retour à l'entrée du site  

table des matières de l'œuvre DE PRISCIEN

 

PRISCIEN

 

ÉLOGE DE L’EMPEREUR ANASTASE

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

PRISCIEN.

ÉLOGE DE L’EMPEREUR ANASTASE

POEME.

PRÉFACE.

Les grands poètes, dans les vers qu’ils modulent à la louange des empereurs, ont coutume d’exagérer l’éloge; ils montent jusqu’au ciel, jusqu’aux astres, et suivent, dans leur vol impie, une route qui n’est pas tracée par la nature. Cela déplaît, je le sais, à ton âme pieuse, et je ne dirai rien qui ne se doive dire, rien que la vérité. Car celui qui attribue à des mortels des vertus célestes, est condamné au juste tribunal des sages; et si parfois ce qu’il avance est vrai, on ne le croit plus après les préludes trompeurs et les chants mensongers de son exorde. Ainsi, ne refuse pas, je t’en conjure, d’entendre tes louanges; je ne pourrais les proclamer toutes, quand on me donnerait à la fois mille langues et une source de génie d’où s’épancheraient les flots d’une poésie nouvelle: mais je choisirai la partie qui convient le mieux à la portée de mes forces, celle qui seule peut prêter de l’éclat à mes vers; ce qui n’a lieu que par un merveilleux privilège, car d’ordinaire les vers ajoutent du relief au sujet plutôt qu’ils n’en reçoivent. Ainsi, avec l’aide de Dieu, je chanterai ton éloge: je suis bien faible pour un pareil fardeau, mais je me sens allégé par la sérénité de ce visage, qui, partout présente aux yeux et à la pensée, révèle les secrètes bontés du plus clément des princes.

ÉLOGE DE L’EMPEREUR ANASTASE

Reçois avec indulgence ce chant romain, reçois un hommage que je rends d’ordinaire au roi du ciel pour prix du bienfait de la vie et de la douce lumière du jour: car, tu le sais, les vers fléchissent ce Dieu puissant, dont tu suis si bien les préceptes, dans la droiture de ton âme, ô le plus juste des princes; ce Dieu qui t’a donné l’empire, à qui seul tu dois tous les succès que ta as remportés pendant la guerre et pendant la paix. Pardonne donc à mon audace si je viens chanter vos louanges, qui ne finissent qu’au ciel, et qui s’étendent par l’univers entier.

Il ne faut pas s’étonner que de tels princes soient issus de la grande famille de ce Pompée, que Rome plaça elle-même à sa tête, et dont personne ne pourrait dignement compter les triomphes, si nombreux, que Titan les contemplait en quittant comme en regagnant les mers, et qu’il les admirait encore arrêté dans l’Olympe, au milieu de son cours. Et pourtant, à ton illustre descendant tu le cèdes, ô Pompée; car ces peuples que, partout vainqueur dans l’univers, tu laissas indomptés sur les hautes collines du Taurus, il a su les dompter en déracinant les derniers germes de la guerre. Placés naguère au faîte du bonheur, et croyant que la prospérité n’a pas de bornes, ils fondaient sur terre d’impies monuments de douleur; ils désolaient les familles par le rapt et la fureur du viol; tous leur semblaient égaux pour les pires outrages; les dignités ni l’âge n’en purent défendre personne; les lois, le plus ferme appui des empires, étaient renversées; la violence régnait seule au monde. Alors ces pervers recueillaient joyeux le prix de leurs crimes: des jugements, arrachés par la contrainte, condamnaient les justes; car le bon droit, sans puissance, ne conservait qu’un nom stérile; il ne restait plus dans l’empire qu’une vaine ombre d’équité. L’humble pauvreté même ne pouvait profiter à personne; la pauvreté, qui toujours est une sauvegarde au temps des rois ravisseurs, on la punissait de ne pouvoir satisfaire à ces rapacités de chaque jour: elle se vit avec effroi exposée à de plus graves périls que l’opulence, riche de ses larges trésors et de ses lourds métaux car le corps qui n’avait pas une dépouille à leur laisser, ils le torturaient dans les fers, ils le torturaient durement sous le bâton.

De ces calamités enfin le roi du ciel délivre l’univers, en lui donnant pour maître, je puis mieux dire, en lui donnant pour père, Anastasius, animé d’une piété si fervente et dont la vie nous offre le tableau de toutes les vertus: justice, sagesse, chasteté, bravoure, piété, clémence, fermeté, modération, bonté, candeur; bref, pour dire en un mot ce que je sens au fond du cœur, il possède toutes les qualités qu’on vante chez les anciens. II surpasse en piété Antoninus, en sagesse Marcus, en bonté le clément Nerva. L’âme bienveillante de Titus a répandu moins de bienfaits, et la gloire du magnanime Trajan cède à la sienne. En effet, qui dompta tant de tyrans à la fois dans une seule guerre? La fortune ennemie les avait amenés des rocs de l’Isaurie. Avec une douceur pleine de calme, notre maître leur commanda de sortir des murs de la ville, sans vouloir autrement les punir, bien que leur supplice fût une expiation qu’ils devaient au monde. Mais le père suprême, dont le bras soutient l’univers, et dont la balance égale pèse et récompense les œuvres du juste, ne permit pas à ces sujets forcenés de s’éloigner impunément. il leur inspira des mouvements de rage, les entraîna dans une lutte impie, et les poussa, en les aveuglant, à s’emparer des citadelles de Rome, pour qu’une vengeance méritée les exterminât et leur arrachât la vie. En effet, brûlant de nous rapporter encore la désolation et la misère, ils menaçaient de plus terribles maux l’empire du Latium. Mais l’armée toujours heureuse du prince invincible, ses généraux puissants par leur fidélité et par leur courage, après les avoir battus et mis en fuite, les affligèrent des plus cruels désastres, et, avec eux, les chefs qui dirigeaient les étendards maudits de la révolte.

Le lion, qui domine en roi dans les profondeurs des forêts de la Libye, si un noble courroux ne l’irrite, ne lève point les armes et ne fouette point ses flancs pour aiguillonner sa vigueur: mais si les cris des chasseurs le réveillent, si leur troupe l’environne, il pousse des rugissements horribles, il ouvre sa large gueule, il lance des regards rouges de feu et de sang: il se précipite dans la mêlée, renverse les armes et les combattants, et nulle puissance ne peut résister à ses assauts. Son élan heurte et brise les uns, sa griffe moissonne les autres; ceux-ci tombent déchirés sous ses dents acharnées; ceux-là, tués par la peur, périssent sans blessures. Tel Auguste frappe d’un bras vigoureux ses cruels ennemis, et terrasse, en variant leur chute, ces forcenés en délire. Que la Grèce ne nous vante plus son Bellérophon, qui vainquit les Solymes pour les laisser encore recommencer la guerre. D’un seul coup notre maître les dompta si bien de ses armes heureuses, que la rébellion leur est désormais impossible. C’est là un avantage que Servilius, le meilleur des chefs, qui mérita jadis, pour ses exploits glorieux contre ces peuples, le nom d’Isauricus, ne put assurer lui-même aux Latins. Ni l’or, ni la force ou le nombre des armes, ni les châteaux élevés sur des rocs escarpés, ni les cités munies de murailles si solides que nul vainqueur n’avait pu les prendre encore, rien ne les sauve du trépas qu’ils méritent et de la colère du prince. Trompés dans leurs vaines espérances, ils occupaient toutes les places fortes, ils ne trouvaient jamais de retraite assez sûre, et, brandissant leurs javelots du haut des rochers où ils s’étaient étroitement renfermés, ils prolongeaient leurs destinées: mais la faim qu’ils endurèrent, pire que la mort la plus cruelle, fit plus de ravages que les antres fléaux parmi ces vaincus, et ces cœurs, avides du monde entier, périrent anéantis par la famine.

Qui pourrait taire les coups frappés par la foudre en faveur d’un prince équitable? Ceux que n’avaient pu réduire la puissance de Mars ni tant de chefs rassemblés autour de leurs remparts, le bras enflammé du père suprême les renverse, et Dieu signale sa présence pour combattre ces pervers. O piété incomparable, digne de vivre à jamais dans la mémoire des âges ! Pour elle, les vents unis aux nuages livrent bataille; les éclairs, de leurs feux rapides, se font une arme de guerre, et les tonnerres frappent avec fracas les montagnes ébranlées. Rappellerai-je ces tempêtes soulevées sur les mers, et les flottes ennemies brisées sur les rivages de la Lycie, alors que l’onde fit l’œuvre du soldat romain, et que l’Océan lutta pour donner la victoire à l’empereur? Ainsi tous les éléments conspirèrent pour sauver la vertu ! Qui dira les batailles et les massacres tant de fois renouvelés, les tours au faîte sublime abattues au niveau du sol; et, quand ces cohortes domptées tombaient de toute part, les fleuves décolorés roulant des flots de sang, et leurs embouchures presque comblées par les monceaux de corps entraînés sous les vagues? Alors la mer vaincue se rougit d’une écume sanglante, et les poissons rassasiés ne purent dévorer tous les cadavres, Ainsi, ceux qui espéraient emmener nos mères captives, s’enrichir des dépouilles de la ville et du sacré palais, ceux qui voulaient, les infâmes ! régner encore sur nous, furent privés à la fois de la lumière du ciel et des sépultures de la terre. Les autres abandonnent les villes et les toits de leur patrie. Ils ont perdu leurs enfants, ils pleurent ces têtes si chères, ils renversent les murs que la flamme avait épargnés; et c’est à peine s’ils ont compris, après tant de malheurs, qu’ils devaient cette juste expiation au maître du ciel et du tonnerre, par eux méprisé depuis des milliers d’années; c’est à peine s’ils reconnaissent dans ces calamités le Dieu vengeur, et s’ils savent qu’ils furent eux-mêmes la cause de leur ruine. Cependant la clémence d’Auguste est au-dessus de tous les outrages. Il relève de leur abaissement ces superbes qu’il a domptés dans les batailles: à ces ennemis de la paix il accorde le bienfait de la paix, heureux d’assurer l’existence et la sécurité de sa noblesse, et de garantir à chacun le libre usage de la vie dans son empire. Personne n’a plus à redouter ces pièges cruels et ces langues envenimées qui perdirent tant de citoyens par des accusations mensongères. L’État, qui s’était délabré dans ces jours désastreux, se rétablit pourtant, grâce à la merveilleuse sagesse du maître, qui sait raffermir ce royaume, remis si faible entre ses mains !

Mille sujets divers se présentent en foule, et dans mon esprit trop étroit se partagent et divisent mes pensées. Telle la prêtresse de Delphes, qui, pleine du dieu qui l’inspire, voit tout ensemble le passé, le présent et l’avenir, et ne peut, malgré ses désirs, les révéler à la lumière; ainsi, prince, quand j’embrasse d’un coup d’œil tes actions sans nombre, et ces bienfaits qui te sont dûs dans les diverses parties du monde, ma parole ne peut, exprimer les sentiments de mon cœur: c’est pour cela que je n’effleure que les traits saillants de ton éloge. Maintenant des siècles d’allégresse sont assurés au genre humain, à ces peuples appauvris naguère par des édits cruels qui forcèrent tant d’infortunés à fuir la patrie de leurs ancêtres: le père et le maître de l’univers abolit pour toujours ces édits, et délivra le monde de ces lourds impôts d’or et d’argent; il veut mériter à jamais les sublimes récompenses du ciel, il méprise les richesses, et fait ainsi à lui seul le bonheur de tous. En effet, des malheureux qui pouvaient à peine gagner leur pain et leur vie s’en allaient eu pleurant porter une offrande au trésor publie, une offrande qu’on leur arrachait malgré leurs tristes gémissements et leurs larmes: car la violence trouvait un prétexte à ces exactions, à ces calamités que déjà plusieurs poètes ont décrites, quand leur muse grecque ou romaine chanta vos louanges. Et le souverain de l’Olympe, sur cette place même où il t’avait remis le sceptre, où le premier il ceignit lui-même ton front du diadème, t’a vu lui offrir en sacrifice des monceaux de livres, cruels instruments du fisc, témoignages écrits des douleurs publiques: il accepta ces offrandes sanctifiées à jamais par des flammes secourables, qui, mieux que tous les autels, surent attirer ses regards propices. Le soleil, de ses rayons d’or, se plut à caresser ces feux et ces brasiers dont la fumée voilait la clarté du jour, mais que tu allumais avec la brillante sérénité d’une âme pure. Ce lieu vous présenta aussi de justes trophées, et offrit à vos yeux des tyrans enchaînés et vaincus, poussés devant vos pieds au milieu du cirque. Ainsi jadis Paul Emile, ce héros, traîna du haut de son char, aux yeux du peuple latin, le roi Persée jusqu’à la citadelle Tarpéienne, et apaisa Jupiter qui régnait aux temples du Capitole. Mais toi, c’est le Tout-Puissant, qui, de la citadelle des bienheureux, t’a vu apaiser sa divinité qui règne aux temples célestes.

Jouis, ô prince, de l’heureuse destinée que t’assure le trône. C’est à toi que le Dieu créateur de toutes choses a confié le soin de renouveler la face du monde; il veut que la justice encore descende d’en haut, il a prêté une oreille facile aux prières des peuples; car tu as relevé de fond en comble leurs villes abattues, tu leur as rendu leurs ports, et leurs remparts, et leurs traînées d’eau suspendues dans les airs. Les matelots aujourd’hui ramènent sans crainte leurs voiles au port, eux qui jadis avaient à courir des dangers pires que les hasards des mers, alors surtout que leurs nefs occupaient déjà les rivages de leur patrie; car les vaisseaux fatigués étaient menacés de sombrer au sein de la rade elle-même, dont les barrières renversées ne pouvaient plus briser les assauts des vagues. Aujourd’hui que tu les préserves de ces dangers, ils adressent du fond du cœur des prières à Dieu pour ta piété, qui veille ainsi sur toutes choses. Ta compassion décharge le laboureur d’une dépense onéreuse, car toutes les curies ont renoncé à leurs usages pervers; l’injustice n’a plus la liberté, comme naguère, de mépriser les lois; les courriers ont horreur de porter des ordres tyranniques; et, par amour du lucre, on ne mêle plus le sacré au profane. Tu veux toi-même, image du juge céleste, siéger en juge; tu rends toi-même aux peuples tes réponses sacrées, et tu ne repousses d’autres requêtes, que les requêtes injustes. Tu ne reçois point l’or que les magistrats avaient coutume de donner; il n’est plus permis de supplanter par fraude un ami; et tu enseignes par ton exemple à dédaigner de honteux profits. De jeunes recrues emplissent aujourd’hui de soldats vigoureux les rangs de ton armée, et ce n’est plus à prix d’argent, mais à force de vrai courage, que nos enseignes achèvent la victoire. Que dirai-je encore? Tu dispenses aux cités les trésors de Cérès, tu leur donnes la vie; mais tu leur défends le luxe, car tu prévois l’avenir. Le besoin ne force plus les peuples à se tourner vers le ciel; si la pluie manque, les vivres pour cela ne leur font point faute: ta paternelle prudence est souvent là pour nous sauver. C’est ainsi que pendant sept ans Joseph sauva l’Egypte, lui que sa glorieuse pudicité plaça dans le ciel, lui dont la sagesse sut fléchir les colères de Dieu, et expliquer an roi de Memphis les merveilles de ses rêves. Car Joseph avait le premier construit des greniers sur les plages du Nil: il avait défendu le luxe aux cités et prévu l’avenir, et il put ainsi vaincre la famine par sa divine sollicitude.

Grâce à toi, disparurent tout à fait de la ville ces séditions qui dépouillaient l’innocent à l’heure où le soleil était rentré sous terre: car, au sein des remparts, des forcenés en délire, aiguillonnés par l’ivresse et le fracas des applaudissements. frappaient du glaive leurs concitoyens, et jouissaient de ces dépouilles pacifiques arrachées pendant la nuit. C’est toi qui prohibas ces infâmes spectacles, la perte des âmes; tu ne veux plus qu’on prenne plaisir à voir couler le sang, ni qu’on risque sa vie pour nourrir son corps; tu ne souffres plus que des membres humains soient déchirés sous les dents, sous ces dents meurtrières dont s’arme la rage des bêtes féroces. Supérieur à tous par un esprit nouveau de bienveillance, tu trouves dans ton cœur exempt d’avarice des ressources suffisantes pour répandre partout l’aisance: la qualité de tes dons l’emporte sur leur nombre: tu relèves les humbles, tu dispenses tes bienfaits dans l’ombre, car tu ne veux être vu que de l’œil du très  Haut, et jamais la vanité n’a corrompu ton âme. Cc n’est point ta nouvelle fortune qui te donna ces sentiments de bonté, et quiconque avait pu t’offenser avant que tu ne prisses le sceptre à la demande du peuple entier, goûte aujourd’hui, malgré la souillure de sa faute qui ne flétrit que lui seul, des jours sereins que lui accorde la clémence du maître, et s’étonne de recevoir des récompenses au lieu du châtiment qu’il attendait. Mais ce qui met le comble à toutes tes louanges, ô prince, c’est cette sagesse de vues qui te fit élire de fidèles gardiens de ton palais, afin d’accroître encore la puissance impériale; qui te fit accueillir avec bonté tous les citoyens que t’envoya la vieille Rome: tu mis en œuvre toutes les ressources pour les secourir, tu pris plaisir à leur faire monter les brillants degrés des honneurs, pour épargner à leur patrie le sentiment de sa ruine et de ses douleurs: aussi, ils te doivent leur bonheur et leur salut, et nuit et jour ils forment des vœux pour toi. Enfin, les hommes qui brillent par l’éloquence, ô le plus grand des princes, ceux qui s’élèvent par la puissance du savoir et le labeur de la poésie, ceux dont la sagesse ajoute tant de force aux lois romaines, tu les associes dans ta justice au gouvernement de l’empire: seul tu donnes aux savants la digne récompense de leurs travaux, tu les enrichis de tes présents, tu les nourris de tes bienfaits. C’est pour cela que le souverain maître des régions éthérées éloigne de vos forteresses les attaques de ces ennemi qu’une injuste fureur entraîne à rompre les traités. Sur les larges rives de l’Euphrate au vaste cours, ils se ruaient furtivement et à l’improviste comme des pirates; mais Dieu tourna leurs efforts contre eux-mêmes, et, grâce à tes habiles manœuvres, ils essuyèrent des pertes bien méritées. Tel sera le sort de tous ceux dont les armes portent atteinte à la puissance et à la paix de votre empire, afin que le soleil, soit qu’il s’élève de l’océan, soit qu’il plonge ses coursiers dans l’onde, voie partout fleurir le nom d’Anastasius; car, à toi seul toujours obéira, je l’espère, l’une et l’autre Rome, avec l’aide du père suprême, qui voit tout, et que tu fléchis par ces œuvres d’une piété solide répandues dans tout l’univers, par ces temples resplendissants que tu construis et reconstruis sans cesse au Seigneur, ne trouvant de profit véritable que dans un légitime emploi de l’or.

Aussi naguère, empereur, nous avons vu tous avec quelle tendresse veille sur tes jours la providence du roi des cieux, dont la bonté présente te sauva du péril. En effet, quand ce navire neuf s’élança par-dessus ta tête de tout le poids de sa lourde masse entraînée par les vents, par ses voiles maudites, et livra aux chances des hasards une vie si précieuse, une vie au salut de laquelle sont attachées les destinées des lois du Latium et de tout l’empire, Dieu lui-même apparut pour t’arracher du sein des flots; montrant ainsi pour toi, dans la grandeur du péril, toute la grandeur de sa sollicitude: car ce n’est jamais autrement qu’il aime à manifester sa faveur suprême. Il y a de saints livres où la mémoire des hommes pieux se conserve à jamais: on y trouve mille histoires semblables de vénérables personnages dont la vertu brilla tout le reste de leur vie, parce que la main du Seigneur les avait arrachés du danger; et leur piété ne resplendit dans tout son éclat que lorsqu’elle eut été ainsi affermie et consacrée par ce salut inespéré qu’ils avaient reçu du dieu de l’Olympe. Ce témoignage d’une protection divine vous a été donné par le roi tout-puissant qui créa le monde et dont le regard s’étend sur la nature entière, parce que tu lui as voué un culte en ton âme, et que tu l’adores à toute heure, entouré de ces dignes rejetons de ta noble race qui font ta gloire. Comment ne pas parler, en effet, de Paulus, de la clémence de son cœur, et de cette candeur, rare et puissant mérite qui le rattache à toi non moins que les liens sacrés d’une vénérable origine, car son âme pure pratique les vertus modestes? Ma bouche pourra-t-elle chanter ces trésors d’amour dont tu combles les fils de ton frère, et que tu leur partages également avec la tendresse, non d’un oncle seulement, mais d’un père? nourrissons dignes de toi, dignes du génie et du sang de leur famille ! Rappellerai-je la bravoure et les exploits de votre Hypatius, qui chasse les hordes scythiques des rives de l’Ister, et qui fit voir aux Parthes la force de son bras, et leur apprit à trembler devant elle? Pourrais-je dire toutes les louanges que mérite ton auguste épouse, qui fut pour nous la source et la cause de tant de biens, quand elle fortifia de l’appui d’un si puissant prince l’empire de son père, et qu’elle confia à un tel homme la tutelle du monde et la sienne même? Jamais les mauvais désirs des sens n’ont su la vaincre; le bruit de sa piété s’est répandu chez tous les peuples, et elle a fait plus que son sexe ne lui permettait de faire, quand sa prévoyance rendit un si profitable service à l’univers romain. Puisse le Dieu qui veille au ciel, sur la terre et sur les mers, conserver à jamais de tels bienfaits aux royaumes d’Ausonie et puissent les monstres barbares, vraiment domptés, plier sous le joug, et s’accomplir enfin les vœux du peuple et du sénat sacré !


 

NOTES DE L’ELOGE D’ANASTASE.

1.— Deum sentis placari carmine (v. 4). Souvenir d’Horace (Epist. lib. ii, ep. i, v. 138) Carmine Di superi placantur.

2. — Pompei, cede nepoti (v. 15). Un poète grec de la même époque, Christodore, fait aussi d’Anastase un descendant du grand Pompée (Anthol. grecque, éd. de Bossch, liv. v, tit. i, épigr. 71). Selon M. Endlicher, le nom de Pompée qui se trouvait dans la famille d’Anastase et la victoire remportée par cet empereur sur les Isauriens, ont pu donner matière à cette flatterie. Peut-être aussi, dit M. de Saint-Martin dans ses notes sur l’Histoire du Bas-Empire de Le Beau, cet empereur descendait-il réellement d’un client ou d’un affranchi de Pompée.

3.— Namque genus (v. 16). Les Isauriens. Tout puissants sous Zénon, prédécesseur d’Anastase, ils s’étaient signalés par des cruautés et des exactions sans nombre. Chassés de Constantinople en 492 par Anastase, ils prirent les armes contre lui, et, après six ans de guerre, furent complètement vaincus en 497.

4.— Vique.... sola tenente (v. 26). C’est la leçon du manuscrit, mais elle est contraire à la mesure. M. Endlicher propose

Visque potestatem telluris mola tenebat;

mais je crois qu’ainsi corrigé ce vers serait mieux placé après le vingt-troisième Quum similes omnes, etc.

5.— Raptorum tempore regum (v. 32). M. Endlicher propose Ruptarum tempore legum. Mais ce changement ne me paraît pas nécessaire; la phrase se comprend sans cela: ces rois ravisseurs sont les rois barbares qui depuis un siècle avaient envahi l’empire, à moins qu’on n’aime mieux prendre le mot reges dans son acception républicaine, quand il désignait les grands, les patriciens, comme plus loin, au v. 121

6. — Et Romae (v. 59). Il est presque inutile de dire que Rome ici c’est Byzance, de même que plus loin (v. 62 et 310) l’empire de Byzance est désigné par les mots Latia ou Ausonia regna. Quand ils parlent de Rome, les écrivains byzantins disent Roma vetus, comme Priscien au v. 242 de ce poème.

7.— Solymos (v. 8 z). Les Solymes étaient voisins des Isauriens: les différentes peuplades qui habitaient le faîte et les versants du Taurus ont été souvent confondues.

8. — Venenum linguae (v. 135). Anastase avait chassé les délateurs.

9. — Argenti relevans atque auri pondere mundum (v. 153). L’impôt du chrysargyre fut aboli par Anastase en 501.

10.— Violentia (v. 159). L’édition de M. Endlicher porte violentis; mais la phrase n’est plus intelligible.

11.— Canentes Romano vestras vel Graio carmine laudes (v. 160). M. Endlicher pense que Priscien désigne ici, entre autres, le grammairien Timothée de Gaza, qui avait, au rapport de Suidas et de Cédrénus, adressé à Anastase une tragédie sur le chrysargyre. Il y peignait si bien les désastreux effet de cet impôt, que ce fut, selon Cédrénus, la lecture de cette tragédie qui décida l’empereur à supprimer cette odieuse contribution.

12. —. Et quo sceptra loco dederat (v. 161). Anastase fut couronné dans le Cirque, le 11 ou le 14 avril 491: il avait soixante ans.

13.— Portibus et muris, undarum et tractibus altis (v. 185). Anastase avait construit un aqueduc à Hiéropolis, élevé une longue muraille en Thrace pour arrêter les invasions des Barbares, restauré le phare d’Alexandrie, le port de Césarée et celui de Constantinople.

14. — Naufragium ratibus (v. 189). L’édition de M. Endiicher porte navibus, qui brise la mesure: nave d’ailleurs se trouve au vers précédent.

15. — Agricolas miserans, dispenctia saeva relaxas, etc. (v. 193). Selon M. Endlicher, le poète semble faire ici allusion à un changement introduit par Anastase dans la perception de l’impôt. Priscien fait un mérite à l’empereur de cette action, que d’autres lui reprochent comme une faute. « Evagre, qui lui est d’ailleurs assez favorable, reconnait néanmoins qu’il fit une action indigne d’un prince, d’exiger en argent, et encore à un très haut prix, ce que les peuples avaient accoutumé de fournir en nature pour l’entretien des soldats, au lieu que les autres princes défendaient rigoureusement ces estimations en argent, parce qu’elles foulaient beaucoup les peuples. Il le blâme encore d’avoir commis à des receveurs (vindicibus) qu’il mettait dans toutes les villes, le soin de la levée des impôts, en l’ôtant aux corps des villes, qui subsistaient, par ce moyen, avec splendeur, en sorte que ceux qui étaient dans ces corps étaient regardés comme autant de sénateurs: au lieu que ce droit leur étant ôté, ils se ruinèrent bientôt, et on ne put plus même lever autant d’impôts qu’auparavant, n’y ayant plus de personnes accommodées et riches pour les payer. » (Tillemont, Histoire des empereurs, t. vi, p. 535.) Evagre peut avoir raison, mais Priscien peut n’avoir pas tort. Car il paraît que ces corps des villes ou curies abusaient de leur privilège; et si la mesure prise par Anastase ruinait les villes, elle soulageait les campagnes.

16. — Aurum non adhibes (v. 201). Il paraît qu’Anastase avait supprimé la vénalité des emplois: c’était faire preuve d’un beau désintéressement; car jusque là les empereurs avaient profité de ce trafic. Voici comment les choses se passaient: lorsque l’empereur conférait une charge, le préfet du prétoire la rachetait pour la revendre plus cher à un autre, et il partageait avec le prince les bénéfices de l’affure.

17. — Per te seditio (v. 218). Les séditions excitées par les factions du Cirque.

18.— Ipse vetas ludos (v. 223). Les combats des hommes contre les animaux furent supprimés des spectacles publics vers 502.

19. — Sufficis.... commoda cunctis Largiri (v. 229). Anastase, dit Tillemont (Histoire des Empereurs, t. vi, p. 537), « conserva toujours la réputation de faire beaucoup d’aumônes. Car S. Avise, en lui écrivant, l’an 516, au nom de Sigismond, roi de Bourgogne, loue beaucoup sa libéralité, et assure que tout ce qui venait entre ses mains passait de là en celles des pauvres (Alcini Aviti Epist. lxxxiv). Ceux même qui le blâment, reconnaissent ses aumônes; mais ils prétendent qu’il ne faisait que donner d’une main ce qu’il pillait de l’autre. »

20. — Aulae custodes (v. 240). Les Curopalates.

21. Fafestos hostes (v. 255). Les Arabes ou Sarrasins Scénites, vaincus près de Bithrapse en 498.

22. — Non quum mole nova supra te navis iniqua (v. 273). Anastase, avant d’être empereur, en 482, selon Tillemont, avait fait une fois naufrage et s’était sauvé nu à Alexandrie, où il avait été recueilli par Jean Talaia, évêque de cette ville. Mais il ne paraît pas que ce soit à cet événement, déjà ancien quand Priscien écrivait ces vers, que ce grammairien veuille faire allusion. — Mole nova, Je ne sais si j’ai adopté le vrai sens de ces mots, qui peuvent signifier aussi un môle neuf, une digue neuve, et s’entendre de quelque port restauré par Anastase. Voir, plus haut, la note 13.

23.— Pauli (v. 290). Ce Paulus était un des frères d’Anastase. qui le fit consul en 496.

24. — Fratris natos (v. 295). Il désigne, selon M. Endlicher, les fils de Flavius Hypatius, autre frère d’Anastase C’étaient Flavius Pompeius, qui fut consul en 501, et Flavius Probus, consul en 502, 513 et 525.

25. — Hypatii vestri (v. 298). Cet Hypatius, fils de Secundinus et de Magna, sœur d’Anastase, par conséquent neveu de l’empereur, avait été consul en 500. Priscien exagère beaucoup ici ses hauts faits d’armes, qui se bornent à une victoire remportée en 503, près d’Amid en Mésopotamie, contre une avant-garde de l’année de Cabad, roi des Perses, qui ne tarda pas la prendre une sanglante revanche. Envoyé, en 514, contre Vitalien, chef scythe, Hypatius fut pris et enfermé dans une cage de fer. M. Endlicher pense que ce panégyrique de Priscien fut composé à cette époque, au commencement de cette guerre contre les Scythes, et avant que la nouvelle de la honteuse défaite d’Hypatius fût parvenue à Constantinople.

26.— Augustae (v. 301). Ariadne, fille de Léon le Grand et veuve de Zénon. Ce fut elle qui choisit Anastase, le revêtit de la pourpre, le proclama empereur, et l’épousa ensuite, quarante jours après la mort de son premier mari.