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POLYEN.

RUSES DE GUERRE

LIVRE SEPTIÈME.

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LIVRE SEPTIÈME.  - CHAP. Ier. Déjocès. - CHAP. II. - Alyatte - CHAP. III. - Psammetic. - CHAP. IV. - Amasis - HAP. V. - Midas. - CHAP. VI. - Cyrus. - CHAP. VII. - Harpace. - CHAP. VIII. - Crésus. -  CHAP. IX. - Cambyse. - CHAP. X. - ébarès - CHAP. XI. - Darius . - CHAP. XII. - Syracès. - CHAP. XIII. - Zopyre. - CHAP. XIV. - Oronte - CHAP. XV. - Xerxès - CHAP. XVI. - Artaxerxès. - CHAP. XVII.- Ochus. - CHAP. XVIII. - Tisaphernes - CHAP. XIX. - Pharnabaze. - CHAP. XX. - Glos. - CHAP. XXI - Datamès. - CHAP. XXII. - Cosingas. - CHAP. XXIII. - Mausole. - CHAP. XXIV. - Borgès. - CHAP. XXV. - Dromichetès. - CHAP. XXVI. - Ariobarzane. - CHAP. XXVII.- Autophradate. CHAP. XXVIII. - Arsamès. - CHAP. XXIX. - Mithridate. - CHAP. XXX. - Mempsis.  - CHAP. XXXI. - Kersoblepte. - CHAP. XXXII. - Senthès. - CHAP. XXXIII. - Artabaze. - CHAP. XXXIV. - Aryande. - CHAP. XXXV. - Brennus. - CHAP. XXXVI. - Mygdonius. - CHAP. XXXVII. - Parisade. - CHAP. XXXVIII. - Senthe. - CHAP. XXXIX. - Sellès. - CHAP. XL. - Borzus. - CHAP. XLI. - Surenas. - CHAP. XLII. - Les Celtes. - CHAP. XLIII. - Les Thraces. - CHAP. XLIV. - Les Scythes. - CHAP. XLV. - Les Perses. - CHAP. XLVI. - Les Tauriens. - CHAP. XLVII. - Les Palléniens. - CHAP. XLVIII. - Annibal. - CHAP. XLIX. - Les Thyrréniens. - .CHAP. L. - Les Gauloises.

Les livres de Polyen n'étant pas, comme ceux de Frontin, classés dans un ordre méthodique, nous avons supprimé jusqu'ici les préfaces de cet écrivain compilateur. Il paraît singulier que Polyen, qui semble ne les produire que pour exalter son travail et répéter jusqu'à satiété qu'il a parcouru avec peine un grand nombre d'histoires, ne dise pas un mot de la ruse du jeune Horace, resté seul contre ses trois adversaires, quoique ce fait eût été bien plus convenablement placé dans un recueil de stratagèmes que plusieurs vieux contes dont Polyen devait faire grâce à ses lecteurs. Peut-être, il est vrai, cette action si mémorable se trouvait-elle rapportée dans les chapitres qui manquent. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvions laisser passer la préface du septième livre : elle renferme des conseils excellents, et nous parait surtout digne d'être méditée dans les circonstances actuelles.
« Sacrés empereurs, Antonin et Vérus, dit Polyen, je vous offre un septième livre des ruses de guerre, où vous apprendrez ce qu'ont aussi pensé les Barbares. Il ne faut pas s'imaginer qu'ils manquent d'esprit. Ils ont de l'invention, de la malignité, du talent pour la fourberie, et il est bon de vous avertir vous-mêmes, quand vous leur ferez la guerre, et les généraux que vous enterrez contre eux, de ne pas mépriser les Barbares comme gens sans finesse et sans malice. Leur plus grande étude, au contraire, est de tromper et de chercher des prétextes à manquer de foi : et tout Barbare fera plus de fond sur ces sortes d'artifices, que sur le courage et les armes. La précaution la plus sûre qu'on puisse donc prendre contre eux, est la défiance, qui nous fera prévoir et découvrir leurs ruses et leurs artifices, en même temps que nous emploierons contre eux la force des armes. »

CHAPITRE PREMIER. - DEJOCÈS. 

Dejocès, Mède, usurpa l'Empire de son pays de la manière qui suit. Les Mèdes habitaient çà et là, sans ville, sans loi et sans police. Dejocès jugeait les différends de ses voisins, et leur apprenait à vivre dans l'égalité. Le juge leur plut; sa réputation se répandit de tous côtés, et tout le monde venait à lui comme juge équitable. Après qu'il eut ainsi concilié l'affection du public, il rompit lui-même ses portes la nuit, et remplit sa tour de pierres, et le jour suivant montrant cela aux Mèdes, il leur dit qu'il avait été en danger de mort, pour le soin qu'il prenait de les juger. La multitude en fut indignée, et conclut qu'il fallait lui donner une garde, et établir sa demeure dans un lieu fort. On lui destina la forteresse d'Ecbatane, et pour sa garde il choisit ceux qu'il voulut. Pour son entretien, on lui permit de prendre les deniers sacrés. Avec ces gardes, qu'il eut soin d'augmenter dans la suite, de simple juge qu'il était il se rendit roi.

CHAPITRE II. - ALYATTE.

Alyatte étant en guerre contre les Cimmériens, qui étaient d'une taille avantageuse et d'une figure épouvantable, mena au combat, outre ses troupes ordinaires. Une grande quantité de. chiens puissants, qu'il lâcha contre les Barbares comme contre des bêtes. Par ce moyen il en fit périr un grand. nombre, et força le reste à prendre honteusement la fuite.

II. Alyatte ayant dessein de se rendre maître des chevaux des Colophoniens qui abondaient en cavalerie, fit alliance avec eux, et avait soin, en fournissant ce qui était nécessaire aux troupes, de favoriser toujours la cavalerie avec le plus de distinction. Enfin étant à Sardes, il convoqua une grande assemblée, sous prétexte de donner une double paie. Les cavaliers étaient campés hors de la ville. Ils laissèrent leurs chevaux à leurs palefreniers, et entrèrent dans la ville, pour avoir part à la libéralité d'Alyatte. Il fit alors fermer les portes; et ayant enveloppé ces cavaliers avec ses propres soldats, il les fit tous mourir, et donna leurs chevaux à ses troupes.

CHAPITRE III.- PSAMMETIC.

Thémenthés, roi d'Égypte, fut détruit par Psammetic. L'oracle du dieu Ammon avait répondu à Thémenthès, qui le consultait sur son règne, qu'il se donnât de garde des coqs. Dans la suite Psammetic, ayant avec lui Pégrès le Carien, apprit par ses discours que les Cariens étaient les premiers qui avaient porté des casques crêtés. Cela lui donna l'intelligence de l'oracle. Il soudoya plusieurs Cariens, et les établit à Memphis autour du temple d'Isis; et campant dans le palais royal qui en était éloigné de cinq stades, il donna bataille, et remporta la victoire. C'est de ces Cariens qu'une partie de Mephis s'appelle Caro-Memphis.

CHAPITRE IV. - AMASIS.

Dans la guerre contre les Arabes, Amasis fit mettre derrière les Égyptiens les statues des dieux qu'ils avaient en plus grande vénération ; dans le dessein de les faire marcher d'autant plus courageusement au combat, qu'ils seraient persuadés d'avoir leurs dieux pour spectateurs, et qu'ils feraient tous leurs efforts pour ne pas laisser au pouvoir des ennemis les objets les plus précieux de leur culte.

CHAPITRE V. - MIDAS.

Midas, sous prétexte de faire un sacrifice aux grands dieux, fit sortir les Phrygiens la nuit avec des flûtes, des tambours et des cymbales, et de plus chacun d'eux était armé secrètement d'une dague. Les habitants sortirent de leurs maisons pour voir le spectacle. Les Phrygiens tout en jouant de leurs tambours et de leurs cymbales, poignardèrent les spectateurs, et s'emparant de leurs maisons, qu'ils trouvèrent ouvertes, établirent Midas tyran.

CHAPITRE VI. - CYRUS 

Cyrus combattit trois fois contre les Mèdes, et fut vaincu autant de fois. Il donna un quatrième combat à Pasargades, ou étaient les femmes et les enfants des Perses. Ceux-ci prirent encore la fuite : mais le danger où ils laissaient leurs femmes et leurs enfants les fit revenir à la charge ; et donnant sur les Mèdes qui s'étaient débandés dans la poursuite, ils remportèrent une victoire si complète, que Cyrus n'eut pas besoin de combattre de nouveau.

II. Cyrus ayant fait trêve avec Crésus, retira ses troupes. Mais la nuit suivante, il retourna promptement, et se présenta devant Sardes où il n'était point attendu. Il donna l'escalade, et se rendit maître de la place.

III. Quand Cyrus prit Sardes, Crésus demeura dans la forteresse, où il attendait le secours des Grecs. Cyrus prit les parents et les amis de ceux qui étaient dans la forteresse, et les leur montrant liés, il ordonna au héraut de dire aux assiégés qu'il leur délivrerait ces gens, s'ils lui rendaient la citadelle : mais que s'ils ne la rendaient pas, il ferait pendre tous ces prison­niers. Ceux de la forteresse ne s'amusèrent point aux vaines espérances qu'avait Crésus d'être secouru par les Grecs, ils livrèrent la forteresse à Cyrus pour procurer la liberté à leurs parents et à leurs amis.

IV. Cyrus voyant qu'après que Crésus avait été pris, les Lydiens pensaient encore à se révolter, poussa du côté de Babylone. Mais il envoya en Lydie le Mède Mazare, à qui il ordonna, quand il aurait subjugué le pays, d'ôter aux Lydiens armes et chevaux; de les forcer à porter des robes de femmes, de leur défendre de tirer de l'arc et de monter à cheval, mais de les porter à travailler à la tapisserie, à chanter, à jouer des instruments. Il est clair que son dessein en cela était de leur amollir le cœur. En effet les Lydiens, qui étaient auparavant la nation la plus belliqueuse sont devenus très mous et incapables de faire la guerre.

V. Cyrus assiégeant Babylone, creusa des fossés pour détourner le cours de l'Euphrate qui traversait la ville; et quand tout fut achevé, il emmena son armée assez loin de là. Les Babyloniens crurent qu'il avait renoncé à son entreprise, et ne firent plus la gardé si exactement. Mais Cyrus ayant détourné le cours du fleuve, ramena ses troupes, et les ayant fait entrer en diligence par l'ancien canal demeuré à sec, il se rendit maître de Babylone.

VI. Cyrus était campé devant Crésus. Les Lydiens avaient une cavalerie nombreuse, et se tenaient fiers de cet avantage. Pour rendre ce corps inutile, Cyrus mit à la tête de ses cavaliers un grand nombre de chameaux. Et comme la vue et l'odeur du chameau fait fuir le cheval, les chevaux des Lydiens emportèrent leurs maîtres et prirent la fuite, en sorte que Cyrus gagna la victoire avant même que d'avoir combattu.

VII. Voici comment Crésus persuada aux Perses de se soulever contre les Mèdes. Leur ayant montré une plaine sauvage et remplie de ronces, il leur ordonna de la défricher. Ils le firent et y prirent beaucoup de peine. Le lendemain il leur commanda de se laver et de le venir joindre, et quand ils furent arrivés, il leur fit servir un repas abondant. Il leur demanda ensuite laquelle des deux journées leur paraissait la plus agréable. Ils répondirent que la différence qu'il y avait de la première à la seconde, était celle qui est naturellement entre un état heureux et un état malheureux. « Vous aurez donc, leur dit-il, ce qui rend les hommes heureux, si vous vous retirez de la servitude des Mèdes. » Les Perses se soulevèrent aussitôt, et ayant déclaré Cyrus roi, détruisirent l'empire des Mèdes, et se rendirent maîtres du reste de l'Asie.

VIII. Cyrus assiégeait Babylone. Les assiégés avaient des vivres pour plusieurs années, et se moquaient de l'entreprise. Cyrus, par le moyen d'une tranchée, détourna dans un lac voisin le cours de l'Euphrate, qui traversait la ville. Les Babyloniens n'ayant plus d'eau à boire, se livrèrent aussitôt à Cyrus.

IX. Cyrus ayant été vaincu par les Mèdes, s'enfuit à Pasargades. Voyant que beaucoup de Perses passaient du côté des Mèdes, il dit aux autres : « Demain nous aurons un secours de cent mille alliés, ennemis des Mèdes. Mais pour se disposer à les recevoir, il faut que chacun de vous se munisse d'une fascine. » Les fascines furent préparées, et les transfuges ne manquèrent pas d'en avertir les Mèdes. La nuit venue, Cyrus ordonna que chacun mit le feu à la fascine. Les Mèdes voyant ces feux, crurent que le secours était arrivé, et prirent la fuite.

X. Pendant que Cyrus assiégeait Sardes, il prit quantité de pièces de bois, de la hauteur des murs, et y fit des figures d'homme, avec des barbes, des habits à la persane, un carquois derrière le dos, et des arcs à la main ; et planta tout cela, pendant la nuit, contre les murs de la forteresse, de manière qu'on les pouvait voir par-dessus. D'un autre côté, au point du jour, il donna une attaque à la ville. Pendant que les troupes de Crésus repoussaient cette attaque; quelques-uns tournèrent la tête du côté de la citadelle ; et voyant de loin ces figures qui paraissaient être dessus, ils jetèrent un grand cri. La peur saisit tout le monde, comme si la citadelle eût été prise par les Perses. On ouvrit les portes, chacun s'enfuit de son côté, et Cyrus emporta Sardes d'assaut.

CHAPITRE VII. - HARPACE.

Harpace avait écrit une lettre à Cyrus, qu'il voulait lui envoyer secrètement. Il ouvrit un lièvre, et lui fourra sa lettre dans le corps. Après avoir recousu l'animal, il le donna à porter à un homme, qu'il accommoda en même temps en chasseur, en l'entortillant de tirasses, afin que les gardes des chemins le laissassent passer sans défiance.

CHAPITRE VIII. - CRÉSUS.

Les secours que Crésus attendait des Grecs, tardaient à venir. Il choisit parmi ses Lydiens les hommes les plus forts et de la plus belle taille, et leur donna des armes grecques. Les soldats de Cyrus furent surpris de cet objet qui leur fut nouveau. De plus le bruit que faisait le frottement des dards contre les boucliers, troubla les Perses, et leurs chevaux furent éblouis de la lueur des boucliers d'airain fourbi. Cyrus fut vaincu, et fit trêve pour trois mois.

II. Crésus ayant été vaincu du côté de Cappadoce, par Cyrus, et voulant s'échapper par la fuite, ordonna à ses troupes de ramasser beaucoup de bois, et le fit entasser dans le chemin qui se trouvait serré. La nuit venue, il prit la fuite en diligence, et laissa seulement la cavalerie et la partie de son infanterie légère qui était la plus agile. Ceux-ci mirent le feu au bois, Crésus gagna pays et fut sauvé par ce feu.

CHAPITRE IX. - CAMBYSE.

Cambyse assiégeait Péluse. Les Égyptiens lui résistaient vigoureusement, lui fermaient les entrées de l'Égypte, et lui opposaient des catapultes et d'autres machines, au moyen desquelles ils lançaient sur ses troupes des traits, des pierres et du feu. Cambyse prit de tous les animaux que les Égyptiens adoraient, comme chiens, brebis, chats, ibis, et les plaça au-devant de ses troupes. Les Égyptiens cessèrent de tirer, de peur de blesser quelqu'un de ces animaux sacrés, et Cambyse ayant pris Péluse, pénétra de cette sorte dans le centre de l'Égypte.

CHAPITRE X. - ÉBARÈS.

Darius et les six autres Satrapes de sa ligue ayant mis à mort les Mages qui dominaient dans la Perse, tinrent conseil ensemble pour l'élection d'un roi. Ils résolurent de monter à cheval, et de sortir de la ville, et que celui-là serait roi, dont le cheval hennirait le premier. Ébarès, palefrenier de Darius, ayant su le résultat du conseil, prit le cheval de son maître un jour devant, et l'ayant mené dans le lieu marqué pour le rendez-vous, il y fit trouver une cavale, et la fit saillir par son cheval. Cela fait, il le ramena. Le lendemain, Darius, monté sur le même cheval, alla sur le lieu, dans la compagnie des autres Satrapes. Le cheval de Darius reconnut l'endroit où il avait rencontré la cavale, fut ému d'ardeur amoureuse, et se mit à hennir tout le premier. Les Satrapes mirent aussitôt pied à terre, adorèrent Darius et l'établirent roi des Perses.

CHAPITRE XI. DARIUS.

Pendant que Darius était campé contre les Scythes, il arriva qu'un lièvre se mit à courir devant la phalange des Scythes. Aussitôt ils s'attachèrent à poursuivre le lièvre. Darius dit : « Je crois qu'il est juste de fuir les Scythes, puisqu'ils méprisent assez les Perses, pour s'amuser en leur présence à courir après un lièvre. » En effet, il fit sonner la retraite, et pensa au retour.

II. Darius et les autres Perses de sa ligue, ayant résolu d'attaquer les Mages la nuit, réglèrent entre eux, par l'avis de Darius, pour pouvoir s'entre-reconnaître tous sept pendant les ténèbres, de faire sur le front le nœud qui liait la tiare, au lieu qu'ils le faisaient ordinairement derrière la tète. De cette manière le seul toucher pouvait servir de reconnaissance au milieu des ténèbres.

III. Darius fut le premier qui mit des impôts sur les peuples. Afin de les leur faire supporter plus patiemment, il ne les ordonnait pas lui-même, mais il les faisait régler par ses Satrapes, qui en mettaient d'excessifs. Darius, sous prétexte de favoriser ses sujets, réduisait ces impositions à la moitié. Les peuples recevaient la diminution comme un bienfait considérable, et payaient le reste de bon cœur.

IV. Darius, dans une expédition contre les Scythes, ne put avoir aucun avantage sur eux ; il manquait même de vivres. Il fut donc obligé de songer à la retraite. Mais afin de le cacher aux Scythes, il laissa son camp tel qu'il était, avec un grand nombre de blessés, d'ânes, de mulets et de chiens, et ordonna qu'on allumât la nuit quantité de feux. Les Scythes voyant tout cela, et les tentes sur pied, et, entendant le bruit de cette multitude d'animaux, crurent que les Perses étaient encore au mérite lieu. Mais ils étaient bien loin. Les Scythes apprirent leur fuite trop tard. Ils voulurent aller après ; mais il ne leur était plus possible de les atteindre.

V. Darius assiégea Chalcédoine. Les murs étaient si forts et la ville si bien garnie de vivres, que les habitus ne se mettaient pas en peine du siège. Darius ne fit point approcher ses troupes des murs, et même il ne fit point le dégât dans le pays. Il se tint en repos comme s'il eût attendu un renfort considérable de troupes auxiliaires. Mais pendant que ceux de Chalcédoine gardaient leurs murs, il ouvrit au tertre d'A phase, éloigné de la ville de quinze stades, une mine souterraine, qui fut conduite par les Perses, jusque sous la place du marché. Ils jugèrent qu'ils étaient directement sous ce lieu, par les racines qu'ils trouvèrent des oliviers, qu'ils savaient qui étaient dans cette place. Alors ils donnèrent jour à leur, mine, et montant par cet endroit, ils prirent la ville d'assaut, pendant que les assiégés étaient encore occupés à la garde des murs.

VI. Darius faisait la guerre contre les Saques, divisés en trois corps. À près avoir vaincu l'un des trois, il fit prendre à ses Perses, les habits, les ornements et les armes des vaincus, et les envoya, ainsi déguisés, vers le second corps des Saques, auxquels ils se présentèrent comme amis. Les Saques trompés par les habits et les armes, reçurent ces gens avec de grandes démonstrations d'amitié. Mais les Perses, selon l'ordre qu'ils en avaient, les tuèrent tous. Après cela Darius marcha contre le troisième corps des Saques, qui n'étant plus soutenu des deux autres, ne fit aucune résistance.

VII. Les Égyptiens ne pouvant supporter la cruauté du Satrape Oryandre, se révoltèrent. Darius traversa l'Arabie déserte, et vint à Memphis. Il arriva dans le même temps que les Égyptiens étaient dans la douleur, pour la perte qu'on avait faite d'Apis qui ne paraissait plus. Darius. donna une déclaration par laquelle, il promettait cent talents d'or à celui qui ramènerait Apis. Les Égyptiens, charmés de sa piété, quittèrent le parti de la révolte, et se soumirent à Darius.

CHAPITRE XII. - SYRACÈS.

Darius faisait la guerre aux Saques, Saquespharès, Homargès. et Thamyris, rois des Saques, tenaient conseil dans un lieu désert sur l'état présent des affaires. Un palefrenier, nommé Syracés, vint se présenter devant eux, et promit de faire périr l'armée des Perses, si l'on voulait s'engager par serment à donner à ses enfants et à ses descendants des biens et des maisons. On le lui promit, avec toutes les assurances qu'il put souhaiter. Aussitôt ayant tiré sa dague, il s'en coupa le nez et les oreilles, et se fit d'étranges blessures dans tout le reste du corps. Dans cet état, il passa, comme transfuge, dans le camp de Darius, et dit qu'il avait été traité de la sorte par les rois des Saques. L'excès du mauvais traitement rendit Darius facile à persuader. Alors Syracès, après avoir pris à témoin le feu éternel et l'eau sacrée, dit : « Je punirai les Saques; et voici de quelle manière. La nuit qui vient ils doivent lever le camp. Nous n'avons qu'à leur couper chemin en prenant par le plus court, et nous les prendrons tous comme au piège. Je suis palefrenier; ma profession est d'élever des chevaux ; je connais le pays, et je vous servirai de guide. Prenez seulement des vivres et de l'eau pour sept jours. » On le crut et on le suivit. Au bout de sept jours il mit l'armée des Perses au milieu d'un pays aride, où il n'y avait ni eau ni vivres. Rhanosbate, l'un des Chiliarques, lui dit « À quoi as-tu pensé de tromper un si grand roi, et de mener une si grande multitude de Perses dans un lieu sec où nous ne voyons ni oiseau, ni autre bête, et où l'on ne peut ni avancer n'y reculer ? » Syracès frappant des mains, dit avec un grand éclat de rire : « J'ai vaincu. Tout mon dessein était de sauver les Saques mes compatriotes, et de faire périr les Perses de faim et de soif. » Le Chiliarque coupa sur-le-champ la tête à Syracès. Darius monta sur une hauteur fort élevée, et ayant enfoncé son sceptre à terre, il mit dessus sa robe, sa tiare, et son diadème. C'était au point du jour. Il pria le dieu Apollon de sauver les Perses, et de leur envoyer de l'eau du ciel. Le dieu l'exauça., il tomba une pluie abondante. Les Perses la ramassèrent dans des peaux et dans des vases, et eurent le moyen de se retirer sains et sauves au fleuve de Bactre, en rendant grâces au dieu d'avoir procuré leur salut. Mais il ne tint pas au palefrenier qu'ils ne périssent tous. Cet homme fut depuis imité par Zopyre; qui s'étant pareillement mutilé le visage, trompa les Babyloniens et les subjugua.

CHAPITRE XIII. - ZOPYRE.

Darius assiégeait Babylone depuis longtemps, et ne pouvait venir à bout de s'en rendre maître. Zopyre, l'un de ses satrapes, se mutila le visage, et passa, comme transfuge, du côté des Babyloniens, à qui il se plaignit amèrement de la cruauté de Darius. Les Babyloniens furent persuadés par l'excès de l'outrage, et abandonnèrent à Zopyre le gouvernement de la ville. Il en ouvrit les portes la nuit, et Darius s'en empara. Mais il dit cette parole mémorable : « Je ne voudrais pas avoir vingt Babylone à pareil prix : j'aimerais mieux que Zopyre n'eût rien souffert. »

CHAPITRE XIV.- ORONTE.

Le roi Artaxerxès avait dit à Oronte : «Amène-moi lié Tiribaze, Satrape de Chypre. » Oronte craignait Tiribaze, et n'osant l'attaquer à force ouverte, il lui tendit un piège. Il fit faire une fosse profonde dans une maison, et couvrit le lieu de tapis, en forme de lit : il fit venir Tiribaze; comme pour lui parler d'affaires secrètes, 'et le fit asseoir sur ces tapis Tiribaze tomba dans la fosse, et ayant été pris et lié, fut envoyé au roi.

II. Oronte s'étant soulevé, faisait la guerre aux généraux du roi. Il se retira sur une hauteur du mont Tmolus, et se munit de retranchements. Voyant que les ennemis s'étaient campés devant lui, il ordonna à ses soldats de se fortifier de plus en plus, et de montrer aux ennemis qu'ils faisaient exactement les rondes et la garde. Pour lui, profitant de la nuit, il prit de la cavalerie, et faisant une sortie sur la route de Sardes, il enleva le convoi que l'on conduisait aux ennemis, et un butin considérable qu'il fit sur les Sardiens. Cela fait; il l'envoya dire à ceux qu'il avait laissés dans les retranchements, et leur donna ordre en même temps d'attaquer les ennemis le lendemain. Ils l'exécutèrent. courageusement, et Oronte, de son côté, prenant les ennemis en queue, tua les uns, fit les autres prisonniers, et se retira en sûreté.

III. Oronte, à la tête de dix. mille Grecs armés de toutes pièces, était campé à Cyme devant Autophradate, qui avait un pareil nombre de troupes. Il commença par ordonner aux Grecs de regarder autour d'eux, et de considérer l'étendue de la plaine. Il voulut par-là leur donner à entendre que s'ils quittaient leurs rangs, ils ne pourraient échapper à la cavalerie des ennemis. Quand les deux armées eurent donné, la cavalerie des ennemis n'ayant pu rompre la phalange d'Oronte, tourna bride. Oronte ordonna aux Grecs, si la cavalerie ennemie revenait à la charge, d'avancer seulement de trois pas. Les Grecs avancèrent, et la cavalerie d'Autophradate croyant qu'ils voulaient donner, prit la fuite.

IV. Oronte ayant perdu beaucoup de ses alliés qu'Autophradate avait fait périr dans des embuscades, envoya en secret des gens qui dirent qu'il venait au secours d'Oronte des troupes soudoyées, et cette nouvelle fut rapportée à Autophradate. La nuit Oronte prit les plus vigoureux des Barbares, et les ayant armés à la grecque, il les mêla avec les autres Grecs au point du jour. Il eut soin en, même temps d'envoyer des interprètes qui savaient les deux langues, et qui expliquèrent aux Barbares les ordres donnés par les commandants grecs. Autophradate voyant, les armes grecques, se persuada que c'était le renfort dont il avait entendu parler, et n'osant hasarder le combat; il leva le camp, et s'enfuit.

CHAPITRE XV. - XERXÈS.

Xerxès, pour réussir dans son expédition de Grèce, rassembla plusieurs nations. Il fit courir le bruit de toutes parts que les principaux d'entre les Grecs étaient d'accord de lui livrer le pays. Ce n'était donc pas au combat que l'on croyait aller, mais à un gain assuré que l'on se proposait de faire. C'est ce qui fit que tout le monde s'engageait volontiers à l'entreprise, et plusieurs même s'y présentèrent sans en avoir été priés. II. Des espions des Grecs furent pris dans le camp de Xerxès. Au lieu de les faire punir, il ordonna qu'on les menât tout autour du camp, afin qu'ils pussent voir toutes ses forces. Quand ils eurent tout considéré, il leur dit : « Allez-vous-en maintenant, et faites un fidèle récit aux Grecs de tout ce que vous avez vu. »

III. Xerxès ayant sa flotte vers Abyde, prit un convoi de vaisseaux grecs, chargés de vivres. Les Barbares voulaient qu'on les fit couler à fond avec tout l'équipage. Xerxès, au contraire, demanda à ces gens : « On menez-vous- ces vaisseaux ? Ils dirent : en Grèce. C'est aussi, dit-il, où nous allons; les vivres qu'on porte aux Grecs sont à nous, suivez votre route. » Ces gens, sauvés de cette manière, firent le récit de leur aventure aux Grecs, qui n'en furent pas médiocrement étonnés.

IV. Xerxès voyant qu'il avait perdu une grande quantité de Barbares aux Thermopyles, voulut dérober aux ennemis la connaissance du nombre des morts. À cet effet, il ordonna aux proches de ceux qui avaient péri, de les enterrer pendant la nuit.

V. Xerxès ayant perdu à l'affaire des Thermopyles un grand nombre de Perses, à cause de la situation des lieux trop resserrée, trouva un Tarquinien, nommé Ephialtès, qui lui enseigna un chemin étroit à travers les hauteurs. Xerxès envoya par là vingt mille hommes, qui, prenant les Grecs par derrière, les tuèrent tous. Ces Grecs avaient pour chef Léonidas.

CHAPITRE XVI. - ARTAXERXÈS.

Artaxerxès ayant dessein de prendre Tisapherne, envoya Tithrauste chargé de deux lettres , l'une pour Tisapherne même, au sujet de la guerre contre les Grecs, dont il lui abandonnait toute la conduite; et l'autre adressée à Ariée, portant ordre à lui et à Titrauste de se saisir de la personne de Tisapherne, et le lui envoyer. Ariée ayant lu la lettre dans la ville de Colases en Phrygie , envoya prier Tisapherne de le venir trouver pour affaires où il avait besoin de son conseil, surtout pour ce qui regardait les Grecs. Tissapherne, sans se défier de rien, prit seulement trois cents Arcadiens et Milésiens d'élite, et vint à la maison d'Ariée. Étant prêt d'entrer au bain, il quitta son cimeterre. Dans le moment Ariée, accompagné de ses domestiques, se saisit de lui, et l'ayant enfermé dans un chariot cousu, le livra de cette sorte à Tithrauste. Celui-ci le mena ainsi cousu, jusqu'à Célaines. En ce lieu, il lui coupa la tête, et la porta au roi, qui l'envoya à sa mère Parisatis. Il y avait longtemps qu'elle souhaitait avec ardeur de voir la mort de Cyrus vengée par celle de Tissapherne. Cette mort et cette punition ne devaient pas non plus être indifférentes aux mères et aux femmes des Grecs qui avaient été dans les intérêts de Cyrus, et qui avaient été trompées par Tissapherne.

II. Artaxerxès prenait soin de fomenter la guerre parmi les Grecs : mais il se déclarait toujours pour le parti le plus faible. Il affectait d'égaler le vaincu au vainqueur : mais son véritable but était de ruiner peu à peu les forces de ceux qui avaient l'avantage.

CHAPITRE XVII. - OCHUS.

Quand Artaxerxès fut mort, son fils Ochus, voyant jusqu'à quel point il avait été redouté de ses sujets, et ayant peur d'en être méprisé, gagna les eunuques, les officiers de la chambre, et le capitaine des gardes ; et de concert avec eux il cacha pendant dix mois la mort de son père. Pendant ce temps-là, il envoya de tous côtés des lettres scellées du sceau de son père dans lesquelles il était ordonné de la part d'Artaxerxès de reconnaître son fils Ochus pour roi. Quand Ochus eut été proclame roi partout, alors il apprit au public la mort de son père, et il fit faire le deuil royal à la manière des Perses.

CHAPITRE XVIII.- TISSAPHERNE.

Tissapherne fit un traité solennel avec Cléarque, et en le régalant, il lui présenta des courtisanes. Il dit qu'il voulait prendre les mêmes engagements avec les autres chefs. Ils vinrent tous;,à savoir, Proxène le Béotien, Ménon le Thessalien, Agis d'Arcadie, Socrate d'Achaïe, suivis de vingt autres capitaines et de deux cents soldats. Tissapherne prit les chefs, et les ayant enchaînés, les envoya au roi. Pour ce qui est des autres , il les fit tous mourir.

II. Tissapherne ayant dessein d'attaquer Milet, et d'y faire rentrer les exilés, n'avait pas tout ce qu'il fallait pour l'exécution, de son dessein. Il ne laissa pas de le publier comme s'il eût été sur le point de marcher contre la ville. Sur ce bruit, ceux de Milet enlevèrent tout en qu'ils avaient à la campagne, et se préparèrent à la défense. Tissapherne ayant fait ses préparatifs, fit semblant après cela de congédier ses troupes ; mais il ne les écarta pas trop des Milésiens voyant son armée débandée, changèrent de sentiment, et se mirent à sortir librement à la campagne Tissapherne, au signal dont il était convenu , rassembla ses troupes eu diligence, et fondant sur les Milésiens qu'il trouva dehors, les subjugua tous.

CHAPITRE XIX, - PHARNABAZE.

Pharnabaze écrivit aux Lacédémoniens contre Lysandre, et les Lacédémoniens rappelèrent celui-ci d'Asie, en lui envoyant le rouleau. Lysandre, obligé de s'en retourner, pria Pharnabaze de lui donner une autre lettre qui lui fût favorable. Pharnabaze le lui promit, et en écrivit publiquement une telle qu'il la souhaitait. Mais en secret, il en fit une autre de la même ferme, et sans aucune différence extérieure. Dans le moment qu'il fallut la cacheter, il changea une lettre pour l'autre, et mit le cachet à celle qu'il avait écrite secrètement. Lysandre, de retour à Lacédémone, présenta sa lettre aux Éphores, selon la coutume. Ils la lurent, et la lui ayant montrée, ils lui dirent qu'un homme qui apportait de telles lettres, espérait inutilement de pouvoir faire sen apologie,

CHAPITRE XX. - GLOS.

Pendant que Glos était en Chypre, il sut que les Grecs qui étaient auprès de lui, écrivaient à son désavantage à ceux d'Ionie. Voulant découvrir les auteurs de ces lettres, il équipa, une galère, et ayant donné des vivres aux rameurs, il ordonna de prendre la route d'Ionie. Le pilote affecta de retarder son départ, et beaucoup de gens, pendant ce délai, donnèrent des lettres aux rameurs. On partit enfin, et la galère aborda auprès d'une ville d'Ionie. Glos mit pied à terre, et se présentant aux rameurs, il leur ordonna de lui remettre toutes les lettres qui leur avaient été données. Il les ouvrit, et ayant découvert par là qui étaient ceux qui écrivaient contre lui, il n'y en eut aucun qu'il ne fit périr dans les tourments.

CHAPITRE XXI. - DATAMÈS.

Datamès devait à ses soldats la solde de plusieurs mois. Comme ils demandaient d'être payés, il les assembla tous, et leur dit qu'il avait beaucoup d'argent dans un lieu éloigné de là de trois journées, et qu'il n'y avait qu'à se hâter de s'y rendre. Les soldats le crurent, et le suivirent. Après qu'il eut fait une journée de chemin, il leur dit de se reposer et de l'attendre. Il prit quelques personnes du nombre de ceux qu'il avait ordinairement auprès de lui des chariots et des mulets, et étant allé dans un temple du pays, orné de beaucoup de richesse, il en enleva trente talents d'argent, et chargeant le tout sur les chariots et les mulets, il revint au camp. Il n'y avait que peu de vases qui fussent pleins : mais il en avait fait accommoder un grand nombre de semblables, pour faire croire qu'il amenait des richesses immenses. Il ouvrit aux soldats quelques-uns des vases pleins, et leur fit concevoir de grandes espérances d'avoir de l'argent; mais il leur dit qu'il fallait pousser jusqu'à Amise, pour y faire monnayer cet argent. Or, Amise était éloigné de plusieurs journées, et l'hiver était rude dans le pays. Les soldats patientèrent tout l'hiver, et ils passèrent sans demander leur solde.

II. Datamès avait des desseins sur Sinope : mais ceux de Sinope avaient une flotte, et lui, manquait non seulement de vaisseaux mais même de charpentiers pour en faire. Il fit amitié avec les Sinopiens, et promit de prendre Seste, celle de toutes les villes qui leur était la plus contraire , et de la mettre en leur pouvoir. Les Sinopiens le crurent, et lui offrirent de leur côté toutes les choses dont il avait besoin pour le siège. Il dit qu'il avait des troupes et des munitions de reste : mais qu'il manquait de charpentiers pour dresser des béliers, des tortues et d'autres machines propres à l'attaque des places. Les Sinopiens lui envoyèrent tout ce qu'il y avait d'ouvriers dans la ville, et Datamès s'en servit non pas à faire ce qu'il avait dit, mais à bâtir des navires et des machines, qu'il employa à faire le siège de Sinope, au lieu de celui de Seste.

III. Datamès ayant passé l'Euphrate, faisait la guerre au grand roi, qui se mit à le poursuivre avec une armée nombreuse; mais qui marchait lentement, parce qu'elle manquait de provisions: Datamès ayant fait beaucoup de chemin, au-dessus du fleuve, s'avisa, pour le repasser, de joindre les chariots deux à deux, et d'y en ajouter par-dessus deux autres. Le tout était cloué fortement ensemble, et sous les jantes des roues il élima aussi des planches, pour empêcher les roues d'enfoncer dans le lit de la rivière qui était limoneux. Ensuite il fit passer le fleuve à la nage à des hommes vigoureux qui traînaient avec des cordes les plus fortes bêtes de charroi qu'il eût. Cela fait, tant par le moyen de ceux qui poussaient par derrière, que par le moyen des bêtes qui tiraient de l'autre côté sur les traits, il fit avancer les chariots dans le fleuve, et ayant jeté dessus des sarments et des fascines, il s'en servit comme de pont pour faire passer ses troupes, et se rendit chez lui dix jours avant que le roi fût arrivé au fleuve.

IV. Datamès sut que quelques-uns de ses propres soldats avaient conspiré contre lui. Se trouvant dans une plaine où il devait livrer combat à ses ennemis, il donna ses. armes à un autre, et combattit déguisé. Ceux qui avaient formé des desseins contre lui, se trompèrent aux armes ; et leur erreur servit à les faire découvrir.

V. Datamès assiégeant Sinope reçut une lettre du roi, par laquelle il lui était défendu de continuer le siège. Quand il en eut fait la lecture, il adora la lettre, et offrit le sacrifice qu'on a coutume d'offrir pour les heureuses nouvelles. Il dit qu'il ne pouvait. recevoir un plus grand bienfait du roi ; et la nuit même remontant sur sa flotte, il se retira.

VI. Datamès, fuyant devant Autophradate qui le poursuivait, arriva sur le bord du fleuve : mais n'osant le passer, il campa là. Il opposa à la vue de l'ennemi ses plus hautes tentes: mais il défendit qu'on déliât le bagage, qu'il fit tenir caché derrière ces tentes, et ne permit pas aux soldats déposer les armes. Les ennemis voyant les tentes dressées, dressèrent aussi les leurs. De plus, ils dépaquetèrent le bagage, envoyèrent la cavalerie au fourrage, et se disposèrent i souper. Datamès, qui avait ses troupes toutes prêtes à marcher, passa le fleuve, pendant que les ennemis rassemblaient leurs troupes débandées les mettaient en ordre équipaient leurs chevaux, et reprenaient leur armes. Datamès profita de cet embarras, et prévint les ennemis par sa diligence.

VII. Datamès était sur le point d donner bataille. Dans ce moment, le général de sa cavalerie, emmenant avec lui les cavaliers de l'aile gauche, passa du côté des ennemis. L'infanterie demeura étonnée de cette trahison. Datamès courut la rassurer, et pour animer chacun à conserver son rang, il dit que la cavalerie les seconderait en temps et lieu, suivant l'ordre qu'elle en avait de lui. L'infanterie le crut, et se hâta de remporter la victoire, sans attendre le secours de la cavalerie. En effet, les gens de pied donnèrent avec tant d'animosité, qu'ils eurent un avantage complet, et ne furent assurés de la trahison de la cavalerie, que quand ils eurent défait le ennemis.

CHAPITRE XXII. - COSINGAS.

Il y a deux nations parmi les Thraces, appelées les Cerréniens et les Borcobiens. C'était la loi chez eux d'avoir pour chefs des prêtres de Jupiter. Leur prêtre, et par conséquent leur chef, était Cosingas. Mais les Thraces refusaient de lui obéir. Cosingas prit un grand nombre d'échelles de bois, et les dressa bout à bout. Il disait qu'il voulait s'en servir pour monter au ciel, et s'y plaindre à Junon de la désobéissance des Thraces. Ces gens, comme de vrais Thraces qu'ils étaient, c'est-à-dire des bêtes sans esprit, eurent peur que leur chef n'exécutât son entreprise. Ils lui demandèrent pardon, et jurèrent qu'ils suivraient ses ordres en tout.

CHAPITRE XXIII. - MAUSOLE.

Mausole, roi de Carie, voulant tirer de grandes sommes de ses amis et n'osant les leur demander ouvertement, leur dit par dissimulation : « Le grand roi veut m'ôter le royaume. » Et ayant fait venir les plus riches, il fit tirer en leur présence tout ce qu'il avait de meubles précieux d'or, d'argent, et de riches habits, comme pour envoyer tout cela au grand roi, afin d'en obtenir d'être conservé dans l'empire paternel. Les amis de Mausole crurent qu'il disait vrai et dès le même jour ils lui envoyèrent une quantité prodigieuse de richesses.

II. Mausole ayant dessein de se rendre maître de Latmus, qui était une ville très forte, feignit de se lier d'amitié avec les Latmiens. Il leur rendit les otages qu'Hidriée avait pris pendant la guerre, et voulut avoir une garde de Latmiens, comme si c'eussent été les seules personnes en qui il pût prendre confiance. Il en était servi à toutes choses où il les voulait employer; enfin il sut les gagner absolument. S'étant ainsi assuré de leur affection, il feignit que devant aller à Pygèle il avait peur de l'Éphésien Proplyte, et pria ceux de Latmus de lui donner encore trois cents hommes pour renforcer sa garde. Les Latmiens firent choix de trois cents hommes, et les lui envoyèrent. Mausole les ayant reçus, marcha avec eux et avec le reste de son armée, et prit la route de Pygèle. Comme il passait auprès de Latmus, les habitants de la ville sortirent pour voir l'ordre et la pompe de la marche. Mausole avait posé la nuit précédente des troupes nombreuses en embuscade. Elles surprirent la ville qu'elles trouvèrent vide, et les portes ouvertes , et Mausole ayant mené tente son armée y entra et s'en empara.

CHAPITRE XXIV. - BORGÈS.

Le grand roi avait donné à Borgès le commandement d'Éione, ville située sur le bord du Strymon. Les Grecs assiégèrent la place, Borgès la défendit le plus long temps qu'il lui fut possible mais désespérant enfin de la pouvoir conserver, et ne pouvant souffrir de voir au pouvoir des ennemis une place que le grand roi lui avait confiée, il mit le feu à la ville, la brûla, et s'y brûla lui-même avec sa femme et ses enfants.

CHAPITRE XXV. - DROMICHETÈS .

Dromichetès était roi des Thraces, et Lisimachus l'était de Macédoine. Le Macédonien faisait la guerre en Thrace, et fut trompé par l'ennemi, dont le général Éthès fit semblant de vouloir passer du côté de Lisimachus, et ayant gagné sa confiance ; engagea les Macédoniens en des lieux difficiles, où ils eurent extrêmement à souffrir de la faim et de la soif. Alors Dromichetès donnant sur Lysimachus et ses troupes, les fit tous périr. Le nombre de ceux qui moururent en cette rencontre avec Lysimachus, fut de cent mille hommes.

CHAPITRE XXVI. - ARIOBARZANE.

Ariobarzane, maître d'Adramut, y était assiégé par Autophradate par mer et par terre. Il eût bien voulu se munir de provisions et de quelque renfort de troupes ; mais l'ennemi l'empêchait d'en pouvoir faire entrer. Il commanda à Prélüs, qui avait la garde de l'île située devant Adramut, de feindre de la vouloir livrer à Autophradate. Ce général crut le commandant de l'île, et envoya une flotte pour prendre possession du pays. Pendant que les vaisseaux d'Autophradate étaient occupés à cette expédition, Ariobarzane fit entrer dans Adramut des provisions en abondance, et des troupes de renfort.

CHAPITRE XXVII. - AUTOPHRADATE.

Autophradate voulant faire incursion dans le pays des Pisidiens, trouva que l'entrée en était fort étroite et bien gardée. Il s'y présenta avec ses troupes, et comme s'il eût été rebuté par la difficulté des lieux, il recula jus-qu'à six stades. La nuit survint, et les Pisidiens s'imaginant que les ennemis s'étaient retirés tout-à-fait, s'en allèrent aussi : quand Autophradate le sut, il prit son infanterie armée à la légère, et ceux de ses soldats qui étaient les plus agiles, et courant avec une extrême diligence, il traversa les passages étroits, et ravagea le pays des Pisidiens.

II. Autophradate campé devant les Éphésiens, s'aperçut que la plupart d'entre eux s'amusaient à badiner et à se promener. Il invita leurs chefs à venir conférer avec lui sur les affaires communes. Ils le firent, et l'on se mit à raisonner ensemble. Mais Autophradate avait auparavant donné ordre aux capitaines des gens de guerre, tant de pied que de cheval, de fondre sur les Éphésiens, quand ils le verraient en conférence avec leurs chefs. La chose fut exécutée; et les Éphésiens surpris dans le dérangement et la négligence, furent les uns tués, et les autres faits prisonniers.

III. Autophradate, voulant mener ses troupes soudoyées au combat, fit courir le bruit qu'il ne faisait sortir son armée que pour en faire la revue, et qu'il avait dessein de priver de la solde ceux qui ne comparaîtraient pas, et qui ne seraient pas suffisamment armés. Tous les soldats se hâte­rent de prendre leurs armes et de se faire voir en bonne disposition. Dans le fond ce n'était pas tant une revue qui était l'objet d'Autophradate, que le dessein d'étonner les ennemis, par la connaissance qu'elle leur donnerait de la multitude de ses troupes.

CHAPITRE XXVIII. - ARSAMÈS.

Arsamès assiégeait la ville de Barca. Les habitants lui demandèrent la paix par des ambassadeurs; il la leur accorda, et en signe d'alliance il leur envoya sa main droite à la manière des Perses. Ensuite il leva le siège, et invita ceux de la ville à se joindre au roi pour l'expédition de Grèce; entre autres choses il leur demanda de l'aider de charrois. Ils envoyèrent leurs commandants conférer avec Arsamès à ce sujet. Arsamès les reçut splendidement, les régala, et présenta aux habitants un marché garni de toutes les provisions nécessaires. Pendant que ceux de Barca étaient à ce marché, Arsamès donna le signal aux Perses. Dans le moment, armés de dagues, ils se saisirent des portes, et faisant irruption dans la ville, ils tuèrent tous ceux qui voulurent-faire résistance.

II Arsamès s'étant révolté contre le roi, s'empara de la grande Phrygie. Des troupes du roi vinrent pour le combattre, et dans le moment qu'on en devait venir aux mains, le général de la cavalerie d'Arsamès avait donné parole de passer du côté des ennemis. Arsamès ayant été informé de cette trahison, vint à la tente du général la nuit, le prit, lui fit donner la question. Quand il eut tout confessé, Arsamès fit prendre à des cavaliers, de la fidélité desquels il était sûr, les habits et les armes des traîtres, et arma un autre général de la même manière que devait être celui qui avait fait la trahison. Il leur ordonna, quand ils verraient le signal dont les ennemis étaient convenus, de passer de leur côté ; mais de se placer derrière leur phalange, afin de la prendre en queue. Tout fut fait comme il l'avait disposé. Les faux transfuges attaquèrent les ennemis en queue, et Arsamès les poussa de front. Les ennemis se débandèrent, et la plupart périrent dans la fuite.

CHAPITRE XXIX. - MITHRIDATE.

Datamès s'était révolté contre le roi et le roi avait donné ordre à Mithridate de le tuer ou de l'amener prisonnier. Pour en venir à bout, Mithridate feignit de se révolter aussi. Datamnès fit difficulté de le croire, à moins qu'il ne lui vît faire de grands dégâts dans les terres de l'obéissance du roi. Mithridate le fit ; il rasa plusieurs forts, brûla des bourgades, saisit les deniers du roi, et enleva du butin. Après qu'il se fut ainsi montré ennemi du roi, Datamès prit confiance en lui, et tous deux convinrent de se trouver sans armes dans un certain lieu, pour se concerter ensemble. Pendant la nuit qui précéda l'entrevue, Mithridate cacha en quelques endroits du lieu où elle se devait faire, des poignards, et mit des marques pour les reconnaître. Datamès vint, et Mithridate se promena pendant quelque temps avec lui. Quand ils eurent fini leurs discours, Datamès embrassa Mithridate, et prit congé ; Mithridate ayant promptement ramassé un poignard, et l'ayant caché sous sa main gauche, rappela Datamès, comme pour lui dire quelque chose qu'il avait oublié. Datamès se retourna, et Mithridate lui montrant une montagne, lui dit que c'était un poste qu'il fallait fortifier; et pendant que Datamès regardait cette montagne, Mithridate le frappa et le tua.

II. Mithridate étant en Paphlagonie, s'enfuit dans une ville. Les ennemis le poussèrent vivement. Voulant gagner de l'avance sur eux, il fit tirer hors des maisons tout ce qu'il y avait de meubles, de vases et d'ustensiles, et parsemer tout cela dans les rues; et la nuit il s'en alla en diligence. Ceux qui le poursuivaient ayant fait irruption dans la ville, trouvèrent tous ces biens répandus çà et là, et se mirent à les piller, sans vouloir entendre les chefs, qui leur commandaient de poursuivre Mithridate. Ces soldats, animés au pillage, ne voulurent point perdre un profit présent, et Mithridate profita de leur cupidité pour gagner pays.

CHAPITRE XXX.- MEMPSIS.

Mempsis, assiégé par Aribbée, ne voulut pas s'enfermer dans les murs de sa ville. Il fit tout sortir, et plaça devant la ville les femmes, les enfants, tous les biens, et fit même démolir les portes; Aribbée voyant cette résolution désespérée, eut peur de ces gens qui se disposaient à combattre jusqu'à la mort, et fit retirer ses troupes.

CHAPITRE XXXI. - KERSOBLEPTE..

Les parents de Kersoblepte s'étant révoltés contre lui, s'approprièrent une partie de ses finances. II fit la paix avec eux, et leur donna le gouvernement de quelques villes, en les séparant les uns des autres. Avec le temps il trouva moyen de leur redemander son argent, les prit, les chassa des villes qu'il leur avait confiées, et recouvra entièrement tous ses fonds.

CHAPITRE XXXII. - SEUTHÈS.

Seuthès, général de la cavalerie de Kersoblepte, voyant son maître dans une disette d'argent, ordonna aux laboureurs d'ensemencer chacun une pièce de terre de cinq boisseaux; une grande multitude de laboureurs obéit à cet ordre. La terre produisit des blés en abondance, et Seuthès les ayant fait porter à la mer, les vendit à meilleur marché que les autres ne les vendaient. Par ce moyen il amassa beaucoup d'argent en peu de temps, et l'envoya à Kersoblepte.

CHAPITRE XXXIII. - ARTABAZE. 

Pendant qu'Artabaze assiégeait une certaine ville, un homme de Sicyone, appelé Timoxène, lui livra la place. Ils étaient convenus tous deux, pour s'envoyer des billets, de les attacher à un dard, et de les lancer dans un lieu qu'ils avaient marqué, et là ils trouvaient les billets qu'ils s'écrivaient.

II. Artabaze soupçonnant Pammenès de traiter avec les ennemis, le fit venir, comme pour lui faire des présents, et donner des vivres aux soldats; il le fit arrêter, et donna l'armée à conduire à deux frères, Oxythras et Dibicte.

III. Artabaze, fils de Pharnace, s'enfuyant de Platée, s'avança dans la Thessalie. Les Thessaliens lui demandaient des nouvelles de la bataille; au lieu d'avouer sa défaite, il dit qu'il se hâtait d'aller en Thrace pour des affaires secrètes dont le roi l'avait chargé; Mardonius, qui l'avait vaincu, le suivit, et apprit aux Thessaliens le détail de la victoire. Ainsi Artabaze traversa la Thessalie en faveur d'une fausse nouvelle, avant que les Thessaliens eussent appris la déroute des Perses.

CHAPITRE XXXIV. - ARYANDE

Aryande, assiégeant la ville de Barca, creusa un fossé la nuit, mit par dessus quelques branches d'arbres, et autres bois de peu de poids, et couvrit le tout d'un peu de terre. Le jour venu, traita avec ceux de Barca, et faisant la cérémonie du serment sur la fosse couverte, il jura qu'il garderait la parole donnée, tant que la terre demeurerait dans le même état. Le serment fait, ceux de Barca ouvrirent les portes; les soldats d'Aryande ayant bouleversé la terre qui couvrait la fosse, se rendirent maîtres de la ville, d'autant que la terre n'était plus dans le même état.

CHAPITRE XXXV. - BRENNUS.

Brennus, roi des Gaulois, voulant leur persuader de faire la guerre aux Grecs, fit une grande assemblée d'hommes et de femmes, et y produisit quelques captifs Grecs, petits de taillé, faibles de complexion, la tête rasée, et vêtus misérablement ; et mit à côté les plus grands et les plus beaux des Gaulois, armés à la manière du pays. Cela fait, il dit : « Voilà ce que nous sommes, et quelles sont les petites et faibles gens contre qui nous aurons à combattre.» Les Gaulois conçurent du mépris pour les Grecs, et se laissèrent aisément persuader de porter la guerre en Grèce.

II. Brennus ayant mené les Gaulois en Grèce, fit les statues d'or qui étaient à Delphes, et ayant fait venir les captifs de Delphes, il leur demanda par interprète si ces statues étaient d'or massif. Ils répondirent que tout cela n'était que du cuivre par dedans, couvert seulement à la surface d'une légère lame d'or. Il menaça de les faire mourir, s'ils disaient la même chose aux autres, et leur ordonna au contraire de dire constamment à tout le monde que c'était de l'or massif. Alors ayant fait venir quelques-uns des chefs, il interrogea de nouveau les captifs en leur présence. Selon l'ordre qu'ils en avaient de lui, ils dirent que tout était d'or. Brennus commanda de répandre cette bonne nouvelle partout, afin que la multitude, animée par l'espérance d'une part considérable à un si riche butin, combattit avec d'autant plus de courage.

CHAPITRE XXXVI. -  MYGDONIUS.

Mygdonius, assiégé par les ennemis, souffrait une grande disette de vivres. Il fit faire, dans la place du marché des monceaux de terre et de pierres, qu'il enduisit de boue, et sur cette boue il fit répandre du froment et de l'orge. Il avait engraissé de grands mulets. Il les mit hors de la ville, et les ennemis les enlevèrent. Mygdonius les envoya réclamer et demanda qu'on députât des gens, pour venir traiter avec lui du prix de ces bues. Les ennemis envoyèrent des hérauts que Mygdonius reçut au marché. Ces gens voyant des monceaux de grains, et beaucoup de monde qui venait pour en recevoir, annoncèrent aux ennemis, à leur retour, ce qu'ils avaient vu. Leur rapport fui confirmé dans l'opinion de tous ; par le bon état des mulets. Ils crurent dons qu'il n'était pas possible de prendre une place si bien munie de vivres, et levèrent le siège.

CHAPITRE XXXVII. - PARISADE.

Parisade, roi du Pont, se déguisait de différentes manières; d'une façon, pour observer ses soldats, d'une autre, quand il combattait contre les ennemis; et d'une autre encore, quand il était obligé de prendre la fuite. Il voulait bien que tout le monde le reconnût, quand il mettait ses troupes en ordre de bataille: mais quand il combattait, il voulait qu'aucun des ennemis ne pût le distinguer ; et dans la fuite, il se cachait non seulement aux étrangers, mais même à ses plus intimes.

CHAPITRE XXXVIII. -  SEUTHE. 

Pendant que les Athéniens ravageaient les côtes du Péloponnèse, Seuthe soudoya deux mille Gètes armés à la légère, et leur donna un ordre secret de faire descente dans le pays comme ennemis, d'y mettre le feu, et de tirer sur les murs. Les Athéniens les voyant faire, crurent que c'étaient des ennemis des Thraces ; et ayant quitté leurs vaisseaux, ils vinrent attaquer les murs. Seuthe sortit au devant des Athéniens, et les Grecs firent semblant de se joindre à eux. Mais quand ils furent derrière, ils se déclarèrent centre eux. Alors les Athéniens se trouvant au milieu des Thraces et des Gètes, furent entièrement défaits.

CHAPITRE XXXIX. - SEILÈS.

Seilès ayant dessein de faire mourir trois mille Perses qui voulaient se soulever, feignit que Séleuchus lui avait écrit des lettres menaçantes, mais qu'il voulait se servir de leur secours pour le prévenir. Pour prendre conseil avec eux là-dessus, il leur donna rendez-vous au village de Banda. Ils le crurent, et vinrent l'y trouver. Il y avait tout auprès un lieu creux et marécageux, où Seilès fit mettre en embuscade trois cents cavaliers macédoniens et thraces, et trois mille fantassins armés de toutes pièces, avec ordre, quand ils verraient élever un écu d'airain, de fondre sur ceux qu'ils trouveraient assemblés, et de les mettre à mort. L'écu fut levé, et l'embuscade donnant sur les trois mille Perses, les extermina tous.

CHAPITRE XL. - BORZUS.

Borzus s'étant aperçu que trois mille hommes de ceux qui étaient venus de Perse, avaient de mauvais desseins contre lui, les renvoya, et leur donna des guides pour les conduire dans un canton de Perse, appelé Comaste, où il y avait un grand nombre de villages, une multitude considérable d'habitants, et des logements de toutes parts. On distribua ces gens, les uns dans un lieu; les autres dans un autre. Mais les villages étaient bien gardés et environnés de troupes. Chaque hôte eut soin d'enivrer le soldat qui était logé chez lui, et le tua ensuite. Les corps des trois mille hommes furent mis en terre, et tout disparut dans une seule nuit.

CHAPITRE XLI. -  SURENAS.

Surenas, général des Parthes, voyant que Crassus, après une grande défaite, se retirait, et voulait prendre sa route par les montagnes, craignit qu'il ne prît la résolution de se battre en désespéré. Il lui, envoya un ambassadeur pour lui offrir l'amitié du grand roi, et lui dire que. ce prince, après avoir fait voir sa force aux Romains, voulait leur faire éprouver son humanité. Crassus soupçonna ces offres d'artifice, et ne se laissa pas persuader : mais les soldats découragés se mirent à branler les armes avec grand bruit, et forcèrent Crassus à se fier au Barbare. Crassus marcha donc à pied, malgré lui, pour l'aller trouver. Surenas le reçut humainement, lui offrit un cheval à bride d'or, et le fit monter dessus. L'écuyer barbare piqua le cheval, pour le hâter de porter Crassus au milieu de l'armée des Parthes. Octave, l'un des chefs qui accompagnait Crassus, s'étant aperçu de la fourbe, saisit les rênes du cheval; et après lui un autre chef, nommé Pétrone, en fit autant. Octave tira l'épée et tua l'écuyer, et un Parthe tua Octave. Crassus fut tué par le Parthe Exetrès, qui, lui ayant coupé la tête et la main droite, les porta au grand roi Hérode (ou Orode). Il était alors à table, et en buvant il entendait Jason de Tralle, acteur de, la tragédie qui représentait les bacchantes d'Euripide, et récitait actuellement cet endroit: «, Nous apportons des montagnes à ce palais un taureau nouvellement immolé, qui sera pour vous un spectacle heureux. » En même temps on présenta au roi la tête de Crassus. Cette rencontre fit pousser de grandes acclamations, et excita des battements de mains. Exetrès sauta de, joie, et dit : « C'est à moi, plutôt qu'à l'acteur qu'il convient de chanter ce que vous venez d'entendre. » Le roi, très, joyeux, le récompensa à la manière du pays, et fit donner un talent à l'acteur Jason.

CHAPITRE XLII.- LES CELTES.

Les Celtes faisant la guerre aux Autariates, mêlèrent dans leur pain et dans leur vin le suc de quelques plantes venimeuses, et laissant ces provisions dans leurs tentes, s'enfuirent la nuit. Les Autariates, persuadés que c'était la peur qui les avait fait fuir, se saisirent de leurs tentes, et se remplirent des vivres et du vin qu'ils y trouvèrent. Aussitôt ils furent tourmentés de flux de ventre, et les Celtes revenant contre eux, et les trouvant la plupart couchés à terre, les tuèrent tous.

CHAPITRE XLIII. - LES THRACES.

Les Thraces ayant été vaincus par les Béotiens auprès du lac de Copaïs, s'enfuirent sur l'Hélicon. Là ils firent trêve pour quelques jours avec les Béotiens, pour tâcher de se concilier pendant ce temps là, et chercher les moyens de faire la paix. Les Béotiens s'assurant, tant sur leur victoire, que sur la foi de la trêve, firent un sacrifice à Minerve Ionienne, et une fête pour célébrer leur victoire. Pendant qu'ils sacrifiaient et se réjouissaient, ensemble, les Thraces les attaquèrent la nuit, et les trouvant désarmés, en tuèrent une partie, et firent les autres prisonniers. Les Béotiens les accusèrent d'avoir violé la trêve. Les Thraces répondirent que cela n'était pas vrai ; qu'on n'avait parlé que des jours, et que les nuits n'étaient pas comprises dans le serment qu'on avait fait.

CHAPITRE XLIV. - LES SCYTHES.

Les Scythes étant près de donner bataille aux Triballes, ordonnèrent aux laboureurs et à ceux qui avaient soin des chevaux, quand ils les verraient aux mains avec les ennemis, de se faire voir de bien loin avec une nombreuse quantité de chevaux, qu'ils pousseraient devant eux. Ces gens parurent, et les Triballes voyant de loin tant de chevaux, et une poussière prodigieuse qui s'élevait, crurent que les hauts Scythes venaient au secours des autres. La peur les saisit, et ils se mirent en fuite.

II. Pendant que les Scythes parcouraient l'Asie, leurs femmes épousèrent leurs esclaves, et en eurent des enfants. Quand les maîtres revinrent, les esclaves ne voulurent point les recevoir. La guerre fut déclarée ; les esclaves prirent les armes, et se présentèrent en corps de phalange. Un Scythe, craignant l'issue d'une bataille où le désespoir ferait faire de grands efforts, conseilla aux autres de mettre les armes-bas, et de ne marcher contre les esclaves que le fouet à la main. Son conseil fut suivi; et les maîtres s'avancèrent courre les esclaves, en leur présentant le fouet. À cet aspect le courage des esclaves tomba ils se ressouvinrent de leur état de servitude, et la honte leur fit prendre la fuite.

CHAPITRE XLV. - LES PERSES.

Les Perses ayant pour suspects les Samiens et les Milésiens dans le voisinage de Mycale, leur ordonnèrent de garder les hauteurs des environs de Mycale. Ils feignirent de leur donner ce soin, à cause de la connaissance qu'ils avaient des lieux : mais la véritable raison était de les empêcher de corrompre par leur présence les autres Ioniens.

II. Les Perses donnaient bataille aux Mèdes. Cyrus conduisait les Perses. Ébarès, l'un, de ses satrapes, commença le premier à lâcher pied, et tout le monde le suivit dans sa fuite. Les femmes persiennes vinrent à la rencontre des fuyards, et levant leurs cottes, leur dirent : « Où fuyez-vous ? Avez-vous hâte de vous tacher dans le même lieu d'où vous étés sortis ? » Ce discours des femmes fit honte aux hommes ; ils retournèrent au combat, et mirent à leur tour les Mèdes en fuite.

CHAPITRE XLVI. -  LES TAURIENS.

Quand les Tauriens, nation de Scythie, veulent combattre, ils ont coutume de rompre tous les chemins qui sont derrière eux, et de les rendre impraticables; afin que n'ayant point d'espérance de fuir, ils se trouvent dans la nécessité de vaincre ou de mourir.

CHAPITRE XLVII. -  LES PALLÉNIENS.

Les Palléniens, revenant de Troie, abordèrent à Phlégra. Pendant qu'ils étaient à terre, les captives troyennes ne pouvant plus supporter la mer, mirent le feu aux navires, à la persuasion d'Anchilla soeur de Priam, qui était aussi captive. Les Grecs, n'ayant plus de vaisseaux, s'établirent au lieu pour lors appelé Squione. Ils y bâtirent une ville; et le pays qui s'appelait auparavant Phlégra, ils le nommèrent Pallène.

CHAPITRE XLVIII. - HANNIBAL.

Hannibal assiégeait en Ibérie une grande ville appelée Salamanque. Il traita avec les habitants, et promit de lever le siège, pourvu qu'on lui donnât trois cents talents d'argent et trois cents étages. Ceux de Salamanque n'exécutèrent point la convention, et Hannibal ramena ses troupes contre la ville, dans le dessein de la prendre d'assaut. Les Barbares supplièrent qu'il leur fût permis de sortir avec un seul habit et leurs femmes, à condition de laisser leurs armes, leurs biens et leurs esclaves. Les femmes sortirent avec les hommes. Elles avaient caché des épées dans les plis de leurs robes. Les soldats d'Hannibal se mirent à piller la ville. Les femmes donnèrent les épées à leurs maris, et quelques-unes même s'en servirent courageusement et attaquèrent, conjointement avec leurs maris, les soldats acharnés au pillage. Il y eut de ces habitants de pris, d'autres qui furent mis en fuite, et un bon nombre de tués avec les femmes. Hannibal admira le courage de ces femmes, les rendit à leurs maris, et laissa aux uns et aux autres leur patrie et leurs biens.

CHAPITRE XLIX. -  LES THYRRÉNIENS.

Les Thyrréniens établis à Lemnos et à Imbre, ayant été chassés par les Athéniens, abordèrent à Thénare, pendant que les Spartiates faisaient la guerre aux Hilotes. lis furent admis à vivre selon les lois, et à contracter des mariages; mais ne prenant point de part au gouvernement, et n'assistant point aux délibérations, ils se rendirent suspects de révolte, et furent mis en prison par les Lacédémoniens. Leurs femmes vinrent à la prison, et demandèrent aux gardes qu'il leur fût permis de voir leurs maris. et de leur parler. On les laissa entrer, et elles changèrent d'habits avec eux ; les hommes, ainsi déguisés, sortirent le soir, et les femmes, vêtues en hommes, demeurèrent dans la prison, résolues de tout souffrir avec joie, puisqu'elles avaient eu le bonheur de sauver leurs maris Les maris, de leur côté, n'abandonnèrent pas les intérêts de leurs femmes. Ils se saisirent des hauteurs de Taïgète, et soulevèrent les Hilotes. Cela fit peur aux Lacédémoniens : ils envoyèrent parler de paix, et l'ayant faite, ils rendirent les femmes aux Thyrréniens, leur donnèrent même des vaisseaux et de l'argent, et les envoyèrent en colonie, comme Lacédémoniens.

CHAPITRE L. - LES GAULOISES.

Il y avait parmi les Celtes une sédition intestine, et l'on s'armait déjà pour se faire la guerre. Leurs femmes, se présentant au milieu des troupes armées, demandèrent quelles étaient tes causes du différend, et les ayant entendues, elles en portèrent un jugement si sain, qu'elles rendirent les hommes amis, et établirent la paix dans les villes et les maisons. Depuis ce temps-là, quand les Celtes avaient à délibérer sur les affaires publiques, soit pour la paix ou pour la guerre, entre eux, ou avec leurs alliés, les résultats se formaient par l'avis des femmes. C'est d'où vient que l'on trouve écrit dans les traités d'Hannibal : « Si les Celtes portent leurs plaintes aux Carthaginois, les généraux de la cavalerie et de l'infanterie des Carthaginois jugeront le différend, mais si les Carthaginois portent leurs plaintes aux Celtes, ce seront les femmes des Celtes qui jugeront. »