Que sait-on d’Aristide Quintilien ? Pratiquement rien. C'est bien étrange quand il s'agit de l'auteur du plus complet des traités antiques consacrés à la musique, d'un homme dont on a pu dire qu'il « est peut-être, sur certains points du moins, l’un des théoriciens les plus originaux de la musique grecque.[1] »
Passage du texte grec du traité De la Musique d’Aristide Quintilien, tiré du volume intitulé A’RISTEI’DOY KOÏNTILIANOY || PERI || MOYSKÉHS || BIBAI’A G. || ARISTIDIS QVINTILIANI || DE || MUSICA || LIBRI III. || MARCVS MEIBOMIVS || Restituit, ac notis explicavit. || Volumen II. || AMSTELODAMI. || Apud Ludovicum Elzevirium, || cb bc lii. (page 158e, numérotée 150, col. 1ère, lig. 36—39 et col. 2de, lig. 31—34; pag. 159e , numérotée 151; pag. 160e, numerotée 152, col. 4, lig. 1—2 et col. 24e, lig. 1).
Zodiacum quippe dividi contigit in partes duodecim, numero aequales in Musica existentibus tonis, ac penimetro tnianguli rectanguli. Roc enim ex rationalibus omnibus primum constituimus. Quae enim ex minoribus quam istius sunt, lateribus constant rectangula triangula, unum utique irrationale habebunt , si quidem subtendentem ostensura sint aequa posse iis, quae rectum comprehendunt. Quare etiam quinarium primua esse inquiunt, qui rationalem ostendat diametrum. Talis autem trianguli, constantis, ut dixi, ex ternario, & quaternario, & quinario, si latera Arithmetice componamus , duodenarii completur summa. Adhaec quaternario ad utrumque reliquorum Arithmetice addito, nunc Septimestrium, nunc Novimestrium numerum significamus, quorum utroque perficitur genus humanum, ex mare & femina constitutionem habens; uti numerorum qui componuntur natura monstrat. Si vero ternanium quinariio addiderimus, ambo existentes masculi foetum qui nec nutritur, nec vitalis est Octimestrium designant. Quinetiam si latera quoque singula secundum profunditatem auxenimus. profunditas enim, corpotis est natura. fecerimus numerum ducenta sedecim, qui prope aequalis est numero Septimestrium. Rursus tribus illis inter se secundum profunditatem multiplicatis , & praedicto additis, Novimestnium numerum componimus, ducenta septuagintasex. In utrisque autem senarius est superfluus, Nuptialis existens ob causam ante dictam.
Traduit et annoté par M. A.- J.-H. Vincent.
Il se trouve en effet que le zodiaque a été divisé en douze parties, nombre égal à celui des tons de la musique et au périmètre du triangle rectangle qui est le premier de tous ceux que nous pouvons construire avec des côtés rationnels. Car les triangles rectangles formés de côtés plus petits auront tous un côté irrationnel, s'il est vrai de dire que le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des côtés de l'angle droit. C'est pourquoi l'on dit aussi que le nombre cinq est le plus petit qui présente un diamètre rationnel. Or, un tel triangle étant construit, ainsi que je l'ai dit, avec les côtés 3, 4, et 5, si nous additionnons les côtés, nous avons 12 pour somme. En outre, si nous ajoutons le 4 à chacun des deux autres nombres, nous obtenons, soit le nombre de 7 mois, soit le nombre de 9 mois, dont l'un ou l'autre est nécessaire pour mener à bien le [fœtus] humain, composé de mâle et femelle, comme le montre la nature des nombres ajoutés. Si au contraire nous ajoutons le 3 au 5, étant mâles tous deux, ils produisent un germe qui manque de nourriture et de vie, comme le montre l'intervalle des 8 mois résultants. De plus encore, si par multiplication nous formons un solide avec chacun des trois côtés (car la solidité est ce qui constitue la nature du corps) nous obtenons [par addition] 216 qui est presque égal au nombre des jours de 7 mois. Derechef, si nous faisons le produit solide des 3 nombres et que nous l'ajoutions au précédent, nous obtenons 276, nombre des jours de 9 mois, en observant toutefois qu'il y a dans tous deux surabondance du nombre 6, lequel est le nombre nuptial pour la cause précédemment dite.
NOTE DE M. A.-J.-H. VINCENT
Les mots soulignés sont la traduction de la phrase grecque: ἀλλ εἰ καὶ τῶν πλευρῶν ἑκάστην κατὰ βάθος αὐξήσαιμεν. βάθος γὰρ ἡ σώματος φύσις. ποιήσαιμεν ἂν τὸν διακόσια δεκαέξ : ce qui est conforme à la traduction de Meibomius: Quin etiam, si latera quoque singula secundum profunditatem auxerimus, profunditas enim corporis est natura, fecerimus numerum ducenta sedecim.
Ainsi donc κατὰ βάθος αὐξάνειν, secundum profunditatem augere, c'est faire le cube (d'un nombre).
traduit et annoté par M. Th. Henri Martin
Il s'est rencontré, que le zodiaque a été divise en 12 parties, nombre égal à celui des tons de la musique et au périmètre du triangle rectangle qui est le premier que nous puissions former avec des côtés tous rationnels (1). Car les triangles rectangles dont les côtés seraient plus petits que les siens auraient nécessairement un côté irrationnel , ou bien ils n'auraient pas le côté de l' hypoténuse égal au carré (2) des deux côtés comprenant l'angle droit. C'est pourquoi on dit que le nombre 5 est le premier qui représente une diagonale rationnelle (3). Un tel triangle étant formé, comme je l'ai dit, de 3, de 4 et de 5, si nous additionnons arithmétiquement les côtés, la somme obtenue est le nombre 12. De plus, si nous additionnons arithmétiquement le nombre 4 avec chacun des deux autres nombres, nous obtenons d'un côté le nombre des fœtus de 7 mois, de l'autre celui des fœtus de 9 mois : et chacune de ces combinaisons accomplit un être humain, qui tire sa composition du masculin et du féminin, comme la nature des nombres le montre. Mais, si nous ajoutons le nombre 3 au nombre 5, tous deux se trouvant mâles, ils donnent un fœtus qui ne peut ni se nourrir ni vivre, le fœtus de 8 mois (4). Mais supposons que nous donnions a chacun des côtés les trois dimensions; car les trois dimensions appartiennent a la nature du corps (5): nous obtiendrons le nombre 216, presque égal au nombre des jours de 7 mois (6). Ensuite, multipliant ensemble les trois côtés pris comme trois dimensions, et ajoutant le produit au nombre que nous venons de dire, nous obtenons pour somme le nombre des jours de 9 mois, c'est-à-dire 276. (7) Seulement dans les deux nombres il y a 6 de trop, et six est le nombre nuptial et pour cause.
[1] Ce texte constitue le début du Traité de la Musique d’Aristide Quintilien traduit par François Duysinx, éd. Droz, 1999.
NOTES DE M. TH. HENRI MARTIN
(1) Au lieu de τό, τε γὰρ, il faut probablement lire τοῦτο γὰρ. Ce triangle rectangle le. plus simple en nombres rationnels est celui dont les côtés sont 3, 4 et 5. Or 3 + 4 + 5 = 12 , nombre des lignes du zodiaque et de tons de la musique grecque.
(2) En terme de mathématiques grecques, le mot δύναμις signifie seconde puissance, carré; le verbe δύνασθαι signifie avoir pour carré, et l'expression ἴσον δύνασθαι signifie avoir un carré égal. L'hypoténuse ἴσον δύνασθαι a un carré égal à ceux des deux côtés de l'angle droit.
(3) Le nombre 5, qui représente l’hypoténuse de ce triangle, représente aussi la diagonale du rectangle dont ce triangle est la moitié. Le mot grec διάμετρος signifie aussi souvent diagonale d'un parallélogramme que diamètre d'un cercle.
(4) Suivant l'auteur, le nombre 4 est femelle, tandis que les nombres 3 et 5 sont mâles. 4 + 3 = 7, et 4 + 5 = 9. Les enfants nés après 7 mois ou 9 mois de gestation sont viables, parce que 3 et 4, de même que 5 et 4 sont des combinaisons d'un nombre mâle et d'un nombre femelle. 3 + 5 = 8. Les enfants nés après 8 mois de gestation ne sont pas viables, suivant l'auteur, parce que 3 et 5 sont deux nombres mâles.
(5) En grec, l'expression κατὰ βάθος αὐξάνειν, c'est-à-dire mot à mot augmenter suivant l'épaisseur, qui est la troisième dimension et qui par conséquent suppose les deux autres, cette expression, dis-je, signifie élever au cube un nombre linéaire et lui donner ainsi les trois dimensions qui constituent le solide, le corps géométrique. Le sens de la phrase grecque est donc bien que la somme des cubes des trois côtés est 216. En effet 33 + 43 + 53 = 27 + 64 + 125 = 216, comme la phrase le dit.
(6) Il s'agit de mois de 30 jours. 7 x 30 = 210. La différence est 6, comme il est dit plus loin. Dans le texte grec, au lieu d'ἑπταμήνων en un seul mot (fœtus de 7 mois), il faut lire ἕπτα μηνῶν en deux mots (sept mois). De même plus bas il faut lire ἔννεα μηνῶν (neuf mois), au lieu de ἐννεαμήνων (fœtus de neuf mois).
(7) Les mots ἐπ'ἀλλήλους κατὰ βάθος ποίησαντες s'expliquent aisément d'après la note 5 ci-dessus. Les mots ποιεῖν ἐπ'ἀλλήλους signifient multiplier l'un par l'autre, et les trois facteurs donnent trois dimensions, dont la troisième est l'épaisseur (βάθος). En effet 3 x 4 x 5 = 60, et 60 + 216 = 276. Dans 276, comme dans 216, il y a 6 de trop; car 7 mois ne donnent que 210 jours et 9 mois n'en donnent que 270. Ce nombre 6 était nommé nuptial par les pythagoriciens. Voyez mon Mémoire sur le nombre nuptial et le nombre parfait de Platon. (Extrait de la Revue archéologique, XIIIe année).