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table des matières d'Aulu-Gelle

 

AULU-GELLE

 

LES NUITS ATTIQUES

 

LIVRE SEIZIÈME.

livre 15. - livre 17

Relu et corrigé

 

 

 

 

CHAPITRE. I.

Passage grec du philosophe Musonius, renfermant une maxime non moins utile que digne de remarque. Paroles dans le même sens adressées autrefois par M. Caton aux chevaliers à Numance.

LORSQUE dans ma jeunesse, je fréquentais les écoles, on nous répétait souvent une sentence grecque, du philosophe Musonius, que je me suis toujours rappelée avec plaisir, à cause de sa précision, de sa clarté, de son tour périodique et surtout du sens qu'elle renferme. Voici en quels termes elle est conçue :

Si à force de travail vous êtes parvenus à faire une bonne action, la peine passe, et le plaisir vous reste. Mais avez-vous goûté quelque plaisir entre les bras de la volupté, le plaisir a disparu, et il ne vous reste que la honte. Quelque temps après j'ai trouvé la même maxime dans le discours que Caton (01) adressa aux chevaliers à Numance (02). Si le tour un peu lâche et le style un peu traînant de la phrase latine ne répondent point à la rondeur et à la brièveté de la période grecque, cependant comme celle-là est plus ancienne, elle a droit à notre vénération. Voici donc de quelle manière s'exprimait Caton :

Considérez attentivement en vous-mêmes que, si vous êtes parvenus avec de la peine à faire quelque chose de louable, cette peine disparaît bientôt, tandis que l'avantage du succès vous demeurera toute la vie. Si, au contraire, la volupté vous entraîne dans quelque démarche honteuse, la volupté passe rapidement, mais la turpitude et les remords ne vous abandonneront jamais.

CHAPITRE II.

Loi de la dialectique, sur la manière d'interroger et de répondre. Inconvénients de cette loi.

On rapporte que, dans les écoles de la dialectique (03), il règne une loi qui prescrit une extrême précision dans les réponses qu'on est obligé de faire, lorsqu'on est interrogé sur quelque objet, et qui permet seulement de dire oui ou non. Si quelqu'un s'écartait de cette règle, et se permettait de motiver sa réponse, il passerait pour un esprit sans culture, et qui ignore le grand art de la dispute académique. On ne peut s'empêcher de louer ce laconisme, et de le recommander dans la plupart des dissertations : car l'on ne finirait jamais, si l'on permettait à un discoureur infatigable de se livrer à la manie qui le tourmente. Mais convenons aussi qu'il est des questions captieuses dont il est impossible de se tirer avec succès, si l'on se borne précisément à la réponse oui ou non. Si quelque plaisant, par exemple, vous disait : Répondez-moi ; avez-vous fini de commettre un adultère, ou non ? Si, vous tenant à la méthode de la dialectique, vous vous contentez de nier ou d'affirmer, vous voilà, par votre propre aveu, convaincu d'adultère ; il faut alors, pour se tirer d'embarras, étendre la question, et suppléer ce qui manque. Car enfin, celui qui ne finit pas une chose, nécessairement n'est pas censé l'avoir commencée. Cette espère de question renferme un argument faux ; et, de quelque manière qu'on s'en serve on ne pourra jamais réduire un homme à convenir du crime qu'on veut lui imputer, précisément parce qu'il dit qu'il n'a pas fini de le commettre. Que fera donc, en pareille occasion, le dialecticien scrupuleux observateur de sa loi, comment se tirera-t-il des pièges dans lesquels il ne peut éviter de tomber, en se bornant à répondre seulement d'après la demande ? Car, si je lui disais : Avez-vous, ou n'avez-vous pas ce que vous n'avez point perdu ? Répondez par oui ou par non. N'importe de laquelle de ces deux manières il réponde, le voilà pris. Car, s'il répond que non, je conclurai qu'il n'a point d'yeux, puisqu'il ne les a point perdus ; s'il répond que oui, je le forcerai de convenir qu'il a des cornes, puisqu'il ne les a point perdues. Il est une manière sage et prudente de répondre à de pareilles questions ; c'est de dire : Ce que j'avais je l'ai encore, si je ne l'ai pas perdu. Mais cette réponse n'est plus conforme à la loi dont il s'agit, car on y dit plus que la demande ne l'exige. C'est pourquoi les dialecticiens ont coutume d'ajouter à cette loi : Qu'il ne faut pas répondre aux questions captieuses.

CHAPITRE III.

Que le médecin Eratistrate a expliqué de quelle manière il se fait que, lorsqu'on cesse de prendre des aliments, on peut supporter quelque temps la faim et résister au besoin de manger. Propres paroles d'Eratistrate à ce sujet. 

Comme je passais souvent, à Rome, les jours entiers avec Favorin, qui m'intéressait tellement par le charme de sa conversation, que je l'accompagnais partout où il portait ses pas, je le suivis un jour chez un malade qu'il alla voir, et chez lequel j'entrai avec lui. Comme le hasard fit que nous y trouvâmes en ce moment les médecins, il leur dit en grec beaucoup de choses sur l'état du soufrant, entre autres : Qu'on ne devait pas trouver étonnant qu'ayant toujours eu auparavant envie de manger, cette envie se fût passée entièrement après la diète de trois jours qu'on lui avait prescrite. Car, ajouta-t-il, ce qu'on lit dans Eratistrate est à peu près vrai : Que la faim est occasionnée par le vide de l'estomac et des entrailles, qu'il faut remplir pour la faire cesser; que cependant, en se privant de manger pendant quelques jours ; elle cesserait également parce que, alors les entrailles venant à se resserrer et à rétrécir le vide destiné aux aliments, on perd le désir de prendre de la nourriture. Favorin dit encore qu'au rapport du même Erasistrate, les Scythes ont coutume, lorsqu'ils doivent supporter longtemps la faim, de se serrer étroitement avec de fortes ceintures. Car on a cru cette pression du ventre propre à affaibli beaucoup les tourments de la faim. Il ajoute à cela beaucoup de choses semblables, qu'il raconta d'une manière pleine d'affabilité. Ayant eu, depuis ce temps, occasion de lire le premier livre des Divisions d'Ératistrate, j'ai trouvé effectivement dans ce livre ce que j'avais entendu dire à Favorin. Voici, là-dessus, les propres paroles d'Ératistrate : Selon moi, une forte compression du ventre doit rendre propre à supporter une longue privation de nourriture ; car la privation des aliments, lorsqu'elle est grande et volontaire, occasionne d'abord une faim pressante, qui diminue beaucoup ensuite. On trouve encore, un peu plus bas : Les Scythes ont coutume, quand ils doivent rester quelque temps sans manger, de se serrer le ventre avec de larges ceintures, comme si alors ils se trouvaient moins tourmentés par la faim. En effet, quand le ventre est à peu près rempli, comme il ne s'y trouve plus de vide, la faim ne se fait pas sentir ; et quand il est fortement serré, il ne se trouve plus susceptible d'éprouver du vide. Dans le même livre, Ératistrate rapporte qu'on est beaucoup plus sujet à cette faim insupportable que les Grecs appellent boulimie (04), dans les jours où il fait grand froid, que quand l'air est doux et serein. Il ajoute que la cause pour laquelle cette faim dévorante se fait plutôt sentir dans un temps froid que dans tout autre, ne lui est pas bien connue. Voici comment il s'exprime à ce sujet : On ne connaît pas encore bien la cause pour laquelle, dans ce cas et dans d'autres, la faim se fait sentir d'une manière plus pressante quand il fait froid que quand l'air est doux et serein.

CHAPITRE IV.

De quelle manière et en quels termes les hérauts d'armes du peuple romain avaient coutume de déclarer la guerre aux nations que la République voulait combattre. Formule de serment par rapport à la répression des délits militaires. Obligation des soldats enrôlés de s'assembler au jour dit en un lieu désigné. Raisons qui pouvaient les dispenser de cette obligation.

Cincius, au troisième livre de l'Art Militaire, rapporte l'ancienne formule (05) dont se servaient les hérauts d'armes du peuple romain, lorsqu'ils allaient déclarer la guerre et qu'ils lançaient sur la terre ennemie le javelot teint de sang.
La voici : PARCE QUE LE PEUPLE HERMONDULE ET LES GUERRIERS DE CETTE NATION ONT OSÉ COMMETTRE DES HOSTILITÉS SUR LES TERRES DU PEUPLE ROMAIN, ET PARCE QUE LE PEUPLE ROMAIN A ORDONNÉ LA GUERRE CONTRE LE PEUPLE HERMONDULE, LE PEUPLE ROMAIN ET MOI, NOUS DÉCLARONS ET NOUS FAISONS LA GUERRE AU PEUPLE HERMONDULE. On lit aussi, dans le cinquième livre de Cincius sur la même matière, cet autre passage curieux. Lorsque autrefois on choisissait les soldats, et que les tribuns les enrôlaient, ils les obligeaient à prêter serment en ces termes : A L'ARMÉE, SOUS LES ORDRES DES CONSULS C. LAELIUS, FILS DE C. , ET L. CORNELIUS, FILS DE P. , A DIX MILLE PAS A L'ENTOUR DU CAMP, NI SEUL, NI AVEC TES CAMARADES, TU NE VOLERAS RIEN DE PROPOS DÉLIBÉRÉ, DONT LA VALEUR EXCÈDE UNE PIÈCE D'ARGENT. CHAQUE JOUR QUE, HORS DU CAMP, TU AURAS TROUVÉ ET EMPORTÉ UN JAVELOT, LE BOIS DU JAVELOT, DU BOIS, UN NAVET, DES ALIMENTS, UNE OUTRE, UN SOUFFLET, UN FLAMBEAU OU QUELQUE AUTRE CHOSE QUI NE T'APPARTIENDRA PAS ET QUI SERA AU-DESSUS DE LA VALEUR D'UNE PIÈCE D'ARGENT, TU LE RAPPORTERAS AU CONSUL  C. LAELIUS, FILS DE  C., OU BIEN AU CONSUL L. CORNELIUS, FILS DE P., OU BIEN A CELUI QUI COMMANDERA CE JOUR-LA, OU BIEN TU FERAS CONNAÎTRE AUX CONSULS, DANS LES TROIS PREMIERS JOURS, TOUT CE QUE TU AURAS TROUVÉ ET ENLEVÉ SANS MAUVAIS DESSEIN, OU BIEN TU LE RENDRAS A CELUI QUE TU CROIRAS EN ÊTRE LE MAÎTRE, DE LA MANIÈRE QUE TU JUGERAS LA PLUS CONVENABLE. Lorsque les soldats étaient enrôlés, on leur fixait un jour pour comparaître et pour répondre à la citation du consul ; ils en prêtaient le serment, ils ne pouvaient en être dispensés que pour une des raisons suivantes, savoir : Le convoi d'un parent ou d'un ami ; les dix jours d'expiation après les funérailles, pourvu qu'on ne les eût pas choisis exprès, de manière qu'ils tombassent au jour de la convocation militaire ; le mal caduc, un présage qu'on ne peut négliger sans crime, ou bien un sacrifice d'anniversaire qu'on ne peut célébrer que ce jour-là ; la violence ou la présence de l'ennemi ; l'obligation de comparaître en justice avec un étranger. Lorsque quelqu'une de ces causes a retardé le départ d'un légionnaire, le premier jour qu'il est libre, il doit se présenter et partir pour joindre son général dans la ville, le bourg ou le village qu'il aura choisi pour s'arrêter. Dans le même livre, on remarque encore le passage suivant : Lorsqu'un soldat ne se présentait point au jour marqué, et qu'il n'avait point de raisons pour justifier son absence, il était déclaré avoir abandonné les drapeaux. On trouve également dans le sixième livre : On a nommé ailes les corps de cavalerie de l'armée, parce qu'ils étaient placés à la droite et à la gauche des légions, comme les ailes sont placées aux deux côtés des oiseaux. Une légion comprend soixante centuries, trente manipules et dix cohortes.

CHAPITRE V.

Quelle est la signification de vestibulum. Dissertation sur l'étymologie de ce mot.

Il y a une infinité de mots dont nous faisons un fréquent usage, sans en connaître au juste la véritable signification ; nous conformant par cet usage que nous faisons de ces mots, à l'habitude que le vulgaire a de s'en servir, sans savoir mieux que nous ce qu'ils signifient en sorte que nous paraissons plus dire ce que nous voulons, que nous ne le disons en effet. Tel est, par exemple, vestibulum (06), expression très connue et très usitée dans la conversation, et à la signification de laquelle ceux qui s'en servent fréquemment n'apportent cependant pas toujours assez d'attention. En effet, j'ai remarqué que des hommes qui ne laissaient pas d'être instruits, entendaient par vestibulum la partie du devant d'une maison, appelée communément atrium (l'entrée). C. Aelius Gallus, dans son second livre de la Signification des termes qui appartiennent au droit civil, dit : Que ce qu'on appelle vestibulum ne fait point partie de la maison, et n'est point compris dans son enceinte ; mais qu'on entend par là l'espace qui se trouve devant la porte d'une maison, et qu'il faut traverser, depuis la rue, pour y arriver ; les deux parties de la maison qui sont à droite et à gauche de la porte, allant aboutir à la rue, dont la porte elle-même se trouve séparée par une avant-cour. On cherche beaucoup à savoir d'où ce mot tire son origine ; mais presque tout ce que j'ai lu jusqu'à présent à ce sujet m'a paru manquer de justesse et de vraisemblance. Voici toutefois, autant que je puis m'en souvenir, ce que Sulpice Apollinaire, homme fort instruit, a dit là-dessus : la particule ve, comme plusieurs autres, marque également l'augmentation et la diminution. Par exemple, vetus (vieux) et vehemens ( véhément) ont été formés, le premier (avec élision ) pour marquer un grand âge ; le second pour exprimer la force et l'impétuosité de l'esprit. Mais vescum (dégoûté), mot composé de la particule ve et de esca (nourriture), se prend également dans l'une et dans l'autre signification : car il est certain que lorsque Lucrèce s'en sert pour signifier des mets propres à exciter l'appétit, il y attache une idée toute contraire à celle que Lucile y attache lui-même, quand il l'emploie pour exprimer le dégoût pour les aliments. Or ceux qui faisaient autrefois construire des maisons grandes et vastes, laissaient devant la porte un espace vide, pour former une avant-cour entre la façade de la maison et la rue. C'était en cet endroit qu'on attendait le moment de saluer le maître du logis ; en sorte que ceux qui venaient à cet effet ne restaient point dans la rue, quoiqu'on ne les introduisît pas d'abord. On a donc pour cette raison appelé vestibula ces vastes espaces, qui, comme je l'ai dit, se trouvaient devant les maisons, et où ceux qui venaient pour quelque affaire, attendaient le moment d'être admis dans l'intérieur des appartements. On doit se souvenir, toutefois, que les anciens ne se sont pas toujours servis de ce mot dans le sens qui lui convient ; mais qu'ils l'ont employé quelquefois un peu hors de la signification qui lui est propre, sans cependant s'éloigner beaucoup du sens que je viens d'exposer, comme on en peut juger par ce passage de Virgile, tiré du sixième livre de l'Énéide :

A l’entrée même et dans les premières gorges des enfers, (vestibulum ante ipsum, primisque in faucibus) sont couchés le Chagrin et les Remords vengeurs.

Il n'appelle point ici vestibulum la partie la plus avancée de la demeure de Pluton , comme on pourrait le croire d'abord ; mais il indique deux endroits hors de l'enceinte des enfers, vestibulum et fauces. Par le premier, il entend le devant de l'entrée, et par le second, le chemin étroit pour arriver à ce qu'il appelle vestibulum.

CHAPITRE VI.

Quelles sont les victimes dites bidentes. Ce qui les a fait appeler ainsi. Sentiments de P. Nigidius et de Julius Hyginus à ce sujet.

Lorsque je revins de Grèce, je débarquai à Brindes, où l'on me dit qu'il y avait un grammairien, que les habitants de cette ville avaient fait venir de Rome, pour enseigner la langue latine, et qui se vantait de lever toutes les difficultés qu'on pouvait lui proposer. Pour me délasser de l'ennui et des fatigues de la traversée, il me prit fantaisie d'aller consulter ce docteur. Il lisait d'une manière dure et barbare le septième livre de Virgile, dans lequel on trouve ce vers :

Il immolait, selon l'usage, cent brebis (lanigeras bidentes),

et il demandait, si quelqu'un dans l'assemblée désirait avoir des éclaircissements. Etonné de l'audacieuse confiance de cet ignorant, je lui dis : Maître, aurez-vous la complaisance de nous expliquer ce que le poète entend par bidentes ? Il entend des moutons, reprit-il, puisque, de peur qu'on ne s'y méprenne, Virgile ajoute lanigeras (qui portent de la laine). Nous verrons à l'instant, repartis-je, si, comme vous le dites, on ne peut appliquer qu'aux seuls moutons l'expression bidens ; et vous me direz si Pomponius, poète de la Gaule Transalpine, s'est trompé lorsqu'il a écrit dans ses Atellanes :

O Mars, je fais vœu de t'immoler un jeune porc (bidenti verre), si jamais il revient.

Je vous prie actuellement de m'expliquer quel est le sens propre ou littéral de bidens. Mon docteur, sans hésiter, me répond hardiment que ce terme sert à désigner des moutons qui n'ont que deux dents. Eh ! de grâce, m'écriai-je, dites-moi, dans quel pays avez-vous vu des moutons auxquels la nature n'eût accordé que deux dents ? Il faudra toute la force et la sainteté de nos sacrifices expiatoires, pour apaiser la colère des dieux annoncée par un prodige aussi extraordinaire. Faites-moi, je vous prie, me dit alors avec impatience et avec humeur le grammairien, faites-moi, je vous prie, des questions plus conformes à la science que je professe, et laissez aux bergers le soin de s'informer de ce qui concerne les dents des moutons. Je quittai ce vil fanfaron, en me moquant de sa fade plaisanterie, pour aller consulter le traité de Publius Nigidius, sur les Entrailles des victimes. Ce savant écrivain y rapporte qu'ont appelle bidentes, non seulement les moutons, mais encore toutes les victimes de deux ans. Il n'explique pas toutefois pourquoi on les appelle ainsi. Mais j'en ai trouvé la raison telle que je la soupçonnais, dans de certains commentaires sur le droit pontifical. On appela d'abord ces victimes bidennes ; c'était alors la même chose que biennes (de deux ans). L'usage ayant corrompu ce terme, au lieu de bidennes on forma bidentes, qui parut plus agréable à la prononciation.

Cependant Julius Hyginus, qui ne paraît pas avoir ignoré le droit sacerdotal, dans le quatrième livre de ses Commentaires sur Virgile, dit qu'on appela bidentes les victimes parvenues à l'âge qui voit s'élever les deux dents mineures. Voici ses paroles : La victime bidens doit avoir huit dents, dont deux sont plus élevées que les six autres ; par où l'on assure que, du bas âge, elle a passé dans un autre plus avancé. C'est à l'œil  à décider si Hyginus a raison.

CHAPITRE VII.

Que Labérius a créé beaucoup de mots d'une manière un peu trop libre et un peu trop hardie, et qu'il s'est servi de beaucoup d'autres que souvent on ne croit point être véritablement latins. 

Labérius, dans les comédies qu'il a composées, s'est servi de beaucoup d'expressions qu'il a pris sur lui d'inventer, et cela avec un peu trop de liberté. En effet , on y trouve mendicimonium ( mendicité ), on y trouve également moechimonium, adulterio et adulteritas, pour adulterium (crime d'adultère) ; on y trouve encore depudicavit pour stupravit (il déshonora) , et ablivium pour diluvium (inondation). Ce poète a dit aussi, dans sa comédie intitulée le Panier, manuatus est pour furatus est (il a dérobé) ; et dans celle qui a pour titre le Foulon, il appelle un voleur manuarius, lorsqu'il dit :

Fripon (manuari), tu as perdu toute espèce de honte.

Labérius hasarde beaucoup d'autres mots de la sorte ; quelquefois même il pousse la licence jusqu'à se servir de ces expressions viles et surannées, qui ne se trouvent que dans la bouche du vulgaire ignorant et grossier comme on peut le remarquer dans ce vers de ses Fileuses :

Le diable, en vérité, vous entraînera toutes nues dans les enfers (in catonium).

Il dit elutriare lintea et lavandria, en parlant du linge qu'on donne pour la lessive. Il dit aussi : On me fait aller (coicior) au foulon. Est-ce que (ecquid) vous courez ? Est-ce que (ecquid) vous courez devant, Caldonie (07) ?

Dans le Cordier , il donne le nom de calabarriunculi à ceux que le vulgaire appelle ordinairement talabarriones. Dans ses Compitales, il dit : Je lui ai cassé la mâchoire, (malas malaravi) (08). II dit encore dans son Cacomemmon :

Voilà ce sot personnage (gurdus) que je reçus, comme je vous l'ai dit, à mon retour d'Afrique, il y a deux mois.

Dans une autre comédie intitulée Natal, Labérius dit cippus (tertre), obba ( tasse), camella (gamelle), pictacium (orné de peinturés ou de dessins), et capitium (collerette) ; et on lit dans un endroit de cette pièce : Vous mettez la belle tunique au col brodé (capitium tunicae pictacium). On trouve, outre cela dans celle qui a pour titre Anna Perenna (09), gubernius pour gubernator (gouverneur), planus pour sycophanta (calomniateur), et nanus pour pumilio (nain). Cependant on voit planus pour sycophanta dans le discours de M. Cicéron pour Cluentius. Dans une autre comédie encore, intitulée les Saturnales, Labérius se sert de botulum au lieu de farcimen (boudin) (10). Dans la même pièce, il dit aussi homo levenna, pour homo levis (homme léger). Dans celle qui a pour titre la Nécyomantie, il appelle presque toujours cocio, celui que les anciens appelaient arulator (qui marchande). Voici ses propres expressions :

Deux femmes. En vérité, voilà bien un autre embarras, dit celui qui marchande (cocio) ; mais les édiles termineront la question.

Dans la comédie qu'il a intitulée Alexandréa, il s'est servi d'une expression grecque, de la même manière que le vulgaire, mais cependant correctement : car il a dit emplastrum (emplâtre) au neutre, et non au féminin, comme font les demi-savants de nos jours. Voici l'endroit de cette comédie, dans lequel se trouve le mot dont il s'agit :

Qu'est-ce que le serment ? sinon un emplâtre (emplastrum) pour le créancier.

CHAPITRE VIII.

Ce que signifie et ce que les Latins ont entendu par l'axiome des dialecticiens, et autres choses qui se rencontrent dans les premiers rudiments de la dialectique.

Lorsque je commençai l'étude de la dialectique, avec dessein d'acquérir des connaissances étendues dans cette science, il me fallut d'abord m'appliquer à connaître ce que les dialecticiens appellent prolégomènes. Or, comme je devais commencer par m'instruire des premières propositions, que M. Varron désigne tantôt sous le nom d'axiomes, tantôt sous celui d'aphorismes, j'avisai promptement aux moyens de me procurer les commentaires sur les aphorismes de L. Aelius, savant distingué, qui avait été lui-même le maître de Varron. Je trouvai cet ouvrage à la bibliothèque du Temple de la Paix où j'en fis la lecture ; mais il ne contenait rien de bien clair ni de véritablement instructif : tellement même qu'Aelius paraît plutôt avoir composé ce livre pour son utilité particulière et pour y recourir au besoin que pour servir à l'instruction des autres. Il me fallut donc en revenir aux auteurs grecs, dans lesquels je trouvai la définition de l'axiome conçue en ces termes : l'axiome est une proposition essentiellement juste, et qui referme un sens parfait. J'eus peine à rendre cette définition, parce qu'il me fallut recourir à des expressions nouvelles, incorrectes et tellement inusitées que l'oreille s'en trouvait choquée considérablement. Mais M. Varron, dans son vingt-quatrième livre à Cicéron sur la Langue latine, donne cette même définition d'une manière très succincte : L'axiome, dit-il, est une proposition si juste, qu'elle ne laisse rien à désirer. Cependant, comme des exemples rendent la chose plus sensible, voici donc ce que c'est que l'axiome, ou si, l'on aime mieux, l'aphorisme : Annibal était Carthaginois ; Scipion détruisit Numance ; Milon fut condamné comme assassin ; la volupté n'est ni un bien ni un mal. Enfin toute pensée si juste et si bien exprimée qu'elle prouve évidemment que telle chose est vraie ou fausse, est ce que les dialecticiens appellent axiome, ce que M. Varron appelle aphorisme (comme je l'ai déjà dit), et ce que M. Cicéron appelle proposition. Toutefois ce dernier assurait qu'il ne se servait de cette expression, que jusqu'à ce que, disait-il, il en eût trouvé une meilleure. Mais ce que les Grecs nomment conséquence, les Latins l'expriment tantôt par le mot adjunctum, et tantôt par le mot connexum.

Voici en quoi cela consiste : Si Platon marche, Platon agit ; s'il fait jour, le soleil est sur l'horizon. De même ce que les Grecs appellent connexion, les Latins le rendent par les termes conjunctum (11), ou copulatum. Voici ce que c'est : P. Scipion, fils de Paul, fut deux fois consul ; on lui décerna les honneurs du triomphe, et il remplit la charge de censeur, dans laquelle il eut pour collègue L. Mummius. Dans toutes les propositions de cette espèce, s'il se trouve une seule fausseté, quoique le reste soit vrai, le tout est néanmoins réputé faux. Par exemple, si, aux différents traits véritables que je viens de citer à l'égard de Scipion, j'ajoute : Et il vainquit Hannibal en Afrique, ce qui est évidemment une fausseté, toutes les autres choses que j'aurai dites en même temps seront regardées comme fausses, pour avoir été citées conjointement avec celle-ci qui est fausse. Quant à ce que les Grecs appellent axiome séparé, et que les Latins nomment disjunctum (12), en voici la forme : La volupté est un bien ou un mal ; ou elle n'est ni un bien ni un mal. Or, toutes les choses exprimées par ce genre de proposition doivent former une certaine opposition entre elles ; et leurs contraires, que les Grecs appellent opposés, doivent également former entre eux opposition, et dans tout ce que renferme un axiome divisé, une seule chose doit être vraie, et le reste faux. Si le tout était faux ou si le tout était vrai, ou même si plus d'une chose était vraie ; ou si les choses que renferme la proposition n'étaient pas opposées entre elles, ou bien si leurs contraires ne formaient pas aussi entre eux opposition, alors l'axiome divisé serait faux, et s'appellerait vicieux. Tel est celui-ci dans lequel les contraires ne sont point opposés entre eux : Ou vous courez, ou vous marchez, ou vous vous arrêtez. Ces choses sont, il est vrai, opposées entre elles, mais leurs contraires ne forment point d'opposition. Car ne point marcher, ne point s'arrêter, ne point courir, n'implique nullement contradiction en ce que l'on ne considère comme impliquant contradiction, que les choses qui ne peuvent pas être vraies en même temps. Or l'on peut très bien dans le même temps ne point marcher, ne point s'arrêter et ne point courir. Maintenant il me suffit d'avoir donné ce court essai sur la dialectique, et la seule chose qu'il me reste à faire observer, c'est que l'étude de cette science a coutume de paraître d'abord sèche, méprisable, dégoûtante et inutile ; mais que, quand on a déjà fait quelques progrès dans cette doctrine, et qu'on en a une fois saisi l'esprit, on trouve un plaisir singulier à la cultiver de plus en plus au point même que, si l'on ne met un frein à l'ardeur que l'on ressent pour ce genre d'étude, on court grand risque de s'engager, comme bien d'autres, à un tel point, dans les subtilités de la dialectique, assez semblables aux demeures des Sirènes, que l'on finit par y passer insensiblement sa vie entière.

CHAPITRE IX.

Ce que signifie cette expression, susque deque, que l'on rencontre très fréquemment dans les anciens auteurs.

Susque deque fero, ou susque deque habeo (cela m'est égal), car l'un et l'autre se disent, est une manière de s'exprimer familière aux savants, et dont les anciens ont fait usage assez souvent, tant dans leurs poésies que dans leurs lettres. Toutefois on trouvera plus de gens qui emploient cette locution qu'on n'en trouvera qui comprennent bien ce qu'elle signifie. Car, pour l'ordinaire, quand on découvre quelque expression dont l'usage n'est point fréquent, on s'empresse plutôt de s'en servir que d'en étudier la signification. Susque deque ferre signifie donc, être d'un caractère indifférent, être insensible aux événements, quelquefois même n'y pas prendre garde et les mépriser. En un mot, c'est à peu près ce que les Grecs appellent être plein d'indifférence. On lit dans la comédie de Labérius intitulée les Compitales :

Vous êtes maintenant plongé dans l'indifférence ; vous ne vous inquiétez de rien (susque deque fers), pendant qu'un méprisable et insolent valet tient mille propos impudents en présence de votre épouse étendue sur le lit de douleur.
M. Varron, dans celui de ses ouvrages qui a pour titre Sisenna ou de l'Histoire, dit : Que serait-ce donc si la suite de toutes les choses n'était pas conforme à leur commencement, et si tout cela se trouvait être indifférent (susque deque esset) ? Lucilius dit, au troisième livre de ses Satires :

Mais ce n'était là qu'un jeu, et rien ne nous embarrassait en chemin (susque omnia deque). Oui, dis je, ce n'était là qu'un jeu pour nous, et nous méprisions tout obstacle (susque et deque fuere). La difficulté de la route fut quand nous arrivâmes aux environs de Sétines (13), où il nous fallut gravir de hautes montagnes aussi rudes et aussi escarpées que l'Athos et que l'Etna.

CHAPITRE X.

Des citoyens appelés prolétaires, et capitecenses ; de ceux appelés, dans les douze Tables, les riches (assidui). Explication de ce mot.

PENDANT un de ces jours de vacance du barreau, que les Romains ont coutume de consacrer aux amusements, on lisait, dans une assemblée nombreuse, ces vers du troisième livre des Annales d'Ennius :

Le citoyen prolétaire, par décret des magistrats, reçoit un bouclier et une épée. On l'arme d'une épée, afin qu'il fasse la garde autour des murs de la ville et du sénat.

A cette lecture, quelqu'un ayant demandé ce que le poète entendait par ce mot prolétaire, je jetai les yeux sur un de mes amis, profond jurisconsulte, et je le priai de nous expliquer le sens de cette expression. Moi, répond mon ami, je suis homme de loi et non pas grammairien. C'est précisément pour cela, repris-je, que nous nous adressons à vous, puisque cette question appartient au droit civil dans lequel vous êtes instruit. Car Q. Ennius a pris ce mot dans vos lois des douze Tables, dans lesquelles, autant que je puis m'en souvenir, on trouve ces paroles : UN CITOYEN RICHE, MIS EN PRISON PAR DES CRÉANCIERS, NE PEUT EN SORTIR QUE SUR LA CAUTION D'UN HOMME RICHE ; CELLE DE TOUT CITOYEN SUFFIT POUR LE PROLÉTAIRE. Nous vous prions donc de nous interpréter, non pas les Annales de Q. Ennius, mais le texte même de la loi des douze Tables, et de nous dire ce qu'y signifie le mot prolétaire. Vous auriez raison d'exiger cela de moi, reprit le jurisconsulte, si j'avais étudié les institutions des anciens sujets de Faune et des Aborigènes ; mais comme les mots PROLÉTAIRES, LES RICHES, LES SANATES, LES CAUTIONS, LES SECONDES CAUTIONS, LES AMENDES DE VINGT-CINQ AS, LES TALIONS, LA PERQUISITION DES VOLS PAR LES CORDONS ET LE BASSIN (14), et tout le vieux langage des douze Tables ont été abrogés par la loi Aebutia, excepté dans les causes centumvirales, je n'ai dû m'attacher qu'à la connaissance des termes et des règlements de la législation actuelle. Comme il achevait ces mots, nous aperçûmes le poète Julius Paulus, homme plein d'érudition, qui, je ne sais par quel hasard, passait alors par cet endroit. Nous le saluons et l'invitons à nous donner l'interprétation du mot qui nous embarrassait.

Les citoyens romains de la dernière classe, nous dit-il aussitôt, ceux qui étaient les plus pauvres, qui, dans le cens de la république étaient marqués ne posséder que quinze cents as (15), étaient appelés prolétaires. Ceux qui n'avaient, ou rien ou presque rien, étaient nommés capitecenses (16) ; les derniers de cette classe ne possédaient pas plus de trois cents quatre-vingts as (17). Or, comme la richesse des possessions était considérée comme un motif d'attachement à la République, et qu'on la regardait comme un des liens les plus forts qui unissaient le citoyen à la patrie, jamais, excepté dans les plus pressants dangers, on n'enrôlait les prolétaires ni les capitecenses, à cause de l'indigence et de la pauvreté qui étaient ordinairement le partage de leur condition. Toutefois la condition des prolétaires était meilleure que celle des capitecenses, car dans les circonstances difficiles de la République, lorsque les enrôlements étaient précipités et qu'on manquait de jeunesse pour recruter les armées, on les incorporait dans les légions, et l'état leur fournissait des armes. On ne les nommait pas prolétaires, d'après la modicité de leurs possessions, mais d'après leur destination qui était de créer des enfants, ce qu'exprime en effet ce mot. Car ne pouvant, à cause de leur pauvreté, prendre les armes pour le service de la République, ils contribuaient à la soutenir en multipliant ses sujets et ses forces. Rome ayant essuyé de cruels revers au temps de C. Marius, on rapporte que cet illustre général prêt à combattre les Cimbres, ou plutôt Jugurtha, comme l'assure Salluste, prit le parti d'enrôler les capitecenses, et le premier appela au service militaire cette dernière classe de citoyens, chose qui ne s'était jamais vue jusqu'alors. Le RICHE, désigné par la loi des Douze Tables, a été ainsi nommé, ou bien à cause de son opulence qui le mettait à portée de faire des dons gratuits à la République, toutes les fois que ses besoins l'exigeaient ou bien à cause des dépenses continuelles que ses revenus considérables lui donnaient la faculté de faire pour l'entretien de sa maison. Mais voici, extraites de l'Histoire de Jugurtha, les paroles de Salluste qui concernent le consul C. Marius, et les capitecenses : Marius, dans ces circonstances, choisit les soldats, non pas selon l'usage de nos ancêtres dans les premières classes qui avaient coutume d'en fournir, mais il admit indifféremment tous ceux qui se présentèrent, et qui pour la plupart se trouvèrent être de la classe des capitecenses. Les uns prétendent qu'il tint cette conduite parce qu'il était sans argent ; d'autres disent que ce fut pour se ménager de nouveaux consulats, parce qu'il devait son élévation à cette dernière classe du peuple, et qu'ordinairement le moindre citoyen est le plus propre à servir les vues d'un ambitieux.

CHAPITRE XI.

Histoire de la mort des Psylles, peuples qui habitaient les côtes d'Afrique, tirée des livres d'Hérodote.

On prétend que les Marses, peuple de l'Italie, descendent d'un fils de Circé. Dans les familles de cette nation qui n'ont point corrompu la source de leur origine en mêlant leur sang avec celui des étrangers, la nature perpétue le privilège de ne point craindre les serpents les plus venimeux, et d'opérer des cures miraculeuses avec des sucs d'herbes auxquels elles appliquent des charmes secrets. Nous voyons que l'opinion publique attribue la même puissance à certains peuples appelés Psylles (18). En cherchant dans les anciens mémoires historiques quelques renseignements sur cette nation, j'ai trouvé, dans le quatrième livre d'Hérodote, la fable suivante. Les Psylles étaient des peuples de l'Afrique, voisins des Nasamoniens. Le vent du midi ayant soufflé longtemps et avec violence sur leurs terres, il en dessécha jusqu'à la dernière goutte d'eau. Les Psylles outrés de ce traitement, conçurent contre le vent une colère si violente, que la nation ordonna de prendre les armes et de marcher contre lui comme à l'ennemi commun, afin de le forcer par les voies de la guerre à rendre l'eau qu'il leur avait enlevée. Pendant que l'armée s'avançait, un tourbillon impétueux s'échappe du midi, la choque, la renverse et l'ensevelit sous des montagnes de sable accumulé, sans qu'il reste un seul homme de cette nation en sorte que les Nasamoniens s'emparèrent du pays qu'ils occupaient.

CHAPITRE XII

Des expressions dont Cloatius Verus rapporte l'origine à la langue grecque, quelquefois avec assez de vraisemblance mais quelquefois aussi avec assez peu de justesse et de raison.

Cloatius Vérus, dans les livres qu'il a intitulés des Termes qui nous viennent des Grecs, dit des choses vraiment curieuses et qui prouvent des recherches pleines de sagacité ; mais il y hasarde aussi des remarques non moins vaines que futiles. Errare (errer) vient, dit il, de ἔρρειν (marcher tristement), et il cite pour exemple ce vers d'Homère, dans lequel se rencontre cette expression :

Sors (ἔρρε) de l'île promptement, ô le plus méchant des hommes !

De même il fait dériver alucinari (se tromper), du mot grec ἀλύειν (errer à l'aventure) ; d'où l'on a fait elucum, en changeant a en e, pour exprimer cette sorte de stupeur et de pesanteur d'esprit naturelle à ceux qui divaguent. De même encore, il fait venir fascinum (charme ou maléfice) de βάσκανεν (qui fascine), et fascinare (enchanter ou ensorceler) de baskainein (fasciner). Toutes ces dérivations paraissent fort naturelles et fort justes; mais au livre quatrième, il dit : fenerator (usurier) a pris son nom (comme φαινερατωρ) de ce que cette profession paraît une des plus utiles puisqu'en effet ces sortes de gens semblent faire un acte d'humanité, en procurant de l'argent aux indigents qui en désirent. Tel est d'ailleurs, selon lui, le sentiment d'un grammairien nommé Hypsicrate, dont les écrits sont remplis de remarques fort justes sur l'étymologie des mots qui viennent du grec. Mais, que ce soit Cloatius lui-même, ou que ce soit quelque autre écrivain sans pudeur qui ait osé avancer une semblable sottise, ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne peut rien dire de plus insensé. En effet, fenerator vient de fenus (usure), comme l'a dit M. Varron, dans son troisième livre sur la langue latine, en ces termes : fenerator vient de fenus, qui lui-même est dérivé de fetus (production), et se dit du produit toujours croissant qui naît de l'argent prêté à intérêt. A cette occasion il rapporte que M. Caton, et tous ceux qui vivaient de son temps, écrivaient fenerator sans employer la lettre a  comme on le fait à l'égard de fetus et de fecunditas (fécondité).

CHAPITRE XIII.

Quelles sont les villes municipales, et en quoi elles différent des colonies. Ce qu'on entend par municipaux ; étymologie de ce mot. Paroles que l'empereur Adrien prononça dans le sénat, relativement aux droits et au nom des municipaux.

Villes municipales et citoyens municipaux (19) sont des termes communs et fréquemment employés, dont tout le monde pense entendre parfaitement la signification. Cependant il n'en est point tout à fait ainsi : on ne voit pas un seul d'entre nous qui, sortant d'une colonie romaine, ne se dise municipal, et n'accorde à ses concitoyens le titre de municipaux. Mais, quelle erreur ! Nous ignorons ce qui constitue les villes municipales, quelles sont leurs prérogatives, en quoi elles diffèrent des colonies, et nous croyons leur condition meilleure que celle de ces dernières. C'est une opinion très générale, dont l'empereur Adrien combattit la fausseté d'une manière très habile, dans son discours au sénat sur les habitants d'Italica, lieu de sa naissance. Je suis fort surpris, dit l'empereur, de ce que mes compatriotes, et quelques autres anciennes villes municipales parmi lesquelles on peut nommer Utique, pouvant se gouverner par leurs lois et leurs usages primitifs, aient témoigné un si vif désir d'acquérir le titre de colonies. Rappelez-vous que les habitants de Préneste firent les derniers efforts et eurent recours aux plus humbles supplications, pour obtenir de l'empereur Tibère de passer de la classe des colonies dans celles des villes municipales. Cet empereur le leur accorda comme une grâce spéciale, en reconnaissance ce que dans leurs murs il était relevé d'une maladie très dangereuse. Les municipaux sont donc les citoyens des villes soumises à leurs règlements et à leurs usages particuliers : ils partagent avec les habitants de Rome l'honneur de la bourgeoisie romaine (munus), d'où l'on a formé le nom municipal, sans autre dépendance de Rome ou de ses lois, que d'être inviolablement attachés à ses intérêts. Nous voyons que la ville de Caerite, dont les murs avaient servi d'asile aux divinités de Rome, pendant l'invasion des Gaulois, fut honorée la première du titre de municipale. On permit à ses habitants de prendre la qualité de citoyens romains, mais on les priva du droit de suffrage, et de celui d'aspirer aux dignités de la République. De là, dans un autre sens le nom de tables de Caerite donné aux rôles sur lesquels les censeurs écrivaient le nom des citoyens que leur mauvaise conduite faisait déchoir du droit de suffrage. Mais le lien des colonies à la métropole est d'une autre espèce. Elles ne sont point étrangères à la République, et n'ont point de fondements différents. Ce sont des émanations de la capitale, sur lesquelles les lois et la jurisprudence romaine exercent leur empire, et qui ne peuvent admettre d'autre espèce de gouvernement. Quoique les colonies soient moins libres et beaucoup plus assujetties que les villes municipales, elles paraissent néanmoins retenir plus de gloire et plus d'éclat, à cause de la splendeur et de la majesté du peuple romain, dont ces petites images réfléchissent quelques faibles rayons, surtout parce que les villes municipales ont laissé le temps obscurcir la plupart de leurs droits, et qu'elles ne s'en servent plus faute de les connaître.

CHAPITRE XIV.

Que M. Caton a établi une différence entre la signification de festinare. et celle de properare. Combien Verrius Flaccus a interprété maladroitement le sens de ce premier verbe.

Festinare et properare sont deux mots qui paraissent bien signifier la même chose et se prendre dans le même sens. Cependant M. Caton trouve qu'ils diffèrent essentiellement dans la signification, et voici comment il établit cette différence dans son discours sur ses Vertus : autre chose est properare (se hâter), autre chose est festinare (se presser). On dit de celui qui expédie une chose avec promptitude, is properat (il se hâte) ; mais l'on dit, en parlant de celui qui entreprend beaucoup de choses et n'en achève aucune, is festinat (il se presse). Verrius Flaccus voulant expliquer la raison de cette différence, dit : Festinat vient de fari (parler), en ce que ces gens sans énergie, qui ne sont capables de rien faire de parfaits, font ordinairement plus de bruit que de besogne. Mais cette étymologie me paraît absurde et forcée, et la première lettre ne peut avoir une telle influence dans l'une et dans l'autre expression, que par elle seule, deux mots, d'ailleurs si différents, doivent sembler renfermer une même signification. Il paraîtrait plus naturel et plus vraisemblable de regarder festinare, comme étant à peu près, la même chose que fessum esse (être accablé) ; car celui qui est accablé par le poids d'une multitude d'affaires qu'il veut expédier en même temps n'agit point alors avec la promptitude exprimée par properat mais avec l'espèce d'embarras signifié par festinat.

CHAPITRE XV.

Chose surprenante qu'on lit dans Théophraste, à l'égard des perdrix. Trait à peu près semblable que Théopompe nous a laissé, concernant les lièvres.

Théophraste, le philosophe par excellence, assure que dans la Paphlagonie (20), toutes les perdrix ont deux cœurs ; et Théopompe rapporte que, dans la Bisalthie (21), les lièvres ont deux foies.

CHAPITRE XVI.

Qu'on a donné le nom d'Agrippa à ceux qui naissent avec peine et avec douleur pour leurs mères. Des deux déesses Prosa et Postverta.

Ceux qui naissent, non la tête, mais les pieds devant (ce qui est regardé comme l'enfantement le plus difficile et le plus douloureux), ont reçu le nom d'Agrippa, mot formé de aegritudo (douleur ), et de pes (pied ). Les enfants, au rapport de Varron, ont dans le sein de la mère la tête en bas et les pieds en haut, selon la nature des arbres et au contraire de celle des hommes. Car la cime des arbres est ce qu'il nomme leurs pieds et leurs jambes, et leur souche ce qu'il appelle leur tête. Or, dit-il, quand il arrive que, contre l'ordre de la nature, les pieds viennent à sortir les premiers ; les bras, qui le plus souvent se trouvent étendus, deviennent un obstacle à la sortie du reste du corps ; alors les femmes ont beaucoup plus de peine à supporter les travaux et les douleurs de l'enfantement. Pour détourner un semblable danger, on a élevé à Rome des autels aux deux Carmentes (22). Ces divinités s'appellent, l’une Postverta, et l'autre Prosa ; du nom d'un enfantement facile et de la dure épreuve d'enfantement difficile et laborieux.

CHAPITRE XVII

Etymologie du mot Vatican.

On a coutume de dire que le mot Vatican (23) doit son nom aux oracles (vaticinia) qui s'y rendaient fréquemment, et que l'on croyait devoir à la divinité qui préside à ce quartier de Rome. Cependant M. Varron, dans ses livres des Choses divines, donne à ce nom une autre étymologie. De même, dit-il, que le dieu Aius (24) fut ainsi nommé, et qu'on lui consacra un autel et une statue que l'on voit au bas de la rue Neuve, parce que nos ancêtres entendirent dans ce lieu une voix céleste , de même on appela Vatican le dieu qui présida aux premiers accents de la voix humaine, car dès l'instant que les enfants viennent au monde, ils prononcent la première syllabe de Vatican ; c'est ce que nous appelons vagire, terme qui exprime le premier son qui sort de la bouche des nouveau-nés.

CHAPITRE XVIII.

Observations non moins intéressantes qu'utiles sur la perspective, la canonique et la dimension.

LA perspective est la partie de la géométrie, qui concerne ce qui a rapport à la vue ; la canonique, que les musiciens regardent comme le fondement de leur art, est celle qui traite de l'oreille. Les principes de l'une et de l'autre de ces sciences s'expliquent par des lignes et par des nombres. La première offre des phénomènes singuliers. Dans un miroir, par exemple, on aperçoit l'image du même objet répété plusieurs fois. Il y a aussi une manière de le placer pour que rien ne s'y représente, et une autre pour que les images viennent s'y peindre. On voit encore de certains miroirs qui, lorsqu'on se représente droit devant eux, vous font paraître la tête en bas et les pieds en haut. Cet art fait connaître aussi les causes pour lesquelles la vue nous trompe quelquefois ; et d'où vient qu'un objet paraît plus grand lorsqu'il est aperçu dans l'eau, et plus petit quand on le découvre de loin. La canonique s'applique à mesurer l'étendue et l'élévation de la voix. On appelle nombre, sa plus grande étendue ; et modulation, le dernier terme auquel elle peut s'élever. Une autre partie de la géométrie que l'on appelle dimension, combine, d'après les principes généraux de cette science, l'assortiment des syllabes longues et brèves qui peut plaire à l'oreille. Mais dit M. Varron, ou nous négligeons entièrement ces sortes d'études, ou nous nous arrêtons avant d'entrevoir le but auquel elles peuvent conduire. Il n'est possible, ajoute-t-il, de découvrir l'agrément et l'utilité de ces connaissances, que lorsqu'on en a sondé les profondeurs, et qu'on y est consommé ; car les éléments ne présentent que dégoût et futilité.

CHAPITRE XIX.

Histoire du musicien Arion, tirée des écrits d'Hérodote.

Hérodote a écrit l'histoire singulière d'Arion (25), ce fameux joueur de lyre, dans un style non moins rapide et coulant que plein d'élégance et de naturel. Arion, dit-il, s'acquit la plus grande célébrité par son talent à marier les accents de sa voix au son de la lyre. Ce musicien fameux, qui vivait dans les premiers âges du monde, naquit à Méthymne, et passa les premières années de sa vie, dans l'île de Lesbos. Périanthe (26), roi de Corinthe, plein d'admiration pour son talent, lui témoigna de la bienveillance et même de l'affection. Toutefois le célèbre artiste s'éloigna de sa personne, dans le dessein de visiter la Sicile et l'Italie, pays de tous temps renommés. Dans ces contrées, il enchanta tous les habitants des villes qu'il parcourut, par la beauté de ses vers et la douceur de ses accords. Après être devenu les délices et l'amour de ces charmants pays, et y avoir amassé d'immenses richesses, Arion forma le dessein de retourner à Corinthe. Il choisit donc un vaisseau dont les matelots étaient de cette ville, croyant pouvoir leur confier avec plus de sûreté sa fortune. Mais les Corinthiens, après l'avoir pris à bord, et avoir gagné la pleine mer, forment le dessein de se défaire de lui, pour s'emparer de ses trésors. Arion s'étant aperçu du danger qui le menaçait, offre aux matelots de leur distribuer tout ce qu'il possède, et les prie de lui laisser seulement la vie. Tout l'effet que ses supplications et de ses larmes produisirent sur le cœur  de ces barbares, fut d’obtenir qu'ils ne tremperaient pas leurs mains dans son sang, à condition que, sur l'heure, il se précipiterait lui-même dans les flots. Consterné de ce qu'il entend, et perdant toute espérance de sauver ses jours, Arion sollicita une dernière grâce : qu'on lui permette de se revêtir de ses habits les plus précieux, de prendre sa lyre, et de mourir en chantant son malheur. Ces marins féroces et insensibles eurent cependant la curiosité de l'entendre, et lui accordèrent sa demande. Aussitôt, s'étant paré, comme il avait coutume de le faire dans des jours bien différents de celui-ci, de ce qu'il avait de plus élégant et de plus brillant dans ses habillements, il se place au haut de la poupe, entonne une chanson d'un son de voix éclatant et militaire (27) ; et en finissant, se précipite dans la mer avec ses ornements et sa lyre. Les matelots, bien persuadés qu'il a péri, poursuivent tranquillement leur route. Mais un incident, non moins singulier que digne d'admiration, sauva Arion d'une manière vraiment surprenante. Pendant qu'il luttait contre les vagues, un dauphin vient, le reçoit sur son dos, le tient élevé au-dessus des eaux, et le porte en nageant jusqu'au promontoire de Ténare, dans la Laconie, où il le dépose sain et sauf avec tous ses ornements. Arion se rendit de là droit à Corinthe, et alla aussitôt se présenter au roi Périandre, tel qu'il avait été laissé sur le rivage par le dauphin. Il raconta au prince son aventure ; mais celui-ci, la regardant comme une fable, le fit mettre en prison. Cependant, ayant soin de tenir l'arrivée d'Arion secrète, il fait venir les matelots aussitôt après leur débarquement, et leur demande ce qu'on disait de lui dans le pays qu'ils venaient de quitter ? Ils répondent qu'ils l'ont laissé en Italie, jouissant d'une bonne santé, admiré et chéri de toutes les villes, comblé d'honneur et nageant dans l'opulence. A peine ont-ils achevé ces mots, qu'on voit paraître Arion jouant sa lyre et revêtu des mêmes habits avec lesquels il s'était précipité dans la mer. Alors les matelots, interdits et convaincus, sont obligés d'avouer leur crime. Cette histoire se répandit dans Corinthe, dans toute l'île de Lesbos ; elle fournit le sujet d'un groupe d'airain qu'on voyait au promontoire de Ténare (28) et qui représentait un dauphin nageant et portant un homme sur son dos.

(01)   Caton. C'est le fameux Caton d'Utique, qu'on appelle le dernier des Romains. On raconte un trait de sa jeunesse, dans lequel le lecteur verra peut-être autant de férocité que d'attachement à la République. Caton n'avait alors que quatorze ans. Par ordre de sa famille, souvent Sarpédon, son gouverneur, le menait faire sa cour à Sylla. Celui-ci recevait toujours favorablement le jeune romain. Un jour Caton aperçut auprès de Sylla un monceau de têtes coupées. « Quel bourreau, dit-il à son gouverneur ! Qui peut empêcher les Romains de joindre sa tête à celles de tant de morts ? - La crainte, répondit Sarpédon ; elle a plus d'empire que la haine sur des cœurs  découragés. - Qu'on me donne un poignard, reprit Caton, j'oserai seul ce que tout Rome refuse d'entreprendre. » Sarpédon fut surpris de la résolution de son élève ; mais il se garda bien de le conduire jamais chez Sylla. 

(02Numance. Ville de l'Espagne tarragonnaise, renversée de fond en comble par les Romains, l'an de Rome six cent trente-deux, cent trente-trois ans avant Jésus-Christ. Sur ses ruines s'est formé un village nommé Puente-Garay.

(03)   De la dialectique. La dialectique ou la logique, cet art des sophistes qui a enfanté tant de disputes oisives que le simple bon sens n'aurait jamais imaginées, offre les règles subtiles qu'Aristote inventa et mania avec une adresse extrême. Ce grand homme s'est couvert de gloire par la découverte du syllogisme qui est, dit-on, le plus grand effort de l'esprit humain. Zénon, fondateur de la logique, n'avait pas été aussi loin.

(04) Cette faim insupportable que les Grecs appellent boulimie. Les Grecs appelaient βουλιμία une faim pressante et insatiable, comme s’ils eussent voulu dire par là une faim de bœuf ; car ce mot vient de λιμός, qui signifie faim, et de βοῦς ; qui signifie bœuf. Il est aisé de voir que cette expression répond à ce que les latins appelaient fames vesana, et à ce que nous entendons dans notre langue par une faim canine.

(05)   Rapporte l'ancienne formule etc. Rome avant de déclarer la guerre, envoyait toujours des ambassadeurs sommer les princes et les magistrats des villes dont elle avait à se plaindre, de réparer leurs torts ; et, à leur retour, ils rendaient fidèlement au sénat la réponse qu'on leur avait faite.

(06Vestibulum. Quelques-uns font dériver ce mot de Vesta, à qui l'entrée des maisons était consacrée.

(07Caldonie. Ce mot que je laisse ici, tel qu'il se trouve dans le texte, n'est point un nom propre, mais il signifie celle qui avait soin de faire chauffer l'eau des bains.

(08Malas malaxavi. Malaxare et malassare dérivent du mot grec Μαλάσσειν, et ont la même signification que malacissare dans Plaute.

(09Anna Perenna. C'était, selon Ovide, la déesse qui présidait aux années (per annos).

(10)   Labérius se sert de botulus au lieu de farcimen. Toutefois ces deux mots n'expriment pas précisément la même chose ; car on entend, par botulus, le boyau rempli de sang de porc, ce qu'on appelle communément du boudin ; au lieu que farcimen sert à exprimer le boyau de porc rempli de viande hachée et assaisonnée, et appelé ordinairement boudin blanc ou saucisse.

(11)  Conjunctum. Partie d'une proposition conditionnelle qui a rapport à une autre.

(12)  Disjunctum. Contraire de conjunctum.

(13)   Setines, aujourd'hui Sezze, dans les états du pape.

(14)  Le bassin. Ce mot exprime l'usage de l'ancienne Rome, dans les perquisitions pour cause de vol. Celui qui devait la faire entrait nu dans la maison suspecte, de peur que sous ses habits il ne cachât et ne fît trouver la chose qu'il prétendait lui avoir été volée ; il avait seulement la ceinture couverte d'une espèce de trame composée de plusieurs cordons assemblés, d'où pendait une espèce de bassin, pour ne point blesser la pudeur.

(15)  Quinze cents as. Vingt-six francs environ.

(16)  Capitecenses. Les citoyens les plus pauvres de Rome ne donnaient au censeur que leur nom pour être inscrit dans le cens public. C'était par tête qu'on en faisait mention, et non pas d'après l'état de leur fortune ; de là le mot capite censi.

(17)  Id. Trois cent quatre-vingts as. Un peu plus de six francs.

(18) L'opinion publique attribue la même puissance à certains peuples appelés Psylles. Plutarque assure que Caton, pour garantir son armée des morsures des insectes et des serpents, prit à sa suite quelques Africains de la nation des Psylles. Ce peuples passaient, dit-il, pour avoir reçu de la nature le don d'assoupir et de charmer les serpents, de leur causer la mort en les approchant, et de guérir, par la succion, ceux qui en auraient été mordus. Tous ces contes, publiés par Hérodote, Plutarque, Pline et Aulu-Gelle, ne méritent pas d'être relevés, et on ne les rapporte que comme des traits qui tiennent à l'histoire des opinions et des erreurs humaines.

(19) Villes municipales et citoyens municipaux. Les villes municipales et les colonies étaient des espèces de petites Républiques qui se conformaient, en beaucoup de points, à ce qui se pratiquait à Rome. Si les décrets de cette ville s'intitulaient senatus populusque romanus, la petite ville de Tibur se croyait aussi permis de dire senatus populusque tiburus. Les consuls de Rome étaient représentés dans les villes municipales par les duumvirs ; le sénat, par le collège de leurs décurions, auquel on donnait le titre d'ordre splendissime, très noble, très illustre, celui même de pères conscrits. Elles avaient des revenus publics pour les dépenses communes, des prêtres et des sacrifices particuliers. Il y avait même des villes municipales et des colonies dont les magistrats prenaient des noms plus distingués que celui de duumvir, et qui allaient jusqu'a prendre le titre de consul : Cela eut lieu surtout sous les empereurs, quand le consulat de Rome ne consista presque plus que dans le nom que les consuls donnaient à l'année, et dans la marque de leur ancien pouvoir. Il n'en était pas du consulat des villes municipales comme du consulat de Rome. Dans cette première ville de l'empire, celui qui était nommé consul ne l'était de droit qu'une année, au lieu que, dans les municipales la magistrature consulaire continuait plusieurs années de suite. Il était nécessaire que la première année où les magistrats entraient en charge fût désignée par les mots consulatu primo, puisque l'on savait que la seconde le serait par ceux-ci consulatu secundo, à moins que le consul ne mourût.

(20)  La Paphlagonie. Province de l'Asie mineure, sur les bords du Pont Euxin.

(21)  La Bisalthie. Province de la Macédoine, arrosée par le Strymon.

(22)  Aux deux Carmentes. Les Carmentes étaient deux divinités, dont l'une passait pour la mère d’Evandre. Des dames romaines, que le grand nombre des enfants qu'elles avaient eus faisait distinguer des autres, élevèrent un temple à celle-ci.

(23)   Le mont Vatican. Il comprenait le Janicule et toutes les collines depuis le pont Milvius jusqu'à la rive du Tibre qui était vis-à-vis du mont Aventin. Il était séparé par le Tibre du théâtre de Pompée.

(24)  Le dieu Aius. Aius-Locutius, dieu de la parole, honoré par les anciens Romains, sous ce nom extraordinaire. Lorsque les Gaulois entrèrent en Italie, une voix sortie du bois de Vesta fit entendre ces mots : «  Si vous ne relevez les murs de la ville, elle sera prise. » On négligea cet avis ; les Gaulois parurent, et Rome fut saccagée. Après leur retraite, on se rappela l'oracle, et on éleva un temple et des autels au dieu Aius-Locutius. Cicéron dit que quand ce dieu n'était connu de personne, il parlait ; mais qu'il s'était tu depuis qu'il avait un temple et des autels, et que le dieu de la parole était devenu muet, aussitôt qu'il avait été adoré.

(25)   L'histoire singulière d'Arion. Toute fabuleuse qu'est cette histoire, elle a été très accréditée dans l'antiquité, et la poésie ainsi que la sculpture, s'est souvent plu à la célébrer. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'Arion, ayant fait naufrage vers les côtes de la Laconie, se sauva sur le cap Ténare, où il fut accueilli avec hospitalité. Arion, selon l'opinion la plus probable, s'illustra vers la trente-huitième olympiade.

(26)  Périandre, tyran de Corinthe, fut mis au nombre les sept sages de la Grèce, quoiqu'il fût un monstre. Ayant consulté Denis, tyran de Syracuse, sur la manière dont il devait gouverner, celui-ci mena ses envoyés dans les champs, et pour toute réponse, il arracha devant eux les épis qui passaient les autres en hauteur. Périandre profita de la leçon, et mourut détesté, cinq cent quatre-vingt-huit ans avant Jésus-Christ, après avoir exercé pendant quarante-quatre ans la tyrannie que son père lui avait transmise en héritage.

(27)  Entonne une chanson d'un son de voix éclatant et militaire. Le carmen orthium, que l'on voit dans le texte, signifie des vers adaptés à quelques airs vifs et perçants qui retraçaient les sons aigus du clairon et des autres instruments guerriers.

(28)   Au promontoire de Ténare. Ce promontoire, situé à l'extrémité méridionale du Péloponnèse se nomme aujourd'hui cap Matapan. Au même endroit était une ville aussi appelée Ténare.