Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
PRUDENCE
CATHEMERINON
AVERTISSEMENT
L’étude sur Prudence (01)
que nous offrons au public, n’est que la reproduction d’une thèse pour le
doctorat présentée à la faculté de théologie de Paris et récemment soutenue en
Sorbonne. Peut-être n’eussions-nous donné à cette étude que la publicité
restreinte à laquelle se résignent d’ordinaire, en un siècle frivole, les
auteurs de ces travaux sérieux et spéciaux dont le seul nom de thèses effarouche
les lecteurs superficiels. Mais pendant que nous nous préparions à faire
connaître un poète plus oublié que Stace et que Claudien, quoiqu’il soit
infiniment supérieur à ces deux auteurs, qu’on trouve traduits dans toutes les
collections des classiques, M. Villemain donnait au public son beau livre sur le
génie de Pindare et sur la poésie lyrique dans ses rapports avec l’élévation
morale et religieuse des peuples. Dans ce livre l’éminent écrivain appelle
l’attention sur Prudence.
«
La belliqueuse Espagne, dit M. Villemain, cette contrée qu’une affinité
méridionale avait mêlée de bonne heure au génie de ses maîtres italiques,
célébrait sur la lyre latine le culte nouveau. Comme elle avait d6nné jadis
Lucain et Martial à la monstrueuse grandeur et aux vices de Rome, elle offrait
aux vertus de l’Église sortant des catacombes un chantre harmonieux et pur....
Prudence décrit d’abord la vie chrétienne dans ses devoirs de chaque jour....
Sous l’impression du spectacle de la nature mis en rapport avec le cœur de
l’homme, il marquait par des hymnes les principales heures et les divisions du
temps. Le charme de ces préludes était dans leur sainteté, dans le rappel de
l’âme à elle-même, dans le contraste de cette pureté religieuse avec les vices
du monde profane, et enfin dans les espérances de la vie spirituelle supérieure
à tous les sentiments de l’existence ici-bas. » Ailleurs rappelant les strophes
consacrées par Prudence aux saints Innocents qu’il salue comme les fleurs des
martyrs, M. Villemain ajoute: « Ces vers, on peut le dire, ne périront jamais et
seront chantés sur la dernière terre barbare que le christianisme aura conquise
et bénie. »
Désireux de procurer à ceux qui aiment la littérature chrétienne un moyen
d’apprécier Prudence par une étude personnelle, nous avons pensé qu’il serait
utile de publier, à la suite de notre travail sur ce poète, le texte et la
traduction de ses plus belles hymnes. Au lieu de faire un choix dans les œuvres
de Prudence et de citer des fragments extraits de ses divers poèmes, nous avons
jugé plus convenable de donner en entier un de ses recueils lyriques. Nous ne
pouvions pas hésiter entre le
Cathemerinon
et le
Peristephanon.
Le premier de ces deux recueils est, sans contredit, l’œuvre la plus remarquable
de Prudence. .C’est là que son génie poétique se montre tout entier; c’est là
qu’on peut admirer la constante élévation de ses pensées, la concision soutenue
de son style. Le
Cathemerinon, qui ne contient que
douze hymnes, dont la longueur n’est pas excessive, offre d’ailleurs un intérêt
plus général que les autres œuvres de Prudence. Nous ne pouvons pas aujourd’hui
lire le poème contre Symmaque et les poèmes contre les hérétiques avec l’émotion
que devaient éprouver les contemporains de l’auteur. Mais les méditations
religieuses et poétiques dont se compose le
Cathemerinon,
n’ont rien perdu de leur intérêt avec le cours des siècles. Leur beauté, comme
celle de la piété chrétienne, restera toujours la même. Nous prions encore comme
priaient nos pères du quatrième siècle, nous croyons encore ce qu’ils croyaient.
Quant à notre traduction, nous n’en dirons qu’un mot. Comme c’est la première fois qu’un recueil entier des hymnes de Prudence est traduit en français, nous avons cru que nous devions avant tout rendre clairement la pensée de l’auteur. Mais entre les traductions presque aussi libres que des paraphrases, qu’affectionnait le dix-septième siècle, et les traductions trop littérales, comme celle du Paradis perdu, par Chateaubriand, il y a un milieu raisonnable à garder. Plusieurs traducteurs, en ces dernières années, ont su rendre fidèlement le texte, donner une idée du style de leur auteur, tout en conservant à leurs phrases la clarté et l’allure françaises. Nous avons essayé de marcher sur leurs traces; puissions-nous ne pas avoir trop mal réussi. |
PRÆFATIO. |
PROLOGUE. |
Per quinquennia jam decem, Ni fallor, fuimus; septimus insuper
Annum cardo rotat, dum
fruimur sole volubili. Instat terminus, et diem 5 Vicinum senio jam Deus applicat.
Quid nos utile tanti
spatio temporis egimus? Ætas prima crepantibus Flevit sub ferulis: mox docuit toga 1
Infectum vitiis falsa
loqui, non sine crimine!
10 Tum lasciva protervitas, Et luxus petulans (heu pudet ac piget!)
Fœdavit juvenem nequitiæ
sordibus ac luto. Exin jurgia turbidos Armarunt animos, et male pertinax
15
Vinceudi studiurn subjacuit casibus asperis.
Bis legum moderamine Frenos nobilium reximus urbium:
Jus civile bonis
reddidimus, terruimus reos. Tandem militiæ gradu 20 Evectum pietas Principis extulit,
Assumptum propius stare
jubens ordine proximo. Hæc dum vita volans agit, Irrepsit subito canities seni,
Oblitum veteris me Saliæ
Consulis 2 arguens:
25 Sub quo prima dies mihi Quam multas hyemes volverit, et rosas
Pratis post glaciem
reddiderit, nix capitis 3 Numquid talia proderunt Camus post ohitum vel bona vel mala,
30
Cum jam, quidquid id est, quod Dicendum mihi : Quisquis es, Mundum, quem coluit, mens tua perdidit.
Non sunt illa Dei, quæ
studuit, cujus habeberis. Atqui fine ub ultimo 35 Peccatrix anima 4 stultitiam exeat
Saltem voce Deum
concelebret, si meritis nequit. Hymnis continuet dies, Nec nox ulla vacet, quin Dominum canat:
Pugnet contra hereses,
catholicam discutiat fidem.
40 Conculcet sacra gentium: Labem, Roma, tuis inferat idolis:
Carmen martyribus
devoveat, laudet Apostolos, Hæc dum scribo vel eloquor,
Vuclis o utinam corporis
emicem
|
Déjà ma vie, si je ne me trompe, s’est prolongée pendant cinq dizaines
d’années, et après ce demi-siècle j’ai vu sept fois le retour des
saisons, jouissant de ce soleil qui roule sans cesse.
Le terme s’approche, le dernier jour n’est pas loin; Dieu le montre à ma
vieillesse. Qu’ai-je fait d’utile pendant ce long espace de temps?
Mon premier âge pleura sous les férules, bientôt la toge me vit en proie
aux vices et m’apprit à semer, non sans crime, des mensonges dans mes
discours.
Alors des folâtreries lascives, alors un luxe insolent (hélas! j’en
pleure et j’en rougis), souillèrent de honte et de fange ma jeunesse
coupable.
Puis les armes et les combats séduisirent mon esprit agité, et un
opiniâtre désir de vaincre m’entraîna aux terribles hasards de la
guerre.
Deux fois j’ai gouverné de nobles cités sous l’autorité des lois. Sur
mon tribunal j’ai fait justice aux bons, j’ai fait trembler les
méchants.
Enfin, la bonté du prince m’honora d’un grade élevé dans la milice et me
rapprocha du trône, en me faisant occuper un poste éminent.
Pendant que ma vie s’envole dans ces charges, soudain mes cheveux
blanchis m’avertissent que la vieillesse est venue et me reprochent
d’oublier le consulat de cet ancien Salia.
Depuis mon premier jour sous ce consul, combien d’hivers se sont succédé
! Combien de fois après les frimas les roses ont fleuri dans les prés !
La neige de ma tête me le révèle.
Tous ces biens, qui sont peut-être des maux, me serviront-ils après la
chute de mon corps, lorsque la mort aura détruit tout ce que j’aurai
été?
Il est temps que je me dise à moi-même: Quelque charge que tu aies
occupé, ton âme a perdu ce monde auquel elle s’était livrée. Dieu n’a
pas été l’objet de ses recherches, Dieu sous la main de qui tu vas
tomber.
Au terme de ta carrière, que ton âme pécheresse se défasse enfin de sa
folie; qu’elle loue Dieu par des chants puisqu’elle ne peut louer Dieu
par des vertus.
Qu’elle remplisse le jour de ses hymnes; qu’aucune nuit ne se passe sans
qu’elle chante le Seigneur. Qu’elle combatte contre les hérésies;
qu’elle expose la foi catholique.
Qu’elle renverse les fausses divinités des Gentils.
Qu’elle insulte, ô Rome, tes idoles; qu’elle consacre des hymnes aux
martyrs, des louanges aux apôtres.
Pendant que j’écris, pendant que je chante de si nobles sujets, puisse mon âme, affranchie des liens du corps, s’élancer comme un rayon là où tendront les accents de ma langue exprimant un dernier chant ! |
I. HYMNUS AD GALLI CANTUM 1 |
I. HYMNE AU CHANT DU COQ. |
Ales diei nuntius Lucem propinquam præcinit: Nos excitator mentium Jam Christus ad vitam vocat. 5 Auferte, clamat, lectulos, 2 Ægro sopore desides; Castique, recti, ac sobrii Vigilate : jam sum proximus. Post solis ortum fulgidi 10 Serum est cubile spernere: Ni parte noctis addita Tempus labori adjeceris. Vox ista, qua strepunt aves Stantes sub ipso culmine,
15
Paulo ante quam lux emicet, Tectos tenebris horridis, Stratisque opertos segnibus, Suadet quietem linquere 20 Jam jamque venturo die. Ut cum coruscis flatibus Aurora cœlum sparserit, Omnes labore exercitos Confirmet ad spem luminis. 25 Hic somnus ad tempus datus, Est forma mortis perpetis Peccata, ceu nox horrida, Cogunt jacere ac stertere. Sed vox ab alto culmine 30 Christi docentis præmonet, Adesse jara lucem prope; Ne mens sopori serviat: Ne somnus usque ad terminos Vitæ socordis opprimat 35 Pectus sepultum crimine, Et lueis oblitum suæ. Ferunt vagantes dæmonas Lætos tenebris noctium, Gallo canente exterritos 40 Sparsim timere et cedere. Invisa nam vicinitas Lucis, salutis, numinis, Rupto tenebrarum situ Noctis fugat satellites. 45 Hoc esse signum præscii Norunt repromisæs spei: Qua nos soporis liberi Speramus adventum Dei. Quæ vis sit hujus alitis, 50 Salvator ostendit Petro, Ter, ante quam gallus canat, Sese negandum prædicans. Fit namque peccatum prius, Quam præco lucis proximæ 55 Illustret humanum genus, Finemque peccandi ferat. Flevit negator denique Ex ore prolapsum nefas: Cum mens maneret innocens, 4 60 Animusque servaret fidem. Nec tale quidquam postea Linguæ locutus lubrico est; Cantuque galli cognito Peccare justus destitit. 65 Inde est, quod omnes credimus, Illo quietis tempore, Quo gallus exsultans canit, Christum redisse ex Inferis. Tunc mortis oppressus vigor, 70 Tunc lex subacta est Tartari: Tunc vis diei fortior Noctem cœgit cedere. Jam jam quiescant improha, Jam culpa furva obdormiat, 75 Jam noxa lethalis, suum Perpessa somnum, marceat. Vigil vicissim spiritus, Quodcunque restat temporis, Dum meta noctis clauditur, 80 Stans ac laborans excubet. Jesum ciamus vocibus, Flentes, precantes, sobrii: 5 Intenta supplicatio Dormire cor mundum vetat. 85 Sat convolutis artubus Sensum profunda oblivio Pressit, gravavit, obruit, Vanis vagantem somniis. Sunt nempe falsa et frivola, 90 Quæ mundiali gloria, Ceu dormientes, egimus. Vigilemus : hic est veritas. Aurum, voluptas, gaudium, Opes, honores, prospera, 95 Qæcunque nos inflant mala, Fit mane, nil sunt omnia. Tu, Christe, somnum disjice: Tu rumpe noctis vincula: Tu solve peccatum vetus, 100 Novumque lumen ingere. |
L’oiseau messager
du jour chante, annonçant que la lumière va paraître, et déjà le Christ,
excitateur des âmes, nous appelle à la vie.
Quittez vos lits,
s’écrie-t-il, ô vous tous qui êtes plongés dans un lourd sommeil, et
chastes, justes et sobres, veillez, car je suis proche.
Ne mépriser sa
couche qu’après le lever du soleil radieux, c’est la quitter trop tard,
à moins qu’on n’ait prolongé durant une partie de la nuit le temps du
travail.
Ce cri, que les
oiseaux perchés sur nos toits, font retentir peu avant que la lumière ne
brille, est le symbole de notre juge.
Enveloppés
d’épaisses ténèbres, enfoncés dans nos lits paresseux, il nous invite à
sortir de notre repos au moment où le jour va luire.
En annonçant que
l’aurore va bientôt répandre dans les cieux des effluves brillantes, il
vient rendre à l’espoir de la lumière tous ceux que le travail avait
fatigués.
Ce sommeil, accordé
pour un moment, est l’image de la mort éternelle. Le péché, comme une
nuit horrible, terrasse sa victime et l’assoupit.
Mais du haut du
ciel le Christ, notre maître, nous avertit que la lumière est proche, de
peur que l’âme ne soit l’esclave du sommeil.
De peur que le
sommeil, jusqu’à la fin d’une vie honteuse, ne tienne le cœur enseveli
dans le crime et oublieux de celui qui est sa lumière.
On dit que les
démons errent joyeux durant les ténèbres de la nuit et qu’épouvantés,
dès que le coq chante, ils se dispersent pleins d’effroi.
L’approche
redoutable de la lumière, du salut, de la divinité, dissipant les
ténèbres qui les protègent, met en fuite les esprits nocturnes.
Les démons savent
que le chant du coq est le signe de la promesse par laquelle, délivrés
du sommeil du péché, nous espérons l’avènement de Dieu.
Le Sauveur montra à
Pierre le rôle de cet oiseau quand il prédit à cet apôtre qu’il
renierait son maître avant que le coq eût chanté trois fois.
Car le mal se
commet avant que celui qui annonce l’approche du jour ait éclairé le
genre humain et mis un terme au péché.
Bientôt l’auteur du
triple reniement pleura le crime que sa bouche avait commis, tandis que
son esprit était resté innocent et que son âme avait conservé la foi.
Par la suite,
jamais sa langue ne proféra de telles paroles. Dès qu’il eut entendu le
chant du coq, devenu juste, il cessa de pécher.
Aussi nous croyons
tous que c’est à ce moment du repos de la nuit, où le coq bat des ailes
et chante, que le Christ est revenu des enfers.
Alors fut vaincu le
pouvoir de la mort, alors fut détruite la loi de l’enfer, alors la force
plus puissante du jour contraignit la nuit à céder.
Qu’enfin le crime
se repose; qu’enfin dorme le sombre péché; qu’enfin la faute mortelle
s’assoupisse dans un long sommeil.
Que l’esprit
vigilant, pendant le temps qui reste à parcourir tandis que les portes
de la nuit sont fermées, veille dans le courage et le labeur.
Que nos voix
invoquent Jésus. Pleurons, prions, soyons sobres. Une supplication
ardente empêche le cœur pur de s’endormir.
Assez longtemps un
oubli profond a maîtrisé nos membres, a opprimé, appesanti, accablé
notre pensée qui errait en des songes vains.
Que de choses
fausses et frivoles nous avons faites par gloire mondaine ! Nous
dormions alors; veillons, voici la vérité.
L’or, la volupté,
la joie, les richesses, les honneurs, les prospérités, tous les maux qui
nous enflent, dès que le jour se fait, ne sont rien.
O Christ, dissipez le sommeil, rompez les chaines de la nuit, détruisez l’antique péché et répandez une lumière nouvelle. |
II. HYMNUS MATUTINUS. 1 |
II. HYMNE DU MATIN. |
Nox, et tenebræ, et nubila Confusa mundi et turbida, Lux intrat, albescit polus, Christus venit, discedite. 2 5 Caligo terræ scinditur Percussa solis spiculo: Rebusque jam color redit Vultu nitentis sideris. Sic nostra mox obscuritas, 10 Fraudisque pectus conscium, Ruptis retectum nubibus, Regnante pallescet Deo. Tunc non licebit claudere, Quod quisque fuscum cogitat: 15 Sed mane clarescent novo Secreta mentis prodita. Fur ente lucem squalido Impuce peccat tempore: Sed lux dolis contraria 20 Latere furtum non sinit. Versuta fraus et callida Amat tenebris obtegi, Aptamque noctem turpibus Adulter occultus fovet. 25 Sol, ecce, surgit igneus. Piget, pudescit, pœnitet; Nec teste quisquam lumine Peccare constanter potest. Quis mane sumptis nequiter 3 30 Non erubescit poculis, Cum fit libido temperans, Castumque nugator sapit? Nunc, nunc severum vivitur, Nunc nemo tentat ludicrum; 35 Inepta nunc omnes sua Vultu colorant serio. Hæc hora cunctis utilis, Qua quisque, quod studet, gerat; Miles, togatus, navita, 40 Opifex, arator, institor. Illum forensis gloria, Hunc triste raptat classicum: Mercator hinc ac rusticus Avara suspirant lucra. 45 At nos lucelli ac fœnoris Fandique prorsus nescii, Nec arte fortes bellica, Te, Christe, solum novimus. 4 Te mente pura et simplici, 50 Te voce, te cantu pio, Rogare curvato genu 5 Flendo et canendo discimus. His non lucramur quæstibus: Hac arte tantum vivimus: 55 Hæc inchoamus munera, Cum sol resurgens emicat. Intende nostris sensibus, Vitamque totam dispice: Sunt multa fucis illita, 60 Quæ luce purgentur tua. Durare nos tales jube, Quales remotis sordibus Nitere pridem jusseras, Jordane tinctos flumine. 65 Quodcunque nox mundi dehinc Infecit atris nubibus, Tu, rex, eoi sideris Vultu sereno illumina. Tu, sancte, qui tetram picem 6 70 Candore tinguis lacteo, Ebenoque crystallum facis, Delicta terge livida. Sub nocte Jacob cærula, 7 Luctator audax Angeli, 75 Eo usque dum lux surgeret, Sudavit impar prælium. 8 Sed cum jubar claresceret, Lapsante claudus poplite, Femurque victus debile, 80 Culpæ vigorem perdidit. Nutabat inguen saucium, Quæ corporis pars vilior, Longeque sub cordis loco Diram fovet libidinem. 85 Hæ nos docent imagines, Hominem tenebris obsitum, Si forte non cedat Deo, Vires rebelles perdere. Erit tamen beatior, 90 Intemperans membrum cui Luctando claudum et tabidum Dies oborta invenerit. Tandem facessat cæcitas, Quæ nosmet in præceps diu 95 Lapsos sinistris gressibus Errore traxit devio. Hæc lux serenum conferat, Purosque nos præstet sibi. Nihil loquamur subdolum: 100 Volvamus obscurum nihil. Sic tota decurrat dies. Ne lingua mendax, ne manus, Oculive peccent lubrici: Ne noxa corpus inquinet. 105 Speculator adstat desuper, Qui nos diebus omnibus, Actusque nostros prospicit, A luce prima in vesperum. Hic testis, hic est arbiter, 110 Hic intuetur quidquid est,
Humana quod mens concipit:
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Nuit, ténèbres,
nuages confus, brouillards qui voilez le monde, dissipez-vous; la
lumière se lève, l’aube blanchit, le Christ approche.
Traversé comme d’un
dard par les rayons du soleil, le voile obscur de la terre se déchire;
les objets reprennent leurs couleurs sous les regards de l’astre
radieux.
Ainsi les ténèbres
de notre conscience coupable s’effaceront tout à coup, ainsi les nuages
qui la couvrent s’évanouiront au jour où Dieu viendra régner.
Alors il ne sera
plus possible de cacher ses sombres pensées; les plus secrets désirs de
l’âme s’éclaireront à ce nouveau matin.
Le voleur, avant le
jour, pèche impunément durant les heures obscures; mais la lumière,
ennemie des brigandages, ne permet pas que le larcin demeure caché.
La fraude trompeuse
et rusée aime à s’envelopper de ténèbres; l’adultère désire, pour voiler
sa honte, la nuit propice.
Mais dès que se
lève le soleil dans son éclat, le pécheur s’arrête, rougit et se repent.
Qui peut persister dans son crime, quand la lumière en devient le
témoin?
Celui qui s’enivra
hier, ne rougit-il pas, au matin, de ses excès? On voit alors le
débauché feindre la tempérance et le libertin jouer la chasteté.
Le matin on vit
sérieusement, nul ne songe à se dissiper, tous s’efforcent de donner à
leurs folies un air sérieux.
Cette heure est
utile à tous; soldat, magistrat, navigateur, ouvrier, laboureur, chacun
s’y livre aux devoirs de son état.
Celui-ci est
emporté par la gloire du forum; celui-là par le son de la trompette
guerrière. Ici c’est le marchand, là c’est le paysan que l’avarice fait
soupirer après le lucre.
Mais nous, sans
songer au gain, à l’usure, à l’éloquence; nous, inhabiles dans l’art de
la guerre, nous ne connaissons que toi, ô Christ.
Nous apprenons à te
prier d’un cœur pur et simple, à te prier avec nos voix et nos chants
pieux, à te prier en fléchissant les genoux, en pleurant et en
psalmodiant. Tels sont nos travaux et nos gains, telle est notre vie et
notre art; nous commençons ce service dès que resplendit le soleil
levant.
O Christ, veillez
sur nos sens, embrassez de vos regards toute notre vie. Que de choses en
nous sont obscurcies et souillées per le vice. Purifiez-le par votre
lumière.
Faites que nous
persévérions dans cette blancheur dont vous nous fîtes briller, lorsque
nous fûmes lavés de nos taches dans les eaux du Jourdain.
Tout ce que la nuit
du monde a depuis infecté d’épais nuages, illuminez-le, ô notre Roi, des
feux du soleil qui se montre serein à l’Orient.
O Dieu très saint,
qui donnez à la poix la plus noire, la blanche candeur du lait, qui
changez l’ébène en cristal, effacez nos péchés livides.
Sous les voiles
azurés de la nuit, Jacob, luttant audacieusement contre un ange, soutint
un combat inégal tant que le jour ne fut pas levé.
Mais dès que le
soleil resplendit, son jarret fléchit, sa cuisse devenue débile plia; il
n’eut plus assez de force pour prolonger sa résistance.
Il n’eut plus de
force dans les parties basses du corps, qui sont les plus viles, et qui,
éloignées du cœur, favorisent les pensées lascives.
Cette image nous
apprend que l’homme plongé dans les ténèbres, s’il ne cède pas à Dieu,
perdra ses forces rebelles.
Bienheureux celui
qui, au lever du jour, trouve soumise et mortifiée l’intempérance de ses
membres.
Qu’enfin
disparaisse l’aveuglement qui a longtemps entraîné dans des chutes
malheureuses nos pas précipités, et nous a fait marcher dans les
sentiers de l’erreur.
Que cette lumière
nous apporte la sérénité; qu’elle nous rende purs comme elle. Loin de
nous les paroles trompeuses, loin de nous les sombres pensées.
Qu’ainsi s’écoule
le jour entier; ne péchons ni par notre langue menteuse, ni par nos
mains, ni par nos yeux égarés. Qu’aucune faute ne souille notre corps.
Là-haut réside un
témoin qui chaque jour observe nos actions, depuis l’aurore jusqu’au
soir. Ce témoin est aussi notre juge; il voit tout ce qui est, tout ce que conçoit l’esprit humain, et ce juge personne ne le trompe. |
III. HYMNUS ANTE CIBUM. 1 |
III. HYMNE AVANT LE REPAS. |
O crucifer bone, lucisator, Omniparens, pie, verbigena, 2 Edite corpore virgineo; Sed prius in genitore potens, 5 Astra, quorum mare quam fierent. Huc nitido, precor, intuitu Flecte salutiferam faciem, Fronte serenus; et irradia, Nominis ut sub honore tui 10 Has epulas liccat capere. Te sine dulce nihil, Domine:
Nec juvat ore quid
appetere,
Christe, tuus favor imbuerit, 15 Omnia sanctificante fide. Fercula nostra Deum sapiant, Christus et influat in pateras: Seria, ludicra, verba, jocos, Denique quod sumus aut agimus, 20 Trina superne regat pietas. Hic mihi nulla rosæ spolia, 3 Nullus aromate fragrat odor: Sed liquor influit ambrosius, Nectareamque fidem redolet, 25 Fusus ab usque Patris gremio. Sperne, Camena, leves hederas, 4 Cingere tempora queis solita es, Sertaque mystica dactylico Texere docta liga strophio,
30
Laude Dei redimita comas. Ecce, per æquora fluctivagos Texta greges sinuosa trahunt: Piscis item sequitur calamum, Raptus acumine vulnifico, 50 Credula saucius ora cibo. Fundit opes ager ingenuas, Dives aristiferæ segetis, Hic, ubi vitea pampineo Brachia palmite luxuriant, 55 Pacis alumna ubi bacca viret. Hæc opulentia Christicolis Servit, et omnia suppeditat. Absit enim procul illa fames, Cedibus ut pecudum libeat 60 Sanguineas lacerare dapes. Sint fera gentibus indomitis Prandia de nece quadrupedum: Nos oleris coma, nos siliqua Fœta legumine multimodo 65 Paverit innocuis epulis. Spumea mulctra gerunt niveos Ubere de gemino latices Perque coagula densa liquor In solidum coit, et fragili 70 Lac tenerum premitur calatho. Mella recens mihi Cecropia Nectare sudat olente favus: Hæc opifex apis ario Rore liquat, tenuique thymo, 75 Nexilis inscia connubii. Hinc quoque pomiferi nemoris Munera mitia proveniunt: Arbor onus tremefacta suum Deciduo gravis imbre pluit, 80 Puniceosque jacit cumulos. Quæ veterum tuba, quæve lyra Flatibus inclyta vel fidibus, Divitis Omnipotentis opus, Quæque fruenda patent homini, 85 Laudibus æquiparare queat? Te, Patter optime, mane novo, 5 Solis et orbita cum media est, Te quoque, luce sub occidua, Sumere cum monet hora cibum, 90 Nostra, Deus, canet harmonia. Quod calet halitus interior, Corde quod abdita vena tremit, Pulsat et incita quod resonam Lingua sub ore latens caveam, 95 Laus superi Patris esto mihi. Nos igitur tua, sancte, manus Cespite composuit madido, Effigiem meditata suam: Utque foret rata materies, 100 Flavit et indidit ore animam. Tunc per amœna vireta jubet Frondicomis habitare locis, Ver ubi perpetuum redolet, Prataque inulticolora latex 105 Quadrifluo celer amne rigat. Hæc tibi nunc famulentur, ait: Usibus omnia dedo tuis. Sed tamen aspera mortifero Stipite carpere poma veto, 110 Qui medio viret in nemore. Hic draco perfidus indocile Virginis illicit ingenium, Ut socium malesuada virum Mandere cogeret ex vetitis, 115 Ipsa pari peritura modo. Corpora mutua, nosse nefas, Post epulas inoperta vident; Lubricus error et erubuit: Tegmina suta parant foliis, 120 Dedecus ut pudor occuleret. Conscia culpa Deum pavitans Sede pia procul exigitur. Innuba femina quæ fuerat, Conjugis excipit imperium, 125 Fœdera tristia jussa pati. Auctor et ipse doli coluber
Plectitur improbus, ut
mulier Sic coluber muliebre solum 6 130 Suscipit, atque virum mulier. His ducibus vitiosa dehinc Posteritas ruit infacinus : Dumque rudes imitatur avos, Fasque nefasque simul glomerans, 135 Impia crimina morte luit. Ecce, venit nova progenies, Æthere proditus alter homo, Non luteus, velut ifie prior: Sed Deus ipse gerens hominem, 140 Corporeisque carens vitiis. Fit caro vivida sermo Patris, Numine quam rutilante gravis Non thalamo, neque jure tori, Nec genialibus illecebris 145 Intemerata puella parit. Hoc odium vetus illud erat, Hoc erat aspidis atque hominis Digladiabile discidium, Quod modo cernua femineis 150 Vipera proteritur pedibus. Edere namque Deum merita Omnia Virgo venena domat: Tractibus anguis inexplicitis Virus inerme piger revomit, 155 Gramme concolor in viridi. Quæ feritas modo non trepidat, Territa de grege candidulo 7 ? Impavidas lupus inter oves Tristis obambulat, ut rabidum 160 Sanguinis immemor os cohibet. Agnus enim vice mirifica 8 Ecce leonibus imperitat, Exagitansque truces aquilas Per vaga nubila, perque Notos 165 Sidere lapsa columba fugat. Tu mihi, Christe, columba potens, 9 Sanguine pasta cui cedit avis: Tu niveus per ovile tuum Agnus hiare lupum prohibes, 170 Sub juga tigridis ora premens. Da, locuples Deus, hoc famulis Rite precantibus, ut tenui Membra cibo recreata levent : Neu piger immodicis dapibus 175 Viscera tenta gravet stomachus. Haustus amarus abesto procul; Ne libeat tetigisse manu Exitiale quid aut vetitum: Gustus et ipse modum teneat, 180 Sospitet ut jecur incolume. Sit satis anguibus horrificis, Liba quod impia corporibus Ah ! miseram peperere necem. Sufficiat semel ob facinus 185 Plasma Dei potuisse mori. Oris opus., vigor igneolus Non moritur; quia flante Deo Compositus, superoque fluens De solio Patris artificis, 190 Vim liquidæ rationis habet. Viscera mortua quin etiam Post obitum reparare datur, Eque suis iterum tumulis Prisca renascitur effigies, 195 Pulvereo cœunte situ. Credo equidem, neque vana fides, Corpora vivere more animæ : Nam modo corporeum memini De Phlegethonte gradu facili 200 Ad superos remeasse Deum. Spes eadem mea membra manet: Quæ redolentia funereo Jussa quiescere sarcophago,
Dux parili redivivus humo
|
O Christ, bon
Sauveur, créateur de la lumière, par qui tout a été fait,
miséricordieux, engendré par la parole du Père, conçu dans le sein d’une
vierge, mais déjà puissant dans le sein du Père, avant la création des
cieux, de la terre et des mers.
Je vous en supplie,
dirigez vers nous un brillant regard de votre face salutaire, tournez
vers nous votre front rayonnant et serein, afin que nous puissions, en
l’honneur de votre nom, prendre ces aliments.
Sans vous rien
n’est doux, Seigneur, la bouche n’a aucun plaisir à prendre quelque
nourriture avant que votre grâce n’ait béni les aliments et les
breuvages, et que tout soit sanctifié par la foi.
Que nos tables nous
fassent goûter Dieu, que le Christ coule dans nos coupes. Que la sainte
Trinité, du haut des cieux, règle nos heures sérieuses, nos amusements,
nos paroles, nos jeux, tout ce que nous sommes, tout ce que nous
faisons.
Ici point de roses
effeuillées, point d’arome exhalant son parfum, mais pour moi coule,
versée du sein du Père, une ambroisie divine, et la foi répand le plus
doux nectar.
O muse, méprise le
lierre dont tu as coutume de ceindre tes tempes; habile à te tresser de
mystiques couronnes, mets aujourd’hui pour diadème autour de tes cheveux
le chant des louanges de Dieu en strophes dactyliques.
Habitante de la
lumière et de l’éther, l’âme, dont l’origine est si noble, peut-elle
payer à Dieu un plus juste tribut d’hommages qu’en chantant les
bienfaits dont elle est comblée, qu’en entonnant les louanges de son
créateur?
C’est lui qui a
tout donné à l’homme, et ce que nous saisissons d’une main puissante, et
ce que les cieux, la terre et les mers produisent dans l’air, les flots
et les champs. Il a tout soumis à moi et il m’a soumis à lui.
Un artifice
trompeur emprisonne les oiseaux dans des pièges et des filets. Des
baguettes enduites de glu retiennent le peuple ailé et l’empêchent de
fuir.
Dans les flots, des
filets sinueux ramassent les divers animaux qui errent au sein des mers.
Le poisson est pris aussi avec un roseau. La pointe de l’hameçon
l’entraîne hors de l’eau en déchirant sa bouche trompée par un appât
menteur.
La campagne,
enrichie d’épis chargés de grains, produit d’elle-même des trésors sans
nombre. Les rameaux de la vigne étendent ici leur pampre luxuriant, là
fleurit l’olivier ami de la paix.
Ces richesses
suffisent aux chrétiens et contentent leurs besoins. Loin de nous cette
faim qui se plaît à égorger des troupeaux et à déchirer des viandes
sanglantes.
Que les peuples qui
ne sont pas soumis au Christ tuent des quadrupèdes pour leurs cruels
repas; nous les herbages tendres, les siliques pleines de légumes variés
suffisent à nos innocents festins.
Un lait plus blanc
que la neige, jaillissant d’une double mamelle, écume dans le vase qui
sert à traire. Dans d’autres vases, la douce liqueur devient solide, et
ce lait encore tendre est pressé dans de frêles corbeilles.
Un nouveau rayon de
miel attique distille pour moi un nectar odorant; l’abeille, ouvrière
virginale, l’a extrait de la rosée aérienne et des petites feuilles du
thym.
La campagne a aussi
des vergers pleins de fruits variés qui m’offrent de doux présents.
L’arbre, tremblant sous le poids de ses richesses, laisse tomber de ses
branches, comme une pluie, ses fruits rouges et murs qui s’entassent à
ses pieds.
La trompette épique
des anciens poètes, les cordes illustres de leur lyre pourraient-elles
louer assez les ouvrages merveilleux du Dieu tout puissant et les biens
dont ils font jouir les hommes?
O Père très bon,
que nos hymnes vous chantent chaque matin, qu’ils vous chantent lorsque
le soleil a parcouru la moitié de sa course, qu’ils vous chantent
lorsque cet astre disparaît à l’occident, chaque fois que l’heure nous
avertit de prendre de la nourriture.
Que l’haleine
intérieure qui m’échauffe, que le sang qui coule dans mes veines et fait
battre mon cœur, que ma langue, ma bouche et mon gosier sonore ne me
servent qu’à louer mon père qui est au ciel.
O Père saint! ta
main nous a donc faits avec du limon humide, tu nous as formés à ton
image, et pour que la pensée fût unie à la matière, tu as soufflé, et ta
bouche nous a donné une âme.
Dieu donne à
l’homme pour séjour des jardins délicieux qu’ombragent des arbres
magnifiques, qu’embaume un printemps éternel et où les eaux limpides de
quatre fleuves arrosent des prairies émaillées de mille fleurs.
Tout ici doit te
servir, lui dit-il, je te livre tout pour ton usage, cependant je te
défends de cueillir le fruit fatal de l’arbre de mort, qui étend ses
rameaux au milieu du Paradis.
Le serpent perfide
tente l’esprit indocile de la femme afin que, donnant à son époux de
mauvais conseils, elle lui fasse cueillir le fruit défendu qui donnera
aux deux coupables une égale mort.
Dès qu’ils ont
mangé, chose honteuse à connaître, ils s’aperçoivent que leurs corps
sont sans voile. Ils rougissent de leur nudité; après leur faute, afin
que la pudeur cache la honte, ils assemblent des feuilles et se font un
vêtement.
Les coupables,
sentant leur faute, ont peur de Dieu. Ils sont chassés du jardin sacré!
La femme, jusqu’alors vierge, est soumise à la puissance de son époux et
condamnée à subir une alliance pleine pour elle de douleurs.
Le serpent
lui-même, auteur de tout mal, est puni de sa méchanceté. La femme
écrasera sous son pied sa tête aux trois dards. Ainsi le serpent est
subjugué par la femme et la femme par l’homme.
De cette source
découle une postérité vicieuse qui se précipite dans le crime, mêlant
sans cesse le bien et le mal, et imitant ses premiers ancêtres. Elle est
punie de ses fautes impies par la mort.
Voilà que vient une
nouvelle race. Un autre homme descend du ciel. Il n’est pas formé du
limon commet le premier Adam; c’est un Dieu revêtu de la nature humaine
sans avoir aucun des vices de notre corps.
Le verbe du Père
devient chair vivante. C’est une vierge qui l’a mis au monde sans que
jamais l’union nuptiale ou les joies charnelles aient terni sa
virginité. C’est l’Esprit-Saint qui l’a rendue féconde.
La vipère infernale
est écrasée sous le pied d’une femme. Ce triomphe est la cause de la
haine antique, de la lutte implacable entre l’homme et le serpent.
La Vierge, qui a
mérité d’être, mère de Dieu, a détruit tout le venin de la vipère. Elle
roule en vain ses nombreux anneaux sous le pied qui la broie, et la
force à vomir son poison sur le gazon vert comme elle.
Quelle bête féroce
ne tremblera pas bientôt, effrayée par le blanc troupeau du Christ? Au
milieu des brebis sans effroi, le loup se promène triste, et ferme sa
gueule affamée, qui oublie le carnage.
Par un changement
merveilleux, l’agneau commande aux lions; poursuivant les aigles cruels
à travers les nuages errants, une colombe descendue du ciel les met en
fuite.
C’est vous, ô
Christ ! qui êtes pour moi la colombe à qui cède l’aigle sanguinaire;
vous êtes l’agneau à la blanche toison qui défendez au loup de hurler
dans votre bercail, et soumettez au joug le tigre féroce.
O Dieu infini,
faites que vos serviteurs, dont vous agréez les prières, ne soutiennent
les forces de leurs membres qu’avec une légère nourriture, et que leur
estomac ne charge pas leurs entrailles de trop copieux aliments.
Loin de nous une
boisson qui nous serait nuisible. Que notre main ne touche aucune
nourriture funeste ou défendue. Soyons sobres et mesurés en mangeant
pour nous conserver sans maladie.
Ne suffit-il pas au
serpent infernal d’avoir donné à nos corps une mort malheureuse par une
nourriture impie? Ne suffit-il pas que la créature de Dieu, à cause de
son crime, ait pu mourir une fois?
Œuvre de la bouche
de Dieu, flamme puissante, l’âme ne meurt pas. Née du souffle de Dieu,
découlant du trône élevé du Père son créateur, elle a toute l’énergie de
la pensée immatérielle.
Bien plus! notre
chair morte peut se ranimer après le trépas. La poussière des tombeaux
se réunit et notre première forme renait.
Je crois, et ma foi
n’est point vaine, que les corps vivent comme les âmes, car le Dieu fait
chair, je le sais, est remonté facilement de l’enfer aux cieux.
Le même sort, je l’espère, attend ma chair. Après qu’elle se sera reposée dans le sépulcre funèbre, celui qui est sorti vivant de cette terre où je serai enseveli, le Christ l’appellera dans les cieux enflammés. |
IV. HYMNUS POST CIBUM. |
IV. HYMNE APRES LE REPAS. |
Pastis
visceribus ciboque sumpto,
5 Nec non
et Seraphin suum supremo 1
10 Fons
vitæ liquida fluens ab arce,
15 A
Christo simul et Parente missus.
20 Inter
viscera jam dicata sensit,
25 Nec
solus pudor innocensve votum
30 Usque
ad congeriem coartet intus.
35 Artus
atque animas utroque pastu
40 Illum
fusile numen execrantem
45 Sævis
protinus haustibus vorandum.
50
Mansuescit rabies fameque blanda
55 Jussus
nuntius advolare terris,
60
Agresti bonus exhibebat arte.
65 Sensim
labitur in lacum leonum,
70 His
sumptis Danielus excitavit
75 Grates
reddimus et sacramus hymnos.
80
Insanos acuens furore dentes,
85 Nec
defit tamen anxiis medela;
90
Internis velit inplicare venis,
95 Nil
quod plus hominem juvare possit,
100 Nos
semper Dominum patrem fatentes |
Nos entrailles sont
rassasiées; nous avons pris les aliments réclamés par l’infirme
condition du corps, que notre langue chante en ses louanges Dieu le père
Le Père qui, assis
sur un trône élevé, domine et régit les séraphins et les chérubins,
degrés sacrés de son trône.
C’est lui que nous
appelons Dieu Sabaoth. Il n’a pas de commencement, il n’aura pas de fin.
Il est le créateur de toutes choses et lui seul a formé le monde.
La fontaine de vie
coulant d’une source intarissable, le Verbe répand la foi et inspire la
pudeur; il est vainqueur de la mort et auteur du salut.
Tout ce que nous
avons de vie et de vigueur nous vient aussi de l’esprit qui règne
éternellement, procédant à la fois du Père et du Christ.
Cet esprit sans
tache entre dans les cœurs purs qui, consacrés comme des temples, se
réjouissent lorsque de toutes leurs forces ils se sont abreuvés de Dieu.
Mais s’il sent que
le vice ou la fraude commencent à naître au milieu de ces cœurs
consacrés, il se hâte de les fuir comme un sanctuaire souillé.
Les feux horribles
du péché font exhaler à la conscience une vapeur épaisse dont la
noirceur offense le Saint-Esprit et le repousse.
Mais ce n’est pas
seulement la pudeur et les désirs innocents qui forment dans le secret
du cœur un temple éternel au Christ.
Il faut prendre
garde aussi de ne pas s’échauffer dans la crapule, de ne pas se remplir
d’aliments jusqu’à accabler sous le poids des viandes le cœur, siège de
la foi.
Les cœurs dégagés,
parce que leur nourriture est sobre, reçoivent mieux, quand il se répand
en eux, Dieu la vraie nourriture de l’âme et sa vraie saveur.
Mais, ô Père! tu
nous fais la grâce d’un double aliment, tu nourris à la fois nos corps
et nos âmes, tu les fortifies, tu les remplis de vigueur.
C’est ainsi que
jadis ta puissance souveraine ranima, par des aliments descendus du
ciel, un homme jeté au milieu des lions rugissants.
Parce qu’il avait
eu horreur d’une idole de métal, et avait regardé comme un crime de
courber sa tête devant une statue d’airain poli,
Le peuple et le roi
de la cruelle Babylone l’avaient condamné à mort, l’avaient livré aux
bêtes féroces pour qu’il fût dévoré aussitôt par leurs gueules cruelles.
O piété! ô foi
toujours en sûreté ! Les lions indomptés lèchent cet homme, ils ne font
aucun mal à cet enfant de Dieu et tremblent devant lui.
Ils s’approchent,
abaissent leur crinière; leur rage s’adoucit, leur faim s’apaise, leur
langue amie caresse leur proie.
Mais lorsque,
toujours en prison et manquant de vivres, il élève ses mains vers le
ciel, priant le Dieu dont il avait éprouvé la bonté,
Un messager céleste
reçoit l’ordre de descendre sur la terre et de donner de la nourriture à
ce serviteur éprouvé. Il s’élance à travers l’espace obéissant.
Il aperçoit des
aliments qui n’ont pas été achetés, que le prophète Habacuc, avec un art
rustique, a préparés pour les moissonneurs.
Il le saisit en ce
moment par les cheveux, tout chargé de ses corbeilles, le soulève et le
porte à travers les airs.
Le prophète ainsi
enlevé et ses aliments, descendent doucement dans la fosse aux lions; il
offre le festin qu’il portait.
Reçois avec joie,
dit-il, goûte avec plaisir la nourriture que t’envoient, en ce pressant
péril, le Père suprême et l’ange du Christ.
Quand il l’eut
prise, le prophète Daniel tourna son visage vers le ciel, et, fortifié
par cet aliment, il dit: Amen, et chanta Alléluia.
Ainsi ranimés par
vos dons, ô Dieu qui nous dispensez tous les biens, nous rendons grâce
et nous entonnons des hymnes sacrés!
Vous veillez sur
nous, entourés des efforts impuissants du monde, affreux tyran, et vous
repoussez la bête féroce qui rôde frémissante et cherche à nous dévorer,
aiguisant ses dents en sa fureur insensée, parce que nous ne cessons de
vous prier, ô Dieu suprême!
Nous sommes
affligés, oppressés, accablés de maux; on noué hait, on nous déchire, on
nous persécute, on nous blesse; la foi subit d’injustes supplices.
Mais dans notre
anxiété nous ne manquons pas de remèdes, car la colère du lion affamé
languit, et de célestes nourritures nous sont apportées.
Si quelqu’un altéré
s’en nourrit, non d’un gosier délicat, mais à pleine bouche, et veut en
remplir ses entrailles,
Il sera rassasié
par un saint prophète, et goûtera les aliments des hommes justes qui
moissonnent des fruits pour un Maître éternel.
Rien n’est plus
doux, rien n’est plus savoureux, rien ne peut mieux délecter l’homme que
les pieuses paroles chantées par le prophète.
Nourris de ces
paroles, qu’une puissance insolente nous croie méchants et nous condamne
à mort, que les lions affamés se précipitent sur nous:
Toujours nous confesserons Dieu le Père, toujours nous dirons qu’il est Un avec toi, ô Christ Dieu! toujours nous porterons ta croix. |
V. HYMNUS AD INCENSUM LUCERNÆ. 1 |
V. HYMNE A L’HEURE OU LES LAMPES SONT ALLUMÉES. |
Inventor rutili, dux bone, luminis,
5 Quamvis
innumero sidere regiam
10 In
Christi solido corpore conditam,
15 Quin
et fila favis scirpea floreis
20 Seu
ceram teretem stuppa calens bibit.
25
Splendent ergo tuis muneribus, Pater,
30
Manantemque Deo cernat originem?
35 Jussus
nexa pedum vincula solvere,
40 Jam
liber sequitur longa per avia:
45 Sed
rex Niliaci littoris invido
50
Accingunt gladiis, triste canit tuba:
55
Conscendunt celeres signaque bellica
60 Rubris
littoribus fessa resederat.
65
Præbent rupta locum stagna viantibus
70
Inritata odiis rege sub inpio
75 Sed
confusa dehinc unda revolvitur
80 Arcis
justitium triste tyrannicæ.
85 Qui
pontum rapidis æstibus invium
90
Exundant scatebris, et latices novos
95 Lignum
est, quo sapiunt aspera dulcius;
100 Quam
dat sidereo Christus ab æthere.
105 Hæc
olim patribus præmia contulit
110
Discissis populum turbinibus regens
115 Et
molles violas et tenues crocos
120
Prælambens fluvius portat in exitum.
125 Sunt
et spiritibus sæpe nocentibus
130
Surgens oceano Lucifer inbuit,
135
Functorum populus liber ab ignibus,
140
Extructoque agimus liba sacrario.
145
Credas stelligeram desuper aream
150
Noctis principio grex tuus offerat,
155
Lumen, quod famulans offero, suscipe,
160
Spirat de patrio corde paraclitum. Texens perpetuis secula seculis. |
Auteur de la
brillante lumière, bon Maître qui divises les temps par des successions
fixes, le soleil s’est plongé dans l’Océan, l’affreux chaos nous
envahit, ô Christ! rends la lumière à tes fidèles!
Quoique tu aies
décoré les cieux d’astres sans nombre, quoique tu aies donné à la terre
la lune pour flambeau, tu nous apprends à frapper un caillou pour en
faire jaillir des étincelles, semences de lumière.
Afin que l’homme
n’ignore pas qu’il n’a d’autre espérance de lumière que dans le corps
immortel du Christ, qui a voulu s’appeler la pierre ferme, d’où sort
l’étincelle qui allume nos faibles feux.
Nous entretenons
nos feux avec des lampes où sont versés des flots d’huile onctueux, ou
avec des torches arides; de plus, nous enduisons de cire, composée avec
le suc des fleurs, mais dépouillée de tout miel, de longs fils de jonc.
La flamme est
vivante et vigoureuse, soit que dans les flancs creux d’une lampe le
chanvre s’imbibe d’un suc onctueux, soit que le pin l’alimente avec sa
poix, soit que l’étoupe enflammée boive la cire arrondie.
Le nectar brûlant
découle du sommet du cierge goutte à goutte en larmes odorantes, la
force du feu. fait tomber cette pluie bouillante qui se liquéfie.
Par vos bienfaits,
ô Père! des flammes mobiles resplendissent dans vos demeures. La lumière
rivalise avec le jour absent, devant elle la nuit s’enfuit avec son
manteau déchiré.
Mais qui ne voit
pas l’origine sublime de la lumière aux rapides rayons? Qui ne voit pas
qu’elle découle de Dieu? Moïse vit Dieu dans un buisson épineux, comme
une flamme d’une lumière éclatante.
Heureux qui mérita
devoir dans un buisson sacré le Prince du trèfle céleste, après avoir
reçu l’ordre de dénouer les liens de ses pieds, de peur de souiller un
lieu saint avec ses chaussures.
Un peuple de race
illustre, protégé par les mérites de ses aïeux, et très puissant,
habitué à vivre sous des maîtres barbares, libre enfin, suit ce feu à
travers de vastes déserts.
Partout où ils
portaient leurs pas et transportaient leurs camps au milieu de la nuit
azurée, un rayon plus brillant que le soleil précédait de son éclat
conducteur le peuple vigilant.
Mais le roi des
rivages arrosés par le Nil, embrasé du fiel de la jalousie, ordonne à
une troupe vaillante d’aller combattre les cohortes qui fuient, et à la
trompette guerrière de rassembler une armée bardée de fer.
Des hommes en foule
prennent leurs armes, ils ceignent leurs glaives menaçants; la trompette
sonne le combat; l’un se confie en ses javelots, l’autre arme de traits
volants des roseaux de Crète.
La foule des
fantassins se forme en coins épais, d’autres montent sur des chars, sur
des chevaux, sur des roues aux ailes rapides, et déploient leurs
drapeaux guerriers ornés de fiers dragons.
La mer Rouge a
ouvert ses gouffres hospitaliers au peuple longtemps brûlé par les
chaleurs de l’Egypte, et qui oublie maintenant son ancien esclavage; il
s’est assis fatigué sur le rivage de la mer.
L’ennemi cruel
s’avance avec son chef perfide, il commence le combat avec ses
vaillantes troupes, mais Moïse ordonne aux siens de marcher dans la mer
d’un pas intrépide.
Les flots
s’entrouvrent et offrent aux Hébreux qui les traversent, un chemin
jusqu’au rivage. L’eau qui les entoure arrête ses vagues transparentes,
tandis qu’ils marchent au milieu de la mer divisée.
Les jeunes
guerriers d’Egypte, au teint hâlé, sont pleins de haine et de colère
sous leur roi impie; ils ont soif de verser le sang des Hébreux, et
osent se confier aux gouffres de la mer.
Les bataillons du
roi allaient précipitant leurs tourbillons au milieu des flots, mais
l’onde s’écroule en vagues confuses qui roulent les unes contre les
autres dans l’abîme tumultueux.
On pouvait voir en
ce naufrage surnager les chars, les chevaux, les traits, les nobles
guerriers eux-mêmes, et les corps errants des noirs satellites, deuil
affreux d’un puissant tyran.
Quelle langue
pourra célébrer tes louanges, ô Christ! dont la droite a forcé l’Egypte,
accablée de plaies sans nombre, de céder devant ta justice vigilante?
Toi qui défends à
la mer d’agiter ses ondes rapides, afin que sous ta conduite un passage
sûr s’ouvre au sein des flots amers, et que l’onde meurtrière dévore
ensuite les impies.
Toi qui fais
jaillir des flots murmurants des arides rochers du désert, et forces la
pierre à s’ouvrir et à répandre de nouvelles ondes pour abreuver un
peuple altéré sous un soleil de feu.
Les eaux d’un lac
affreux, plus amères que le fiel, par la vertu d’un bois bienfaisant,
deviennent comme le miel attique. Il y a un bois par qui toute amertume
se change en douceur, car, attachée à la croix, l’espérance des hommes
se fortifie.
Une blanche
nourriture tombe des cieux, plus abondante que la grêle en hiver, et
remplit les camps; on charge les tables de cet aliment que le Christ
envoie des cieux étoilés.
Le souffle d’un
vent de pluie porte sur une épaisse nuée de légers oiseaux dont la
troupe, une fois précipitée sur le sol, ne s’envole pas pour prendre la
fuite.
Voilà les bienfaits
dont l’insigne bonté du Dieu unique a jadis comblé nos pères; c’est
aussi par sa bonté que nous sommes nourris, rassasiant nos cœurs de
mystiques aliments.
Il appelle à lui
ceux qui sont fatigués par les tempêtes du siècle, il conduit son peuple
en écartant de lui les flots tumultueux, il ordonne aux âmes accablées
de mille peines de monter dans la patrie des justes.
Là, partout des
rosiers empourprés parfument la terre arrosée par des ruisseaux fugitifs
qui font croître le souci plein de suc, les douces violettes, le crocus
au léger calice.
Là, de tendres
rejetons distillent des flots de baume; là exhalent leurs parfums le
cinname si rare et le nénuphar que le fleuve à sa source caresse pour
l’emporter jusqu’à la mer.
Les âmes heureuses,
dans les prés verdoyants, chantent avec un harmonieux accord une douce
mélodie, des hymnes qui résonnent avec suavité; ils pressent de leurs
pieds des lis éclatants de blancheur.
Dans le lieu des
expiations ce sont des moments de repos, pour les âmes qui ont souvent
péché, que les retours de la nuit où le lieu saint remonta des enfers
aux cieux,
Non comme l’étoile
du matin sortant de l’Océan et pénétrant les ténèbres avec son brillant
flambeau, mais plus radieux que le soleil, rendant un nouveau jour à la
terre attristée par la croix du Sauveur.
Le Tartare languit,
ses tourments s’adoucissent; le peuple des ombres, délivré de ses feux,
se réjouit de ce repos dans sa prison; dans les fleuves infernaux ne
bouillonne pas le soufre accoutumé.
Nous, réunis par
des fêtes, nous passons la nuit dans des joies pieuses, nous rassemblons
à l’envi, dans une prière vigilante, nos vœux prospères, et nous offrons
nos dons sur l’autel élevé pour les recevoir.
Des lampes sont
suspendues à des cordes mobiles, et brillent attachées aux lambris;
vacillant au-dessus des flots d’huile qui l’alimentent, la flamme inonde
de lumière le verre transparent.
On croirait voir au
haut du temple une voûte étoilée qu’ornent la grande et la petite Ourse,
et des vesper empourprées répandues vers cet endroit du Septentrion où
brille le timon du Bouvier.
Il est digne et
juste, ô Dieu! que ton troupeau t’offre, au commencement de la nuit
humide de rosée, la lumière, le plus précieux de tes dons, la lumière
qui nous fait apercevoir tes autres bienfaits.
C’est toi qui es la
vraie lumière de nos yeux, la vraie lumière de nos pensées, tu es notre
miroir au dedans et notre miroir au dehors, reçois la lumière que je
t’offre humblement teinte de l’onction du chrême de paix.
Père souverain, je
t’en prie par le Christ ton Fils en qui ta gloire repose visiblement,
Notre-Seigneur, ton Fils unique, de qui procède, ainsi que de ton cœur
de Père, le Paraclet;
Par qui ta splendeur, ta gloire, ta louange, ta sagesse, ta majesté, ta piété, prolongent éternellement leur règne sous un triple nom, durant les siècles des siècles. |
V. HYMNUS ANTE SOMNUM. |
VI. HYMNE AVANT LE SOMMEIL. |
Ades
Pater supreme,
5 O
Trinitatis huius
10 Redit
et quietis hora,
15 Totis
bibit medullis
20
Patitur manere sensum.
25 Sed
dum pererrat omnes
30 Rapido
vigore sensus,
35
Purusque fons ab æthra
40 Tenui
fruatur actu.
45
Plerumque dissipatis
50 Non
polluit frequenter,
55 Lusus
pavore multo
60
Interpres adprobavit.
65 Ipsum
deinde regem
70 Regnum
per omne jussus
75 Aperit
tuenda Christus,
80
Nebulis videt remotis:
85 Hujus
manum potentem
90
Animæque corporisque
95
Paucosque non piorum
100 Nomen
supra omne nomen.
105 Quam
bestiam capacem
110
præferre nomen ausa est,
115 Ut
spiritu sagaci
120
Vitiat cupido rerum.
125
Cultor Dei memento
130
Castum petis cubile,
135 Tali
dicata signo
140
Præstigiator astu!
145
Discede, Christus hic est,
150
Jaceat recline paullum, Meditabimur sopore. |
Secourez-nous, Père
suprême que jamais personne n’a vu, et vous, ô Christ! parole du Père,
et vous, Esprit de bonté.
O de cette Trinité,
force unique, lumière unique! ô Dieu de Dieu éternellement! ô Dieu
procédant du Père et du Fils!
Le travail du jour
cesse, l’heure du repos revient, un sommeil fortifiant va reposer les
membres fatigués.
L’âme, agitée par
des tempêtes, tourmentée par des soucis rongeurs, boit à pleine coupe le
breuvage de l’oubli.
Par tout le corps
se glisse l’assoupissement, il empêche les malheureux de ressentir
encore l’aiguillon de la douleur.
C’est Dieu qui l’a
voulu. Il a soumis à cette loi nos membres débiles, afin de tempérer nos
labeurs par un agréable remède.
Mais tandis qu’un
repos ami coule dans nos veines, tandis que notre cœur, livré au
sommeil, goûte un calme heureux,
L’âme, libre dans
l’espace, erre avec autant de force que de rapidité, et dans les
diverses figures elle aperçoit tout ce qui se laisse découvrir.
Délivrée des soins
du corps, l’âme, dont l’origine est céleste, dont la source pure est au
plus haut de l’éther, ne peut pas rester gisante et inerte.
Elle compose les
plus diverses figures et se les représente, et, passant de l’une à
l’autre, elle agit encore vaguement durant le sommeil.
Mais ces figures
informes et trompeuses fatiguent les sens de ceux qui dorment; parfois,
au milieu des rêves, scintille une splendeur qui permet de connaitre
l’avenir.
Le plus souvent la
vérité s’évanouit; une menteuse image trompe par d’horribles visions les
âmes saisies d’épouvante et d’effroi.
Celui dont les
mœurs ne sont pas corrompues par des fautes nombreuses, voit la nuit une
lumière sereine qui lui fait connaître les choses cachées.
Mais celui qui
souille son cœur par le vice et l’impiété, jouet des terreurs nocturnes,
voit des fantômes horribles.
Le patriarche
Joseph, dans les chaînes de sa prison, interpréta les songes des deux
ministres de Pharaon.
L’un, retournant à
la cour, fut de nouveau l’échanson du roi; l’autre, attaché au poteau,
fut dévoré par les oiseaux de proie.
Joseph ensuite
avertit le roi lui-même, fatigué par des songes obscurs, d’entasser le
blé dans les greniers pour se mettre en garde contre une famine
prochaine.
Bientôt, chef et
tétrarque, il reçut l’ordre d’étendre sur tout le royaume son sceptre
ami, et il s’assit sur le trône de son maître.
Oh ! que de secrets
profonds, glorieux, et sur lesquels il faut se taire, le Christ découvre
aux justes pendant le sommeil !
L’évangéliste
bien-aimé du divin Maître, aperçut les prodiges cachés dans les nuages
de l’avenir.
Il vit l’Agneau de
Dieu lui-même, empourpré de son sang, pouvant seul ouvrir le livre où
les secrets de l’avenir sont contenus.
Un glaive à deux
tranchants arme sa puissante main, et, jetant des éclairs de deux côtés,
menace de frapper un double coup.
Il est le seul juge
de l’âme et du corps, et son glaive, deux fois redoutable, donne la
première et la seconde mort.
Le même Agneau,
cependant, vengeur miséricordieux, apaise son courroux; ceux qu’il
condamne à la mort éternelle, pour n’être pas pieux, sont en petit
nombre.
Le Père éternel lui
fait présider le céleste tribunal, il e voulu qu’il eût un nom au-dessus
de tout nom.
Il est le
tout-puissant vainqueur du cruel antéchrist. Oh! qu’il remporte un
magnifique trophée sur ce monstre furieux!
Cette bête
dévorante qui engloutit les peuples, cette Charybde sanguinaire, saint
Jean la maudit.
Elle a osé usurper
un nom saint et sacré. Vaincue par le Christ, qui seul est vrai, elle
tombe au fond des enfers.
Tel est le sommeil
qui repose les saints et les justes, et d’un esprit libre leur fait
parcourir le ciel.
Nous ne méritons
pas les songes de ceux qui sont remplis d’erreurs et souillés par
l’ardent désir des choses mauvaises. Il nous suffit de ranimer dans un
doux repos notre corps fatigué, heureux si de vaines ombres ne nous font
aucune sinistre menace.
Serviteur de Dieu,
souviens-toi que les flots sacrés du baptême ont coulé sur toi et que tu
as été marqué du saint chrême.
Lorsque, appelant
le sommeil, tu gagnes ton chaste lit, fais le signe de la croix sur ton
front et sur ton cœur.
La croix chasse
tout crime, les ténèbres fuient la croix, l’âme protégée par un tel
signe ne peut chanceler.
Loin, ô loin de
nous les songes confus aux prodiges étranges, loin de nous le démon
tentateur et ses prestiges.
O serpent tortueux
qui te glisses par mille méandres, par mille fraudes entortillées pour
agiter les cœurs tranquilles,
Retire-toi, le
Christ est ici; le Christ est ici, va-t’en; le signe que tu connais
dissipe toute ta cohorte;
Quoique ce corps fatigué repose un peu, couché, cependant au milieu même du sommeil nous penserons à Jésus-Christ. |
VII. HYMNUS JEJUNANTIUM. |
VII. HYMNE DES JOURS DE JEUNE. |
O
Nazarene, lux Bethlem, verbum Patris,
5
Jejuniorum dum litamus victimam.
10
Obstrangulatæ mentis ingenium premat.
15 Parcam
subactæ disciplinam sentiunt.
20
Animusque pigris stertat in præcordiis.
25 Rerum
parentem rectius precabitur.
30 Casto
fruentem syrtium silentio.
35 Olim
probatis inclitum jejuniis.
40 Omni
carentem cerneret substantia.
45
Expavit ignem non ferendum visibus.
50 Dedit
sequendam calle recto lineam.
55
Inlapsa terris inveniret veritas.
60 Quam
prædicaret virginem plenam Deo.
65
Contaminatis oppidorum moribus.
70
Liquore pastum corpori suetus dare.
75 Cælo
refulgens influebat spiritus.
80 Sudum
polito prænitens purgamine.
85 Pie
repressis ignibus pepercerit.
90 Cultum
superni negligebat numinis.
95
Vibrans tonantum nube flammarum quatit.
100
Paullumque dicta substitit sententia.
105
Tectam latenter vertit in Tharsos fugam. 3
110 Sors
in fugacem missa vatem decidit. 115 Alvi capacis vivus hauritur specu. Transmissa raptim præda cassos dentium Eludit ictus, incruentsm transvolans Impune linguam : ne retentam mordicus
Offam molares dissecarent
uvidi, 120 Os omne transit, et palatum præterit. Ternis dierum ac noctium processibus Mansit ferino devoratus gutture. Errabat illic per latebras viscerum:
Ventris Mæandros circuïbat
tortiles
125
Anhelus, extis intus æstuantibus.
130
Ructatus exit seque servatum stupet.
135
Urbemque flamma mox cremabit, credite.
140 Nato
et repente perfruens umbraculo.
145
Pallens juventus, eiulantes feminæ.
150
Crinem fluentem sordidus spargit cinis.
155
Jacens arenis et puer provolvitur.
160 Turpi
capillos inpeditus pulvere.
165 Sucum
papillæ parca nutrix derogat.
170
Vacuis querelæ personant præsepibus.
175
Solvit reatum fitque fautrix flentium.
180
Emanuel est, sive NOBISCUM DEUS.
185
Regnantis ante victor et cupidinis.
190 Vas
adpetendis inbecillum gaudiis.
195 Sed
increpata fraude post tergum ruit.
200 Late
triumphet inperator spiritus.
205 Quod
limat ægram pectoris rubiginem.
210 Si
blanda semper misceatur largitas.
215 Inter
potentes atque egenos ducere. 220 Ditatque fructus fænerantem centuplex. |
O Nazaréen, lumière
de Bethléem, verbe du Père, que l’enfantement d’une vierge a mis au
monde, ô Christ! daigne agréer nos chastes abstinences, ô roi ! vois
notre fête d’un œil serein, nous offrons en sacrifice des jeûnes.
Rien de plus pur
assurément que ce mystère qui purifie les fibres vivantes du cœur, qui
réduit les entrailles intempérantes, de peur que l’embonpoint crapuleux
du corps n’étrangle l’esprit et n’étouffe ses pensées.
Le jeûne dompte le
luxe et la gourmandise honteuse. La paresse amollissante du vin et du
sommeil, les vices divers des sens languissants se sentent soumis à une
étroite discipline.
Si on prend sans
mesure de la nourriture et de la boisson, si on ne mortifie pas ses
membres par des jeûnes réglés, la noble flamme de l’esprit s’attiédit,
amaigrie par de fréquentes jouissances, et l’âme s’assoupit dans des
entrailles paresseuses.
Imposons donc un
frein aux désirs de nos corps, et que notre prudence intérieure,
purifiée, brille de tout son éclat; alors la pointe de notre esprit sera
aiguisée, notre âme aura un souffle plus libre et priera avec plus de
piété le créateur de toutes choses.
Telle est
l’observance qui fit croître en vertu Elie, vieux prêtre, hôte d’une
campagne aride. On dit, qu’éloigné et séparé de tout bruit, il avait
méprisé la foule des pécheurs et jouissait du chaste silence du désert.
Mais bientôt il
s’envola dans les airs, emporté sur un char rapide par des chevaux de
feu, de peur que le monde se rapprochant, n’exhalât la contagion de ses
crimes sur cet homme paisible, longtemps illustré par se jeûnes
éprouvés.
Moïse, le fidèle
interprète du trône redoutable de Dieu, ne put voir le roi du ciel aux
sept régions avant que le soleil, parcourant le firmament, ne l’eût
retrouvé pendant quarante jours privé de toute nourriture.
Il priait et
n’avait d’autre aliment que ses larmes. Veillant la nuit, il abaissait
son front dans la poussière et pressait la terre trempée de ses pleurs,
jusqu’à ce que, secoué par la voix de Dieu qui lui parlait, il trembla
devant le feu dont ses regards ne pouvaient supporter l’éclat.
Il ne pratiqua pas
le jeûne avec moins de force, Jean, qui fut le précurseur du fils du
Dieu éternel, qui redressa les chemins recourbés, corrigea les sentiers
tortueux et montra la voie droite qu’il fallait suivre.
En exerçant ce
ministère, le messager préparait la voie au Dieu qui devait bientôt
venir, afin que les montagnes fussent aplanies et les chemins raboteux
adoucis, afin que la vérité descendue sur la terre ne trouvât aucun
sentier dévié.
Il était venu au
monde par une naissance inaccoutumée; pour cet enfant tardif, les
mamelles d’une mère chargée d’années s’étaient remplies d’un lait
qu’elles n’espéraient plus, mais sa vieille mère, avant de t’enfanter,
salua la Vierge qui portait un Dieu.
Vêtu de peaux de
bêtes aux poils hérissés, couvert de crins ou de duvet grossier, il se
retira dans de vastes solitudes, craignant jusqu’à l’horreur d’être
souillé par les mœurs impures des villes.
Là, s’astreignant à
une abstinence rigoureuse, cet homme d’une vertu sévère retardait
jusqu’au soir son breuvage et sa nourriture, et avait coutume de ne
donner à son corps, pour tout aliment, que des sauterelles et quelques
gouttes de miel sauvage.
Le premier il nous
enseigna le salut nouveau et nous y exhorta, car dans un fleuve sacré il
lava les taches impures des anciennes fautes, et après que l’eau avait
purifié les membres, le Saint-Esprit resplendissent descendait du ciel.
De ce bain qui
effaçait les souillures du crime, on sortait avec une vie nouvelle.
Ainsi l’or brut sort brillant du creuset, ainsi le minerai d’argent
jette un vif éclat dès qu’il est purifié et poli.
Je puis rapporter
ici l’exemple d’un ancien jeûne raconté dans un livre fidèle. Il
détourna la foudre du Père, plein de bonté, il éteignit les feux de sa
vengeance et lui fit pardonner aux habitants d’une ville qui devait être
détruite.
Jadis florissait
une ville puissante, mais d’un faste insolent. Tous ses habitants
étaient tombés dans la plus lascive corruption; rebelle et animée d’un
brutal orgueil, elle méprisait le culte du Dieu suprême.
La longue
indulgence de Dieu est enfin offensée. Il s’émeut d’une juste
indignation. Il arme sa droite, d’un glaive de feu. Il assemble des
nuées tonnantes et de bruyants tourbillons, il fait vibrer les éclairs
au sein des nuages enflammés.
Mais il accorde
quelques jours au repentir, si on veut réprimer un libertinage pervers,
si on veut renoncer aux anciennes débauches, il se laisse fléchir et
suspend ses coups terribles. La sentence portée reste quelque temps
suspendue.
Le doux vengeur
ordonne au prophète Jonas d’aller annoncer aux coupables le châtiment
qui les menace. Mais comme il sait que le juge menaçant aime mieux
sauver que frapper et punir, Jonas fuit et se dirige vers Tarse pour
cacher sa fuite.
Il monte sur un
grand navire qu’un pont de planches unit au rivage. Le cordage qui
retient la poupe est délié, on vogue en pleine mer, mais la mer devient
orageuse. On cherche la cause d’un si pressant danger; le sort désigne
le prophète fugitif.
On ordonne qu’il
périsse seul, le coupable dont l’urne fatidique a dévoilé le. crime. Il
est précipité dans la mer et balloté par les vagues. Reçu par l’immense
gueule d’une baleine, il entre vivant dans son sein comme dans une
caverne profonde.
Cette proie,
rapidement avalée, échappe aux blessures que lui auraient faites les
dents du monstre; elle passe impunément sous sa langue que le sang ne
rougit pas, et afin que les dents ne la retiennent pas pour la broyer,
elle franchit toute la bouche et passe à travers le gosier.
Pendant trois jours
et pendant trois nuits, il reste englouti dans le sein de la baleine. Il
erre dans les replis ténébreux, dans les tortueux méandres de cet énorme
estomac. Il respire à peine dans ces entrailles brûlantes.
Au troisième retour
de la nuit, le monstre avec effort le vomit intact sur un rivage où le
flot se brise en murmurant, et frappe, blanc d’écume, des rochers
couverts de sel. Le prophète, ainsi rejeté, s’étonne d’être encore en
vie.
Il marche d’un pas
rapide vers Ninive où Dieu le force d’aller. Il reprend ses habitants et
leur reproche avec force leurs opprobres honteux. « La colère du
souverain juge vous menace, dit-il; bientôt, croyez-moi, la flamme
consumera votre ville. »
Il monte ensuite
sur le sommet d’une haute montagne d’où il verra des tourbillons de
fumée sur des monceaux de ruine et toute l’horreur du fléau qu’il
annonce. Il est couvert des longs et souples rameaux d’une plante aux
branches sans nombre, et jouit d’un ombrage qui s’est formé soudain.
Mais dès que la
cité affligée a connu la nouvelle douleur qui va la blesser, elle
tremble comme à son dernier soupir; le long des vastes remparts,
pêle-mêle courent le peuple, le sénat, des citoyens de tout âge, de
pâles jeunes gens, des femmes éplorées.
Ils veulent apaiser
par des jeûnes publics le Christ irrité. On méprise la nourriture. La
matrone se dépouille de ses parures et revêt des habits de deuil. Ce ne
sont plus les perles et la soie, c’est une cendre livide qui est jetée
sur une chevelure en désordre.
Les riches sont
défigurés et couverts de noirs vêtements. Le peuple se revêt de
poignants cilices et pousse des sanglots; la vierge se pare avec des
peaux de bêtes et couvre son visage d’un voile noir, l’enfant se roule
dans la poussière.
Le roi lui-même
arrache ses agrafes et déchire son manteau où resplendit la pourpre de
Coos; il dépouille son front de l’illustre diadème où brillent de vertes
émeraudes et des pierres incrustées, et couvre ses cheveux d’une vile
poussière.
Personne ne se
souvient du boire et du manger. Toute la jeunesse abandonne les tables
et reste à jeun. Les enfants même, dans leurs berceaux mouillés de leurs
larmes, ne reçoivent plus de lait, la nourrice avare leur refuse sa
mamelle.
On a soin de tenir
enfermés les troupeaux eux-mêmes, de peur qu’errant dans les prés
fertilisés par la rosée, ils ne broutent le gazon et ne s’abreuvent à
une fraîche fontaine au doux murmure. Ils font retentir de leurs
plaintes les crèches vides d’aliments.
Dieu, touché par
une telle pénitence, apaise bientôt sa colère, et sa bonté propice
adoucit le sinistre arrêt; car sa clémence aime à oublier les crimes des
mortels qui le supplient et vient au secours de ceux qui pleurent.
Mais pourquoi citer
l’exemple d’un ancien peuple, lorsque, fatigué en ses membres mortels,
Jésus a jeûné malgré la sainteté de son cœur, lui qui, annoncé par une
bouche prophétique, est l’Emmanuel, le Dieu avec nous?
Lui qui, par la loi
sévère de la vertu, a rendu libre ce corps naturellement mou et. captif
sous le joug lâche des voluptés, lui qui a émancipé cette chair esclave
en triomphant de l’empire des passions.
Retiré en un lieu
inhospitalier, il refuse pendant quarante jours le bienfait de la
nourriture, affermissant par un jeûne salutaire une chair faible qui
désire des jouissances.
L’ennemi s’étonne
qu’un limon périssable puisse supporter et souffrir tant de fatigue. Le
tentateur examine avec une habile fourberie si ce n’est pas un Dieu
descendu dans les membres terrestres, mais sa ruse est déjouée, il
s’enfuit honteusement.
Puissions-nous
tous, chacun selon ses forces, suivre l’exemple sacré que tu as donné à
tes disciples, ô christ! ô maître! afin que l’âme, domptant l’avide
gourmandise, triomphe en souveraine.
Voilà ce que
déteste la haine du démon notre ennemi, ce qu’approuve celui qui
gouverne la terre et les cieux, ce qui rend propice le tabernacle de
l’autel, ce qui excite la foi des cœurs endormis, ce qui lime la rouille
des cœurs malades.
La flamme n’est pas
plus promptement éteinte sous l’eau versée par torrents, les neiges ne
sont pas plus promptement fondues sous un ardent soleil que les
honteuses semences des fautes, qui troublent les âmes, ne s’évanouissent
broyées par le jeûne, si une charitable aumône l’accompagne.
Car, quelle plus
magnifique vertu que de couvrir ceux qui sont nus, de nourrir les
indigents, de porter aux suppliants un bienfaisant secours, de croire
qu’entre les puissants et les pauvres, il n’y a pas de différence de
nature et de destinée.
Assez heureux est celui qui, ravissant une gloire céleste, étend sa main droite prodigué d’argent, tandis que sa main gauche ignore ce bienfait. Il sera enrichi de trésors éternels, ses dons lui seront payés avec usure et au centuple. |
VIII. HYMNUS POST JEJUNIUM. |
VIII. HYMNE APRES LE JEUNE. |
Christe
servorum regimen tuorum,
5 Ipse
cum portans onus inpeditum
10
Partibus vixdum tribus evolutis,
15
Adfatim plenis, quibus inbuatur
20
Mulceat artus.
25 Terge
jejunans, ait, omne corpus,
30
Quidquid ad cultum Patris exhibemus:
35 Vellus
adfixis vepribus per hirtæ
40 Reddit
ovili:
45 Sed
frequens palmis nemus et reflexa
50
Servitus quænam poterit rependi?
55 Teque
contemptis epulis rogemus
60
Grandior usus.
65 Laxus
ac liber modus abstinendi
70
Numinis nutu prius, inchoare,
75
Fidimus nobis fore, quod dicatas 80 Christicolarum. |
O Christ! qui régis
tes serviteurs, qui nous diriges avec des rênes bien douces, qui nous
imposes un frein léger, et nous retiens enfermés en une loi facile!
Lorsque tu portais
toi-même l’embarrassant fardeau du corps, tu as supporté de rudes
labeurs, et, sévère en tes exemples, tu ménages tes serviteurs par de
préceptes indulgents.
La neuvième heure
fait pencher le soleil à l’horizon. Les trois premières parties du jour
viennent de s’écouler; ce n’est plus que durant la quatrième partie que
la lumière éclairera la voûte du ciel.
Prenant de la
nourriture, nous rompons le jeûne que nous nous sommes imposé. Nous
jouissons de ces tables chargées d’aliments qui nous donnent un plaisir
réclamé par notre nature.
Tant est grande la
faveur de notre maître éternel. Ainsi ce docteur indulgent nous gagne
par ses amicales exhortations, pour qu’une légère obéissance restaure
nos membres.
Il ajoute que nul
ne doit se déchirer le front et prendre des dehors repoussants, mais
avoir un visage gracieux, et parer sa chevelure, honneur de la tête.
Quand vous jeûnez,
dit-ii, lavez votre corps, qu’aucune couleur livide n’efface la rougeur
de votre visage, qu’on ne remarque pas la pâleur de votre front.
Il vaut mieux que
nous couvrions d’une sainte pudeur tout ce que nous pratiquons en
l’honneur du Père. Dieu voit ce qui est secret et comble de bienfaits
celui qui se cache.
Qu’une brebis soit
malade et languissante,. qu’elle s’éloigne du troupeau plein de santé,
qu’elle livre sa toison aux buissons épineux en errant dans une forêt
sauvage;
Le bon pasteur se
hâte de la rappeler, il écarte les loups, il la prend, la charge sur ses
épaules, la ramène purifiée et la rend au bercail que réchauffe le
soleil.
Il la rend aux
prés, aux champs verdoyants où nulle plante n’agite des branches
épineuses, où nul chardon n’arme d’aiguillons ses rameaux hérissés.
C’est un bois où
croissent de nombreux palmiers, où un gazon printanier étale ses
feuilles t ses fleurs, où un laurier éternel ombrage les ondes vives
d’un fleuve transparent.
Quel service, ô
pasteur fidèle, pourra compenser de tels bienfaits? Jamais les vœux de
ceux qui te prient ne pourront valoir le trésor du salut.
Quand même,
dédaignant outre mesure de nous nourrir, nous amaigririons
volontairement nos membres; quand même, méprisant les aliments, nous te
prierions nuit et jour;
Notre zèle pour le
service de Dieu serait toujours trop faible, toujours rien auprès des
bienfaits du Père céleste. La pratique d’une trop grande pénitence brise
ce corps de boue.
De peur que les
forces n’abandonnent ce limon fragile, et que l’humeur aqueuse dominant
en nos veines blanchies n’énerve un corps malade,
La mesure de
l’abstinence est libre pour tous; nous ne sommes pas forcés par une
sévérité terrible, chacun n’est forcé qu’à vouloir ce qu’il peut.
Quoi que tu fasses,
il suffit d’invoquer le nom de Dieu avant de commencer, soit que tu
t’éloignes de la table, soit que tu ailles prendre de la nourriture.
Dieu nous écoute
avec bonté et jette sur nous un regard favorable. Croyons qu’il est
salutaire pour nous de prendre des aliments consacrés par la prière.
Qu’elle soit un bien, je le demande en suppliant; qu’elle porte la santé dans tous les membres; qu’elle alimente l’âme, la nourriture qui fait couler le sang dans les veines des chrétiens qui prient. |
IX. HYMNUS OMNIS HORÆ. |
IX. HYMNE POUR TOUTE HEURE. |
Da puer
plectrum, choreis ut canam fidelibus 1
5
infulatus concinebat voce, chorda et tympano,
10 Corde
natus ex parentis, ante mundi exordium
15 Quæque
in his vigent sub alto solis et lunæ globo.
20 Edidit
nostram salutem feta sancto spiritu,
25 Ecce
quem vates vetustis concinebant seculis,
30 Ipse
rex sapore tinctis obstupescit poculis. 2
35
Inlinis limo salubri, sacri et oris nectare,
40
Extimum vestis sacratæ furtim mulier attigit,
45 Surge,
dixit: ille surgit, matri et adstans redditur.
50
Mobilis liquor profundi pendulam præstat viam,
55 Pulsa
pestis lubricorum milleformis dæmonum
60
Fertque qualus ter quaternus ferculorum fragmina.
65 Purgat
ad præcepta Christi crassa quæque obstacula,
70 Quin
et ipsum, ne salutis inferi expertes forent,
75 Lege
versa et limen atrum jam recalcandum patet.
80 Igneum
reliquit axem seque mærens abdidit:
85 O
novum cæde stupenda vulneris miraculum! 5
90
Saucius dolore multo colla fractus sibilat.
95
Mortuos olim sepultos ut redire insuesceret,
100
Cerneres coire membra de favillis aridis,
105
Inclitam cælo reportans passionis gloriam.
110 Turba
matrum virginumque simplices puellulæ, Omnibus te concelebrent seculorum seculis. |
Enfant, donne-moi
ma lyre, afin que je chante sur un rythme aux chorées fidèles un doux
poème, une mélodie en l’honneur des actions merveilleuses du Christ; que
notre muse ne célèbre que lui; que notre lyre ne résonne que de ses
louanges. -
C’est le Christ
dont un roi pontife, le front ceint de la mitre, annonçait le futur
événement avec sa voix, sa harpe et son
tympanum,
inspiré par un esprit qui descendait du ciel et remplissait son cœur.
Nous chantons des
miracles accomplis et prouvés. L’univers en a été le témoin, la terre ne
nie pas ce qu’elle a vu: un Dieu s’approchant des hommes, se donnant à
eux pour les instruire.
Né du cœur du Père
avant le commencement du monde, il est appelé l’alpha et l’oméga. Il est
la source et le terme de tout ce qui est, de tout ce qui a été, de tout
ce qui sera jamais.
Il a ordonné, tout
a été créé; il a dit, tout a été fait: la terre, le ciel, l’abîme des
mers, les trois éléments du monde, tout ce qui rit en eux sous les
globes élevés du soleil et de la lune.
Il a revêtu la
forme d’un corps périssable, des membres soumis à la mort, pour empêcher
de périr la postérité issue du premier homme et plongée par une loi
fatale dans les profondeurs de l’enfer.
Ô heureuse
naissance, lorsque une Vierge mère, fécondée par le Saint-Esprit,
enfanta notre salut et que l’entant, rédempteur du monde, ouvrit sa
bouche divine !
Chantez, hauteurs
des cieux, chantez tous, ô anges ! Que toute vertu chante les louanges
de Dieu; qu’aucune langue ne se taise, que toute voix retentisse.
Voilà celui qu’ont
chanté les poètes dans les siècles anciens, celui qu’ont annoncé les
pages fidèles des prophètes. Il apparait le Messie promis! Que tout ce
qui existe chante ses louanges.
L’eau versée dans
des urnes devient un falerne exquis. Le serviteur annonce que de ces
urnes coule un vin abondant, et le roi du festin est stupéfait de la
couleur et du goût de ce breuvage.
J’ordonne, dit-il,
que les membres ulcérés par les maladies, que les corruptions des
entrailles, soient purifiées. Ses ordres sont accomplis, les plaies qui
enflaient la chair et la souillaient sont guéries.
Tu oins d’un limon
salutaire et du nectar de ta bouche sacrée les yeux ensevelis déjà dans
d’éternelles ténèbres, la vue aussitôt est rendue à ces yeux que ce
remède rouvre à la lumière.
Tu gourmandes le
vent furieux qui, par d’affreuses tempêtes bouleverse les flots de la
mer et met en péril la barque errante; il obéit à ton commandement, les
vagues apaisées s’aplanissent.
Une femme touche
furtivement l’extrémité de ton vêtement sacré, la santé lui est aussitôt
rendue, la pâleur abandonne son visage, les flots de sang qui ne
cessaient de couler sont taris.
Il voit un jeune
homme arraché à la vie à la fleur de ses ans. Sa mère, veuve, suivait en
sanglotant son convoi funèbre. Lève-toi, dit-il, lise lève, il est rendu
à sa mère.
Il ordonne à
Lazare, enseveli déjà dans le sépulcre et mort depuis trois jours, de
reprendre son souffle, sa force et sa vie, et la respiration anime de
nouveau son cœur fétide.
Il marche sur les
flots de la mer, foule aux pieds la crête des vagues. L’eau profonde et
mobile lui fait un chemin suspendu sur ses gouffres. Pressée sous ses
pas sacrés, l’onde ne s’affaisse pas.
Le possédé habitué
à frémir sous ses chaînes dans un antre funéraire, privé de raison,
transporté de sauvages fureurs, s’élance dès qu’il sent que le Christ
approche, et se précipite en suppliant.
Le troupeau des
démons corrupteurs qui revêtent mille formes, chassé par le Christ,
s’empare des honteuses entrailles d’un troupeau de porcs, se précipite
dans de noires ondes, pareil à une troupe de. bêtes marines.
Emportez dans sept
corbeilles ces débris d’aliments, ces milliers de convives couchés sur
le gazon ont été rassasiés avec cinq pains et deux poissons.
C’est vous, ô
Christ, qui ôtes notre nourriture, notre pain, notre éternelle suavité.
Il ne peut plus avoir faim celui qui reçoit de vous son aliment. Il ne
remplit plus son estomac, mais entretient la vie de son âme.
Les oreilles
fermées par la surdité et incapables d’entendre aucun son, à l’ordre du
Christ sont débarrassées de tout obstacle, peuvent jouir de toute voix
et s’ouvrir à tout murmure.
Toute infirmité
cède, toute langueur est chassée; la langue, empêchée par un long
mutisme, parle librement, le malade joyeux porte lui-même son lit à
travers la ville.
Pour que les enfers
eux-mêmes ne fussent pas privés de salut, il entre avec bonté dans le
Tartare. La porte brisée cède, les gonds tombent, les verrous sont
arrachés.
Cette porte si
prompte à s’ouvrir pour ceux qui entrent, toujours fermée pour ceux qui
veulent sortir, ouvre ses battants et rend les morts qu’elle a reçus.
Par une. loi nouvelle son seuil affreux est franchi une seconde fois.
Mais pendant que
Dieu illumine de splendides clartés les antres de la mort, pendant qu’il
fait luire au milieu des ténèbres étonnées un jour radieux, les astres
attristés pâlissent dans l’obscur firmament.
Le soleil s’enfuit
souillé d’une rouille lugubre, il abandonne son arc enflammé et se cache
avec douleur. On dit que le monde saisi d’horreur craignit le chaos
d’une nuit éternelle.
O mon âme, excite
ma voix sonore, excite ma langue rapide; dis le trophée de la passion,
dis la croix triomphale, chante l’étendard qui brille sur les fronts
fiers d’en être marqués.
O nouveau miracle,
ô blessure étonnante ! De ce côté coulent des flots de sang, de l’autre
une eau limpide. L’eau c’est le baptême qui nous lave, le sang c’est la
couronne du martyre.
Le serpent vit le
corps sacré de la victime immolé pour nous; il le vit et il en perdit
son venin et son fiel fut consumé. Grande fut la douleur de sa blessure,
son cou aux cruels sifflements fut brisé. une rose tortueuse? Notre
nature mortelle, unie à la divinité, a effacé la faute originelle.
L’auteur du salut
se livra quelque temps au pouvoir de la mort, pour apprendre aux morts
ensevelis depuis longtemps à ressusciter en rompant les liens de leurs
anciens péchés.
Bientôt les
patriarches et les saints suivent en foule leur Créateur qui les précède
et quitte les régions de la mort. Le troisième jour ils se revêtent de
leur chair et sortent des tombeaux.
Vous eussiez vu les
membres se réunir dans les cendres desséchées, une froide poussière
s’attiédir, se former en veines, couvrir de chair les os, la moelle et
les nerfs.
Après avoir
triomphé de la mort et rendu l’homme à la vie, le vainqueur est monté
vers le trône élevé de son Père, reportant au ciel la gloire
incomparable de sa passion.
Puissant juge des
morts, puissant juge des vivants, dont les vertus resplendissent au ciel
à la droite du Père, d’où tu viendras un jour punir, dans ta justice,
tous les crimes,
Les vieillards et
les jeunes gens, le chœur des petits enfants, la foule des mères et des
vierges, les simples petites filles, te chantent d’une voix unanime dans
leurs chastes concerts.
Que les chutes des fleuves, et les ondes, et les murmures des rivages, et la pluie et la chaleur, et la neige et la rosée, et les forêts, et les vents, et le jour et la nuit, te célèbrent durant tous les siècles des siècles. |
X. HYMNUS CIRCA EXSEQUIAS DEFUNCTI. |
X. HYMNE POUR LES FUNÉRAILLES. |
Deus
ignee fons animarum,
5 Tua
sunt, tua rector utraque,
10
Solvunt hominera perimuntque,
15
Conpactaque dissociari,
20 Quo
perdita membra resurgant:
25 Si
terrea forte voluntas
30
Contagia pigra recuset,
35
Spatium breve restat, ut alti
40
habitacula pristina gestet.
45 Hinc
maxima cura sepulcris 1
50
Prætendere lintea mos est,
55 Nisi
quod res creditur illis
60 Quæ
nunc gelidus sopor urget.
65 Quin
lex eadem monet omnes
70 Sacer
ac venerabilis heros,
75
Studioque accinctus humandi
80 Deus
inlita felle serenat.
85 Docuit
quoque non prius ullum
90 Quod
per cruciamina leti
95 Nec
post obitum recalescens
100
Sanguis cute tinget amœna.
105
Morbus quoque pestifer, artus
110
Victrix caro jamque perennis
115 Cur
tam bene condita jura
120 Mors
hæc reparatio vitæ est.
125 Nunc
suscipe terra fovendum,
130
Factoris ab ore creatæ,
135 sua
munera fictor et auctor
140
Qualem tibi trado figuram.
145 Nec,
si vaga flamina et auræ
150
Revocas, Deus, atque reformas,
155 Quem
floribus undique septum
160
Socium crucis ire latronem.
165 Illic
precor, optime ductor,
170
Violis et fronde frequenti, |
O Dieu, source
enflammée des âmes; ô Père qui, associant deux éléments, as fait l’homme
à la fois vivant et mortel.
Ils viennent de
toi, Créateur; ils sont à toi ces deux éléments; c’est toi qui les unis;
c’est à toi qu’obéissent l’esprit et la chair pendant que la vie les
tient rapprochés.
En se séparant ils
divisent l’homme et le décomposent. La terre aride reçoit le corps,
l’air emporte l’âme fluide.
C’est qu’il est
nécessaire que tout ce qui est créé vieillisse et tombe, que ce qui est
réuni se sépare, que ce qui est formé d’éléments discordants se réforme.
Cette mort, ô Dieu
très bon, tu veux l’abolir pour tes serviteurs, et tu leur montres
l’incorruptible chemin où leurs membres morts ressuscitent.
Il faut que l’âme,
dont l’origine est céleste, tant qu’elle est enfermée dans un corps
périssable comme dans une prison, demeure la meilleure portion de
l’homme et La plus forte.
Si la volonté
devient terrestre, désire la fange, aime la matière, l’âme sera vaincue
et attirée en bas par le poids des membres.
Mais si, se
rappelant sa source enflammée, elle repousse tout contact qui la
souillerait, elle entraine avec elle le cœur où elle habite et le porte
dans les cieux.
Ce corps que nous
voyons gisant vide et sans âme, n’attendra pas longtemps avant de se
réunir à son âme sublime.
Il viendra bientôt
le jour où la chaleur vitale redescendra sur ces ossements et animera
d’un sang vivant l’ancienne demeure de l’âme.
Ces corps immobiles
qui gisaient putréfiés dans les tombeaux, seront entrainés rapidement
dans les airs à la suite de leurs âmes qui les ont précédés.
De là le grand soin
que l’on prend des tombeaux, de là les derniers honneurs rendus à des
membres défaits par la mort, de là les pompes des funérailles.
On a coutume
d’envelopper les trépassés de linceuls éclatants de blancheur. La myrrhe
arrosée avec du baume de Saba conserve le corps.
Pourquoi ces
tombeaux taillés dans le roc? Pourquoi ces magnifiques monuments? C’est
qu’on est persuadé que les corps qui leur sont confiés ne sont pas
morts, mais endormis.
La piété attentive
des chrétiens remplit ces derniers devoirs, parce qu’elle croit qu’ils
revivront un jour tous ces corps ensevelis dans un froid sommeil.
Celui qui, ému de
pitié, couvre de terre pieusement les cadavres qu’il ensevelit,
accomplit une œuvre de miséricorde agréable au Christ tout-puissant.
Une même loi nous
avertit que nous avons tous à gémir sur une même destinée; toute mort
étrangère nous fait voir avec douleur des funérailles semblables à
celles qui nous attendent.
Le père du juste
Tobie, saint et vénérable héros, préféra rendre les devoirs de la
sépulture avant de toucher aux aliments placés sur sa table.
Déjà les serviteurs
étaient debout. Il abandonne les coupes et les plats, et, plein de zèle
pour l’ensevelissement des morts, il confie en pleurant des ossements au
sépulcre.
Bientôt un bienfait
du ciel lui apporte une grande récompense, car Dieu guérit, en les
oignant de fiel, ses yeux qui ne connaissaient plus les rayons du
soleil.
Par là le Père de
l’univers nous apprend combien poignant et amer est le remède qui guérit
ceux qui manquent de raison, lorsque une lumière nouvelle éblouit leur
âme.
Il nous apprend
aussi que nul ne peut voir les royaumes célestes avant d’avoir supporté,
dans la nuit du malheur, avec de douloureuses blessures, les maux de ce
monde.
La mort est ensuite
plus heureuse, parce que les souffrances du trépas ouvrent aux justes
une voie sublime et que les douleurs conduisent aux cieux.
Ainsi les corps
mortifiés retournent à des années meilleures, et la chair en se ranimant
après le trépas ne connait plus la dissolution.
Ce visage que la
corruption de la mort couvre d’une affreuse pâleur, un sang plus beau
que toutes les fleurs, colorera son teint radieux.
Désormais aucune
vieillesse jalouse ne ternira l’éclat du front, aucune maigreur ne
flétrira les bras et ne desséchera leur sève.
Le démon, maladie
pestilentielle qui ravage des membres haletants, expiera sous des
chaines sans nombre les tourments qu’il fait souffrir.
La chair
victorieuse et immortelle le verra du haut des cieux, gémissant
éternellement sous le poids des douleurs qu’il a lui-même excitées.
Pourquoi la foule
insensée qui survit aux morts, mêle-t-elle ses cris et ses hurlements?
Pourquoi sa folle douleur accuse-t-elle des droits si bien établis?
Que cette plainte
et cette douleur s’apaisent. Mères, tarissez vos larmes, que nul ne
pleure ses enfants, cette mort est la réparation de la vie.
Les semences
desséchées reverdissent après qu’elles sont mortes et ensevelies.
Tombées du chaume qui les portait, elles vont produire de nouveaux épis.
Reçois, ô terre !
conserve, garde mollement dans ton sein ces membres humains que j’y
ensevelis, ces restes généreux que je te confie.
Voilà ce qui fut
jadis la maison de l’âme créée par la bouche du Tout-Puissant; dans ces
membres habitait une ardente sagesse dont le Christ était le principe.
Protège ce corps
que tu reçois en dépôt. Le Créateur, celui qui a tout fait, se
souviendra de ces dons, images de sa propre face, et il les demandera.
Vienne le temps de
la justice où Dieu remplira toute espérance, tu seras forcée à
t’entrouvrir pour rendre le corps que je te livre.
Que la vieillesse
dissolvante ait réduit en cendres ses ossements, que ces cendres arides
puissent être mesurées par la plus petite poignée,
Que des souffles
errants, que les brises qui volent dans le vide de l’air aient emporté
ses nerfs en poussière, l’homme ne peut pas périr.
Quand tu
rappelleras du tombeau, pour le reformer, ce corps en dissolution, ô
Dieu! dans quelle région ordonneras-tu à son âme pure de se reposer?
Elle prendra son
repos dans le sein du vénérable Patriarche, comme Lazare, que le riche,
dévoré par les flammes, aperçoit au loin entouré de fleurs.
O Rédempteur! nous
suivrons tes paroles par lesquelles tu ordonnes au bon larron, ton
compagnon de croix, de suivre tes traces.
Voilà que s’ouvre
pour les fidèles la voie lumineuse de. l’immense paradis; il est enfin
permis d’entrer dans ce bois sacré d’où le serpent avait chassé l’homme.
O Maître et Guide
suprême ! je t’en supplie, ordonne que cette âme qui te sert soit placée
dans sa patrie originaire qu’elle a quittée pour errer dans l’exil.
Nous, nous ornerons de fleurs et de feuillage les ossements que nous ensevelissons, nous verserons un baume odorant sur les tombeaux et les froides pierres. |
XI. HYMNUS OCTAVO CALENDAS JANUARIAS. |
XI. HYMNE DE NOEL. |
Quid
est, quod artum circulum
5 Heu
quam fugacem gratiam
10
Gratetur et gaudens humus,
15 Parens
et expers coniugis,
20 Sophia
callebas prius.
25 Sed
ordinatis seculis,
30
Transvolverentur milia,
35 Vel
æra vel saxa algida,
40 Vitam
barathro inmerserant:
45
Mortale corpus induit,
50 Quo te
creator arduus
55
Pudoris intactum decus
60
Procedit et lux aurea!
65
Sparsisse tellurem reor
70
Sensere dura et barbara,
75 Sudans
amomum stipite,
80 Mutis
et ipsis credita.
85 Sed
cum fideli spiritu
90 Perosa
præsentem Deum:
95 Mentis
resedit integræ,
100 Regem
dederunt gentibus,
105 Cum
vasta signum bucina 7
110
Meritis rependet congrua, 115 Quem te furoris præsule Mors hausit et mox reddidit. |
D’où vient que le
soleil, reprenant sa course, abandonne son cercle étroit? Est-ce le
Christ qui naît sur la terre et agrandit les voies de la lumière?
Hélas ! comme le
jour, au fugitif éclat avait hâte de finir son flambeau, presque
éclipsé, éteignait peu à peu sa vacillante clarté.
Que le ciel
resplendisse plus joyeusement, que la terre tressaille et se félicite,
le soleil retrace par degrés ses premiers sillons dans le firmament
radieux.
Parais, aimable
enfant que met au monde une mère la chasteté même elle enfante et n’a
point connu d’époux. Parais, ô médiateur ! homme à la fois et Dieu.
Quoique né de la
bouche du Père et engendré par sa parole, cependant, ô Sagesse ! tu ne
résidais jusqu’à ce jour que dans le sein du Père.
C’est la sagesse
dont la puissance a créé le ciel, et la terre, et le jour, et tout ce
qui existe; toutes choses ont été faites par la vertu du Verbe, car le
Verbe est Dieu.
Lorsque le cours
des siècles fut réglé, lorsque toute créature fut mise à sa place, le
Créateur, l’ouvrier du monde, se reposa dans le sein de son Père.
Mais lorsque le
temps eut déroulé plusieurs milliers d’années, il daigna visiter
lui-même ce monde qui l’offensait depuis longtemps.
Les aveugles
mortels vénéraient les ridicules mensonges de l’idolâtrie: l’airain, la
pierre, le bois, étaient adorés comme des divinités puissantes.
Par ce culte
coupable les hommes portaient le joug du démon, perfide ennemi qui leur
faisait ensevelir dans l’abîme ténébreux du péché la vie qu’ils avaient
reçue de Dieu.
Le Christ ne
supporta pas plus longtemps le malheur des nations qui se perdaient; il
ne voulut pas que la belle création de son Père s’abimât dans le néant.
n revêtit un corps mortel afin que la résurrection de sa chair rompît
les chaînes de la mort, et replaçât l’homme auprès du Père.
Le voici le jour
natal où le Créateur, le très Haut, de son souffle de vie t’a revêtu du
limon, ô Christ! et a uni le Verbe à la chair.
Tressaille, Vierge
illustre dont les chastes entrailles ont porté neuf mois le Sauveur, le
glorieux enfantement d’un Dieu augmente la gloire de ta virginité.
Ton sein très pur
contient le fruit béni qui va combler de joie toute créature, il apporte
au monde une ère nouvelle, un âge d’or.
Le vagissement de
Jésus au berceau commença le nouveau printemps du monde; la création
voulut renaître et se défaire de sa souillure antique.
Les champs furent
sans doute émaillés, la terre fut couverte de fleurs, et sur les sables
des syrtes africaines le nectar et le baume répandirent leurs parfums.
Enfant divin ! les
créatures le plus grossières et les plus insensibles se ressentirent de
ta naissance; le rocher vit sa dureté vaincue par la mousse et le gazon
qui verdirent ses flancs.
Déjà le miel
découle de la pierre, le chêne, de son tronc desséché, distille l’amome,
liqueur précieuse, et le baume parfumé les bruyères.
Roi de l’éternité!
qu’il est saint, dans la crèche, ton berceau! Les peuples le vénéreront
d’âge en âge, les animaux eux-mêmes l’ont adoré.
L’âne, être sans
raison qui ne peut pas te connaître, t’adore; le bœuf, aux instincts
bornés, dont les gras pâturages font la force, t’adore aussi.
Puissent les
nations païennes, fidèles aux desseins de Dieu, accourir à la crèche
avec les animaux; puisse la sagesse d’en haut dissiper leur ignorance!
Les descendants des
patriarches, pleins d’orgueil, refusent de croire à la présence de Dieu.
D’où leur vient cette démence? Quels poisons, quelles furies les
agitent?
Pourquoi vous
précipitez-vous dans l’impiété? Reconnaissez, s’il vous reste une lueur
d’intelligence, reconnaissez le chef de vos princes.
Ce Roi des nations,
qu’une Vierge-Mère, délaissée de tous, a mis au monde dans une crèche
obscure, et dont l’enfance parait si faible sur cette paille,
Pécheur, tu le
reconnaîtras triomphant sur un trône de nuées étincelantes, au jour où
ton humiliation sera consommée, où tu pleureras tes forfaits, et tes
larmes seront vaines.
Lorsque la
trompette du jugement aura donné le signal aux feux qui doivent dévorer
la terre, lorsque l’axe du monde sera brisé et toute la création
confondue,
Il viendra plein de
gloire et dominera, rendant à chacun selon ses mérites: aux uns
l’éternelle splendeur des cieux, aux autres les supplices sans fin de
l’enfer. Alors, ô Judée ! tu sauras quelle est la puissance de la croix, tu comprendras quel est Celui que ta haine insensée osa donner en proie à la Mort, et que la Mort rendit aussitôt. |
XII. HYMNUS EPIPHANIÆ. |
XII. HYMNE DE L’ÉPIPHANIE. |
Quicumque Christum quæritis,
5 Hæc
stella, quæ solis rotam 1
10 Secuta
lunam menstruam,
15 obire
nolint, attamen
20
Obumbrat obductam facem.
25 En
Persici ex orbis sinu,
30
Cessere signorum globi,
35 Quem
sic tremunt cælestia,
40
Antiquius cælo et chao.
45
Æquanda nam stellis sua
50 Radice
Jessæa editus,
55 Qua
stella sulcum traxerat
60 Caput
sacratum prodidit.
65
Agnosce clara insignia
70
Thesaurus et fragrans odor
75 Atque
id sepultum suscitat,
80
Incorporatum gignere.
85 Hunc
et prophetis testibus
90 diva
et marina et terrea
95 Qui
nomen Isræl regat
100
perfunde cunas sanguine.
105
Suspecta per Bethlem mihi
110
Mucrone destricto furens
115 Quo
plaga descendat patens
120
Oculosque per vulnus vomit.
125
Salvete flores martyrum, 3
130 Grex
inmolatorum tener,
135 Unus
tot inter funera
140
Partus fefellit virginis.
145
Cautum et statutum jus erat,
150 Pie
in tyrannum contumax
155 Per
quem notatam saxeis
160
Absolvit Isræl jugo.
165 Hic
expiatam fluctibus
170
Pansis in altum brachiis,
175
Victor suis tribulibus
180
Apostolorum stemmata.
185 Hic
rex priorum judicum,
190 Hunc
sancta Manasse domus
195
Quæcumque dirum fervidis
200 In
Christi honorem deserit.
205
Laudate vestrum principem |
O vous tous qui
cherchez le Christ, levez les yeux en haut; là vous pourrez voir le
signe de son éternelle gloire!
Cette étoile, qui
surpasse en beauté et en lumière le disque du soleil, annonce que Dieu
est venu sur la terre avec une chair terrestre.
Cet astre ne
rayonne pas la nuit à la suite de la lune qui préside aux mois, mais
seul il possède le ciel et règle le cours des jours.
Quoique les étoiles
des deux Ourses. qui tournent autour d’elles-nièmes ne se couchent
jamais, cependant elles sont souvent cachées par les nuages.
Cet astre brille
éternellement, cette étoile ne se couche jamais, la rencontre d’un nuage
ne couvre jamais d’ombre son brillant flambeau.
Que l’affligeante
comète disparaisse, que l’astre qu’embrasent les vapeurs de Sinus, tombe
enfin détruit par la lumière de Dieu.
Au sein de l’empire
persan, où s’ouvrent les portes que franchit le soleil à son lever, des
Mages, interprètes habiles, ont aperçu le royal étendard.
Dès qu’il eut
brillé, les autres astres pâlirent; l’étoile du matin, malgré sa beauté,
n’osa pas se montrer auprès de lui.
Quel est ce grand
Roi qui commande aux astres, disent les Mages, devant qui tremblent les
globes célestes, à qui la lumière et l’air obéissent?
Nous voyons quelque
chose d’illustre qui ne connait pas de terme, quelque chose de sublime,
d’immense, d’illimité, plus ancien que le ciel et le chaos.
C’est le Roi des
nations, c’est le Roi du peuple juif; il fut promis au patriarche
Abraham et à sa race, dans les siècles.
Il sut que sa race,
un jour, serait aussi nombreuse que les étoiles, ce premier père des
croyants qui sacrifia son fils unique.
Voici que la fleur
de David s’élève sur la tige de Jessé, la verge fleurit et devient un
sceptre qui commande à l’univers.
Les yeux fixés en
haut, les Mages se hâtent de suivre le sillon que trace l’étoile,
ouvrant devant eux une voie lumineuse.
Mais le signe
s’arrêta au-dessus de la tête d’un enfant, il abaissa humblement son
flambeau, et leur fit voir une tête sacrée.
Dès qu’ils l’ont
vu, les Mages ouvrent les trésors de l’Orient et lui offrent,
prosternés, l’encens, la myrrhe et l’or, tribut des rois.
Reconnais les
illustres symboles de ta puissance et de ta royauté, Enfant à qui le
Père a conféré par avance une triple destinée.
L’or annonce le
roi, l’odeur suave de l’encens de Saha proclame le Dieu, la myrrhe
présage le tombeau.
Oui, le tombeau où
ce Dieu, laissant périr son corps et le ressuscitant après la sépulture,
brisera la prison de la mort.
O Bethléem ! plus
grande que les plus illustres cités, à toi la gloire d’avoir produit
l’Auteur du salut, incarné par un mystère céleste.
En ton sein
nourricier est créé l’héritier unique du Père souverain; homme par
l’esprit du Maître du tonnerre, il est toujours Dieu sous des membres
humains.
Il a pour témoins
les prophètes qui l’ont annoncé à l’avenir; son Père lui ordonne de
prendre possession de son royaume.
C’est un royaume
qui embrasse toutes choses, le ciel, la mer, la terre; qui s’étend du
lever du soleil à son couchant, et de l’enfer au-dessus des cieux.
Un tyran soucieux
apprend que le roi des rois vient de naître, celui qui doit régir Israël
et occuper le trône de David.
Il s’écrie, plein
de fureur à cette nouvelle: « Un successeur nous menace! nous sommes
chassés! Allez, soldats, tirez le glaive, inondez les berceaux de
sang. »
Meure tout enfant
mâle ! cherchez sur le sein des nourrices, et, jusqu’entre les mamelles
de leurs mères, noyez le glaive dans le sang des enfants.
Je soupçonne
quelque fraude de la part des mères de Bethléem; que nulle ne soustraie
furtivement un enfant mâle. »
Le bourreau, dans
sa fureur, perce donc du tranchant du glaive des corps à peine nés et
leur arrache une vie toute nouvelle.
Sur ces petits
membres, le meurtrier trouve à peine une place pour ouvrir de profondes
blessures; son épée dépasse en largeur la gorge même de ses victimes.
O barbare spectacle
! la tête des enfants brisée contre la pierre répand la cervelle blanche
comme le lait et les yeux sortent par une horrible blessure.
Ailleurs l’enfant
palpitant est précipité dans un gouffre profond, son faible gosier
dispute cruellement le passage à l’eau.
Salut, fleurs des
martyrs que, sur le seuil même de la vie, le persécuteur du Christ a
moissonnées comme la tempête effeuille les roses naissantes.
Vous êtes les
premières victimes du Christ, ô tendre troupeau d’enfants immolés; sous
l’autel même avec simplesse vous jouez avec vos palmes et vos couronnes.
Quel est le profit
d’un tel forfait? Comment ce crime sert-il Hérode? Seul le Christ est
emporté sain et sauf du milieu de tant de funérailles.
Pendant qu’est
versé à flots le sang des enfants de son âge, le fruit de la Vierge
évite seul les atteintes du fer qui désole les mères.
Ainsi fut soustrait
jadis à l’édit insensé du cruel Pharaon, Moïse, libérateur de son peuple
et figure du Christ.
Une loi sévère
décrétait qu’il n’était pas permis aux mères de laisser vivre l’enfant
mâle dont la naissance déchargeait leur sein fatigué.
Une sage-femme d’un
esprit prudent désobéit par piété au tyran, dérobe un petit enfant et le
conserve dans l’espoir d’une grande gloire.
Bientôt le créateur
du monde se choisit pour prêtre cet enfant, et par lui donne la loi
gravée sur des tables de pierre.
Saurons-nous
reconnaître en ce grand homme la figure du Christ? Ce chef immole
l’Égyptien et délivre du joug Israël.
Mais nous, nous
subissions l’empire accablant de l’erreur, et notre chef, blessant notre
ennemi, nous a délivrés des ténèbres de la mort.
Il purifie une
seconde fois, dans des eaux sans amertume, son peuple, lavé par d’autres
flots en traversant la mer Rouge. Il fait marcher devant lui une colonne
de lumière.
Pendant que l’armée
combat, il triomphe d’Amalec du haut de la montagne où il prie, les bras
étendus vers les cieux, formant l’image de la croix.
Il est le véritable
Josué qui, après de longs détours dans le désert, livre par ses
victoires la terre promise aux douze tribus,
Et dans le lit d’un
fleuve qui remonte vers sa source, fixe et bâtit douze pierres, emblèmes
des apôtres.
Les Mages attestent
donc justement qu’ils ont vu le chef des juifs, puisque les faits de
leurs anciens chefs représentent la figure du Christ.
Il est le roi de
ces antiques juges qui régirent la race de Jacob, le prince de l’Eglise
maîtresse et du nouveau temple et de l’ancien.
C’est lui
qu’adorent les enfants d’Ephraïm et la maison sainte de Manassé; lui que
reconnaissent toutes les tribus issues des douze frères enfants de
Jacob.
La race dégénérée
elle-même, celle qui, livrée à des rites absurdes, fondait la statue de
son cruel Baal dans les fourneaux enflammés,
Abandonne pour
l’honneur du Christ les dieux enfumés de ses pères, la pierre, le métal,
le bois que sculptèrent ses mains.
Réjouissez-vous, ô
nations ! Judée, Rome, Grèce, Egypte, Thrace, Perse, Scythie, un roi
unique règne sur vous.
Célébrez tous votre prince, justes et pécheurs, vivants, infirmes et morts; nul ne mourra plus désormais. |
EPILOGUS. 1 |
EPILOGUE. |
Inmolat
Deo Patri
5 Alter
et pecuniam
10 Nec ad
levamen pauperum potentes;
15 Fulget
aureus scyphus,
20
Nonnulla quercu sunt cavata et ulmo:
25 Me
paterno in atrio
30 Inimus
intra regiam salutis; Juvabit ore personasse Christum. |
Celui qui est pieux, fidèle, innocent, pudique, immole à Dieu le Père les dons de la conscience dont surabonde son âme bienheureuse. Un autre se retranche l’argent dont les indigents se nourrissent. Nous qui sommes dénués de sainteté et ne pouvons pas soulager les pauvres, nous offrons des iambes rapides et de roulants trochées. Toutefois, Dieu daigne agréer une poésie pédestre et l’écouter favorablement. Dans la maison d’un riche, beaucoup de meubles décorent les divers angles. Ici brille une coupe d’or ou un bassin d’airain poli; là est un simple vase de terre, ailleurs un lourd et large plat d’argent. Il est des meubles en ivoire, d’autres sont taillés dans le chêne et l’ormeau. Tout ce qui est à l’usage du maître a son utilité, car ce qui est en bois meuble la maison comme ce qui est acheté à grand prix. Quoique dans la maison de son père, je sois un vase sans éclat, le Christ m’emploie à d’humbles usages, et me permet de demeurer dans un coin. Nous remplissons les fonctions d’un vase d’argile dans la maison du salut; mais quelque infime service que l’on rende à Dieu, on en retire un grand profit. Quoi qu’il arrive, il me sera utile et doux d’avoir chanté le Christ, mon maître et ma vie. |
NOTES DU CATHEMERINON.
****** NOTES DU PROLOGUE.
1. Flevit sub ferulis: mox
docuit toga. (v. 8).
Quoique le
mot toga,
lorsqu’il est employé seul, signifie ordinairement la toge virile, il est
possible que Prudence parle ici de la toge prétexte que les Romains portaient
jusqu’à l’âge de seize ans. Il désigne d’abord sa première enfance,
œtas prima;
puis son adolescence,
mox docuit toga, et en troisième
lieu sa jeunesse, protervitas...
fœdavit Juvenem.
— La férule, qui l’a fait pleurer, et que
Martial appelle le sceptre des pédagogues,
ferulæque tristes sceptra
pedagogorum (ép. 62, l. X), la
férule a toujours servi à châtier les écoliers paresseux. Juvénal nous apprend
aussi qu’il a tendu la main sous la férule, et
nos ergo manum ferulæ subduximus.
2.
Oblitum veteris me Saliæ
consulis. (v. 24).
Arevalo cite une inscription conservée
dans le monastère de Saint-Paul hors des murs, et portant le nom du consul
Salia:
MIRI BONITATI ATQ. SANCTITATI
ESVBIÆ IANVARIÆ CONIVGI QVE VIXT MECVM
ANNOS XIII. M. V. XXV.
ARRADIVS MELISSVS MARITVS
ET SIBI FECIT Q DEPOSITA.
IN PACE III KAL APR.
FILIPPO ET SALLIA COSS.
Le lapidaire qui a gravé cette épitaphe a
donné, au nom du consul Salia, une lettre de plus que Prudence; mais rien de
plus fautif que l’orthographe des inscriptions tumulaires.
3. Nix capitis probat. (v.
27). Cette expression, ainsi qu’une
foule d’autres que nous noterons, prouve que les poètes du siècle d’Auguste
étaient familiers Prudence. Horace, dans l’ode 13 du IVe livre,
rappelle à Lycé les neiges de sa tête,
et capitis nives.
4. Peccatrix anima. (v.
35). Tertullien, dans son livre sur la
résurrection de la chair, emploie l’expression
caro peccatrix.
Le mot peccator, si souvent répété par les écrivains ecclésiastiques des premiers
siècles, ne se rencontre pas dans les écrivains profanes de cette époque. I. - NOTES DE L’HYMNE AU CHANT DU COQ.
1. Ad galli cantum.
Plusieurs éditions portent
ad gallicinium.
Selon les Romains, dit saint Isidore (Orig., liv. V, ch.
xxx), le jour commence au milieu
de la nuit; c’est alors
le
gallicinium, c’est-à-dire le
chant des coqs. Les constitutions apostoliques (l. VIII, ch.
xxxiv) désignent les heures que
les fidèles doivent sanctifier en offrant leurs prières au Seigneur: «
Precationes facite mane, hora
tertia ac sexta, et nona, et vespere atque ad gallicantum. Mane gratias
agentes quod illuminarit nos, nocte sublata et reddita die. Tertia, quod ea hora
Pilatus judicium adversus Dominum pronuntiarit. Sexta, quod ea hora in crucem
actus sit. Nona, quod tunc omnia mota et tremefacta sint, Domino crucifixo, quia
horrerent audaciam judæorum et contumeliam Domini ferre non possent. Vespere,
quod noctem dederit ad requiescendum a laboribus diurnis. Ad gallicantum,
quod ea hora nuntiat adventum diei ad faciendum opera tucis. »
Les premières strophes de cet hymne se
chantent, dans la liturgie romaine, aux laudes de la troisième férie. »
2. Auferte clamat lectulos.
(v. 5).
Ce vers rappelle les paroles
de saint Paul dans son épître aux Romains (ch.
xiii) « ...hora
est jam nos de somno surgere ... nox præcessit, dies autem appropinquavit;
abjiciamus ergo opera tenebrarum et induamur arma lucis. »
3. Nostri figura est judicis.
(v. 16).
Ce symbolisme chrétien, qui
nous montre dans le coq un emblème de Jésus-Christ, est antérieur à Prudence.
Dans diverses peintures des catacombes, on voit un coq, non seulement à côté de
saint Pierre, mais à côté du Christ, bon pasteur. Le coq a été aussi le symbole
de la vigilance et l’emblème des prédicateurs. De là l’usage de placer un coq
sur le faîte des clochers de nos églises. La signification symbolique de cet
usage est expliquée par Durand de Mende: « Le coq qui est placé au sommet de
l’église est l’emblème des prédicateurs; car le coq, toujours vigilant, même au
milieu de la nuit, annonce les heures, réveille ceux qui sont endormis, prédit
l’approche du jour, s’excite d’abord lui-même à chanter en battant des ailes. Il
y a un sens mystérieux dans toutes ces particularités. La nuit, c’est le monde.
Ceux qui dorment sont les enfants de ce monde qui s’assoupissent dans leurs
péchés. Le coq, c’est le prédicateur qui prêche avec hardiesse et excita les
endormis à se défaire des œuvres de ténèbres en s’écriant: « Malheur à ceux qui
dorment! Réveillez-vous, vous qui dormez ! » Ils annoncent encore l’approche du
jour, lorsqu’ils parlent du jour du jugement et de la gloire qui sera révélée. »
(Rationale divin. off.,
l. Ier.)
4. Cum mens maneret innocens.
(v. 59).
Jean Leclerc et
Cellarius
ont accusé à tort Prudence d’être sorti des bornes de la vérité, pour amoindrir
la faute de saint Pierre. Dom Calmet se sert au contraire de ce vers de Prudence
pour confirmer son opinion sur la triple négation de saint Pierre. Cette
négation était un péché véritable, mais elle n’était qu’extérieure. L’apôtre ne
reniait pas son maître au fond de son cœur. Jésus-Christ avait prié pour que sa
foi ne défaillit pas. Sa foi resta intacte, mais il n’eut pas le courage de la
confesser, et il mentit.
In illa negatione,
dit très bien saint Augustin,
intus veritatem tenebat, foris
mendacium pro ferebat (Lib.
cont. mend., cap.
vi); c’est dans ce sens qu’il faut
entendre les vers de Prudence.
5.
Flentes, precantes, sobrii.
(v. 82). Prudence parle souvent des larmes comme d’un moyen d’honorer Dieu. Nous
voyons dans la sainte Écriture une foule d’exemples qui nous montrent la valeur
des larmes répandues dans la prière. Judith invitait le peuple de Béthulie à
implorer avec des larmes la miséricorde du Seigneur. « Bienheureux ceux qui
pleurent, » a dit le divin Maître. Le don des larmes est compté au nombre des
grâces surnaturelles que Dieu accorde à ses serviteurs. Arevalo conjecture que
Prudence fut favorisé du don des larmes. Il cite à l’appui de son opinion les
vers où le poète raconte comment il vénérait le tombeau de saint Cassien,
martyr:
Complector tumulum, lacrymas
quoque fundo.
II. - NOTES DE L’HYMNE DU MATIN.
1. Hymnus matutinus.
D’après Isidore, le matin, chez les Romains,
était le temps compris entre la fuite des ténèbres et l’arrivée de l’aurore. «
Matutinum est inter
abscessum tenebrarum et auroræ adventum. »
2. Christus venit, discedite.
(v. 4).
Ce vers rappelle la formule
employée pour ordonner aux profanes de sortir du temple. Pour renvoyer des
soldats avec ignominie, les chefs de l’armée se servaient de cette formule: «
Discedite, quirites, atque
arma deponite. »
3. Quis mane sumptis nequiter.
(v. 29).
Arevalo donne à ce vers un
sens différent de celui que nous avons exprimé dans notre traduction et qui nous
paraît justifié par le sens des vers suivants. Il prétend que Prudence fait
allusion à une coutume répandue chez tous les peuples, très fidèlement observée
par les Juifs, qui l’ont transmise aux Chrétiens : à la coutume de ne pas boire
du vin le matin, il rappelle avec plus de raison cette pratique universelle pour
expliquer les paroles de saint Pierre, répondant à ceux qui, le jour de la
Pentecôte, accusaient les apôtres d’être pris de vin : « Non
enim sicut vos æstimatis hi ebrii
sunt, cum sit hora diei tertia. »
4. Te, Christe, solum novimus.
(v. 48).
En commentant ce vers et les
précédents, Arevalo se demande si Prudence ne fait pas allusion aux Chrétiens
qui vivaient en communauté au quatrième siècle et préparaient l’établissement
des ordres religieux. Le poète faisait peut-être partie d’une communauté
semblable à celle que saint Augustin a décrite dans son livre des Mœurs de
l’Église catholique: «
Vidi ego diversorium sanctorum Mediolani, non paucorum hominum, quibus unus
presbyter præerat vir optimus et doctissimus. Romæ etiam plura cognovi... »
5. Rogare curvato genu. (v.
51). L’habitude de prier à genoux
était si répandue parmi les premiers chrétiens, que dans les Actes de sainte
Thècle, la prière est désignée par les mots
inflexio genuum.
Saint Césaire d’Arles, dans une de ses homélies, réprimande ceux qui restent
debout comme des colonnes lorsque le diacre a dit:
Flectamus genua.
On priait debout le dimanche et les jours compris entre Pèques et Pentecôte.
L’auteur inconnu d’un livre attribué à saint Justin nous fait connaître le sens
symbolique de cet usage très ancien, dont nous retrouvons un vestige dans la
récitation des antiennes de la sainte Vierge, à la fin de l’office, et de l’angélus:
« Semper utriusque
conservare memoriam oportebat et lapsus
nostri per peccatum et gratiæ Christi, per quam a lapsu resurreximus. Ea propter
genuum per sex dies inclinatio nota est lapsus nostri in peccatum. Quod vero die
dominica genua non inflectimus, designatio est resurrectionis per quam, gratia
Christi, et a peccatis et a mortificata cum eis morte liberati sumus; temporibus
autem apostolorum consuetudo talis accepit initium... »
6. Tu sancte qui tetram picem. (v.
69).
On peut rapprocher de cette strophe le
distique suivant d’Ovide:
Sed neque mutatur nigra pice
lacteus humor,
Nec quod erat candens, fit
terebinthus ebur.
7. Sub nocte Jacob cærula.
(v.73).
Prudence rappelle le combat de
Jacob raconté dans le xxxiie
chapitre de la Genèse, et il fait ressortir la signification morale de ce fait.
Quand il fait allusion à un passage de la sainte Ecriture, il ne s’arrête jamais
au sens littéral et cherche toujours le sens mystique, l’enseignement caché sous
les figures. Nec nos
docent imagines, dit-il au vers
85.
8. Sudavit impar prælium.
(v. 76).
Quelques éditions portent
impar prælio;
mais l’expression
sudare
prælium se trouve dans plusieurs
poètes; ainsi on lit dans Claudien:
Quæ prælia sudas?
« Cet hymne matinal, dit M. Villemain (Essai
sur Pindare et la poésie grecque, p. 434), est composé sur un des mètres
élégants d’Horace. Nous n’avons pas trouvé dans Horace le rythme de l’hymnus
matutinus, la strophe composée de
quatre vers égaux, petits iambiques. Cette strophe, faite en quelque sorte pour
être chantée, est le principal élément rythmique des hymnes adoptées par
l’Eglise pour un office public. On pourrait l’appeler la strophe ambrosienne,
car la plupart des hymnes liturgiques, parvenues jusqu’à nous sous le nom de
saint Ambroise, sont en strophes de quatre petits vers iambiques. » III. - NOTES DE L’HYMNE AVANT LE REPAS.
1.
Hymnus ante cibum.
La coutume d’adresser à Dieu une prière avant et après le repas remonte à la
plus haute antiquité chrétienne, Tertullien nous fait connaître combien, de son
temps, cette coutume était générale : «
Nec prius discumbitur quam oratio
ad Deum prægustetur. » (Apol.,
c. xxxix.)
2. ………….
verbigena. (v. 2). Chamillard donne à ce mot le sens de
Verbum genitum.
Ducange, dans son glossaire, ne s’explique pas autrement. Mais la vraie
signification de ce mot est
Verbo genite.
Prudence, dans un autre hymne, appelle le Christ
Verbo editus.
Le Fils est la Sagesse du Père, il est la
Parole du Père; c’est en ce sens qu’il peut être dit
Verbigena.
— « Verbum persona de
Verbo
Patre, id est ratione vel intelligentia oritur, »
dit le père Pétau. (Dog.
theol., l. VI, cap.
iii, num. 5.)
3.
Hic mihi nulla rosæ spolia.
(v. 21). Les fleurs et les parfums jouaient un grand rôle dans la vie sensuelle
des païens. Ils ne pouvaient comprendre pourquoi les Chrétiens s’abstenaient des
onctions de nard et de baume qui ajoutaient une volupté de plus aux plaisirs de
la table. Nous voyons dans
Minutius Felix
les reproches des Païens, étonnés de ce que les chrétiens ne se servaient des
parfums que pour honorer leurs morts. « Non
floribus caput nectitis, non corpus odoribus honestatis; reservatis unguenta
funeribus. »
4. Sperne, camæna, leves
hederas. (v. 26).
Dans cet hymne,
Prudence emploie un rythme plus difficile que le rythme iambique des deux hymnes
qui précèdent; de là vient qu’il exhorte sa muse à mépriser une couronne de
lierre facile à tresser,
leves hederas,
et à ceindre son front d’une couronne richement ciselée,
strophio dactylico.
5. Te, pater optime,
mane novo.
(v. 86). Il est difficile de lire cette strophe sans songer aux vers suivants de
M. de Lamartine, dans l’Hymne de l’enfant à son réveil
Et pour obtenir chaque don
Que chaque jour tu fais éclore,
A midi, le soir, à l’aurore
Que faut-il? Prononcer ton nom.
6. Sic coluber muliebre solum.
(v. 129).
Ce vers traduit exactement
le texte de la Vulgate:
Ipsa conteret caput tuum. —
Solum
signifie le talon, la plante du pied.
De solum est venu le mot
solea
pour désigner la chaussure. Notre mot soulier doit venir de solea. Les
Espagnols disent
suela.
7.
Territa de grege candidulo.
(v. 157). Prudence appelle les
Chrétiens grecs
candidulus à cause de l’antique
usage de vêtir de blanc ceux qui devaient recevoir le baptême, soit pour
signifier la pureté dont leur âme allait briller, soit pour les représenter
comme des candidats à la vie chrétienne. Le temps de Pâques était le plus
solennel de l’année pour conférer le baptême. « Diem
baptismo solemniorem, dit Tertullien,
pascha præstat,
cum et pascha Domini, in
quam tingimur, adimpleta est. » Les
baptisés demeuraient pendant huit jours vêtus de blanc. De là vint le nom de
semaine in albis,
donné à la semaine qui suit Pâques. Maintenant encore le premier dimanche après
Pâques est appelé
dominica in albis. L’hymne de
vêpres rappelle les usages des premiers siècles du christianisme: «
Ad regias agni dapes stolis amicti
candidis... »
8.
Agnus enim vice mirifica.
(v. 161). L’agneau pascal, dans l’ancienne loi, était la figure prophétique de
Jésus-Christ qui a été appelé par saint Jean-Baptiste l’Agneau de Dieu. De bonne
heure l’agneau fut choisi par les chrétiens comme un des symboles les plus
expressifs pour représenter le Sauveur. Sur les autels des premiers siècles, on
voit souvent sculpté un agneau sous une croix, élevée sur un rocher d’où coulent
quatre fleuves; des brebis, représentant les chrétiens, sont rangées à droite et
à gauche de l’agneau. Elles s’abreuvent aux fleuves qui jaillissent du rocher:
Haurietis aquas in
gaudio de fontibus Salvatoris.
9.
Tu mihi, Christe, columba potens.
(v. 166). La colombe est pour nous le symbole du Saint-Esprit, qui apparut sous
cette forme sur les bords du Jourdain, lorsque le Sauveur eut reçu le baptême de
saint Jean-Baptiste. Dans les peintures des catacombes et les sculptures des
autels des premiers siècles, les fidèles sont souvent représentés par des
colombes, d’après le mot du divin maître :
Estote simplices sicut columbæ.
La colombe, primitivement, était aussi le symbole de Jésus-Christ. Plusieurs
saints Pères ont vu une figure du Sauveur dans la colombe qui rentra dans
l’arche, portant un rameau d’olivier. Clément d’Alexandrie, indiquant aux
chrétiens quels sont les emblèmes qu’ils peuvent faire graver sur leurs anneaux,
fait mention de la colombe : «
Sint autem nobis signacula
columba, vel piscis, vel navis, quæ cursu celeri a vento fertur, vel lyra
musica, qua usus est Polycrates, vel anchora nautica, quam insculpebat Seleucus.
» IV. - NOTES DE L’HISTOIRE APRES LE REPAS.
1. Patri qui cherubim sedile
sacrum,
Necnon et seraphim suum
... (v. 4). Dans le second verset du
psaume LXXIX, les chérubins sont indiqués comme le siège de Dieu. Il n’est pas
fait mention des séraphins : «
Qui sedes super cherubim,
manifestare...
» Saint Jérôme, en commentant le
chapitre sixième d’Isaïe, nous fait connaître que la formule dont se sert
Prudence était en usage depuis longtemps : «
Errant qui solent in precibus
dicere qui sedes super cherubim et seraphim, quod scriptura non docuit. »
2. .......... et repertor orbis.
(v. 9). Virgile avait déjà dit: Hominum, rerumque repertor.
3.
Sic nos muneribus tuis refecti,
Largitor Deus omnium bonorum.
(v. 74). Dans ces vers et dans une
foule d’autres, Prudence rappelle les formules déprécatives employées dans la
liturgie. Les mêmes expressions se retrouvent dans des oraisons qui remontent à
la plus haute antiquité. Il y a eu, dès les premiers jours du christianisme, un
style liturgique qui s’est perpétué traditionnellement dans l’Eglise. Les poèmes
de Prudence sont tout empreints de ce style.
V - NOTES DE L’HYMNE POUR L’HEURE OU LES LAMPES SONT ALLUMÉES.
1. Hymnus ad incensum lucernæ.
Arevalo intitule à tort cette hymne :
De novo lumine paschalis
sabbati. La plupart des manuscrits
portent: Ad incensum
lucernæ. Ce titre a été adopté par
les derniers éditeurs de Prudence. Adalbert Daniel dit très bien dans son
Thesaurus
hymnologicus: «
Præuter mss. codd. auctoritatem,
id suadet libri Cathemerinon ordo, ut quintus hymnus intelligendus sit de
vesperis, in quibus solemni more accendi lucernas Prudentii ævo mos fuerit.
» Citant des éditions qui donnent pour titre de cette hymne :
Ad incensum cerei paschalis,
il ajoute « Quæ inscriptio
in editione Prudentii perversa, in hymnario ecclesiastico probanda. » — Arevalo
prouve très bien que dans cette hymne, Prudence fait de nombreuses allusions au
feu nouveau allumé le samedi pascal; mais il ne démontre nullement que cette
hymne ait été expressément composée pour la veille de Pâques, quoiqu’il ne
craigne pas d’écrire «
Hæc ita clara
sunt ut qui ulterius dubitet an a Prudentio hymnus de novo lumine sabbati
paschalis ad noctem vigiliarum paschæ celebrandam compositus fuerit, in media
luce ac die cæcutire videatur. »
A
propos des flambeaux allumés à l’entrée de la nuit, Prudence, dans une
méditation poétique, selon son habitude, indique tout ce que la lumière peut
rappeler aux chrétiens. Ce qui prouve que cette hymne, comme les précédentes, et
comme celle qui la suit, est quotidienne, ce sont ces vers de la première
strophe
Merso sole chaos ingruit horridum,
Lucem redde tuis, Christe,
fidelibus.
et vers la fin ces autres vers:
O res cligna, Deus, quam tibi
roscidæ
Noctis principio grex tuus offerat
Lucem, qua tribuis nil pretiosius.
2. Qui dici stabilem se voluit
petram. (v. 11). Petra autem erat Christus,
dit l’apôtre saint Paul, en parlant de la pierre frappée par Moïse et
transportée par les Hébreux à travers le désert. Jésus-Christ est figuré dans
l’Ancien Testament par la pierre détachée de la montagne. Dans le Nouveau
Testament, il est la pierre angulaire qui lie entre eux l’édifice céleste et
l’édifice terrestre. L’Eglise chante dans l’office de la dédicace d’une église:
Alto ex Olympi vertice
Summi Parentis Filius,
Ceu monte desectus lapis
Terras in imas decidens,
Domus supernæ et infimæ
Utrumque junxit angulum.
3. Prætendunt tumulis clara
draconibus. (v. 56.)
Prudence
désigne les drapeaux égyptiens par un mot qui ne fut employé qu’après l’empereur
Trajan. On appela
dracones des étendards formés de
lambeaux de diverses couleurs, allongés en forme de serpent et sifflant au
souffle du vent.
4. ...................... qui
domitam Pharon. (v. 82).
L’Egypte
est ici désignée par le nom d’une petite île située près d’Alexandrie. On lit
dans Lucain:
Tum claustrum pelagi cepit Pharon
: insula quondam
In medio stetit alla mari
.............................
Il y avait dans cette île, qu’on appelait
aussi Pharos, une tour très élevée, au sommet de laquelle on allumait des feux
destinés à diriger la marche des vaisseaux. De là est venu le nom de phare donné
aux signaux de ce genre.
5. Marcent suppliciis Tartara
mitibus. (v. 133).
Bellarmin ne
voit dans ces vers qu’une fiction poétique, et non pas l’expression d’une
opinion assez répandue au temps de Prudence. Les Ethiopiens, s’il faut en croire
Damien Gœs, croyaient que tous les dimanches les souffrances du purgatoire sont
suspendues. Les mots
sub
Styge, tartara,
dont se sert Prudence, peuvent s’entendre du purgatoire. Autrefois, on
comprenait sous l’appellation générique d’inferi
le lieu où les âmes justes achèvent de satisfaire à la justice de Dieu. Arevalo
rapproche avec raison de ces vers de Prudence le passage suivant de saint
Augustin: « Pœnas
damnatorum certis temporum intervallis existiment, si hoc eis placet,
aliquatenus mitigari, dummodo intelligatur in eis manere ira Dei, hoc est ipsa
damnatio. » (Enchirid. 412). Bellarmin
fait observer que dans ce passage il n’est pas question des prières pour les
damnés. Saint Augustin, dit-il, admet seulement que ce n’est pas une erreur
d’accorder que les damnés sont punis
citra condignum.
Il aurait pu faire les mêmes réflexions à propos des vers de Prudence. Le P.
Petau, après avoir cité ces vers, émet ainsi son avis «
De hac damnatorum saltem hominum
respiratione nihil adhuc certi decretum est ab ecclesia catholica; ut propterea
non temere tamquam absurda, sit explodenda sanctissimorum Patrum hæc opinio;
quamvis a communi sensu catholicorum hoc tempore sit aliena.
» VI - NOTES DE L’HYMNE AVANT LE SOMMEIL.
1. Patrisque sermo Christe.
(v. 3).
Quelques anciens Pères ont
traduit le mot grec
logos tantôt par
verbum,
tantôt par sermo.
Le premier de ces mots n’a pas tardé à prévaloir. Le Fils de Dieu a été appelé
non pas le discours, mais le Verbe du Père. Le mot
verbum
était plus exact, comme le remarque très bien Maldonat, «
Nam sive Filius logos
appellatur, quia notitia Patris est, non solemus mentis conceptum sérmonem, sed
verbum, appellare; sive quia interpres est Patris ejus, ad nos mandata deferens,
— et interpretem et mandatum nemo non verbum potius quam sermonem dixerit.
» (Comment. in Joan.,
cap. I, n° 29).
2. Mentem relaxat heros.
(v. 114).
Les païens appelaient héros
les demi-dieux et les hommes qui avaient accompli des actions extraordinaires.
Les chrétiens donnèrent le nom de héros aux saints et proclamèrent héroïques
leurs vertus. Saint Augustin dit, en parlant des martyrs «
Hos multo elegantius, si
ecclesiastica loquendi consuetudo pateretur, nostros herœs vocaremus.
» (Cité de Dieu, l. x.)
3. Te chrismate innotatum.
(v. 128).
Tertullien, saint Cyprien,
saint Augustin, saint Cyrille d’Alexandrie et plusieurs autres Pères ont employé
le mot chrisma
pour désigner le sacrement de confirmation. On appelle saint-chrême la mélange
d’huile et de baume solennellement consacré par l’évêque, le Jeudi-Saint, et
servant à administrer le sacrement de confirmation. Comme l’évêque trace le
signe de la croix avec le saint-chrême sur le front du confirmé, ce sacrement
était aussi appelé
signaculum
ou
sigillum. La formule sacramentelle rappelle ces divers noms «
Signo te signo crucis,
dit l’évêque, et confirmo te chrismate salutis.
» Dans un vers du poème contre Symmaque, Prudence a rapproché ces deux noms: «
Unde sacrum referat regali
chrismate signum. » (Adv.
Symm., l. I, v. 587.)
VII - NOTES DE L’HYMNE POUR LES JOURS DE JEÛNE.
1. Rarum locustis et favorum
agrestium. (v. 69). Esca autem ejus erat locustæ,
dit saint Mathieu en parlant de saint Jean-Baptiste dans le désert. Quelques
auteurs ont cru que par le mot
locustæ
l’écrivain sacré désignait des herbes sauvages; mais la plupart des interprètes
de la Sainte Ecriture entendent par le mot
locustæ
des sauterelles. Il peut nous paraître fort étrange qu’on se nourrisse de
sauterelles, mais nous savons par le témoignage de Pline, de Plutarque,
d’Aristophane, que les Orientaux mangeaient les sauterelles comme les Indiens
mangent les fourmis, comme nous mangeons, nous-mêmes, les limaçons. Aujourd’hui
encore, certaines peuplades de l’Arabie font des provisions de sauterelles, et
les conservent précieusement pour s’en nourrir aux jours de disette. Ainsi en
était-il du temps de saint Jérôme. « Orientalibus
et Libyæ populis, quia per desertum et calidam eremi vastitatem locustarum nubes
reperiuntur, locustis vesci moris est. » (Adv. Jov., l.
xi.)
2. Hoc ex lavacro labe dempta
criminum. (v. 76).
Maldonat, en
commentant le onzième verset du troisième chapitre de l’Evangile de saint
Mathieu, réfute ainsi l’objection que les hérétiques tiraient de ce vers de
Prudence, pour confondre le baptême de saint Jean et le baptême chrétien : « Pœtas
nobis Prudentium et Juvencum aliquis objiciat, qui uterque baptismum Joannis
Christi baptismo videntur æqui parare. Peccata enim remisisse dicunt. Possum
respondere, non subtiliter sed poetice locutos : sed non opus est poesi
sententiam excusare, cum possimus in bonam partem interpretari. Multi enim
veteres auctores codem modo locuti sunt qui iidem tamen negant eumdem Christi
atque Joannis fuisse baptismum, in quibus Basilius, Chrysostomus, Augustinus,
Gregorius, Beda, Theophylactus. Dicunt enim baptismum Joannis datum fuisse in
pœnitentiam, in remissionem peccatorum, non quod per illum peccata
remitterentur, sed quod ad pœnitentiam excitaret: per pœnitentiam vero, aut
tunc, aut post Christi accedente baptismo remitterentur. Propterea non legimus
Joannis baptismum remissionis peccatorum, sed baptismum pœnitentiæ in
remissionem peccatorum appellatum, quia non per illum sed per subsequentem aut
prœcedentem pœnitentiam peccata remittebantur. »
3. .................. vertit in
Tharsos fugam. (v. 105).
Quelle
est la ville, quelle est la contrée désignée par le poète sous le nom de
Tharsos, et que le texte hébreu appelle Tharsis? Les commentateurs ne
sont point d’accord. Josèphe croit que cette Tharsis est la ville de
Tarse en Cilicie; les Septante ont souvent traduit Tharsis par Carthage,
quoique dans l’histoire de Jonas ils aient conservé le nom de
Tharseis.
Saint Jérôme pense que ce mot désigne la mer Méditerranée. Bonfrère, dont
l’opinion paraît probable à Arevalo, suppose que Tharsis est un nom
générique servant à désigner tous les lieux où les vaisseaux peuvent aborder,
les îles et les ports de mer.
VIII. - NOTES DE L’HYMNE APRÈS LE JEUNE.
1. Nona submissum rotat hora
solem. (v. 9).
Ce vers nous
indique le moment de la journée où les chrétiens des premiers siècles rompaient
le jeûne. De même qu’ils partageaient la nuit en quatre veilles, les Romains
divisaient le jour, c’est-à-dire le temps compris entre le lever et le coucher
du soleil en quatre parties, qu’ils appelaient
primam,
tertiam, sextam, nonam horam.
Au commencement de la quatrième partie du jour, à la neuvième heure le jeûne
était rompu.
2. Lactat hortatu ..... (v.
19). Le verbe
lactat
a ici le sens de allicit,
oblectat, delectat.
Prudence emploie quelquefois ce mot dans le même sens. Dans la sainte Ecriture,
on trouve plusieurs passages où le verbe
lactat
doit être entendu comme dans ce vers : «
Si te lactaverint peccatores
(Prov.
I, 10). — Vir iniquus
lactat amicum (Prov. XVI, 29). » De même dans Térence: « Nisi me lactasses
amantem et falsa spe produceres. » (Andr.,
IV, 1, 23.)
3. .................... ubi
nulla lappis. (v. 42).
Les Latins
appelaient lappa
la bardane, plante de la famille des flosculeuses. Les fleurs de la bardane sont
purpurines ou violacées; elles sont contenues dans un calice globuleux, formé
d’écailles recourbées à leur extrémité, s’accrochant aux vêtements des passants
et à la toison des brebis.
Subit aspera sylva,
dit Virgile, lappæque tribulique absint.
(Géorg., I. I.) Et Ovide : «
Mixta tenax segeti crescere lappa
sotet. »
4. Sufficit, quidquid facias,
vocato. (v. 69).
Dans cette
strophe, Prudence rappelle les conseils de saint Paul aux Corinthiens: «
Sive ergo manducatis, sive
bibitis, sive aliud quid facitis, omnia. in gloriam Dei facite. »
(I Cor., X, 31.) IX. - NOTES DE L’HYMNE POUR TOUTE HEURE.
1. Da, puer, plectrum
........ (v. 1).
A l’exemple des
poètes lyriques, Prudence appelle le serviteur chargé de porter la lyre.
Fabricius croit que notre auteur fait allusion à la coutume des anciens, qui se
faisaient accompagner par un esclave jouant de la lyre pendant qu’ils
chantaient. Le mot puer servait chez les Romains à désigner les esclaves,
comme le mot senior, d’où l’on a fait seigneur, signore, a
servi à désigner les maures.
Persicos odi,
puer, apparatus, a dit
Horace (liv. I, od. 38). Il nous est resté un vestige de cette ancienne
dénomination. Nous appelons garçons, quel que soit leur âge, les divers
domestiques d’un hôtel.
2. Ipse rex sapore tinctis
obstupescit poculis. (v. 30).
Par
roi du festin, selon les uns, il faut entendre celui qui a invité au festin;
selon les autres, il faut entendre l’économe chargé de présider à l’ordonnance
du festin. Ausone dit dans l’Ephéméride qu’il a invité cinq convives. Il y aura
donc six personnes à table en comptant le roi «
Quinque advocavi sed enim
convivium, cum rege,
justum; si super, convivium. »
3. Illa prompte ad irruentes,
ad revertentes tenax. (v. 73).
Dans le septième chant de la Jérusalem délivrée (str. 16), le Tasse a
une phrase semblable
Che quel serraglio è, con mirabil
uso,
Sempre all’ entrar aperto, all’
uscir chiuso.
4. Fertur horruisse mundus
noctis æternæ chaos. (v. 81).
Virgile avait dit dans le quatrième chant des Géorgiques, en rappelant la mort
de César: « Impiaque
æternam timuerunt sæcula noctem. »
5. O novum cæde stupenda
vulneris miraculum!
Hinc cruoris fluxit unda, lympha
parte ex altera. (v.
85). Chamillard prétend que Prudence,
dans ces vers, diffère du récit évangélique et admet que Notre-Seigneur a été
percé de deux coups de lance, l’un au côté droit, l’autre au côté gauche.
D’abord, il n’est pas clairement marqué dans
l’Evangile que Notre-Seigneur n’a reçu qu’un seul coup de lance. Saint Jean dit
seulement : «
Unus militum
lancea latus ejus aperuit. » En
admettant, ce qui est plus conforme à l’opinion générale, qu’un seul coup de
lance a été donné, il est possible que ce coup ait transpercé à la fois le côté
droit et le côté gauche. L’expression
cujus latus per foratum
appuierait cette hypothèse. Le fer de la lance; pénétrant par le côté droit, a
pu arriver jusqu’au cœur et ressortir par le côté gauche. Cornélius à Lapide
expose et adopte l’opinion de Prudence: « Vulnus
hoc videtur totum latus Christi penetrasse, ut videlicet lancea hæc adacta per
dextrum latus Christi, transierit per cor et pericardium, atque cuspis ejus
exierit per latus sinistrum, ad papillam. Nam utrumque Christi lattis fuisse
transfossum tribus locis docet Prudentius, sciicet in passione Christi. »
(Dittoch. Tetrast., 42).
Trajectus per utrumque Latus,
laticem atque cruorem
Christus agit : sanguis victoria,
lympha lavacrum est.
Et Peristephanon, hym. 8°:
Ipse loci est Dominus, laterum cui
vulnere utroque,
Hinc cruor efflusus fluxit et inde
latex.
Et Cathemerinon, hym. 9°:
Hinc cruoris fluxit unda, lympha
parte ex altera.
Idem insinuat Cyprianus,
tract. de passione Christi,
cum ait : «
De latere tuo, o Christe, divisis
limitibus, aqua et sanguis emanant.
» Hinc et Theophylactus hoc vulnus lateris vocat tupouV,
in plurali, idque confirmatur ex eo quod vuinus dextri lateris tantum fuit ut
Thomas manus imponere posset. Quod autam Prudentius notat separatim per alterum
vulnus sanguinem fluxisse, per alterum vero aquam, videtur significare quod per
majus, sive patentius vuinus (quod procul dubio fuit in latere dextro), ob
capacitatem tantum eruperit sanguinis ut aqua per se conspici nequiverit; per
sinistram vero, utpote minus et pericardio vicinius, eruperit aqua.... Verum
quin hoc lateris sinistri vulnus exiguum fuit, hinc non computatur, Christusque
non sex sed quinque habuisse vulnera dicitur.» (Comm. in Joannem,
cap. XIX.) X. - NOTES DE L’HYMNE POUR LES FUNÉRAILLES.
1. Hinc maxima cura sepulcris.
(v. 45).
« Pour mieux témoigner leur
foi à la résurrection, dit Fleury, les premiers chrétiens avaient grand soin des
sépultures et y faisaient grande dépense, à proportion de leur manière de vivre
Les chrétiens enterraient les corps comme les juifs. Après les avoir lavés, ils
les embaumaient, et y employaient plus de parfums, dit Tertullien, que les
païens à leurs sacrifices. Ils les enveloppaient de linges très fins ou
d’étoffes de soie; quelquefois ils les revêtaient d’habits précieux. Ils les
laissaient exposés trois jours, ayant grand soin de les garder cependant et de
veiller auprès en prières. Ensuite, ils les portaient au tombeau, accompagnant
le corps avec quantité de cierges et de flambeaux, et chantant des psaumes et
des hymnes pour louer Dieu et marquer l’espérance de la résurrection. On priait
aussi pour eux; on offrait le sacrifice, et l’on donnait aux pauvres le festin
que l’on nommait agape et d’autres aumônes. » (Mœurs des chrétiens;
sépult.)
2. Candore nitentia claro,
Prætendere lintea mos est.
(v. 49). Ces vers permettent de croire
que les chrétiens avaient aussi la coutume de tendre des voiles blancs dans
l’intérieur des tombeaux. Signorius croit que les chrétiens avaient reçu cette
pratique des juifs, qui décoraient ainsi les lieux choisis pour leur sépulture.
Notre-Seigneur appelait les scribes des sépulcres blanchis. Saint Paul,
après s’être déclaré citoyen romain, dit au grand-prêtre, en présence du tribun:
« Percutiet te Deus,
paries dealbate. » (Act. XXIII, 3.)
3. Non mortua, sed data somno.
(v. 56).
« Cimetière ne signifie autre
chose que dormitoire
ou dortouër,
d’autant que la foi nous enseigne que les fidèles ne meurent point, mais
seulement dorment pour quelque temps d’un doux repos, attendant qu’ils se
réveillent heureusement pour jamais plus ne dormir, mais pour être
perpétuellement jouissant de la gloire céleste. Auquel sens nous voyons que
Notre-Seigneur et les apôtres ont souvent appelé la mort dormition ou
sommeil, et les morts dormants. Et en l’Ancien Testament ceste façon de
parler se trouve fort fréquente pour ceux qui mouraient au Seigneur: Il
dormit avec ses pères. D’ou procèdent toutes ces cérémonies et décorations
des fidèles pour les morts, c’est à savoir pour rendre tout honneur aux corps
capables de la résurrection à la vie éternelle, comme ayant esté les maisons de
Dieu, les temples du Saint-Esprit et l’instrument par lequel les âmes ont reçu
sanctification par le moyen des sacrements. Les cimetières ne sont pas simples
sépulcres et réservoirs de corps morts, mais davantage sont lieux saints et
sacrés, destinés pour les âmes des trépassés qui y reposent. D’où saint Augustin
nous enseigne que les sépulcres sont appelés monuments, d’autant qu’ils
admonestent les hommes de prier pour les morts. » (Sponde, les Cimetières
sacrés.)
4. Minimi mensura pugilli.
(v. 144).
Fabricius et quelques autres
ont reproché cette expression à Prudence, parce que le poing ne leur paraissait
pas une mesure; mais la poignée et la pincée étaient des mesures
naturelles pour les anciens aussi bien que pour nous. Ils disaient
pugnum salis
pour indiquer une poignée de sel. —Venance Fortunat, pour exprimer la grandeur
de Dieu, le représente :
Mundum pugillo continens.
5. Gremio senis abdita sancti
Recubabit, ut illa Lazari,
(v. 153). Les diverses prières et
antiennes qui composent la liturgie romaine des funérailles remontent à une très
haute antiquité. Plusieurs d’entre elles, peut-être, étaient déjà usitées du
temps de Prudence. Les deux vers où il dit que les chrétiens seront dans le sein
d’Abraham comme le pauvre Lazare, peuvent se rapprocher des prières suivantes,
chantées à la cérémonie des funérailles : «
Suscipiat te Christus qui vocavit
te, et in sinu Abrahæ angeli deducant te. » — Chorus angelorum te
suscipiat et cum Lazaro quondam paupere æternam habeas requiem. »
Plusieurs éditions portent:
Ut est Eleazar,
au lieu de : Ut illa
Lazari. « Avec cette dernière
variante, dit Arevolo, il y aurait une faute de quantité. » Quand Prudence parle
du frère de sainte Marthe et de sainte Madeleine, il donne à son nom la quantité
suivante : Lazarus.
Ici il s’agit du pauvre Lazare. Prudence ne parle de lui que dans ce passage. Ne
peut-il avoir donné à son nom une quantité différente de celle qu’il a toujours
employée pour le nom de saint Lazare, l’ami du Sauveur?
6. Titulumque et frigida saxa.
(v. 171).
Le mot
titulus
désigne tantôt l’épitaphe gravée sur le tombeau, tantôt le tombeau lui-même.
Dans ses Essais sur le génie de Pindare
et sur la poésie lyrique, etc., M. Villemain cite quelques fragments de l’Hymne
des funérailles, qui lui suggère les réflexions suivantes : « On sait ce
qu’avaient été chez les Hellènes la plainte et la prière funèbres. Rome en avait
exagéré l’impression par ses pleureuses à gages aux obsèques des puissants et
des riches. La poésie la plus élégante, dans le siècle poli qui succédait aux
proscriptions romaines, ne s’était pas refusé ce langage du deuil dans l’élégie
et dans l’ode, et les noms d’Ovide et d’Horace nous le disent assez. Il n’est
besoin de rappeler ce que même l’épicurien Horace a trouvé de touchant sur la
brièveté de la vie et les regrets de l’amitié qui survit. Sa poésie moqueuse
devient douce et charmante. La mélancolie qu’elle inspire, sans être la vertu,
fortifie du moins les âmes par la résignation. Mais combien cette philosophie
manque à la fois de grandeur et de tendresse! combien elle ôte à l’imagination
et au cœur! S’agit-il du noble orgueil de l’esprit dans sa croyance à
l’immortalité, quel mécompte devaient lui donner ces vers d’Horace sur un sage
illustre : « O toi qui mesurais la mer et la terre et le sable infini, Archytas,
te voilà réduit à un peu de poussière sur le rivage de Matine! Il ne te sert de
rien d’avoir abordé les régions de l’éther et promené dans le cercle des cieux
ton esprit qui devait mourir! » S’agit-il des meilleurs sentiments de l’homme,
de la fidélité des souvenirs, le poète n’attend pour l’ami qu’il a perdu qu’un
perpétuel sommeil: « Ergo
Quinctilium perpetuus sopor urgat! »
Ailleurs, il ne se promet à lui-même qu’une première larme sur sa cendre tiède
encore. Tout cela est bien peu pour soutenir l’âme à la dernière heure et
l’inspirer durant la vie. Mieux vaut, même dans les ruines du génie des Romains,
recueillir une de ces épitaphes qu’avaient laissées les martyrs. Mieux vaut
entendre de la bouche du lyrique chrétien sa belle invocation au Créateur, foyer
des âmes humaines, et sa confiance dans la vie éternelle qui leur est promise.
». XI. - NOTES DE L’HYMNE POUR LE HUITIÈME JOUR AVANT LES CALENDES DE JANVIER.
1. Ex ore quamlibet Patris.
(v. 17).
Prudence, dans ces vers,
semble s’être souvenu de ces paroles de la sainte Ecriture «
Ego ex ore Altissimi prodivi, primogenita ante
omnem creaturam. » (Eccli. XXIV, 5.)
Ce texte et autres semblables exposent et font connaître la génération éternelle
du Fils de Dieu. Quelques saints Pères, cependant, ont rapporté ces paroles à la
génération par laquelle le Verbe s’est fait chair.
2. Matura per fastidia. (v.
54). Antoine de Lebrixa, dans ses
Commentaires, expose très bien le sens de ce vers : « ...
Non quod Virgini contigerint
fastidia, quæ prœgnantibus solent, de quibus Virgilius in Bucolicis: Matris
longa decem tulerant fastidia menses; sed loquitur ex more aliarum fæminarum,
sicut quod dicitur; enixa est puerpera, et alibi: enixa puerpera regem, non quod
in partu fuerit ille nixus cum doloribus, qui allis feminis contingunt, sed quod
salva integritate peperit. »
3. Ex qua novellum sæculum.
(v. 59).
On peut rapprocher des
strophes suivantes de Prudence la quatrième églogue de Virgile. Magnus ab
integro sæclorum
nascitur ordo, dit l’ami de
Pollion, plein du souvenir des prophétiques oracles contenus dans les vers de la
Sibylle de Cumes.
4. O sancta præsepis tui.
(v. 77).
Buchner voit dans ces vers de
Prudence une sorte de prophétie annonçant la vénération qui devait s’attacher de
siècle en siècle à la crèche du Sauveur. Peut-être que le poète fait simplement
allusion au pieux respect dont cette crèche était l’objet, de son temps. La
crèche en bois sur laquelle le Sauveur a été déposé est conservée à Rome. Ce
précieux trésor, dont l’authenticité repose sur une ancienne tradition, reçoit
de la piété des fidèles un culte incessant de vénération.
5. Adorat hæc brutum pecus.
(v. 81).
La croyance populaire, qui
suppose que l’âne et le bœuf réchauffèrent de leur souille l’Enfant-Jésus déposé
dans la crèche, remonte à une très haute antiquité. L’Evangile ne fait aucune
mention de ce détail transmis seulement par la tradition. Isaïe avait écrit (I,
3): « Cognovit bos
possessorem suum et asinus præsepe domini sui; Isræl autem me non cognovit. »
6. Hunc quem latebra et
obstetrix. (v. 97). « Explicatio interpretum fere omnium est eamdem virginem
fuisse obstetricem. S. Hieronymus contra Helvidium: nulla ibi obstetrix, nulla
muliercularum sedulitas intervenit. Ipsa Maria involvit infantem, ipsa et mater
et obstetrix fuit; nam ipsa collocavit eum in præsepio, ipsa pannis involvebat.
Unde commenta refelluntur apocryphorum. —Verum negari nequit, quorumdam veterum
hanc fuisse opinionem, quod obstetrix intervenerit. Legebatur enim in libris
apocryphis... Ejusdem narrationis meminit Clemens Alexandrinus, eanique amplexus
est S. Zeno... Nullum erit flagitium, si censeamus Prudentium, quod alii viri
docti crediderunt, credidisse. » Arevalo.
7. Cum vasta signum buccina.
(v. 105).
Pendant le temps destiné à préparer les
fidèles à la fête de la naissance de Jésus-Christ, l’Eglise mêle la pensée du
second avènement du Fils de Dieu au souvenir, du premier avènement. Il devait en
être ainsi déjà du temps de Prudence. Après avoir raconté la venue de
Jésus-Christ sur la terre, sous les traits touchants d’un petit infant, le poète
annonce la venue du Fils de Dieu à la fin du monde, la résurrection des morts,
le jugement dernier. Ses strophes rappellent l’office du premier dimanche de
l’Avent. XII. - NOTES DE L’HYMNE POUR L’ÉPIPHANIE.
1. Hæc stella quæ solis rotam.
(v. 5).
Un philosophe platonicien du
troisième siècle,
Chalcidius, dans son commentaire du
Timée, ch. LXXV, parle ainsi de l’étoile et des mages dont elle guida la marche
vers Bethléem : « Il y a aussi une autre histoire plus sainte et plus vénérable,
racontant qu’une étoile parut pour annoncer non des maladies ni la mort, mais la
descente d’un dieu secourable, pour la conservation de l’homme et le bien des
mortels. Des sages Chaldéens, exercés à la contemplation des choses célestes,
ayant aperçu cette étoile en voyageant pendant la nuit, cherchèrent, dit-on, le
Dieu nouveau-né, et, ayant trouvé cette majesté cachée sous les traits d’un
enfant, ils offrirent des présents convenables à un si grand Dieu. »
2. Tristis cometa intercidat.
(v. 21).
Les anciens croyaient que
l’apparition d’une comète annonçait d’inévitables malheurs. — Isidore s’exprime
ainsi dans son livre
De
natura rerum, cap. XXVI «
Cometes stella est quæ velut comas
luminis ex se fundit. Hoc cum nascitur aut regni mutationem fertur ostendere,
sut bella, aut pestilentias surgere. De qua Prudentius ait: Tristis cometa
intercidit. »
3. Salvete, flores martyrum.
(v. 125).
Saint Augustin semhie avoir lu ces
vers de Prudence et s’en être souvenu dans son sermon 220: « Quos Herodis
impietas lactentes matrum uberibus abstraxit, qui jure dicuntur martyrum flores,
quos in medio frigore infidelitatis exortos, velut primas erumpentes Ecclesiæ
gemmas, quædam persecutionis pruina decoxit.»
NOTES DE L’ÉPILOGUE.
1. Epilogus.
Dans quelques éditions, ces vers sont placés
en tête du Peristéphanon,
dont ils forment le prologue. La plupart des éditeurs ont renvoyé ces vers à la
fin des œuvres de Prudence, et en ont fait l’épilogue de tous ses poèmes.
2. Nos citos iambicos. (v.
7). En donnant aux vers iambiques
l’épithète de citos,
Prudence est d’accord avec Horace, qui dit dans son Art poétique
Syllaba longa brevi subjecta
vocatur iambus,
Pes citus...
On lit ailleurs, en adoptant la variante
proposée par quelques éditeurs:
Archilochum propero rabies armavit
iambo.
3. .................. et
rotatiles trochæos. (v. 8).
Les
trochées sont justement appelées
rotatiles; leur nom même vient de
trochos,
qui signifie roue.
4. Multa divitis domo. (v.
13). Le poète rappelle ces paroles de
l’apôtre saint Paul dans sa seconde épitre à Timothée (ch. II, v. 20) «
In magna
autam domo non solum sunt vasa aurea et argentea, sed et lignea et fictilia, et
quædam quidem in honorem, quædam autem in contumeliam. »
Nous terminerons ces notes en empruntant quelques lignes aux pages consacrées à
Prudence par Ozanam dans ses leçons sur La Civilisation au cinquième siècle. — «
Ce poète, dont j’admire les vers, ne restera pas sans admirateurs. Le moyen âge
lui rendra un culte égal à celui que reçoivent les plus illustres docteurs,
Boèce, Bède, saint Boniface. Tous les écrivains du septième siècle se plaisent à
emprunter ses vers pour servir d’exemple, à côté des plus beaux de l’antiquité.
Plus tard, il est cité comme le premier et comme le plus illustre parmi les
poètes chrétiens. On voit enfin saint Brunon, archevêque de Cologne, un des
hommes les plus savants de cette Germanie savante d’une époque mal connue,
mettre dans la bibliothèque de son église un exemplaire de Prudence; et ce livre
ne sortait pas de ses mains. Prudence fut en possession de cet honneur jusqu’à
la Renaissance. La Renaissance entra dans l’école chrétienne; elle y trouva des
poètes chrétiens au-dessous des poètes païens auxquels on avait accordé comme
aux plus éloquents, la première place. Assurément Virgile et Horace y étaient
restés dans cet honneur que l’antiquité leur avait fait, mais enfin on y
trouvait des chrétiens, et comme leur langage n’avait pas toute la pureté
cicéronienne, comme Prudence était convaincu d’avoir employé soixante et quinze
mots qui n’avaient pas d’exemple dans les écrivains antérieurs, immédiatement
toute cette foule de barbares qui, sous prétexte de christianisme, s’étaient
introduits dans l’école, furent balayés, chassés, pour que les païens restassent
maîtres du lieu, Il y avait aussi quelques raisons accessoires. Prudence avait
quelques inconvénients, avec son culte passionné pour les martyrs. Ces hommages
sans nombre rendus aux saints, c’étaient, pour le protestantisme, des témoins
incommodes qu’il fallait faire disparaître.
FIN.(01) Cf. Abbé A. Bayle, Etude sur Prudence suivie du Cathemerinon, Paris 1860. |