RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE    RETOUR A L'INDEX DE L'ANTHOLOGIE

Anthologie grecque



DESCRIPTION DES STATUES DU GYMNASE PUBLIC LE ZEUXIPPE (1),

PAR LE POÈTE CHRISTODORE DE COPTOS.


(Édition de Jacobs, t. I, p. 37: de Tauchnitz, t. I, p. 26.)

Déiphobe, le premier, sur un piédestal orné de bas-reliefs, est debout, plein de vaillance et d'audace, le casque en tête, tel qu'il était lorsqu'il rencontra le fameux Ménélas aux portes de son palais en ruine. On dirait qu'il marche en avant, car, suivant l'ordonnance, i1 est dans une position oblique, et son dos est courbé de fureur. Une âpre colère contracte ses traits ; il roule des yeux farouches comme un guerrier en garde contre l'attaque d'ennemis. De la main gauche il présente un large bouclier; de la droite il tient haut son glaive, et sa main furieuse le plongerait dans le flanc de son adversaire, si la nature permettait à une statue d'airain d'obéir à sa rage.
L'Athénien Eschine brille de tous les attributs de l'esprit et de l'éloquence. Ses joues hérissées de barbe sont contractées comme s'il luttait dans les mêlées de l'Agora ; car il a grand souci de bien parler. Près de lui est Aristote, le prince des philosophes, debout, les bras croisés. Même l'airain muet signale l'activité de sa pensée, et il ressemble à un homme en méditation. Ses joues, un peu gonflées, révèlent le doute de son esprit, tandis que ses yeux vifs indiquent la foule d'idées qui l'obsède.
On remarque aussi l'orateur populaire, la trompette de Péanée, le père d'une harmonieuse éloquence, celui qui fit briller dans Athènes le flambeau de la douce Persuasion. On entrevoit son ardente activité, on devine qu'il agite de nombreux projets, que les idées se pressent dans sa tête, comme lorsqu'il soulevait la Grèce contre la belliqueuse Macédoine. Peut-être éclaterait la manifestation de sa colère, et sa voix exprimerait sa pensée généreuse, si l'art du statuaire ne lui avait fermé la bouche avec un sceau d'airain.
Celui qui porte le nom de l'Euripe (2) est là debout. Il me paraît s'entretenir, mais tout bas et par la pensée, avec les Muses, lui, le chaste amant de la sagesse ; on le voit tel qu'il était agitant le thyrse sur la scène athénienne.
Le devin Paléphate brille couronné du laurier fatidique et semble ouvrir la bouche pour rendre un oracle.
Ne dirait-on pas qu'Hésiode d'Ascra cause avec les Muses des montagnes et s'efforce d'inspirer à l'airain l'enthousiasme poétique pour produire un beau poème ? Non loin de lui se tient un autre devin, Polyide, paré du laurier d'Apollon. II voudrait prononcer quelque oracle, mais l'airain enchaîne sa langue dans une muette étreinte. Tu n'as pas cessé non plus d'aimer la poésie et le chant, Simonide. La lyre t'est toujours chère, mais tes mains refusent d'en pincer les cordes. Pourquoi le sculpteur, ô Simonide, n'a-t-il pas mêlé à l'airain une douce mélodie ? Car, même muet, l'airain, par respect pour ton génie eût répondu aux accords de la lyre.
Anaximène est là, philosophe de génie ; il médite, et les idées s'agitent et se pressent dans sa divine intelligence.
Le fils de Thestor, Calchas, se tient debout, devin aux regards pénétrants, et comme en présence de l'avenir ; il semble tenir cachés les décrets du ciel, soit par pitié pour l'armée grecque, soit par crainte du courroux du roi de la riche Mycènes.
Voici le destructeur d'une grande cité, le rejeton des Éacides. Pyrrhus, fils d'Achille, qui voudrait manier l'épée et le bouclier que l'artiste ne lui a pas donnés : il l'a représenté sans armes ; mais lui, ne dirait-on pas qu'il regarde un point élevé, comme s'il avait les yeux fixés sur la haute citadelle de Troie?
Amymone aux doigts de rose est assise; elle a rassemblé derrière sa tête les boucles non relevées de sa chevelure ; son front est libre et dégagé. Élevant les yeux, elle épie l'arrivée de son époux aux noirs cheveux, le dieu des mers. Près d'elle se montre le dieu à la noire chevelure, à la large poitrine, nu, et les cheveux sans lien et flottants ; il lui présente un dauphin tout ruisselant qu'il porte dans sa main, gage d'hyménée pour la jeune fille qu'il aime.
Abeille de Piérie, Sapho, la mélodieuse Lesbienne, est assise à part et seule ; elle semble composer le bel hymne qu'inspirant à son âme émue les Muses silencieuses.
Apollon est debout près du trépied prophétique. Ses cheveux, sans lien, sont rassemblés sur ses épaules. Il est nu, parce qu'à tous ceux qui l'interrogent il expose sans voile les arrêts du sort, ou parce qu'il brille également pour tous. Le soleil, en effet, c'est le dieu Phoebus, qui rayonne au loin et partout d'un éclat vif et pur.
Près de là brille Vénus. Sur le sombre airain se répandent, comme une rosée, la grâce et la beauté. Le sein est nu, mais les plis d'une tunique voilent le haut des cuisses, et dans une résille d'or est contenue la chevelure ondoyante.
Que j'admire le fils de Clinias ! Il rayonne d'une beauté qui, mêlée à l'airain, jaillit en traits lumineux. Tel il était lorsque, dans Athènes, la cité de l'éloquence, il communiquait à l'assemblée du peuple de Cécrops ses habiles résolutions.
Près de lui est debout le prêtre Chrysès, élevant le sceptre d'Apollon dans sa main droite, et sur sa tête portant les bandelettes sacrées. Sa taille haute et majestueuse révèle une race héroïque. Il me semble qu'il supplie Agamemnon. Sa barbe est épaisse, et dans sa chevelure flottante serpentent la vigne et le raisin.
Non loin brille Jules César, qui autrefois couronna le Capitole d'innombrables trophées. Sur son épaule il porte la redoutable égide ; dans sa main droite il se plaît à brandir la foudre, comme un autre Jupiter que l'Ausonie adore.
Platon a l'attitude et l'air d'un dieu, lui qui jadis montra aux Athéniens les voies secrètes des célestes vertus.
J'ai vu là une autre belle Vénus, nue et rayonnante ; sur sa poitrine, de son cou à ses hanches, s'enroulait le ceste divin.
De l'aimable Hermaphrodite, ni tout à fait homme, ni tout à fait femme, s'élève la statue mixte ; c'est bien le fils de la belle Vénus et de Mercure. Son sein se gonfle et s'arrondit comme celui d'une jeune fille, et il porte les insignes d'une virilité féconde, unissant ainsi les beautés de l'un et de l'autre sexe.
La jeune Érinne, la vierge aux doux accents, est assise, non pour lancer la navette dans une trame bien ourdie, mais pour distiller en silence le miel d'une poétique abeille (3).
N'oublions pas l'harmonieux Terpandre, dont la statue semble animée et parlante. On dirait que dans son génie ému s'élabore un hymne pieux, comme autrefois lorsque, sur les bords de l'impétueux Eurotas, il calmait aux sons de sa lyre inspirée les agitations sauvages et belliqueuses des habitants d'Amyclée.
Je t'admire, ô Périclès, parce qu'à mes yeux l'airain muet montre le caractère et les traits de l'orateur qui gouverna le peuple de Cécrops et dirigea la guerre du Péloponnèse.
Pythagore, le sage de Samos est là, debout. Quel rayonnement ! On dirait qu'il est dans l'Olympe. La nature du bronze est vaincue : il réfléchit, il calcule ; avec ses yeux seuls il mesure, il embrasse l'immensité des cieux.
J'ai reconnu l'harmonieux Stésichore qu'autrefois vit naître la terre de Sicile, auquel Apollon enseigna la poésie et le chant, alors qu'il était encore dans le sein de sa mère. Aussi il venait de naître, ses yeux s'ouvraient à peine au jour, qu'un rossignol vint on ne sait d'où se poser sur sa bouche, et modula ses chants les plus mélodieux.
Gloire d'Abdère, ô Démocrite, salut ! car tu as exposé les lois de la nature féconde, tu as subtilement pénétré les secrets des sciences ; mais tu n'as pas cessé de rire des prétentions trompeuses de l'humanité, parce que tu savais bien que le temps au front chauve survit à tout, détruit tout.
Là on voit Hercule au visage sans barbe, portant dans sa main qui tua le lion les pommes d'or, riche présent de la Libye. Près de lui se tient la vierge Augé, prêtresse de Minerve, avec son manteau qui tombe de ses épaules, avec les cheveux épars et sans bandeau ; elle tend des mains suppliantes et semble invoquer la fille aux yeux pers du maître des dieux, dans son temple arcadien, aux pieds des escarpements de Tégée.
Sois-nous propice, Ènée, belliqueux rejeton de Troie, sois-nous propice, sage conseiller des Troyens. Dans tes yeux se reflète un rayon d'honneur et de grâce qui t'annonce comme fils de la déesse de la beauté.
Je vois et j'admire Créuse aux vêtements de deuil, bien digne (4) épouse d'Énée. Sur son visage elle a ramené son voile, et tout son corps est enveloppé d'un long manteau qui traîne. Que sa douleur est profonde ! Ses larmes qui coulent sur l'airain
annoncent que Troie a succombé sous le fer des ennemis, et que sa patrie est la proie des Argiens.
Hélénus n'est pas encore calmé : on s'aperçoit qu'il est irrité contre son père et violemment agité. Dans sa main droite il tient une coupe d'où s'épanche la libation ; on dirait qu'il prédit la victoire aux Argiens, et qu'il demande aux dieux la ruine de sa patrie.
Andromaque, la fille d'Éétion, est là, debout, sur ses pieds qui empruntent à la rose ses couleurs. Elle ne gémit point, ne pleure point. C'est que, je n'en saurais douter, Hector n'est pas encore tombé sur le champ de bataille, les Grecs avides ne se sont pas encore emparés des richesses de Troie.
On voit le brave Ménélas, tout joyeux de sa récente victoire ; il palpite, il brûle d'amour en voyant la charmante fille de Tyndare rayonnante aussi d'amour et de joie.
Qu'elle est ravissante cette image d'Hélène ! L'airain même accuse sa grâce et ses charmes. Cette belle statue exhale tous les feux de l'amour, comme si l'oeuvre était vivante.
Une foule d'idées se pressent dans la tête du divin Ulysse. En fait de stratagèmes, fut-il jamais au dépourvu ? Sa statue manifeste bien la prudence, l'habileté qui le distinguent. Dans son coeur la joie déborde ; car Troie est détruite par ses conseils et ses ruses.
Et vous, mère d'Hector, Hécube infortunée, dites-nous quel dieu vous a contrainte à verser tant de larmes jusque dans cette muette image. L'airain même n'a pas mis un terme à vos douleurs, il n'a pas même, par pitié, apaisé vos angoisses et vos sanglots : vous êtes encore tout en larmes. Mais il semble que ce n'est plus le trépas du malheureux Hector, que ce n'est plus le deuil de la pauvre Andromaque qui causent votre désespoir : c'est la ruine de Troie. Le voile qui couvre son visage témoigne en effet de ses peines, et aussi le manteau qui traîne sur ses pieds. De ses joues des larmes s'épanchent à flots, mais l'artiste les a séchées pour montrer l'ardente fièvre de ses incurables douleurs.
J'ai reconnu la prêtresse Cassandre. Jusque dans son silence elle reproche à son père ses rigueurs toute remplie d'un prophétique délire et comme si elle prédisait les dernières catastrophes de sa patrie.  
C'est un autre Pyrrhus (5)  le vainqueur de Troie. Sur sa tète il n'a pas de casque à crinière ; sa main ne brandit pas d'épée. Il est nu et sans barbe, la main étendue en signe de victoire et donnant un ordre, tandis que d'un oeil oblique il regarde Polyxène tout en larmes.
Dites-nous, Polyxène,vierge infortunée, quelle cause vous arrache, en secret, les larmes dont ce bronze insensible est inondé ? Pourquoi ramenez-vous votre voile sur votre visage, dans l'attitude de la pudeur ? C'est que vous craignez que celui qui a détruit votre ville, le Phthiote Pyrrhus, ne vous garde comme esclave. Votre beauté ne vous a pas protégée, elle n'a pas frappé le coeur de Néoptolème, cette beauté qui captiva le père de votre meurtrier et le conduisit sans résistance aux filets de la mort. Mais, j'en atteste vos traits que reproduit ce bronze, si Pyrrhus vous avait vue telle que vous êtes ici il vous aurait prise pour la compagne de sa couche, oubliant les ordres de l'ombre paternelle.
Que j'admire Ajax, le fils du vaillant roi de la Locride, Oïlée, le rempart du pays ! La jeunesse dans sa première fleur s'épanouit sur ses joues sans barbe. Il est nu, et l'on voit à découvert toute sa vigueur. Palpitant d'audace, il respire le souffle d'Ényo, la déesse des combats.
OEnone brûle de colère, brûle de jalousie ; une amère passion lui ronge le coeur. Elle recarde à la dérobée Pâris d'un oeil furieux, et sans mot dire elle le menace de sa vengeance en repoussant d'une main indignée son infidèle époux.
Le berger (Pâris) ressemble à un amant confus et coupable.,sa vue égarée se porte ailleurs. Il craint sans doute les yeux de la nymphe fille de Cébrène, OEnone, qu'il a tant fait pleurer.
Darès a garni ses mains de rudes gantelets. Sa colère est le prélude du combat. Une belliqueuse ardeur étincelle dans ses yeux vifs comme l'éclair. Entelle, de son côté, lance sur Darès des regards furieux ; il roule en frémissant de rage, autour de son bras, un ceste redoutable. Son attitude est menaçante : il est altéré de sang.
Voici un athlète vigoureux, savant dans l'art du pugilat. Est-ce Philon le colosse ou Philammon, ou bien Milon, l'honneur de la Sicile ? Apollon le sait. Pour moi, j'ignore le nom glorieux de cet homme, et ne puis le célébrer. Mais quel qu'il soit, on sent sa force et son courage. Sa barbe est épaisse, sa chevelure est hérissée ; ses traits inspirent la peur. Sur ses membres ramassés, les muscles sont gonflés et tendus. De ses bras croisés les larges coudes font saillie comme deux rocs. A des épaules vigoureuses se relie un cou épais, avec des attaches flexibles et nerveuses.
Regarde, c'est Charidéme, orateur et général, qui vit le peuple athénien obéir à ses conseils et marcher sous ses ordres.
Vois aussi et admire Mélampe; il a l'aspect sacré d'un prophète. Ne dirait-on pas que ses lèvres muettes vont prononcer quelque oracle divin ?
Panthoüs était le conseiller des Troyens : il n'a pas cessé de donner ses graves avis pour le salut de Troie.
Le vieux Thymétès avait un génie inventif et fécond ; il est plongé dans l'abîme du silence et de la méditation, il ourdit encore pour les Troyens quelque stratagème.
Lampon a l'air abattu, désespéré, parce que, dans la lutte suprême, son esprit n'a pu enfanter aucun moyen de salut au profit d'Ilion qui succombe.
Clytius est dans la stupeur, ne sachant que devenir. Il tient ses mains croisées en signe d'une profonde douleur.
Salut, flambeau d'éloquence, Isocrate ! Tu pares, tu illumines l'airain. On dirait que tu médites quelque sage discours et que tu vas prendre la parole, quoique l'artiste t'ait fait muet.
Amphiaraüs gémit, le front ceint du laurier fatidique. Un chagrin profond l'accable ; il voit, il prédit que Thèbes sera fatale aux guerriers d'Argos, et qu'ils ne reverront pas leur patrie.
Debout se montre Aglaüs l'interprète des oracles, Aglaüs qu'on regarde comme le père du devin sacré Polyide ; il a le front paré d'un laurier au beau feuillage.
Je vois le dieu qui lance au loin ses traits, le dieu de la lyre et des vers, dont la chevelure longue et flottante se pare de célestes fleurs et se divise en anneaux naturellement bouclés sur l'une et l'autre épaule. Il semble qu'on entende sa voix prophétique, et que par ses oracles il dissipe les maux des mortels.
Le vaillant fils de Télamon, Ajax, est nu. Il n'a pas encore sa première barbe. Les traits de son père font sa parure et sa beauté. Une bandelette étreint sa chevelure ; il ne la couvre pas encore d'un casque, il ne brandit pas d'épée, il ne porte pas le bouclier à sept peaux, mais il laisse déjà voir la fière assurance de son père Télamon.
Debout, Sarpédon, le roi des Lyciens, inspire l'effroi par son air belliqueux. Sur sa joue d'un ton brun se dessinent les premières pousses de la barbe. Sa tète est couverte d'un casque ; mais il a le corps nu, et dans ses veines on reconnaît le sang de Jupiter. De ses yeux s'échappent des éclairs qui rappellent le dieu de la foudre.
Pour la troisième fois se montrent Apollon et son trépied prophétique. Qu'il est beau à voir, ce dieu, avec sa longue chevelure qui descend en boucles fusées sur ses deux épaules ! Ses formes divines communiquent à l'airain leur grâce et leur majesté. Son oeil est tendu vers l'avenir, comme s'il allait sur son trépied le révéler par des oracles.
J'admire aussi une troisième statue de la belle Vénus. Sa poitrine est couverte d'un voile. Le ceste a enveloppé ses seins, et la grâce, la volupté s'épanouissent dans le ceste.
De quel éclat brille le jeune Achille, guerrier imberbe ! Il est sans casque, mais on dirait que sa main droite brandit une épée, que sa main gauche porte un bouclier, tant il y a d'art dans sa pose ! Tout son air respire la menace et la guerre ; son oeil étincelle; on y voit rayonner la flamme innée des belliqueux Eacides.
Voici Mercure au caducée d'or. De sa main droite il serre les liens de sa chaussure ailée, brûlant de s'élancer dans les airs ; il s'appuie sur son genou droit, et sa main gauche se porte en avant. Il dirige vers le ciel ses yeux, comme s'il attendait quelque ordre du maître des dieux son père.
Apulée, au regard méditatif, célèbre les silencieux mystères de la Muse latine, lui que la Sirène italienne a rempli d'une ineffable sagesse comme son initié.
C'est ensuite la soeur d'Apollon, la déesse qui court les bois et les montagnes, Diane. Elle n'a pas d'arc lançant au loin les traits, point de carquois sur l'épaule. Une tunique frangée descend jusqu'à ses genoux, et sa chevelure que ne retient aucun réseau flotte au gré des vents.
Homère nous apparaît dans un bronze vivant, animé plein d'idées et de génie, auquel rien ne manque qu'une voix divine : l'enthousiasme et la poésie s'y révèlent. Un dieu, sans doute, a forgé cette statue, en même temps qu'il créa le modèle, car je ne puis croire qu'un ouvrier a fondu ce chef-d'oeuvre assis près de ses fourneaux. Mais c'est Minerve elle-même qui de ses savantes mains l'a forgé, connaissant bien le corps qu'elle habitait. Oui, installée dans Homère avec Apollon, elle parlait par sa voix, par ses vers. Ainsi, celui que j'honore à l'égal d'un père, ce mortel semblable aux dieux, le divin Homère se trouve ici. Il a l'aspect d'un vieillard ; mais sa vieillesse est douce, nullement morose ; elle distille le charme, la grâce, avec un mélange de gravité et de sympathie : sa beauté imprime le respect. Sur son cou, que les ans ont incliné, une chevelure blanchissante flotte en grappes et se répand autour de ses oreilles ; de son menton descend une barbe abondante, soyeuse et mobile, non pointue, mais large, ornement de sa poitrine nue et de son noble visage. II a le front découvert et sans cheveux, et sur son front siège la sagesse, institutrice du jeune âge. L'artiste a donné adroitement du relief à ses sourcils, car ses yeux sont privés de lumière. Mais qu'on ne croie pas qu'il ressemble à un aveugle : dans ses yeux vides rayonne la râce ; et je m'imagine que l'art a tout disposé ainsi pour rendre plus manifeste l'inextinguible flamme de sagesse qui brûle dans son coeur. Ses joues sont légèrement creuses ; les ans les ont contractées ; mais dans leurs rides s'est logée la Pudeur que les Grâces accompagnent. Une abeille de Piérie voltige sur ses lèvres et y distille son miel. Ses deux mains, placées l'une au-dessus de l'autre, s'appuient sur un bâton, comme de son vivant. Il incline à droite l'oreille : sans doute qu'il entend Apollon ou quelqu'une des Muses voisines. Il a l'air, en effet, préoccupé, réfléchi ; çà et là se porte sa pensée, échappée du sanctuaire de son âme émue, tissant la trame de l'oeuvre guerrière de la Sirène épique.
Phérécyde de Syros brille aussi de tout l'éclat de la sagesse; il tient le sceptre de la philosophie et contemple le ciel, la tête haute, d'un regard assuré.
Il est là aussi le philosophe Héraclite, homme divin, gloire de l'antique Éphèse, qui, seul, pleurait autrefois sur les destinées de l'infortunée race des mortels.
Que d'élégance et de distinction dans les traits de Cratinus, qui, autrefois, lançait contre les démagogues athéniens des iambes comme des flèches meurtrières ! La joyeuse comédie lui doit son développement et ses progrès.
Voici Ménandre qui, dans la belle Athènes, brille comme l'astre de la comédie nouvelle ! C'est lui, en effet, qui a imaginé les intrigues amoureuses de jeunes filles, qui a mis ses iambes, fils de son génie, au service des Grâces, et avec eux a ravi la jeune Muse comique qu'il a dotée lui-même, en mêlant à l'amour la douce fleur de la poésie.
De quel éclat rayonne Amphitryon ! Au laurier virginal qui couronne sa tête on le prendrait pour un habile devin ; mais il n'était pas un devin. Ce laurier qui pare son front est le signe de la victoire que remporta sur les Taphiens le belliqueux époux de la belle et féconde Alcmène.
Thucydide roule mille pensées dans sa tête ; il réfléchit, et semble arranger ses éloquentes périodes et tisser la trame de son histoire. Sa main droite est levée, comme autrefois lorsqu'il récitait la sanglante guerre de Sparte et d'Athènes qui moissonna la jeunesse de la Grèce [et priva l'année de son printemps (6)].
Je reconnais le divin chantre d'Halicarnasse, le savant Hérodote qui consacra aux neuf Muses l'histoire des anciens âges, dont l'un et l'autre continent furent le théâtre et dont les siècles dans leur cours furent les témoins. Avec quelle éloquence il a paré son style des fleurs de la langue ionienne !
Le cygne héliconien de l'antique Thèbes prend son essor. C'est Pindare à la douce et forte voix, le poète que le dieu de l'arc d'argent, Apollon, éleva sur les coteaux de l'Hélicon béotien et auquel il enseigna les lois de l'harmonie. Il venait de naître, que sur ses lèvres des abeilles se posèrent et distillèrent leur miel, témoignage de ses poétiques destinées.
Cet airain radieux, c'est Xénophon, le citoyen de la guerrière Athènes, qui célébra les exploits du descendant d'Achéménide, Cyrus, qui imita le style harmonieux de la Muse de Pluton, en adoucissant les fruits de la grave histoire avec le miel des laborieuses abeilles (7).
N'est-ce pas le devin nommé Alcméon ? non, ce n'est pas ce devin. Sur sa tête le laurier n'enroule pas ses corymbes. Je crois que c'est Alcman, qui autrefois mania la lyre avec art, et sur ses cordes sonores broda des mélodies doriennes.
C'est Pompée, le chef des infatigables légions ausoniennes, l'héroïque vainqueur de l'Isaurie. Sous ses pieds il foule des cimeterres isauriens, pour montrer qu'il a subjugué, asservi le Taurus, qu'il l'a enchaîné dans les liens de la victoire. L'éclat de sa gloire se reflète sur tous, et jusque sur l'illustre race de l'empereur Anastase qui descend de ce héros. Notre glorieux empereur a bien prouvé cette origine en ravageant par le fer et le feu les campagnes de l'Isaurie. 
Ici se montre un autre Homère. Je ne crois pas que ce soit le prince de l'épopée, le divin fils du Mélès ; c'est plutôt celui que l'illustre Myro de Byzance mit au monde sur les rivages de la Thrace, Myro à qui les Muses elles-mémos apprirent, toute petite encore, la poésie héroïque. Celui-ci exerça l'art savant de la tragédie (8), et fut l'ornement et la gloire de Byzance, sa patrie.
Virgile, ici, exhale les plus doux parfums de la poésie, cygne harmonieux cher aux Romains : les échos du Tibre l'ont proclamé l'Homère de l'Ausonie.


(1) A Constantinople. Voy. Banduri, Imperium orientale, t. II, 9. 862. 

(2) Euripide. 

(3) C'est-à-dire pour faire des vers. 

(4) Je lis kat‹jion au lieu de kat‹skion.

(5) Voyez Plus haut, p. 2. 

(6) Périclès, dans Aristote, Rhét. 1, 7 : Ësper tò §ar ¤k toè ¤natioè eÞ ¤jaireyeÛh.

(7) Cicéron, Orat., IX. trouve Xénophon plus doux que le miel, melle dulcior. On l'avait surnommé l'abeille attique.  

(8) Sous Ptolémée Philadelphe, vers 295 av. J. C.