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table des matières de PAUSANIAS

 

 

PAUSANIAS

 

LIVRE III.

 

LACONIE.

 

texte grec

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DESCRIPTION DE LA GRÈCE, PAR PAUSANIAS.

LIVRE III.

LACONIE.

CHAPITRE I

Lélex. Eurotas. Lacédémon. Tombeau d'Hyacinthe. Tyndarée. Les fils d'Aristodème. Théras.

APRÈS les Hermès, se présente, au couchant, la Laconie. Les Lacédémoniens disent eux-mêmes que Lelex Autochthon fut le premier roi de ce pays, et ses sujets prirent de lui le nom de Léléges. Il eut deux fils, Mylès et Polycaon : je dirai dans la suite pourquoi celui-ci, qui était le plus jeune quitta ce pays, et où il se retira. Mylès étant mort, Eurotas son fils monta sur le trône, et fit creuser un canal pour conduire à la mer l'eau qui était stagnante dans la plaine: une partie de cette eau s'écoula; le reste forma un fleuve, qu'il nomma l'Eurotas. Privé d'enfants mâles, il laissa son royaume à Lacédémon, qui avait pour mère Taygète dont la montagne a pris le nom : et pour père, Jupiter, suivant l'opinion commune. Lacédémon avait épousé Sparte, fille d'Eurotas. Lorsqu'il fut monté sur le trône, il changea d'abord le nom du pays et de ses habitants, en leur faisant prendre le sien. Il fonda ensuite une ville, et, lui imposant le nom de sa femme, l'appela Sparte : c'est celui que cette cité porte encore. Amyclas, fils de Lacédémon, voulant aussi laisser quelque mémoire de son nom, fonda la ville d'Amycles dans la Laconie. Il eut plusieurs fils : Hyacinthus, le plus jeune, était d'une très grande beauté, et mourut avant son père. Son tombeau est à Amycles, sous la statue d'Apollon. Amycles étant mort, la couronne échut à Argalus, l'aîné de ses fils, et après lui à Cynortas. Œbalus, fils de Cynortas, épousa Gorgophone, fille de Persée, roi d'Argos, il en eut Tyndarée, à qui le trône fut disputé par Hippocoon, qui s'y disait appelé par droit d'aînesse. Icarius et ses partisans s'étant réunis à Hippocoon, il se trouva bien supérieur en forces à Tyndarée, qui prit l'épouvante et s'enfuit à Pellane, si l'on en croit les Lacédémoniens. Mais, suivant les Messéniens, il se réfugia dans la Messénie, chez Apharée, son frère utérin, et fils de Périérès. Il s'établit, ajoutent-ils, à Thalames dans la Messénie, et tous ses enfants naquirent durant son séjour dans cette ville. Il fut ramené dans la suite à Lacédémone par Hercule, et il recouvra son royaume. Les fils de Tyndarée régnèrent après lui; ils eurent pour successeurs, Ménélas, fils d'Atrée, qui avait épousé une fille de Tyndarée, et Oreste qui était marié à Hermione, fille de Ménélas. Les Héraclides étant revenus dans le Péloponnèse, sous le règne de Tisamène, fils d'Oreste, Argos et Messène échurent, l'une à Téménus, l'autre à Cresphontes ; quant à Lacédémone, comme Aristodème avait laissé deux fils jumeaux, il y eut deux familles régnantes, la Pythie l'ayant ainsi décidé. Aristodème était mort à Delphes avant la rentrée des Doriens, dans le Péloponnèse. Ceux qui veulent illustrer sa mémoire, disent qu'il fut tué à coups de flèches par Apollon, parce que se rendant à l'oracle de ce dieu, et ayant d'abord rencontré Hercule, il s'en était rapporté à ce héros sur les moyens de ramener les Doriens dans le Péloponnèse; mais la vérité est qu'Aristodème fut tué par les fils de Pylade et d'Électre, cousins germains de Tisamène, fils d'Oreste. Les fils d'Aristodème se nommaient Eurysthène et Proclès ; et quoique jumeaux, ils étaient toujours en différend. Cette animosité fut poussée très loin, ils n'en contribuèrent cependant pas moins d'un commun accord à l'envoi de la colonie, qui partit avec Théras, autre fois leur tuteur, fils d'Autésion, et frère d'Argie, leur mère, Théras conduisit cette colonie dans l'île nommée alors Callisté, espérant que les descendants de Membliarus lui céderaient de bonne volonté la souveraineté de cette île, ce qu'ils firent en effet, par la raison que Théras descendait de Cadmus, tandis qu'ils ne tenaient eux mêmes leur origine que de Membliarus, homme du peuple, jadis laissé pour chef par Cadmus à ces nouveaux insulaires. Théras substitua son propre nom à celui de Callisté que portait cette île, et les Théréens lui sacrifient encore maintenant comme à leur fondateur. Proclès et Eurysthène furent bien d'accord, tant qu'il ne s'agit que de témoigner de la bonne volonté à Théras ; mais pour tout le reste, ils furent divisés d'opinions. Lors même qu'ils se seraient parfaitement accordés, je ne pourrais pas comprendre leurs descendants dans une même liste; ils ne se trouvèrent pas en effet tellement contemporains, que le cousin régnât avec le cousin, et que leurs successeurs à une même époque, se trouvassent toujours au même degré de descendance. Je ne mêlerai donc pas l'histoire de ces deux maisons, mais je ferai celle de chacune en particulier.

CHAPITRE II

Agis et les Agides. Les Cynuréens. Lycurgue législateur. Guerre d'Amycles. Alcamènes.

EURYSTHèNE, l'aîné des fils d'Aristodème, fut, à ce qu'on dit, père d'Agis, de qui tous les descendants d'Eurysthène tiennent le nom d'Agides. Les Lacédémoniens prirent part, sous son règne, à la fondation de Patras, dans l'Achaïe, en donnant des secours à Patréus, fils de Preygènes, dont cette ville conserve le nom. Ils en donnèrent aussi à Graïs, fils d'Echélatus, fils de Penthilus, fils d'Oreste, qui conduisit par mer une colonie dans le pays situé entre l'Ionie et la Mysie, qu'on nomme encore l'Éolide. Penthilus, aïeul de Graïs, s'était emparé précédemment de Lesbos, île voisine de ce continent. Sous le règne d'Echestratos, fils d'Agis, les Lacédémoniens chassèrent de la Cynurie tout ce qui était en âge de porter les armes, sous prétexte, que des brigands qui se retiraient dans ce pays, venaient ravager l'Argolide, qui appartenait à des Doriens ; et que les Cynuréens y faisaient eux-mêmes ouvertement des incursions. Les Cynuréens sont, dit-on, Argiens d'origine, et ils se donnent pour fondateur, Cynuros, fils de Persée. Peu d'années après cette expédition, Labotas, fils d'Echestratos monta sur le trône. Hérodote, en parlant de Crœsos, dit que Labotas, qu'il nomme Léobotès, eut pour tuteur dans son enfance Lycurgue, le législateur.
Les Lacédémoniens, sous Labotas, déclarèrent pour la première fois la guerre aux Argiens : ils les accusaient de commettre des ravages dans la Cynurie qu'ils occupaient, et d'exciter à la révolte les peuples circonvoisins, qui leur étaient soumis. Il ne se fit, dit-on, rien de mémorable de part ni d'autre dans cette, guerre. Les deux rois de cette maison, qui régnèrent ensuite, Doryssos, fils de Labotas, et Agésilas, fils de Doryssos, moururent l'un et l'autre peu de temps après leur avènement au trône. Ce fut sous le règne d'Agésilas que Lycurgue donna des lois aux Lacédémoniens. Les uns disent qu'il les avait reçues de la Pythie; les autres, qu'il les avait empruntées de l'île de Crète. Les Crétois prétendent qu'elles leur avaient été données par Minos, qui avait pris conseil de la divinité. Homère a, je crois, fait allusion aux lois de Minos, lorsqu'il dit: Gnosse, cité superbe, où commanda Minos, admis durant neuf ans aux entretiens de Jupiter. Je parlerai encore de Lycurgue dans la suite. Sous le règne d'Archélaüs, fils d'Agésilas, les Lacédémoniens, s'étant emparés à main armée d'Ægys, l'une des villes de leurs environs, en réduisirent les habitants en esclavage, sous prétexte qu'ils favorisaient les Arcadiens. d'Archélaüs fit cette expédition de concert avec Charilaüs, roi de l'autre branche. Lorsque j'en serai aux Eurypontides, je parlerai des exploits particuliers de Charilaüs, à la tête des Lacédémoniens. Sous le règne de Téléclus, fils d'Archélaüs, les Lacédémoniens s'emparèrent de plusieurs villes de leurs environs, savoir, Amycles, Pharis et Géranthres, qui appartenaient encore aux Achéens. Les Pharéites et les Géranthrates, frappés d'épouvante à l'approche des Doriens, capitulèrent et obtinrent la permission de quitter le Péloponnèse. Mais les Amycléens ne se laissèrent pas chasser aussi facilement, car ils soutinrent une guerre très longue, se signalèrent par plusieurs exploits éclatants, et le trophée que les Doriens érigèrent après les avoir vaincus, est une preuve de l'importance qu'ils attachèrent alors à cette conquête. Téléclus fut tué peu de temps après par les Messéniens, dans un temple de Diane, situé à Limnes, sur les limites de la Laconie et de la Messénie. Il eut pour successeur Alcamène, son fils; les Lacédémoniens, sous le règne de ce dernier, envoyèrent dans l'île de Crète Charmidas, fils d'Euthys et l'un des principaux de Sparte, pour apaiser les querelles qui divisaient les Crétois; il leur fit prendre la résolution d'abandonner les villes de l'intérieur, places peu considérables, et d'aller se réunir dans celles dont la situation favorisait les entreprises maritimes. Les Lacédémoniens détruisirent à la même époque Hélos, ville sur les bords de la mer, que les Achéens possédaient encore, et ils défirent les Argiens, qui étaient venus au secours des Hilotes.

CHAPITRE III.

Polydore. Guerre de Messène. Polémarque. Seconde guerre de Messène. Ossements d'Oreste. Ossements de Thésée. Armes des héros.

POLYDORE, fils d'Alcamène, monta sur le trône après la mort de son père. Les Lacédémoniens envoyèrent à cette époque une colonie à Crotone, en Italie, et une autre dans le pays des Locriens, qui habitent le promontoire Zéphyrium. La guerre de Messène fut dans sa plus grande force sous le règne de ce prince. Les Lacédémoniens et les Messéniens ne sont point d'accord sur les causes de cette guerre. On verra dans la suite ce qu'ils en disent, et comment elle fut terminée. Il suffit pour le moment de savoir que dans cette première guerre, les Lacédémoniens furent presque toujours commandés par Théopompe, fils de Nicandre, roi issu de l'autre branche. Elle était terminée, et les Lacédémoniens possédaient déjà la Messénie, lorsque Polydore mourut. Polydore jouissait de beaucoup de considération à Sparte, et plaisait extrêmement au peuple, parce qu'il ne s'était jamais porté à aucune action violente, ni à
aucun discours injurieux envers personne, et que la justice et l'humanité avaient toujours présidé à ses jugements. Ce Prince, dont la renommée remplissait déjà toute la Grèce, fut tué par un certain Polémarque, d'une assez bonne famille de Lacédémone, mais d'un caractère audacieux, comme cette action le fit voir. Les Lacédémoniens décernèrent à la mémoire de Polydore, les honneurs les plus éclatants. On voit cependant aussi à Sparte le tombeau de Polémarque, soit qu'il passât auparavant pour un homme de mérite, soit que ses parents le lui aient érigé en secret. Le règne d'Eurycrate, fils de Polydore, se passa sans que les Messéniens fissent aucune tentative pour secouer le joug des Spartiates, et sans qu'il y eût rien de nouveau de la part des Argiens. Mais sous le règne d'Anaxandre, fils d'Eurycrate, ces Messéniens, que l'ordre des destinées condamnait à se voir chassés de tout le Péloponnèse, se révoltèrent contre les Lacédémoniens: après leur avoir longtemps tenu tête, vaincus à la fin, ils capitulèrent et sortirent du Péloponnèse; quelques uns d'entre eux n'y restèrent, que pour devenir esclaves des Lacédémoniens, à la réserve pourtant de ceux qui habitaient les villes maritimes. Quant aux événements qui eurent lieu durant cette guerre, entre les Messéniens et les Lacédémoniens, ce n'est pas dans ce livre que je dois en parler. Anaxandre fut père d'Eurycrate second, et celui-ci de Léon; les Lacédémoniens, sous le règne de ces deux princes, éprouvèrent presque toujours des échecs dans la guerre qu'ils faisaient aux Tégéates. Mais sous le règne d'Anaxandride, fils de Léon, ils prirent le dessus, et voici comment. Dans un moment de trêve entre les deux peuples, Lichas, Spartiate, était venu à Tégée. Les Lacédémoniens, pour obéir à un oracle, cherchaient alors les os d'Oreste : Lichas, durant son séjour à Tégée, devina qu'ils se trouvaient dans l'atelier d'un forgeron : il crut reconnaître tous les signes indiqués par l'oracle dans les instruments qui meublaient cet atelier : les vents dans les soufflets de la forge, qui comme eux, agitent l'air avec impétuosité; le type dans le marteau; l'antitype dans l'enclume; la chose nuisible dont parlait le dieu, dans le fer si redoutable en effet aux humains, puisque l'on s'en servait à la guerre : si l'oracle eut concerné les temps héroïques, il aurait fallu par cette expression, entendre de l'airain. Un oracle à peu près semblable à celui là, rendu dans la suite aux Athéniens, leur fit retrouver à Scyros, les os de Thésée, sans lesquels il leur était impossible de prendre cette île. Cimon, fils de Miltiade, les trouva pareillement par adresse, et prit Scyros peu de temps après: Que les armes des héros fussent toutes d'airain, j'en ai pour preuve ce que dit Homère dans ses vers, de la hache de Pisandre, et de la flèche de Mériones. Je peux encore citer à l'appui de ce que j'avance, la lance d'Achille, déposée à Phasélis, dans le temple de Minerve, et l'épée de Memnon qu'on voit à Nicomédie, dans celui d'Esculape ; car la pointe et la garniture du bas de la lance, ainsi que toute l'épée, sont en airain. Je peux donner cela comme certain.
Anaxandride, fils de Léon, est le seul Lacédémonien qui ait eu en même temps deux femmes et une double postérité. Sa première femme, quoiqu'accomplie d'ailleurs, ne lui donnant point d'enfants, les Éphores lui ordonnèrent de la répudier: il ne put pas s'y résoudre, mais il consentit à en prendre une autre dont il eut un fils, nommé Cléomène. La première qui jusqu'alors avait paru stérile, mit au monde Doriéus, puis Léonidas, enfin Cléombrote. Anaxandride étant mort, les Lacédémoniens rejetèrent malgré eux les prétentions de Doriéus, quoiqu'ils lui reconnussent plus de bon sens, et plus de talents militaire qu'à Cléomène, et ils donnèrent d'après lois la couronne à Cléomène, qui était l'aîné. Et Doriéus ne pouvant se résoudre. à rester à Lacédémone, où il aurait été soumis à Cléomène, partit à la tête d'une colonie.

CHAPITRE IV.

Cléomène. Démarate. Léotychidas. Léonidas. Pausanias.

CLÉOMÈNE devenu roi, rassembla aussitôt une armée de Lacédémoniens et des peuples alliés, et fit une invasion dans l'Argolide. Les Argiens s'armèrent aussi, vinrent à sa rencontre, et furent défaits. Cinq mille d'entre eux, ou environ, se réfugièrent après cette défaite dans le bois consacré à Argus, fils de Niobé, près du champ de bataille; Cléomène qui se laissait souvent entraîner hors des bornes de la raison, ordonna aux Ilotes de mettre le feu à ce bois qui brûla en entier, incendie dont furent victimes les suppliants qu'il venait de vaincre. Il fit aussi deux expéditions dans l'Attique; la première qui délivra les Athéniens du joug des Pisistratides, lui acquit, à lui et aux Lacédémoniens, l'estime de tous les Grecs. Ayant entrepris la seconde en faveur d'un Athénien, nommé Isagoras qu'il voulait établir tyran d'Athènes, il fut trompé dans son attente; et les Athéniens combattirent avec beaucoup de valeur pour la défense de leur liberté; alors Cléomène ravagea différents endroits de l'Attique, et dévasta, dit-on, l'Orgas, canton consacré aux déesses d'Éleusis. Il alla aussi à Égine, où il fit arrêter ceux des principaux habitants qui noient embrassé le parti des Mèdes, et engagé leurs concitoyens à donner la terre et l'eau à Darius, fils d'Hystaspe. Tandis qu'il était occupé à Égine, Démarate, roi de l'autre branche, cherchait à le perdre dans l'esprit du peuple de Lacédémone; et Cléomène, à son retour d'Égine, entreprit de détrôner Démarate. A cet effet, il séduisit à prix d'argent la Pythie de Delphes, et lui dicta ce qu'il fallait qu'elle répondit aux Lacédémoniens. Ensuite il excita Léotychides, prince du sang royal et de la même branche que Démarate, à disputer la couronne à celui-ci. Léotychide se prévalut des paroles qu'Ariston avait laissé échapper à la naissance de Démarate, en disant inconsidérément que cet enfant n'était pas de lui. Les Lacédémoniens en référèrent à l'oracle de Delphes, comme ils avaient coutume de le faire, et la Pythie leur fit la réponse qui lui avait été suggérée par Cléomène. C'est ainsi que Démarate fut privé injustement de la couronne, par l'effet de la vengeance de Cléomène, qui se tua bientôt après dans un accès de démence, en prenant une épée, s'en frappant lui-même, et se découpant tout le corps par morceaux. Cette mort fut regardée par les Argiens comme une juste punition de sa conduite envers ceux qui s'étaient mis sous la protection d'Argus; par les Athéniens comme un châtiment des ravages qu'il avait commis dans l'Orgas, et par les Delphiens comme un effet du courroux d'Apollon, dont il avait corrompu la Prêtresse, la payant pour lui faire dire des faussetés contre Démarate. Mais la colère des héros peut avoir concouru avec celle des dieux à la punition de Cléomène: car Protésilas qu'on adore à Eléonte, et qui n'est pas un héros plus célèbre qu'Argus, sut cependant bien punir le Persan Artayctès; et les Mégariens n'ont jamais pu apaiser la colère des déesses d'Éleusis, dont ils avaient osé cultiver l'enceinte sacrée. Quant à l'oracle, Cléomène est absolument le seul qui ait eu l'audace de le corrompre.
Cléomène n'ayant point laissé de fils, la couronne parvint à Léonidas, fils d'Anaxandride, né de la même mère que Doriéus ; ce fut sous le règle de ce prince, que Xerxès amena ses armées dans la Grèce, et que Léonidas vint à sa rencontre aux Thermopyles avec trois cents Lacédémoniens Au milieu de tant de guerres que les Grecs ont soutenues, ou que les Barbares se sont faites les uns aux autres, il est facile de compter celles qui ont dû leur éclat à la valeur d'un seul homme, comme la guerre de Troie, au courage d'Achille, la bataille de Marathon, à la bravoure de Miltiade : mais le succès qu'obtint Léonidas, me paraît au-dessus de tout ce qui a brillé auparavant, et depuis. Car Xerxès, qui, par l'élévation de son esprit et l'éclat de ses actions, était bien supérieur à tous ceux qui ont régné après lui sur les Mèdes et les Perses, n'aurait pas même vu la Grèce, il n'eût jamais brûlé Athènes, et il eût été arrêté dans sa marche par le petit nombre d'hommes que Léonidas avait conduits aux Thermopyles, sans le Trachinien qui lui donna le moyen d'envelopper les Grecs, en conduisant par un chemin détourné à travers le mont Œta, l'armée que commandait Hydarne. Léonidas périt dans cette journée, et ce ne fut qu'après sa mort que les barbares purent pénétrer dans la Grèce.
Pausanias, fils de Cléombrote n'a point été roi; ce fut comme tuteur de Plistarque, qui était encore enfant lorsque Léonidas son père mourut, qu'il conduisit les Lacédémoniens à Platée, et
ensuite leurs vaisseaux dans l'Hellespont. On doit les plus grands éloges à sa conduite envers une femme de Cos, fille d'Hégétoride, qui n'était pas l'un des moindres habitants de cette île, et petite fille d'Antagoras. Elle était, contre son gré, la concubine de Pharandate Persan, fils de Téaspis. Mardonius et les autres Persans ayant été tués à la bataille de Platée, Pausanias renvoya cette femme à Cos avec toutes les parures que Pharandates lui avait données, et tous ses autres effets. Il ne voulut pas non plus, quoique Lampon d'Égine lui en donnât le conseil, qu'on insultât le cadavre de Mardonius.

CHAPITRE V.

Plistarque. Plistoanax. Pausanias. Temple de Minerve Aléa. Agésipolis.

PLISTARQUE, fils de Léonidas, mourut peu de temps après son élévation au trône. Il eut pour successeur, Plistoanax, fils de Pausanias, qui avait commandé les Lacédémoniens à Platée.
Pausanias, fils de Plistoanax, monta sur le trône après la mort de son père. il entra dans l'Attique
avec une armée, en apparence pour faire la guerre à Thrasybule et aux Athéniens, et consolider l'autorité des tyrans que Lysandre avait établis ; il remporta une victoire sur ceux des Athéniens qui occupaient le Pirée, mais il ramena son armée à Lacédémone aussitôt après le combat, ne voulant pas imprimer au nom Spartiate la tache honteuse d'avoir favorisé la tyrannie de quelques scélérats. A son retour d'Athènes, après cette victoire inutile, il fut mis en jugement par ses ennemis. Le tribunal qui juge les rois des Lacédémoniens, se compose de ceux qu'on nomme les Vieillards, au nombre de vingt-huit, des Éphores et du roi de l'autre branche. Quatorze des Vieillards, et Agis, l'autre roi, furent d'avis que Pausanias était coupable; mais le reste du tribunal ne pensa pas de même. Les Lacédémoniens ayant rassemblé peu de temps après une armée pour faire la guerre aux Thébains, (j'en dirai la cause en parlant d'Agésilas), Lysandre à la tête de cette troupe, se rendit dans la Phocide, et prenant avec lui tous les Phocéens, il entra sans perdre de temps dans la Béotie, et vint attaquer Haliarte, ville qui n'avait pas voulu se séparer des Thébains. Mais quelques Athéniens et quelques Thébains qui s'étaient déjà introduits secrètement dans la ville, firent une sortie, et s'étant rangés en bataille devant les murs, livrèrent un combat dans lequel furent tués Lysandre et d'autres Lacédémoniens. Pausanias, occupé à rassembler des troupes à Tégée, et dans le reste de l'Arcadie, ne put pas venir à temps pour le secourir. A son arrivée dans la Béotie, il apprit la défaite et la mort de Lysandre. Il n'en conduisit pas moins son armée vers Thèbes, et il se disposait au combat, lorsque voyant les Thébains rangés devant lui, et apprenant que les Athéniens que conduisait Thrasybule, étaient à peu de distance, et attendaient que l'affaire fût engagée pour venir attaquer les Lacédémoniens par derrière, il craignit de se trouver pris entre deux armées : il fit donc une trêve avec les Thébains, et enleva les corps de ceux qui avaient été tués sous les murs d'Haliarte. Les Lacédémoniens n'approuvèrent pas sa conduite; elle me paraît cependant mériter des éloges. Pausanias, en effet, savait bien que les Lacédémoniens n'avaient essuyé d'échecs qu'en se laissant envelopper par leurs ennemis, il prit donc exemple sur ce qui s'était passé aux Thermopyles et à Sphactérie, et ne voulut pas être la cause d'un troisième malheur du même genre. Mais ses concitoyens lui faisant un crime de sa lenteur à se rendre dans la Béotie, il ne crut pas prudent de s'exposer à un procès, et les Tégéates l'accueillirent comme suppliant dans le temple de Minerve Aléa, lieu qui depuis les temps les plus reculés était pour les peuples du Péloponnèse l'objet d'une vénération si profonde, que les fugitifs y trouvaient un asile inviolable. Les Lacédémoniens donnèrent la preuve de leur respect pour ce temple, en ne faisant pas la moindre démarche pour qu'on leur livrât Léotychides qui s'y était réfugié auparavant, et ensuite Pausanias; et les Argiens, en ne redemandant pas Chrysis qui s'y était aussi retiré. Pausanias ayant pris la fuite, et ses deux fils Agésipolis et Cléombrote étant encore très jeunes, Aristodème leur plus proche parent, prit leur tutelle, et ce fut sous son commandement quo les Lacédémoniens remportèrent une victoire à Corinthe. Les Argiens furent le premier peuple du Péloponnèse qu'Agésipolis attaqua, lorsqu'il fut en âge de monter sur le trône. Il se disposait à passer avec son armée, du pays des Tégéates dans l'Argolide, lorsque les Argiens lui envoyèrent un héraut pour proposer une trêve en vertu de quelques pactes qu'ils avaient entre eux, depuis les temps les plus reculés. Agésipolis ne voulut rien accorder à ce héraut, et avança toujours avec son armée en ravageant le pays ; un tremblement de terre qui survint ne le décida point à se retirer, quoique les Grecs, particulièrement les Lacédémoniens et les Athéniens aient une grande frayeur de ces phénomènes, et il alla camper sous les murs d'Argos. Les tremblements de terre ne cessant point, le tonnerre ayant même tué quelques-uns de ses soldats, et en ayant rendu d'autres furieux ; il quitta l'Argolide malgré lui. Il fit une autre expédition contre les Olynthiens; il avait déjà remporté plusieurs avantages, avait pris la plupart des Villes de la Chalcide, et espérait prendre Olynthe même, lorsqu'une maladie survenue subitement, et la mort qui en fut la suite, l'arrêtèrent dans ses projets.

CHAPITRE VI.

Cléombrote. Agésipolis. Cléomène II. Acrotatus. Cléonyme. Aréus. Acrotatus II. Aréus II. Léonidas. Cléombrote II. Cléomène, III.

AGéSIPOLIS n'ayant point laissé d'enfants, la couronne fut donnée à Cléombrote son frère, qui commandait les Lacédémoniens à la bataille de Leuctres contre les Béotiens: il y combattit avec beaucoup de valeur, et fut tué dès les commencements de l'action. Il est à remarquer que le destin fait presque toujours précéder les grandes défaites par la mort du général; c'est ainsi qu'Hippocrate fils d'Ariphron qui commandait les Athéniens à Délium, et dans la suite, Léosthène dans la Thessalie perdirent la vie au commencement du combat. Agésipolis rainé des fils de Cléombrote ne fit rien de bien mémorable : Cléomène, le plus jeune, monta sur le trône après la mort de de son frère. Il eut deux fils, Acrotatus et Cléonyme. Acrotatus mourut avant son père, laissant un fils nommé Aréus. Après la mort de Cléomène, Cléonyme son fils, et Aréus se disputèrent la couronne. Le Sénat ayant décidé qu'Aréus avait conservé les droits de son père, Cléonyme, qui se vit privé du trône, s'abandonna tout entier à son ressentiment. Les Éphores, pour le consoler, lui accordèrent différents honneurs, et le mirent plusieurs fois à la tête des troupes, afin qu'il ne se déclarât pas l'ennemi de Sparte ; il n'en finit pas moins par traiter sa patrie en pays ennemi, et lui causa bien des maux en y amenant Pyrrhus fils d'Æacides. Sous le règne d'Aréus fils d'Acrotatus, Antigone fils de Démétrius vint assiéger Athènes par terre et par mer ; Patrocle amena une escadre Égyptienne au secours des Athéniens : Aréus y conduisit aussi toutes les forces de Lacédémone; mais comme Antigone tenait Athènes bloquée de tous les côtés, et n'y laissait entrer aucun secours, Patrocle envoya des émissaires pour exhorter Aréus à fondre avec les Lacédémoniens sur Antigone : Patrocle promettait de prendre les Macédoniens à dos, lorsque le combat serait engagé, n'étant pas naturel, disait-il, qu'avec des gens de mer Égyptiens, il vint attaquer des Macédoniens sur terre. Les Spartiates voulaient hasarder le combat, par amitié pour les Athéniens, et dans l'espoir de faire quelque chose dont la mémoire pût se transmettre à la postérité; mais Aréus voyant que son armée avait consommé tous ses vivres, crut devoir réserver ce dévouement pour les besoins de sa patrie, et ne pas le prodiguer inconsidérément pour des étrangers; en conséquence, il ramena son armée à Sparte. Les Athéniens, après une très longue résistance, firent la paix avec Antigone, et consentirent à recevoir dans le Musée une garnison, qu'il retira depuis de son propre mouvement. Aréus eut un fils nominé Acrotatus: celui-ci fut père d'un autre Aréus qui mourut de maladie, à peine âgé de huit ans; La famille d'Eurysthène se trouvant ainsi réduite du côté des mâles, à Léonidas fils de Cléonyme et déjà très avancé en âge, les Lacédémoniens lui donnèrent la couronne. Léonidas avait pour ennemi capital, Lysandre petit-fils de Lysandre fils d'Aristocritus; ce Lysandre étant parvenu à capter la bienveillance de Cléombrote gendre de Léonidas, porta plusieurs accusations contre ce dernier; il prétendait, entre autres, que Léonidas, encore enfant, avait juré entre les mains de Cléonyme son père, de travailler à la ruine de Sparte ; on priva donc Léonidas de la couronne, pour la déférer à Cléombrote. Si Léonidas s'était abandonné à son ressentiment, comme Démarate fils d'Ariston, et s'il s'était retiré vers le roi de Macédoine ou le roi d'Égypte, il n'aurait recueilli aucun fruit des sentiments de bienveillance que les Lacédémoniens pouvaient reprendre pour lui ; mais se voyant exilé par ses concitoyens, il alla dans l'Arcadie, d'où il fut rappelé peu d'années après, et remis sur le trône. Quant à Cléomène fils de Léonidas, j'ai déjà dit, au sujet d'Aratus de Sicyone, qu'il se distingua en beaucoup d'occasions par sa valeur et son audace; que les Spartiates cessèrent après lui d'être gouvernés par des rois; enfin  j'ai raconté comment il perdit la vie en Égypte.
Cléoméne fils de Léonidas fut à Sparte le dernier roi de la branche d'Eurysthène et de ceux qu'on appelait les Agiades.

CHAPITRE VII.

Proclès. Soüs. Eurypon. Prytanis. Eunomus. Polydecte. Charillus. Nicandre. Théopompe. Zauxidamus. Anaxidamus. Archidamus. Agasiclès. Ariston. Démarate. Léotychides. Archidamus II.

Nous allons maintenant passer à l'autre branche. Proclès fils d'Aristodème eut un fils qu'il nomma Soüs. Eurypon fils de Soüs se rendit si célèbre, dit-on, que les rois de cette maison connus jusqu'à lui sous le nom de Proclides, prirent alors celui d'Εurypontides. L'inimitié des Lacédémoniens pour les Argiens prit naissance sous le règne de Prytanis fils d'Eurypon, mais déjà, avant tout sujet de plainte, les Lacédémoniens avaient fait la guerre aux Cynuriens. Sparte resta en paix sous les deux générations suivantes, durant les règnes d'Eunomus fils de Prytanis et de Polydectes fils d'Eunomus. Charillus fils de Polydecte fit une invasion dans le pays des Argiens, qu'il dévasta. Peu d'années après, sur la foi d'un oracle ambigu, les Spartiates commandés par Charillus; firent leur expédition contre les Tégéates, qu'ils comptaient bien subjuguer, et ils se proposαient de détacher le pays de Tégée du reste de l'Arcadie. Charillus étant mort, Nicandre son fils prit la couronne, et ce fut sous son règne que Téléclus roi de l'autre branche fut tué par les Messéniens dans le temple de Diane Limnas. Nicandre entra aussi dans l'Argolide avec une armée et en ravagea la plus grande partie. Les Asinéens qui avaient pris part à cette expédition des Lacédémoniens, en furent bientôt après punis par les Argiens qui détruisirent entièrement leur ville et les chassèrent du pays. Quant à Théopompe fils de Nicandre et qui régna après lui, je serai obligé d'en parler de nouveau dans la description de la Messénie; il régnait encore à Sparte, lorsque les Lacédémoniens et les Argiens se livrèrent le combat célèbre au sujet du pays de Thyrée, mais la vieillesse et encore plus le chagrin ne permirent pas à Théopompe de se trouver à cette affaire; il avait en effet eu le malheur de voir mourir avant lui Archidamus son fils qui n'était cependant pas mort sans enfants, puisqu'il avait donné le jour à Zeuxidamus, successeur de Théopompe, et père d'Anaxidamus auquel il laissa le trône. Les Messéniens, sous le règne d'Anaxidamus, furent vaincus pour la seconde fois par les Spartiates et quittèrent le Péloponnèse. Anaxidamus fut père d'Archidamus, et celui-ci d'Agasiclès. Ces deux derniers eurent le bonheur de voir leur règne s'écouler tranquillement et sans guerre. Ariston fils d'Agasiclès ayant épousé une femme, qui après avoir été la fille la plus laide de Lacédémone, était devenue la plus belle par l'intercession d'Hélène, en eut Démarate au bout de sept mois de mariage. Il était assis au Sénat avec les Éphores, lorsqu'un esclave vint lui annoncer que sa femme était accouchée d'un fils; et soit qu'il eût oublié les vers d'Homère au sujet de la naissance d'Eurysthée, soit qu'il ne les eût jamais connus, il dit que vu le nombre de mois qui s'était écoulé depuis son mariage, cet enfant ne pouvait pas être de lui, propos dont il se repentit bien dans la suite. Cette imprudence d'Ariston et l'inimitié de Cléomène firent perdre la couronne a Démarate, qui jouissait au reste de beaucoup de considération à Sparte, et qui, de concert avec Cléomène, avait affranchi les Athéniens de la tyrannie des Pisistratides. Démarate se retira vers Darius, roi des Perses, et sa postérité subsista, dit-on, longtemps en Asie. Léotychide qu'on fit roi à la place de Démarate, se trouva au combat de Mycale avec les Athéniens commandés par Xanthippe fils d'Ariphron. Ensuite il alla faire la guerre aux Aleuades dans la Thessalie, et il ne tint qu'à lui de soumettre tout ce pays, la victoire ayant constamment accompagné ses armes, mais il se laissa gagner par les présents des Aleuades ; les Lacédémoniens ayant voulu lui faire son procès, il s'enfuit à Tégée, et il se mit sous la protection de Minerve Aléa. Comme Zeuxidamus son fils était mort de maladie avant son exil, Archidamus fils de Zeuxidamus prit la couronne,lorsque Léotychides se fut retiré à Tégée. Cet Archidamus fit lés plus grands maux aux Athéniens, en entrant tous les ans dans leur pays avec son armée, et en y portant le ravage de tous côtés. Il assiégea et prit la ville des Platéens qui étaient toujours restés attachés aux Athéniens. La guerre du Péloponnèse avait cependant été entreprise contre son avis, et il avait fait tout ce qui dépendait de lui pour que la trêve fût maintenue. Sthénélaïdas qui jouissait de quelque crédit à Sparte, et qui se trouvait Éphore à cette époque, fut le principal auteur de cette rupture : une guerre en résulta qui ébranla jusqu'en ses fondements la Grèce jusqu'alors ferme dans son assiette, et la réduisit à un tel degré de décadence et de dépérissement, que Philippe, fils d'Amyntas, saisit cette occasion de lui porter les derniers coups.

CHAPITRE VIII.

Agis. Cynisca. Léotychides. Agésilas.

ARCHIDAMUS ayant laissé plusieurs fils, Agis comme l'aîné fut fait roi de préférence à Agésilas. Archidamus avait aussi une fille nommée Cynisca qui eut l'ambition de concourir aux jeux Olympiques; elle est la première femme qui ait entretenu des chevaux pour la course des chars, et qui ait remporté des victoires à Olympie. Plusieurs autres femmes, surtout des Macédoniennes, obtinrent depuis des prix à Olympie, mais elle est la plus célèbre de toutes. Aucun peuple, je crois, n'attachait moins d'importance que les Spartiates, et à la poésie, et aux louanges des poètes. En effet, hormis les vers de je ne sais quel poète, en l'honneur de Cynisca, et ceux que Simonide avait composés auparavant sur le trépied que Pausanias offrit à Delphes, je ne connais aucun poète qui ait rien fait pour célébrer la mémoire des rois de Lacédémone. Sous le règne d'Agis fils d'Archidamus, les Lacédémoniens eurent différents sujets de plainte contre les Éléens; ils s'indignaient surtout de ce qu'ils les avaient exclus des jeux Olympiques et du temple d'Olympie. Ils leur envoyèrent donc un héraut pour leur ordonner de rendre la liberté aux Lépréates et aux autres peuples circonvoisins qui leur étaient soumis ; les Éléens répondirent que dès que les Spartiates auraient rendu la liberté aux villes de leur territoire, ils ne manqueraient pas d'affranchir les leurs. Sur cette réponse les Lacédémoniens entrèrent dans l'Élide avec Agis leur roi; mais un tremblement de terre étant survenu, ils se retirèrent, quoiqu'ils se fussent avancés jusqu'à Olympie et jusqu'au fleuve Alphée. L'année suivante Agis entra de nouveau dans l'Élide et en emmena beaucoup de butin. Sur ces entrefaites, Xénias Éléen qui était l'hôte particulier d'Agis, et l'hôte public des Lacédémoniens, se révolta contre le peuple, de concert avec les riches; mais Thrasydée qui se trouvait alors à la tête du peuple Éléen, ayant défait Xénias et ses partisans, avant qu'Agis eût pu venir à leur secours, les chassa de la ville. Agis ayant emmené son armée, laissa Lysistrate Spartiate à la tête de quelques troupes et des exilés Éléens, pour ravager le pays de concert avec les Lépréates. La troisième année de la guerre, Agis et les Lacédémoniens se préparaient de nouveau à entrer dans l'Élide; mais les Éléens et Thrasydée se voyant réduits à la dernière extrémité, consentirent à se désister de leur empire sur les peuples circonvoisins, à démolir les murs de leur ville; et ils admirent les Lacédémoniens à sacrifier à Jupiter dans Olympie, et à disputer les prix dans les jeux qui s'y célébraient. Agis fit aussi de fréquentes irruptions dans l'Attique, et bâtit à Décélie un fort pour inquiéter les Athéniens. La marine des Athéniens ayant été absolument détruite à Ægos Potamos, Lysandre fils d'Aristocrite et Agis, au mépris des serments faits en commun par les Athéniens et les Lacédémoniens, ouvrirent dans l'assemblée des alliés l'avis de raser entièrement Athènes, proposition qui venait de leur chef, et à laquelle ils n'avaient point été autorisés par le peuple de Sparte. C'est-là ce qu'Agis a fait de plus remarquable à la guerre. Il agit à l'égard de Léotychides son fils, avec la même précipitation qu'Ariston à l'égard de Démarate. Il lui échappa en effet, par je ne sais quelle fatalité, de dire en présence des Éphores, qu'il ne croyait pas que Léotychide fût son fils ; il s'en repentit plus tard, car lorsqu'on le rapportait malade de l'Arcadie, arrivé à Heræa, il prit le peuple à témoin de sa déclaration qu'il reconnaissait Léotychide pour son fils, et il recommanda tout en larmes et avec les plus vives instances, à ceux qui étaient présents d'en rendre compte aux Lacédémoniens. Cela n'empêcha pas qu'après sa mort Agésilas ne fit exclure Léotychide de la couronne, en rappelant aux Lacédémoniens les paroles échappées anciennement à Agis. Les Arcadiens d'Heræa vinrent de leur côté et rapportèrent ce qu'ils lui avaient entendu dire en mourant, en faveur de Léotychide; les deux concurrents se prévalaient chacun d'un oracle de Delphes qui se prêtait à différentes interprétations ; il était conçu en ces termes : Sparte, à quelque point de gloire que tu sois parvenue, prends garde au tort que pourrait te faire une royauté boiteuse; car alors tu te verrais en proie à des maux imprévus et aux guerres les plus cruelles. Léotychide faisait l'application de cet oracle à Agésilas qui était effectivement boiteux d'un pied, et Agésilas le tournait contre Léotychide, qui n'était pas, disait-il, fils d'Agis. Contre leur coutume les Lacédémoniens ne renvoyèrent pas à Delphes la décision de cette difficulté : je crois qu'ils en furent détournés par Lysandre, fils d'Aristocrite, qui agissait de concert avec Agésilas pour que celui-ci obtînt la couronne.

CHAPITRE IX.

Passage d'Agésilas en Asie. Succès d'Agésilas. Tissapherne. Tithraustès. Guerre de Corinthe.

Agésilas, fils d'Archidamus, étant monté sur le trône, les Lacédémoniens résolurent de passer avec une escadre en Asie pour renverser l'empire d'Artaxerxés, fils de Darius. Ils avaient appris en effet de leurs autres généraux, et surtout de Lysandre, que ce n'était pas Artaxerxés, mais Cyrus, qui leu! donnait de l'argent pour leurs vaisseaux, dans la guerre contre les Athéniens. Agésilas, ayant été désigné pour conduire cette expédition en Asie, et pour commander les troupes de terre, envoya dans toutes les villes du Péloponnèse, à l'exception d'Argos, et chez tous les peuples du reste de la Grèce, pour demander des secours. Mais les Corinthiens, n'osèrent pas, quelque envie qu'ils en eussent, prendre part à cette expédition en Asie; ils en furent détournés par l'incendie subit de leur temple de Jupiter Olympien, ce qui leur parut d'un mauvais présage. Les Athéniens s'en dispensèrent aussi sous prétexte que leur ville avait besoin de repos, pour se remettre de ce qu'elle avait souffert par la guerre du Péloponnèse et par la peste, et pour recouvrer son ancienne splendeur; mais le vrai motif qui les décida à rester tranquilles, c'est qu'ils avaient appris de leurs envoyés que Conon, fils de Timothée, s'était rendu auprès du roi des Perses. Aristoménidas, aïeul maternel, d'Agésilas, avait été député à Thèbes, comme très agréable aux Thébains, et l'un des juges qui, après la prise de Platées, avaient condamné à mort les habitants restés dans cette ville. Cependant les Thébains refusèrent des secours de même que les Athéniens. Les troupes de Sparte et celles des alliés étant rassemblées, et les vaisseaux prêts, Agésilas se rendit à Aulis pour y sacrifier à Diane, comme autre fois Agamemnon avant de partir pour Troie. Se glorifiant de régner sur une ville bien plus puissante que celle où dominait Agamemnon, et d'avoir, comme lui, toute la Grèce sous ses ordres, il lui semblait qu'il y avait bien plus de gloire à s'emparer de toutes les richesses des Perses après avoir vaincu Artaxerxés leur roi, qu'il n'y en avait eu à renverser l'empire de Priam. Tandis qu'il sacrifiait, les Thébains fondirent en armes sur lui, jetèrent à bas les cuisses des victimes qui brûlaient déjà sur l'autel, et le chassèrent du temple. Agésilas fut affligé de n'avoir pas achevé son sacrifice, mais il n'en passa pas moins en Asie et marcha sur Sardes. La Lydie comprenait alors la plus grande partie de l'Asie mineure, et Sardes en était la ville principale par ses richesses et par sa puissance. Elle était la résidence du Satrape des provinces maritimes, de même que Suse était celle du roi. Tissapherne, satrape de l'Ionie, avait sous ses ordres la cavalerie des Perses, et une infanterie la plus nombreuse qui eût jamais été rassemblée depuis les expéditions de Darius contre les Scythes et contre Athènes, et celle de Xerxès: Agésilas lui livra bataille dans les plaines qu'arrose l'Hermus, et remporta une victoire complète. Les Lacédémoniens, enchantés de l'activité d'Agésilas, le nommèrent aussi général de leurs forces navales. Il en confia le commandement à Pisandre, mari de sa sœur, et poursuivit avec vigueur la guerre de terre; mais quelque dieu, jaloux de ses succès, no lui permit pas de conduire ses projets à terme.
Artaxerxés, ayant appris qu'Agésilas, après avoir remporté plusieurs victoires et soumis tout ce qui se rencontrait sur son passage, s'avançait toujours avec son armée, condamna à mort Tissapherne qui lui avait rendu précédemment de grands services, et envoya dans les provinces maritimes, Tithraustès, homme d'un esprit pénétrant, et d'ailleurs ennemi personnel des Lacédémoniens. A peine arrivé à Sardes, Tithraustès imagina un moyen de forcer les Spartiates à rappeler leurs troupes de l'Asie; il envoya à cet effet dans la Grèce un Rhodien nommé Timocrate avec des sommes considérables, et lui recommanda de susciter dans la Grèce mémo quelque guerre aux Lacédémoniens. On nomme parmi ceux à qui cet argent fut distribué, Cyclon et Sodamas d'Argos; Androclide, Isménias et Amphithémis de Thèbes; Céphalus et Epicrate d'Athènes, ainsi que Polyanthès et Timolaüs, qui étaient à Corinthe du parti des Argiens. Mais ceux qui commencèrent ouvertement la guerre, furent les Locriens d'Amphisse. Se trouvant en contestation avec les Phocéens au sujet de quelques terres, ils en moissonnèrent les grains déjà murs, et les emportèrent à l'instigation d'Isménias et des Thébains, qui étaient de son parti. Les Phocéens, de leur côté, entrèrent dans la Locride avec toutes leurs forces, et dévastèrent le pays; alors les Locriens appelèrent les Thébains à leur secours et ravagèrent la Phocide. Les Phocéens, étant allés à Lacédémone, se plaignirent des Thébains et rendirent compte de ce qu'ils avaient souffert de leur part, et les Lacédémoniens, qui, outre d'autres sujets de plaintes, ne pouvaient oublier l'insulte que les Thébains s'étaient permise envers Agésilas lorsqu'il sacrifiait à Aulis, se décidèrent à leur déclarer la guerre. Instruits de la résolution des Lacédémoniens, les Athéniens envoyèrent des députés à Sparte pour les prier de ne pas agir hostilement contre les Thébains, et de s'en rapporter à des arbitres sur les sujets de plaintes qu'ils pouvaient avoir contre eux; mais les Lacédémoniens étaient si irrités, qu'ils renvoyèrent cette députation sans vouloir l'écouter. J'ai raconté en parlant de Pausanias, ce qui se passa ensuite, savoir, l'invasion des Lacédémoniens dans la Béotie, et la mort de Lysandre. Depuis cette expédition, la guerre dite de Corinthe s'accrut à tel point, qu'Agésilas se vit dans la nécessité de repasser d'Asie en Europe avec son armée. Ayant fait le trajet d'Abydos à Sestos, et traversé la Thrace, il entra dans la Thessalie, où les Thessaliens cherchèrent à l'arrêter, tant pour faire plaisir aux Thébains, qu'à raison de leur ancienne bienveillance pour les Athéniens; mais Agésilas, après avoir mis leur cavalerie en fuite, traversa la Thessalie et entra dans la Béotie, où il défit auprès de Coronée les Thébains et leurs alliés. Les Béotiens, après cette déroute, se réfugièrent dans le temple de Minerve Itonia, et Agésilas respecta cet asile quoiqu'il eût été blessé dans le combat.

CHAPITRE X.

Agésilas. Archidamus. Guerre sacrée. Agis. Scotitas. Caryes. Apollon Pythaéus.

PEU de temps après, les Corinthiens qui avaient été exilés à cause de leur attachement aux Lacédémoniens, célébrèrent les jeux Isthmiques, et ceux qui étaient restés dans la ville contenus par la présence d'Agésilas, n'osèrent pas s'y opposer; mais Agésilas étant reparti pour Sparte, ils les célébrèrent de nouveau avec les Argiens. Agésilas revint une seconde fois à Corinthe avec son armée, et voyant approcher l'époque des Hyacinthies, il renvoya les Amycléens chez eux, rendre à Apollon et à Hyacinthe les devoirs d'usage. Ce bataillon fut attaqué en route et détruit en entier par les Athéniens commandés par Iphicrate. Agésilas alla ensuite au secours des Étoliens contre les Acarnaniens, qui les pressaient vivement, et il força ces derniers à faire la paix, quoiqu'ils fussent sur le point de prendre Calydon et les autres villes de l'Étolie. Il s'embarqua quelque temps après pour l'Égypte, où l'appelaient les Égyptiens révoltés contre le roi de Perse; il s'y distingua par un grand nombre d'actions mémorables, et comme il était déjà très vieux, il mourut en revenant, dans la traversée. Son corps ayant été rapporté à Sparte, les Lacédémoniens lui donnèrent la sépulture avec des honneurs plus grands qu'ils ne l'avaient fait pour aucun de leurs rois. Sous le règne d'Archidamus son fils, les Phocéens s'étant emparés du temple de Delphes, firent la guerre aux Thébains avec des troupes qu'ils prirent à leur solde, et avec celles que les Lacédémoniens et les Athéniens envoyèrent volontairement à leur secours : les Athéniens, en mémoire des services rendus jadis par les Phocéens au peuple d'Athènes, et les Lacédémoniens sous prétexte aussi d'amitié pour ces mêmes Phocéens, mais plutôt, à mon avis, par haine pour les Thébains. Théopompe, fils de Damasistratus, dit qu'Archidamus avait reçu lui-même de l'argent, et que Dinicha son épouse, séduite par les présents des chefs des Phocéens, ne contribua pas peu à le disposer à cette alliance. Archidamus est très blâmable, sans doute, d'avoir reçu en don des richesses sacrées et d'avoir prêté secours à des hommes qui avaient pillé le plus célèbre de tous les oracles ; il mérite cependant quelques éloges pour s'être opposé au projet formé par les Phocéens de raser la ville de Delphes, d'égorger tous les Delphiens en âge de puberté, et de réduire en esclavage les femmes et les enfants. Il passa dans la suite en Italie au secours des Tarentins, qui étaient en guerre avec quelques peuples barbares de leur voisinage : il y fut tué par ces barbares, et son corps resta privé des honneurs de la sépulture, ce qui fut regardé comme un effet de la colère d'Apollon. Agis, l'aîné des fils d'Archidamus, perdit la vie dans un combat contre Antipater et les Macédoniens. d'Eudamidas, le plus jeune, devint roi après lui, et son règne ne fut troublé par aucune guerre. Pour ce qui concerne Agis, fils d'Eudamidas et Eurydamidas, fils d'Agis, on peut voir ce que j'en ai dit dans la description de la Sicyonie.
A partir des Hermès, le pays est tout couvert de chênes. On nomme ce canton Scotitas, (obscur) non pas que ces arbres y fassent beaucoup d'ombre, mais à cause du temple de Jupiter Scotitas qui est tout au plus à dix stades du chemin, en se détournant à gauche. Si vous reprenez la route, et si vous avancez un peu, vous trouvez en vous écartant encore à gauche, une statue d'Hercule et un trophée qu'il érigea, dit-on; après avoir tué Hippocoon et ses fils. Quittez-vous une troisième fois la route? un sentier à droite vous conduit à Caryes et au temple de Diane, car cet endroit est consacré à Diane et aux Nymphes. La statue de Diane Caryatide est en plein air.
Les filles Lacédémoniennes y vont tous les ans danser en chœur, elles y dansent d'une manière qui leur est propre. En reprenant la route et en la suivant, vous apercevez les ruines de Sellasie; les Achéens, ainsi que je l'ai dit plus haut, réduisirent en esclavage les habitants de cette ville après avoir défait les Lacédémoniens et leur roi Cléomène, fils de Léonidas. Le mont Thornax est un peu plus loin : vous y trouvez la statue d'Apollon Pythaéus, faite comme celle d'Apollon Amycléen que je décrirai en parlant du temple où elle est placée; il n'y a rien de plus célèbre chez les Lacédémoniens que cet Apollon Amycléen, et ils employèrent à l'orner, l'or que Crésus avait envoyé pour la statue d'Apollon Pythaéus.

CHAPITRE XI

Sparte ou Lacédémone. Éphores. Bidiéens. Portique des Perses. Agias et Tisamène devins. Temples. Tombeau d'Oreste.

APRÈS avoir passé le Thornax, vous trouvez la ville qui au nom de Sparte qu'elle eut dès son origine, joignit dans la suite celui de Lacédémone qu'on donnait auparavant au pays. En donnant la description de l'Attique, j'ai déjà eu la précaution d'annoncer que je ne m'astreindrais pas à tout décrire par ordre, mais que je m'attacherais aux objets les plus remarquables. Je renouvelle ici cette déclaration, et dès le commencement de ce livre j'ai eu soin de choisir ce que j'ai observé de plus important parmi beaucoup de traditions peu dignes de mémoire qu'on raconte dans chaque pays. Comme ce plan me paraît bon, je ne m'en départirai pas. Les Lacédémoniens ont à Sparte une place publique qui mérite d'être vue. Le bâtiment où s'assemble le sénat est sur cette place, ainsi que ceux où se réunissent les Éphores, les Nomophylaques et les Bidiéens. Le sénat de Lacédémone est le corps qui a le plus d'autorité dans la république. Les Éphores, les Nomophylaques et les Bidiéens sont des magistrats. Il y à cinq Éphores et cinq Bidiéens. Les fonctions de ces derniers sont de présider aux combats des adolescents, qui prennent leur nom du Plataniste, et aux autres. Les Éphores sont chargés des affaires les plus importantes, et on prend parmi eux l'éponyme (celui qui doit donner son nom à l'année) de même que chez les Athéniens, l'un des neuf archontes est éponyme. Le portique des Perses est ce qui se remarque le plus sur la place publique : on le nomme ainsi parce qu'il a été bâti du butin fait sur les Perses ; on l'a agrandi dans la suite, on y a ajouté des embellissements et on l'a mis dans l'état où il est actuellement. Sur les colonnes en marbre blanc sont figurés différents personnages Perses, parmi lesquels se reconnaît Mardonius, fils de Gobryas. On y voit aussi Artémise, fille de Lygdamis, et reine d'Halicarnasse, qui, dit on, ayant pris volontairement part à l'expédition de Xerxès contre la Grèce, montra beaucoup de valeur au combat naval de Salamine. Les temples qu'on voit sur la place publique sont consacrés l'un à César qui aspira le premier à la monarchie chez les Romains, et qui fonda l'empire tel qu'il existe maintenant; l'autre à Auguste son fils qui consolida la royauté et fut bien plus puissant et plus considéré que son père. Il fut connu sous le nom d'Auguste qui signifie vénérable. On vous montre vers l'autel d'Auguste la statue d'Agias qui prophétisa, dit on, à Lysandre qu'il prendrait à Ægospotamos toutes les forces navales des Athéniens, à l'exception de dix trirèmes : il y en eut effectivement dix qui se réfugièrent dans file de Chypre, toutes les autres furent prises par les Lacédémoniens, ainsi que les hommes qui les montaient. Agélochus, père d'Agias, était fils de Tisamène Éléen de la race des Iamides à qui l'oracle avait prédit qu'il remporterait cinq victoires éclatantes. Il se présenta en conséquence aux jeux olympiques pour y disputer le prix du Pentathle, mais après avoir vaincu à la lutte et au saut Hiéronyme d'Andros, il fut vaincu à la lutte, et se vit obligé de renoncer au prix. Il saisit alors le sens de l'oracle, et imagina que le dieu avait voulu parler de cinq victoires à la guerre. Les Lacédémoniens ayant entendu parler de la prédiction qui avait été faite à Tisamène, l'engagèrent à transporter son domicile, d'Élis à Sparte, pour être le devin de leur république. Il leur fit effectivement remporter cinq victoires; la première à Platées, sur les Perses; la seconde à Tégée, sur les Tégéates et les Argiens ; ensuite à Dipées sur tous les Arcadiens, excepté ceux de Mantinée. Dipées est une petite ville de l'Arcadie dans le pays de Ménale. Il combattit la quatrième fois avec eux contre les Ilotes, qui s'étaient cantonnés à Ithome à la suite d'un tremblement de terre. Les Ilotes ne se révoltèrent pas tous, mais seulement les Messéniens, qui se séparèrent des anciens Ilotes, comme je l'expliquerai dans le livre suivant. Les Lacédémoniens, d'après les avis de Tisamène et les ordres de l'oracle de Delphes, leur permirent par un traité de se retirer où ils voudraient. La dernière bataille où Tisamène se trouva, comme devin, fut celle de Tanagre, où les Lacédémoniens défirent les Argiens et les Athéniens. Voilà tout ce que j'ai appris au sujet de Tisamène. On voit aussi sur la place publique de Sparte les statues d'Apollon Pythaéus, de Diane et de Latone; tout cet endroit se nomme le Chœur, parce quo dans les gymnopédies, fêtes que les Lacédémoniens célèbrent avec la plus grande solennité, les jeunes gens y forment des chœurs en l'honneur d'Apollon. Le temple de la Terre et de Jupiter Agoréus est à peu de distance de ces statues, ainsi que celui de Minerve Agoréa et de Neptune, surnommé Asphalius; enfin celui d'Apollon et de Junon. Vous y verrez aussi une très grande statue, représentant le peuple Spartiate. Les Lacédémoniens ont érigé aux Parques un temple dans le voisinage duquel est le tombeau d'Oreste, fils d'Agamemnon. Ses os ayant été apportés de Tégée, on les enterra dans cet endroit, comme l'oracle l'avait ordonné. La statue de Polydore, fils d'Alcamène, est vers le tombeau d'Oreste. Les Lacédémoniens le distinguent tellement de leurs autres rois, que son effigie est gravée sur le sceau dont se servent tous ceux qui sont en charge. On voit sur la même place Mercure Agoréus portant Bacchus encore enfant, et l'édifice nommé les anciennes Éphories, où sont les tombeaux d'Épiménide de Crète et d'Apharée, fils de Périérès. Les traditions des Lacédémoniens sur Épiménide me paraissent plus vraisemblables que celles des Argiens. Vers le temple des Parques est l'édifice où les Lacédémoniens se réunissent pour les repas nommés Phidities : on y remarque aussi les statues de Jupiter Xénius et de Minerve Xénia.

CHAPITRE XII.

Aphétaïs. Boonéta. L'Hellénium. Tombeau de Talthybius. Scias.

En sortant de la place publique, par la rue nommée Aphétaïs, vous trouvez l'édifice nommé Boonéta. Il faut que je dise d'abord d'où vient le nom de la rue. On dit qu'Icarius proposa aux prétendants de Pénélope, un combat à la course dont la main de cette princesse devait être le prix; et on sait qu'Ulysse fut victorieux. La course se fit, ajoute-t-on, dans cette rue, qui prit de là le nom d'Aphétaïs. Icarius proposa, je pense, cette course à l'exemple de Danaüs, qui, voyant que personne ne se présentait pour épouser ses filles à cause du meurtre dont elles étaient souillées, fit annoncer qu'il les donnerait en mariage sans exiger de présents, à ceux que chacune d'elles trouverait à son goût. Les prétendants n'étant pas venus en grand nombre, il les leur proposa comme le prix d'une course où le premier vainqueur obtiendrait le droit de choisir avant les autres, après lui le second, et ainsi successivement jusqu'au dernier: celles qu'aucun d'eux n'aurait choisies, devaient attendre un nouveau concours semblable entre d'autres prétendants. L'édifice nommé Boonéta est dans cette rue, comme je l'ai dit. C'était anciennement la maison du roi Polydore ; on lui donna ce nom parce que les Lacédémoniens l'achetèrent de sa veuve et lui en payèrent le prix avec des bœufs, car on ne connaissait pas encore les monnaies d'or et d'argent; mais, suivant l'ancien usage, on payait les achats qu'on faisait avec des bœufs, des esclaves ou de l'or et de l'argent non façonnés. Ceux qui naviguent aux Indes disent que les Indiens donnent des marchandises en échange de celles qu'on leur porte de la Grèce, mais qu'ils ne connaissent point les monnaies, quoiqu'il y ait une quantité prodigieuse d'or et d'argent dans leur pays. Au-delà du palais des Bidiéens est un temple de Minerve, dont la statue a été érigée par Ulysse, qui la nomma Céleuthie. Il fit cette offrande après avoir vaincu à la course les prétendants de Pénélope. Il érigea trois temples de Céleuthie, à quelque distance l'un de l'autre. En suivant la rue Aphétaïs, vous trouvez le monument héroïque d'Iopus, qui vivait, à ce qu'on dit, du temps de Lélex ou de Mylès, et celui d'Amphiaraüs, fils d'Oiclès. On croit que les fils de Tyndarée érigèrent ce monument à Amphiaraüs, parce qu'il était leur cousin. Le monument héroïque de Lélex est dans le même endroit. L'enceinte de Neptune Ténarius est à peu de distance de ces monuments : on la nomme le Ténarium. Près de là est une statue de Minerve, offrande, dit on, des colonies Lacédémoniennes de l'Italie et de Tarente. L'Hellénium est ainsi nommé, parce que sur la nouvelle du passage de Xerxès en Europe, ceux des Grecs qui voulaient se défendre, s'y réunirent pour se concerter. D'autres disent que les héros grecs, qui, pour faire plaisir à Ménélas, prirent part à l'expédition coutre Troie, tinrent conseil en ce lieu pour savoir comment ils passeraient à Troie, et comment ils pourraient tirer vengeance d'Alexandre pour l'enlèvement d'Hélène. On vous fait voir près de l'Hellénium le monument de Talthybius, les Achéens d'Ægium en montrent aussi un sur leur place publique, qu'ils prétendent être celui de ce héros. Les hérauts que Darius avait envoyés pour demander aux Grecs la terre et l'eau, ayant été tués, Talthybius en conçut un courroux qui s'appesantit sur tout le peuple de Lacédémone, mais qui n'éclata, dans Athènes, que sur une famille particulière, sur celle de Miltiade, fils de Cimon, et principal auteur du meurtre commis par les Athéniens sur ceux de ces hérauts, qui étaient venus dans l'Attique. Vous trouvez ensuite l'autel d'Apollon Acritas, le Gasepton, consacré à la terre, et un peu au dessus du Gasepton, la statue d'Apollon Maléates. Tout au bout de la rue Aphétaïs, et fort près des murs, on voit le temple de Dictynne, et le tombeau des rois de la famille des Eurypontides. Vers l'Hellénium est le temple d'Arsinoé, fille de Leucippus, sœur des épouses de Castor et Pollux. Celui de Diane n'est pas éloigné des Phrouries (les corps de garde ). Un peu plus loin est le tombeau des devins, venus de l'Élide et connus sous le nom d'Iamides, ainsi que le temple de Maron et d'Alphée, qui, de, tous les Lacédémoniens qu'on envoya aux Thermopyles, furent après Léonidas, ceux qui montrèrent le plus de valeur. Les Doriens érigèrent le temple de Jupiter Tropéus après avoir vaincu les Amycléens et les autres Achéens, qui habitaient alors la Laconie. La Mère des dieux a aussi un temple dans le même endroit, et on l'honore d'une manière toute spéciale. Après ce temple viennent les monuments héroïques d'Hippolyte, fils de Thésée, et d'Aulon Arcadien, fils de Tlésimène. On dit que Tlésimène était frère, ou, suivant d'autres, fils de Parthénopéus, fils de Milanion. La place publique a une autre issue vers laquelle est situé le Scias, édifice où les Lacédémoniens tiennent encore maintenant leurs assemblées ; il a été construit, dit-on, par Théodore de Samos, qui le premier trouva l'art de fondre le fer et d'en faire des statues. C'est là que les Lacédémoniens suspendirent la cithare de Timothée de Milet, qu'ils condamnèrent pour avoir ajouté quatre cordes aux sept dont se composait anciennement cet instrument. Près du Scias, est un bâtiment rond qui renferme les statues de Jupiter et de Vénus, surnommés Olympiens, et qui fut construit par Epiménides : ainsi le disent les Lacédémoniens, qui ne sont point d'accord avec les Argiens au sujet de ce personnage, et qui prétendent n'avoir jamais eu la guerre avec les Gnossiens.

CHAPITRE XIII.

Tombeaux. Temple de Coré Soteira. Carneius Œcétas. Crius, Carnus, devins. Apollon Carneius. Monument héroïque de Pleuron. Temple de Junon Hyperchiria.

On voit près de là, le tombeau de Cynortas, fils d'Amyclas, et celui de Castor, sur lequel on a érigé un temple. Les Lacédémoniens disent en effet que les fils de Tyndarée ne furent mis au rang des dieux que quarante ans après le combat contre Idas et Lyncée. Ils montrent aussi vers le Scias le tombeau d'Idas et de Lyncée, mais ces deux héros ont été, suivant toutes les apparences, enterrés dans la Messénie, et non dans cet endroit. Les malheurs des Messéniens si longtemps exilés du Péloponnèse, ont rendu méconnaissables à ceux d'entre eux qui revinrent dans cette contrée, la plupart de leurs anciens monuments, et comme ils ne savent pas à qui les attribuer, il est très facile de leur en contester l'authenticité. En face de la Vénus Olympienne, est le temple de Coré Soteira (fille de Cérès), temple érigé, dit-on, par Orphée de Thrace, ou, suivant d'autres, par Abaris, venu du pays des Hyperboréens. Carneius, surnommé Œcétas (domestique), était déjà honoré à Sparte avant le retour des Héraclides. Sa statue était placée dans la maison du devin Crius, fils de Théoclès. Les espions des Doriens ayant rencontré la fille de ce Crius, puisant de l'eau, lièrent conversation avec elle, et la suivirent chez son père, qui leur indiqua les moyens de prendre Sparte. A l'égard d'Apollon Carneius dont le culte est commun à tous les Doriens, ce surnom lui vient de Carnus natif de l'Acarnanie, qui prédisait l'avenir par l'inspiration d'Apollon. Hippotès, fils de Phylas, ayant tué ce Camus, la colère d'Apollon s'appesantit sur le camp des Doriens, et Hippotès fut exilé pour ce meurtre. Depuis, les Doriens ont toujours continué d'apaiser les mânes de ce devin; il n'est cependant pas le même que ce Carneius Œcétas des Lacédémoniens, qui était déjà honoré d'un culte dans la maison du devin Crius, tandis que Sparte appartenait encore aux Achéens. Praxilla dit dans ses vers, que ce Carneius était fils d'Europe, et avait été élevé par Apollon et par Latone. On donne encore une autre raison de ce nom ; on dit que les Grecs ayant coupé sur le mont Ida de la Troade, dans un bois consacré à Apollon, des cormiers pour construire le cheval Dorien, ils s'aperçurent que le dieu était irrité contre eux, et l'apaisèrent par des sacrifices; ils lui donnèrent
alors le surnom de Carneius, du mot Craneia, Cormier, par une transposition de lettres usitée par l'usage. La statue d'Aphétæus est à peu de distance de celle de Carnius; c'est delà, dit-on, que les prétendants de Pénélope s'élancèrent pour disputer le prix de la course. Vous trouvez ensuite une place carrée, entourée de portiques, où l'on vendait anciennement toutes sortes de menues marchandises. On voit près de là les autels de Jupiter Amboulius, de Minerve Amboulia, et des Dioscures, surnommés aussi Amboulii. L'endroit nommé Colona est vis-à-vis, ainsi que le temple de Bacchus Colonate. Il y a vers ce temple une enceinte consacrée au héros qui servit de guide à Bacchus lorsqu'il vint à Sparte; les Dionysiades et les Leucippides sacrifient à ce héros avant de sacrifier au Dieu lui-même. Onze autres femmes, nommées de mémo les Dionysiades, y disputent le prix de la course, ainsi que l'a prescrit l'oracle de Delphes. Le temple de Jupiter Evanémus (qui donne des vents favorables) n'est pas éloigné de celui de Bacchus. A sa droite est le monument héroïque de Pleuron, de qui les Tyndarides descendaient par leur mère; car Asius dit dans ses vers, que Thestius, père de Léda, était fils d'Agénor, fils de Pleuron. Sur une colline à peu de distance de ce monument est le temple de Junon Argienne, qui a été érigé, dit-on, par Eurydice, fille de Lacédémon et femme d'Acrisius fils d'Abas. L'Eurotas ayant couvert de ses eaux la plus grande partie du pays, on érigea, d'après les ordres de l'oracle, le temple de Junon Hypercheiria, sa statue en bois, dite de Vénus-Junon, est fort ancienne. Il est d'usage que les mères lui offrent des sacrifices lorsque leurs filles se marient. Vous trouvez sur la route qui passe à droite de cette colline la statué d'Etoimœclès, fils d'Hipposthène : le père et le fils ont plusieurs fois remporté le prix de la lutte, aux jeux Olympiques; le nombre de leurs couronnes est de onze, et le père en a obtenu une de plus que le fils.

CHAPITRE XIV.

Tombeaux. Le quartier Théomélidas. La Lesché des Crotanes. Chionis. Temple de Thétis. Le Plataniste, quartier de Sparte. Le Phœbéum.

Au sortir de la place publique, en allant an couchant, vous trouvez le cénotaphe de Brasidas, fils de Tellis, et à peu de distance delà un théâtre en marbre blanc qui mérite d'être vu : en face de ce théâtre est le tombeau de Pausanias, qui commandait les Lacédémoniens à Platées, et celui de Léonidas. On y prononce tous les ans des discours en leur honneur, et on y célèbre des jeux où les Spartiates seuls sont admis à disputer les prix. Les os de Léonidas furent apportés des Thermopyles quarante ans après sa mort, par Pausanias, fils de Plistoanax, et ils sont renfermés dans ce tombeau. On y voit aussi un cippe où sont inscrits avec les noms de leurs pères, ceux qui combattirent aux Thermopyles contre les Mèdes. Le quartier de Sparte, où sont les tombeaux des rois de la famille des Agiades, a pris le nom de Théomélidas. La Lesché des Crotanes en est voisine; les Crotanes sont une partie des Pitanates : à peu de distance, est un temple d'Esculape, qui porte le nom des Agiades; et un peu plus loin le monument de Tænarus, dont le nom a été imposé, dit-on, à un promontoire de la Laconie. Vous y trouvez aussi le temple de Neptune Hippocurius et celui de Diane Æginète. Quand vous retournez sur vos pas, vers la Lesché, le temple de Diane Issoria s'offre à vos regards. Cette déesse, qu'on surnomme aussi Limnæa (la marécageuse), n'est point Diane, c'est la Britomartis des Crétois, dont j'ai parlé dans la description d'Égine. Vous verrez tout auprès du tombeau des Agiades, un cippe où sont inscrites les victoires remportées à la course par Chionis, Lacédémonien, aux jeux Olympiques, et ailleurs. Il fut couronné sept fois à Olympie; savoir: quatre fois pour la course du stade, et trois pour celle du double stade. La course avec le bouclier, qui se fait la dernière, n'était pas encore en usage. On dit que ce Chionis fut de l'expédition de Battus de Théra, fonda Cyrène de concert avec lui, et soumit quelques peuples Libyens du voisinage. Le temple de Thétis à été bâti à l'occasion suivante, à ce que disent les Lacédémoniens. Anaxandre, leur roi, faisant la guerre aux Messéniens, qui s'étaient révoltés, fit une irruption dans la Messénie, et y prit quelques femmes, entre autres Cléo, prêtresse de Thétis, qui lui fut demandée par Læandris son épouse. Læandris ayant trouvé entre les mains de Cléo une statue en bois représentant Thétis, érigea de concert avec elle un temple à cette déesse. Læandris en agissait ainsi inspirée par un songe. Cette statue de Thétis est gardée dans un endroit secret. Les Lacédémoniens disent que le culte de Chthonia leur a été apporté par Orphée, mais je crois qu'ils le tiennent des Hermionéens, chez qui cette déesse a un temple où elle est adorée sous le même nom. Le temple de Sarapis est le plus moderne de tous ceux de Sparte. On y voit aussi un temple de Jupiter Olympien. Les Lacédémoniens nomment Oromos l'endroit où les jeunes gens s'exercent encore maintenant à la course. En allant du tombeau des Agiades à cet endroit, vous laissez à gauche le monument d'Eumède, l'un des fils d'Hippocoon, et une ancienne statue d'Hercule, à laquelle les Sphæréens sacrifient. Les Sphæréens sont ceux qui sortent de la classe des adolescents pour entrer dans celle des hommes. Il y a dans le Dromos deux gymnases, dont l'un est dû à la générosité d'Euryclès Spartiate. Hors du Dromos, vous trouvez près de la statue d'Hercule, une maison qui était jadis celle de Ménélas, et qui appartient maintenant à un particulier; plus loin, le temple des Dioscures et des Grâces; celui d'Ilithye, et celui d'Apollon Carnéius et de Diane Hégémoné. Le temple d'Agnitas est à droite du Dromos. On donne ce surnom à Esculape, parce que sa statue est en bois d'agnus: l'agnus est une espèce d'osier qui ressemble au Rhamnus (le Nerprun). A peu de distance du temple d'Esculape vous remarquerez un trophée que Pollux érigea, dit-on, après avoir vaincu Lyncée; cela me paraît encore une nouvelle preuve en faveur de ceux qui disent que les fils d'Apharée n'ont pas été enterrés à Sparte. Les Dioscures, surnommés Aphétériens, sont vers le commencement du Dromos ; en avançant un peu vous trouvez le monument héroïque d'Alcon, qui était, dit-on, l'un des fils d'Hippocoon. Vers ce monument est le temple de Neptune, surnommé Domatite. Vous arrivez ensuite au Plataniste, endroit qu'on nomme ainsi, parce qu'il est entouré de platanes très hauts et qui se touchent. Cet endroit destiné aux combats des adolescents est entouré d'un Euripe (un canal plein d'eau) qui en forme une île. Deux ponts y conduisent; sur l'un on voit la statue d'Hercule, et sur l'autre celle de Lycurgue dont les lois ont réglé les combats des jeunes gens, comme tous les autres détails du gouvernement de Sparte. Les jeunes concurrents, entre autres devoirs qui leur sont prescrits, offrent avant le combat un sacrifice dans le Phœbéum, qui est aussi dans la ville, à peu de distance de Thérapné. Chaque bataillon d'adolescents y sacrifie un jeune chien à Mars, dans l'opinion que le plus vaillant des animaux domestiques est une victime qui doit plaire au plus vaillant des dieux. Je crois que les Colophoniens sont avec les Spartiates, les seuls Grecs qui sacrifient des chiens. Les Colophoniens, en effet, immolent une chienne noire à la déesse Enodia, et ce sacrifice se fait durant la nuit, ainsi que celui des adolescents à Sparte. Ceux-ci, quand le leur est terminé, font combattre des sangliers apprivoisés, et la troupe dont le sanglier sort vainqueur, devient ordinairement victorieuse elle-même dans le Plataniste. Voilà ce qu'ils font dans le Phœbéum. Le jour suivant, un peu avant midi, ils entrent dans le Plataniste par les deux ponts. Le sort a décidé dans la nuit précédente par quel pont chaque bataillon doit entrer. Là, se livre à coups de poing, à coups de pied, un violent combat; on cherche à s'entre-arracher les yeux, on se mord, on se presse corps à corps : une troupe tombe sur l'autre, et chacun s'efforce de pousser dans l'eau son adversaire.

CHAPITRE XV.

Monument héroïque de Cynisca. Temple d'Hercule. Tombeau d'Œonus. Temple de Minerve Asiopœné. Junon Ægophage. Vénus armée. Morphô.

CYNISCA, dont le monument héroïque est vers le Plataniste, était fille d'Archidamos, roi de Sparte : c'est la première femme qui ait entretenu des chevaux, et remporté le prix de la course des chars, aux jeux Olympiques. Derrière le portique bâti vers le Plataniste, se voient les monuments héroïques d'Alcimus, d'Enaraphorus; près de là, celui de Dorcéus, ensuite celui de Sebrus, tous, à ce qu'on dit, fils d'Hippocoon. La fontaine voisine du monument de Dorcéus a pris de lui le nom de Dorcéa; et toute cette place tient de Sebrus, le nom de Sebrium. A droite du Sebrium, est le monument d'Alcman, qui, malgré la rudesse du dialecte lacédémonien, a fait en ce langage des chants très agréables. Le temple d'Hélène est voisin du tombeau de ce poète, et celui d'Hercules touche aux murs. Hercule est armé : on dit qu'il est représenté ainsi à cause de son combat contre Hippocoon et ses fils. Le motif qu'on prête à la haine d'Hercule pour eux, c'est qu'étant venu à Sparte, après le meurtre d'Iphitus, pour se faire purifier, ils avaient rejeté sa demande avec dédain. Il s'y joignit une autre cause, qui fut le signal de la guerre. Œonus, fils de Licymnius, frère d'Alcmène, vint tout jeune encore à Sparte avec Hercule son cousin. Parcourant la ville pour la voir, il s'approcha de la maison d'Hippocoon. Un chien qui la gardait ayant voulu se jeter sur lui, Œonus lui lança une pierre et, le jeta par terre; alors les fils d'Hippocoon accoururent et assommèrent Œonus à coups de bâton. Hercule en conçut contre Hippocoon et ses fils une si vive colère que, dans le premier mouvement, il alla les attaquer; mais ayant été blessé, il prit la fuite et se cacha. Revenu dans la suite à Sparte avec une armée, il punit Hippocoon et ses fils : ainsi fut vengée la mort Œonus dont le tombeau est voisin du temple d'Hercule. En sortant du Dromos du côté du levant, vous trouvez à droite un sentier et le temple de Minerve Axiopœné. Hercule ayant infligé à Hippocoon et à ses fils la punition qu'ils avaient méritée par leur agression, érigea ce temple à Minerve surnommée Axiopæné, parce que les anciens donnaient aux punitions le nom de Pœné. En sortant du Dromos par un autre chemin, on trouve encore un temple de Minerve que Théras, fils d'Antésion, fils de Tisamène, fils de Thersandre, érigea avant son départ, lorsqu'il alla conduire une colonie dans l'île qui a pris de lui le nom de Théra, au lieu de celui de Callisté qu'elle portait anciennement; près de là se voit le temple d'Hipposthène qui avait remporté plusieurs victoires à la lutte. On lui rend, d'après un oracle, des honneurs comme à Neptune. Il y a vis-à-vis de ce temple un Mars avec des fers aux pieds, statue très ancienne, qui a été érigée dans la même intention que la Victoire sans ailes qu'on voit à Athènes. Les Athéniens ont représenté la Victoire ainsi pour qu'elle restât toujours avec eux, et les Lacédémoniens ont enchaîné Mars pour qu'il ne pût jamais les quitter. Telle est la raison pour laquelle ces deux villes ont érigé ces deux statues en bois. Le Pœcile est une Lesché de Sparte, vers laquelle sont les monuments héroïques de Cadmus fils d'Agénor et de deux de ses descendants, savoir, Œolycus, fils de Théras et Ægée, fils d'Œolycus. On dit que ces monuments ont été érigés par Mæsis, Laias et Europas fils d'Hyræus fils d'Égée. Ils érigèrent aussi un monument héroïque à Amphilochus, parce que Tisamène, aïeul de Théras, était fils de Démonasse sœur d'Amphilochus. Les Lacédémoniens sont les seuls de tous les Grecs qui donnent à Junon le surnom d'Ægophage et qui lui sacrifient des chèvres. Ils disent qu'Hercules érigea ce temple, et sacrifia le premier des chèvres à Junon, parce qu'elle ne lui avait suscité aucun obstacle dans la guerre qu'il fit à Hippocoon et à ses fils; il s'attendait en effet qu'elle lui serait contraire comme elle l'avait été dans d'autres occasions: ils ajoutent qu'il lui sacrifia des chèvres faute d'autres victimes. Le temple de Neptune Génethlius est à peu de distance du théâtre, ainsi que les monuments héroïques de Cléodæus fils d'Hyllus, et d'Œbalus. Esculape a plusieurs temples à Sparte; le plus célèbre est vers les Boonètes; à gauche de ce temple est le monument héroïque de Téléclus. Je parlerai de ce héros quand je décrirai la Messénie. En avançant un peu, l'on découvre une colline peu élevée sur laquelle est un temple ancien, avec une statue en bois qui représente Vénus armée. C'est, à ma connaissance, le seul temple qui ait deux étages. Le supérieur est consacré à Morpbô, l'un des surnoms de Vénus. Cette déesse est assise avec un voile sur la tête et des fers aux pieds. On dit que Tyndarée lui mit ces fers, comme un symbole de l'attachement que les femmes doivent avoir pour leurs maris. Suivant d'autres, il enchaîna cette déesse pour se venger, s'en prenant à elle de la conduite honteuse de ses filles; mais cette dernière tradition ne me paraît mériter aucune foi: il aurait été en effet bien stupide s'il avait cru qu'en faisant une statue de cèdre, et en lui donnant le nom de Vénus, il pouvait punir la déesse elle-même.

CHAPITRE XVI.

Temple d'Hilaïre et Phœbé. Maison des Dioscures. Monument héroïque de Chilon. Temple de Lycurgue. Temple et autel de Diane Orthia.

LE temple d'Hilaïre et Phœbé est près delà. L'auteur des vers Cypriens dit qu'elles étaient filles d'Apollon. Elles ont pour prêtresses des jeunes filles qu'on nomme les Leucippides, de même que les déesses. Une de ces Leucippides embellit la statue d'une des déesses en lui faisant un visage suivant les règles modernes de l'art; mais un songe l'empêcha d'en faire autant pour l'autre. Un œuf orné de bandelettes est suspendu au plancher du temple : on dit que c'est celui dont accoucha Léda. Les femmes de Sparte tissent tous les ans une tunique pour l'Apollon d'Amycles. L'édifice où elles la font se nomme aussi Chiton (tunique). Près de là est une maison qu'habitaient jadis, dit-on, les fils de Tyndarée, et qui appartint dans la suite à un Spartiate nommé Phormion. Les Dioscures, s'étant présentés chez ce Phormion comme des étrangers, lui demandèrent l'hospitalité en disant qu'ils venaient de Cyrène, et ils prièrent qu'on leur donnât la chambre qui leur plaisait le plus lorsqu'ils étaient parmi les hommes. Phormion leur répondit que tout le reste de la maison était à leur disposition, excepté la chambre qu'ils demandaient, parce qu'elle était occupée par sa fille qui n'était pas encore mariée. Le lendemain, la jeune fille avait disparu ainsi que toutes celles qui la servaient, et on trouva dans la chambre les statues des Dioscures et une table sur laquelle il y avait du silphium. En allant du Chiton aux portes de la ville, on trouve le monument héroïque de Chilon qui passe pour l'un des sages, et celui du héros Athénæus, l'un de ceux qui allèrent en Sicile avec Doriéus, fils d'Anaxandride. Cette colonie partit dans l'opinion que le pays d'Éryce appartenait de droit aux descendants d'Hercule, et non aux barbares qui l'habitaient. On dit en effet qu'Hercule lutta contre Éryx, et qu'il fut convenu que le pays appartiendrait à Hercule si ce héros remportait la victoire, et que s'il était vaincu, Éryx aurait pour prix les bœufs de Géryon : ces bœufs qu'Hercule conduisait avec lui avaient passé à la nage en Sicile, et Hercule s'étant embarqué dans la coupe du soleil, s'était rendu dans cette île pour les chercher. Les dieux ne furent pas favorables à Doriéus fils d'Anaxandride, comme ils l'avaient été jadis à Hercule : celui-ci, en effet, avait tué Éryx, tandis que tes Égestéens firent périr Doriéus et la plus grande partie de son armée. Les Lacédémoniens ont aussi érigé un temple à Lycurgue qui leur adonné des lois, et ils l'honorent comme une divinité. Le tombeau d'Eucosmus, fils de Lycurgue, est derrière ce temple, et près de là est l'autel de Lathria et Anaxandra; elles étaient sœurs jumelles, c'est peur cela que les fils d'Aristodème qui étaient eux-mêmes jumeaux les épousèrent. Elles étaient filles de Thersandre fils d'Agamédide roi des Cléstonéens, et descendant à la quatrième génération de Ctésippus fils d'Hercule. Vis-à-vis du temple de Lycurgue sont les tombeaux de Théopompe, fils de Nicandre, et d'Eurybiade qui commandait les vaisseaux des Lacédémoniens aux batailles d'Artémisium et de Salamine, contre les Mèdes. Le monument héroïque d'Astrabacus est près de là. L'endroit nommé Limnæum (le marécageux) est consacré à Diane Orthia. Les Lacédémoniens disent que sa statue en bois est celle qu'Oreste et Iphigénie enlevèrent de la Tauride, et qu'elle fut apportée dans leur pays par Oreste qui en était roi, et leurs prétentions à cet égard paraissent mieux fondées que celles des Athéniens : à quel propos en effet Iphigénie aurait-elle laissé cette statue à Brauron? et comment les Athéniens, lorsqu'ils se disposaient à quitter leur pays, auraient-ils oublié de la mettre dans leurs vaisseaux? La déesse de la Tauride est encore maintenant si célèbre, que les peuples de la Cappadoce, ceux du Pont-Euxin, et les Lydiens chez qui est le temple de Diane Anaïtis, se disputent l'honneur de posséder sa statue; les Athéniens auraient ils négligé celle qui était à Brauron jusqu'à la laisser devenir la proie des Mèdes ? ceux-ci l'emportèrent en effet à Suse, et Séleucus la donna dans la suite aux Syriens de Laodicée chez qui elle est encore maintenant. Voici encore d'autres preuves que la statue d'Orthia, qui se voit à Lacédémone, est celle qui fut enlevée aux Barbares. D'un côté, Astrabacus et Alopécus fils d'Irbus fils d'Amphisthène, fils d'Amphiclus fils d'Agis, ayant trouvé cette statue, perdirent à l'instant la raison. En second lieu, les Spartiates de Limnée, les habitants de Cynosure, ceux de Mesoa et de Pitane, sacrifiant à Diane, eurent entre eux un différent, la terreur s'empara ensuite d'eux, ils en vinrent à des massacres, et plusieurs étant morts sur l'autel même, des maladies emportèrent les autres, et l'oracle, à cette occasion, leur ordonna d'arroser cet autel de sang humain. On tirait au sort celui qu'on de voit sacrifier; mais Lycurgue abolit cette coutume, et la remplaça par celle de fouetter les enfants : de cette manière, le sang humain arrose également l'autel. La prêtresse assiste à cette cérémonie, tenant la statue entre ses bras. Cette statue est ordinairement légère à cause de sa petitesse; mais si ceux qui fouettent les jeunes gens les ménagent à cause de leur beauté ou de leur rang, elle devient si pesante, que cette femme, pouvant à peine la porter, s'en prend à ceux qui fouettent, et leur dit qu'ils sont cause de la surcharge qu'elle éprouve. C'est ainsi que depuis les sacrifices qu'on lui faisait dans la Tauride, cette statue continue à se plaire à l'effusion du sang humain. On la nomme non seulement Orthia, mais encore Lygodesma, parce qu'elle fut trouvée dans une touffe d'osier, dont les branches entortillées autour d'elle la tenaient debout.

CHAPITRE XVII.

Temple d'Ilithye. Temple de Minerve Chalciæcos. Gitiadas. Temple des Muses. Statue très ancienne de Jupiter. Statues de Pausanias. Cléonice.

Le temple d'Ilithye est peu éloigné de celui d'Orthia. Les Lacédémoniens disent qu'ils ont érigé ce temple et honoré Ilithye comme une déesse, d'après un oracle qui leur fut rendu à Delphes. La citadelle de Lacédémone n'est point une colline remarquable par sa hauteur, comme la Cadmée des Thébains et la Larisse des Argiens. Mais il y a dans la ville plusieurs collines, et la plus élevée porte le nom d'Acropolis (citadelle); on y voit le temple de Minerve surnommée en même temps Poliouchos et Chalciœcos. Tyndarée avait commencé, dit-on, la construction de ce temple : après sa mort, ses fils voulurent l'achever, et le butin fait sur les Aphidnéens, leur en donnait les moyens, mais ils moururent aussi avant de l'avoir terminé, et ce fut seulement un grand nombre d'années après, que les Lacédémoniens firent exécuter en bronze et la statue et le temple même de la déesse. Ce sont des ouvrages de Gitiadas, sculpteur du pays, qui de plus composa divers cantiques en dialecte dorien, et entre autres, une hymne à Minerve. On a représenté sur le bronze plusieurs des travaux d'Hercule et plusieurs des exploits qu'il fit volontairement, ainsi que différentes actions des fils de Tyndarée, entre autres, l'enlèvement des tilles de Leucippus. Les autres sculptures sont, Vulcain brisant les chaînes de sa mère, tradition que j'ai exposée dans la description de l'Attique; Persée allant chercher dans la Libye la tête de Méduse, et les Nymphes lui donnant le casque et la chaussure à l'aide de laquelle il devait traverser les airs. On y voit aussi l'histoire de la naissance de Minerve; enfin, Amphitrite et Neptune : tous ces ouvrages sont d'une grande dimension, et, à mon avis, d'une beauté admirable. Il y a dans le même endroit un temple de Minerve Ergané. En allant au portique qui est au midi, vous trouvez le temple de Jupiter Cosmétas, devant lequel est le tombeau de Tyndarée. Le portique au couchant renferme deux aigles qui portent deux Victoires. C'est une offrande faite par Lysandre en mémoire de doux victoires qu'il remporta, l'une à Éphèse sur Antiochus, pilote d'Alcibiade et les vaisseaux qu'il commandait; l'autre à Ægos Potamos où il détruisit entièrement les forces navales des Athéniens. A gauche du Chalciœcos est le temple que les Lacédémoniens avaient érigé aux Muses, parce qu'ils allaient au combat, non au son de la trompette, mais au son des flûtes, de la lyre et de la Cithare. Le temple de Vénus Areia est derrière le Chalciœcos : on y voit des statues en bois aussi anciennes qu'il y en ait dans la Grèce. A droite du Chalciœcos est un Jupiter en bronze, la plus ancienne statue qu'on ait faite de ce métal. Elle n'est pas d'une seule pièce, mais composée de parties fabriquées séparément à coups de marteau; elles ont été ensuite ajustées les unes aux autres, et fixées ensemble par des clous. Cette statue est, dit-on, l'ouvrage de Léarchus de Rhégium, élève de Dipænus et de Scyllis, ou, suivant d'autres, de Dédale lui-même. Vers l'édifice nommé le Scénoma, se voit une statue de femme : les Lacédémoniens disent que c'est Euryléonis qui remporta à Olympie le prix de la course des chars à deux chevaux. Vers l'autel de Minerve Chalciœcos sont deux statues de Pausanias qui commandait Ies Lacédémoniens à Platée. Son histoire étant connue de tout le monde, je n'en dirai pas davantage. Ce que d'autres ont écrit précédemment avec beaucoup d'exactitude me paraît suffire; je me contenterai d'y ajouter ce que j'ai ouï dire à un particulier de Byzance, que si Pausanias vit ses projets découverts, et si de tous ceux qui s'étaient réfugiés dans le Chalciœcos, il fut le seul à qui cet asile ne procura pas l'impunité, c'est qu'il n'avait jamais pu effacer la souillure qu'il avait contractée par le meurtre dont je vais parler. Pausanias étant aux environs de l'Hellespont, avec les vaisseaux des Lacédémoniens et des autres Grecs, devint amoureux d'une jeune fille de Byzance. Cléonice, c'était le nom de cette jeune fille, lui fut amenée tout au commencement de la nuit par ceux qu'il avait chargés de cette commission. En se rendant vers lui, elle renversa, sans le vouloir, la lampe qui brûlait dans sa chambre; Pausanias qui était déjà endormi, fut réveillé par ce bruit, et comme il était dans des craintes et des agitations perpétuelles à cause du projet qu'il avait déjà formé de trahir la Grèce, il se leva, frappa cette fille de son sabre, et la tua. Il ne put jamais se laver de ce forfait. Ce fut en vain qu'il eut recours à toutes sortes d'expiations; qu'il se rangea parmi les suppliants de Jupiter Phyxius; qu'il alla même à Phigalie en Arcadie, vers ceux qui évoquent les âmes: il subit, comme cela était juste, la punition du crime qu'il avait commis envers Cléonice et envers les Dieux. Les Lacédémoniens, pour satisfaire aux ordres de l'Oracle de Delphes, érigèrent ces deux statues de bronze à Pausanias; et ils rendent des honneurs au génie Épidotes qui a, disent-ils, détourné la colère que Jupiter Hicésius avait conçue contre eux au sujet de la mort de Pausanias.

CHAPITRE XVIII.

Temple de Minerve Ophthalmitis. Temple d'Ammon. Diane Cnagia Temple des Grâces. Trépieds. Trône d'Apollon Amycléen.

ON voit auprès des statues de Pausanias, celle de Vénus Ambologéra, qui a été érigée d'après l'ordre de l'Oracle, et celles du Sommeil et de la Mort que les Spartiates, sur l'autorité de l'Iliade, regardent comme frères. En allant du côté de l'endroit nomme Alpium, vous trouvez le temple de Minerve Ophthalmitis, érigé, dit-on, par Lycurgue, après qu'Alcandre mécontent de ses lois lui eut arraché un œil. Lycurgue s'étant réfugié dans cet endroit, les Lacédémoniens vinrent à son secours, et empêchèrent qu'on ne lui arrachât l'autre œil, c'est pourquoi il érigea ce temple à Minerve Ophthalmitis. En avançant un peu, vous trouvez le temple d'Ammon; il paraît que, dans l'origine, les Lacédémoniens étaient de tous les Grecs ceux qui s'adressaient le plus fréquemment à l'Oracle de la Libye, et on dit que Lysandre faisant le siège d'Aphytis dans le pays de Pallène, vit en songe Ammon, et que ce dieu lui conseilla, comme plus expédient pour Lacédémone et pour lui, de ne plus faire la guerre aux Aphytéens : en conséquence Lycurgue leva le siège, et engagea les Lacédémoniens à honorer ce dieu plus qu'ils ne le faisaient. Les Aphytéens rendent à Ammon un culte non moins solennel que les Ammomiens de la Libye. Quant à Diane Cnagia, voici ce qu'on en dit : Cnagéus Lacédémonien, étant allé au siège d'Aphidne avec les Dioscures, fut fait prisonnier, vendu comme esclave et emmené dans un endroit de l'île de Crète, où il y avait un temple de Diane, il s'évada dans la suite et enleva la jeune fille prêtresse du temple, qui emporta la statue de la déesse. Les Lacédémoniens disent que Diane a pris de lui le nom de Knagia. Quant à moi, je crois que ce Knagéus est allé dans file de Crète do quelque autre manière, mais non comme le racontent les Lacédémoniens; car il ne dut pas y avoir de combat vers Aphidne, puisque Thésée était alors prisonnier chez les Thesprotes : d'ailleurs les Athéniens ne s'accordaient point entre eux, et penchaient plutôt pour Ménesthée. Supposé même qu'il se fût livré un combat, pouvons-nous croire qu'on eût fait des prisonniers aux vainqueurs, quand nous savons que la victoire fut si complète qu'Aphidne même fut prise. Mais en voilà bien assez sur cet article. En descendant de Sparte à Amycles vous trouvez la rivière Tiasa, qui passe pour fille de l'Eurotas; sur ses bords se voit le temple des deux Grâces, Phænna et Cléta, dont Alcman parle dans ses vers. Les Lacédémoniens croient que Lacédémon a érigé ce temple, et imposé ces noms, aux Grâces. Les monuments remarquables d'Amycles sont un cippe sur lequel est représenté Ænétus, athlète qui, ayant remporté le prix du Pentathle aux jeux Olympiques, expira, dit-on, au moment où on le couronnait; des trépieds de bronze dont les plus anciens viennent, dit-on, de la dîme du butin fait dans la guerre de Messène. Une statue de Vénus est sous le premier; une de Diane sous le second : ces deux trépieds sont de Gitiadas, ainsi que les sculptures qui les décorent. Callon d'Égine a fait le troisième, sous lequel est une statue de la fille de Cérès. Les deux suivants sont d'Aristandre de Paros, et de Polyclète d'Argos : sous l'un, une femme (c'est Sparte elle-même), tient une lyre; sous l'autre, Polyclète a placé la Vénus nommée, Vénus chez Amycléus : bien plus grands que les autres, ces deux derniers trépieds ont été dédiés à l'occasion de la victoire d'Ægos Potamos. Les Grâces sculptées sur le trône d'Apollon Amycléen, sont une offrande de Bathyclès de Magnésie qui a fait ce trône, ainsi que la statue de Diane Leucophryné. Je ne dirai pas qui fut le maître de Bathyclès, ni sous quel roi de Lacédémone il fit le trône; mais, comme j'ai vu ce monument, j'indiquerai les figures dont il est orné. Deux Grâces et deux Saisons le soutiennent par devant, et par derrière : à gauche sont Echidne et Typhon, à droite, des Tritons. Mais, comme une description trop détaillée des ornements de ce siège, fatiguerait le lecteur, et que ce sont pour la plupart des sujets connus, je me contenterai de les désigner sommairement. On y voit donc Taygète, fille d'Atlas et Alcyone sa sœur, que Jupiter et Neptune enlèvent; Atlas; le combat singulier d'Hercule contre Cygnus, et son combat chez Pholus contre les Centaures; le Minotaure, que Bathyclès représente, je ne sais pourquoi, enchaîné et entraîné vivant par Thésée; une danse de Phœaciens, et Démodocus qui chante; Persée coupant la tête de Méduse; le combat d'Hercules contre Thurius l'un des géants; celui de Tyndarée contre Eurytus, et l'enlèvement des deux filles de Leucippus; Bacchus encore enfant que Mercure emporte au ciel; Minerve emmenant Hercules qui va désormais habiter le séjour des dieux ; Pélée remettant Achille au Centaure Chiron, dont il doit être l'élève, et qui prit en effet, dit-on, le soin de l'instruire; Céphale enlevé par l'Aurore à cause de sa beauté; les dieux paraissant aux noces d'Harmonie pour lui apporter des présents; le combat singulier d'Achille et de Memnon ; Hercule châtiant Diomède dans la Thrace et Nessus vers le fleuve Événus; Mercure conduisant à Alexandre les trois déesses entre lesquelles il doit prononcer; Adraste et Tydée s'opposant au combat d'Amphiaraüs et de Lycurgue' fils de Pro¬nax; Junon arrêtant ses regards sur Io déjà changée en vache; enfin, Minerve échappant à Vulcain qui la poursuit. Au dessus de ces sujets sont représentés de suite, les combats d'Hercules contre l'Hydre, et ce héros entraînant le chien des enfers; Anaxias et Mnasinus montés sur des coursiers; Mégapenthès et Nicostrate fils de Ménélas, tous deux sur le même cheval; Bellérophon tuant le monstre de la Lycie; Hercule enfin emmenant les bœufs de Géryon. Aux extrémités supérieures et de chaque côté du trône sont les deux fils de Tyndarée : sous leurs chevaux, des Sphinx; au dessus, des bêtes féroces, un léopard qui court sur Castor, et une lionne sur Pollux. Tout au haut du trône est un chœur de danse formé par les Magnésiens qui avaient aidé Bathyclès à exécuter cet ouvrage. L'intérieur du trône présente, du côté où sont les Tritons, la chasse du sanglier de Calydon ; Hercule tuant les fils d'Actor; Calaïs et Zétès délivrant Phinée des Harpyes. Pirithoüs et Thésée qui viennent d'enlever Hélène; Hercule étranglant le lion ; Apollon et Diane perçant de leurs flèches Tityus; le combat d'Hercule contre le Centaure Oréus; celui de Thésée contre le Minotaure; Hercule luttant avec l'Achéloüs; Junon enchaînée par Vulcain, selon qu'on le raconte ; les jeux célébrés par Acaste pour les funérailles de son père; la fable de Ménélas et de Protée l'Égyptien qui se lit dans l'Odyssée; et pour derniers sujets, Admète attelant un sanglier et un lion à un char, et les Troyens offrant des libations funèbres à Hector.

CHAPITRE XIX.

Statue d'Apollon Amycléen. Hyacinthe. Bacchus Ptilas. Thérapné. Temple d'Esculape Cotyléus. Mars Theréitas. Hélène Dendritis. Île Leucé. Léonyme.

La partie du trône destinée à recevoir le dieu, offre plusieurs sièges séparés par d'assez grands intervalles. Le milieu est très large, et c'est là qu'est placée debout la statue du dieu. Je n'ai pas entendu dire que personne en eût pris la mesure; mais, à en juger par conjecture, elle peut avoir trente coudées de haut. Ce n'est pas l'ouvrage de Bathyclès, elle est bien plus ancienne et faite sans art; à l'exception du visage, des pieds et des mains, elle ressemble, pour le reste, à une colonne de bronze. Le dieu a un casque sur la tête, et tient une lance et un arc. La base de la statue a la forme d'un autel. Selon la tradition, le corps d'Hyacinthe y est renfermé, et lorsqu'on célèbre les Hyacinthies, on lui rend, sur cet autel, par une petite porte de bronze placée à gauche, les honneurs funèbres, avant de sacrifier à Apollon. L'autel est orné, d'un côté, de la figure de Biris; de l'autre, de celles d'Amphitrite et de Neptune. On y voit aussi Bacchus et Sémélé debout près de Jupiter et de Mercure, qui conversent ensemble; Ino est à côté de Sémélé; et de plus, des sculptures représentant Cérès, Proserpine et Pluton; à leurs côtés, les Parques, et les Saisons; Vénus, Minerve et Diane emportant au ciel Hyacinthe et Polybée qui était, dit-on, sa sœur et qui mourut fille. Hyacinthe a déjà de la barbe; et, si Nicias, fils de Nicomède, l'a retracé sous les traits de l'adolescence, c'était pour faire allusion à l'amour qu'il avait, dit-on, inspiré à Apollon. Sur cet autel sont sculptés encore Hercule que Minerve et les autres dieux conduisent au ciel; les filles de Thestius, les Muses et Ies Heures. Quant au vent Zéphyre, à la manière dont Hyacinthe fut tué involontairement par Apollon, et à sa métamorphose en fleur, tout cela n'est peut-être pas comme on le raconte; je veux bien cependant qu'on le croie ainsi. Amycles fut détruite par les Doriens, et n'est plus qu'un bourg depuis ce temps-là : on y remarque un temple et une statue d'Alexandra, qui méritent d'être vus. Les Amycléens disent qu'Alexandra est la même que Cassandre, fille de Priam. Vous y verrez aussi un portrait de Clytemnestre et une statue qu'on croit le monument d'Agamemnon. Les dieux qu'on y honore sont Apollon Amycléen, Bacchus que les gens du pays nomment Ptilas (les Doriens disent Ptila au lieu de Ptéra ailes), et ils ont raison à mon avis; car le vin élève l'homme et rend son esprit plus léger, de même que les ailes élèvent les oiseaux dans les airs. C'est là tout ce qu'Amycles offre de remarquable.
Une autre route vous conduit de Lacédémone à Thérapne; vous y trouvez une statue en bois de Minerve Aléa. Avant de traverser l'Eurotas, et un peu au dessus de la rive du fleuve, on vous montre le temple de Jupiter Plousius; traversant ensuite le fleuve, vous trouvez celui d'Esculape Cortyléen : il a été érigé par Hercule qui donna ce surnom au dieu qui l'avait guéri d'une blessure à la jonction de la cuisse et de la hanche, reçue dans le premier combat contre Hippocoon et ses fils: (cotylé signifie os des îles). Le temple de Mars est le plus ancien de tous ceux qui sont bâtis sur cette route; il est à gauche. On dit que la statue du dieu a été aussi apportée de Colchos par les Dioscures : il est surnommé Théréitas, du nom de Théro qui passe pour sa nourrice. Cette tradition vient peut-être des Colchidiens, car les Grecs ne connaissent point, je crois, Théro, nourrice de Mars. Ce surnom n'a point cette origine, mais il exprime qu'un guerrier, aux prises avec son ennemi, doit ressembler à une bête féroce (ther) et n'avoir rien d'humain : c'est ainsi qu'Homère dit d'Achille, féroce comme un lion. Le bourg de Thérapne a pris son nom de la fille de Lélex. Ménélas y a un temple, on dit même qu'il y est enterré avec Hélène. Mais les Rhodiens ne s'accordent pas sur ce point avec les Lacédémoniens : ils disent au contraire qu'après la mort de Ménélas, et tandis qu'Oreste errait encore dans la Grèce, Hélène, poursuivie par Nicostrate et Mégapenthès, se rendit à Rhodes auprès de Polyxo, femme de Tlépolème et son amie; que cette Polyxo, native d'Argos, ayant épousé Tlépolème avant qu'il fût exilé, l'avait suivi à Rhodes; qu'elle gouvernait cette île comme tutrice de son jeune fils, lorsqu'Hélène tomba en sa puissance, et que, voulant venger la mort de Tlépolème, un jour qu'Hélène se baignait, elle envoya des servantes déguisées en Furies, qui la saisirent et la pendirent à un arbre: c'est pourquoi les Rhodiens ont érigé un temple à Hélène Dendritis. Je ne dois pas oublier, au sujet d'Hélène, le récit que font les Crotoniates, et que les Himéréens confirment. Il y a dans le Pont-Euxin, à l'embouchure du Danube, une île consacrée à Achille, et qui porte le nom de Leucé. Elle a vingt stades de circonférence, elle est couverte de bois, et peuplée d'animaux tant féroces que privés ; Achille y a un temple et une statue. Personne n'y avait abordé, dit-on, avant Léonymus de Crotone. Les Crotoniates étaient en guerre avec les Locriens d'Italie, qui, à raison de leur affinité avec les Locriens Opuntiens, appelaient à leur secours dans les combats Ajax, fils d'Oilée. Léonymus, qui commandait les Crotoniates, et qui attaqua les Locriens du côté où il savait qu'Ajax était placé, fut blessé à la poitrine; et comme il souffrait beaucoup de sa blessure, il alla consulter l'oracle de Delphes. La Pythie l'envoya dans file Leucé, en lui disant qu'il y verrait Ajax qui le guérirait. Revenu de cette île après sa guérison, il raconta qu'il y avait vu Achille, Ajax, le fils d'Oïlée, Ajax fils de Télamon, et avec eux Patrocle et Antiloque; qu'il avait reçu d'Hélène, devenue l'épouse d'Achille, l'ordre de se rendre à Himère pour annoncer à Stésichore que la perte de ses yeux était l'effet de la colère de cette princesse. Ce fut d'après cet avis que Stésichore fit sa Palinodie.

CHAPITRE XX

Thérapné. Phœbéum. Alésies. Le Taletum. L'Evoras. Hélos. Lapithæum. Temple d'Achille. Statue de la Pudeur. Pénélope.

J'ai vu à Thérapne la fontaine Mésséide. Quelques Lacédémoniens prétendent qu'on donnait anciennement ce nom à la fontaine appelée aujourd'hui Polydeucée, et non à celle de Thérapne. Au reste, c'est sur la droite de la route de Thérapne, que se trouvent cette fontaine Polydeucée et le temple de Pollux; à peu de distance est le Phœbéum où l'on voit le temple des Dioscures, dans lequel les adolescents sacrifient à Mars. Le temple de Neptune surnommé Gaiaouchos n'en est pas très éloigné. En avançant un peu, comme pour gagner le Taygète, vous trouvez Alésia, endroit ainsi nommé parce que Mylès fils de Lélex y fit usage de la meule à moudre le grain, dont il avait été le premier inventeur. On y voit aussi le monument héroïque de Lacédémon, fils de Taygète. Au sortir de là, si traversant le fleuve Phellias, vers Amycles, vous prenez le chemin qui mène directement à la mer, vous arrivez au lieu où jadis existait Pharis, ville de la Laconie. En vous détournant du Phellias, sur la droite, le chemin vous conduit au mont Taygète, et vous trouvez dans la plaine l'enceinte de Jupiter Messapéus; on dit que ce surnom lui vient du nom de l'un de ses prêtres. Ensuite en vous éloignant du Taygète, vous trouvez la place où fut autrefois la ville de Brysées. Il y reste encore un temple de Bacchus et une statue en plein air. Quant à celle qui est dans le temple, elle ne peut être vue que par les femmes, qui seules lui offrent des sacrifices avec des cérémonies secrètes. Le Taletum, sommet du Taygète, s'élève au-dessus de Brysées; il est consacré au soleil, à qui l'on sacrifie sur ce sommet des chevaux et différentes victimes, Je sais que les Perses lui sacrifient aussi des chevaux. L'Évoras, qui est peu éloigné du Taletum, nourrit différentes espèces de gibier, surtout des chèvres sauvages. En général, tout le Taygète fournit des chèvres, des sangliers, beaucoup aussi de cerfs et d'ours. On donne le nom de Théræ (chasses) à l'espace entre le Taletum et l'Évoras. A peu de distance du Taygète s'élève un temple de Cérès surnommée Éleusinienne; les Lacédémoniens disent qu'Esculape y tint Hercule caché, tandis qu'il pansait sa blessure. On y voit une statue en bois d'Orphée, c'est, dit-on, un ouvrage des Pélasges. Voici une autre cérémonie qui s'y pratique... Hélos était une ville sur les bords de la mer dont Homère a parlé dans le catalogue des Lacédémoniens. Les habitants d'Amycles et d'Hélos sur les bords de la mer. Elle avait été fondée par Hélius le plus, jeune des fils de Persée; elle fut quelques temps après, assiégée et prise par les Doriens. Ses habitants furent les premiers esclaves publics du peuple Lacédémonien et les premiers qui portèrent le nom d'Hilotes qui n'était que le leur. Dans la suite, les Messéniens ayant été réduits en esclavage par les Doriens, l'habitude s'établit de leur appliquer le nom d'Hilotes, de même que les Grecs ont pris du canton de la Thessalie qu'on nommait jadis Hellas, le nom d'Hellènes. On conserve à Hélos une statue en bois de la fille de Cérès, qu'en certains jours on transporte dans l'Éleusinium. A quinze stades de l'Éleusinium est le Lapithæum, qui tient ce nom d'un habitant du pays nommé Lapithus; il est sur le mont Taygète. A peu de distance de là est Derrium, où l'on voit en plein air la statue de Diane Derriatide, et près de cette statue une fontaine nommée Anonus. Environ vingt stades au delà de Derrium, est Harpléia, qui s'étend jusqu'à la plaine. En prenant la route qui conduit de Sparte dans l'Arcadie, vous trouvez d'abord, et en plein air, la statue de Minerve Paréia; ensuite le temple d'Achille, qu'il n'est pas permis d'ouvrir. Les adolescents qui doivent combattre dans le Plataniste, ont coutume de sacrifier à Achille avant le combat. Les Spartiates disent qua ce temple a été érigé par Pracas, descendant à la troisième génération de Pergamus, fils de Néoptolème. Le monument du cheval est plus loin; c'est là que Tyndarée, ayant sacrifié un cheval, fit jurer tous les prétendants d'Hélène, de prendre la défense de cette princesse et de celui qu'elle choisirait, si on leur faisait quelque tort. Il leur fit prêter ce serment sur les membres de la victime qu'il enterra ensuite en cet endroit. Sept colonnes, qu'on voit à peu de distance de ce monument, sont, a ce qu'on dit, les sept Planètes représentées, je pense, suivant l'ancienne manière. En continuant la route, on trouve l'enceinte consacrée à Cranius, surnommé Stemmatius, et le temple de Diane Mysienne. La statue de la Pudeur se voit à trente stades à peu près de la ville : c'est une offrande d'Icarius ; et voici, dit-on, à quelle occasion il l'érigea. Lorsque sa fille Pénélope eut épousé Ulysse, Icarius fit tout ce qu'il put pour décider son gendre à s'établir à Lacédémone; et n'ayant point réussi à le déterminer, il eut recours à sa fille elle-même, la suppliant de rester avec lui: quand elle partit pour Ithaque, il poursuivit son char en continuant de lui adresser cette prière. Ulysse, qui avait pris patience jusque là, finit par dire à Pénélope, ou de le suivre de bon cœur, ou, si cela lui convenait mieux, de retourner avec son père à Lacédémone. On dit qu'elle ne répondit rien, mais qu'elle se couvrit le visage: Icarius, comprenant qu'elle voulait suivre Ulysse, ne s'efforça plus de la retenir, et érigea une statue à la Pudeur, à l'endroit de la route où Pénélope s'était couverte de son voile.

CHAPITRE XXI.

Tombeau de Ladas. Pellane. Bélémine. Crocées. Ægiæ. Gythium. Eleuthérolacons.

Vingt stades plus loin, l'Eurotas coule tout près de la route, et vous trouvez le tombeau de Ladas, coureur le plus célèbre de son temps. Il avait remporté à Olympie le prix de la course, nommée Dolichus. Je pense qu'il tomba malade aussitôt après sa victoire, et, comme on le transportait dans son pays, il mourut dans cet endroit. Son tombeau est sur la grande route. Un autre Ladas a aussi remporté le prix à Olympie, mais seulement de la course du Stade, et non du Dolichus. Il était d'Ægium en Achaïe, suivant le catalogue des vainqueurs aux jeux olympiques, tenu par les Éléens. Si vous avancez du côté de Pellane, vous trouvez avant d'y arriver, le Characoma. Pellane était jadis une ville ; et l'on dit que Tyndarée s'y établit lorsqu'il fut chassé de Sparte par Hippocoon et ses fils. Ce que j'y ai vu de plus remarquable, c'est le temple d'Esculape et la fontaine Pellanide. Les gens du pays racontent qu'une jeune fille, y étant tombée en puisant de l'eau, disparut, et qu'on retrouva le voile qu'elle avait sur sa tête dans une autre fontaine, nommée Lanceia. Bélémina est à cent stades de Pellane, c'est le canton le mieux arrosé de toute la Laconie; car; outre que l'Eurotas le traverse, il est abondamment pourvu de sources. En descendant à Gythium sur le bord de la mer, vous arrivez à un bourg nommé Crocées, on il y a une carrière; les pierres qu'on en tire ne forment pas une masse continue, mais elles ressemblent pont la forme à celles qui se trouvent dans les rivières. Elles sont, au reste, très difficiles à travailler; mais ce travail, lorsqu'il réussit, les rend dignes de décorer les temples même des dieux. Elles font aussi un très bon effet dans les bassins et les autres pièces d'eau. Les statues de dieux qu'on voit à Crocées, sont un Jupiter Crocéate en marbre, à l'entrée du bourg ; et les Dioscures eu bronze, sur la carrière. Au sortir de Crocées, en laissant le chemin de Gythium et prenant à droite, vous arrivez à une ville nommée Ægiæ, celle, dit-on, qu'Homère appelle Augiæ dans ses vers. On y voit un lac qui porte le nom de Neptune, et sur ses bords, un temple et une statue de ce dieu. Personne n'ose y prendre des poissons, car on dit qu'un pêcheur qui en avait pris, mourut bientôt après. Gythium est à trente stades d'Ægiæ c'est une ville sur les bords de la mer, qui fait déjà partie des Eleuthérolacons que l'empereur Auguste affranchit de la servitude où les tenaient les Lacédémoniens de Sparte. Le Péloponnèse est entièrement entouré par la mer, à l'exception de l'endroit où il tient au continent par l'Isthme de Corinthe. Les côtes de la Laconie fournissent des coquillages dont on tire une pourpre qui est la plus estimée pour la teinture, après celle de la mer de Phénicie. Les villes des Eleuthérolacons sont au nombre de dix-huit. Gythium est la première en descendant d'Ægiæ vers la mer. Vous trouvez ensuite Teuthroné, Las et Pyrrhichus; Cænopolis sur le Tænare, Œtylos, Leuctres, Thalames, Alagonie et Gérénie : de l'autre côté de Gythium, et sur les bords de la mer, Asopus, Acries, Bœes, Zarax, Épidaure Liméra, Brasies, Géronthres et Marius. Ces villes sont les seules qui restent des vingt-quatre qu'avaient les Eleuthérolacons; les autres dont il sera question dans la suite, sont soumises à Sparte et ne se gouvernent point par leurs lois comme celles dont je viens de parler. Les Gythéates disent que leur ville n'a point été fondée par un mortel, mais qu'Hercule et Apollon, après avoir combattu fun contre l'autre pour le Trépied, se réconcilièrent et fondèrent ensuite cette ville en commun. Aussi voit-on sur la place publique des Gythéates les statues d'Apollon et d'Hercule, et près d'eux celle de Bacchus. En d'autres endroits de la ville, vous apercevrez la statue d'Apollon Carnéus, le temple d'Ammon, une statue en bronze d'Esculape, dont le temple n'a plus de toit, une fontaine consacrée à ce dieu, un temple de Cérès et une statue de Neptune Gaiaouchos. Quant au dieu que les Gythéates nomment Géron et qui habite la mer, à ce qu'ils disent, j'ai découvert que c'était Nérée. Ils ont, dans l'origine, emprunté ce nom d'Homère, qui dans l'Iliade fait dire à Thétis: Vous autres, rentrez dans la mer, et retournez vers le vieillard (Géronta) marin qui vous a donné le jour. Ils donnent le nom de Castorides aux portes qu'ils ont vers cet endroit, et ils ont dans leur citadelle un temple et une statue de Minerve.

CHAPITRE XXII.

Cranaé, île. Trinasus. Délos. Acries. Géronthres. Marius. Glyppie. Asopus. Onougnathus, promontoire, Bœes. Sidé.

A propos d'une pierre brute qui se trouve à trois stades tout au plus de Gythium, on dit qu'Oreste, s'y étant assis, fut délivré de sa fureur; c'est pourquoi on la nommée en langage dorien, Zeus Cappotas. L'île Cranaé est située devant Gythium; ce fut dans cette île, suivant Homère, qu'Alexandre eut pour la première fois commerce avec Hélène, qu'il avait enlevée. Sur le continent, en face de cette île, est le temple de Vénus Migonitide, et tout ce canton se nomme Migonium. Ce temple passe pour avoir été érigé par Alexandre. Ménélas, de retour chez lui. huit ans après la prise et le sac de Troie, éleva non loin du temple de Vénus Migonitide une statue de Thétis, et en consacra une autre à la déesse Praxidice. Au dessus du Migonium s'élève le mont Larysium, consacré à Bacchus; la fête de ce dieu y est célébrée au commencement du printemps. On raconte différentes particularités de cette fête, et entre autres, qu'il s'y trouve du raisin mûr. En avançant sur le continent, à trente stades, ou environ, de Gythium, à gauche, vous trouvez les murs de Trinasos, qui était, je crois, une forteresse et non une ville. Je pense, qu'elle a pris son nom de trois îles qui sont vis-à-vis cet endroit du continent. En avançant encore, à quatre-vingt stades à peu près de Trinasos, vous découvrez les ruines d'Hélos, et trente stades plus loin, la ville d'Acries, sur les bords de la mer; vous y remarquez un temple et une statue en marbre de la Mère des dieux. Les habitants d'Acries, disent que cette statue est la première qu'on ait érigée à cette déesse dans le Péloponnèse. Mais la plus ancienne de toutes las statues de la Mère des dieux, est celle qu'on voit sur la roche de Coddin, chez les Magnésiens qui habitent le côté septentrional du mont Sipylus. Ils disent qu'elle a été érigée par Brotéas, fils de Tantale. Les Acriates comptent parmi leurs concitoyens un vainqueur aux jeux olympiques nommé Nicoclès, qui en deux olympiades remporta cinq fois à Olympie le prix de la course. On lui a élevé un tombeau entre le Gymnase et les murs de la ville du côté du port. En remontant de la mer dans l'intérieur des terres, vous arrivez à Géronthres, à cent vingt stades d'Acries. Cette ville existait déjà avant l'arrivée des Héraclides dans le Péloponnèse; les Doriens, qui s'étaient emparés de Lacédémone, chassèrent les Achéens de Géronthres, et y envoyèrent une colonie des leurs. Cette ville fait aussi maintenant partie des Eleuthérolacons. Vous trouvez sur la route d'Amies à Géronthres, un bourg nommé Palæa ; et à Géronthres même un temple de Mars, avec un bois sacré ; tous les ans on y célèbre, en l'honneur de ce dieu, une fête, pendant laquelle il est défendu aux femmes d'entrer dans le bois. Les fontaines qui fournissent aux habitants l'eau qu'ils boivent, sont autour de la place publique, il y a dans leur citadelle un temple d'Apollon. Sa statue fut brûlée dans l'incendie du premier temple, et il n'en reste plus que la tête, qui est en ivoire. Marius est une autre ville des Eleuthérolacons, à cent stades de Géronthres : on y voit un ancien temple consacré à tous les dieux en commun, le bois qui l'entoure est arrosé par plusieurs fontaines. Il y a aussi des fontaines dans le temple de Diane, et je ne connais guère d'endroit où l'eau soit aussi abondante qu'à Marius. Le bourg nommé Glyppia est un peu au-dessus de la ville, aussi dans l'intérieur des terres. A vingt stades de Géronthres est un autre bourg, nommé Sélinonte. Voilà ce qu'on trouve en remontant d'Acries dans le continent. Si vous suivez les bords de la mer jusqu'à soixante stades d'Acries, vous gagnez Asopus, ville dont l'enceinte renferme un temple des Empereurs Romains : un peu au-dessus de la ville, à douze stades ou environ, est un temple d'Esculape Philolaos; c'est le surnom que les habitants donnent à ce Dieu. Les ossements qui reçoivent dans le Gymnase une espèce de culte, sont d'une grandeur extraordinaire, et cependant humains. Le temple de Minerve Cyparissia est dans la forteresse, au pied de laquelle s'aperçoivent les ruines d'une ville jadis nommée la Cité des Achéens Paracyparissiens. Dans ce canton, à peu près à cinquante stades d'Asopus, s'élève un temple d'Esculape. Le lieu qu'il occupe s'appelle Hypertéléate. Deux cents stades séparent Asopus du promontoire Onougnathus, (mâchoire d'âne). Là est un temple de Minerve, qui n'a plus ii toit ni statue; il avait été bâti, dit-on, par Aganemnon : le tombeau de Cinadus, pilote du vaisseau le Ménélas, est dans le même endroit. Le golfe Bœatique est à la suite de ce promontoire, et la ville de Bœes à l'extrémité du golfe. Elle a été fondée par Bœus, l'un des Héraclides, qui y rassembla les habitants de trois villes, Étias, Aphrodisias et Sidé. Deux de ces anciennes villes avaient, dit-on, été fondées par Énée, qui, fuyant en Italie, fut jeté par les vents dans ce golfe; on ajoute qu'Étias était sa fille. La troisième ville a pris son nom de Sidé, fille de Danaüs. Les habitants de ces trois villes, en ayant été chassés, cherchaient le lieu où le destin voulait qu'ils s'établissent, lieu qui, suivant un oracle, devait leur être indiqué par Diane. Débarqués dans ce golfe, ils aperçurent un lièvre, le prirent pour guide, et, le voyant se cacher dans un buisson de myrte, ils bâtirent leur ville autour de ce buisson, pour lequel ils ont encore la plus grande vénération : et ils le nomment Diane Sotéira. On voit sur la place publique de Bœes un temple d'Apollon, et en d'autres endroits de la ville les temples d'Esculape, d'Isis et de Sarapis. Les ruines de Sidé ne sont pas à plus de sept stades de Bœes; en y allant on trouve sur la route, à gauche, un Mercure en marbre, et dans les ruines même de la ville un temple d'Esculape et d'Hygiée, qui a quelque célébrité.

CHAPITRE XXIII.

Île de Cythère. Temple de Vénus Uranie. Épidélium. Ménophanes. Mithridate. Épidaure Liméra. Promontoire de Minos.

L'île de Cythère est en face de Bœes. Le trajet est de quarante stades entre le promontoire Onougnathus, et celui qu'on appelle Platanistonte, qui, dans cette île, est le point le moins éloigné du continent. Scandie est le port par où l'on aborde à Cythère; pour monter de Scandie à la ville de Cythère, il y a dix stades de chemin. A Cythère est le temple de Vénus Uranie : cette divinité n'en a pas de plus antique, de plus vénérable dans toute la Grèce. Elle est armée et sa statue est en bois. En vous rendant par mer de Bœes au promontoire Malée, vous trouvez un lac nominé Nymbæus, un Neptune debout, et tout auprès de la mer une grotte où jaillit une fontaine d'eau douce. Les environs sont très habités. Doublez le promontoire Malée, et parcourez au-delà cent stades, en suivant la côte, vous arriverez à un bourg consacré à Apollon, sur les confins des Bœates. On le nomme Épidélium, parce que la statue d'Apollon qu'il renferme était jadis à Délos; cette île était anciennement le marché général de toute la Grèce: les marchands s'y rendaient en toute sûreté, le respect qu'on avait pour le dieu la rendant inviolable. Ménophane, général de Mithridate, soit de son propre mouvement, soit qu'il en eût reçu l'ordre de son souverain (car ceux qui ne songent qu'à leur intérêt, ne s'inquiètent guère de la religion), vint aborder à Délos, qui n'était point fortifiée, et dont les habitants n'avaient point d'armes; il massacra tous les étrangers qui s'y trouvaient, massacra les Déliens eux-mêmes, pilla la plus grande partie des richesses des marchands, ainsi que toutes les offrandes, et, ayant réduit en esclavage les femmes et les enfants, détruisit Délos de fond en comble. L'île ainsi dévastée et pillée, quelqu'un des barbares jeta par mépris cette statue dans la mer, les flots la soulevèrent et la portèrent chez les Bœates, à l'endroit qu'on nomme pour cette raison Épidélium. Au reste, Ménophane et Mithridate lui-même n'échappèrent point à la vengeance des dieux. Ménophane l'éprouva sur le champ, car les marchands qui avaient pu échapper par la fuite, s'étant mis en embuscade avec leurs vaisseaux, le tuèrent lorsqu'il revenait de Délos. Pour Mithridate, ayant été dans la suite dépouillé de ses états, et se voyant chassé de tout lieu par les Romains, il fut réduit à se tuer de sa propre main. D'autres disent qu'il obtint, comme une grâce, qu'un de ses soldats lui donnât la mort. C'est ainsi qu'ils furent punis l'un et l'autre de leur impiété.
Épidaure Limera est limitrophe du pays des Bœates, à deux cents stades environ d'
Épidelion. On dit que cette ville à été fondée, non par des Lacédémoniens, mais par des Épidauriens de l'Argolide, qui, allant au nom de leurs concitoyens au temple d'Esculape dans l'île de Cos, abordèrent à ce point de la Laconie et s'y établirent sur la foi de quelques songes. Ou ajoute qu'un serpent qu'ils apportaient d'Épidaure, s'échappa de leurs vaisseaux et se cacha sous terre, à peu de distance de la mer : cette disparition et les songes qu'ils avaient eus, les décidèrent à se fixer, en ce lieu ; et la place où s'enterra le serpent est encore marquée par des autels dédiés à Esculape, et par des oliviers qui se sont élevés autour.
En avançant à droite, à deux stades ou environ, vous trouvez le lac qui porte le nom d'Ino. Il a peu d'étendue, mais il est très profond. On y jette tous les ans, à la fête d'Ino, des gâteaux de farine d'orge. C'est un heureux présage pour celui qui les jette, lorsque l'eau les engloutit; mais c'en est un mauvais lorsqu'elle les rejette. Il en est de même des Cratères de l'Etna, on y jette des ouvrages d'or et d'argent et des victimes de tontes les espèces. Si le feu les reçoit et les consume, on s'en réjouit comme d'un très heureux présage; on croit au contraire que celui dont les offrandes sont repoussées éprouvera quelque grand malheur. Il y a sur le chemin de Bœes à Épidaure Liméra, dans le pays même des Épidauriens, un temple de Diane Limnatis. La ville d'Épidaure est située sur une hauteur à peu de distance de la mer. Les objets qui méritent d'être vus sont, le temple de Vénus, celui d'Esculape avec une statue en marbre, qui représente ce dieu debout; le temple de Minerve dans la citadelle, et devant le port, celui de Jupiter Soter. Il y a près de la ville un promontoire nommé Minoa; le golfe qu'il forme ne diffère en rien de tous ceux que la mer forme dans la Laconie, mais on trouve sur ses bords des cailloux d'une forme très agréable et de toutes sortes de couleurs.

CHAPITRE XXIV.

Zarax. Ruines de Cyphantes. Brasies. Las. Galaco, fontaine. Hypsus. Sménus, rivière. Araïnus.

Zarax est à cent stades d'Épidaure, la côte est là d'un abord assez facile, mais cette ville est de toutes celles qui appartiennent aux Eleuthérolacons, celle qui a été le plus maltraitée, elle est en effet la seule de la Laconie qui ait été détruite par Cléonyme, fils de Cléomène, frère d'Agésipolis. J'ai parlé ailleurs de ce Cléonyme. Zarax n'offre rien de remarquable, si ce n'est à l'extrémité du port, un temple d'Apollon et sa statue, tenant une cithare. Si après avoir avancé six stades ou environ, le long de la côte, et vous être détourné pour entrer dans l'intérieur des terres, vous faites encore en montant un chemin d'à peu près dix stades, vous trouvez les ruines de la ville de Cyphantes, et au milieu de ces débris, le Stéthæum, temple d'Esculape, avec sa statue en marbre. On y voit aussi nue fontaine d'eau très froide, qui sort du rocher. Les gens du pays disent qu'Atalante altérée, en chassant dans ce canton, frappa de sa lance le rocher, d'où l'eau jaillit à l'instant. Brasies est de ce côté la dernière ville des Eleuthérolacons sur les bords de la mer. Il y a deux cents stades de trajet, de cette ville à Cyphantes. Les habitants de Brasies disent, contre la tradition de tous les autres Grecs, que Cadmus, ayant découvert que Sémélé avait eu Bacchus de Jupiter, enferma la mère et l'enfant dans un coffre et les jeta dans les flots; que ce coffre vint échouer sur leurs côtes; et que trouvant Sémélé déjà morte, ils lui firent des funérailles magnifiques, et prirent soin de l'éducation de Bacchus. Ce fut alors, continuent-ils, que leur ville nommée auparavant Oréates, prit le nom de Brasies, à l'occasion même de ce coffre poussé sur leurs côtes par les flots : en effet, maintenant encore, le terme ecbébrasthai s'emploie ordinairement pour dire qu'un objet a été jeté par les flots sur le rivage. Les Brasiates ajoutent qu'Ino, alors errante et sans asile, étant venue dans leur pays, voulut bien être la nourrice de Bacchus. Ils montrent l'antre où elle le nourrit, et ils donnent à la plaine le nom de jardin de Bacchus. On voit à Brasies deux temples, celui d'Esculape et celui d'Achille, et une fête annuelle s'y célèbre en l'honneur de ce héros. Il y a aussi à Brasies, un petit promontoire qui s'avance insensiblement dans la mer; on y voit des statues de bronze qui n'ont pas plus d'un pied de haut. Les trois qui ont le Piléus sur la tête sont elles les Dioscures ou les Corybantes? je n'en sais rien. La quatrième figure représente Minerve. A la droite de Gythium, à quarante stades de cette ville, et à dix de la mar, Las occupe aujourd'hui l'espace compris entre les trois montagnes, d'llium d'Asia et de Cnacadium : jadis Las était située au sommet du mont Asia, où l'on voit encore les ruines de l'ancienne ville et devant les murs, une statue d'Hercule : le trophée érigé dans le même lieu rappelle la victoire remportée sur un corps de Macédoniens, qui, lorsque Philippe entrait en Laconie, se détacha de son armée pour aller ravager les côtes. Entre ces ruines est un temple de Minerve Asia, élevé, dit-on, par Castor et Pollux, à leur retour de Colchos, où se trouvait un temple de la même déesse. Je sais bien que les fils de Tyndarée étaient de l'expédition de Jason; mais les Lacédémoniens sont les seuls qui disent que Minerve Asia fut adorée à Colchos. On voit près de la ville actuelle une fontaine, nommée Galaco à cause de la couleur de son eau, et vers cette fontaine un Gymnase avec une ancienne statue de Mercure. Trois temples sont à remarquer, l'un de Bacchus, sur le mont llium; l'autre d'Esculape, au plus haut point du sommet; le troisième, d'Apollon Carneius vers le mont Cnacadium. En avançant, au-delà de ce temple, jusqu'à une distance d'environ trente stades, vous trouvez, sur les frontières du pays des Spartiates, le bourg Hypsus avec un temple d'Esculape et de Diane Daphnæa. Au bord de la mer, sur un promontoire, est celui de Diane Dictynne : la fête de cette déesse y est célébrée tous les ans. C'est à gauche de ce promontoire, que se jette dans la mer le fleuve Sménus, dont les eaux sont extrêmement agréables à boire. Il prend sa source au mont Taygète, et n'est guère qu'à cinq stades de la ville. Dans le bourg Araïnus, la statue de Las est érigée sur son tombeau : Las est regardé comme le fondateur de la ville, et l'on dit qu'il fut tué par Achille, venu dans le pays pour demander à Tyndarée Hélène en mariage : mais la vérité est que Las fut tué par Patrocle, l'un des prétendants à la main d'Hélène : Achille n'y prétendait pas; car, sans parler du catalogue des femmes célèbres, qui ne le compte point parmi les amants d'Hélène, le témoignage d'Homère nous suffit, d'Homère, qui, au commencement de l'Iliade, dit qu'Achille se rendit au siège de Troie pour faire plaisir aux Atrides et sans y être tenu par des serments faits à Tyndarée. D'un autre côté, lorsqu'il décrit les jeux célébrés aux funérailles de Patrocle, il fait dire à Antilochus, qu'Ulysse est plus âgé que lui d'une génération; ce même Ulysse racontant à Alcinoüs ce qu'il a vu dans lés enfers, dit qu'il aurait bien voulu y rencontrer Thésée et Pirithoüs, héros d'un âge antérieur au sien ; or nous savons que Thésée avait enlevé Hélène. Il est donc absolument impossible, qu'Achille ait demandé Hélène en mariage.

CHAPITRE XXV.

Le Scyras, fleuve. Pyrrhichus. Silène. Teuthroné. Le Ténare, promontoire. Le chien des Enfers. Arion. Cænépolis. Œtylus.

Un peu au-delà du tombeau de Las, la mer reçoit les eaux d'un fleuve, qui, jadis sans nom, prit celui de Scyras, quand Pyrrhus, fils d'Achille arrivant de Scyros, pour épouser Hermione, y eut relâché avec ses vaisseaux. En traversant ce fleuve, vous trouvez un autel de Jupiter, et plus loin, un ancien temple de ce Dieu. La ville de Pyrrhichus est à quarante stades de ce fleuve, dans l'intérieur du pays. On dit que son nom vient de Pyrrhus, fils d'Achille. Suivant d'autres, Pyrrhichus était un des dieux connus sons le nom de Curètes. Enfin, d'autres prétendent que Silène quitta Malée, pour venir y demeurer; car Silène était né à Malée, comme on le voit par ce passage d'un chant de Pindare. Bacchus, ce Dieu vaillant et ami de la danse, élève de l'époux de Naïs, de Silène que Malle vit naître.
Pindare ne dit pas que Silène eut aussi le nom de Pyrrhichus, mais les habitants de Malée le disent. Sur la place publique de Pyrrhichus, s'ouvre un puits sans lequel les habitants manqueraient absolument d'eau. Ils croient que c'est un don de Silène. On voit dans leur pays deux temples, celui de Diane surnommée Astratéa, parce que les Amazones s'arrêtèrent en ce lieu, et ne poussèrent pas plus loin leur expédition; et celui d'Apollon Amazonius. Les statues de ces deux divinités sont en bois, et furent, dit-on, érigées, par les femmes qui habitaient les bords du Thermodon. En descendant de Pyrrhichus vers la mer, vous arrivez à Teuthroné dont les habitants reconnaissent Teuthras Athénien, pour leur fondateur : ils honorent Diane Issoria d'un culte particulier. Ils ont aussi une fontaine nommée Naïa. A cent cinquante stades de Teuthroné, s'offrent le promontoire Ténare, et les ports Achilléus et Psamathus. ll y a sur ce promontoire un temple en forme de grotte, et devant ce temple une statue de Neptune. Quelques poètes Grecs, prétendent qu'Hercule ramena par là le chien des enfers, mais aucun chemin souterrain n'aboutit à cette grotte et l'on aura peine à se persuader, que des dieux aient une demeure souterraine, au lieu où les âmes se réunissent. Hécatée de Milet a imaginé une hypothèse plus vraisemblable; il place sur le Ténare un serpent monstrueux, qu'on nommait le chien des enfers, parce que son venin était si subtil, que ceux qu'il mordait mouraient sur le champ : Hercule le conduisit à Eurysthée. Homère a dit le premier qu'Hercule amena le chien des enfers, mais il ne lui donne point de nom et n'en décrit pas la forme, comme il le fait pour la Chimère. Les poètes des siècles suivants l'ont nommé Cerbère, lui ont donné trois têtes, et en tout le reste la forme d'un chien : cependant Homère, par ce nom de chien des enfers, a pu vouloir désigner un serpent, tout aussi bien qu'un animal domestique. Parmi d'autres offrandes, qui sont sur le Ténare, on remarque une statue en bronze, qui représente le citharède Arion sur un dauphin. Hérodote, en parlant de la Lydie, raconte sur des ouï dire, l'histoire du Dauphin et d'Arion; mais j'ai vu moi-même à Poroséléné, un dauphin, qui, ayant été blessé par des pêcheurs et guéri par un enfant, lui témoignait sa reconnaissance je l'ai vu venir à la voix de l'entant; et quand celui-ci le désirait, lui servir de monture pour aller où il voulait. Sur le Ténare est une fontaine qui n'offre plus rien de merveilleux : mais on dit qu'autrefois il suffisait de regarder au fonds de ses eaux, pour y apercevoir les vaisseaux et les ports. Elle a perdu cette vertu, et l'on n'y voit plus rien, depuis qu'une femme y a lavé des vêtements souillés. Le trajet par mer est de quarante stades depuis la pointe du Ténare jusqu'à Cænépolis, ville qui portait aussi le nom de Ténare anciennement. Vous y remarquez un temple de Cérès, et vers la mer, un temple de Vénus avec sa statue en marbre, qui la représente debout. Thyride, l'une des pointes du Ténare, est à trente stades de là. On y voit les ruines d'une ville nommée Hippola, et parmi ces ruines, le temple de Minerve Hippolaïtis. Vous trouvez, un peu plus loin, la ville de Messa et son port. On compte cent cinquante stades de ce port à Otylos, ville qui a pris le nom l'un héros Argien d'origine, et fils d'Amphianax, fils d'Anti¬machus. Elle ne présente rien de remarquable, sinon le temple de Sarapis, et la statue en bois d'Apollon Carnius sur la place publique.

CHAPITRE XXVl.

Pephnus. Leuctres. Temple de l'Amour. Cardamyle. Gérénie. Temple de Machaon. Podalire. Temple de Clæa. Alagonie.

Un chemin d'environ quatre-vingt stades vous conduit d'Œtylos à Thalames. Vous trouverez sur la route, le temple et l'oracle d'Ino; on y apprend l'avenir en dormant, la déesse vous montre par des songes, tout ce que vous désirez savoir. Dans la partie du temple qui est à découvert, sont deux statues en bronze, l'une de Paphie, l'autre du Soleil. Celle qui est dans le temple même, est tellement couverte de guirlandes, qu'on ne peut la voir; on dit, qu'elle est aussi de bronze. Ce temple ren¬ferme une fontaine sacrée, nommée Séléné, dont l'eau est très bonne à boire. Paphie n'est point une divinité dont le culte appartienne originairement à Thalames. La ville de Péphnus, est sur le bord de la mer, à vingt stades de Thalames; une petite île, ou plutôt un grand rocher, qui s'élève devant la ville, se nomme aussi Pephnus. Les Thalamates, disent que les Dioscures y sont nés, ce qui se lit aussi dans un poème d'Alcman : mais ils ajoutent qu'ils ne furent pas élevés à Pephnus, et que Mercure les emporta à Pellane. On voit dans cette île les statues en bronze d'un pied de haut et en plein air, qui représentent les Dioscures; elles ne sont jamais ébranlées par la mer, qui pendant l'hiver inonde ce rocher. Une autre merveille, c'est que les fourmis de cette île, paraissent plus blanches que ne le sont ordinairement les insectes de cette espèce. Les Messéniens disent que ce pays faisait anciennement partie de la Messénie, et que par conséquent les Dioscures leur appartiennent à plus juste titre qu'aux Lacédémoniens. Leuctres est à vingt stades de Pephnos. Je ne sais pas de qui cette ville a pris son nom : si c'est de Leucippus, fils de Périérès, comme le disent les Messéniens, cela suffit pour rendre raison des honneurs tout particuliers que les habitants rendent à Esculape, qu'ils croient fils d'Arsinoé, fille de Leucippus. La statue d'Esculape est en marbre, de même que celle d'Ino, mais celle-ci est placée dans un autre endroit. Ils donnent le nom d'Alexandra à Cassandre, fille de Priam, et ils lui ont érigé un temple et une statue. Ils possèdent plusieurs statues d'Apollon Carnéius, toutes en bois, et d'une forme semblable à celle que les Lacédémoniens de Sparte ont coutume de donner à ces statues. Il y a dans la citadelle un temple et une statue de Minerve. On voit encore à Leuctres un temple de l'Amour, avec un bois sacré, qui est inondé tout l'hiver. Cependant les feuilles qui tombent des arbres au printemps, ne sont jamais emportées par les eaux, quelque abondantes quelles soient. Je rapporterai ici ce qui arriva de mon temps dans un canton du pays de Leuctres, qui avoisine la mer. Le vent ayant porté du feu dans une forêt, et la plus grande partie des arbres ayant été consumée, le sol parut à découvert, et on y trouva une statue de Jupiter Ithomate encore sur pied. Les Messéniens s'autorisent de ce fait pour prétendre que Leuctres faisait anciennement partie de la Messénie; mais il est possible que les Lacédémoniens qui habitaient originairement Leuctres, aient aussi rendu un culte à Jupiter Ithomate. Cardamylé, qu'Homère met au nombre des villes qu'Agamemnon promettait à Achille, est maintenant soumise aux Lacédémoniens de Sparte, l'Empereur Auguste l'ayant ôtée aux Messéniens. Elle est à huit stades de la mer, et à soixante de Leuctres ; on y voit à peu de distance du rivage une enceinte consacrée aux filles de Nérée. On dit que ces Nymphes voulant voir Pyrrhus, fils d'Achille, qui allait à Sparte pour épouser Hermione, sortirent de la mer, et s'avancèrent jusqu'à l'endroit où est cette enceinte. Il y a dans la ville un temple de Minerve et une statue d'Apollon Carneius, selon l'usage établi chez tous les Doriens. La ville qu'Homère nomme Enopé, appartenait aux Messéniens, et fait partie de la confédération des Eleuthérolacons; maintenant, elle se nomme Gérénie.
Les uns disent que Nestor y avait été élevé, et les autres, qu'il s'y retira lorsque Pylos fut prise par Hercules. Machaon, fils d'Esculape, y a un tombeau et un temple très vénéré, où chacun vient chercher la guérison de ses maux. L'enceinte sacrée a reçu le nom de Rhode; une statue en bronze représente Machaon debout. Il a sur la tête une couronne que les Messéniens nomment Ciphos dans leur dialecte. Nous lisons dans le poème connu sous le nom de Petite Ilade, que, Machaon fut tué par Eurypyle, fils de Télèphe, et c'est probablement à cette tradition que se rapporte ce que j'ai vu pratiquer dans le temple d'Esculape à Pergame. La cérémonie commence par des hymnes en l'honneur de Télèphe; mais, loin d'en chanter à la louange d'Eurypyl, on évite avec soin de prononcer son nom dans le temple, parce qu'il est regardé comme le meurtrier de Machaon. Les os de Machaon furent, dit-on, rapportés par Nestor. Quant à Podalire, il s'égara sur mer au retour du siège de Troie, aborda à Syros, dans la Carie, et il s'y établit. Le mont Calathius fait partie du territoire de Gérénie. On y voit le temple de Clæa, et vers ce temple une grotte dont l'entre est étroite, mais l'intérieur mérite d'être vu. Alagonie est à trente stades de Gérénie, en remontant dans l'intérieur du pays. Cette ville se compte aussi parmi celles des Eleuthérolacons, et n'offre rien de remarquable que le temple de Bacchus et celui de Diane.

 

 

FIN DU LIVRE III DE PAUSANIAS.