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Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

PRUDENCE

 

CATHEMERINON


 

LIVRE PREMIER

 

AVERTISSEMENT

 

L’étude sur Prudence (01) que nous offrons au public, n’est que la reproduction d’une thèse pour le doctorat présentée à la faculté de théologie de Paris et récemment soutenue en Sorbonne. Peut-être n’eussions-nous donné à cette étude que la publicité restreinte à laquelle se résignent d’ordinaire, en un siècle frivole, les auteurs de ces travaux sérieux et spéciaux dont le seul nom de thèses effarouche les lecteurs superficiels. Mais pendant que nous nous préparions à faire connaître un poète plus oublié que Stace et que Claudien, quoiqu’il soit infiniment supérieur à ces deux auteurs, qu’on trouve traduits dans toutes les collections des classiques, M. Villemain donnait au public son beau livre sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique dans ses rapports avec l’élévation morale et religieuse des peuples. Dans ce livre l’éminent écrivain appelle l’attention sur Prudence.

« La belliqueuse Espagne, dit M. Villemain, cette contrée qu’une affinité méridionale avait mêlée de bonne heure au génie de ses maîtres italiques, célébrait sur la lyre latine le culte nouveau. Comme elle avait d6nné jadis Lucain et Martial à la monstrueuse grandeur et aux vices de Rome, elle offrait aux vertus de l’Église sortant des catacombes un chantre harmonieux et pur.... Prudence décrit d’abord la vie chrétienne dans ses devoirs de chaque jour.... Sous l’impression du spectacle de la nature mis en rapport avec le cœur de l’homme, il marquait par des hymnes les principales heures et les divisions du temps. Le charme de ces préludes était dans leur sainteté, dans le rappel de l’âme à elle-même, dans le contraste de cette pureté religieuse avec les vices du monde profane, et enfin dans les espérances de la vie spirituelle supérieure à tous les sentiments de l’existence ici-bas. » Ailleurs rappelant les strophes consacrées par Prudence aux saints Innocents qu’il salue comme les fleurs des martyrs, M. Villemain ajoute: « Ces vers, on peut le dire, ne périront jamais et seront chantés sur la dernière terre barbare que le christianisme aura conquise et bénie. »

Désireux de procurer à ceux qui aiment la littérature chrétienne un moyen d’apprécier Prudence par une étude personnelle, nous avons pensé qu’il serait utile de publier, à la suite de notre travail sur ce poète, le texte et la traduction de ses plus belles hymnes. Au lieu de faire un choix dans les œuvres de Prudence et de citer des fragments extraits de ses divers poèmes, nous avons jugé plus convenable de donner en entier un de ses recueils lyriques. Nous ne pouvions pas hésiter entre le Cathemerinon et le Peristephanon. Le premier de ces deux recueils est, sans contredit, l’œuvre la plus remarquable de Prudence. .C’est là que son génie poétique se montre tout entier; c’est là qu’on peut admirer la constante élévation de ses pensées, la concision soutenue de son style. Le Cathemerinon, qui ne contient que douze hymnes, dont la longueur n’est pas excessive, offre d’ailleurs un intérêt plus général que les autres œuvres de Prudence. Nous ne pouvons pas aujourd’hui lire le poème contre Symmaque et les poèmes contre les hérétiques avec l’émotion que devaient éprouver les contemporains de l’auteur. Mais les méditations religieuses et poétiques dont se compose le Cathemerinon, n’ont rien perdu de leur intérêt avec le cours des siècles. Leur beauté, comme celle de la piété chrétienne, restera toujours la même. Nous prions encore comme priaient nos pères du quatrième siècle, nous croyons encore ce qu’ils croyaient.

Quant à notre traduction, nous n’en dirons qu’un mot. Comme c’est la première fois qu’un recueil entier des hymnes de Prudence est traduit en français, nous avons cru que nous devions avant tout rendre clairement la pensée de l’auteur. Mais entre les traductions presque aussi libres que des paraphrases, qu’affectionnait le dix-septième siècle, et les traductions trop littérales, comme celle du Paradis perdu, par Chateaubriand, il y a un milieu raisonnable à garder. Plusieurs traducteurs, en ces dernières années, ont su rendre fidèlement le texte, donner une idée du style de leur auteur, tout en conservant à leurs phrases la clarté et l’allure françaises. Nous avons essayé de marcher sur leurs traces; puissions-nous ne pas avoir trop mal réussi.  

 

PRUDENCE

CATHEMERINON.



 

 

PRÆFATIO.

PROLOGUE.

Per quinquennia jam decem,

Ni fallor, fuimus; septimus insuper

Annum cardo rotat, dum fruimur sole volubili.  

Instat terminus, et diem

5 Vicinum senio jam Deus applicat.

Quid nos utile tanti spatio temporis egimus?  

Ætas prima crepantibus

Flevit sub ferulis: mox docuit toga 1

Infectum vitiis falsa loqui, non sine crimine!  

10 Tum lasciva protervitas,

Et luxus petulans (heu pudet ac piget!)

Fœdavit juvenem nequitiæ sordibus ac luto.  

Exin jurgia turbidos

Armarunt animos, et male pertinax

15 Vinceudi studiurn subjacuit casibus asperis.  

Bis legum moderamine

Frenos nobilium reximus urbium:

Jus civile bonis reddidimus, terruimus reos.  

Tandem militiæ gradu

20 Evectum pietas Principis extulit,

Assumptum propius stare jubens ordine proximo.  

Hæc dum vita volans agit,

Irrepsit subito canities seni,

Oblitum veteris me Saliæ Consulis 2 arguens:  

25 Sub quo prima dies mihi

Quam multas hyemes volverit, et rosas

Pratis post glaciem reddiderit, nix capitis 3
probat  

Numquid talia proderunt

Camus post ohitum vel bona vel mala,

30 Cum jam, quidquid id est, quod
fueram, mors aboleverit?
 

Dicendum mihi : Quisquis es,

Mundum, quem coluit, mens tua perdidit.

Non sunt illa Dei, quæ studuit, cujus habeberis.  

Atqui fine ub ultimo

35 Peccatrix anima 4 stultitiam exeat

Saltem voce Deum concelebret, si meritis nequit.  

Hymnis continuet dies,

Nec nox ulla vacet, quin Dominum canat:

Pugnet contra hereses, catholicam discutiat fidem.  

40 Conculcet sacra gentium:

Labem, Roma, tuis inferat idolis:

Carmen martyribus devoveat, laudet Apostolos,  

Hæc dum scribo vel eloquor,

Vuclis o utinam corporis emicem
45
Liber, quo tulerit lingua soue mobilis ultimo!

Déjà ma vie, si je ne me trompe, s’est prolongée pendant cinq dizaines d’années, et après ce demi-siècle j’ai vu sept fois le retour des saisons, jouissant de ce soleil qui roule sans cesse.

Le terme s’approche, le dernier jour n’est pas loin; Dieu le montre à ma vieillesse. Qu’ai-je fait d’utile pendant ce long espace de temps?

Mon premier âge pleura sous les férules, bientôt la toge me vit en proie aux vices et m’apprit à semer, non sans crime, des mensonges dans mes discours.

Alors des folâtreries lascives, alors un luxe insolent (hélas! j’en pleure et j’en rougis), souillèrent de honte et de fange ma jeunesse coupable.

Puis les armes et les combats séduisirent mon esprit agité, et un opiniâtre désir de vaincre m’entraîna aux terribles hasards de la guerre.

Deux fois j’ai gouverné de nobles cités sous l’autorité des lois. Sur mon tribunal j’ai fait justice aux bons, j’ai fait trembler les méchants.

Enfin, la bonté du prince m’honora d’un grade élevé dans la milice et me rapprocha du trône, en me faisant occuper un poste éminent.

Pendant que ma vie s’envole dans ces charges, soudain mes cheveux blanchis m’avertissent que la vieillesse est venue et me reprochent d’oublier le consulat de cet ancien Salia.

Depuis mon premier jour sous ce consul, combien d’hivers se sont succédé ! Combien de fois après les frimas les roses ont fleuri dans les prés ! La neige de ma tête me le révèle.

Tous ces biens, qui sont peut-être des maux, me serviront-ils après la chute de mon corps, lorsque la mort aura détruit tout ce que j’aurai été?

Il est temps que je me dise à moi-même: Quelque charge que tu aies occupé, ton âme a perdu ce monde auquel elle s’était livrée. Dieu n’a pas été l’objet de ses recherches, Dieu sous la main de qui tu vas tomber.

Au terme de ta carrière, que ton âme pécheresse se défasse enfin de sa folie; qu’elle loue Dieu par des chants puisqu’elle ne peut louer Dieu par des vertus.

Qu’elle remplisse le jour de ses hymnes; qu’aucune nuit ne se passe sans qu’elle chante le Seigneur. Qu’elle combatte contre les hérésies; qu’elle expose la foi catholique.

Qu’elle renverse les fausses divinités des Gentils.

Qu’elle insulte, ô Rome, tes idoles; qu’elle consacre des hymnes aux martyrs, des louanges aux apôtres.

Pendant que j’écris, pendant que je chante de si nobles sujets, puisse mon âme, affranchie des liens du corps, s’élancer comme un rayon là où tendront les accents de ma langue exprimant un dernier chant !

I. HYMNUS AD GALLI CANTUM 1

I. HYMNE AU CHANT DU COQ.

Ales diei nuntius

Lucem propinquam præcinit:

Nos excitator mentium

Jam Christus ad vitam vocat.

5 Auferte, clamat, lectulos, 2

Ægro sopore desides;

Castique, recti, ac sobrii

Vigilate : jam sum proximus.

Post solis ortum fulgidi

10 Serum est cubile spernere:

Ni parte noctis addita

Tempus labori adjeceris.

Vox ista, qua strepunt aves

Stantes sub ipso culmine,

15 Paulo ante quam lux emicet,
Nostri figura est judicis. 3

Tectos tenebris horridis,

Stratisque opertos segnibus,

Suadet quietem linquere

20 Jam jamque venturo die.

Ut cum coruscis flatibus

Aurora cœlum sparserit,

Omnes labore exercitos

Confirmet ad spem luminis.

25 Hic somnus ad tempus datus,

Est forma mortis perpetis

Peccata, ceu nox horrida,

Cogunt jacere ac stertere.

Sed vox ab alto culmine

30 Christi docentis præmonet,

Adesse jara lucem prope;

Ne mens sopori serviat:

Ne somnus usque ad terminos

Vitæ socordis opprimat

35 Pectus sepultum crimine,

Et lueis oblitum suæ.

Ferunt vagantes dæmonas

Lætos tenebris noctium,

Gallo canente exterritos

40 Sparsim timere et cedere.

Invisa nam vicinitas

Lucis, salutis, numinis,

Rupto tenebrarum situ

Noctis fugat satellites.

45 Hoc esse signum præscii

Norunt repromisæs spei:

Qua nos soporis liberi

Speramus adventum Dei.

Quæ vis sit hujus alitis,

50 Salvator ostendit Petro,

Ter, ante quam gallus canat,

Sese negandum prædicans.

Fit namque peccatum prius,

Quam præco lucis proximæ

55 Illustret humanum genus,

Finemque peccandi ferat.

Flevit negator denique

Ex ore prolapsum nefas:

Cum mens maneret innocens, 4

60 Animusque servaret fidem.

Nec tale quidquam postea

Linguæ locutus lubrico est;

Cantuque galli cognito

Peccare justus destitit.

65 Inde est, quod omnes credimus,

Illo quietis tempore,

Quo gallus exsultans canit,

Christum redisse ex Inferis.

Tunc mortis oppressus vigor,

70 Tunc lex subacta est Tartari:

Tunc vis diei fortior

Noctem cœgit cedere.

Jam jam quiescant improha,

Jam culpa furva obdormiat,

75 Jam noxa lethalis, suum

Perpessa somnum, marceat.

Vigil vicissim spiritus,

Quodcunque restat temporis,

Dum meta noctis clauditur,

80 Stans ac laborans excubet.

Jesum ciamus vocibus,

Flentes, precantes, sobrii: 5

Intenta supplicatio

Dormire cor mundum vetat.

85 Sat convolutis artubus

Sensum profunda oblivio

Pressit, gravavit, obruit,

Vanis vagantem somniis.

Sunt nempe falsa et frivola,

90 Quæ mundiali gloria,

Ceu dormientes, egimus.

Vigilemus : hic est veritas.

Aurum, voluptas, gaudium,

Opes, honores, prospera,

95 Qæcunque nos inflant mala,

Fit mane, nil sunt omnia.

Tu, Christe, somnum disjice:

Tu rumpe noctis vincula:

Tu solve peccatum vetus,

100 Novumque lumen ingere.

L’oiseau messager du jour chante, annonçant que la lumière va paraître, et déjà le Christ, excitateur des âmes, nous appelle à la vie.

Quittez vos lits, s’écrie-t-il, ô vous tous qui êtes plongés dans un lourd sommeil, et chastes, justes et sobres, veillez, car je suis proche.

Ne mépriser sa couche qu’après le lever du soleil radieux, c’est la quitter trop tard, à moins qu’on n’ait prolongé durant une partie de la nuit le temps du travail.

Ce cri, que les oiseaux perchés sur nos toits, font retentir peu avant que la lumière ne brille, est le symbole de notre juge.

Enveloppés d’épaisses ténèbres, enfoncés dans nos lits paresseux, il nous invite à sortir de notre repos au moment où le jour va luire.

En annonçant que l’aurore va bientôt répandre dans les cieux des effluves brillantes, il vient rendre à l’espoir de la lumière tous ceux que le travail avait fatigués.

Ce sommeil, accordé pour un moment, est l’image de la mort éternelle. Le péché, comme une nuit horrible, terrasse sa victime et l’assoupit.

Mais du haut du ciel le Christ, notre maître, nous avertit que la lumière est proche, de peur que l’âme ne soit l’esclave du sommeil.

De peur que le sommeil, jusqu’à la fin d’une vie honteuse, ne tienne le cœur enseveli dans le crime et oublieux de celui qui est sa lumière.

On dit que les démons errent joyeux durant les ténèbres de la nuit et qu’épouvantés, dès que le coq chante, ils se dispersent pleins d’effroi.

L’approche redoutable de la lumière, du salut, de la divinité, dissipant les ténèbres qui les protègent, met en fuite les esprits nocturnes.

Les démons savent que le chant du coq est le signe de la promesse par laquelle, délivrés du sommeil du péché, nous espérons l’avènement de Dieu.

Le Sauveur montra à Pierre le rôle de cet oiseau quand il prédit à cet apôtre qu’il renierait son maître avant que le coq eût chanté trois fois.

Car le mal se commet avant que celui qui annonce l’approche du jour ait éclairé le genre humain et mis un terme au péché.

Bientôt l’auteur du triple reniement pleura le crime que sa bouche avait commis, tandis que son esprit était resté innocent et que son âme avait conservé la foi.

Par la suite, jamais sa langue ne proféra de telles paroles. Dès qu’il eut entendu le chant du coq, devenu juste, il cessa de pécher.

Aussi nous croyons tous que c’est à ce moment du repos de la nuit, où le coq bat des ailes et chante, que le Christ est revenu des enfers.

Alors fut vaincu le pouvoir de la mort, alors fut détruite la loi de l’enfer, alors la force plus puissante du jour contraignit la nuit à céder.

Qu’enfin le crime se repose; qu’enfin dorme le sombre péché; qu’enfin la faute mortelle s’assoupisse dans un long sommeil.

Que l’esprit vigilant, pendant le temps qui reste à parcourir tandis que les portes de la nuit sont fermées, veille dans le courage et le labeur.

Que nos voix invoquent Jésus. Pleurons, prions, soyons sobres. Une supplication ardente empêche le cœur pur de s’endormir.

Assez longtemps un oubli profond a maîtrisé nos membres, a opprimé, appesanti, accablé notre pensée qui errait en des songes vains.

Que de choses fausses et frivoles nous avons faites par gloire mondaine ! Nous dormions alors; veillons, voici la vérité.

L’or, la volupté, la joie, les richesses, les honneurs, les prospérités, tous les maux qui nous enflent, dès que le jour se fait, ne sont rien.

O Christ, dissipez le sommeil, rompez les chaines de la nuit, détruisez l’antique péché et répandez une lumière nouvelle.

II. HYMNUS MATUTINUS. 1

II. HYMNE DU MATIN.

Nox, et tenebræ, et nubila

Confusa mundi et turbida,

Lux intrat, albescit polus,

Christus venit, discedite. 2

5 Caligo terræ scinditur

Percussa solis spiculo:

Rebusque jam color redit

Vultu nitentis sideris.

Sic nostra mox obscuritas,

10 Fraudisque pectus conscium,

Ruptis retectum nubibus,

Regnante pallescet Deo.

Tunc non licebit claudere,

Quod quisque fuscum cogitat:

15 Sed mane clarescent novo

Secreta mentis prodita.

Fur ente lucem squalido

Impuce peccat tempore:

Sed lux dolis contraria

20 Latere furtum non sinit.

Versuta fraus et callida

Amat tenebris obtegi,

Aptamque noctem turpibus

Adulter occultus fovet.

25 Sol, ecce, surgit igneus.

Piget, pudescit, pœnitet;

Nec teste quisquam lumine

Peccare constanter potest.

Quis mane sumptis nequiter 3

30 Non erubescit poculis,

Cum fit libido temperans,

Castumque nugator sapit?

Nunc, nunc severum vivitur,

Nunc nemo tentat ludicrum;

35 Inepta nunc omnes sua

Vultu colorant serio.

Hæc hora cunctis utilis,

Qua quisque, quod studet, gerat;

Miles, togatus, navita,

40 Opifex, arator, institor.

Illum forensis gloria,

Hunc triste raptat classicum:

Mercator hinc ac rusticus

Avara suspirant lucra.

45 At nos lucelli ac fœnoris

Fandique prorsus nescii,

Nec arte fortes bellica,

Te, Christe, solum novimus. 4

Te mente pura et simplici,

50 Te voce, te cantu pio,

Rogare curvato genu 5

Flendo et canendo discimus.

His non lucramur quæstibus:

Hac arte tantum vivimus:

55 Hæc inchoamus munera,

Cum sol resurgens emicat.

Intende nostris sensibus,

Vitamque totam dispice:

Sunt multa fucis illita,

60 Quæ luce purgentur tua.

Durare nos tales jube,

Quales remotis sordibus

Nitere pridem jusseras,

Jordane tinctos flumine.

65 Quodcunque nox mundi dehinc

Infecit atris nubibus,

Tu, rex, eoi sideris

Vultu sereno illumina.

Tu, sancte, qui tetram picem 6

70 Candore tinguis lacteo,

Ebenoque crystallum facis,

Delicta terge livida.

Sub nocte Jacob cærula, 7

Luctator audax Angeli,

75 Eo usque dum lux surgeret,

Sudavit impar prælium. 8

Sed cum jubar claresceret,

Lapsante claudus poplite,

Femurque victus debile,

80 Culpæ vigorem perdidit.

Nutabat inguen saucium,

Quæ corporis pars vilior,

Longeque sub cordis loco

Diram fovet libidinem.

85 Hæ nos docent imagines,

Hominem tenebris obsitum,

Si forte non cedat Deo,

Vires rebelles perdere.

Erit tamen beatior,

90 Intemperans membrum cui

Luctando claudum et tabidum

Dies oborta invenerit.

Tandem facessat cæcitas,

Quæ nosmet in præceps diu

95 Lapsos sinistris gressibus

Errore traxit devio.

Hæc lux serenum conferat,

Purosque nos præstet sibi.

Nihil loquamur subdolum:

100 Volvamus obscurum nihil.

Sic tota decurrat dies.

Ne lingua mendax, ne manus,

Oculive peccent lubrici:

Ne noxa corpus inquinet.

105 Speculator adstat desuper,

Qui nos diebus omnibus,

Actusque nostros prospicit,

A luce prima in vesperum.

Hic testis, hic est arbiter,

110 Hic intuetur quidquid est,

Humana quod mens concipit:
Hunc nemo tallit judicem.

Nuit, ténèbres, nuages confus, brouillards qui voilez le monde, dissipez-vous; la lumière se lève, l’aube blanchit, le Christ approche.

Traversé comme d’un dard par les rayons du soleil, le voile obscur de la terre se déchire; les objets reprennent leurs couleurs sous les regards de l’astre radieux.

Ainsi les ténèbres de notre conscience coupable s’effaceront tout à coup, ainsi les nuages qui la couvrent s’évanouiront au jour où Dieu viendra régner.

Alors il ne sera plus possible de cacher ses sombres pensées; les plus secrets désirs de l’âme s’éclaireront à ce nouveau matin.

Le voleur, avant le jour, pèche impunément durant les heures obscures; mais la lumière, ennemie des brigandages, ne permet pas que le larcin demeure caché.

La fraude trompeuse et rusée aime à s’envelopper de ténèbres; l’adultère désire, pour voiler sa honte, la nuit propice.

Mais dès que se lève le soleil dans son éclat, le pécheur s’arrête, rougit et se repent. Qui peut persister dans son crime, quand la lumière en devient le témoin?

Celui qui s’enivra hier, ne rougit-il pas, au matin, de ses excès? On voit alors le débauché feindre la tempérance et le libertin jouer la chasteté.

Le matin on vit sérieusement, nul ne songe à se dissiper, tous s’efforcent de donner à leurs folies un air sérieux.

Cette heure est utile à tous; soldat, magistrat, navigateur, ouvrier, laboureur, chacun s’y livre aux devoirs de son état.

Celui-ci est emporté par la gloire du forum; celui-là par le son de la trompette guerrière. Ici c’est le marchand, là c’est le paysan que l’avarice fait soupirer après le lucre.

Mais nous, sans songer au gain, à l’usure, à l’éloquence; nous, inhabiles dans l’art de la guerre, nous ne connaissons que toi, ô Christ.

Nous apprenons à te prier d’un cœur pur et simple, à te prier avec nos voix et nos chants pieux, à te prier en fléchissant les genoux, en pleurant et en psalmodiant. Tels sont nos travaux et nos gains, telle est notre vie et notre art; nous commençons ce service dès que resplendit le soleil levant.

O Christ, veillez sur nos sens, embrassez de vos regards toute notre vie. Que de choses en nous sont obscurcies et souillées per le vice. Purifiez-le par votre lumière.

Faites que nous persévérions dans cette blancheur dont vous nous fîtes briller, lorsque nous fûmes lavés de nos taches dans les eaux du Jourdain.

Tout ce que la nuit du monde a depuis infecté d’épais nuages, illuminez-le, ô notre Roi, des feux du soleil qui se montre serein à l’Orient.

O Dieu très saint, qui donnez à la poix la plus noire, la blanche candeur du lait, qui changez l’ébène en cristal, effacez nos péchés livides.

Sous les voiles azurés de la nuit, Jacob, luttant audacieusement contre un ange, soutint un combat inégal tant que le jour ne fut pas levé.

Mais dès que le soleil resplendit, son jarret fléchit, sa cuisse devenue débile plia; il n’eut plus assez de force pour prolonger sa résistance.

Il n’eut plus de force dans les parties basses du corps, qui sont les plus viles, et qui, éloignées du cœur, favorisent les pensées lascives.

Cette image nous apprend que l’homme plongé dans les ténèbres, s’il ne cède pas à Dieu, perdra ses forces rebelles.

Bienheureux celui qui, au lever du jour, trouve soumise et mortifiée l’intempérance de ses membres.

Qu’enfin disparaisse l’aveuglement qui a longtemps entraîné dans des chutes malheureuses nos pas précipités, et nous a fait marcher dans les sentiers de l’erreur.

Que cette lumière nous apporte la sérénité; qu’elle nous rende purs comme elle. Loin de nous les paroles trompeuses, loin de nous les sombres pensées.

Qu’ainsi s’écoule le jour entier; ne péchons ni par notre langue menteuse, ni par nos mains, ni par nos yeux égarés. Qu’aucune faute ne souille notre corps.

Là-haut réside un témoin qui chaque jour observe nos actions, depuis l’aurore jusqu’au soir.

Ce témoin est aussi notre juge; il voit tout ce qui est, tout ce que conçoit l’esprit humain, et ce juge personne ne le trompe.

III. HYMNUS ANTE CIBUM. 1

III. HYMNE AVANT LE REPAS.

O crucifer bone, lucisator,

Omniparens, pie, verbigena, 2

Edite corpore virgineo;

Sed prius in genitore potens,

5 Astra, quorum mare quam fierent.

Huc nitido, precor, intuitu

Flecte salutiferam faciem,

Fronte serenus; et irradia,

Nominis ut sub honore tui

10 Has epulas liccat capere.

Te sine dulce nihil, Domine:

Nec juvat ore quid appetere,
Pocula ni prius atque cibos,

Christe, tuus favor imbuerit,

15 Omnia sanctificante fide.

Fercula nostra Deum sapiant,

Christus et influat in pateras:

Seria, ludicra, verba, jocos,

Denique quod sumus aut agimus,

20 Trina superne regat pietas.

Hic mihi nulla rosæ spolia, 3

Nullus aromate fragrat odor:

Sed liquor influit ambrosius,

Nectareamque fidem redolet,

25 Fusus ab usque Patris gremio.

Sperne, Camena, leves hederas, 4

Cingere tempora queis solita es,

Sertaque mystica dactylico

Texere docta liga strophio,

30 Laude Dei redimita comas.
Quod generosa potest anima,
Lucis et ætheris indigena,
Solvere dignius obsequium ;
Quam data munera si recinat,
35 Artificem modulata suum?
Ipse homini quia cuncta dedit,
Quæ capimus dominante manu,
Quæ polus, aut humus, aut pelagus,
Ære, gurgite, rure creant;
40 Hæc mihi subdidit, et sibi me.
Callidus illaqueat volucres
Aut pedicis dolus aut maculis,
Illita glutine corticeo
Vimina plumigeram seriem
45 Impediunt, et abire vetant.

Ecce, per æquora fluctivagos

Texta greges sinuosa trahunt:

Piscis item sequitur calamum,

Raptus acumine vulnifico,

50 Credula saucius ora cibo.

Fundit opes ager ingenuas,

Dives aristiferæ segetis,

Hic, ubi vitea pampineo

Brachia palmite luxuriant,

55 Pacis alumna ubi bacca viret.

Hæc opulentia Christicolis

Servit, et omnia suppeditat.

Absit enim procul illa fames,

Cedibus ut pecudum libeat

60 Sanguineas lacerare dapes.

Sint fera gentibus indomitis

Prandia de nece quadrupedum:

Nos oleris coma, nos siliqua

Fœta legumine multimodo

65 Paverit innocuis epulis.

Spumea mulctra gerunt niveos

Ubere de gemino latices

Perque coagula densa liquor

In solidum coit, et fragili

70 Lac tenerum premitur calatho.

Mella recens mihi Cecropia

Nectare sudat olente favus:

Hæc opifex apis ario

Rore liquat, tenuique thymo,

75 Nexilis inscia connubii.

Hinc quoque pomiferi nemoris

Munera mitia proveniunt:

Arbor onus tremefacta suum

Deciduo gravis imbre pluit,

80 Puniceosque jacit cumulos.

Quæ veterum tuba, quæve lyra

Flatibus inclyta vel fidibus,

Divitis Omnipotentis opus,

Quæque fruenda patent homini,

85 Laudibus æquiparare queat?

Te, Patter optime, mane novo, 5

Solis et orbita cum media est,

Te quoque, luce sub occidua,

Sumere cum monet hora cibum,

90 Nostra, Deus, canet harmonia.

Quod calet halitus interior,

Corde quod abdita vena tremit,

Pulsat et incita quod resonam

Lingua sub ore latens caveam,

95 Laus superi Patris esto mihi.

Nos igitur tua, sancte, manus

Cespite composuit madido,

Effigiem meditata suam:

Utque foret rata materies,

100 Flavit et indidit ore animam.

Tunc per amœna vireta jubet

Frondicomis habitare locis,

Ver ubi perpetuum redolet,

Prataque inulticolora latex

105 Quadrifluo celer amne rigat.

Hæc tibi nunc famulentur, ait:

Usibus omnia dedo tuis.

Sed tamen aspera mortifero

Stipite carpere poma veto,

110 Qui medio viret in nemore.

Hic draco perfidus indocile

Virginis illicit ingenium,

Ut socium malesuada virum

Mandere cogeret ex vetitis,

115 Ipsa pari peritura modo.

Corpora mutua, nosse nefas,

Post epulas inoperta vident;

Lubricus error et erubuit:

Tegmina suta parant foliis,

120 Dedecus ut pudor occuleret.

Conscia culpa Deum pavitans

Sede pia procul exigitur.

Innuba femina quæ fuerat,

Conjugis excipit imperium,

125 Fœdera tristia jussa pati.

Auctor et ipse doli coluber

Plectitur improbus, ut mulier
Colla trilinguia calce terat.

Sic coluber muliebre solum 6

130 Suscipit, atque virum mulier.

His ducibus vitiosa dehinc

Posteritas ruit infacinus :

Dumque rudes imitatur avos,

Fasque nefasque simul glomerans,

135 Impia crimina morte luit.

Ecce, venit nova progenies,

Æthere proditus alter homo,

Non luteus, velut ifie prior:

Sed Deus ipse gerens hominem,

140 Corporeisque carens vitiis.

Fit caro vivida sermo Patris,

Numine quam rutilante gravis

Non thalamo, neque jure tori,

Nec genialibus illecebris

145 Intemerata puella parit. 

Hoc odium vetus illud erat,

Hoc erat aspidis atque hominis

Digladiabile discidium,

Quod modo cernua femineis

150 Vipera proteritur pedibus.

Edere namque Deum merita

Omnia Virgo venena domat:

Tractibus anguis inexplicitis

Virus inerme piger revomit,

155 Gramme concolor in viridi.

Quæ feritas modo non trepidat,

Territa de grege candidulo 7  ?

Impavidas lupus inter oves

Tristis obambulat, ut rabidum

160 Sanguinis immemor os cohibet.

Agnus enim vice mirifica 8

Ecce leonibus imperitat,

Exagitansque truces aquilas

Per vaga nubila, perque Notos

165 Sidere lapsa columba fugat.

Tu mihi, Christe, columba potens, 9

Sanguine pasta cui cedit avis:

Tu niveus per ovile tuum

Agnus hiare lupum prohibes,

170 Sub juga tigridis ora premens.

Da, locuples Deus, hoc famulis

Rite precantibus, ut tenui

Membra cibo recreata levent :

Neu piger immodicis dapibus

175 Viscera tenta gravet stomachus.

Haustus amarus abesto procul;

Ne libeat tetigisse manu

Exitiale quid aut vetitum:

Gustus et ipse modum teneat,

180 Sospitet ut jecur incolume.

Sit satis anguibus horrificis,

Liba quod impia corporibus

Ah ! miseram peperere necem.

Sufficiat semel ob facinus

185 Plasma Dei potuisse mori.

Oris opus., vigor igneolus

Non moritur; quia flante Deo

Compositus, superoque fluens

De solio Patris artificis,

190 Vim liquidæ rationis habet.

Viscera mortua quin etiam

Post obitum reparare datur,

Eque suis iterum tumulis

Prisca renascitur effigies,

195 Pulvereo cœunte situ.

Credo equidem, neque vana fides,

Corpora vivere more animæ :

Nam modo corporeum memini

De Phlegethonte gradu facili

200 Ad superos remeasse Deum.

Spes eadem mea membra manet:

Quæ redolentia funereo

Jussa quiescere sarcophago,

Dux parili redivivus humo
205
Ignea Christus ad astra vocat.

O Christ, bon Sauveur, créateur de la lumière, par qui tout a été fait, miséricordieux, engendré par la parole du Père, conçu dans le sein d’une vierge, mais déjà puissant dans le sein du Père, avant la création des cieux, de la terre et des mers.

Je vous en supplie, dirigez vers nous un brillant regard de votre face salutaire, tournez vers nous votre front rayonnant et serein, afin que nous puissions, en l’honneur de votre nom, prendre ces aliments.

Sans vous rien n’est doux, Seigneur, la bouche n’a aucun plaisir à prendre quelque nourriture avant que votre grâce n’ait béni les aliments et les breuvages, et que tout soit sanctifié par la foi.

Que nos tables nous fassent goûter Dieu, que le Christ coule dans nos coupes. Que la sainte Trinité, du haut des cieux, règle nos heures sérieuses, nos amusements, nos paroles, nos jeux, tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons.

Ici point de roses effeuillées, point d’arome exhalant son parfum, mais pour moi coule, versée du sein du Père, une ambroisie divine, et la foi répand le plus doux nectar.

O muse, méprise le lierre dont tu as coutume de ceindre tes tempes; habile à te tresser de mystiques couronnes, mets aujourd’hui pour diadème autour de tes cheveux le chant des louanges de Dieu en strophes dactyliques.

Habitante de la lumière et de l’éther, l’âme, dont l’origine est si noble, peut-elle payer à Dieu un plus juste tribut d’hommages qu’en chantant les bienfaits dont elle est comblée, qu’en entonnant les louanges de son créateur?

C’est lui qui a tout donné à l’homme, et ce que nous saisissons d’une main puissante, et ce que les cieux, la terre et les mers produisent dans l’air, les flots et les champs. Il a tout soumis à moi et il m’a soumis à lui.

Un artifice trompeur emprisonne les oiseaux dans des pièges et des filets. Des baguettes enduites de glu retiennent le peuple ailé et l’empêchent de fuir.

Dans les flots, des filets sinueux ramassent les divers animaux qui errent au sein des mers. Le poisson est pris aussi avec un roseau. La pointe de l’hameçon l’entraîne hors de l’eau en déchirant sa bouche trompée par un appât menteur.

La campagne, enrichie d’épis chargés de grains, produit d’elle-même des trésors sans nombre. Les rameaux de la vigne étendent ici leur pampre luxuriant, là fleurit l’olivier ami de la paix.

Ces richesses suffisent aux chrétiens et contentent leurs besoins. Loin de nous cette faim qui se plaît à égorger des troupeaux et à déchirer des viandes sanglantes.

Que les peuples qui ne sont pas soumis au Christ tuent des quadrupèdes pour leurs cruels repas; nous les herbages tendres, les siliques pleines de légumes variés suffisent à nos innocents festins.

Un lait plus blanc que la neige, jaillissant d’une double mamelle, écume dans le vase qui sert à traire. Dans d’autres vases, la douce liqueur devient solide, et ce lait encore tendre est pressé dans de frêles corbeilles.

Un nouveau rayon de miel attique distille pour moi un nectar odorant; l’abeille, ouvrière virginale, l’a extrait de la rosée aérienne et des petites feuilles du thym.

La campagne a aussi des vergers pleins de fruits variés qui m’offrent de doux présents. L’arbre, tremblant sous le poids de ses richesses, laisse tomber de ses branches, comme une pluie, ses fruits rouges et murs qui s’entassent à ses pieds.

La trompette épique des anciens poètes, les cordes illustres de leur lyre pourraient-elles louer assez les ouvrages merveilleux du Dieu tout puissant et les biens dont ils font jouir les hommes?

O Père très bon, que nos hymnes vous chantent chaque matin, qu’ils vous chantent lorsque le soleil a parcouru la moitié de sa course, qu’ils vous chantent lorsque cet astre disparaît à l’occident, chaque fois que l’heure nous avertit de prendre de la nourriture.

Que l’haleine intérieure qui m’échauffe, que le sang qui coule dans mes veines et fait battre mon cœur, que ma langue, ma bouche et mon gosier sonore ne me servent qu’à louer mon père qui est au ciel.

O Père saint! ta main nous a donc faits avec du limon humide, tu nous as formés à ton image, et pour que la pensée fût unie à la matière, tu as soufflé, et ta bouche nous a donné une âme.

Dieu donne à l’homme pour séjour des jardins délicieux qu’ombragent des arbres magnifiques, qu’embaume un printemps éternel et où les eaux limpides de quatre fleuves arrosent des prairies émaillées de mille fleurs.

Tout ici doit te servir, lui dit-il, je te livre tout pour ton usage, cependant je te défends de cueillir le fruit fatal de l’arbre de mort, qui étend ses rameaux au milieu du Paradis.

Le serpent perfide tente l’esprit indocile de la femme afin que, donnant à son époux de mauvais conseils, elle lui fasse cueillir le fruit défendu qui donnera aux deux coupables une égale mort.

Dès qu’ils ont mangé, chose honteuse à connaître, ils s’aperçoivent que leurs corps sont sans voile. Ils rougissent de leur nudité; après leur faute, afin que la pudeur cache la honte, ils assemblent des feuilles et se font un vêtement.

Les coupables, sentant leur faute, ont peur de Dieu. Ils sont chassés du jardin sacré! La femme, jusqu’alors vierge, est soumise à la puissance de son époux et condamnée à subir une alliance pleine pour elle de douleurs.

Le serpent lui-même, auteur de tout mal, est puni de sa méchanceté. La femme écrasera sous son pied sa tête aux trois dards. Ainsi le serpent est subjugué par la femme et la femme par l’homme.

De cette source découle une postérité vicieuse qui se précipite dans le crime, mêlant sans cesse le bien et le mal, et imitant ses premiers ancêtres. Elle est punie de ses fautes impies par la mort.

Voilà que vient une nouvelle race. Un autre homme descend du ciel. Il n’est pas formé du limon commet le premier Adam; c’est un Dieu revêtu de la nature humaine sans avoir aucun des vices de notre corps.

Le verbe du Père devient chair vivante. C’est une vierge qui l’a mis au monde sans que jamais l’union nuptiale ou les joies charnelles aient terni sa virginité. C’est l’Esprit-Saint qui l’a rendue féconde.

La vipère infernale est écrasée sous le pied d’une femme. Ce triomphe est la cause de la haine antique, de la lutte implacable entre l’homme et le serpent.

La Vierge, qui a mérité d’être, mère de Dieu, a détruit tout le venin de la vipère. Elle roule en vain ses nombreux anneaux sous le pied qui la broie, et la force à vomir son poison sur le gazon vert comme elle.

Quelle bête féroce ne tremblera pas bientôt, effrayée par le blanc troupeau du Christ? Au milieu des brebis sans effroi, le loup se promène triste, et ferme sa gueule affamée, qui oublie le carnage.

Par un changement merveilleux, l’agneau commande aux lions; poursuivant les aigles cruels à travers les nuages errants, une colombe descendue du ciel les met en fuite.

C’est vous, ô Christ ! qui êtes pour moi la colombe à qui cède l’aigle sanguinaire; vous êtes l’agneau à la blanche toison qui défendez au loup de hurler dans votre bercail, et soumettez au joug le tigre féroce.

O Dieu infini, faites que vos serviteurs, dont vous agréez les prières, ne soutiennent les forces de leurs membres qu’avec une légère nourriture, et que leur estomac ne charge pas leurs entrailles de trop copieux aliments.

Loin de nous une boisson qui nous serait nuisible. Que notre main ne touche aucune nourriture funeste ou défendue. Soyons sobres et mesurés en mangeant pour nous conserver sans maladie.

Ne suffit-il pas au serpent infernal d’avoir donné à nos corps une mort malheureuse par une nourriture impie? Ne suffit-il pas que la créature de Dieu, à cause de son crime, ait pu mourir une fois?

Œuvre de la bouche de Dieu, flamme puissante, l’âme ne meurt pas. Née du souffle de Dieu, découlant du trône élevé du Père son créateur, elle a toute l’énergie de la pensée immatérielle.

Bien plus! notre chair morte peut se ranimer après le trépas. La poussière des tombeaux se réunit et notre première forme renait.

Je crois, et ma foi n’est point vaine, que les corps vivent comme les âmes, car le Dieu fait chair, je le sais, est remonté facilement de l’enfer aux cieux.

Le même sort, je l’espère, attend ma chair. Après qu’elle se sera reposée dans le sépulcre funèbre, celui qui est sorti vivant de cette terre où je serai enseveli, le Christ l’appellera dans les cieux enflammés.

IV. HYMNUS POST CIBUM.

IV. HYMNE APRES LE REPAS.

Pastis visceribus ciboque sumpto,
Quem lex corporis inbecilla poscit,
Laudem lingua Deo patri rependat;
Patri, qui Cherubin sedile sacrum,

5 Nec non et Seraphin suum supremo 1
Subnixus solio tenet regitque.
Hic est, quem Sabaoth Deum vocamus,
Expers principii carensque fine,
Rerum conditor et repertor orbis: 2

10 Fons vitæ liquida fluens ab arce,
Infusor fidei, sator pudoris,
Mortis perdomitor, salutis auctor.
Omnes quod sumus aut vigemus, inde est:
Regnat Spiritus ille sempiternus

15 A Christo simul et Parente missus.
Intrat pectora candidus pudica,
Quæ templi vice consecrata rident,
Postquam conbiberint Deum medullis.
Sed si quid vitii dolive nasci

20 Inter viscera jam dicata sensit, 
Ceu spurcum refugit celer sacellum.
Tætrum flagrat enim vapore crasso
Horror conscius æstuante culpa
Offensumque bonum niger repellit.

25 Nec solus pudor innocensve votum
Templum constituunt perenne Christo
In cordis medii sum ac recessu:
Sed ne crapula ferveat cavendum est,
Quæ sedem fidei cibis refertam

30 Usque ad congeriem coartet intus.
Parcis victibus expedita corda
Infusum melius Deum receptant.
Hic pastus animæ est, saporque verus:
Sed nos tu gemino fovens paratu

35 Artus atque animas utroque pastu 
Confirmas Pater ac vigore conples.
Sic olim tua præcluens potestas
Inter raucisonos situm leones,
Inlapsis dapibus virum refovit.

40 Illum fusile numen execrantem  
Et curvare caput sub expolita
Æris materia nefas putantem
Plebs diræ Babylonis ac tyrannus
Morti subdiderant, feris dicarant

45 Sævis protinus haustibus vorandum.  
O semper pietas fidesque tuta!
Lambunt indomiti virum leones
Intactumque Dei tremunt alumnum.
Adstant cominus et jubas reponunt,

50 Mansuescit rabies fameque blanda 
Prædam rictibus ambit incruentis.
Sed cum tenderet ad superna palmas
Expertumque sibi Deum rogaret,
Clausus jugiter indigensque victu:

55 Jussus nuntius advolare terris,
Qui pastum famulo daret probato,
Raptim desilit obsequente mundo.
Cernit forte procul dapes inemptas,
Quas messoribus Abbacuc propheta

60 Agresti bonus exhibebat arte.
Huius cæsarie manu prehensa
Plenis, sicut erat, gravem canistris
Suspensum rapit et vehit per auras.
Tum raptus simul ipse prandiumque

65 Sensim labitur in lacum leonum,  
Et, quas tunc epulas gerebat, offert:
Sumas lætus, ait, libensque carpas,
Quæ summus Pater, angelusque Christi
Mittunt liba tibi sub hoc periclo.

70 His sumptis Danielus excitavit 
In cælum faciem ciboque fortis
Amen reddidit, Halleluia dixit.
Sic nos muneribus tuis refecti, 3
Largitor Deus omnium bonorum,

75 Grates reddimus et sacramus hymnos.  
Tu nos tristifico velut tyranno
Mundi scilicet inpotentis actu
Conclusos regis et feram repellis,
Quæ circumfremit ac vorare temptat

80 Insanos acuens furore dentes,
Cur te, summe Deus, precemur unum.
Vexamur, premimur, malis rotamur;
Oderunt, lacerant, trahunt, lacessunt,
Iuncta est suppliciis fides iniquis.

85 Nec defit tamen anxiis medela; 
Nam languente trucis leonis ira
Inlapsæ superingeruntur escæ.
Quas si quis sitienter hauriendo
Non gustu tenui, sed ore pleno

90 Internis velit inplicare venis,  
Hic sancto satiatus ex propheta,
Iustorum capiet cibos virorum,
Qui fructum domino metunt perenni.
Nil est dulcius ac magis saporum,

95 Nil quod plus hominem juvare possit, 
Quam vatis pia præcinentis orsa.
His sumptis licet insolens potestas
Pravum judicet, inrogetque mortem,
Inpasti licet inruant leones,

100 Nos semper Dominum patrem fatentes
In te, Christe Deus, loquemur unum

Constanterque tuam crucem feremus.

Nos entrailles sont rassasiées; nous avons pris les aliments réclamés par l’infirme condition du corps, que notre langue chante en ses louanges Dieu le père

Le Père qui, assis sur un trône élevé, domine et régit les séraphins et les chérubins, degrés sacrés de son trône.

C’est lui que nous appelons Dieu Sabaoth. Il n’a pas de commencement, il n’aura pas de fin. Il est le créateur de toutes choses et lui seul a formé le monde.

La fontaine de vie coulant d’une source intarissable, le Verbe répand la foi et inspire la pudeur; il est vainqueur de la mort et auteur du salut.

Tout ce que nous avons de vie et de vigueur nous vient aussi de l’esprit qui règne éternellement, procédant à la fois du Père et du Christ.

Cet esprit sans tache entre dans les cœurs purs qui, consacrés comme des temples, se réjouissent lorsque de toutes leurs forces ils se sont abreuvés de Dieu.

Mais s’il sent que le vice ou la fraude commencent à naître au milieu de ces cœurs consacrés, il se hâte de les fuir comme un sanctuaire souillé.

Les feux horribles du péché font exhaler à la conscience une vapeur épaisse dont la noirceur offense le Saint-Esprit et le repousse.

Mais ce n’est pas seulement la pudeur et les désirs innocents qui forment dans le secret du cœur un temple éternel au Christ.

Il faut prendre garde aussi de ne pas s’échauffer dans la crapule, de ne pas se remplir d’aliments jusqu’à accabler sous le poids des viandes le cœur, siège de la foi.

Les cœurs dégagés, parce que leur nourriture est sobre, reçoivent mieux, quand il se répand en eux, Dieu la vraie nourriture de l’âme et sa vraie saveur.

Mais, ô Père! tu nous fais la grâce d’un double aliment, tu nourris à la fois nos corps et nos âmes, tu les fortifies, tu les remplis de vigueur.

C’est ainsi que jadis ta puissance souveraine ranima, par des aliments descendus du ciel, un homme jeté au milieu des lions rugissants.

Parce qu’il avait eu horreur d’une idole de métal, et avait regardé comme un crime de courber sa tête devant une statue d’airain poli,

Le peuple et le roi de la cruelle Babylone l’avaient condamné à mort, l’avaient livré aux bêtes féroces pour qu’il fût dévoré aussitôt par leurs gueules cruelles.

O piété! ô foi toujours en sûreté ! Les lions indomptés lèchent cet homme, ils ne font aucun mal à cet enfant de Dieu et tremblent devant lui.

Ils s’approchent, abaissent leur crinière; leur rage s’adoucit, leur faim s’apaise, leur langue amie caresse leur proie.

Mais lorsque, toujours en prison et manquant de vivres, il élève ses mains vers le ciel, priant le Dieu dont il avait éprouvé la bonté,

Un messager céleste reçoit l’ordre de descendre sur la terre et de donner de la nourriture à ce serviteur éprouvé. Il s’élance à travers l’espace obéissant.

Il aperçoit des aliments qui n’ont pas été achetés, que le prophète Habacuc, avec un art rustique, a préparés pour les moissonneurs.

Il le saisit en ce moment par les cheveux, tout chargé de ses corbeilles, le soulève et le porte à travers les airs.

Le prophète ainsi enlevé et ses aliments, descendent doucement dans la fosse aux lions; il offre le festin qu’il portait.

Reçois avec joie, dit-il, goûte avec plaisir la nourriture que t’envoient, en ce pressant péril, le Père suprême et l’ange du Christ.

Quand il l’eut prise, le prophète Daniel tourna son visage vers le ciel, et, fortifié par cet aliment, il dit: Amen, et chanta Alléluia.

Ainsi ranimés par vos dons, ô Dieu qui nous dispensez tous les biens, nous rendons grâce et nous entonnons des hymnes sacrés!

Vous veillez sur nous, entourés des efforts impuissants du monde, affreux tyran, et vous repoussez la bête féroce qui rôde frémissante et cherche à nous dévorer, aiguisant ses dents en sa fureur insensée, parce que nous ne cessons de vous prier, ô Dieu suprême!

Nous sommes affligés, oppressés, accablés de maux; on noué hait, on nous déchire, on nous persécute, on nous blesse; la foi subit d’injustes supplices.

Mais dans notre anxiété nous ne manquons pas de remèdes, car la colère du lion affamé languit, et de célestes nourritures nous sont apportées.

Si quelqu’un altéré s’en nourrit, non d’un gosier délicat, mais à pleine bouche, et veut en remplir ses entrailles,

Il sera rassasié par un saint prophète, et goûtera les aliments des hommes justes qui moissonnent des fruits pour un Maître éternel.

Rien n’est plus doux, rien n’est plus savoureux, rien ne peut mieux délecter l’homme que les pieuses paroles chantées par le prophète.

Nourris de ces paroles, qu’une puissance insolente nous croie méchants et nous condamne à mort, que les lions affamés se précipitent sur nous:

Toujours nous confesserons Dieu le Père, toujours nous dirons qu’il est Un avec toi, ô Christ Dieu! toujours nous porterons ta croix.

V. HYMNUS AD INCENSUM LUCERNÆ. 1

V. HYMNE A L’HEURE OU LES LAMPES SONT ALLUMÉES.

Inventor rutili, dux bone, luminis,
Qui certis vicibus tempora dividis,
Merso sole chaos ingruit horridum,
Lucem redde tuis Christe fidelibus.

5 Quamvis innumero sidere regiam
Lunarique polum lampade pinxeris,
Incussu silicis lumina nos tamen
Monstras saxigeno semine quærere:
Ne nesciret homo spem sibi luminis

10 In Christi solido corpore conditam,
Qui dici stabilem se voluit petram, 2
Nostris igniculis unde genus venit.
Pinguis quos olei rore madentibus
Lychnis aut facibus pascimus aridis:

15 Quin et fila favis scirpea floreis
Presso melle prius conlita fingimus.
Vivax flamma viget, seu cava testula
Sucum linteolo suggerit ebrio,
Seu pinus piceam fert alimoniam,

20 Seu ceram teretem stuppa calens bibit.
Nectar de liquido vertice fervidum
Guttatim lacrimis stillat olentibus,
Ambustum quoniam vis facit ignea
Imbrem de madido flere cacumine.

25 Splendent ergo tuis muneribus, Pater,
Flammis mobilibus scilicet atria,
Absentemque diem lux agit æmula,
Quam nox cum lacero victa fugit peplo.
Sed quis non rapidi luminis arduam

30 Manantemque Deo cernat originem?
Moyses nempe Deum spinifera in rubo
Vidit conspicuo lumine flammeum.
Felix, qui meruit sentibus in sacris
Cælestis solii visere principem,

35 Jussus nexa pedum vincula solvere,
Ne sanctum involucris pollueret locum.
Hunc ignem populus sanguinis incliti
Maiorum meritis tutus et inpotens,
Suetus sub dominis vivere barbaris,

40 Jam liber sequitur longa per avia:
Qua gressum tulerant castraque cærulæ
Noctis per medium concita moverant,
Plebem pervigilem fulgure prævio
Ducebat radius sole micantior.

45 Sed rex Niliaci littoris invido
Fervens felle jubet prævalidam manum
In bellum rapidis ire cohortibus
Ferratasque acies clangere classicum.
Sumunt arma viri seque minacibus

50 Accingunt gladiis, triste canit tuba:
Hic fidit jaculis, ille volantia
Præfigit calamis spicula Gnosiis.
Densetur cuneis turba pedestribus,
Currus pars et equos et volucres rotas

55 Conscendunt celeres signaque bellica
Prætendunt tumidis clara draconibus. 3
Hic jam servitii nescia pristini
Gens Pelusiacis usta vaporibus
Tandem purpurei gurgitis hospita

60 Rubris littoribus fessa resederat.
Hostis dirus adest cum duce perfido,
Infert et validis prælia viribus:
Moyses porro suos in mare præcipit
Constans intrepidis tendere gressibus:

65 Præbent rupta locum stagna viantibus
Riparum in faciem pervia, sistitur
Circumstans vitreis unda liquoribus,
Dum plebs sub bifido permeat æquore.
Pubes quin etiam decolor asperis

70 Inritata odiis rege sub inpio
Hebræum sitiens fundere sanguinem
Audet se pelago credere concavo:
Ibant præcipiti turbine percita
Fluctus per medios agmina regia,

75 Sed confusa dehinc unda revolvitur
In semet revolans gurgite confluo.
Currus tunc et equos telaque naufraga
Ipsos et proceres et vaga corpora
Nigrorum videas nare satellitum,

80 Arcis justitium triste tyrannicæ.
Quæ tandem poterit lingua retexere
Laudes Christe tuas? qui domitam Pharon 4
Plagis multimodis cedere præsuli
Cogis justitiæ vindice dextera.

85 Qui pontum rapidis æstibus invium
Persultare vetas, ut refluo in salo
Securus pateat te duce transitus,
Et mox unda rapax devoret inpios.
Cui jejuna eremi saxa loquacibus

90 Exundant scatebris, et latices novos
Fundit scissa silex, quæ sitientibus
Dat potum populis axe sub igneo.
Instar fellis aqua tristifico in lacu
Fit ligni venia mel velut Atticum:

95 Lignum est, quo sapiunt aspera dulcius;
Nam præfixa cruci spes hominum viget.
Inplet castra cibus tunc quoque ninguidus,
Inlabens gelida grandine densius:
His mensas epulis, hac dape construunt,

100 Quam dat sidereo Christus ab æthere.
Nec non imbrifero ventus anhelitu
Crassa nube leves invehit alites,
Quæ conflata in humum, cum semel agmina
Fluxerunt, reduci non revolant fuga.

105 Hæc olim patribus præmia contulit
Insignis pietas numinis unici,
Cuius subsidio nos quoque vescimur
Pascentes dapibus pectora mysticis.
Fessos ille vocat per freta seculi

110 Discissis populum turbinibus regens
Iactatasque animas mille laboribus
Iustorum in patriam scandere præcipit.
Illic purpureis tecta rosariis
Omnis fragrat humus calthaque pinguia

115 Et molles violas et tenues crocos
Fundit fonticulis uda fugacibus.
Illic et gracili balsama surculo
Desudata fluunt, raraque cinnama
Spirant et folium, fonte quod abdito

120 Prælambens fluvius portat in exitum.
Felices animæ prata per herbida
Concentu parili suave sonantibus
Hymnorum modulis dulce canunt melos,
Calcant et pedibus lilia candidis.

125 Sunt et spiritibus sæpe nocentibus
Pænarum celebres sub Styge feriæ
Illa nocte, sacer qua rediit Deus
Stagnis ad superos ex Acheronticis.
Non sicut tenebras de face fulgida

130 Surgens oceano Lucifer inbuit,
Sed terris Domini de cruce tristibus
Maior sole novum restituens diem.
Marcent suppliciis tartara mitibus, 5
Exultatque sui carceris otio

135 Functorum populus liber ab ignibus,
Nec fervent solito flumina sulphure.
Nos festis trahimus per pia gaudia
Noctem conciliis votaque prospera
Certatim vigili congerimus prece

140 Extructoque agimus liba sacrario.
Pendent mobilibus lumina funibus,
Quæ suffixa micant per laquearia,
Et de languidulis fota natatibus
Lucem perspicuo flamma jacit vitro.

145 Credas stelligeram desuper aream
Ornatam geminis stare trionibus,
Et qua bosporeum temo regit jugum,
Passim purpureos spargier hesperos.
O res digna, Pater, quam tibi roscidæ

150 Noctis principio grex tuus offerat,
Lucem, qua tribuis nil pretiosius,
Lucem, qua reliqua præmia cernimus.
Tu lux vera oculis, lux quoque sensibus,
Intus tu speculum, tu speculum foris,

155 Lumen, quod famulans offero, suscipe,
Tinctum pacifici chrismatis unguine.
Per Christum genitum, summe Pater, tuum,
In quo visibilis stat tibi gloria,
Qui noster Dominus, qui tuus unicus

160 Spirat de patrio corde paraclitum.
Per quem splendor, honos, laus, sapientia,
Maiestas, bonitas, et pietas tua
Regnum continuat numine triplici

Texens perpetuis secula seculis.

Auteur de la brillante lumière, bon Maître qui divises les temps par des successions fixes, le soleil s’est plongé dans l’Océan, l’affreux chaos nous envahit, ô Christ! rends la lumière à tes fidèles!

Quoique tu aies décoré les cieux d’astres sans nombre, quoique tu aies donné à la terre la lune pour flambeau, tu nous apprends à frapper un caillou pour en faire jaillir des étincelles, semences de lumière.

Afin que l’homme n’ignore pas qu’il n’a d’autre espérance de lumière que dans le corps immortel du Christ, qui a voulu s’appeler la pierre ferme, d’où sort l’étincelle qui allume nos faibles feux.

Nous entretenons nos feux avec des lampes où sont versés des flots d’huile onctueux, ou avec des torches arides; de plus, nous enduisons de cire, composée avec le suc des fleurs, mais dépouillée de tout miel, de longs fils de jonc.

La flamme est vivante et vigoureuse, soit que dans les flancs creux d’une lampe le chanvre s’imbibe d’un suc onctueux, soit que le pin l’alimente avec sa poix, soit que l’étoupe enflammée boive la cire arrondie.

Le nectar brûlant découle du sommet du cierge goutte à goutte en larmes odorantes, la force du feu. fait tomber cette pluie bouillante qui se liquéfie.

Par vos bienfaits, ô Père! des flammes mobiles resplendissent dans vos demeures. La lumière rivalise avec le jour absent, devant elle la nuit s’enfuit avec son manteau déchiré.

Mais qui ne voit pas l’origine sublime de la lumière aux rapides rayons? Qui ne voit pas qu’elle découle de Dieu? Moïse vit Dieu dans un buisson épineux, comme une flamme d’une lumière éclatante.

Heureux qui mérita devoir dans un buisson sacré le Prince du trèfle céleste, après avoir reçu l’ordre de dénouer les liens de ses pieds, de peur de souiller un lieu saint avec ses chaussures.

Un peuple de race illustre, protégé par les mérites de ses aïeux, et très puissant, habitué à vivre sous des maîtres barbares, libre enfin, suit ce feu à travers de vastes déserts.

Partout où ils portaient leurs pas et transportaient leurs camps au milieu de la nuit azurée, un rayon plus brillant que le soleil précédait de son éclat conducteur le peuple vigilant.

Mais le roi des rivages arrosés par le Nil, embrasé du fiel de la jalousie, ordonne à une troupe vaillante d’aller combattre les cohortes qui fuient, et à la trompette guerrière de rassembler une armée bardée de fer.

Des hommes en foule prennent leurs armes, ils ceignent leurs glaives menaçants; la trompette sonne le combat; l’un se confie en ses javelots, l’autre arme de traits volants des roseaux de Crète.

La foule des fantassins se forme en coins épais, d’autres montent sur des chars, sur des chevaux, sur des roues aux ailes rapides, et déploient leurs drapeaux guerriers ornés de fiers dragons.

La mer Rouge a ouvert ses gouffres hospitaliers au peuple longtemps brûlé par les chaleurs de l’Egypte, et qui oublie maintenant son ancien esclavage; il s’est assis fatigué sur le rivage de la mer.

L’ennemi cruel s’avance avec son chef perfide, il commence le combat avec ses vaillantes troupes, mais Moïse ordonne aux siens de marcher dans la mer d’un pas intrépide.

Les flots s’entrouvrent et offrent aux Hébreux qui les traversent, un chemin jusqu’au rivage. L’eau qui les entoure arrête ses vagues transparentes, tandis qu’ils marchent au milieu de la mer divisée.

Les jeunes guerriers d’Egypte, au teint hâlé, sont pleins de haine et de colère sous leur roi impie; ils ont soif de verser le sang des Hébreux, et osent se confier aux gouffres de la mer.

Les bataillons du roi allaient précipitant leurs tourbillons au milieu des flots, mais l’onde s’écroule en vagues confuses qui roulent les unes contre les autres dans l’abîme tumultueux.

On pouvait voir en ce naufrage surnager les chars, les chevaux, les traits, les nobles guerriers eux-mêmes, et les corps errants des noirs satellites, deuil affreux d’un puissant tyran.

Quelle langue pourra célébrer tes louanges, ô Christ! dont la droite a forcé l’Egypte, accablée de plaies sans nombre, de céder devant ta justice vigilante?

Toi qui défends à la mer d’agiter ses ondes rapides, afin que sous ta conduite un passage sûr s’ouvre au sein des flots amers, et que l’onde meurtrière dévore ensuite les impies.

Toi qui fais jaillir des flots murmurants des arides rochers du désert, et forces la pierre à s’ouvrir et à répandre de nouvelles ondes pour abreuver un peuple altéré sous un soleil de feu.

Les eaux d’un lac affreux, plus amères que le fiel, par la vertu d’un bois bienfaisant, deviennent comme le miel attique. Il y a un bois par qui toute amertume se change en douceur, car, attachée à la croix, l’espérance des hommes se fortifie.

Une blanche nourriture tombe des cieux, plus abondante que la grêle en hiver, et remplit les camps; on charge les tables de cet aliment que le Christ envoie des cieux étoilés.

Le souffle d’un vent de pluie porte sur une épaisse nuée de légers oiseaux dont la troupe, une fois précipitée sur le sol, ne s’envole pas pour prendre la fuite.

Voilà les bienfaits dont l’insigne bonté du Dieu unique a jadis comblé nos pères; c’est aussi par sa bonté que nous sommes nourris, rassasiant nos cœurs de mystiques aliments.

Il appelle à lui ceux qui sont fatigués par les tempêtes du siècle, il conduit son peuple en écartant de lui les flots tumultueux, il ordonne aux âmes accablées de mille peines de monter dans la patrie des justes.

Là, partout des rosiers empourprés parfument la terre arrosée par des ruisseaux fugitifs qui font croître le souci plein de suc, les douces violettes, le crocus au léger calice.

Là, de tendres rejetons distillent des flots de baume; là exhalent leurs parfums le cinname si rare et le nénuphar que le fleuve à sa source caresse pour l’emporter jusqu’à la mer.

Les âmes heureuses, dans les prés verdoyants, chantent avec un harmonieux accord une douce mélodie, des hymnes qui résonnent avec suavité; ils pressent de leurs pieds des lis éclatants de blancheur.

Dans le lieu des expiations ce sont des moments de repos, pour les âmes qui ont souvent péché, que les retours de la nuit où le lieu saint remonta des enfers aux cieux,

Non comme l’étoile du matin sortant de l’Océan et pénétrant les ténèbres avec son brillant flambeau, mais plus radieux que le soleil, rendant un nouveau jour à la terre attristée par la croix du Sauveur.

Le Tartare languit, ses tourments s’adoucissent; le peuple des ombres, délivré de ses feux, se réjouit de ce repos dans sa prison; dans les fleuves infernaux ne bouillonne pas le soufre accoutumé.

Nous, réunis par des fêtes, nous passons la nuit dans des joies pieuses, nous rassemblons à l’envi, dans une prière vigilante, nos vœux prospères, et nous offrons nos dons sur l’autel élevé pour les recevoir.

Des lampes sont suspendues à des cordes mobiles, et brillent attachées aux lambris; vacillant au-dessus des flots d’huile qui l’alimentent, la flamme inonde de lumière le verre transparent.

On croirait voir au haut du temple une voûte étoilée qu’ornent la grande et la petite Ourse, et des vesper empourprées répandues vers cet endroit du Septentrion où brille le timon du Bouvier.

Il est digne et juste, ô Dieu! que ton troupeau t’offre, au commencement de la nuit humide de rosée, la lumière, le plus précieux de tes dons, la lumière qui nous fait apercevoir tes autres bienfaits.

C’est toi qui es la vraie lumière de nos yeux, la vraie lumière de nos pensées, tu es notre miroir au dedans et notre miroir au dehors, reçois la lumière que je t’offre humblement teinte de l’onction du chrême de paix.

Père souverain, je t’en prie par le Christ ton Fils en qui ta gloire repose visiblement, Notre-Seigneur, ton Fils unique, de qui procède, ainsi que de ton cœur de Père, le Paraclet;

Par qui ta splendeur, ta gloire, ta louange, ta sagesse, ta majesté, ta piété, prolongent éternellement leur règne sous un triple nom, durant les siècles des siècles.

V. HYMNUS ANTE SOMNUM.

VI. HYMNE AVANT LE SOMMEIL.

Ades Pater supreme,
Quem nemo vidit unquam,
Patrisque sermo Christe, 1
Et Spiritus benigne.

5 O Trinitatis huius
Vis una, lumen unum,
Deus ex Deo perennis,
Deus ex utroque missus.
Fluxit labor diei,

10 Redit et quietis hora,
Blandus sopor vicissim
Fessos relaxat artus.
Mens æstuans procellis
Curisque sauciata

15 Totis bibit medullis
Obliviale poclum.
Serpit per omne corpus
Lethæa vis, nec ullum
Miseris doloris ægri

20 Patitur manere sensum.
Lex hæc data est caducis
Deo jubente membris,
Ut temperet laborem
Medicabilis voluptas.

25 Sed dum pererrat omnes
Quies amica venas,
Pectusque feriatum
Placat rigante somno:
Liber vagat per auras

30 Rapido vigore sensus,
Variasque per figuras,
Quæ sunt operta, cernit.
Quia mens soluta curis,
Cui est origo cælum,

35 Purusque fons ab æthra
Iners jacere nescit.
Imitata multiformes
Facies sibi ipsa fingit,
Per quas repente currens

40 Tenui fruatur actu.
Sed sensa somniantum
Dispar fatigat horror,
Nunc splendor intererrat
Qui dat futura nosse.

45 Plerumque dissipatis
Mendax imago veris
Animos pavore mæstos
Ambage fallit atra.
Quem rara culpa morum

50 Non polluit frequenter,
Nunc lux serena vibrans
Res edocet latentes.
At qui coinquinatum
Vitiis cor inpiavit,

55 Lusus pavore multo
Species videt tremendas.
Hoc patriarcha noster
Sub carceris catena
Geminis simul ministris

60 Interpres adprobavit.
Quorum reversus unus
Dat poculum tyranno,
Ast alterum rapaces
Fixum vorant volucres.

65 Ipsum deinde regem
Perplexa somniantem
Monuit famem futuram
Clausis cavere acervis.
Mox præsul ac tetrarches

70 Regnum per omne jussus
Sociam tenere virgam
Dominæ resedit aulæ.
O quam profunda justis
Arcana per soporem

75 Aperit tuenda Christus,
Quam clara! quam tacenda!
Evangelista summi
Fidissimus magistri
Signata quæ latebant

80 Nebulis videt remotis:
Ipsum tonantis agnum
De cæde purpurantem,
Qui conscium futuri
Librum resignat unus.

85 Hujus manum potentem
Gladius perarmat anceps
Et fulgurans utrimque
Duplicem minatur ictum.
Quæsitor ille solus

90 Animæque corporisque
Ensisque bis timendus
Prima ac secunda mors est.
Idem tamen benignus
Ultor retundit iram

95 Paucosque non piorum
Patitur perire in ævum.
Huic inclitus perenne
Tribuit Pater tribunal,
Hunc obtinere jussit

100 Nomen supra omne nomen.
Hic præpotens cruenti
Extinctor antichristi,
Qui de furente monstro
Pulchrum refert tropæum.

105 Quam bestiam capacem
Populosque devorantem,
Quam sanguinis charybdem
Ioannis execratur.
Hæc nempe, quæ sacratum

110 præferre nomen ausa est,
Imam petit gehennam
Christo perempta vero.
Tali sopore justus
Mentem relaxat heros, 2

115 Ut spiritu sagaci
Cælum peragret omne.
Nos nil meremur horum,
Quos creber inplet error,
Concreta quos malarum

120 Vitiat cupido rerum.
Sat est quiete dulci
Fessum fovere corpus:
Sat, si nihil sinistrum
Vanæ minentur umbræ.

125 Cultor Dei memento
Te fontis et lavacri
Rorem subisse sanctum,
Te chrismate innotatum.
Fac, cum vocante somno

130 Castum petis cubile,
Frontem locumque cordis
Crucis figura signet.
Crux pellit omne crimen,
Fugiunt crucem tenebræ:

135 Tali dicata signo
Mens fluctuare nescit.
Procul, o procul vagantum
Portenta somniorum,
Procul esto pervicaci

140 Præstigiator astu!
O tortuose serpens,
Qui mille per Mæandros
Fraudesque flexuosas
Agitas quieta corda,

145 Discede, Christus hic est,
Hic Christus est, liquesce:
Signum quod ipse nosti
Damnat tuam catervam.
Corpus licet fatiscens

150 Jaceat recline paullum,
Christum tamen sub ipso

Meditabimur sopore.

Secourez-nous, Père suprême que jamais personne n’a vu, et vous, ô Christ! parole du Père, et vous, Esprit de bonté.

O de cette Trinité, force unique, lumière unique! ô Dieu de Dieu éternellement! ô Dieu procédant du Père et du Fils!

Le travail du jour cesse, l’heure du repos revient, un sommeil fortifiant va reposer les membres fatigués.

L’âme, agitée par des tempêtes, tourmentée par des soucis rongeurs, boit à pleine coupe le breuvage de l’oubli.

Par tout le corps se glisse l’assoupissement, il empêche les malheureux de ressentir encore l’aiguillon de la douleur.

C’est Dieu qui l’a voulu. Il a soumis à cette loi nos membres débiles, afin de tempérer nos labeurs par un agréable remède.

Mais tandis qu’un repos ami coule dans nos veines, tandis que notre cœur, livré au sommeil, goûte un calme heureux,

L’âme, libre dans l’espace, erre avec autant de force que de rapidité, et dans les diverses figures elle aperçoit tout ce qui se laisse découvrir.

Délivrée des soins du corps, l’âme, dont l’origine est céleste, dont la source pure est au plus haut de l’éther, ne peut pas rester gisante et inerte.

Elle compose les plus diverses figures et se les représente, et, passant de l’une à l’autre, elle agit encore vaguement durant le sommeil.

Mais ces figures informes et trompeuses fatiguent les sens de ceux qui dorment; parfois, au milieu des rêves, scintille une splendeur qui permet de connaitre l’avenir.

Le plus souvent la vérité s’évanouit; une menteuse image trompe par d’horribles visions les âmes saisies d’épouvante et d’effroi.

Celui dont les mœurs ne sont pas corrompues par des fautes nombreuses, voit la nuit une lumière sereine qui lui fait connaître les choses cachées.

Mais celui qui souille son cœur par le vice et l’impiété, jouet des terreurs nocturnes, voit des fantômes horribles.

Le patriarche Joseph, dans les chaînes de sa prison, interpréta les songes des deux ministres de Pharaon.

L’un, retournant à la cour, fut de nouveau l’échanson du roi; l’autre, attaché au poteau, fut dévoré par les oiseaux de proie.

Joseph ensuite avertit le roi lui-même, fatigué par des songes obscurs, d’entasser le blé dans les greniers pour se mettre en garde contre une famine prochaine.

Bientôt, chef et tétrarque, il reçut l’ordre d’étendre sur tout le royaume son sceptre ami, et il s’assit sur le trône de son maître.

Oh ! que de secrets profonds, glorieux, et sur lesquels il faut se taire, le Christ découvre aux justes pendant le sommeil !

L’évangéliste bien-aimé du divin Maître, aperçut les prodiges cachés dans les nuages de l’avenir.

Il vit l’Agneau de Dieu lui-même, empourpré de son sang, pouvant seul ouvrir le livre où les secrets de l’avenir sont contenus.

Un glaive à deux tranchants arme sa puissante main, et, jetant des éclairs de deux côtés, menace de frapper un double coup.

Il est le seul juge de l’âme et du corps, et son glaive, deux fois redoutable, donne la première et la seconde mort.

Le même Agneau, cependant, vengeur miséricordieux, apaise son courroux; ceux qu’il condamne à la mort éternelle, pour n’être pas pieux, sont en petit nombre.

Le Père éternel lui fait présider le céleste tribunal, il e voulu qu’il eût un nom au-dessus de tout nom.

Il est le tout-puissant vainqueur du cruel antéchrist. Oh! qu’il remporte un magnifique trophée sur ce monstre furieux!

Cette bête dévorante qui engloutit les peuples, cette Charybde sanguinaire, saint Jean la maudit.

Elle a osé usurper un nom saint et sacré. Vaincue par le Christ, qui seul est vrai, elle tombe au fond des enfers.

Tel est le sommeil qui repose les saints et les justes, et d’un esprit libre leur fait parcourir le ciel.

Nous ne méritons pas les songes de ceux qui sont remplis d’erreurs et souillés par l’ardent désir des choses mauvaises. Il nous suffit de ranimer dans un doux repos notre corps fatigué, heureux si de vaines ombres ne nous font aucune sinistre menace.

Serviteur de Dieu, souviens-toi que les flots sacrés du baptême ont coulé sur toi et que tu as été marqué du saint chrême.

Lorsque, appelant le sommeil, tu gagnes ton chaste lit, fais le signe de la croix sur ton front et sur ton cœur.

La croix chasse tout crime, les ténèbres fuient la croix, l’âme protégée par un tel signe ne peut chanceler.

Loin, ô loin de nous les songes confus aux prodiges étranges, loin de nous le démon tentateur et ses prestiges.

O serpent tortueux qui te glisses par mille méandres, par mille fraudes entortillées pour agiter les cœurs tranquilles,

Retire-toi, le Christ est ici; le Christ est ici, va-t’en; le signe que tu connais dissipe toute ta cohorte;

Quoique ce corps fatigué repose un peu, couché, cependant au milieu même du sommeil nous penserons à Jésus-Christ.

VII. HYMNUS JEJUNANTIUM.

VII. HYMNE DES JOURS DE JEUNE.

O Nazarene, lux Bethlem, verbum Patris,
Quem partus alvi virginalis protulit,
Adesto castis Christe parsimoniis,
Festumque nostrum rex serenus adspice,

5 Jejuniorum dum litamus victimam.
Nil hoc profecto purius mysterio,
Quo fibra cordis expiatur uvidi,
Intemperata quo domantur viscera,
Arvina putrem ne resudans crapulam

10 Obstrangulatæ mentis ingenium premat.
Hinc subiugatur luxus et turpis gula,
Vini atque somni degener socordia,
Libido sordens, inverecundus lepos,
Variæque pestes languidorum sensuum

15 Parcam subactæ disciplinam sentiunt.
Nam si licenter diffluens potu et cibo
Jejuna rite membra non cœrceas,
Sequitur frequenti marcida oblectamine
Scintilla mentis ut tepescat nobilis,

20 Animusque pigris stertat in præcordiis.
Frenentur ergo corporum cupidines,
Detersa et intus emicet prudentia:
Sic excitato perspicax acumine
Liberque flatu laxiore spiritus

25 Rerum parentem rectius precabitur.
Elia tali crevit observantia,
Vetus sacerdos, ruris hospes aridi:
Fragore ab omni quem remotum et segregem
Sprevisse tradunt criminum frequentiam,

30 Casto fruentem syrtium silentio.
Sed mox in auras igneis jugalibus
Curruque raptus evolavit præpete,
Ne de propinquo sordium contagio
Dirus quietum mundus adflaret virum,

35 Olim probatis inclitum jejuniis.
Non ante cæli principem septemplicis
Moyses tremendi fidus interpres throni
Potuit videre, quam decem recursibus
Quater volutis sol peragrans sidera

40 Omni carentem cerneret substantia.
Victus precanti solus in lacrimis fuit:
Nam flendo pernox inrigatum pulverem
Humi madentis ore pressit cernuo,
Donec loquentis voce præstrictus Dei

45 Expavit ignem non ferendum visibus.
Ioannis huius artis hand minus potens,
Dei perennis præcucurrit filium,
Curvos viarum qui retorsit tramites
Et flexuosa conrigens dispendia

50 Dedit sequendam calle recto lineam.
Hanc obsequelam præparabat nuntius
Mox adfuturo construens iter Deo,
Clivosa planis, confragosa ut lenibus
Converterentur, neve quidquam devium

55 Inlapsa terris inveniret veritas.
Non usitatis ortus his natalibus
Oblita lactis jam vieto in pectore
Matris tetendit serus infans ubera:
Nec ante partu de senili effusus est,

60 Quam prædicaret virginem plenam Deo.
Post in patentes ille solitudines
Amictus hirtis bestiarum pellibus
Setisve tectus hispida et lanugine
Secessit, horrens inquinari et pollui

65 Contaminatis oppidorum moribus.
Illic dicata parcus abstinentia
Potum cibumque vir severæ industriæ
In usque serum respuebat vesperum,
Parvum locustis et favorum agrestium 1

70 Liquore pastum corpori suetus dare.
Hortator ille primus et doctor novæ
Fuit salutis, nam sacrato in flumine
Veterum piatas lavit errorum notas:
Sed tincta postquam membra defæcaverat,

75 Cælo refulgens influebat spiritus.
Hoc ex lavacro labe dempta criminum 2
Ibant renati non secus, quam si rudis
Auri recocta vena pulchrum splendeat,
micet metalli sive lux argentei,

80 Sudum polito prænitens purgamine.
Referre prisci stemma mine jejunii
Libet fideli proditum volumine,
Ut diruendæ civitatis incolis
Fulmen benigni mansuefactum Patris

85 Pie repressis ignibus pepercerit.
Gens insolenti præpotens jactantia
Pollebat olim, quam fluentem nequiter
Conrupta vulgo solverat lascivia,
Et inde bruto contumax fastidio

90 Cultum superni negligebat numinis.
Offensa tandem jugis indulgentiæ
Censura justis excitatur motibus,
Dextram perarmat rhompheali incendio
Nimbos crepantes et fragosos turbines

95 Vibrans tonantum nube flammarum quatit.
Sed pænitendi dum datur diecula,
Si forte vellent inprobam libidinem
Veteresque nugas condomare ac frangere,
Suspendit ictum terror exorabilis

100 Paullumque dicta substitit sententia.
Ionam prophetam mitis ultor excitat,
Pænæ inminentis iret ut prænuntius,
Sed nosset ille qui minacem judicem
Servare malle, quam ferire ac plectere,

105 Tectam latenter vertit in Tharsos fugam. 3
Celsam paratis pontibus scandit ratem,
Udo revincta fune puppis solvitur,
Itur per altum, fit procellosum mare:
Tum causa tanti quæritur periculi,

110 Sors in fugacem missa vatem decidit.
Iussus perire solus e cunctis reus,
Cuius voluta crimen urna expresserat,
Præceps rotatur et profundo inmergitur:
Exceptus inde beluinis faucibus

115 Alvi capacis vivus hauritur specu.

Transmissa raptim præda cassos dentium

Eludit ictus, incruentsm transvolans

Impune linguam : ne retentam mordicus

Offam molares dissecarent uvidi,

120 Os omne transit, et palatum præterit.

Ternis dierum ac noctium processibus

Mansit ferino devoratus gutture.

Errabat illic per latebras viscerum:

Ventris Mæandros circuïbat tortiles

125 Anhelus, extis intus æstuantibus.
Intactus exin tertiæ noctis vice
Monstri vomentis pellitur singultibus,
Qua murmuranti fine fluctus frangitur,
Salsosque candens spuma tundit pumices,

130 Ructatus exit seque servatum stupet.
In Ninivitas se coactus percito
Gressu reflectit, quos ut increpaverat
Pudenda censor inputans opprobria;
Inpendet, inquit, ira summi vindicis,

135 Urbemque flamma mox cremabit, credite.
Apicem deinceps ardui montis petit
Visurus inde conglobatum turbidæ
Fumum ruinæ cladis et diræ struem,
Tectus flagellis multinodis germinis,

140 Nato et repente perfruens umbraculo.
Sed mæsta postquam civitas vulnus novi
Hausit doloris, heu supremum palpitat:
Cursant per ampla congregatim mœnia
Plebs et senatus, omnis ætas civium,

145 Pallens juventus, eiulantes feminæ.
Placet frementem publicis jejuniis
Placare Christum, mos edendi spernitur,
Glaucos amictus induit monilibus
Matrona demptis, proque gemma et serico

150 Crinem fluentem sordidus spargit cinis.
Squalent recincta veste bullati patres,
Setasque plangens turba sumit textiles,
Inpexa villis virgo bestialibus
Nigrante vultum contegit velamine,

155 Jacens arenis et puer provolvitur.
Rex ipse Coos æstuantem murices
Lænam revulsa dissipabat fibula,
Gemmas virentes et lapillos sutiles,
Insigne frontis exuebat vinculum

160 Turpi capillos inpeditus pulvere.
Nullus bibendi, nemo vescendi memor,
Jejuna mensas pubis omnis liquerat,
Quin et negato lacte vagientium
Fletu madescunt parvulorum cunulæ,

165 Sucum papillæ parca nutrix derogat.
Greges et ipsos claudit armentalium
Sollers virorum cura, ne vagum pecus
Contingat ore rorulenta gramina,
Potum strepentis neve fontis hauriant,

170 Vacuis querelæ personant præsepibus.
Mollitus his et talibus brevem Deus
Iram refrenat temperans oraculum
Prosper sinistrum, prona nam clementia
Haud difficulter supplicem mortalium

175 Solvit reatum fitque fautrix flentium.
Sed cur vetustæ gentis exemplum oquor?
Pridem caducis cum gravatus artubus
Iesus dicato corde jejunaverit,
Prænuncupatus ore qui prophetico

180 Emanuel est, sive NOBISCUM DEUS.
Qui corpus istud molle naturaliter
Captumque laxo sub voluptatum jugo
Virtutis arta lege fecit liberum:
Emancipator servientis plasmatis

185 Regnantis ante victor et cupidinis.
Inhospitali namque secretus loco
Quinis diebus octies labentibus
Nullam ciborum vindicavit gratiam,
Firmans salubri scilicet jejunio

190 Vas adpetendis inbecillum gaudiis.
Miratus hostis posse limum tabidum
Tantum laboris sustinere ac perpeti,
Explorat arte sciscitator callida,
Deusne membris sit receptus terreis,

195 Sed increpata fraude post tergum ruit.
Hoc nos sequamur quisque nunc pro viribus,
Quod consecrati tu magister dogmatis
Tuis dedisti Christe sectatoribus,
Ut, cum vorandi vicerit libidinem,

200 Late triumphet inperator spiritus.
Hoc est, quod atri livor hostis invidet,
Mundi polique quod gubernator probat,
Altaris aram quod facit placabilem,
Quod dormientis excitat cordis fidem,

205 Quod limat ægram pectoris rubiginem.
Perfusa non sic amne flamma extinguitur,
Nec sic calente sole tabescunt nives,
Ut turbidarum scabra culparum seges
Vanescit almo trita sub jejunio,

210 Si blanda semper misceatur largitas.
Est quippe et illud grande virtutis genus
Operire nudos, indigentes pascere,
Opem benignam ferre supplicantibus,
Unam paremque sortis humanæ vicem

215 Inter potentes atque egenos ducere.
Satis beatus quisque dextram porrigit,
Laudis rapacem, prodigam pecuniæ,
Cuius sinistra dulce factum nesciat:
Illum perennes protinus conplent opes,

220 Ditatque fructus fænerantem centuplex.

O Nazaréen, lumière de Bethléem, verbe du Père, que l’enfantement d’une vierge a mis au monde, ô Christ! daigne agréer nos chastes abstinences, ô roi ! vois notre fête d’un œil serein, nous offrons en sacrifice des jeûnes.

Rien de plus pur assurément que ce mystère qui purifie les fibres vivantes du cœur, qui réduit les entrailles intempérantes, de peur que l’embonpoint crapuleux du corps n’étrangle l’esprit et n’étouffe ses pensées.

Le jeûne dompte le luxe et la gourmandise honteuse. La paresse amollissante du vin et du sommeil, les vices divers des sens languissants se sentent soumis à une étroite discipline.

Si on prend sans mesure de la nourriture et de la boisson, si on ne mortifie pas ses membres par des jeûnes réglés, la noble flamme de l’esprit s’attiédit, amaigrie par de fréquentes jouissances, et l’âme s’assoupit dans des entrailles paresseuses.

Imposons donc un frein aux désirs de nos corps, et que notre prudence intérieure, purifiée, brille de tout son éclat; alors la pointe de notre esprit sera aiguisée, notre âme aura un souffle plus libre et priera avec plus de piété le créateur de toutes choses.

Telle est l’observance qui fit croître en vertu Elie, vieux prêtre, hôte d’une campagne aride. On dit, qu’éloigné et séparé de tout bruit, il avait méprisé la foule des pécheurs et jouissait du chaste silence du désert.

Mais bientôt il s’envola dans les airs, emporté sur un char rapide par des chevaux de feu, de peur que le monde se rapprochant, n’exhalât la contagion de ses crimes sur cet homme paisible, longtemps illustré par se jeûnes éprouvés.

Moïse, le fidèle interprète du trône redoutable de Dieu, ne put voir le roi du ciel aux sept régions avant que le soleil, parcourant le firmament, ne l’eût retrouvé pendant quarante jours privé de toute nourriture.

Il priait et n’avait d’autre aliment que ses larmes. Veillant la nuit, il abaissait son front dans la poussière et pressait la terre trempée de ses pleurs, jusqu’à ce que, secoué par la voix de Dieu qui lui parlait, il trembla devant le feu dont ses regards ne pouvaient supporter l’éclat.

Il ne pratiqua pas le jeûne avec moins de force, Jean, qui fut le précurseur du fils du Dieu éternel, qui redressa les chemins recourbés, corrigea les sentiers tortueux et montra la voie droite qu’il fallait suivre.

En exerçant ce ministère, le messager préparait la voie au Dieu qui devait bientôt venir, afin que les montagnes fussent aplanies et les chemins raboteux adoucis, afin que la vérité descendue sur la terre ne trouvât aucun sentier dévié.

Il était venu au monde par une naissance inaccoutumée; pour cet enfant tardif, les mamelles d’une mère chargée d’années s’étaient remplies d’un lait qu’elles n’espéraient plus, mais sa vieille mère, avant de t’enfanter, salua la Vierge qui portait un Dieu.

Vêtu de peaux de bêtes aux poils hérissés, couvert de crins ou de duvet grossier, il se retira dans de vastes solitudes, craignant jusqu’à l’horreur d’être souillé par les mœurs impures des villes.

Là, s’astreignant à une abstinence rigoureuse, cet homme d’une vertu sévère retardait jusqu’au soir son breuvage et sa nourriture, et avait coutume de ne donner à son corps, pour tout aliment, que des sauterelles et quelques gouttes de miel sauvage.

Le premier il nous enseigna le salut nouveau et nous y exhorta, car dans un fleuve sacré il lava les taches impures des anciennes fautes, et après que l’eau avait purifié les membres, le Saint-Esprit resplendissent descendait du ciel.

De ce bain qui effaçait les souillures du crime, on sortait avec une vie nouvelle. Ainsi l’or brut sort brillant du creuset, ainsi le minerai d’argent jette un vif éclat dès qu’il est purifié et poli.

Je puis rapporter ici l’exemple d’un ancien jeûne raconté dans un livre fidèle. Il détourna la foudre du Père, plein de bonté, il éteignit les feux de sa vengeance et lui fit pardonner aux habitants d’une ville qui devait être détruite.

Jadis florissait une ville puissante, mais d’un faste insolent. Tous ses habitants étaient tombés dans la plus lascive corruption; rebelle et animée d’un brutal orgueil, elle méprisait le culte du Dieu suprême.

La longue indulgence de Dieu est enfin offensée. Il s’émeut d’une juste indignation. Il arme sa droite, d’un glaive de feu. Il assemble des nuées tonnantes et de bruyants tourbillons, il fait vibrer les éclairs au sein des nuages enflammés.

Mais il accorde quelques jours au repentir, si on veut réprimer un libertinage pervers, si on veut renoncer aux anciennes débauches, il se laisse fléchir et suspend ses coups terribles. La sentence portée reste quelque temps suspendue.

Le doux vengeur ordonne au prophète Jonas d’aller annoncer aux coupables le châtiment qui les menace. Mais comme il sait que le juge menaçant aime mieux sauver que frapper et punir, Jonas fuit et se dirige vers Tarse pour cacher sa fuite.

Il monte sur un grand navire qu’un pont de planches unit au rivage. Le cordage qui retient la poupe est délié, on vogue en pleine mer, mais la mer devient orageuse. On cherche la cause d’un si pressant danger; le sort désigne le prophète fugitif.

On ordonne qu’il périsse seul, le coupable dont l’urne fatidique a dévoilé le. crime. Il est précipité dans la mer et balloté par les vagues. Reçu par l’immense gueule d’une baleine, il entre vivant dans son sein comme dans une caverne profonde.

Cette proie, rapidement avalée, échappe aux blessures que lui auraient faites les dents du monstre; elle passe impunément sous sa langue que le sang ne rougit pas, et afin que les dents ne la retiennent pas pour la broyer, elle franchit toute la bouche et passe à travers le gosier.

Pendant trois jours et pendant trois nuits, il reste englouti dans le sein de la baleine. Il erre dans les replis ténébreux, dans les tortueux méandres de cet énorme estomac. Il respire à peine dans ces entrailles brûlantes.

Au troisième retour de la nuit, le monstre avec effort le vomit intact sur un rivage où le flot se brise en murmurant, et frappe, blanc d’écume, des rochers couverts de sel. Le prophète, ainsi rejeté, s’étonne d’être encore en vie.

Il marche d’un pas rapide vers Ninive où Dieu le force d’aller. Il reprend ses habitants et leur reproche avec force leurs opprobres honteux. « La colère du souverain juge vous menace, dit-il; bientôt, croyez-moi, la flamme consumera votre ville. »

Il monte ensuite sur le sommet d’une haute montagne d’où il verra des tourbillons de fumée sur des monceaux de ruine et toute l’horreur du fléau qu’il annonce. Il est couvert des longs et souples rameaux d’une plante aux branches sans nombre, et jouit d’un ombrage qui s’est formé soudain.

Mais dès que la cité affligée a connu la nouvelle douleur qui va la blesser, elle tremble comme à son dernier soupir; le long des vastes remparts, pêle-mêle courent le peuple, le sénat, des citoyens de tout âge, de pâles jeunes gens, des femmes éplorées.

Ils veulent apaiser par des jeûnes publics le Christ irrité. On méprise la nourriture. La matrone se dépouille de ses parures et revêt des habits de deuil. Ce ne sont plus les perles et la soie, c’est une cendre livide qui est jetée sur une chevelure en désordre.

Les riches sont défigurés et couverts de noirs vêtements. Le peuple se revêt de poignants cilices et pousse des sanglots; la vierge se pare avec des peaux de bêtes et couvre son visage d’un voile noir, l’enfant se roule dans la poussière.

Le roi lui-même arrache ses agrafes et déchire son manteau où resplendit la pourpre de Coos; il dépouille son front de l’illustre diadème où brillent de vertes émeraudes et des pierres incrustées, et couvre ses cheveux d’une vile poussière.

Personne ne se souvient du boire et du manger. Toute la jeunesse abandonne les tables et reste à jeun. Les enfants même, dans leurs berceaux mouillés de leurs larmes, ne reçoivent plus de lait, la nourrice avare leur refuse sa mamelle.

On a soin de tenir enfermés les troupeaux eux-mêmes, de peur qu’errant dans les prés fertilisés par la rosée, ils ne broutent le gazon et ne s’abreuvent à une fraîche fontaine au doux murmure. Ils font retentir de leurs plaintes les crèches vides d’aliments.

Dieu, touché par une telle pénitence, apaise bientôt sa colère, et sa bonté propice adoucit le sinistre arrêt; car sa clémence aime à oublier les crimes des mortels qui le supplient et vient au secours de ceux qui pleurent.

Mais pourquoi citer l’exemple d’un ancien peuple, lorsque, fatigué en ses membres mortels, Jésus a jeûné malgré la sainteté de son cœur, lui qui, annoncé par une bouche prophétique, est l’Emmanuel, le Dieu avec nous?

Lui qui, par la loi sévère de la vertu, a rendu libre ce corps naturellement mou et. captif sous le joug lâche des voluptés, lui qui a émancipé cette chair esclave en triomphant de l’empire des passions.

Retiré en un lieu inhospitalier, il refuse pendant quarante jours le bienfait de la nourriture, affermissant par un jeûne salutaire une chair faible qui désire des jouissances.

L’ennemi s’étonne qu’un limon périssable puisse supporter et souffrir tant de fatigue. Le tentateur examine avec une habile fourberie si ce n’est pas un Dieu descendu dans les membres terrestres, mais sa ruse est déjouée, il s’enfuit honteusement.

Puissions-nous tous, chacun selon ses forces, suivre l’exemple sacré que tu as donné à tes disciples, ô christ! ô maître! afin que l’âme, domptant l’avide gourmandise, triomphe en souveraine.

Voilà ce que déteste la haine du démon notre ennemi, ce qu’approuve celui qui gouverne la terre et les cieux, ce qui rend propice le tabernacle de l’autel, ce qui excite la foi des cœurs endormis, ce qui lime la rouille des cœurs malades.

La flamme n’est pas plus promptement éteinte sous l’eau versée par torrents, les neiges ne sont pas plus promptement fondues sous un ardent soleil que les honteuses semences des fautes, qui troublent les âmes, ne s’évanouissent broyées par le jeûne, si une charitable aumône l’accompagne.

Car, quelle plus magnifique vertu que de couvrir ceux qui sont nus, de nourrir les indigents, de porter aux suppliants un bienfaisant secours, de croire qu’entre les puissants et les pauvres, il n’y a pas de différence de nature et de destinée.

Assez heureux est celui qui, ravissant une gloire céleste, étend sa main droite prodigué d’argent, tandis que sa main gauche ignore ce bienfait. Il sera enrichi de trésors éternels, ses dons lui seront payés avec usure et au centuple.

VIII. HYMNUS POST JEJUNIUM.

VIII. HYMNE APRES LE JEUNE.

Christe servorum regimen tuorum,
Mollibus qui nos moderans habenis
Leniter frenas facilique septos
Lege cœrces:

5 Ipse cum portans onus inpeditum
Corporis duros tuleris labores,
Maior exemplis famulos remisso
Dogmate palpas.
Nona submissum rotat hora solem 1

10 Partibus vixdum tribus evolutis,
Quarta devexo superest in axe
Portio lucis.
Nos brevis voti dape vindicata
Solvimus festum fruimurque mensis

15 Adfatim plenis, quibus inbuatur
Prona voluptas.
Tantus æterni favor est magistri,
Doctor indulgens ita nos amico
Lactat hortatu, levis obsequela ut 2

20 Mulceat artus.
Addit et, ne quis velit invenusto
Sordidus cultu lacerare frontem,
Sed decus vultus capitisque pexum
Comat honorem.

25 Terge jejunans, ait, omne corpus,
Neve subducto faciem rubore
Luteus tinguat color aut notetur
Pallor in ore.
Rectius læto tegimus pudore,

30 Quidquid ad cultum Patris exhibemus:
Cernit occultum Deus et latentem
Munere donat.
Ille ovem morbo residem gregique
Perditam sano male dissipantem

35 Vellus adfixis vepribus per hirtæ
Devia silvæ.
Inpiger pastor revocat lupisque
Gestat exclusis humeros gravatus,
Inde purgatam revehens aprico

40 Reddit ovili:
Reddit et pratis viridique campo,
Vibrat inpexis ubi nulla lappis 3
Spina, nec germen sudibus perarmat
Carduus horrens:

45 Sed frequens palmis nemus et reflexa
Vernat herbarum coma, tum perennis
Gurgitem vivis vitreum fluentis
Laurus obumbrat.
Hisce pro donis tibi, fide pastor,

50 Servitus quænam poterit rependi?
Nulla conpensant pretium salutis
Vota precantum.
Quamlibet spreto sine more pastu
Sponte confectos tenuemus artus,

55 Teque contemptis epulis rogemus
Nocte dieque;
Vincitur semper minor obsequentum
Cura, nec munus genitoris æquat,
Frangit et cratem luteam laboris

60 Grandior usus.
Ergo ne limum fragilem solutæ
Deserant vires et aquosus albis
Humor in venis dominetur ægrum
Corpus inervans,

65 Laxus ac liber modus abstinendi
ponitur cunctis, neque nos severus
terror inpellit, sua quemque cogit
velle potestas.
Sufficit, quidquid facias, vocato 4

70 Numinis nutu prius, inchoare,
Sive tu mensam renuas cibumve
Sumere temptes.
Adnuit dexter Deus et secundo
Prosperat vultu, velut hoc salubre

75 Fidimus nobis fore, quod dicatas
Carpimus escas.
Sit bonum, supplex precor et medelam
Conferat membris, animumque pascat
Sparsus in venas cibus obsecrantum

80 Christicolarum.

O Christ! qui régis tes serviteurs, qui nous diriges avec des rênes bien douces, qui nous imposes un frein léger, et nous retiens enfermés en une loi facile!

Lorsque tu portais toi-même l’embarrassant fardeau du corps, tu as supporté de rudes labeurs, et, sévère en tes exemples, tu ménages tes serviteurs par de préceptes indulgents.

La neuvième heure fait pencher le soleil à l’horizon. Les trois premières parties du jour viennent de s’écouler; ce n’est plus que durant la quatrième partie que la lumière éclairera la voûte du ciel.

Prenant de la nourriture, nous rompons le jeûne que nous nous sommes imposé. Nous jouissons de ces tables chargées d’aliments qui nous donnent un plaisir réclamé par notre nature.

Tant est grande la faveur de notre maître éternel. Ainsi ce docteur indulgent nous gagne par ses amicales exhortations, pour qu’une légère obéissance restaure nos membres.

Il ajoute que nul ne doit se déchirer le front et prendre des dehors repoussants, mais avoir un visage gracieux, et parer sa chevelure, honneur de la tête.

Quand vous jeûnez, dit-ii, lavez votre corps, qu’aucune couleur livide n’efface la rougeur de votre visage, qu’on ne remarque pas la pâleur de votre front.

Il vaut mieux que nous couvrions d’une sainte pudeur tout ce que nous pratiquons en l’honneur du Père. Dieu voit ce qui est secret et comble de bienfaits celui qui se cache.

Qu’une brebis soit malade et languissante,. qu’elle s’éloigne du troupeau plein de santé, qu’elle livre sa toison aux buissons épineux en errant dans une forêt sauvage;

Le bon pasteur se hâte de la rappeler, il écarte les loups, il la prend, la charge sur ses épaules, la ramène purifiée et la rend au bercail que réchauffe le soleil.

Il la rend aux prés, aux champs verdoyants où nulle plante n’agite des branches épineuses, où nul chardon n’arme d’aiguillons ses rameaux hérissés.

C’est un bois où croissent de nombreux palmiers, où un gazon printanier étale ses feuilles t ses fleurs, où un laurier éternel ombrage les ondes vives d’un fleuve transparent.

Quel service, ô pasteur fidèle, pourra compenser de tels bienfaits? Jamais les vœux de ceux qui te prient ne pourront valoir le trésor du salut.

Quand même, dédaignant outre mesure de nous nourrir, nous amaigririons volontairement nos membres; quand même, méprisant les aliments, nous te prierions nuit et jour;

Notre zèle pour le service de Dieu serait toujours trop faible, toujours rien auprès des bienfaits du Père céleste. La pratique d’une trop grande pénitence brise ce corps de boue.

De peur que les forces n’abandonnent ce limon fragile, et que l’humeur aqueuse dominant en nos veines blanchies n’énerve un corps malade,

La mesure de l’abstinence est libre pour tous; nous ne sommes pas forcés par une sévérité terrible, chacun n’est forcé qu’à vouloir ce qu’il peut.

Quoi que tu fasses, il suffit d’invoquer le nom de Dieu avant de commencer, soit que tu t’éloignes de la table, soit que tu ailles prendre de la nourriture.

Dieu nous écoute avec bonté et jette sur nous un regard favorable. Croyons qu’il est salutaire pour nous de prendre des aliments consacrés par la prière.

Qu’elle soit un bien, je le demande en suppliant; qu’elle porte la santé dans tous les membres; qu’elle alimente l’âme, la nourriture qui fait couler le sang dans les veines des chrétiens qui prient.

IX. HYMNUS OMNIS HORÆ.

IX. HYMNE POUR TOUTE HEURE.

Da puer plectrum, choreis ut canam fidelibus 1
Dulce carmen et melodum, gesta Christi insignia:
Hunc camena nostra solum pangat, hunc laudet lyra.
Christus est, quem Rex sacerdos adfuturum protinus

5 infulatus concinebat voce, chorda et tympano,
Spiritum cælo influentem per medullas hauriens.
Facta nos et jam probata pangimus miracula,
Testis orbis est, nec ipsa terra, quod vidit, negat,
Cominus Deum docendis proditum mortalibus.

10 Corde natus ex parentis, ante mundi exordium
Alpha et
W cognominatus, ipse fons et clausula
Omnium, quæ sunt, fuerunt quæque post futura sunt.
Ipse jussit et creata, dixit ipse, et facta sunt
Terra, cælum, fossa ponti, trina rerum machina,

15 Quæque in his vigent sub alto solis et lunæ globo.
Corporis formam caduci, membra morti obnoxia
Induit, ne gens periret primoplasti ex germine,
Merserat quam lex profundo noxialis tartaro.
O beatus ortus ille, virgo cum puerpera

20 Edidit nostram salutem feta sancto spiritu,
Et puer redemptor orbis os sacratum protulit.
Psallat altitudocæli, psallite omnes angeli,
Quidquid est virtutis usquam psallat in laudem Dei:
Nulla linguarum silescat, vox et omnis consonet.

25 Ecce quem vates vetustis concinebant seculis,
Quem prophetarum fideles paginæ spoponderant,
Emicat promissus olim: cuncta conlaudent eum.
Cantharis infusa lympha fit Falernum nobile,
Nuntiat vinum minister esse promptum ex hydria,

30 Ipse rex sapore tinctis obstupescit poculis. 2
Membra morbis ulcerosa, viscerum putredines
Mando, ut abluantur, inquit; fit ratum, quod jusserat,
Turgidam cutem repurgant vulnerum piamina.
Tu perennibus tenebris jam sepulta lumina

35 Inlinis limo salubri, sacri et oris nectare,
Mox apertis hac medela lux reducta est orbibus.
Increpas ventum furentem, quod procellis tristibus
Vertat æquor fundo ab imo, vexet et vagam ratem:
Ille jussis obsecundat, mitis unda sternitur.

40 Extimum vestis sacratæ furtim mulier attigit,
Protinus salus secuta est, ora pallor deserit,
Sistitur rivus, cruore qui fluebat perpeti.
Exitu dulcis juventæ raptum ephebum viderat,
Orba quem mater supremis funerabat fletibus:

45 Surge, dixit: ille surgit, matri et adstans redditur.
Sole jam quarto carentem, jam sepulcro absconditum
Lazarum jubet vigere reddito spiramine:
Fetidum jecur reductus rursus intrat halitus.
Ambulat per stagna ponti, summa calcat fluctuum,

50 Mobilis liquor profundi pendulam præstat viam,
Nec fatiscit unda sanctis pressa sub vestigiis.
Suetus antro bustuali sub catenis frendere,
Mentis inpos efferatis percitus furoribus
Prosilit ruitque supplex, Christum adesse ut senserat.

55 Pulsa pestis lubricorum milleformis dæmonum
Conripit gregis suilli sordida spurcamina,
Seque nigris mergit undis et pecus lymphaticum.
Quinque panibus peresis et gemellis piscibus
Adfatim refecta jam sunt adcubantum milia,

60 Fertque qualus ter quaternus ferculorum fragmina.
Tu cibus panisque noster, tu perennis suavitas;
Nescit esurire in ævum, qui tuam sumit dapem,
Nec lacunam ventris inplet, sed fovet vitalia.
Clausus aurium meatus et sonorum nescius

65 Purgat ad præcepta Christi crassa quæque obstacula,
Vocibus capax fruendis ac susurris pervius.
Omnis ægritudo cedit, languor omnis pellitur,
Lingua fatur, quam veterna vinxerant silentia,
Festat et suum per urbem lætus æger lectulum.

70 Quin et ipsum, ne salutis inferi expertes forent,
Tartarum benignus intrat, fracta cedit janua,
Vectibus cadit revulsis cardo indissolubilis.
Illa prompta ad inruentes, ad revertentes tenax, 3
Obice extrorsum repulso porta reddit mortuos:

75 Lege versa et limen atrum jam recalcandum patet.
Sed Deus dum luce fulva mortis antra inluminat,
Dum stupentibus tenebris candidum præstat diem,
Tristia squalentis æthræ palluerunt sidera.
Sol refugit et lugubri sordidus ferrugine

80 Igneum reliquit axem seque mærens abdidit:
Fertur horruisse mundus noctis æternæ chaos. 4
Solve vocem mens sonoram, solve linguam mobilem,
Dic tropæum passionis, dic triumphalem crucem,
Pange vexillum, notatis quod refulget frontibus.

85 O novum cæde stupenda vulneris miraculum! 5
Hinc cruoris fluxit unda, lympha parte ex altera:
Lympha nempe dat lavacrum, tum corona ex sanguine est.
Vidit anguis inmolatam corporis sacri hostiam,
Vidit et fellis perusti mox venenum perdidit,

90 Saucius dolore multo colla fractus sibilat.
Quid tibi, profane serpens, profuit, rebus novis
Plasma primum perculisse versipelli hortamine?
Diluit culpam recepto forma mortalis Deo.
Ad brevem se mortis usum dux salutis dedidit,

95 Mortuos olim sepultos ut redire insuesceret,
Dissolutis pristinorum vinculis peccaminum.
Tunc patres sanctique multi conditorem prævium
Jam revertentem secuti tertio demum die
Carnis indumenta sumunt, eque bustis prodeunt.

100 Cerneres coire membra de favillis aridis,
Frigidum venis resumptis pulverem tepescere,
Ossa, nervos, ac medullas glutino cutis tegi.
Post, ut occasum resolvit vitæ et hominem reddidit,
Arduum tribunal victor adscendit Patris,

105 Inclitam cælo reportans passionis gloriam.
Macte index mortuorum, macte rex viventium,
Dexter in parentis arce qui cluis virtutibus
Omnium venturus inde justus ultor criminum.
Te senes et te juventus, parvulorum te chorus,

110 Turba matrum virginumque simplices puellulæ,
Voce concordes pudicis perstrepant concentibus.
Fluminum lapsus et undæ, littorum crepidines,
Imber, æstus, nix, pruina, silva, et aura, nox, dies,

Omnibus te concelebrent seculorum seculis.

Enfant, donne-moi ma lyre, afin que je chante sur un rythme aux chorées fidèles un doux poème, une mélodie en l’honneur des actions merveilleuses du Christ; que notre muse ne célèbre que lui; que notre lyre ne résonne que de ses louanges. -

C’est le Christ dont un roi pontife, le front ceint de la mitre, annonçait le futur événement avec sa voix, sa harpe et son tympanum, inspiré par un esprit qui descendait du ciel et remplissait son cœur.

Nous chantons des miracles accomplis et prouvés. L’univers en a été le témoin, la terre ne nie pas ce qu’elle a vu: un Dieu s’approchant des hommes, se donnant à eux pour les instruire.

Né du cœur du Père avant le commencement du monde, il est appelé l’alpha et l’oméga. Il est la source et le terme de tout ce qui est, de tout ce qui a été, de tout ce qui sera jamais.

Il a ordonné, tout a été créé; il a dit, tout a été fait: la terre, le ciel, l’abîme des mers, les trois éléments du monde, tout ce qui rit en eux sous les globes élevés du soleil et de la lune.

Il a revêtu la forme d’un corps périssable, des membres soumis à la mort, pour empêcher de périr la postérité issue du premier homme et plongée par une loi fatale dans les profondeurs de l’enfer.

Ô heureuse naissance, lorsque une Vierge mère, fécondée par le Saint-Esprit, enfanta notre salut et que l’entant, rédempteur du monde, ouvrit sa bouche divine !

Chantez, hauteurs des cieux, chantez tous, ô anges ! Que toute vertu chante les louanges de Dieu; qu’aucune langue ne se taise, que toute voix retentisse.

Voilà celui qu’ont chanté les poètes dans les siècles anciens, celui qu’ont annoncé les pages fidèles des prophètes. Il apparait le Messie promis! Que tout ce qui existe chante ses louanges.

L’eau versée dans des urnes devient un falerne exquis. Le serviteur annonce que de ces urnes coule un vin abondant, et le roi du festin est stupéfait de la couleur et du goût de ce breuvage.

J’ordonne, dit-il, que les membres ulcérés par les maladies, que les corruptions des entrailles, soient purifiées. Ses ordres sont accomplis, les plaies qui enflaient la chair et la souillaient sont guéries.

Tu oins d’un limon salutaire et du nectar de ta bouche sacrée les yeux ensevelis déjà dans d’éternelles ténèbres, la vue aussitôt est rendue à ces yeux que ce remède rouvre à la lumière.

Tu gourmandes le vent furieux qui, par d’affreuses tempêtes bouleverse les flots de la mer et met en péril la barque errante; il obéit à ton commandement, les vagues apaisées s’aplanissent.

Une femme touche furtivement l’extrémité de ton vêtement sacré, la santé lui est aussitôt rendue, la pâleur abandonne son visage, les flots de sang qui ne cessaient de couler sont taris.

Il voit un jeune homme arraché à la vie à la fleur de ses ans. Sa mère, veuve, suivait en sanglotant son convoi funèbre. Lève-toi, dit-il, lise lève, il est rendu à sa mère.

Il ordonne à Lazare, enseveli déjà dans le sépulcre et mort depuis trois jours, de reprendre son souffle, sa force et sa vie, et la respiration anime de nouveau son cœur fétide.

Il marche sur les flots de la mer, foule aux pieds la crête des vagues. L’eau profonde et mobile lui fait un chemin suspendu sur ses gouffres. Pressée sous ses pas sacrés, l’onde ne s’affaisse pas.

Le possédé habitué à frémir sous ses chaînes dans un antre funéraire, privé de raison, transporté de sauvages fureurs, s’élance dès qu’il sent que le Christ approche, et se précipite en suppliant.

Le troupeau des démons corrupteurs qui revêtent mille formes, chassé par le Christ, s’empare des honteuses entrailles d’un troupeau de porcs, se précipite dans de noires ondes, pareil à une troupe de. bêtes marines.

Emportez dans sept corbeilles ces débris d’aliments, ces milliers de convives couchés sur le gazon ont été rassasiés avec cinq pains et deux poissons.

C’est vous, ô Christ, qui ôtes notre nourriture, notre pain, notre éternelle suavité. Il ne peut plus avoir faim celui qui reçoit de vous son aliment. Il ne remplit plus son estomac, mais entretient la vie de son âme.

Les oreilles fermées par la surdité et incapables d’entendre aucun son, à l’ordre du Christ sont débarrassées de tout obstacle, peuvent jouir de toute voix et s’ouvrir à tout murmure.

Toute infirmité cède, toute langueur est chassée; la langue, empêchée par un long mutisme, parle librement, le malade joyeux porte lui-même son lit à travers la ville.

Pour que les enfers eux-mêmes ne fussent pas privés de salut, il entre avec bonté dans le Tartare. La porte brisée cède, les gonds tombent, les verrous sont arrachés.

Cette porte si prompte à s’ouvrir pour ceux qui entrent, toujours fermée pour ceux qui veulent sortir, ouvre ses battants et rend les morts qu’elle a reçus. Par une. loi nouvelle son seuil affreux est franchi une seconde fois.

Mais pendant que Dieu illumine de splendides clartés les antres de la mort, pendant qu’il fait luire au milieu des ténèbres étonnées un jour radieux, les astres attristés pâlissent dans l’obscur firmament.

Le soleil s’enfuit souillé d’une rouille lugubre, il abandonne son arc enflammé et se cache avec douleur. On dit que le monde saisi d’horreur craignit le chaos d’une nuit éternelle.

O mon âme, excite ma voix sonore, excite ma langue rapide; dis le trophée de la passion, dis la croix triomphale, chante l’étendard qui brille sur les fronts fiers d’en être marqués.

O nouveau miracle, ô blessure étonnante ! De ce côté coulent des flots de sang, de l’autre une eau limpide. L’eau c’est le baptême qui nous lave, le sang c’est la couronne du martyre.

Le serpent vit le corps sacré de la victime immolé pour nous; il le vit et il en perdit son venin et son fiel fut consumé. Grande fut la douleur de sa blessure, son cou aux cruels sifflements fut brisé. une rose tortueuse? Notre nature mortelle, unie à la divinité, a effacé la faute originelle.

L’auteur du salut se livra quelque temps au pouvoir de la mort, pour apprendre aux morts ensevelis depuis longtemps à ressusciter en rompant les liens de leurs anciens péchés.

Bientôt les patriarches et les saints suivent en foule leur Créateur qui les précède et quitte les régions de la mort. Le troisième jour ils se revêtent de leur chair et sortent des tombeaux.

Vous eussiez vu les membres se réunir dans les cendres desséchées, une froide poussière s’attiédir, se former en veines, couvrir de chair les os, la moelle et les nerfs.

Après avoir triomphé de la mort et rendu l’homme à la vie, le vainqueur est monté vers le trône élevé de son Père, reportant au ciel la gloire incomparable de sa passion.

Puissant juge des morts, puissant juge des vivants, dont les vertus resplendissent au ciel à la droite du Père, d’où tu viendras un jour punir, dans ta justice, tous les crimes,

Les vieillards et les jeunes gens, le chœur des petits enfants, la foule des mères et des vierges, les simples petites filles, te chantent d’une voix unanime dans leurs chastes concerts.

Que les chutes des fleuves, et les ondes, et les murmures des rivages, et la pluie et la chaleur, et la neige et la rosée, et les forêts, et les vents, et le jour et la nuit, te célèbrent durant tous les siècles des siècles.

X. HYMNUS CIRCA EXSEQUIAS DEFUNCTI.

X. HYMNE POUR LES FUNÉRAILLES.

Deus ignee fons animarum,
Duo qui socians elementa
Vivum simul ac moribundum
Hominem Pater effigiasti:

5 Tua sunt, tua rector utraque,
Tibi copula jungitur horum,
Tibi, dum vegetata cohærent,
Et spiritus et caro servit.
Rescissa sed ista seorsum

10 Solvunt hominera perimuntque,
Humus excipit arida corpus,
Animæ rapit aura liquorem.
Quia cuncta creata necesse est
Labefacta senescere tandem,

15 Conpactaque dissociari,
Et dissona texta retexi.
Hanc tu, Deus optime, mortem
Famulis abolere paratus
Iter inviolabile monstras,

20 Quo perdita membra resurgant:
Ut, dum generosa caducis
Ceu carcere clausa ligantur,
Pars illa potentior extet,
Quæ germen ab æthere traxit.

25 Si terrea forte voluntas
Luteum sapit et grave captat,
Animus quoque pondere victus
Sequitur sua membra deorsum.
At si generis memor ignis

30 Contagia pigra recuset,
Vehit hospita viscera secum,
Pariterque reportat ad astra.
Nam quod requiescere corpus
Vacuum sine mente videmus,

35 Spatium breve restat, ut alti
Repetat conlegia sensus.
Venient cito secula, cum jam
Socius calor ossa revisat
Animataque sanguine vivo

40 habitacula pristina gestet.
Quæ pigra cadavera pridem
Tumulis putrefacta jacebant,
Volucres rapientur in auras
Animas comitata priores.

45 Hinc maxima cura sepulcris 1
Inpenditur: hinc resolutos
Honor ultimus accipit artus
Et funeris ambitus ornat.
Candore nitentia claro 2

50 Prætendere lintea mos est,
Adspersaque myrrha Sabæo
Corpus medicamine servat.
Quidnam sibi saxa cavata,
Quid pulchra volunt monumenta,

55 Nisi quod res creditur illis
Non mortua, sed data somno 3
Hoc provida Christicolarum
Pietas studet, utpote credens
Fore protinus omnia viva,

60 Quæ nunc gelidus sopor urget.
Qui jacta cadavera passim
Miserans tegit aggere terræ,
Opus exhibet ille benignum
Christo pius omnipotenti:

65 Quin lex eadem monet omnes
Gemitum dare sorte sub una,
Cognataque funera nobis
Aliena in morte dolere.
Sancti sator ille Tobiæ

70 Sacer ac venerabilis heros,
Dapibus jam rite paratis
Jus prætulit exequiarum.
Iam stantibus ille ministris
Cyathos et fercula liquit,

75 Studioque accinctus humandi
Fleto dedit ossa sepulcro.
Veniunt mox præmia cælo
Pretiumque rependitur ingens:
Nam lumina nescia solis

80 Deus inlita felle serenat.
Iam tunc docuit Pater orbis,
Quam sit rationis egenis
Mordax et amara medela,
Cum lux animum nova vexat.

85 Docuit quoque non prius ullum
Cælestia cernere regna,
Quam nocte et vulnere tristi
Toleraverit aspera mundi.
Mors ipsa beatior inde est,

90 Quod per cruciamina leti
Via panditur ardua justis
Et ad astra doloribus itur.
Sic corpora mortificata
Redeunt melioribus annis,

95 Nec post obitum recalescens
Conpago fatiscere novit.
Hæc, quæ modo pallida tabo
Color albidus inficit ora,
Tunc flore venustior omni

100 Sanguis cute tinget amœna.
Iam nulla deinde senectus
Frontis decus invida carpet,
Macies neque sicca lacertos
Suco tenuabit adeso.

105 Morbus quoque pestifer, artus
Qui nunc populatur anhelos,
Sua tunc tormenta resudans
Luet inter vincula mille.
Hunc eminus ære ab alto

110 Victrix caro jamque perennis
Cernet sine fine gementem
Quos moverat ipse dolores.
Quid turba superstes inepta
Clangens ululamina miscet,

115 Cur tam bene condita jura
Luctu dolor arguit amens?
Iam mæsta quiesce querela,
Lacrimas suspendite matres,
Nullus sua pignora plangat,

120 Mors hæc reparatio vitæ est.
Sic semina sicca virescunt
Jam mortua jamque sepulta,
Quæ reddita cæspite ab imo
Veteres meditantur aristas.

125 Nunc suscipe terra fovendum,
Gremioque hunc concipe molli:
Hominis tibi membra sequestro
Generosa et fragmina credo.
Animæ fuit hæc domus olim

130 Factoris ab ore creatæ,
Fervens habitavit in istis
Sapientia principe Christo.
Tu depositum tege corpus,
Non inmemor illa requiret

135 sua munera fictor et auctor
Propriique ænigmata vultus.
Veniant modo tempora justa,
Cum spem Deus inpleat omnem;
Reddas patefacta necesse est,

140 Qualem tibi trado figuram.
Non, si cariosa vetustas
Dissolverit ossa favillis,
Fueritque cinisculus arens
Minimi mensura pugilli. 4

145 Nec, si vaga flamina et auræ
Vacuum per inane volantes
Tulerint cum pulvere nervos,
Hominem periisse licebit.
Sed dum resolubile corpus

150 Revocas, Deus, atque reformas,
Quanam regione jubebis
Animam requiescere puram?
Gremio senis addita sancti 5
Recubabit, ut est Eleazar,

155 Quem floribus undique septum
Dives procul adspicit ardens.
Sequimur tua dicta redemptor,
Quibus atra morte triumphans
Tua per vestigia mandas

160 Socium crucis ire latronem.
Patet ecce fidelibus ampli
Via lucida jam paradisi,
Licet et nemus illud adire,
Homini quod ademerat anguis.

165 Illic precor, optime ductor,
Famulam tibi præcipe mentem
Genitali in sede sacrari,
Quam liquerat exul et errans.
Nos tecta fovebimus ossa

170 Violis et fronde frequenti,
Titulumque et frigida saxa 6
Liquido spargemus odore.

O Dieu, source enflammée des âmes; ô Père qui, associant deux éléments, as fait l’homme à la fois vivant et mortel.

Ils viennent de toi, Créateur; ils sont à toi ces deux éléments; c’est toi qui les unis; c’est à toi qu’obéissent l’esprit et la chair pendant que la vie les tient rapprochés.

En se séparant ils divisent l’homme et le décomposent. La terre aride reçoit le corps, l’air emporte l’âme fluide.

C’est qu’il est nécessaire que tout ce qui est créé vieillisse et tombe, que ce qui est réuni se sépare, que ce qui est formé d’éléments discordants se réforme.

Cette mort, ô Dieu très bon, tu veux l’abolir pour tes serviteurs, et tu leur montres l’incorruptible chemin où leurs membres morts ressuscitent.

Il faut que l’âme, dont l’origine est céleste, tant qu’elle est enfermée dans un corps périssable comme dans une prison, demeure la meilleure portion de l’homme et La plus forte.

Si la volonté devient terrestre, désire la fange, aime la matière, l’âme sera vaincue et attirée en bas par le poids des membres.

Mais si, se rappelant sa source enflammée, elle repousse tout contact qui la souillerait, elle entraine avec elle le cœur où elle habite et le porte dans les cieux.

Ce corps que nous voyons gisant vide et sans âme, n’attendra pas longtemps avant de se réunir à son âme sublime.

Il viendra bientôt le jour où la chaleur vitale redescendra sur ces ossements et animera d’un sang vivant l’ancienne demeure de l’âme.

Ces corps immobiles qui gisaient putréfiés dans les tombeaux, seront entrainés rapidement dans les airs à la suite de leurs âmes qui les ont précédés.

De là le grand soin que l’on prend des tombeaux, de là les derniers honneurs rendus à des membres défaits par la mort, de là les pompes des funérailles.

On a coutume d’envelopper les trépassés de linceuls éclatants de blancheur. La myrrhe arrosée avec du baume de Saba conserve le corps.

Pourquoi ces tombeaux taillés dans le roc? Pourquoi ces magnifiques monuments? C’est qu’on est persuadé que les corps qui leur sont confiés ne sont pas morts, mais endormis.

La piété attentive des chrétiens remplit ces derniers devoirs, parce qu’elle croit qu’ils revivront un jour tous ces corps ensevelis dans un froid sommeil.

Celui qui, ému de pitié, couvre de terre pieusement les cadavres qu’il ensevelit, accomplit une œuvre de miséricorde agréable au Christ tout-puissant.

Une même loi nous avertit que nous avons tous à gémir sur une même destinée; toute mort étrangère nous fait voir avec douleur des funérailles semblables à celles qui nous attendent.

Le père du juste Tobie, saint et vénérable héros, préféra rendre les devoirs de la sépulture avant de toucher aux aliments placés sur sa table.

Déjà les serviteurs étaient debout. Il abandonne les coupes et les plats, et, plein de zèle pour l’ensevelissement des morts, il confie en pleurant des ossements au sépulcre.

Bientôt un bienfait du ciel lui apporte une grande récompense, car Dieu guérit, en les oignant de fiel, ses yeux qui ne connaissaient plus les rayons du soleil.

Par là le Père de l’univers nous apprend combien poignant et amer est le remède qui guérit ceux qui manquent de raison, lorsque une lumière nouvelle éblouit leur âme.

Il nous apprend aussi que nul ne peut voir les royaumes célestes avant d’avoir supporté, dans la nuit du malheur, avec de douloureuses blessures, les maux de ce monde.

La mort est ensuite plus heureuse, parce que les souffrances du trépas ouvrent aux justes une voie sublime et que les douleurs conduisent aux cieux.

Ainsi les corps mortifiés retournent à des années meilleures, et la chair en se ranimant après le trépas ne connait plus la dissolution.

Ce visage que la corruption de la mort couvre d’une affreuse pâleur, un sang plus beau que toutes les fleurs, colorera son teint radieux.

Désormais aucune vieillesse jalouse ne ternira l’éclat du front, aucune maigreur ne flétrira les bras et ne desséchera leur sève.

Le démon, maladie pestilentielle qui ravage des membres haletants, expiera sous des chaines sans nombre les tourments qu’il fait souffrir.

La chair victorieuse et immortelle le verra du haut des cieux, gémissant éternellement sous le poids des douleurs qu’il a lui-même excitées.

Pourquoi la foule insensée qui survit aux morts, mêle-t-elle ses cris et ses hurlements? Pourquoi sa folle douleur accuse-t-elle des droits si bien établis?

Que cette plainte et cette douleur s’apaisent. Mères, tarissez vos larmes, que nul ne pleure ses enfants, cette mort est la réparation de la vie.

Les semences desséchées reverdissent après qu’elles sont mortes et ensevelies. Tombées du chaume qui les portait, elles vont produire de nouveaux épis.

Reçois, ô terre ! conserve, garde mollement dans ton sein ces membres humains que j’y ensevelis, ces restes généreux que je te confie.

Voilà ce qui fut jadis la maison de l’âme créée par la bouche du Tout-Puissant; dans ces membres habitait une ardente sagesse dont le Christ était le principe.

Protège ce corps que tu reçois en dépôt. Le Créateur, celui qui a tout fait, se souviendra de ces dons, images de sa propre face, et il les demandera.

Vienne le temps de la justice où Dieu remplira toute espérance, tu seras forcée à t’entrouvrir pour rendre le corps que je te livre.

Que la vieillesse dissolvante ait réduit en cendres ses ossements, que ces cendres arides puissent être mesurées par la plus petite poignée,

Que des souffles errants, que les brises qui volent dans le vide de l’air aient emporté ses nerfs en poussière, l’homme ne peut pas périr.

Quand tu rappelleras du tombeau, pour le reformer, ce corps en dissolution, ô Dieu! dans quelle région ordonneras-tu à son âme pure de se reposer?

Elle prendra son repos dans le sein du vénérable Patriarche, comme Lazare, que le riche, dévoré par les flammes, aperçoit au loin entouré de fleurs.

O Rédempteur! nous suivrons tes paroles par lesquelles tu ordonnes au bon larron, ton compagnon de croix, de suivre tes traces.

Voilà que s’ouvre pour les fidèles la voie lumineuse de. l’immense paradis; il est enfin permis d’entrer dans ce bois sacré d’où le serpent avait chassé l’homme.

O Maître et Guide suprême ! je t’en supplie, ordonne que cette âme qui te sert soit placée dans sa patrie originaire qu’elle a quittée pour errer dans l’exil.

Nous, nous ornerons de fleurs et de feuillage les ossements que nous ensevelissons, nous verserons un baume odorant sur les tombeaux et les froides pierres.

XI. HYMNUS OCTAVO CALENDAS JANUARIAS.

XI. HYMNE DE NOEL.

Quid est, quod artum circulum
Sol jam recurrens deserit?
Christusne terris nascitur,
Qui lucis auget tramitem?

5 Heu quam fugacem gratiam
Festina volvebat dies,
Quam pene subductam facem
Sensim recisa extinxerat!
Cælum nitescat lætius,

10 Gratetur et gaudens humus,
Scandit gradatim denuo
Jubar priores lineas.
Emerge dulcis pusio,
Quem mater edit castitas,

15 Parens et expers coniugis,
Mediator et duplex genus.
Ex ore quamlibet Patris 1
Sis ortus et verbo editus,
Tamen paterno in pectore

20 Sophia callebas prius.
Quæ prompta cælum condidit,
Cælum diemque et cetera,
Virtute verbi effecta sunt
Hæc cuncta: nam verbum Deus.

25 Sed ordinatis seculis,
Rerumque digesto statu
Fundator ipse et artifex
Permansit in Patris sinu,
Donec rotata annalium

30 Transvolverentur milia,
Atque ipse peccantem diu
Dignatus orbera viseret.
Nam cæca vis mortalium
Venerans inanes nenias

35 Vel æra vel saxa algida,
Vel ligna credebat Deum.
Hæc dum sequuntur, perfidi
Prædonis in jus venerant,
Et mancipatam fumido

40 Vitam barathro inmerserant:
Stragem sed istam non tulit
Christus cadentum gentium
Inpune ne forsan sui
Patris periret fabrica.

45 Mortale corpus induit,
Ut excitato corpore
Mortis catenam frangeret
Hominemque portaret Patri.
Hic ille natalis dies,

50 Quo te creator arduus
Spiravit et limo indidit
Sermone carnem glutinans.
Sentisne, virgo nobilis,
Matura per fastidia 2

55 Pudoris intactum decus
Honore partus crescere?
O quanta rerum gaudia
Alvus pudica continet,
Ex qua novellum seculum 3

60 Procedit et lux aurea!
Vagitus ille exordium
Vernantis orbis prodidit,
Nam tunc renatus sordidum
Mundus veternum depulit.

65 Sparsisse tellurem reor
Rus omne densis floribus,
Ipsasque arenas syrtium
Fragrasse nardo et nectare.
Te cuncta nascentem puer

70 Sensere dura et barbara,
Victusque saxorum rigor
Obduxit herbam cotibus.
Jam mella de scopulis fluunt,
Jam stillat ilex arido

75 Sudans amomum stipite,
Jam sunt myricis balsama.
O sancta præsepis tui, 4
Æterne rex, cunabula,
Populisque per seclum sacra

80 Mutis et ipsis credita.
Adorat hæc brutum pecus 5
Indocta turba scilicet,
adorat excors natio,
Vis cuius in pastu sita est.

85 Sed cum fideli spiritu
Concurrat ad præsepia
Pagana gens et quadrupes,
Sapiatque quod brutum fuit:
Negat patrum prosapia

90 Perosa præsentem Deum:
Credas venenis ebriam
Furiisve lymphatam rapi.
Quid prona per scelus ruis?
Agnosce, si quidquam tibi

95 Mentis resedit integræ,
Ducem tuorum principum.
Hunc, quem latebra et obstetrix, 6
Et virgo feta, et cunulæ
Et inbecilla infantia

100 Regem dederunt gentibus,
Peccator intueberis
Celsum coruscis nubibus,
Dejectus ipse et inritus
Plangens reatum fletibus:

105 Cum vasta signum bucina 7
Terris cremandis miserit,
Et scissus axis cardinem
Mundi ruentis solverit:
Insignis ipse et præminens

110 Meritis rependet congrua,
His lucis usum perpetis,
Illis gehennam et tartarum.
Judæa tunc fulmen crucis
Experta, qui sit, senties,

115 Quem te furoris præsule

Mors hausit et mox reddidit.

D’où vient que le soleil, reprenant sa course, abandonne son cercle étroit? Est-ce le Christ qui naît sur la terre et agrandit les voies de la lumière?

Hélas ! comme le jour, au fugitif éclat avait hâte de finir son flambeau, presque éclipsé, éteignait peu à peu sa vacillante clarté.

Que le ciel resplendisse plus joyeusement, que la terre tressaille et se félicite, le soleil retrace par degrés ses premiers sillons dans le firmament radieux.

Parais, aimable enfant que met au monde une mère la chasteté même elle enfante et n’a point connu d’époux. Parais, ô médiateur ! homme à la fois et Dieu.

Quoique né de la bouche du Père et engendré par sa parole, cependant, ô Sagesse ! tu ne résidais jusqu’à ce jour que dans le sein du Père.

C’est la sagesse dont la puissance a créé le ciel, et la terre, et le jour, et tout ce qui existe; toutes choses ont été faites par la vertu du Verbe, car le Verbe est Dieu.

Lorsque le cours des siècles fut réglé, lorsque toute créature fut mise à sa place, le Créateur, l’ouvrier du monde, se reposa dans le sein de son Père.

Mais lorsque le temps eut déroulé plusieurs milliers d’années, il daigna visiter lui-même ce monde qui l’offensait depuis longtemps.

Les aveugles mortels vénéraient les ridicules mensonges de l’idolâtrie: l’airain, la pierre, le bois, étaient adorés comme des divinités puissantes.

Par ce culte coupable les hommes portaient le joug du démon, perfide ennemi qui leur faisait ensevelir dans l’abîme ténébreux du péché la vie qu’ils avaient reçue de Dieu.

Le Christ ne supporta pas plus longtemps le malheur des nations qui se perdaient; il ne voulut pas que la belle création de son Père s’abimât dans le néant. n revêtit un corps mortel afin que la résurrection de sa chair rompît les chaînes de la mort, et replaçât l’homme auprès du Père.

Le voici le jour natal où le Créateur, le très Haut, de son souffle de vie t’a revêtu du limon, ô Christ! et a uni le Verbe à la chair.

Tressaille, Vierge illustre dont les chastes entrailles ont porté neuf mois le Sauveur, le glorieux enfantement d’un Dieu augmente la gloire de ta virginité.

Ton sein très pur contient le fruit béni qui va combler de joie toute créature, il apporte au monde une ère nouvelle, un âge d’or.

Le vagissement de Jésus au berceau commença le nouveau printemps du monde; la création voulut renaître et se défaire de sa souillure antique.

Les champs furent sans doute émaillés, la terre fut couverte de fleurs, et sur les sables des syrtes africaines le nectar et le baume répandirent leurs parfums.

Enfant divin ! les créatures le plus grossières et les plus insensibles se ressentirent de ta naissance; le rocher vit sa dureté vaincue par la mousse et le gazon qui verdirent ses flancs.

Déjà le miel découle de la pierre, le chêne, de son tronc desséché, distille l’amome, liqueur précieuse, et le baume parfumé les bruyères.

Roi de l’éternité! qu’il est saint, dans la crèche, ton berceau! Les peuples le vénéreront d’âge en âge, les animaux eux-mêmes l’ont adoré.

L’âne, être sans raison qui ne peut pas te connaître, t’adore; le bœuf, aux instincts bornés, dont les gras pâturages font la force, t’adore aussi.

Puissent les nations païennes, fidèles aux desseins de Dieu, accourir à la crèche avec les animaux; puisse la sagesse d’en haut dissiper leur ignorance!

Les descendants des patriarches, pleins d’orgueil, refusent de croire à la présence de Dieu. D’où leur vient cette démence? Quels poisons, quelles furies les agitent?

Pourquoi vous précipitez-vous dans l’impiété? Reconnaissez, s’il vous reste une lueur d’intelligence, reconnaissez le chef de vos princes.

Ce Roi des nations, qu’une Vierge-Mère, délaissée de tous, a mis au monde dans une crèche obscure, et dont l’enfance parait si faible sur cette paille,

Pécheur, tu le reconnaîtras triomphant sur un trône de nuées étincelantes, au jour où ton humiliation sera consommée, où tu pleureras tes forfaits, et tes larmes seront vaines.

Lorsque la trompette du jugement aura donné le signal aux feux qui doivent dévorer la terre, lorsque l’axe du monde sera brisé et toute la création confondue,

Il viendra plein de gloire et dominera, rendant à chacun selon ses mérites: aux uns l’éternelle splendeur des cieux, aux autres les supplices sans fin de l’enfer.

Alors, ô Judée ! tu sauras quelle est la puissance de la croix, tu comprendras quel est Celui que ta haine insensée osa donner en proie à la Mort, et que la Mort rendit aussitôt.

XII. HYMNUS EPIPHANIÆ.

XII. HYMNE DE L’ÉPIPHANIE.

Quicumque Christum quæritis,
Oculos in altum tollite,
Illic licebit visere
Signum perennis gloriæ.

5 Hæc stella, quæ solis rotam 1
Vincit decore ac lumine,
Venisse terris nuntiat
Cum carne terrestri Deum.
Non illa servit noctibus

10 Secuta lunam menstruam,
Sed sola cælum possidens
cursum dierum temperat.
Arctoa quamvis sidera
In se retortis motibus

15 obire nolint, attamen
Plerumque sub nimbis latent.
Hoc sidus æternum manet,
Hæc stella nunquam mergitur,
Nec nubis occursu abdita

20 Obumbrat obductam facem.
Tristis cometa intercidat, 2
Et si quod astrum Sirio
Fervet vapore, jam Dei
Sub luce destructum cadat.

25 En Persici ex orbis sinu,
Sol unde sumit januam,
Cernunt periti interpretes
Regale vexillum Magi.
Quod ut refulsit, ceteri

30 Cessere signorum globi,
Nec pulcher est ausus suam
Conferre formam Lucifer.
Quis iste tantus, inquiunt,
Tegnator astris inperans,

35 Quem sic tremunt cælestia,
Cui lux et æthra inserviunt.
Inlustre quiddam cernimus,
Quod nesciat finem pati,
Sublime, celsum, interminum,

40 Antiquius cælo et chao.
Hic ille rex est gentium
Populique rex Judaici,
Promissus Abrahæ patri
Ejusque in ævum semini.

45 Æquanda nam stellis sua
Cognovit olim germina
Primus sator credentium,
Nati inmolator unici.
Jam flos subit Davidicus

50 Radice Jessæa editus,
Sceptrique per virgam virens
Rerum cacumen occupat.
Exin sequuntur perciti
Fixis in altum vultibus,

55 Qua stella sulcum traxerat
Claramque signabat viam.
Sed verticem pueri supra
Signum pependit inminens,
Pronaque submissum face

60 Caput sacratum prodidit.
Videre quod postquam Magi,
Eoa promunt munera,
Stratique votis offerunt
Tus, myrrham, et aurum regium.

65 Agnosce clara insignia
Virtutis ac regni tui,
Puer o, cui trinam Pater
Prædestinavit indolem.
Regem Deumque adnuntiant

70 Thesaurus et fragrans odor
Turis Sabæi, ac myrrheus
Pulvis sepulcrum prædocet.
Hoc est sepulcrum, quo Deus,
Dum corpus extingui sinit

75 Atque id sepultum suscitat,
Mortis refregit carcerem.
O sola magnarum urbium
Maior Bethlem, cui contigit
Ducem salutis cælitus

80 Incorporatum gignere.
Altrice te summo Patri
Hæres creatur unicus,
Homo ex tonantis spiritu
Idemque sub membris Deus.

85 Hunc et prophetis testibus
Isdemque signatoribus,
Testator et sator jubet
Adire regnum et cernere:
Regnum, quod ambit omnia

90 diva et marina et terrea
A solis ortu ad exitum
Et tartara et cælum supra.
Audit tyrannus anxius
Adesse regum principem,

95 Qui nomen Isræl regat
Teneatque David regiam.
Exclamat amens nuntio,
Successor instat, pellimur;
Satelles i, ferrum rape,

100 perfunde cunas sanguine.
Mas omnis infans occidat,
Scrutare nutricum sinus,
Interque materna ubera
Ensem cruentet pusio.

105 Suspecta per Bethlem mihi
Puerperarum est omnium
Fraus, ne qua furtim subtrahat
prolem virilis indolis.
Transfigit ergo carnifex

110 Mucrone destricto furens
Effusa nuper corpora,
Animasque rimatur novas.
Locum minutis artubus
Vix interemptor invenit,

115 Quo plaga descendat patens
Juguloque maior pugio est.
O barbarum spectaculum!
Inlisa cervix cautibus
Spargit cerebrum lacteum

120 Oculosque per vulnus vomit.
Aut in profundum palpitans
Mersatur infans gurgitem,
Cui subter artis faucibus
Singultat unda et halitus.

125 Salvete flores martyrum, 3
Quos lucis ipso in limine
Christi insecutor sustulit,
Ceu turbo nascentes rosas.
Vos prima Christi victima,

130 Grex inmolatorum tener,
Aram ante ipsam simplices
Palma et coronis luditis.
Quid proficit tantum nefas?
Quid crimen Herodem juvat?

135 Unus tot inter funera
Inpune Christus tollitur.
Inter coævi sanguinis
Fluenta solus integer
Ferrum, quod orbabat nurus,

140 Partus fefellit virginis.
Sic stulta Pharaonis mali
Edicta quondam fugerat
Christi figuram præferens
Moyses, receptor civium.

145 Cautum et statutum jus erat,
Quo non liceret matribus,
Cum pondus alvi absolverent,
Puerile pignus tollere.
Mens obstetricis sedulæ

150 Pie in tyrannum contumax
Ad spem potentis gloriæ
Furata servat parvulum:
Quem mox sacerdotem sibi
Adsumpsit orbis conditor,

155 Per quem notatam saxeis
Legem tabellis traderet.
Licetne Christum noscere
Tanti per exemplum viri?
Dux ille cæso Ægyptio

160 Absolvit Isræl jugo.
At nos subactos jugiter
Erroris inperio gravi
Dux noster hoste saucio
Mortis tenebris liberat.

165 Hic expiatam fluctibus
Plebem marino in transitu
Repurgat undis dulcibus,
Lucis columnam præferens:
Hic præliante exercitu,

170 Pansis in altum brachiis,
sublimis Amalech premit,
Crucis quod instar tunc fuit.
Hic nempe Jesus verior,
Qui longa post dispendia

175 Victor suis tribulibus
Promissa solvit jugera.
Qui ter quaternas denique
Refluentis amnis alveo
Fundavit et fixit petras,

180 Apostolorum stemmata.
Jure ergo se Judæ ducem
Vidisse testantur Magi,
Cum facta priscorum ducum
Christi figuram finxerint.

185 Hic rex priorum judicum,
Rexere qui Jacob genus,
Dominæque rex ecclesiæ,
templi et novelli et pristini.
Hunc posteri Efrem colunt,

190 Hunc sancta Manasse domus
Omnesque suspiciunt tribus
Bis sena fratrum semina.
Quin et propago degener
Ritum secuta inconditum,

195 Quæcumque dirum fervidis
Baal caminis coxerat,
Fumosa avorum numina
Saxum, metallum, stipitem,
Rasum, dolatum, sectile,

200 In Christi honorem deserit.
Gaudete quidquid gentium est,
Judæa, Roma, et Græcia,
Ægypte, Thrax, Persa, Scytha,
Rex unus omnes possidet.

205 Laudate vestrum principem
Omnes beati, ac perditi,
Vivi, inbecilli ac mortui:
Jam nemo posthac mortuus.

O vous tous qui cherchez le Christ, levez les yeux en haut; là vous pourrez voir le signe de son éternelle gloire!

Cette étoile, qui surpasse en beauté et en lumière le disque du soleil, annonce que Dieu est venu sur la terre avec une chair terrestre.

Cet astre ne rayonne pas la nuit à la suite de la lune qui préside aux mois, mais seul il possède le ciel et règle le cours des jours.

Quoique les étoiles des deux Ourses. qui tournent autour d’elles-nièmes ne se couchent jamais, cependant elles sont souvent cachées par les nuages.

Cet astre brille éternellement, cette étoile ne se couche jamais, la rencontre d’un nuage ne couvre jamais d’ombre son brillant flambeau.

Que l’affligeante comète disparaisse, que l’astre qu’embrasent les vapeurs de Sinus, tombe enfin détruit par la lumière de Dieu.

Au sein de l’empire persan, où s’ouvrent les portes que franchit le soleil à son lever, des Mages, interprètes habiles, ont aperçu le royal étendard.

Dès qu’il eut brillé, les autres astres pâlirent; l’étoile du matin, malgré sa beauté, n’osa pas se montrer auprès de lui.

Quel est ce grand Roi qui commande aux astres, disent les Mages, devant qui tremblent les globes célestes, à qui la lumière et l’air obéissent?

Nous voyons quelque chose d’illustre qui ne connait pas de terme, quelque chose de sublime, d’immense, d’illimité, plus ancien que le ciel et le chaos.

C’est le Roi des nations, c’est le Roi du peuple juif; il fut promis au patriarche Abraham et à sa race, dans les siècles.

Il sut que sa race, un jour, serait aussi nombreuse que les étoiles, ce premier père des croyants qui sacrifia son fils unique.

Voici que la fleur de David s’élève sur la tige de Jessé, la verge fleurit et devient un sceptre qui commande à l’univers.

Les yeux fixés en haut, les Mages se hâtent de suivre le sillon que trace l’étoile, ouvrant devant eux une voie lumineuse.

Mais le signe s’arrêta au-dessus de la tête d’un enfant, il abaissa humblement son flambeau, et leur fit voir une tête sacrée.

Dès qu’ils l’ont vu, les Mages ouvrent les trésors de l’Orient et lui offrent, prosternés, l’encens, la myrrhe et l’or, tribut des rois.

Reconnais les illustres symboles de ta puissance et de ta royauté, Enfant à qui le Père a conféré par avance une triple destinée.

L’or annonce le roi, l’odeur suave de l’encens de Saha proclame le Dieu, la myrrhe présage le tombeau.

Oui, le tombeau où ce Dieu, laissant périr son corps et le ressuscitant après la sépulture, brisera la prison de la mort.

O Bethléem ! plus grande que les plus illustres cités, à toi la gloire d’avoir produit l’Auteur du salut, incarné par un mystère céleste.

En ton sein nourricier est créé l’héritier unique du Père souverain; homme par l’esprit du Maître du tonnerre, il est toujours Dieu sous des membres humains.

Il a pour témoins les prophètes qui l’ont annoncé à l’avenir; son Père lui ordonne de prendre possession de son royaume.

C’est un royaume qui embrasse toutes choses, le ciel, la mer, la terre; qui s’étend du lever du soleil à son couchant, et de l’enfer au-dessus des cieux.

Un tyran soucieux apprend que le roi des rois vient de naître, celui qui doit régir Israël et occuper le trône de David.

Il s’écrie, plein de fureur à cette nouvelle: « Un successeur nous menace! nous sommes chassés! Allez, soldats, tirez le glaive, inondez les berceaux de sang. »

Meure tout enfant mâle ! cherchez sur le sein des nourrices, et, jusqu’entre les mamelles de leurs mères, noyez le glaive dans le sang des enfants.

Je soupçonne quelque fraude de la part des mères de Bethléem; que nulle ne soustraie furtivement un enfant mâle. »

Le bourreau, dans sa fureur, perce donc du tranchant du glaive des corps à peine nés et leur arrache une vie toute nouvelle.

Sur ces petits membres, le meurtrier trouve à peine une place pour ouvrir de profondes blessures; son épée dépasse en largeur la gorge même de ses victimes.

O barbare spectacle ! la tête des enfants brisée contre la pierre répand la cervelle blanche comme le lait et les yeux sortent par une horrible blessure.

Ailleurs l’enfant palpitant est précipité dans un gouffre profond, son faible gosier dispute cruellement le passage à l’eau.

Salut, fleurs des martyrs que, sur le seuil même de la vie, le persécuteur du Christ a moissonnées comme la tempête effeuille les roses naissantes.

Vous êtes les premières victimes du Christ, ô tendre troupeau d’enfants immolés; sous l’autel même avec simplesse vous jouez avec vos palmes et vos couronnes.

Quel est le profit d’un tel forfait? Comment ce crime sert-il Hérode? Seul le Christ est emporté sain et sauf du milieu de tant de funérailles.

Pendant qu’est versé à flots le sang des enfants de son âge, le fruit de la Vierge évite seul les atteintes du fer qui désole les mères.

Ainsi fut soustrait jadis à l’édit insensé du cruel Pharaon, Moïse, libérateur de son peuple et figure du Christ.

Une loi sévère décrétait qu’il n’était pas permis aux mères de laisser vivre l’enfant mâle dont la naissance déchargeait leur sein fatigué.

Une sage-femme d’un esprit prudent désobéit par piété au tyran, dérobe un petit enfant et le conserve dans l’espoir d’une grande gloire.

Bientôt le créateur du monde se choisit pour prêtre cet enfant, et par lui donne la loi gravée sur des tables de pierre.

Saurons-nous reconnaître en ce grand homme la figure du Christ? Ce chef immole l’Égyptien et délivre du joug Israël.

Mais nous, nous subissions l’empire accablant de l’erreur, et notre chef, blessant notre ennemi, nous a délivrés des ténèbres de la mort.

Il purifie une seconde fois, dans des eaux sans amertume, son peuple, lavé par d’autres flots en traversant la mer Rouge. Il fait marcher devant lui une colonne de lumière.

Pendant que l’armée combat, il triomphe d’Amalec du haut de la montagne où il prie, les bras étendus vers les cieux, formant l’image de la croix.

Il est le véritable Josué qui, après de longs détours dans le désert, livre par ses victoires la terre promise aux douze tribus,

Et dans le lit d’un fleuve qui remonte vers sa source, fixe et bâtit douze pierres, emblèmes des apôtres.

Les Mages attestent donc justement qu’ils ont vu le chef des juifs, puisque les faits de leurs anciens chefs représentent la figure du Christ.

Il est le roi de ces antiques juges qui régirent la race de Jacob, le prince de l’Eglise maîtresse et du nouveau temple et de l’ancien.

C’est lui qu’adorent les enfants d’Ephraïm et la maison sainte de Manassé; lui que reconnaissent toutes les tribus issues des douze frères enfants de Jacob.

La race dégénérée elle-même, celle qui, livrée à des rites absurdes, fondait la statue de son cruel Baal dans les fourneaux enflammés,

Abandonne pour l’honneur du Christ les dieux enfumés de ses pères, la pierre, le métal, le bois que sculptèrent ses mains.

Réjouissez-vous, ô nations ! Judée, Rome, Grèce, Egypte, Thrace, Perse, Scythie, un roi unique règne sur vous.

Célébrez tous votre prince, justes et pécheurs, vivants, infirmes et morts; nul ne mourra plus désormais.

EPILOGUS. 1

EPILOGUE.

Inmolat Deo Patri
Pius, fidelis, innocens, pudicus
Dona conscientiæ,
Quibus beata mens abundat intus:

5 Alter et pecuniam
Recidit, unde victitent egeni.
Nos citos iambicos 2
Sacramus et rotatiles trochæos, 3
Sanctitatis indigi

10 Nec ad levamen pauperum potentes;
Adprobat tamen Deus
Pedestre carmen, et benignus audit.
Multa divitis domo 4
Sita est per omnes angulos supellex.

15 Fulget aureus scyphus,
Nec ære defit expolita pelvis:
Est et olla fictilis,
Gravisque et ampla argentea est parabsis.
Sunt eburna quæpiam,

20 Nonnulla quercu sunt cavata et ulmo:
Omne vas fit utile,
Quod est ad usum congruens herilem,
Instruunt enim domum
Ut empta magno, sic parata ligno.

25 Me paterno in atrio
Ut obsoletum vasculum caducis
Christus aptat usibus,
Sinitque parte in anguli manere.
Munus ecce fictile

30 Inimus intra regiam salutis;
Attamen vel infimam
Deo obsequelam præstitisse prodest.
Quidquid illud accidit,

Juvabit ore personasse Christum.

Celui qui est pieux, fidèle, innocent, pudique, immole à Dieu le Père les dons de la conscience dont surabonde son âme bienheureuse. Un autre se retranche l’argent dont les indigents se nourrissent. Nous qui sommes dénués de sainteté et ne pouvons pas soulager les pauvres, nous offrons des iambes rapides et de roulants trochées. Toutefois, Dieu daigne agréer une poésie pédestre et l’écouter favorablement. Dans la maison d’un riche, beaucoup de meubles décorent les divers angles. Ici brille une coupe d’or ou un bassin d’airain poli; là est un simple vase de terre, ailleurs un lourd et large plat d’argent. Il est des meubles en ivoire, d’autres sont taillés dans le chêne et l’ormeau. Tout ce qui est à l’usage du maître a son utilité, car ce qui est en bois meuble la maison comme ce qui est acheté à grand prix. Quoique dans la maison de son père, je sois un vase sans éclat, le Christ m’emploie à d’humbles usages, et me permet de demeurer dans un coin. Nous remplissons les fonctions d’un vase d’argile dans la maison du salut; mais quelque infime service que l’on rende à Dieu, on en retire un grand profit. Quoi qu’il arrive, il me sera utile et doux d’avoir chanté le Christ, mon maître et ma vie.

 
 

NOTES DU CATHEMERINON.

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NOTES DU PROLOGUE.

1. Flevit sub ferulis: mox docuit toga. (v. 8). Quoique le mot toga, lorsqu’il est employé seul, signifie ordinairement la toge virile, il est possible que Prudence parle ici de la toge prétexte que les Romains portaient jusqu’à l’âge de seize ans. Il désigne d’abord sa première enfance, œtas prima; puis son adolescence, mox docuit toga, et en troisième lieu sa jeunesse, protervitas... fœdavit Juvenem. — La férule, qui l’a fait pleurer, et que Martial appelle le sceptre des pédagogues, ferulæque tristes sceptra pedagogorum (ép. 62, l. X), la férule a toujours servi à châtier les écoliers paresseux. Juvénal nous apprend aussi qu’il a tendu la main sous la férule, et nos ergo manum ferulæ subduximus.

2. Oblitum veteris me Saliæ consulis. (v. 24). Arevalo cite une inscription conservée dans le monastère de Saint-Paul hors des murs, et portant le nom du consul Salia:

MIRI BONITATI ATQ. SANCTITATI

ESVBIÆ IANVARIÆ CONIVGI QVE VIXT MECVM

ANNOS XIII. M. V. XXV. ARRADIVS MELISSVS MARITVS

ET SIBI FECIT Q DEPOSITA. IN PACE III KAL APR.

FILIPPO ET SALLIA COSS.

Le lapidaire qui a gravé cette épitaphe a donné, au nom du consul Salia, une lettre de plus que Prudence; mais rien de plus fautif que l’orthographe des inscriptions tumulaires.

3. Nix capitis probat. (v. 27). Cette expression, ainsi qu’une foule d’autres que nous noterons, prouve que les poètes du siècle d’Auguste étaient familiers Prudence. Horace, dans l’ode 13 du IVe livre, rappelle à Lycé les neiges de sa tête, et capitis nives.

4. Peccatrix anima. (v. 35). Tertullien, dans son livre sur la résurrection de la chair, emploie l’expression caro peccatrix. Le mot peccator, si souvent répété par les écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, ne se rencontre pas dans les écrivains profanes de cette époque.

I. - NOTES DE L’HYMNE AU CHANT DU COQ.

1. Ad galli cantum. Plusieurs éditions portent ad gallicinium. Selon les Romains, dit saint Isidore (Orig., liv. V, ch. xxx), le jour commence au milieu de la nuit; c’est alors le gallicinium, c’est-à-dire le chant des coqs. Les constitutions apostoliques (l. VIII, ch. xxxiv) désignent les heures que les fidèles doivent sanctifier en offrant leurs prières au Seigneur: « Precationes facite mane, hora tertia ac sexta, et nona, et vespere atque ad gallicantum. Mane gratias agentes quod illuminarit nos, nocte sublata et reddita die. Tertia, quod ea hora Pilatus judicium adversus Dominum pronuntiarit. Sexta, quod ea hora in crucem actus sit. Nona, quod tunc omnia mota et tremefacta sint, Domino crucifixo, quia horrerent audaciam judæorum et contumeliam Domini ferre non possent. Vespere, quod noctem dederit ad requiescendum a laboribus diurnis. Ad gallicantum, quod ea hora nuntiat adventum diei ad faciendum opera tucis. » Les premières strophes de cet hymne se chantent, dans la liturgie romaine, aux laudes de la troisième férie. »

2. Auferte clamat lectulos. (v. 5). Ce vers rappelle les paroles de saint Paul dans son épître aux Romains (ch. xiii) « ...hora est jam nos de somno surgere ... nox præcessit, dies autem appropinquavit; abjiciamus ergo opera tenebrarum et induamur arma lucis. »

3. Nostri figura est judicis. (v. 16). Ce symbolisme chrétien, qui nous montre dans le coq un emblème de Jésus-Christ, est antérieur à Prudence. Dans diverses peintures des catacombes, on voit un coq, non seulement à côté de saint Pierre, mais à côté du Christ, bon pasteur. Le coq a été aussi le symbole de la vigilance et l’emblème des prédicateurs. De là l’usage de placer un coq sur le faîte des clochers de nos églises. La signification symbolique de cet usage est expliquée par Durand de Mende: « Le coq qui est placé au sommet de l’église est l’emblème des prédicateurs; car le coq, toujours vigilant, même au milieu de la nuit, annonce les heures, réveille ceux qui sont endormis, prédit l’approche du jour, s’excite d’abord lui-même à chanter en battant des ailes. Il y a un sens mystérieux dans toutes ces particularités. La nuit, c’est le monde. Ceux qui dorment sont les enfants de ce monde qui s’assoupissent dans leurs péchés. Le coq, c’est le prédicateur qui prêche avec hardiesse et excita les endormis à se défaire des œuvres de ténèbres en s’écriant: « Malheur à ceux qui dorment! Réveillez-vous, vous qui dormez ! » Ils annoncent encore l’approche du jour, lorsqu’ils parlent du jour du jugement et de la gloire qui sera révélée. » (Rationale divin. off., l. Ier.)

4. Cum mens maneret innocens. (v. 59). Jean Leclerc et Cellarius ont accusé à tort Prudence d’être sorti des bornes de la vérité, pour amoindrir la faute de saint Pierre. Dom Calmet se sert au contraire de ce vers de Prudence pour confirmer son opinion sur la triple négation de saint Pierre. Cette négation était un péché véritable, mais elle n’était qu’extérieure. L’apôtre ne reniait pas son maître au fond de son cœur. Jésus-Christ avait prié pour que sa foi ne défaillit pas. Sa foi resta intacte, mais il n’eut pas le courage de la confesser, et il mentit. In illa negatione, dit très bien saint Augustin, intus veritatem tenebat, foris mendacium pro ferebat (Lib. cont. mend., cap. vi); c’est dans ce sens qu’il faut entendre les vers de Prudence.

5. Flentes, precantes, sobrii. (v. 82). Prudence parle souvent des larmes comme d’un moyen d’honorer Dieu. Nous voyons dans la sainte Écriture une foule d’exemples qui nous montrent la valeur des larmes répandues dans la prière. Judith invitait le peuple de Béthulie à implorer avec des larmes la miséricorde du Seigneur. « Bienheureux ceux qui pleurent, » a dit le divin Maître. Le don des larmes est compté au nombre des grâces surnaturelles que Dieu accorde à ses serviteurs. Arevalo conjecture que Prudence fut favorisé du don des larmes. Il cite à l’appui de son opinion les vers où le poète raconte comment il vénérait le tombeau de saint Cassien, martyr:

Complector tumulum, lacrymas quoque fundo.

II. - NOTES DE L’HYMNE DU MATIN.

1. Hymnus matutinus. D’après Isidore, le matin, chez les Romains, était le temps compris entre la fuite des ténèbres et l’arrivée de l’aurore. « Matutinum est inter abscessum tenebrarum et auroræ adventum. »

2. Christus venit, discedite. (v. 4). Ce vers rappelle la formule employée pour ordonner aux profanes de sortir du temple. Pour renvoyer des soldats avec ignominie, les chefs de l’armée se servaient de cette formule: « Discedite, quirites, atque arma deponite. »

3. Quis mane sumptis nequiter. (v. 29). Arevalo donne à ce vers un sens différent de celui que nous avons exprimé dans notre traduction et qui nous paraît justifié par le sens des vers suivants. Il prétend que Prudence fait allusion à une coutume répandue chez tous les peuples, très fidèlement observée par les Juifs, qui l’ont transmise aux Chrétiens : à la coutume de ne pas boire du vin le matin, il rappelle avec plus de raison cette pratique universelle pour expliquer les paroles de saint Pierre, répondant à ceux qui, le jour de la Pentecôte, accusaient les apôtres d’être pris de vin : « Non enim sicut vos æstimatis hi ebrii sunt, cum sit hora diei tertia. »

4. Te, Christe, solum novimus. (v. 48). En commentant ce vers et les précédents, Arevalo se demande si Prudence ne fait pas allusion aux Chrétiens qui vivaient en communauté au quatrième siècle et préparaient l’établissement des ordres religieux. Le poète faisait peut-être partie d’une communauté semblable à celle que saint Augustin a décrite dans son livre des Mœurs de l’Église catholique: « Vidi ego diversorium sanctorum Mediolani, non paucorum hominum, quibus unus presbyter præerat vir optimus et doctissimus. Romæ etiam plura cognovi... »

5. Rogare curvato genu. (v. 51). L’habitude de prier à genoux était si répandue parmi les premiers chrétiens, que dans les Actes de sainte Thècle, la prière est désignée par les mots inflexio genuum. Saint Césaire d’Arles, dans une de ses homélies, réprimande ceux qui restent debout comme des colonnes lorsque le diacre a dit: Flectamus genua. On priait debout le dimanche et les jours compris entre Pèques et Pentecôte. L’auteur inconnu d’un livre attribué à saint Justin nous fait connaître le sens symbolique de cet usage très ancien, dont nous retrouvons un vestige dans la récitation des antiennes de la sainte Vierge, à la fin de l’office, et de l’angélus: « Semper utriusque conservare memoriam oportebat et lapsus nostri per peccatum et gratiæ Christi, per quam a lapsu resurreximus. Ea propter genuum per sex dies inclinatio nota est lapsus nostri in peccatum. Quod vero die dominica genua non inflectimus, designatio est resurrectionis per quam, gratia Christi, et a peccatis et a mortificata cum eis morte liberati sumus; temporibus autem apostolorum consuetudo talis accepit initium... »

6. Tu sancte qui tetram picem. (v. 69).

On peut rapprocher de cette strophe le distique suivant d’Ovide:

Sed neque mutatur nigra pice lacteus humor,

Nec quod erat candens, fit terebinthus ebur.

7. Sub nocte Jacob cærula. (v.73). Prudence rappelle le combat de Jacob raconté dans le xxxiie chapitre de la Genèse, et il fait ressortir la signification morale de ce fait. Quand il fait allusion à un passage de la sainte Ecriture, il ne s’arrête jamais au sens littéral et cherche toujours le sens mystique, l’enseignement caché sous les figures. Nec nos docent imagines, dit-il au vers 85.

8. Sudavit impar prælium. (v. 76). Quelques éditions portent impar prælio; mais l’expression sudare prælium se trouve dans plusieurs poètes; ainsi on lit dans Claudien: Quæ prælia sudas?

«  Cet hymne matinal, dit M. Villemain (Essai sur Pindare et la poésie grecque, p. 434), est composé sur un des mètres élégants d’Horace. Nous n’avons pas trouvé dans Horace le rythme de l’hymnus matutinus, la strophe composée de quatre vers égaux, petits iambiques. Cette strophe, faite en quelque sorte pour être chantée, est le principal élément rythmique des hymnes adoptées par l’Eglise pour un office public. On pourrait l’appeler la strophe ambrosienne, car la plupart des hymnes liturgiques, parvenues jusqu’à nous sous le nom de saint Ambroise, sont en strophes de quatre petits vers iambiques. »

III. - NOTES DE L’HYMNE AVANT LE REPAS.

1. Hymnus ante cibum. La coutume d’adresser à Dieu une prière avant et après le repas remonte à la plus haute antiquité chrétienne, Tertullien nous fait connaître combien, de son temps, cette coutume était générale : « Nec prius discumbitur quam oratio ad Deum prægustetur. » (Apol., c. xxxix.)

2. …………. verbigena. (v. 2). Chamillard donne à ce mot le sens de Verbum genitum. Ducange, dans son glossaire, ne s’explique pas autrement. Mais la vraie signification de ce mot est Verbo genite. Prudence, dans un autre hymne, appelle le Christ Verbo editus.

Le Fils est la Sagesse du Père, il est la Parole du Père; c’est en ce sens qu’il peut être dit Verbigena. — « Verbum persona de Verbo Patre, id est ratione vel intelligentia oritur, » dit le père Pétau. (Dog. theol., l. VI, cap. iii, num. 5.)

3. Hic mihi nulla rosæ spolia. (v. 21). Les fleurs et les parfums jouaient un grand rôle dans la vie sensuelle des païens. Ils ne pouvaient comprendre pourquoi les Chrétiens s’abstenaient des onctions de nard et de baume qui ajoutaient une volupté de plus aux plaisirs de la table. Nous voyons dans Minutius Felix les reproches des Païens, étonnés de ce que les chrétiens ne se servaient des parfums que pour honorer leurs morts. « Non floribus caput nectitis, non corpus odoribus honestatis; reservatis unguenta funeribus. »

4. Sperne, camæna, leves hederas. (v. 26). Dans cet hymne, Prudence emploie un rythme plus difficile que le rythme iambique des deux hymnes qui précèdent; de là vient qu’il exhorte sa muse à mépriser une couronne de lierre facile à tresser, leves hederas, et à ceindre son front d’une couronne richement ciselée, strophio dactylico.

5. Te, pater optime, mane novo. (v. 86). Il est difficile de lire cette strophe sans songer aux vers suivants de M. de Lamartine, dans l’Hymne de l’enfant à son réveil

Et pour obtenir chaque don

Que chaque jour tu fais éclore,

A midi, le soir, à l’aurore

Que faut-il? Prononcer ton nom.

6. Sic coluber muliebre solum. (v. 129). Ce vers traduit exactement le texte de la Vulgate: Ipsa conteret caput tuum. — Solum signifie le talon, la plante du pied. De solum est venu le mot solea pour désigner la chaussure. Notre mot soulier doit venir de solea. Les Espagnols disent suela.

7. Territa de grege candidulo. (v. 157). Prudence appelle les Chrétiens grecs candidulus à cause de l’antique usage de vêtir de blanc ceux qui devaient recevoir le baptême, soit pour signifier la pureté dont leur âme allait briller, soit pour les représenter comme des candidats à la vie chrétienne. Le temps de Pâques était le plus solennel de l’année pour conférer le baptême. « Diem baptismo solemniorem, dit Tertullien, pascha præstat, cum et pascha Domini, in quam tingimur, adimpleta est. » Les baptisés demeuraient pendant huit jours vêtus de blanc. De là vint le nom de semaine in albis, donné à la semaine qui suit Pâques. Maintenant encore le premier dimanche après Pâques est appelé dominica in albis. L’hymne de vêpres rappelle les usages des premiers siècles du christianisme: « Ad regias agni dapes stolis amicti candidis... »

8. Agnus enim vice mirifica. (v. 161). L’agneau pascal, dans l’ancienne loi, était la figure prophétique de Jésus-Christ qui a été appelé par saint Jean-Baptiste l’Agneau de Dieu. De bonne heure l’agneau fut choisi par les chrétiens comme un des symboles les plus expressifs pour représenter le Sauveur. Sur les autels des premiers siècles, on voit souvent sculpté un agneau sous une croix, élevée sur un rocher d’où coulent quatre fleuves; des brebis, représentant les chrétiens, sont rangées à droite et à gauche de l’agneau. Elles s’abreuvent aux fleuves qui jaillissent du rocher: Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris.

9. Tu mihi, Christe, columba potens. (v. 166). La colombe est pour nous le symbole du Saint-Esprit, qui apparut sous cette forme sur les bords du Jourdain, lorsque le Sauveur eut reçu le baptême de saint Jean-Baptiste. Dans les peintures des catacombes et les sculptures des autels des premiers siècles, les fidèles sont souvent représentés par des colombes, d’après le mot du divin maître : Estote simplices sicut columbæ. La colombe, primitivement, était aussi le symbole de Jésus-Christ. Plusieurs saints Pères ont vu une figure du Sauveur dans la colombe qui rentra dans l’arche, portant un rameau d’olivier. Clément d’Alexandrie, indiquant aux chrétiens quels sont les emblèmes qu’ils peuvent faire graver sur leurs anneaux, fait mention de la colombe : « Sint autem nobis signacula columba, vel piscis, vel navis, quæ cursu celeri a vento fertur, vel lyra musica, qua usus est Polycrates, vel anchora nautica, quam insculpebat Seleucus. »

IV. - NOTES DE L’HISTOIRE APRES LE REPAS.

1. Patri qui cherubim sedile sacrum,

Necnon et seraphim suum ... (v. 4). Dans le second verset du psaume LXXIX, les chérubins sont indiqués comme le siège de Dieu. Il n’est pas fait mention des séraphins : « Qui sedes super cherubim, manifestare... » Saint Jérôme, en commentant le chapitre sixième d’Isaïe, nous fait connaître que la formule dont se sert Prudence était en usage depuis longtemps : « Errant qui solent in precibus dicere qui sedes super cherubim et seraphim, quod scriptura non docuit. »

2. .......... et repertor orbis. (v. 9). Virgile avait déjà dit: Hominum, rerumque repertor.

3. Sic nos muneribus tuis refecti,

Largitor Deus omnium bonorum. (v. 74). Dans ces vers et dans une foule d’autres, Prudence rappelle les formules déprécatives employées dans la liturgie. Les mêmes expressions se retrouvent dans des oraisons qui remontent à la plus haute antiquité. Il y a eu, dès les premiers jours du christianisme, un style liturgique qui s’est perpétué traditionnellement dans l’Eglise. Les poèmes de Prudence sont tout empreints de ce style.

V - NOTES DE L’HYMNE POUR L’HEURE OU LES LAMPES SONT ALLUMÉES.

1. Hymnus ad incensum lucernæ. Arevalo intitule à tort cette hymne : De novo lumine paschalis sabbati. La plupart des manuscrits portent: Ad incensum lucernæ. Ce titre a été adopté par les derniers éditeurs de Prudence. Adalbert Daniel dit très bien dans son Thesaurus hymnologicus: « Præuter mss. codd. auctoritatem, id suadet libri Cathemerinon ordo, ut quintus hymnus intelligendus sit de vesperis, in quibus solemni more accendi lucernas Prudentii ævo mos fuerit. » Citant des éditions qui donnent pour titre de cette hymne : Ad incensum cerei paschalis, il ajoute « Quæ inscriptio in editione Prudentii perversa, in hymnario ecclesiastico probanda. » — Arevalo prouve très bien que dans cette hymne, Prudence fait de nombreuses allusions au feu nouveau allumé le samedi pascal; mais il ne démontre nullement que cette hymne ait été expressément composée pour la veille de Pâques, quoiqu’il ne craigne pas d’écrire « Hæc ita clara sunt ut qui ulterius dubitet an a Prudentio hymnus de novo lumine sabbati paschalis ad noctem vigiliarum paschæ celebrandam compositus fuerit, in media luce ac die cæcutire videatur. » A propos des flambeaux allumés à l’entrée de la nuit, Prudence, dans une méditation poétique, selon son habitude, indique tout ce que la lumière peut rappeler aux chrétiens. Ce qui prouve que cette hymne, comme les précédentes, et comme celle qui la suit, est quotidienne, ce sont ces vers de la première strophe

Merso sole chaos ingruit horridum,

Lucem redde tuis, Christe, fidelibus.

et vers la fin ces autres vers:

O res cligna, Deus, quam tibi roscidæ

Noctis principio grex tuus offerat

Lucem, qua tribuis nil pretiosius.

2. Qui dici stabilem se voluit petram. (v. 11). Petra autem erat Christus, dit l’apôtre saint Paul, en parlant de la pierre frappée par Moïse et transportée par les Hébreux à travers le désert. Jésus-Christ est figuré dans l’Ancien Testament par la pierre détachée de la montagne. Dans le Nouveau Testament, il est la pierre angulaire qui lie entre eux l’édifice céleste et l’édifice terrestre. L’Eglise chante dans l’office de la dédicace d’une église:

Alto ex Olympi vertice

Summi Parentis Filius,

Ceu monte desectus lapis

Terras in imas decidens,

Domus supernæ et infimæ

Utrumque junxit angulum.

3. Prætendunt tumulis clara draconibus. (v. 56.) Prudence désigne les drapeaux égyptiens par un mot qui ne fut employé qu’après l’empereur Trajan. On appela dracones des étendards formés de lambeaux de diverses couleurs, allongés en forme de serpent et sifflant au souffle du vent.

4. ...................... qui domitam Pharon. (v. 82). L’Egypte est ici désignée par le nom d’une petite île située près d’Alexandrie. On lit dans Lucain:

Tum claustrum pelagi cepit Pharon : insula quondam

In medio stetit alla mari .............................

Il y avait dans cette île, qu’on appelait aussi Pharos, une tour très élevée, au sommet de laquelle on allumait des feux destinés à diriger la marche des vaisseaux. De là est venu le nom de phare donné aux signaux de ce genre.

5. Marcent suppliciis Tartara mitibus. (v. 133). Bellarmin ne voit dans ces vers qu’une fiction poétique, et non pas l’expression d’une opinion assez répandue au temps de Prudence. Les Ethiopiens, s’il faut en croire Damien Gœs, croyaient que tous les dimanches les souffrances du purgatoire sont suspendues. Les mots sub Styge, tartara, dont se sert Prudence, peuvent s’entendre du purgatoire. Autrefois, on comprenait sous l’appellation générique d’inferi le lieu où les âmes justes achèvent de satisfaire à la justice de Dieu. Arevalo rapproche avec raison de ces vers de Prudence le passage suivant de saint Augustin: « Pœnas damnatorum certis temporum intervallis existiment, si hoc eis placet, aliquatenus mitigari, dummodo intelligatur in eis manere ira Dei, hoc est ipsa damnatio. » (Enchirid. 412). Bellarmin fait observer que dans ce passage il n’est pas question des prières pour les damnés. Saint Augustin, dit-il, admet seulement que ce n’est pas une erreur d’accorder que les damnés sont punis citra condignum. Il aurait pu faire les mêmes réflexions à propos des vers de Prudence. Le P. Petau, après avoir cité ces vers, émet ainsi son avis « De hac damnatorum saltem hominum respiratione nihil adhuc certi decretum est ab ecclesia catholica; ut propterea non temere tamquam absurda, sit explodenda sanctissimorum Patrum hæc opinio; quamvis a communi sensu catholicorum hoc tempore sit aliena. »

VI - NOTES DE L’HYMNE AVANT LE SOMMEIL.

1. Patrisque sermo Christe. (v. 3). Quelques anciens Pères ont traduit le mot grec logos tantôt par verbum, tantôt par sermo. Le premier de ces mots n’a pas tardé à prévaloir. Le Fils de Dieu a été appelé non pas le discours, mais le Verbe du Père. Le mot verbum était plus exact, comme le remarque très bien Maldonat, « Nam sive Filius logos appellatur, quia notitia Patris est, non solemus mentis conceptum sérmonem, sed verbum, appellare; sive quia interpres est Patris ejus, ad nos mandata deferens, — et interpretem et mandatum nemo non verbum potius quam sermonem dixerit. » (Comment. in Joan., cap. I, n° 29).

2. Mentem relaxat heros. (v. 114). Les païens appelaient héros les demi-dieux et les hommes qui avaient accompli des actions extraordinaires. Les chrétiens donnèrent le nom de héros aux saints et proclamèrent héroïques leurs vertus. Saint Augustin dit, en parlant des martyrs « Hos multo elegantius, si ecclesiastica loquendi consuetudo pateretur, nostros herœs vocaremus. » (Cité de Dieu, l. x.)

3. Te chrismate innotatum. (v. 128). Tertullien, saint Cyprien, saint Augustin, saint Cyrille d’Alexandrie et plusieurs autres Pères ont employé le mot chrisma pour désigner le sacrement de confirmation. On appelle saint-chrême la mélange d’huile et de baume solennellement consacré par l’évêque, le Jeudi-Saint, et servant à administrer le sacrement de confirmation. Comme l’évêque trace le signe de la croix avec le saint-chrême sur le front du confirmé, ce sacrement était aussi appelé signaculum ou sigillum. La formule sacramentelle rappelle ces divers noms « Signo te signo crucis, dit l’évêque, et confirmo te chrismate salutis. » Dans un vers du poème contre Symmaque, Prudence a rapproché ces deux noms: « Unde sacrum referat regali chrismate signum. » (Adv. Symm., l. I, v. 587.)

VII - NOTES DE L’HYMNE POUR LES JOURS DE JEÛNE.

1. Rarum locustis et favorum agrestium. (v. 69). Esca autem ejus erat locustæ, dit saint Mathieu en parlant de saint Jean-Baptiste dans le désert. Quelques auteurs ont cru que par le mot locustæ l’écrivain sacré désignait des herbes sauvages; mais la plupart des interprètes de la Sainte Ecriture entendent par le mot locustæ des sauterelles. Il peut nous paraître fort étrange qu’on se nourrisse de sauterelles, mais nous savons par le témoignage de Pline, de Plutarque, d’Aristophane, que les Orientaux mangeaient les sauterelles comme les Indiens mangent les fourmis, comme nous mangeons, nous-mêmes, les limaçons. Aujourd’hui encore, certaines peuplades de l’Arabie font des provisions de sauterelles, et les conservent précieusement pour s’en nourrir aux jours de disette. Ainsi en était-il du temps de saint Jérôme. « Orientalibus et Libyæ populis, quia per desertum et calidam eremi vastitatem locustarum nubes reperiuntur, locustis vesci moris est. » (Adv. Jov., l. xi.)

2. Hoc ex lavacro labe dempta criminum. (v. 76). Maldonat, en commentant le onzième verset du troisième chapitre de l’Evangile de saint Mathieu, réfute ainsi l’objection que les hérétiques tiraient de ce vers de Prudence, pour confondre le baptême de saint Jean et le baptême chrétien : « Pœtas nobis Prudentium et Juvencum aliquis objiciat, qui uterque baptismum Joannis Christi baptismo videntur æqui parare. Peccata enim remisisse dicunt. Possum respondere, non subtiliter sed poetice locutos : sed non opus est poesi sententiam excusare, cum possimus in bonam partem interpretari. Multi enim veteres auctores codem modo locuti sunt qui iidem tamen negant eumdem Christi atque Joannis fuisse baptismum, in quibus Basilius, Chrysostomus, Augustinus, Gregorius, Beda, Theophylactus. Dicunt enim baptismum Joannis datum fuisse in pœnitentiam, in remissionem peccatorum, non quod per illum peccata remitterentur, sed quod ad pœnitentiam excitaret: per pœnitentiam vero, aut tunc, aut post Christi accedente baptismo remitterentur. Propterea non legimus Joannis baptismum remissionis peccatorum, sed baptismum pœnitentiæ in remissionem peccatorum appellatum, quia non per illum sed per subsequentem aut prœcedentem pœnitentiam peccata remittebantur. »

3. .................. vertit in Tharsos fugam. (v. 105). Quelle est la ville, quelle est la contrée désignée par le poète sous le nom de Tharsos, et que le texte hébreu appelle Tharsis? Les commentateurs ne sont point d’accord. Josèphe croit que cette Tharsis est la ville de Tarse en Cilicie; les Septante ont souvent traduit Tharsis par Carthage, quoique dans l’histoire de Jonas ils aient conservé le nom de Tharseis. Saint Jérôme pense que ce mot désigne la mer Méditerranée. Bonfrère, dont l’opinion paraît probable à Arevalo, suppose que Tharsis est un nom générique servant à désigner tous les lieux où les vaisseaux peuvent aborder, les îles et les ports de mer.

VIII. - NOTES DE L’HYMNE APRÈS LE JEUNE.

1. Nona submissum rotat hora solem. (v. 9). Ce vers nous indique le moment de la journée où les chrétiens des premiers siècles rompaient le jeûne. De même qu’ils partageaient la nuit en quatre veilles, les Romains divisaient le jour, c’est-à-dire le temps compris entre le lever et le coucher du soleil en quatre parties, qu’ils appelaient primam, tertiam, sextam, nonam horam. Au commencement de la quatrième partie du jour, à la neuvième heure le jeûne était rompu.

2. Lactat hortatu ..... (v. 19). Le verbe lactat a ici le sens de allicit, oblectat, delectat. Prudence emploie quelquefois ce mot dans le même sens. Dans la sainte Ecriture, on trouve plusieurs passages où le verbe lactat doit être entendu comme dans ce vers : « Si te lactaverint peccatores (Prov. I, 10). — Vir iniquus lactat amicum (Prov. XVI, 29). » De même dans Térence: « Nisi me lactasses amantem et falsa spe produceres. » (Andr., IV, 1, 23.)

3. .................... ubi nulla lappis. (v. 42). Les Latins appelaient lappa la bardane, plante de la famille des flosculeuses. Les fleurs de la bardane sont purpurines ou violacées; elles sont contenues dans un calice globuleux, formé d’écailles recourbées à leur extrémité, s’accrochant aux vêtements des passants et à la toison des brebis. Subit aspera sylva, dit Virgile, lappæque tribulique absint. (Géorg., I. I.) Et Ovide : « Mixta tenax segeti crescere lappa sotet. »

4. Sufficit, quidquid facias, vocato. (v. 69). Dans cette strophe, Prudence rappelle les conseils de saint Paul aux Corinthiens: « Sive ergo manducatis, sive bibitis, sive aliud quid facitis, omnia. in gloriam Dei facite. » (I Cor., X, 31.)

IX. - NOTES DE L’HYMNE POUR TOUTE HEURE.

1. Da, puer, plectrum ........ (v. 1). A l’exemple des poètes lyriques, Prudence appelle le serviteur chargé de porter la lyre. Fabricius croit que notre auteur fait allusion à la coutume des anciens, qui se faisaient accompagner par un esclave jouant de la lyre pendant qu’ils chantaient. Le mot puer servait chez les Romains à désigner les esclaves, comme le mot senior, d’où l’on a fait seigneur, signore, a servi à désigner les maures. Persicos odi, puer, apparatus, a dit Horace (liv. I, od. 38). Il nous est resté un vestige de cette ancienne dénomination. Nous appelons garçons, quel que soit leur âge, les divers domestiques d’un hôtel.

2. Ipse rex sapore tinctis obstupescit poculis. (v. 30). Par roi du festin, selon les uns, il faut entendre celui qui a invité au festin; selon les autres, il faut entendre l’économe chargé de présider à l’ordonnance du festin. Ausone dit dans l’Ephéméride qu’il a invité cinq convives. Il y aura donc six personnes à table en comptant le roi « Quinque advocavi sed enim convivium, cum rege, justum; si super, convivium. »

3. Illa prompte ad irruentes, ad revertentes tenax. (v. 73). Dans le septième chant de la Jérusalem délivrée (str. 16), le Tasse a une phrase semblable

Che quel serraglio è, con mirabil uso,

Sempre all’ entrar aperto, all’ uscir chiuso.

4. Fertur horruisse mundus noctis æternæ chaos. (v. 81). Virgile avait dit dans le quatrième chant des Géorgiques, en rappelant la mort de César: « Impiaque æternam timuerunt sæcula noctem. »

5. O novum cæde stupenda vulneris miraculum!

Hinc cruoris fluxit unda, lympha parte ex altera. (v. 85). Chamillard prétend que Prudence, dans ces vers, diffère du récit évangélique et admet que Notre-Seigneur a été percé de deux coups de lance, l’un au côté droit, l’autre au côté gauche.

D’abord, il n’est pas clairement marqué dans l’Evangile que Notre-Seigneur n’a reçu qu’un seul coup de lance. Saint Jean dit seulement : « Unus militum lancea latus ejus aperuit. » En admettant, ce qui est plus conforme à l’opinion générale, qu’un seul coup de lance a été donné, il est possible que ce coup ait transpercé à la fois le côté droit et le côté gauche. L’expression cujus latus per foratum appuierait cette hypothèse. Le fer de la lance; pénétrant par le côté droit, a pu arriver jusqu’au cœur et ressortir par le côté gauche. Cornélius à Lapide expose et adopte l’opinion de Prudence: « Vulnus hoc videtur totum latus Christi penetrasse, ut videlicet lancea hæc adacta per dextrum latus Christi, transierit per cor et pericardium, atque cuspis ejus exierit per latus sinistrum, ad papillam. Nam utrumque Christi lattis fuisse transfossum tribus locis docet Prudentius, sciicet in passione Christi. » (Dittoch. Tetrast., 42).

Trajectus per utrumque Latus, laticem atque cruorem

Christus agit : sanguis victoria, lympha lavacrum est.

Et Peristephanon, hym. 8°:

Ipse loci est Dominus, laterum cui vulnere utroque,

Hinc cruor efflusus fluxit et inde latex.

Et Cathemerinon, hym. 9°:

Hinc cruoris fluxit unda, lympha parte ex altera.

Idem insinuat Cyprianus, tract. de passione Christi, cum ait : « De latere tuo, o Christe, divisis limitibus, aqua et sanguis emanant. » Hinc et Theophylactus hoc vulnus lateris vocat tupouV, in plurali, idque confirmatur ex eo quod vuinus dextri lateris tantum fuit ut Thomas manus imponere posset. Quod autam Prudentius notat separatim per alterum vulnus sanguinem fluxisse, per alterum vero aquam, videtur significare quod per majus, sive patentius vuinus (quod procul dubio fuit in latere dextro), ob capacitatem tantum eruperit sanguinis ut aqua per se conspici nequiverit; per sinistram vero, utpote minus et pericardio vicinius, eruperit aqua.... Verum quin hoc lateris sinistri vulnus exiguum fuit, hinc non computatur, Christusque non sex sed quinque habuisse vulnera dicitur.» (Comm. in Joannem, cap. XIX.)

X. - NOTES DE L’HYMNE POUR LES FUNÉRAILLES.

1. Hinc maxima cura sepulcris. (v. 45). « Pour mieux témoigner leur foi à la résurrection, dit Fleury, les premiers chrétiens avaient grand soin des sépultures et y faisaient grande dépense, à proportion de leur manière de vivre Les chrétiens enterraient les corps comme les juifs. Après les avoir lavés, ils les embaumaient, et y employaient plus de parfums, dit Tertullien, que les païens à leurs sacrifices. Ils les enveloppaient de linges très fins ou d’étoffes de soie; quelquefois ils les revêtaient d’habits précieux. Ils les laissaient exposés trois jours, ayant grand soin de les garder cependant et de veiller auprès en prières. Ensuite, ils les portaient au tombeau, accompagnant le corps avec quantité de cierges et de flambeaux, et chantant des psaumes et des hymnes pour louer Dieu et marquer l’espérance de la résurrection. On priait aussi pour eux; on offrait le sacrifice, et l’on donnait aux pauvres le festin que l’on nommait agape et d’autres aumônes. » (Mœurs des chrétiens; sépult.)

2. Candore nitentia claro,

Prætendere lintea mos est. (v. 49). Ces vers permettent de croire que les chrétiens avaient aussi la coutume de tendre des voiles blancs dans l’intérieur des tombeaux. Signorius croit que les chrétiens avaient reçu cette pratique des juifs, qui décoraient ainsi les lieux choisis pour leur sépulture. Notre-Seigneur appelait les scribes des sépulcres blanchis. Saint Paul, après s’être déclaré citoyen romain, dit au grand-prêtre, en présence du tribun: « Percutiet te Deus, paries dealbate. » (Act. XXIII, 3.)

3. Non mortua, sed data somno. (v. 56). « Cimetière ne signifie autre chose que dormitoire ou dortouër, d’autant que la foi nous enseigne que les fidèles ne meurent point, mais seulement dorment pour quelque temps d’un doux repos, attendant qu’ils se réveillent heureusement pour jamais plus ne dormir, mais pour être perpétuellement jouissant de la gloire céleste. Auquel sens nous voyons que Notre-Seigneur et les apôtres ont souvent appelé la mort dormition ou sommeil, et les morts dormants. Et en l’Ancien Testament ceste façon de parler se trouve fort fréquente pour ceux qui mouraient au Seigneur: Il dormit avec ses pères. D’ou procèdent toutes ces cérémonies et décorations des fidèles pour les morts, c’est à savoir pour rendre tout honneur aux corps capables de la résurrection à la vie éternelle, comme ayant esté les maisons de Dieu, les temples du Saint-Esprit et l’instrument par lequel les âmes ont reçu sanctification par le moyen des sacrements. Les cimetières ne sont pas simples sépulcres et réservoirs de corps morts, mais davantage sont lieux saints et sacrés, destinés pour les âmes des trépassés qui y reposent. D’où saint Augustin nous enseigne que les sépulcres sont appelés monuments, d’autant qu’ils admonestent les hommes de prier pour les morts. » (Sponde, les Cimetières sacrés.)

4. Minimi mensura pugilli. (v. 144). Fabricius et quelques autres ont reproché cette expression à Prudence, parce que le poing ne leur paraissait pas une mesure; mais la poignée et la pincée étaient des mesures naturelles pour les anciens aussi bien que pour nous. Ils disaient pugnum salis pour indiquer une poignée de sel. —Venance Fortunat, pour exprimer la grandeur de Dieu, le représente : Mundum pugillo continens.

5. Gremio senis abdita sancti

Recubabit, ut illa Lazari, (v. 153). Les diverses prières et antiennes qui composent la liturgie romaine des funérailles remontent à une très haute antiquité. Plusieurs d’entre elles, peut-être, étaient déjà usitées du temps de Prudence. Les deux vers où il dit que les chrétiens seront dans le sein d’Abraham comme le pauvre Lazare, peuvent se rapprocher des prières suivantes, chantées à la cérémonie des funérailles : « Suscipiat te Christus qui vocavit te, et in sinu Abrahæ angeli deducant te. » — Chorus angelorum te suscipiat et cum Lazaro quondam paupere æternam habeas requiem. »

Plusieurs éditions portent: Ut est Eleazar, au lieu de : Ut illa Lazari. « Avec cette dernière variante, dit Arevolo, il y aurait une faute de quantité. » Quand Prudence parle du frère de sainte Marthe et de sainte Madeleine, il donne à son nom la quantité suivante : Lazarus. Ici il s’agit du pauvre Lazare. Prudence ne parle de lui que dans ce passage. Ne peut-il avoir donné à son nom une quantité différente de celle qu’il a toujours employée pour le nom de saint Lazare, l’ami du Sauveur?

6. Titulumque et frigida saxa. (v. 171). Le mot titulus désigne tantôt l’épitaphe gravée sur le tombeau, tantôt le tombeau lui-même.

Dans ses Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique, etc., M. Villemain cite quelques fragments de l’Hymne des funérailles, qui lui suggère les réflexions suivantes : « On sait ce qu’avaient été chez les Hellènes la plainte et la prière funèbres. Rome en avait exagéré l’impression par ses pleureuses à gages aux obsèques des puissants et des riches. La poésie la plus élégante, dans le siècle poli qui succédait aux proscriptions romaines, ne s’était pas refusé ce langage du deuil dans l’élégie et dans l’ode, et les noms d’Ovide et d’Horace nous le disent assez. Il n’est besoin de rappeler ce que même l’épicurien Horace a trouvé de touchant sur la brièveté de la vie et les regrets de l’amitié qui survit. Sa poésie moqueuse devient douce et charmante. La mélancolie qu’elle inspire, sans être la vertu, fortifie du moins les âmes par la résignation. Mais combien cette philosophie manque à la fois de grandeur et de tendresse! combien elle ôte à l’imagination et au cœur! S’agit-il du noble orgueil de l’esprit dans sa croyance à l’immortalité, quel mécompte devaient lui donner ces vers d’Horace sur un sage illustre : « O toi qui mesurais la mer et la terre et le sable infini, Archytas, te voilà réduit à un peu de poussière sur le rivage de Matine! Il ne te sert de rien d’avoir abordé les régions de l’éther et promené dans le cercle des cieux ton esprit qui devait mourir! » S’agit-il des meilleurs sentiments de l’homme, de la fidélité des souvenirs, le poète n’attend pour l’ami qu’il a perdu qu’un perpétuel sommeil: « Ergo Quinctilium perpetuus sopor urgat! » Ailleurs, il ne se promet à lui-même qu’une première larme sur sa cendre tiède encore. Tout cela est bien peu pour soutenir l’âme à la dernière heure et l’inspirer durant la vie. Mieux vaut, même dans les ruines du génie des Romains, recueillir une de ces épitaphes qu’avaient laissées les martyrs. Mieux vaut entendre de la bouche du lyrique chrétien sa belle invocation au Créateur, foyer des âmes humaines, et sa confiance dans la vie éternelle qui leur est promise. ».

XI. - NOTES DE L’HYMNE POUR LE HUITIÈME JOUR AVANT LES CALENDES DE JANVIER.

1. Ex ore quamlibet Patris. (v. 17). Prudence, dans ces vers, semble s’être souvenu de ces paroles de la sainte Ecriture « Ego ex ore Altissimi prodivi, primogenita ante omnem creaturam. » (Eccli. XXIV, 5.) Ce texte et autres semblables exposent et font connaître la génération éternelle du Fils de Dieu. Quelques saints Pères, cependant, ont rapporté ces paroles à la génération par laquelle le Verbe s’est fait chair.

2. Matura per fastidia. (v. 54). Antoine de Lebrixa, dans ses Commentaires, expose très  bien le sens de ce vers : « ... Non quod Virgini contigerint fastidia, quæ prœgnantibus solent, de quibus Virgilius in Bucolicis: Matris longa decem tulerant fastidia menses; sed loquitur ex more aliarum fæminarum, sicut quod dicitur; enixa est puerpera, et alibi: enixa puerpera regem, non quod in partu fuerit ille nixus cum doloribus, qui allis feminis contingunt, sed quod salva integritate peperit. »

3. Ex qua novellum sæculum. (v. 59). On peut rapprocher des strophes suivantes de Prudence la quatrième églogue de Virgile. Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo, dit l’ami de Pollion, plein du souvenir des prophétiques oracles contenus dans les vers de la Sibylle de Cumes.

4. O sancta præsepis tui. (v. 77). Buchner voit dans ces vers de Prudence une sorte de prophétie annonçant la vénération qui devait s’attacher de siècle en siècle à la crèche du Sauveur. Peut-être que le poète fait simplement allusion au pieux respect dont cette crèche était l’objet, de son temps. La crèche en bois sur laquelle le Sauveur a été déposé est conservée à Rome. Ce précieux trésor, dont l’authenticité repose sur une ancienne tradition, reçoit de la piété des fidèles un culte incessant de vénération.

5. Adorat hæc brutum pecus. (v. 81). La croyance populaire, qui suppose que l’âne et le bœuf réchauffèrent de leur souille l’Enfant-Jésus déposé dans la crèche, remonte à une très haute antiquité. L’Evangile ne fait aucune mention de ce détail transmis seulement par la tradition. Isaïe avait écrit (I, 3): « Cognovit bos possessorem suum et asinus præsepe domini sui; Isræl autem me non cognovit. »

6. Hunc quem latebra et obstetrix. (v. 97). « Explicatio interpretum fere omnium est eamdem virginem fuisse obstetricem. S. Hieronymus contra Helvidium: nulla ibi obstetrix, nulla muliercularum sedulitas intervenit. Ipsa Maria involvit infantem, ipsa et mater et obstetrix fuit; nam ipsa collocavit eum in præsepio, ipsa pannis involvebat. Unde commenta refelluntur apocryphorum. —Verum negari nequit, quorumdam veterum hanc fuisse opinionem, quod obstetrix intervenerit. Legebatur enim in libris apocryphis... Ejusdem narrationis meminit Clemens Alexandrinus, eanique amplexus est S. Zeno... Nullum erit flagitium, si censeamus Prudentium, quod alii viri docti crediderunt, credidisse. » Arevalo.

7. Cum vasta signum buccina. (v. 105).

Pendant le temps destiné à préparer les fidèles à la fête de la naissance de Jésus-Christ, l’Eglise mêle la pensée du second avènement du Fils de Dieu au souvenir, du premier avènement. Il devait en être ainsi déjà du temps de Prudence. Après avoir raconté la venue de Jésus-Christ sur la terre, sous les traits touchants d’un petit infant, le poète annonce la venue du Fils de Dieu à la fin du monde, la résurrection des morts, le jugement dernier. Ses strophes rappellent l’office du premier dimanche de l’Avent.

XII. - NOTES DE L’HYMNE POUR L’ÉPIPHANIE.

1. Hæc stella quæ solis rotam. (v. 5). Un philosophe platonicien du troisième siècle, Chalcidius, dans son commentaire du Timée, ch. LXXV, parle ainsi de l’étoile et des mages dont elle guida la marche vers Bethléem : « Il y a aussi une autre histoire plus sainte et plus vénérable, racontant qu’une étoile parut pour annoncer non des maladies ni la mort, mais la descente d’un dieu secourable, pour la conservation de l’homme et le bien des mortels. Des sages Chaldéens, exercés à la contemplation des choses célestes, ayant aperçu cette étoile en voyageant pendant la nuit, cherchèrent, dit-on, le Dieu nouveau-né, et, ayant trouvé cette majesté cachée sous les traits d’un enfant, ils offrirent des présents convenables à un si grand Dieu. »

2. Tristis cometa intercidat. (v. 21). Les anciens croyaient que l’apparition d’une comète annonçait d’inévitables malheurs. — Isidore s’exprime ainsi dans son livre De natura rerum, cap. XXVI « Cometes stella est quæ velut comas luminis ex se fundit. Hoc cum nascitur aut regni mutationem fertur ostendere, sut bella, aut pestilentias surgere. De qua Prudentius ait: Tristis cometa intercidit. »

3. Salvete, flores martyrum. (v. 125).

Saint Augustin semhie avoir lu ces vers de Prudence et s’en être souvenu dans son sermon 220: « Quos Herodis impietas lactentes matrum uberibus abstraxit, qui jure dicuntur martyrum flores, quos in medio frigore infidelitatis exortos, velut primas erumpentes Ecclesiæ gemmas, quædam persecutionis pruina decoxit.»

NOTES DE L’ÉPILOGUE.

1. Epilogus. Dans quelques éditions, ces vers sont placés en tête du Peristéphanon, dont ils forment le prologue. La plupart des éditeurs ont renvoyé ces vers à la fin des œuvres de Prudence, et en ont fait l’épilogue de tous ses poèmes.

2. Nos citos iambicos. (v. 7). En donnant aux vers iambiques l’épithète de citos, Prudence est d’accord avec Horace, qui dit dans son Art poétique 

Syllaba longa brevi subjecta vocatur iambus,

Pes citus...

On lit ailleurs, en adoptant la variante proposée par quelques éditeurs:

Archilochum propero rabies armavit iambo.

3. .................. et rotatiles trochæos. (v. 8). Les trochées sont justement appelées rotatiles; leur nom même vient de trochos, qui signifie roue.

4. Multa divitis domo. (v. 13). Le poète rappelle ces paroles de l’apôtre saint Paul dans sa seconde épitre à Timothée (ch. II, v. 20) « In magna autam domo non solum sunt vasa aurea et argentea, sed et lignea et fictilia, et quædam quidem in honorem, quædam autem in contumeliam. »  

Nous terminerons ces notes en empruntant quelques lignes aux pages consacrées à Prudence par Ozanam dans ses leçons sur La Civilisation au cinquième siècle. — « Ce poète, dont j’admire les vers, ne restera pas sans admirateurs. Le moyen âge lui rendra un culte égal à celui que reçoivent les plus illustres docteurs, Boèce, Bède, saint Boniface. Tous les écrivains du septième siècle se plaisent à emprunter ses vers pour servir d’exemple, à côté des plus beaux de l’antiquité. Plus tard, il est cité comme le premier et comme le plus illustre parmi les poètes chrétiens. On voit enfin saint Brunon, archevêque de Cologne, un des hommes les plus savants de cette Germanie savante d’une époque mal connue, mettre dans la bibliothèque de son église un exemplaire de Prudence; et ce livre ne sortait pas de ses mains. Prudence fut en possession de cet honneur jusqu’à la Renaissance. La Renaissance entra dans l’école chrétienne; elle y trouva des poètes chrétiens au-dessous des poètes païens auxquels on avait accordé comme aux plus éloquents, la première place. Assurément Virgile et Horace y étaient restés dans cet honneur que l’antiquité leur avait fait, mais enfin on y trouvait des chrétiens, et comme leur langage n’avait pas toute la pureté cicéronienne, comme Prudence était convaincu d’avoir employé soixante et quinze mots qui n’avaient pas d’exemple dans les écrivains antérieurs, immédiatement toute cette foule de barbares qui, sous prétexte de christianisme, s’étaient introduits dans l’école, furent balayés, chassés, pour que les païens restassent maîtres du lieu, Il y avait aussi quelques raisons accessoires. Prudence avait quelques inconvénients, avec son culte passionné pour les martyrs. Ces hommages sans nombre rendus aux saints, c’étaient, pour le protestantisme, des témoins incommodes qu’il fallait faire disparaître.

 

FIN.

(01) Cf. Abbé A. Bayle, Etude sur Prudence suivie du Cathemerinon, Paris 1860.