Maninigion

ANONYME 

 

LES MABINOGION INTRODUCTION - Le songe de Rhonabwy

Peredur ab Evrawc  - OWEIN et LUNET ou la Dame de la Fontaine
 

Oeuvres numérisées par Marc Szwajcer

 

 

 

LES

MABINOGION

TRADUITS EN ENTIER POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS

UN COMMENTAIRE EXPLICATIF ET DES NOTES CRITIQUES

PAR

J. LOTH

 

PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES DE RENNES

LAURÉAT DE L'INSTITUT

MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ DES Cymmrodorion

TOME PREMIER

PARIS

ERNEST THORIN, ÉDITEUR

LIBRAIRE DU COLLÈGE DE FRANCE, DE L'ÉCOLE NORMALE SUPERIEURE,

DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME,

DE LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES HISTORIQUES.

7, RUE DE MÉDICIS, 7

1889


 

INTRODUCTION

 

On entend par Mabinogion un certain nombre de récits en prose, merveilleux ou romanesques, de nature et d'origine diverses. La collection la plus importante de ces Mabinogion se trouve dans le célèbre manuscrit connu sous le nom de Livre Rouge à cause de la couleur de sa couverture. Ce manuscrit, aujourd'hui la propriété du collège de Jésus, à Oxford, est une sorte de corpus de la littérature galloise. Il se compose de 362 folios de parchemin, à deux colonnes, et remonte, en grande partie, à la fin du quatorzième siècle. Lady Charlotte Guest a publié, pour la première fois,[1] en entier, en 1838, le texte et la traduction de ces Mabinogion, avec des notes explicatives, en laissant de côté ceux qui n'étaient que des traductions de romans français. Quelques-uns avaient, déjà été publiés séparément. Le Mabinogi de Pwyll avait paru avec une traduction dans le Cambrian register. I, p. 177 (1795 et 1796) ; le texte et la traduction avaient été reproduits dans le Cambro-Briton, II, p. 271 et suiv. (1821). Il est assez curieux de constater que les mêmes passages ont été supprimés dans cette traduction et dans celle de lady Guest. Le Mabinogi de Math, fils de Mathonwy, avait paru avec traduction dans la Cambrian Quarterly (lady Guest, Mab., III, p. 253). Le Greal avait donné seulement le texte du songe de Maxen Wledic en 1806, p. 289. L'aventure de Lludd et Llevelys se trouvait déjà insérée dans le Brut Tysilio et le Brut Gruffydd ab Arthur publiés par la Myvyrian Archaeology of Wales. Une version du même récit avait aussi paru dans le Greal, provenant d'une source différente d'après lady Guest. Le rév. Peter Roberts en avait donné une traduction dans The Chronicle of the Kings of Britain. Le texte gallois sur lequel repose la traduction de lady Guest est une copie du texte des Mabinogion du Livre Rouge faite par un littérateur gallois, John Jones, plus connu, comme la plupart de ses compatriotes, par son pseudonyme de Tegid. La traduction de lady Guest est une œuvre remarquable, faite avec une grande conscience, témoignant d'une rare pénétration d'esprit ; mais l'auteur a eu à lutter non seulement contre les obscurités du texte, mais encore contre les défectuosités de la copie qu'elle avait sous les yeux. Il est visible en maint endroit que l'auteur ne se sent pas sur un terrain bien sûr ; l'expression parfois est flottante et le même mot traduit différemment suivant le contexte. Là où les dictionnaires hésitent ou ne lui fournissent aucune lumière, lady Guest n'a pas toujours été bien inspirée. Il eût fallu sur le texte un travail critique préparatoire qui lui a forcément manqué. La traduction corrige néanmoins le texte en maint endroit ; le commentaire qui l'accompagne est précieux pour l'intelligence des traditions galloises ; en somme, c'est une œuvre dont l'apparition marque une ère nouvelle dans l'histoire de la littérature galloise et l'étude des traditions bretonnes.

Outre un certain nombre d'erreurs et d'inexactitudes dues au texte et à l'état imparfait des dictionnaires, la traduction de lady Guest présente des inexactitudes et des lacunes volontaires. Elle a supprimé les passages qui lui paraissaient scabreux ou choquants, et singulièrement atténué des crudités de langage et des brutalités de mœurs qui sont cependant loin d'être sans intérêt et sans importance pour l'histoire et la critique. Ces scrupules sont d'autant plus excusables que lady Guest considérait les Mabinogion comme destinés à l'amusement et à l'édification de la jeunesse, en particulier de ses deux enfants auxquels sa traduction est dédiée, mais il n'en est pas moins résulté que le caractère véritable des récits gallois en a été, dans une certaine mesure, sérieusement altéré.

Si ces raisons, sans parler du prix élevé de l'ouvrage de lady Guest, ne suffisaient pas à justifier un nouvel essai de traduction, l'apparition, en 1887, d'une nouvelle édition[2] du texte gallois des Mabinogion, œuvre de MM. John Rhys et J. Gwenogfryn Evans, en démontrerait l'opportunité, et, jusqu'à un certain point, la nécessité. Nous possédons désormais un texte sûr, une reproduction exacte des Mabinogion du Livre Rouge, jusque dans les plus petits détails et dans leurs moindres défauts. La tâche du traducteur n'en reste pas moins singulièrement lourde ; c'est, en effet, une édition diplomatique des Mabinogion et non une édition critique. Or, à part quelques fragments, la source des Mabinogion, jusqu'ici édités,[3] est unique ; on n'a pas la ressource des variantes. Avant d'entreprendre ma traduction, j'ai dû, en quelque sorte, faire pour mon usage une édition critique du texte gallois. La méthode que j'ai employée est celle qui a renouvelé l'intelligence des textes latins et grecs ; je me suis appliqué à éclairer les Mabinogion par eux-mêmes, chaque expression ou terme obscur ou douteux, autant que possible, par les passages correspondants soit des Mabinogion, soit des textes en prose et même en vers de la même époque. Des notes critiques, que l'on trouvera à la fin de cet ouvrage, renvoyant à la page et à la ligne du texte gallois de Rhys-Evans, et à la page de ma traduction, indiquent les corrections au texte ou mes hésitations, avec les différences qui me séparent de lady Guest. Pour la traduction, j'ai voulu la rendre aussi lisible que possible, sans rien sacrifier de l'exactitude que l'on est en droit de demander avant tout à un traducteur. En fait de traduction, littéral n'est pas synonyme d'exact. Traduire, par exemple, myned a orug par aller il fit serait aussi peu exact que de décomposer donnerai en ai à donner. Ce qu'on a appelé la naïveté où la simplicité des conteurs gallois ne m'a guère préoccupé non plus. Outre que n'est pas naïf qui veut, ce serait prêter aux auteurs ou arrangeurs de ces récits une qualité à laquelle ils n'avaient aucun droit et, vraisemblablement, aucune prétention.

Il ne faut pas regarder en effet les Mabinogion comme des récits écrits sous la dictée d'un homme du peuple. Si leur source a été, jusque dans une certaine mesure, populaire ou pour mieux dire nationale, ce sont, tels qu'ils nous sont parvenus, des œuvres de lettrés, écrites ou mises en ordre, comme je le montre plus bas, pour la classe des lettrés. Ce qu'on a pris pour de la naïveté est une certaine négligence et familiarité de style qui s'explique facilement par la provenance orale de ces récits et surtout par le fait qu'à l'époque de la rédaction des Mabinogion la langue de la littérature était surtout la poésie. Poétique et remarquablement imagée dans l'expression, la langue des Mabinogion est d'une trame un peu lâche dans la contexture du récit ; les répétitions ne sont pas rares, surtout, il est vrai, dans les romans de Gereint et Enid, d'Owein et Lunet, et de Peredur ; la période par juxtaposition se présente à chaque instant. Cette prose des Mabinogion avec ses brillantes qualités poétiques et ses gaucheries de construction est loin assurément de la perfection qu'elle atteindra au dix-huitième siècle avec le Bardd Cwsg d'Elis Wynn,[4] dont la langue a la vivacité d'allures, l'intensité d'images de la meilleure poésie, et la netteté de la meilleure prose. Elle n'a pas non plus la précision philosophique et la structure nerveuse de la langue des Lois et surtout peut-être des Lois de Gwynedd ou Nord-Galles dans leur manuscrit le plus ancien, qu'Aneurin Owen, dans son édition d'ailleurs si recommandable, a maladroitement alourdi par de prétendues variantes complémentaires introduites dans le texte et, qui ne font que défigurer la plupart du temps l'œuvre primitive.[5] S'il y a une impression que ne donne pas la littérature galloise du moyen âge, c'est bien la naïveté et la simplicité : la langue des poètes gallois, par exemple, témoigne d'une culture raffinée ; elle est aussi intraduisible en français que du Pindare.

Ce qui a le plus contribué à donner aux Mabinogion un vernis de naïveté, sans parler de l'étrangeté et du merveilleux des récits, c'est le titre lui-même de Mabinogion auquel on a attribué le sens de contes d'enfants. Le mot dérive en effet de mab, fils, mais mab s'applique aussi bien à un jeune homme qu'à un enfant. D'ailleurs mabinogi est dérivé immédiatement de mabinog, terme qui désigne, comme l'a très justement remarqué M. Rhys dans sa préface aux Mabinogion, un apprenti littérateur, un étudiant de la section de poésie, un aspirant barde. Le barde qui avait ses grades, dont la science avait été reconnue officiellement, devait prendre avec lui trois disciples ou mabinogion ou mebinogion : avant de pouvoir se présenter aux concours poétiques qui leur donnaient, après trois victoires, le titre de barde à chaire, ils avaient à passer par trois degrés dont les noms nous sont connus et pour chacun desquels il fallait.des connaissances spéciales. Les études du mabinog comprenaient : l'étude approfondie de la langue galloise : orthographe, syntaxe, formation et dérivation ; la connaissance des mètres gallois : allitération, consonance, pieds, strophes, avec des compositions originales ; l'étude des généalogies, des droits, des coutumes et de l'histoire des Gallois. Après avoir gagné le prix de poésie dans trois concours publics, le mabinog devenait barde à chaire et pouvait enseigner à son tour et prendre avec lui des mabinogion.[6] Les récits portant le nom de mabinogion formaient donc une partie importante du bagage littéraire du mabinog ou mebinog.

Il n'y a, dans la collection que je traduis que quatre récits qui portent le titre de Mabinogion dans le texte gallois : ce sont les romans de Pwyll, prince de Dyvet (le moins original des quatre), de Manawyddan, fils de Llyr, de Branwen, fille de Llyr, de Math, fils de Mathonwy. Ces quatre récits appartiennent au cycle gallois le plus ancien et sont sans doute un reste du patrimoine commun aux Gaëls et aux Bretons. Arthur n'y paraît pas. Le songe de Ronawby, le songe de Maxen Wledic, sont des compositions purement littéraires, qui ne manquent pas d'originalité, la première surtout : l'auteur ou le héros du récit s'endort et, en rêve, il est transporté au temps d'Arthur ; il assiste au défilé des troupes du héros dont il dépeint l'aspect et l'équipement avec une remarquable richesse et précision de détails : le cadre est habilement choisi et l'idée maîtresse véritablement originale. L'aventure de Lludd et Llevelys paraît appartenir au passé légendaire des Bretons ; c'est une sorte de triade développée. Les traducteurs gallois de Gaufrei de Monmouth, dans le Brut Tysylio et le Brut Gruffydd ab Arthur (nom gallois de Gaufrei), l'ont insérée dans leur histoire, et il est assez singulier qu'elle manque dans l'œuvre de Gaufrei. Kulhwch et Olwen me semblent occuper une place à part dans les Mabinogion, C'est une œuvre de transition, dans la mise en œuvre des matériaux comme dans l'esprit qui l'anime. Ce qui frappe tout d'abord, c'est la préoccupation constante de l'auteur de faire partout dominer la figure du héros national des Bretons d'Angleterre et de France, Arthur. Il fait apparaître aussi à sa cour beaucoup de personnages qui appartiennent à d'autres cycles, par exemple, Manawyddan, Gwydion ab[7] Don, Lludd Llaw Ereint, Gwynn ab Nudd, etc. Les chiens qui doivent tuer le monstre Yskithyrwynn Penbeidd sont ceux de Glythmyr : l'auteur fait accomplir cet exploit par le chien d'Arthur, Cavall. Arthur apparaît partout, tout se fait par lui ou par Kei. Si ce n'est pas encore le roi de la Table Ronde, il a à côté de lui des compagnons frottés de civilisation française. Ils sont choqués à la pensée qu'il va se colleter avec la sorcière : ce ne serait pas convenable. Ils trouvent aussi, qu'il est au-dessous de lui d'aller à la recherche de certains objets de trop mince importance, et le renvoient poliment à sa cour de, Kelliwic, en Kernyw (Cornouailles). Ses officiers commencent à rougir de certains emplois qui leur paraissent compromettants pour eux et de nature à faire tort à la réputation de générosité d'Arthur : Glewiwyt fait remarquer qu'il veut bien faire les fonctions de portier au premier de l'an, mais que le reste de l'année ce sont ses subordonnés qui remplissent ce rôle : trait de mœurs remarquable qui se retrouve dans le récit d'Owen et Lunet : Glewiwyt fait l'office de portier ou plutôt d'introducteur des étrangers, mais de portier en réalité, il n'y en avait point. Il semble bien en ressortir que le remaniement de Kulhwch est contemporain de celui d'Owein et Lunet, par conséquent du douzième siècle. Dans un curieux poème du Livre Noir de Caermarthen, document de la fin du douzième siècle, Glewlwyt se présente au contraire nettement comme portier. Kei a encore les traits du guerrier redoutable, de l'être fabuleux que nous présentent le Livre Noir et certaines poésies de la Myvyrian Archaeology of Wales., mais il a déjà une tendance à gaber qui se développera pour son malheur dans les romans français.

Avec certains personnages et certains traits de mœurs, nous sommes en revanche brusquement ramenés au plus lointain passé des Bretons et des Gaëls, comme on le verra par les notes. Le narrateur semble avoir voulu concilier les traditions païennes avec l'esprit chrétien : Nynniaw et Pebiaw ont été transformés en bœufs pour leurs péchés. Le porc Trwyth est un prince que Dieu a puni en le mettant sous cette forme. Le conteur a été visiblement embarrassé pour Gwynn ab Nudd. Gwynn, comme son père Nudd, est un ancien dieu des Bretons et des Gaëls (v. plus loin la note sur ce personnage). Les prêtres chrétiens en avaient fait un démon. Le peuple s'obstinait à le regarder comme un roi puissant et riche, le souverain des êtres surnaturels. Notre auteur a eu une idée originale ; il l'a laissé en enfer où le christianisme l'avait fait définitivement descendre pendant que son père Nudd conservait une place honorable dans l'Olympe chrétien, mais pour un motif des plus flatteurs pour lui : Dieu lui a donné la force des démons pour les dominer et les empêcher de détruire les hommes de ce monde : il est indispensable là-bas. On surprend d'ailleurs parfois chez l'auteur, notamment dans les épithètes, une pointe de malice. Les dieux ou héros qui ne s'étaient pas trop compromis dans l'Olympe païen ou qu'il eût été inutile et dangereux de noircir dans l'esprit des populations bretonnes christianisées, ont en général été convertis et ont passé, en Galles, au rang des saints. Aussi la liste en est-elle interminable. Pout tout abréger, On les a divisés en trois grandes catégories : ils descendent tous, soit de Kaw d'Ecosse, soit de Cunedda, soit de Brychan. Notre conteur donné lui aussi l'énumération des fils de Kaw qu'il a introduits à la cour d'Arthur ; parmi eux nous trouvons Neb, fils de Kaw, c'est-à-dire Quelqu'un ou mieux N'importe qui, fils de Kaw ! Le récit présente des incohérences, des lacunes, en un mot des traces irrécusables de remaniement. Les trois romans d'Owein et Lunet, de Gereint et Enid, de Peredur ab Evrawc nous transportent dans un monde tout différent : mœurs, langage, culture, tout porte la marque de la civilisation française. La géographie de ces romans est vague ; on sent qu'on n'a plus affaire à des Gallois parlant des traditions de leurs pays. Ces Mabinogion, pour employer un terme peu exact mais commode, remontent à la même source que les trois romans français correspondants du Chevalier au Lion, d’Erec et Enid et de Perceval le Gallois, œuvres de Chrétien de Troyes qui florissait au milieu du douzième siècle. L'Ivain ou le Chevalier au Lion, de Chrétien, a été publié, d'après un seul manuscrit de la Bibliothèque nationale, par lady Guest à la suite du Mabinogi d'Owein et Lunet, mais d'une façon tellement défectueuse que le poème est presque illisible. Il a été publié deux fois depuis par M. Holland (Hanovre, 1861 et 1880).[8] L'imitation allemande d'Hartmann d'Aue a été souvent imprimée. Le poème de Chrétien a été traduit en anglais et publié par Ritson (Ancient English metrical romances, I, p. 1-169) sous le titre d'Ywain et Gawain. Il y en a une version Scandinave intéressante qui a servi de base à un poème suédois. Elle a été publiée et comparée avec le poème français par M. E. Kölbing (Riddarasögur, p. v-xxxvii, 73-136).[9] Erec et Enid a été publié par Imm. Bekker dans le tome X de la Zeitschrift fur Deutsches Alterthum, d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale. Il y en a une version souvent imprimée d'Hartman d'Aue. La Saga norvégienne d'Erec a été publiée et comparée avec l'original français par M. Cederschiöld (Erec Saga).[10] Un érudit belge, M. Potvin, a publié à Mons, en six volumes, de 1868 à 1871, le poème laissé inachevé par Chrétien, trois des continuations successives, l'analyse avec de nombreux extraits d'une quatrième, enfin un roman en prose inachevé.[11] Le Parzival de Wolfram d'Eschenbach est la plus célèbre des imitations de ce roman ; l'auteur n'a connu que l'œuvre de Chrétien. Le Perceval, borné à l'œuvre de Chrétien, a été traduit en norvégien. Cette saga a été publiée par M. E. Kölbing (Riddarasögur, i-iv, 1-71). Un poème anglais, publié par Ritson, Sir Parcevell, et, en 1844, par M. Halliwell, nous présente, suivant la remarque de M. Gaston Paris,[12] un récit plus simple, moins altéré et plus ancien, sans doute, que le Mabinogi de Peredur et le poème de Chrétien. Les trois Mabinogion ne sont pas plus traduits de Chrétien que les poèmes de Chrétien ne sont traduits ou imités d'eux. Ils remontent tous à une source commune, c'est-à-dire à des romans français écrits en Angleterre et reposant sur des légendes bretonnes ; les originaux ont disparu et nous n'en avons conservé que des imitations mutilées.[13] Ce serait peut-être s'avancer trop que d'affirmer que les trois Mabinogion sont traduits littéralement du français, mais il est bien évident qu'ils serrent de près une source française. Quant au fonds primitif de ces récits, on admet généralement qu'il est d'origine celtique.[14] Les légendes celtiques du pays de Galles ont été de bonne heure connues par les Normands après la conquête anglaise. Dès la fin du onzième siècle, ils avaient pris possession d'une partie du sud. Sur les marches, à l'est, ils ont été, dès leur installation en Angleterre, en contact avec les Gallois. L'aristocratie française recherchait fort les alliances avec les Gallois encore à peu près indépendants, tandis que les Saxons étaient courbés sous le joug, principalement peut-être à cause de l'auréole de noblesse et d'ancienneté qui s'attachait, dans les légendes, à la race bretonne. David, fils d'Owain de Gwynedd, épouse une sœur du roi Henri II ; Llewelyn ab Iorwerth, roi de Gwynedd, épouse Jeanne, sœur du roi Jean ; Gerald de Windsor, épouse Nest, fille de Rhys ab Tewdwr ; Bernard de Newmarch épouse Nest, fille de Trahearn ab Caradoc ; Robert Fitzhamon, Nest, fille de Iestin ab Gwrgant ; John de Breos, Margaret, fille de Llewelyn ab Iorwerth ; Reynold de Bruce, une autre des filles de ce chef ; Gruffydd, fils de Rhys se marie à Matilda, fille de William de Breos ; son frère, Rhys Gryg, à une fille du comte de Clare ; Kadwaladr ab Gruffydd ab Kynan, à une fille de Gilbert, comte de Clare,[15] etc. Une autre source de transmission des légendes bretonnes a été la Bretagne, armoricaine. Sans parler de la communauté d'origine et des incessantes relations des émigrés bretons avec l'ile mère, notamment avec la Cornouaille anglaise, il y avait eu une nouvelle émigration de Bretons armoricains en Angleterre au commencement du dixième siècle, émigration considérable, mais qui, pour beaucoup des émigrants, ne fut pas définitive.[16] Le chef gallois Rhys ab Tewdwr, forcé de s'exiler, séjourna en Armorique, et même, suivant, une tradition sur l'ancienneté de laquelle on n'est pas fixé, en aurait rapporté le système bardique de la Table Ronde.[17] Les trois Mabinoyion d'Owein et Lunet, de Peredur ab Evrawe, de Gereint et Enid ont été traduits en allemand par Schulz (San-Marte) et eu français par M. de la Villemarqué ; mais, comme l'a très justement remarqué Stephens,[18] M. de la Villemarqué n'a fait que traduire la traduction anglaise de lady Guest, et il a complètement oublié d'en avertir le lecteur.[19]

Quelle est la date de la rédaction des Mabinogion ? Ont-ils été mis sens la forme que nous leur connaissons, au quatorzième siècle seulement, c'est-à-dire à l'époque où a été écrit le Livre Rouge, ou les copistes avaient-ils sous les yeux des manuscrits plus anciens ?

Il est sûr, par certaines fautes des copistes (u pour w, v, u ; t = dd, etc.), qu'ils copiaient un manuscrit plus ancien que la seconde moitié du quatorzième siècle, probablement de la même époque que le Liber Landavensis, ou plutôt le manuscrit le plus ancien des lois de Gwynedd, un manuscrit, par conséquent, de la fin du douzième, ou du commencement du treizième siècle. On rencontre aussi, çà et là, des archaïsmes que les copistes du quatorzième siècle n'ont évidemment pas compris. D'ailleurs, les Gallois possèdent, dans des manuscrits du treizième siècle, des fragments considérables des Mabinogion. Dans l'ensemble, les Mabinogion me paraissent avoir été écrits à la fin du douzième siècle. Le Songe de Rhonabwy ne peut être antérieur au milieu du douzième siècle, l'aventure se passant du temps de Madawc ab Maredudd, prince de Powys, qui mourut en 1159. Il paraît avoir été bientôt populaire, car Madawc Dwygraig (1260-1340) dit qu'il n'est qu'un rêveur comme Ronabwy (Myv. arch., p. 322, col. 1). Dans Kulhwch et Olwen il est fait mention d'Alan Fergan, évidemment Alain Fergent, duc de Bretagne de 1084 à 1119. Le terme de Gwales en Pembroke, dans le Mabinogi de Branwen, ne peut être antérieur au commencement du douzième siècle. La version du Livre Rouge de Lludd et Llevelys.se rattache étroitement à celle qui se trouve dans le Brut de Gruffydd ab Arthur, et est incontestablement postérieure, dans sa rédaction, à l'œuvre de Gaufrei de Monmouth (v. plus loin, note 2 de ma traduction française de Lludd et Llevelys).

Le Songe de Maxen porte des traces irrécusables de l'influence de Gaufrei.[20] D'un autre côte, la géographie politique des Mabinogion ne nous permet pas de mettre la composition de ces récits plus tard que le treizième siècle. C'est ainsi que les Etats de Pwyll ne comprennent que sept cantrevs ; or si Dyvet n'en avait que sept au douzième siècle, comme le dit Girald. Cambr. (Itiner., I, 12), au treizième, il en comptait huit au témoignage de la Myv. arch. (2e éd., p. 737). Le Mabinogi de Math ab Mathonwy attribue sept cantrevs à Morganhwc, auquel la Myv. arch. n'en donne que quatre (Myv., p. 737). Or c'est là exactement l'étendue du royaume de Iestin ab Gwrgan, qui régna de 1083 à 1091 (v. plus loin, note 3 de ma traduction française de Math). Math donne à Llew Llaw Gyffes le cantrev de Dinodic, et l'auteur ajoute que cette division porte de son temps les noms d'Eiwynydd et d'Ardudwy (traduction française). La rédaction que glose le copiste du quatorzième siècle nous reporte donc avant les statuts de Rothelan, par lesquels Edouard Ier remania, en 1284, les divisions administratives du pays de Galles. Avant cette époque, Dinodig était un cantrev subdivisé en deux Kymmwd, Eiwynydd et Ardudwy. Dans les statuts, le cantrev de Dinodig est supprimé, et il est, au contraire, établi deux Kymmwd : celui d'Eiwynydd, passant sous la domination du vicomte de Caernarvon, celui d'Ardudwy, sous celle du vicomte de Merioneth (Ancient laws, II, p. 908). Le Livre Noir qui est de.la fin du douzième siècle, les poèmes de la Myv. du douzième et du treizième siècle, le Livre de Taliesin, qui est du treizième, présentent des passages qui paraissent inspirés des Mabinogion de source purement galloise. Si la rédaction des Mabinogion est du douzième siècle, dans son ensemble, avec un certain nombre d'interpolations du quatorzième, il ne s'ensuit pas naturellement que les légendes qui en font l'objet ne soient pas antérieures à cette époque. Elles plongent, au contraire, dans le plus lointain passé de l'histoire des Celtes, en partie jusqu'à la période même de l'unité des Gaëls et des Bretons. L'épisode de la chasse du porc Trwyth se trouve déjà dans Nennius, dans une partie, il est vrai, de l'œuvre mise sous ce nom, qui n'appartient probablement pas au noyau primitif de la compilation.[21]

Le dialecte des Mabinogion est celui du sud du pays de Galles.[22] On ne connaît avec sûreté le nom d'aucun auteur des Mabinogion. Les Iolo mss.[23] donnent bien un certain Ieuan ap y Diwlith comme un auteur de mabinogion, mais il est probable qu'il ne vivait pas à la fin du douzième siècle, comme le prétendent les biographes gallois ; il était, en effet, fils de Rhys ah Rhiccert qui vivait vraisemblablement au quatorzième siècle. Stephens[24] croit, avec raison, qu'il florissait vers 1380. Un personnage beaucoup plus important, c'est le Bledhericus de Giraldus Cambrensis : famosus ille Bledhericus fabulator qui tempora nostra paulo praevenit, Thomas, qui écrivait en Angleterre vers 1170, auteur d'un roman de Tristan, dont il nous reste un fragment considérable, embarrassé par la variété des récits que colportaient les conteurs, fait appel pour appuyer la version qu'il choisit, peut-être qu'il invente, à l'autorité de Bleri (Bledri) :

Seigneurs, cest cunte est mult divers…

Entre cels qui soient cunter

E del cunte Tristran parler,

Il en cuntent diversement,

Oï en ai de plusur gent ;

Asez sait que chescun en dit,

Et ço qu'il unt mis en escrit.

Mes sulum ço que j'ai oï

Nel dient pas solum Breri,

Ky solt les gestes é les cuntes

De toz les reis, de toz les cuntes

Ki orent esté en Bretaingne.[25]

Il y a eu un Bledri nommé évêque de Llandaf en 983,[26] célèbre par son savoir et son zèle pour l'instruction. Il semble que ce personnage ait été confondu avec deux autres fort différents : Blegobred ou Blegabred, personnage fabuleux, roi des chanteurs et des poètes dont parle Gaufrei de Monmouth (Hist., III, 19), et Blegywryd, archidiacre de Llandaf, jurisconsulte et savant éminent, qui fut chargé par Rowel Da de la rédaction du code de lois qui portent son nom.[27] Les Iolo mss. le qualifient de mebydd[28] de Llandaf.

Le commentaire naturel des Mabinogion se trouve surtout dans les Triades, sortes de mémentos du passé mythologico-historique des Bretons. La Triade est un lit de Procuste, où les lettrés ont fait entrer de force, trois par trois, les personnages et les choses du passé. Nul doute que cette méthode n'ait beaucoup contribué à fausser les traditions bretonnes, mais elle a eu l'avantage d'aider la mémoire. Les Triades servaient sans doute, comme les Mabinogion, à l'enseignement bardique : tous les poètes gallois du douzième au seizième siècle en sont littéralement nourris ; les noms qui y figurent leur sont aussi familiers qu'aux poètes grecs les noms des dieux et des héros de l'épopée homérique. On possède plusieurs versions des Triades, mais elles paraissent remonter en somme à trois sources : de l'une dérivent les Triades du Livre Rouge, celles d'un manuscrit de Hengwrt, du treizième-quatorzième siècle, publiées dans le Cymmrodor, VII, part. ii, p. 99, p. 126, par M. Egerton Phillimore, et celles de la Myv. arch., p. 395-399, jusqu'au n° 60 ; la seconde a donné les Triades imprimées par Skene, en appendice, dans le tome II, p. 456 de ses Four ancient books of Wales, d'après un manuscrit du quatorzième siècle, et celles de la Myv. arch., p. 388 ; une troisième a produit les Triades imprimées dans ce même recueil de la Myv. arch. de la page 400 à la page 417 ; il y en a 126 sur les 300 que contenait l'œuvre primitive ; l'extrait de la Myv. arch. a été fait en 1601 sur le livre de Jeuan Brechva, qui est mort vers 1500 environ, et sur un autre manuscrit appelé très improprement le livre de Caradoc de Lancarvan, plus récent, probablement, que le premier. Ce sont donc les plus récentes de toutes ; ce sont elles qui ont aussi subi le plus de remaniements. En revanche elles sont moins laconiques que les autres, et en forment parfois comme le commentaire. Malgré des additions et des arrangements postérieurs, les Triades doivent dater, dans l'ensemble, de la fin du douzième siècle. Elles sont d'accord avec les Mabinogion et les citations des poètes de cette époque. Le fragment des Triades des chevaux du Livre Noir est de la même source que les Triades des chevaux du Livre Rouge, et celles-ci n'en sont pas une copie. Si les Triades ont une valeur historique des plus contestables, quoiqu'on y trouve l'écho d'événements certains sur lesquels l'histoire est muette, elles n'en sont pas moins très précieuses au point de vue de la mise en œuvre par les lettrés des légendes et traditions des Bretons, précisément à l'époque où s'écrivaient les Mabinogion, ce qui, pour nous, en double le prix. Les Iolo mss.,[29] au point de vue légendaire, sont intéressants aussi à consulter. Pour l'histoire du Glamorgan, les divisions territoriales des pays bretons d'Angleterre, ils ont même une valeur historique sérieuse. J'ai dépouillé aussi la partie la plus considérable des poésies galloises jusqu'au quinzième siècle. Les documents purement historiques ne peuvent pas être d'un grand secours pour l'interprétation de compositions purement romanesques ou légendaires. Je n'ai pas cependant négligé de les consulter à l'occasion. L'influence de Gaufrei de Monmouth se fait sentir dans un certain nombre de triades, mais, en somme, assez peu dans les Mabinogion. A l'occasion, j'ai renvoyé à ses écrits. On trouvera aussi en note quelques comparaisons avec les mœurs et les personnages de l'épopée irlandaise ; lorsqu'elle sera mieux connue, il se pourrait, qu'elle nous livrât la clef d'une partie des origines de la légende bretonne, ou qu'elle nous servit grandement à en reconnaître et fixer les traits primitifs.

Pour les noms propres, suivant l'exemple de MM. Rhys et Evans, j'ai adopté un compromis entre l'orthographe des Mabinogion et l'orthographe moderne. La spirante dentale sonore (à peu près le th doux anglais) est exprimée dans les Mabinogion par d ; je lui ai substitué partout le dd moderne, afin qu'on ne la confondît pas avec d. J'ai adopté aussi partout v au lieu de f = v que donnent les Mabinogion à la fin des mots, et qui est exclusivement en toute position en usage aujourd'hui. Les autres signes orthographiques sont ceux du gallois moderne : w = ou français, comme consonne = w anglais ; u exprime un son intermédiaire entre u et i français ; y dans les monosyllabes accentués, et la dernière syllabe des polysyllabes = i ; ailleurs, il est, en général, équivalent à notre e muet français ; ch a la valeur du c'h breton (spirante gutturale sourde) ; th, spirante dentale sourde, est analogue au th dur anglais ; r, au commencement des mots, est une sourde, les Gallois l'expriment maintenant par rh ; ll est une sourde aussi : on peut prononcer ce son en pressant la langue contre le palais, au-dessus des dents, et en expirant fortement l'air des deux côtés, mais plus du côté droit. J'ai donné les épithètes, même quand le sens en était certain, en gallois, quitte à les traduire en note : l'épithète est souvent plus significative et plus tenace que le nom. La forme galloise des noms peut servir parfois d'indice et de point de repère dans l'étude de l'évolution des traditions bretonnes chez les autres peuples du moyen âge.

 


 

Le songe de Rhonabwy

 

Madawc, fils de Maredudd,[30] était maître de Powys dans toute son étendue, c'est à-dire depuis Porfordd jusqu'à Gwauan, au sommet d'Arwystli.[31] Il avait un frère qui n'avait pas une aussi haute situation que lui, Iorwerth, fils de Maredudd. Iorwerth fut pris d'un grand chagrin et d'une grande tristesse en considérant l'élévation et les grands biens de son frère, tandis que lui-même n'avait rien. Il réunit ses compagnons et ses frères de lait, et délibéra avec eux sur ce qu'il avait à faire dans cette situation. Ils décidèrent d'envoyer quelques-uns d'entre eux réclamer pour lui des moyens de subsistance. Madawc lui proposa la charge de penteulu[32] et les mêmes avantages qu'à lui-même en chevaux, ormes, honneurs. Iorwerth refusa, s'en alla vivre de pillages jusqu'en Lloeger, et se mit à tuer, à brûler, à faire des captifs. Madawc et les hommes de Powys tinrent conseil et décidèrent de charger oent hommes par trois Kymwt en Powys de se mettre à sa recherche. Ils estimaient autant la plaine de Powys,[33] depuis Aber Ceirawc[34] en Allictwnver[35] jusqu'à Ryt Wilvre[36] sur Evyrnwy,[37] que les trois meilleurs Kymwt du pays. Aussi ne voulaient-ils pas que quelqu'un qui n'avait pas de biens, lui et sa famille, en Powys, en eût dans cette plaine.

Ces hommes se divisèrent en troupes à Nillystwn Trefan,[38] dans cette plaine. Il y avait à faire partie de cette recherche un certain Rhonabwy. Il se rendit avec Kynnwric Vrychgoch,[39] homme de Mawddwy, et Kadwgawn Vras,[40] homme de Moelvre en Kynlleith,[41] chez Heilyn Goch,[42] fils de Kadwgawn fils d'Iddon. En arrivant près de la maison, ils virent une vieille salle toute noire, au pignon droit, d'où sortait une épaisse fumée. En entrant, ils aperçurent un sol plein de trous, raboteux. Là où le sol se bombait, c'est à peine si on pouvait tenir debout, tellement il était rendu glissant par la fiente et l'urine du bétail. Là où il y avait des trous, on enfonçait, jusque par-dessus le cou de pied, au milieu d'un mélange d'eau et d'urine d'animaux. Sur le sol étaient répandues en abondance des branches de houx dont le bétail avait brouté les extrémités. Dès l'entrée, le sol des appartements s'offrit à eux poussiéreux et nu. D'un côté était une vieille en train de grelotter ; lorsque le froid la saisissait trop, elle jetait plein son tablier de balle sur le feu, d'où une fumée qui vous entrait dans les narines et qu'il eût été difficile à qui que ce fût de supporter. De l'autre côté était jetée une peau de veau jaune. C'eût été une bonne fortune pour celui d'entre eux qui aurait obtenu de s'étendre sur cette peau.

Lorsqu'ils furent assis, ils demandèrent à la vieille où étaient les gens de la maison. Elle ne leur répondit que par des murmures. Sur ces entrefaites entrèrent les gens de la maison : un homme rouge, légèrement chauve, avec un reste de cheveux frisés, portant sur le dos un fagot ; une petite femme, mince et pâle, ayant elle aussi une brassée de branchages. Ils saluèrent à peine leurs hôtes et se mirent à allumer un feu de fagots ; la femme alla cuire et leur apporta leur nourriture : du pain d'orge, du fromage, et un mélange d'eau et de lait. A ce moment survint une telle tempête de vent et de pluie, qu'il n'eût été guère facile de sortir, même pour une affaire de première nécessité. Par suite de la marche pénible qu'ils avaient faite, les voyageurs ne s'en sentirent pas le courage et allèrent se coucher. Ils jetèrent les yeux sur le lit : il n'y avait dessus qu'une paille courte, poussiéreuse, pleine de puces, traversée de tous côtés par de gros branchages ; toute la paille, plus haut que leurs têtes et plus bas que leurs pieds, avait été broutée par les bouvillons. On avait étendu dessus une sorte de couverture de bure, d'un rouge pâle, dure et usée, percée ; par-dessus la bure, un gros drap tout troué ; sur le drap, un oreiller à moitié vide, dont la couverture était passablement sale. Ils se couchèrent. Après avoir été tourmentés par les puces et la dureté de leur couche, les deux compagnons de Rhonabwy tombèrent dans un profond sommeil. Quant à lui, voyant qu'il ne pouvait ni dormir ni reposer, il.se dit qu'il souffrirait moins s'il allait s'étendre sur la peau de veau jetée sur le sol. Il s'y endormit en effet.

A l'instant même où le sommeil lui ferma les yeux, il se vit en songe, lui et ses compagnons, traversant la plaine d'Argyngroec[43] ; il lui semblait qu'il avait pour but et objectif Rhyd y Groes[44] sur la Havren. Chemin faisant, il entendit un grand bruit ; jamais il n'en avait entendu qui lui parût plus rapide. Il regarda derrière lui, et aperçut un jeune homme aux cheveux blonds frisés, à la barbe fraîchement rasée, monté sur un cheval jaune, mais qui, à la naissance des jambes par derrière et depuis les genoux par devant, était vert. Le cavalier portait une robe de paile jaune, cousue avec de la soie verte ; il avait, à sa hanche, une épée à poignée d'or dans un fourreau de cordwal neuf, dont les courroies étaient de cuir de daim et la boucle en or. Par-dessus, il portait un manteau de paile jaune cousu de fils de soie verte ; la bordure du manteau était verte. Le vert de ses habits et le vert du cheval était aussi tranché que le vert des feuilles du sapin, et le jaune, que le jaune des fleurs du genêt.

Le chevalier avait l'air si belliqueux, qu'ils prirent peur et s'enfuirent. Il les poursuivit. Chaque fois que son cheval faisait sortir son haleine, ils s'éloignaient de lui ; chaque fois qu'il la tirait à lui, ils approchaient jusqu'à la poitrine du cheval. Il les atteignit, et ils lui demandèrent grâce. « Je vous l'accorde, » répondit-il ; « n'ayez pas peur. » — « Seigneur, » dit Rhonafrwy, « puisque tu nous fais grâce, nous diras-tu qui tu es ? » — « Je ne vous cacherai pas ma race : je suis Iddawc,[45] fils de Mynyo ; mais ce n'est pas par mon nom que je suis le plus connu : c'est par mon surnom. » — « Voudrais-tu nous le dire ? » — « Oui : on m'appelle Iddawc Cordd Pry-dein. » — « Seigneur, » dit Rhonabwy, « pourquoi t'appelle-t-on ainsi ? » — « En voici la raison. A la bataille de Kamlan, j'étais un des intermédiaires entre Arthur et Medrawt son neveu. J'étais jeune, fougueux. Par désir du combat, je mis le trouble entre eux. Voici comment : lorsque l'empereur Arthur m'envoyait à Medrawt pour lui représenter qu'il était son père nourricier et son oncle, et lui demander de faire la paix afin d'épargner le sang des fils de rois et des nobles de l'île de Bretagne, Arthur avait beau prononcer devant moi les paroles les plus affectueuses qu'il pouvait, je rapportais, moi, à Medrawt les propos les plus blessants. C'est ce qui m'a valu le surnom d'Iddawc Cordd Prydein, et c'est ainsi que se trama la bataille de Kamlan. Cependant trois nuits avant la fin de la bataille, je les quittai et j'allai à Liechlas[46] en Prydein (Ecosse) pour faire pénitence. J'y restai sept années ainsi et j'obtins mon pardon. »

A ce moment, ils entendirent un bruit beaucoup plus violent qu'auparavant. Ils regardèrent dans la direction du bruit, et aperçurent un jeune homme aux cheveux roux, sans barbe et sans moustache, à l'aspect princier, monté sur un grand cheval rouge, mais qui, depuis le garrot d'un côté et depuis les genoux de l'autre jusqu'en bas, était jaune. Lui, il portait un habit de paile rouge, cousu avec de la soie jaune ; la bordure de son manteau était jaune. Le jaune de ses habits et de son cheval était aussi jaune que la fleur du genêt, le rouge, que le sang le plus rouge du monde. Le chevalier les atteignit et demanda à Iddawc s'il aurait sa part de ces petits hommes. « La part qu'il me convient de donner, » répondit Iddawc, « tu l'auras : tu peux être leur compagnon comme je le suis. » Là-dessus, le chevalier s'éloigna. « Iddawc, » dit Rhonabwy, « quel est ce chevalier ? » — « Ruawn Pebyr, fils du prince Deorthach. »

Ils continuèrent leur marche à travers la plaine d'Argyngroec, dans la direction de Rhyd y Groes sur la Havren. A un mille du gué, ils aperçurent, des deux côtés de la route, des campements et des tentes et tout le mouvement d'une grande armée. Arrivés au bord du gué, ils virent Arthur assis dans une île au sol uni, plus bas que le gué, ayant à un de ses côtés l'évêque Betwin et, de l'autre, Gwarthegyt, fils de Kaw. Un grand jeune homme brun se tenait devant eux, ayant à la main une épée dans le fourreau. Sa tunique et sa toque étaient toutes noires, son visage aussi blanc que l'ivoire avec des sourcils aussi noirs que le jais. Ce qu'on pouvait apercevoir de son poignet entre ses gants et ses manches était aussi blanc que le lis ; son poignet était plus gros que le pied d'un guerrier, entre les deux chevilles. Iddawc et ses compagnons s'avancèrent jusque devant Arthur et le saluèrent. « Dieu vous donne bien, » dit Arthur. « Où as-tu trouvé, Iddawc, ces petits hommes-là ? » — « Plus haut là-bas, seigneur, » répondit Iddawc, « sur la route. » Arthur eut alors un sourire amer. « Seigneur, » dit Iddawc, « pourquoi ris-tu ? » — « Iddawc, » répondit-il, « je ne ris pas, cela me fait pitié de voir des hommes aussi méprisables que ceux-là garder cette île après qu'elle a été défendue par des hommes comme ceux d'autrefois. » Iddawc dit alors à Rhonabwy : « Vois-tu à la main de l'empereur cette bague avec la pierre qui y est enchâssée ? » — « Je la vois. » —-« Une des vertus de cette pierre, c'est qu'elle fera que tu te souviennes de ce que tu as vu cette nuit ; si tu n'avais pas vu cette pierre, jamais le moindre souvenir de cette aventure ne te serait venu à l'esprit. »

Ensuite Rhonabwy vit venir une armée du côté du gué. « Iddawc, » dit-il, «à qui appartient cette troupe là-bas ? » — « Ce sont les compagnons de Ruawn Pebyr. Ils peuvent prendre hydromel et bragawt[47] à leur gré, comme marque d'honneur, et faire la cour, sans qu'on y trouve à redire, à, toutes les filles des princes de l'île de Bretagne ; et ils le méritent, car, dans tout danger, on les trouve à l'avant et ensuite à l'arrière. » Chevaux et hommes, dans cette troupe, étaient rouges comme le sang ; chaque fois qu'un cavalier s'en détachait, il faisait l'effet d'une colonne de feu voyageant à travers l'air. Cette troupe alla tendre ses pavillons plus haut que le gué. Aussitôt après ils virent une autre armée s'avancer vers le gué. Depuis les arçons de devant, en haut, les chevaux étaient aussi blancs que le lis, en bas, aussi noirs que le jais. Tout à coup un de ces cavaliers se porta en avant, et brochant des éperons poussa son cheval dans le gué, si bien que l'eau jaillit sur Arthur, sur l'évêque et tous ceux qui tenaient conseil avec eux : ils se trouvèrent aussi mouillés que si on les avait tirés de l'eau. Comme il tournait bride, le valet qui se tenait devant Arthur frappa son cheval sur les narines, de l'épée au fourreau qu'il avait à la main ; s'il avait frappé avec l'acier, c'eût été merveille s'il n'avait entamé chair et os. Le chevalier tira à moitié son épée du fourreau en s'écriant : « Pourquoi as-tu frappé mon cheval ? est-ce pour m'outrager ou en guise d'avertissement ? » — « Tu avais bien besoin d'avertissement ; quelle folie t'a poussé à chevaucher avec tant de brutalité que l'eau a rejailli sur Arthur, sur l'évêque sacré et leurs conseillers, au point qu'ils étaient aussi mouillés que si on les avait tirés de la rivière ? » — «. Eh bien, je le prends, comme avertissement. ». Et il tourna bride du côté de ses compagnons. « Iddawc, » dit Rhonabwy, « quel est ce chevalier ? » — « Un jeune homme qu'on regarde comme le plus courtois et le sage de cette île, Addaon,[48] fils de Teleessin » — « Quel est celui qui a frappé son cheval ? » — « Un jeune homme violent, prompt, Elphin, fils de Gwyddno.[49] »

A ce moment un homme fier, d'une grande beauté, au parler abondant, hardi, s'écria que c'était merveille qu'une aussi grande armée pût tenir en un endroit si resserré, mais qu'il était encore plus surpris de voir là, à cette heure, des gens qui avaient promis de se trouver à la bataille de Baddon[50] vers midi, pour combattre Osla Gyllellvawr. « Décide toi, » dit-il en finissant, « à te mettre en marche ou non ; pour moi, je pars. » — « Tu as raison, » répondit Arthur ; « partons tous ensemble. » « Iddawc, » dit Rhonabwy, « quel est l'homme qui vient de parler à Arthur avec une liberté si surprenante ? » — « Un homme qui a le droit de lui parler aussi hardiment qu'il le désire : Karadawc Vreichvras, fils de Llyr Marini,[51] le chef de ses conseillers et son cousin germain. » Iddawc prit alors Rhonabwy en croupe, et toute cette grande armée, chaque division dans son ordre de bataille, se dirigea vers Kevyn Digoll.[52]

Quand ils furent au milieu du gué sur la Havron, Iddawc fit faire volte-face à son cheval et Rhonabwy jeta les yeux sur la vallée du fleuve. Il aperçut doux armées se dirigeant lentement vers le gué. L'une avait l'aspect d'un blanc éclatant ; chacun des hommes portait un manteau de paile blanc avec une bordure toute noire ; l'extrémité des genoux et le sommet des jambes des chevaux étaient tout noirs, tout le reste était d'un blanc pâle ; les étendards étaient tout blancs mais le sommet en était noir. « Iddawc, » dit Rhonabwy, « quelle est cette armée d'un blanc éclatant là-bas ? » — « Ce sont les hommes de Llychlyn (Scandinavie), et leur chef est March, fus de Meirchiawn[53] ; c'est un cousin germain d'Arthur. » L'autre armée qui venait après portait des vêtements tout noirs, mais la bordure des manteaux était toute blanche ; les chevaux étaient tout noirs, mais depuis la naissance de leurs jambes d'un côté, et de l'autre depuis les genoux jusqu'en bas ils étaient tout blancs ; les étendards étaient tout noirs mais le sommet en était tout blanc. « Iddawc, » dit Rhonabwy, « quelle est cette armée toute noire là-bas ? » — « Ce sont les hommes de Denmarc[54] ; c'est Edern fils de Nudd qui est leur chef. » Quand ils rejoignirent l'armée, Arthur et ses guerriers de l'île des Forts étaient descendus plus bas que Kaer Vaddon. Il semblait à Rhonabwy qu'il suivait, lui et Iddawc, le même chemin qu'Arthur. Quand ils eurent mis pied à terre, il entendit un grand bruit et un grand mouvement dans les rangs de l'armée.

Les soldats qui se trouvaient sur les flancs passèrent au milieu, et ceux-du milieu sur les flancs. Aussitôt il vit venir un chevalier recouvert d'une cotte de mailles, lui et son cheval ; les anneaux en étaient aussi blancs que le plus blanc des lis, et les clous aussi rouges que le sang le plus rouge. Il chevauchait au milieu de l'armée. « Iddawc, » dit Rhonabwy, « est-ce que l'armée que j'ai là devant moi fuit ? » — « L'empereur Arthur n'a jamais fui ; si on avait entendu tes paroles, tu serais un homme mort. Ce chevalier que tu vois là-bas, c'est Kei ; c'est le plus beau cavalier de toute l'armée d'Arthur. Les hommes des ailes se précipitent vers le centre pour voir Kei, et ceux du milieu fuient vers les ailes pour ne pas être blessés par le cheval : voilà la cause de tout ce tumulte dans l'armée. »

A ce moment, ils entendirent appeler Kadwr,[55] comte de Kernyw ; il arriva tenant en main l'épée d'Arthur, sur laquelle étaient gravés deux serpents d'or. Lorsqu'on tirait l'épée du fourreau, on voyait comme deux langues de feu sortir de la bouche des serpents ; c'était si saisissant, qu'il était difficile à qui que ce fût de regarder l'épée. Alors l'armée ralentit son allure, et le tumulte s'apaisa. Le comte retourna à son pavillon. « Iddawc, » dit Rhonabwy, « quel est l'homme qui portait l'épée d'Arthur ? » — « Kadwr, comte de Kernyw, l'homme qui a le privilège de revêtir au roi son armure les jours de combat et de bataille. »

Aussitôt après, ils entendirent appeler Eirinwych Amheibyn,[56] serviteur d'Arthur, homme aux cheveux rouges, rude, à l'aspect désagréable, à la moustache rouge et aux poils hérissés. Il arriva monté sur un grand cheval rouge, dont la crinière retombait également des deux côtés du cou, et portant un grand et beau bât. Ce grand valet rouge descendit devant Arthur et tira des bagages une chaire en or, un manteau de paile quadrillée ; il étendit devant Arthur le manteau qui portait une pomme d'or rouge à chaque angle et dressa la chaire dessus : elle était assez grande pour que trois chevaliers revêtus de leur armure pussent s'y asseoir. Gwenn (Blanche) était le nom du manteau ; une de ses vertus, c'était que l'homme qui en était enveloppé pouvait voir tout le monde sans être vu de personne ; il ne gardait aucune couleur que la sienne propre. Arthur s'assit sur le manteau ; devant lui se tenait Owein, fils d'Uryen. « Owein, » dit Arthur, « veux-tu jouer aux échecs ? » — « Volontiers, seigneur, » répondit Owein. Le valet rouge leur apporta les échecs : cavaliers d'or, échiquier d’argent. Ils commencèrent la partie.

Au moment où ils s'y intéressaient le plus, penchés sur l'échiquier, on vit sortir d'un pavillon blanc, au sommet rouge, surmonté d'une image de serpent tout noir, aux yeux rouges empoisonnes, à la langue rouge-flamme, un jeune écuyer aux cheveux blonds frisés, aux yeux bleus, la barbe fraîchement rasée, tunique et surcot de paile jaune, guêtres de drap jaune-vert et brodequins de cordwal tacheté, fermés au cou-de-pied par des agrafes d'or. Il portait une épée à poignée d'or à trois tranchants ; le fourreau était de cordwal noir, et il avait, à son extrémité, un bouton de fin or rouge. Il se rendit à l'endroit où l'empereur Arthur et Owein étaient en train de jouer aux échecs, et adressa ses salutations à Owein. Celui-ci fut étonné que le page le saluât, lui, et ne saluât pas l'empereur Arthur. Arthur devina la pensée d'Owein et lui dit : « Ne t'étonne pas que ce soit toi que le page salue en ce moment ; il m'a salué déjà, et d'ailleurs c'est à toi qu'il a affaire. » Le page dit alors à Owein : « Seigneur, est-ce avec ta permission que les petits serviteurs et les pages de l'empereur Arthur s'amusent à harceler, à molester et à fatiguer tes corbeaux ? Si ce n'est pas avec ta permission, fais à l'empereur Arthur les en empêcher. » — « Seigneur, » dit Owein, « tu entends ce que dit le page ; s'il te plaît, empêche-les de toucher à mes corbeaux. » — « Continue ta partie, » répondit Arthur. Le jeune homme retourna à son pavillon. Ils terminèrent la partie et en commencèrent une seconde.

Ils en étaient environ à la moitié, quand un jeune homme rouge aux cheveux bruns, frisant légèrement, aux grands yeux, bien fait, à la barbe rasée, sortit d'une tente toute jaune, surmontée d'une image de lion tout rouge. Il portait une robe de paile jaune descendant à la cheville et cousue de fils de soie rouge ; ses deux bas étaient de fin bougran et ses brodequins de cordwal noir, avec des fermoirs dorés. Il tenait à la main une grande et lourde épée à trois tranchants ; la gaîne était de peau de daim rouge, avec un bouton d'or à l'extrémité. Il se rendit à l'endroit où Arthur et Owein étaient en train de jouer aux échecs, et salua Owein. Owein fut fâché que le salut s'adressât à lui seul ; mais Arthur ne s'en montra pas plus contrarié que la première fois. Le page dit à Owein : « Est-ce malgré toi que les pages de l'empereur Arthur sont en train de piquer tes corbeaux et même de les tuer ? Si c'est malgré toi, prie-le de les arrêter. » — « Seigneur, » dit Owein à Arthur, « s'il te plaît, arrête tes gens. » — « Continue ta partie, » répondit l'empereur. Le page s'en retourna au pavillon. Ils finirent cette partie et en commencèrent une autre.

Comme ils commençaient à mettre les pièces en mouvement, ils virent venir d'un pavillon jaune, tacheté, surmonté d'une image d'aigle en or, dont la tête était ornée d'une pierre précieuse, à quelque distance d'eux, un page à la forte chevelure blonde et frisée, belle et bien ordonnée, au manteau de paile vert, rattaché à l'épaule droite par une agrafe d'or, aussi épaisse que le doigt du milieu d'un guerrier, aux bas de fin Totness, aux souliers de cordwal tacheté, avec des boucles d'or. Il avait l'aspect noble, le visage blanc, les joues rouges, de grands yeux de faucon. Il tenait à la main une lance à la hampe jaune tachetée, au fer nouvellement aiguisé, surmontée d'un étendard bien en vue. Il se dirigea d'un air irrité, furieux, d'un pas précipité, vers l'endroit où Arthur et Owein jouaient penchés sur leurs échecs. Ils virent bien qu'il était irrité. Il salua cependant Owein et lui dit que les principaux de ses corbeaux avaient été tues, et que les autres avaient été si blessés et-si maltraités, que pas un seul ne pouvait soulever ses ailes de terre de plus d'une brasse. « Seigneur, » dit Owein, « arrête tes gens. » — « Joue, si tu veux, » répondit Arthur. Alors Owein dit au page : « Va vite, élève l'étendard au plus fort de la mêlée, et advienne ce que Dieu voudra. »

Le jeune homme se rendit aussitôt à l'endroit où les corbeaux subissaient l'attaque la plus rude et dressa en l'air l'étendard. Dès que l'étendard fut dressé, ils s'élevèrent en l'air irrités, pleins d'ardeur et d'enthousiasme, pour laisser le vent déployer leurs ailes et se remettre de leurs fatigues. Quand ils eurent retrouvé leur valeur naturelle et leur supériorité, ils s'abattirent d'un même élan sur les hommes qui venaient de leur causer colère, douleur et pertes. Aux uns ils arrachaient la tête, aux autres les yeux, à d'autres les oreilles, à certains les bras, et les enlevaient avec eux en l'air. L'air était tout bouleversé et par le battement d'ailes, les croassements des corbeaux exultant, et par les cris de douleur des hommes qu'ils mordaient, estropiaient ou tuaient. Le tumulte était si effrayant qu'Arthur et Owein, penchés sur l’échiquier, l'entendirent. En levant les yeux, ils virent venir un chevalier monté sur un cheval d'un vert sombre ; le cheval était d'une couleur extraordinaire : il était vert sombre, mais il avait l'épaule droite toute rouge ; depuis la naissance des jambes jusqu'au milieu, du sabot, il était tout jaune. Le cavalier et sa monture étaient couverts d'armes pesantes, étrangères. La couverture de son cheval, depuis la tête jusqu'à l'arçon de devant, était de cendal tout rouge, et, à partir de l'arçon de derrière jusqu'en bas, de cendal tout jaune. Le jeune homme avait à la hanche une épée à poignée d'or à un seul tranchant, dans un fourreau tout bleu, ayant à l'extrémité un bouton en laiton d'Espagne. Le ceinturon de l'épée était en cuir de chevreau noir, avec des plaques dorées ; la boucle en était d'ivoire et la languette de la boucle toute noire. Son heaume d'or était rehaussé d'une pierre précieuse possédant une grande vertu, et surmonté d'une figure de léopard jaune rouge, dont les yeux étaient deux pierres rouges : même un guerrier, si ferme que fût son cœur, aurait eu peur de fixer ce léopard, et, à plus forte raison, le chevalier. Il avait à la main une longue et lourde lance à la hampe verte, mais rouge à partir de son poing. Le chevalier se rendit à l'endroit où Arthur et Owein étaient en train de jouer, penchés sur les échecs. Ils reconnurent qu'il arrivait épuisé, hors de lui par la colère. Il salua Arthur et lui dit que les corbeaux d'Owein étaient en train de tuer ses petits serviteurs et ses pages. Arthur tourna les yeux vers Owein et lui dit : « Arrête tes corbeaux. » — « Seigneur, » répondit Owein, « continue ton jeu. » Et ils jouèrent. Le chevalier s'en retourna sur le théâtre de la lutte, sans qu'on tentât d'arrêter les corbeaux.

Arthur et Owein jouaient déjà depuis quelque temps, lorsqu'ils entendirent un grand tumulte : c'étaient les cris de détresse des hommes et les croassements des corbeaux enlevant sans peine les hommes en l'air, les écrasant et déchirant à coups de bec, et les laissant tomber en morceaux sur le sol. En même temps, ils virent venir un chevalier monté sur un cheval blanc pâle, mais, à partir de l'épaule gauche, tout noir jusqu'au milieu du sabot. Cheval et cavalier étaient couverts d'une lourde et forte armure bleuâtre. La cotte d'armes était de paile jaune quadrillé, avec une bordure verte, tandis que la cotte de son cheval était toute noire, avec des bords tout jaunes. A sa hanche était fixée une longue et lourde épée à trois tranchants, dont le fourreau était de cuir rouge artistement découpé ; le ceinturon était de peau de cerf d'un rouge tout frais ; la boucle, d'os de cétacé, avec une languette toute noire. Sa tête était couverte d'un heaume doré, dans lequel était enchâssé un saphir aux propriétés merveilleuses ; il était surmonté d'une figure de lion jaune rouge, dont la langue rouge flamme sortait d'un pied hors de la bouche, dont les yeux étaient tout rouges et empoisonnés. Le chevalier s'avança, tenant à la main une grosse lance à la hampe de frêne, au fer tout fraîchement ensanglanté, garni d'argent, et salua l'empereur. « Seigneur, » lui dit-il, « c'en est fait : tes pages et tes petits serviteurs, les fils des nobles de l'île de Bretagne sont tués ; c'est au point qu'il ne sera plus facile désormais de défendre cette île. » — « Owein, » dit Arthur, « arrête tes corbeaux.[57] » — « Continue, seigneur, » répondit-il, « cette partie. » Ils terminèrent la partie et en commencèrent une autre.

Vers la fin de la partie, tout à coup ils entendirent un grand tumulte, les cris de détresse des gens armés, les croassements et les battements d'ailes des corbeaux en l'air, et le bruit qu'ils faisaient en laissant retomber sur le sol les armures entières et les hommes et les chevaux en morceaux. Aussitôt ils virent accourir un chevalier monté sur un cheval noir, mais blanc par derrière, à la tête haute, dont le pied gauche était tout rouge, et le pied droit, depuis le garrot jusqu'au milieu du sabot, tout blanc. Cheval et cavalier étaient couverts d'une armure jaune tachetée, bigarrée de laiton d'Espagne. La cotte d'armes qui le couvrait, lui et son cheval, était mi-partie blanche et noire, avec une bordure de pourpre dorée. Par-dessus la cotte se voyait une épée à poignée d'or, brillante, à trois tranchants ; le ceinturon, formé d'un tissu d'or jaune, avait une boucle toute noire en sourcils de morse, avec une languette d'or jaune. Son heaume étincelant, de laiton jaune, portait, enchâssée, une pierre de cristal transparent, et était surmonté d'une figure de griffon dont la tête était ornée d'une pierre aux propriétés merveilleuses. Il tenait à la main une lance à la hampe de frêne ronde, teinte en azur, au fer fraîchement ensanglanté. Il se rendit, tout irrité, auprès d'Arthur, et lui dit que les corbeaux avaient massacré les gens de sa maison et les fils des nobles de l'île ; il lui demanda de faire à Owein arrêter ses corbeaux. Arthur pria Owein de les arrêter, et pressa dans sa main les cavaliers d'or de l'échiquier au point de les réduire tous en poudre. Owein ordonna à Gwers, fils de Reget, d'abaisser la bannière. Elle fut abaissée et aussitôt la paix fut rétablie partout.

Alors Rhonabwy demanda à Iddawc quels étaient les trois hommes qui étaient venus les premiers dire à Owein qu'on tuait ses corbeaux. « Ce sont, » répondit Iddawc, « des hommes qui étaient peines des pertes d'Owein, des chefs comme lui, et ses compagnons : Selyv,[58] fils de Kynan Garwyn[59] de Powys, Gwgawn Gleddyvrudd[60] ; Gwres, fils de Reget, est celui qui porte la bannière les jours de combat et de bataille. — « Quels sont les trois qui sont venus en dernier lieu dire à Arthur que les corbeaux tuaient ses gens ? » — « Les hommes les meilleurs et les plus braves, ceux qu'une perte quelconque d'Arthur indigne le plus : Blathaon, fils de Mwrheth, Ruvawn Pebyr, fils de Deorthach Wledic, et Hyveidd Unllenn. »

A ce moment vinrent vingt-quatre chevaliers de la part d'Osla Gyllellvawr demander à Arthur une trêve d'un mois et quinze jours. Arthur se leva et s'en alla tenir conseil. Il se rendit à peu de distance de là, à l'endroit où se tenait un grand homme brun aux cheveux frisés, et fit venir auprès de lui ses conseillers : Betwin l'évêque ; Cwarthegyt, fils de Kaw ; March, fils de Meirchawn ; Kradawc Vreichvras ; Gwalchmei, fils de Gwyar ; Edyrn, fils de Nudd ; Ruvawn Pebyr, fils de Deorthach Wledic ; Riogan, fils du roi d'Iwerddon ; Gwenwynnwyn, fils de Nav ; Howel, fils d'Emyr Llydaw ; Gwilim, fils du roi de France ; Danet, fils d'Oth ; Goreu, fils de Custennin ; Mabon, fils de Modron ; Peredur Paladyr Hir ; Heneidwn Llen (Hyveidd unllen ?) ; Twrch, fils de Perif ; Nerth, fils de Kadarn ; Gobrwy, fils d'Echel Vorddwyt-Twll ; Gweir, fils de Gwestel ; Adwy, fils de Gereint ; Drystan, fils de Tallwch[61] ; Moryen Manawc[62] ; Granwen, fils de Llyr ; Llacheu[63] fils d'Arthur ; Llawvrododd Va-ryvawc ; Kadwr comte de Kernyw ; Morvran, fils de Tegit ; Ryawd, fils de Morgant ; Dyvyr, fils d'Alun Dyvet ; Gwrhyr Gwalstol Ieithoedd ; Addaon, fils de Telyessin ; Llara fils de Kasnar Wledic ; Fflewddur Fflam ; Greidyawl Galldovydd ; Gilbert, fils de Katgyfro ; Menw, fils de Teirgwaedd ; Gyrthmwl Wledic ; Kawrda,[64] fils de Karadawc Vreichvras ; Gildas, fils de Kaw ; Kadyrieth, fils de Seidi. Beaucoup de guerriers de Llychlyn et de Denmarc, beaucoup d'hommes de Grèce, bon nombre de gens de l'armée prirent part aussi à ce conseil. « Iddawc, » dit Rhonabwy, « quel est l'homme brun auprès duquel on est allé tout à l'heure ? » — « C'est Run,[65] fils de Maelgwn de Gwynedd, dont le privilège est que chacun vienne tenir conseil avec lui. » — « Comment se fait-il qu'on ait admis un homme aussi jeune que Kadyrieith, fils de Saidi, dans un conseil d'hommes d'aussi haut rang que ceux-là là-bas ? » — « Parce qu'il n'y a pas en Bretagne un homme dont l'avis ait plus de valeur que le sien. » Juste à ce moment des bardes vinrent chanter pour Arthur. Il n'y eut personne, à l'exception de Kadyrieith, à y rien comprendre, sinon que c'était un chant à la louange d'Arthur. Sur ces entrefaites arrivèrent vingt-quatre ânes avec une charge d'or et d'argent, conduits chacun par un homme fatigué, apportant à Arthur le tribut des îles de la Grèce. Kadyrieith, fils de Saidi fut d'avis qu'on accordât à Osla Gyllellvawr une trêve de un mois et quinze jours et qu'on donnât les ânes [qui apportaient le tribut aux bardes, avec leur charge, comme payement de leur séjour ; à la fin de la trêve, on leur paierait leurs chants. C'est à ce parti qu'on s'arrêta.

« Rhonabwy, » dit Iddawc, « n'aurait-il pas été fâcheux d'empêcher un jeune homme qui a donné un avis si généreux d'aller au conseil de son seigneur ? » A ce moment Kei se leva et dit : « Que tous ceux qui veulent suivre Arthur, soient avec lui ce soir en Kernyw ; que les autres soient contre lui, même pendant la trêve. » Il s'ensuivit un tel tumulte que Rhonabwy s'éveilla. Il se trouva sur la peau de veau jaune, après avoir dormi trois nuits et trois jours.

Cette histoire s'appelle Le Songe de Rhonabwy. Voici pourquoi personne, barde ou conteur, ne sait le Songe sans livre : c'est à cause du nombre et de la variété des couleurs remarquables des chevaux, des armes, et des objets d'équipements, des manteaux précieux et des pierres à propriété merveilleuse.

 


 

[1] Le célèbre Owen Pughe, autour d'un dictionnaire gallois-anglais, encore indispensable à consulter, malgré ses défauts, avait préparé une édition complète des Mabinogion, avec notes explicatives. Son travail devait même commencer à paraître en 1831, comme il ressort d'une lettre de son fils Aneurin Owen, publiée dans l’Archaeologia Cambrensis, IV, 3e série, p. 210. Il serait intéressant de savoir ce que ce travail est devenu. Les Mabinogion ont été mis en gallois moderne, mais il est visible que l'auteur a suivi la traduction anglaise de lady Guest.

[2] The text of the Mabinogion from the Red Book of Hergest, by John Rhys and J. Gwenogfryn Ewans, Oxford. J. Gwenogfryn Evans, 7 Clarendon Villas. — C'est le premier volume d'une collection annoncée sous le titre général de Old welsh Texts. Les auteurs ont ajouté aux Mabinogion, des Triades tirées du Livre Rouge, et un index des noms propres. Ils ont laissé de côté la Hanes Taliessin, ou Histoire de Taliessin, qui ne regarde pas le Livre Rouge, et que lady Guest avait insérée dans son œuvre.

[3] Les éditeurs des Old welsh Texts annoncent la publication de fragments importants du Songe de Maxen ; de Manawyddan ; des Romans de Gereint et Enid ; de Peredur, etc., d'après un manuscrit écrit entre 1225 et 1275. Leur édition critique des Mabinogion sera fondée en grande partie sur le Livre Blanc de Rhydderch, conservé dans la bibliothèque de M. Wynne, à Peniarth, Merionethshire. Une partie importante du Roman de Gereint et Enid, a été publiée d'après un manuscrit de Hengwrt, avec une traduction dans la Revue celtique, VII, p. 401-435 ; VIII, p. 1-29. Quelques variantes de ce fragment sont intéressantes, mais il est évident que ce manuscrit remonte à la même source que le Livre Rouge.

[4] On peut citer encore dans notre siècle, comme un exemple de ce que peut donner la langue galloise entre des mains habiles, les Brutusiana de David Owen (Brutus), le Cicéron gallois.

[5] Au point de vue intellectuel, les Lois sont le plus grand titre de gloire des Gallois. L'éminent jurisconsulte allemand Ferd. Walter, constate qu'à ce point de vue les Gallois ont laissé bien loin derrière eux les autres peuples du moyen âge (Das alte Wales, p, 364). Elles prouvent chez eux une singulière précision et finesse d'esprit, et une grande aptitude à la spéculation philosophique. Les Bretons, quoi qu'on en ait dit, étaient capables de goûter autres chose que la guerre, l'hydromel et la musique.

[6] Iolo mss., p. 211. Taliessin se vante de connaissances bardiques qui se rapportent tout justement à certaines traditions conservées dans nos Mabinogion, et parle avec dédain de ceux qui les ignorent (Skene, Four ancient books of Wales, II, p. 181 182). Dans un autre passage des Iolo mss., il est défendu aux bardes de s'occuper de récits mensongers comme ceux qui concernent Arthur et le chevalier du Llwyn Glas (du buisson vert sans doute le Vert chevalier). Ce texte est évidemment relativement récent.

[7] Ap ou ab a le sens de fils de. — Ab entre encore en composition de beaucoup de noms propres de notre pays de Léon.

[8] J'emprunte ces renseignements sur les trois romans français et les imitations étrangères à l'étude de M. Gaston Paris, sur les Romans en vers de la Table Ronde, dans le t. XXX de l'Histoire littéraire de la France (p. 1-270). L'Ivain, formant le tome deuxième de l'édition de Chrétien de Troyes de M. W. Forster, vient de paraître.

[9] Voir une analyse du Chevalier au Lion dans l'Histoire littéraire de la France, XV, p. 235-234.

[10] Voir l'analyse du poème français dans l’Hist. litt., XV, p. 197-209.

[11] Analyse du Parceval, de Chrétien, dans l’Hist. litt., XV, p. 246-254.

[12] Hist. litt., XXX, p. 29 ; voy. p. 254, une analyse de cette version ; cf. plus bas, note 1 de ma traduction française de Peredur.

[13] Voy. sur l'origine des Romans de la Table Ronde, les études toujours si précieuses à consulter de M. Paulin Paris, Les Romans de la Table Ronde, surtout l'introduction ; cf. Gaston Paris, Romania, X, p. 465 et suiv. ; Ibid., XII, p. 459 et suiv. ; Histoire littéraire de la France, XXX, p. 1-270.

[14] Il y a même dans Peredur des traits de mœurs celtiques ; voyez p. 208 du texte gallois. Il est assez remarquable aussi que les noms bretons, dans ces trois Mab., ont une forme purement galloise. Ce n'est pas le cas dans les versions galloises du Seint Greal.

[15] Voy. Archaeologie cambr., XIV, 3e série, p. 147 ; cf. Stephens, Litterature of the Cymry, p. 413.

[16] Voy. J. Loth, L'Emigration bretonne en Armorique, p. 193. Les Bretons ont pris aussi une grande part à la conquête de l'Angleterre par les Normands. Des membres de la famille ducale de Bretagne se sont même établis on Angleterre à la suite de la conquête, ainsi que beaucoup de seigneurs.

[17] Iolo. mss., p. 630.

[18] Stephens, Litter. of the Cymry, p. 406.

[19] Les Romans de la Table Ronde, Paris, 1861. Pour être juste, je dois faire remarquer que M. de la Villemarqué n'a pas toujours compris la traduction anglaise de lady Guest.

[20] La civilisation matérielle est celle des Lois ; j'excepte naturellement les récits d'origine française.

[21] On trouvera dans mes notes beaucoup de détails qui pourront aider le lecteur à se faire une opinion sur ces différents points.

[22] Silvan Evans, Llythyraeth y Cymry, p. 7.

[23] Iolo mss., p. 479.

[24] Litterat., p. 408. Stephens, se fondant sur la description exacte, à ce qu'il paraît, de Cardiff dans Gereint et Enid, suppose qu'il est l'auteur de Gereint et Enid. Il n'en serait, en tout cas, d'après ce que nous venons de dire, que l'arrangeur ou le traducteur gallois.

[25] J'emprunte ces détails : sur Thomas et sur Breri, ainsi que la citation, à M. Gaston Paris, Hist. litt., XXX, p. 10.

[26] Liber Land., p. 517-518.

[27] Ancient laws, I, p. 343.

[28] Mebydd me paraît signifier professeur, et non pas célibataire, comme le traduisent les dictionnaires, et devoir être rapproché de mabinog, disciple. Les Triades (Myv., p. 409, 93) donnent en effet trois Cyn-vebydd, ou anciens, ou premiers mebydd : Tydein Tadawen, Menyw Hen et Gwrhir, barde de Teilaw, à Llandaf. Le nom de Blegywryd est le même que celui de Blegovred.

[29] Iolo manuscrits, a selection of ancient welsh manuscripts, made, by the late Edward Williams (Iolo Morganwg), with english translation and notes, by his son, Taliesin Williams, Llandovery, 1848.

[30] Maredudd ou Meredydd, fils de Bleddyn ab Cynvyn, était un prince cruel et brave. Il lutta avec vaillance et succès contre les Anglo-Normands ; il obligea même à la retraite le roi Henri Ier, qui avait envahi ses Etats. Il mourut es 1124 ou 1129, dans un âge avancé, ce qui était rare, dit le Brut y Tywysogion ou Chronique des princes, dans la famille de Bleddyn, et, pourrait-on ajouter, dans toutes familles de chefs gallois (Brut y Tywysogion, p. 647 et suiv. ; 707, col. 1 et 2). Le nom de Meradydd est, en vieux gallois, Marget-iud (cf. Annales de Bretagne, II, n° 3, p. 405 à Margit-hoiarn). Ses Etats furent partagés entre ses fils Madawc et Gruffydd, Celui-ci étant venu à mourir laissa ses Etats à son fils Owen Cyfeiliog, barde de grand renom. En 1167, Owen Cyfeiliog et son cousin, le fils de Madawc, Owen ap Madoc ap Meredith, chassent leur oncle, Iorwerth Goch, ou le Rouge, qui avait épousé une normande, Maude, fille de Roger de Manley, du comté de Chester, et paraît avoir été soutenu par les Anglo-Normands, et se partagent ses terres ; Owen Cyfeiliog prend Mochnant Uch Rhaiadr et Owen ap Madoc, Mochnant Is Rhaiadr (Myv. arch., p. 712, col, 2 ; cf. History of the lordship of Cyfeiliog, par Th. Morgan, Arch. Cambr., XIII, 3e série, p. 125). Le fils d'Owen Cyfeiliog, Gwenwynwyn, a donné son nom à la partie sud de Powys, et Madawc, son oncle, à la partie nord. Sur la division de Powys en Powys Vadog et Powys Wenwynwyn, voir Myv. arch., p. 735-736. Madawc est souvent célébré par les poètes de son temps (Myv. arch., p. 147, 154, 155, 156). Sur les privilèges des hommes de Powys, v. Ancient laws, II, p. 742, 743.

[31] Le royaume de Madawc s'étendait du voisinage de Chester aux hautes terres d'Arwystli, c'est-à-dire à la chaîne du Pumlummon (cf. Gwalchmai dans l’Elégie de Madawc, Myv. arch., 147 ; Lady Guest, Mab., II, p. 420, d'après le Rév. Walter Davies (Gwalter Mechain). Porfordd est évidemment Pulford. Gwauan est peut-être, comme le fait remarquer lady Guest, une des localités portant le nom de Waun, dans le voisinage de la chaîne du Pumlummon.

[32] Penteulu, chef de famille. C'est le personnage le plus important après le roi. Il est-dans les Lois quelque chose comme le Major domus, et c'est en même temps un véritable chef de clan. Il a en petit, dans le clan, les mêmes privilèges que le roi (Ancient laws, I, p. 12, 190, 358, 636, etc., etc.).

[33] Il s'agit probablement des environs d'Oswestry. Le poète Cynddelw (XIIe siècle), chantant les exploits de Llywelyn ab Iorwerth (Llywelyn le Grand), mentionne le Rechdyr Croesos--wallt (Oswestry) (Myv. arch., p. 175, col. 1).

[34] Aber Ceirawc est l’endroit où la Ceiriog se jette dans la Dee, au-dessous de la ville de Chirk.

[35] Allictwn paraît être Allington, non loin de Pulford. Le texte ym Allictwn ferait supposer Mallictwn ou Ballictwn.

[36] Ryt y Wilvre peut-être, d'après lady Guest, Rhyd y Vorle, en anglais Melverley, passage sur la Vyrnwy, non loin de l'endroit ou cette rivière se jette dans la Severn.

[37] Aujourd’hui Y Vyrnwy, affluent de la Severn.

[38] Peut-être Haliston Trevan ou Halston, près Whittington

[39] Kynnwric Vrychgoch ou le rouge-tacheté, le même personnage probablement que le Kymwric du Brut y Tywysogion, tué par la famille de Madawc ab Maredudd (Myv. arch., p. 623, col. 2).

Mawddwy était un cymwd du cantrev de Csdewain en Powys Wenwynwyn (Myv. arch., p. 736) ; c'est aujourd'hui, avec Taly-bont, un district du Merionethshire.

[40] Cadwgawn Vras ou le Gros, n'est pas autrement connu (vieil armor, Catwocon).

[41] Gynlleith était un cymwd du cantrev de Rhaiadr en Powys Vadog (Myv. arch., p. 736 ; ce district est mentionné par Gynddelw dans son élégie sur Madawc, ibid., p. 155). Le Moelvre est une montagne isolée de ce district.

[42] Un des signataires de la paix entre Llywelyn et Edouard Ier, en 1274, porte le nom de Grono ap Heylin. Iddon est, en vieil armor., Iudon = Iuddon.

[43] Argyngroec, aujourd'hui Cyngrog, est divisé en deux parties : Cyngrog vawr, dans la paroisse de Pool, et Cyngrog vach dans celle de Guilsfield ; le tout sur les bords de la Severn, près de Welshpool, comté de Montgomery.

[44] Rhyd y Groes ou le gué de la croix, un peu plus bas que Berrew ou le confluent de la Rhiw avec la Severn. Le nom de Rhyd y Groes est porté, d'après lady Guest, ou plutôt Gwalter Mechain, par une ferme à peu de distance de là, dans la paroisse de Fordun, près Montgomery.

[45] Iddawc (vieil-armor. Iudoc). Dans les Triades, une des trois trahisons secrètes lui est attribua ; il trahit Arthur. Sa réunion avec Medrawd a lieu à Nanhwynain : c'est une des trois réunions pour trahison. Il devient ainsi l'auteur d'une des trois batailles frivoles de l'île, la bataille de Oamlan (Myv. arch., p. 403, 20, 22 ; p. 405, 50). Lady Guest l'a confondu avec Eiddilic Gorr, qui est un personnage très différent. Les Triades lui donnent le surnom de Corn Prydain. Cordd est préférable ; il faut Te rapprocher de corddi, agiter et mêler, baratter. Il est passé dans le rang des saints, confondu peut-être avec un autre personnage, Iddew (Rees, Welsh saints, p. 280). Les généalogies de saints de la Myv. l'appellent Iddew Corn Prydain ab Cowrda ap Kradog freichfras ap Llyr Merini (Myv. arch., p. 426, col. 2), mais dans certaines généalogies il est appelé Iddawc Corn Prydain ap Caradawc Vreichvras, (Iolo mss., p. 123).

[46] Liechlas ou la pierre plate, pâle, ou verdâtre, peut-être Glasgow, dit lady Guest, je ne sais pour quelle raison.

[47] Voir la note 2, p. 243.

[48] Avaon ou Addaon, fils de Taliesin, est un des trois princes taureaux de bataille (Triades Mab., 303, 18). C'est un des trois aerveddawc ou chefs qui se vengeaient du fond de leurs tombes (Ibid., p. 304, 7). Il est tué par Llawgat Trwmbargawt Eiddin, et c'est un des trois meurtres funestes (Myv. arch., p. 390, col. 2). Il est fait mention de lui dans les Propos des sages (Iolo mss., p. 254). Il est assez remarquable que Taliesin ne parle pas de lui, excepté peut-être dans un passage (Skene, p. 175, v. 25).

[49] Elphin ab Gwyddno. Sa généalogie est donnée dans la noblesse des hommes du Nord, c'est-à-dire des Bretons de Strat-Clut : Elffin, mab Gwyddno, mab Cawrdav, mab Garmonyawn, mab Dyvynwal Hen (Skene, II, p. 454). D'après une tradition qui paraît avoir été fort répandue, Elffin ab Gwyddno aurait été délivré de la prison où le tenait Maelgwn de Gwynedd, par le pouvoir de la poésie de Taliesin son barde (Iolo mss., p. 71, 72, 73) : « Je saluerai mon roi… à la façon de Taliesin voulant délivrer Elfin, » dit Llywarch ab Llywelyn, poète de la fin du XIIe siècle, s'adressant à Llywelyn ab Iorwerth (Myv. arch, p. 214, col. 2). Taliesin le dit en propres termes : « Je suis venu à Deganhwy pour discuter avec Maelgwn…, j'ai délivré mon maître en présence des nobles, Elphin le prince » (Skene, II, p. 154, 19). Dans un autre passage, il supplie Dieu de délivrer Elphin de l'exil, l'homme qui lui donnait vin, bière, hydromel et grands et beaux chevaux (Ibid., p. 164, 29 ; 165, 1-6 ; voir d'autres mentions d'Elphin, p. 137, 15 ; 131, 16 ; 216, 16). Le poète Phylip Prydydd (1200-1250), dans un poème contre les bardes de bas étage, dit qu'ils ont toujours été en lutte avec les vrais bardes, depuis la dispute d'Elffin avec Maelgwn (Myv. arch., p. 258, col. 2). Cette querelle est exposée dans la Hanes Taliesin donnée par lady Guest à la fin des Mabinogion. Maelgwn tenant cour à Deganhwy, les bardes se mirent à accabler le roi de louanges, à dire que personne ne le surpassait en grandeur, en beauté, et, en particulier, que sa femme était la plus sage et la plus belle des femmes. Elphin, présent, soutint que sa femme à lui était aussi vertueuse que n'importe quelle femme du royaume, et son barde plus habile que tous ceux du roi. Le roi, furieux, le fait jeter en prison. Il envoie son fils Rhun pour séduire la femme d'Elphin, qui se joue de lui en se déguisant en servante, et en donnant une servante pour elle. Taliesin va à Deganhwy, et, par sa magie et ses vers, fait tomber les chaînes de son maître (Mab., III, p. 329 et suiv.). La vie de Taliesin a été reproduite sur des manuscrits du siècle dernier, mais elle paraît avoir été compilée au XIIIe ou XIVe siècle ; v. Iolo mss., 71, 72. Elfin est la forme galloise d'Alpin, nom gaélique d'Ecosse bien connu.

[50] La bataille du mont Badon fut livrée, d'après Bède, en 493. Ce fut pour les Bretons une victoire importante qui arrêta, pour quelque temps, les progrès des Saxons, et semble même leur avoir porté un coup terrible. Gildas met le Badonicus mons aux bouches de la Severn (De Excid., XXVI). Suivant les Annales Cambriae elle aurait eu lieu en 516, et Arthur y aurait porté, pendant trois jours et trois nuits, la croix sur ses épaules (Petrie, Mon. hist. brit., p. 830). On n'est pas d'accord sur l'emplacement de Badon.

[51] Caradawc Vreichvras ou Caradawc aux gros bras, un des trois princes chevaliers de combat (Cadvarchawg) de la cour d'Arthur ; les deux outres étaient Llyr Lluyddawg et Mael ab Menwaed d'Arllechwedd. Arthur chanta à leur honneur cet englyn : Voici mes trois chevaliers de combat : Mael le Long, Llyr Lluyddawg (le chef d'armées) et la colonne de Cymru, Caradawg (Myv. arch., p. 403, 29). Son cheval s'appelait Lluagor (Livre Noir, Skene, 10, 14 ; Taliesin, ibid., p. 176, 5). Sa femme, Tegai Eurvronn, est une des trois femmes chastes de l'île, et une des trois principales dames de la cour d'Arthur (Myv. arch., p. 410, 103, 108). Caradawc Vreichvras est devenu, dans les Romans de la Table Ronde, Karadoc Brief-bras ou aux bras courts, à la suite d'une mauvaise lecture (Paulin Paris, Les Romans de la Table Ronde, V, p. 209). Dans un acte concernant les reliques de la cathédrale de Vannes (XVe siècle, bibl. nat., fonds latin 9093), il est question des relations de saint Patern avec le roi Karadoc, cognomento Brech-bras. Caradawc, lui aussi, est la tige d'une famille de saints : Cawrdav, Cadvarch, Maethlu, Tangwn sont ses enfants (Iolo mss., p. 123). Llyr Merini a pour femme Dyvanwedd, fille d'Amlawdd Wledig, et devient père de Gwynn ab Nudd (un démon, v. Kulhwch), Caradawc Vreichvras, Gwallawc ab Lleenawc (Iolo mss., p. 123). Sur ce nom curieux de Llyr Marini, v. Rhys, Lectures, p. 398.

[52] Cevn Digoll, appelé aussi, d'après lady Guest, Hir Vynydd ou la longue montagne, est situé à la frontière est du Montgomeryshire. A Cevn Digoll eut lieu une bataille entre Katwallawn et Etwin, chef des Saxons, la Severn en fut empestée depuis la source jusqu'à l'embouchure, d'où vint à Katwallawn le nom d'un des trois salisseurs de la Severn (Triades, Myv. arch., p. 308, 1. 21). Ce Catwallawn est le fils de Cadvan, célébré dans un poème du Livre Rouge. « L'armée de Katwallawn le Glorieux campe sur les hauteurs de la montagne de Digoll : en sept mois, sept combats ; par jour » (Skene, Four anc. books, p. 277, v. 19). Ce Catwallawn paraît bien être l'allié du roi de Mercie Penda, le vainqueur d'Aedwin de Northumbrie, qui mit en péril la domination des Angles (v. Bède, Hist. eccl., II, 20). C'est encore à Cevn Digoll, dit lady Guest, que Madawc ab Llewelyn livra aux troupes d'Edward Ier la dernière bataille pour l'indépendance Galloise. Henri VII y campa dans sa marche sur Bosworth.

[53] Il y a trois chefs de flotte de l'île de Bretagne : Gereint, fils d'Erbin, March, fils de Meirchion, et Gwenwynwyn, fils de Nav (Triades Mab., p. 303, l. 11). Sa tombe est mentionnée parmi celles des guerriers de l'île, avec celle de Gwythur et de Gwgawn Cleddyvrudd (Livre Noir, p. 32, v. 19). Sa femme est Essyllt, la maîtresse de son neveu Trystan ab Tallwch (Myv. arch., p. 410 ; 103, 105). C'est le roi Marc de Cornouailles du roman français de Tristan et Iseult. Les noms de March et de Merchion (Marcianus) sont aussi des noms bretons-armoricains (Annales de Bret., II, n° 3, p. 405, 406).

[54] Les Danois étaient appelés par les Bretons, la nation noire : 853. Mon vastata est a gentilibus nigris ; 866. Urbs Ebrauc vastata est, id est Cat Dub gint (le combat des nations noires), Annales Cambriae, ap. Petrie, Mon. hist. brit., p. 835 ; cf. Dubgall, les étrangers noirs, Annales Ult., à l'année 866.

[55] Kadwr avait élevé Gwenhwyvar, femme d'Arthur (Brut Tysilio, Myv. arch., p. 464, col. 1). Il prend part aux expéditions d'Arthur (vieil armor. Cat-wr).

[56] V. le mabinogi d'Owein et Lunet.

[57] Une allusion est faite aux corbeaux d'Owein à la fin du mabinogi d'Owein et Lunet. Les corbeaux d'Owein sont souvent mentionnés par les poètes, notamment par Bleddyn, poète du XIIIe siècle (Myv. arch., p. 252, col. 1). Branhes ou la troupe des corbeaux est souvent associée à Bryneich (Bernicie) ; c'est peut-être un rapprochement amené par l'allitération (Myv. arch., p. 237, col. 1 ; 246, col. 2 ; 252, col. 2 ; 281, col. 2 ; 291 col. 1). Llewis Glyn Cothi en parle en termes très clairs : « Owein ab Urien a frappé les trois tours dans le vieux Cattraeth ; Arthur a craint, comme la flamme, Owein, ses corbeaux et sa lance aux couleurs variées. » (p. 140, v. 49). Sur les corbeaux dans la mythologie celtique, voir Revue Celtique, I, p. 32-57.

[58] Selyv, fils de Kynan Garvyn est un des trois aerveddawc on ceux qui se vengent du fond de leur tombe (Triades Mab. 304, 6). C'est probablement le même personnage que le Selim filius Cinan tué à la bataille de Chester, en 613 (Annales Cambriae. Petrie, Mon. hist. brit., p. 832). Selim, Selyv vient de Salorno. Son cheval, Duhir Tervenhydd, est un des trois tom eddystr ou chevaux de travail de l'île de Bretagne (Livre Noir, Skene, II, p. 172). Dans les triades du Livre Rouge annexées aux Mab., son cheval Duhir Tynedic est un des trois premiers chevaux (Mab., 306, 24).

[59] Kynan Garwyn paraît être le fils de Brochvael Ysgithrog, qu'on identifie avec le Brocmail de Bède, défait en 613 par Aedilfrid, roi des Angles, près de Chester (Bède, Hist. eccl., II, 2). Un poème de Taliesin lui est consacré (Skene, II, p. 172).

[60] Gwgawn Gleddyvrudd, ou Gwgawn à l’épée rouge, est un des trois esgemydd aereu ou bancs de bataille (v. la note à Morvran Eil Tegit, plus haut, dans le Mab. de Kulhwch). C'est un des trois portiers de la bataille des Vergers de Bangor (Gueith Perllan Bangor) avec Madawc ab Run et Gwiwawn, fils de Cyndyrwynn (Triades Mab., 304, 25-30 ; Skene, app. II, p. 458). Son cheval Buchsslom Seri est un des trois anreithvarch ou chevaux de butin de l'île ; les deux autres sont Carnavlawc, cheval d'Owein ab Uryen, et Tavautir Breichir, le cheval de Katwallawn ab Katvan (Livre Noir, Skene, II, 1-4 ; Triades Mab., 306, 30). Wocon, plus tard Gwogon et Gwgon, est un nom très commun en Armorique. La tombe de Gwgawn Gleddyvrudd est signalée parmi celles des guerriers de l'île (Livre Noir, Skene, p. 32, v. 20). C'est du même Gwgawn qu'il est probablement question dans le Gododin (Skene, II, p. 72, v. 26.)

[61] Drystan, fils de Tallwch : c'est un des trois taleithawc de l'île, avec Gweir ab Gwystyl et Kei, flls de Kynyr (Triades Mab. p. 303, 5). C'est un des trois grands porchers de l'île : il garde les porcs de March ab Meirchiawn (le roi Marc de nos romans, son oncle) pendant que le porcher se rend avec un message de lui près d'Essyllt (ibid., p. 307, 15).

C'est encore un des trois gallovydd, maître es mécaniques : les deux autres sont : Greidiawl et Gwgon Gwron (ibid., p. 304, 24). Les trois amoureux de l'île sont : Caswallawn ab Beli, amoureux de Pflur, fille de Mugnach Gorr ; Trystan ab Tallwch, amoureux d'Essyllt, femme de March ab Meirchiawn son oncle, et Kynon ab Klydno Eiddun, amoureux de Morvydd, fille d'Urym. Il est à chaque instant question de lui chez les poètes gallois (Myv. arch., p. 251, col. 1 ; 255, col. 1 (1250-1290) ; p. 306, col. 1 ; 329, col. 2 ; 339, col. 2 (XIVe siècle) ; cf. Daf. ab Gwil, p. 216, 294). Sur le Tristan de nos romans français, v. Hist. litt., XIX, 687-704 ; Gaston Paris, Hist. litt., XXX, 19-22). On trouve le nom de Drystan sous une forme du VIe siècle latinisée, au génitif Drustagni ; cf. insula Trestan, près Douarnenez, d'après une charte de 1368 (Annales de Bretagne, II, n° 4, 568).

[62] Moryen Manawc. La tombe d'un Moryen est signalée parmi celles de guerriers de l'île (Livre Noir, Skene, II, p. 28, v. 22). Le Gododin célèbre un Moryen, fils de Caradawc (Skene, II, p. 73, 29 ; cf. Livre Rouge ; ibid., p. 232). Moryen Varvawc ou le Barbu est un des trois Estron Deyrn, ou rois fils d'étrangers, de l'île (Myv. arch., p. 405, col. 1) (le nom de Moryen, connu en vieil-arm., se retrouve dans Morgen-munuc, ce qui donnerait en gallois, au XIe siècle, Moryen-mynawc).

[63] « Il y a trois deivniawc (inventeurs ?) de l'île de Bretagne : Riwallawn Wallc Banhadlen (aux cheveux de genêt), Gwalchmei, fils de Gwyar, et Llacheu, fils d'Arthur (Triades Mab., 302, 28). Il est présenté avec Kei comme un vaillant guerrier dans le Livre Noir (Skene, II, p. 52, 28).

[64] Les Triades du Livre Rouge le donnent comme un des trois Kynweissyeit ou premiers serviteurs, ou ministres de Bretagne, avec Gwalchmei et Llacheu (Mab., p. 302, 1. 26) ; mais celles de Skene nomment avec Oawrdav, Caradawc, fils de Bran, et Owein, fils de Maxen Wledic (Skene, app. II, p. 458). Cawrdav, lui aussi, a été le père de plusieurs saints (Iolo mss, p. 123). Il est cité dans les Propos des Sages (Iolo mss., p. 253).

[65] Run est un des trois gwyndeyrn, ou rois heureux ou bénis, avec Owein ab Uryen et Ruawn Pebyr (Mab., p. 300, 7). Les Lois font de lui l'auteur des quatorze privilèges des hommes d'Arvon. Il aurait marché à leur tête contre les envahisseurs bretons du nord de l'Angleterre, commandés par Clydno Eiddin, Nudd, fils de Senyllt, Mordav Hael, fils de Servari, Rhydderch Hel, fils de Tudwal Tudglyd, venus pour venger la mort d'Elidyr. Cet Elidyr aurait épousé Eurgain, fille de Maelgwn, et aurait péri en revendiquant le trône de Gwynedd, d'après Aneurin Owen, contre Run, enfant illégitime de Maelgwn (Ancient laws, I, p. 104). Le Livre Rouge vante en lui le successeur de Maelgwn et un guerrier redoutable (Skene, p. 220, v. 10). Mailcun, le Maglocunus de Gildas, meurt, d'après les Annales Cambriae, en 547.