TABLE DES MATIÈRES D'OLYMPIANOS
Olympianos : fables

OLYMPIANOS

 

FABLES

 

Oeuvres numérisées par Marc Szwajcer

LES FABLES

D'OLYMPIANOS

PAR

M. EMILE GALTIER.

 

Parmi les fabulistes grecs ou plus probablement byzantins, il en est un à peu près inconnu[1] et dont on chercherait vainement le nom dans les histoires des littératures grecque ou byzantine. C'est un certain Olympianos dont il nous reste vingt-trois fables. L'original grec de ces fables est perdu : le texte ne nous en a été conservé que dans une traduction arménienne publiée à Venise en 1856 par les pères Mekhitaristes, à la suite des fables de Mekhitar Gosh. Ce recueil contient vingt-deux fables dont la plupart existent déjà dans les collections ésopiques et dont quelques-unes se retrouvent dans le recueil de fables attribuées à Vartan[2] et publié par Saint-Martin. A ces vingt-deux fables il faut en ajouter une vingt-troisième qui nous a été conservée par Grégoire Magistros dans une lettre adressée à Ephrem, évêque de Pedchni.[3]. Voici le tableau d'ensemble de ces fables avec les numéros des fables correspondantes dans le recueil ésopique et dans Vartan.

 

OLYMPIANOS

FABULAE ESOPICAE[4]

VARTAN

1. L'Enfant et la Nourrice.

275

2. La Tortue et le Cheval.

630

3. Le Lion amoureux.

249

4. La Belette métamorphosée en femme.

88

5. Le Lion devenu vieux et le Renard.

246

I.

6. Le Cerf et la Biche.

130

7. Le Geai paré des plumes du Paon.

200

8. Les Lièvres et les Grenouilles.

287

9. Le Corbeau et le Cygne.

206

10. L'Âne vêtu de la peau du Lion.

333

11. La Grenouille médecin.

78

12. Les Loups et les Brebis.

268

IX.

13. Le Lion et les Taureaux.

394

14. Le Renard et le Corbeau.

204

XXXVIII.

15. Les Singes qui veulent bâtir une ville.

361

16. L'Aigle et l'Escarbot.

7

XXII.

17. La Colombe et la Fourmi.

296

XXIII.

18. Le Chasseur et la Perdrix.

356

XXVIII.

19. Le Renard affamé et la Glace.

XIX.

20. Les cent ruses du Renard.

21. Le Renard et l'Écrevisse.

VIII.

22. Le Lion et le Renard.

23. Le Lion et les Abeilles.

Langlois croit que quelques-unes de ces fables sont l'œuvre de Vartan, sans dire sur quoi il se fonde pour émettre cette hypothèse. Comme certaines fables se retrouvent à la fois et presque mot pour mot dans Vartan et dans Olympianos, il aura cru probablement à une interpolation due à quelque copiste. Mais si l'on compare le texte des deux fabulistes, on sera plutôt porté à croire que c'est Vartan qui a copié Olympianos. Ainsi la fable XVI d'Olympianos se retrouve dans Vartan, mais incomplète. Vartan n'en a pris que la première moitié et la morale. De même, de la comparaison de la fable VIII de Vartan et de la fable XXI d'Olympianos, il semble résulter que le texte d'Olympianos est le texte primitif auquel Vartan a fait quelques changements insignifiants. En outre, la langue d'Olympianos est plus correcte que celle de Vartan chez qui l'on rencontre des formes vulgaires. Il paraît donc plus vraisemblable d'attribuer à Olympianos la paternité des fables qui se rencontrent chez les deux.

Quelques-unes de ces fables sont-elles dues à un auteur chrétien, comme le croit encore Langlois? Les fables XVIII, XX et XXI se terminent par une morale chrétienne; mais on ne peut dire si cette morale appartient à Olympianos ou si elle a été ajoutée après coup : cette dernière hypothèse est possible. Il est à noter en effet que sur vingt-trois fables, quatre seulement ont une morale chrétienne; mais cela ne prouve pas que la fable même ne soit pas d'Olympianos. C'est par suite de la même tendance moralisante que Nicole Bozon et Odo de Sherington en Occident, Mekhitar Gosh en Arménie ont fait suivre leurs exemples ou leurs fables d'une explication mystique : on en trouve aussi de nombreux exemples dans les fables de Vartan. Il est possible aussi que cette morale appartienne en propre à Olympianos, sur la personnalité duquel nous ne savons rien, non plus que de l'époque à laquelle il a vécu. Nous avons vu que Vartan lui avait emprunté quelques fables : or Vartan est mort en 1271. D'autre part Grégoire Magistros dans sa lettre à Ephrem, évêque de Pedchni,[5] cite une fable d'Olympianos, et Grégoire Magistros est mort en 1058. Les fables d'Olympianos sont donc antérieures à cette date : mais c'est là tout ce que l'on peut en dire. Son nom que l'arménien transcrit par Oghumpianos est le grec Ολυμπίανος. Ces fables d'ailleurs, dont la plupart se retrouvent dans les collections ésopiques, sont d'origine grecque. Si certaines variantes paraissent nouvelles, on a des preuves indirectes que ces variantes existaient dans les textes grecs perdus. Ainsi dans la fable XIII, Le Lion et les Taureaux, il est question de plusieurs taureaux et non de trois comme dans le texte ésopique, mais dans le recueil syriaque,[6] il est question de deux taureaux, et ce recueil dérive du grec. Si dans une autre variante (fable II), nous rencontrons le cheval au lieu de la tortue, nous retrouvons cette variante dans les fables de Dapontès.[7] Vartan lui-même reproduit des textes byzantins perdus : ainsi dans la fable IV, l'agneau pris par le loup le prie de lui faire entendre sa voix avant qu'il meure : le loup y consent, mais les bergers attirés par ses hurlements accourent : cette fable se retrouve dans le Romulus de Marie. De même la fable XXXVI, L'Âne qui n'a ni cœur ni oreilles, parce que le Renard les a mangés, est la même que celle du Romulus de Marie.[8]

Olympianos doit donc être restitué à la littérature grecque et plus probablement byzantine, comme ayant composé un recueil de fables ésopiques aujourd'hui perdu, et qui est antérieur au XIe siècle.

I.

La nourrice dit à son enfant qui pleurait : « Si tu ne te tais pas, je t'emporte et je te jette au loup. » Le loup ayant entendu ces paroles, espéra une proie et demeura là jusqu'au soir afin de prendre l'enfant; mais le soir vint et l'enfant dormit. Le loup s'en revint ce jour-là sans aucune proie. Sa compagne l'ayant interrogé, il lui répondit : « Qui croit une femme est trompé ».

Et toi ne les crois pas : sache que la plupart promettent par ruse et ne donnent de belles espérances qu'en paroles.

Cf. Fabula aesopicae, éd. Halm, 1889, Leipzig, Teubner, n° 275a, 275b, 275c. Le texte d'Olympianos se rapproche surtout de 275c.

II.

La tortue provoqua le cheval à une lutte de vitesse, et lorsqu'un but eut été fixé, le cheval prit la chose en raillerie et se livra tout entier à l'indolence et au désœuvrement. Mais la tortue ne s'occupa plus que de l'arène et d'exercices continuels et elle augmenta sa vitesse par un régime (ou exercice). Quand le moment de la course fut venu, que l'arène fut pleine et que prêts à la course, ils reçurent le signal du départ, alors le cheval à cause de son excessive oisiveté fut empêché (lié) et ne put courir cette fois; tandis que la tortue parcourut tout le stade plus vite qu'on ne l'eût cru et fut victorieuse.

Il ne faut pas trop se fier à sa nature (bnuthium, « ce que l'on est par la nature, sa complexion ») mais il faut en tout de l'exercice et de l'effort.

Cf. n° 420, χελώνη καὶ λαγώος, et 420b. La morale d'Olympianos se rapproche surtout de 420. Ο λόγος δηλοῖ, τι πολλάκις φύσιν ἀμελοῦσαν ὁ πόνος ἐνίκησε, mais la rédaction est différente.

III.

Le lion ayant admiré la beauté d'une jeune fille en fut épris, et étant allé trouver son père, il la lui demanda en mariage. Celui-ci effrayé, ne refusa pas de la lui donner, mais il imagina une ruse et dit au lion : « Je me réjouis d'une alliance avec toi, mais ma fille est effrayée de tes griffes et de tes terribles dents : si tu viens dépouillé de celles-ci, tu paraîtras un époux plus désirable et plus beau. ». Le lion se laissa persuader, car il était tout à fait épris. S'étant arraché les griffes et les dents, il alla trouver la jeune fille. Quand il fut entré (dans la maison), il fut tué à coups de pierres, car il n'avait plus de moyens de défense.

Cette fable enseigne aux hommes (bazum = οἱ πολλοὶ) à ne pas se défaire des armes que leur a données la nature.

Cf. n° 249a et 249b. O. est plus voisin de 249a.

IV.

La belette s'éprit d'un jeune homme et supplia Vénus de la transformer en belle femme. Ses vœux ayant été satisfaits, elle devint une belle femme. Elle fut fiancée à celui qu'elle aimait et on célébra les noces avec les chants, les jeux et les flambeaux des hyménées. Mais ayant vu courir une souris, elle courut derrière elle pour l'attraper.

C'est ainsi que les dispositions naturelles sont irrésistibles et plus fortes que tout.

Cf. n° 88 : Γαλῆ καὶ Αφροδίτη

V.

La vieillesse enleva au lion sa force et sa dignité, et il eut recours à la ruse pour la facilité de sa chasse. Il fît le malade et publia sa maladie. Les animaux vinrent de tous côtés et lui les recevant (dans son antre) les tuait (mettait en pratique sa coutume). Mais le renard s'aperçut de sa ruse et se tenant dehors, debout près de la porte, il faisait sa visite de là. Le lion lui demanda : « Pourquoi seul des animaux, te tiens-tu au dehors? — Ce sont, répondit-il, les traces des pas qui m'en empêchent, car celles des entrants sont visibles, mais celles des sortants ne le sont pas. »

La tromperie des gens rusés est forte auprès des gens simples, mais visible pour les sages.

La même fable se trouve dans Vartan, Choix de fables de Vartan en arménien et en français, 1 vol., 1825, Paris, p. 2-5, mais dans une rédaction assez différente. Le lion fait le malade et place la chèvre comme portier; le cochon vient le voir, mais refuse d'entrer en voyant les traces de pas. La chèvre l'invite à entrer et sur son refus le bat. Le cochon la frappe de ses défenses et la tue. Morale : Le lion est la mort, la caverne le tombeau, et nous insensés... nous savons que ceux qui meurent ne ressuscitent pas et nous amassons continuellement.

Le texte porte uts, mot inconnu selon Saint-Martin qui traduit comme s'il y avait ajis « chèvre » et suppose qu'il faut peut-être lire ints « léopard ». En réalité uts est un vulgarisme pour ots « serpent » et non «chèvre». Cette conjecture est appuyée par ichar z-na « le portier le bat » (Saint-Martin) qu'il faut traduire « il le piqua ». Ce même mot est employé par Olympianos à propos de la fourmi qui pique, mord le chameau, et du hanneton (= scarabée) qui pique Jupiter.

VI.

Sa mère disait au cerf : « Puisque tu l'emportes en grandeur sur les chiens et que tu leur es supérieur en vitesse, il te convient de les repousser, et puisque tu as des bois, d'inspirer aux chiens de la crainte à ton égard. » Le cerf lui répondit : « Oui, je vois ma grandeur et je suis fier de mon bois, et je l'emporte à la course, mais dès que j'entends un aboiement, aussitôt toutes mes résolutions s'évanouissent, je suis saisi de crainte et obligé de m'enfuir ».

Ni à présent, ni jamais exhortations et encouragements d'aucune espèce ne donneront du courage à ceux qui sont poltrons par nature.

Le texte grec est plus abrégé qu'Olympianos et la morale est différente, cf. Decourdemanche, Fables turques, Paris, 1882, fable LXIV, p. 132.

VII.

Un héraut vint de la part d'Ormuzd annoncer à tous les oiseaux de venir vers lui en Orient pour un concours de beauté; le vainqueur devait être le roi des oiseaux. Les sources et les fleuves furent aussitôt pleins d'oiseaux qui se paraient et s'arrachaient les plumes disgracieuses, ne laissant que celles qui servaient à l’ornement. Mais le geai imagina la ruse suivante : il ajouta à ses plumes celles d'autres oiseaux, les ajusta, et il parut très beau et admirable, et il fut varié d'aspect comme un jardin. Il s'enorgueillit de l'éclat de ses plumes et tous les oiseaux et les dieux mêmes l'admirèrent et de l'aveu de tous, il obtint la victoire. Mais l'oiseau de la nuit, qui était plus sage que les autres, reconnut ses plumes et s'approchant, les arracha, et fit ainsi connaître la ruse (du geai) à tous les oiseaux, de sorte que chacun s'approchant arracha au geai ses propres plumes et que le geai dépouillé fut la risée de tous les oiseaux.

Ceci montre qu'il faut regarder comme suffisant ce que nous tenons de la nature et ne pas chercher d'ornements au dehors.

Cf. n° 200 et 200b.

VIII.

Les lièvres s'étant réunis dirent : « Notre vie est insupportable (mot à mot : βίος αβιώτος), car les aigles, les chiens et tout les gens s'unissent contre nous et des maux de toute espèce nous assiègent : il vaut mieux dès à présent nous précipiter dans cet étang et y périr. Quand ils eurent pris cette résolution et qu'ils furent tous d'accord, les grenouilles qui étaient sur le bord de l'étang entendant (le bruit) de leur course, se plongèrent au plus profond de l'étang. Et un des lièvres qui était plus âgé et plus fin leur dit : « Arrêtez-vous, amis, et cessez de vous plaindre, car il y en a qui sont plus peureux que vous ».

C'est une consolation pour les malheureux de voir que leurs maux sont aussi soufferts par le prochain.

Olympianos suit la fable 237b de très près.

IX.

Le corbeau se plaignait de son extérieur disant qu'il était noir de plumes et il regardait le cygne comme heureux à cause de sa blancheur : « Il ne faut pas, lui répondit celui-ci, s'étonner de cette diversité, mais tenir compte de la situation de nos personnes; car toi à force de fréquenter les autels et la fumée, tu noircis tes plumes, tandis que moi je suis tous les jours dans les prairies et les fleuves ». Il parut au corbeau que le cygne avait dit vrai, et s'en étant allé, il (vint) résider les prairies et (sur) les fleuves. Mais la faim (parz manque au dict. de Calfa) l'ayant exténué le fit périr et sa noirceur ne fut diminuée en rien.

Rien ne peut donner une manière d'être nouvelle qui n'est pas dans la complexion naturelle.

Cf. n° 206. Le texte d'Olympianos est beaucoup plus développé : la morale est la même : Φύσιν οὐκ μεταβάλλειν δίαιτα, mais le texte arménien est difficile à rendre avec précision.

X.

Il y avait un âne qui semblait être un lion, car il avait revêtu une peau de lion. De loin par son aspect, il inspirait la crainte et mettait en fuite tous les troupeaux de bœufs et de brebis. Mais quand un vent violent eut soufflé et l'eut dépouillé de sa peau et que sa ruse fut reconnue, tous se dirigèrent vers lui : les uns le frappèrent à coups de bâtons, les autres l'assommèrent parce qu'étant un âne il avait fait croire faussement à la plupart (des gens) qu'il était un lion.

Et toi, intelligent, tu as besoin de souffrances (d'être châtié?) parce que tu es peu instruit et que tu affectes l'apparence des conseillers (?).

Cf. n° 333a sauf en morale.

XI.

Il y avait une grenouille à la voix retentissante et en même temps orgueilleuse. Elle dit aux autres animaux : « Je puis être votre médecin et guérir tout le monde, car j'ai appris les arts d’Asklépios (asklipiadaitsn= φάρμακα ?) ». Ayant dit cela, elle crut qu'elle serait regardée comme quelqu'un (d'important) et fut remplie d'orgueil. Mais le renard qui était plus sage que tous les autres, comprit son orgueil et lui dit : « Il est clair qu'en montrant un corps aussi vert et aussi malade, tu peux par tes remèdes guérir les autres, mais qu’avec ces mêmes remèdes, tu n'es pas capable de te donner la santé ».

Il ne convient pas de dire des mensonges, car souvent ils se dénoncent d'eux-mêmes.

Cf. 78, 78b, 78c. La morale de 78c est : Ἀλαζονεία τὸν ἔλεγχον οἴκοθεν ἔυρατο. Decourdemanche, Fables turques, fable LXXI (d'après Planude).

XII.

Les loups étant allés en ambassadeurs vers les brebis leur dirent : « Si une guerre perpétuelle existe entre nous et vous, ainsi qu'une haine constante, les chiens en sont la cause, car ils nous irritent et nous poussent malgré nous à l'inimitié; mais si vous les supprimez, la paix existera entre vous et nous et vous n'éprouverez plus aucun dommage de notre parti ». Les brebis les crurent, car elles sont peu intelligentes et elles supprimèrent la garde des chiens. Les loups les voyant dépourvues de chiens, se précipitèrent sur elles et les égorgèrent toutes.

Cette fable conseille de se tenir en garde contre les conseils des ennemis.

Cf. 268a et 268b. Vartan, fable IX, p. 17, a la même fable (les Chèvres et les Loups). Chez lui ce sont les chèvres qui demandent la paix : les loups leur font connaître que ce sont les bergers et les chiens qui sont cause de leurs démêlés : les chèvres les chassent et sont égorgées.

XIII.

Des taureaux paissaient ensemble : il y avait quelque part dans le voisinage un lion, et par crainte de ce lion les taureaux demeuraient unis (dans l'amour de l'union) et vivaient ensemble, ils paissaient et marchaient ensemble, et ils se gardaient du lion. Le lion ne pouvant les vaincre par la force, imagina contre eux une ruse : ayant feint hypocritement l'amitié, il se présenta à chacun d'eux à part et leur répéta leurs médisances réciproques, et les ayant rendus ennemis, il les sépara et s'empara d'eux.

Ceci enseigne aux amis à conserver fermement leur amitié.

Cf. 394 et 394b. Il y est question de trois taureaux. Dans Hirschfeld, Beiträge zu syrischen Fabelliteratur, inaug. Diss., Halle, 1893, fable XVI, il est question de deux taureaux : comme les fables syriaques représentent des originaux grecs perdus il en résulte qu'il a dû y avoir des rédactions grecques qui avaient ce nombre.

XIV.

Le corbeau avait un fromage en son bec et il se posa sur un lieu élevé. Le renard entreprit de lui enlever le fromage; s'étant approché et ayant levé les yeux vers lui, il le proclama heureux à cause de sa complexion physique : « Car tu es noir de couleur et enfant de la nuit, et il te convient de te réjouir de ta couleur; tu possèdes des qualités que n'ont pas les autres; tu as la sagesse et rien n'empêcherait que la royauté passe de l'aigle à toi et nul ne s'opposerait à ce que tu deviennes le roi des animaux, si tu avais la voix ». Le corbeau fut flatté de cet éloge, et ayant voulu montrer l'étendue de sa voix, il ouvrit son bec et poussa un fort cri : le fromage tomba et devint la proie du renard. Après s'être rempli de cette nourriture, il dit : « Tu as la voix très forte, mais tu manques de jugement? »

Sachant cette fable, ne te fie pas aux éloges des flatteurs.

Cf. n° 204. Dans Vartan, fable XXXVIII, La Corneille et le Renard, la rédaction est différente.

XV.

Les singes méditèrent quelque chose au-dessus de leur nature : jaloux des hommes, ils se proposèrent d'habiter dans une ville, d'établir des assemblées et des conseils, d'exercer des métiers et de vivre ensemble à la manière des hommes. Et après que cela eut été décidé et qu'ils eurent commencé l'affaire, un vieux singe leur dit : « Pourquoi avez-vous une telle idée, car lorsqu'à présent les hommes nous poursuivent, ils ne s'emparent de nous que difficilement, mais quand nous serons réunis dans un même endroit, ils nous entoureront et nous tueront facilement ».

La vieillesse possède la sagesse par l'effet du temps, mais plus encore par l'expérience.

Cf. n° 361 qui n'a pas de morale.

XVI.

[L'aigle poursuivait la perdrix : celle-ci se réfugia auprès de l'escarbot : il intercéda pour elle mais l'aigle ne l'écouta pas. L'escarbot fut irrité; il monta au nid de l'aigle, renversa son œuf, le jeta en bas, le brisa et il priva l'aigle de postérité pour longtemps.]

L'aigle s'en étant allé, fît son œuf dans le sein du roi (des dieux : ces mots manquent au texte). L'escarbot l'ayant appris, vint entre ses jambes et le piqua à l'extrémité des cuisses : il fît un saut et l'œuf ayant roulé se brisa.

[Ceci montre (qu'il ne faut pas) se faire, autant que possible d'ennemi de qui que ce soit, quelque pauvre et faible qu'il soit.]

Cf. n° 7. Vartan, fable XXII, a copié Olympianos en changeant un mot ou deux. Sa fable se termine au milieu et il y ajoute de suite la morale. La partie entre crochets représente la fable de Vartan. Saint-Martin traduit bzez par « scarabée », j'ai traduit par « escarbot », mais le dictionnaire de Calfa ne donne que « hanneton » pour ce mot.

XVII.

LA FOURMI ET LA COLOMBE.

La colombe tendit une feuille à la fourmi qui ne fut pas suffoquée dans l'eau et la fourmi piqua la cuisse du chasseur dont la colombe fut sauvée.

Cette fable est la seule qui porte un titre dans Olympianos. Cf. n° 296. Vartan, fable XXIII, p. 67, a la même fable mais plus développée : la voici d'après la traduction de Saint-Martin. « Une fourmi étant tombée dans l'eau, elle se noyait lorsqu'une colombe la voit et jette une petite branche dans l'eau : la fourmi l'atteignit et fut sauvée; mais voilà que dans le même moment un oiseleur tendait son filet pour prendre la colombe : la fourmi se glisse dans ses cuisses et le pique : celui-ci tressaille et s'irrite de ce mal inopiné : il fait remuer son roseau et son filet, alors la colombe s'envole et se sauve. »

Cette fable montre qu'il faut faire l'impossible pour celui qui vous a fait du bien.

Cf. Decourdemanche, Fables turques, fable LXIII d'après Rinuccio d'Arezzo.

XVIII.

Un chasseur prit une perdrix et voulut la tuer. La perdrix lui dit : « Ne me tue pas, car je duperai les autres perdrix et je les amènerai dans tes filets ». Le chasseur lui dit : « En vérité, tu mourras tout à l'heure de ma main, parce que tu (veux) entraîner à la mort tes parents et tes amis ».

Ceci montre que tu ne dois pas tendre des pièges à ton ami, car Dieu n'approuve pas ton action et de plus te prépare la pareille.

Cf. 356. Vartan, fable XXXVIII, p. 56 reproduit textuellement cette fable avec la variante i kams kho « à ta volonté » au lieu de y kho [akanat « piège »].

XIX.

Un renard eut faim : il trouva de la glace et se mit à la broyer et à la manger et il dit : « Malheur à moi, car la venue du loup est terrible (?), le bruit est grand dans ma tête et rien ne descend dans mon ventre ».

Ceci montre que la gloire du monde et sa grandeur sont comme un songe et ne consistent qu'en bruit et illusion : ensuite rien ne reste car elles sont passagères et trompeuses.

Cette fable manque en grec : il y en a une rédaction en slave, si je ne me trompe, cf. Légei, Contes pop. slaves, ce qui semble indiquer un texte byzantin, hypothèse corroborée par la fable ci-dessus. Vartan, fable XIX, p. 31, a copié cette fable en ajoutant deux ou trois mots et en supprimant ahagin ê gal gayloyn.

XX.

On demanda au renard : « Combien de ruses et d'artifices sais-tu? » Il rit (?) et dit : Je sais mille ruses et artifices : trente dans ma queue devant les chiens, à plus forte raison, combien en ma personne, mais ma plus grande ruse est celle-ci, de ne pas voir les chiens et de n'être pas vu par eux.

Cette fable nous montre qu'innombrables sont ceux qui font pénitence de leurs péchés et se convertissent à Dieu; celui-là est un être parfait, qui ne pèche pas.

Cf. Choix de proverbes et dictons arméniens, Venise, 1888. Le renard ne forme qu'un vœu, celui de ne pas voir le chien et de n'être pas vu par lui, mais cette traduction est inexacte; le texte porte : « On demanda au renard : qu'est ce qui vaut mieux (hartsin uor ê lau), il dit: « Ce qui vaut mieux c'est que je ne voie pas le chien et que… et... ».

XXI.

Le renard et l'écrevisse vivaient (étaient) en frères : ils semèrent et moissonnèrent : ils battirent le blé et le mirent en tas. Le renard dit : « Allons sur cette colline et celui qui descendra le plus vite prendra la moisson ». Tandis qu'ils montaient l'écrevisse dit : « Fais-moi un plaisir, quand tu voudras courir, frappe avec ta queue devant moi, afin que je sois avertie et que je te suive ». Le renard frappa avec sa queue et se mit à courir. L'écrevisse saisit la queue du renard et quand le renard arriva au tas et se retourna, pour voir si l'écrevisse était là, l'écrevisse tomba sur le tas de blé et dit : « Au nom de Dieu, il y a ici à moi trois boisseaux et demi ». Le renard étonné lui dit : « Comment, toi méchante, es-tu venue là »?

Cette fable enseigne que les gens trompeurs disent des paroles et font des actions qui tournent à leur préjudice et que les faibles triomphent d'eux : [en outre que beaucoup de pécheurs avec ce faible corps s'efforcent sagement et vainquent Satan : ils effacent leurs péchés en les confessant et les pleurant et ils deviennent possesseurs du pain céleste].

Cette fable a été copiée par Vartan, fable VIII, p. 17 : qui a supprimé la fin de la morale entre crochets. Cf. Georgeakis et Pineau, Le folklore de Lesbos, 1 vol., Paris, Maisonneuve, 1896, p. 95-96.

XXII.

Le lion avait pour serviteur le renard et il lui dit : «Lorsque tu verras du sang dans mes yeux, préviens-moi, c'est le signe (qui indique le moment) de ma chasse ». Le lion chassait et ils vivaient contents. Le renard étant devenu fier, quitta le lion, alla trouver le loup, en fit son serviteur et lui dit : « Quand je te demanderai s'il y a du sang dans mes yeux ou s'il y en a pas, réponds-moi : Oui ». Le loup lui dit : « Le sang s'amasse dans tes yeux ». Le renard fut joyeux, se posta dans le chemin des biches et dit au loup : « Combats pour moi (?) ». Et quand les biches arrivèrent, il courut au devant d'elles comme il l'avait vu faire au lion. Et les biches frappèrent la tête du renard et le tuèrent. Le loup lui dit : « Lève-toi car à présent le sang s'amasse en quantité dans tes yeux ».

Ceci montre qu'il ne convient pas à l'homme de vouloir plus qu'il ne peut ni dans le spirituel, ni dans le corporel.

XXIII.

Un lion dormait : un geai, d'autres disent un essaim d'abeilles, voulut prendre dans les dents du lion les restes de son dernier festin. Le lion agitait sa queue pour chasser les importuns, mais personne ne bougeait. Le lion fatigué de l'indiscrétion de ces parasites, donne un bon coup de dent et ferme la gueule. Quelques abeilles que la dent du lion avait épargnées s'échappèrent par ses naseaux et se présentèrent au tribunal des abeilles d'Aggaron (akkarown) pour accuser devant le juge de Crète les mâchoires du lion. Mais le juge ne leur donna pas raison et leur dit : « N'entrez jamais dans la gueule du lion, lorsqu'il sommeille, autrement vous serez croquées et tout au plus pourrez-vous bourdonner dans son palais. Bourdonnez dans votre ruche selon votre plaisir, mais n'allez point à la cour ».

Voici la morale de cette fable : Entrez dans votre demeure ou dans votre cabane et chantez-y, mais n'entrez pas dans les assemblées, autrement vous courez risque d'être écrasés comme les abeilles de la fable.

Cette fable se trouve dans la Lettre de Grégoire Magistros à Ephrem, évêque de Pedchni, cf. Langlois, Mémoire sur la vie de Grégoire Magistros (Journ. asiat.), 1869, t. XIII, p. 36.

 

 

 

 

 


 

[1] Le premier, Newmann avait appelé l'attention sur celte collection de fables, cf. Z. D. M. G., LII. Dépourvu de tout secours bibliographique, je n'ai pu consulter ni les histoires de la littérature arménienne, ni les ouvrages de bibliographie arménienne, tels que Karékin, ni le dictionnaire des Mekhitaristes; je sollicite à ce titre l'indulgence des arménistes.

[2] Choix de fables de Vartan en arménien et en français (ouvr. p. p. la Soc. asiat.), 1 vol. in-8°, Paris, 1825.

[3] Langlois, Mémoire sur la vie de Grégoire Magistros (Journ. asiat., 1869, XIII, p. 36).

[4] Halm, Fabulae aesopicae collectae, 1 vol., Lipsiae, Teubner 1889.

[5] Journal asiatique, 1869, t. XIII, p. 36.

[6] S. Hochfeld, Beiträge zur syrischen Fabel-literatur, 1893, Halle, p. 31.

[7] C. Dapontès, Fables, extraites de la Géogr. histor.; Legrand, Bibliothèque en grec vulgaire, t. III, p. 259-260, τὸ ἄλογο καὶ ἡ χελώνα. On y trouve aussi deux anecdotes relatives à Nasr-eddin Khodja, ὁ ναστρατὴν χότζαζ καὶ τὸ παπλομά του, p. 261 =73 de la version turque. Cf. Moulieras, Les fourberies de Si Djeha, p. 40 et p. 267, τὸ καζάνι = n° 16 de la version berbère : Basset, apud Moulieras, p. 45. Ces versions grecques dérivent du turc. On retrouve aussi dans Vartan, Fables, p. 83 (L'Homme insensé), l'anecdote XXXIX de la version berbère de Si Djoha, Basset, ap. Moulieras, p. 42.

[8] Cf. Hervieux, Les fabulistes latins, Phèdre et ses imitateurs, 2 vol., 1884, Paris, l. II, p. 586.