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THÉOPHRASTE

LE TRAITÉ DES LOIS

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 


 

 

LE TRAITÉ DES LOIS

DE

THÉOPHRASTE.

 

 

Théophraste, l'élève d'Aristote et son successeur dans la direction du Lycée, est surtout connu par ses traités de botanique et par ses Caractères, que notre La Bruyère a traduits en français. Ses autres ouvrages ne sont pas parvenus jusqu'à nous; nous en connaissons les titres par la liste qu'en donne Diogène de Laërte, et cette liste est longue, car il n'est peut-être pas de sujet auquel Théophraste n'ait touché. Toutes les branches de la science humaine y sont représentées. C'était une encyclopédie immense que les anciens admiraient fort, et dont les débris nous étonnent encore aujourd'hui.

Parmi ces ouvrages, il en est plusieurs dont la perte doit surtout exciter nos regrets. La Rhétorique, la Poétique, la Morale, quoique souvent citées par Cicéron, par Plutarque, par Marc-Aurèle lui-même, ne nous apprendraient peut-être pas beaucoup plus que les ouvrages immortels d'Aristote; mais la Politique, et, surtout, le Traité des lois, en vingt-quatre livres, nous feraient connaître tout un coin de l'antiquité qui est resté obscur pour nous. Théophraste a été un jurisconsulte, et le seul jurisconsulte considérable que la Grèce ait produit.[1] Il est donc intéressant de recueillir les fragments de son livre. Je les mettre en ordre et de les expliquer. C'est ce que nous essaierons de faire dans le Mémoire qu'on va lire.

Ce soin a été négligé jusqu'ici par les divers éditeurs de Théophraste. Leurs collections de fragments sont très incomplètes, et sans aucun ordre. Quant à l'interprétation, personne ne paraît y avoir pris garde. Plusieurs de ces textes sont absolument inintelligibles dans leur état actuel. Nous avons hasardé quelques corrections qui paraissent commandées par le sens général, sans toutefois faire trop de violence au texte des Manuscrits.

Quant au commentaire, il sera très bref. Nous ne prétendons pas faire un traité de droit grec, ni même rattacher au texte de Théophraste tous les textes parallèles. Un travail de ce genre nous conduirait trop loin. Nous nous bornerons aux observations strictement nécessaires pour établir le sens, et nous signalerons les principales conséquences qui nous paraissent pouvoir être tirées de ces fragments.

La lecture de notre Mémoire conduira peut-être à penser que, si l'étude du droit hellénique est intéressante par elle-même, elle est indispensable pour l'intelligence complète du droit romain. Les Douze Tables n'ont pas été empruntées aux lois de Solon, mais la plus grande partie du droit attique a passé dans l'édit du préteur. Un grand nombre de jurisconsultes romains étaient Grecs ou d'origine grecque, élevés dans la littérature et la philosophie grecque. L'influence hellénique dans le développement du droit romain a donc été considérable. Elle n'a pas été jusqu'à ce jour assez étudiée. C'est un sujet que nous recommandons à toute l'attention des jurisconsultes et des hellénistes.

I.

Les lois doivent être faites, a dit Théophraste, en vue de ce qui arrive le plus souvent, et non en vue d'événements extraordinaires.

II.

Les législateurs; dit Théophraste, ne tiennent aucun compte de ce qui n'arrive qu'une fois ou deux.

III.

Il faut peu de lois aux honnêtes gens, car les affaires ne se font pas en vue des lois; ce sont au contraire les lois qui se font en vue des affaires.

Ces trois fragments faisaient, sans doute, partie d’un livre préliminaire consacré à des considérations générales et philosophiques sur le droit et les lois. Nous n'avons pas à en apprécier ici la valeur. Ce qui est digne de remarque, c'est de voir Théophraste cité par deux jurisconsultes romains, Pomponius et Paul.

Si l'on en croit Plutarque, les ouvrages de Théophraste auraient été apportés à Rome par Sylla en même temps que ceux d'Aristote, et c'est à Rome qu'ils auraient été publiés par le grammairien Tyrannion et Andronic de Rhodes. Quoiqu'il en soit de cette érudition, il est certain que le Traité des lois de Théophraste a servi de modèle à Cicéron, qui le cite avec les plus grands éloges.[2]

IV.

Κύρβεις, poteaux triangulaires, ou tableaux portant les lois civiles et servant de registres publics; ainsi appelés parce qu'ils sont recourbés en pointe vers le haut, ou durcis, comme dit Apollodore. Suivant Théophraste, le nom vient des Corybantes de Crète. Ce sont un effet comme les copies des rites corybantiques.

Nous n'avons pas besoin de signaler l'absurdité de celle étymologie. L'abus de l'étymologie, si fréquent chez les jurisconsultes romains, est, encore un emprunt fait aux Grecs. (Cf. Apollodori fragmenta, 24-26, dans les Fragmenta historicorum grœcorum, éd. Didot, p. 432.) V.

V.

Thesmothètes. Démosthène dans le discours contre Androtion. Les Thesmothètes constituent une des magistratures d'Athènes. Ils sont au nombre de six, et font partie des neuf Archontes. On les appelle ainsi parce qu'ils ont la surveillance des lois, or les lois s'appelaient Θεσμοί, comme nous l'avons déjà dit. Chaque année ils mettaient les lois en ordre, comme le disent Eschine dans le discours contre Ctésiphon, et Théophraste dans le IIIe livre des Lois. Aristote, dans son livre sur le gouvernement des Athéniens, énumère toutes les attributions des Thesmothètes.

Ce fragment et le suivant appartiennent au troisième livre, qui imitait, sans doute, des pouvoirs publics et des magistratures. Il est, en effet, question des Thesmothètes dans le discours de Démosthène contre Androtion, §§ 21, 23, 29, οù l'on voit qu'Androtion, accusé d'avoir propose un décret illégal, parce que son immoralité l'aurait rendu indigne de parler au peuple, se défendait en disant que, s'il s'était rendu coupable d'immoralité, ses adversaires devaient le poursuivre devant les Thesmothètes, seuls compétents en pareils cas.

Quant à la fonction législative des Thesmothètes,[3] elle est très clairement expliquée dans !c passage cité d'Eschine contre Ctésiphon, §§ 38, 39 : « Il (Solon) a expressément ordonné aux Thesmothètes de réviser les lois chaque année, de rechercher avec soin s'il en existe de contradictoires ou d'abrogées, ou même s'il y en a plus d'une sur le même sujet. S'ils en trouvent, ils doivent les transcrire sur des tablettes et les afficher aux statues des héros. Les prytanes assemblent alors le peuple et font désigner des Nomothètes. Le chef des Proèdres recueille les suffrages, et de ces lois les unes sont abolies, les autres maintenues, en sorte qu'il n'y a jamais qu'une seule loi sur le même sujet.»

L'ouvrage d'Aristote sur le gouvernement des Athéniens est perdu. C'était une partie de son grand ouvrage sur les Constitutions, dont on peut voir les fragments dans les Philosophorum grœcorum fragmenta, éd. Didot.

VI.

Ardettos. Lysias dans le discours contre Leptine. C'était un emplacement situé à Athènes, au-dessus du stade panathénaïque vers le dème qui est au-dessous d'Agrylé. C'est là, dit-on, que tous les Athéniens, réunis en assemblée populaire, prêtaient le serment héliastique. Il tenait son nom d'un ancien héros, Ardettos, qui fit, le premier prêter serment aux Athéniens. Théophraste, dans ses livres sur les lois, fait voir que cet usage est tombé en désuétude.

Agrylé était un des dèmes de la tribu Erechthéide.

Le texte du serment des Héliastes se trouve dans Démosthène, Discours contre Timocrate, § 149-151; mais l'authenticité de ce texte est sérieusement révoquée en doute. V. aussi Pollux, VIII, 122.

Sur l'héliée, c'est-à-dire le jury athénien et la formule du serment judiciaire. V. George Perrot, Essai sur le droit public et privé de la république athénienne, p. 221, 237 et suiv.

VII.

L’εἰσαγγελία s'emploie contre les crimes nouveaux et non prévus par la loi. C'est ce que nous apprend Caecilius. Théophraste, dans le ive livre des Lois, dit qu'elle a lieu lorsqu'un orateur cherche a renverser le gouvernement populaire, ou donne de mauvais conseils en se laissant corrompre à prix d'argent, ou lorsqu'une personne livre une place forte, des vaisseaux, ou des troupes de terre, ou lorsqu'une personne se rend chez les ennemis, ou demeure avec eux, ou prend les armes avec eux, ou reçoit d'eux des présents.

Le quatrième livre de Théophraste, auquel appartiennent les fragments VII et VIII, traitait des accusations criminelles, γραφαί.

L'εἰσαγγελία, dont il est parlé dans le fragment VII était une forme d'accusation extraordinaire. Elle se portait devant l'Assemblée du peuple, qui pouvait juger elle-même, mais qui, le plus souvent, renvoyait l'affaire aux tribunaux.

VIII.

C'était l'usage, à Athènes, de porter devant le peuple les accusations préparatoires (προβολαί) contre les archontes et les sycophantes, Le peuple votait en levant les mains, et si la plainte· était appuyée, le prévenu était traduit devant le tribunal. Le mot se rencontre souvent chez Démosthène dans le discours contre Mïdias, chez Hypéride dans le discours pour Chéréphile au sujet des poissons salés. Théophraste a aussi parlé de la Καταχειροτονία dans le ive livre des Lois.

Après avoir traité de l’εἰσαγγελία, Théophraste parlait de la προβολὴ, c'est-à-dire de l'accusation préparatoire qui se portait en certains cas devant l'assemblée du peuple, et qui peut être comparée à une demande en autorisation de poursuites. Le peuple votait on levant les mains. Si le vote était contre l'accusé (Καταχειροτονία), l'accusateur portait la cause devant un tribunal.

IX.

Théophraste s'exprima ainsi (dans le cinquième livre des Lois) : dans les accusations publiques, à Athènes, si l'accusateur n'obtient pas la cinquième partie des suffrages, il paie une amende de mille drachmes, et de plus il est frappé de certaines incapacités, par exemple il ne peut plus intenter ni la γραφὴ καρανόμων, ni la φάσις, ni la ὑφηγήσις.

X.

Théophraste assure que dans les autres accusations, si l'accusateur n'obtient pas le cinquième des suffrages, il encourt une amende de mille drachmes et de plus certaines incapacités, tandis que dans l’εἰσαγγελία il encourt l'amende sans aucune incapacité ; mais cela parait avoir été introduit plus tard, pour remédier a l'abus de l’εἰσαγγελία.

Ces deux textes (IX et X) qui se complètent l'un l'autre, se réfèrent évidemment à un seul et même passage du cinquième livre de Théophraste. C'est la suite de la théorie de l’εἰσαγγελία. Il s'agit de la peine infligée aux accusateurs téméraires. La γραφὴ καρανόμων était l'accusation d'illégalité dirigée contre quiconque avait proposé ou fait passer un décret contraire aux lois. La φάσις était l'action intentée contre les auteurs de contraventions en matière fiscale; elle était rémunérée par une part dans l'amende prononcée. La ὑφηγήσις, qu'il ne faut pas confondre avec l’ἐφήγησις, était une action dirigée contre les détenteurs de choses appartenant à l'Etat.

On peut voir un exemple d’εἰσαγγελία dans le discours d'Hypéride contre Lycophron (Hyperidis orationes quatuor, éd. Blass., Leipzig, 1869.)

XI.

Si tous les témoins, ou plus de la moitié d'entre eux, étaient condamnés pour faux témoignage, l’affaire était jugée de nouveau. Toutefois ces nouveaux jugements n'avaient pas lieu dans toutes sortes de contestations. On les donnait seulement comme dit Théophraste dans le viie livre des Lois, dans les affaires de nationalité, de faux témoignage et de succession.

Le septième livre contenait la suite des actions publiques, et notamment l'action de faux témoignage.

Le droit athénien admettait deux cas de révision. Le premier était celui d’un jugement rendu par défaut, sans que la partie défaillante fût en faute pour ne pas s'être présentée; c'est ce que nous appelons l’opposition. Le second cas était celui dont parle Théophraste. Lorsque la partie condamnée parvenait à faire condamner pour faux témoignage les témoins produits par son adversaire, la condamnation prononcée contre elle n'avait plus de base légale. En ce cas, la partie ainsi injustement condamnée pouvait intenter contre son adversaire victorieux une action en dommages-intérêts, δίκη κακοτεχνιῶν. Mais cette action même n'aurait pas toujours été suffisante pour réparer le préjudice causé. Aussi la loi accordait-elle la restitutio in integrum, et un nouveau jugement, ἀναδίκια, toutes les fois que la condamnation avait porté atteinte à l'état civil, à l'honneur, au droit de famille et de parenté. Tel était, en effet, le résultat de la condamnation dont parle Théophraste. Nous n'avons rien à ajouter à ces explications données par Meier et Schoemann, Der attische Process, p. 753-762.

XII.

Si vous voulez trouver dans un livre le mot d'ἀπαρτία, (menus meubles) afin d'avoir une autorité pour l’emploi de ce mot, vous le trouverez dans le second livre des Iambes d'Hipponax : « Il a tous ses menus meublas intacts, » et chez Théophraste dans le xe livre des Lois.

XIII.

Démétrius, dans le troisième livre de sa Législation, dît que la loi ordonnait aux Métèques de porter dans les processions les vases servant aux sacrifices. Leurs filles étaient obligées de porter les aiguières et les parasols. Théophraste a aussi parlé de cet usage dans le xe livre des Lois.

XIV.

Plus muet qu'un vase a sacrifices, se dit de ceux qui gardent le silence à cause de leur basse extraction. Théophraste, dans son ouvrage sur les Lois, dérive cette locution de l'usage suivant lequel à Athènes les Métèques prenaient part aux processions publiques en portant des vases, et lorsqu'on voulait designer un Métèque, on l'appelait vase ou porte-vase. Et comme les Métèques n'avaient pas la liberté de la parole, de là est venue celle locution: « Je te rendrai plus muet qu'un vase. »

XV.

Isotèle, Isotélie. Isée emploie fréquemment ces termes dans le discours contre Elpagoras. C'est un honneur que l'on accordait aux Métèques jugés dignes de l'obtenir, et qui comportait l'exemption de la contribution personnelle imposée aux Métèques, comme le dit Lysias dans le discours contre Sostrate accusé de violence, si ce discours est authentique. Théophraste dit, dans le xie livre des Lois, que les Isotèles étaient exempts de toutes les autres charges imposées aux Métèques. Il ajoute que parfois les Athéniens conféraient l'exemption à des cités entières, par exemple aux Olynthiens et aux Thébains. On peut apprendre par le discours précité d'Isée à quelles charges l'Isotèle restait soumis.

Les livres x et xi traitaient, comme on le voit, des Métèques, c'est-à-dire des étrangers domiciliés, et, en général, de la jouissance des droits civils et politiques.

L'isotélie, c'est-à-dire la participation aux charges publiques, avait pour effet de conférer aux Métèques la jouissance des droits civils, à l'exclusion des droits politiques, notamment le connubium, ἐπιγαμία, et le commercium, ἔγκτησις. (Sur l'isotélie conférée à des villes entières, v. Egger, Etudes historiques sur les traités chez les Grecs et chez les Romains, 1866.)

Théophraste dit que l'isotélie conférait aux Métèques non seulement l'exemption de l'impôt spécial, mais encore la dispense des autres charges qui pesait sur eux. Parmi ces charges était l'obligation d'avoir un citoyen pour répondant, προστάτης, et celle dont il est parlé dans le fragment qui précède.

XVI.

On appelle ἐφορία le marché qui se tient sur la frontière, comme nous l'apprennent Démosthène dans son discours control Aristocrate, et Théophraste dans le xiiie livre des Lais,

Voir Démosthène contre Aristocrate, §§ 37-40, où il cite la loi de Solon, qui défendait de tuer le meurtrier réfugié en terre étrangère, à moins qu'il ne se présentât soit au marché de la frontière (ἀγορὰ εφορία), soit aux jeux ou aux cérémonies amphictyoniques.

XVII.

Ceux qui étaient condamnés pour un meurtre involontaire avaient la faculté d'administrer leurs biens. C'est ce que Démosthène donne à entendre dans le discours contre Aristocrate, et Théophraste montre la même chose dans le xiiie livre des Lois.

Les livres xiii à xvi traitaient du meurtre et des attentats contre les personnes, ainsi que des diverses actions auxquelles ces attentats pouvaient donner lieu (φονικαὶ δίκαι).

Le texte cité de Démosthène est tiré du discours contre Aristocrate, §§ 71-73. On y voit que le meurtre involontaire était jugé par les Ephètes au Palladion, ἐπὶ Παλλαδίῳ. En cas de condamnation, le meurtrier pouvait s'exiler jusqu'à ce qu'il eût transigé avec les parents du défunt. V. Perrot, p. 211.

XVIII

Φαρμακῶντα. Démosthène emploie ce mot dans le discours contre Stéphanos. On appelle φαρμακῶν celui dont la raison a été altérée par des poisons, ainsi que l'explique Théophraste dans le ive livre des Lois.

Voici le passage cité de Démosthène (contre Stéphanos, II, § 16): « Celui-là même qui est sans enfants n'est pas le maître de disposer de ses biens s'il n'est pas sain d'esprit. S'il est malade, s'il a l'esprit troublé par des poisons, s'il a cédé aux suggestions d'une femme, s'il est sous l'empire de la vieillesse, ou de quelque égarement, ou de quelque contrainte, les lois déclarent son testament nul. »

XIX.

Le tribunal de Phréatte paraît avoir été nommé ainsi ou souvenir d'un certain héros appelé Phréatte. C'est ce que dit Théophraste dans le xvie livre des Lois.

Démosthène, dans le discours contre Aristocrate, §§ 77-79, explique très bien ce qu'était cette singulière juridiction. Elle était réservée pour le cas où un exilé pour meurtre involontaire, n'ayant pas encore transigé avec les parents du défunt, et ne pouvant, par conséquent, pas rentrer dans l'Attique, était poursuivi pour un meurtre volontaire. Les juges siégeaient alors au bord de la mer, dans un endroit appelé Phréatte, ἐν Φρεαττοῖ. L'accusé s'approchait dans une barque et plaidait sa cause sans loucher terre. Condamné, il subissait sa peine ; absous, il reprenait le chemin de l'exil. Telle était du moins la loi. Les anciens ne disent pas si jamais s'offrit l'occasion de l'appliquer. V. Perrot, p. 211.

XX.

On appelle argent du meurtre (ὐποφόνια) la somme que l'on donne pour un meurtre aux parents de la victime, pour qu'ils n'exercent pas de poursuites. Dinarque dans le discours contre Callisthène, et dans le discours contre Phormisios. Théophraste dans le xvie livre des Lois,

C'est le prix du sang, qui se rencontre chez tous les peuples à un certain degré de civilisation. On en trouve encore un exemple dans le discours de Démosthène contre Théocrine, § 28, où l’on voit un frère pardonner, à prix d'argent, au meurtrier de son frère. V. Dugit, Étude sur l'Aréopage athénien, 1867, p. 112.

XXI.

Théophraste, dans son ouvrage sur les Lois, dit qu'il y a chez, les Athéniens des autels de l'injure et de la vengeance.

Nous plaçons ici ce fragment qui se rapporte encore à la juridiction de l'Aréopage et aux lois sur le meurtre. Cicéron paraît avoir eu en vue ce passage de Théophraste lorsqu'il dit, dans son Traité des lois:[4] « Nam illud vitiosum Athenis quod Cylonio scelere expiato, Epimenide Crete suadente, fecerunt contumeliae fanum et impudentiae. Virtutes enim, non vitia, consecrare decet. » Par malheur, cette réflexion morale paraît reposer sur un malentendu. Les prétendus autels dont il s'agit étaient des pierres non taillées qui servaient de tribune aux deux parties devant l'Aréopage. Celle du poursuivant s'appelait la pierre de l’ναιδεία, c'est-à-dire celle de la vengeance inflexible, qui refuse de recevoir le prix du sang (αἰδεῖσθαι). Celle de l'accusé s'appelait la pierre de l’ὕβρις, c'est-à-dire de l'orgueil qui pousse au crime. V. Schœmann, Griechischc Staais alterthümer, t. I, p. 471, cf. Dugit, Etude sur l’Aréopage athénien, p. 120.

XXII.

§ 1. Certains législateurs veulent que les ventes soient faites par un crieur public et qu'elles soient criées plusieurs jours à l'avance; d'autres exigent qu'elles aient lieu par devant un magistrat. Ainsi, Pittacos vaut que ce soit, par-devant les rois et le prytane. Il y en a qui prescrivent que la vente soit affichée devant le lieu où siège le magistrat, pendant soixante jours au moins, comme à Athènes, et que l’acheteur paye le centième du prix, pour qu'il soit libre à tout venant de réclamer et de contester, et que l'on sache par le payement du prix quel est le juste acquéreur. Ailleurs encore les ventes doivent être criées pendant cinq jours consécutifs avant d'être confirmées, pour laisser aux intéressés le temps d’intervenir et de réclamer la propriété ou la maison, et on observe la même chose pour' les dations d'hypothèques. Telles sont les lois de Cyzique. Les Thuriens suppriment toutes ces formalités et ne publient pas les ventes sur la place publique ainsi que les autres, mais tes, mais ils obligent le vendeur et l'acheteur à se réunir pour donner à trois des plus proches voisins une petite pièce de monnaie, en mémoire et en témoignage du fait. Il est bien entendu que les magistrats, dans un cas, et les voisins, dans l'autre, doivent être rendus responsables s'ils refusent de recevoir, ou s'ils reçoivent deux fois de la même personne, ou si ayant reçu ils refusent d'indiquer le nom de l'acheteur. Au surplus il ne faut pas oublier que les affiches et les criées et tout ce qui concerne les oppositions, ne sont, la plupart du temps, que des expédients employés pour remédier à l'absence d'une autre loi. En effet partout où est établie l'inscription des propriétés et des contrats, il est facile de savoir par là si les biens sont libres et sans charges, et si le vendeur est réellement propriétaire, puisque le magistrat inscrit immédiatement l'acheteur à la place du vendeur.

§. 2. Comme on se sert quelquefois de prête-noms dans les achats et ventes, lorsqu'on veut aliéner ses biens, il convient de faire aussi les lois sur ce sujet. Il y en a, en effet, chez quelques peuples, qui sont faites pour empêcher cet abus, et en même temps pour assurer la publicité du droit de propriété. D'après ces lois, celui qui achète une maison doit sacrifier sur l'autel d'Apollon qui préside au quartier, celui qui achète un champ doit sacrifier dans le bourg où il habile lui-moine et jurer, devant le magistrat chargé de l'inscription, et devant trois habitants du bourg, qu'il a acheté justement, sans collusion, ni simulation, ni fraude d'aucune sorte. Le vendeur doit jurer de la même manière qu'il vend sans dol. Celui qui n'habite pas dans la ville doit sacrifier et prêter serment sur l'autel de Jupiter Agoraios. Les pauvres peuvent s'acquitter du sacrifice en offrant des parfums. A défaut de ces formalités le magistrat refuse l'inscription. Aussi, dans le serment qu'il prête doit-il s'engager à ne jamais inscrire une vente sans avoir exigé le serment des parties. Les auteurs de ces lois ont voulu prendre des précautions contre les parties contractantes, ou plutôt contre tout le monde, et c'est peut-être ce qu'il faut toujours faire.

§ 3. Le contrat d'achat et de vente est parfait ou ce qui concerne la translation de la propriété quand le prix est payé et que les formalités légales sont remplies, telles que l'inscription, ou le serment, ou l'appel aux voisins. En ce qui concerne l'obligation de livrer, et la vente en elle-même, le contrat est parfait dès que le vendeur a reçu les arrhes. C'est en effet ce que portent la plupart des lois. Toutefois il faut ajouter une restriction. On suppose en effet que le vendeur n'était ni dans l'ivresse, ni égaré par la colère ou la jalousie, ni en démence, mais dans la plénitude de sa raison, en un mot que la vente est juste. Toutes ces conditions doivent encore être rappelées par la loi lorsqu'elle définit quelles sont les personnes desquelles on peut acheter. Quelques-uns fixent le taux des arrhes qui doivent consister dans une certaine fraction du prix total. Il serait absurde en effet qu'un simple anneau pût servir d'arrhes pour dix talents. Il convient sans doute qu'en pareil cas les parties prennent conseil des circonstances et de leur disposition personnelle, mais il faut aussi qu'il y ait quelque chose de réglé à l'avance. Cette règle sera le droit. Si le vendeur, après avoir reçu les arrhes, refuse de recevoir le prix, ou si l'acheteur, après avoir donné les arrhes, ne paye pas dans le temps déterminé (il faut en effet que le temps pendant lequel le prix peut être payé soit déterminé à l'avance; ainsi, dans la loi des Thuriens, les arrhes se donnent sur le champ, et le prix doit être payé dans la même journée; d'autres donnent plusieurs jours pour le payement du prix; d'autres enfin s'en remettent, sur ce point, aux conventions des parties), quelle sera en ce cas la peine encourue par chacun d'eux? Faudra-t-il condamner l'acheteur à perdre les arrhes ? C'est ce que décident presque toutes les lois, et notamment celles des Thuriens, Et celui qui refuse de recevoir le prix devra-t-il payer une somme égale à la totalité du prix stipulé? C'est encore ce que décide la loi des Thuriens, et la peine est inégale puisque les arrhes ne sont qu'une fraction du prix. Ιl y a même des cas où la peine du vendeur peut être plus forte encore, et où il perdra à la fois les arrhes et le prix, c'est celui où le prix a été stipulé payable le jour même. C'est en effet une disposition qui se trouve dans la plupart des lois. Chez certains peuples, au contraire, on donne une action contre le vendeur qui refuse de recevoir le prix. Doit-on dire que jusqu'au payement du prix le vendeur reste propriétaire de la chose vendue ? C'est en ce sens que la plupart des législateurs tranchent la question. Ou bien faut-il suivre l'exempte de Charondas et de Platon ? L'un et l’autre enjoignent à l'acheteur de payer et au vendeur de recevoir sur le champ. Celui qui fait crédit n'a pas d'action, car il ne peut s'en prendre qu'à lui-même s'il lui est fait tort.

Ce fragment est très corrompu et très-difficile. Nous croyons être arrivé, grâce à quelques corrections qui paraissent plausibles, à en donner une interprétation satisfaisante.

Théophraste n'y parle pas seulement des lois d'Athènes, il analyse et compare les lois de Cyzique (dans le Pont) et les lois données par Pittacos à Mitylène (dans l'île de Lesbos), par Zaleucus aux Locriens, par Charondas aux Thuriens (dans la Grande-Grèce). Il cite également les lois de Platon (livre xi, p. 915). On ne saurait contester la valeur de son témoignage en ce qui concerne les lois de Pittacos, car il était né à Erèse (dans l'île de Lesbos).

Il paraît que Théophraste, dans son ouvrage, avait fait un grand usage des lois de Zaleucus. Il suivait, en cela, l’exemple de son maître Aristote. Il fut critiqué à ce sujet par Timée, qui prétendait que Zaleucus n'avait jamais existé. (V. Polybe, Hist.., lib. ΧΙII, fragm. xi, a; Cic., Ep. ad Attic.,VI, I, 14; Cic., De legibus, II, 6.)

Le premier paragraphe de notre texte énumère les formalités prescrites par les lois grecques pour assurer la publicité de la vente. Ces mesures, inconnues au droit romain,[5] sont analogues à celles que nous employons aujourd'hui. L’ἀναγραφή rappelle la transcription. Toutefois il y avait, ce semble, cette différence que, dans notre droit français, la transcription n'est nécessaire qu'à l'égard des tiers, tandis qu'en droit grec les formalités légales étaient considérées comme essentielles au contrat, et la propriété n'était transférée, même entre les parties, qu'après leur accomplissement. V. au surplus, Caillemer, Du crédit fonder à Athènes, 1866.

M. Caillemer, pense que le but de la loi aurait été d'empêcher le propriétaire de soustraire ces biens il l'impôt. Il nous semble que c'est l'inverse, et que le législateur n'a établi l'impôt que pour rendre la propriété certaine à l'égard de tous.

Le second paragraphe irai te des mesures prises par certaines lois pour assurer la sincérité des ventes et empêcher les débiteurs de soustraire leurs biens à l'action de leurs créanciers, en les mettant sous le nom d'amis complaisants. A cet effet, on faisait prêter serment au vendeur et à l'acheteur. Nous ne trouvons rien, de semblable en droit romain. V. les auteurs cités, au sujet du paragraphe précédent.

Le troisième paragraphe est très important, car il contient sur les arrhes une théorie très complète, qui peut même servir à l'interprétation des textes du droit romain.

Les arrhes, dans presque toutes les lois grecques, sont un gage donné par l'acheteur au vendeur,[6] et, par suite, le signe de la perfection du contrat; elles ne peuvent précéder le contrat que lorsque celui-ci est lui-même précédé d'une convention antérieure à laquelle les arrhes peuvent se rattacher.

Mais cet effet des arrhes n'est pas le seul. Presque toujours, par l'effet, soit d'une convention des parties, soit même de la loi municipale, les arrhes sont la peine d'un dédit, dont les parties se réservent la faculté. Si les parties exercent ce droit, le contrat qui oln.it parfait se trouve rétroactivement effacé comme par l'effet d'une condition résolutoire.

Comment cette faculté de dédit se conciliait-elle avec l'exercice des actions résultant du contrat? C'est ce que nous apprend notre texte. La faculté de dédit ne pouvait s'exercer que pendant un certain temps. Ce temps, ordinairement très court, était déterminé, soit par la convention, soit par la loi municipale, sans pouvoir dépasser le payement du prix. Ce temps expiré, les parties rentraient dans leurs droits et pouvaient exercer toutes les actions naissant du contrat. Ainsi le vendeur pouvait exiger le prix, et l'acheteur pouvait demander la livraison.

Dans certaines lois, la faculté de dédit n'existait qu'au profit de l'acheteur, et le vendeur pouvait toujours être forcé de recevoir le prix.

Ces usages peuvent servir à expliquer un texte obscur du droit romain.

Chez les Romains, l'usage des arrhes fut d'abord peu répandu. Elles étaient inutiles dans une législation qui n'admettait la translation de la propriété que par certains modes solennels. Plus tard, la mancipation fut réservée pour les res mancipi, la simple tradition devint de plus en plus fréquente, et les Romains se servirent des arrhes de la même manière que les Grecs. A Rome comme à Athènes, l'acheteur remettait son anneau en signe de la perfection du contrat, ou donnait une certaine somme d'argent avec faculté de dédit dans un certain délai.[7]

Ce droit se perpétua jusqu'à Justinien, qui y changea seulement deux choses:[8]

1° Justinien décida que, dans les contrats de vente où il y aurait nécessité d'un acte public, quoique, à la rigueur, le contrat ne devint parfait qu'au moment de la perfection de l'acte écrit, cependant les arrhes pourraient accompagner la convention verbale antérieure. Ainsi, désormais, les arrhes pourront précéder le contrat.

2° Même en l'absence de toute convention, les arrhes emporteront toujours faculté de dédit pour les deux parties.

Jusqu'à quand cette faculté de dédit pourra-t-elle s'exercer? Justinien ne le dit pas, mais le texte de Théophraste peut nous servir à combler cette lacune. Il est évident, en effet, que Justinien n'a fait qu'ériger l'usage en loi. Il a donc laissé à la faculté de dédit sa durée habituelle, c'est-à-dire un temps très court fixé par la convention des parties ou par l'usage, et ne pouvant pas dépasser le terme fixé pour le payement du prix.

Ainsi s'explique d'une manière satisfaisante un texte qui a fort tourmenté les interprètes, et dont, au surplus, l'interprétation ne pouvait être que conjecturale, en l'absence des renseignements fournis par Théophraste.[9]

Une autre conséquence résulte de ce texte de Théophraste, c'est qu'à Athènes, comme chez nous aujourd’hui la propriété était transférée par reflet des obligations, c'est-à-dire par le seul consentement des parties, sans qu'il fût besoin de tradition. Si la propriété ne passait à l'acheteur qu'au moment du payement du prix, c'était en vertu d'une convention tacite par laquelle le vendeur se réservait la propriété jusqu'au payement.

Ou est généralement trop porté à supposer le droit grec semblable au droit romain. Si les Grecs avaient eu quelque institution analogue à la mancipatio, à la cessio in jure, si la tradition avait été chez eux autre chose qu'une livraison pure et simple, nous trouverions certainement, ne fut-ce que dans le langage, quelque trace de cette idée. Or, nous n'en trouvons aucune, ou plutôt c'est toujours l'idée contraire que nous voyons exprimée. Aristote, qui connaissait bien les lois athéniennes et n'ignorait pas la valeur des termes de droit, s'exprime ainsi dans un passage de sa rhétorique : « Par aliénation, j'entends la donation et la vente ».[10]

L'insistance même avec laquelle les jurisconsultes romains posent la célèbre règle : Traditionibus et usucapiomibus dominia rerum, non nullis pactis transferuntur, suffirait au besoin pour suggérer cette pensée que la règle dont il s'agit était contraire au droit des gens. Et ce fut, sans doute, une réaction du droit des gens qui amena une dérogation à la règle, d'abord pour les hypothèques (l'hypothèque n'était-elle pas grecque d'origine?) et ensuite pour les servitudes, lorsqu'on admit que les unes et les autres pouvaient être constituées pactis et stipulationibus.[11]

XXIII.

Hypéride, dans le premier discours contre Athénogène, dit: « La loi ordonne de s'abstenir de tout mensonge sur le marché. » Cette loi paraît concerner la vente des denrées. Théophraste, dans ses livres sur les lois, dit que les Agoranomes doivent veiller à deux choses, à la bonne tenue du marché, et à ce qu'il n'y ait aucune tromperie ni de la part des vendeurs, ni de la part des acheteurs.

XXIV.

Ceux qui revendiquaient des terres ou des maisons contre les possesseurs, n'employaient qu'en second lieu l'action οὐσίας. Ils agissaient d'abord par l'action ἐνοικίου pour les maisons, et par l'action καρποῦ pour les terres. En troisième et dernier lieu venait l'action ἐξούλης, le défendeur ayant perdu son procès pouvait, rester en possession de la chose, soit après l'action καρποῦ ou ἐνοικίου, soit après la seconde action (οὐσίας). Maïs s'il succombait par l'action ἐξούλης, il ne pouvait plus garder la possession de la chose, et il était contraint de déguerpir. Ces principes sont fréquemment rappelés par les orateurs, mais celui qui les a exposés avec le plus d'exactitude est Isée, dans son discours contre Timonide au sujet d'un champ, et dans son discours contre Dorothée au sujet d'une action ἐξούλης ; Théophraste a aussi parlé de cette action dans le xviiie livre de son Traité des lois.

Ce texte est très important, car il contient à peu près tout ce que nous savons sur les actions réelles dans le droit athénien. Le demandeur intentait d'abord une action en restitution des fruits indûment perçus, s'il s'agissait d'un fond de terre, ou-de la valeur de l'indue jouissance s'il s'agissait d'une maison. C'était là évidemment une action purement personnelle. Pourquoi cette action devait-elle être intentée la première? On peut en donner la raison que voici : Sans doute, pour la revendication des fruits, comme pour la revendication du fonds, le demandeur était tenu de prouver son droit de propriété ; mais, en se bornant à demander les fruits, il s'exposait à de moins grands risques. En effet, le droit attique imposait au plaideur téméraire une peine proportionnelle à la valeur de la chose demandée. D'autre part la décision rendue sur la propriété des fruits préjugeait infailliblement la question delà propriété du fond. Dès lors, si le demandeur succombait sur la question des fruits, il pouvait renoncer à aller plus loin. S'il gagnait, au contraire, son procès sur cette question, il pouvait s'engager à coup sûr dans la question de propriété du fond, et souvent même il n'avait pas besoin de continuer la lutte, car le défendeur découragé devait offrir une transaction.

L'action réelle proprement dite, l'action relative à la propriété du fond, n'arrivait donc qu'en seconde ligne, et devait se présenter rarement. L'objet seul était changé, la preuve à. faire était la même et portait sur le droit de propriété.

Notre texte explique très bien que l'action relative aux fruits comme l'action relative au fond aboutissaient à une condamnation purement pécuniaire, comme à Rome dans la formula arbitraria. Le défendeur condamné avait le choix, ou de restituer l'objet en nature, ou de payer la somme fixée par les juges, mais il ne pouvait être contraint à restituer en nature.

Cette dernière obligation ne naissait pour lui que dans le cas où il ne payait pas la somme à laquelle il était condamné. Dans ce cas, le demandeur intentait contre lui une troisième action, dont le nom rappelle celui de réintégrande, et par laquelle il contraignait celte fois son adversaire à déguerpir.

Quel était le rôle de la possession dans celte procédure, et comment se faisait la preuve du droit de propriété, c'est que notre texte ne nous apprend pas. Il faut bien se garder de se laisser entraîner ici par des analogies tirées du droit romain. Voici ce qui nous parait le plus probable : l'action en revendication était dirigée contre le possesseur; la raison l'indique, et d'auteurs notre texte le dit. Seulement la possession ne paraît pas avoir conféré de grands avantages, car le possesseur évincé devait restituer les fruits, et, d'autre part, ainsi qu'on va le voir, la preuve était également à la charge des deux parties; Aussi, les Athéniens ne paraissent pas avoir eu rien d'analogue aux interdits du droit romain, ni à nos actions possessoires. La procédure commençait par une voie de fait. Le demandeur, accompagné de témoins, cherchait à se mettre en possession. Le défendeur s'y opposait ou se laissait faire, et la lutte ainsi engagée était portée devant le juge. C'est ce que les Athéniens appelaient ἐξάγειν ou ἐμβατέυειν. Quant à la preuve, elle paraît avoir été également à la charge des deux parties. Le demandeur faisait valoir ses titres et la possession qu'il pouvait avoir eue. Le défendeur invoquait d'autres titres et d'autres faits de possession, et la propriété était adjugée à celui des deux qui faisait la meilleure preuve.[12] La possession ancienne était considérée comme équivalant à un titre, mais sans que la durée en fut déterminée par la loi. C'était au juge qu'il appartenait d'apprécier si la possession invoquée avait duré assez longtemps pour valoir titre. En d'autres termes, les Athéniens ne connaissaient pas l'usucapion,[13] mais c'est à leur droit que les Romains ont emprunté la longi temporis prœscriptio, qu'ils ont transformée en la mêlant avec l'usucapion.[14] Ensuite, les questions de bonne ou de mauvaise foi, qui se présentent si souvent chez les jurisconsultes romains, sont absolument étrangères au droit attique, et nous n'en trouvons aucune trace, même en ce qui concerne l'acquisition des fruits.

Une dernière question est celle de savoir si les actions réelles s'éteignaient par la prescription. Il n'y a pas de raison pour en douter. La règle générale du droit attique était que toutes les actions se prescrivaient par cinq ans, et nous savons par un texte d'Isée[15] que cette prescription s'appliquait à la pétition d'hérédité. Seulement, la difficulté est de savoir à quel moment l'action était née et la proscription pouvait commencer à courir, et encore quand la prescription était suspendue. Nos textes ne donnent sur ce point aucun éclaircissement, et on se trouve réduit aux conjectures.

Il existe, il est vrai, un papyrus grec, du Musée de Turin, qui contient tout un procès de revendication plaidé en Egypte sous les Ptolémées.[16] La prescription y est invoquée, ainsi que la longue possession, en des termes qui peuvent conduire à penser qu'il y avait des règles fixes, sinon sur la durée, du moins sur la suspension et l'interruption de cette dernière; mais il résulte de ce texte même que les Ptolémées avaient fait des édits sur cette matière. Nous ne pouvons donc en tirer aucune induction pour ce qui concerne le pur droit hellénique.

XXV.

Suivant ce que dit Théophraste, ce ne fut pas Solon, ce fut. Pisistrate qui porta la loi contre l’oisiveté, loi qui rendit le pays plus fertile et la ville plus paisible.

Démosthène cite celte loi contre l'oisiveté dans le discours contre Eubulide, § 32.

XXVI.

Apobate, courses apobatiques. Dinarque conlre Phormisios, et dans l'apologie contre Antiphanès, et Lycurgue dans l'apologie contre Démade. L'apobate est une sorte de lutte équestre. Le verbe ἀποβῆναι veut dire se livrer à cette lutte, et de là viennent les courses apobatiques. Théophraste dans le xxe livre des Lois décrit ce qui s'y passe. Il dit que les Athéniens et les Béotiens sont les seuls d'entre les Grecs chez lesquels cette lutte soit en usage.

XXVII.

Parascénia. Démosthène dans le discours contre Midias. Le nom de parascénia paraît s'être appliqué, d'après ce que dit Théophraste dans le xxe livre des Lois à l'emplacement voisin de la scène désigné pour les répétitions. Didyme, au contraire, dit qu'on appelait ainsi les entrées situées à droite et à gauche de l'orchestre.

Après avoir traité des actions publiques et des actions privées, Théophraste parlait des fêtes nationales, des jeux publics et du théâtre. C'était là, du moins, le sujet du vingtième livre, ainsi que nous le voyons par les deux fragments qui précèdent.

Les courses apobatiques étaient sans doute des exercices de voltige, dans lesquels les jeunes gens sautaient à terre et remontaient à cheval tout en courant.

Le passage cité du discours de Démosthène contre Midias est le § 17, où on lit : τὰ παρασκένια φράττων.

XXVIII.

Voici encore une loi de Marseille. Les femmes ne doivent pas goûter de vin. Toute autre boisson que l'eau est interdite au sexe féminin. Théophraste dit que la même loi est en vigueur à Milet, et que les femmes ioniennes, épouses des Milésiens, y obéissent.

XXIX.

Théophraste, dans son livre sur les Tyrséniens, dit qu'ils s'abstinrent de sacrifices humains sur l'ordre de Gélon.

Diogène de Laërte, dans le catalogue des œuvres de Théophraste, ne mentionne pas ce livre sur les Tyrséniens. C'était probablement un livre du Traité des Lois.

XXX.

Notre nation n’était pas inconnue autrefois chez les autres peuples. Plusieurs de nos usages s’étaient déjà introduits chez quelques-uns et paraissaient parfois dignes d'être imités. C'est ce que fait voir Théophraste dans ses livres sur les lois. Il dit, en effet, que les lois des Tyriens défendent de jurer des serments étrangers. Il cite plusieurs exemples de ces serments et notamment celui qu'on appelle Corban. Or ce sonnent ne se rencontre pas ailleurs que chez les Juifs. C'est un mot de la langue hébraïque qu'on peut traduire par ceux-ci : présent de Dieu.

Ces trois derniers fragments, dont il serait difficile de déterminer la place, montrent bien la méthode suivie par Théophraste. Son livre n'était pas un simple commentaire, c'était un ouvrage philosophique consacré à l'étude et à la comparaison de toutes les législations connues, en un mot, un véritable Esprit des lois.

 


 

[1] Nous ne parlons ici que du droit privé, car les travaux d'Ans loto sur le droit public sont restés des chefs-d'œuvre. A côté du Théophraste on peut citer Démétrius de Phalère, auteur d'un Traité sur la législation Athénienne, Philochoros περὶ γραφῶν, Séleucus qui avait écrit un commentaire des lois de Solon, et Caecilius. Un certain Cratère avait fait un recueil de décrets. Il reste de tous ces jurisconsultes d’assez nombreux fragments qu'il serait utile de recueillir et de mettre en ordre.

[2] Cicéron, De legibus, III, 5-7;— De finibus bonorum et malorum, V, 4 : « Omnium fere civitatum non Graeciae; solum sed etïam barbariae, ab Aristotelo mores, instituta, disciplinas, a Theophrasto leges etiam cognovimus.» — V. encore Ep. Ad Atticum, II, 3.

[3] Sur les Thesmothètes, v. George Perrot, Essai sur le droit public et privé de la République athénienne, 1867, t. I, p. 167.

[4] Lib. II cap. 11.

[5] V. cependant une Constitution de Constantin de l'an 313 (Vaticana fragmenta, § 35).

[6] V. Etymol. magn.

[7] De nombreux textes prouvent qu'on droit romain, même avant Justinien, les arrhes étaient usitées comme dédit, avec fixation d’un délai. Scaevola, I. 8, D. De lega commissoria, xvm, 3 : « Mulier fundos Caio Seio vendidit et acceptis arrhae nomine certis pecuniis statuta suntempora solutioni reliquae pecuniae, quibus si non paruisset emptor pactus est ut arrham perderet et inemptœ villae essent. » — Rescrit de Caracalia (an 216), l. I, Code, de pactis inter emptorem et venditorem, IV, 54: « Si ea laega praedium vendidisti, ut, nisi intra certum tempus pretium fuisset exsolutum, emptrix arrhas perderet, et dominium ad te pertineret, fides contractus servanda est. »

[8] Justin. Constit. 17, Code De fide instrumentorum, IV, 21. — Instit., Π, 23 De emptione et venditione, pr.

[9] V. Pottier, Traité de la vente, n° 497 et suiv. — Boissonade, De l'effet des arrhes dans la vente sous Justinien. Revue historique, 1866, p. 136-148.

[10] Arist. Rhet., I, 3.

[11] Gaius, II, 31.

[12] A peu près comme dans le droit germanique.

[13] Je me sépare ici des idées émises par M. Caillemer : Etudes sur les antiquités juridiques d'Athènes, la Prescription (1869).

[14] L'usucapion émit une création du droit civil romain. Gaius, II, 46: « Item provincialia praedia usucapionem non recipiunt. » — Id. 40: « Apud peregrinos quidam utium esse dominium, ita ut nul domirius quisque sit aut domimis non intelligatur. » — Quant à la longi temporis prœscriptio, son nom même indique: 1° qu'elle n'était originairement qu'un moyen de défense. : 2° que la durée n'en était pas déterminée. — Sa durée fut déterminée par des constitutions impériales, « tempora constitutionibus statuta, » dit Paul, l. 76, § I, D. De contrahenda emptione, XVIII, 1. —Ce furent encore des constitutions impériales qui l’étendirent aux meubles, I, 9, D. De diversis tempor. praescript., XLIV, 8. — Elle supposait, il est vrai, un justum initium possessionis, mais il est probable que les Grecs abandonnaient ce point comme les autres à l'appréciation du juge. Ce sont les Romains sans doute qui ont introduit en cette matière leurs subtiles théories du juste titre et de la bonne foi.

[15] Isée, de Pyrrhi hereditate, § 58.

[16] Voir ce texte, avec la traduction et le commentaire du savant Amédée Peyron, dans les Mémoires de l'Académie de Turin, 1826.