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table des matières dE MANILIUS

 

 

MANILIUS

 

ASTRONOMIQUES/ ASTRONOMICON

 

INTRODUCTION

 

Livre 1

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

EXTRAIT

DE L’INTRODUCTION DE PINGRÉ

SUR MANILIUS.

 

Manilius est ordinairement nommé Marcus Manilius, d’autres lui donnent le prénom de Caius, et le nom de Mallius ou de Manlius. On a même douté s’il portait aucun de ces noms : le plus ancien manuscrit qu’on connaisse de son ouvrage est anonyme de la première main. On n’est pas plus instruit sur la patrie de cet auteur : un vers du quatrième livre a fait penser à quelques critiques qu’il était Romain; mais nous croyons ainsi que Bentlei, qu ce vers n’est pas de Manilius : d’ailleurs il prouverait tout au plus que l’auteur écrivait à Rome, niais non pas qu’il fut Romain d’origine. D’autres ont conjecturé qu’il était étranger; ils ont cru pouvoir le conclure de son style. En effet, ce poème est rempli d’expressions, de tournures énergiques et poétiques, il est vrai mais singulières, et qu’on ne trouverait pas facilement dans un poète du même siècle. Manilius le sentait sans doute lui-même : il s’en excuse sur la nouveauté et sur la difficulté du sujet qu’il s’était imposé de traiter.

Manilius écrivait sous Auguste; c’est une vérité qui n’est plus révoquée en doute. Il parle de la défaite de Varus, arrivée cinq ans avant la mort d’Auguste; la composition de son poème doit donc être rapportée aux dernières années du règne de ce prince. Mais, a-t-on dit, si Manilius a écrit avant la mort d’Auguste, pourquoi Ovide, pourquoi Quintilien, pourquoi aucun ancien auteur n’a-t-il parlé ni de lui, ni de ses Astronomiques? Le silence d’Ovide n’est pas surprenant. Ce poète, Trist. l. iv, El. 10, ne nomme que ceux avec lesquels il avait été en relation lorsqu’il était encore jeune; et de Pont. l. iv, El. 16, il ne fait mention que de ceux qui florissaient à Rome avant son exil. Or Manilius ne florissait pas à Rome, il n’y était peut-être pas même avant l’exil d’Ovide: ou s’il y était, il était du nombre de ceux qu’Ovide n’avait pas droit de nommer, disait-il, parce qu’ils n’avaient rien publié.

Essent et juvenes, quorum quod inedita causa est,

Appellandorum nil mihi juris adest

Quant aux autres anciens, on a répondu que pareillement aucun d’eux n’avait parlé de Phèdre, de Quinte-Curce, de Velléius Paterculus. On pourrait imaginer une cause assez naturelle de ce silence, par rapport à Manilius. Ce poète, l. 1, v. 112 et suiv., souhaite une longue et paisible vieillesse, pour avoir le temps de mettre la dernière main à son poème: nous soupçonnons que ses voeux n’ont pas été exaucés. son ouvrage est en effet incomplet : il promet de parler du cours et des propriétés des planètes, des effets de leurs aspects, de leur combinaison avec les décanies et les dodécatémories des signes; avec les douze maisons célestes, avec les douze sorts, de l’énergie des constellations à leur coucher, de plusieurs autres objets, dont on ne trouve rien dans son ouvrage. Nous croyons qu’on peut supposer que ce poème n’a pas été achevé : il n’a pas été publié; il est resté inconnu jusqu’au règne de Constantin; il s’est trouvé alors en la possession de Julius Firmicus Maternus, qui nous en a laissé un commentaire, ou plutôt une simple traduction en prose, sans nous instruire de la source où il avait puisé, tant ce qu’il nous dit d’après Manilius que ce qu’il ajoute à la doctrine de ce poète, sans doute d’après des auteurs également anciens. Depuis Firmicus, l’exemplaire autographe de Manilius sera encore resté enseveli sous la poussière, jusqu’à ce qu’enfin, vers le dixième siècle, il a été retrouvé en fort mauvais état, et presque consumé de vétusté. On a commencé alors par en tirer des copies, dont quelques-unes sont parvenues jusqu’à nous. Tout cela sans doute n’est qu’une supposition, mais tout cela est possible, tout cela nous paraît même extrêmement probable; on peut conclure qu’il ne doit point paraître surprenant qu’Ovide, Quintilien, etc., n’aient fait aucune mention d’un ouvrage qui n’avait pas été publié.

Le titre du poème est Astronomicon: à l’exemple de plusieurs savants critiques, et nommément de Bentlei, nous croyons que ce mot est un génitif pluriel, et nous le traduisons par les Astronomiques de Manilius, comme on dit les Géorgiques de Virgile. Il serait à plus juste titre intitulé les Astrologiques: mais la distinction entre l’astronomie et l’astrologie était inconnue du temps de Manilius. Cet auteur était poète, son ouvrage le prouve: nous doutons qu’il fût astronome; il rassemblait et parait des fleurs de la poésie ce qu’il trouvait en différents auteurs grecs et latins; il ne faut donc pas s’étonner s’il se contredit quelquefois. Son poème est divisé en cinq livres.

Le premier livre traite de la sphère céleste. Il s’ouvre par un bel exorde sur les premiers auteurs de l’astronomie et sur les progrès des sciences humaines. Le poète traite ensuite de l’origine du monde, des diverses opinions des philosophes sur ce sujet, des éléments, et de la rondeur ou sphéricité de la terre, du ciel et des astres. Il fait le dénombrement, des signes du zodiaque et des constellations extra-zodiacales. Il démontre l’existence de Dieu par l’ordre constant des mouvements célestes: ce Dieu est, selon lui, l’âme du monde; en conséquence il attribue la divinité à l’univers. Il développe tout ce qui concerne les cercles de la sphère, au nombre desquels il met la voie lactée : il expose les différentes opinions des philosophes sur la nature de cette voie, ce qui donne lieu à quelques épisodes. Il rapporte enfin les diverses idées des anciens sur la nature et la génération des comètes : il n’oublie pas les désastres dont on prétendait alors que ces astres étaient les avant-coureurs; ce qui amène de nouvelles descriptions dignes d’un poète du siècle d’Auguste. Ce premier livre est intéressant dans sa totalité.

Le second et le troisième livre sont appelés par Scaliger Isagogiques, c’est-à-dire introducteurs ou préparatoires, parce qu’ils ne contiennent que des définitions, sans aucune application à l’art de pronostiquer les événements futurs. Dans le second, Manilius donne d’abord un précis des différents sujets traités par Homère, Hésiode et d’autres poètes. Il s’applaudit d’être le premier qui ait entrepris de chanter les propriétés et l’énergie des astres leur activité sur les corps terrestres est démontrée, selon lui, et tout ce qui la concerne n’est pas au-dessus de la portée de l’intelligence humaine. Ce long exorde est encore intéressant : nous voudrions pouvoir en dire autant du reste du livre; mais ce ne sont plus que d’insipides rêves astrologiques sur les différentes divisions des signes du zodiaque. Il est cependant curieux de voir avec quelle variété, avec quelle force de génie Manilius traite des matières aussi ingrates. Signes masculins, signes féminins; signes diurnes, signes nocturnes; signes terrestres, signes aqueux, signes amphibies; signes fertiles, signes stériles, etc. Aspects des signes, trine, quadrat, sextil, opposé; qualités bonnes ou mauvaises de ces aspects. Signes qui sont sous la protection de chaque dieu; signes qui dominent chaque partie du corps humain; signes qui se voient, qui s’entendent réciproquement, qui s’aiment, qui se haïssent : au sujet de ces derniers, le poète fait une vive et belle sortie contre la dépravation des moeurs de son siècle. Division de chaque signe en douze dodécatémories; dodécatémories des planètes. Division du ciel en douze maisons; propriétés et énergie de ces douze maisons. Tels sont les objets, extrêmement importants suivant Manilius, qui forment la matière de son second livre.

L’exorde du troisième livre roule sur ce dont Manilius ne traite pas : il se fait lire avec plaisir. Le poète fait sentir la difficulté de la tâche qu’il s’est imposée. On trouve ensuite la division du zodiaque en douze athles ou sorts, dont le premier est celui de la fortune. Moyen de trouver le lieu de ce premier sort, et de déterminer celui de l’horoscope, c’est-à-dire le point de l’écliptique qui est à l’horizon dans la partie orientale du ciel, à tous les instants du jour et de la nuit. Il n’est pas vrai que les signes emploient tous également deux heures à monter au-dessus de l’horizon l’inégalité des heures qu’on employait alors, et l’obliquité variable de l’écliptique sur l’horizon, doivent produire de l’inégalité dans la durée du lever des signes. Il faut d’abord employer des heures égales, telles qu’elles sont au temps des équinoxes. On peut aussi mesurer la durée du lever des signes par stades; et stade, dans la doctrine de Manilius, est un arc de l’écliptique qui emploie deux minutes de temps à se lever ou à se coucher. Stades contenus dans chaque signe, et temps que choque signe emploie à monter au-dessus de l’horizon, ou à descendre au-dessous. Différence entre la durée des jours depuis l’équateur, sous lequel les jours et les nuits sont également, durant tout le cours de l’année, de douze heures, jusqu’au pôle, sous lequel il n’y a dans l’année qu’un seul jour et une seule nuit, l’un et l’autre de six mois continus. Règle assez ingénieuse pour trouver, mais à peu près seulement, le temps que chaque signe met à se lever ou à sa coucher, sous quelque latitude que ce soit. Autre règle de même espèce, pour déterminer l’accroissement ou le décroissement des jours sous chaque signe. Manilius revient à son astrologie; il prétend nous apprendre quelles années, quels mois, quels jours et quelles heures de notre vie appartiennent à chaque signe, et le nombre d’années de vie qui nous est promis, tant par chacun des douze signes que par; chacune des douze maisons célestes. Le livre est terminé par la définition des signes tropiques, ou qui président aux saisons, ce qui donne lieu à une belle description des quatre saisons de l’année.

Scaliger nomme le quatrième et le cinquième livre, Apotélesmatiques, ou décisifs, parce que le poète y traite des décrets des astres, c’est-à-dire de leur action, de leur influence sur les destinées des hommes. Il ouvre le quatrième par un exorde magnifique, dans lequel il prétend prouver que tout est soumis aux lois irréfragables du destin. Nous sommes fort éloignés de souscrire à sors opinion sur le fatalisme; mais nous ne pouvons disconvenir qu’il ne l’ait revêtue des plus brillantes couleurs de la poésie. Il nous donne des descriptions intéressantes des arts, des professions, des inclinations, des caractères qui doivent distinguer les hommes nés sous chacun des douze signes du zodiaque. Il divise chaque signe en trois décanies; il distribue ces décanies à différents signes; il détermine les effets de ces distributions. Il fait l’énumération des degrés pernicieux de chaque signe : ce détail n’est pas fort amusant, mais heureusement il est court: un y s admiré la fécondité de Manilius, qui a su exprimer une même idée par des tournures perpétuellement variées. L’efficace prétendue de chaque signe, au moment de son lever, fournit au poète l’occasion de nous donner de nouvelles descriptions d’arts et de caractères. Situation détaillée des côtes de la mer Méditerranée et de ses principales îles, du Pont-Euxin, du Palus-Méotide, de la mer Caspienne, des golfes Arabique et Persique. Description géographique du monde alors connu des Romains; moeurs de chaque peuple, dépendantes des signes qui dominent chaque région. Signes écliptiques, auxquels les éclipses de lune font perdre toute activité. Bel épilogue sur la noblesse de l’homme et sur la portée de son intelligence. On voit, par cet exposé, que, sauf ce qui est dit des décanies, des degrés pernicieux et des signes écliptiques. Ce quatrième livre est un des plus intéressants de tout l’ouvrage.

Le cinquième livre est, à notre avis, supérieur à tous les précédents. Il contient une énumération des constellations extra-zodiacales, et des degrés des douze signes avec lesquels elles se lèvent. Leur lever inspire des inclinations, des moeurs, des caractères; porte à s’adonner à des arts, des professions, des métiers, dont les descriptions, vraiment poétiques, occupent presque tout le livre. Ces descriptions sont entremêlées d’épisodes on y remarque surtout le bel épisode d’Andromède, que plusieurs savants critiques ont jugé digne de Virgile. Le livre est terminé par la distinction connue des étoiles en six différentes grandeurs.

Tels sont donc les objets traités par Manilius dans les cinq livres de ses Astronomiques. Il s’était proposé d’en traiter beaucoup d’autres; mais, comme nous l’avons dit, la mort ne lui en a pas probablement laissé le temps. Quant à son style, il est poétique, énergique, digne du siècle d’Auguste. Si l’on considère le sujet que Manilius avait à traiter, et qu’on fasse attention qu’il était le premier des Latins qui entreprît de soumettre cette matière aux lois de la poésie, on ne pourra se dispenser d’admirer la variété, la profondeur de génie, la clarté même avec laquelle il a manié ce sujet aussi nouveau que difficile. On dira peut-être que, pour matière de ses chants, il pouvait choisir un objet plus facile et plus intéressant. Nous répondrons d’abord, d’après lui, que les autres sujets avaient déjà été traités nous ajouterons que l’astrologie était alors autant estimée, qu’elle est méprisée de nos jours.