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LES QUATRE LIVRES DES STRATAGÈMES DE SEXTUS JULIUS FRONTIN.

PRÉFACE. Après avoir contribué, pour ma part, à fixer les principes de la science militaire, à l'exemple de ceux qui la professent, et m'être, à ce qu'il me semble, acquitté de cette tâche avec tout le soin dont je suis capable, je crois devoir ajouter à ce travail un complément nécessaire, en recueillant, dans de rapides commentaires, les ruses de guerre que les Grecs ont désignées sous le seul nom de Stratagèmes. Les généraux auront ainsi sous la main des exemples d'adresse et de prudence qui leur serviront à imaginer et à faire, dans l'occasion, de pareilles choses. Un autre avantage, c'est que l'auteur d'un stratagème n'en redoutera pas l'issue, s'il le compare à l'expérience qui en aura été faite avec succès. Je n'ignore pas (et je suis loin de le regretter) que les écrivains les plus soigneux ont fait aussi entrer ces détails dans leurs ouvrages, et que certains auteurs nous ont transmis des exemples de ce qu'il y a de plus remarquable en quelque genre que ce soit. Mais on doit, je pense, ménager, à force de brièveté, le temps de ceux qui ont des affaires. II serait, en effet, trop long de rechercher chacun des exemples épars dans l'immense corps des histoires; et ceux qui en ont extrait les plus notables ont comme accablé le lecteur sous l'amas de leurs matériaux. Le but auquel tendent nos efforts, c'est que chaque fait réponde, pour ainsi dire, à la demande et au besoin du lecteur. Ainsi, après avoir examiné à combien de chefs se peuvent rapporter les stratagèmes, j'en ai choisi des exemples qui viennent à propos donner conseil; et, afin de disposer tant d'exemples divers dans un ordre plus commode, j'ai divisé ce recueil en trois livres. J'ai rangé dans le premier les exemples de ce qui peut se faire avant la bataille; dans le second, ceux qui regardent la bataille et l'entière soumission de l'ennemi. Le troisième contiendra les opérations stratégiques relatives à l'attaque et à la défense des places. J'ai, en outre, assigné à ces différents chefs des chapitres distincts. J'ai quelque droit de réclamer l'indulgence pour ce travail, et d'espérer qu'on ne m'accusera pas de négligence si l'on trouve que j'ai omis quelque exemple. Qui pourrait, en effet, compulser tous les monuments qui nous ont été transmis dans l'une et l'autre langue? Si donc je me suis permis de passer beaucoup de choses, on en verra la raison en lisant les livres de ceux qui ont traité le même sujet. Il sera d'ailleurs facile de les restituer aux chapitres qui les concernent. Ayant entrepris cet ouvrage, ainsi que les précédents, plutôt pour l'utilité des autres que dans l'intérêt de ma renommée, je ne craindrai pas le reproche d'être aidé de ceux qui pourront y ajouter quelque chose. S'il en est que ces volumes intéressent, ils devront distinguer, malgré l'analogie naturelle de ces deux choses, les stratagèmes d'avec la stratégie. Car tout ce que la prévoyance, l'habileté, la grandeur d'âme, la constance, peuvent inspirer à un général, forme la matière de la stratégie en général ; et tout fait particulier qui pourra être rangé sous un des chefs sera un stratagème. C'est proprement dans l'art et dans l'adresse que réside et éclate le mérite des stratagèmes, soit qu'il faille éviter l'ennemi ou l'accabler. Les paroles même ayant pour cet effet des résultats aussi remarquables que les actions, nous avons cité aussi des exemples de paroles. Suivent les chapitres des choses que le général doit faire avant la bataille.

 LIVRE I.

SOMMAIRE DES CHAPITRES. Chap. I. Comment on cache ses desseins à l'ennemi. II. Comment on découvre les desseins de l'ennemi. III. Comment on s'assure les chances de la guerre. IV. Comment on fait passer une armée par des lieux infestés d'ennemis. V. Comment on se retire d'un lieu difficile. VI. Des embûches dressées sur le passage. VII. Comment on peut se passer des choses dont on manque, ou y suppléer. VIII. De la manière de semer la division parmi les ennemis. IX. Comment on apaise une sédition. X. Comment on résiste à une demande intempestive de combat. XI. Comment on excite une armée au combat. XII. Comment on dissipe les craintes que de mauvais présages ont inspirées aux soldats. 

CHAPITRE PREMIER. Comment on cache ses desseins à l'ennemi. 

EXEMPLE 1. Marcus Porcius Caton était persuadé que les villes dont il s'était rendu maître en Espagne n'attendaient qu'une occasion pour se révolter, confiantes dans leurs murailles. Il écrivit donc à chaque ville séparément d'avoir à détruire ses remparts, les menaçant de la guerre si elles n'obéissaient pas sur-le-champ; et il eut soin de faire remettre ces lettres à toutes ces villes à la fois le même jour. Chacune d'elles crut ainsi qu'il ne l'avait commandé qu'à elle seule. Elles auraient pu se liguer pour s'y opposer, si elles avaient su que cet ordre les concernait toutes.

II. Himilcon, général des Carthaginois, voulant aborder à l'improviste en Sicile, ne dit à personne où l'on allait; mais il remit à tous les capitaines de sa flotte des tablettes cachetées qui indiquaient où il voulait qu'on abordât, et qu'ils ne devaient ouvrir que si une tempête les séparait du vaisseau amiral.

III. C. Lélius étant allé, comme député, trouver Syphax, mena avec lui, comme espions, quelques tribuns et centurions, qu'il fit passer pour des esclaves et officiers de sa maison; et voyant que l'un d'eux, L. Statorius, qui était entré souvent dans le camp de Syphax, allait être reconnu de quelques ennemis, il lui donna des coups de bâton comme à un esclave, pour déguiser sa condition.

IV. Tarquin le Superbe, ayant résolu la mort des principaux citoyens de Gabies, mais ne voulant confier cette décision à personne, ne répondit rien au messager que son fils lui avait envoyé. Il se contenta, comme il se promenait alors dans son jardin, d'abattre la tête des plus hauts pavots. Le messager, s'en étant retourné sans réponse, rapporta au jeune Tarquin ce qu'il avait vu faire à son père : et le fils comprit qu'il fallait en agir de même avec les plus hauts personnages de Gabies.

V. C. César, à qui la fidélité des Égyptiens était suspecte, feignit, pour n'en rien laisser voir, et sans négliger l'inspection de la ville et de ses défenses, de s'adonner aux excès de la table. Il voulut paraître amolli par les délices du pays, au point d'adopter les mœurs et la façon de vivre des habitants d'Alexandrie ; et cette feinte lui ayant donné le temps de réunir ses forces, il occupa l'Égypte.

VI. Ventidius pendant la guerre contre Pacore, roi des Parthes, sachant qu'un certain Pharnée, Cyrrestin de nation, du nombre de ceux qui se disaient alliés, révélait aux ennemis tout ce qui se faisait dans l'armée, sut tourner à son avantage la perfidie du barbare. Il feignit donc de redouter ce qu'il désirait le plus, et de désirer ce qu'il redoutait. Ainsi, craignant que les Parthes ne passassent l'Euphrate avant l'arrivée des légions qu'il avait dans la Cappadoce au delà du Taurus, il eut soin d'engager ce traître à leur conseiller, avec sa perfidie accoutumée, de passer par Zeugma, qui était leur plus court chemin, et où l'Euphrate a un cours tranquille. Car si les Perses venaient de ce côté, il aurait, disait-il, pour lui l'avantage des montagnes, qui rendraient leur cavalerie inutile ; tandis qu'il craignait tout s'ils se jetaient dans les plaines. Trompés par ce rapport, les barbares gagnèrent par un long circuit les plaines situées plus bas; et leurs derniers préparatifs de guerre, ainsi que la construction des ponts, que l'écartement des rives à cet endroit-là rendait plus difficile, les occupèrent pendant plus de quarante jours. Ventidius mit ce temps à profit pour réunir ses forces; et les ayant eu toutes sous son commandement trois jours avant l'arrivée de Pacore, il lui livra bataille, le vainquit, et le tua.

VII. Mithridate, assiégé dans son camp par Pompée, et méditant de fuir dès le lendemain, eut soin, pour cacher cette résolution, d'envoyer ses fourrageurs le plus loin possible, et jusque dans les vallées voisines des ennemis, et même de convenir avec plusieurs d'entre eux d'une entrevue pour un des jours suivants, afin d'éloigner encore mieux tout soupçon. Il fit aussi allumer, pendant la nuit, quantité de feux dans tout son camp; puis, vers la seconde veille, il se retira avec son armée devant le camp même des ennemis.

VIII. L'empereur César Domitien Auguste Germanicus, voulant accabler d'un seul coup les Germains, qui étaient en armes, et ne doutant pas qu'ils feraient des préparatifs de guerre d'autant plus grands s'ils étaient instruits d'avance de l'arrivée d'un tel générai, cacha son départ, sous le prétexte de tenir les états des Gaules. Ayant pu leur faire ainsi la guerre inopinément, il comprima la férocité de ces peuples sauvages, et veilla en même temps aux intérêts des provinces de l'empire.

IX. Claudius Néron, voulant détruire l'armée d'Asdrubal avant que celui-ci n'eût fait sa jonction avec Hannibal son frère, résolut, dans ce but, d'aller lui-même, à cause de l'infériorité de ses propres forces, se joindre sans délai à son collègue Livius Salinator, à qui avait été confié le soin de la guerre. Mais comme il fallait éviter qu'Hannibal, en face de qui il avait son camp, s'aperçût de son départ; après avoir choisi trois cents soldats des plus braves, il ordonna à ceux de ses lieutenants qu'il laissait de maintenir le même nombre de sentinelles et de veilles, de faire allumer la même quantité de feux, et enfin de laisser au camp le même aspect, afin qu'Hannibal, exempt de soupçon, n'osât rien contre le peu d'hommes qui devaient y rester. S'étant ensuite réuni dans l'Ombrie à son collègue en cachant sa marche, il défendit d'agrandir le camp, de peur de donner aucun indice de son arrivée au Carthaginois, qui eût refusé le combat s'il se fût douté que les deux consuls avaient réuni leurs forces. Il l'attaqua donc, ainsi abusé, avec des forces doubles, le vainquit, et revint, plus rapidement que tout courrier, en face d'Hannibal. Ainsi, des deux plus habiles généraux des Carthaginois, il réussit, par un même plan de conduite à tromper l'un, à écraser l'autre.

X. Thémistocle, qui ne cessait de presser les Athéniens de relever leurs murailles, qu'ils avaient jetées à bas sur l'ordre des Lacédémoniens, répondit aux députés qui étaient venus s'en plaindre, qu'il irait lui-même détruire ce soupçon; et il se rendit à Lacédémone. Là, une feinte maladie lui fit d'abord gagner un peu de temps ; et quand il comprit que ses ajournements pouvaient être suspects, il prétendit que c'était une fausse nouvelle qui leur était parvenue, et les pria d'envoyer à Athènes quelques-uns de ceux de leurs principaux concitoyens qui les avaient fait croire à ce bruit de murailles relevées. Il écrivit ensuite aux Athéniens de retenir ces députés jusqu'à ce que ces travaux fussent terminés ; après quoi il avoua aux Lacédémoniens qu'Athènes s'était fortifiée, et que leurs députés ne pourraient revenir qu'autant qu'il serait lui-même libre de partir. Les Lacédémoniens en passèrent aisément par cette condition, ne voulant pas que la mort de plusieurs devînt le prix de la mort d'un seul.

XI. L. Furius, voyant ses troupes engagées dans un lieu désavantageux, et ne voulant rien laisser voir de son inquiétude, afin de ne pas les décourager, changea insensiblement de direction, comme dans le dessein d'envelopper l'ennemi; puis, faisant faire tout à coup à son armée une conversion, il la tira de ce mauvais pas, sans qu'elle se doutât de rien, et sans perte.

XII. Métellus Pius, à qui l'on demandait, en Espagne, ce qu'il ferait le lendemain, répondit "Si ma tunique pouvait le dire, je la brûlerais."

XIII. M. Licinius Crassus, à qui quelqu'un demandait quand il décamperait, répondit : Avez-vous peur de ne pas entendre la trompette? 

CHAPITRE II. Comment on découvre les desseins de l'ennemi. 

EXEMPLE 1. Scipion l'Africain , saisissant une occasion d'envoyer une ambassade à Syphax, fit partir, avec Lélius, quelques-uns de ses meilleurs tribuns et centurions, vêtus en esclaves, et qui avaient pour mission de bien reconnaître les forces du roi. Ceux-ci, afin d'examiner plus librement la position du camp, laissèrent s'échapper un cheval; et s'étant mis, comme s'il s'enfuyait, à sa poursuite, ils firent le tour de la plus grande partie des retranchements. D'après le compte qu'ils en rendirent ensuite, un incendie mit fin à la guerre.

II. Q. Fabius Maximus, pendant la guerre d'Étrurie, alors que l'art des reconnaissances était encore inconnu aux généraux romains, ordonna à son frère Fabius Céson, qui savait la langue du pays, de prendre le costume toscan et de traverser la forêt Ciminie, où nos soldats n'avaient jamais pénétré. Celui-ci le fit avec tant de prudence et d'habileté, qu'après avoir traversé cette forêt, et reconnu que les Ombriens de Camérinum n'étaient pas contraires aux intérêts de Rome, il les fit entrer dans notre alliance.

III. Les Carthaginois, alarmés de la puissance d'Alexandre, qui menaçait aussi l'Afrique, chargèrent un des leurs, homme résolu, nommé Hamilcar Rhodin, de se rendre auprès du roi sous l'apparence d'un exilé, et de faire tous ses efforts pour gagner sa confiance. S'en étant rendu maître, il informait ses concitoyens des desseins du roi, dès qu'il les connaissait.

IV. Les mêmes Carthaginois envoyèrent à Rome des émissaires qui, sous le prétexte d'une ambassade, y demeurèrent fort longtemps, et étaient informés des résolutions de nos magistrats.

V. M. Caton, en Espagne, n'ayant pas d'autres moyens de connaître les desseins des ennemis, ordonna à trois cents soldats de se jeter en même temps sur leur premier poste, d'en enlever un des chefs, et de l'amener au camp sain et sauf. Celui-ci, mis à la torture, révéla tous les secrets des siens.

VI. Le consul C. Marius voulant, pendant la guerre des Cimbres et des Teutons, éprouver la fidélité des Gaulois et des Ligures, leur fit tenir des lettres, dont la première leur commandait de ne pas briser avant un certain temps le cachet de celle qu'il y avait renfermée. Puis il redemanda ces dernières avant le jour fixé; et comme il les trouva décachetées, il ne douta pas de leurs projets hostiles. Il y a encore à la guerre un autre genre de précaution, qui dépend de la seule pénétration des généraux, sans le secours d'aucun intermédiaire. En voici des exemples.

VII. Le consul Paul Émile, pendant la guerre d'Étrurie, allait faire entrer son armée dans une plaine voisine de la ville de Colonia, lorsqu'il vit de loin une multitude d'oiseaux s'enfuir tout à coup, d'un vol rapide, d'une forêt des environs. Il jugea qu'il y avait là quelque embûche, à cause du trouble et de la grande quantité de ces oiseaux. Ayant donc envoyé en avant des éclaireurs, il apprit que dix mille Boïes y attendaient, pour la détruire, l'avant-garde romaine. Il fit alors avancer quelques légions d'un autre côté que celui où il était attendu, et il mit cet ennemi en déroute.

VIII. De même Tisamène, fils d'Oreste, informé qu'une colline, fortifiée par la nature, était occupée par l'ennemi, envoya des éclaireurs savoir ce qu'il en était. Ceux-ci lui ayant rapporté que ce qu'il pensait était faux, il se mit en marche. Mais voyant qu'une grande quantité d'oiseaux s'envolaient en même temps de cette colline suspecte, et ne s'arrêtaient nulle part, il conjectura qu'une partie des ennemis étaient cachés là ; et, faisant faire un détour à son armée, il évita le piège.

IX. Hasdrubal, frère d'Hannibal, comprit que l'armée de Livius était réunie à celle de Néron, malgré la précaution qu'ils avaient eue de ne pas doubler le camp, en voyant les chevaux harassés par une longue route, et les visages des hommes plus halés, comme cela arrive après une marche.

CHAPITRE III. Comment on s'assure les chances de la guerre. 

EXEMPLE I. Alexandre de Macédoine, commandant à des troupes aguerries, eut toujours pour principe de livrer bataille.

II. C. César ayant, pendant la guerre civile, une armée de vétérans, et sachant que celle de ses ennemis était formée de recrues, eut toujours soin de rechercher le combat.

III. Fabius Maximus ayant pour adversaire Hannibal, enorgueilli du succès de ses armes, ne s'attacha qu'à éviter les hasards d'une bataille, et à protéger l'Italie. Cette conduite lui mérita le nom de Temporiseur, et en même temps de grand capitaine.

IV. Les Byzantins, en guerre avec Philippe, évitèrent toute chance de combat, et, abandonnant même la défense des frontières, se retirèrent dans les murs de leur capitale. Ils obligèrent ainsi Philippe, impatient des lenteurs d'un siége, à se retirer.

V. Hasdrubal, fils de Gisgon, réduit en Espagne, pendant la seconde guerre punique, à une armée vaincue que poursuivait P. Scipion, la distribua dans différentes villes. Grâce à cette tactique, Scipion, qui ne voulait pas s'arrêter au siège de plusieurs places, fit rentrer ses troupes dans leurs quartiers d'hiver.

VI. Thémistocle, à l'approche de Xerxès, convaincu que les Athéniens ne pouvaient ni lui résister avec leur infanterie, ni défendre leur territoire, ni soutenir un siége, leur persuada d'envoyer leurs enfants et leurs femmes à Trézène et dans d'autres villes, et, leur capitale abandonnée, d'appliquer toutes leurs forces à un combat naval.

VII. Périclès, de la même ville, fit la même chose contre les Lacédémoniens.

VIII. Scipion, voyant Hannibal se maintenir en Italie, fit passer son armée en Afrique; ce qui obligea les Carthaginois à le rappeler. Il transporta ainsi la guerre du territoire de sa patrie sur celui de l'ennemi.

IX. Les Athéniens voyant Décélie, un de leurs forts, au pouvoir des Lacédémoniens, qui l'avaient fortifié et ne cessaient de ravager le pays, envoyèrent une flotte inquiéter le Péloponnèse, et réussirent ainsi à faire rappeler les troupes lacédémoniennes qui étaient à Décélie.

X. L'empereur César Domitien Auguste, pour en finir avec les Germains, qui avaient coutume de se jeter inopinément de leurs bois et de leurs sombres cachettes sur nos soldats, et trouvaient un refuge assuré dans les profondeurs de leurs forêts, recula de cent vingt mille pas les limites de l'empire, et ne changea pas seulement l'état de la guerre, mais soumit encore ces ennemis, dont il avait fini par détruire les retraites.

CHAPITRE IV. Comment on fait passer une armée par des lieux infestés d'ennemis. 

EXEMPLE I. Le consul Paul Émile étant obligé, pendant la guerre de Lucanie, de faire passer son armée par un chemin étroit sur le bord de la mer, et où la flotte des Tarentins lui faisait impunément beaucoup de mal à l'aide de ses scorpions, couvrit son flanc avec leurs prisonniers ; et cet expédient empêcha les ennemis de tirer.

II. Agésilas de Lacédémone revenait de Phrygie chargé de butin. Comme les ennemis le suivaient de près, et profitaient de l'avantage des lieux pour le harceler, il fit placer de chaque côté de son armée un rang de prisonniers. L'ennemi les épargna, et les Lacédémoniens purent passer.

III. Une autre fois que les Thébains s'étaient saisis des défilés par où il devait passer, il quitta sa route, comme s'il eût marché sur Thèbes; et les Thébains, effrayés, s'étant éloignés pour défendre leur ville, il reprit le chemin par où il voulait passer, et il le parcourut sans obstacle.

IV. Nicostrate, général des Étoliens, dans la guerre contre les Épirotes, ne voyant d'accès dans leur pays que par d'étroits défilés, feignit de vouloir y pénétrer d'un certain côté, par où se portèrent, pour l'en empêcher, toutes les forces des habitants. Alors il laissa là un petit nombre de gens qui devaient se donner l'apparence d'une armée disposée à bien faire, gagna lui-même, avec le reste de ses troupes, un côté où on ne l'attendait pas, et entra dans le pays.

V. Le Perse Autophradate menait une armée à travers la Pisidie; mais comme les Pisidiens occupaient certains passages difficiles, il feignit de renoncer à les forcer, et se retira. Les Pisidiens le croyant alors loin d'eux, il envoya, la nuit, une troupe de ses plus braves soldats s'emparer de ces défilés, et il y passa le lendemain avec toute son armée.

VI. Philippe, roi des Macédoniens, marchant contre la Grèce, apprit que les Thermopyles étaient gardées; et comme les Étoliens lui avaient envoyé des députés pour traiter de la paix , il eut soin de les retenir, s'avança à grandes journées vers ces défilés; et, profitant de la sécurité de ce corps d'armée, qui attendait le retour des députés, il passa par les Thermopyles.

VII. Iphicrate, général des Athéniens, faisant la guerre contre Anaxibius de Lacédémone, dans l'Hellespont, en vue d'Abydos, et ayant à passer un détroit gardé par des postes ennemis, et bordé d'un côté par des montagnes escarpées et de l'autre par la mer, s'arrêta là quelques jours. Prenant ensuite occasion d'un froid très rigoureux pour mieux couvrir son dessein, il choisit quelques-uns de ses plus robustes soldats; et les ayant fait boire et s'huiler, il leur commanda, après avoir traversé à la nage le bord de la mer, de gagner ces hauteurs. De cette façon, il prit lui-même en queue les postes placés à l'entrée des défilés, et les écrasa.

VIII. Cn. Pompée, ne pouvant passer un fleuve que les ennemis défendaient, feignit de se borner à de continuels exercices; puis, ayant ainsi dissuadé l'ennemi de se porter partout pour s'opposer à la marche des Romains, il se jeta tout à coup sur un point, et enleva le passage.

IX. Alexandre de Macédoine, arrêté par Porus, roi des Indiens, sur les bords du fleuve Hydaspe, fit faire à ses troupes de fréquentes manœuvres contre le courant; et dès qu'il eut réussi, par ce genre d'exercice, à fixer la vigilance de Porus sur un point de la rive opposée, il fit soudain passer son armée dans la partie supérieure du fleuve.
Le même, voyant l'ennemi lui interdire le passage du fleuve Indus, feignit de faire sonder le gué par sa cavalerie en différents endroits du fleuve, et de vouloir le traverser. Cette manœuvre ayant éveillé l'attention des barbares, il se saisit, d'abord avec peu de gens, et ensuite avec un plus fort détachement, d'une île plus éloignée, d'où ses troupes passèrent sur l'autre bord; et tandis que les ennemis s'y étaient tous portés pour écraser ce corps de troupes, il passa librement le gué qu'il avait choisi, et se mit à la tête de ses forces réunies.

X. Xénophon, trouvant les Arméniens maîtres de l'autre rive d'un fleuve qu'il voulait passer, ordonna aux siens de chercher deux gués; et ayant été repoussé à l'un, situé plus bas, il courut à l'autre, situé plus haut. Les ennemis y étant aussi accourus pour le défendre, il regagna le premier, en laissant au second une partie de ses troupes, qui, profitant de ce que les Arméniens retourneraient protéger le gué d'en bas, devaient passer par celui d'en haut. Les Arméniens, croyant que tous les Grecs y descendraient, ne firent pas grande attention à ceux qui restaient. Alors ceux-ci, ne trouvant pas de résistance, passèrent le gué, et protégèrent le passage des leurs.

XI. Le consul Ap. Claudius, pendant la première guerre punique, reconnaissant l'impossibilité de faire passer ses troupes de Rhégium à Messine, parce que le détroit était gardé par les Carthaginois, fit répandre le bruit qu'il ne pouvait continuer cette guerre, entreprise sans les ordres du peuple, et feignit de ramener ses vaisseaux en Italie. Les Carthaginois s'étant ensuite retirés, sur le bruit de son départ, il aborda en Sicile avec toute sa flotte.

XII. Les généraux lacédémoniens voulant aborder à Syracuse, dont l'entrée était défendue par une flotte carthaginoise, y dirigèrent dix vaisseaux carthaginois qu'ils avaient capturés, et qu'ils placèrent, comme des bâtiments victorieux, en avant des leurs, ces derniers étant ou maintenus aux flancs ou attachés aux proues des autres; et les Carthaginois, trompés par l'apparence, les laissèrent passer.

XIII. Philippe ne pouvait passer le détroit qu'on appelle Cyanée, parce qu'il était gardé, à cause de son importance, par une flotte des Athéniens. Il écrivit alors à Antipater que la Thrace révoltée ayant massacré les garnisons qu'il y avait laissées, il lui fallait tout quitter pour l'y suivre; et il fit en sorte que sa lettre fût interceptée par l'ennemi. Les Athéniens, pensant avoir surpris le secret des Macédoniens, quittèrent ce poste; et Philippe, délivré de cet obstacle, passa librement le détroit. Le même, ne pouvant se saisir de la Chersonèse, qui appartenait aux Athéniens, et dont l'approche était défendue par les vaisseaux réunis de Byzance, de Rhodes et de Chio, parut recourir aux voies de conciliation en rendant les vaisseaux qu'il avait pris, comme s'ils étaient les gages de la paix qui devait se faire entre lui et les Byzantins, cause de la guerre. Puis il traîna ces propositions en longueur, en ayant soin de changer sans cesse quelque chose aux conditions; et il fit venir pendant ce temps une flotte avec laquelle, profitant de la confiance de l'ennemi, il envahit tout à coup le détroit.

XIV. Chabrias d'Athènes ne pouvant entrer dans le port des Samiens, qui était gardé par la flotte ennemie, envoya un petit nombre de ses vaisseaux passer devant le port, dans l'espoir que ceux qui le défendaient se mettraient à leur poursuite. Ce stratagème ayant fait quitter aux ennemis leur poste, et écarté tout obstacle, il entra dans le port avec le reste de sa flotte.

CHAPITRE V. Comment on se retire d'un lieu difficile. 

EXEMPLE I. Q. Sertorius, en Espagne, ayant les ennemis en queue au passage d'une rivière, fit un grand retranchement en forme de demi-lune à l'entrée du gué; et l'ayant rempli de bois et de fascines, il y mit le feu. Fermant ainsi le passage aux ennemis, il traversa la rivière sans danger.

II. Pélopidas le Thébain, dans la guerre de Thessalie, se servit du même artifice pour passer une rivière. Ayant tracé sur la rive une enceinte plus vaste que ne l'exigeait l'étendue de son camp, il la remplit de branchages et d'autres matériaux, et y mit le feu. Il écarta ainsi l'ennemi, et effectua le passage.

III. Q. Lutatius Catulus, chassé par les Cimbres, sans aucun moyen de se sauver qu'en dégageant le passage d'une rivière dont les bords étaient occupés par l'ennemi, fit semblant de disposer ses troupes sur une montagne voisine, comme pour y établir son camp. Il ordonna aux soldats de ne point décharger le bagage ni déposer les fardeaux, de ne point quitter leurs rangs ni s'éloigner du drapeau ; et, pour donner plus d'assurance à l'ennemi, il fit dresser quelques tentes sur des points d'où elles fussent vues, et allumer des feux; il envoya quelques soldats aux retranchements, quelques autres au bois, de façon à se faire voir de l'ennemi. Les Cimbres crurent qu'il s'agissait d'un véritable campement, et se mirent à choisir eux-mêmes un emplacement pour y camper ; et s'étant dispersés dans les plaines voisines, pour rassembler tout ce qui était nécessaire à des gens disposés à rester, ils donnèrent à Catulus la facilité, non seulement de passer la rivière, mais encore de ravager leur camp.

IV. Crésus, ne pouvant passer l'Halys à gué, et n'ayant ni vaisseaux ni moyen d'y jeter un pont, détourna la rivière dans un canal qu'il fit tirer le long de son camp, et rejeta ainsi le lit du fleuve sur ses derrières.

V. Cn. Pompée, ayant résolu de quitter l'Italie et de porter la guerre ailleurs, à l'arrivée de César qui le pressait, et avant de prendre la mer, boucha certaines rues de Brindes, en coupa d'autres par des murs, d'autres par des fossés plantés de pieux, et couverts de claies avec de la terre par-dessus. Certaines avenues, qui conduisaient au port, furent fermées par de grandes poutres placées en travers, en rangs serrés, en manière de fortification. Cela fait, pour avoir l'air de garder la ville, il laissa devant les murs quelques archers, et embarqua sans bruit le reste de ses troupes. Quand il eut mis à la voile, les archers eux-mêmes, s'échappant par des chemins qui leur étaient connus, se jetèrent dans de petites barques, et le rejoignirent.

VI. Le consul C. Duilius, retenu dans le port de Syracuse, où il s'était engagé témérairement, et dont l'entrée était fermée avec une chaîne, fit passer tous les soldats à la poupe ; et les navires, ainsi penchés en arrière, furent lancés de toute la force des rameurs. Les proues montèrent alors toutes droites sur la chaîne. Ce point gagné, les soldats, en se précipitant à l'autre bout, pesèrent sur la proue; et ce nouveau poids imprima un rapide mouvement de descente aux vaisseaux sur la chaîne.

VII. Lysandre, de Lacédémone, assiégé avec toute sa flotte dans le port des Athéniens, et accablé par la multitude des galères ennemies, fit débarquer secrètement ses soldats à l'endroit du rivage où la mer est le plus resserrée entre les côtes, et leur fit ensuite tirer les navires sur des rouleaux jusqu'au port le plus voisin, du nom de Monychie.

VIII. Hirtuléius, lieutenant de Sertorius, se voyant engagé en Espagne, avec un petit nombre de cohortes, dans un long défilé bordé de deux montagnes escarpées, et où le suivait un corps considérable de troupes ennemies, fit creuser d'une montagne à l'autre un fossé en forme de retranchement, le remplit de bois, y mit le feu, et ayant ainsi arrêté l'ennemi, lui échappa.

IX. C. César, se trouvant avec ses troupes en face d'Afranius pendant la guerre civile, et ne pouvant opérer sa retraite sans péril, fit rester en bataille sa première et sa seconde lignes, et occupa la troisième à creuser par derrière, sans qu'on en vît rien, un fossé de quinze pieds, derrière lequel ses soldats armés se retirèrent au coucher du soleil.

X. Périclès, d'Athènes, poussé par les Péloponnésiens dans un endroit qui, entouré de toutes parts de montagnes escarpées, n'avait que deux issues, creusa devant l'une un fossé d'une brande étendue, comme pour fermer le passage à l'ennemi de ce côté; et fit tracer de l'autre un chemin, comme s'il eût voulu s'échapper par là. Les ennemis, qui le serraient de près, persuadés que son armée ne pouvait passer par le fossé qu'il avait fait lui-même, se portèrent tous du côté où la route était frayée. Périclès ayant alors fait jeter sur le fossé des ponts tout préparés, fit sa retraite sans trouver de résistance.

XI. Lysimaque, un de ceux auxquels avait passé la puissance d'Alexandre, ayant désigné pour son camp une haute colline, trouva que ses troupes en avaient, par méprise, occupé une moindre. Comme il craignait que les ennemis ne fondissent sur lui de la hauteur qui le dominait, il leur opposa une triple ligne de fossés en deçà du retranchement; puis ayant fait creuser de pareils fossés autour de toutes les tentes, il fortifia ainsi son camp tout entier. Une fois en sûreté du côté de l'ennemi, il jeta dans les fossés de la terre et des branchages, et sur ce pont il courut se saisir de la colline la plus élevée.

XII. T. Fontéius Crassus, en Espagne, étant allé à la maraude avec trois mille hommes, se vit tout à coup enveloppé par Hasdrubal en un lieu désavantageux. Alors ne faisant part de son dessein qu'aux premiers centurions, il s'échappa au commencement de la nuit, quand on s'y attendait le moins, à travers les postes ennemis.

XIII. L. Furius, voyant ses troupes engagées dans un lieu désavantageux, et ne voulant rien laisser paraître de son inquiétude afin de ne pas les décourager, changea insensiblement de direction, comme dans le dessein d'envelopper l'ennemi; puis, faisant faire tout à coup à son armée une conversion, il la tira de ce mauvais pas sans qu'elle se doutât de rien, et sans perte.

XIV. P. Décius, tribun des soldats, voyant pendant la guerre des Samnites le consul Cornélius Cossus serré de près par les ennemis dans une position désavantageuse, lui persuada d'envoyer une petite troupe occuper une colline voisine, et s'offrit pour commander ce détachement. L'ennemi, attiré sur ce point, et laissant échapper le consul, enveloppa Décius et l'assiégea. Mais Décius se déroba lui-même à ce danger, en faisant, la nuit, une sortie vigoureuse; et il alla rejoindre le consul sans avoir perdu un seul homme.

XV. Le même stratagème fut employé sous le consul Atilius Calatinus par un de ses lieutenants, dont le nom est diversement rapporté par les historiens : les uns l'appellent Labérius, les autres Q. Caeditius, le plus grand nombre Calpurnius Flamma. Celui-ci donc, voyant l'armée engagée dans une vallée dont l'ennemi occupait les flancs supérieurs, demanda avec instance et obtint une troupe de trois cents hommes; et, après les avoir exhortés à sauver les autres par leur courage, il courut se poster au milieu même de la vallée. L'ennemi descendit de partout pour les écraser, et, arrêté là par un long et opiniâtre combat, donna au consul le temps de tirer l'armée de cette mauvaise position.

XVI. Le consul L. Minucius se trouvant enfermé dans un défilé en Ligurie, quand déjà le souvenir du désastre de Caudium était présent à tous les esprits, fit courir vers la gorge qu'occupait l'ennemi quelques cavaliers des auxiliaires numides, que devaient faire mépriser non seulement leur mauvaise mine, mais la laideur de leurs chevaux. L'ennemi y fit d'abord attention ; et, pour n'être pas harcelé, il leur opposa un détachement. Les Numides, pour se rendre plus risibles, affectèrent de se laisser choir de leurs chevaux, et de se donner en spectacle. La nouveauté de la chose attira les barbares, qui relâchèrent leurs rangs et dégarnirent leurs postes. Alors les Numides, remontant peu à peu à cheval et donnant de l'éperon, s'échappèrent par les intervalles; et, se jetant sur les plaines les plus proches, forcèrent les Liguriens de quitter les Romains pour défendre leur pays, et de laisser échapper l'ennemi de sa prison.

XVII. L. Sylla, pendant la guerre sociale, se voyant surpris près d'Ésernie, dans une position difficile, demanda une entrevue à Mutilus,  qui commandait l'armée ennemie, et traita des conditions de la paix sans rien conclure; puis, profitant de la négligence où cette suspension d'armes avait fait tomber l'ennemi, il se sauva pendant la nuit, après avoir laissé là un trompette qui, pour faire croire à la présence des troupes, devait sonner les différentes veilles, et le rejoindre après la quatrième; et il conduisit son armée en lieu sûr, avec tous les bagages et les machines de guerre.

XVIII. Le même, dans la guerre contre Archélaüs, lieutenant de Mithridate, en Cappadoce, se voyant surpris en un lieu désavantageux par la multitude des ennemis, leur fit des propositions de paix. Puis, mettant à profit le temps de la trêve, et ayant par là détourné l'attention de son adversaire, il lui échappa.

XIX. Hasdrubal, frère d'Hannibal, ne pouvant sortir d'un défilé dont l'entrée était occupée par les ennemis, se mit à négocier avec Claudius Néron, et s'engagea, s'il le laissait aller, à quitter l'Espagne. Puis, en jouant sur les conditions, il gagna quelques jours, pendant lesquels il ne manqua pas une seule occasion de faire échapper, par petits corps, son armée par des sentiers étroits et pour cela négligés. Lui-même, s'enfuit après, avec le reste de ses troupes légères.

XX. Spartacus avait été enfermé, par M. Crassus, d'un grand retranchement; la nuit, il le fit remplir de cadavres de captifs et d'animaux, et put ainsi le franchir.

XXI. Le même, assiégé sur le Vésuve, non seulement se sauva par l'endroit le plus escarpé et pour cela le moins gardé de la montagne, au moyen de chaînes de bois pliant, le long desquelles il se coula; mais, attaquant Clodius sur un autre point, il effraya tellement son corps d'armée, qu'on vit quelques cohortes s'enfuir devant soixante-quatre gladiateurs.

XXII. Le même, enveloppé par le proconsul P. Varinius, fit attacher tout droits, à des pieux dressés devant la porte de son camp, des cadavres vêtus et armés, afin que l'ennemi les prît de loin pour des gardes; puis il fit allumer des feux partout. L'ennemi s'étant laissé prendre à cette apparence, il se retira, la nuit, en silence.

XXIII. Brasidas, général des Lacédémoniens, se laissa envelopper à dessein, au siége d'Amphipolis, par les troupes des Athéniens, bien supérieures aux siennes, afin d'affaiblir son ennemi en divisant ses forces; puis il s'échappa par l'endroit le plus faible.

XXIV. lphicrate, en Thrace, ayant assis son camp dans un lieu bas, avait vu les ennemis se saisir d'une colline voisine, d'où il n'y avait qu'un chemin pour descendre l'accabler. Il laissa la nuit peu de gens dans l'intérieur du camp, et ordonna d'allumer beaucoup de feux ; puis il fit sortir son armée, la rangea sur les côtés de ce chemin unique, et laissa passer les barbares. Le désavantage du lieu, qui était d'abord contre lui-même, ayant tourné contre eux , il accabla l'ennemi par derrière avec une partie de son armée, et avec l'autre il établit son camp.

XXV. Darius, voulant tromper les Scythes sur sa retraite, laissa dans son camp des chiens et des ânes, dont les cris firent croire aux barbares qu'il y était encore.

XXVI. Les Ligures trompèrent une de nos armées par un semblable artifice. Ils attachèrent çà et là à des arbres de jeunes bœufs, qui, par de continuels mugissements, donnèrent à penser que l'ennemi était dans son camp.

XXVII. Hannon, enfermé par les ennemis, fit amasser des broussailles dans l'endroit le plus favorable pour sa retraite, et y mit le feu. Alors les ennemis étant accourus aux autres passages pour les garder, il se sauva à travers la flamme, après avoir averti ses gens de couvrir leur visage de leurs boucliers, et leurs jambes de quelques hardes.

XXVIII. Hannibal, manquant de vivres, et se voulant retirer d'un lieu désavantageux, où il était serré de près par Fabius Maximus, attacha, la nuit, des fagots de sarment aux cornes de quelques bœufs, y mit le feu, et les chassa du camp. Ces animaux, effarouchés par la flamme que le mouvement même faisait grandir, se répandirent, dans le plus grand trouble, sur les montagnes où on les avait poussés, et les firent paraître tout en feu. Les Romains, qui étaient accourus à ce spectacle, crurent d'abord à un prodige; puis, ayant rapporté à Fabius ce qu'il en était, celui-ci, dans la crainte de quelque embûche, retint ses soldats dans le camp; et les barbares, délivrés de tout obstacle, quittèrent le leur.

CHAPITRE VI. Des embûches dressées sur le passage.

EXEMPLE I. Fulvius Nobilior, passant du pays des Samnites dans celui des Lucaniens, et ayant appris par des transfuges que l'ennemi attaquerait son arrière-garde, fit marcher en avant sa plus brave légion, et son bagage à la queue. L'ennemi, prenant cet arrangement pour une occasion, se mit à piller le bagage. Fulvius partagea la légion dont j'ai parlé en deux corps, fit placer cinq cohortes du côté droit de la route, et cinq du côté gauche; et, tandis que l'ennemi était occupé au pillage, déployant tout à coup ses troupes sur les deux flancs, il l'enferma, et le tailla en pièces.

II. Le même étant suivi de près par l'ennemi, et ayant à traverser une rivière qui, pour n'être pas assez forte pour empêcher le passage, était assez rapide pour le retarder, mit en embuscade sur l'autre bord une de ses légions ; en sorte que l'ennemi, méprisant son petit nombre, fut plus hardi à le poursuivre. L'ennemi s'y étant laissé prendre, la légion sortit de son embuscade, l'attaqua, et le détruisit.

III. Iphicrate, forcé par la nature des lieux, en Thrace, de conduire son armée par longues files, reçut la nouvelle que l'ennemi allait en attaquer la tête. Il jeta quelques troupes sur les deux flancs, avec ordre de se tenir en repos, tandis que le reste de l'armée, feignant de fuir, hâterait la marche. Au passage des troupes, il retenait tous les soldats d'élite. Et lorsque l'ennemi se fut fatigué à piller, fondant sur lui avec des soldats reposés et en bon ordre, il le battit, et lui ôta son butin.

IV. Notre armée ayant à passer dans la forêt Litana, au pays des Boïes, ceux-ci en avaient coupé les arbres de telle sorte qu'ils tinssent au tronc par un fil; et ils s'étaient cachés à l'autre bout du bois. Quand nous y fûmes entrés , ils poussèrent les derniers arbres sur les premiers, et sous cette chute prolongée ils accablèrent un grand nombre de nos soldats.

 CHIAPITRE VII. Comment on peut se passer des choses dont on manque, ou y suppléer.

EXEMPLE I. L. Cécilius Métellus, manquant de vaisseaux pour embarquer ses éléphants, lia ensemble des tonneaux, et y établit un plancher, sur lequel il leur fit traverser le détroit de Sicile.

II Hannibal, ne pouvant faire entrer ses éléphants dans un fleuve dont les eaux étaient profondes, et manquant de radeaux, faute de matériaux pour en construire, fit blesser sous l'oreille le plus farouche de ces animaux, par un homme qui avait ordre de se jeter dans le fleuve et de le passer à la nage. L'éléphant, exaspéré par la douleur, se jette à sa poursuite et passe le fleuve, entraînant tous les autres par son exemple.

III. Les chefs carthaginois, ayant à équiper une flotte, et manquant de joncs pour les cordages, employèrent les cheveux de leurs femmes. 

IV. Les Massiliens et les Rhodiens firent la même chose.

V. M. Antoine, s'enfuyant de Modène, donna des écorces à ses soldats, en guise de boucliers. 

VI. Spartacus et ses soldats étaient armés de boucliers formés d'osier et recouverts de peaux. 

VII. II n'est point hors de propos, j'imagine, de rapporter ici le noble trait d'Alexandre de Macédoine, alors que traversant les déserts de l'Afrique, et souffrant de la soif avec toute son armée, il répandit à terre, à la vue de tous, l'eau que lui apportait un soldat dans son casque ; faisant plus de bien, par cet exemple de tempérance, que s'il eût pu partager cette eau avec tous ses soldats.

CHAPITRE VIII. Comment on sème la division parmi les ennemis.

EXEMPLE I. Tandis que Coriolan se vengeait par la guerre de l'affront qu'il avait reçu , il ordonna que dans la dévastation de toutes les terres appartenant aux plébéiens on ne toucherait pas à celles des patriciens, pensant par ce moyen exciter des discordes qui rompraient l'union des Romains.

II. Hannibal, se voyant inférieur à Fabius par le courage et les talents militaires, essaya de le déshonorer. Il respecta ses terres, en saccageant tout le pays. Mais Fabius, par un effet de sa grandeur d'âme, et pour couper court à tout soupçon, les vendit.

III. Fabius Maximus, dans son cinquième consulat, ayant affaire aux Gaulois, aux Ombriens, aux Étrusques et aux Samnites, ligués contre le peuple romain, occupait un camp fortifié près de Sentinum, au delà de l'Apennin. Il écrivit à Fulvius et à Postumius, qui gardaient Rome, d'amener leur armée sur le territoire de Clusium. L'ordre exécuté, les Étrusques et les Ombriens quittèrent leurs confédérés pour aller défendre leur pays. Restés seuls, les Samnites et les Gaulois furent attaqués par Fabius et son collègue Décius, et battus.

IV. M. Curius faisait la guerre aux Samnites, qui, après avoir rassemblé une grande armée, abandonnant leur pays, s'étaient jetés sur le nôtre. Il envoya dans la Sabine, par des chemins inconnus, une troupe qui se mit à ravager leurs champs et à incendier leurs villages. Les Sabins, pour éloigner ce fléau de leur pays, se retirèrent; en sorte que Curius put dévaster leurs terres, rejeter une armée sans combattre, et lui tuer du monde dans le désordre de la retraite.

V. T. Didius, se défiant de son petit nombre, traînait la guerre en longueur, jusqu'à l'arrivée de deux légions qu'il attendait. Ayant appris que l'ennemi devait aller à leur rencontre, il assemble, ses soldats, et leur ordonne de se tenir prêts pour la bataille; il se relâche à dessein dans la garde des prisonniers, dont quelques-uns, parvenus à s'échapper, vont annoncer aux leurs que le combat est prochain. L'ennemi, dans cette perspective, ne voulant pas diviser ses forces, renonça à son projet d'aller au-devant des légions, lesquelles arrivèrent en toute sûreté au camp de Didius.

VI. Dans la guerre punique, quelques cités qui s'étaient résolues à passer aux Carthaginois avaient donné aux Romains des otages qu'elles désiraient reprendre, avant de se déclarer. Elles feignirent qu'il venait d'éclater entre des pays limitrophes une sédition que la présence de députés romains pouvait seule apaiser. On en envoya, qu'elles retinrent à titre de contre-otages, et qu'elles ne rendirent qu'après avoir recouvré les leurs.

VII. Les députés romains qu'on avait envoyés à Antiochos, alors qu'après la défaite des Carthaginois il avait auprès de lui Hannibal, avec lequel il tenait conseil contre les Romains, ouvrirent des conférences avec Hannibal, et parvinrent ainsi à le rendre suspect à ce roi, auquel il avait su se rendre cher et utile par son adresse et ses talents militaires.

VIII. Q. Métellus, faisant la guerre à Jugurtha, gagna les envoyés de ce roi, et les détermina à le trahir. II en vint d'autres, avec lesquels il en fit autant. De même avec une troisième ambassade. Mais on ne réussissait pas à prendre Jugurtha, car Métellus le voulait avoir vivant. Toutefois il obtint plus qu'il n'espérait, car les lettres écrites aux amis du roi ayant été interceptées, Jugurtha sévit contre eux, et, privé ainsi de ses conseillers, il ne put par la suite se faire des amis.

IX. C. César avait su par un soldat, pris en faisant de l'eau, qu'Afranius et Pétréius devaient décamper dans la nuit. Voulant empêcher les desseins des ennemis sans dommage pour les siens, la nuit arrivée, il fit donner le signal du départ, et envoya le long du camp ennemi des mulets qu'on chassait à grand bruit. Ce bruit, prolongé à dessein, retint les Pompéiens, qui crurent que César lui-même décampait.

X. Scipion l'Africain, voulant intercepter un corps d'auxiliaires qui arrivait, avec un convoi de vivres, au camp d'Hannibal, envoya en avant M. Thermus, qu'il devait soutenir de sa personne.

XI. Denys, tyran de Syracuse, au moment où les Africains, en nombre immense, s'apprêtaient à passer le détroit de Sicile pour venir l'assiéger, fit fortifier plusieurs places, et donna l'ordre à ceux qui les gardaient de les livrer à l'ennemi dès son arrivée, et une fois libres, de se rendre secrètement à Syracuse. Les places prises, il fallut que les Africains y missent garnison ; et aussitôt que Denys les eut réduits au petit nombre qu'il voulait, il put les attaquer presque à force égale, ayant tous tes siens réunis contre des adversaires dispersés.

XII. Agésilas de Lacédémone, portant la guerre à Tissapherne, feignit de se rendre en Carie, comme s'il eût cru plus commode de combattre dans un pays montueux un ennemi qui le surpassait en cavalerie. Ce dessein annoncé tout haut ayant attiré Tissapherne en Carie, Agésilas se jeta brusquement sur la Lydie, où était la ville capitale du royaume ; il en défit les habitants, et s'empara des trésors du roi.

CHAPITRE IX. Comment on apaise une sédition. 

EXEMPLE I. Le consul A. Manlius, ayant découvert que le corps d'armée en quartier d'hiver dans la Campanie avait comploté d'égorger ses hôtes et de piller leurs biens, fit répandre le bruit qu'ils camperaient l'hiver suivant dans les mêmes lieux. Ce bruit dérangea les desseins des conjurés, et sauva la Campanie. Quant à Manilius, il saisit la première occasion de punir les coupables.

II. L. Sylla, voyant les légions romaines en proie à toutes les fureurs d'une désastreuse sédition, sut, par sa prudence, ramener ces furieux à la raison. Il fit annoncer que l'ennemi approchait; on cria aux armes, on donna le signal du combat. En un moment la sédition tomba, tous les soldats étant d'accord contre l'ennemi.

III. Cn. Pompée, après que son armée eut massacré le sénat de Milan, craignant d'exciter du tumulte s'il appelait isolément les coupables à son tribunal, les fit venir, mêlés à ceux qui étaient innocents de ce massacre. Les meurtriers comparurent avec moins de crainte, n'étant point séparés de leurs camarades, et ne pensant pas qu'on les eût fait venir pour ce crime; et quant à ceux qui n'avaient rien à se reprocher, ils firent bonne garde autour des coupables, pour n'être pas compromis eux-mêmes et souillés par leur fuite.

IV. Quelques-unes des légions de César s'étaient mutinées, jusqu'à vouloir attenter à la vie de leur général. César, affectant d'être sans crainte, marcha droit aux soldats ; et comme ils demandaient leur congé, il le leur accorda, la menace sur le visage. Saisis de repentir, ceux-ci tirent des excuses à leur général, et se montrèrent dans la suite plus obéissants.

CHAPITRE X. Comment on résiste à une demande intempestive de combat.

EXEMPLE I. Q. Sertorius avait appris par expérience que seul il était hors d'état de tenir tête à toutes les forces romaines. Voulant rendre cette vérité sensible aux yeux des barbares, qui le pressaient témérairement de les mener au combat, il fit amener avec deux chevaux, dont l'un était vigoureux, et l'autre maigre et chétif, deux jeunes gens offrant la même inégalité; et il commanda au plus robuste d'arracher d'un coup la queue du cheval chétif, et au plus faible d'enlever poil à poil la queue du cheval vigoureux. Le faible fit ce qu'on lui avait commandé; mais le robuste s'épuisant sans effet sur le cheval chétif : "Voici, dit Sertorius, un exemple qui vous montre la nature des cohortes romaines : si vous les attaquez en masse, elles sont invincibles; harcelées en détail et par petits corps, on en peut venir à bout".

II. Le même, voyant les siens demander imprudemment le signal du combat, et croyant qu'ils désobéiraient à leur chef s'ils n'en venaient aux mains, permit à un escadron de cavalerie d'aller harceler les ennemis. Cet escadron ayant le dessous, il en renvoya d'autres pour le soutenir; puis il fit faire retraite à tous. Et, les ayant ainsi conservés, il leur demanda quelle eût été l'issue du combat qu'ils avaient voulu. Depuis lors, il n'y eut pas de soldats plus obéissants.

III. Agésilas, de Lacédémone, étant campé contre les Thébains sur le bord d'une rivière, et voulant ôter aux siens l'envie d'en venir aux mains avec une armée qu'il savait supérieure en forces, allégua une réponse des dieux, qui lui ordonnait de ne combattre que du haut des collines;et, laissant près de la rivière un petit poste, il s'approcha en effet des collines. Les Thébains, croyant qu'il en agissait ainsi par crainte, passèrent la rivière; et après avoir débusqué sans peine le petit poste, emportés par l'ardeur de la poursuite, ils furent vaincus par le petit nombre, grâce au désavantage du lieu.

IV. Scorylon, chef des Daces, sachant le peuple romain déchiré par les guerres civiles, et ne voulant néanmoins rien entreprendre contre eux, parce que la guerre étrangère aurait pu rétablir la concorde entre des citoyens divisés, fit combattre en présence de sa nation deux chiens ; et taudis qu'ils étaient le plus acharnés, il fit paraître un loup, sur lequel les chiens se jetèrent, oubliant leur querelle. Par cet exemple, il détourna les barbares d'un entraînement qui ne pouvait que servir les Romains.

CHAPITRE XI. Comment on excite une armée au combat. 

EXEMPLE I. Les consuls M. Fabius et Cn. Manlius faisaient la guerre aux Étrusques. Leur armée, travaillée par la sédition, refusait de combattre; eux-mêmes firent semblant d'hésiter, jusqu'à ce que les soldats, forcés par les outrages de l'ennemi, demandassent le combat, et jurassent d'en revenir vainqueurs.

II. Fulvius Nobilior, forcé de combattre avec peu de monde l'armée samnite, qui était nombreuse, et que des succès récents avaient enflée, feignit qu'une des légions ennemies, gagnée par lui, avait trahi. Pour en faire foi, il donna ordre aux tribuns, aux primipiles et aux centurions, de réunir tout ce qu'ils avaient d'or et d'argent monnayé ou autre, afin de payer aux prétendus transfuges le prix de leur trahison. Quant à ceux qui apportaient leur argent, il leur promit d'y ajouter d'amples récompenses après la victoire. Cet espoir donna aux Romains allégresse et confiance; et le combat, engagé sur-le-champ, se termina par une victoire éclatante.

III. C. César, sur le point de combattre Arioviste et ses Germains, dit à ses soldats, que la peur avait troublés, que ce jour-là il ne se servirait que de la dixième légion. Il en résulta que tous furent forcés de bien faire leur devoir, la dixième légion, par le témoignage que César rendait de sa valeur; les autres par la honte, et pour ne pas laisser à autrui toute la gloire du courage.

IV. Q. Fabius, sachant bien que l'esprit qui animait les Romains leur rendait tout affront insupportable, et n'attendant d'autre part, des Carthaginois, rien de juste ni de modéré, envoya des députés à Carthage pour y traiter de la paix. Ceux-ci n'ayant remporté que des paroles injustes et insolentes, l'ardeur des Romains pour le combat s'en accrut.

V. Agésilas, roi des Lacédémoniens, était campé près d'Orchomène, ville alliée. Ayant remarqué que la plupart des soldats y retiraient tout ce qu'ils avaient de plus précieux, il défendit aux habitants de rien recevoir de ce qui appartenait à son armée, afin que le soldat se battît mieux, sachant qu'il se battrait pour tout ce qu'il possédait.

VI. Épaminondas, général des Thébains, sur le point d'engager la bataille contre les Lacédémoniens, pour ajouter chez ses soldats à la force du bras celle du cœur, leur dit, en assemblée publique, " que les Lacédémoniens avaient résolu, vainqueurs, d'égorger tout ce qui était homme, d'emmener en captivité les femmes et les enfants, et de détruire la ville de Thèbes ; " ce qui anima tellement les Thébains, qu'au premier choc ils culbutèrent l'armée lacédémonienne.

VII. Leutychidas, chef des Lacédémoniens, qui devait combattre le même jour que la flotte alliée avait remporté la victoire, annonça , quoiqu'il n'en sût rien, que cette partie des forces lacédémoniennes était victorieuse; ce qui devait rendre ses gens plus hardis au combat.

VIII. A. Postumius, dans la bataille qu'il livra aux Latins, voyant paraître deux jeunes cavaliers, releva le courage des siens en s'écriant que c'étaient Castor et Pollux ! et rétablit ainsi le combat.

IX. Le Lacédémonien Archidamus, faisant la guerre aux Arcadiens, fit dresser au milieu du camp un faisceau d'armes consacrées, autour duquel on mena secrètement des chevaux pendant la nuit. Le matin, montrant ces traces aux soldats comme celles des coursiers de Castor et de Pollux, il leur persuada que ces deux frères leur viendraient en aide dans le combat.

X. Périclès, général des Athéniens, sur le point d'engager la bataille, remarquant un bois consacré à Pluton, qu'on pouvait découvrir des deux armées, et qui était fort épais et d'une vaste étendue, y cacha un homme d'une grandeur extraordinaire, lequel, chaussé de cothurnes très élevés, vêtu de pourpre, imposant par sa chevelure, et monté sur un char attelé de chevaux blancs, devait, à un signal, sortir du bois, et, appelant Périclès par son nom, l'exhorter, et lui dire que les dieux venaient au secours des Athéniens. Tel fut l'effet de ce stratagème, qu'avant de lancer le javelot, les ennemis prirent la fuite.

XI. L. Sylla, pour disposer ses soldats à se bien battre, leur fit croire que les dieux lui prédisaient l'avenir. Enfin, avant de donner la bataille en présence de toute son armée , on le vit prier une petite statue qu'il avait remportée du temple de Delphes, et lui demander de hâter la victoire qu'elle lui avait promise.

XII. Marius avait avec lui une magicienne de Syrie, de qui il faisait semblant d'apprendre l'issue des batailles.

XIII. Q. Sertorius, ayant à conduire des barbares rebelles à la raison, menait avec lui à travers la Lusitanie une biche blanche d'une grande beauté, et feignait d'être averti par elle de ce qu'il fallait faire ou éviter; en sorte que les barbares obéissaient à tous ses commandements, comme à des ordres d'en haut. On ne doit user de ce genre de stratagèmes qu'avec des gens qu'on sait assez simples pour y avoir foi. Il en est d'autres qui peuvent être imaginés de telle sorte, qu'ils paraissent l'ouvrage des dieux eux-mêmes.

XIV. Alexandre de Macédoine, sur le point de sacrifier, imprima, au moyen d'une préparation, des caractères sur la main dont l'aruspice devait toucher les entrailles de la victime. Ces caractères donnaient la victoire à Alexandre. Reproduits sur le foie tout chaud, et montrés aux soldats par Alexandre, ils animèrent les courages, comme si le dieu lui-même leur avait promis la victoire.

XV. L'aruspice Sudines fit de même, au moment où Eumènes allait donner la bataille aux Gaulois.

XVI. Épaminondas, sur le point de combattre les Lacédémoniens, pensant qu'il fallait ajouter à la confiance de ses troupes par la religion, détacha, pendant la nuit, les armes suspendues aux murs des temples, et qui y servaient d'ornement, et persuada aux siens que les dieux eux-mêmes marchaient derrière eux, et les assisteraient dans le combat.

XVII. Agésilas ayant pris quelques-uns de ces soldats perses dont l'extérieur est terrible pour qui les voit dans leur costume, les fit déshabiller, et les montra nus à ses soldats, afin de leur inspirer du mépris pour ces corps blancs et efféminés. 

XVIII. Gélon, tyran de Syracuse, commençant la guerre contre les Carthaginois, parmi un grand nombre de prisonniers choisit, surtout dans les auxiliaires, ceux qui étaient les plus noirs, et les montra tout nus à ses soldats, pour leur en donner le mépris.

XIX. Cyrus, roi des Perses, voulant stimuler l'ardeur de ses troupes, les fatigua tout un jour à abattre des arbres, et le lendemain leur fit faire un repas abondant; puis il leur demanda lequel ils aimaient le mieux. Ceux-ci ayant dit, Le repas : " Eh bien, dit-il, c'est par l'une de ces deux choses qu'il faut arriver à l'autre. Vous ne pouvez vivre libres ni heureux si vous ne triomphez pas des Mèdes. " C'est ainsi qu'il leur inspira le désir de combattre.

XX. L. Sylla, dans un combat près du Pirée, contre Archélatis, lieutenant de Mithridate, ayant à faire marcher des soldats trop peu pressés de combattre, finit en les occupant de travaux pénibles par leur en faire demander d'eux-mêmes le signal.

XXI. Fabius Maximus, craignant que par confiance dans les vaisseaux, où son armée pouvait se retirer, elle ne se comportât moins vaillamment, les fit brûler avant de donner le signal du combat.

CHAPITRE XII. Comment on dissipe les craintes que de mauvais présages ont inspirées aux soldats. 

EXEMPLE I. Scipion, débarquant en Afrique l'armée qu'il amenait d'Italie, fit une chute en sortant de son vaisseau; et comme ses soldats en paraissaient étonnés, il sut, par sa fermeté et sa grandeur d'âme, tourner en un sujet d'encouragement ce qui les avait effrayés : "Applaudissez, soldats, leur dit-il : j'ai tenu l'Afrique sous moi." 

II. C. César étant tombé en montant sur son navire : " Je te tiens, dit-il, ma mère; " montrant par là qu'il entendait bien retourner au pays d'où il partait.

III. Le consul T. Sempronius Gracchus étant rangé en bataille contre les Picentins, tout à coup la terre trembla; ce qui ayant troublé les esprits dans les deux armées, il rassura les siens; et, les exhortant à se jeter sur un ennemi qu'une crainte superstitieuse avait abattu, il attaqua les Picentins et les défit.

IV. Les boucliers des cavaliers de Sertorius et le poitrail de leurs chevaux ayant paru tout sanglants, il leur fit voir dans ce prodige un présage de victoire, ces choses étant sujettes à s'ensanglanter dans le combat. 

V. Épaminondas, voyant ses soldats attristés de ce que la banderole qui pendait à sa lance avait été emportée par le vent sur le tombeau d'un Lacédémonien : " Rassurez-vous, leur dit-il; c'est un présage de mort pour les Lacédémoniens ; car on ne pare les tombeaux que pour les funérailles. "

VI. Son armée ayant vu avec épouvante tomber du ciel, pendant la nuit, une torche enflammée : "C'est, dit-il, une lumière que les dieux nous envoient."

VII. Sur le point de donner bataille aux Lacédémoniens, le siége sur lequel il était assis s'étant rompu, et les soldats, dans leur trouble, y voyant un mauvais présage : " C'est, dit-il, qu'on nous défend de nous asseoir. "

VIII. C. Sulpicius Gallus, sachant qu'une éclipse de lune était prochaine, la prédit à ses soldats pour qu'ils n'y vissent pas de prodige, en nota les circonstances, et en indiqua les causes.

IX. Agathocle de Syracuse, sur le point de combattre les Carthaginois, voyant ses soldats effrayés d'un commencement d'éclipse de lune, la veille du jour de la bataille, leur en dit la raison, et leur fit comprendre que ce phénomène, quel qu'il fût, était un effet naturel, et n'avait aucun rapport avec leurs desseins.

X. La foudre étant tombée sur le camp de Périclès, à la grande terreur des soldats, il les réunit en assemblée, et faisant jaillir du feu de deux cailloux, il calma les esprits, en leur apprenant que la foudre n'était, de même, que l'effet du choc de deux nuages.

XI. Timothée d'Athènes, sur le point de livrer bataille sur mer aux Corcyréens, voyant son pilote donner le signal de la retraite à la flotte à peine partie, parce qu'un des rameurs avait éternué : "On s'étonne, dit-il, que parmi tant de milliers d'hommes il y en ait un qui se soit enrhumé?"

XII. La foudre étant tombée, en une pareille rencontre, devant le navire que montait Chabrias, et les soldats s'effrayant de ce prodige :"C'est le moment, dit-il, d'engager le combat; car Jupiter, le plus grand des dieux, nous avertit qu'il vient à notre secours."