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table des matières d'Aulu-Gelle

 

AULU-GELLE

LES NUITS ATTIQUES

PRÉFACE


 

On peut trouver d'autres ouvrages plus attrayants que celui-ci ; mon but, en le composant, a été de préparer à mes enfants des sujets de délassement dans les intervalles de repos que les affaires laisseraient à leur esprit. J'ai suivi l'ordre fortuit dans lequel s'étaient présentés mes extraits. Toutes tes fois que j'avais en main un livre grec ou latin, ou que j'entendais rapporter quelque chose de remarquable, dès que mon attention était frappé et sur quelque sujet que ce fût, je prenais des notes sans ordre et sans suite. C'étaient, pour ainsi dire, des provisions littéraires, que je mettais en réserve pour aider ma mémoire : ainsi, quand j'avais besoin d'un fait ou d'un mot, et que ma mémoire me faisait défaut ou que je n'avais pas à ma disposition les livres originaux, j'avais un moyen facile de les trouver et de les mettre au jour. Cet ouvrage présente donc la même incohérence de matière que ces notes premières, prises à la hâte, sans méthode, sans ordre, au milieu de recherches et de lectures de toutes sortes. Comme c'est dans la campagne de l'Attique, et pendant les longues nuits d'hiver, que je me suis amusé à composer ce recueil, je l'ai intitulé Nuits attiques, sans rechercher l'élégance du titre, comme l'eût fait la plupart les auteurs d'écrits semblables dans les langues grecque et latine. A des oeuvres d'une érudition variée, mélangée et presque confuse, ils ont voulu donner des titres ingénieux et analogues à la nature du livre. Ainsi, les uns ont pris pour titre les Muses, les autres, les Bois ; celui-ci, le Voile ; celui-là, la Corne d'Abondance ; l'un, la Ruche, la Prairie, mes Lectures ; un autre, Lectures attiques, la Parterre, Découvertes ; quelques-uns, les Flambeaux, Mélanges ; plusieurs, Pandectes, l'Hélicon, Problèmes, Manuels, Poignard ; d'autres encore, Souvenirs, Réalités, Digressions, l'École, Histoire de la nature, Histoire universelle, la Pré, le Verger, Lieux communs ; un grand nombre, Conjectures ou Épîtres morales, Questions épistolaires, Questions mélangées ; et bien d'autres titres plus coquets encore, qui tous ont un parfum d'élégance. Pour moi, modeste selon ma position, sans recherche, sans prétention, avec une simplicité presque rustique, j'ai pris pour titre Nuits attiques, du temps et du lieu même où se sont passées mes veilles d'hiver : en sorte que mon livre le cède à tous les autres pour l'éclat du titre, comme il le cédait déjà pour la pureté et l'élégance du style. Cependant, dans mes notes et extraits, je n'ai pas suivi la même méthode que la plupart de mes devanciers. Presque tous, en effet, et surtout les Grecs, dans leurs lectures immenses et variées, marquaient, comme on dit, d'une raie blanche tous les détails qu'ils rencontraient, sans le moindre discernement : Ils ne visaient qu'a la quantité ; et l'attention du lecteur succombera de lassitude ou d'ennui avant d'y trouver un ou deux passages d'une lecture attrayante, qui cultivent l'esprit ou enrichissent la mémoire. Pour moi, j'avais toujours devant les yeux la maxime d'Héraclite d'Éphèse, ce sage si renommé : « L'excès de connaissances ne profite pas à l'esprit. » Je me suis attaché, sans réserve et jusqu'à la fatigue, à parcourir un nombre infini de volumes, dans tous les moments de loisir que j'ai pu dérober aux affaires ; mais je n'en ai recueilli que bien peu d'extraits ; je n'ai pris que ce qui m'a paru propre, soit à entretenir dans les esprits, libres et dégagés d'autres soins, le goût des connaissances honnêtes, et à leur rendre facile et prompte l'étude des arts utiles, soit à préserver d'une ignorance grossière et honteuse des mots et des choses les personnes dont la vie est préoccupée de travaux tout différents. Si l'on rencontre dans ce recueil quelques détails minutieux et subtils sur la grammaire, la dialectique ou la géométrie, ou quelques notions abstraites sur le droit des augures et des pontifes, il ne faut pas les laisser de côté, comme inutiles à connaître ou difficiles à comprendre. Je ne me suis pas livré, sur ces matières, à de profondes et obscures recherches je me suis borné à offrir les principes élémentaires des sciences libérales, qu'il est, sinon funeste, du moins honteux, pour un homme bien élevé d'ignorer entièrement.

Je crois donc devoir adresser une prière aux personnes qui pourraient avoir le temps et le désir de connaître cet opuscule : c'est de ne pas regarder avec dédain, comme par trop vulgaires, les choses que déjà elles avaient apprises ailleurs : car qu'y a-t-il dans les lettres de si caché qui ne soit découvert à un certain nombre d'intelligences ? Et il suffit, pour ma justification, que ce ne soient pas des notions ressassées dans les écoles ou rabattues dans les livres. Si parfois, au contraire, le lecteur rencontre des aperçus entièrement nouveaux pour lui, il devra, ce me semble, pour être juste, examiner sans prévention si ces courtes et rares leçons, loin de n'offrir à l'étude qu'un aliment inutile, ou de ralentir l'ardeur de l'esprit, ne renferment pas les éléments nécessaires pour développer et fortifier les dispositions naturelles, affermir la mémoire, assouplir le discours, épurer le langage, lui donner plus d'agrément dans la conversation, de solidité dans les luttes oratoires. Quant aux passages qui sembleront manquer de clarté, et n'être ni assez complots ni assez développés, je prie le lecteur de se rappeler que j'ai moins voulu lui donner un renseignement que lui fournir des indices, dont il pût suivre la trace, pour pousser plus loin son instruction, si bon lui semblait, en recourant à des livres ou à des maîtres. Si l'on croit avoir à relever quelques erreurs, on s'en prendra, si on l'ose, aux sources où j'ai puisé ; d'ailleurs, il ne faudrait pas se hâter de blâmer toutes les propositions qu'on trouverait contredites par d'autres écrivains : on doit peser les raisons et les autorités de part et d'autre. Je m'attache surtout à ce dernier avis : que les hommes pour qui lire, écrire, méditer, ne fut jamais ni un plaisir ni une occupation, qui jamais n'ont consacré leurs veilles à de semblables travaux, dont l'esprit jamais n'a été poli par les études, les recherches, les discussions et les luttes ordinaires entre rivaux de science ; que ces hommes, tout entiers à leurs passions et à leurs affaires, s'éloignent de ces Nuits, et qu'ils aillent chercher d'autres plaisirs. Il est un vieil adage :

Il n'y a rien de commun entre la musique et le geai, entre la marjolaine et le cochon.

Et même, dussent s'en irriter davantage la méchanceté et l'envie de quelques ignorants, j'emprunterai à un chœur d'Aristophane quelques vers anapestes ; et la loi que ce spirituel autour imposait aux spectateurs de sa pièce, je veux l'imposer aux lecteurs de ce recueil, pour empêcher un vulgaire ignorant, étranger au commerce des muses, d'y porter une main sacrilège. Voici les vers où le poète porte cette loi :

Qu'ils fassent silence, qu'ils se retirent loin de nos choeurs, ceux qui ne sont pas initiés à nos secrets, dont la pensée n'est pas pure, qui n'ont jamais vu ni célébré les mystères des nobles muses; je le leur dis et répète, qu'ils se retirant loin de ce chœur. Et vous, commencez les chants et les réjouissances nocturnes qui conviennent à cette fête.

Jusqu'ici j'ai écrit vingt livres de mémoires. Pendant le reste des jours qu'il plaira aux dieux de m'accorder encore, tous les moments de loisir que me laisseront le soin de mes affaires domestiques et l'éducation de mes enfants; toutes les heures dont je pourrai disposer librement, je les consacrerai à recueillir les matériaux de nouveaux mémoires. Le nombre de mes livres, si les dieux me prêtent assistance, ira donc progressivement avec celui des jours qui peuvent me rester ; et je désire ne prolonger ma vie, qu'autant que je serai capable de continuer ces travaux littéraires. J'ai rassemblé ici les titres des différents chapitres, afin que le lecteur puisse voir sur-le-champ les sujets que j'ai traités, et la place qu'ils occupent dans chaque livre. Nous ne reproduirons pas ici les sommaires des chapitres, attendu qu'ils ont déjà été placés chacun en tête du chapitre auquel il se réfère.