia Dieu, et, marchant en avant contre l’ennemi, ils s’ouvrirent un passage et passèrent à travers [les ennemis]. Ils se partagèrent [les commandements]; Vahan prit l’une des ailes, et Sempad, prince des Haschdiank, prit l’autre aile. Puis, recommençant le combat, ils se mirent à massacrer les chefs des cohortes ennemies. Ensuite s’avançant encore, ils firent former en cercle l’aile de Vahan, cernèrent l’armée des Perses, qu’ils massacrèrent jusqu’au soir. Au coucher du soleil, quatre cents Perses qui avaient échappé à la mort s’enfuirent; et, comme ils avaient abandonné leurs chevaux, ils pénétrèrent dans une vallée, se cachèrent et s’y endormirent jusqu’au lendemain. Les soldats [arméniens] se mirent à leur recherche, et, ayant répandu de l’eau sur eux, ils les réveillèrent et les amenèrent à Meghdi. Cet endroit fut appelé Vallée du sommeil [Thempradzor]. Sempad ordonna d’entasser les cadavres les uns sur les autres en haut de la colline, et cet endroit fut appelé Colline de Varaz (Varazaplour), en souvenir du massacre de Varaz. Les [Arméniens] descendirent ensuite et vinrent se loger dans le village du couvent qu’on appelle Lieu de vie (Genats vair).

Lorsqu’ils entrèrent dans le village, des danseurs vinrent au-devant d’eux, et composèrent des chants dans lesquels ils louaient beaucoup les actes accomplis [dans cette campagne]. Lorsque les cadavres commencèrent à se corrompre et à se remplir de vers, ils firent le chant que voici: « Les bêtes fauves ont dévoré le corps de Varaz et se sont engraissées. La fouine devint aussi grosse que l’ours, et le renard est devenu plus orgueilleux que le lion. Le loup, qui est glouton, en a crevé, et l’ours, qui ne peut digérer ce qu’il mange, est mort de faim. Les chouettes, qui sont voraces, restent sur place sans pouvoir s’envoler. Les souris, qui transportent beaucoup de provisions dans leurs trous, ont usé leurs pattes.[30] » Ils chantaient ainsi, et en effet ce chant convenait aux circonstances, et, à cause de cela, ce village fut appelé Schiraganig. Dès que les hommes qu’on avait amenés à Meghdi furent guéris de leurs blessures, Vahan leur distribua de l’argent, des chevaux, des armes, et les renvoya en Perse. Quant aux [Arméniens], ils s’en retournèrent dans la maison du Seigneur [à Glag], firent à Dieu beaucoup de dons dans l’église du saint Précurseur, et finalement ils revinrent chez eux tout joyeux.

Dans ces jours-là, mourut le bienheureux Etienne (Stéphanos), et il repose auprès des autres pères sur la colline de Haïraplour (du Pire). Vahan, ayant amené avec lui les évêques des Mamigoniens, des Balouni et des Haschdiank, se rendit au monastère de Glag. On éleva à la dignité de supérieur du couvent Epiphane, qui était venu de la plaine de Tevin dans le désert, et demeurait sur les terres de l’Église. Il succéda à Etienne et fut le vingt-deuxième [supérieur]; il avait été moine pendant vingt ans. Il se rendit au concile rassemblé par [ordre d’] Héraclius, la 19e année de son règne, et dans lequel on anathématisa tous les hérétiques. L’évêque des Haschdiank s’enfuit dans le pays des Grecs.

CHAPITRE IV.

Arrivée de Tigrane (Dikran) et massacre accompli à Honenguetz.

Chosroès (Khosrov) dirigea de nouveau une autre armée, composée de 20.000 hommes, contre la maison rebelle des Mamigoniens, [et qu’il plaça sous le commandement] du grand général Tigrane (Dikran). Lorsque cette armée fut parvenue dans [le canton des] Abahouni, Tigrane manda Sempad auprès de lui. Celui-ci envoya son fils Vahan le Gamsaragan pour connaître ses intentions. Lorsque Vahan fut arrivé et connut les intentions de Tigrane, il adressa une réponse à son père en disant: « Cet homme promet tantôt de faire le bien et tantôt le mal, et il demande les restes mortels du prince Mouschegh, de votre père Vahan, de la femme de Vakhdank et de son fils qu’on tua dans le combat de Varaz. Si vous ne faites pas droit à ma demande, je me rendrai dans l’endroit où ils reposent, j’y ferai creuser et je ruinerai [l’église]; ensuite j’élèverai des pyrées a la place de vos églises et je vous amènerai à la cour du roi. Il s’exprime ainsi, et il veut marcher contre vous à travers [le pays] des Haschdiank. Quant à moi, je le suivrai par derrière; mais vous, rassemblez vos soldats, rendez-vous à l’église du saint Précurseur, et priez les religieux de faire des prières. Salut dans le Seigneur! »

Sempad, ayant pris connaissance de cette lettre, se rendit devant le saint Précurseur; il étendit les mains en face du saint autel, et dit en versant des larmes: « Eveillez-vous, Seigneur, et augmentez vos forces. Voyez, Seigneur, ne restez pas muet, ne cessez pas, Seigneur, [de nous secourir], car l’ennemi nous méprise! Que votre volonté soit faite! Nous vous supplions de vous souvenir des efforts que nous avons faits pour vous et pour la sainteté [de votre Église], et votre nom sera glorifié. » Ayant prié de la sorte, il fit apporter douze épées qu’il commanda de placer devant l’autel, taudis qu’on célébrait la messe; puis il les prit et dit: « Seigneur, nous espérons que ces épées serviront de levain pour d’autres épées, et, par votre volonté, nous vaincrons [les ennemis]. Seigneur! nous sommes las et fatigués de massacrer même des impies, et ceux qui ont enlevé la rouille et le sang de nos épées se sont aussi lassés. Nous espérons que vous ferez pour nous ce que vous avez déjà fait. »

Ensuite il alla rassembler son armée [qui se composait] de 9.940 hommes, se rendit dans le canton de Haschdiank, dans le village appelé Kirehn,[31] où l’eau est abondante. Tigrane arriva de son côté, et prit position à Honenguetz. Il envoya dire à Sempad: « Venez me trouver, ne craignez rien, et recevez de moi des trésors et des honneurs; je placerai la couronne sur votre tête et je vous ferai marzban de l’Arménie. Seulement donnez-moi les ossements de Mouschegh et de Vahan ». Sempad se saisit des messagers, fit rougir une barre de fer, la mit comme une couronne sur leur tête et leur dit: « Attendez pour savoir ce qu’il me donnera en présent, à moi qui vous ai mis cette couronne ».

Il ordonna de s’emparer de tous les hommes qui accompagnaient le messager, et il leur coupa la tête jusqu’à la sixième heure du jour. Cet endroit fut nommé Tombeau des Mages, c’est-à-dire Moggoun (maison des mages).[32]

Sempad, ayant gravi la montagne appelée Srémavaïr, campa en face de Tigrane. Quand le soir fut venu, Vahan le Gamsaragan, fils de Sempad, se leva et vint trancher les têtes du fils de Tigrane et de trois seigneurs, car ils étaient dans la même tente. Il prit leurs têtes, vint chez son père et s’en retourna de nouveau au même endroit. Il arriva secrètement et entra [dans la tente de] Tigrane, par le côté de la tête. Tigrane, le voyant avec un sabre nu à la main, n’osa point appeler du secours, et crut qu’il voulait seulement voler ses effets. Mais Vahan, saisissant subitement un coussin, se hâta de lui fermer la bouche, en se précipitant sur lui. Un serviteur de Vahan, qui l’avait suivi, trancha la tête de Tigrane et s’en alla après avoir pris les effets, les pierres précieuses et les sabres de prix. L’armée arménienne, au comble de la joie, rendit à Dieu de grandes actions de grâces, et se repentit d’avoir détruit les tombeaux des princes. Vahan, [qui était un homme] rempli de prudence, prit deux cents boucliers de cuir, les attacha sur le dos de cent mulets fougueux et fixa de chaque côté de ces boucliers une lame [d’épée]. Puis il se dirigea vers l’armée de Hon qui avait remplacé Tigrane dans son commandement, et avait sous ses ordres huit mille combattants, et qui était campé près de la colline à l’extrémité des rochers qui font face à la montagne de Daron. Cette armée était séparée des autres corps. Vahan, ayant emmené avec lui les cent mulets fougueux, les conduisit près de cette armée. Un homme était chargé de suivre dix mulets. Quand on eut aiguillonné les mulets avec la pointe des épées, on les lança sur l’armée, tandis que les [Arméniens] les suivaient en faisant retentir la trompette guerrière; ils massacrèrent alors tous ceux qui leur tombaient sous la main. Les ennemis criaient pleins d’effroi, s’animaient et se troublaient, car les mulets épouvantés du bruit des boucliers, du trouble des soldats, du sou des trompettes, se lançaient d’eux-mêmes sur l’armée. Les ennemis croyaient avoir devant eux des cavaliers et que le bruit des sabres provenait [des coups portés] par ceux qu’on massacrait. Chaque combattant ne cessait de crier: « Malheur! » car il ne savait pas ce qui allait lui arriver, et en effet c’était le Seigneur qui combattait avec [les Arméniens].

Cependant, comme l’autre armée perse ne pouvait avancer, parce qu’il faisait sombre, nos soldais les harcelaient et les massacraient, et comme [les Perses] ne savaient plus où se trouvait la colline rocheuse, car le Seigneur les frappa d’insanité, ils abandonnèrent leurs bagages, prirent la fuite vers la colline et se précipitèrent du haut en bas en roulant sur des pierres énormes. Personne ne se douta de cet événement, jusqu’au moment où les cris cessèrent [de se faire entendre]. Ce fut alors que les Arméniens eurent la certitude que l’armée des Perses était anéantie. Alors ils retournèrent dans le camp, ramassèrent les bagages, les meubles, les trésors, les chevaux et les chameaux, et ils envoyèrent ce butin dans le canton des Balouni. On compta dix-huit mille chevaux, mulets, chameaux et ânes qui couvraient la surface du canton. Quand le jour fut venu, les Perses se mirent à la recherche de Tigrane et de son fils, mais ils ne les trouvèrent plus; puis, ayant cherché à rassembler les fuyards, ils les virent tous gisant [au pied des rochers]. Ensuite ils s’assemblèrent, élurent pour chef Mihr Khosrov, et, enflammés de colère, ils se rangèrent en bataille.

Sempad avait laissé Vahan pour garder es abords du camp pendant la nuit, avec quatre mille hommes, et il avait dressé, avec deux mille hommes, une embuscade dans deux endroits. Quant à lui, rangeant en bataille les autres soldats, il confia l’aile droite à Varaz, prince des Balouni, car il était si fort qu’il ne redoublait pas le coup qu’il portait à un homme. Il donna le commandement de l’aile gauche au prince de Haschdiank, et il conserva auprès de lui, comme garde du corps, Vahan, fils de Varaz.

Le combat s’engagea des deux côtés. Mihr Khosrov et Sempad se précipitèrent l’un contre l’autre et se frappèrent mutuellement sur la tête. Les soldats perses se précipitèrent sur Sempad comme [un essaim] d’abeilles, et il allait défaillir, car il était d’un âge avancé. Il éleva alors la voix en disant: « Où es-tu, mon fils Vahan? accours! » Celui-ci, s’adressant au saint Précurseur, disait: « Voilà l’heure, ô Baptiste du Christ, Jean Précurseur; où sont les prières de mes saints religieux? » Et, s’introduisant au milieu de la mêlée, il dispersa ceux qui entouraient son père. Sempad, reprenant courage, tira son épée, coupa l’épaule de Mihr Khosrov, et jeta par terre, avec l’épaule, la tête de leur chef. Ensuite les Arméniens, poursuivant les ennemis l’épée dans les reins, les chassèrent devant eux jusqu’aux embuscades. Ceux qui formaient ces embuscades se démasquèrent et les cernèrent. Beaucoup de combattants périrent ce jour-là, et on jeta sur la colline quatre mille têtes comptées. Ce lieu s’appela dès lors Honenguetz (jetées là).

Le soir étant venu, l’armée perse prit la fuite, et se rendit au Canton de Haschdiank; elle était composée de 8.000 hommes. Là, on fit le dénombrement des soldats, et cet endroit fut appelé Hantisiank. Les Perses voulaient par ruse se joindre aux Abahouni. Sempad, ayant appris leur départ, se mit à leur poursuite [avec les siens], et le lendemain ils les atteignirent. Comme ils étaient campés à peu de distance les uns des autres, [les Arméniens] voulurent marcher contre les Perses, et ils se préparèrent à les attaquer dès le soir. Ce projet était arrêté, lorsque l’armée [des Perses], forte de 3.000 hommes, arriva du Canton des Abahouni. L’armée des Arméniens, ayant vu que l’armée des Abahouni avait fait alliance avec celle des Perses, se découragea et elle fut battue. Trouvant l’occasion de s’enfuir par le canal de Margoutz,[33] l’armée descendit le long [du cours] de l’Aradzani et y campa. Les Perses les poursuivirent, en les poussant du côté du fleuve et en les harcelant. Sempad, mettant tout son espoir en Dieu, dit: « Seigneur, je connais votre bonté pour nous depuis les temps anciens; à présent voyez ici les ennemis et là le fleuve, et regardez comme les ennemis nous harcèlent. » Alors, ayant fait le signe de la croix, ils se précipitèrent sur les Perses. Pendant le combat, [Dieu] fit voir aux [Arméniens] un homme éclatant et lumineux, dont la chevelure lançait des éclairs. Vahan le brave, l’ayant vu et ayant reconnu le Précurseur, se réjouit et se précipita sur les ennemis. Ayant séparé l’armée ennemie qui comptait 3.000 hommes, il les chassa devant lui, les poursuivit et les fit passer du côté d’Asdghonk. Ensuite, les ayant cernés de toutes parts, il les fit descendre devant l’église, car les ennemis voulaient venir en cet endroit pour massacrer les religieux; mais la puissance de Dieu les en empêcha, et ils ne purent franchir le vallon, même en rampant par terre (?). On appela alors cet endroit Hedsang.[34]

L’armée [ennemie] pénétra dans la forêt en face du couvent et s’y cacha. Vahan se hâta [de la rejoindre] et massacra avec le glaive [tous les Perses], de telle sorte qu’il ne resta pas même de trace [de cet engagement]. Cet endroit fut appelé Mahou Arith (cause de mort). Sempad éprouva ce jour-là le terribles fatigues; mais Varaz, prince des Balouni, vint à son secours, et, poursuivant l’ennemi devant lui, il le précipita dans le fleuve, jusqu’à ce que les fuyards eussent atteint l’endroit appelé aujourd’hui Goura.[35] Les chevaux des fuyards s’étant arrêtés, le prince des Balouni se mit à leur poursuite avec beaucoup de soldats, et massacra les ennemis. Lorsqu’ils furent arrivés [à Goura], Varaz dit aux Perses: « Pourquoi avez-vous été anéantis? fuyez, ou nous vous massacrerons. » Ils répondirent: « Nous sommes perdus et morts. »

Cet endroit fut nommé Goura. Dans cet endroit, Varaz se saisit un à un des ennemis, et coupa le prépuce à 1.680 individus. Deux mille autres Perses se précipitèrent dans le fleuve et se noyèrent. Quant à l’autre corps d’armée qui fut massacré par Sempad, il se trouvait de l’autre côté de Hoviank, et il gravissait la montagne pour rejoindre les fuyards. Les gardes de la forteresse, se mettant à leur poursuite par derrière, les attaquèrent à coups de flèches, de pierres lancées avec des frondes et à coups de pierres; ils massacrèrent 2.800 hommes. Ceux qui purent fuir étaient au nombre de 1.040 hommes qui allèrent rejoindre Chosroès (Khosrov). Alors ce prince envoya une nouvelle armée contre Daron.

Cette même année, Sempad mourut. Il se fit porter au tombeau de ses pères dans le couvent de Glag. Il repose à la porte de Saint-Etienne, que construisit cet Etienne dont la mère fut tuée, et qui avait placé en cet endroit, dans une place secrète, le grand doigt gauche du proto-martyr saint Etienne. La même année de la mort de Sempad, le père Epiphane retourna vers Dieu, vingt années après [son élévation]. David lui succéda et [administra pendant] 3 ans. Il fut le 23e supérieur en commençant de saint Grégoire. A cette époque, on baptisa le fils de Vahan, Diran, dans le couvent de Glag, dans l’église du saint Précurseur, sous l’administration de David.

CHAPITRE V.

Arrivée de Vartouhri. Sa mort à Phanhigar[36] avec 50.000 hommes, sur les bords de l’Aradzani.

Dix-huit ans plus tard, une nouvelle rupture éclata entre les Perses et Vahan. Chosroès envoya une armée contre [le district] de Daron; elle se composait de 50.600 hommes qui arrivèrent à Daron, animés d’un grand ressentiment, et qui voulaient s’arrêter au couvent de Glag pour enlever les ossements de leurs ennemis Vartouhri, qui les commandait], vint camper à Mousch. Vahan appela son fils, le brave Diran, et lui dit: « « Mon fils, ne vous laissez pas aveugler par les péchés, ni parce que vous êtes devenu grand, ni parce que vous êtes jeune; ne vous laissez pas aller à la beauté des femmes; mais souvenez-vous de vos pères, de la sainteté et de la pureté avec lesquelles ils servirent Dieu. N’oubliez pas de servir le saint Précurseur, car dans les combats c’était lui qui venait à notre secours. Si vous voulez vivre longtemps, ne vous laissez pas aller à l’impureté à laquelle vous avez échappé jusqu’à présent. Si je meurs en combattant, faites-moi transporter dans notre couvent, et servez saintement Dieu et ses religieux, comme je les ai servis moi-même. En effet, je ne me suis point laissé entraîner par la beauté [des femmes], je n’ai fait de tort à personne, je n’ai pas tourmenté les malheureux, car tous ceux qui étaient placés sous ma dépendance, hommes, femmes et enfants, je les ai soignés comme des frères, des familiers et des pères. Mon fils, agissez de même et le Seigneur vous fortifiera. Maintenant marchons au combat. »

On partit à la rencontre de l’ennemi, et on dépêcha [un courrier] vers le supérieur Grégoire, qui était le 25e et occupa son siège pendant 8 années. On amena au combat 385 religieux [dont la tête était coiffée] du capuchon. Lorsque le combat fut engagé sur les bords de l’Aradzani, auprès de la forêt appelée Colline des peupliers (Gaghamakhiati plour). Les religieux étaient vêtus de noir, portaient des cilices et [avaient la tête coiffée] du capuchon. Il y avait une crécelle pour dix personnes, et deux autres personnes portaient la croix ornée d’un étendard fixé à une longue hampe. Ils se rangèrent pour combattre les uns à côté des autres, de l’autre côté du fleuve qui est dans la plaine. Les ennemis, en les voyant, furent saisis d’épouvante. Vartouhri ne prit point part à l’affaire. « J’observerai, dit-il, ce qu’ils feront. » Lorsque le combat se fut engagé entre les Perses et les soldats de Vahan, ceux-ci voulaient fuir. Alors [les religieux,] se mettant à genoux, s’adressèrent ensemble à Dieu, en priant et en pleurant: « O Seigneur, combattez pour nous; ô Précurseur, éveillez-vous à la voix de vos ministres. » Ayant dit ensemble cette prière, ils se levèrent, tournèrent la croix du côté des ennemis, et firent retentir avec force les crécelles. Vahan, ayant porté les yeux sur la troupe des religieux, vit à leur droite un jeune homme à l’aspect redoutable, ayant sur la tête une couronne de pourpre et une croix, et portant des vêtements resplendissants de lumière. Il vit encore deux hommes dans la force de la jeunesse, avec des ailes, et qui se tenaient au-devant de lui. Les ennemis, les ayant aussi aperçus, furent si effrayés qu’ils se jetèrent en masse dans le fleuve, et ceux qui étaient de l’autre côté se dirigèrent vers Meghdi. Vahan, appelant son fils Diran et les autres soldats, dit: « Voici le Seigneur des créatures; le Christ se fait voir au milieu de ses serviteurs. C’est lui qui est leur roi et le nôtre, Il s’est rendu à l’appel de ses ministres, et il est descendu afin de les délivrer ainsi que nous. Poursuivons donc les ennemis. » Quand les impies furent arrivés à Meghdi, ils y trouvèrent douze religieux âgés et les massacrèrent. Ils sont enterrés à la porte de l’église, car ils avaient sollicité cette faveur.

Vahan entra dans le fleuve, attacha sur le dos de son cheval ses armes, et passa ainsi sur l’autre rive, dans le village appelé Côté des Perses (Barsitz témn). Là, tous les soldats de Vahan se réunirent et les religieux prièrent en cet endroit, jusqu’à l’arrivée de leur supérieur qui tenait Vartouhri, chef des infidèles, par la tête. Vahan, faisant avancer l’armée et étant arrivé à la plaine qui est sur le Madravank, fit former le cercle et rangea ses soldats en bataille. Vartouhri et Diran, fils de Vahan, s’étant approchés l’un de l’autre, Vartouhri dit: « Magiciens, vous vous glorifiez de vos magiciens, et vous voulez vaincre par des moyens magiques les braves Perses. » Diran répliqua: « Si nous sommes des magiciens, attendez quelques instants, et je vous montrerai la queue de votre cheval. » Se précipitant tout à coup, Diran coupa le pied droit avec la jambière de Vartouhri qui se pencha de l’autre côté et tomba. Diran dit alors: « Vartouhri, soyez sans inquiétude, votre tête penchait et vous a fait tomber, à présent j’ai équilibré votre poids. » Puis il leva [le bras], lui coupa la tête qu’il remit à un serviteur en disant: « Gardez-la, nous descendrons à Madravank et nous danserons devant le saint Précurseur, car c’était [Vartouhri] qui méprisait ses serviteurs. » Puis, ayant cerné l’armée des Perses, ils la massacrèrent, car le prince des Balouni sépara deux princes [du reste de leur armée], et les poursuivit jusqu’à Haschdiank. Lorsqu’il arriva à un endroit dont le terrain était plat, le prince, qui fuyait, se trompa de chemin, car l’armée était loin et il ne put se retourner pour la rejoindre, aussi fut-il obligé de rester [à la même place]. L’un de ses serviteurs lui dit: « Prince, pourquoi vous troublez-vous? » Il répondit: « Je vois le prince Baghag, et je ne puis m’en aller. » Ils ne purent savoir ce que signifiait cette parole, car il mourut aussitôt. [Diran] coupa sa tête, et, ayant pris les deux fils du prince, il les ramena et les mit sous bonne garde. Quant à lui, il continua à poursuivre les fuyards. Varaz ayant atteint l’autre prince, lui dit: « Perse, tombez volontairement, sinon vous tomberez malgré vous. » Celui-ci continua à fuir. Varaz le poursuivit, lui enfonça sa lance dans le dos et traversa même l’échine du cheval. Il dit alors: « Vous tombez à présent. » Cet endroit fut appelé Nerkinangnis.

S’étant encore avancé, Varaz atteignit l’autre prince et dit: « Tombez volontairement, sinon vous tomberez malgré vous. » Mais le fuyard se retourna, trancha la tête du cheval de Varaz et le fit tomber par terre. Varaz se laissa choir, trancha les jarrets du cheval du Perse, en disant: « Tombez aussi, » et cet endroit fut appelé Vairanganis. Ceux qui étaient restés à Boughg prirent avec eux les deux fils du prince et la tête de celui qui fut frappé d’insanité, et ils les amenèrent à Varaz. Cet endroit fut appelé Boughg. Varaz alla rejoindre son fils Sempad, et ils vinrent trouver Vahan qui avait massacré beaucoup d’ennemis et était harassé de fatigue. Ils gagnèrent le milieu de la plaine et s’en allèrent. Cet endroit fut nommé Phantig.[37] Les religieux quittèrent la colline des Peupliers et montèrent sur une autre colline qui est en face de la plaine de Maïravank. Une troupe de fuyards perses vinrent se réfugier auprès d’eux, en les suppliant de leur laisser la vie. Lorsque les troupes du prince de Haschdiank arrivèrent en cet endroit, elles dirent: « Où sont les Perses qui venaient derrière les fuyards? » Mais les religieux ne voulurent pas les leur livrer. Le prince de Haschdiank étant arrivé, dit: « Où sont les Perses? » On lui répondit: « ils sont ici avec les Arméniens. » Cet endroit fut appelé Haïguerd.[38] La guerre cessa alors. On conduisit à Meghdi les fuyards, qui étaient au nombre de 480. Après leur avoir donné de l’argent et des chevaux, on les renvoya en Perse, pour qu’ils pussent raconter les merveilles accomplies par ces religieux, en faveur [des Arméniens]. La guerre de Daron se termina ainsi, grâce à la vaillance de cinq princes vertueux, Mouschegh, Vahan, Sempad, Vahan le Gamsaragan et Diran. Que leur mémoire soit bénie!

HISTOIRE DE LA CROIX DE DZIDZARN;

par qui elle fut apportée: comment elle se trouve à Dzidzarn; à quelle époque elle fut fabriquée.

Sous le règne d’Héraclius, Chosroès, roi des Perses, devint puissant et s’empara de Jérusalem. Il ruina la ville, brûla les Livres [saints], emporta avec lui la sainte Croix, la transporta en Perse, et la conserva avec ses ornements, jusqu’à la 17e année de son règne. Héraclius devint puissant également dans son royaume, marcha sur la Perse, tua Chosroès et ramena la sainte Croix avec les captifs. Il passa sans s’arrêter devant beaucoup de localités, distribua beaucoup de morceaux [de la Croix] dans le pays d’Arménie et aux grands seigneurs. Lorsqu’il se rendit à Ereznavan, le serviteur en coupa un grand morceau et voulut s’enfuir. Mais quelqu’un, l’ayant su, en informa le roi qui lui reprit ce morceau et lui trancha la tête. Etant ensuite allé à Césarée avec son armée, Héraclius remit ce fragment au patriarche de Césarée qui s’appelait Jean, et lui-même gagna sa ville capitale de Constantinople. La même année, Vahan le Gamsaragan se rendit à Césarée; il donna 36.000 tahégans au patriarche Jean, et, ayant pris le fragment de la Croix, il l’apporta au Couvent de Glag [à l’église] du saint Précurseur, et le mit dans le tabernacle qui était place sur le saint autel, où il y resta six ans.

Le prince des Artchk, Kork le Bavard qui donna son nom au canton de Chadakh, vint trouver dans la plaine de Daron un homme appelé Dzidzarnig, qui construisit un petit village et le nomma Dzidzarn. Le prince dit à Dzidzarnig: « Trouvez un moyen de dérober la Croix, car le sacristain est votre parent. Apportez et donnez-moi cette Croix, et je vous donnerai 6.000 tahégans. » Celui-ci dit: « Gardez votre argent. Je prendrai la Croix, j’irai dans votre pays, j’y choisirai un endroit fortifié, j’y élèverai un village et je lui donnerai mon nom. » Le prince, ayant consenti, s’en alla chez lui. Dzidzarnig envoya sa femme, ses enfants et sa famille auprès du prince des Artchk, et vint faire sa proposition au sacristain. Celui-ci, ayant consenti, déroba la Croix dans la sacristie, et, se rendant dans le pays du prince, il choisit un endroit pour y bâtir une église. On y plaça la sainte Croix du Seigneur et le village fut appelé Dzidzarn. En ce temps-là, le patriarche des Arméniens, Nersès [III], qui était natif de Daïk, et qui construisit l’église de Vagharschaguerd, vint pour rendre hommage à la sainte Croix. Vahan, prenant avec lui le patriarche, vint au couvent de Glag et demanda la sainte Croix. Les serviteurs la cherchèrent et ne la trouvèrent pas. Les princes, le patriarche et les évêques en prirent le deuil, et Vahan, durant sept jours, ne mangea ni ne but. Tandis que le prince Vahan dormait à la porte de l’église, un vendredi, il eut une vision où il vit un homme resplendissant de lumière sur le seuil de l’église qui, se dressant de son côté, lui dit: « On m’a dépouillé pour orner Artchk, or, tenez-vous tranquille, car ce pays est fort et on ne peut pas la dérober. » Celui-ci, plein de joie, s’éveilla et courut avertir le patriarche, en lui disant que la Croix était à Artchk. Tous s’en réjouirent, et le lendemain ils célébrèrent une grande fête, et se préparèrent à se rendre à l’endroit indiqué. Vahan se saisit du religieux qui avait dérobé la Croix, le remit au patriarche, qui lui fit crever les deux yeux pour avoir dérobé [la Croix de l’Eglise] du Saint-Précurseur. Vahan s’empara aussi de la personne de Dzidzarnig et lui trancha la tête. Il exila le prince des Artchk dans l’Oghgan, jusqu’à ce qu’il eût reçu de lui cent mille tahégans. Ensuite il bâtit l’église qui se trouve sur la colline de Mousch, en mémoire de son petit-fils Etienne qui est enterré à la porte [de cette église]. Quant à la Croix, Vahan en fit don à l’évêque des Artchk qui établit sept prêtres dans l’église, pour que chaque année l’un d’eux y demeurât. Puis on stipula que les Arméniens de Daron leur feraient une rente de six mille tahégans.

Cette histoire avait été écrite dans l’église de Dzidzarn, en l’année cent trente de l’ère arménienne (comm. 9 juin 681 de l’ère chrét.), la 427e des Grecs. On écrivit avec fidélité l’histoire qui s’était accomplie et on la renferma dans le couvent de Glag, [dans l’église] du Saint. Précurseur, sur l’ordre de Nersès, 29e patriarche des Arméniens, en commençant par Grégoire, et sous le gouvernement de Vahan le Mamigonien. Il y a eu trente-deux princes de la race des Mamigoniens, en commençant par Mouschegh qui fut prince de Daron pendant 30 ans, et marzban pendant 6 ans.

Sur la mort de Diran, fils de Vahan, et sur le combat [qui fut livré]

sur les bords de la mer d’Aghi (salée).

Après avoir raconté tant de faits historiques, le deuil s’étendit sur notre paisible patrie. Vahan alla rejoindre ses pères, et mourut; il est enterré à la porte de l’église du Saint-Précurseur, après avoir été prince de Daron et des Abahouni, durant trente ans. Son fils Diran se rendit, avec l’autorisation de Vachtyan, prince des Géorgiens, et de Vahan son père, à la cour de Chosroès qui l’adopta comme son fils. Il devint marzban d’Arménie, leva une grande armée et marcha contre les Grecs, comme pour leur déclarer la guerre. Cependant, il envoya dire à l’empereur: « Ne redoutez rien de ma venue, mais donnez-moi une ville où je réunirai les soldats arméniens, et je serai votre auxiliaire. » L’empereur fit avec lui une alliance d’amitié et le reconnut non seulement comme marzban des Arméniens et des Persans, mais encore il le créa timeslégos (domesticos) de toute la Grèce.

Ayant appris cela, Vachtyan, prince des Géorgiens, envoya dire à Chosroès: « Diran vous a trahi et a embrassé le parti des Grecs. Envoyez 8.000 hommes vers Vahan et je le livrerai entre vos mains. » Le roi manda le fils du prince des Géorgiens, Dchodchig, et il le créa marzban; quant au prince de Siounie, il le fit frapper à coups de poing, comme appartenant à une nation de traîtres et de trompeurs. Puis il envoya à Vachtyan 5.000 hommes. Vachtyan écrivit à Diran une lettre ainsi conçue: « Vous vous repentez d’avoir émigré; or, venez me trouver pour que nous arrêtions quelque projet [à présenter] au roi des Perses. » Dès qu’il eut pris connaissance de cette lettre, il arriva le même jour une lettre de Hamam, neveu de Vachtyan, pour lui dévoiler le piège qui lui était tendu, avec des soldats venus de la Perse. Diran écrivit aussitôt une lettre à Vachtyan pour lui représenter tout l’odieux de ses machinations. Vachtyan irrité se fit amener Haman et lui fit couper les pieds et les mains. Puis, s’étant mis à la tête des Perses, il passa le fleuve Tchorokh, se rendit dans la ville de Hamam, appelée Dampour, la réduisit par le fer et par le feu et emmena en captivité les habitants. Le saint évêque de la ville, Manknos, anathématisa le prince qui avait ordonné aux Perses de massacrer les prêtres dans l’église de Sainte-Sion. L’évêque se mit à prier Dieu en silence et annonça que désormais la ville serait ruinée et déserte, et que personne ne pourrait jamais y demeurer. Il se plaça devant l’autel, et on le massacra le jour de la Pentecôte, avant que le sacrifice du Christ fût consommé. Deux jours après, les nuées du ciel éclatèrent et Vachtyan fut brûlé, tandis qu’il s’asseyait près de la porte de la ville de Dampour. Ensuite Hamam rebâtit cette ville et l’appela de son nom, Hamamaschen. La prophétie de Manknos fut accomplie, car trois mille hommes moururent en une seule nuit; les autres prirent la fuite et la ville resta déserte.

La même année, Héraclius déclara la guerre à Chosroès et le tua. Il se souvint de l’alliance signée entre Diran et lui, et l’établit marzban de toute l’Arménie. Quant à lui, il retourna à Constantinople. Huit ans après, Aptrahim (sic), neveu de Mahomet, vint avec beaucoup de bagages et, ayant amené avec lui 18.000 cavaliers, il exigeait le tribut des Arméniens. Diran fit prévenir en tous lieux que l’Arménie tout entière se rassemblait pour soutenir la guerre. Le fils de Vachtyan, prince des Géorgiens, Dchodchig, trouvant l’occasion favorable, excita une révolte en Arménie, alla d’empêcher les habitants [de se rendre à l’appel] de Diran. Diran, en présence de ces événements, prononça devant les 8.000 soldats qui s’étaient spontanément réunis à lui, cette allocution: « O peuple dit Christ! il m’est préférable de mourir, plutôt que de voir l’Eglise de Dieu livrée aux Arabes. » Le lendemain, s’étant rassemblés au pied du Kerkour qui se trouve au sud, ils se groupèrent dans cette plaine depuis le matin jusqu’à la troisième heure. Ils auraient probablement mis en fuite les Arabes, lorsque le prince des Antzévatzi se révolta, déserta l’armée et fit un grand massacre des troupes arméniennes. Diran s’étant par deux fois enfoncé dans la mêlée, rencontra Sahour et lui dit: « Arrête, Sahour l’apostat, car le Christ t’a livré entre mes mains. » Diran trancha la tête de Sahour, et lui-même mourut frappé par le glaive avec deux princes. Aussitôt après, [les Arabes,] ayant cerné l’armée des Arméniens, les massacrèrent tous. Quelques-uns purent s’enfuir et passèrent devant la ville marécageuse d’Otz. Ceux qui furent massacrés par les Perses sont enterrés auprès de la chapelle et on les appelle la sainte armée. Quant à Aptrahim, il passa à Hark, à Pasian, en Géorgie, à Dchakhvakh et à Vanant, et, après avoir levé le tribut, il retourna en Arabie.

La même année, l’église construite dans le couvent des Aschdk par saint Grégoire fut renversée, avec celles du Précurseur aux Neuf-Sources et de Madravank à Daron, la grande cathédrale d’Asdghapert, et celle du patriarche Nersès à Thil dans le canton d’Eghéghiatz. Le marzban est enterré à la porte de la cathédrale à Tzunguerd de Daron, dans la ville de Borb.

Mémorial

Cette chronique [a été] commencée du temps de saint Grégoire par Zénob le Syrien, qui laissa en écrit dans la même église ce qui se passa sur le territoire [des Syriens]. Ses successeurs se plaisent à suivre le même exemple. Chaque supérieur a écrit seulement les actes de valeur accomplis par le prince de cette maison, et les faits arrivés de son temps. Ainsi entretenue et augmentée, [cette chronique] s’appelait l’Histoire des Syriens. En effet, les noms de ses supérieurs, qui tous étaient Syriens, y sont inscrits jusqu’à Thotig, et dans cette demeure on s’est servi également des lettres et de la liturgie syriennes jusqu’à Thotig, qui changea les règlements et chassa du couvent tous les moines de race syrienne.

Cependant je n’ai pas trouvé relaté ce qui s’est passé, depuis Tiridate jusqu’à Chosroès, roi des Perses, dans la satrapie des Mamigoniens. Après, j’ai appris de quelques personnes qu’il y avait dans les environs d’Edesse un religieux appelé Marmara, qui possédait ce livre. Je suis allé le trouver, et j’ai vu le livre qui avait été écrit au couvent des Neuf-Sources. Il l’avait eu de quelque soldat perse ou de quelques autres personnes qui avaient ravagé le pays, et je crois que ce livre était venu dans ces mains par ce moyen. J’ai traduit de ce livre 28 chapitres, qui, avec les 10 chapitres que j’avais déjà et que j’y ai réunis, font 38 chapitres. En réunissant le tout en un seul livre, je l’ai laissé au clergé.

Du temps du règne d’Héraclius et à la mort de Chosroès, d’après l’ordre de Nersès [III], patriarche des Arméniens, et pendant le gouvernement de Vahan le Mamigonien, qu’on appelle Gamsaragan du côté de sa mère, et qui était le 31e [descendant] de Mouschegh le Fort, j’ai écrit ce livre et je l’ai mis en ordre dans le couvent de Glag, à la porte [de l’église] du Saint-Précurseur; [j’y ai apposé] mon sceau pour l’authentiquer, et je l’ai laissé en souvenir ineffaçable pour moi et pour les miens, moi Jean Mamigonien, évêque et 35e [successeur] de Zénob, premier évêque des Mamigoniens, sous le patriarcat de Samuel qui était monté sur le siège [pontifical] depuis 4 mois.

Les religieux qui viendront après ceux-ci devront mettre en écrit dans ce même livre ce qui se passera dans cette contrée, car nous avons trouvé cela ainsi ordonné par nos prédécesseurs. En outre moi, seigneur Jean Mamigonien, évêque, je prie le clergé de Dieu que, quand vous copierez ce livre, personne n’y trouve sujet de rire, mais qu’au contraire on le transcrive complètement et en toutes lettres, car vous en serez bénis par le saint Précurseur, par nos humbles prières pastorales et surtout par le Christ. Dieu payera la récompense à vous qui transcrirez [ce livre], et à vous qui le lirez. Amen.

 


 

[1] Thotig, vingtième abbé du monastère de Sourp Garabed, expulsa tous les Syriens de son église, abolit les règlements qu’avaient faits ses prédécesseurs, et proscrivit même leur langue, en forçant les moines placés sous sa juridiction, à n’employer que l’idiome arménien dans les usages ordinaires de la vie et dans la liturgie de l’Eglise.

[2] Cette notice sur l’ouvrage de Jean Mamigonien a été rédigée d’après celle que le P. Karékin a insérée dans son Histoire de la littérature arménienne (en arm.), p. 316 et suiv.

[3] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. II, ch. 91. Panégyriques de saint Grégoire et Vies des Saints arm., sub nom. Grigoris.

[4] Cf. Vartan, Géographie, dans Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II. p. 430-431.

[5] Cf. Zénob de Glag.

[6] Jean Mantagouni, auteur d’homélies célèbres, dont le texte a été imprimé à Venise, au monastère arménien de Saint-Lazare. Cf. Lequien, Oriens Christ., t. 1, 1380. — Sukias de Somal, Quadro, p. 30. — Karékin, Hist. de la litt. arm., p. 218 et suit.

[7] Cf. sur la fixation de l’ère arménienne les savantes recherches du P. Surmélian (Traité du calend. arm. — Venise, Saint-Lazare, en arm.) qui ont été mises à profit dans l’ouvrage intitulé: Recherches sur la chronologie arménienne (Paris, 1859). — Le point initial de l’ère arménienne est fixé au 11 juillet de l’année 552 de notre ère.

[8] Moïse II, d’Eghivart, dans le canton d’Arakadzodn, occupa le siège patriarcal d’Arménie depuis l’an 551 jusqu’à l’an 581. Moïse, qui était très avancé en âge, avait pris pour coadjuteur Verthanès.

[9] Abraham I, évêque du pars des Reschdouni, originaire du canton d’Abahouni, succéda à Moïse II, et occupa le siège patriarcal de l’an 594 à l’an 600.

[10] Gomidas, successeur de Jean III, né à Aghtsits dans le canton d’Arakadzodn, était évêque de la satrapie des Mamigoniens, quand on l’appela sur le siège pontifical d’Arménie en 617. Il l’occupa jusqu’en 625.

[11] Sébéos, Hist. d’Héraclius, ch. 25.

[12] Montagne de la province d’Ararat. — Cf. Indjidji, Arm anc., p. 406.

[13] Cette défense remontait à saint Grégoire l’Illuminateur, ainsi qu’on peut le voir dans l’Histoire de Zénob de Glag.

[14] Cf. sur cette localité de la province de Douroupéran. Indjidji, Arm. ans., p. 96 et suiv.

[15] Cf. Jean Catholicos, Htst. d’Arm., ch. IX, p. 56- 57 de la trad. fr. de Saint-Martin. — C’était une tradition répandue parmi les Arméniens, que Chosroès I avait adopté le christianisme. Jean Mamigonien attribué par erreur cette conversion à Chosroès II Parviz, fils d’Hormisdas, que Maurice, empereur de Constantinople, aida à reconquérir ses Etats contre l’usurpateur Bahram Tchoubin.

[16] Cf. sur ces événements Théophylacte Simocatta, liv. IV, ch. 3-15; V, 1-13. — Théophane, p. 221 et suiv. — Cédrénus, t. I, p. 395-397, — Zonaras, Annal., t. II, liv. XIV, p. 74-75.

[17] Théoph. Simmoc., liv. VI, ch. 15. — Théophane, p. 244-272. — Cédrénus, t. I. p. 405-420. — Zonaras, Annal., t II. liv. XIV, 82-85.

[18] Cf. Zénob de Glag qui parle de l’érection de ce monument élevé après la bataille gagnée par les arméniens chrétiens sur les idolâtres de Daron.

[19] Nous avons supprimé une longue prière, où les sept religieux offrent leur vie à Dieu en holocauste, peur l’assurer le ciel.

[20] Vartan mentionne, dans sa Géographie, la sépulture de ces sept martyrs (Saint-Martin, Mém., t. II, p. 428-431.

[21] Cf. Indjidji, Arm. anc., p. 108.

[22] Idem

[23] Le mot Gori signifie, en arménien, « un canal, un conduit d’eau. » Nous ne saurions dire si cet ethnique renferme une allusion au passage du fleuve d’Aradzani par les chevaux des soldats perses.

[24] Cf. plus haut, ch. I.

[25] Cf. Indjidji, Arm. anc., p. 108.

[26] Cette forteresse de l’Euphratèse est appelée aussi Cargar. (Cf. St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 193.)

[27] Cf. Indjidji, Arm. anc., p. 109.

[28] Cette phrase forme un jeu de mots en arménien kaïl veut dire « loup » et khaïl, « pas ». Le verbe khaïlel a signification de « aller, marcher ».

[29] L’aïp ou a arménien est négatif comme l’a grec, et sour veut dire « glaive »; or a-sour signifierait donc sans glaive.

[30] Ce chant, qui n’était pas connu jusqu’à présent, et n’a pas encore été signalé par les savants, mérite d’être recueilli. Les chants d’une époque aussi ancienne sont fort rares, et celui-ci est assurément un des plus anciens que nous connaissions.

[31] Quelques mss. orthographient ce mot sous la forme Grehn.

[32] Mogdoun selon plusieurs mss.

[33] Quelques mss. disent par le canal des Mardes.

[34] L’orthographe de ce nom est différente dans tous les mss.; ainsi on trouve les variantes Hedank, Aïdz-san et Aïdzda.

[35] Quelques mss. donnent cet ethnique sous la forme de Gouran.

[36] Quelques mss. orthographient ce nom sous les formes Phatigav, Phantig.

[37] Var. Phoïalig.

[38] Var. Haïrguerd.