RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE ALLER A LA TABLE DES MATIÈRES DE STRABON

STRABON

Géographie 

Traduction française

LIVRE I - LIVRE II - LIVRE IV - LIVRE V

LIVRE III

texte grec

 


LIVRE III.

CHAPITRE PREMIER.


1. Cette première esquisse de la géographie une fois tracée, nous devons la faire suivre d'une description détaillée des différentes parties de la terre habitée : tel est le plan effectivement que nous avons annoncé en commençant et jusqu'à présent, ce semble, la manière dont nous avions divisé notre sujet s'est trouvée bonne. Naturellement, ici encore, comme dans la première partie de notre ouvrage. et pour les mêmes motifs, l'Europe avec les pays qui en dépendent sera notre point de départ.

2. Le premier pays de l'Europe à l'occident, nous l'avons déjà dit, est l'Ibérie. Cette contrée, dans la plus grande partie de son étendue, est à peine habitable; on n'y rencontre, en effet, presque partout que des montagnes, des forêts et des plaines au sol maigre et léger, arrosées qui plus est de façon irrégulière. La région septentrionale, qui a déjà le double inconvénient d'un sol très âpre et d'un climat extrêmement froid, doit encore à sa situation le long de l'Océan d'être absolument privée de relations et de communications avec les autres contrées, aussi n'imagine-t-on pas de séjour plus misérable. Telle est la nature de cette partie de l'Ibérie ; en revanche, la partie méridionale presque tout entière est riche et fertile, surtout ce qui se trouve placé en dehors des Colonnes d'Hercule. C'est ce que nous ferons voir en présentant la chorographie du pays. Mais auparavant, déterminons-en la forme et l'étendue.

3. l'Ibérie ressemble tout à fait à une peau de boeuf, qu'on aurait déployée dans le sens de sa longueur de l'O. à l'E. (la partie antérieure tournée du côté de l'E.), et dans le sens de sa largeur du N. au S. Elle a 6000 stades de longueur, mais sa largeur qui, là où elle est la plus grande, mesure 5000 stades, tombe en certains endroits beaucoup au-dessous de 3000, notamment aux abords du Mont Pyréné, qui en représente le côté oriental. Cette montagne, en effet, s'étend du S. au N. en forme de chaîne continue et sépare la Celtique de l'Ibérie. Or, la Celtique se trouve être, ainsi que l'Ibérie, de largeur variable, et, comme c'est dans la partie où elles se rapprochent le plus du Mont Pyréné que l'une et l'autre contrée présentent le moins de largeur des bords de la mer Intérieure à ceux de l'Océan, elles offrent dans la même partie l'une et l'autre, et du côté de l'Océan comme du côté de la mer Intérieure, de grands golfes ou enfoncements. Seulement, les golfes celtiques, ou, comme on les appelle aussi, les golfes galatiques, ont plus de profondeur, et l'isthme de la Celtique est comparativement plus étroit que celui de l'Ibérie. Le Mont Pyréné forme donc le côté oriental de l'Ibérie. Quant au côté méridional, il est déterminé en partie par la mer Intérieure, depuis le Mont Pyréné jusqu'aux Colonnes d'Hercule, en partie par la mer Extérieure jusqu'au promontoire Sacré, puis le troisième côté ou côté occidental s'étend à peu près parallèlement au Mont Pyréné, depuis le promontoire Sacré jusqu'à la pointe du pays des Artabres, connue sous le nom de cap Nerium; enfin, le quatrième côté part de ce cap et va aboutir à l'extrémité septentrionale du Mont Pyréné.

4. Pour décrire maintenant le pays en détail, nous reprendrons du promontoire Sacré. Ce cap marque l'extrémité occidentale non seulement de l'Europe, mais de la terre habitée tout entière. Car, si la terre habitée finit au couchant avec les deux continents d'Europe et de Libye, avec l'Ibérie, extrémité de l'Europe, et avec la Maurusie, première terre de la Libye, la côte d'Ibérie au promontoire Sacré se trouve dépasser la côte opposée de 1500 stades environ. De là le nom de Cuneus, sous lequel on désigne toute la contrée attenante audit promontoire et qui, en latin, signifie un coin. Quant au promontoire même ou à la partie de la côte qui avance dans la mer, Artémidore, qui nous dit avoir été sur les lieux, en compare la forme à celle d'un navire; quelque chose même, suivant lui, ajoute à la ressemblance, c'est la proximité de trois îlots placés de telle sorte, que l'un figure l'éperon, tandis que les deux autres, avec le double port passablement grand qu'ils renferment, figurent les épotides du navire. Le même auteur nie formellement l'existence sur le promontoire Sacré d'un temple ou d'un autel quelconque dédié soit à Hercule, soit à telle autre divinité, et il traite Éphore de menteur pour avoir avancé le fait. Les seuls monuments qu'il y vit étaient des groupes épars de trois ou quatre pierres, que les visiteurs, pour obéir à une coutume locale, tournent dans un sens, puis dans l'autre (01), après avoir fait au-dessus certaines libations (02) ; quant à des sacrifices en règle, il n'est pas permis d'en faire en ce lieu, non plus qu'il n'est permis de le visiter la nuit, les dieux, à ce qu'on croit, s'y donnant alors rendez-vous. En conséquence, les visiteurs sont tenus de passer la nuit dans un bourg voisin et d'attendre le jour pour se rendre au cap Sacré, en ayant soin d'emporter de l'eau avec eux, vu que l'eau y manque absolument.

5. Comme il est, à la rigueur, possible que les choses se passent de la sorte, il nous faut bien admettre cette partie du récit d'Artémidore, mais ce qui suit n'est évidemment qu'un tissu de fables et de superstitions populaires, et alors il devient impossible d'ajouter foi à son témoignage. « Les gens du peuple, nous dit Posidonius, sont généralement persuadés, que, dans les contrées qui bordent l'Océan, le soleil paraît à son coucher plus grand qu'il ne paraît ailleurs, et qu'il s'y couche avec un bruit strident, comme si la mer sifflait en éteignant les feux de l'astre qui se plonge dans son sein (03), or c'est là une grossière erreur et c'en est une autre de prétendre que, dans ces mêmes contrées, la nuit succède brusquement au coucher du soleil. Non, ajoute-t-il, la nuit n'y arrive pas brusquement, seulement elle suit de très près le coucher du soleil, et ceci s'observe également sur le bord des autres grandes mers. Dans les pays où le soleil se couche derrière de hautes montagnes, ce qu'on appelle la lumière diffuse prolonge la durée du jour davantage après le coucher de l'astre; ici naturellement cette prolongation n'a pas lieu, cependant l'obscurité ne s'y fait point tout d'un coup, non plus que dans les grandes plaines. Pour ce qui est maintenant de l'augmentation apparente du volume du soleil , laquelle s'observe en pleine mer, aussi bien au moment du lever qu'au moment du coucher, elle tient à ce qu'il se dégage plus de vapeurs de l'élément liquide : or, ces vapeurs sont comme des [verres] (04) que les rayons visuels ne traversent qu'en se brisant, et qui ne transmettent à l'oeil que des images grossies, par une illusion analogue à celle qui nous fait paraître de couleur rougeâtre soit le soleil, soit la lune, quand nous les voyons se lever ou se coucher à travers un nuage sec et léger. » Posidonius nous apprend comment il put constater par lui-même le peu de fondement de l'opinion populaire : pendant trente jours, il résida à Gadira et observa avec soin chaque coucher du soleil. Qu'affirme pourtant Artémidoré ? Qu'en cette contrée le soleil paraît à son coucher cent fois plus gros qu'ailleurs, et que la nuit y vient brusquement, On s'aperçoit, du reste, aisément, pour peu que l'on fasse attention à ses paroles, qu'il n'avait pas observé lui-même ce double phénomène du haut du promontoire Sacré, car lui-même constate que personne ne peut mettre le pied sur ledit promontoire pendant la nuit, et, comme la nuit y succède brusquement au jour, on ne pourrait même pas, on le voit, profiter pour s'y rendre du coucher du soleil. Impossible aussi qu'il ait rien vu de pareil d'un autre point du littoral de l'Océan, car Gadira est situé sur l'Océan, et nous aurions alors le témoignage formel de Posidonius et de plusieurs autres voyageurs à opposer au sien.

6. La partie du littoral adjacente au promontoire Sacré forme le commencement du côté occidental de l'Ibérie jusqu'à l'embouchure du Tage, et le commencement du côté méridional jusqu'à un autre fleuve appelé Anas, jusqu'à son embouchure s'entend. Ces deux cours d'eau viennent du levant; mais le premier, le Tage, beaucoup plus considérable que l'autre, coule droit au couchant jusqu'à son embouchure, tandis que l'Anas tourne au midi, formant ainsi, avec le Tage, une mésopotamie, dont la population, composée eu majeure partie de Celtici (05) compte aussi quelques tribus lusitaniennes, que les Romains y ont transplantées naguère de la rive opposée du Tage. Il s'y trouve en outre, dans la partie haute, des Carpétans, des Orétans et des Vettons en grand nombre. Tout ce pays-là est déjà passablement fertile, mais celui qui lui fait suite au midi et à l'est ne le cède à pas une des plus riches contrées de la terre habitée pour l'excellence des produits qu'on y retire soit de la terre soit de la mer. Ce pays est celui qu'arrose le Baetis, autre grand fleuve, dont la source est voisine de celle de l'Anas et du Tage, et qui par l'importance de son cours lient le milieu en quelque sorte entre ces deux fleuves : le Baetis fait toutefois comme l'Anas, il coule d'abord au couchant, puis tourne au midi et s'en va déboucher dans la mer aux mêmes rivages que ce fleuve. Du nom du fleuve qui l'arrose ladite contrée a été appelée Baetique ; elle s'appelle aussi Turdétanie d'un des noms des populations qui l'habitent. Ces populations, en effet, portent deux noms : celui de Turdétans et celui de Turdules; suivant les uns, ces deux noms auraient toujours désigné un seul et même peuple, mais suivant les autres (et Polybe est du nombre de ces derniers, puisque, à l'entendre, les Turdétans avaient pour voisins au nord les Turdules), ils désignaient d'abord des peuples différents. En tout cas, aujourd'hui, toute distinction entre ces peuples a disparu. Comparés aux autres Ibères, les Turdétans sont réputés les plus savants, ils ont une littérature, des histoires ou annales des anciens temps, des poèmes et des lois en vers qui datent, à ce qu'ils prétendent, de six mille ans (06) ; mais les autres nations ibères ont aussi leur littérature, disons mieux leurs littératures, puisqu'elles ne parlent pas toutes la même langue. Cette contrée sise en deçà de l'Anas, se prolonge à l'est jusqu'à l'Orétanie et a pour borne au midi la portion du littoral comprise entre les bouches de l'Anas et les Colonnes d'Hercule. Du reste il est nécessaire que nous la décrivions plus au long, ainsi que les lieux qui l'environnent, afin de ne rien omettre de ce qui peut contribuer à faire connaître tous les avantages, toutes les richesses dont la nature l'a dotée.

7. Entre la partie du littoral ibérien, où sont situées les embouchures du Baetis et de l'Anas, et l'extrémité de la Maurusie, une irruption de la mer Atlantique a formé le détroit des Colonnes d'Hercule, qui fait communiquer aujourd'hui la mer Intérieure avec la mer Extérieure. Or, près de là, chez les Ibères Bastarnes (les mêmes qu'on nomme aussi Bastules), s'élève le mont Calpé qui, sans avoir un grand circuit à sa base, s'élève en forme de pic à une telle hauteur, qu'on le prend de loin pour une île. Quand on va pour sortir de notre mer Intérieure et pour entrer dans la mer Extérieure, on a cette montagne tout de suite à droite, puis un peu plus loin, à quarante stades, on aperçoit Carteia (07), ville considérable et d'origine ancienne, connue pour avoir été naguère l'une des stations navales des Ibères. Quelques auteurs en attribuent la fondation à Hercule, et Timosthène, qui est du nombre, ajoute qu'elle s'appelait primitivement Héraclée, et qu'on peut juger de ce qu'elle était naguère par le grand mur d'enceinte et les belles cales qu'on y voit encore.

8. Vient ensuite Menlaria, remarquable par ses établissements à saler le poisson, et plus loin la ville et le fleuve de Belon. C'est à Belon qu'on s'embarque habituellement pour passer à Tingis en Maurusie; il s'y trouve aussi des comptoirs ou entrepôts de commerce et des établissements de salaison. Tingis avait naguère pour voisine une ville nommée Zélis, mais les Romains transportèrent cette ville sur la rive opposée du détroit, api ès l'avoir augmentée d'une partie de la population de Tingis, puis, y ayant envoyé, pour l'accroître encore, une colonie de citoyens romains, ils la nommèrent Julia Ioza (08). Suit maintenant l'île de Gadira, qu'un étroit canal sépare de la Turdétanie, et qui est éloignée de Calpé de 750 stades environ, d'autres disent de 800. Cette île, que rien d'ailleurs ne distinguait des autres, a vu, grâce à l'intrépidité de ses habitants comme hommes de mer et à leur attachement pour les Romains, sa fortune en tout genre prendre un tel essor que, malgré sa situation à l'extrémité même de la terre habitée, son nom a fini par effacer celui des autres îles. Nous y reviendrons, du reste, quand nous en serons à décrire l'ensemble des îles de l'Ibérie.

9. Le port de Ménesthée, qui succède à Gadira, est lui-même suivi de l'estuaire d'Asta et de Nabrissa On nomme estuaires certains enfoncements que la mer remplit à la marée haute, et par lesquels on peut remonter, comme par la voie des fleuves, jusque dans l'intérieur des terres et jusqu'aux villes qui en bordent le fond. Immédiatement après cet estuaire, on rencontre la double embouchure du Baetis. L'île comprise entre les deux branches du fleuve intercepte sur la côte une étendue de 100 stades, suivant les uns, une étendue, plus grande encore, suivant les autres. C'est là quelque part que se trouve l'Oracle de Ménesthée, là aussi que s'élève la Tour de Caepion (09), ouvrage merveilleux construit sur un rocher que les flots battent de tous côtés, et destiné, ainsi que le Phare d'Alexandrie, à prévenir la perte des navires : comme en effet les atterrissements du fleuve produisent sans cesse sur ce point de nouveaux bas-fonds et que les approches de cette côte sont toutes semées d'écueils et de dangers, il était nécessaire d'y élever un signal capable d'être aperçu de loin. De cette tour part celle des branches du Baetis qui mène à la ville d'Ebura et au temple de la déesse Phosphore ou Lucifère, autrement dite Lux dubia (10). Plus loin sur la côte on voit s'ouvrir d'autres estuaires, après quoi l'on atteint le fleuve Anas, qui a aussi double embouchure, et qu'on peut remonter indifféremment par l'une ou par l'autre de ses branches; enfin, à l'extrémité de la côte, à une distance de moins de 2000 stades de Gadira, est le promontoire Sacré. D'autres comptent depuis le promontoire Sacré jusqu'à l'embouchure de l'Anas 60 milles, 100 milles de là à l'embouchure du Baetis, et de cette embouchure à Gadira (11) 70 milles.

CHAPITRE II.

Au-dessus de la côte que nous venons de décrire et qui se trouve située en deçà de l'Anas, s'étend la Turdétanie ou contrée arrosée par le Baetis. La Turdétanie a pour limites, à l'O. et au N., le cours de l'Anas ; à l'E., une portion détachée du territoire carpétan et toute l'Orétanie, enfin, au S., cette bande étroite de littoral comprise entre Calpé et Gadira, qu'occupe une partie de la nation bastétane, puis la mer elle même jusqu'à l'Anas. Encore peut-on rattacher à la Turdétanie les Bastétans, dont nous venons de parler, ainsi que les Celtici (12) d'au delà de l'Anas et mainte autre population limitrophe. L'étendue de cette contrée, tant en longueur qu'en largeur, ne dépasse pas 2000 stades, et cependant les villes y sont extrêmement nombreuses: on en compte, dit-on, jusqu'à 200. Les plus connues naturellement à cause de leurs relations de commerce sont les villes des rives du fleuve et des mstuaires, ainsi que les villes du littoral. Mais il en est deux dans le nombre qui se sont singulièrement accrues en gloire et en puissance, à savoir Corduba, fondation de Marcellus, et la cité des Gaditans, celle-ci par ses entreprises maritimes et son attachement à l'alliance romaine, celle-là par la fertilité et l'étendue de son territoire, et aussi par sa situation sur le Baetis, qui n'a pas peu contribué en effet à sa prospérité, sans compter que sa population primitive, composée de Romains et d'indigènes, n'avait compris que des hommes de choix, car c'était la première colonie que les Romains envoyaient dans le pays. Après cette ville et Gadira, il faut citer encore, comme ayant joui d'un certain renom, Hispalis, autre colonie romaine, dont l'importance commerciale subsiste même aujourd'hui, mais qui s'est vu récemment éclipser par [Asidigis] (13), quand cette ville, jusque-là humble et de peu d'apparence, eut l'honneur de recevoir dans ses murs une colonie d'anciens soldats de César.

2. Aux villes que nous venons de nommer succèdent Italica et Ilipa sur le Baetis même, Astigis (14) moins près du fleuve, Carmon, Obulcon , puis, dans les environs du champ de bataille où fut détruite l'armée des fils de Pompée, Munda, Ategua (15), Urson, Tuccis, Ulia (16), Aegua (17), toutes peu éloignées de Corduba. Munda est en quelque sorte la métropole du canton, elle est située à 1400 stades (18) de Carteia, où Cneus se réfugia après sa défaite, mais pour s'y embarquer aussitôt et gagner de là un autre point de la côte défendu par de hautes montagnes, dans lesquelles il se jeta, et ne tarda pas à trouver la mort. Quant à son frère Sextus, après s'être sauvé de Corduba et avoir guerroyé quelque temps encore en Ibérie , il réussit à soulever, la Sicile, mais il s'en vit chasser également, et, ayant passé en Asie, il finit par tomber aux mains des lieutenants d'Antoine, et, sur un ordre d'eux, subit le dernier supplice à Midæum (19). Dans le pays des Celtici, maintenant, la ville la plus connue est Conistorgis (20); de même, la plus connue de celles qui bordent les lagunes ou estuaires est Asta, où les Gaditans (21) tiennent habituellement leurs assemblées, parce qu'elle n'est pas à plus de 100 stades au-dessus du port de leur île.

3. Les rives du Baetis sont de toute la contrée la partie la plus peuplée: ce fleuve peut être remonté jusqu'à une distance de 1200 stades environ de la mer, c'est-à-dire jusqu'à Corduba, et même un peu plus haut; les campagnes qui le bordent sont cultivées avec un soin extrême, ainsi que les petites îles qu'il renferme; et, pour comble d'agrément, la vue s'y repose partout sur des bois et des plantations de toute sorte admirablement entretenues. Les transports d'un fort tonnage peuvent remonter jusqu'à Hispalis, c'est-à-dire l'espace de 500 stades ou peu s'en faut, et les navires plus faibles encore plus haut, jusqu'à Ilipa; mais, pour atteindre Corduba, il faut se servir de barques, de ces barques de ri\ière qui, faites anciennement d'un seul tronc d'arbre, le sont aujourd'hui de plusieurs pièces assemblées. Au-dessus de Corduba, vers Castlon (22), le fleuve cesse d'être navigable. Plusieurs rangées de montagnes parallèles entre elles suivent sa rive septentrionale, en s'en rapprochant tantôt plus, tantôt moins : elles contiennent beaucoup de gîtes métallifères. L'argent notamment est très abondant aux environs d'Ilipa et de Sisapon, du Nouveau comme du Vieux-Sisapon ; près de Cotines (23), on trouve de l'or associé au cuivre. On a donc ces montagnes à gauche quand on remonte le fleuve. A droite, maintenant, s'étend une plaine élevée, très vaste et très fertile, couverte de beaux arbres et riche en pâturages. L'Anas, comme le Battis, peut être remonté, mais il ne peut l'être par des navires d'un aussi fort tonnage, ni aussi avant. Sa rive septentrionale est également bordée de montagnes qui contiennent des gîtes métallifères, et se prolongent jusqu'au Tage. La nature des terrains métallifères, on le sait, est d'être âpre et stérile, tel est en effet l'aspect que présente le pays aux abords de la Carpétanie, et plus encore vers la frontière de la Celtibérie. Tel est aussi l'aspect de la Baeturie, dont les plaines sèches et arides bordent le cours de l'Anas.

4. La Turdétanie, au contraire, jouit d'une merveilleuse fertilité, non seulement tout y vient et en grande abondance, mais ces avantages naturels sont en quelque sorte doublés par les facilités qu'elle a pour l'exportation de ses produits. Le superflu de ses récoltes, en effet, se vend et s'enlève aisément vu le grand nombre de bâtiments de commerce qui la sillonnent grâce à ses beaux fleuves et à la disposition de ses estuaires, lesquels ressemblent, avons-nous dit, à des fleuves, et peuvent être, comme ceux-ci, remontés depuis la mer non seulement par les petites embarcations, mais même par de grands bâtiments, et peuvent l'être jusqu'aux villes de l'intérieur. On sait qu'au-dessus de la côte comprise entre le Promontoire Sacré et les Colonnes d'Hercule tout le pays n'est à proprement parler qu'une plaine : or, cette plaine sur beaucoup de points est entamée par des combes ou ravins, qui, semblables à des vallées de moyenne grandeur, ou tout au moins aux lits encaissés des fleuves, partent de la mer et pénètrent dans l'intérieur des terres à plusieurs centaines de stades de distance, et, comme, à la marée haute, les eaux de la mer y font irruption et les remplissent, les embarcations peuvent les remonter ni plus ni moins qu'ils remontent les fleuves, voire même plus facilement, car la navigation y ressemble à la descente d'une rivière, nul obstacle ne la gène et le mouvement ascendant de la marée la favorise comme pourrait le faire le courant de la rivière. Ajoutons que sur cette côte le flot a plus de force qu'ailleurs : poussé en effet des espaces libres et ouverts de la mer Extérieure vers l'étroit canal que la Maurusie forme en s'avançant à la rencontre de l'Ibérie, le flot rebondit en quelque sorte et pénètre aisément les parties peu résistantes de la côte. Quelques-unes de ces combes ou tranchées naturelles se vident complètement avec le reflux, d'autres ne sont jamais entièrement à sec. Il y en a aussi qui contiennent des îles. Tel est l'aspect particulier que donnent aux estuaires compris entre le Promontoire Sacré et les Colonnes d'Hercule l'élévation et la force exceptionnelles des marées. Sans doute, cette élévation procure certains avantages à la navigation : elle est cause, par exemple, que ces estuaires sont ici et plus nombreux et plus étendus, ce qui permet aux bâtiments de commerce, sur certains points, de remonter par cette voie jusqu'à 8[00 (24)] stades dans l'intérieur, et le pays, rendu en quelque sorte navigable dans tous les sens, offre ainsi à l'importation comme à l'exportation des marchandises de grandes facilités. Mais il en résulte aussi des inconvénients graves : ainsi, dans les fleuves, la navigation, soit en montant soit en descendant, est rendue extrêmement dangereuse par cette force du flot et par la résistance plus grande qu'il oppose au courant; dans les estuaires, au contraire, c'est le reflux qui est particulièrement à craindre; comme son mouvement a en effet une rapidité proportionnée à celle du flot, il n'est pas rare de voir des bâtiments, surpris par cette rapidité du reflux, demeurer à sec. II est arrivé aussi que des bestiaux, en passant dans les îles qui bordent les rivages de ces estuaires, aient été engloutis, ou que, se voyant cernés dans ces îles, ils aient tenté de revenir et se soient noyés dans le trajet. Les gens du pays cependant prétendent que les vaches, pour avoir souvent observé le fait, attendent maintenant que la mer se soit tout à fait retirée avant d'essayer de regagner la côte.

5. Après s'être familiarisées avec la nature des lieux et avoir reconnu que les estuaires pouvaient servir aux mêmes usages que les fleuves, les populations bâtirent sur leurs bords, comme sur les rives des fleuves, des villes et des établissements de tout genre : ainsi furent fondées Asta et Nabrissa, Onoba, [Os]sonoba (25), Maenoba et maintes autres villes encore. On a en outre sur différents points la ressource de canaux qui ont été creusés par suite des progrès de la circulation et de la multiplicité des transports à effectuer tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. A défaut de canaux, on utilise même les confluents ou communications temporaires qui s'établissent entre les fleuves et les mstuaires, lors des grandes crues et des débordements, quand les isthmes qui les séparent habituellement sont couverts par les eaux et rendus navigables (26), les bâtiments passant alors directement des fleuves dans les lagunes et des lagunes dans les fleuves. Tout le commerce de cette contrée se fait avec l'Italie et avec Rome: or, jusqu'aux Colonnes d'Hercule (si l'on excepte toutefois le passage du détroit qui offre quelque difficulté), les conditions de la navigation sont bonnes; celles de la traversée de notre mer Intérieure le sont également. A la hauteur, en effet, où se tiennent les bâtiments, la mer, surtout au large, est habituellement calme, ce qui est un grand avantage pour les lourds transports du commerce, sans compter que les vents du large sont réguliers. Enfin, la paix dont on jouit aujourd'hui, grâce à la destruction des pirates, ajoute encore à la sûreté de la navigation. Il y a pourtant un inconvénient dans cette traversée d'Ibérie, et Posidonius le signale pour l'avoir éprouvé, c'est qu'en ces parages jusqu'au golfe de Sardaigne les eurus, ou vents d'est, sont des vents étésiens: ainsi s'explique qu'Il ait mis trois mois pour atteindre l'Italie, et encore à grand'peine, après s'être vu à plusieurs reprises jeté hors de sa route et ballotté des îles Gymnesiae aux côtes de la Sardaigne, et de ces îles aux côtes de la Libye qui leur font face.

6. On exporte de la Turdétanie du blé, du vin en grande quantité, beaucoup d'huile aussi, et qui plus est, de l'huile excellente; puis de la cire, du miel, de la poix, beaucoup de graine de kermès et du cinabre, qui vaut pour la qualité la terre (27) de Sinope. En outre, les Turdétans n'emploient pour leurs constructions navales que des bois de leur pays. Un autre avantage, c'est qu'ils ont chez eux du sel fossile et beaucoup de rivières aux eaux salées ; de là cette grande quantité de salaisons, d'aussi bonne qualité pour le moins que celles du Pont, qu'on tire non seulement de leur pays, mais de tout le reste de la côte située en dehors des Colonnes d'Hercule. Il nous venait aussi anciennement beaucoup de leurs tissus, de leurs étoffes. Aujourd'hui leurs laines elles-mêmes sont plus demandées que les laines coraxiennes  (28) : il est de fait qu'il n'y a rien de plus beau, et l'on s'explique en les voyant qu'un bélier reproducteur de Turdétanie se paye un talent. La même supériorité se remarque dans les tissus légers que fabriquent les Salaciètes (29). Ajoutons que l'abondance du bétail de toute espèce et du gibier est quelque chose de prodigieux en ce pays. Quant aux animaux nuisibles, ils y sont rares, et l'on ne peut guère donner ce nom qu'à une espèce particulière de petits lièvres, dits lébérides, qui se terrent et gâtent en effet les arbres et les plantes en rongeant leurs racines. Ce fléau, commun du reste à presque toute l'Ibérie, étend ses ravages jusqu'à Massalia et infeste même les îles. C'est au point qu'on raconte que les habitants des îles Gymnesim députèrent naguère à Rome pour demander qu'on leur assignât d'autres terres, sous prétexte qu'ils étaient chassés de leurs îles par ces animaux destructeurs devenus si nombreux, qu'il n'y avait plus à songer à leur résister. Peut-être bien faut-il, quand le fléau dépasse ainsi ses proportions habituelles (30), et qu'il se déchaîne avec la violence de la peste (31), semblable à ces invasions de serpents et de rats qui ont affligé certains pays, peut-être bien faut-il recourir à ce moyen extrême; mais en temps ordinaire on emploie pour le combattre divers genres de chasse, notamment la chasse au chat sauvage. Cet animal, originaire de la Libye, est dressé tout exprès ; après l'avoir muselé, on le lâche dans le terrier du lièvre, s'il l'attrape, il le traîne dehors avec ses griffes, autrement il le force à fuir et à re paraître à la surface de la terre, oit les chasseurs qui guettent sa sortie le prennent aisément. Ce qui peut du leste donner l'idée de l'importance des exportations de la Turdétanie, c'est le fort tonnage et le grand nombre des bâtiments turdétans : de tous les bâtiments de commerce, en effet, que l'on voit, soit à Dicaearchie, soit dans le port d'Ostie, arsenal maritime de Rome, les plus gros viennent de la Turdétanie et leur nombre n'est guère inférieur à celui des bâtiments qui viennent de Libye (32).

7. Mais si riche que soit l'intérieur de la Turdétanie par les productions de son sol, on peut dire que le littoral n'a rien à lui envier par les richesses qu'il tire de la mer. En général, les différentes espèces d'huîtres et de coquillages qu'on recueille sur les côtes de la mer Extérieure dépassent, tant pour la quantité que pour la grosseur , les proportions ordinaires; ici la disproportion est encore plus forte, ce qui tient vraisemblablement à l'élévation exceptionnelle des marées sur ce point; car on conçoit que, plus exercés (33) par la violence des flots, ces animaux pullulent et grossissent davantage. II en est de même, au reste, pour les différentes espèces de cétacés, pour les orques, les baleines et pour les souffleurs : on sait que le nom de ces derniers vient de ce que, quand ils soufflent ou respirent, ils semblent à qui les voit de loin lancer en l'air une colonne de vapeur. Les congres acquièrent également dans ces parages un développement monstrueux et dépassent infiniment en grosseur ceux de nos côtes, tel est le cas aussi des murènes et en général de tous les poissons de même espèce. Les buccins et les murex qu'on ramasse près de Carteia ont, à ce qu'on prétend, une contenance de dix cotyles, et, plus près de lamer Extérieure, il n'est pas rare de pêcher des murènes et des congres pesant plus de quatre-vingts mines, des poulpes du poids d'un talent, des calmars de deux coudées de long et le reste à l'avenant. On a remarqué aussi que les thons, qui des différents points du littoral de la mer Extérieure affluent vers cette côte, sont singulièrement gros et gras : cela tient à ce qu'ils trouvent à s'y nourrir du gland d'un chêne qui croît au fond de la mer, et qui, bas et écrasé de sa nature, n'en porte pas moins de très gros fruits. Cet arbre (34) croît du reste avec la même abondance dans l'intérieur des terres en Ibérie, et il a cela de particulier que ses racines n'ont pas moins de profondeur que celles du chêne ordinaire quand il a atteint sa pleine croissance, et qu'en même temps son tronc est moins élevé que celui du chêne nain. Or, telle est l'abondance des fruits de ce chêne sous-marin, qu'une fois l'époque de la maturité venue on voit tout le rivage, en dedans comme en dehors des Colonnes d'Hercule, couvert de glands que le flux y a rejetés. Notons seulement qu'en deçà du détroit le gland va toujours diminuant de grosseur Suivant Polybe, la mer porte ces glands des rivages de l'Ibérie à ceux du Latium; mais il se pourrait, ajoute-t-il, que cette espèce de chêne crût aussi en Sardaigne et dans les îles voisines. Les thons, de leur côté, à mesure qu'ils se rapprochent du détroit des Colonnes en venant de la mer Extérieure, maigrissent sensiblement, faute de rencontrer dans ces parages la même abondance de nourriture. C'est ce qui fait dire encore à Polybe qu'on pourrait donner au thon le nom de cochon marin (35), à voir comme cet animal est friand de gland et quelle propriété merveilleuse a le gland de l'engraisser. On a remarqué enfin, suivant lui, que, quand le gland foisonne, les thons foisonnent aussi. 

8. Qu'à tant de richesses, maintenant, dont la Turdétanie est pourvue, la nature ait encore ajouté la richesse minérale, ce n'est pas là, disons-le, un mince sujet d'étonnement, mais bien un fait insolite qu'on ne saurait trop admirer. Car, si toutes les parties de l'Ibérie abondent en mines, toutes n'ont pas en même temps une fertilité égale, une égaie richesse de productions, elles sont même moins fertiles à proportion qu'elles sont plus riches en mines, et il est très rare qu'un pays possède au même degré l'un et l'autre avantages, très rare aussi que, dans les limites étroites d'un même canton, les différentes espèces de métaux se trouvent réunies. La Turdétanie cependant, comme aussi le pays qui y touche, jouit de ce double privilége et à un degré tel qu'il n'y a pas d'expression admirative qui ne demeure bien au-dessous de la réalité. Nulle part, jusqu'à ce jour, on n'a trouvé l'or, l'argent, le cuivre, et le fer à l'état natif dans de telles conditions d'abondance et de pureté. Pour ce qui est de l'or, on ne l'y extrait pas seulement des mines, mais aussi du lit des rivières au moyen de la drague. Il y a en effet une espèce de sable aurifère que charrient les torrents et les fleuves, mais qui se trouve également dans maints endroits dépourvus d'eau : seulement, dans ces endroits, l'or échappe à la vue, tandis qu'aux lieux arrosés d'eau vive on voit de prime abord reluire la paillette d'or. Au surplus, dans ce cas-là, on n'a qu'à faire apporter de l'eau et à en inonder ces terrains secs et arides, pour qu'aussitôt l'or reluise aux yeux. Cela fait, soit en creusant des puits, soit par tout autre moyen, on se procure le sable aurifère, on le lave ensuite et l'or est mis à nu. Actuellement les lavages d'or sont plus nombreux dans le pays que les mines d'or proprement dites. A entendre les Galates ou Gaulois, leurs mines du mont Cemmène et celles qu'ils possèdent au pied du mont Pyréné, sont bien supérieures à celles d'Ibérie ; mais de fait les métaux d'Ibérie sont généralement préférés. Il arrive quelquefois , dit-on, qu'on rencontre parmi les paillettes d'or, ce qu'on appelle des pales, c'est-à-dire des pépites du poids d'une demi-livre et qui ont à peine besoin d'être purifiées. On parle aussi de pépites plus petites et de forme mamelonnée qu'on trouve en fendant la roche. Ces pépites soumises à une première cuisson et purifiées au moyen d'un mélange de terre alumineuse donnent une scorie qui n'est autre chose que l'electrum. Cette scorie d'or mêlé d'argent est cuite de nouveau, l'argent dors est brûlé et l'or seul demeure : l'or est en effet de sa nature fusible [et mou, tandis que l'argent a quelque chose de résistant (36)] et de lithoïde ou de terreux. C'est ce qui explique que le feu de paille convienne mieux pour faire fondre l'or ; car cette flamme , un peu molle, est proportionnée en quelque sorte à la nature tendre et fusible de l'or, tandis qu'il se perd beaucoup de substance avec un feu de charbon, qui, plus fort et plus âcre, liquéfie trop le métal et le vaporise. - Pour l'exploitation des rivières à paillettes, on se sert de la drague, et le sable qu'elle extrait est lavé près de là dans des auges ou sébiles, ou bien l'on creuse un puits sur la rive, et la terre qu'on en retire est soumise au lavage. On donne en général ici une grande élévation aux fourneaux à argent, pour que la fumée, qui se dégage du minerai et qui de sa nature est lourde et délétère, se dissipe plus aisément en s'échappant plus haut dans l'air. Quant aux mines de cuivre qu'on exploite dans le pays, elles portent, quelques-unes du moins, le nom même qu'on donne aux mines d'or, et les gens du pays en concluent qu'effectivement dans les anciens temps on extrayait de l'or de ces mines.

9. Posidonius célèbre l'abondance et la supériorité des métaux de l'Ibérie et, dans ce passage, non seulement il ne s'abstient pas des figures de rhétorique qui lui sont familières, mais il se laisse aller, on peut dire, à toutes les hyperboles du lyrisme. Écoutez-le : il croit ce que raconte la fable, qu'anciennement, après un vaste embrasement des forêts, la terre, précieux composé d'argent et d'or, fut liquéfiée, et vomit ces métaux à sa surface, il le croit, « d'autant qu'aujourd'hui encore, chaque montagne, chaque colline de l'Ibérie semble un amas de matières à monnayer préparé des mains mêmes de la prodigue Fortune. En somme, ajoute-t-il, qui voit ces lieux peut croire qu'il a sous les yeux le trésor intarissable de la nature ou l'inépuisable réserve d'un souverain. Cette terre en effet (c'est toujours lui qui parle) n'est pas riche seulement par ce qu'elle montre, elle l'est plus encore par ce qu'elle cache, et l'on peut dire en vérité que pour les Ibères ce n'est pas le Dieu des enfers, mais bien le Dieu des richesses, que ce n'est pas Pluton, mais bien Plutus qui occupe les profondeurs souterraines. » Voilà dans quel langage fleuri Posidonius a parlé des mines de l'Ibérie, comme si lui aussi avait à son service une mine inépuisable de mots et d'images (37). Plus loin, voulant donner l'idée du zèle des mineurs turdétans, il rappelle le mot du Phaléréen sur les mines d'argent de l'Attique : « à voir ces hommes creuser la terre avec autant d'ardeur, ne dirait-on pas qu'ils espèrent en extraire Pluton lui-même? » A cette ardeur il compare l'industrie et l'activité que déploient les Turdétans soit pour creuser leurs profondes et sinueuses syringes, soit pour épuiser à l'aide de la limace égyptienne l'eau des fleuves souterrains qui de temps à autre leur barrent le passage. Seulement, le travail des mineurs turdétans est autrement récompensé (38) que ne l'est celui des mineurs de l'Attique. Tandis que ceux-ci, en effet, semblent réaliser la fameuse énigme : « Ils n'ont pas eu ce qu'ils comptaient avoir et ont perdu ce qu'ils avaient (39), » les Turdétans, eux, retirent d'énormes profits de leurs mines: dans celles de cuivre, par exemple, le cuivre pur représente le quart de la masse de terre extraite et il est telle mine d'argent qui rapporte à son propriétaire en trois jours la valeur d'un talent euboïque. Pour ce qui est de l'étain, Posidonius nie qu'on le recueille à la surface du sol, ainsi que les historiens se plaisent à le répéter, et, suivant lui, c'est uniquement des mines qu'on l'extrait, ce sont des mines d'étain, par exemple, qui se trouvent dans le pays de ces Barbares au-dessus de la Lusitanie et dans les îles Cassitérides, ainsi que dans les autres îles Britanniques, d'où Massalia tire aussi beaucoup d'étain. Lui-même pourtant nous signale chez les Artabres, à l'extrémité nord-ouest de la Lusitanie, la présence superficielle de minerais d'argent, d'étain et d'or blanc ou d'or mêlé d'argent; il ajoute que le sable des rivières en est aussi chargé et que, pour l'extraire, les femmes ratissent soigneusement ce sable et le lavent ensuite dans des espèces de sas ou de tamis tressés à la façon des paniers (40). Ici s'arrête ce qu'a dit Posidonius des mines de l'Ibérie.

10. Polybe, à son tour, nous parle, en décrivant Carthage-la-Neuve, de mines d'argent, très considérables, situées à 20 stades environ de cette ville et mesurant 400 stades de circuit : ces mines, qui occupaient de son temps, et cela tout le long de l'année, une population de 40 000 ouvriers, rapportaient à la République romaine 25 000 drachmes par jour. Sans entrer dans tous les détails métallurgiques que donne Polybe (ce qui nous mènerait trop loin), nous rappellerons seulement ce qu'il dit de la pépite argentifère que roulent les eaux des rivières : après l'avoir pilée, on la passait au crible sur l'eau; le sédiment était pilé de nouveau et lavé encore à grande eau; puis l'on recommençait à piler le sédiment de la seconde opération et ainsi de suite; enfin, à la cinquième, on faisait fondre le sédiment, le plomb se séparait sous l'action de la chaleur et dégarnit en même temps l'argent complètement purifié. Les mines d'argent des environs de Carthage-la-Neuve sont aujourd'hui encore en pleine exploitation; mais, comme toutes les autres mines d'argent situées en Ibérie, elles ont cessé d'appartenir à l'État pour passer aux mains de particuliers ; les mines d'or seules sont demeurées pour la plupart propriétés de l'État. Nous ajouterons qu'il existe à Castlon et en d'autres lieux des mines de plomb d'une nature particulière, dont les filons cachés à une grande profondeur contiennent aussi de l'argent, en trop petite quantité toutefois pour qu'il y ait profit à le séparer du plomb par l'affinage.

11. Enfin, non loin de Castlon, s'élève une montagne (la même d'où l'on fait descendre le Baetis) qui a reçu le nom de mont Argyrûs à cause des mines d'argent qui s'y trouvent. Polybe fait venir le Baetis comme l'Anas de la Celtibérie, bien que ces deux fleuves soient séparés l'un de l'autre par un intervalle de 900 stades environ, mais c'est que, par suite de l'accroissement de leur puissance, les Celtibères avaient fini par étendre leur nom de proche en proche à tout le pays environnant. Anciennement, à ce qu'il semble, on désignait le Baetis sous le nom de Tartessos, et Gadira, avec le groupe d'îles qui l'avoisinent, sous le nom d'Erythea, et on explique ainsi comment Stésichore, en parlant du pasteur Géryon, a pu dire qu'il était né (41)

« Presque en face de l'illustre Erythie, non loin des sources profondes du Tartesse, de ce fleuve à tête d'argent, né dans les sombres entrailles d'un rocher. »

On croit aussi que, comme le Baetis a une double embouchure et qu'il laisse un grand espace de terrain entre ses deux branches, les anciens avaient bâti là dans l'intervalle une ville nommée Tartessos ainsi que le fleuve lui-même, et qui avait donné à toute la contrée occupée aujourd'hui par les Turdules le nom de Tartesside. Eratosthène, il est vrai, prétend qu'on appelait Tartesside uniquement le canton adjacent au mont Calpé (42) et que le nom d'Erythea désignait l'une des îles Fortunées. Mais Artémidore contredit formellement cette assertion, et, à l'entendre, Eratosthène s'est grossièrement trompé sur ce point, tout comme il s'est trompé en affirmant que de Gadira au Promontoire Sacré on compte cinq journées de navigation quand la distance réelle n'excède pas 1700 stades ; — que le phénomène des marées ne se fait pas sentir au delà dudit promontoire, quand il est constant qu'il se produit sur toute la circonférence de la terre habitée; — que, pour le vaisseau qui fait voile vers la Celtique, la navigation de l'Océan est plus facile et plus sûre le long des côtes septentrionales [que le long des côtes méridionales] de l'Ibérie (43); — et comme en général il s'est trompé toutes les fois qu'il s'est laissé prendre à l'aplomb impudent de ce Pythéas (44).

12. Les fictions d'Homère, à considérer aussi bien celles qu'il a pu composer d'après de fausses données que celles qui reposent sur des notions plus exactes et plus vraies, nous fournissent plus d'un indice que ce poète, le curieux, le chercheur par excellence, avait déjà une cer aine connaissance de ces lieux. Ainsi, c'était sans doute une donnée fausse que cette situation attribuée anciennement à Tartessos aux derniers confins de l'occident, c'est-à-dire aux lieux mêmes où, pour nous servir des expressions du poète, disparaît dans l'Océan « l'étincelant flambeau du soleil trainant après soi la nuit noire sur la terre au sein fécond. » Mais, comme la nuit, par son nom sinistre, donne à tous l'idée d'un lieu proche des enfers, et que les enfers à leur tour confinent au Tartare, on peut supposer qu'Homère, sur ce qu'on lui avait dit de Tartessos, s'est servi de ce nom en le dénaturant et en a tiré celui du Tartare, pour l'appliquer ensuite à la partie la plus reculée des régions souterraines, non sans l'embellir de mainte fiction, conformément à l'usage des poètes. N'est-ce pas là ce qu'il a fait pour les Cimmériens? Sur ce qu'il avait appris de la position de ces peuples au nord et au couchant du Bosphore, il les a transportés au seuil même des enfers, obéissant peut-être bien aussi en cela à la haine commune des Ioniens pour cette nation qu'on prétend avoir, du vivant d'Homère ou peu de temps avant lui, envahi l'Asie jusqu'à l'Éolide et à l'Ionie. N'est-ce pas par le même procédé encore qu'il a imaginé ses Planctæ ou roches errantes à l'instar des Cyanées, tirant toujours ses fables de quelque fait réel parvenu à sa connaissance? Comme les Cyanées sont des écueils dangereux, si dangereux même qu'on les appelle quelquefois aussi les roches Symplégades, c'est sous les mêmes couleurs qu'il a représenté les Planctæ dans son poème, imaginant pour plus de ressemblance cette navigation périlleuse de Jason au milieu des îles errantes. Ajoutons que le détroit des Colonnes et le détroit de Sicile lui suggéraient aussi tout naturellement ce mythe des Planctæ. Ainsi de la fiction du Tartare, fondée pourtant sur une donnée fausse, on peut déjà conclure qu'Homère connaissait la Tartesside et qu'il y a fait allusion.

13. Mais la chose ressort mieux encore [de l'emploi qu'il a fait de certaines notions positives] que nous allons rappeler : l'expédition d'Hercule, par exemple, en ces contrées lointaines et celles des Phéniciens aux mêmes lieux lui donnaient des vaincus l'idée d'un peuple riche et amolli; et il est de fait que l'assujettissement de cette partie de l'Ibérie aux Phéniciens a été si complet, qu'aujourd'hui encore, dans la plupart des villes de la Turdétanie et des campagnes environnantes, le fond de la population est d'origine phénicienne. Il me paraît certain aussi qu'Ulysse avait poussé jusqu'ici ses courses guerrières, et qu'Homère, qui avait dû rechercher dans l'histoire tout ce qui se rapportait à son héros, l'a su et en a tiré prétexte pour transporter l'Odyssée, comme il avait fait l'Iliade, du domaine de la réalité pure dans celui de la poésie et des mythes ou fictions familières aux poètes.Il est constant, en effet, que ce n'est pas seulement sur les côtes d'Italie et de Sicile et dans les parages environnants qu'on peut relever les vestiges de toute cette histoire, et l'Ibérie elle-même nous montre aujourd'hui une vile du nom d'Odyssea, un temple de Minerve et mille autres traces des erreurs du héros et de ceux qui, comme lui, survécurent à la guerre de Troie, à cette guerre aussi funeste, on peut dire, aux vainqueurs qu'aux vaincus, les premiers n'ayant remporté qu'une victoire cadméenne. Cette victoire, on le sait, avait coûté à chacun des chefs grecs la ruine de sa maison et ne lui avait rapporté en échange qu'une bien faible part des dépouilles de l'ennemi , de sorte qu'a l'imitation des chefs Troyens qui avaient échappé à la mort et à l'esclavage ils s'étaient tournés vers la piraterie, faisant par honte ce que ceux-ci avaient fait par dénument, car chacun s'était dit 

« Qu'il est humiliant de rester si longtemps loin des siens, humiliant surtout
« De revenir auprès d'eux les mains vides. »

Et c'est ainsi qu'à côté des erreurs d'Énée, d'Anténor et des Hénètes, l'histoire a enregistré celles de Diomède, de Ménélas, de Ménesthée (45) et de maint autre héros grec. Or, instruit par la voix de l'histoire de toutes ces expéditions guerrières aux côtes méridionales de l'Ibérie, instruit aussi de la richesse de cette contrée et des biens de toute sorte qu'elle possède et que les Phéniciens avaient fait connaitre, Homère a eu l'idée d'y placer la demeure des Ames pieuses et ce champ Élyséen, où, suivant la prédiction de Protée, Ménélas devait habiter un jour :

« Quant à vous, Ménélas, les immortels vous conduiront vers le champ Élyséen, aux bornes mêmes de la terre : c'est là que siége le bond Rhadamanthe, là aussi que les humains goûtent la vie la plus facile à l'abri de la neige, des frimas et de la pluie et qu'au sein de l'Océan s'élève sans cesse le souffle harmonieux et rafraîchissant du zéphyr. »

La pureté de l'air et la douce influence du zéphyr sont bien en effet des caractères propres à cette partie de l'Ibérie, qui, tournée toute du côté de l'occident, possède un climat vraiment tempéré. Il se trouve en outre qu'elle est située juste aux derniers confins de la ferre habitée, c'est-à-dire aux lieux mêmes où la fable, avons-nous dit, a placé les enfers, car la mention de Rhadamanthe dans les vers qui précèdent implique le voisinage de Minos, et l'on sait ce qu'il est dit de Minos dans Homère : « Là j'ai vu Minos, au visage rayonnant, Minos, le fils de Jupiter, qui, son sceptre d'or dans la main, rendait la justice aux morts. » D'autres poétes maintenant, venus après Homère, ont enchéri sur ce qu'il avait fait en imaginant à leur tour et l'enlèvement par Hercule des troupeaux de Géryon, et l'expédition du même héros à la conquête des pommes d'or du jardin des Hespérides, et ces îles des Bienheureux, dans lesquelles nous reconnaissons aujourd'hui quelques-unes des îles situées non loin de l'extrémité de la Maurusie qui fait face à Gadira.

14. Mais, je le répète, les premiers renseignements étaient dus aux Phéniciens, qui, maîtres de la meilleure partie de l'Ibérie et de la Libye, dès avant l'époque d'Homère, demeurèrent en possession de ces contrées jusqu'à la destruction de leur empire par les armes romaines. Quant à la richesse de l'Ibérie, elle nous est attestée encore par ce que disent certains historiens, que les Carthaginois, dans une expédition que commandait Barca, trouvèrent les peuples de la Turdétanie se servant de crèches d'argent et de tonneaux d'argent; on se demande même à ce propos si ce ne serait pas l'extrême félicité de ces peuples qui aurait donné lieu à la réputation de longévité qu'on leur a faite, qu'on a faite surtout à leurs rois, et qu'Anacréon rappelle dans ce passage : « Je ne souhaite pour moi ni la corne d'Amalthée ni un siècle et demi de règne sur l'heureuse Tartesse; » ce qui expliquerait, pour le dire en passant, comment Hérodote nous a conservé le nom d'Arganthonius, l'un de ces rois (46).

15. A l'avantage de posséder un pays aussi riche se joint, pour les Turdétans, l'avantage de moeurs douces et policées, qui s'observent, du reste, par le fait du voisinage, si ce n'est même de la parenté, comme le croit Polybe, chez les Celtici pareillement, bien qu'à un degré moindre, puisque, en général, les Celtici vivent dispersés dans des bourgades. Les Turdétans, et surtout ceux des rives du Baetis, ne s'en sont pas moins entièrement convertis à la manière de vivre des Romains, jusqu'à renoncer à l'usage de leur idiome national; et comme, en outre, beaucoup d'entre eux ont été gratifiés du jus Latii et qu'ils ont reçu dans leurs villes à plusieurs reprises des colonies romaines, il ne s'en faut guère aujourd'hui que tous soient devenus Romains. L'existence de colonies, telles que Pax Augusta chez les Celtici, Augusta Emerita chez les Turdules, Coesaraugusta chez les Celtibères et autres semblables, montre assez en effet le changement qui s'est opéré dans la constitution politique du pays. En général, on désigne sous le nom de togati tous les peuples d'Ibérie qui ont adopté ce nouveau genre de vie et les Celtibères eux-mêmes sont aujourd'hui du nombre, bien qu'ils aient été longtemps réputés les plus féroces de tous. Voilà ce que nous avions à dire de la Turdétanie.

CHAPITRE III.

1. Qu'on remonte maintenant, en partant toujours du promontoire Sacré, l'autre partie de la côte, celle qui se dirige vers le Tage, on la voit d'abord qui se creuse en forme de golfe; puis vient le promontoire Barbarium, suivi immédiatement des bouches du Tage : la traversée [dudit golfe] en ligne directe jusqu'aux bouches du Tage est de [1000] stades. Des estuaires se remarquent également sur cette partie de la côte; nous en signalerons un notamment qui, partant du [promontoire] nommé ci-dessus, pénètre à plus de 400 stades dans l'intérieur et [peut amener les bâtiments jusqu'à Salacia] (47). Le Tage, large de 20 stades environ à son embouchure, se trouve avoir en même temps assez de profondeur pour que les plus gros transports du commerce le puissent remonter; et comme, à la marée haute, il forme, en se répandant sur les campagnes qui le bordent, deux espèces de mers intérieures d'une étendue de 150 stades, toute cette portion de la plaine se trouve par le fait acquise à la navigation. De ces deux lacs ou estuaires [que forme le Tage], celui qui est situé le plus haut contient une petite île longue de 30 stades environ et large à peu près d'autant, qui se l'ait remarquer par la beauté de ses [oliviers] (48) et de ses vignes. Cette île se voit à la hauteur de Moron (49), ville heureusement située sur une montagne, tout près du fleuve, et à la distance de 500 stades environ de la mer, avec de riches campagnes autour d'elle et de grandes facilités de communication par la voie du fleuve, puisque les plus forts bâtiments peuvent remonter celui-ci dans une bonne partie de son cours, et que dans le reste, c'est-à-dire encore plus loin au-dessus de Muron qu'il n'y a de Moron à la mer, il demeure navigable aux barques ou embarcations de rivière. C'est de cette ville que Brutus, surnommé le Callaïques, avait fait sa base d'opérations dans sa campagne contre les Lusitans, laquelle se termina, comme on sait, par la défaite de ces peuples. Il avait en outre fortifié Oliosipon (50), qui par sa position est comme la [clef]  (51) du fleuve, de façon à être maître de son cours et à être toujours libre de faire arriver par cette voie jusqu'à son armée les approvisionnements nécessaires : ces cieux villes naturellement sont les plus fortes de toutes celles qui bordent le Tage. Ce fleuve, déjà très poissonneux, abonde aussi en coquillages. Il prend sa source chez les Celtibères et traverse successivement le pays des Vettons, et ceux des Carpétane et des Lusitans, en se dirigeant au couchant équinoxial. Jusqu'à un certain point de son cours, il coule parallèlement à l'Anas et au Baetis; mais, plus loin, sa direction s'écarte de la leur, ces deux fleuves se détournant alors vers la côte méridionale.

2. Des peuples dont nous avons parlé plus haut comme habitant au-dessus des montagnes (52), les plus méridionaux sont les Orétans, qui s'avancent même jusqu'à la côte dans la partie de l'Ibérie comprise en dedans des Colonnes d'Hercule. Au N. de ceux-ci, maintenant, on rencontre les Carpétans, et plus loin les Vettons et les Vaccéens, dont le territoire est traversé par le Durius : c'est à Acoutea (53) en effet, ville des Vaccéens, qu'on passe habituellement ce fleuve. Viennent enfin les Callaïques, qui occupent une grande partie des montagnes, et qui, ayant été pour cette raison plus difficiles à vaincre, ont mérité de donner leur nom au vainqueur des Disions et ont fini même aujourd'hui par l'étendre et l'imposer à la plupart des peuples de la Lusitanie. Les villes principales de l'0rétanie sont Castalon (54)  et Oria (55).

3. Au N. du Tage, s'étend la Lusitanie, qu'habite la plus puissante des nations ibériennes, celle de toutes qui a le plus longtemps arrêté les armes romaines. Cette contrée a pour bornes, au midi le Tage , à l'ouest et au nord l'Océan, et à l'est les possessions des Carpétans, des Vettons, des Vaccéens et des Callaïques, pour ne parler que des peuples connus, car ily en a d'autres qui ne méritent pas d'être nommés, vu leur peu d'importance et leur obscurité. Contrairement à ce que nous venons de dire, quelques auteurs modernes (56) comprennent parmi les peuples lusitans ces tribus limitrophes elles-mêmes. Ajoutons alors que ces tribus confinent, du côté de l'est, les callaïques à la nation des Astures et à celle des Celtibères, et toutes les autres à la Celtibérie. La longueur de la Lusitanie [jusqu'au cap Nerium] (57) est de 3000 stades; quant à la largeur, laquelle se mesure de la limite orientale à la côte qui lui fait face, elle est beaucoup moindre. Toute la partie orientale est élevée et âpre, mais, au-dessous jusqu'à la mer, le pays ne forme plus qu'une plaine à peine interrompue par quelques montagnes de médiocre hauteur. Aussi Posidonius désapprouve-t-il Aristote d'avoir attribué le phénomène des marées à la disposition de cette côte et de celle de la Maurusie, comme si le reflux de la mer était dû à l'élévation et à la nature rocailleuse de ces extrémités de la terre habitée, qui recevant le flot durement, devraient naturellement le renvoyer de même : les côtes d'Ibérie en effet, et Posidonius le fait remarquer avec raison, n'offrent presque partout que des dunes fort basses (58).

4. La contrée que nous décrivons est riche et fertile; des cours d'eau, grands et petits, l'arrosent, qui viennent tous de l'est et coulent parallèlement au Tage ; la plupart peuvent être remontés, et charrient des paillettes d'or en très grande quantité. Les plus connus de ces cours d'eau à partir du Tage sont le Mundas (59) et la Vacua, qui ne peuvent être l'un et l'autre remontés qu'à une faible distance. Vient ensuite le Durius, dont la source est très éloignée, et qui baigne Numance ou Nomantia et mainte autre place appartenant soit aux Celtibères soit aux Vaccéens; les gros bâtiments eux-mêmes peuvent le remonter l'espace de 800 stades environ. On franchit encore d'autres cours d'eau, puis l'on atteint le Léthé. Ce fleuve que les auteurs appellent aussi tantôt le Limeas, et tantôt l'Oblivio (60), descend également de la Celtibérie et du pays des Vaccéens. Il en est de même du Bænis qui lui succède : le Baenis (61), ou Minius, comme on l'appelle quelquefois, est de tous les fleuves de la Lusitanie le plus grand de beaucoup et il peut être, comme le Durius, remonté l'espace de 800 stades. Posidonius, lui, le fait venir, ainsi que le Durios, du pays des Cantabres. Son embouchure est commandée par une île et protégée par une double jetée, à l'abri de laquelle les vaisseaux peuvent mouiller. Notons ici une disposition naturelle très heureuse , c'est que le lit de tous ces cours d'eau est si profondément encaissé qu'il suffit même à contenir les flots de la marée montante, ce qui prévient les débordements et empêche que les plaines environnantes soient jamais inondées. Le Bænis fut le terme des opérations de Brutus; mais on trouverait plus loin encore d'autres cours d'eau coulant parallèlement aux précédents.

5. Les derniers peuples de la Lusitanie sont les Artabres, qui habitent près du cap Nerium. Dans le voisinage du même cap, qui forme l'extrémité à la fois du côté occidental et du côté septentrional de l'Ibérie, habitent les Celtici, proches parents de ceux des bords de l'Anas. On raconte en effet qu'une bande de ces derniers, qui avait entrepris naguère une expédition en compagnie des Turdules contre les peuples de cette partie de l'Ibérie, s'étant brouillée avec ses alliés dès la rive ultérieure du Limaaas, et, ayant perdu en même temps, pour comble de malheur, le chef qui la commandait, se répandit dans le pays et se décida à y demeurer, ce qui fit donner au Limaeas cette dénomination de fleuve du Léthé ou de l'Oubli. Les villes des Artabres sont agglomérées autour d'un golfe connu des marins qui pratiquent ces parages sous le nom de port des Artabres. Aujourd'hui pourtant on donne aux Artabres plus volontiers le nom d'Arotrebes. — Trente (62) peuples différents habitent la contrée comprise entre le Tage et la frontière des Artabres; mais, bien que cette contrée soit naturellement riche en fruits et en bétail, ainsi qu'en or, eh argent et en autres métaux, la plupart de ces peuples ont renoncé à tirer partie de ces richesses naturelles pour vivre de brigandage ; de tout temps, en effet, ils ont vécu en guerres soit entre eux, soit avec leurs voisins d'au delà du Tage, jusqu'à ce que les Romains aient mis fin à cet état de choses en faisant descendre les peuples de la montagne dans la plaine et en réduisant la plupart de leurs villes à n'être plus que de simples bourgs, en même temps qu'ils fondaient quelques colonies au milieu d'eux. C'étaient les montagnards, comme on peut croire, qui avaient commencé le désordre : habitant un pays triste et sauvage, et possédant à peine le nécessaire, ils en étaient venus à convoiter le bien de leurs voisins. Ceux-ci, de leur côté, avaient dû, pour les repousser, abandonner leurs propres travaux, et, comme ils s'étaient mis eux-mêmes à guerroyer, au lieu de cultiver la terre, leur pays, faute de soins, avait cessé de rien produire, voire même les fruits qui lui étaient naturels, pour devenir un vrai repaire de brigands.

6. Les Lusitans, à ce qu'on dit, excellent à dresser des embuscades et à éclairer une piste ; ils sont agiles, lestes et souples. Le bouclier dont ils se servent est petit, n'ayant que deux pieds de diamètre, la partie antérieure en est concave, et ils le portent suspendu à leur cou par des courroies, on n'en voit pas qui ait d'anse ou d'agrafes. Ils sont armés en outre d'un poignard ou coutelas (63) ; la plupart ont des cuirasses de lin, d'autres, mais en petit nombre, portent la cette de mailles et le casque à triple cimier; généralement leurs casques sont de cuir. Les fantassins ont aussi des cnémides, et tiennent à la main chacun plusieurs javelines ; quelques-uns se servent de lances à pointe d'airain. On ajoute que, parmi les peuples riverains du Durios, il en est qui vivent à la façon des Lacédémoniens, se frottant d'huile et se servant d'étrilles (64) et d'étuves chauffées à l'aide de pierres rougies au feu, puis se baignant dans l'eau froide et ne faisant jamais qu'un seul repas, très proprement apprêté, il est vrai, mais d'une extrême frugalité. Les Lusitans font de fréquents sacrifices aux dieux, et examinent les entrailles, sans les arracher du corps de la victime, ils observent aussi les veines de la poitrine, et tirent en outre certaines indications du simple toucher. Ils consultent même dans certains cas les entrailles humaines, se servant à cet effet de leurs prisonniers de guerre, qu'ils revêtent au préalable de saies pour le sacrifice, et, quand la victime tombe éventrée de la main de l'haruspice, ils tirent un premier avertissement de la chute même du corps. Souvent aussi ils coupent la main droite à leurs captifs et en font offrande aux dieux.

7. Tous ces montagnards sont sobres, ne boivent que de l'eau et couchent sur la dure ; ils portent les cheveux longs et flottants à la manière des femmes, mais, pour combattre, ils se ceignent le front d'un bandeau. Ils se nourrissent surtout de la chair du bouc, Dans leurs sacrifices au dieu Mars, ils immolent aussi des boucs, ainsi que, des prisonniers de guerre et des chevaux. Ils font en outre des hécatombes de chaque espèce de victime, à la façon des Grecs (65). Ils célèbrent des jeux gymniques, hoplitiques et hippiques, dans lesquels ils s'exercent au pugilat et à la course, et simulent des escarmouches et des batailles rangées. Les trois quarts de l'année, on ne se nourrit dans la montagne que de glands de chêne, qui, séchés, concassés et broyés, servent à faire du pain. Ce pain peut se garder longtemps. Une espèce de bière faite avec de l'orge y est la boisson ordinaire; quant au vin, il est rare, et le peu qu'on en fait est bientôt consommé dans ces grands banquets de famille si fréquents chez ces peuples. Le beurre y tient lieu d'huile. On mange assis; il y a pour cela des stalles en pierre, qui règnent tout autour des murs et où les convives prennent place suivant l'âge et le rang. Les mets circulent de main en main. Tout en buvant, les hommes se mettent à danser, tantôt formant des choeurs au son de la flûte et de la trompette, tantôt bondissant un à un à qui sautera le plus haut en l'air et retombera le plus gracieusement à genoux (66). Dans la Bastétanie, les femmes dansent aussi mêlées aux hommes, chacune ayant son danseur vis-à-vis, à qui elle donne de temps en temps les mains (67). Tous les hommes sont habillés de noir, ils ne quittent pas à proprement parler leurs saies, s'en servant même en guise de couvertures sur leurs lits de paille sèche : ces manteaux, comme ceux des Celtes, sont faits de laine grossière ou de poil de chèvre (68). Quant aux femmes, elles ne portent que des manteaux et des robes de couleur faites d'étoffes brochées. Dans l'intérieur des terres, on ne connaît, à défaut de monnaies, que le commerce d'échange, ou bien on découpe dans des lames d'argent de petits morceaux qu'on donne en payement de ce qu'on achète. Les criminels condamnés à mort sont précipités; mais les parricides sont lapidés hors du territoire, par delà la frontière la plus reculée (69). Les cérémonies du mariage sont les mêmes qu'en Grèce. Les malades, comme cela se pratiquait anciennement chez les Assyriens (70), sont exposés dans les rues pour provoquer ainsi les conseils de ceux qui ont été atteints des mêmes maux. Antérieurement à l'expédition de Brutus, ces peuples ne se servaient que de bateaux de cuir pour traverser les estuaires et étangs de leur pays ; aujourd'hui ils commencent aussi à avoir des canots creusés dans un seul tronc d'arbre, mais l'usage en est encore peu répandu. Le sel qu'ils recueillent est rouge pourpre, seulement il devient blanc quand il est écrasé. Tel est le genre de vie de tous les montagnards, et, comme je l'ai déjà dit, je comprends sous cette dénomination les différents peuples qui bordent le côté oriental de l'Ibérie jusqu'au pays des Vascons et au Mont Pyréné, à savoir les Callaïques, les Astures et les Cantabres, qui ont tous en effet une manière de vivre uniforme : je pourrais sans doute faire la liste de ces peuples plus longue, mais je n'en ai pas le courage et je recule, je l'avoue, devant l'ennui d'une transcription pareille, n'imaginant pas d'ailleurs que personne puisse trouver du plaisir à entendre des noms comme ceux des Pleutaures (71), des Bardyètes, des Allobriges et d'autres moins harmonieux et moins connus encore.

8. Au surplus, ce n'est pas seulement la guerre qui a engendré chez ces peuples ces moeurs rudes et sauvages, elles tiennent aussi à l'extrême éloignement où leur pays se trouve des autres contrées, car pour y arriver soit par terre, soit par mer, il faut toujours faire un chemin très long, et naturellement, cette difficulté de communication leur a fait perdre toute sociabilité et toute humanité. Il faut dire pourtant qu'aujourd'hui le mal est moins grand par suite du rétablissement de la paix et des fréquents voyages que les Romains font dans leurs montagnes. Restent quelques tribus qui ont jusqu'ici moins participé que les autres à ce double avantage, celles-là ont conservé un caractère plus farouche, plus brutal, sans compter que chez la plupart d'entre elles cette disposition naturelle a pu se trouver augmentée encore par l'âpreté des lieux et la rigueur du climat (72)  Mais, je le répète, toutes les guerres se trouvent aujourd'hui terminées;, les Cantabres eux-mêmes, qui de tous ces peuples étaient les plus attachés à leurs habitudes de brigandage, ont été réduits par César-Auguste, ainsi que les tribus qui les avoisinent, et, au lieu de dévaster comme par le passé les terres des alliés du peuple romain, ils portent maintenant les armes pour les Romains mêmes : tel est le cas aussi des Coniaci (73), [des Aruaci], qui habitent [la ville de Segida (74)], aux sources de l'Èbre, [des Belli et des Tytthi] (75). De plus, Tibère a, sur l'indication d'Auguste, son prédécesseur, envoyé dans ces contrées un corps de trois légions, dont la présence se trouve avoir beaucoup fait déjà, non seulement pour pacifier, mais encore pour civiliser une partie de ces peuples.

CHAPITRE IV.

1. La partie de l'Ibérie qui nous reste à décrire comprend: 1° tout le litte al de notre mer des Colonnes d'Hercule au Mont Pyréné ; 2° toute la région intérieure située au-dessus de ladite côte. Or, cette région intérieure, de largeur inégale, a un peu plus de 4000 stades de longueur, c'est-à-dire 2000 stades de moins que la côte à laquelle elle correspond et dont on décompose la longueur ainsi qu'il suit : du mont Calpé, voisin des Colonnes d'Hercule, à Carthage-la-Neuve, une première section de 2200 stades, occupée par les Bastétans, les mêmes qu'on nomme quelquefois les Bastules, et en partie aussi par quelques tribus orétanes; puis, de Carthage-la-Neuve à l'Èbre, une seconde section de même longueur ou peu s'en faut que la première, et occupée par les Èdétans; enfin une troisième section de 1600 stades, s'étendant en deçà de l'Èbre jusqu'au Mont Pyréné et aux Trophées de Pompée, et habitée dans une partie encore par quelques tribus d'Édétans, et dans le reste par la nation des Indicètes, laquelle est partagée en quatre tribus.

2. Reprenons maintenant du mont Calpé pour décrire toute cette côte en détail. Tout le long de la Bastétanie et du territoire des Orétans règne une chaîne de montagnes couverte de hautes et épaisses futaies, qui forme la séparation entre le littoral et la région intérieure: celte chaîne, en maint endroit, possède aussi des mines, des mines d'or et d'autres métaux. La première ville qu'on rencontre dans cette partie de la côte est Malaca. Située juste à la même distance de Calpé que Gadira, Malaca est l'emporium on le marché que fréquentent de préférence les peuples numides (76) de la côte opposée. Il s'y trouve d'importants établissements de salaisons. Quelques auteurs pensent que cette ville n'est autre que Maenacé, que la tradition nous donne pour la plus occidentale des colonies phocéennes, mais il n'en est rien. L'emplacement de Maenacé, ville aujourd'hui ruinée, se trouve à une distance plus grande de Calpé, et, d'ailleurs, le peu de vestiges qui en restent dénotent une ville hellénique, tandis que Malaca, en même temps qu'elle est plus rapprochée de Calpé, a la physionomie complétement phénicienne. Vient ensuite la cité des Exitans, qui a donné son nom aussi à un genre de salaisons estimées.

3. Abdères, qui lui succède, est également d'origine phénicienne. Au-dessus de cette ville, maintenant, dans la montagne, se trouve, dit-on, Odyssea, la ville d'Ulysse, avec le temple de Minerve qui en dépend. Posidonius affirme le fait, ainsi qu'Artémidore et Asclépiade de Myrlée, grammairien connu pour avoir professé chez les Turdétans et pour avoir publié sous forme de relation de voyage une description des peuples de ces contrées. Ce dernier auteur ajoute que les parois du temple de Minerve à Odyssea supportent encore les boucliers et les éperons de navire qui y furent fixés anciennement en commémoration des erreurs d'Ulysse. Il veut aussi qu'il y ait eu chez les Callaïques un établissement formé par quelques-uns des compagnons de Teucer, et rappelle en même temps qu'on voyait naguère en ce pays deux villes appelées l'une Hellenes et l'autre Amphilochi, ce qui semblerait prouver qu'Amphilochus était venu mourir ici, et que ses compagnons, continuant d'errer à l'aventure, avaient poussé plus loin jusque dans l'intérieur des terres. Suivant une autre tradition recueillie par le même auteur, quelques-uns des compagnons d'Hercule auraient également fondé un établissement en Ibérie. Il y serait venu aussi une colonie messénienne. Enfin Asclépiade et d'autres auteurs nous parlent d'une bande de Lacédémoniens qui auraient occupé une partie de la Cantabrie. Ajoutons qu'il se trouve dans la même contrée une ville du nom d'Opsicella [ou d'Ocela (77)], qui passe pour avoir été fondée par ()celas, l'un des héros qui accompagnaient Anténor et ses enfants lors de leur passage en Italie. En Libye, d'autre part, s'il faut ajouter foi aux rapports des marchands Gadirites, comme ont fait certains auteurs que nomme Artémidore, il existe réellement au-dessus de la Maurusie, et dans le voisinage des Éthiopiens occidentaux, des peuples appelés Lotophages parce qu'ils se nourrissent de la plante et racine du lotos, laquelle les dispense de boire ou plutôt leur tient lieu de boisson, le pays qu'ils habitent et qui se prolonge jusqu'au-dessus de Cyrène étant complétement dépourvu d'eau. Ce ne sont même pas là les seuls Lotophages, car on donne ce nom aussi aux habitants de Pile Méninx, l'une des deux îles qui commandent l'entrée de la Petite Syrte.

4. On conçoit donc parfaitement que l'imagination d'Homère ait pu, modifiant sur ce point les traditions relatives aux erreurs d'Ulysse, transporter par delà les Colonnes d'Hercule, en pleine mer Atlantique, une partie des aventures du héros (car ici, tant par le choix des lieux que par les autres circonstances, la fiction s'écartait assez peu des données positives de l'histoire pour paraître presque vraisemblable); on conçoit également qu'il se soit trouvé des personnes, comme voilà Cratès de Mallos et d autres encore, qui, conciliant leur foi dans ces traditions historiques avec le respect dû à la grande érudition d'Homère, ont fait de ses poèmes un sujet de discussions scientifiques. En revanche, il y a des auteurs qui ont compris l'oeuvre du poète de façon si rustique, on peut dire, que, non contents de lui refuser, comme ils auraient pu faire au fossoyeur nu au simple moissonneur, la science et l'érudition proprement dite, ils ont traité d'insensé quiconque avait pu soumettre ses poèmes à une étude, à un examen scientifique; et jusqu'ici personne, sont parmi les grammairiens, soit parmi les mathématiciens, n'a osé entreprendre une défense en règle d'Homère, ni même rectifier ou contredire d'une façon quelconque les assertions de ces auteurs. Il me semble pourtant possible de justifier Homère de la. plupart des reproches qu'on lui a adressés et de rectifier qui plus est mainte erreur de ses critiques, notamment celles où ils sont tombés, pour avoir cru aux mensonges de Pythéas, dans l'ignorance complète où ils étaient de la géographie des contrées qui bordent l'Océan à l'O. et au N. de la terre habitée. Mais laissons ce sujet, qui demanderait à être traité d'une manière spéciale avec tous les développements qu'il comporte.

5. Quant à ces migrations des Hellènes chez les peuples barbares, il y a lieu de croire qu'elles avaient eu pour cause le morcellement de la nation hellénique en tant de petites fractions ou États, que l'orgueil empêchait de former aucun lien ensemble, ce qui les laissait sans force contre les agressions venues du dehors. Ce même orgueil présomptueux existait au plus haut degré chez les Ibères, joint à un caractère naturellement faux et perfide. Habiles à surprendre leur ennemi, ces peuples ne vivaient que de brigandages, risquant bien de petits coups de main, mais jamais de grandes entreprises, faute d'avoir su doubler leurs forces en fondant une ligue ou confédération puissante. Autrement, s'ils avaient consenti à unir leurs armes, on n'eût point vu la meilleure partie de leur pays si facilement envahie et conquise par les Carthaginois et plus anciennement encore par les Tyriens, puis par les Celtes, les mêmes que l'on nomme aujourd'hui Celtibères et Vérons, et plus récemment par Viriathe, un brigand, par Sertorius et par maint autre chef jaloux, comme lui, d'agrandir son empire. Après quoi, vinrent les Romains qui, ayant attaqué et vaincu une à une chaque tribu ibère (78), perdirent il est vrai beaucoup de temps dans cette longue suite de guerres partielles, mais finirent après deux cents ans et plus par voir le pays tout entier réduit en leur puissance. — Reprenons la description méthodique de l'Ibérie.

6. Passé Abdères, la première ville qui se présente est Carthage-la-Neuve, laquelle fut fondée par Asdrubal, successeur de Barca, le père d'Annibal. De toutes les villes de cette contrée, elle est assurément la plus puissante. Une situation naturellement forte, un mur d'enceinte admirablement construit, la proximité de plusieurs ports, d'un lac ou étang et des mines d'argent dont nous avons parlé plus haut, tels sont les avantages qui la distinguent. On trouve aussi aux environs de nombreux établissements à saler le poisson. Enfin cette ville est le principal entrepôt où se rendent à la fois les populations de l'intérieur pour s'approvisionner des denrées venues par mer, et les marchands étrangers pour acheter les produits venus de l'intérieur du pays. Entre Carthage-la-Neuve et l'embouchure de l'Èbre, presque à moitié chemin, on rencontre le cours du Sucron (79) avec une ville de même nom à son embouchure. Ce fleuve prend sa source dans un des contreforts de la chaîne de montagnes qui domine Malaca et le territoire de Carthage; il est guéable, presque parallèle à l'Ebre et un peu moins éloigné de Carthage qu'il ne l'est de l'Èbre. Entre le Sucron, maintenant, et Carthage, et à une faible distance du fleuve, se trouvent trois petites places, dont la population est massaliote d'origine : la plus connue des trois est Hemeroscopiurn. Sur le promontoire qui l'avoisine s'élève un temple consacré à Diane Éphésienne, et en grand honneur dans le pays. Sertorius en avait fait sa place d'armes maritime. C'est effectivement une position très forte, et un vrai nid de pirates, qui s'aperçoit de très loin en mer : on l'appelle le Dianium (ce qui équivaut pour nous à Artemisium). A proximité de ce cap se trouvent des mines de fer de bonne qualité, et les petites îles de Planesia et de Plumbaria, puis, en dedans de la côte, une lagune de 400 stades de tour. On voit ensuite, en se rapprochant de Carthage, l'île d'Hercule, dite Scombroaria [ou Scombraria] (80), à cause des scombres qu'on y pêche et qui servent à faire le meilleur garum : cette île est située à 24 stades de Carthage. De l'autre côté du Sucron, dans la direction des bouches de l'Èbre, s'élève Sagonte, colonie zacynthienne, qu'Annibal détruisit contre la foi des traités, ce qui donna lieu à la seconde guerre punique. Près de Sagonte sont les villes de Cherronesos, d'Oleastrurn et de Cartalias, puis, sur les bords mêmes de l'Èbre, à l'endroit où l'on passe ce fleuve, la colonie de Dertossa. L'Èbre, qui prend sa source dans le pays des Cantabres, coule au midi à travers une plaine de grande étendue et parallèlement aux Monts Pyrénées.

7. Entre les bouches de l'Ebre et l'extrémité du Mont Pyréné, sur laquelle s'élève le Trophée de Pompée, la première ville qu'on rencontre est Tarracon, qui, sans avoir de port proprement dit, occupe sur les bords d'un golfe une situation avantageuse à tous égards, elle n'est pas moins peuplée aujourd'hui que Carthage, et, se trouvant commodément placée pour être le centre des voyages ou tournées des préfets, elle est devenue comme qui dirait la métropole, non seulement de la province en deçà de l'Èbre, mais encore d'une bonne partie de la province Ultérieure. Il suffit du reste de voir à quelle proximité elle est des Gymnesiae et d'Ébysus, îles, comme on sait, très considérables, pour comprendre toute l'importance de sa position. Ératosthène va jusqu'à faire de Tarracon une station maritime, mais il est contredit sur ce point par Artémidore, qui nie formellement qu'elle possède même un ancrage passable.

8. Généralement, depuis les Colonnes d'Hercule jusqu'ici, la côte n'offre qu'un très petit nombre de ports; en revanche, de Tarracon à Emporium, les bons ports ne sont point rares. Le sol, qui plus est, dans cette partie du littoral, se fait remarquer par sa fertilité, notamment chez les Læétans (81), chez les Lartolaeètes (82), etc. Emporium, colonie de Massalie, n'est qu'à 40 (83) stades environ du Mont Pyréné et de la frontière de la Celtique ; tout son territoire, le long de la côte, est également riche, fertile et pourvu de bons ports. On y voit aussi Rhodopé [ou Rhodé] (84), petite place dont la population est emporite, mais qui, suivant certains auteurs, aurait été fondée par les Rhodiens. Diane d'Éphèse y est, ainsi qu'à Emporium, l'objet d'un culte particulier, nous en dirons la raison en parlant de Massalia Dans le principe, les Emporites n'avaient occupé que cette petite île voisine de la côte, qu'on appelle aujourd'hui Palæopolis, la Vieille-Ville, mais actuellement leur principal établissement est sur le continent, et comprend deux villes distinctes, séparées par une muraille, voici pourquoi : dans le voisinage immédiat du nouvel Emporium se trouvaient quelques tribus d'Indicètes, qui, tout en continuant à s'administrer elles-mêmes, voulurent, pour leur sûreté, avoir avec les Grecs une enceinte commune. Par le fait, l'enceinte fut double (85), puisqu'un mur transversal la divisa par le milieu. Mais, avec le temps, les deux villes se fondirent en une seule cité, dont la constitution se trouva être un mélange de lois grecques et de coutumes barbares, ce qui du reste s'est vu en beaucoup d'autres lieux.

9. Ajoutons qu'à peu de distance d'Emporium passe un cours d'eau qui descend du Mont Pyréné, et dont l'embouchure sert de port à la ville. Les Emporites sont très habiles à tisser le lin. Des terres qu'ils possèdent dans l'intérieur, les unes sont fertiles, les autres ne produisent que du sparte (86) ou jonc de marais, de toutes les espèces de jonc la moins propre à être mise en oeuvre. On appelle tout ce canton la Plaine des Joncs (Campus Juncarius). Ce sont encore des Emporites qui occupent l'extrémité. de la chaîne du Mont Pyréné jusqu'aux Trophées de Pompée. Au pied de ce monument passe la route que suivent les voyageurs venant d'Italie qui se rendent dans l'Ibérie ultérieure, et notamment dans la Bétique. Cette route tantôt longe la mer et tantôt s'en écarte, mais cela surtout dans la partie occidentale de son parcours. Elle se dirige sur Tarracon depuis les Trophées. de Pompée, en passant par la Plaine des Joncs, par Veteres (87) et par la plaine Marathon, autrement dite en latin Foenicularius campus, à cause de la grande quantité de fenouil (μάραθον) (88) qu'elle produit; puis, de Tarracon, elle gagne le passage de l'Èbre à Dertossa, traverse ensuite Sagonte et Saetabis (89), et commence à s'éloigner insensiblement de la mer, après quoi elle atteint le Champ Spartaire, comme qui dirait chez nous le Champ des Schcenes (90): c'est une grande plaine sans eau, où croît abondamment l'espèce de sparte qui sert à faire les cordages et qu'on exporte en tout pays, surtout en Italie. Autrefois, ladite route passait par le milieu juste de la plaine et par Egelastae, seulement on la trouvait longue et difficile, on en a alors tracé une nouvelle plus rapprochée de la côte, qui ne fait plus que toucher au Champ Spartaire, mais qui aboutit, comme l'ancienne, aux environs dé Castlon et d'Obalcon, vu qu'il faut nécessairement passer par ces villes pour aller à Corduba et à Gadira, les deux plus importantes places de commerce de toute l'Ibérie. Obulcon est à 300 stades environ de Corduba, et, au dire des historiens, César mit vingt-sept jours pour venir de Rome à Obulcon, où campait son armée, quand le moment fut venu pour lui d'ouvrir la campagne de Munda.

10. Tel est, l'aspect que présente la côte d'Ibérie depuis les Colonnes d'Hercule jusqu'à la frontière de Celtique. Quant à la région intérieure située au-dessus de cette côte (et j'entends par là tout le pays qui s'étend en deçà des Pyrénées et du côté septentrional de l'Ibérie jusqu'au territoire des Astures), deux chaînes de montagnes principales la divisent : l'une qui court parallèlement au Mont Pyiréné et qui commence chez les Cantabres pour aller finir aux bords mêmes de notre mer (on l'appelle l'Idubeda) et l'autre qui, se détachant du milieu de celle-là, se prolonge au couchant, puis incline au midi, dans la direction de la côte que nous avons vu commencer aux Colonnes d'Hercule : cette deuxième chaîne, très peu élevée d'abord et complètement nue, se relie, après avoir traversé le champ Spartaire, à l'épaisse forêt située au-dessus du territoire da Carthage-la-Neuve et de Malaca: on la nomme l'Orospeda. Entre le mont Pyréné et l'Idubeda est l'Èbre, fleuve qui coule parallèlement à l'une et à l'autre chaînes, et se grossit des rivières et autres cours d'eau qui en descendent. Sur les bords de l'Èbre s'élèvent la ville de Caesaraugusta et celle de Celsa, colonie romaine, où l'on passe le fleuve sur un pont de pierre. Différents peuples habitent la contrée dont nous parlons : le plus connu est celui des Iaccétans. Son territoire commence avec les premières pentes du Mont Pyréné, puis se déploie dans la plaine, pour finir aux environs d'Ilerda et d'Osca, villes appartenant aux Ilergètes et situées non loin de l'Ebre. Ce sont ces deux villes, avec Calaguris, l'une des cités des Vascons, et les deux places maritimes de Tarracon et d'Hemeroscopium, qui furent témoins des derniers efforts de Sertorius, après qu'il eut été chassé hors de la Celtibérie, et c'est à Osca qu'il fut assassiné. Plus récemment, dans les environs d'Ilerda, Afranius et Petreius, lieutenants de Pompée, ont été vaincus par le divin César. Ilerda est à 160 stades à l'E. de l'Èbre, à 460 stades environ au N. de Tarracon et à 540 stades au S. d'Osca. Ces mêmes villes sont traversées par la route qui part de Tarracon et va jusque chez les Vascons des bords de l'Océan, à Pompelon, voire plus loin à Oeasoun (91), ville bâtie sur l'Océan même : cette route mesure 2400 stades et s'arrête juste à la frontière de l'Aquitaine et de l'Ibérie. Le pays des Iaccétans fut aussi naguère le théâtre de plusieurs combats entre Sertorius et Pompée, et c'est là qu'eut lieu plus tard la lutte de Sextus, fils du grand Pompée, contre les lieutenants de César. Puis, audessus de la laccétanie, dans la direction du nord, habite la nation des Vascons, qui a pour ville principale Pompeion, comme qui dirait la ville de Pompée.

11. Des deux versants du Mont Pyréné, celui qui regarde l'Ibérie est couvert de belles forêts, composées d'arbres de toute espèce, notamment d'arbres toujours verts; celui qui regarde la Celtique, au contraire, est entièrement nu et dépouillé ; quant aux parties centrales de la chaîne, elles contiennent des vallées parfaitement habitables : la plupart de ces vallées sont occupées par les Cerrétans, peuple de race ibérienne, dont on recherche les excellents jambons à l'égal de ceux de [Cibyre] (92), ce qui est une grande source de richesse pour le pays.

12. Au delà de l'Idubeda commence immédiatement la Cellibérie, contrée spacieuse et d'aspect varié, mais dont la plus grande partie est naturellement âpre, et sujette en outre aux débordements de grands fleuves (93). En effet, sans parler de l'Anas et du Tage qui la traversent, c'est là que commence toute cette suite de cours d'eau qui descendent vers l'Océan occidental: de ce nombre est le Durius, qui passe près de Nomantia et de Serguntia (94). Quant au Bætis, il prend sa source dans l'Orospeda, traverse l'Orétanie et se dirige vers la Bétique. Au N. des Celtibères, sur les confins du territoire des Cantabres-Conisques, habitent les Vérons qui, eux aussi, sont issus de la grande émigration celtique; leur ville principale est Varia, située à l'un des passages de l'Èbre. Les Vérons confinent en même temps aux Bardyètes, ou, comme on dit souvent aussi aujourd'hui, aux Bardyles (95). A l'O. maintenant de la Cellibérie se trouvent quelques tribus d'Astures, de Callaïques, de Vaccuens, et aussi de Vettons et de Carpétans; la même contrée est bornée au midi par les Orétans et les différentes tribus hastétanes et [sidétanes (96)] qui habitent l'Orospeda; elle l'est enfin du côté de l'E. par l'Idubeda.

13. Des quatre cantons ou districts de la Celtibérie, ce sont ceux de l'est et du midi qui renferment la nation la plus puissante, j'entends la nation des Arvaques, laquelle confine au territoire des Carpétans et aux sources du Tage. Leur ville la plus renommée est Nomantia ou Numance, qui, dans cette fameuse guerre de vingt ans entre les Celtibères et les Romains, déploya tant de courage; on sait, en effet, qu'après avoir détruit plusieurs armées romaines avec leurs chefs les Numantins, enfermés dans leurs murailles, finirent par se laisser mourir de faim, à l'exception d'un petit nombre, qui aima mieux rendre la place. Les Lusons, qui habitent également la partie orientale de la Celtibérie, confinent, comme les Arvaques, aux sources du Tage. A ces derniers appartiennent encore les villes de Segeda (97) et de Pallantia. Mais pour en revenir à Numance, elle est à 800 stades de distance de Cæsaraugusta, qui se trouve, avons-nous dit, sur les bords mêmes de I'Èbre. Segobriga et Bilbilis, aux environs desquelles eut lieu la lutte entre Métellus et Sertorius, sont aussi des villes de la Celtibérie. De plus, dans l'énumération que fait Polybe des peuples vaccéens et celtibères et des principales localités qui leur appartiennent, nous trouvons comprises les villes de Segesama et d'Intercatia. Ce qu'on lit dans Posidonius, que Marcus Marcellus put lever en Celtibérie un tribut de 600 talents, donne à penser que les Celtibères formaient une nation nombreuse et riche, bien qu'habitant une contrée si peu fertile. Mais en même temps Posidonius relève ce qu'avait dit Polybe, que Tiberius Gracchus avait détruit 300 villes en Celtibérie, il le plaisante à ce sujet, et l'accuse d'avoir voulu complaire à Gracchus en donnant le nom de villes à de simples tours, comme il arrive dans les pompes triomphales. Or, il pourrait bien se faire qu'au fond il eût raison, car généraux et historiens se laissent aller volontiers à ce genre de mensonge qui consiste à embellir les faits; il me paraît même évident que ceux qui ont compté plus de 1000 villes en Ibérie ne l'ont fait aussi que pour avoir donné le nom de villes à de simples bourgades, le pays ne comportant pas naturellement un grand nombre de villes, tant le sol en est pauvre, la situation peu centrale et l'aspect sauvage, et les moeurs des Ibères, ainsi que leur manière de vivre (j'excepte ceux du littoral de la mer Intérieure), ne supposant rien non plus d'analogue, puisque la sauvagerie est le fait des populations qui vivent dispersées dans des bourgs et que la plupart des Ibères sont des sauvages, sans compter que les villes elles-mêmes ne peuvent guère exercer leur influence civilisatrice, quand la majeure partie de la population continue à habiter les bois et menace de là la tranquillité de leurs voisins.

14. Aux Celtibères, dans la direction du midi, succèdent les peuples qui habitent l'Orospeda et la plaine du Sucron : ces peuples sont, outre les Sidétans, qui s'étendent jusqu'à Carthage, les Bastétans et les Orétans, qui s'étendent, eux, presque jusqu'à Malaca.

15. Dans leurs guerres, on peut dire que les Ibères n'ont jamais combattu autrement qu'en peltastes, car, par suite de leurs nabitudes de brigandage ils étaient tous armés à la légère et ne portaient, comme font, avons-nous dit, les Lusitans, que le javelot, la fronde et l'épée. A leur infanterie pourtant était mêlée aussi quelque cavalerie : les chevaux en ce pays sont dressés à gravir les montagnes et à fléchir promptement les genoux, quand il le faut, à un signal donné. L'Ibérie produit un grand nombre de chamois et de chevaux sauvages; ses lacs ou étangs abondent en oiseaux [aquatiques], tels que cygnes et espèces analogues; on y voit aussi beaucoup d'outardes, et, sur le bord des fleuves, des castors. Mais le castureum d'Ibérie n'a pas toutes les vertus que possède celui du Pont; les propriétés médicales, notam. meut, ne se trouvent que dans ce dernier, ce qui est vrai du reste aussi de mainte autre substance, du cuivre de Cypre, par exemple, puisque, au dire de Posidonius, il est le seul qui donne la cadmie, le vitriol et le spodium. En revanche, Posidonius nous signale, comme une exception appartenant en propre à l'Ibérie, cette double particularité que les corneilles y sont aussi noires (98) [que des corbeaux], et que la robe des chevaux celtibériens, qui est naturellement miroitée, change de couleur du moment qu'on les fait passer dans la province Ultérieure. Il ajoute que ces chevaux ressemblent à ceux des Parthes, en ce qu'ils ont de même incomparablement plus de vitesse et de fond que les autres.

16. Les plantes tinctoriales abondent en Ibérie. Quant aux arbustes, tels que l'olivier, la vigne, le figuier et autres semblables, ils croissent tous en quantité sur les côtes qui bordent notre mer et sur une bonne partie aussi des côtes de la mer Extérieure. S'ils ne viennent pas également sur la côte septentrionale, c'est le froid qui en est cause, mais, sur les autres points du littoral de l'Océan, c'est la faute des populations, de leur négligence et de l'état d'abjection dans lequel elles se complaisent par routine, ne cherchant pas le bien-être, mais seulement le strict nécessaire et la satisfaction de leurs instincts ou appétits brutaux, à moins qu'on ne suppose que c'est par un amour raffiné du bien-être, que les hommes et les femmes, chez ces peuples, emploient pour se laver et se nettoyer les dents l'urine qu'ils ont laissée croupir dans des réservoirs, comme font, dit-on, les Cautabres et leurs voisins. Cette coutume-là, à vrai dire, et celle de coucher sur la dure existent aussi bien chez les Celtes que chez les Ibères Suivant quelques auteurs, les Callaïques sont athées; mais les Celtibères et les peuples qui les bornent au nord ont une divinité sans nom, à laquelle ils rendent hommage en formant, tous les mois, à l'époque de la pleine lune, la nuit, devant la porte de leurs maisons, et chaque famille bien au complet, des choeurs de danse qui se prolongent jusqu'au matin. Les mêmes auteurs racontent, au sujet des Vettons, que les premiers d'entre eux qui mirent le pied dans un camp romain crurent, en voyant les centurions aller et venir pour se promener, que c'étaient des fous et voulurent les reconduire à leurs tentes, ne concevant pas que des hommes pussent faire autre chose, quand ils ne combattaient pas, que de rester en place tranquillement assis ou couchés.

17. II y a quelque chose de barbare aussi, à ce qu'il semble, dans la forme de certains ornements propres aux femmes d'Ibérie et que décrit Artémidore. Dans quelques cantons, par exemple, les femmes se mettent autour du cou des cercles de fer supportant des corbeaux ou baguettes en bec de corbin, qui forment un arc au-dessus de la tête et retombent bien en avant du front ; sur ces corbeaux elles peuvent, quand elles le veulent, abaisser leurs voiles qui, en s'éalant, leur ombragent le visage d'une façon très élégante à leur gré ; ailleurs, elles se coiffent d'une espèce de tympanium ou de petit tambour, parfaitement rond à l'endroit du chignon, et qui serre la tête jusque derrière les oreilles, pour se renverser ensuite en s'évasant par le haut. D'autres s'épilent le dessus de la tête, de manière à le rendre plus luisant que le front lui-même. Il y en a enfin qui s'ajustent sur la tête un petit style d'un pied de haut, autour duquel elles enroulent leurs cheveux et qu'elles recouvrent ensuite d'une mante noire. Indépendamment les détails qui précèdent sur les moeurs étranges de l'Ibérie, nous trouvons dans les historiens et dans les poètes maints détails [plus étranges encore] (99), je ne dis pas sur la bravoure, mais sur la férocité, sur la rage bestiale des Ibères, et en particulier de ceux du nord. On raconte par exemple que, dans la guerre des Cantabres, des mères tuèrent leurs enfants pour ne pas les laisser tomber aux mains des Romains; un jeune garçon, dont le père, la mère et les frères étaient enchaînés, les égorgea tous, sur l'ordre de son père, à l'aide d'un fer qui lui était tombé sous la main ; une femme égorgea de même tous ses compagnons de captiviié. On vit enfin un prisonnier, que des soldats ivres s'étaient fait amener au milieu d'eux, se précipiter de lui-même dans les flammes d'un bûcher. Tous ces traits-là, disons-le, se retrouvent chez les Celtes, les Thraces et les Scythes, le courage (et j'entends le courage des femmes aussi bien que celui des hommes (100) étant une vertu commune à toutes les nations barbares. Toutes ces femmes barbares, en effet, travaillent à la terre; à peine accouchées, elles cèdent le lit à leurs maris et les servent. Souvent même, elles accouchent dans les champs, lavent leur enfant dans le courant d'un ruisseau près duquel elles s'accroupissent, et l'emmaillottent elles-mêmes. En Ligurie, par exemple, Posidonius entendit conter à un certain Charmolaüs de Massalia, son hôte, le fait suivant : il avait pris pour lui bêcher un champ des ouvriers à la journée, des hommes et des femmes; une de ces femmes ayant ressenti les premières douleurs de l'enfantement s'écarta un moment de l'endroit où elle travaillait, accoucha et revint aussitôt se remettre à la besogne, pour ne pas perdre son salaire. Charmolaüs s'aperçut qu'elle travaillait avec peine, mais sans en deviner d'abord la cause, il ne l'apprit que tard dans la journée, la paya alors et la renvoya. Quant à elle, après avoir porté le nouveau-né à une fontaine voisine et l'y avoir lavé, elle l'enveloppa comme elle put, et le rapporta chez elle sain et sauf.

18. Un autre usage des Ibères, mais qui ne leur est pas particulier non plus, c'est de monter à deux le même cheval, l'un des deux cavaliers mettant pied à terre au moment du combat. De même l'Ibérie n'est pas seule à avoir souffert des invasions de rats et des maladies épidémiques qui en sont le. plus souvent la suite. Les Romains éprouvèrent par eux-mêmes en Cantabrie les effets de ce fléau, et durent, pour s'en délivrer, organiser une chasse en règle, avec promesse publique d'une prime par tant de rats tués; même ainsi, ils eurent de la peine à échapper à la contagion, d'autant que la disette était venue aggraver leur position: réduits à tirer d'Aquitaine leur blé et leurs autres approvisionnements, ils ne les recevaient qu'à grand-peine, vu l'extrême difficulté des chemins. Mais, puisqu'il est question des Cantabres, rappelons encore un trait qui montrera jusqu'où pouvait aller leur exaltation féroce : on raconte que des prisonniers de cette nation, mis en croix, entonnèrent leur chant de victoire. Assurément de tels traits dénotent quelque chose de sauvage dans les moeurs. En voici d'autres, en revanche, qui, sans avoir encore le caractère de la civilisation, ne sont pourtant plus le fait de brutes. Ainsi, chez les Cantabres, l'usage veut que ce soit l'époux qui apporte une dot à sa femme, et les filles qui héritent, à la charge de marier leurs frères, ce qui constitue une espèce de gynæcocratie, régime qui n'est pourtant pas précisément politique. Un autre usage ibérien c'est de porter habituellement sur soi (101) certain poison qui se prépare dan le pays à l'aide d'une plante semblable à l'ache et qui tue sans douleur, pour avoir ainsi une ressource toujours prête contre les malheurs inattendus ; enfin il n'y a que les Ibériens pour se dévouer comme ils font à ceux auxquels ils sont attachés, jusqu'à subir la mort pour eux.

19. Quelques auteurs divisent, avons-nous dit, l'Ibérie en quatre parties, d'autres y comptent jusqu'à cinq divisions. Mais on ne peut rien préciser à cet égard par suite des changements politiques survenus en ce pays et du peu de célébrité attaché à son nom. Quand il s'agit de contrées bien connues, de contrées célèbres, on est à même d'apprendre tout ce qui s'y est passé en fait de migrations de peuples, de divisions de territoire, de changements de noms et de circonstances analogues, car il ne manque pas de gens pour vous en informer, parmi les Grecs surtout, qui sont bien les plus communicatifs des hommes (102). Mais s'agit- il de contrées barbares et lointaines, divisées qui plus est et comme démembrées en beaucoup de petits pays, les documents deviennent rares et peu certains et l'ignorance s'accroît, à proportion que lesdites contrées sont plus distantes de la Grèce. A vrai dire, les historiens latins cherchent à imiter ceux de la Grèce, mais ils n'y réussissent qu'imparfaitement, se contentant de traduire ce qu'ont dit les Grecs,
sans montrer par eux-mêmes une bien vive curiosité. Il en
résulte que, quand les historiens grecs nous font défaut, les autres ne nous offrent pas grande ressource pour combler la lacune. Ajoutons que presque partout les noms les plus illustres sont des noms grecs d'origine. Le nom d'Ibérie est de ceux-là, et, suivant certains auteurs, les anciens Grecs l'avaient donné à tout le pays à partir du Rhône et de l'isthme qui se trouve resserré entre les golfes Galatiques, tandis que, aujourd'hui, on regarde le Mont Pyréné comme la limite de l'Ibérie, en même temps qu'on fait des noms d'Ibérie et d'Hispanie deux noms équivalents. Suivant d'autres, le nom d'Ibérie n'aurait désigné d'abord que la région située en deçà de l'Èbre ou l'ancien pays des Iglètes, ainsi appelé du nom d'un peuple qui pourtant, au dire d'Asclépiade de Myrlée, n'occupait qu'un territoire relativement peu étendu. Puis sont venus les Romains qui, en même temps qu'ils ont appelé la contrée tout entière indifféremment Ibérie et Hispanie, l'ont partagée en province Ultérieure et province Citérieure, se réservant de modifier encore par la suite la division administrative du pays, suivant que les circonstances l'exigeraient.

20. Et c'est ce qui vient d'arriver : en vertu du partage récemment fait des provinces entre le Peuple et le Sénat d'une part et le Prince de l'autre, la Bétique se trouve attribuée au peuple, et l'on envoie pour administrer la nouvelle province, dont la limite orientale passe dans le voisinage de Castlon, un préteur assisté d'un questeur et d'un légat . Mais le reste de l'Ibérie appartient à César, qui y envoie pour le représenter deux légats , l'un prétorien, l'autre consulaire : le prétorien, assisté lui-même d'un légat, est chargé de rendre la justice aux Lusitans, c'est-à-dire aux populations comprises entre la frontière de la Bétique et le cours du Durius jusqu'à son embouchure, car toute cette partie de l'Ibérie, y compris Emerita-Augusta, a reçu le nom spécial de Lusitanie. Tout ce qui est maintenant en dehors de la Lusitanie (et c'est la plus grande partie de l'Ibérie) est placé sous le commandement du légat consulaire, qui dispose de forces considérables, puisqu'il a sous ses ordres trois légions environ et jusqu'à trois légats. L'un de ces légats, à la tête de deux légions, garde et observe toute la contrée située par delà le Durius dans la direction du nord, c'est-à-dire la Lusitanie des anciens, appelée aujourd'hui la Callaïque, et, avec cette contrée, les montagnes qui la bordent au nord et qu'habitent les Astures et les Cantabres. Le territoire des Astures est traversé par le fleuve Melsas; un peu plus loin est la ville de Naega, puis, tout près de Naega, s'ouvre un estuaire formé par l'Océan, qui marque la séparation entre les deux peuples. Toute la suite de la chaîne jusqu'au Mont Pyréné est sous la garde spéciale du second légat et de l'autre légion. Quant au troisième légat, il surveille l'intérieur du pays et contient [par sa seule présence] les togati, comme qui dirait les populations pacifiées, lesquelles semblent en effet avoir pris avec la toge romaine la.douceur de moeurs, voire même le caractère et le génie des Italiens. Ces populations sont celles de la Celtibérie et des deux rives de l'Ebre jusqu'au littoral. Enfin, le préfet même, le légat consulaire se tient durant l'hiver dans la partie maritime de la province, à Carthage surtout et à Tarracon, double siége de son tribunal; puis, quand vient l'été, il part pour sa tournée d'inspection, pendant laquelle il relève au fur et à mesure sur son passage tous les abus qu'il est urgent de réformer. Ajoutons qu'il y a dans la province des procurateurs de César, toujours pris parmi les chevaliers, et qui sont chargés de distribuer aux troupes l'argent nécessaire à leur entretien.

CHAPITRE V.

1. Passons aux îles de l'Ibérie. Les premières que nous citerons sont les deux îles Pityusses et les îles Gymnésies ou Baliarides, au nombre de deux également : ces îles sont situées à la hauteur de la côte comprise entre Tarracon et le Sucron, de la côte où s'élève Sagonte, et toutes les quatre en pleine mer, mais les Pityusses, quoique plus occidentales, se trouvent par le fait plus au large que les Gymnésies (103). L'une des deux se nomme Ebysus et contient une ville de même nom; elle a 400 stades de circuit et à peu près la même étendue en largeur qu'en longueur. L'autre île, nommée Ophiussa, est déserte, beaucoup plus petite qu'Ebysus, et très rapprochée d'elle. Des deux îles Gymnésies, la plus grande renferme deux villes, Palma et Polentia, situées, l'une, dans la partie orientale, et l'autre, dans la partie occidentale. L'île n'a guère moins de 600 stades en longueur, et, en largeur, guète moins de 200. Artémidore, lui, compte le double pour l'une et pour l'autre dimensions. L'autre île, plus petite, est à [400] (104) stades environ de Polentia; très inférieure à la plus grande sous le rapport de l'étendue, elle n'a rien à lui envier sous le rapport des avantages naturels, car toutes deux sont fertiles et pourvues de bons ports : seulement, à l'entrée de ces ports se trouvent des écueils qui exigent quelque précaution quand on vient de la mer. L'heureuse nature des lieux fait que les habitants de ces îles, tout comme ceux d'Ebysus, sont d'humeur pacifique. Mais la présence parmi eux de quelques scélérats qui avaient fait alliance avec les pirates de la mer intérieure suffit à les compromettre tous, et donna lieu à l'expédition de Métellus, qui y conquit le surnom de Baléarique et y fonda en même temps les villes dont nous avons parlé. Du reste, tout pacifiques que sont les habitants de ces îles, ils se sont fait, en repoussant les fréquentes agressions auxquelles les exposaient leurs richesses, la réputation des frondeurs les plus adroits qu'il y ait au monde; et, si ce qu'on dit est vrai, leur supériorité dans le maniement de cette arme remonterait à l'époque où les Phéniciens occupèrent ces îles. On croit aussi que ce sont les Phéniciens qui ont introduit chez ces peuples l'usage des tuniques à large bordure de pourpre. [Auparavant ils ne connaissaient que les tuniques unies et la grossière sisyrne (105)], qu'ils quittaient même pour marcher au combat, ne gardant alors qu'un bouclier passé dans leur bras [gauche], tandis que leur main [droite] brandissait une javeline durcie au leu et quelquefois armée d'une petite pointe de fer. Ils portaient en outre, ceintes autour de la tête, trois frondes faites de mélancranis (106), de crin ou de boyau, une longue pour atteindre l'ennemi de loin, une courte pour l'atteindre de près, et une moyenne pour l'atteindre quand il était placé à une distance médiocre. Dès l'enfance, on les exerçait à manier la fronde, et, à cet effet, les parents ne donnaient à leurs enfants le pain dont ils avaient besoin que quand ceux-ci avec leurs frondes l'avaient abattu de l'endroit où il était placé. Métellus connaissait leur adresse, et, quand il fut pour aborder dans leurs îles, il fit tendre des peaux au-dessus du pont de chaque navire pour que ses hommes assent abrités contre les projectiles des frondeurs gymnésiens. 3000 colons pris parmi la population romaine de l'Ibérie.

2. A. leur fertilité naturelle ces îles oignent un autre avantage, c'est qu'on aurait peine à y rencontrer aucune bête nuisible. Les lapins eux-mêmes, à ce qu'on assure, n'y sont point indigènes, mais un des habitants ayant apporté de la côte voisine un mâle et une femelle, ce premier couple fit souche, et telle fut l'abondance avec laquelle la race de ces animaux multiplia tout d'abord, que les populations, voyant leurs maisons et leurs arbres sapés et renversés, en furent réduites, avons-nous dit, à chercher un refuge auprès des Romains. Aujourd'hui heureusement l'habileté des chasseurs ne laisse plus le fléau prendre ainsi le dessus et les propriétaires sont libres de cultiver leurs terres avec profit. — Les îles dont nous venons de parler
sont situées en deçà des Colonnes d'Hercule.

3. Tout près, maintenant, desdites Colonnes se trouvent deux petites îles, dont l'une est connue sous le nom d'île de Junon. Quelquefois même ce sont ces deux îlots à qui l'on donne le nom de Colonnes d'Hercule. Puis, au delà des Colonnes, est l'île de Gadira, dont nous n'avons encore rien dit, si ce n'est qu'elle se trouve à 750 stades environ de Calpé, et tout près des bouches du Baetis. Or, elle mérite que nous parlions d'elle plus au long. Il n'y a pas de peuple en effet qui envoie, soit dans la mer Intérieure, soit dans la mer Extérieure, un plus grand nombre de bâtiments et des bâtiments d'un plus fort tonnage que les Gaditans : comme leur île est peu étendue, qu'ils n'ont pas sur le continent vis-à-vis d'établissements considérables, qu'ils ne possèdent pas non plus d'autres îles, presque tous ont la mer pour demeure habituelle, et l'on n'en compte qu'un petit nombre qui vive dans ses foyers ou qui soit venu se fixer à Rome. N'était cette circonstance, Gadira pourrait passer pour la ville la plus peuplée de l'empire après Rome. J'ai ouï dire en effet que, dans l'un des recensements généraux opérés de nos jours, il avait été recensé jusqu'à cinq cents chevaliers gaditans, or pas une ville d'Italie, si ce n'est peut-être Patavium, n'en fournit autant. Nombreux comme ils sont, les Gaditans n'occupent cependant qu'une île dont la longueur excède à peine cent stades, tandis que la largeur par endroits s'y réduit à un stade. Dans cette île, ils s'étaient bâti une première ville aussi resserrée que possible; Balbus de Gadira, le même qui obtint les honneurs du triomphe, leur en bâtit une seconde à côté qu'on appelle Ville-Neuve; prises ensemble, ces deux villes ont reçu le nom de Didyme, et, quoiqu'elles n'aient pas plus de vingt stades de tour, l'espace n'y manque pas encore, vu qu'un petit nombre seulement d'habitants y réside, la grande majorité des Gaditans, je le répète, passant leur vie en mer ou habitant de préférence la côte de terre-ferme, et surtout les bords d'une petite île qui est en face de Gadira, et qu'ils ont trouvée si à leur gré, à cause de sa fertilité et de son heureuse position, qu'ils en ont fait comme qui dirait l'Anti-Didyme. Mais ce n'est encore relativement qu'une faible partie des Gaditans qui habite cette petite île et le quartier de l'arsenal bâti par Balbus sur le continent vis-à-vis. Quant à la ville proprement dite, elle est située dans la partie occidentale de l'île de Gadira, et précède le Cronium ou temple de Saturne, qui se prolonge jusqu'à l'extrémité de l'île et fait face à l'autre petite île dont nous avons parlé. A l'opposite, du côté de l'orient, et sur le point où l'île est le plus rapprochée du continent, vu qu'elle n'en est plus séparée que par un canal d'un stade de large, s'élève l'Heracleum ou temple d'Hercule. On prétend que la distance de ce temple à la ville est de douze milles, et que c'est à dessein que le nombre des milles a été égalé à celui des travaux du dieu; mais, par le fait, la distance est plus considérable, égalant presque la dimension en longueur de l'île elle-même, laquelle se prend de l'O. à l'E.

4. Phérécyde (107) semble dire que Gadira est l'ancienne Érythie où la Fable a placé les aventures de Géryon. Suivant d'autres auteurs, cette petite île voisine de Gadira, qui n'est séparée de la ville que par un canal d'un stade de largeur, représente mieux Érythie, vu la beauté de ses pâturages et cette circonstance remarquable que le lait des bestiaux qu'on y élève ne contient pas de sérum, et qu'il est si crémeux qu'on est obligé, peur pouvoir en faire du fromage, d'y mêler beaucoup d'eau. Quant au bétail, il faut lui tirer du sang au moins tous les cinquante jours (108), sans quoi ou le verrait suffoqué par la graisse. L'herbe (109) de ces pâturages, bien que sèche, engraisse prodigieusement le bétail, et ces auteurs présument que c'est cette particularité qui a donné lieu à la fable des troupeaux de Géryon. Du reste [aujourd'hui, comme nous l'avons dit], tout le littoral de cette petite île est couvert d'habitations (110).

5. Sur la fondation de Gadira, voici la tradition qui a cours dans le pays. Un ancien oracle ayant ordonné aux Tyriens d'aller fonder un établissement aux Colonnes d'Hercule, une première expédition partit à la découverte des points indiqués : parvenus au détroit de Calpé, les marins qui la composaient prirent pour les extrémités mêmes de la terre habitée et pour le terme des courses d'Hercule les deux promontoires qui forment le détroit, et, se persuadant que c'étaient là les Colonnes dont avait parlé l'oracle, ils jetèrent l'ancre en deçà du détroit, là où s'élève aujourd'hui la ville des Exitans, et offrirent sur ce point de la côte un sacrifice au dieu, mais, les victimes ne s'étant pas trouvées propices, ils durent regagner Tyr. Une seconde expédition, envoyée peu de temps après, dépassa le détroit de 1500 stades environ, et, ayant atteint sur la côte d'Ibérie et près de la ville d'Onoba une île consacrée à Hercule, se crut arrivée là au but désigné par l'oracle; elle offrit alors un sacrifice au dieu, mais, comme cette fois encore les victimes furent trouvées contraires, l'expédition s'en retourna. Une troisième enfin partit, qui fonda l'établissement de Gadira et bâtit le temple dans la partie orientale de l'île en même temps que la ville dans la partie occidentale. — D'après cette tradition, les uns ont voulu voir les Colonnes d'Hercule dans les deux promontoires qui forment le détroit, d'autres ont reconnu sous ce nom l'île de Gadira elle-même; d'autres les ont cherchées plus loin que Gadira au sein de la mer Extérieure. On a cru aussi que ce pouvait être le mont Calpé et l'Abilyx, montagne de la Libye qui fait face à Calpé et qu'Eratosthène place chez lese Métagoniens, peuple numide, ou, sinon ces deux montagnes, au moins les deux petites îles qui les avoisinent et dont une est connue sous le nom d'île de Junon. Artémidore, lui, mentionne bien cette île de Junon, ainsi que le temple qu'elle renferme, mais il nie en même temps qu'il existe une autre île vis-à-vis, non plus qu'une montagne du nom d'Abilyx et une nation Métagonienne. D'autres auteurs, transportant ici les roches Planctæ ou Symplégades, y ont vu les Colonnes, ou, comme dit Pindare, les Pyles Gadirides, dernier terme des courses d'Hercule. Enfin Dicéarque, Ératosthène, Polybe et la plupart des Grecs parlent de véritables colonnes placées soi-disant aux abords du détroit, ou mieux à Gadira, puisque Ibériens et Libyens soutiennent qu'il n'existe rien aux abords du détroit qui ressemble à des colonnes. Quelques-uns vont plus loin et reconnaissent expressément ces monuments dans les colonnes d'airain, hautes de huit coudées, qui ornent l'Heracleum de Gadira et sur lesquelles on a inscrit le détail des frais de construction du temple : ils se fondent sur ce que les marins, au terme de leur traversée, ne manquent jamais de venir saluer ces colonnes et de sacrifier en même temps à Hercule, et ils pensent qu'un pareil usage a bien pu donner lieu au bruit si répandu qu'ici se trouvait la limite extrême de la terre et des mers. Posidonius estime cette opinion la plus plausible de toutes; quant à l'histoire de l'oracle et des trois expéditions successives envoyées par les Tyriens, il n'y voit qu'un de ces mensonges familiers aux Phéniciens. Nous ne comprenons guère, à vrai dire, que sur ces expéditions des Tyriens on puisse être aussi affirmatif, les raisons à alléguer pour ou contre l'authenticité du fait nous paraissant également plausibles; mais l'autre objection, que des îlots ou des montagnes ne ressemblent pas le moins du monde à des colonnes et qu'il faut entendre de colonnes véritables ce qui est dit des bornes de la terre habitée et des courses ou voyages d'Hercule, n'est pas tout à fait dénuée de fondement. C'était en effet l'usage des anciens temps de poser de semblables bornes , témoins cette petite colonne en forme de tourelle élevée par les Rhégiens sur le détroit de Sicile et la tour du Pélore érigée vis-à-vis; témoins les autels des Philènes placés vers le milieu de l'intervalle qui sépare les deux Syrtes, témoin encore la colonne qui s'élevait naguère, dit-on, sur l'isthme de Corinthe et que les Ioniens, devenus les maîtres de l'Attique et de la Mégaride après leur expulsion du Péloponnèse, avaient bâtie de compte à demi avec les nouveaux possesseurs du Péloponnèse les Ioniens ayant inscrit sur la face qui regardait la Mégaride

« Ceci n'est point le Péloponnèse, mais bien l'Ionie, »

tandis que les autres avaient gravé ces mots sur la face opposée : 

« Ceci est le Péloponnèse et non l'Ionie »

Ajoutons qu'Alexandre, lui aussi, pour marquer le terme de son expédition dans l'Inde, voulut élever des autels à l'endroit même où s'était arrêtée sa marche victorieuse vers l'extrême Orient, pour imiter ainsi ce qu'avaient fait avant lui Hercule et Bacchus. C'était donc là, on le voit, une très ancienne coutume.

6. Mais il est naturel, en même temps, de penser que les lieux où furent érigés des monuments de ce genre en empruntèrent les noms, surtout après que le temps eut détruit les monuments eux-mêmes. Les autels des Philènes, par exemple, ne subsistent plus aujourd'hui, et cependant l'emplacement où ils s'élevaient a retenu leur nom. Et dans l'Inde, où il est constant que nul voyageur n'a vu debout les Colonnes d'Hercule et de Bacchus, il a bien fallu que le nom ou l'aspect de certains lieux rappelât aux Macédoniens tel ou tel détail de l'histoire de Bacchus ou d'Hercule pour qu'ils se soient vantés d'avoir atteint les Colonnes de ces héros. On peut donc croire qu'ici pareillement les premiers conquérants ont voulu marquer le terme de leurs courses par des bornes ou d'autres monuments faits de main d'homme, tels que autels, tours ou colonnes élevés dans les lieux les plus remarquables de la contrée lointaine où ils étaient parvenus, et quels lieux plus remarquables que l'ouverture d'un détroit, ou le haut des falaises qui le bordent, ou le rivage des îles et îlots qui l'avoisinent, quels lieux plus propres à faire reconnaitre soit le commencement soit la tin d'un pays? Puis, ces monuments faits de main d'homme auront disparu, et leur nom aura passé tout naturellement aux lieux où ils s'élevaient naguère, soit qu'on veuille retrouver ces lieux dans les petites îles dont nous avons parlé, soit qu'on les reconnaisse dans les deux promontoires qui forment le détroit, car il est difficile de décider à qui des promontoires ou des îles le nom de Colonnes convient le mieux, les colonnes ressemblant à vrai dire autant aux uns qu'aux autres, en ce sens du moins que leur emplacement est toujours choisi de façon à faire distinguer de prime abord l'entrée ou la sortie d'un pays, tout comme on reconnaît dans un détroit, dans le détroit de Calpé par exemple ou dans tel autre qui lui ressemble, le commencement ou la fin d'une même mer, suivant qu'on s'y engage par le côté extérieur ou par le côté intérieur, ce qu'exprime au mieux le nom de Bouches donné quelquefois aussi à ces détroits. Et, en effet, si les deux petites îles, qui sont placées aux abords du détroit ou des Bouches de Calpé et qui par leurs contours nets et bien dessinés semblent faites exprès pour servir de points de repère ou de signaux, se prêtent à merveille à ce qu'on les compare à des colonnes, la comparaison n'est pas moins juste s'appliquant aux montagnes qui dominent le détroit, vu que la cime des montagnes se détache dans l'air comme la pointe d'une pyramide ou le faîte d'une colonne. Il n'est pas jusqu'à l'expression de Pyles ou de Portes Gadirides employée par Pindare, qui ne soit parfaitement exacte, du moment qu'on prétend retrouver les Colonnes d'Hercule dans les bouches mêmes de Calpé, les bouches ou détroits ressemblant effectivement à des portes. En revanche, la position de Gadira, presque au milieu d'une longue côte creusée en forme de golfe, n'offre aucune analogie avec l'emplacement d'une borne ou limite extrême; et ce qui nous paraît moins raisonnable encore c'est qu'on ait voulu apporter tout ce qui s'est dit des Colonnes d'Hercule à ces colonnes d'airain de l'Heracleum de Gadira, car, pourquoi ce nom de Colonnes est-il devenu si illustre? C'est qu'apparemment les monuments qu'il désignait avaient été, comme les colonnes de l'Inde, érigés par des conquérants et non par des marchands. Ajoutons que l'inscription de l'Heracleum, telle du moins qu'on nous la donne, et par cela seul qu'elle contient, non une pieuse dédicace, mais un relevé de frais et de dépenses, semble protester aussi contre l'attribution proposée, puisqu'il est naturel de penser que les Colonnes dites d'Hercule étaient destinées à rappeler les grandes actions du héros, plutôt que les sacrifices d'argent des Phéniciens.

7. Suivant Polybe, il existe dans l'Heracleum de Gadira une source d'eau potable, à laquelle on ne peut puiser qu'en descendant quelques marches, et dont le régime est soi-disant l'inverse de celui de la mer, vu qu'elle tarit à la marée haute et se remplit à la marée basse : Polybe explique le fait en disant que, comme l'air, qui des profondeurs de la terre s'exhale à la surface, ne peut plus, à la marée haute, quand la surface de la terre est couverte par les flots, s'échapper par ses voies ou issues habituelles, il est naturellement refoulé à l'intérieur de manière à obstruer les conduits de la source, ce qui produit le tarissement apparent de ses eaux; mais qu'à la marée basse, quand la surface de la terre est de nouveau mise à nu, le courant d'air reprend sa direction première et cesse d'obstruer les veines de la source, de sorte que celle-ci recommence à jaillir avec la même abondance. Artémidore contredit cette explication de Polybe, mais ni ses objections, ni l'explication que lui-même propose du phénomène, ni l'opinion de l'historien Silanus, qu'il cite à cette occasion, ne me paraissent mériter d'être relatées ici, Silanus et lui étant évidemment aussi étrangers qu'on peut l'être aux questions de cette nature. Quant à Posidonius, il déclare le fait controuvé. « D'abord, dit-il, c'est deux puits, et non un, que contient l'Heracleum, et il s'en trouve un troisième encore dans la ville; des deux puits de l'Heracleum, le plus petit, pour peu qu'on y puise sans interruption, tarit incontinent, mais pour recommencer aussitôt à se remplir, si l'on cesse d'y puiser; et le pins grand qui suffit parfaitement tout le jour aux besoins de ceux qui y puisent, en baissant toutefois au fur et à mesure, comme cela arrive généralement pour tous les puits, le plus grand s'élève de nouveau pendant la nuit, par la raison toute simple, qu'alors personne n'y prend d'eau. Seulement, ajoute Posidonius, il arrive souvent que le moment du reflux coïncide avec celui où ces puits se remplissent, et cette vaine apparence a suffi pour que les gens du pays aient cru à une opposition constante entre le régime desdites sources et le phénomène des marées. » Au moins Posidonius constate-t-il la croyance générale au fait en question; de notre côté, nous l'avons toujours entendu citer au nombre des faits réputés merveilleux. Nous avons ouï dire, en outre, qu'il se trouvait beaucoup d'autres puits à Gadira, soit dans les vergers des faubourgs de la ville, soit dans la ville elle-même. mais que, vu la mauvaise qualité de l'eau de ces puits, on aimait mieux se servir d'eau de citerne et qu'on avait en conséquence multiplié ces sortes de réservoirs sur tous les points de la ville. Y a-t-il maintenant quelque autre puits parmi ceux-là qui prête à cette supposition d'un régime inverse de celui de la mer? C'est ce que nous ne saurions dire. Mais, dans ce cas-là même, il faudrait reconnaître que le phénomène est de ceux qu'il est bien difficile d'expliquer. Sans doute l'explication que propose Polybe est spécieuse; ne pourrait-on pas cependant concevoir aussi la chose d'autre sorte et dire que quelques-unes des veines qui alimentent les sources se détendent au contact et sous l'influence du sol humide et lainent leurs eaux s'épandre par les côtés, au lieu de les pousser par leurs voies ordinaires jusque dans le bassin de la fontaine? Et de fait cette influence de l'humidité du sol est inévitable quand, à la marée haute, le flot a tout envahi. S'il est vrai, en outre, comme le prétend Athénodore, que le flux et le reflux de la mer ressemblent au double phénomène de l'expiration et de l'aspiration chez les animaux, ne peut il pas se faire qua les cours d'eau, qui jaillissent naturellement à la surface de la terre par certains conduits, dont les ouvertures sont ce que nous appelons des fontaines ou des sources, que ces cours d'eau, dis-je, soient en même temps par d'autres voies sollicités et entrainés vers les profondeurs de la mer, qu'ils soulèvent alors, et dont ils déterminent le mouvement ascendant, non sans obéir eux-mêmes à cette sorte d'expiration de la mer, ce qui leur fait abandonner leurs voies naturelles jusqu'à ce que le reflux leur permette d'y rentrer?

8. En revanche, je ne m'explique pas que Posidonius, qui, en général présente les Phéniciens comme un peuple éclairé, leur attribue ici une croyance qui .dénoterait en eux plutôt de l'idiotisme que de la sagacité. On sait que la durée d'un jour et d'une nuit correspond à une révolution complète du soleil, qui pendant cette révolution se trouve tantôt au-dessus et tantôt au-dessous de la terre ; or, Posidonius prétend que le mouvement de l'Océan, comme le cours des astres, est soumis à une marche périodique et qu'il se trouve avoir, comme la lune et harmoniquement avec la lune, une période diurne, une période mensuelle et une période annuelle : = quand la lune, ajoute-t-il, a parcouru toute l'étendue d'un signe au dessus de l'horizon, la mer commence à se soulever et envahit sensiblement ses rivages, jusqu'à ce que l'astre ait atteint le méridien; après quoi, l'astre déclinant, la mer se retire peu à peu jusqu'à ce que la lune ne soit plus qu'à la distance d'un signe au-dessus du point où elle se couche. La mer demeure alors stationnaire tout le temps que met la lune à atteindre le point de son coucher, tout le temps aussi qu'elle met à parcourir l'espace d'un signe au-dessous de l'horizon; puis elle recommence à monter jusqu'à ce que la lune atteigne le méridien inférieur, se retire ensuite de nouveau jusqu'au moment où la lune, s'étant avancée vers te levant, n'est plus qu'à la distance d'un signe de l'horizon, et enfin reste stationnaire jusqu'à ce que l'astre se soit de nouveau élevé de tout un signe au-dessus de l'horizon, pour recommencer encore à monter. » Telle est, suivant Posidonius, la période diurne de l'Océan ; quant à sa période mensuelle, elle consisterait en ce que les marées les plus fortes d'une lunaison ont toujours lieu à l'époque de la conjonction de l'astre ou de la Néoménie, après quoi elles diminuent jusqu'au premier quartier, pour augmenter de nouveau d'intensité jusqu'à la pleine lune, et diminuer encore pendant le décours de la lune jusqu'au dernier quartier, auquel succède une nouvelle augmentation jusqu'à la néoménie suivante, et une augmentation plus marquée tant sous le rapport de la durée que sous le rapport de la vitesse. Reste la période annuelle des marées; or, c'est par les Gaditans mêmes que Posidonius en avait eu connaissance : il avait appris d'eux que, vers le solstice d'été, les marées montantes et descendantes étaient plus fortes que dans tout le reste de l'année, et il en avait conjecturé lui-même qu'à partir de ce solstice les marées devaient diminuer d'élévation jusqu'à l'équinoxe, puis recommencer à croître jusqu'au solstice d'hiver, pour diminuer de nouveau jusqu'à l'équinoxe du printemps, et croître encore jusqu'au solstice d'été. Mais, avec ces mouvements périodiques de la mer, qui se reproduisent chaque jour et chaque nuit, la mer montant deux fois et se retirant deux fois dans l'espace d'un jour et d'une nuit, et à des intervalles réguliers la nuit comme le jour, comment peut-il se faire que le reflux coïncide souvent avec le moment où le puits en question se remplit, et rarement avec celui où il tarit, ou, sinon rarement, pas aussi souvent du moins, qu'avec l'autre? Et, si l'on suppose la coïncidence aussi fréquente dans les deux cas, comment se fait il que les Gadirites n'aient pas été capables d'observer ce qui se passait tous les jours sous leurs yeux, eux qui avaient su soi-disant reconnaître la période annuelle des marées par l'observation patiente d'un fait qui ne se produit qu'une fois par an? Car on ne saurait douter que Posidonius n'ajoutât une foi entière à cette dernière observation, puisqu'il l'a prise pour point de départ de ses propres hypothèses sur les décroissements et accroissements successifs des marées dans l'intervalle d'un solstice à l'autre et sur le retour de ces mêmes variations. Il n'est guère vraisemblable, cependant, que de si bons observateurs aient laissé passer inaperçus les faits réels pour se laisser prendre à des faits chimériques !

9. A propos, maintenant, de ce que dit Séleucus, historien originaire des bords de la mer Érythrée, « que les marées peuvent être encore irrégulières ou régulières, suivant que la lune est dans tel ou tel signe, que, quand elle est dans les signes équinoxiaux, par exemple, les marées offrent partout les mêmes apparences, tandis qu'il y a au contraire inégalité dans l'amplitude et dans la vitesse des marées, quand la lune est dans les signes solsticiaux, qu'enfin, lorsqu'elle est dans un des signes intermédiaires, les marées sont irrégulières ou régulières, à proportion que l'astre se trouve plus rapproché des signes solsticiaux ou des signes équinoxiaux,» Posidonius constate qu'en effet, ayant eu occasion de passer plusieurs jours de suite dans l'Heracleum de Gadira, à l'époque du solstice d'été, et quand la lune était dans son plein, il ne put surprendre dans les marées aucune de ces différences qui en marquent la période annuelle, bien qu'il eût, le même mois, à l'époque de la nouvelle lune, observé dans le reflux du Baetis, à Ilipa, un changement énorme au prix de ce qu'il l'avait vu auparavant, les eaux du fleuve, qui, d'ordinaire, dans ces sortes de reflux causés par la marée, n'atteignaient même pas à la moitié de la hauteur des rives, ayant alors tellement grossi, que les soldats pouvaient y puiser sans peine : et Ilipa est à 700 stades environ de la mer 1 De même, tandis que les plaines du littoral étaient couvertes jusqu'à une distance de 30 (111) stades dans l'intérieur par la marée, qui y avait formé de véritables îles, le flot (Posidonius l'affirme pour l'avoir mesuré lui-même) n'avait pas couvert dix coudées de la hauteur des assises du naos de l'Heracleum et de la jetée qui précède le port de Gadira. Or, doublons cette hauteur pour les cas où cette même marée s'élève ici davantage, ces vingt coudées n'équivaudraient pas encore à la hauteur que représente la distance atteinte par le flot dans les plaines du littoral. Ces anomalies-là, du reste, passent pour se produire sur tout le pourtour de l'Océan ; mais ce qu'ajoute Posidonius au sujet de l'Ebre est un fait nouveau et particulier à ce fleuve : il s'agit de crues qui y surviennent de temps à autre, sans avoir été précédées de pluies ni de neiges, mais sous l'influence prolongée des vents du nord, ce qui peut tenir, suivant lui, au grand lac que traverse l'Èbre, et à ce qu'une partie des eaux de ce lac, chassée par les vents, s'écoule en même temps que celles du fleuve.

10. Posidonius signale encore à Gadira la présence d'un arbre, qui a cela de remarquable, que ses branches sont courbées vers le sol et que ses feuilles, longues parfois d'une coudée et larges de quatre doigts, affectent la forme d'un glaive (112). Puis il parle d'un autre arbre, qui vient dans les environs de Carthage-la-Neuve, et des épines duquel on tire une écorce fibreuse, qui sert à faire de magnifiques tissus (113). Nous avons va nous-même en Egypte un arbre qui ressemblait à celui de Gadira, du moins pour la courbure des branches (114), car la forme des feuilles n'était pas la même; de plus, il ne portait pas de fruit, taudis que, au dire de Posidonius, celui de Gadira en porte. Pour ce qui est des tissus d'écorce d'épine, on en fait aussi en Cappadoce; seulement, dans ce pays-là, l'épine dont on emploie l'écorce n'est pas celle d'un arbre, mais celle d'un arbuste nain (115). On ajoute cette autre circonstance au sujet de l'arbre de Gadira, que, si l'on en brise une branche, il en découle du lait, tandis qu'il en dégoutte une liqueur vermeille, si c'est une racine que l'on coupe. Mais en voilà assez sur Gadira.

11. Les îles Cassitérides, qui suivent, sont au nombre de dix, toutes très rapprochées les unes des autres. On les trouve en s'avançant au nord en pleine mer à partir du port des Artabres. Une seule de ces îles est déserte; dans toutes les autres, les habitants ont pour costume de grands manteaux noirs, qu'ils portent par-dessus de longues tuniques talaires, serrées par une ceinture autour de la poitrine, ce qui, joint au bâton qu'ils ont toujours à la main quand ils se promènent, les fait ressembler tout-à-fait aux Furies vengeresses de la tragédie. Ils vivent en général du produit de leurs troupeaux à la façon des peuples nomades. Quant aux produits de leurs mines d'étain et de plomb, ils les échangent, ainsi que les peaux de leurs bestiaux, contre des poteries, du sel et des ustensiles de cuivre ou d'airain que des marchands étrangers leur apportent. Dans le principe, les Phéniciens de Gadira étaient le seul peuple qui envoyât des vaisseaux trafiquer dans ces îles, et ils cachaient soigneusement à tous les autres la route qui y mène. Il arriva même qu'un patron de navire phénicien, qui se voyait suivi par des bâtiments romains, dont les pilotes avaient espéré de pouvoir ainsi connaître la route de ces comptoirs, s'échoua volontairement et par pure jalousie nationale sur un bas-fond, où il savait entraîner les Romains à une perte assurée; mais ayant réussi, lui, à s'échapper du milieu de ce naufrage général, il fut indemnisé par l'État des marchandises qu'il avait perdues. A force d'essayer, cependant, les Romains finirent par découvrir la route de ces îles. Ce fut Publius Crassus qui y passa le premier, et, comme il reconnut le peu d'épaisseur des filons et le caractère pacifique des habitants, il donna toutes les indications pouvant faciliter la libre pratique de ces parages, plus éloignés de nous pourtant que ne l'est la mer de Bretagne.
Ici s'arrête ce que nous avions à dire de l'Ibérie et des îles situées en regard de ses côtes.

FIN DU TROISIÈME LIVRE.

(1 Nous avons lu ici μεταστρέψεσθαι avec M. Müller; la symétrie de la phrase rend cette leçon en effet plus probable que celle des Mss. μεταρέρεσθαι. Reste a expliquer maintenant le sens d'un pareil usage.

(2)  Σπονδοποιησαμένων au lieu de ψευδοποιησαμένων correction de Coray, ratifiée par MM. Meineke et Müller et rendue probable par cette circonstance qui termine le passage, qu'il fallait se munir d'eau quand on visitait le promontoire Sacré. Voy. Meineke, Vind. Strabon. liber, p. 14.

(3) M. Meineke voit une glose dans les mots διὰ τὸ ἐμπίπτειν εἰς τὸν βυθόν.. Mais si, toutes les fois que le texte de Strabon contient une explication redondante ou superflue, on l'écarte de cette façon, ne risque-ton pas d'altérer gravement la manière de l'auteur, en le faisant plus concis et plus rigoureux qu'il n'était.

(4)   Δὶ ὑάλων au lieu de δὶ αὐλῶν, excellente conjecture de Vossius. Voy. ses notes sur Pomp. Méla (I, 18), rapprochées du passage des Questions naturelles de Senèque, I, 6.

(5Κελτικοί au lieu de Κελτοί, conjecture de Casaubon ratifiée par Coray.

(6) Malgré la triple autorité de Paulmier de Grentemesnil et de MM. Meineke et Müller, nous avons maintenu ici la leçon des Mss. ἐτῶν au lieu de ἐπῶν. Des poèmes de 6000 vers passe encore, mais des codes de lois aussi longs, le fait est au moins singulier. A coup sûr, il l'est plus que la prétention des Turdétans de faire remonter leur civilisation à une si haute antiquité. Les mots ὥς φασι d'ailleurs, indiquent évidemment une assertion qui ne pouvait être vérifiée.

(7) Carteia au lieu de Calpé, que portent les Mss., correction proposée par Casaubon et généralement admise aujourd'hui. Voy. d'ailleurs Müller, Index variae lect , p. 951, col. 1, 1. 60.

(8)  Il est étrange que ce soient les Romains qui aient donné à la ville de nom phénicien. Strabon s'est mal expliqué, il aura voulu dire Julia Transducta, en phénicien Joza, puisqu'il est constant aujourd'hui que les deux noms ont le même sens. (Voy. Movers, Phoen., t. II, p. 631); ou bien il faut suppléer deux mots dans son texte et croire à une lacune

(9) Cf. Vossius ad Pomp Mela, III, 1.

(10Movers, Phoen., t. II, p. 652 (note 235). propose de lire ici Lux divisa, par allusion à Vénus.

(11  M. Müller propose de remanier toutes ces distances exprimées en milles romains (d'aprés Varron (Pline, IV, 55). Voy. Index variæ lect.. p. 951, col. 2, lig. 14.

(12) Restitution de Groskurd, ratifiée par M. Müller. 

(13).Voy. Index var. lect., p. 951, col. 2, 1. 33, les raisons sur lesquelles M Müller se fonde pour substituer cette leçon ingénieuse à la leçon des Mss. et, pour retrouver l'Ansido quae Caesariana de Pline, la Xerez Sidonia du moyen-âge, la Xerez de la Frontera daujourd'hui dans cette colonie de Baetis si complétement ignorée, dont on lit le nom dans toutes les éditions de Strabon

(14) Astigis. au lieu de la leçon des Mss. Astinas ou Astenas, restitution de Kramer d'après Ptolémée et Pline

(15) Correction de Groskurd d'après une conjecture de Casaubon, au lieu de la leçon des Mss. Atetua.

(16)  Voy. Müller: Index variae lect., p. 951, col. 2, l. 59. 

(17) Peut-être Esgua; voy. Casaubon.

(18)   Voy. Index variae lect., p 951, col. 2, 1. 66 et Index nominum rerumque, art Munda, les excellentes raisons que donne M. Müller pour défendre le nombre de 1400 stades que donne le Ms. 1397 de la Bibl. de Paris. 

(19) Midæum, ville de la Phrygie Epictète au lieu de Milet, que donnent tous les Mss. Correction faite par Kramer d'après Lachmann.

(20) Nom corrigé d'après Appien (VI, 57) par tous les récents éditeurs de Strabon. La leçon des Mss. était Caenistorsis.

(21) Au lieu de la leçon Turdétans des anciennes éditions, correction de Kramer d'après la leçon des Mss. οἱ τουνγαδιτανοὶ, qu'il faut peut-être traduire, avec M. Müller, en celle-ci  οἱ τὸ νῦν Γαδ.

(22 M. Müller préfère pour ce nom la forme de Castalon admise par Coray la leçon des Mss. est Claston, et plus bas on trouve par deux fois la leçon Castaon. La forme Castlon qu'en a tirée Kramer n'en est-elle pas un peu plus rapprochée? 

(23 Peut-être faut Il lire Constantia, nom que porte encore aujourd'hui une petite localité située à sept ou hait lieues d'Almaden (le Sisapon de Strabon) : M. Müller incline à adopter cette conjecture de la Porte du Theil. Voy. l'Index nominum rerumque de son édition au mot Cotinæ.

(24Conjecture de Groskurd.

(25 Restitution de Vossius d'après Pomponius Mela.

(26 Voy. M. Müller, Index var. lect , p. 959., col. 1, 1. 49 et Meineke, Vindic. Strabon. liber. p. 15. Nous avons traduit ce passage, sur le texte de Meineke : πλήρας διαχεομένας ἐπὶ τῶν δειργόντων ἰσθμῶν τοὺς πόρους καὶ πλωτοὺς ἀπεργαζομένας.

(27)  Meineke supprime le mot  --ης et sous entend μίλτου. Cf. Vindic. Strab. lib., p. 16.

(28 Voy. Meineke, ibid., p. 16, et Müller, Index var. lect., p. 952, col. 1, lig. 54.

(29) Cf. Pline, VIII, 73, 2: et quam (lanam) Salacia scululato textu commendat in Lusitania. Ce détail précis nous fait préférer la forme Salacietae admise par Groskurd à la leçon Saltietae des Mss. et à la correction Saltigitae proposée par Kramer et agréée par Meineke, voire même à l'ingénieuse conjecture de Müller Salpesitae ou Salpitae, quoique les mots in Lusitania ne se rapportent pas tout à fait.

(30) Πλεονασμόν au lieu de πόλεμονς, correction très probable de Piccolos.

(31)  Φορᾷ δέ τινι λοιμικῇ, au lieu de φθόρον δ. τ. λ., correction de Kramer.

(32) Voy Meineke, Vind. Strab., p. 14. sur le mot ἐκπολλαπλασίασις qui suit et que Casaubon avait déjà dénoncé comme une glose évidente : « bellissimum epiphonema, dit Meineke, quo rem a Strabone in majus auctam esse byzantinus magistellus indicare voluit. » 

(33)  Meineke a rendu la leçon γυμνασίαν indubitable par son heureuse citation de Galien (éd. Kuhn, vol. VI, p. 709) κατὰ γὰρ σιωπλὴν καὶ ἀκύμονα (θάλατταν) χείρων ἡ σὰρξ γίνεται τῶν ἰχθύων ὅσῳ καὶ ἀγυμναστοτίρα.

(34)  ἤπερ καὶ ἐν τῇ γῇ φύεται πολλὴ κατὰ τὴν Ἰβηρίαν, Devant une phrase aussi précise, l'argumentation de M. Meyer ne réussira pas, j'en ai peur, à laver Strabon, ou si l'on veut Polybe (à qui Strabon paraît avoir emprunté tout ce passage), d'une grossière erreur botanique, j'entends la confusion du Fucus vesiculosus avec l'Ilex major. Voy. Botanische Erlaüterungen zu Strabons Geographie. etc., Ein Versuch von Dr Ernst H. F. Meyer (Königsberg, 1852, in-8°), p 3-6.

(35)  Après avoir hésite entre l'Ingénieuse restitution de M. Piccolos εἶναι τε παραπλήσιον ὑὶ τὸν ζῶον et celle de M. Müller εἰπεῖν τε παρεἶναι θαλάττιον etc., nous nous sommes decidé pour celle-ci qui a le grand avantage de reproduire cette pensée de Polybe « qu'on ne se tromperait guère en appelant le thon un cochon de mer. » Cf. Polybe, dans Athénée, l. VII, c. XIV.

(36) Nous avons traduit d'après la restitution proposée par M. Müller εὐδιάχυτος γὰρ ὁ [χρυσὸς καὶ εἱκτικὸς,ὁ δὲ ἄργυρος ἀντί] τυπος καὶ λιθώδης, mais sans la croire encore définitive. C'est la un de ces passages qui ne pourraient être élucidés et restauré que par un ingénieur des mines qui aurait spécialement étudié les procédés et les notions métallurgiques des anciens, et qui serait en même temps un philologue exercé. Voy. Muller, Index var. lect., p. 952, col. 2, au bas de la page.

(37) M. Müller a bien raison de dire qu'en substituant ici πλούτῳ à λόγῳ M. Meineke fait disparaître toute la beauté, disons mieux, tout le joli du passage,
venerem loci pessundat. Cf. Meineke: Vind. Strab., p 18.

(38 Τό δ' ἇθλον au lieu de τὸν δόλον, correction très heureuse de M. Müller. Cf. Meineke. Vind.Strab , p. 21. 

(39Voy. dans Vind. Strab. (p. 21), la manière dont M. Meineke discute tout ce pasage difficile.

(40) Εἰς κίστην - Voy. Müller, Index var. lect., p 953. col. 1, 1. 70. Cf. Meineke, Vind. Strab., p. 22.

(41) Cf. Bergk. Poet. lyr., p. 636.

(42 Voy. Meineke, Vind. Strab., p. 22-23.

(43)  Nons avons traduit ce passage d'après la restitution proposée par M. Müller: Τὰ προαρκετικὰ μέρη τῆς Ἰβερίας εὐπαροδώτερα (τῶν νοτίων) εἶναι (τοῖς) πρὸς Κελτικὴν κατὰ τὸν ὠκεανὸν πλέουσι. Voy. Index var. lectionis, p 953, col. 2, l. 32.

(44) Τῇ Πυθέου πιστεύσας ἁλαζονείᾳ, au lieu de Πυθέᾳ πιστεύσας δι' ἁλαζονείαν : correction de M. Müller. qui en propose encore deux autres. Mais qu'on adop e l'une ou l'autre, ou celle encore que propose M Piccolos et qui se recommande comme toutes les siennes par son élégance. toujours est-il que le mot ἁλαζονείαν  nous paraît devoir être conservé, Strabon ne nommant jamais Pythéas sans ajouter à son nom quelque épithète injurieuse, et celle-ci de préférence. M. Meineke, lui, y voit une glose et l'écarte pour cette raison (voy. Vind. Strab , p. 14); mais ici encore nous le jugeons trop subtil.

(45) Menesthée au lieu d'Ulysse, que donnent tous les Mss.: correction de Coray rendue très probable par l'existence du Port de Ménesthée dans les environs de Gadira. M. Meineke supprime purement et simplement les mots καὶ Ὀδυσσέως. Voy. Vind. Strab., p. 23.

(46). Ici nous partageons l'avis de M. Meineke, et nous rejetons comme une glose marginale les mots suivants, restitués par M. Müller : ἢ γὰρ τοῦτον δέξαιτ' ἄν τις ἢ ἴσον τούτῳ [ἐν τῳ] τοῦ Ἀνακρέοντος, ἢ κοινότερον [ἔτη ρν'] ἀντὶ τοῦ πολῦν χρόνον Ταρτησσοῦ βασιλεῦσαι. Ἔνιοι δὲ Ταρτησσὸν τὴν νῦν Καρτηρίαν προσαγορεύουσιν. « Car on peut entendre le passage d'Anacréon comme s'appliquant à ce roi Arganthonios ou à tel autre comme lui, à moins qu'on n'interprète ce nombre de 150 ans dans un sens plus général pour désigner le plus long règne possible dans l'heureuse Tartesse. Quelques uns reconnaissent l'ancienne Tartesse dans la ville de Carteia. » M. Meineke conserve seulement la dernière phrase, mals pour la transporter au § 11 devant les mots : « Ératosthène, il est vrai, prétend qu'on appelait Tartesside uniquement le canton adjacent au mont Calpe. » Mais le nom de Tartessos se trouvant dans la glose appelait naturellement cette explication géographique. Cf. Müller : Index var. lect., p. 954, col. 1. lig 30.

(47)   Nous avons traduit tout ce passage, qu'on pouvait croire désespéré, d'après la belle restitution de M. Müller, qui s'est ici surpassé : iἐφ' ἃς εὐθυπλοίᾳ στάδιοι, α. Είσὶ δὲ καὶ ἐνταῦθα ἀναχύσεις, ὧν μία ἐπὶ πλείους ἢ τετρακοσίους σταδίους ἀπὸ τοῦ λεχθέντος [ἄκρω]τηρίου; καθ' ην πορθμεύονται ἐπὶ Σαλάκτιαν, au lieu de πύργου καθ' ἧν ὑδρεύονται εἴ που λακκαῖα., Voy. Index var. lect., p. 954, col. 1 et 2.

(48) Εὐέλαιον au lieu de εὐαλσές, correction de M Müller fondée sur un passage analogue, relatif à l'île de Chypre Εὐέλαιος καὶ εὔοινος.

(49Voy. la note de M Müller, qui identifie Moron avec la Myrobriga de Ptolémée (Index var. lect., p 954, col. 2, l. 41.)

(50Voy Müller, ibid., p. 955, col. 1, l. 2.  Slrab., p. 25.

(51) Κλείστροις (en latin claustris) au lieu de πλευροῖς, correction de M. Meineke, agreée par M. Müller. Voy. Vind. Srab. p. 25.

(52)  Τὰ τοῦ Ἄνα ὑπερκείμενα ὄρη (liv. III, ch II, § 3) Voy. Müller: Index var. lect. p. 956, col. 1, l. 22.

(53)  Ἀκούτειαν au lieu de Ἀκουντίαν, correction mise hors de doute par ce passage d'Étienne da Byzance : Ἀκούτεια πόλις Ἰβηρίας, καθὰ Στράβων ἐν τῷ τρίτῳ. 

(54). Voy. Müller, ibid., p. 955, col. 1, lig. 28 

(55) .Peut-être Orsia d'après Étienne de Byzance.

(56)   Τὰ νῦν au lieu de τοῖς νῦν.

(57 Au lieu de la leçon des Mss. τὸ μὲν οὖν μῆκος μυρίων καὶ τρισχιλὶων M. Müller propose : τὸ μὲν οὖν μῆκος μυρίων μέχρις ou ἕως Νερίου τρισχιλὶων.

(58) Voy. sur tout ce passage la longue note de M. Meineke (Vind Strab., p. 26.). 

(59)  La leçon des Mss. est Muliadas.

(60)  Ὀβλιουιῶνα (Oblivionem) au lieu de Βελιῶνα, correction très probable de Xylander Voy. Pline IV, 35 et III, 1. Mais à ce compte nous avons peut être le même nom dans trois langues differentes, et Limæas, dans la langue du pays, signifiait peut-être aussi le fleuve de L'oubli.

(61)   Voy Müller: Index var. lect., p. 955, col. 2, lig. 1 et Index nom. rerumque, v. Bænis.

(62).  Quelques Mss, portent cinquante. Pline compte quarante-six peuples en Lusitanie. IV, 35.

(63). Il est probable, comme dit Kramer, que, dans le texte primitif, la mention de l'épée à double tranchant, ξίφος ἀμφίστομον, décrite par Diodore (V, 54), précédait celle du poignard, παραξιφίς.

(64) [καὶ ξύστρ]αις au lieu de δὶς, correction de M. Müller. Voy. Index var. lect., p. 935, col. 2, l. 24. Cf. Meineke, Vind. Strab., p. 28.

(65) Ὡς καὶ Πινδαρός φησι « Πάντα θύειν ἑκατόν.» Glose évidente dénoncée par M. Meineke, ibid., p. 29.

(66) Quelque chose comme le saut des Basques : Cf. Meineke, ibid., p. 29. 

(67) Ἀνδράσιν ἀντιπρόσωποι λαμβανόμεναι τῶν χειρῶν, au lieu de ἀναμὶξ ἀνδράσιν προσαντιλαμβ., correction de M. Müller.

(68)  Στιβαδοποιθοῦσιν· ἐρίνοις δὲ ἢ αἰγείοις χρῶνται (se. σάγοις) au lieu de στ. κηρίνοις δὲ αἰγείοις χρῶνται. Correction des plus ingénieuses due encore à M Müller. Voy. Index var. lect., p 455 et 956.

(69) ἔξω τῶν ὅρων τῶν ἀπωτάτω, conjecture de M. Müller, au lieu de τῶν ποταμῶν. M. Meineke supprime ces derniers mots purement et simplement. Voy. Vind. Strab., p. 30.

(70)   Les Mss. portent Égyptiens, mais l'erreur est évidente.

(71). Par analogie avec les Artabres et les Cantabres, dont le nom paraît souvent dans les Mss. sous la forme Κάνταυροι, M. Müller croit que ce nom, d'ailleurs inconnu, pourrait bien être Πλεύταρβοι au lieu de Πλεύταυροι. Voy. lndex var. lect., p. 956, col. 1, l. 42.

(72) Καὶ ἀπὸ τῶν τόπων λυπρότητος ἐνίοις καὶ τῶν ἀέρων, au lieu de καὶ τῶν ὀρῶν, correction de M. Meineke. Voy. Vind. Strab., p. 30.

(73Peut-être les Concani d'Horace, de Pomponius Mela et de Silius Italicus.

(74) Voy. Müller : Ind. var. lect., p. 956, col. 1, 1. 60

(75) Οἰκοῦντες Σεγίδην [πόλιν Ἀρούακοι, καὶ Βελλοὶ καὶ] Τουτθοί au lieu de οἰκοῦντες πλὴν τουίσοι : l'une des plus ingénieuses restitutions de M. Müller. Voy. Index var. lect , p 956, col. 1 et 2.

(76) Νεμάσι au lieu de σαίμασι portent les Mss, correction de Tyrwhitt.

(77) Voy Müller : Index var. lect, p. 957, col. 1, l. 9.

(78) Ῥωμαῖοί τε τὸν κατὰ μέρη πρὸς τοὺς Ἴβηρας πόλεμον καθ' ἑκάστην διατάττοντες δυναστείαν au lieu de Ῥωμαῖοί τε τὸν κατὰ μέρη πρὸς τοὺς Ἴβηρας πολεμεῖν καθ' ἑκόστην διὰ ταύτην τὴν δυναστείαν, correction de M. Müller. Cf. Meineke, Vind. Strab p. 31.

(79) Les Mss. portent Socron.

(80) Voy. Müller : Index var. lect., p. 957, col. 2,1. 3.

(81) Les Mss. portent Léétans. Kramer a rétabli la forme Læétans d'aprés Ptolémee ( II, 5). Le même peuple est appelé Laletani dans Pline, III, 4, 22.

(82)  2 M. Müller propose de changer ce nom en Larnolaeetae ou Larnolæetani. Voy. Indes nom. rerumque. p 839. 

(83) Ὅσον τετταράκοντα au lieu de τετρακισχιλίους que portent les Mss., correction de M. Meineke 

(84) Voy. M Müller : Index var. lect., p. 957, col 2, l. 23 

(85).  Nous avons cherché à donner un sens passable aux mots δισπλοῦν δὲ τοῦτον, pour les conserver. N'en pouvant rien faire Groskurd et Meineke les suppriment.

(86). Le Sparto basto ou l'Albardis des Espagnols, Lygeum Spartum des botanistes. Voy Meyer, ouvr. cité, p. 7. 

87) Voy. Müller : Index var. lect., p. 957, col. 2, 1. 38, et Index nominum rerumque, v. Veteres. Cf. Meineke: Vind. Strab., p. 32. 

(88)  Faeniculum officinale. 

(89) Les Mss. donnent Setabis. M. Müller (Ibid., 1. 38) regrette cette leçon mais ne l'a conservée ni dans le texte ni dans son Index nom. rerumque

(90)  Sparto des Espagnols, Stipa ou Macrochloa tenacissima des botanistes. Voy. Meyer, ouvr. cité, p. 7.

(91) Voy. Müller : Inder var. lect , p. 957, col 2, 1. 63, et Index nom. rerumque, v Oeason.

(92) Κιβυρατικαῖς au lieu de Κανταβρικαῖς que donnent les MSS La citation de ce passage par Athénee (l XIV, p. 65- 1 nous a paru devoir l'emporter sur les scrupules paléographiques de M. Müller, d'autant que lui-même a reconnu que, dans le passage d'Athénée, le mot alteré ταῖς Κουρικαῖς était l'équivalent de αἱ ἀπὸ Κιβύρας τῆς Ἀσιατικῆς. Mais pour ne pas adopter l'ingénieuse correction qu'il propose ταῖς Κα[λ]αγουρικαῖς; (les jambons de Calaguris ou Calahorra, en Aragon), nous avons une raison plus forte et qui tient aux plus chères habitudes de notre auteur : c'est que, toutes les fois qu'il parle d'un produit de qualité supérieure dans les pays qu'il décrit, c'est en Asie Mineure, sa patrie, qu'il cherche le terme de comparaison à lui opposer, et cette formule ἐνάμιλλοι, (pouvant le disputer à), qui revient toujours en pareil cas, respire en quelque sorte la jalousie et l'amour-propre national : tantôt ce sont les laines Coraxiennes ou de la Colchide. tantôt les tissus d'écorce de la Cappadoce, tantôt le castoreum du Pont, tantôt les jambons de Cibyra en Phrygie qu'il oppose aux produits similaire de la Turdetanie, des environs de Carthagène et du pays des Cerrétans. — Voy. du reste Müller, Index var. lect. p. 957, col. 2 et 958, col. 1.
Cl. Meineke Vind. Strab„ p. 33

(93) Voy. Vind. Strab., p. 34, l'observation très juste de M. Meineke sur la valeur que Strabon attache au mot ποταμόκλυστος.

(94) Voy. sur la double forme de ce nom Serguntia et Seguntia la note de M. Müller, ibid., p. 958, col. 1 l. 50.

(95) Voy. Müller, ibid., l. 58. 

(96) Sur la triple et quadruple forme de ce nom, voy. Müller, ibid., l. 62.

(97) Voy. Müller, Index var. lect., p. 958, col. 2, .6.

(98) Voy. sur la négation ajoutée par Casaubon Meineke. ibid:, p. 36 : « Quid enim habent cornices non nigræ ? .» M. Müller, de son côte. pense que Posidonius faisait allusion ici à l'espèce de corneilles dites corbines, qu'il n'avait sans doute pas observée ailleurs qu'en Ibérie.

(99Nous avons traduit d'après la restitution proposée par M. Müller : Tπρὸς δὲ τῇ ἀηθείᾳ au lieu de ἀληθείᾳ τῇ τοιαύτῃ πολλὰ [καὶ ἀηθέστερα] εἴρηται καὶ μεμύθευται.

(100). Groskurd et Meineke sont d'avis qu'on retranche de cette phrase les mots τήν τε ἀνδρῶν καὶ.

(101) Voy. Index var. lect., p. 959, col. 1, 1, 6, les doutes qu'émet M. Müller sur le mot παρατίθεσθαι. 

(102) M. Meineke rejette comme une glose les mots οἱ λαλίστατοι πάντων γεγόνασι mais puisque, de son aveu, Strabon n'emploie jamais le mot θρυλεῖν en mauvaise part, pourquoi ne pas supposer que le mot λαλίστατοι pouvait avoir aussi dans sa bouche une signification adoucie, une signification moins désobligeante que le sens habituel de bavards? C'est cette nuance que nous avons cherché à rendre dans notre traduction.

(103). Voy. Müller: Index var. lect., p. 959, col. 1, l, 36. 

(104) Voy. Index var, lect., p. 959, col. 1, l. 51, comment M. Müller explique ce changement du nombre.

(105) Sur la restitution de ce passage, voy. Meineke : Vind Strab.,p. 37 cf. Müller Ind. var. lect, p. 959, col 2, lig. 8.

(106)  Le Schoenus mucronatus suivant Sprengel ; mais, plus vraisemblablement, suivant Fraas, le Shoenus nigricans. Voy. Meyer; ouvr cité, p  9. Quant à la citation de l'Hermeneia, ou mieux de l'Hermès de Philétas, nous l'avons supprimée comme une glose évidente, d'après la double autorité de MM. Meineke et Müller.

(107C'est à Philistide que Pline (IV, 22, 36, 120) prête cette même assertion.

(108) Certains Mss. portent seulement trente jours

(109) Peut-être le Betamas des Espagnols, le Spartium monospermum des botanistes. Voy. Meyer, ouvr. cité, p. 10-11.

(110)  Nous avons traduit ce passage d'après la restitution de M. Müller, ἐκείνης μέντοι [νῦν] ᾦκιστα πᾶς ὁ αἰγιαλός. Cf. Meineke, Vind. Strab., p. 38.

(111Quelque Mss. portent 50.

(112)   Peut-être la Draccena Draco des botanistes, bien que tous les signes caractéristiques ne concordent point. Voy. Meyer, ouvr. cité, p. 12-13. 

(113 Chamaerops humilis, suivant M. Meyer, ibid., p. 13.

(114) Salix babylonica, dit M. Meyer, ibid., p. 13.

(115). M. Meyer avoue n'avoir pu reconnaître lequel, ibid., p. 14.