Sextius

SEXTIUS

SENTENCES.

Traduction : le Cte C.-P. de LASTEYRIE.

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

Il

 

SENTENCES

DE SEXTIUS,

PHILOSOPHE PYTHAGORICIEN ;

Traduites en français pour la première fois,

ACCOMPAGNÉES DE NOTES,

PRECEDEES

DE LA DOCTRINE DE PYTHAGORE,

DE CELLE DE SEXTIUS,

Et suivies de la vie d'HYPATHIE, femme célèbre et professeur

à l'école d'Alexandrie :

Par le Cte C.-P. de LASTEYRIE.

 

PARIS,

PAGNERRE, ÉDITEUR,

RUE DE SEINE, 14 bis.

1843.


 

 

SEXTIUS

DE SA DOCTRINE.

 Sextius, qui vivait sous Auguste, eut pour père Q. Sextius, qui se livrait, ainsi que son fils, à l'étude de la philosophie, et qui refusa, quoique d'une famille illustre, les honneurs que voulait lui accorder Jules-César; il rejeta la dignité sénatoriale, dit Sénèque, car il savait que ce qui peut être donné peut aussi être enlevé. Il avait composé un ouvrage sur la vie des philosophes, dont Fabricius a donné quelques fragments dans sa bibliothèque latine.[1]

Le fils de Sextius imita son père, en méprisant les honneurs et les dignités publiques, et en se livrant d'une manière encore plus spéciale à l'étude de la philosophie. Pline l'ancien en parle comme de l'un des philosophes les plus distingués de la ville de Rome.[2] Sénèque, bon juge sur ce sujet, le cite souvent dans ses ouvrages et toujours avec éloge. « Je lis maintenant, dit-il, Sextius, homme nerveux, qui a écrit en grec, mais qui pense en romain.[3] » Il dit ailleurs : « Croyons donc Sextius, qui, en nous montrant le chemin de la vertu, nous crie : C'est par là qu'on monte au ciel; c'est-à-dire, par la frugalité, par la tempérance, par le courage. » Il fait dans une autre de ses lettres l'éloge de sa tempérance dans les termes suivants :

« Puisque j'ai commencé à vous exposer combien j'avais plus d'ardeur pour la philosophie dans ma jeunesse, que je n'en ai conservé dans mon âge avancé, je ne rougirai pas de vous avouer l'attachement que Sotion m'avait inspiré pour Pythagore. Il expliquait pourquoi ce philosophe, et après lui, Sextius, s'étaient abstenus de la chair des animaux; leurs motifs étaient bien différents, mais sublimes dans l'un et dans l'autre. Le dernier croyait que l'homme avait assez d'aliments à sa disposition sans répandre du sang; il disait qu'on se faisait une habitude d'être cruel, en faisant du meurtre un objet de volupté. Il ajoutait qu'il fallait rétrécir la sphère du luxe ; il finissait par dire que cette variété d'aliments était nuisible au corps et contraire à la santé.[4] »

Sénèque nous fait voir l'estime qu'il avait conçue pour Q. Sextius le père, lorsqu'à l'occasion d'un repas qu'il fit avec ses amis, il parle de son beau caractère, ainsi que du mérite de ses ouvrages, qui, malheureusement, ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Il était d'usage à Rome, parmi les hommes qui cultivaient leur esprit, de se livrer, au sortir de table, à des conversations et à des lectures instructives. C'est après avoir parlé de son repas que Sénèque ajoute : « On lut ensuite le livre de Q. Sextius le père, homme de mérite, si je m'y connais, et stoïcien, quoiqu'on en dise. Dieu ! que de vigueur! que d'âme ! Voilà ce qui le distingue des autres philosophes. Leurs écrits n'ont, pour la plupart, qu'un titre imposant, et le reste est sans vie. Ils exposent, ils argumentent, ils substilisent pour vous échauffer… Ils sont trop froids. Quand vous aurez lu Sextius, vous direz : Voilà un homme vraiment libre, un homme au-dessus de l'humanité. Pour moi, je vous l'avoue, je ne sors jamais de sa lecture qu'avec plus de confiance en moi-même. Quelle que soit l'assiette de mon âme, je le lis, et je suis tenté d'affronter tous les hasards, de m'écrier: O fortune, qu'attends-tu? Viens sur l'arène ; me voilà prêt. Semblable à un jeune héros qui cherche une occasion d'essayer ses forces, de signaler son courage contre un sanglier et un lion, je voudrais aussi trouver quelque ennemi à vaincre, quelque douleur à supporter. Car Sextius a encore cela de particulier, qu'il peint le bonheur de la vertu sans ôter l'espoir d'y parvenir. Il vous apprend à la fois qu'elle est sur une éminence, et qu'on y peut atteindre, si l'on veut. Tel est le caractère de la vertu. On l'admire, et pourtant on espère.

« Oh ! mon ami, que d'heureux instants je passe à contempler la sagesse ! Sa vue me cause le même ravissement que le spectacle du monde; je crois toujours la voir pour la première fois. De là, ma vénération pour les découvertes de la sagesse et les auteurs de ces découvertes. Quel héritage ils ont laissé aux hommes ! J'en veux prendre possession. C'est pour moi qu'ils ont acquis, c'est pour moi qu'ils ont travaillé. Mais agissons en bons pères de famille; augmentons notre patrimoine, et ne le transmettons pas sans accroissement à nos neveux; il reste encore, et il restera beaucoup à faire. Dans mille siècles, il manquera encore quelques pierres à l'édifice.[5] »

Les sentences de Sextius ont été produites tantôt comme l'ouvrage d'un auteur païen, tantôt comme celui d'un chrétien, soit par les orthodoxes, soit par les hérétiques, selon les adversaires contre lesquels on combattait, ou selon l'opinion qu'on voulait faire prévaloir. Origène, Eusèbe, Augustin, dans ses Rétractations, Jérôme ont cité Sextius comme païen. Le premier oppose ces sentences aux chrétiens, afin de les engager à s'abstenir de la chair des animaux. Cependant, Rufin ayant traduit plus tard les sentences de Sextius et les ayant fait paraître sous le nom de Sextus, ou Sixtus, ou Xistus II, pape et martyr, saint Augustin accepta cet écrit comme orthodoxe, et le reconnut même comme tel dans les disputes qu'il eut à soutenir contre Pelage, qui le citait lui-même dans le même sens, pour établir sa doctrine, mais Augustin se rétracta plus tard, en disant qu'il l'avait lu depuis, et que cet auteur était païen. Saint Jérôme partageait cette dernière opinion ; il se plaint de ce que Rufin ait attribué frauduleusement ces sentences au pape Sixte II. Isidore de Séville était d'un sentiment contraire; mais il prétendait que l'ouvrage de Sextius avait été corrompu par les hérétiques. Enfin, Gélase le condamne comme apocryphe et œuvre de ces mêmes hérétiques.

On conçoit facilement, qu'il se soit trouvé des Docteurs de l'église qui aient attribué les sentences de Sextius à un pape, lorsqu'on voit que plusieurs Pères, et surtout Jérôme, ont affirmé que Sénèque était chrétien. Jérôme le place même au nombre des saints, lorsqu'il dit : « Je ne l'eusse pas mis au nombre des saints, si je n'y eusse été autorisé par les lettres de Paul à Sénèque, et de Sénèque à Paul, qui sont entre les mains de plusieurs personnes. Ce philosophe, précepteur de Néron, et qui avait alors une grande autorité, dit qu'il désirerait être parmi les païens dans la position où se trouvait Paul parmi les chrétiens? » Il n'est pas plus étonnant de voir attribuer à un pape l'ouvrage d'un païen, que les écrits de Sénèque à un chrétien.

Les modernes ont été également partagés sur cet écrit : Moschen, Brucker, Gale, etc., ont reconnu qu'il était sorti de la plume d'un païen ; tandis que ce fait a été nié par plusieurs écrivains, entre autres par Urb.-Godf. Siberius, qui a donné, en 1720, une édition des sentences de Sextius, sous le nom du pape Sixtius II, évêque de Rome. Il s'efforce même, dans ce livre, qui fut présenté aux Pères d'un concile tenu à Rome, de prouver, contre les témoignages les plus authentiques, qu'il n'exista jamais de philosophe païen de ce nom. Il soutient aussi que la Providence admise par Sextius était rejetée par les pythagoriciens, ce qui n'est pas moins erroné. Siberius prétend prouver le christianisme de Sextius, en alléguant que plusieurs de ses maximes sont en contradiction avec les opinions des pythagoriciens, et qu'il n'y est pas fait mention de plusieurs autres qu'ils professaient.

Il n'est pas étonnant qu'on ait considéré Sextius, tantôt comme païen, tantôt comme chrétien. En effet, comme on trouve dans ses sentences des opinions et une morale analogue, ou même pareille à celle de l'Évangile, il eût fallu, en le reconnaissant comme païen, et en admettant le texte de son écrit tel qu'on le possédait, sans aucune restriction; il eût fallu, disons-nous, convenir que les païens avaient connu, avant Jésus-Christ, des dogmes et des préceptes qui servaient de fondement à la religion chrétienne.

Il paraît que les sentences de Sextius, inconnues dans les églises d'Occident, avaient faiblement attiré l'attention des chrétiens d'Orient. Origène et Eusèbe en parlent comme de l'œuvre d'un païen. Mais Rufin, pensant que cet écrit, concordant sous plusieurs rapports avec la religion chrétienne, pourrait lui être d'autant plus nuisible, si on l'admettait comme résultat d'opinions païennes, qu'il avait une existence antérieure au christianisme, et que les chrétiens seraient taxés de plagiat par les païens, forma le pieux projet de le traduire en latin, et de le publier sous le nom de Sixte II, pape et martyr. C'est cette traduction qui est parvenue jusqu'à nous, le texte original en langue grecque ayant été perdu. Voici comment la fraude de Rufin ressort de ses propres paroles, lorsqu'il se permet de changer le nom d'un homme, qui s'appelait Sextius, en celui d'une personne, nommée Sixte; et de faire d'un païen et d'un pythagoricien, un saint, un pape et un martyr ; et cela, sur une prétendue tradition, contraire à l'évidence, quem tradunt, dit-il. C'est ainsi qu'il s'exprime à ce sujet : « J'ai traduit en latin Sextus, pythagoricien, qu'on dit être l'évêque Sixte, connu parmi nous, à Rome, sous le nom de Sixte, qui a eu les honneurs de l'épiscopat et du martyre. Lorsque votre sœur, ô Apronianus, lira cet ouvrage, elle trouvera que chacun des versets de ce petit écrit renferme un grand sens. Il est si démonstratif que ses maximes peuvent servir à la conduite de toute la vie. »

Lorsque cet Enchiridum sententiarum parut, il fut accueilli avec un grand empressement par les églises d'Occident comme l'ouvrage d'un pape, d'un saint, d'un martyr; on ne s'aperçut pas d'abord de la fraude, et chaque secte, chaque théologien en profita pour foire prévaloir ses opinions, ainsi que nous l'avons observé.

Il n'a existé aucune secte philosophique qui ait autant de rapports et d'analogie avec le christianisme, que la secte pythagori-stoïcienne, fondée à Rome par Sextius. Il n'est donc pas étonnant que les chrétiens aient revendiqué, comme leur propriété, l'ouvrage des Sentences, qui non seulement est un code de morale plus détaillé que les Évangiles, mais où l'on trouve les dogmes les plus importants du christianisme, tels que l'unité, la puissance, la bonté et les autres attributs de la divinité; l'immortalité de l'âme; les récompenses et les peines dans une vie future, etc., ainsi que nous le ferons observer tout à l'heure, en parlant de la doctrine de Sextius ; ce qui peut se prouver, même en supposant que les chrétiens aient interpolé quelques passages qui s'y trouvent aujourd'hui. D'abord, ce genre de fourberie, qu'on suppose avoir été commis par le prêtre Rufin, n'a pu altérer les textes et les opinions de Sextius d'une manière bien notable; puis, le texte original existant alors, il eût été facile à tous de découvrir la fraude, si elle eût été portée trop loin, et si l'on eût supposé, au philosophe pythagoricien, des opinions qui n'avaient jamais été admises par sa secte. Il est d'ailleurs facile de prouver que les dogmes, les maximes, contenus dans l'écrit de Sextius, ont été admis par les philosophes pythagoriciens ou stoïciens, et que les chrétiens ont emprunté eux-mêmes aux philosophes païens, et surtout aux pythagoriciens, plusieurs opinions dont se compose leur croyance.

Si Sextius eût été chrétien, il aurait nécessairement, dans un écrit où il traite non seulement de morale mais aussi de culte, fait mention de plusieurs choses intimement liées à la religion chrétienne, desquelles il ne dit pas un mot. Ainsi il eût parlé du Rédempteur, des apôtres, des dogmes essentiels du christianisme, des miracles, du sacerdoce, de l'Église, des martyrs, des saints, des cérémonies, des rites et des usages particuliers à cette religion. C'est aussi la raison alléguée par saint Jérôme, lorsqu'il accuse Rufin de s'être rendu faussaire, en attribuant l'ouvrage d'un païen à un martyr, évêque de Rome. Voici comment il s'exprime à ce sujet : « Comment parler avec réserve de la témérité, ou plutôt de la démence de Rufin, qui a attribué l'ouvrage du pythagoricien Xistus, païen, qui n'avait aucune notion sur Jésus-Christ, à Sixtus, martyr et évêque de l'église de Rome. On y trouve plusieurs choses relatives à la perfection et conformes au dogme pythagoricien qui égale l'homme à Dieu, et le font participer à sa substance; de sorte que ceux qui ignorent que cet ouvrage a été composé par un philosophe, boivent dans une coupe d'or les erreurs de Babylone. En outre, on n'y trouve aucune mention des prophètes, des patriarches, des apôtres, ni de Jésus-Christ, comme si Rufin pouvait nous persuader qu'un évêque martyr pouvait méconnaître la foi de Jésus-Christ. C'est ainsi que vous, ô pélagiens, avez forgé plusieurs témoignages contre l'Église. » L'ouvrage de Sextius n'est pas le seul sur lequel se soit porté le zèle pieux de Rufin. En partant de ce principe, admis au moins en pratique par un grand nombre d'écrivains ecclésiastiques, que la fraude est licite, lorsqu'il s'agit des intérêts de Dieu, ou ce qui est le même, de ceux de l'Eglise, Rufin s'est distingué en ce genre, ainsi que l'en accusent plusieurs Pères, entre autres saint Jérôme, surtout à l'occasion de l'ouvrage d'un écrivain, nommé Pamphile, qu'il avait traduit du grec.

« Si tout l'ouvrage est de Pamphile, dit Jérôme en s'adressant à Rufin, pourquoi n'en traduisez-vous qu'une partie? S'il est d'un autre, pourquoi changez-vous le nom de l'auteur î Vous ne répondez rien à cette objection, mais les choses parlent d'elles-mêmes. Votre dessein était de faire passer sous le nom d'un martyr, un ouvrage qui, étant d'un arien, aurait été en horreur à tout le monde, si l'auteur avait été connu.[6] »

Les mots foi, fidet ; fidèle, fidelit, qui se trouvent reproduits dans un assez grand nombre de passages, ont donné lieu de croire que Sextius était chrétien; mais ces mots ont été employés, longtemps avant les chrétiens, par les pythagoriciens, avec une acception et une signification identiquement la même. Lorsqu'on était initié dans les mystères de cette secte, et avant d'en être reçu membre, on promettait d'être fidèle à Dieu et de ne point pécher. Fidem te esse professus spondidisti, pariter non peccare, est-il dit dans le 225e verset des sentences de Sextius; les pythagoriciens se croyaient engagés par cette promesse. Les chrétiens, dans ce qu'on nomme les vœux du baptême ou dans leur initiation au christianisme, promettent, ou sont sensés promettre, de croire en Jésus-Christ et de renoncer aux pompes du démon. Au reste, les prêtres païens exigeaient des initiés à leurs mystères, ou de ceux qui faisaient profession de leur système religieux, une croyance aveugle et irréfléchie. « Il parait plus conforme à la piété et au respect dû aux dieux, dit Tacite, de croire aux choses qui les concernent, que de chercher à les connaître. »

Il avait été établi, dès l'origine du christianisme, que les opinions des païens sur Dieu, sur les dogmes, sur les principes de morale, conformes à celles introduites dans la religion judaïque ou chrétienne, ne leur appartenaient pas, mais qu'ils les avaient puisées chez le peuple juif, ou dans ses livres sacrés, ou enfin dans les traditions transmises aux nations par les patriarches. Il fallait aussi faire une autre hypothèse et soutenir que les opinions des philosophes, qui avaient des rapports avec celles des chrétiens, ne se trouvaient dans leurs ouvrages que par interpolation, ainsi que le prétend, relativement à l'écrit de Sextius, Isidore de Séville, lorsqu'il dit, après avoir attribué cet écrit à un pape, qu'on y a inséré plusieurs choses contraires à la religion chrétienne.

Les Juifs, et après eux les chrétiens, se considéraient comme les seuls, parmi la race humaine, qui fussent aimés, protégés et favorisés de Dieu, dont ils croyaient avoir reçu directement et de vive voix, les dogmes, la loi et les préceptes. C'est dans cette opinion, qu'ils se persuadèrent qu'eux seuls avaient la connaissance de Dieu, et celle des vérités divines et morales, tandis que les autres hommes étaient en cela plongés dans la plus profonde ignorance. Ce fut d'après la même opinion, qu'ils prétendirent que l'esprit humain, par ses propres forces et par le seul secours de la raison, était incapable de parvenir à la découverte d'aucune vérité, d'aucun précepte de morale, d'aucune règle de conduite. Poussant les conséquences de cette opinion, on en soutint une qui n'était pas moins contraire à la justice et à la bonté de Dieu, qu'inhumaine, téméraire et présomptueuse, à savoir, qu'il n'exista jamais chez les païens, ni moralité, ni vertu, et que chez eux les bonnes œuvres et l'observation de la loi naturelle, loin d'être méritoires, étaient criminelles. On chercha aussi à former des prosélytes, en persuadant aux hommes ignorants et crédules, que hors de ces religions tout était erreur, et qu'il n'y avait point de salut à espérer pour ceux qui n'en faisaient pas partie ; on les condamna formellement, lors même qu'ils se trouvaient dans des circonstances à ne pouvoir avoir connaissance du christianisme.

Comme il n'était cependant pas possible de nier que les philosophes, et un grand nombre d'hommes parmi les païens n'eussent connu ces vérités, ces dogmes et ces préceptes, dès la plus haute antiquité, on prétendit qu'ils les avaient reçus par la tradition, ou qu'ils les avaient trouvés dans les livres sacrés des Juifs. Le passage suivant de Joseph, nous démontre jusqu'à quel point les Juifs portaient leurs prétentions en ce genre. « J'ai fait voir qu'on a tellement estimé nos lois, que tous les hommes ont cherché à les imiter. Les premiers philosophes, chez les Grecs, paraissaient suivre celles de leur patrie ; mais dans leurs actions et en discourant sur la sagesse, ils suivaient Moïse; ils avaient de Dieu la même idée, et comme lui, ils enseignaient la concorde et la frugalité. Le peuple même a toujours témoigné beaucoup d'envie d'imiter nos rites : il n'y a point de ville parmi les Grecs, ni même parmi les Barbares ; il n'y a point de ville, et même de nation, où le septième jour, que nous consacrons au repos, ne soit observé. » Il est facile de reconnaître la fausseté de ce que dit Joseph dans ce passage. Quoi de plus contraire, en effet, à tous les documents de l'histoire, que de dire que l'universalité des hommes a cherché à imiter les lois et les rites des Juifs, qu'ils ne connurent que sous les rapports de mépris et de haine, pour ce peuple grossier et fanatique, qui, d'après ses lois, avait lui-même en abomination tous les autres peuples, à l'exception des Égyptiens et des Iduméens. Du reste, comment Joseph a-t-il pu parler de l'estime que les étrangers avaient pour sa nation, tandis qu'il connaissait les accusations les plus formelles portées unanimement contre elle par les écrivains grecs et romains ? C'est ce dont il convient lui-même, lorsqu'il reconnaît que Moïse est traité par eux d'imposteur et de législateur immoral; que les Juifs sont accusés d'être les ennemis du genre humain, des lâches, des désespérés, de nation barbare et ignorante. Comment enfin croire que les philosophes grecs et romains, qui n'avaient conçu que du mépris pour les Juifs et qui n'en avaient tout au plus qu'une connaissance très incomplète et très inexacte, ainsi qu'on le voit dans Plutarque, suivissent en théorie la doctrine de Moïse? Quant au septième jour, imité des Juifs par les païens, ainsi que prétend Joseph, les Grecs et les Romains, ainsi que beaucoup d'autres nations, n'en firent jamais un jour de repos. La cessation du travail n'était ordonnée que certains jours de fêtes politiques ou religieuses.

Pythagore était parmi les Grecs celui qui le premier avait rapporté d'Egypte et de l'Orient, les dogmes et les préceptes répandus depuis longtemps dans les diverses contrées de l'Asie; aussi Joseph cherche-t-il à relever sa nation et les lois de son législateur, aux yeux des païens, en posant en fait, que tout ce qu'il y a de vrai et de bon dans les dogmes et la morale de Pythagore, et même chez les autres philosophes, a été puisé dans les livres et les institutions judaïques. Voici comment il s'exprime : « Ce philosophe (Pythagore) n'a pas seulement connu nos lois, nos mœurs, et la forme de notre gouvernement; mais il s'est fait gloire de les suivre, et de les imiter en bien des choses... On prétend en effet que ce grand homme avait puisé, dans les lois des Juifs, la plupart de ses maximes philosophiques. Notre nation a donc été anciennement connue ; et nos mœurs ont paru si dignes d'estime, qu'elles se sont depuis très longtemps introduites chez diverses nations. » Il n'existait certainement pas, à l'époque où écrivait Joseph, une nation, ou un individu, qui, connaissant les Juifs, ne se crut insulté, si on l'eût accusé de penser comme eux, et d'avoir leurs mœurs.

Nous avons prouvé combien les prétentions vaniteuses des Juifs étaient peu fondées. Il est aussi facile de démontrer que celles des Pères de l'Eglise et des docteurs chrétiens n'étaient pas soutenues par des preuves et des raisons plus solides, car on en trouve un grand nombre d'exemples dans leurs écrits. Mais nous devons nous borner à ce qui concerne Pythagore. Voici le sentiment de Clément d'Alexandrie à ce sujet. « Ainsi, on peut conjecturer, d'après les dogmes des philosophes, que Pythagore, ainsi que ceux de sa secte, que Platon, et qu'un grand nombre d'autres philosophes ont emprunté leurs opinions de celles de Moïse, législateur des Juifs : ils ont reconnu pareillement certaines vérités, en employant avec discernement les conjectures qu'offre la divination, aidés, en même temps par la connaissance des prophéties et par une inspiration divine. » Clément d'Alexandrie dit encore, au livre premier de ses Stromates, que Pythagore a suivi en tout point la doctrine de Moïse. Saint Ambroise, in Enoch, pense que Pythagore était Juif. Théodoret et Clément d'Alexandrie même prétendent qu'il fut circoncis. Tout ce que disent les Pères à ce sujet sont des suppositions dénuées de preuves, qui n'ont été imaginées que pour soutenir un système qu'ils avaient intérêt d'établir. L'opinion ancienne, par laquelle on a prétendu que les dogmes admis dans les religions païennes provenaient de celle des Juifs, a été pareillement soutenue, comme on devait s'y attendre, par les modernes; et pour n'en citer qu'un exemple relatif à Pythagore, voici la supposition extraordinaire faite par le savant traducteur de Platon en parlant de la métempsycose. « Peut-être même ne serait-on pas mal fondé à dire que cette idée était venue à Pythagore, sur ce qui était arrivé de son temps au roi Nabuchodonosor, qui, à cause de ses péchés, fut pendant sept ans parmi les bêtes, à brouter l'herbe comme les bœufs.[7] »

Les Pères de l'Église, non contents de s'être approprié, au détriment des païens, tout ce qui se trouvait dans les écrits de ceux-ci de conforme à leur système, prononcèrent des anathèmes et des injures contre les philosophes et contre la philosophie. Ainsi, Hermias fait remonter l'origine de la philosophie à la criminelle défection des anges. Clément d'Alexandrie dit que les uns pensaient que la philosophie grecque était parvenue à découvrir confusément et par hasard quelques vérités, et que d'autres voulaient qu'elle eût été instituée par le diable; « car, disent-ils, il n'y avait, avant l'avenue de Jésus-Christ, que des voleurs et des brigands (3). » Ils appuyaient leurs opinions du passage de saint Jean, chap. 10, v. 8. Enfin, le même Clément nous apprend que, de son temps, on était très hostile contre la philosophie. « On disait qu'elle était très inutile pour le salut; d'autres pensaient qu'elle était très funeste ; qu'elle avait été un sujet de perdition pour les hommes, et que son invention était due à quelque méchant esprit.[8] » Saint Augustin, d'abord partisan de la philosophie, entraîné, comme il n'est que trop commun aux hommes, par d'autres motifs et d'autres intérêts, se rétracta plus tard, quoique cette philosophie lui eût donné un grand mépris pour tous les biens de cette vie.[9] Saint Chrysostôme traite Platon d'extravagant, et dit que ses écrits ont été inspirés par le démon.

Nous dépasserions les bornes que nous nous sommes prescrit, si nous voulions rapporter les calomnies et les injures grossières et outrageantes proférées par les Pères de l'Église, non seulement contre les princes et les philosophes païens, qui ne partageaient pas leurs opinions, mais aussi contre les chefs d'un parti, ou d'une secte qu'ils traitaient d'hérétiques. Saint Cyrille d'Alexandrie s'est surtout distingué par les invectives les plus violentes qu'il a prononcées dans ses écrits contre Julien, l'un des empereurs païens qui fut le plus éminent par ses qualités, et le plus tolérant pour une religion qui n'était pas la sienne.

Avant d'exposer quelle fut la doctrine religieuse et morale de Sextius, il ne sera pas hors de propos d'indiquer les causes qui ont assimilé cette doctrine à celle du christianisme.

Il est à remarquer qu'à l'époque où vivait ce philosophe, les peuples des différentes contrées de l'empire romain, étaient imbus d'une crédulité et d'une superstition sans bornes, qui faisait adopter aveuglément et indistinctement les faits les plus improbables et les opinions les plus absurdes, enfantées par les auteurs de différents systèmes philosophiques, religieux, dogmatiques, mystiques, etc. Ces opinions, produits de l'imagination, de l'imposture et de la superstition, accumulées en quelque sorte les unes sur les autres, s'étaient introduites de différentes parties de l'Asie, dans presque toute l'étendue de l'empire romain. Cette invasion, non moins funeste que celle des barbares, dont elle fut le précurseur et en partie la cause, prédisposa les esprits à accueillir les systèmes nouveaux, soit philosophiques, soit religieux, qui devaient se produire dans de semblables circonstances.

Sextius choisit de préférence, parmi ce conflit d'opinions, la philosophie de Pythagore, à laquelle il apporta quelques modifications; tandis que, peu après, dans une autre partie du monde, Jésus-Christ, appuyé sur la loi mosaïque, s'éleva pour en confirmer et en régler la pratique, et pour en améliorer la morale. Mais ses disciples, voyant que les croyances des mages et le culte des Juifs étaient entièrement disparates avec ceux des païens, pensèrent qu'il était impossible de les faire pénétrer chez les autres nations, s'ils n'y apportaient des modifications. C'est dans cette vue qu'ils formèrent un nouveau système de religion, en adoptant les opinions et les pratiques qui pouvaient être favorables à leurs projets de propagation. Ce choix fut facilité par la secte éclectique, qui commençait à prendre son origine vers cette époque. Les disciples de Jésus-Christ apportèrent d'abord quelques légères modifications à la doctrine que ce sage avait prêchée pendant sa vie. Cet exemple encouragea leurs successeurs à y introduire graduellement, et selon l'opportunité ou la convenance des circonstances, des dogmes, des principes, des pratiques, et des usages nouveaux. C'est surtout à l'époque où florissait l'école d'Alexandrie, que furent produits les plus grands changements ; et ceux qui ont eu lieu dans les siècles suivants, n'ont été que la conséquence du même système.

Potamon, qui passe pour avoir le premier jeté les fondements de la philosophie éclectique, est supposé par Suidas avoir vécu sous Auguste; tandis que d'autres prétendent que ce n'a été que vers la fin du second siècle. Mais, quoi qu'il en soit, il est certain qu'avant Potamon et avant Ammonius Saccas, qui professa à Alexandrie, à la fin du second siècle, avec beaucoup d'éclat, l'éclectisme, cette philosophie fut adoptée dès la naissance du christianisme par plusieurs personnages célèbres, avec plus ou moins de modifications par Sextius, par Sénèque, Plutarque, Galien, etc. Les uns, s'attachant plus particulièrement à la doctrine de tel ou tel philosophe ancien; les autres, suivant celle qui leur paraissait la mieux fondée.

Le christianisme, qui avait été établi sur les bases du judaïsme, ou plutôt qui n'était qu'une amélioration de cette dernière religion, s'empara, presque dès son origine, des dogmes, des opinions, des idées mystiques et des pratiques qui pouvaient convenir aux vues et au but de ses propagateurs. Il n'est donc pas étonnant que Sextius, voulant fonder un nouveau système de philosophie, se soit approprié les idées qui, de son temps, se trouvaient en quelque sorte dans le domaine public. L'on ne doit donc pas être surpris de retrouver, dans ses sentences, un assez grand nombre d'expressions, de maximes et de dogmes semblables à ceux dont ont fait usage les chrétiens, puisque ce philosophe a puisé aux mêmes sources. Ainsi, par exemple, les mots fidet, fidelis, étaient reçus alors parmi les sectes philosophiques ou religieuses, avec la même acception que celle qui leur est donnée par les chrétiens. C'est pourquoi Plutarque a dit, en comparant la foi à la vue et au feu : « Mesmement la vue qui est le plus soudain et le plus aigu de tous les sens corporels, et comme un feu allumé qui nous confirme la foy et assurance qu'il y a des dieux.[10] » Le même observe, dans un autre endroit, que les choses obscures que nous ne pouvons pas comprendre, dans les oracles ou dans la divination, ne doivent pas nous faire perdre la foi en Dieu : « Il ne faut pas, dit-il, ôter avec la divination, la Providence et la divinité, ains plutôt chercher solution de ce qui semble estre contraire, et cependant n'abandonner point la foy et croyance religieuse.[11] »

C'est d'après les mêmes raisons que l'on trouve parmi les sentences de Sextius, des dogmes et des principes de morale, émis par les anciens philosophes ou législateurs, et dont notre auteur s'est emparé, ainsi que l'ont fait les chrétiens. L'analogie qui se trouve entre plusieurs points des deux doctrines, n'a donc rien de surprenant. Mais comme l'éclectisme avait absorbé tous les systèmes de philosophie, le christianisme, après s'être formé des mêmes éléments, a absorbé lui-même l'éclectisme, et a triomphé seul, soutenu par la puissance civile, depuis Constantin jusqu'à nos jours, et par la proscription de tout autre système philosophique. Sextius le fils, quoique pythagoricien, avait adopté quelques principes stoïciens, en rejetant ceux qui lui parurent trop rigides pour le commun des hommes. C'est avec cet alliage qu'il fonda à Rome une nouvelle secte qui porta son nom, et que Sénèque nomme nouvelle secte dei Seoctiens, douée de toute l'énergie romaine. C'est aussi l'élévation et la force des principes proclamés par Sextius, qui lui avaient fait donner le surnom de Romanus. Il avait conçu ce projet afin d'arrêter la corruption, qui, depuis qu'Auguste se fut emparé de la domination, et eut anéanti la liberté, prenait chaque jour de nouveaux accroissements. Mais c'est en vain qu'il s'efforça de donner une nouvelle vie à la philosophie. La sagesse et le despotisme sont deux éléments aussi incompatibles que l'eau et le feu, que le bien et le mal, que la liberté et l'esclavage. Aussi la secte de Sextius, d'abord accueillie avec enthousiasme dans la capitale du monde, n'eut qu'une courte durée. Les philosophes furent décriés, calomniés, déconsidérés, persécutés et bannis de Rome. Ils furent même plus tard poursuivis avec un tel acharnement sous les empereurs chrétiens, que ne trouvant plus de sûreté sur les terres de l'Empire, ils furent contraints de se retirer dans les états de Chosroès, roi de Perse, qui les accueillit généreusement.

Sénèque fait allusion à la secte de Sextius, lors qu'il s'écrie : « Vous êtes surpris que la sagesse n'ait pas encore terminé sa carrière…. Les académies anciennes et modernes n'ont point laissé de prêtres. Quel philosophe enseigne aujourd'hui les dogmes de Pyrrhon? L'école de Pythagore, dont la célébrité excitait la jalousie, n'a plus aujourd'hui de chef. La secte nouvelle des sextiens, cette école nationale, ouverte dans ses commencements avec tant d'enthousiasme, s'est éteinte presque en naissant.[12] »

Sextius admettait l'unité de Dieu, l'immortalité de l'âme, les peines et les récompenses dans une vie future; professant une morale simple et conforme à la nature humaine, il est à remarquer qu'il n'emploie pas use seule fois le nom de Dieu au pluriel, dans tout le cours de son traité : preuve qu'il rejetait absolument la pluralité des dieux. Il ne lui eût peut-être manqué que de se dire inspiré de Dieu, d'avoir des disciples qui lui eussent attribué des miracles, pour renverser les dieux et le culte du paganisme, et établir une religion qui eût fait d'autant plus de progrès que, conforme à la loi naturelle, et n'ayant ni dogmes, ni mystères inintelligibles, elle eût été accueillie par la raison et par les intérêts sociaux; et aurait pu même devenir universelle, si, pendant cinquante ans, elle eût été soutenue et encouragée par la puissance impériale.

L'écrit de Sextius, qui peut être considéré comme un traité complet de morale pratique, et même de religion, comprend les préceptes nécessaires pour conduire à la pratique de la vertu. Il prouve évidemment que le christianisme n'a appris aucune vérité morale plus conforme à la loi naturelle émanée de Dieu, plus parfaite, ou plus utile au bonheur des hommes, que celles qui étaient connues avant son avènement. C'est ce qu'il serait également facile de prouver, en formant un recueil des principes de morale disséminés dans les écrits des philosophes chinois, brahmistes, bouddhistes, grecs et romains. Les deux grands principes de charité et de justice, fondements de toute la morale, sont recommandés essentiellement dans les sentences de Sextius, et y sont reproduits dans un grand nombre de passages ; il en est de même du pardon des injures, du mépris des richesses, de la chasteté, de la continence en toutes choses, et même de l'humilité dans un sens rationnel, et non dans un esprit de bassesse et de servilité, comme l'entendent les moines fanatiques. D'ailleurs, ces mêmes préceptes se retrouvent dans les écrits des philosophes chinois, indiens, grecs, romains, etc., dont la connaissance est parvenue jusqu'à nous. La morale étant fondée sur notre propre nature, sur nos relations et nos intérêts mutuels et réciproques, sur le sentiment du juste et de l'injuste, du bien et du mal, sur la sagesse et les autres attributs d'un Dieu créateur, s'est manifestée dans tous les temps aux esprits qui ont fait usage de la raison et de l'expérience.

Sextius a aussi le grand mérite d'avoir écarté de sa morale les préceptes faux ou exagérés, prescrivant des devoirs, des privations, des pratiques factices et outrées, qui, sans rendre l'homme plus vertueux, ne contribuent ni à son propre bonheur, nia celui de ses semblables, et ne tendent souvent qu'à dénaturer les vrais principes de morale, à égarer le vulgaire et à favoriser la superstition, le fanatisme et l'intolérance. Il est remarquable que Sextius ne parle ni de la résurrection des corps, ni des peines éternelles, qu'il avait cependant trouvées dans les religions antiques, dogmes que leurs auteurs semblent avoir imaginés pour inspirer la terreur à des hommes matériels, qui n'auraient pu comprendre une punition, sans qu'elle ne fût représentée sous des éléments physiques ; car l'âme étant spirituelle ne leur eût donné aucune prise ; il fallut donc avoir recours à une substance matérielle, se prêtant à leur action ; peines, qui, selon leurs auteurs, devaient par l'effroi qu'elles inspirent, arrêter des passions et soumettre des hommes, qu'un châtiment proportionné à l'offense et temporel, mais éloigné, n'aurait pu comprimer.

Ces moyens de déception, que quelques personnes pourraient approuver, lorsqu'il s'agit de civiliser des peuplades sauvages, ou des nations barbares, sont toujours funestes, car ils laissent dans l'esprit des peuples des impressions de terreur et de fanatisme, que la durée des siècles ne peut effacer. Loin de produire les effets qu'on leur attribue, ils ne sont propres qu'à donner aux dominateurs civils ou religieux le pouvoir de tromper et d'asservir les peuples. D'ailleurs, il serait facile de conduire les hommes à un état de civilisation, de moralité et de bonheur plus parfait, si les législateurs et les gouvernements faisaient usage des moyens légitimes qui sont à leur disposition, tels que l'éducation publique, les lois, les institutions, l'opinion, etc. Enfin, si une politique dépravée, si des vues d'intérêt, si même une conscience erronée peuvent se prêter à la déception, la vraie philosophie, qui place la vérité au-dessus de tout, ne saurait jamais pactiser avec le mensonge. On voit, par l'écrit de Sextius, que telle fut la doctrine dont il faisait profession. Mais continuons à exposer cette doctrine.

Quels sont l'origine, la nature et le but de la morale? La morale est le résultat de l'instinct, du sentiment coexistant avec l'homme, ou, si l'on veut, la science qui nous apprend qu'il existe pour nous des devoirs à remplir et qui nous guide dans leur accomplissement. C'est cet instinct admirable qui résulte des facultés et de la raison que nous avons reçues de Dieu ; qui croit, qui s'agrandit, par l'expérience et la réflexion ; qui nous fait discerner le bien du mal, le juste de l'injuste, les actes utiles de ceux qui sont nuisibles ou indifférents; enfin, qui nous prescrit impérieusement d'observer les lois que cette raison nous dicte, en imposant silence à nos passions, ou en les contenant dans de justes limites. Les principes de morale étant ainsi inhérents à notre propre nature, et essentiellement liés avec la destination que nous sommes appelés à remplir dans l'ordre de l'univers, leur observance devient pour nous un devoir, que nous ne pouvons éluder, sans nous rendre coupables, sans nuire à notre bonheur et à celui de nos semblables. De là résultent les devoirs envers notre créateur, ceux envers nous-même, enfin, ceux envers nos semblables.

L'évidence et la certitude des principes et des prescriptions de la morale, sont tellement imprégnées dans le cœur de l'homme, qu'il n'est personne qui ne les reconnaisses ne les avoue lorsqu'il consulte sa conscience. Ainsi, le meurtre, le viol, la rapine, etc., ne seront jamais regardés comme des actions louables et méritoires, et l'on ne blâmera jamais la bienfaisance, la justice, la continence, etc. les principes de morale sont donc fondés sur des bases si solides, et leurs preuves sont si évidentes et si palpables, qu'on ne peut raisonnablement élever des objections contre leur existence. Ces principes peuvent en effet se démontrer avec la même évidence que les théorèmes de mathématique, et acquérir par conséquent la même certitude.

Mais il n'en est pas ainsi de l'existence de Dieu, de son essence et de ses attributs, malgré le dire des théologiens, qui prétendent tout savoir de science certaine, et rendre raison de tout. Les phénomènes et l'ordre de l'univers suffisent certainement pour démontrer l'existence de Dieu, et l'action de la Providence; mais cette démonstration est-elle aussi évidente et aussi sensible que celle de la loi naturelle, que les sectes religieuses, les philosophes, et généralement l'espèce humaine, a reconnue et reconnaît encore, sans presque nulle exception, tandis que Inexistence de Dieu a été rejetée non seulement par les athées de profession, mais par plusieurs philosophes, sans compter les hommes qui, se disant religieux par intérêt ont prouvé par leurs actes qu'ils n'y croyaient point. Quelle discordance n'a pas régné, et règne encore, lorsqu'il s'agit des attributs de Dieu et des actes qu'on lui prête? Chaque fausse religion le fait descendre du ciel, ou suppose un ministre descendu des régions supérieures, qui révèle sa volonté aux hommes, toujours dans le but de les rendre meilleurs, et de leur assurer le bonheur éternel. Il donne des lois qui se contredisent, et qui n'atteignent jamais le but qu'elles se proposent ; il les révoque et en substitue d'autres à leur place, qui ne produisent pas de meilleurs résultats. Tantôt, on le représente comme tout-puissant, prévoyant toutes choses, sage, juste et bon ; tantôt, on lui oppose un être imaginaire, auteur du mal, qui lutte de puissance avec lui; tantôt, on le fait incertain et inconstant dans ses actes, repentant, cruel, partiel, injuste, sujet à la colère, à la vengeance, etc. C'est ainsi qu'on se crée un Dieu factice, sur le modèle de l'homme et animé des mêmes passions que lui.

C'est par la raison seule que nous pouvons parvenir à la connaissance de la vérité et à la certitude de la morale, et à celle des devoirs qui en découlent. C'est à elle que nous sommes redevables de nos arts, de nos sciences, de notre civilisation; sans elle, l'homme n'ayant pas même l'instinct de l'animal, aurait été placé dans une condition inférieure à celle de tous les êtres qui ont reçu la vie ; il eût été étranger à tout sentiment de morale, de religion ; il n'eût même pas soupçonné l'existence d'une Providence. Les propagateurs des religions ont proscrit cette raison, guide unique, mais assuré et fidèle, que Dieu nous a donné pour règle de notre conduite; ils ont senti qu'ils ne pourraient établir et maintenir leur système religieux, aussi longtemps qu'il serait permis aux hommes d'invoquer les lumières de la raison et de les opposer à l'erreur et à la déception. C'est pour ce motif qu'ils se sont élevés contre elles, et ont employé tous les moyens pour persuader aux hommes que la raison, au lieu de les éclairer et de leur servir de guide, ne leur avait été donnée que pour leur déguiser la vérité et les conduire à l'erreur, et enfin qu'ils ne pouvaient en faire usage sans se rendre criminels.

Les chrétiens obligés, dès leur origine, d'employer les armes du raisonnement pour lutter avec des adversaires auxquels il n'eût pas été d'ailleurs possible de faire abandonner l'usage de la raison, tolérèrent d'abord cette raison qui ne tarda pas a être proscrite, lorsqu'ils furent assez puissants pour la soumettre, ainsi que les consciences, à une obéissance aveugle et passive. Leurs premiers théologiens tels que Justin, Théodoret, etc., reconnurent l'autorité de la raison. Le premier affirme que ceux qui avaient vécu ou qui vivaient de son temps conformément à la raison étaient sauvés, lors même qu'ils n'auraient cru à l'existence d'aucune divinité. Voici comment il s'exprime à ce sujet : « Tous ceux qui ont vécu conformément à la raison sont chrétiens, quoiqu'ils aient été athées, et n'aient rendu hommage à aucune divinité ; quant à ceux qui ont vécu et qui vivent encore conformément a la raison, ils sont chrétiens, et ne doivent avoir aucune crainte et aucun trouble (pour leur salut).[13] » Théodoret reconnaît également que l'observation de la loi naturelle suffit pour obtenir le salut éternel. Enfin, il serait facile de citer différents passages consignés dans les écrits des Pères de l'Eglise, où la même opinion est soutenue.

Mais lorsque les chrétiens, appuyés par l'autorité civile, purent imposer silence à leurs adversaires, ils substituèrent à la raison, la foi, qui leur permit de parler au nom de Dieu, et d'établir sans obstacle un système religieux, conforme à leurs opinions et à leurs intérêts. On prétendit alors que non seulement les païens avaient ignoré les préceptes de morale, mais aussi que leurs actes de vertu, loin d'être méritoires, étaient criminels. « Nul ne peut être vraiment vertueux, dit saint Augustin, s'il n'est juste; et il ne peut être juste, s'il n'est dans la foi.[14] » Le même Père, par une contrariété si commune à ses confrères, après avoir dit qu'il n'est rien de meilleur que le jugement et la raison, ajoute: « Celui qui veut vivre heureux, ne doit pas vivre conformément à la raison, car il vivrait selon l'homme, tandis qu'il faut vivre selon Dieu. » Le même dit encore avec emphase « que les vertus des païens sont des péchés splendides. » Tout homme qui n'a pas la foi et l'orthodoxie de ce saint Père, c'est-à-dire tout hérétique, bouddhiste, mahométan, philosophe ou païen, commet un crime, s'il prête secours au malheureux, s'il couvre celui qui est nu ! « Si un gentil couvre un homme nu, dit Augustin, ne commet-il pas un péché, parce qu'il n'est pas dans la foi? Certainement tant qu'il n'est pas dans la foi. » Quelle est donc la religion et la morale de ces hommes qui proscrivent les actes de vertu et d'humanité les plus purs et les plus méritoires? Les autres Pères ont partagé la même opinion, qu'on retrouve dans cent endroits différents de leurs écrits. Les docteurs modernes qui prétendent tous, en général, qu'il n'y a point de salut hors de leur secte, ont adopté le même principe, comme on pouvait s'y attendre. Ainsi Mélancton dit que « les vertus des païens sont de vrais vices, et des fruits maudits de l'arbre maudit. » D'autres théologiens, toujours fertiles en découvertes, nous disent des choses très ingénieuses à ce sujet. Ainsi le père Lami, oratorien, a trouvé que la sainte Trinité était le fondement de toute la morale. Le savant théologien Bergier donne encore une bien plus grande extension à cette doctrine. « Si nous examinons, dit-il, le christianisme en lui-même, qu'y voyons-nous? Des dogmes sublimes, une morale sainte, un culte majestueux et pur, une discipline sévère. Toutes ces parties se soutiennent et se servent mutuellement d'appui : sans nos mystères, la morale ne serait fondée sur rien : l'un et l'autre seraient méconnus, si les pratiques du culte n'en rappelaient continuellement le souvenir.[15] »

Ces suppositions imaginées par les théologiens dans l'intérêt de leur cause, sont évidemment contredites par les faits; car, de tout temps, les hommes ont pu avoir, et ont eu de la morale sans dogmes; et malheureusement, en mélangeant et en confondant la morale avec le dogme, on a produit l'immoralité chez ceux qui, en rejetant certains dogmes comme absurdes et d'invention humaine, ont rejeté avec eux la morale avec laquelle on les avait identifiés, quoique ce soient deux choses qui n'ont aucun rapport. Mais il fallait se servir de l'un pour appuyer l'autre. Ce ne sont ni les dogmes, ni les mystères qui moralisent, mais bien l'exercice judicieux de la raison.

Enfin l'immoralité de toute personne qui ne croit pas aux mystères et aux dogmes a été proclamée dans ces derniers temps par un de nos écrivains les plus renommés, lorsqu’il dit : « Le dernier des chrétiens honnête homme est plus moral que le premier des philosophes de l'antiquité.[16] » Pour démontrer la fausseté de cette proposition, seulement dans un point, nous demanderons à son auteur, si tous les députés chrétiens de la chambre représentative sont des honnêtes hommes? Il répondra sans doute que oui; car s'ils n'étaient honnêtes hommes, ils seraient des fripons, ce que ne supposera pas certainement M. Chateaubriand. Je le prierai donc de rappeler à sa mémoire certains faits, certains actes relatifs à ces députés, et je lui demanderai si Socrate, qui est considéré comme le premier philosophe de l’antiquité, eût agi dans de pareilles circonstances comme ces députés? Il me répondra nécessairement que non; d'où il suit, qu'un philosophe non chrétien peut être très souvent plus moral que le dernier, et même que le premier chrétien honnête homme à la façon de M. Chateaubriand. Nous pourrions lui demander encore au sujet de nos fonctionnaires publics si Socrate à leur place eût agi comme eux dans les mêmes circonstances? Il me répondra que non, si toutefois la corruption radicale, dont toute la France se plaint, existe réellement; car il se ressouviendra que Socrate, loin de se prêter aux ordres illégaux et injustes, ainsi qu'il est si commun parmi nous, aima mieux exposer sa vie, que d'obéir à l'ordre qui lui fut donné par les trente tyrans, d'aller à Salamine et d'enlever Léon qu'ils voulaient faire périr injustement. Ainsi ce n'est ni par des antithèses, ni en voulant trouver de la poésie et du génie, dans ce qui ne peut, et ne doit pas en avoir, qu'on raisonne philosophiquement, et qu'on parvient à distinguer l'erreur de la vérité.

Il faudrait remplir un et même plusieurs volumes de faits et de citations, s'il s'agissait de prouver que les hommes, avant l'établissement de la religion chrétienne, ont connu et même pratiqué les préceptes de morale, tout aussi bien que ceux qui croient à cette religion. Il est cependant un point, une maxime fondamentale de morale, qui se trouve dans les Évangiles, que nous croyons devoir mentionner, par la raison, qu'à commencer par les Pères de l'Eglise, jusqu'à nos jours, on n'a cessé de dire qu'elle ne fut jamais connue des anciens. Nous voulons parler de la charité ou de l'amour du prochain, du pardon des injures, du bien qu'on doit faire même à ses ennemis, précepte qui est énoncé positivement non seulement dans les écrits des philosophes et des théologiens de l'antiquité, mais qui se trouve recommandé particulièrement et sous tous ses rapports, dans les sentences de Sextius et dans la doctrine pythagoricienne. Il est à propos d'observer qu'il n'est pas ici question de cette charité, à laquelle on a donné, dans le christianisme, une acception et un mérite particulier, et qui consiste à distribuer quelques oboles à des hommes oisifs et fainéants, faisant profession de mendicité, distributions dont certaines gens se sont rendus les dispensateurs intéressés? mais bien de cet amour raisonné, de cette bienveillance qui nous porte à secourir l'infirme, le malade, la veuve, l'orphelin, l'infortuné laborieux qui se trouve réduit à l'indigence; enfin de ce sentiment et de ce devoir d'humanité que Cicéron a désigné sous le nom de caritas, qui s'étend sur tout le genre humain, sans faire acception de personnes, de nationalité, de religion ou d'opinion, contradictoirement aux Juifs, qui ne connaissaient pour prochain que leurs coreligionnaires, et que les chrétiens ont souvent imités sous ce rapport.

Voyons d'abord le sentiment de Pythagore lui-même, énoncé par son disciple Hiéroclès, qui s'exprime ainsi : « Comme il faut toujours conserver la justice, non seulement avec ceux qui en usent bien avec nous, mais encore avec ceux qui cherchent à nous faire tort, et cela de peur qu'en leur rendant le mal, nous ne tombions dans le même vice; il faut aussi toujours conserver l'amitié, c'est-à-dire l'humanité, pour tous ceux qui sont de notre espèce. Or nous donnerons la juste mesure à l'amitié, et nous placerons chacun dans l'ordre et le rang convenable, si nous aimons les gens de bien, et pour l'amour de la nature, et pour l'amour de leur inclination, comme conservant en eux la perfection de la nature humaine; si nous aimons les méchants, dont les inclinations et les sentiments n'ont rien qui puisse nous faire rechercher leur amitié, si nous les aimons, dis-je, c'est pour l'amour de la nature seule, qui nous est commune avec eux. C'est pourquoi on a fort bien dit : « Le sage ne hait personne, et il aime les seuls gens de bien ; car comme il aime l'homme, il ne hait pas même le méchant; et comme il cherche le vertueux pour se communiquer à lui, il choisit surtout, pour l'objet de son affection le plus parfait; et, dans les mesures et les règles de son amitié, il imite Dieu, qui ne hait aucun homme, qui aime préférablement l'homme de bien, et qui, étendant son amour sur tout le genre humain, a soin d'en départir à chaque particulier la part qu'il mérite… C'est ainsi que nous devons conserver l'amitié pour tous les hommes en la partageant à chacun selon leur mérite et leur dignité : nous devons pratiquer la justice et la tempérance pour tous les hommes, non pas seulement pour les justes et les tempérants ; nous ne serons pas bons avec les bons, et méchants avec les méchants, car de cette manière tous les accidents auraient pouvoir de nous changer, et nous n'aurions à nous, en propre, aucun bien que nous puissions étendre ou de ployer sur tous les hommes…. Ce que nous pratiquons sur toutes les autres vertus, nous devons le pratiquer de même sur l'amitié qui, comme nous l'avons déjà dit, est, de toutes les vertus, la plus grande ; puisque l'amitié n'est autre chose que l'humanité qu'on déploie en général sur tous les hommes, et en particulier sur les gens de bien. C'est pourquoi le nom d'humanité, c'est-à-dire, amour des hommes lui convient particulièrement[17] ».

On voit que le pythagoricien Hiéroclès met en parallèle la justice et l'amitié, ou l'amour de l'humanité, deux vertus en effet identiques et inséparables. Mais en disant qu'il faut aimer généralement tous les hommes, parce qu'ils sont nos semblables et de même nature que nous, il demande cependant avec raison, que cet amour soit gradué selon les mérites et les vertus de chacun. Distinction très importante que commande la saine morale, et cependant qu'on regrette de ne point trouver dans les Evangiles. Le sage ne hait personne, dit Hiéroclès, mais il accorde plus particulièrement son amour à l'homme vertueux, et il imite en cela Dieu, qui ne hait aucun homme, mais qui aime préférablement l'homme de bien. On ne saurait donner une règle plus sûre, et un exemple plus puissant, pour diriger avec sagesse et prudence l'action et la pratique du sentiment humanitaire. Il faut, selon le même, être bon avec les méchants, et juste avec les hommes injustes.

Les Évangiles disent qu'il faut aimer son prochain comme soi-même, sans distinction entre les hommes bienfaisants et vertueux, et ceux qui sont les plus vicieux et les plus corrompus. Mais en analysant ce précepte, on trouve qu'il est contraire à la nature de l'homme et à la sagesse de Dieu, et par conséquent faux, exagéré et impossible à être mis en pratique. En effet, Dieu voulant assurer l'existence et la durée de l'espèce humaine, a donné à chaque individu l'instinct ou le sentiment de sa propre conservation, qui le porte à diriger dans ce but ses pensées et ses actions ; s'il en eût été autrement, les hommes, automates inertes, sans action, et n'ayant pas même le sentiment de leur être, auraient considéré du même œil l'existence ou la non existence, la vie ou la mort. Tout précepte contraire à la nature de l'homme sera contraire aux vues et à la volonté de celui qui est l'auteur de cette nature, par conséquent impraticable ; car les lois de Dieu ont plus de force et de puissance que celles qui émanent de l'ignorance et des imperfections humaines. Mais un fait péremptoire, qui prouve que le précepte d'aimer son prochain autant que soi-même est contraire à la nature constitutive de l'homme, c'est que depuis qu'il a été émis, il n'a jamais été observé, même par les hommes les plus vertueux, ou si l'on veut par les saints, ou par ceux qui l'ont présenté comme un ordre divin obligatoire. En effet, celui qui voudrait le pratiquer constamment, se verrait promptement privé de tout ce qu'il possède, de son argent, de ses propriétés, de son temps, de sa volonté même, car il devrait partager toutes ces choses avec son prochain, aussi longtemps qu'il se trouverait un individu qui en fût privé, ce qui ne cesserait d'avoir lieu.

Les pythagoriciens, au contraire, disaient qu'il fallait aimer son prochain, même lorsqu'il était méchant, injuste, ou notre ennemi; ne lui faire aucun tort, aucun mal; qu'on devait même le secourir, et lui rendre service lorsqu'on le pouvait, donnant toujours la préférence aux hommes qui se recommandaient par leurs vertus et leurs bonnes qualités. Mais ils n'ont jamais dit, ce qui répugne à la raison et au sens commun, qu'il fallait aimer, autant que nous-mêmes, notre prochain, surtout lorsqu'il était méchant et pervers.

Revenant à la doctrine de Sextius, nous trouvons, qu'exempt de l'erreur dont nous venons de parler, il a publié des préceptes de charité aussi purs, aussi humains, aussi relevés que ceux qui ont paru longtemps après lui! Les Évangiles disent : « Aimez votre Seigneur de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même.» Sextius avait dit l'équivalent, et s'était même exprimé plus fortement, lorsque, ne croyant pas suffisant d'aimer Dieu de toute son âme, il exige qu'on l'aime plus que son âme, ainsi qu'on le voit dans le verset 98 : « Chérissez tout ce qui participe à votre nature, et aimez Dieu plus que votre âme. » Autant il est contre la nature des choses d'aimer son prochain comme soi-même, autant il est dans l'ordre et le devoir que le créateur soit préféré à la créature. Les théologiens, à qui tes exagérations souvent ne coûtent rien, ne se sont pas contentés de dire que nous devions aimer les autres autant que nous-mêmes, ils ont avancé que Dieu nous a aimé plus que lui-même.[18]

On trouve dans l'Évangile des préceptes qui seraient considérés comme immoraux et insociables, s'ils fussent sortis de la plume d'un philosophe, même chrétien ; tels sont les suivants : « Si quelqu'un vient à vous, et qu'il ne professe pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne le saluez pas.» (Jean, Epist II, v. 10.) « Je suis venu pour séparer le fils d'avec le père, et la fille d'avec la mère. » (Matth., c. x, v. 35.) « Si quelqu'un vient à moi, et ne hait pas son père, et sa mère, et sa, femme, et ses enfants, ses frères et ses sœurs, il ne peut être mon disciple (Luc, c. xiv, v. 16). » Ces préceptes de haine sont aussi positifs et aussi obligatoires que ceux d'amour du prochain, car ils sont énoncés les uns et les autres dans des termes aussi clairs et aussi impératifs; ils ont été portés plus loin par le fanatisme de quelques théologiens, tels que saint Augustin, qui ne craint pas de recommander, pour ce qu'il appelle la cause de Jésus-Christ, les actes les plus inhumains et les plus révoltants. « Si votre père se prosterne, dit-il, s'il se couche sur le seuil de la porte; si votre mère, découvrant le sein qui vous a allaité, le présente à vos regards ; passez sur le corps de votre père, foulez aux pieds celui de votre mère, et accourez avec des yeux sereins, sous la bannière de la croix. C'est une piété sublime, que d'être ainsi cruel pour Jésus-Christ. »

C'est en évoquant de pareils principes, qu'on s'est autorisé à susciter des haines, des persécutions, des dissensions ; à élever des échafauds, et à souiller la terre par le mélange du sang païen, hérétique, orthodoxe ou incrédule.

Sextius a porté très loin les sentiments de charité; il a relevé cette vertu, lui a donné plus de grandeur et a fait sentir plus impérieusement l'accomplissement des devoirs qu'elle impose, en disant, v. 166 : « Le sage est, après Dieu, celui qui est le plus bienfaisant ; » et v. 201 : « Agissez envers les hommes, comme si, après Dieu, vous étiez chargé de leurs intérêts. » Il indique même dans quel esprit doit être faite la charité, lorsqu'il dit, v. 376 : « Rapportez principalement à Dieu toute chose. C'est en vain que celui qui refuse de secourir le pauvre adresse des prières à Dieu. » V. 208: « Dieu n'exauce pas là prière de celui qui repousse celle du pauvre. » Sextius ne se contente pas d'une charité de circonstance ou de parade, et qui coûte peu de privations, lorsqu'il dit, v. 62: « Cherchez l'occasion d'exercer la bienfaisance, même en faisant des sacrifices. » Il va plus loin, il traite d'impies ceux qui ne partagent pas leurs richesses avec le pauvre, v. 219 : « Ceux-là sont des impies, qui, reconnaissant Dieu comme leur père, ne partagent pas entre eux leurs richesses, et ne se donnent point des secours mutuels. » Il conseille même de se priver d'aliments pour secourir le pauvre. « Il est même bon, dit-il, v. 259, de jeûner pour alimenter le pauvre. » Il veut que la charité ne fasse acception de personne, et qu'elle soit désintéressée, ainsi qu'il l'exprime, v. 230 : « Appliquez-vous à faire du bien généralement à tout le monde; » et v. 233 : « Donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement de Dieu. » Les maximes de Sextius relativement à nos ennemis, au lieu d'être outrées et inadmissibles, comme celles qui nous ordonnent de les aimer, portent le caractère d'une morale fondée sur l'essence des choses bienfaisantes et praticables. Il ne prescrit pas d'aimer un tyran, un malfaiteur, notre ennemi, mais il recommande, v. 207, de souffrir tout en vue de Dieu, afin de vivre selon sa volonté ; genre de résignation dicté par la nécessité, la sagesse et l'espérance en Dieu. La charité ne connaît pas d'ennemis, selon Sextius, au v. 97: « Ne considérez personne comme votre ennemi. » Il recommande en outre, non seulement de faire du bien à ses ennemis, mais aussi d'avoir le désir de leur être utile. « Désirez de pouvoir faire du bien à vos ennemis, » v. 204. Enfin, le principe général de charité : Faites aux autres ce que vous voudriez qui vous fut fait, est résumé par Sextius dans ces paroles du v. 81 : « Soyez envers les autres ce que vous voudriez qu'ils fussent envers vous. »

Les observations et les rapprochements qui viennent d'être faits sur les principes et sur les maximes de charité de Sextius, prouvent évidemment que, non seulement elles égalent en pureté et en élévation celles que la civilisation moderne admet en théorie, mais aussi qu'elles leur sont supérieures sous quelques rapports ; d'où il résulte que la prééminence qu'on a voulu donnera ces derniers est contraire à l'évidence des faits, et n'a été établie que par l'influence de ceux qui avaient intérêt de donner l'avantage à un système politico-religieux, qui ne s'est propagé que par l'ignorance, la crédulité, et les préjugés populaires. Mais si nous comparons les maximes de Sextius avec celles de la religion mosaïque, on y reconnaîtra une bien plus grande supériorité. En effet, cette religion, barbare aux yeux de la raison, et que Jésus-Christ est venu détruire, commandait la haine de ses ennemis ; maxime antisociale, qui a produit les injustices, les cruautés, les massacres, les pillages, dont l'histoire des Juifs nous offre l'effroyable tableau.

Il est encore un précepte de morale, celui du mépris des richesses, relativement auquel on s'est efforcé de donner la prééminence à la religion chrétienne. On semblerait avoir oublié que ce mépris a été porté à l'excès chez les philosophes indiens, chez différentes sectes religieuses, et même chez les païens. Les ouvrages de ces derniers sont remplis de maximes qui recommandent expressément ce mépris. Mais, sans sortir des sentiments de Sextius, nous trouvons qu'il n'est pas moins formel à ce sujet que les Évangiles, lorsqu'il dit, verset 107: « Ne possédez pas au-delà des besoins du corps »; et v. 218 : « Le sage croit n'avoir rien en propre. » Il veut même qu'on renonce aux richesses pour l'amour de Dieu, pour le mieux servir, et pour se rendre semblable à lui. C'est ce qu'on trouve dans le verset 255 : « Abandonnez ce que vous possédez, suivez là parole de Dieu, vous serez libre de toute chose, lorsque vous servirez Dieu ; » et v. 15 : « Le sage qui méprise les richesses se rend semblable à Dieu. » Enfin l'Évangile prononce un anathème contre les riches : Vae vobis divitibus ! Malheur aux riches ! Il dit formellement qu'ils n'entreront pas dans le royaume des cieux : « Pleurez, riches, poussez des cris à la vue des misères dont vous allez être accablés : la pourriture s'est mise dans vos richesses, la teigne a rongé vos habits ! Votre or et votre argent ont contracté la rouille, et cette rouille s'élève en témoignage contre vous. Elle se changera contre vous en un feu qui dévorera votre chair. Vous vous êtes fait un trésor de colère pour les derniers jours. » Ces menaces, et d'autres non moins positives, devraient en effet faire trembler ceux qui, parmi les gens opulents, ne considèrent point l'Evangile comme une invention humaine propre à épouvanter les sots et les ignorants. Mais leur avidité pour les richesses et les intérêts matériels donne une juste mesure de leur foi et de leur hypocrisie.

Sextius considérant la dépravation qui accompagne les richesses, et voyant le mauvais usage qu'en font généralement tous ceux qui les possèdent, dit sensément, v. 183 : « Il est difficile pour un riche de se sauver. » Enfin, il ne porte pas l'abnégation et le dénuement de toute propriété au point de prescrire, comme l'Evangile, de « donner à tous ceux qui vous demandent, et d'abandonner aux voleurs ce qu'ils vous prennent. » Maxime subversive de toute société humaine.

Un grand argument que les premiers chrétiens ont employé pour faire valoir leur religion, c'est le dérèglement des mœurs, introduit dans l'empire romain, par l'accumulation et la concentration des richesses du monde, dans un petit nombre de familles, et l'état de dégradation auquel avait été conduit la peuple par l'avarice, la corruption et la tyrannie de l'aristocratie et celle des empereurs ; corruption contre laquelle s'étaient élevés, longtemps avant les chrétiens, non seulement les philosophes, mais aussi presque tous les écrivains du paganisme. Les Pères de l'Église, en ne prenant en considération que cette seule époque, ont supposé que les mêmes crimes et les mêmes désordres avaient régné de tout temps et chez tous les peuples païens. C'est une imputation dont il nous serait facile de démontrer la fausseté, si une pareille discussion ne nous écartait pas du plan dans lequel nous devons nous restreindre. Nous nous contenterons donc de citer, sur l'article des mœurs, quelques passages où Sextius recommande très expressément les règles de continence et de chasteté. Il est vrai que ce philosophe n'a pas exalté et outré, jusqu'à l'excès et l'absurde, cette vertu, comme l'ont fait les Pères de l'Église et quelques fanatiques. L'on pourra juger de la pureté de sa morale, sous le rapport des mœurs, par la lecture des versets que nous allons citer : V. 63: « Surmontez la volupté, et retenez votre corps en toutes choses, sans quoi vous n'éviterez pas la turpitude, compagne d'une vie molle et licencieuse. » V. 397: « Accoutumez votre corps à conserver la pudeur en toutes choses. » V. 281 : « N'ayez pas d'affection pour les choses charnelles. » V. 265: « On a coutume de couper un membre pour conserver les autres; combien serait-il plus louable d'en agir ainsi pour conserver la chasteté? » Il est évident que cette pensée a été imitée par l'évangéliste qui dit : « Il en est qui se sont châtiés pour le royaume de Dieu (Matth. c. xix, v. 12). » Sextius continue en ces termes, v. 78 : « La continence est le fond de la piété. Dieu n'exauce pas les voluptueux. » V. 128: « L'âme qui se livre aux désirs charnels méconnaît Dieu. » V. 408 : « L'homme incontinent et infidèle se livre aux plaisirs des sens, et il viole la loi divine. » La pudeur et les devoirs du mariage sont aussi prescrits dans les sentences de Sextius, lorsqu'il dit, v. 226:« La pudeur est l'ornement d'une femme fidèle. » V. 230: « Que des époux fidèles rivalisent de continence. » V. 224 :« Sachez que la seule pensée de commettre un adultère, vous en rend coupable. Considérez, par la même raison, les autres péchés sous le même rapport. » Les actes, les désirs, mais aussi les paroles doivent, être purs selon Sextius, v. 62 : « Que votre conversation soit toujours sur des sujets honnêtes. »

Une des inculpations que les théologiens n'ont cessé de reproduire contre les païens, c'est l’orgueil et la vanité qui, selon eux, servaient de mobile à ces derniers, même dans toutes leurs bonnes actions, et leur étaient suscités par l'inspiration du démon. « Les païens, excités par le seul sentiment d'orgueil, dit saint Augustin, ont reçu leur récompense: receperunt mercedem tuam, vani, vanam ; » et cette récompense, accordée par un Dieu de clémence et de bonté, c'est de les faire brûler dans les feux de l'enfer. Dans le dessein de relever la morale évangélique, on a opposé à la vertu qui, de tout temps, a reçu le nom de modestie, celui d'humilité, dont on a fait une nouvelle vertu et un nouveau devoir, servile, abject et dégradant. Chose étonnante, on a exalté l'humilité, qui n'est autre chose que la bassesse d'âme, ainsi que l'exprime l'acception primitive du mot humilitas; et de l'expression humilis, qui signifie une chose ou un homme bas, vil et rampant, on en a fait un être doué de la plus éminente des vertus. Les païens n'ont pas connu cette vertu à laquelle ils n'eussent rien gagné, si ce n'est un masque nouveau pour couvrir le front des hypocrites. Ils ont connu la modestie, ornement de la vertu et des qualités sociales, opposée à la vanité et à l'orgueil, qui ne sont pas moins rares chez les modernes que chez les anciens.

Mais voici à ce sujet les maximes de Sextius : verset 412 : « L'élu de Dieu agit conformément à la volonté de Dieu, et il ne s'attribue rien à lui-même. » V. 276 : « Regardez comme honteux de vous louer vous-même. » V. 178 : « Cherchez plutôt à être probe qu'à le paraître. » V. 188: « Vous ne serez pas sage si vous pensez l'être. » V. 247: « Le sage aime celui qui le reprend. » V. 273 : « Il est très bon de ne point pécher, mais il vaut mieux reconnaître sa faute que de la dissimuler. » Enfin Sextius avance une maxime à laquelle on pourrait faire le reproche d'avoir quelque analogie avec l'humilité chrétienne, V. 326 : « Il vaut mieux servir les autres, que d'être servi par eux. »

Nous avons parlé plus haut des attaques et des anathèmes que les théologiens n'ont cessé de porter contre la raison. Nous ne leur opposerons pas l'opinion des philosophes, et celle des hommes qui, dans l'antiquité comme dans les temps modernes, se sont le plus distingués par la force et la pénétration de leur esprit, ce qui nous écarterait de notre sujet, mais seulement celle des pythagoriciens. Ces philosophes reconnaissaient que l'homme n'avait reçu de Dieu d'autre moyen que celui de la raison, pour parvenir à la connaissance de la vérité et à celle des devoirs qu'ils ont à remplir. Nul doute que leur opinion ne prévale sur celle de leurs adversaires, dans l'esprit de tout homme qui n'aura pas renoncé à l'usage de cette faculté. Celle-ci, constante et invariable comme la vérité, ne fait d'alliance qu'avec cette dernière, et n'admet ni les arguties de l'école, ni les sophismes des philosophes, ni l'astuce des despotes.

Voici ce que dit Pythagore par l'organe de son disciple Hiéroclès, au sujet de la raison: « Une marque sûre que la droite raison est naturellement dans l'homme, c'est que l'injuste, où il ne va point de son intérêt, juge avec justice, et l'intempérant avec tempérance ; en un mot, que le méchant a de bons mouvements dans toutes les choses qui ne le touchent point, et où sa passion ne le domine pas.... La droite raison est le principe des vertus…. La loi que Dieu a gravée au dedans de nous est la droite raison, qui est comme un dieu habitant en nous, et qui est tous les jours blessée et offensée par nos crimes…. L'homme est naturellement fécond en opinions étranges et erronées, quand il ne suit pas les notions communes, selon la droite raison.... La droite raison ayant établi dans lame la tempérance et la force, comme deux gardes vigilants et incorruptibles, nous conservera en état de n'être jamais séduits, ni par les attraits des choses agréables, ni par les horreurs des choses terribles.... Obéir à la droite raison et obéir à Dieu, c'est la même chose.[19] » Sextius n'est pas moins précis, lorsqu'il fait sentir combien il importe à l'homme de faire usage de sa raison dans la conduite de la vie, v. 115 : « La raison qui est en nous est la lumière qui doit nous éclairer durant la vie; » et v. 195: « Tout mauvais sentiment est hostile à la raison. »

L'amour de la vérité, de la justice, la pratique de la bienfaisance, constituaient les fondements de la doctrine pythagoricienne. Le propagateur de cette doctrine disait que Dieu avait inspiré à l'homme deux belles qualités: « celle d'embrasser la vérité et de se livrer aux actes de bienfaisance. » Il ajoutait « que l'une et l'autre pouvaient se comparer aux œuvres de la Providence. » Il était tellement pénétré de cette opinion, que quelqu'un lui ayant demandé « qu'est-ce qui rendait les hommes semblables à Dieu? » il répondit : « C'est lorsqu'ils se conforment à la vérité. » Sextius partage les mêmes sentiments, lorsqu'il dit, v. 148 : « Chérissez la vérité ; » ou v. 158: « Rien n'est plus naturel à la sagesse que la vérité. » Il ne montre pas moins d'aversion pour le mensonge, lorsqu'il dit dans les passages suivants: « Une âme intègre ne peut jamais se complaire dans le mensonge, » v. 159. « Que vos paroles soient l'expression de votre pensée, » v. 143. La justice est celle de toutes les vertus qui est le plus généralement et le plus impunément violée dans les relations sociales d'homme à homme, de nation à nation. Car l'intérêt privé et la force, comptant sur l'impunité, foulent aux pieds la justice. C'est ainsi que le faible devient là victime du plus fort ; l'homme de bien celle du méchant; l'homme simple et ignorant, celle de l'homme habile et astucieux. Les pythagoriciens pensaient que l'observation de nos devoirs n'est autre chose que l'observation exacte et inviolable de la justice. Sextius dit, v. 199: « L'injustice est la mort de l'âme. » V. 258: « Faites une part égale à chacun. » Presque tous ceux qui gouvernent les hommes cherchent à leur persuader qu'ils observent la justice, lors même qu'ils la violent le plus ouvertement. C'est cette hypocrisie que condamne Sextius, lorsqu'il dit, v. 57 : « Faites vos efforts, non pour paraître juste, mais pour l'être. » Il est certain que celui qui cherche à le paraître ne l'est pas.

Nous ferons encore, avant de terminer cet article, une observation sur la doctrine de Sextius relative à la liberté. Il est à remarquer que ce sentiment existait en quelque sorte, chez les anciens, comme partie constituante de la vertu, ou du moins comme condition indispensable pour l'exercice dès facultés morales. Epictète, plus en état de juger combien toute servitude d'esprit s'oppose à l'exercice et à la pratique des devoirs, disait : « Les dieux n'ont mis en notre puissance que ce qu'il y a de plus excellent en nous, et qui est fait pour nous commander, savoir, la liberté de faire un bon usage de notre faculté de penser. Ils n'ont pas mis les choses extérieures en notre pouvoir. » Sextius considère la liberté comme l'élément de la sagesse : « Celui à qui on enlève la liberté, dit-il, v. 267, ne peut agir avec sagesse. » Aussi, conseille-t-il de tout sacrifier pour sa défense, lorsqu'il dit, v. 14 : « Cédez quelle que soit la chose qu'on vous ravisse, si ce n'est la liberté. » Mais il en est autrement chez les modernes où, d'après un nouveau système religieux, le sentiment et l'amour de la liberté ont été remplacés par une abnégation de tous les droits et de tous les avantages sociaux, par l'esprit de servitude, d'humilité, d'obéissance passive à toute autorité, légitime ou usurpée, juste ou injuste, modérée ou inique. La servitude a été approuvée et maintenue comme un droit du plus fort. Tels sont, en effet, les principes admis par les théologiens. Ainsi saint Paul ordonne aux serviteurs et aux esclaves d'obéir à leurs maîtres temporels, avec crainte et tremblement, comme à Jésus-Christ lui-même. Il veut, en outre, qu'ils leur soient soumis dans tout ce qui leur plaît, sans jamais les contrarier en rien. Saint Pierre est encore plus exigeant, lorsqu'il dit qu'il faut obéir, pénétré de crainte, à des maîtres bons et humains, mais aussi à ceux qui sont méchants. Saint Paul commande aux esclaves qui sont sous le joug, de considérer leurs maîtres comme dignes de tout honneur.

La légitimité de l'esclavage est aussi reconnue par saint Paul, lorsqu'il recommande une soumission passive, tant aux hommes libres qu'aux esclaves, sive servus, sive liber. Le mot servus, qu'on a traduit par le mot amphibologique serviteur, et qui désigne un homme réduit en esclavage, était employé dans ce dernier sens par les apôtres, qui s'adressaient aux peuples à une époque où les services de tout genre se faisaient, sans presque aucune exception, par des esclaves. En effet, si saint Paul, dans son Epître à Philémon, eût considéré l'esclavage comme une chose inique, au lieu de se borner à recommander à son disciple chéri, Philémon, qui lui était tout dévoué, de bien traiter son esclave chrétien Onosime, il lui eût représenté qu'il était de son devoir de le mettre en liberté. Cent auteurs ont cependant écrit que le christianisme avait aboli l'esclavage, comme un usage contraire à la justice et aux droits de l'humanité. Cette violation des saines lois de la morale a été admise, non seulement par des empereurs et des rois, tout-puissants pour faire exécuter leurs ordres, à l'époque où ils embrassèrent le christianisme, mais aussi par les conciles, les évêques, les papes, et même par les ordres monastiques, qui ont possédé longtemps des esclaves eux-mêmes. L'esclavage, déguisé plus tard sous le nom de servage, ainsi que la traite et la vente des hommes, et tout ce que cet usage a de plus hideux, existe cependant encore dans plusieurs pays chrétiens ; il en est même où l'on a porté des peines capitales contre ceux qui s'élèvent contre cette abominable pratique. Mais ce qui n'est pas moins surprenant, c'est qu'on n'a jamais vu, depuis un si grand nombre de siècles, des papes, des évêques ou des prêtres, au moins dans les pays catholiques, prêchant ouvertement contre l'esclavage, ou le proscrivant formellement comme contraire au christianisme.

L'aversion pour la liberté des peuples, l'esprit de servilité, le système d'obéissance passive, se sont manifestés ainsi que l'atteste l'histoire, d'une manière non moins positive, à très peu d'exceptions, dans tous les temps et chez tous les peuples, sous l'influence des prêtres. Telles sont les causes qui, en énervant et avilissant les âmes, leur ont fait perdre cette force, cette énergie, cet amour de la liberté, qui inspiraient aux anciens de si nobles sentiments. C'est ce que Machiavel a très bien observé, lorsqu'il dit : « Cherchant la cause pour laquelle les peuples de l'antiquité furent pénétrés plus fortement de l'amour de la liberté que les peuples modernes, je crois que cette cause est la même que celle qui rend aujourd'hui moins énergique, c'est-à-dire la différence dans l'éducation. Car notre religion nous ayant montré la vérité et le vrai chemin, elle nous donne moins d'estime pour les hommes du monde... En outre, l'ancienne religion n'exaltait que les hommes pleins d'une gloire mondaine, tels que les commandants des armées ou les chefs des républiques. Notre religion a attribué de bien plus grands mérites aux hommes humbles et contemplatifs qu'à tous les autres. Elle a, en outre, fait consister le souverain bien dans l'humilité, l'avilissement et le mépris des choses humaines; tandis que l'ancienne religion le plaçait dans la grandeur, dans la force du corps, et dans toutes les autres causes propres à former des hommes énergiques. Si notre religion exige de la force, ce n'est pas pour que nous fassions de grandes choses, mais pour que nous soyons propres à souffrir. Il paraît donc que cette manière d'être a affaibli le caractère des peuples, et les a rendus propres à devenir la proie des scélérats. Ceux-ci peuvent les gouverner facilement et sans crainte, en voyant que les hommes, afin d'aller en paradis, sont plus enclins à supporter les outrages, qu'à en tirer vengeance. »

Nous croyons en avoir dit assez pour mettre le lecteur à même de porter un jugement sur la doctrine morale exposée dans le livre des sentences de Sextius, et pour démontrer que ce code renferme des principes et des axiomes aussi purs, aussi précis, aussi clairement établis, que ceux qu'ont adoptés après lui les chrétiens. On se confirmera encore dans cette opinion, après avoir pris connaissance des préceptes nombreux qu'il donne sur les divers sujets qui concernent la moralité de nos actions, de nos pensées et de nos sentiments.

 


 

SEXTI PYTHAGORICI

SEXTIUS



 

 

 

 

 

 

SENTENTIÆ

SENTENCES

1

Fidelis homo, electus homo est.

L'homme fidèle est un élu.[20]

2

Electus homo, homo Dei est.

L'homme élu est l'homme de Dieu.

3

Homo Dei est, qui Deo dignus est.

Celui-là est l'homme de Dieu qui se rend digne de Dieu.

4

Deo dignus est, qui nihil indigne agit.

Est digne de Dieu, quiconque ne commet rien d'indigne.

5

Dubius in fide, infidelis est.

Celui dont la foi est accompagnée du doute est infidèle.[21]

6

Infidelis homo, mortuus est corpore vivente.

L'homme sans foi est un mort dans un corps vivant.

7

Vere fidelis est, qui non peccat, atque etiam in minimis caute agit.

Le vrai fidèle est celui qui ne pèche point, et qui agit avec prudence, même dans les plus petites choses.

8

Non est minimum in humana vita, negligera minima.

Il n'est pas indifférent dans la vie humaine de négliger les petites choses.[22]

9

Omne peccatum impietatem puta. Non enim manus vel oculus peccat, vel aliquod hujus modi membrum : sed male uti manu vel oculo, peccatum est.

Considérez tout péché comme une impiété. Ce n'est ni la main, ni l'œil, ni d'autres membres qui pèchent. Mais on commet le péché par un mauvais usage de la main ou de l'œil.

10

Omne membrum corporis, quod invitat te contra pudicitiam agere, abjiciendum est. Melius est uno membro vivere, quam cum duobus puniri.

Il faut retrancher du corps tout membre qui nous porte à une action contraire à la pudeur. Car il vaut mieux ne vivre qu'avec un seul membre que d'être puni avec deux.[23]

11

Immortales crede te manere in judicio honores et pœnas.

Croyez que des récompenses ou des peines éternelles vous sont réservées par les jugements de Dieu.[24]

12

Si quæcumque in hoc mundo habes aliquis tibi auferat, ne indigneris.

Si on vous enlève ce que vous possédez dans ce monde, ne vous en indignez pas.[25]

13

Inculpatus esto.

Soyez sans reproche.

14

Omnia auferenti a te cede, præter libertatem.

Quelle que soit la chose qu'on vous ravisse, cédez, pourvu qu'on n'attente pas à votre liberté.

15

Sapiens vir et pecuniæ contemptor, similis est Deo.

Le sage qui méprise les richesses est semblable à Dieu.[26]

16

Rebus mundanis in causis tantum necessariis utere.

Ne faites usage des choses de ce monde que lorsque la nécessité l'exige.

17

Quæ mundi sunt, mundo, et quæ Dei sunt, reddantur Deo.

Rendez au monde ce qui est au monde, et à Dieu ce qui est à Dieu.[27]

18

Certus esto quod animam tuam, fidele de-positum, acceperis a Deo.

Soyez certain que vous avez reçu de Dieu votre âme, comme un dépôt dont vous devez lui rendre compte.

19

Cum loqueris Deo, scito quod judiceris a Deo.

Lorsque vous parlerez à Dieu, sachez que Dieu vous jugera.

20

Optimam purificationem putato, nocere ne-mini.

Pensez que la meilleure manière de purifier son âme est de ne faire tort à personne.[28]

21

Anima purificatur Dei verbo per sapientiam.

L'âme se purifie par la sagesse que nous enseigne la parole de Dieu.[29]

22

Non putes Dei sapientiam insensibilem esse.

Gardez-vous de croire que la sagesse de Dieu ne soit pas accessible aux sens.[30]

23

Deus sicut mens est, quæ movetur sponte, secundum hæc et subsistit.

Dieu étant un esprit, existe par la liberté de son action.[31]

24

Magnitudinem Dei non invenies, etiam si pennis volare possis.

Vous ne découvririez pas toute la grandeur de Dieu, eussiez-vous des ailes pour parcourir l'espace.[32]

25

Nomen Dei ne quæras, quia non invenies : nam omne quod nomine appellatur a digniore nomen accipit, ut alius quidem vocet, alius autem audiat. Quis ergo est, qui nomen imposuit Deo ? Deus autem non nomen est Deo, sed indicium quod sentimus de Deo.

Ne cherchez pas le nom de Dieu; vous ne le trouveriez pas; car tout ce qui porte un nom a reçu ce nom d'un être supérieur, de telle sorte que l'un appelle et l'autre entende. Qui donc est celui qui a donné un nom à Dieu? Or, Dieu n'est pas un nom pour Dieu, mais l'expression du sentiment que nous avons de Dieu.[33]

26

Nihil ergo de Deo, quod non licet, quæras.

Ne cherchez donc pas à connaître, relativement à Dieu, ce qu'il ne vous est pas permis de pénétrer.[34]

27

Deus sapiens lux est, non capax contrarii.

Dieu est la sagesse et la lumière, et n'admet pas l'idée du contraire.

28

Quæcumque fecit Deus, pro hominibus ea fecit.

Dieu a fait pour l'homme tout ce qu'il a fait.[35]

29

Angelus minister est Dei ad hominem.

L'ange est le ministre de Dieu auprès des hommes.[36]

30

Tam pretiosus est homo apud Deum quam angelus.

L'homme et l'ange sont d'un prix égal aux yeux de Dieu.

31

Primus beneficus est Deus : secundus est is, qui beneficii ejus fit particeps, homo. Vive igitur ita, tanquam qui sis secundus post Deum, et electus ab eo.

L'être bienfaisant par excellence, c'est Dieu. Après lui vient l'homme, qui participe aux bienfaits de Dieu. Vivez donc comme étant le second après Dieu et choisi par lui.

32

Habes, inquam, in te aliquid simile Dei, et ideo utere te ipso velut templo Dei, propter illud quod in te simile est Dei.

Vous avez en vous quelque chose de semblable à Dieu; agissez donc en raison de cette ressemblance, et considérez-vous comme étant le temple de Dieu.[37]

33

Revereatur vitam tuam mundus. Nihil ad-mittas quod tibi invehat no tam.

Que le monde honore votre conduite. Ne faites rien qui puisse ternir votre réputation.

34

Male viventes, cum e corpore excesserint, cruciabit malus dæmon, usquequo etiam no-vissimum quadrantem exigat ab eis.

Un mauvais démon tourmentera après ta mort ceux qui auront mal vécu, et leur infligera une peine quadruple, jusqu'au moment où Dieu leur demandera compte de leur conduite.[38]

35

Beatus vir cujus animam nemo reprehendit ad Deum euntem.

Heureuse l'âme, s'élevant vers Dieu, à laquelle on ne peut faire de reproches.

36

Deum ergo honora super omnia, et ipse dominetur tibi.

Honorez donc Dieu au-dessus de tout, afin qu'il domine toujours sur votre esprit.

37

Quicquid super omnia honoraveris, hoc tibi dominabitur. Si autem dominatum tui gerit Deus, ita tu demum dominaberis omnibus.

Vous serez dominé par la chose que vous aurez honorée de préférence à toute autre chose; mais si, au contraire, vous êtes soumis à Dieu, vous serez supérieur à tous.

38

Honor summus Deo, scire eum et imitari.

C'est rendre un grand honneur à Dieu que de le connaître et de l'imiter.

39

Simile quidem Deo per omnia nihil est ; grata tamen ei est inferioris, quantum possibile est, imitatio.

Il n'est rien de semblable à Dieu; il voit cependant avec joie que ce qui lui est inférieur cherche à l'imiter autant qu'il est en lui.

40

Templum sanctum est Deo mens pii, et altare est optimum ei cor mundum et sine peccato.

L'âme pieuse est un temple consacré à Dieu, et son plus digne autel est un cœur pur et sans péché.[39]

41

Hostia soli Deo acceptabilis, benefacere hominibus pro Deo.

Le sacrifice agréable au Dieu unique, c'est de faire du bien aux hommes afin de lui plaire.[40]

42

Deo gratiam præstat homo, qui, quantum possibile est, vivit secundum Deum.

Celui-là plaît à Dieu qui vit, autant qu'il lui est possible; selon ses préceptes.

43

Deus quidem nullius eget, fidelis autem Dei solius : æmulatur ergo illum qui nullius eget, is qui paucis in rebus necessariis indiget.

Dieu n'a besoin de personne; l'homme pieux n'a besoin que de Dieu seul. Celui-là donc imite Dieu qui, sans recourir aux autres, n'a besoin que des choses strictement nécessaires.[41]

44

Satage magnus quidem esse apud Deum ; apud homines vero invidiam fuge.

Efforcez-vous de paraître grand aux yeux de Dieu ; et à l'égard des hommes, fuyez l'envie.

45

Si benignus sis erga indigentes, magnus eris apud Deum.

Si vous êtes bienfaisant envers les indigents, vous serez grand aux yeux de Dieu.[42]

46

Sapiens vir, cujus viventis quidem parva est apud homines opinio, defuncti vero gloria prædicatur.

Le sage, qui pendant la vie a été mal jugé des hommes, reçoit des éloges glorieux après sa mort.

47

Omne tempus, quo de Deo non cogitas, hoc puta te perdidisse.

Regardez comme perdu tout le temps où vous n'avez pas pensé à Dieu.[43]

48

Corpus quidem tuum incedat in terra, anima autem semper sit apud Deum.

Que votre corps agisse sur la terre, mais que votre âme soit toujours en présence de Dieu.

49

Intellige quæ sint bona, ut bene agas.

Apprenez à connaître en quoi consiste le bien, afin de bien agir.

50

Bona cogitatio hominis Deum non latet, et ideo cogitatio tua pura sit ab omni malo.

Les bonnes pensées sont connues de Dieu; que votre pensée soit donc pure de tout mal.[44]

51

Dignus esto eo qui te dignatus est filium di-cere, et age omnia ut filius Dei.

Soyez digne de celui qui a daigné vous donner le titre de fils, et conduisez-vous ainsi qu'il convient au fils de Dieu.[45]

52

Quod Deum patrem vocas, hujus in actioni-bus tuis memor esto.

Rappelez-vous dans toutes vos actions que vous donnez à Dieu le nom de père.

53

Vir castus et sine peccato potestatem accepit a Deo esse filius Dei.

L'homme chaste et sans péché a reçu de Dieu le droit d'être appelé son fils.[46]

54

Bona mens chorus est Dei.

Un esprit droit est en harmonie avec Dieu.

55

Mala mens chorus est dæmonum malorum.

Un esprit pervers est en harmonie avec les mauvais démons.

56

Injustum si inhibeas agens injuste, hoc est secundum Deum punire.

Empêcher l'homme injuste de commettre une injustice, c'est le punir selon la volonté de Dieu.

57

Satage non videri, sed esse justus : certum est enim non esse eum, qui videri vult esse.

Faites vos efforts, non pour paraître juste, mais pour l'être; car il est certain que celui qui cherche à le paraître ne l'est point.[47]

58

Honora quod justum est, propter hoc ipsum quod justum est.

Honorez ce qui est juste, par cela seul que cela est juste.

59

Nequaquam latebis Deum agens injuste, sed ne cogitans quidem.

Non-seulement vous n'échapperez pas aux regards de Dieu lorsque vous agirez, mais même lorsque vous penserez avec injustice.

60

Vir sapiens castus erit Deo.

Le sage est chaste devant Dieu.[48]

61

Omnem spurcitiem fuge.

Fuyez toute souillure.

62

Semper de bonis loqui stude.

Etudiez-vous à ne parler que de choses honnêtes.

63

Libidinem vince, continens corpus in omnibus, quia ex deliciis et voluptatibus non effugies spurcitiem.

Surmontez la volupté et ayez de la continence en toutes choses; car vous n'éviterez pas la souillure qui est la suite d'une vie molle et voluptueuse.

64

Voluptuosum Deus non exaudit.

Dieu n'exauce point l'homme adonné au plaisir.

65

Deliciarum finis corruptio.

Les délices engendrent la corruption.[49]

66

Non verbum, sed ratio præcedat actus tuos.

Que vos actes soient précédés par le raisonnement et non par les paroles.

67

Perniciosum est servrire vitiis, quia quot vitia habet anima tot et dominos.

Il est funeste d'être dominé par le vice, car chaque vice est un maître qui nous commande.

68

Amor pecuniæ amorem carnalium indicat.

L'amour des richesses dénote l'amour pour les choses charnelles.[50]

69

Acquire possessionem animæ firmam, vir-tutem. Quid est firma possessio, nisi virtus aut vis animæ?

Acquérez la vertu comme le solide soutien de votre âme. En quoi consiste ce ferme soutien, si ce n'est dans la vertu et dans la force d'âme.

70

Renuncia rebus corporis, dum adhuc potes, et quantum potes.

Renoncez aux choses corporelles tandis que vous le pouvez, et autant qu'il est en vous.[51]

71

Hoc solum tuum ducito quod bonum est.

Ne considérez comme vous appartenant que ce qui est bien.

72

Qualis vis esse dum Deum oras, talis semper esto.

Maintenez-vous habituellement dans la disposition où vous êtes lorsque vous priez Dieu.

73

Dum optima quæque abjeceris prædia, tum purificatus pete quod vis a Deo.

Lorsque vous aurez renoncé à vos richesses, alors étant purifié, demandez à Dieu ce que vous voudrez.

74

Lingua maliloqua indicium est mentis male.

Une langue médisante est l'indice d'un mauvais esprit.

75

Insuesce linguam tuam bene proloqui, et maxime cum de Deo fit sermo.

Habituez votre langue à bien parler, surtout lorsque vous parlez de Dieu.

76

Nocere Deo nemo potest.

Personne ne saurait nuire à Dieu.[52]

77

Impius, in Deo maledicus, et infestus et contumeliosus est.

L'impie qui médit de Dieu l'offense et l'outrage.

78

Fundamentum pietatis est continentia : culmen autem pietatis, amor Dei.

La continence est le fondement de la piété ; et le plus haut degré de perfection de la piété est l'amour de Dieu.

79

Pium hominem habeto tanquam te ipsum.

Considérez l'homme pieux comme vous-même.

80

Opta tibi evenire, non quod optas, sed quod expedit.

Désirez qu'il vous arrive, non ce que vous voudriez, mais ce qui vous importe.

81

Qualem vis esse proximum tuum tibi, talis esto et tu tuis proximis.

Soyez envers les autres ce que vous voudriez qu'ils fussent envers vous.[53]

82

Quæ culpes, facere noli.

Ne faites pas ce que vous blâmez.

83

Nulli suadenti acquiescas petere quod non est bonum.

N'accordez à personne, malgré ses sollicitations', ce que vous jugez ne pas être bien.

84

Quos Deus tibi dat, nullus aufere potest.

Nul ne peut vous enlever ce que Dieu vous donne.[54]

85

Delibera priusquam agas, et antequam agas provide quale sit quod facturas.

Délibérez avant d'agir, et prévoyez ce que vous allez faire.

86

Si quid non vis scire Deum, istud nec agas, nec cogites.

Ne pensez ni ne faites ce que vous ne voulez pas que Dieu sache.

87

Priusquam agas quodcumque agis, cogita Deum, ut lux ejus præcedat actus tuos.

Avant d'agir en quoi que ce soit, pensez à Dieu, afin qu'à l'avance sa lumière précède vos actes.[55]

88

Grandis impietas in Deum affligere hominem.

C'est commettre une grande impiété envers Dieu, que de faire du mal à un homme.[56]

89

Anima illustratur recordatione Dei.

L'âme s'éclaire en pensant à Dieu.

90

Contentus esse mediocribus stude.

Apprenez à vous contenter de peu.[57]

91

Noli omnia concupiscere.

Ne portez pas vos désirs sur toutes choses.

92

Occasiones donorum perquire, etiam cum labore.

Cherchez l'occasion d'exercer la générosité, fallût-il prendre de la peine pour cela.[58]

93

Noli diligere ea quæ corporis sunt.

Ne vous attachez pas aux choses corporelles.[59]

94

Immundum hominem facit actus turpis.

L'homme devient immonde par un acte honteux.

95

Purgatur anima insipientis, cum arguitur intrinsecus latens sensus ejus.

L'âme de l'insensé devient meilleure lorsqu'il éprouve des reproches en lui-même.

96

Deus in bonis actibus hominibus dux est.

Dieu dirige les hommes dans leurs bonnes actions.[60]

97

Neminem inimicum deputes.

Ne considérez personne comme votre ennemi.[61]

98

Dilige omne quod.ejusdem tecum naturæ est ; Deum vero plus quam animam dilige.

Chérissez tout ce qui participe à votre nature ; mais aimez Dieu plus que votre âme.[62]

99

Pessimum est peccatoribus in unum convenire cum peccant.

Il est très mal de la part des méchants de se réunir pour mal faire.

100

Multi cibi impediunt castitatem, et incontinentia ciborum immundum facit hominem.

L'excès des aliments met obstacle à la chasteté et rend l'homme immonde.[63]

101

Animantium omnium usus quidem in cibis indifferens, abstinere vero rationabilius est.

Il est indifférent de se nourrir avec la chair des animaux de toute espèce; il est cependant plus raisonnable de s'en abstenir.

102

Non cibi qui per os inferuntur polluunt hominem, sed ea quæ ex malis actibus proferuntur.

Ce ne sont pas les aliments qui entrent dans l'estomac qui souillent l'homme, mais les suites des mauvaises actions.[64]

103

Quicquid cupiditate victus acceperis, polluit.

Tout ce qu'on reçoit par cupidité imprime une souillure.

104

Multitudini placere ne satagas.

Ne cherchez pas à plaire à la multitude.[65]

105

In omni quod bene agis, auctorem esse deputa Deum.

Pensez que Dieu est l'auteur de tout ce que vous faites de bien.[66]

106

Mali nulluis auctor est Deus.

Dieu n'est l'auteur d'aucun mal.[67]

107

Non amplius possideas quam usus corporis poscit.

Ne possédez pas au-delà des besoins du corps.[68]

108

Aurum non eripit animam e malis.

L'or ne met pas l’âme à l'abri des maux.

109

In deliciis corporis positus, certum est quod ignores illa quæ preparata sint tibi a Deo.

Il est certain que, placé au milieu des jouissances corporelles, vous ignorez ce que Dieu vous a préparé.[69]

110

Ea posside quæ nullus possit auferre a te.

Possédez ce que nul ne peut vous enlever.[70]

111

Fer quod necesse est, sicut necesse est.

Souffrez ce qui est nécessaire, et comme cela est nécessaire.

112

Magnanimus esse stude.

Appliquez-vous à être magnanime.[71]

113

Ea quæ contemnes, si recte laudaris, ne retineas. In quibus probabiliter magnificus eris, hæc obtine.

Rejetez les éloges qu'on vous donne sur des choses que vous méprisez ; acceptez ceux que vous aurez probablement mérités par l'élévation de votre caractère.

114

Hæc posce a Deo, quæ dignum est præstare Deum.

Demandez à Dieu ce qu'il peut vous accorder.[72]

115

Ratio quæ in te est, vitæ tuæ lux est.

La raison qui est en vous est le flambeau de votre vie.

116

Ea pete a Deo, quæ accipere ab homine non potes.

Demandez à Dieu ce que les hommes ne peuvent vous donner.

117

In quibus præcedere debet labor, hæc tibi opta evenire post laborem.

Ne désirez d'obtenir qu'après le travail ce qui doit être le résultat du travail.

118

Oratio vel vota pigri sermo vanus.

Les prières et les vœux du paresseux, sont de vaines paroles.

119

Non oportet contemnere ea quibus etiam post dispositionem corporis egemus.

Il ne faut pas mépriser les choses qui nous sont nécessaires, d'après la nature de notre corps.

120

Non petas a Deo id quod, cum habueris, non perpetuo obtinebis.

Ne demandez pas à Dieu ce que vous ne pouvez toujours conserver après l'avoir obtenu.[73]

121

Insuesce animam tuam aliquid magnum de se sentire post Deum.

Accoutumez votre âme à se considérer comme quelque chose d'élevé après Dieu.

122

Nil pretiosum ducas, quod auferre a te possit homo malus.

Ne considérez comme précieux rien de ce que peut vous enlever la méchant.

123

Hoc solum bonum putato quod Deo dignum est.

Ne considérez comme un bien que ce qui est digne de Dieu.

124

Quod Deo dignum est, hoc et viro bono.

Ce qui est digne de Dieu l'est aussi de l'homme de bien.

125

Quicquid non convenit ad beatitudinem Dei, non conveniat homini Dei.

Ce qui ne convient pas au bonheur de Dieu ne doit pas convenir à l'homme de Dieu.

126

Ea debes velle, quæ et Deus vult.

Vous devez vouloir ce que Dieu veut.

127

Filius Dei est qui hæc sola pretiosa ducit quæ et Deus.

Celui-là est fils de Dieu, qui n'estime que ce que Dieu considère.

128

Donec in desideriis est caro, anima ignorat Deum.

Tant que la chair est livrée aux désirs, l'âme ignore Dieu.

129

Cupiditas possidendi origo avaritiæ est.

Le désir de posséder engendre l'avarice.[74]

130

Ex sui ipsius amore injustitia nascitur.

L'injustice provient de l'amour de soi-même.[75]

131

Corpus animæ molestum non natura, sed peccatum fecit.

Ce n'est pas la nature mais le péché qui fait que le corps est pour l’âme un gênant fardeau.

132

Omne quod homini plus est quam necesse sit, inimicum ei est.

Tout ce qui dépasse le nécessaire est funeste à l'homme.[76]

133

Qui amat quod non expedit, non amabit quod expedit.

Celui qui aime une chose inutile, n'aimera pas les choses utiles.

134

Sapiens verbis innotescit paucis.

Le sage se fait connaître avec peu de paroles.[77]

135

Qui studet his quæ non bona, latebunt quæ sunt bona.

Celui qui se livre aux mauvaises choses, ne parviendra pas à la connaissance de ce qui est bien.

136

Semper apud Deum est mens sapientis.

L'esprit du sage est toujours dirigé vers Dieu.[78]

137

Sapientis mentem Deus inhabitat.

Dieu habite dans l'esprit du sage.[79]

138

Inexplebilis est omnis cupiditas, propterea et semper indiget.

Tout désir est insatiable ; c'est pourquoi il a toujours besoin d'être satisfait.

139

Sapiens semper similis est sibi.

Le sage est toujours conséquent avec lui-même.

140

Sufficit ad beatitudinem agnitio Dei solius et imitatio.

Il suffit, pour être heureux, de connaître Dieu et de l'imiter.[80]

141

Malis qui adulatur, pejores eos facit.

Celui qui flatte les méchants les rend encore plus méchants.[81]

142

Intolerabilis fit malitia cum laudatur.

La malice devient intolérable lorsqu'on la loue.

143

Lingua tua sensum tuum sequatur.

Que vos paroles soient l'expression de votre pensée.[82]

144

Melius est lapidem frustra jactare, quam verbum. Delibera antequam dicas, ne quæ non opportet dicas. Verba sine sensu opprobria.

Il vaut mieux jeter une pierre au hasard qu'une parole. Réfléchissez avant de parler, afin de ne rien dire d'inutile. Il est honteux de proférer des mots vides de sens.

145

Verbositas non effugiet peccatum.

Celui qui parle beaucoup tombe dans le péché.

146

Brevis est in sermonibus sapiens.

Le sage est bref dans ses discours.

147

Judicium imperitiæ longa narratio.

De longs discours dénotent la sottise.

148

Veritatem dilige.

Aimez la vérité.[83]

149

Mendacio tanquam veneno utere.

Servez-vous du mensonge comme vous vous serviriez d'un poison.

150

Ante omnia, tempus verbis tuis requirito.

Sur toutes choses, prenez du temps avant de parler.

151

Tum loquere, quandp tacere non expedit.

Parlez lorsque le silence ne convient pas.

152

De quibus ignoras, tace ; de quibus autem certus es, loquere opportune.

Gardez le silence sur les choses que vous ignorez ; parlez à propos sur celles que vous savez.[84]

153

Sermo extra tempus, indicium malitiosæ mentis est.

Les discours intempestifs dénotent un esprit méchant.

154

In conventu ne satagas primum dicere.

Ne cherchez pas à parler le premier dans les assemblées.

155

Melius est vinci vera dicentem, quamvin-cere mentientem.

Il vaut mieux être vaincu en disant la vérité, que de triompher par le mensonge.[85]

156

Fides actus tuos omnes præcedat.

Celui qui parle beaucoup tombe dans le péché.

157

Sapientia animam perducit ad Deum.

Le sage est bref dans ses discours.

158

Nihil tam vernaculum sapientiæ, quam Veritas.

Rien n'est plus naturel à la sagesse que la vérité.[86]

159

Nunquam potest anima bona mendacium diligere.

Une belle âme ne peut jamais se complaire dans le mensonge.[87]

160

Pravo et pessimo ingenio fides aliena est.

La bonne foi est étrangère à un esprit méchant et corrompu.[88]

161

Fidelis homo audire quæ oportet amat magis, quam dicere quæ non oportet.

Un homme fidèle aime mieux écouter ce qui convient, que de dire ce qui est inconvenant.

162

Vir libidinosus ad omnia inutilis est.

Un homme livré à ses passions n'est propre à rien.

163

Irreprehensibilis in verbis utitur Deo.

Celui qui est irrépréhensible dans ses discours jouit de la bonté de Dieu.

164

Peccata discentium opprobria sunt doctorum.

Les fautes des élèves sont l'opprobre des maîtres.[89]

165

Mortui sunt apud Deum, per quos nomen Dei maledicetur.

Ceux qui, médisent de Dieu sont, à ses yeux, comme s'ils n'existaient pas.

166

Sapiens homo beneficus post Deum.

Le sage est, après Dieu, celui qui est le plus bienfaisant.[90]

167

Sermones tui vitam tuam commendent auditoribus.

Que vos discours soient la confirmation de votre vie auprès de ceux qui vous, entendent.[91]

168

Quod fieri non decet neque in suspicionem veniat quasi id feceris.

Qu'on ne soupçonne même pas que vous puissiez faire ce qui n'est pas convenable.

169

Quod pati non vis ab alio neque id facias.

Ne faites pas ce que vous ne voudriez pas qu'un autre vous fit.[92]

170

Quæ tibi facere est turpe, hæc et aliis im-perare facienda turpissimum est.

Il est honteux de commander aux autres ce que vous ne pouvez "faire vous-même sans honte.

171

Etiam in cogitationibus tuis mundus esto a peccato.

Soyez exempt de péché, même dans vos pensées.[93]

172

Cum præes hominibus, memento quod et tibi præest Deus.

Lorsque vous êtes élevé au-dessus des hommes, souvenez-vous que Dieu est au-dessus de vous.[94]

173

Vindictam exercens, scito quia et judiceris a Deo.

Prêt à vous venger, pensez que Dieu vous jugera.[95]

174

Majus est periculum judicantis quam, ejus qui judicatur.

Le juge court un plus grand danger que celui qui est soumis à son jugement.[96]

175

Levius est omne vulnus quam verbum.

Une blessure est moins grave qu'une parole.

176

Possibile est verbo fallere homines, non autem Deum.

On peut tromper les hommes par ses paroles, mais non pas Dieu.

177

Non putes malum, si tu cum veritatem scias, culparis in verbo.

Ne croyez pas mal faire si, connaissant la vérité, vous vous trompez en voulant l'énoncer.

178

Male sentire de fide amor jactantiæ facit.

Le désir de se vanter nous éloigne de la vérité.[97]

179

Fidelis esse magis quam videri stude.

Cherchez plutôt à être probe qu'à le paraître.[98]

180

Cole sapientem virum tanquam imaginent Dei viventis.

Honorez le sage comme l'image de la divinité.[99]

181

Sapiens vir, etiamsi nudus sit, sapiens apud te habeatur.

Que le sage, fût-il dénué de tout, soit considéré par vous conformément à son caractère.

182

Neminem propterea magni æstimes, quod pecunia divitiisque abundet.

N'accordez pas une plus grande estime à l'homme, par cela seul qu'il possède de plus grandes richesses.[100]

183

Difficile est divitem salvari.

Il est difficile pour un riche de se sauver.[101]

184

Derogare viro sapieriti ac Deo, æquale ducito peccatum.

Considérez que c'est commettre un péché égal de manquer au sage ou à Dieu.

185

Verbum de Deo loquens, depositum te putato accepisse animas.

Pensez que vous avez reçu les âmes des hommes en dépôt, lorsque vous leur parlez de Dieu.

186

Quod bonum est, hoc solum te decere puta.

Croyez que rien ne vous convient que ce qui est bien.

187

Age magna, non magna pollicens.

Faites de grandes choses sans les promettre.

188

Non eris sapiens, si te reputaveris sapientem.

Vous ne serez pas sage, si vous pensez l'être.[102]

189

Non potest bene vivere, qui non integre credit.

Celui dont la foi n'est pas entière ne peut bien vivre.[103]

190

In tribulationibus quis sit fidelis agnoscitur.

On reconnaît dans le malheur quels sont les vrais fidèles.

191

Finem vitæ existima vivere secundum Deum.

Pensez que le but final de la vie est de vivre conformément à Dieu.[104]

192

Nihil putes malum quod non sit turpe.

Considérez comme un mal tout ce qui est honteux.

193

Mali finis injuria, injuriæ autem perditio.

L'injure est le résultat du mal, et la perdition le résultat de l'injure.

194

Non dominatur mala affectio in mente fidelis.

L'homme fidèle à Dieu n'est pas dominé par de mauvais sentiments.

195

Omnis mala affectio animi rationi est inimica.

Tout mauvais sentiment est ennemi de la raison.

196

Quicquid feceris animo male affecto, pœnitebis.

Toute action faite par un mauvais sentiment donne lieu au repentir.

197

Affectiones pravæ ægritudinum initia.

Les mauvais sentiments sont les précurseurs de sensations pénibles.

198

Malitia est ægritudo animæ.

La méchanceté est une maladie de l’âme.

199

Animæ autem. mors injustitia et impietas.

L'injustice et l'impiété sont la mort de l’âme.[105]

200

Tunc te putabo fidelem, cum passionibus animæ carueris.

Ne croyez être fidèle à Dieu que lorsque vous aurez imposé silence à vos passions.[106]

201

Omnibus hominibus ita utere, quasi com-munis omnium post Deum curator.

Agissez envers les hommes comme si, après Dieu, vous étiez chargé de leurs intérêts.[107]

202

Qui hominibus male utitur, se ipso male utitur.

Celui qui agit mal envers les hommes, se nuit à lui-même.

203

Qui nihil male vult fidelis est.

Celui-là est fidèle qui ne veut rien de mal.

204

Opta ut bene possis facere inimicis.

Désirez de pouvoir faire du bien à vos ennemis.[108]

205

Sine Deo non poteris vivere Deo.

Sans Dieu, vous ne pouvez pas vivre en Dieu.[109]

206

Malis ineptus videtur vir sapiens.

Le sage parait insensé aux méchants.

207

Omnia sufferto pro eo ut secundum Deum vivas.

Souffrez tout en vue de Dieu, afin de vivre selon sa volonté.[110]

208

Orationem Deus non exaudit hominis qui egenum non exaudit!

Dieu n'exauce pas la prière de celui qui repousse celle du pauvre.[111]

209

Sapientia sapienti donum a Deo.

La sagesse est un don de Dieu.

210

Honorans sapientem, te ipsum honorabis.

Vous vous honorez vous-même en honorant le sage.

211

Fidelem te esse nosce.

Voyez si vous êtes fidèle à Dieu.[112]

212

Cum filium te quis Dei dicet, memento cujus te filium dicat.

Lorsqu'on vous dit que vous êtes le fils de Dieu, pensez quel est votre père.

213

Deum patrem invocans in ætibus, hoc recordare.

Souvenez-vous décela en invoquant Dieu votre père.

214

Verba tua pietate semper plena sint.

Que vos discours soient toujours remplis de piété.

215

In actibus tuis ante oculos pone Deum.

Que Dieu vous soit présent dans toutes vos actions.[113]

216

Nefas est Deum patrem invocare et aliquid inhonestum agere.

C'est un crime d'invoquer Dieu notre père et de commettre un acte déshonnête.

217

Qui non diligit sapientem nec se ipsum diligit.

Celui qui n'aime pas le sage ne s'aime pas lui-même.

218

Nulla propria possessio putatur sapientis.

Le sage croit n'avoir rien en propre.[114]

219

Quorum communis est Deus idemque pater, hi nisi auxilia et opem in commune conferant, impii sunt.

Ceux-là sont des impies, qui, reconnaissant Dieu comme leur père commun, ne se prêtent pas aide et secours.[115]

220

Deo ingratus est qui non magni ducit sapientem.

Celui-là est ingrat envers Dieu, qui n'accorde pas toute son estime au sage.

221

Conjugium tibi refutare concessum est, idcirco vivas indesinenter adhærens Deo. Si autem, tanquam prælium sciens, tamen pugnare vis, et uxorem duc, et filios procrea.

Il vous est permis de renoncer au mariage, c'est pour cela que votre vie doit être entièrement consacrée à Dieu. Si cependant, connaissant les difficultés, vous êtes prêt à les combattre, épousez une femme et engendrez des enfants.[116]

222

Adulter est in suam uxorem omnis impudicus, amator ardentior.

Celui-là est adultère envers sa femme, qui a pour elle un amour excessif ou impudique.[117]

223

Nihil propter solam libidinem facias.

Ne faites rien pour satisfaire un plaisir désordonné.

224

Scito te adulterum esse, etiam si cogites de adulterio. Sed et de omni peccato eadem tibi sit ratio.

Sachez que la seule pensée de commettre un adultère vous en rend coupable. Considérez de même pour tout autre péché.[118]

225

Fidelem te esse professus, spopondisti pariter non peccare Deo.

Lorsque vous avez promis d'être fidèle à Dieu, vous avez également promis de ne pas pécher envers lui.[119]

226

Fideli mulieri ornatui ducatur pudicitia.

La pudeur est l'ornement d'une femme fidèle.

227

Vir qui uxorem dimittit, profitetur se nec mulierem gerere.

Celui qui répudie sa femme prouve qu'il n'a pas même la force de supporter une femme.

228

Mulier pudica gloria viri est.

La femme pudique est la gloire de son mari.

229

Reverentiam habens uxori, habebis cam reverentem.

Si vous avez du respect pour votre femme, elle en aura pour vous.

230

Fidelium conjugium certamen habeat con-tinentiæ.

Que des époux fidèles rivalisent de continence.[120]

231

Ut continueris ventrem, ita et venereos motus.

La sobriété dans le manger vous rendra sobre dans les plaisirs de l'amour.

232

Devita infidelium laudes.

Evitez les louanges des infidèles.

233

Quæ gratis accipis a Deo, præsta gratis.

Donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement de Dieu.[121]

234

Multitudinem fidelium non invenies. Rarum est enim omne quod bonum est.

Vous trouverez peu de fidèles; car tout ce qui est bon est rare.[122]

235

Sapientem honora post Deum.

Après Dieu, que le sage soit l'objet de votre vénération.

236

Cum argueris sapientem, diliget te.

Le sage aime celui qui le reprend.[123]

237

Qui sapienti non obtemperaverit, nec Deo obtemperabit.

Celui qui n'obéira pas au sage n'obéira pas à Dieu.

238

Fidelis volens esse, prœcipue quidem hoc nitere ne pecces : quod etiam si forte accident, saltem cave ne iteretur id ipsum.

Si vous voulez être fidèle, appliquez tous vos soins à ne pas pécher; mais si par hasard cela vous arrive, prenez au moins garde de ne pas récidiver.

239

Doctrinam quæ non est Deo digna ne dicas.

N'avancez pas une doctrine indigne de Dieu.

240

Multa velle scire, curiositas animi putanda est.

Vouloir connaître beaucoup de choses est le propre d'un esprit curieux.

241

Qui cognoscit quæ Deo digna sunt, ille sapiens est.

La sagesse consiste à connaître les choses dignes de Dieu.

242

Doctrinam ex qua proficere potes in amore Dei illam necessario expete.

Désirez avec ardeur de posséder la doctrine qui peut vous avancer dans l'amour de Dieu.

243

Sapiens vir parcit ne perdat tempus.

Le sage économise le temps, afin de ne point en perdre.[124]

244

Fiduciam cum verecundia habeto.

Ayez confiance avec circonspection.[125]

245

Excrutient te liberi male viventes, magis quam morientes.

Vous éprouverez une douleur plus vive de la mauvaise conduite de vos enfants que de leur mort même.

246

Filii infideles nec filii.

Des fils infidèles ne sont pas des fils.

247

Fidelis vir non ægre fert abjectionem libe-rorum.

Un père fidèle supporte avec douleur les désordres de ses enfants.

248

Vivere quidem non est in nobis, recte autem vivere in nobis est.

Il ne dépend pas de nous de vivre, mais nous pouvons bien vivre.

249

Non judices esse sapientiœ studiosum cui non de omnibus credis.

Ne regardez pas comme sage celui en qui vous n'oseriez pas vous confier en toutes choses.

250

Criminationes ad versus sapientiæ studiosum noli admittere.

Gardez-vous d'accueillir les faux rapports contre ceux qui s'adonnent à la sagesse.[126]

251

Stude communiter omnibus benefacere.

Appliquez-vous à faire généralement du bien à tout le monde.[127]

252

Execrabile tibi sit etiam juste aliquid punira.

Ayez horreur d'infliger une peine même justement.[128]

253

Si vis cum lætitia animi vivere, noli multa agere ; in multis enim actionibus minor eris.

Si vous voulez conserver la sérénité de votre esprit, gardez-vous de faire trop de choses; car vous aurez moins de succès dans un grand nombre d'entreprises.

254

Quod non posuisti ne tollas, sed sufficiant tibi quæ tua sunt.

Ne vous emparez pas de ce qui n'est pas à vous; ce qui vous appartient doit vous suffire.

255

Relinquens quæ possides, sequere verbum Dei; liber enim eris ab omnibus, cum Deo servieris.

Abandonnez ce que vous possédez, suivez la parole de Dieu; vous serez libre de toute chose lorsque vous servirez Dieu.[129]

256

Cessa a cibo.

Sachez vous modérer dans l'usage des aliments.

257

Ede citra satietatem.

Ne mangez pas jusqu'à satiété.

258

Omni homini impartito.

Faites une part égale à chacun.[130]

259

Pro reficiendo paupere etiam jejunare bonum est.

Il est bon même déjeuner afin d'alimenter le pauvre.[131]

260

Omne poculum tibi suave sit quod sitim extinguit.

Ne buvez avec plaisir que ce qui est nécessaire pour étancher votre soif.

261

Ebrietatem quasi insaniam fuge.

Fuyez l'ivrognerie comme une folie.

262

Homo qui a ventre vincitur, belluse similis est.

Celui qui se laisse dominer par la gourmandise est semblable aux animaux.[132]

263

Ex carne nihil oritur bonum.

Les appétits charnels ne procurent aucun bien.

264

Turpissimæ libidinis ea quidem quæ suavia sunt cito transeunt, proba vero perpetuo manent.

La jouissance qui provient des plaisirs honteux s'évanouit promptement, tandis que celle des plaisirs honnêtes n'a pas de terme.

265

Solent homines abscindere aliqua membrorum suorum pro sanitate reliquorum ; quando id præstantius pro pudicitia fiet.

On a coutume découper un membre pouf conserver les autres. Combien serait-il plus louable d'en agir ainsi pour conserver la chasteté.[133]

266

Grandem pœnam putato cum in desideriis obtinueris, nunquam enim sedat desiderium adeptio desideratorum.

Considérez comme un grand châtiment la satisfaction de vos désirs ; car jamais les désirs ne s'apaisent par la possession de la chose désirée.

267

Non est sapienter factum, in quo libertas aufertur.

Celui à qui on enlève la liberté ne peut agir avec sagesse.[134]

268

Bona habere omnes quidem optant, obtinent autem qui semet ipsos integre verbo Dei manciparunt.

Tous les hommes désirent de posséder des biens; mais on ne les obtient qu'après s'être rendu entièrement libre par la parole de Dieu.

269

Sapientiæ amator, honestus esto, et non obtrectator.

Soyez honnête homme, ami de la sagesse, et ne calomniez personne.

270

Rara sit objurgatio tua et opportuna.

Réprimandez rarement, et toujours à propos.

271

Nimius risus indicium est animi negligentis, ne ergo tantum tibi indulgeas ut risu diffluas.

Un rire excessif est l'indice d'un esprit léger; ne vous permettez donc pas un excès de ce genre.

272

Castorum vita sit tibi honestatis exemplum.

Prenez exemple sur la vie des personnes chastes.

273

Optimum quidem est non peccare, peccatum vero agnoscere quam ignorare melius est.

Il est très bon de ne point pécher, mais il vaut mieux reconnaître sa faute que de l'ignorer.

274

Jactans non est sapiens.

Celui qui se vante n'est point sage.

275

Magnam scito esse sapientiam, per quam ferre potes ineruditorum insipientiam.

Connaissez le prix de la sagesse qui vous fait supporter la sottise des ignorants.

276

Turpe ducito proprio ore laudari.

Regardez comme honteux de vous louer vous-même.

277

Sapientium animæ insatiabiles sunt in amore Dei.

L'âme du sage est insatiable de l'amour de Dieu.[135]

278

Exordium in agendo a Deo sume quæ agis.

Que Dieu soit le principe de toutes vos actions.

279

Ore autem prius Deum habeto et mente quam respires.

Que Dieu soit dans votre esprit et dans votre bouche avant que vous ne respiriez.

280

Ea quæ oportet discere et ita facere, ne coneris facere antequam discas.

Ne faites pas avant de les avoir apprises, les choses qu'il faut apprendre d'abord, et faire ensuite.

281

Carnem noli amare.

N'ayez pas d'affection pour les choses charnelles.

282

Animam bonam post Deum dilige.

Aimez après Dieu les hommes probes.[136]

283

Domesticorum indignationes ferre sapientis est.

Il appartient au sage de supporter les mauvais procédés des gens de sa maison.[137]

284

Sapientium divitiæ continentia.

La continence est la richesse des sages.

285

Si quid proprium aliis tradideris, at ipse non habebis, non judices bonum.

Ne regardez pas comme bon de donner aux autres ce qui vous manquera ensuite à vous-même.

286

Justa communio servanda.

Une communauté équitable doit être observée entre les hommes.[138]

287

Non dicas aliquod alio peccato levius.

Ne dites point qu'un péché est moins grave qu'un autre.

288

Sicut in benefactis laudari vis, ita in delictis patienter accipe si culperis.

Ainsi que vous aimez à être loué pour vos bonnes actions, souffrez de même patiemment qu'on vous blâme pour vos fautes.

289

Quorum laudes contemnis, eorum neque derogationes magni pendas.

N'attachez pas d'importance aux reproches de ceux dont vous méprisez les éloges.

290

Thesaurum quidem defodere in humanum est, inveritum auferre non est sapientis.

S'il n'est pas bien d'enfouir un trésor, il n'appartient pas au sage qui en a fait la découverte de s'en emparer.[139]

291

Quantum laboras pro corpore sitantum labores pro anima sapiens eris.

Vous serez un sage, si vous travaillez autant pour votre âme que vous travaillez pour votre corps.

292

Sapiens non est qui nocet.

Celui qui nuit n'est pas sage.

293

Ad omnia quæ agis, Deum invoca testem.

Prenez Dieu à témoin dans tout ce que vous faites.

294

Deus bonos actus hominum confirmat.

Dieu approuve les bonnes actions des hommes.

295

Malorum actuum malus dæmon dux est.

Un mauvais démon dirige les mauvaises actions.

296

Sapiens vir Deum hominibus commendat.

Le sage apprend aux hommes, à connaître Dieu.[140]

297

Deus super omnia opera sua, plus super sapientem gloriatur.

Dieu se glorifie de toutes ses œuvres, mais principalement du sage.

298

Nihil tale post Deum verum sicut sapiens.

Après Dieu, il n'y a rien de tel que le sage.

299

Quœcumque Deus possidet hœc et sapiens.

Le sage possède tout ce que Dieu possède.

300

Malus vir non putat esse Providentiam.

Le méchant ne croit pas à la Providence.

301

Anima mala Deum fugit.

L'âme pervertie s'éloigne de Dieu.

302

Omne quod malum est Deo inimicum est.

Tout ce qui est ennemi de Dieu, est mal.

303

Qui sapit in te, hunc dicito esse hominem.

Considérez comme vraiment homme, celui qui vous enseigne la sagesse.

304

Particeps Dei est vir sapiens.

Le sage participe de Dieu.

305

Ubi est quod sapit in te ibi est et bonum.

Le bien qui se trouve en vous provient de la sagesse.

306

Bonum in carne non quæras.

Ne cherchez pas le bien dans les choses charnelles.

307

Quod animæ non nocet, nec homini.

Ce qui ne nuit pas à l’âme, ne nuit pas à l'bomme.

308

Sapientem hominem tanquam Dei ministrum honora post Deum.

Après Dieu, honorez le sage comme son ministre.

309

Tabernaculum quidem corporis graviter ferre superbum est.

Il y a de l'orgueil à supporter avec peine notre existence corporelle.[141]

310

Deponere autem posse, cum oportuerit, in pace, beatum est.

Mais il est heureux de savoir déposer tranquillement la vie lorsqu'il le faut.

311

Mortis quidem ipse tibi causa non fias.

Ne soyez pas vous même la cause de votre mort.[142]

312

Si quis autem vult te corpore exuere, ne indigneris.

Si l'on veut vous arracher la vie ne vous indignez pas.

313

Sapientem si quis de corpore extradat injuste, in iniquitate sua beneficium ei præstat, absolvitur enim tanquam e vinculis.

Celui qui donne la mort injustement au sage, lui rend un service par cet acte inique, car il le délivre des liens dont il était chargé.

314

Hominem metus mortis contristat pro im-peritia animæ.

La crainte de la mort contriste l'homme en raison de l'ignorance de son âme.[143]

315

Ferrum quo homines interimuntur optimum fuerat non fieri, factum tamen apud te non sit.

Il eût été à désirer qu'on n'eût jamais découvert un fer homicide, mais quoiqu'il existe, n'en fais jamais usage.[144]

316

Nulla simulatio multo tempore latebit, maxime in fine.

Toute dissimulation ne peut être longtemps cachée; elle se découvre à la longue.

317

Ut sunt mores tui, talis et vita tua : mores enim religiosi faciunt vitam beatam.

Votre vie correspondra à vos mœurs : de saintes mœurs font la vie heureuse.

318

Qui cogitat adversus alium mala ipsa præ-veniens ipse perfert mala.

Celui qui pense à faire du mal aux autres, recevra le mal qu'il prémédite.

319

Ne te impediat a benefaciendo homo ingratus.

Que l'ingrat ne vous empêche pas de faire du bien.[145]

320

Optime facultatibus utitur is qui indigentibus libenter tribuit.

Celui-là fait un bon usage de ses biens, qui les distribue généreusement aux indigents.[146]

321

Fratrem volentem a fide recedere hortare nefaciat, et si insanabilis sit, magis observa.

Si votre frère veut abandonner la foi, exhortez-le à ne point le faire; et si vous ne pouvez le convaincre, observez-le avec plus de soin.

322

In fide conare omnes homines vincere.

Efforcez-vous de surpasser tous les hommes dans la foi.

323

Intellectum non prius habebis quam intellexeris te habere.

Vous n'aurez de l'intelligence que lorsque vous aurez compris que vous en avez.

324

Stude tua sorte contentus esse.

Apprenez à vous contenter de votre sort.

325

Membra corporis sarcina sunt iis qui eis non utuntur.

Les membres du corps sont un fardeau pour ceux qui ne s'en servent pas.

326

Ministrare aliis melius est quam ab aliis ministrari.

Il vaut mieux rendre service aux autres que d'avoir besoin de leurs services.

327

Quem Deus non emittit e corpore, ne graviter ferat.

Que celui que Dieu laisse dans ce monde n'en soit pas contristé.

328

Sententiam quæ misericordiam vetat non solum non tenere sed audire refuge.

Abstenez-vous, non-seulement de rendre une sentence qui ne soit pas dictée par la clémence, mais refusez même de l'entendre prononcer.[147]

329

Qui dat aliquid et imputat, contumeliam magis quam beneficium dedit.

Celui qui, après avoir fait un don s'en prévaut, inflige plutôt une humiliation qu'il ne rend un service.[148]

330

Qui tuetur pupillos, erit multorum filiorum, secundum Deum, pater.

Celui qui prend soin des orphelins sera, selon Dieu, le père d'une nombreuse famille.[149]

331

Quicquid egeris causa gloriee, merces facti tui erit.

La gloire sera la récompense de tout ce que vous ferez pour la gloire.[150]

332

Si quid dederis ut hominibus innotescas, non homini sed propriæ libidini præstitisti.

Si vous faites des libéralités pour qu'elles parviennent à la connaissance des hommes, vous n'avez pas servi l'humanité, mais seulement votre propre passion.

333

Iracundiam multitudinis ne provoces in te.

Ne suscitez pas contre vous la colère de la multitude.

334

Disce quod oportet fieri ut beatus fias.

Apprenez ce qu'il faut faire pour devenir heureux.

335

Melius est fame mori quam per inconti-nentiam ventris maculare animam.

Il vaut mieux mourir de faim que de souiller son âme par un usage immodéré d'aliments.[151]

336

Vestimentum esse putato anima? corpus tuum, mundum igitur id conserva.

Pensez que votre corps est le vêtement de votre âme; conservez-le donc dans sa pureté.

337

Qualia studia gesserit anima corpus inha-bitans, tales habebit testes in judicio.

Les affections de l’âme pendant son séjour dans le corps, sont les témoins qui déposeront pour elle au jour du jugement.

338

Immundam animam sibi dœmones immundi vendicant.

Les démons immondes revendiquent pour eux lésâmes immondes.[152]

339

Fidelem animam et bonam in via Dei mali dæmones non impediunt.

Les mauvais démons n'empêchent pas une âme fidèle et pure de marcher dans la voie de Dieu.

340

Verbum de Duo non omni homini committas.

Ne confiez pas la parole de Dieu à toute per sonne.[153]

341

Non est tutum audire de Deo homines vanæ gloriæ jactantia corruptos.

Il est dangereux d'entendre parler de Dieu à des hommes corrompus, orgueilleux et enflés d'une vaine gloire.

342

De Deo etiam quæ vera sunt loqui periculum est et non parvum.

C'est un danger même assez grave, que déparier des vérités concernant Dieu.

343

De Deo nihil dicas quod non didiceris a Deo : vel ei qui non credit de Deo nihil loquaris.

Ne dites rien de Dieu que ce qu'il vous a appris ; n'en parlez pas à celui qui le nie.[154]

344

Verbum verum ut Deum honora.

Honorez la parole de Dieu ou le Verbe comme Dieu lui-même.[155]

345

Si immunis non es a flagitiosis operibus, de Deo nihil disceptes.

Ne dissertez pas sur Dieu si vous n'êtes pur de toute œuvre criminelle.

346

Sermo verus de Deo sermo Dei est.

Tout ce qui se dit de vrai sur Dieu provient de Dieu même.[156]

347

Si scis quod acceptum habent de te, quod diligis Deum, hi qui te audiunt, tunc eis loquere de Deo.

Si vous reconnaissez que ceux qui vous écoutent reçoivent favorablement vos paroles, dans la persuasion que vous aimez Dieu, parlez-leur de Dieu.

348

Opera charitatis Dei procedant abs te, et tunc sermonem facito de Deo.

Que les œuvres d'amour envers Dieu viennent de vous, et alors parlez de Dieu.[157]

349

In multitudine dicere de Deo non audeas.

Craignez de parler de Dieu devant la multitude.

350

Verbum de Deo parcius proferto quam de anima. Melius est animam perdere quam verbum vanum de Deo proferre.

Parlez de Dieu avec plus de circonspection que de l’âme. Il vaut mieux perdre son âme que de proférer une vaine parole sur Dieu.

351

Viri amantis Deum corporis potestatem habet leo et tyrannus similiter.

Un lion, ainsi qu'un tyran, sont maîtres du corps de celui qui aime Dieu.

352

Cum tibi minatur tyrannus cujus sis tunc memor maxime esto.

Lorsqu'un tyran vous menace, rappelez-vous alors à qui vous appartenez.[158]

353

Verbum de Deo reticere præstat magis quam temere proferre.

Il vaut mieux ne point parler de Dieu que d'en parler témérairement.

354

Quidicit de Deo quæ nonsunt, contra eum falsum loquitur.

Celui-là calomnie Dieu qui, en pariant de lui, dit des choses qui ne sont pas.

355

Deum non cognovit qui non colit.

Celui qui n'honore pas Dieu ne l'a jamais connu.

356

Non est verum quod Deum colat qui ho-minem lædit.

Il n'est pas vrai que celui-là aime Dieu qui nuit à l'homme.[159]

357

Fundamentum et initium est cultus Dei amare Dei homines.

Le fondement et le principe de l'amour de Dieu se trouvent dans l'amour des hommes.

358

Qui hominum curam gerit et orat Deum pro eis, iste vere a Deo esse putandus est.

Celui-là doit être réputé vraiment comme inspiré de Dieu, qui travaille pour les hommes et prie Dieu pour eux.[160]

359

Dei proprium est salvare quos dignos judicat.

Il appartient à Dieu de sauver ceux qu'il en trouve dignes.[161]

360

Cultoris autem Dei est orare Deum pro salute hominum.

Il est du devoir de l'homme religieux de prier pour le salut des hommes.[162]

361

Cum oranti tibi præstitum fuerit quod poposcisti a Deo, tunc tibi po testa tem permissam a Deo intellige.

Sachez que lorsque vous aurez obtenu de Dieu ce que vous lui avez demandé, c'est qu'il vous a communiqué sa puissance.

362

Dignus Deo homo, Deus est et in hominibus.

L'homme digne de Dieu est un Dieu parmi les hommes.[163]

363

Melius est nihil habere, quam multa ha-bentem nemini impertiri.

Mieux vaut ne rien posséder, que de ne rien donner à personne étant dans l'abondance.[164]

364

Si non das egenticum poscit, non accipies a Deo cum poposceris.

Si vous n'accordez rien à l'indigent qui demande, vous ne recevrez rien de Dieu lorsque vous lui adresserez des prières.

365

Qui ex animo dat cibum indigenti, parum quidem est quod dat, sed magna net ei bonæ voluntatis retributio.

Celui qui donne la nourriture à l'indigent recevra, quoiqu'il ait peu donné, une grande récompense pour sa bonne intention.[165]

366

Deum qui putat esse, et nihil ab eo curari, nihildiffert ab eo qui non credit esse Deum.

Celui qui croit que Dieu existe sans qu'il prenne soin de rien, ne diffère pas de l'athée.

367

Optime honorat Deum ille, qui mentem suam quantum fieri potest similem Deo facit.

Celui-là honore vraiment Dieu, qui rend, autant qu'il peut, son âme semblable à la divinité.[166]

368

Deus quidem nequaquam eget, lætatur tamen super bis qui indigentibus tribuunt.

Dieu n'a besoin de rien ; il voit cependant avec plaisir ceux qui secourent les indigents.[167]

369

Fidelium pauca sint verba, opera autem multa.

Que les fidèles parlent peu, mais qu'ils agissent beaucoup.

370

Fidelis qui libenter vult doceri operarius efficitur veritatis.

Le fidèle docile à l'enseignement devient l'artisan de la vérité.[168]

371

Præpara et apta te ad tribulationes et lætus eris.

Rends-toi capable de souffrir les tribulations, et tu seras heureux.

372

Neminem lædens, nullum timebis.

En n'offensant personne, tu ne craindras personne.

373

Tyrannus beatitudinem non aufert.

Le tyran ne peut ravir le bonheur.

374

Quod fieri necesse est voluntarie sacrificato.

Faites volontairement ce qu'il faut faire.

375

Quod non oportet fieri nullo modo facias.

Ne faites en aucune manière ce qui ne doit pas être fait.

376

Omnem magis causam refer ad Deum.

Rapportez principalement à Dieu toute chose.[169]

377

Nemo sapiens est qui deorsum respicit in terram.

Celui-là n'est pas sage qui tient les yeux attachés à la terre.

378

Immensa amatoris sapientiæ libertas non sit in homine sed in anima.

Ne faites pas consister la liberté du sage dans le corps, mais dans l'esprit.

379

Mentiri in vita decipere est et decipi.

Mentir, c'est tromper et être trompé dans le cours de la vie.

380

Quid sit Deus agnosce, et quid in te quod agnoscit Deum.

Apprenez ce qu'est Dieu, et quelle chose en vous peut le connaître.

381

Dei opus bonum, homo bonus.

Un bel ouvrage de Dieu, c'est l'homme de bien.[170]

382

Sine Deo sunt hi pro quibus verbum Dei maledicitur.

Ceux-là n'ont point de Dieu, qui attirent le mépris sur la parole de Dieu.

383

Animam mors non perdit sed mala vita.

Ce n'est pas la mort qui cause la perdition de l’âme, mais bien une mauvaise conduite.

384

Si scis a quo factus es, te ipsum agnoscis.

Connaître celui qui vous a fait, c'est vous connaître vous-même.[171]

385

Non est secundum Deum vivere, nisi pudice et bene et juste quis agat.

On ne vit selon Dieu qu'autant qu'on pratique la pudeur, le bien et la justice.

386

Hominum infidelium vita opprobrium est.

La vie des hommes infidèles à Dieu est un opprobre.

387

Animam de terra fides elevat ad Deum.

La foi élève l’âme de la terre jusqu'à Dieu.

388

Animæ sapientis magnitudinem non invenies sicut nec Dei quidem.

Vous ne pourrez mesurer la grandeur de l'âme du sage ni celle de Dieu.

389

Quæcumque dat mundus, nemo firmitor tenet.

Personne n'est certain de conserver ce que donne le monde.

390

Quæcumque dat Deus nemo auferre potest.

On ne peut nous ravir oc que Dieu nous donne.

391

Divina sapientia vera est scientia.

La sagesse divine est la vraie science.

392

Immundœ animæ ne audeas loqui de Deo.

Craignez de parler de Dieu à une âme corrompue.

393

Viri periculum in operibus primo sicut in verbis facito.

Apprenez à connaître un homme d'abord par ses œuvres, et ensuite par ses paroles.[172]

394

Aures tuas non omnibus committas.

Ne prêtez pas l'oreille à tout le monde.

395

Operari quidem Deo omnibus facile est, dicere autem de Deo soli justo permittendum.

Il est facile à chacun d'agir en vue de Dieu, mais il n'est permis qu'à l'homme juste d'en parler.

396

Non cruciet anima corpus tuum; neque animam tuam libido corporis.

Que votre âme ne tourmente pas votre corps ; et que les passions du corps ne dominent pas impérieusement sur votre âme.

397

Insuesce teipsum quidem corpori præbere quæ sua sunt caste, et animee quæ sua sunt pie.

Accoutumez-vous à n'accorder au corps que les choses dont il peut user chastement, et à l’âme que les choses dont elle peut user pieusement.

398

Pasce animam tuam verbo Dei, et corpus simplicibus cibis.

Nourrissez votre âme de la parole de Dieu, et votre corps à l'aide d'une nourriture simple et frugale.

399

Illis insuesce animam tuam gaudens in quibus recte gaudeat. Anima quæ iniquis rebus gaudet, indigna est apud Deum.

Accoutumez votre âme à se réjouir là où elle trouve un juste sujet de joie. l’âme qui se réjouit de choses illicites est indigne de Dieu.

400

Sapientis anima audit Deum, sapientis anima aptatur a Deo, sapientis anima est semper cum Deo.

L'âme du sage écoute Dieu, elle s'identifie avec lui, elle est sans cesse avec lui.

401

Cor diligentis Deum in manu Dei stabilitum est.

Le cœur de celui qui aime Dieu, est dans la main de Dieu.

402

Animæ ascensus ad Deum per Dei verbum est.

La parole de Dieu élève l’âme vers lui.

403

Sapiens sequitur Deum, et Deus animam sapientis.

Le sage suit Dieu, et Dieu accompagne l’âme du sage.

404

Gaudet rex super his quos regit, gaudet ergo Deus super sapientem. Inseparabilis est et ab his quos regit ille qui regit, ita ergo et Deus ab anima sapientis quam tuetur et regit.

Un roi se complaît dans ceux qu'il gouverne, de même Dieu se complaît dans le sage. Celui qui gouverne est inséparable de ceux auxquels il commande; il en est ainsi de Dieu envers l’âme du sage qu'il protège et dirige.

405

Regitur a Deo vir sapiens, et idcirco beatus est.

Le sage est dirigé par Dieu, et c'est pour cela qu'il est heureux.

406

Anima sapientis ac mens Deo probatur.

Dieu approuve l’âme et l'esprit du sage.

407

Sapiens vir cum tacet honorat Deum.

Le sage honore Dieu même par son silence.

408

Venerem et ea quæ sub alvo sunt non con-tinens nec fidelis. Homo incontinens polluit Deum.

L'homme incontinent et infidèle se livre aux plaisirs des sens, et il viole la loi divine.

409

Hominem scientia Dei paucis verbis uti facit.

La science de Dieu apprend à l'homme à user de peu de paroles.[173]

410

Multis verbis uti de Deo ignorantia Dei facit.

L'ignorance de Dieu fait que l'homme use de beaucoup de paroles envers Dieu.

411

Homo qui Dei cognitionem habet non multa ambitione utitur.

L'homme qui connaît Dieu met des bornes à son ambition.

412

Qui electus Dei est, facit quidem omnia secundum Deum, esse autem se ipsum non jactat.

L'élu de Dieu, agit conformément à la volonté de Dieu, et il ne rapporte rien à lui-même.[174]

413

Fidelis homo semper in metu est, usque quo eat ad Deum.

L'homme fidèle est dans la crainte, jusqu'à ce qu'il se réunisse à Dieu.[175]

414

Homo qui secundo satiatur cibo, non dormit noctu, nec concubitum effugit, sed nec dignus est apud Deum.

L'homme qui prend un second repas, dort mal la nuit et se livre aux plaisirs de l'amour, et il se rend ainsi indigne des faveurs du ciel.[176]

415

Alioquin et Deus graviter fert libidines corporis.

D'ailleurs, Dieu reprouve les plaisirs sensuels.

416

Fidelis vir continentia pascitur.

La continence est la règle de l'homme Adèle.

417

Sapientem fatum non facit, gratia enim Dei fato non subjacet.

Le destin ne forme pas les sages; car la grâce de Dieu est supérieure au destin.[177]

418

Agnosce qui sunt filii Dei in creaturis ejus, et honora unumquemque pro merito post Deum.

Reconnaissez quels sont les fils de Dieu parmi les hommes, et honorez chacun, après Dieu, selon son mérite.[178]

419

Nil proprium Dei dicas quod malum est.

N'attribuez rien à Dieu de ce qui est mal.

420

Fidelis anima et casta et sapiens propheta veritatis Dei est.

Une âme fidèle, chaste et sage, est l'organe de la vérité de Dieu.

421

Non amabis Dominum Deum nisi habueris in te aliquid simile Dei.

Vous n'aimerez point Dieu votre maître, si vous n'avez en vous quelque ressemblance avec lui.

422

Amicum deputa similem simili tantum modo.

N'estimez pour ami que celui qui vous ressemble.

423

Si non diligis Deum, non ibis ad Deum.

Si vous n'aimez pas Dieu, vous n'irez pas vers lui.

424

Consuesce teipsum semper respicere ad Deum.

Accoutumez-vous à ne jamais perdre Dieu de vue.

425

Intuendo Deum videbis Deum.

Si vous portez vos regards vers Dieu vous le verrez.

426

Videns Deum facies mentem tuam qualis est Deus.

En voyant Dieu, vous rendrez votre âme semblable à lui.

427

Excole quod intra te est, nec ei ex libidine corporis contumeliam facias.

Cultivez ce qui est au-dedans de vous-même, et ne l'avilissez pas par les voluptés corporelles.

428

Incontaminatum custodi corpus tuum, tan-quam si indumentum acceperis a Deo, et sicut vestimentum corporis immaculatum servare stude.

Conservez avec soin et sans tache votre corps, comme un vêtement immaculé que vous avez reçu de Dieu.

429

Sapiens mens speculum est Dei.

L'esprit du sage est un miroir qui reflète l'image de Dieu.


 

 

[1] De Vitis Philosophorum. Vid. Fabri. Bib. Graec., t. XIII, p. 645.

[2] Pline l. XVIII. clxviii.

[3] Sénèque, Lettre 59.

[4] Sénèque, Lettre 108.

[5] Sénèque, Lettre 64.

[6] Hieronym. contra Rufinum.

[7] Dacier. Traduct. de Platon, tom. I, p. 166.

[8] Clément d’Alexandrie, Stromates, l. I, ch. i.

[9] Confessions, l. III, ch. iv.

[10] Plutarque, Lequel est plus utile, du feu ou de l’eau, § 18.

[11] Plutarque, Des oracles rendus en vers, § 34.

[12] Sénèque, Des questions naturelles, l. VII, ch. xxxii.

[13] Justin Martyr, Apologie, 25.

[14] St Augustin, La cité de Dieu, l. I, ch. xii.

[15] Bergier, Dict. encycl. Maloé., au moi Christ.

[16] Chateaubriand, Gén. du Christ.

[17] Hiéroclès, Comm. sur les Vers dorés de Pythagore, v. 7, 8 et 9.

[18] Cyrill. Alexan. in cap. xiii, Joan.

[19] Hiéroclès, Comm. des Vers dorés de Pythagore, v. 28, 29 et 30.

[20] L'auteur désigne, par le mot fidèle, celui qui, croyant en Dieu, observe fidèlement sa loi. Aussi est-il dit dans les versets suivants, qu'il est l'homme de Dieu, parce qu'il se rend digne de lui, en .remplissant les devoirs qui lui sont prescrits par la volonté divine. Ainsi, d'après Sextius, celui qui n'observe pas la loi de Dieu est infidèle. Il diffère en cela des chrétiens, qui considèrent, dans chaque secte, comme fidèle, celui qui a reçu le baptême, lors même qu'il viole les préceptes de sa foi. Le vrai fidèle, d'après Sextius, est celui qui ne pèche pas; ou, comme il est dit ailleurs, celui qui n'est pas dominé par de mauvais sentiments ou qui impose silence à ses passions.

[21] Celui qui hésite dans l'observance des préceptes que Dieu nous a révélés par la loi naturelle, est infidèle à sa volonté. Son âme, cessant de remplir sa destination, en quelque sorte d'exister, lors même que le corps est vivant; car ainsi qu'il est dit au verset 398, c'est la fidélité qui détache l'âme de la terre pour l'élever à Dieu.

[22] Ce conseil est généralement trop négligé. La prudence nous dit qu'il n'y a rien d'indifférent dans la conduite de la vie, et que toutes nos actions doivent être précédées de la réflexion.

[23] Ce verset fait allusion à la continence; mais il doit être entendu dans un sens moins littéral que celui où saint Matthieu dit : Il y en a qui se sont rendus eunuques eux-mêmes, pour gagner le royaume des cieux.

[24] L'auteur reconnaît ici, comme dans plusieurs autres passages, l'immortalité de l'âme, ainsi que les peines ou les récompenses réservées aux hommes par les jugements de Dieu.

[25] La résignation aux injustices et le mépris pour les choses terrestres sont portés, dans cette maxime et dans la quatorzième, à un degré de perfection égal à celui qui est recommandé par les préceptes évangéliques. Nous ne devons résister que lorsqu'on veut nous enlever la liberté de conscience, qui n'est ni un bien terrestre, ni un présent des hommes, mais un don céleste; liberté, qui cependant n'a cessé d'être violée, soit directement ou indirectement, depuis que la religion chrétienne a été adoptée par les puissances temporelles.

[26] Le sage, qui méprise les richesses, est ici assimilé à Dieu; en effet, ce mépris nous dispose à la pratique de toutes les vertus : mépris qui cependant paraît presque inconnu à bien des chrétiens de nos jours ; leur Dieu, c'est le Plutus, le Mercure des païens, le Dieu des intérêts matériels.

[27] Cette maxime est analogue au précepte de Jésus-Christ, qui dit : Rendez à César ce qui appartient à César. Elle est cependant plus générale, puisqu'elle s'étend à tous les hommes indistinctement.

[28] Dans ce cas, certains théologiens ou philosophes, qui ont parlé de Dieu d'une manière si inconvenante et si absurde; qui lui ont prêté des attributs si contraires à sa puissance, à sa sagesse, etc.; qui lui ont fait jouer un rôle conforme à leurs passions et à leurs intérêts, doivent s'attendre à un jugement d'autant plu» sévère, qu'ils auront cherché à tromper les hommes.

[29] L'âme, qui s'est rendue coupable envers Dieu ou envers les hommes, ne saurait se purifier et se rendre agréable à Dieu par des cérémonies et des pratiques bonnes à rien, par des privations irrationnelles, par des macérations corporelles, des prières stériles, etc., mais bien en observant strictement les principes de justice et de charité; ce en quoi consiste la véritable sagesse, ainsi qu'il est dit dans le verset suivant.

[30] Il suffit pour cette connaissance de consulter la raison, en imposant silence aux passions, et de considérer l'immensité de l'univers, l'harmonie qui règne dans son ensemble, la régularité des phénomènes, même chez les espèces les plus inférieures, dans la série de tous les êtres.

[31] Sextius, ainsi que plusieurs philosophes, qui admettaient la spiritualité de Dieu, était plus avancé que Tertullien et d'autres Pères de l'Église, qui le faisaient corporel.

[32] Ces paroles nous donnent de la grandeur de Dieu une idée aussi noble qu'élevée.

[33] Les philosophes païens qui n'admettaient qu'un seul Dieu tout-puissant et créateur de toutes choses, le considéraient comme un être spirituel. Origène (Cont. Cels. l. I. ch. iii.) dit que le philosophe Numenius donnait, dans son premier livre du Souverain Bonheur, le nom de toutes les nations qui n'admettaient rien de corporel dans la divinité. Quelques-uns des premiers chrétiens considéraient Dieu comme un être à la fois corporel et spirituel ; dans l'idée, sans doute, que Dieu ayant fait l'homme à son image, il devait avoir comme ce dernier un corps et une âme. Ainsi, Tertullien admet la corporalité de Dieu, lorsqu'il dit (Adver. Prasea. c. xvi.) : Quis enim negabit Deum corpus este, etsi Deus spiritus est? Spiritus enim corpus sui generis, in sua effigie.

[34] L'orgueil des philosophes et celui des prêtres, et souvent leurs intérêts, les ont portés à parler de Dieu comme d'un être saisissante par nos sens, notre raison et notre intelligence. Mais les uns et les autres ne nous ont rien appris, parce qu'il ne leur a pas été donné, ni aux autres hommes, de parvenir jusqu'à lui. Les Athéniens firent preuve d'une grande perspicacité, lorsqu'ils firent écrire sur l'un de leurs temples : Au Dieu inconnu. Nous ne connaissons pas mieux aujourd'hui ce Dieu que du temps des Athéniens.

[35] C'est la présomption et l'erreur humaine qui ont supposé que l'immense univers a été produit uniquement en faveur d'un être aussi chétif que l'homme. Les théologiens ont ajouté à cette première erreur, celle qui n'est-pas moins ridicule, que Dieu n'avait eu en vue, dans la création, que sa propre gloire; comme si Dieu pouvait avoir besoin de se créer une gloire à lui-même, ou à l'une de ses créatures telle qu'elle fût.

[36] L'action de la divinité, par le ministère des anges, a été une opinion généralement admise par les païens, et même dans les religions révélées; opinion adoptée dans celle du Christ et dans celle de Mahomet. On croyait qu'il existait des génies bienfaisants, protecteurs et conseillers des hommes, des anges gardiens ; comme si Dieu, pareil à un roi, n'eût pu gouverner sans ministres.

[37] Cette opinion est bien fondée ; car une sage direction de notre intelligence nous rapproche de Dieu ; et alors on peut dire, en quelque sorte, que Dieu habite en nous; tandis que l'opinion que Dieu a fait l'homme à son image, est absurde; c'est par une représaille aussi absurde, qu'on a fait Dieu à notre image.

[38] Il n'est pas étonnant que les prêtres, les philosophes qui avaient imaginé de bons génies ou démons, en aient produit de mauvais. Les premiers, pour soutenir et protéger les hommes pendant leur vie et les conduire au ciel après leur mort. Les seconds, pour les tromper, les induire au mal, les séduire dans ce monde, et les tourmenter dans l'autre après leur mort.

Cette opinion, reproduite plusieurs fois dans cet écrit, a été adoptée sans exception dans toutes les religions, comme le moyen le plus facile, le plus sur et le plus efficace de faire croire aux erreurs qu'on avait intérêt d'établir, quelles qu'en fussent la fausseté, l'absurdité et les conséquences funestes aux hommes. Quant au mot quaternaire qui se trouve dans le texte, c'était celui à l'aide duquel Pythagore, par une figure symbolique et mystique, désignait la divinité, ainsi qu'on le voit, dans le 47e de ses Vers dorés, où il s'exprime ainsi : J'en jure par celui qui a transmis dans notre âme le sacré quaternaire. Ce qui se trouve expliqué dans le commentaire d'Hiéroclès, lorsqu'il dit : Le sacré quaternaire est la cause première, non seulement de l'esprit de toutes choses, mais de leur bien-être, ayant répandu et semé dans cet univers, le bien qui lui est propre, comme une lumière incorruptible et intelligente.

[39] Pensée sublime qui encourage et élève l'homme vertueux.

[40] La charité exercée indistinctement envers tous les hommes, au nom de Dieu, et afin de lui plaire, est formulée dans les paroles de ce verset, telle qu'elle l'a été dans les Évangiles, cinquante ou même peut-être cent ans après. On est sûr de plaire à un Dieu juste et bon, lorsqu'on fait tous ses efforts pour se conformer aux préceptes divins puisés dans la loi naturelle.

[41] C'est seulement, en apprenant à se passer des hommes et à se contenter du strict nécessaire, qu'on parvient, autant qu'il est dans la nature humaine, à imiter Dieu et à pratiquer la vertu. Celui qui ne sait pas se contenter d'un seul mets, d'un seul habit, d'une chaumière, et de ce qui est absolument indispensable dans les autres besoins de la vie, se laissera facilement entraîner par le désir de satisfaire des besoins factices toujours croissants, toujours insatiables; il s'éloignera sans cesse du chemin qui conduit à la vertu. Sacrifiant ses principes et sa conscience à un vil intérêt, il donnera à celui-ci un libre accès dans son cœur. Il ne peut, en effet, exister de vertu constante dans l'âme de celui qui est incapable de supporter les privations de la vie.

[42] La bienfaisance et la charité sont ici recommandées dans le même sens qu'elles l'ont été dans l'Évangile, et avec promesse des mêmes récompenses. L'apôtre dit que la charité est le complément de la foi, le philosophe païen avait dit qu'elle nous grandit auprès de Dieu, ce qui est identique.

[43] La religion chrétienne demande, ainsi que la philosophie, que notre esprit soit incessamment porté vers Dieu, dont la présence doit entrer dans toutes nos pensées et nos actions, comme il est exprimé dans le verset suivant.

[44] Les païens ont reconnu que la morale exigeait la même pureté dans les pensées que dans les actions.

[45] L'on attribuait souvent dans l'antiquité le nom de Fils de Dieu aux fondateurs de religions, ou à ceux qui se faisaient remarquer par leur zèle comme sectateurs; et bientôt le peuple les considérait comme étant fils de Dieu d'une manière spéciale, et par conséquent ayant à peu près les mêmes attributs et la même puissance que Dieu lui-même. Les philosophes avaient aussi une manière analogue de s'exprimer; lorsqu'ils voulaient caractériser des hommes qui se distinguaient par l'éminence de leurs vertus, ils les nommaient divi, divins, sancti, saints. Ces différentes attributions sont passées du paganisme au' christianisme, sans cependant conserver la même acception.

[46] L'on voit que la philosophie païenne considérait la chasteté comme une vertu essentielle, puisqu'elle est mise en opposition au péché, et qu'elle nous rend dignes de l'amour de Dieu.

[47] Il est dans l'intérêt des hommes pervers de paraître justes, même dans les actes où ils violent ouvertement la justice. Ce genre d'hypocrisie a été, et est encore de nos jours, porté au suprême degré par les princes despotes, et par leurs ministres et autres agents servîtes et corrompus. C'est dans l'espérance de mieux tromper qu'on cherche à paraître juste, tout en dédaignant la justice. Si l'on prenait la justice pour règle de ses actions, on ne ferait pas tant d'efforts pour en avoir l'apparence. C'est cette hypocrisie, génératrice de tous les maux, que le philosophe doit avoir en horreur.

[48] L'auteur de ce code de morale recommande la chasteté dans un grand nombre de passages. Elle fut également préconisée par la secte qu'il professait, ainsi que par d'autres philosophes, et même par les poètes païens ; c'est de toutes les vertus celle qui, de tout temps, fut la plus prônée par la religion chrétienne. Il n'en est cependant aucune qui n'ait été et qui ne soit plus généralement violée, car l'exagération d'une vertu en provoque toujours l'infraction. Il n'est pas question ici de la chasteté monacale, qui n'a d'autre mérite que celui qu'on peut attribuer aux animaux renfermés dans une ménagerie.

[49] Rien n'énerve les facultés du corps et de l'âme comme la vie molle et voluptueuse, et les déliées sensuelles auxquelles on se livre, lorsque la richesse ou l'aisance le-permettent. La médiocrité même s'habitue à un certain genre de mollesse, d'autant plus funeste, qu'il est souvent obtenu aux dépens de la probité. Rien n'est plus propre à inspirer la lâcheté, la servitude, l'éloignement pour les pensées et les actions nobles et désintéressées : l'égoïsme s'empare de l'âme ; l'amour de ses semblables, de la patrie, de la liberté, sont sacrifiés à quelques vils intérêts; le charme trompeur des plaisirs factices et des richesses qui les procurent, absorbe toutes les pensées, tous les désirs; l'homme s'avilit et se dégrade.

[50] Celui qui aime les richesses, ayant le même amour pour les choses matérielles, ne peut être sincèrement attaché à la vertu. C'est ce qui est prouvé par l'histoire de tous les peuples, mais principalement par celle du christianisme. Aucune philosophie, aucune religion ne proscrit et ne condamner les riches aussi positivement que le fait celle du Christ qui leur a jeté anathème. Comment donc les sectateurs de cette religion, et les mauvais prêtres, qui cependant ne cessent de prêcher cette doctrine, peuvent-ils lui être réellement attachés, puisqu'ils montrent autant d'amour et de désir pour les richesses, que les païens en avaient; et qu'ils recherchent, avec la même ardeur, les jouissances qu'elles procurent : jouissances qui toujours corrompent la religion et la morale?

La philosophie, moins sévère et moins absolue que le christianisme, se contente de dire (voyez v. 194), qu'il est difficile pour un riche de se sauver, tandis que l'Évangéliste exprime positivement l'impossibilité, par l'impossibilité de faire passer un chameau dans le trou d'une aiguille; qu'il proscrit toutes les jouissances qu'on peut se procurer par les richesses, et qu'enfin, il s'écrie : Malheur au riche! La philosophie, au contraire, se contente de conseiller ceux qui veulent remplir strictement la loi naturelle (voyez v. 448) de ne point posséder au-delà des besoins du corps. Elle dit à ceux qui visent à un plus haut degré de perfection (v. 266) : Abandonnez ce que vous possédez, et suivez les paroles de Dieu. Vous serez libre de toutes choses lorsque vous servirez Dieu. C'est en effet ce que firent Anaxagore et Antisthène, et ce que ne font plus les chrétiens depuis plus de quinze siècles.

[51] On ne renonce plus aujourd'hui aux richesses, par amour de la vertu. Trop heureux les hommes, si pour les acquérir, ils ne recouraient pas aux moyens les plus honteux et souvent les plus criminels. Les Pythagoriciens professaient une autre morale ; ils savaient se réduire même à la pauvreté, afin de rompre les obstacles qui s'opposaient à leur amour pour la sagesse. La même maxime se trouve énoncée dans plusieurs passages de Sextius, entre autres dans le verset 266. « Un échange de toutes nos richesses, dit Hiéroclès (Comment. sur les Vers dorés de Pythagore, v. 25, 26, 27), contre une pauvreté volontaire, accompagnée d'honnêteté, en nous dépouillant de tous nos biens par des motifs très justes, met la vertu à un prix beaucoup plus haut que celui qu'on nous offre pour y renoncer. » Cette morale, mise en pratique par les premiers chrétiens, est trop sévère pour ceux qui sont venus après eux. On se décide bien à faire quelques légers sacrifices de convenance. Mais il est des affections qui nous sont trop chères pour y renoncer. L'or est un métal qui primé tout, post nummos virtus.

[52] C'est cependant ce qu'ont pensé les théologiens, puisqu'ils ont porté des peines sévères contre ce qu'ils nomment des sacrilèges, nommes qu'on pourrait tout au plus taxer de folie ; qu'ils les ont livrés, ainsi qu'ils s'expriment, au bras séculier, pour être incarcérés, et périr sur des échafauds ou sur des bûchers. Il faut avoir une grande présomption pour se déclarer le vengeur de Dieu. Qu'arriverait-il donc si ce principe était applique dans toutes ses conséquences! chaque péché mortel serait une cause qui tendrait à dépeupler le monde chrétien.

[53] C'est là un précepte de la philosophie qui se retrouve dans l'Évangile, mais que personne n'observe, surtout à notre époque où l'on a mis l'intérêt personnel et matériel à l'ordre du jour.

[54] C'est cependant là une prétention des tyrans et de leurs alliés, les mauvais prêtres; ils veulent ravir aux hommes les dons les plus précieux qu'ils aient reçu de la divinité, ceux de penser et de parler librement, et de pratiquer le culte qu'ils croient être le plus agréable à la divinité. La philosophie n'a jamais imposé de si ignobles entraves.

[55] La direction habituelle de notre pensée vers Dieu, qui est recommandée dans plusieurs passages de ces maximes, est un conseil plein de piété, dont la pratique nous porterait aux bonnes actions, par le sentiment et la réminiscence des devoirs que Dieu nous prescrit. Cette habitude aurait plus d'influence sur notre conduite, que de répéter sans cesse des prières auxquelles on n'attache, pour l'ordinaire, aucun sens. D'ailleurs, ces prières sont assez inutiles, puisque Dieu sait mieux que nous-mêmes ce dont nous avons besoin, et qu'il est assez bon pour nous le donner, sans être incessamment sollicité, comme un despote ignorant, partial et capricieux.

[56] Les hommes qui gouvernent, et qui pourraient si facilement rendre les peuples heureux, non-seulement se dispensent trop fréquemment de ce devoir, mais ils commettent le plus énorme de tous les crimes, en leur faisant du mal, et beaucoup de mal. Sextius pense avec raison que c'est une grande impiété d'en faire à un seul homme. Ce mal ne peut cependant se comparer, pour la gravité et les conséquences, avec celui dont se rendent coupables ceux qui tiennent le pouvoir en main, car ceux-ci agissent à la fois sur des millions d'hommes, qui n'ont aucun des moyens mis quelquefois à la disposition des particuliers pour se faire rendre justice. Les gouvernements sont généralement plus puissants que les peuples, de sorte qu'il n'est, pour ces derniers, d'autres moyens de se soustraire à la tyrannie et de ressaisir leurs droits, que des révolutions toujours funestes au pouvoir et souvent peu favorables au peuple.

[57] La vertu, le contentement, le vrai bonheur exilés de l'habitation du riche, reposent communément sous l'humble toit de la médiocrité. Cette médiocrité, préférable à l'or, aurea mediocritas, ainsi que s'exprime le poète, satisfait celui qui sait s'en contenter, et le met à l'abri des passions et des vices qui assiègent et tourmentent l'âme du riche. Mais la philosophie, en nous inspirant le mépris des richesses, et trop souvent celui des riches, peut seule nous rendre heureux au sein de la médiocrité, qui renferme en elle le germe de toutes les vertus.

[58] Le philosophe païen a porté dans ce verset et dans quelques autres le sentiment et le devoir de la charité aussi loin que l'Évangile. Il semble même l'avoir surpassé, lorsqu'il veut qu'on cherche l'occasion de répandre ses bienfaits, ce qui n'est pas exprimé dans le livre que nous venons de citer. En effet, celui qui est animé d'un profond amour pour le prochain, croit de son devoir, non-seulement de secourir les indigents qui se présentent à lui, mais aussi de faire la recherche de ceux qui, n'étant pas connus, peuvent avoir besoin de secours. Enfin, Sextius veut qu'on donne, même en faisant le sacrifice de ce dont on peut avoir besoin pour soi-même.

[59] De zélés enthousiastes, où plutôt des fanatiques, se sont fait un mérite en s'abstenant des soins qu'exige le corps, et en le soumettant à des privations et à des souffrances qui ne pourraient être agréables qu'à un Dieu sauvage et malfaisant. Il est de notre devoir d'accorder au corps les soins faciles et peu nombreux qu'il exige.

[60] Plusieurs philosophes ont cru que nos bonnes actions étaient l'effet de la grâce et du secours immédiat de Dieu. Sénèque a dit : L'homme n'est bon qu'avec le secours de Dieu. Nulla sine Deo mens bona est.

[61] L'Évangile ordonne de chérir et de bénir ses ennemis; de bénir ses calomniateurs ; de présenter F autre joue lorsqu'on a reçu un soufflet; de laisser prendre son habit à celui qui nous a enlevé notre manteau; de ne pas redemander ce qu'on nous a volé, etc. Cette morale, prise à la lettre, paraîtrait révoltante à tout homme de bon sens qui n'aurait pas été habitué, dès l'enfance, à considérer tout ce qui se trouve dans les Evangiles comme paroles divines.. Il serait d'autant plus confirmé dans son opinion, lorsqu'il apprendrait qu'aucun chrétien n'a observé ces 'préceptes, depuis l'existence de sa religion, si l'on en excepte quelques crédules enthousiastes ou quelques fanatiques ignorants, surtout à l'époque où l'exaltation de la nouveauté et l'espérance des "promesses futures s'étaient emparées des esprits. D'ailleurs, la raison et l'expérience lui apprendraient que de pareilles maximes, si elles étaient mises en pratique, produiraient nécessairement la fin de toute société humaine.

On vous dit, pour pallier l'absurde d'une pareille doctrine, que ce ne sont pas des préceptes, mais des conseils. Donnez-nous donc un signe par lequel on puisse distinguer avec certitude l'un de l'autre? Car le commandement est également précis dans les deux suppositions. Dans une loi divine où rien ne peut être captieux, ou à double entente, tous les articles doivent être également obligatoires, à moins qu'une exception soit prononcée formellement ; ce qui n'existe pas ici. Car, sans cela, il serait permis aux prêtres d'interpréter la loi selon les temps, les personnes, et selon leurs intérêts, ainsi que cela a eu lieu fréquemment, et ce qui a donné naissance au fanatisme monacal. Enfin, en peut rejeter le conseil d'un homme, mais non celui d'un Dieu.

La philosophie praticable, celle de ta raison divine, ne considère personne comme ennemi, ainsi que le pense Sextius. Elle commande de traiter un ennemi comme si l'on n'en avait reçu aucune offense; de lui pardonner, de le secourir, et de lui faire du bien lorsqu'on le peut.

[62] Il est ordonné dans l'Évangile d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit. Le philosophe païen porte encore plus haut cet amour, lorsque, après avoir dit d'aimer tout ce qui participe à notre nature, il établit envers Dieu un amour supérieure celui-ci, un amour plus obligatoire, plus relevé, un amour sans bornes. Cet amour, ainsi que les autres devoirs de l'homme envers Dieu, sont recommandas dans un grand nombre de passages de ce code de morale.

[63] Non seulement la gourmandise entraîne aux vices contraires à la chasteté, mais elle énerve l'âme et le corps et nous assimile aux animaux, ainsi que l'observe Sextius au verset 273. La cause principale des maladies qui assiègent l'homme, dans l'état de notre civilisation, provient d'une trop grande abondance de nourriture, ou d'aliments et de liqueurs malsaines. La gourmandise est d'ailleurs une passion qui nous rend impropres aux occupations sérieuses et soutenues; l'habitude de la satisfaire apporte toujours un grand obstacle à la pratique des vertus et des devoirs sociaux. C'est la raison pour laquelle Sextius la combat dans plusieurs versets de son code de morale.

[64] Un grand nombre de philosophes dans l'antiquité païenne, s'abstenaient de la chair des animaux, soit par motif religieux, soit par principe hygiénique. Ils pensaient, en général, que tout aliment était indifférent, mais qu'on se rendait coupable lorsque, pour assouvir sa gourmandise, ou se procurait des aliments recherchés, soit en faisant un mauvais emploi de sa fortune, soit par d'autres moyens illicites. Les chrétiens ont emprunté des pythagoriciens, ou d'autres sectes philosophiques ou religieuses, l'abstinence des viandes ainsi que les jeûnes habituels et occasionnels. Mais les hommes savent coordonner leurs principes religieux avec leurs passions. Ainsi, plusieurs, parmi les chrétiens catholiques, se croiraient dignes des peines éternelles, s'ils mangeaient quelques bouchées des viandes les plus communes et les plus grossières, tandis qu'ils ne se font aucun scrupule de couvrir leurs tables, aux jours qu'ils nomment d'abstinence, des mets les plus délicats et les plus recherchés, pourvu qu'ils ne soient pas pris dans une certaine classe d'animaux.

[65] Le vrai philosophe ne cherche pas à plaire au vulgaire, surtout au vulgaire qui met la jouissance des richesses bien au-dessus de la pratique des vertus. Et comment celui qui aime la sagesse pourrait-il plaire à ceux qui ne savent mettre aucun frein à leurs passions ?

[66] Les philosophes païens, que les Pères et les écrivains ecclésiastiques ont toujours taxé d'orgueil et de vanité, afin de persuader aux hommes qu'il ne pouvait exister de morale et de mérite hors du christianisme, ont cependant connu et pratiqué la vertu aussi bien que ceux qui avaient eu le bonheur d'être régénérés par le baptême. Ces philosophes ont également pensé que la sagesse ne pouvait s'acquérir qu'avec le secours, la bonté et la grâce de Dieu.

[67] Les chrétiens disent avec les païens que Dieu n'est pas l'auteur du mal. Les premiers affirment qu'il existe des démons, qui non-seulement sont la cause du mal, mais qu'ils y excitent les hommes. Ils accusent ainsi Dieu indirectement d'être la cause du mal, puisque ayant créé ces êtres malfaisants par l'effet de sa volonté, il s'en suit, d'après sa prescience, qu'il a voulu le mal. Les sectateurs de Zoroastre étaient moins irrationnels en supposant deux êtres puissants, car, dans ce système, on ne peut accuser et haïr que celui qui seul est la cause du mal.

[68] La philosophe sait se contenter du nécessaire. Si le sort lui prodigue des richesses, il regarde de son devoir de les employer pour le bien de ses semblables. Ce fut là le principe mis en pratique par les pythagoriciens : « La connaissance des choses rend heureux ceux qui, l'ayant acquise, sont contents de leur sort dans ce qui regarde les biens temporels, et en font un usage sensé pendant le temps entier de leur vie, » dit Timée de Locres (chap. v, § 15.).

[69] Comment, en effet, celui qui n'existe que pour amasser des richesses, et se livrer aux jouissances matérielles, pourrait-il penser à Dieu, à ses devoirs, et croire aux récompenses attachées à la vertu?

[70] C'est-à-dire la sagesse, que nulle puissance humaine ne saurait vous ravir.

[71] La vraie magnanimité, la force d'âme, le courage civique, sont de précieuses qualités qui nous portent aux grandes choses, et nous disposent aux sublimes vertus. Il n'est pas étonnant que, ces qualités étant devenues rares parmi les hommes, on voie si peu de belles actions morales, et de dévouements désintéressés. Cette noblesse de caractère, assez commune dans les beaux temps de la Grèce et de Rome, principalement chez les stoïciens, semble avoir disparu depuis l'établissement du christianisme. Cette religion parait avoir, sous ce rapport, rétréci et affaibli l'esprit de ses sectateurs, en leur commandant le "mépris de tout ce qui est terrestre, de la gloire, des honneurs; de ne penser et de ne travailler que pour le ciel ; de supporter avec résignation l'injustice, la violation des droits, les injures, l'oppression et la tyrannie; d'avoir une soumission passive et aveugle pour le pouvoir temporel, ainsi que pour la puissance ecclésiastique."

[72] Ce qui pourrait et devrait même tenir lieu de toute prière, ce sont ces mots de la prière par excellence des chrétiens : Que votre volonté soit faite. Toute autre demande est vaine et mondaine. Nous devons nous reposer sur la bonté de Dieu, qui connaît mieux que nous-mêmes ce qui convient à notre bonheur présent et futur.

[73] Le vrai philosophe ne demande à Dieu ni richesses, ni honneurs, ni avantages temporels ; la sagesse étant la seule chose qu'il apprécie et que les hommes ne peuvent lui ravir, elle est le seul objet de ses prières.

[74] L'avarice, toujours insatiable, engendre et alimente tous les vices.

[75] L'égoïsme exclusif, bien différent de l'amour naturel de soi-même, pousse toujours l'homme dans les voies de l'injustice. C'est de ce sentiment dépravé que proviennent en général les maux des sociétés humaines. C'est l'injustice des gouvernements qui asservit et opprime les peuples ; c'est elle qui met les peuples en hostilité les uns contre les autres; qui bannit la bonne foi, l'amitié, l'amour de ses semblables, et apporte le désordre dans toutes les transactions sociales. C'est à raison de ces déplorables effets que Sextius démontre dans plusieurs passages tout l'odieux de ce funeste vice.

[76] Le philosophe qui fait voir, dans plusieurs endroits de son code de morale, le danger des richesses, nous avertit ici de nous contenter du nécessaire.

[77] C'est la vanité, l'ignorance et l'oisiveté qui engendrent les longs discours. Or, l'abus de la parole est signe d'imprévoyance et de sottise.

[78] Un puissant moyen de ne point s'écarter des règles de la sagesse, est d'avoir sans cesse Dieu présent à la pensée.

[79] Voilà pourquoi il existe si peu de sages.

[80] C'est un genre de bonheur que peu de personnes connaissent. On préfère le bonheur que l'on cherche dans la richesse, ou partout ailleurs, où il ne saurait se trouver. L'homme a été créé pour deux genres de bonheur; l'un temporel et l'autre éternel. La bonté de Dieu nous assure le dernier dans des degrés de perfection pins ou moins élevés. Car, la punition du vice ou de l'erreur, chez un être aussi faible et aussi ignorant que l'homme, ne peut être éternelle dans les décrets équitables de la Providence divine.

Quant au premier genre de bonheur, l'homme en est généralement privé par sa propre faute, par l'excès de ses passions, de ses préjugés, par les vices de son éducation. Mais ce qui apporte surtout obstacle au bonheur, c'est une politique dépravée, de fausses religions, la servitude à laquelle quelques dominateurs pervers réduisent les peuples. Dégagé de ces nombreuses entraves, on apprendrait à se faire une idée plus exacte de la divinité, et par conséquent à l'imiter par l'accomplissement de devoirs qui peuvent seuls soustraire l'humanité à ces causes de malheur.

[81] Ainsi les flatteurs et les courtisans, déjà doublement coupables, par hypocrisie et par mensonge, le sont bien plus encore parce qu'ils corrompent les bons, et qu'ils encouragent les méchants dans leur iniquité.

[82] Rien de si commun dans notre civilisation artificielle, que de dire ce qu'on ne pense pas, et de ne pas croire ce qu'on vous dit. C'est ainsi qu'on se paie réciproquement de déceptions. Cette fausseté, quoique répréhensible dans les relations d'un médiocre intérêt, devient criminelle dans les transactions importantes, en fait de morale, de religion, de politique, etc. C'est précisément là où la vérité devrait être le plus sacrée, qu'elle est le plus généralement violée.

[83] Chérir la vérité, c'est chérir Dieu, auteur de toute vérité ; la trahir, c'est trahir Dieu et les hommes.

[84] Le commun des hommes parle sur ce qu'il ignore, et déraisonne sur ce qu'il sait.

[85] Dans la plupart des discussions, loin de chercher à s'éclairer, à connaître et à soutenir la vérité, on s'efforce de la dénaturer et de l'étouffer, autant par vanité que par intérêt personnel.

[86] Autant on peut compter sur la probité de celui qui dit constamment la vérité, autant on doit se méfier de ceux qui ne se font aucun scrupule de la trahir en toute occasion.

[87] L'homme intègre doit avoir en aversion le mensonge, cause de tant de désordres. C'est ce qui a porté l'auteur de ce code à le combattre et à faire apprécier l'importance de la vérité dans plusieurs endroits, comme on l'a vu dans les passages précédents, et comme on le verra dans les suivants.

[88] Si nous appliquions, de nos jours, cette maxime à certains gouvernements et à leurs agents, nous trouverions que le nombre des hommes méchants et corrompus n'est, sous aucun rapport, inférieur à celui des siècles du paganisme.

[89] De même que les vices des peuples sont l'opprobre des gouvernements.

[90] On ne saurait donner une plus haute idée de la bienfaisance, et démontrer combien cette vertu doit être agréable à Dieu, qu'en plaçant immédiatement après lui celui qui la pratique. C'est reconnaître qu'elle est la première et la plus importante de toutes les vertus.

[91] Les discours ne sont, chez un grand nombre d'hommes, surtout en politique, que le masque sous lequel on cherche à couvrir des intentions reprochables, un intérêt privé, des desseins criminels, et donner le change à ceux qu'on a intérêt à tromper.

[92] Cette loi, dont la puissance se manifeste chez l'homme vivant en société, même dès l'âge le plus tendre, par l'effet de son organisation, a été, comme chez tous les peuples, dès leur origine, le fondement de la religion naturelle; elle est tellement indélébile et évidente, qu'elle a été adoptée par toutes les religions, révélées ou non.

[93] Les païens ont reconnu que l'on pouvait pécher en pensées, comme en paroles et en actions.

[94] Les personnes qui parviennent au pouvoir, oublient souvent ce conseil dicté par la justice, si toutefois elles l'ont jamais connu. Comme elles n'ont en vue que leurs intérêts privés, elles s'inquiètent peu d'être équitables envers les autres. La pensée de Dieu ne vient pas troubler des consciences perverties.

[95] C'est une pensée qui, depuis la barbarie des temps féodaux et chevaleresques, n'est entrée que bien rarement dans l'esprit de nos preux chevaliers, anciens et modernes, qui, pour se venger, se donnent la mort, ou font sauter la tète à celui qui, par inadvertance, leur a marché sur le pied. Les peuples de l'antiquité païenne faisaient consister l'honneur à se dévouer et à exposer sa vie pour le bien de la patrie, et non à la sacrifier avec celle de ses concitoyens pour une offense dont ils ne se vengeaient que par le mépris.

Si nous avons le droit de reprocher aux Romains leur politique d'amphithéâtre, ils pourraient, avec autant de raison, nous opposer notre honneur en champ clos. Il est à remarquer que les Romains furent le seul peuple du paganisme qui institua des combats de gladiateurs, tandis que les duels ont été depuis des siècles, et sont encore en usage chez tous les peuples chrétiens Le nombre des morts qui ont eu lieu dans les combats de gladiateurs, dans toute l'antiquité païenne, est infiniment moins considérable que celui occasionné, sous l'empire de la religion chrétienne, par les combats singuliers.

[96] Notre philosophe considère la justice comme une chose tellement sacrée et délicate, qu'il n'hésite pas à regarder la situation de celui qui est mis en accusation, comme préférable à celle du juge qui doit prononcer sur sa culpabilité. En effet, que le premier soit condamné justement ou injustement, il ne commet en cela aucune faute; tandis que si le juge le condamne par passion, par intérêt, et même sans un profond examen, il se rend criminel; il aurait même de cuisants reproches à se faire dans le cas où il eût condamné par erreur un innocent. Combien de magistrats apportent-ils en justice des principes aussi purs, des scrupules aussi sévères?

[97] C'est là la cause des mensonges et des inepties qui se disent journellement dans nos salons.

[98] La plupart des hommes aiment mieux paraître probes que de l'être, par la raison que l'estime et les autres avantages sociaux s'accordent plus fréquemment à l'apparence qu'à la réalité du mérite.

[99] Si un mortel peut être ici-bas l'image et le représentant de la divinité, ce ne peut être ni un roi, ni un prêtre, mais un sage, quelle que soit sa position sociale; et il mérite, eh cette qualité, d'être honoré, même lorsqu'il est dans l'indigence, ainsi qu'il est dit dans le verset suivant.

[100] Les richesses n'attirent l'estime que de la part des hommes dépravés, des sots ou des faméliques.

[101] Cette opinion, qui n'est pas sans fondement, au moins sous le rapport des châtiments réservés aux riches dans l'autre monde, a été reproduite en d'autres termes encore plus positifs par saint Matthieu, qui démontre l'impossibilité du salut des riches, lorsqu'il dit : « Qu'il est plus aisé à un chameau de passer par le brou d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. » Saint Jacques (chap. v, vers. 1), leur prédit le sort futur qui les attend, lorsqu'il dit : « Pleurez, maintenant, riches ; poussez des cris et de» hurlements à cause des maux qui sont pris de fondre sur vous !! Il est vrai que les mauvais prêtres, toujours, favorables aux riches et aux puissants, ont dit que cet anathème prononcé contre les riches, et plusieurs autres semblables qu'on trouve dans les Évangiles, ne devaient pas être pris à la lettre. Les passages sont cependant aussi clairs et aussi formels que beaucoup d'autres que l'on considère comme des préceptes obligatoires; et une preuve évidente que les premiers chrétiens l'entendaient dans ce sens, c'est qu'ils donnaient leurs biens aux pauvres pour gagner les trésors du ciel. Mais on sait que la loi du Christ a été condamnée depuis bien des siècles à recevoir des interprétations, selon les circonstances ou selon les intérêts.

[102] Les premiers propagateurs du christianisme pensèrent que le moyen de faire des prosélytes, était de présenter, à des gens crédules et ignorants, la morale des philosophes comme incomplète et corrompue. Ils taxèrent les philosophes d'être des hommes vains, orgueilleux, qui avaient la prétention de passer pour sages, tandis qu'ils n'enseignaient qu'erreur et mensonge. Ces assertions se trouvent cependant démenties par les paroles et les écrits des philosophes païens, qui ont reconnu l'ignorance ou l'incertitude où ils étaient sur plusieurs questions; tandis qu'au contraire, les prêtres de toutes les religions révélées ont affirmé toute chose positivement, sans donner de preuves qui pussent satisfaire la saine raison ; bien différents en cela de Socrate qui disait ne savoir qu'une seule chose, c'est qu'il ne savait rien.

[103] Comment celui qui ne croirait ni aux devoirs imposés par la loi naturelle, ni à l'existence des principes de moralité, et qui ne mettrait aucune différence entre le bien et le mal, le juste et l'injuste, pourrait-il bien vivre? Ce serait un phénomène qui, probablement, n'a jamais existé.

[104] Cette maxime, dans laquelle est compris l'amour de Dieu, nous donne, avec le précepte de la charité et celui de la justice, le fondement sur lequel s'appuient tous les devoirs prescrits par la religion et par la morale. Celui, qui s'y conforme atteint te but de sa destination. L'on voit aussi, par ce verset, que les sages de l'antiquité réglaient leur conduite dans le but de plaire à la divinité, et que, d'après ce principe, ils lui rapportaient leurs actions ainsi que leurs pensées.

[105] L'injustice est le plus grand crime envers l'humanité; l'impiété, envers Dieu. Le principe de justice, sur lequel repose toute morale et toute religion, ce principe d'où découlent tous nos devoirs envers Dieu, envers les hommes, envers nous-mêmes, a été établi d'une manière admirable par Pythagore, ainsi que nous le voyons énoncé dans les paroles suivantes de Hiéroclès : « Nous avons besoin de la justice qui est la plus parfaite de toutes les vertus, et qui, régnant dans les unes et dans les autres, les renferme toutes, comme ses propres parties… Tu ne raviras jamais le bien de ton prochain, et tu ne chercheras jamais la perte et le malheur d'aucun homme, afin que tu ne blesses pas la justice dans tes actions; car, pendant que la justice sera comme une garnison dans notre âme pour la garder et la défendre, nous remplirons toujours tous nos devoirs envers les Dieux, envers les hommes et envers nous-mêmes. »

[106] On ne saurait être fidèle à la loi de Dieu lorsqu'on ne s'efforce pas de maîtriser ses passions.

[107] C'est une grande et belle idée de l'amour dû à l'humanité, et de l'intérêt actif qu'on ne doit cesser de lui porter, que de dire que nous devons en quelque sorte remplacer et seconder Dieu dans tout le bien qu'il fait aux hommes, comme s'il nous eût donné spécialement cette mission. On désirerait qu'une maxime aussi sublime se trouvât dans l'Évangile.

[108] L'Évangile dit de faire du bien à nos ennemis. Sextius donne plus d'extension à ce beau précepte ; il veut même qu'on ait le désir de faire du bien à ses ennemis, et par conséquent, qu'on en cherche l'occasion. La loi des chrétiens donne à ce même principe un autre genre d'extension, d'autant moins rationnel, qu'il est absolument opposé à la nature humaine, et contradictoire à l'ordre des choses établi par Dieu. Il est en effet impossible, quelque effort que l'on fasse sur soi-même, de chérir ses ennemis comme soi-même. Ce serait trouver bien ce qui est mal ; accueillir et approuver l'injustice ; encourager les méchants. L'on peut et l'on doit faire du bien à ses ennemis; prier pour eux; les secourir dans leurs besoins; n'avoir ni rancune ni haine contre eux. Mais les aimer comme on aime les hommes inoffensifs et bienfaisants, c'est une morale stérile que les chrétiens ont portée jusqu'à l'exagération, mais qu'ils n'ont jamais observée dans la pratique.

[109] Le système de la grâce, qui est encore ici présenté, démontre l'injustice des Pères de l'Église, quand ils accusent les philosophes païens de suffisance et d'orgueil. Ceux-là reconnaissent bien leur faiblesse, qui croient ne pouvoir vivre selon Dieu, s'ils sont privés de sa grâce, et de ne pouvoir posséder la sagesse, si elle n'est donnée par Dieu, ainsi qu'il est dit dans le 209e verset.

[110] Les théologiens anciens et modernes du christianisme, voulant persuader aux hommes qu'il ne pouvait y avoir de salut que dans leur religion, établirent et soutinrent avec assurance que les vertus païennes étaient des crimes, et que, loin d'en recevoir une récompense de Dieu, ils seraient tous damnés éternellement. Ils portaient ce terrible arrêt contre tous les honnêtes gens du paganisme, parce que, disaient-ils, ils n'avaient pas fait le bien au nom de Dieu et dans le dessein de lui plaire. L'histoire de la philosophie païenne dément cette supposition, qui est détruite par le verset que nous citons, ainsi que par quelques autres de l'ouvrage de Sextius. Que peut-on, en effet, faire de plus méritoire que de souffrir pour Dieu, pro eo, et de vivre secundum Deum, conformément à ce qu'il demande de nous? Cette maxime entrait dans la doctrine des pythagoriciens, ainsi que nous l'apprend Jamblique (ch. xxviii, vers. 137), où il dit que Pythagore enseignait que nous devons avoir Dieu incessamment en vue.

[111] C'est une maxime qui eût été bien placée dans l'Évangile, et qui aurait appris aux riches que c'est en vain qu'ils prient soir et matin, qu'ils vont régulièrement à l'église, lorsque, vivant dans l'abondance, le luxe et la profusion, ils évitent d'écouter la voix de la misère et de lui tendre une main secourable.

[112] C'est par l'examen de la conscience, et dans le silence et la sincérité; c'est en repassant chaque jour ce qu'on a fait de bien ou de mal; en prenant une ferme résolution de se corriger et de mieux faire, que l'on reconnaît si l'on a fidèlement observé les devoirs que Dieu nous prescrit. C'est par ce motif que Pythagore recommandait à ses disciples de faire tous les jours, avant de s'endormir, l'examen de leur conscience, pratique qui était observée par Sénèque et par Marc-Aurèle.

[113] Le moyen de bien faire est d'avoir sans cesse la présence de Dieu à l'esprit. Cette habitude nous préserverait de beaucoup de fautes. Ce n'est pas par le sentiment de cette crainte servile, que le législateur des Hébreux avait cru devoir inspirer à ce peuple grossier, qu'on conduit les hommes à la vertu, mais par le sentiment d'amour et de devoir qui nous porte à obéir à Dieu, et à faire ce qui peut lui plaire.

[114] C'est parce qu'il méprise les richesses, et que lorsqu'il les possède, il les considère comme un bien commun entre lui et les indigents dont il doit soulager les besoins.

[115] L'on voit par ce passage que les philosophes païens considéraient la charité comme un devoir impérieusement ordonné par la loi naturelle, puisqu'ils regardaient comme impies ceux qui ne partageaient pas leurs richesses avec leur prochain. Qui pourrait, d'après cette maxime, dénombrer les impies qui se trouvent sur la surface de la terre ?

[116] On a de tout temps attaché un certain mérite au célibat, comme étant un état assez pénible pour un grand nombre de personnes. Quelques philosophes l'ont recommandé comme procurant plus de liberté et de facilité pour se livrer à l'étude de la sagesse ; c'est dans ce but que plusieurs l'embrassèrent; mais ils n'attachèrent jamais de mérite à un état contre nature. Les chrétiens, au contraire, qui, en fait de rigorisme, s'efforçaient de surpasser les païens, recommandèrent, prônèrent le célibat qu'ils confondirent souvent avec la chasteté, comme une perfection des plus agréables à Dieu; et représentèrent le mariage comme un état de corruption contraire à la pureté et à la sainteté chrétiennes. Il est à remarquer que le mariage est également condamné dans le passage du même verset qui se trouve aux variantes ci-après; car le paganisme avait aussi ses rigoristes.

[117] Il est beau de voir que le paganisme, qu'on a taxé de fomenter tout genre de désordre relatif à la pureté des mœurs, présenter la règle qui doit être observée dans les jouissances de l'amour, et tracer les limites dans lesquelles elles doivent être contenues.

[118] Il est beau de voir que le paganisme, qu'on a taxé de fomenter tout genre de désordre relatif à la pureté des mœurs, présenter la règle qui doit être observée dans les jouissances de l'amour, et tracer les limites dans lesquelles elles doivent être contenues.

[119] On ne peut être fidèle à Dieu en violant ses lois.

[120] La continence est représentée dans ce verset et dans le suivant, comme une importante vertu qu'on doit s'efforcer de posséder.

[121] La maxime de Sextius est plus désintéressée que celle de l'Evangile, qui commande de donner, parce qu'on recevra, date et dabitur vobis. Le philosophe, au contraire, recommande de donner, sans espérance de récompense, par le seul motif, qu'ayant reçu de Dieu gratuitement, vous devez en user de même envers votre prochain.

[122] Ce que Sextius applique ici à la religion naturelle, peut s'appliquer avec autant de- vérité à la religion chrétienne. Celle-ci dit, en effet, que beaucoup sont appelés, mais que peu sont élus.

[123] Ce n'est pas là le caractère de l'orgueil, dont on a accusé si souvent les philosophes païens, sans exception. Nous demanderons à ces accusateurs s'ils pourraient citer beaucoup de primats civils ou ecclésiastiques, qui aient, nous ne dirons pas, aimé ceux qui les reprenaient, mais qui aient souffert d'être repris.

[124] On apporte tous ses soins à recueillir et à conserver l'or et l'argent ; tandis qu'on gaspille journellement le temps, avec la même prodigalité que s'il n'avait pour nous aucune valeur, et qu'il nous fût donné de l'arrêter, de le fixer et d'en disposer à volonté. Si, parvenu à un certain âge, on pouvait calculer les instants qu'on a perdus inutilement, chaque heure, chaque jour, on serait effrayé, en reconnaissant que la moitié, ou les trois quarts de la vie, ont été dissipés sans aucun avantage pour soi ou pour le bien public, sans jouissances réelles, dignes du sage.

[125] Cette maxime mérite l'attention des honnêtes gens exposés à trouver, dans les relations sociales, un si grand nombre de fourbes et de fripons qui ne cherchent qu'à faire des dupes. Autant il est sûr de se livrer avec confiance aux personnes intègres, autant il est sage d'apporter de la circonspection à l'égard de la plupart des hommes.

[126] S'il est bon d'être méfiant sur les propos que l'envie, ou d'autres passions provoquent contre le prochain, on doit l'être bien plus encore, lorsqu'elles s'attaquent à des hommes d'une conduite irréprochable.

[127] Le vrai philosophe ne fait acception de personne, lorsqu'il peut secourir les hommes, quelles que soient leur religion, leur patrie, ou leurs opinions.

[128] Cette maxime, professée par les premiers chrétiens, a été bientôt abandonnée, lorsqu'ils sont devenus les plus forts. La vraie philosophie redoute d'infliger des peines, lors même que l'intérêt de la société peut l'exiger. Elle proscrit la peine de mort, car elle sait que Dieu n'a permis à personne de l'infliger; elle s'appuie sur la loi de Dieu, et non sur l'exemple de tous les gouvernements, qui se sont arrogé ce droit sanguinaire, et qui ont ainsi accoutumé les peuples à l'effusion du sang.

[129] Ce conseil de la philosophie païenne a été emprunté par les auteurs des Evangiles. Saint Matthieu, chap. xix, v. 21, fait dire à Jésus-Christ l'équivalent en d'autres termes : « Si voue voulez être parfait, allez et vendez ce que vous possédez, et donnez-le aux pauvret, et vous aurez reçu un trésor dans le ciel ; venez et suivez-moi. » Saint Marc, chap. xv, 21, s'exprime de la même manière. Saint Luc, chap. xii, v. 33, donne le même conseil ; et dans son chap. xviii, v. 22, il fait répondre à Jésus-Christ, à qui l'on demandait ce qu'il fallait faire pour posséder la vie éternelle : « Il vous manque encore une chose; vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvret, et vous aurez un tritor dam le del ; venez et me suivez. » Il est évident par ces paroles, énoncées comme une condition positive de salut, que sans l'observation stricte de ce précepte, auquel sont soumis tous les chrétiens, il n'y a point de salut à espérer pour eux, s'ils ne s'y conforment. C'est aussi ce que faisaient les premiers chrétiens, qui connaissaient mieux l'esprit et la lettre des paroles de Jésus-Christ, que ceux qui depuis des siècles ont fait ou font profession d'une religion, qui, sous le même nom, diffère sur presque tous les points de celle qui fut dès son origine enseignée et pratiquée. C'est ce qu'attestent les évangélistes, ainsi que les premiers Pères de l'Eglise. Saint Paul nous apprend (Actes, chap. ii, v. 44 et 45), que tous ceux qui croyaient(en Jésus-Christ) étaient tous unis ensemble et possédaient toutes choses en commun, vendaient leurs terres et tout ce qu'ils avaient, et en distribuaient l'argent à tous, selon le besoin de chacun. » Cet apôtre répète le même fait, chap. iv, v. 34.

[130] Ceux-là ne font pas une part égale à tous, qui n'émettent de lois que dans les intérêts d'un prince, d'une caste dominante, d'une aristocratie égoïste, d'une corporation envahissante d'hommes riches et puissants, de marchands avides, de spéculateurs rapaces, etc.; tels sont les gouvernements qui oppriment le peuple et le privent d'une liberté légitime, en l'abrutissant par l'ignorance, la superstition et la misère ; qui corrompent et soldent des agents serviles; qui créent, au détriment du public, des emplois, des fonctions stériles, des traitements, des privilèges, des monopoles, des faveurs; qui privent chaque particulier des avantages auxquels tous ont un droit commun. Combien enfin sont criminels ceux qui, pour parvenir à la domination et à la fortune, se font les agents d'ordres iniques ou injustes, et les soutiens du despotisme.

[131] L'amour sincère de l'humanité ne se borne pas, lorsqu'il s'agit de secourir le famélique, à lui donner un superflu, dont il est facile de se passer. On doit, d'après Sextius, se priver même de ses aliments pour les partager avec celui qui en manque. La charité chrétienne n'a jamais été plus loin.

[132] Les conseils donnés dans ce verset et dans les précédents, sont dictés par une sage philosophie; car on doit s'abstenir de boire et de manger, lorsque l'appétit et la soif sont satisfaits. Rien n'est plus avilissant, et plus propre à nous détourner de nos devoirs, que les vices de gourmandise et d'ivrognerie. L'abstinence, considérée sous ce point de vue, est une vertu louable aux yeux de la raison, tandis que, comprise comme le veulent les chrétiens exagérés ou fanatiques, elle ne peut être utile à l'homme, ni agréable à Dieu.

[133] Dans l'antiquité, surtout à l'époque où le christianisme prit naissance quelques sectes se formèrent, sur la chasteté, une idée d'autant plus exagérée, que les mœurs étaient alors plus corrompues. Ainsi l'on pensa qu'-il était méritoire, dans le but d'éviter le danger, de se soumettre à une opération contre nature. Cette opinion fut adoptée par les chrétiens, d'après ce qui est dit dans l'Évangile de saint Matthieu : « Et il y a des eunuques qui se sont châtrés pour le royaume des cieux. » Cette maxime, qui depuis longtemps était mise en pratique par les prêtres de la déesse Cybèle, mère des dieux, le fut aussi par quelques dévots chrétiens, ainsi que le prouve le fait d'Origène.

[134] Il est hors de doute que si les gouvernements, au lieu de priver les peuples de la liberté, leur permettaient d'en jouir, on verrait bien moins de crimes parmi les hommes; car le despotisme et la dépravation, deux choses inséparables, sont la cause de l'immoralité des peuples.

[135] Il est difficile de recommander, avec une plus vive expression, l'amour de Dieu, ht tendance de l'esprit, qui doit se porter sans cesse vers son créateur, de préférence à toutes choses; on ne trouve rien dans l'Évangile de mieux pensé, à ce sujet, que ce qui est renfermé dans ce verset et les deux suivants. On y voit que les païens savaient qu'on doit toujours avoir Dieu présent à l'esprit, et lui rapporter ses pensées, ses paroles et ses actions.

[136] Sextius, qui recommande fréquemment dans son code de morale l'amour de nos semblables sans aucune distinction, demande ici que cet amour soit porté, après Dieu, d'une manière plus spéciale, sur les hommes probes: distinction qui ne se trouve pas dans les Évangiles, et qui, cependant, est basée sur la justice. La raison, en effet, nous commande de graduer notre amour en proportion des qualités que possèdent ceux avec qui nous avons des rapports.

[137] Sextius ne parle pas d'esclaves, mais de domestiques, et il porte la charité fraternelle jusqu'au point de demander qu'on supporte leurs mauvais procédés. Quelques philosophes païens se sont prononcés contre l'esclavage, quoiqu'il fût aussi dangereux alors de s'élever contre cet usage, qu'il l'est sous tous les gouvernements actuels de l'Europe, de parler ou d'écrire contre le despotisme des rois, ou contre leur légitimité. Hais, ce qui est remarquable, c'est qu'on n'a cessé de dire, et qu'on dit et qu'on écrit tous les jours, que c'est au christianisme qu'on est redevable de l'abolition de l'esclavage, qui n'est cependant pas aboli parmi les chrétiens, et qui a duré en Europe jusqu'au xive siècle, en mettant même à part le servage, qui est réellement un esclavage, quoique moins rigoureux. On ne trouve pas, depuis saint Paul, qui a approuvé tacitement l'esclavage, jusqu'au commencement du dernier siècle, plus de deux ou trois auteurs, qui aient condamné formellement l'esclavage comme un usage criminel, et pas un prêtre qui soit monté en chaire pour l'anathématiser. Cette abolition est due aux circonstances politiques dans lesquelles s'est trouvée l'Europe au moyen-âge, et surtout aux lumières de la renaissance et aux principes philosophiques du dernier siècle.

[138] Les droits et les avantages sociaux doivent être les mêmes parmi les hommes, ainsi que le prescrit la loi divine; et, par la même raison, les devoirs doivent être également réciproques. Mais il arrive que les dominateurs, méprisant la loi divine et méconnaissant les devoirs auxquels ils sont tenus, en imposent arbitrairement aux peuples, et s'arrogent seuls tous ces avantages. Telle a été la marche des choses durant le paganisme, et depuis l'établissement du christianisme.

[139] Le trésor dont il est ici question, c'est la vérité : celui qui cache celle-ci dérobe aux hommes le trésor le plus précieux qu'ils puissent posséder : celui qui, en en ayant fait la découverte, la réserve pour lui seul, ne rend pas à ses semblables ce qu'il leur doit.

[140] Quelques philosophes, mais surtout les pythagoriciens et les stoïciens, s'étaient formé un modèle idéal de perfection; c'est d'après cette idée que Sextius donne de si hautes et de si nobles attributions au sage, comme il l'exprime dans les versets suivants et dans plusieurs autres passages de son ouvrage. Ainsi, le sage participe à la nature divine ; il est après Dieu l'être le plus parfait; il possède, autant qu'il est dans sa nature, tout ce que Dieu possède; Dieu se glorifie de son existence comme du plus beau de ses ouvrages; enfin, c'est lui qui apprend aux hommes à connaître Dieu, et à acquérir la sagesse.

[141] Cette opinion se trouve dans la philosophie pythagoricienne, ainsi que dans celle des stoïciens et des chrétiens. Elle est vraie et utile à la morale, lorsqu'elle n'est pas poussée trop loin dans la pratique.

[142] Sextius blâme toute espèce de suicide, soit par une mort violente, soit par une mort lente, résultat de jeûnes portés à l'excès, ou de macérations corporelles, ainsi que l'ont pratiqué quelques fanatiques. Si l'on ne doit pas provoquer la mort, il ne faut pas la craindre, quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente. La mort la plus glorieuse, celle que le sage doit considérer avec impassibilité, est celle que l'on subit pour la défense de la vérité, de la justice et de la liberté ; telle fut celle de Socrate, celle de Jésus-Christ, et de quelques autres qui se dévouèrent courageusement pour la cause de la liberté.

[143] La mort n'est pas à craindre pour celui qui croit à l'immortalité de l’âme, à la bonté et à la clémence divines. Elle doit être redoutable pour un chrétien qui, après avoir considéré les préceptes obscurs, exagérés, contradictoires et incertains qui lui sont imposés, secroit en outré obligé d'obéir à ces lois de l'Église, à ces nombreux et incohérents décrets de circonstances, prescrits, sous peine de damnation, par cent conciles, et par autant de papes. Comment pourra-t-il se flatter d'avoir observé les prescriptions contenues dans ce fatras indigeste; car l'ignorance n'est pas pour lui une excuse? Une âme, en cet état, souffre les plus terribles angoisses à l'approche de la mort; car, même l'absolution d'usage, donnée par un prêtre, ne peut la rassurer.

[144] La guerre, qui recèle en elle tous les crimes, à la honte de l'humanité, et qui est de tous les fléaux le plus terrible, la guerre a été condamnée par les philosophes païens. Les premiers chrétiens, qui refusaient de prendre part aux crimes de la guerre, n'osaient cependant improuver hautement ses auteurs. Leurs successeurs, maîtres de la victoire sans tirer l'épée du fourreau, s'en servirent plus tard, comme les païens, pour soutenir leur domination temporelle, et se créer une puissance spirituelle inconnue avant eux.

[145] On retrouve souvent dans ce code de morale des sentiments d'une bienveillance désintéressée qui porte à faire du bien même aux ingrats.

[146] L'amour de nos semblables est la première des vertus. Il ne peut y avoir, dans l'ordre de la loi naturelle, un meilleur, emploi de son bien, que de secourir ceux qui en ont besoin.

[147] Sextius nous apprend ici quel profond mépris et quel éloignement nous devons avoir pour ces magistrats qui, loin d'avoir de la clémence pour les personnes qu'ils sont appelés à juger, cherchent, par des raisons captieuses ou par des discours prémédités, à exagérer la culpabilité, et à la trouver là même ou elle n'est pas. Nous avons vu plus d'un exemple de ce genre d'iniquité.

[148] Ce n'est pas être bienfaisant, mais orgueilleux, que d'humilier celui auquel on rend un service.

[149] L'auteur entend que Dieu récompense celui qui prend soin des jeunes enfants, dont la faiblesse réclame nos soins d'une manière plus spéciale.

[150] Sextius parle ici de la vraie gloire, qui consiste à rendre les hommes meilleurs et plus heureux, et non de vaine gloire que le vulgaire place dans les dignités, les honneurs, les talents stériles, et souvent dans les actes funestes au genre humain, mais que le philosophe regarde avec mépris.

[151] Autant la sobriété dans les aliments est une vertu qui nous dispose à l'accomplissement de nos devoirs, autant la gourmandise nous en détourne ; voilà pourquoi le sage lui préfère la mort.

[152] On voit, par ce verset et le suivant, que les païens crurent, comme les chrétiens, aux démons malfaisants, et qu'ils leur faisaient jouer le même rôle.

[153] A des époques où il n'était pas sans danger d'énoncer ouvertement des vérités ou des opinions contraires à celles qui étaient généralement adoptées, les philosophes, les chefs de religion, ainsi que ceux qui cherchaient à tromper dans l'ombre du mystère, apportaient beaucoup de soin, afin que leurs vrais sentiments ne fussent pas connus du public; ils imaginèrent à cet effet des mystères auxquels ils n'admettaient que les initiés. Les premiers chrétiens suivirent la même marche.

[154] Sextius pense qu'on ne doit parler de Dieu qu'avec beaucoup de circonspection, par la raison que l'homme ne pouvant connaître ni son essence, ni la nature de ses qualités et de ses perfections, a toujours erré, lorsqu'il a affirmé ce dont il ne pouvait se former une idée exacte. Les prêtres seuls, et les docteurs des différentes religions, ont eu la présomption d'en savoir plus que les autres hommes, et n'ont pas permis même qu'on élevât le moindre doute sur leurs assertions. Nous ne connaissons et ne pouvons savoir relativement à Dieu, que ce que la raison qu'il nous a donnée pour le connaître et l'observation sur l'ordre admirable de l'univers, sur notre propre nature, sur notre destinée, peuvent nous apprendre. Et, ainsi que le remarque notre philosophe, il est inutile de parler de Dieu à ceux qui ne voient dans toutes ces choses que ce qu'ils nomment hasard.

[155] L'idée d'une Trinité passa de la métaphysique des Indiens dans les croyances de l'Egypte, et fut transmise aux Grecs par Platon, qui la fit ressortir et l'accrédita par l'éclat de son imagination et de son style. Elle était, avant le christianisme, répandue dans l'école d'Alexandrie, où probablement Sextius puisa l'idée du Verbe dont il parle.

[156] La raison qui nous conduit à la connaissance de Dieu, ayant été donnée à l'homme dans cette fin, il s'ensuit, que tout ce que nous pouvons connaître de conforme à la vérité, provient de Dieu.

[157] On a vu, dans quelques autres passages, que Sextius recommande, ainsi que fait l'Évangile, la charité envers Dieu, et les œuvres faites sous l'inspiration de cet amour. Cette doctrine a été admise par quelques philosophes païens. Les premiers propagateurs du christianisme cherchèrent cependant, afin d'attirer les païens au christianisme, à leur persuader qu'il n'y avait pas eu de salut pour ceux qui n'avaient pas connu la rédemption, et que ceux qui ne voulaient pas se soumettre à la foi évangélique, ne pouvaient pas en espérer. C'est pour justifier cette opinion qu'ils affirmaient que tous les sages du paganisme, avaient encouru la damnation; que, n'ayant pas connu Dieu, ils ne l'avaient pas aimé, et n'avaient fait aucune action dans le dessein de lui plaire ; et que l'orgueil et la vanité avaient été les seuls mobiles de leur conduite. On voit encore par quelques versets qui précèdent, et par ceux qui suivent, que Sextius était, ainsi que d'autres philosophes, pénétré de respect et de reconnaissance envers Dieu.

[158] Celui qui se repose en Dieu, et sur sa conscience, méprise les menaces et les bourreaux d'un tyran.

[159] Combien de dévots et d'hypocrites prétendent rendre un culte à Dieu, en remplissant quelques cérémonies extérieures de religion, sans craindre de faire du mal, lorsqu'ils y trouvent leur intérêt. Le vrai culte, le seul essentiellement agréable à Dieu, ainsi qu'il est dit dans le verset suivant, consiste à aimer les hommes.

[160] Les païens avaient leurs saints, qu'ils nommaient divi, sancti, désignations adoptées par les chrétiens. Les premiers faisaient consister la sainteté dans la pratique de la vertu, dans les travaux, les sacrifices et les services rendus à la patrie ou à l'humanité. Il est vrai que l'adulation déféra ce titre à des tyrans infâmes. Des qualités bien différentes étaient exigées de ceux qui, parmi les chrétiens, pouvaient avoir droit à la sainteté. Ces qualités paraissent avoir disparu, car on ne voit plus de saints.

[161] On retrouve ici l'idée de la prédestination des chrétiens. Rien de nouveau ici-bas.

[162] Les païens croyaient, ainsi que les chrétiens, que le salut des hommes pouvait s'obtenir par des prières adressées à Dieu, directement ou indirectement, par l'intercession de leurs saints ou demi-dieux. C'est pour cette raison que Sextius fait un devoir de la prière.

[163] Cette opinion est la même que celle que l'on retrouve dans saint Jean, qui fait dire à Jésus-Christ, en s'adressant aux Juifs : « Ne vous ai-je pat dit que vous étiez des dieux? »

[164] Si l'on considère le mauvais emploi que les riches font de leur yen, et le compte qu'ils doivent en rendre à Dieu, on sera forcé de convenir qu'il vaudrait mieux pour eux ne rien posséder.

[165] Le passage de l'Évangile, où il est question du denier de la veuve, est la conséquence de ce que dit ici Sextius.

[166] Il est de notre devoir d'imiter Dieu en toutes choses, et de chercher à nous rapprocher de ses perfections, autant que peut nous le permettre notre faiblesse. « Pythagore et tous ceux qui l'ont suivi, dit Julien, dans son sixième discours contre les Cyniques, ont fait consister la philosophie dans la plus grande ressemblance possible avec la divinité. »

[167] Sextius donne ici un nouveau motif d'exercer la charité, vertu que les païens ont pratiquée, parce qu'ils pensaient qu'elle était agréable à Dieu. C'est ainsi que les chrétiens font la charité pour l'amour de Dieu ; mais les dépenses énormes faites, depuis la corruption du christianisme, en édifices et en cérémonies de culte, ne sauraient être agréables à Dieu, qui n'a pas besoin, ainsi que les rois de la terre, de tout cet appareil pour rehausser sa grandeur.

[168] On se voue rarement de nos jours à l'instruction, sans avoir en vue son intérêt particulier; et le plus souvent, au lieu d'être l'instrument de la vérité, on est celui du mensonge.

[169] Ce passage prouve, malgré ce qu'ont avancé les écrivains du christianisme, qu'il se trouvait dans le paganisme des hommes qui, loin de n'agir que par vanité, rapportaient à Dieu leurs actions, ainsi que nous l'avons déjà fait observer. C'est d'après le même principe, qu'ils rapportaient à un Dieu unique et créateur de toutes choses, les prières, les vœux, les sacrifices qu'ils faisaient aux dieux secondaires. Ces dieux étaient considérés par les philosophes et les hommes éclairés comme le sont les saints parmi nous ; c'est la même raison qui faisait dire aux pythagoriciens, qu'il faut les prendre pour ce qu'ils sont, leur donner le rang qu'ils ont reçu, et rapporter tout l'honneur qu'on leur rend au seul Dieu qui les a créés, et qu'on peut appeler proprement le Dieu des dieux (Hiéroclès, Comment. in aurea Carmina, v. 1.).

[170] L'idée exprimée dans ce verset, est grande et noble : elle est d'ailleurs consolante pour la vertu.

[171] L'on pourrait dire tout aussi bien, que la connaissance de soi-même donne la connaissance de Dieu.

[172] Rien de si commun que de se laisser tromper par les paroles de ces hommes qui, prétendant qu'on doit croire à leur bonne foi, ne vous permettent pas de douter de leurs intentions. La raison et l'expérience nous apprennent cependant à ne faire aucun cas de toutes ces prétentions, et de ne juger les hommes que d'après 'leur conduite; surtout en politique, où il paraît chaque jour tant de fourbes et d'hypocrites.

[173] Les théologiens, les docteurs, les interprètes, les commentateurs, les conciles, les papes, etc., ont tellement compliqué les préceptes de la religion chrétienne, et encombré de leurs écrits toutes les bibliothèques, que celles-ci renferment un nombre de volumes égal au nombre de jours qui se sont écoulés depuis l'établissement du christianisme. Ce fatras de paroles inutiles a-t-il appris à mieux connaître la divinité et à la mieux servir?

[174] L'homme n'est rien par lui-même, selon la pensée des anciens philosophes, que Sextius reproduit ici, en disant que l'élu, ou celui qui a la foi en Dieu, reconnaît que tout ce qu'il fait de bien provient de Dieu. Ce n'est point là le langage de cet orgueil, dont on a taxé si gratuitement les sages de l'antiquité.

[175] Par la raison qu'il craint de déplaire à Dieu.

[176] La continence dans le manger et dans les plaisirs de l'amour, est recommandée d'une manière spéciale dans ce verset et dans les suivants, ainsi qu'elle l'a déjà été plusieurs fois.

[177] La sagesse, selon Sextius, n'est pas un don du destin ; on ne l'acquiert pas par la seule volonté, et même par les efforts. Ce n'est qu'avec le secours puissant de la grâce que nous pouvons y parvenir. Est-ce là, encore une fois, l'opinion d'un philosophe orgueilleux et méconnaissant sa faiblesse?

[178] Rarement le sage, que Sextius désigne ici sous le nom de fils de Dieu, reçoit des hommages que l'adulation et la bassesse accordent presque exclusivement aux hommes qui, le plus souvent, en sont le moins dignes.