RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE       

RETOURNER à LA TABLE DES MATIÈRES DE MATERNUS

 

JULIUS FIRMICUS MATERNUS

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

DE L'ERREUR DES RELIGIONS PROFANES.

 

 

 

 

 

 

JULIUS FIRMICUS MATERNUS

 

 

NOTICE SUR MATERNUS.

 

VIVAIT AU IVe SIÈCLE.

 

 

 

Tout ce qu'on sait de lui est tiré de ses seuls écrits : on apprend de lui seul qu'il était personnage consulaire; qu'il vivait sous les fils de Constantin; et on conjecture qu'il composa ses ouvrages sur l’Erreur des religions profanes vers l'an 345. Cet ouvrage n'avait jamais paru traduit en français, j'en ai trouvé la traduction à la suite de celle de Lactance, dans le n° 1340 des manuscrits de la bibliothèque du roi, et je la publie ici. Voici l'avertissement du traducteur ancien auquel on doit ce manuscrit.

« J'ai joint à la traduction de Lactance celle d'un autre ouvrage composé sur le même sujet, par Julius Firmicus Maternus, et adressé à Constantius et à Constant, fils de l'empereur Constantin.

« Cet écrivain célèbre, que quelques uns croient avoir été évêque de Milan, réfute les erreurs des religions profanes; et commençant par la superstition du culte rendu aux éléments, montre que les Égyptiens ont adoré l'eau sous le nom d'Osiris; que les Assyriens ont adoré l'air sous le nom de Junon et de Vénus, et que les Perses ont adoré le feu sous le nom de Jupiter. Ensuite il découvre l'origine de plusieurs fêtes, comme celle des bacchanales, instituée en l'honneur de Bacchus, roi de Thèbes; celle d'une autre fête instituée en l'honneur d'un autre Bacchus, fils de Jupiter; celle d'une fête instituée par Cérès, en l'honneur de Proserpine, sa fille; et celle enfin d'une autre fête instituée par les Athéniens, en l'honneur de Cérès, de qui ils avaient appris l'art d'ensemencer les terres et de recueillir les moissons. A l'occasion des cérémonies superstitieuses que les païens observaient dans la célébration de leurs mystères et des paroles qu'ils prononçaient pour reconnaître ceux qui y étaient initiés, il parle clairement de l'incarnation, du Fils de Dieu, de sa mort, de sa résurrection et même du sacrement de son corps, et du pain céleste qui nourrit l'âme fidèle. « Ce qui fait voir qu'il n'est pas absolument vrai que les auteurs ecclésiastiques des premiers siècles aient toujours caché ce mystère-là aux païens. Vers la fin de son livre, il représente avec beaucoup de clarté et de force, la vanité et la faiblesse des idoles, et exhorte les empereurs Constantius et Constant, à employer leur autorité à abolir les sectes de l'idolâtrie. »

On attribue à ce même Firmicus, huit livres sur l'astronomie, imprimés d'abord par Alde Manuce, en 1501, et réimprimés plusieurs fois depuis; mais plusieurs critiques assurent que ces huit livres sont d'un autre Firmicus que celui dont je publie ici l'ouvrage, d'après le manuscrit 1340 que j'ai collationné sur l'édition donnée à la suite de saint Cyprien, dans l'édition de Besançon, en 1 vol. in-8°, 1838.

 

Paris, 10 mars 1837.

J.-A.-C. BUCHON.


 

J.-F. MATERNUS.

DE L'ERREUR DES RELIGIONS PROFANES.

a constantius et a constans, augustes.

 

(ÉCRIT VERS 345.)

 

 

………………………………..[1]

I. Personne ne doute que les quatre éléments, savoir, le feu, l'eau, l'air et la terre, ne soient les principes de toutes choses. Mais ces quatre éléments ont des qualités contraires. C'est pourquoi les païens, qui les reconnaissent pour les principes des autres êtres, ont tort de prendre le feu pour une souveraine divinité, comme si tout ce qu'il y a dans le monde n'avait peint d'autre cause que la chaleur. Leur erreur est venue de ce qu'ils n'ont point su que c'était Dieu qui avait créé ces éléments, qui leur avait donné ces qualités par lesquelles ils se combattent, et assigné la place qu'ils occupent Cependant, cela se peut découvrir, ou par la seule lumière des sens, ou par l'attention de l'esprit, ou par la force du raisonnement.

Les Égyptiens, qui tirent de grands avantages du Nil, adorent ses eaux, leur adressent des prières, leur offrent des sacrifices et leur rendent toutes sortes d'honneurs et de respects. Mais ils mêlent parmi leurs mystères de tristes disgrâces, de cruels combats et de tragiques funérailles. Ils disent qu'un mari tira autrefois une horrible vengeance d'un adultère et d'un inceste que sa femme avait commis avec son frère. Isis était la sœur, Osiris était le frère, et Typhon était le mari. Quand Typhon eut découvert que sa femme s'était corrompue dans les infâmes embrassements de son frère, il le tua, hacha son corps en pièces et le jeta sur les bords du Nil. Isis quitta Typhon pour aller rendre à Osiris, son frère et son mari, le devoir de la sépulture, et se servit pour cet effet de Nephté, sa sœur, et d'Anubis, chasseur renommé, auquel on a donné depuis une tête de chien, parce qu'il s'était servi de ses chiens pour trouver les membres épars d'Osiris. Quand ils eurent été ramassés, Isis leur donna la sépulture. Ce Typhon et cet Osiris étaient deux rois d'Egypte; mais ce dernier était un bon prince, et auquel on ne pouvait rien reprocher si ce n'est le crime qu'il avait commis avec sa sœur, au lieu que l’autre était un superbe, un emporté et un furieux. Aussi Typhon est-il en horreur et Osiris en vénération. Voilà le fondement de la solennité que les Égyptiens célèbrent en l'honneur d'Isis. Ils ont dans la partie la plus secrète de leur temple une représentation du tombeau d'Osiris; ils renouvellent tous les ans leurs lamentations sur sa perte, et, pour retracer eux-mêmes la douleur du genre funeste de sa mort, se coupent les cheveux, se frappent l'estomac et s déchirent les bras. Après avoir observé cette cérémonie pendant un certain nombre de jours, ils feignent qu'ils ont trouvé les membres épars d'Osiris, finissent leur deuil et se consolent. Déplorable aveuglement des hommes, qui, pour offrir chaque année de funestes sacrifices à un roi mort, renoncent au culte du souverain qui, par on sage tempérament de sa bonté, a tiré tout l'univers du néant, et perdent l'espérance, qu'ils ne peuvent mettre qu'en loi, de la vie éternelle, qu'ils ne peuvent recevoir que de sa grâce! Hommes aveugles, vous ne tâchez point de revenir de votre égarement à la faveur de la lumière que l'on vous présente. Vous ne faites aucun effort pour recouvrer votre liberté. Vous ne concevez aucune espérance d'éviter le malheur qui vous menace, et ne vous mettez point en devoir de mériter par un sérieux repentir le pardon de vos péchés. C'est en vain que vous attendez du secours de l'eau du Nil que vous adorez. Il y a une autre eau qui renouvelle les hommes et qui leur donne une vie divine. L'eau que vous adorez tous les ans est épuisée par une ardeur mortelle qui brûle au dedans de vos veines, et profanée par le sang de votre roi Osiris. Mais celle que vous méprisez, étant échauffée par le feu de l'esprit saint, est portée par la Foi jusqu'au fond de la conscience, où elle établit une parfaite santé et ferme les cicatrices des plaies que le péché y avait ouvertes.

Bien que ces cérémonies n'aient été instituées que pour renouveler la mémoire de la mort de ce prince et des funérailles qui ont été autrefois célébrées, ce qui ne parait que trop, par son tombeau que l'on montre encore en Egypte, et par une partie de son corps qui y reste, néanmoins ceux qui les défendent apportent pour leur institution une autre raison, fondée sur la nature physique. Ils disent que par Osiris ils entendent les grains que l'on sème, par Isis la terre, et par Typhon la chaleur. Et parce que la chaleur mûrit les moissons, et que, quand elles sont mûres, on les serre pour s'en nourrir, et que l'on sème d'autres grains quand l'hiver approche, ils assurent que la mort d'Osiris ne signifie que l'ensemencement des terres, et que la découverte de ses membres jetés au bord du Nil ne signifie que la levée des grains nouveaux qui commencent à paraître. Supposant que ce soit là le véritable fondement de ces sacrifices, et qu'ils n'aient été institués que pour remercier les dieux des biens dont ils couvrent la terre, pourquoi y a-t-on mêlé l'inceste, l'adultère et la cruelle vengeance dont il fut suivi? Pourquoi a-t-on fait d'un mystère un exemple pernicieux qui porte la corruption dans les mœurs des hommes, qui s'égaraient auparavant et péchaient avec moins de connaissance et plus de simplicité? S'il fallait cacher les effets de la nature, pourquoi les cachait-on sous le voile de ces mystères? Mais quelle raison y avait-il de cacher des effets qui sont exposés à la vue de tout le monde. Pourquoi pleurer des grains qui sont jetés dans la terre et qui produisent de nouvelles moissons? Ce sont des présents de la main de Dieu, dont, au lieu de concevoir de la douleur, il lui faut rendre des actions de grâces. Pleurez plutôt vos égarements et les cérémonies qui semblent n'être inventées que pour les rendre éternels. Ne consacrez point des fêtes à la mort d'autrui, et cherchez plutôt des moyen de vous consoler des ravages que fait la mort dans vos familles. Misérables que vous êtes, vous vous réjouissez d'avoir trouvé je ne sais qui, dans le temps même que vous perdez votre âme par vos sacrilèges! Vous ne trouvez qu'un fantôme que vous avez placé où vous le cherchez et dont vous regrettez la perte. Cherchez plutôt le chemin du salut, la lumière de la vérité, le moyen de vous réconcilier avec Dieu. Quand vous l'aurez trouvé, et que par une sincère pénitence vous vous serez délivrés de vos maux, vous pourrez vous écrier et prononcer celle formule solennelle de vos mystères : « Nous l’avons trouvé, réjouissons-nous! »

II. Les Phrygiens, qui habitent la ville de Pessinonte le long du fleuve Gallus, attribuent à la terre une espèce de domination sur les autres éléments, et la regardent comme la mère de toutes choses. Pour instituer, aussi bien que les autres, des fêtes et des cérémonies perpétuelles, ils consacrèrent les amours de leur reine, et la vengeance tyrannique qu'elle avait tirée du mépris d'un jeune homme qu'elle aimait. Pour apaiser la colère ou pour consoler la douleur de cette reine, ils ont publié que ce jeune homme, qu'ils avaient mis dans la tombeau, était revenu à la vie; et enfin, pour charmer l'impatience et la fureur de cette femme, ils ont élevé des temples à la mémoire de son amant. Ils ont voulu que les prêtres de ce nouveau dieu reçussent un traitement pareil à celui que cette reine irritée avait fait souffrir à l'amant qui avait méprisé sa beauté et rejeté ses caresses. Ainsi, dans les sacrifices que l'on renouvelle chaque année en l'honneur de la terre, on ne fait que célébrer la mémoire d'une pompe funèbre; et en abusant de l’ignorance des peuples, on leur fait croire qu'ils honorent la terre, dans le temps qu'ils n'honorent qu'un tombeau. Les très saints empereurs ont voulu eux-mêmes couvrir cette erreur des peuples sous le voile d’une raison naturelle que l'on rend de la célébration de ces mystères; car on dit: que la terre aime les grains; que les grains représentent Atys aimé par Cérès; que l'action par laquelle le laboureur fauche les blés quand ils sont mûrs, marque la vengeance que Cérès tira d'Atys; que la moisson est une image de sa mort, et la nouvelle semaille une figure de la vie qu'il reprend. Je voudrais bien que l'on me dît pourquoi on s'est avisé de choisir les grains que l'on confie à la terre, et les moissons que l'on en recueille, et qui sont les choses du monde les plus naturelles et les plus simples, pour les joindre aux amours et aux poursuites d'une femme, aux fuites et aux refus de son amant, à la fureur et à la cruauté de sa vengeance? N'y avait-il que cela à inventer sur ce sujet? N'y avait-il que ce moyen-là de rendre grâces à Dieu des biens dont il nourrit les hommes? Faut-il hurler pour remercier Dieu des fruits dont il pare la surface de la terre? Faut-il soupirer et gémir pour témoigner de sa joie? Depuis que vous avez reconnu la vérité, ne vous êtes-vous jamais repentis d'avoir observé ces extravagantes cérémonies? Ne vous êtes-vous jamais aperçus qu'en renouvelant chaque année cette coutume de pleurer, vous fuyez la vie et courez à la mort? Vos moissons en ont-elles été plus abondantes, depuis que vous avez semé vos grains avec tant de marques de douleur et de tristesse? Vous dites que ce sont vos grains que vous pleurez, et vous ne laissez pas pourtant de vous servir d'un autre voile pour rouvrir votre douleur. Le laboureur sait quand il doit labourer la terre, quand il y doit semer les grains. Il sait quand les moissons sont mûres et quand il faut les couper; il sait quand il faut broyer les grains. C’est là la véritable science de la nature, et le pur sacrifice que les hommes de bon sens offrent à Dieu chaque année par la sainteté de leur travail. Il veut que les hommes se contentent d'obéir simplement à cet ordre qu'il a établi dans le monde pour la récolte des fruits. Il n'était point besoin d'y ajouter la fiction d'une mort tragique ; il n'y fallait point cacher, sous la cérémonie d'un deuil public, un accident qu'il n'y avait point de sujet de cacher. Ainsi les païens sont obligés d'avouer que cette fête a été instituée, non pour honorer les fruits de la terre, mais pour honorer la mort d'Atys. Car, pour ce qui est de ce que ceux qui donnent le premier rang à la terre, et qui lui attribuent un absolu pouvoir sur les autres éléments, l'appellent la Mère de tous les dieux, nous n'y trouvons rien à redire, et nous voulons bien l'appeler la Mère de leurs dieux, puisque nous savons qu'ils les ont faits de bois et de pierre. Elle est entourée de la mer, couverte du ciel, battue des vents, arrosée des pluies, agitée par un mouvement continuel, qui est un effet et une marque de sa crainte. Jugez ce que vous devez attendre de la protection d'une divinité qui vous découvre si visiblement ses faiblesses.

III. Les Assyriens et une partie des habitants de l'Afrique ont donné à l'air une espèce de principauté sur les éléments, lui ont attribué une figure selon leur caprice, et l'ont consacré sous le nom de Junon, ou sous le nom de Vénus vierge, si toutefois la virginité a jamais pu plaire à Vénus. Ils ont voulu que Junon, pour n'être pas plus honnête ni plus innocente que les autres déesses, fût tout ensemble et la sœur et la femme de Jupiter. Je ne sais par quelle sorte de dévotion ils se sont avisés de faire de l'air une déesse, plutôt que d'en faire un Dieu. Leurs prêtres adoucissent leurs voix comme des femmes pour l'invoquer ; ils se déguisent le visage, se rasent la barbe, cachent leur sexe sous des habits de femme. On les voit, mais on ne les voit point sans horreur, se prostituer comme des femmes dans les temples et faire gloire d'une si détestable infamie. Ils confessent leur crime et publient leur déshonneur avec joie. Ils laissent croître leurs cheveux et les ajustent à la façon des femmes, se parent comme elles et imitent leur air et leur posture. Après s'être ainsi dépouillés de leur sexe, ils invoquent leur déesse avec leurs flûtes, et étant comme remplis d'elle, ils promettent de prédire l'avenir à ceux qui sont assez simples et assez imprudents pour les écouter. Quelle est cette sorte de prodige et de monstre? Ils sont hommes et nient qu'ils le soient. Ils voudraient qu'on les prît pour des femmes, et il est aisé de voir qu'ils ne le sont point. Faisons cependant une réflexion en cet endroit pour considérer quelle peut être une divinité qui se plaît à demeurer dans un corps abandonné à la débauche, qui anime en quelque sorte des membres qui ne sont que des instruments d'incontinence, et qui reçoit des sacrifices offerts non seulement par des mains impures, mais par l'impureté même. Ayez honte de votre aveuglement, et reconnaissez que Dieu vous a fait autres que vous ne paraissez dans ces détestables cérémonies. Lorsque vous serez conduits devant le tribunal du souverain juge, il ne verra rien en vous à quoi il vous puisse reconnaître pour son ouvrage. Renoncez donc à des erreurs si déplorables et si funestes; ne profanez plus par des abominations sorties de l'enfer un corps que Dieu a formé de ses propres mains, et mettez fin à vos disgrâces pendant que le temps vous le permet. Dieu est riche en miséricorde et ne souhaite rien tant que de faire grâce: il laisse quatre-vingt-dix-neuf brebis pour en aller chercher une qui est égarée; il donne un habit neuf et fait un festin à l'enfant prodigue qui retourne en sa maison. Que la multitude de vos crimes ne vous jette point dans le désespoir! Dieu délivre, par les mérites de son fils, de la servitude du péché ceux qui veulent bien en être délivrés, et pardonne à ceux qui témoignent un sincère repentir. Pour leur pardonner, il leur demande peu de chose, puisqu'il ne leur demande que la foi et la pénitence, par lesquelles il leur est aisé de recouvrer les avantages qu'ils ont perdus en prêtant l'oreille aux pernicieux discours du démon.

IV. Les Perses, et les mages qui habitent dans la Perse, préfèrent le feu aux autres éléments. Ils font en quelque sorte deux personnes de Jupiter, le représentent sous la figure d'un homme et sous celle d'une femme, et semblent attribuer les deux sexes au feu. Pour ce qui est de la femme, ils lui donnent trois formes et lui attachent des serpents; ce qu'ils font pour imiter le diable, qui est leur maître, et pour parer la déesse des mêmes livrées. Ils adorent un homme qui avait chassé les bœufs et le révèrent sous le nom de feu, comme le prophète l'a marqué par ces paroles:

Les génisses sacrées ont mugi : célébrez la fête solennelle du père très auguste.

Ils l'appellent encore Mithra, et quand ils expliquent les cérémonies du culte qu'on lui rend, ils se cachent dans des cavernes, comme s'ils avaient peur d'être éclairés de la lumière. Religion aveugle et imposture criminelle! Vous croyez que celui dont vous avouez les crimes est un dieu! Vous qui dites que dans vos temples on célèbre les fêtes et les mystères de la manière qu'on les doit célébrer, et non à la façon des Perses, pourquoi louez-vous leur façon? Je sais ce que c'est : vous la tenez digne et des Perses et des Romains.[2]

[3]Le troisième membre de cette division semble contenir les canaux par où le plaisir coule dans les sens. C’est aussi pour cela qu'ils placent la colère dans la tête, les pensées et les desseins dans le cœur, les désirs et les passions dans le foie. Je vous prie de considérer où tend cette division et de remarquer avec combien de facilité la vérité détruit l'imposture. Si l'âme est divisible, la même division qui partage sa substance la ruine ; car autre chose est l'esprit, autre chose est la colère, et autre chose est l'amour du plaisir. Quand l'âme est divisée de la sorte, elle cesse d'être ce qu'elle était et devient caduque et mortelle. En effet il n'y a que ce qui est corporel qui puisse être divisé, et tout ce qui est corporel est aussi sujet à la mort. Ainsi, si l'Ame peut être divisée et qu'elle soit un corps, elle est mortelle. Voilà les suites et les conséquences de cette erreur; voilà l'extrémité funeste où el les conduisent.

C'est ainsi, très saints empereurs, que les éléments ont été consacrés par des hommes perdus comme des divinités. Mais il y a encore d'autres superstitions dont il est important de vous expliquer le secret, afin que vous sachiez qu'elles n'ont été inventées que pour honorer la mémoire de quelques personnes célèbres qui avaient subi la loi générale qui assujettit les hommes à la mort

V. Bacchus ou Liber fut fils de Jupiter, roi de Crète. Comme il était né hors du mariage, son père le faisait élever avec plus de soin et plus de précaution que la bienséance ne semblait le devoir permettre. Junon, femme de Jupiter, transportée de jalousie et de haine, cherchait l'occasion de se défaire de cet enfant. Jupiter, qui n'ignorait pas la mauvaise disposition, où sa femme était à cet égard, ayant un voyage à faire, confia la garde de son fils à des hommes sur la fidélité desquels il se tenait fort assuré. Junon crut alors avoir trouvé un temps fort propre pour l'exécution de son dessein ; et comme elle s'y sentait plus excitée que jamais par les ordres que Jupiter avait laissés en partant de reconnaître Bacchus, son fils, pour son successeur, elle corrompit les gardes par de grands présents, et ayant trouvé moyen d'introduire dans le palais des hommes armés que l’on appelait Titans, elle attira le jeune enfant dans le piège en lui montrant un miroir travaillé avec beaucoup d'art et d'autres petits ouvrages propres aux enfants, et le fit tuer. Les meurtriers, pour ne laisser aucune marque par où ils pussent être convaincus de leur crime, coupèrent le corps et le partagèrent entre eux. Ils couronnèrent cette cruauté par une autre plus atroce; car, comme ils appréhendaient extrêmement les effets de la colère du roi, ils firent cuire en différentes façons les membres de Bacchus et en firent un repas, auquel jusqu'en ce temps-là on n'en avait point vu encore de semblable. Minerve, sœur de Bacchus, qui avait découvert l'entreprise, se saisit du cœur, à dessein de s'en servir pour convaincre les coupables et pour apaiser la colère de son père. Il ne fut pas si tôt de retour qu'elle lui fit un récit fidèle de cette histoire tragique. L'excès de son déplaisir et la violence de sa fureur le portèrent à inventer de nouveaux supplices, qui furent des marques et de la tendresse qu'il avait eue pour son fils, et de la puissance absolue qu'il avait sur ses états. Mais parce qu'une vengeance si extraordinaire n'avait pas encore apaisé entièrement sa douleur, pour achever de se consoler, il fit faire un buste de plâtre qui représentait son fils, et fit placer en dehors sur l'estomac la figure du cœur, par lequel Minerve avait découvert et prouvé l'assassinat. Il fit ensuite élever un temple au lieu d'un tombeau, et en donna la prêtrise à Silène, qui avait été précepteur de Bacchus. Les habitants de l'île de Crète, pour tâcher d'adoucir le naturel violent et tyrannique de leur roi, firent une fête en l’honneur de son fils, et instituèrent une cérémonie qu'ils observent tous les ans et où ils imitent tout ce qui arriva à la mort de Bacchus. Ils déchirent avec les dents un taureau tout vivant, courent dans les forêts les plus désertes en jetant de grands cris, et en faisant semblant d'avoir perdu l'esprit, comme s'ils voulaient persuader par là que ce ne fut pas par un dessein prémédité, mais par une folie désespérée, que les Titans tuèrent Bacchus. Ils portent une boite qui représente celle où Minerve avait enfermé le cœur de son frère, et jouent de la flûte et des cymbales pour représenter les petits présents par lesquels Junon avait attiré Bacchus dans le piège. Voila comment le jeune prince, qui, par un effet de la haine de sa belle-mère, avait été privé du devoir ordinaire de la sépulture, reçut les honneurs divins par les suffrages d'an peuple qui ne cherchait qu'à flatter avec la dernière bassesse les passions les plus injustes de son roi.

Il y a eu un autre Bacchus au Liber, roi de Thèbes, fameux dans l'art magique. Il troubla l’esprit de quelques femmes par des enchantements et par des breuvages, et se servit ensuite d'elles pour commettre les crimes les plus atroces et les plus infâmes. Les théâtres, qui retentissent tous les jours du récit funeste de ses cruautés, ne permettent pas d'oublier les inhumanités barbares et les violences inouïes que par son commandement une mère exerça contre son fils, et des sœurs contre leur frère. Lycurgue, ayant formé contre lui une conjuration où étaient entrés quantité d'hommes fort sages et éloignés de toute sorte de débauche, le chassa de ses états. Un prince dont la volupté avait amolli le courage n'avait garde d'attendre ces vaillants hommes ni de leur livrer combat En effet sa corruption était si extrême qu'on en parle encore aujourd'hui avec horreur dans les collèges, et qu'on l'y décrit comme prostitué à l'incontinence d'autrui. Lycurgue ne se contenta pas de l'avoir chassé; il crut le devoir poursuivre à maie armée, de peur qu'il ne fût reçu dans les pays étrangers et qu'il n'en corrompit les mœurs par l'exemple de ses monstrueux débordements. Il publia donc un édit contre ce tyran, qui était le déshonneur de sa patrie, et il se mit en campagne. Alors Bacchus, pour n'être pas reconnu, jeta les marques de sa dignité, qui étaient ornées de couronnes de feuilles de vigne, et, suivi de sa lâche troupe de ministres de ses débauches, courut de coté et d'autre le long de la mer voisine avec le dernier désespoir. Il y fut trouvé au milieu d'une compagnie d'hommes et de femmes ivres de vin, et avec un reste de la pompe qui servait à ses plaisirs. Il y en avait un d'eux tout vêtu de noir; un autre qui, pour faire peur, montrait une tête de serpent; un autre qui mangeait du mouton tout cru et qui avait la bouche pleine de sang. Lycurgue commanda de précipiter Bacchus du haut d'un rocher escarpé et inaccessible, afin que son corps, en servant longtemps de jouet aux flots, servit aussi aux peuples comme de leçon et de remontrance pour les détourner du vice et pour les porter à la vertu. Homère a marqué dans ses poésies la fuite, la crainte et la mort de Bacchus.

Dyonisius épouvanté est plongé dans les flots de la mer. Thétis le reçoit tout tremblant dans son sein; car il avait été saisi d'une frayeur très vive, en se voyant ainsi traité.

Le consul romain Posthumius imita la sagesse de la conduite de Lycurgue et suivit la disposition de ses lois. Ce fut au temps qu'il était en charge, comme les annales en font foi, que le désordre des bacchanales fut découvert par un jeune homme nommé Ébutius. Les mœurs de Rome étaient encore alors toutes pures et n'avaient point été corrompues par les vices des étrangers. Aussi le sénat ne manqua-t-il pas de seconder le zèle du consul, comme le consul ne manqua pas de maintenir des lois, de l'observation desquelles il savait que dépendait uniquement le repos et le bonheur de la république. Ceux qui faisaient profession d'enseigner en secret les cérémonies de cette nouvelle superstition ayant été arrêtés et appliqués à la question, le sénat condamna au dernier supplice tous ceux qui en furent trouvés coupables, soit esclaves ou libres, jusqu'à ce qu'il n'en restât plus aucun vestige. Ce fut là sans doute une sévérité digne du nom romain, digne de l'ancienne vigueur des premiers temps de la république. Ce consul, voulant délivrer sa patrie des vices des étrangers, n'épargna pas les personnes de ses propres citoyens.

VI. L'impiété de cette fête fut suivie d'une autre toute pareille que Cérès institua pour honorer la mort de sa fille, car le regret de sa perte la porta à faire pour elle dans la ville d'Enna presque les mêmes choses que Jupiter avait faites pour Bacchus, son fils, dans l'Ile de Crète. J'en rapporterai en peu de paroles les principales circonstances. Cérès n'avait qu'une fille, que les Grecs ont appelée Perséphone, et que les Latins, en changeant quelques lettres, ont appelée Proserpine. Elle fut recherchée en mariage par plusieurs partis. Pendant que la mère s'informait d'eux avec grand soin, et avant qu'elle se fût déterminée ni déclarée en faveur d'aucun, un homme de la campagne, qui pour ses grands biens avait été surnommé Pluton, c'est-à-dire riche, se sentant transporté par la violence de sa passion, la trouva proche du lac de Percus et l'enleva. Ce lac est proche de la ville d'Enna. Les fleurs qui se succèdent dans tout le cours de l'année et qui parent ses bords l’une après l'autre le rendent extrêmement agréable. Là on voit s'élever la tige de l'hyacinthe, paraître la tête du narcisse et éclater les vives couleurs de la rose. Là le lierre blanc rampe doucement sur la terre; la violette s'y joint à la marjolaine, et les lis ne manquent pas de faire éclater leur blancheur. Enfin c'est un lieu qui a tous les attraits et tous les charmes qui peuvent attirer et retenir de jeunes gens. Pluton, y ayant rencontré un soir Proserpine, la mit sur un char et l'enleva. Ce fut en vain qu'elle déchira ses habits, qu'elle arracha ses cheveux et qu'elle se servit de ses ongles pour se défendre des caresses de son amant. Toute sa résistance ni tous les cris de ses compagnes ne la purent garantir. Comme personne ne sortait de la ville à leur secours, une d'entre elles, poussée par sa propre crainte, alla fort vite en porter la nouvelle à Cérès. À l'heure même elle mena des gens armés contre Pluton, qui, ayant reconnu leur nombre et ne consultant que son désespoir, tourna son char vers le lac, qui était alors fort profond, et s'abîma dans ses gouffres avec Proserpine en présence de sa mère. Les habitants d'Enna, pour donner quelque consolation à cette mère désolée, feignirent que le roi des enfers avait enlevé sa fille ; et, pour faire recevoir cette fable, ils ajoutèrent que le char était sorti du lac par une embouchure qui paraissait proche de Syracuse. Ils contribuèrent de leurs biens pour élever un temple en l'honneur de Proserpine et de son amant, et pour y célébrer une fête chaque année. Mais la douleur dont Cérès était pénétrée ne put pas être adoucie par ces moyens extraordinaires que l'on employait pour honorer la mémoire de sa fille. Elle se laissa persuader qu'on l'avait vue aux environs de Syracuse, et elle s'y rendit avec Triptolème, son trésorier, et une pompe qui ne marquait que trop sa douleur. Elle ne manqua pas d'y trouver des gens qui entretinrent sa crédulité par leurs superstitions. Un certain Pandare lui jura qu'il l'avait vue monter sur un vaisseau avec son amant près du cap Pachynum. Elle crut que cela était vrai, parce qu'elle le souhaitait, et récompensa fort libéralement ceux qui lui avaient annoncé une si heureuse nouvelle. Les habitants de Syracuse, et pour lui témoigner leur reconnaissance, et pour la consoler de son affliction, consacrèrent l'enlèvement de sa fille, et, non contents de lui rendre les devoirs ordinaires que l’on rend aux morts, lui bâtirent un temple comme à une divinité. Mais la mère, qui ne trouvait du soulagement que dans la vaine espérance de la vie de sa fille, dont elle flattait sa douleur, monta sur un vaisseau pour Palier chercher dans les pays étrangers. Après qu'elle eut longtemps servi de jouet aux vagues, elle fut enfin jetée par leur violence au port d'Athènes. Les habitants l'accueillirent fort civilement, et reçurent d'elle du blé, qui était pour eux un présent nouveau, et dont jusque alors ils n'avaient point de connaissance. Le lieu où elle aborda fut appelé Eleusis, c'est-à-dire arrivée. Quand elle fut morte, le pays lui rendit, ainsi qu'à sa fille, des honneurs divins, pour le blé qu'elle leur avait distribué en arrivant, et pour l'avantage qu'ils tiraient du soin qu'elle avait pris de leur enseigner fart de labourer la terre, de semer et de recueillir les grains.

C’est ainsi que les Grecs, qui sont des esprits vains et légers, ont eu la présomption d'attribuer des honneurs divins à ceux qui leur avaient procuré du bien et qui les avaient assistés soit de leurs conseils ou de leurs armes. C’est ainsi que la ville de Nysa a placé Bacchus dans le ciel ; c'est ainsi que celle de Sparte y a placé les fils de Léda changés en deux astres ; c'est ainsi que le mont Oeta consacra autrefois Hercule, et que l'île de Crète fait encore aujourd'hui des vœux au tombeau de Jupiter. Mais, ô très saints empereurs, l'insolence de l'erreur est montée à un plus haut point au sujet de Bacchus et de Proserpine, quand elle a prétendu que l'un était le soleil et que l'autre était la lune. Il n'y eut jamais de fiction si vaine ni si aisée à détruire; car qui est-ce qui a jamais vu le soleil enfant? Qui est-ce qui l'a jamais trompé quand il était en bas âge. Qui est-ce qui l'a tué, qui l'a mis en pièces, et qui a coupé ses membres pour les manger? Qui est-ce qui a enlevé Proserpine, qui l'a cachée et qui l'a fait épouser à Pluton? Il est vrai que, pour déguiser en quelque sorte cette erreur, ils la couvrent du voile d'une raison naturelle, en disant qu'ils adorent un esprit qui est divisé et un esprit qui ne l'est point. Mais je voudrais bien leur demander pourquoi ils mêlent des obsèques à la physique, et quel rapport ils trouvent entre les ouvrages de Dieu et l'horreur des meurtres dont ils les profanent. Pourquoi joindre les accidents les plus étrangers, le deuil le plus triste et les disgrâces les plus funestes aux cieux et aux astres auxquels Dieu a donné un cours si juste et un mouvement si réglé? Quel fruit peut-on tirer de confondre ainsi le ciel et la terre, la lumière et les ténèbres, les choses profanes et les choses sacrées, les afflictions et les douleurs des hommes et les honneurs et la félicité des dieux? Si le soleil assemblait tous les hommes et qu'il leur fit le discours qui suit, il les jetterait sans doute dans un étonnement qui approcherait du désespoir. « O hommes, qui, bien que vous ne soyez que faiblesse, ne cessez pas de vous soulever incessamment contre la divine puissance, par quelle erreur et par quelle passion avez-vous été si fort enchantés que vous prétendiez qu'il ne dépend que de votre caprice de me faire tantôt vivre et tantôt mourir? L'extravagance de vos fictions devrait au moins se renfermer dans quelques bornes et ne me point faire le dernier outrage. Cependant le même aveuglement qui vous jette dans le précipice me couvre de confusion, et l'égarement qui vous conduit à la mort fait mon déshonneur. Quelques-uns d'entre vous soutiennent opiniâtrement que j'ai été abîmé dans les gouffres du Nil ; d'autres pleurent la perte qu'ils veulent que j'aie faite des parties sexuelles. D'autres veulent que j'aie fini ma vie par une mort cruelle, que l’on ait fait cuire dans une chaudière une partie de mon corps et que l'on ait mis l'autre à la broche. Ceux qui me font le traitement le plus doux, ou le moins injurieux, veulent que je sois un conducteur de chariots. Renoncez à ces erreurs extravagantes qui ne vous peuvent conduire qu'à une mort éternelle, et apprenez la vérité, de laquelle vous devez attendre votre salut. Ceux qui ont inventé ou reçu ces fables sont les ennemis de Dieu, et ceux qui ont déshonoré les choses saintes par le mélange de leurs imaginations profanes en seront punis d'un châtiment dont la rigueur égalera l'excès de leur impiété. Pleurez, si vous voulez, les morts, vous qui mourrez un jour de la même sorte. Cherchez quelque autre moyen que le sacrilège pour consoler vos peines dans leur affliction. Pleurez la perte de Bacchus, de Proserpine, d'Atis et d'Osiris; mais pleurez la sans me faire injure, sans me mener sur leurs tombeaux et sur leurs cendres, sans abuser de mon nom pour entretenir la superstition et l’erreur. Dieu m'a fait pour éclairer l'univers, ne m'ôtez point cet emploi qu'il m'a donné. Ne me partagez et ne me déchirez point selon la bizarrerie de vos passions et de vos caprices. Croyez-moi tel que vous me voyez, et n'en pensez rien autre chose, sinon que je suis inviolablement les ordres du mon créateur. Il n'y a qu'une chose que Dieu souhaite de vous et qui puisse vous sauver, qui est que vous écoutiez sa parole et que vous fermiez l'oreille au mensonge. » Voila, très saints empereurs, le discours que j'ai cru que l'on pouvait faire sous le nom du soleil pour l'instruction des païens. J'emploierai maintenant pour les convaincre le langage des livres sacrés et leur parlerai en ces termes : Si ceux que vous adorez sont des dieux, pourquoi les pleurez-vous? et s'ils méritent d'être pleurés, pourquoi les adorez-vous comme des dieux? S'ils sont des dieux, cessez de les pleurer ; s'ils sont des hommes, cessez de les adorer. Vos regrets et vos pleurs ne peuvent que déshonorer la majesté divine. Mais comme les esprits qui ont eu le malheur d'être assujettis à l'empire des passions criminelles n'en peuvent être délivrés sans beaucoup de peines, je continuerai à découvrir les mystères profanes de l'impiété païenne, afin que Dieu ait la bonté de relever, par les mérites de son Fils, ceux qui sont tombés, de rappeler ceux qui le fuient, d'affermir ceux qui chancellent, de remettre dans le chemin ceux qui s'égarent et de rendre la vie aux morts.

VII. Dans quelques villes d'Orient on pleure Adonis en qualité de mari de Vénus, et on y montre sa blessure et celui qui la lui fit. Cette dangereuse superstition est passée jusqu'en notre pays. Mars, changé en sanglier, voulut se rendre maître de Vénus et blessa Adonis qui courait indiscrètement contre lui. Si Adonis était dieu, comment ne voyait-il pas le piège que lui tendait son rival? S'il n'était qu'un homme, comment était-il si imprudent que de s'engager dans un combat inégal? Mais j'apprends que Vénus avait un autre mari, et il me semble que les païens l'appelaient Vulcain. Que les opinions dont ils se sont laissés prévenir sont ridicules! L'amant de Vénus est pris par un de ses maris et surmonte l'autre. Mais considérez, je vous prie, de quoi s'est avisé cet amant, de prendre la forme d'un porc sauvage pour combattre Adonis. S'il avait le pouvoir de se venger de la sorte, il devait plutôt se changer en lion. Mais ceux qui ont étudié le naturel des animaux disent qu'avec toute sa férocité il garde quelque sorte de continence. C’est pourquoi Mars, qui attentait à l'honneur d'une femme mariée, devait moins prendre la forme d'un lion que celle d'un porc. Je révélerai en cet endroit un secret de l'Évangile. Le Sauveur, ayant chassé les démons des corps qu'ils possédaient, leur permit d'entrer dans un troupeau de porcs, afin que, étant précipités du haut des rochers dans la mer, ils portassent avec ces vilains animaux la peine de leur impureté.

J'apprends que Cinyras éleva un temple dam l'île de Cypre, en l'honneur de sa traîtresse, nommée Vénus, et qu'il ordonna que ceux qui voudraient être initiés à ce mystère donneraient une pièce de monnaie à Vénus. On n'entend que trop ce mystère, quoique la pudeur empêche de l'expliquer. Cinyras observait exactement comme un homme fort galant, les règlements des lieux consacrés à l'incontinence, quand il ordonnait que les prêtres de Vénus lui mettraient dans la main une pièce comme à une courtisane.

VIII. Ceux qui adorent le Jupiter Sébasius font couler un serpent le long de leur sein. C'est ainsi que l'ancienne erreur qui, dès le commencement, a introduit le péché continue à se répandre. C'est ainsi que les hommes sont assez aveugles pour adorer l'auteur de leur perte, et consacrer la malignité artificieuse et cruelle du pernicieux serpent, dont le funeste poison a corrompu toute la nature. Les fêtes des corybantes semblent n'avoir été instituées que pour honorer le parricide; car deux frères ayant tué leur autre frère le consacrèrent au pied du mont Olympe, à dessein de cacher leur crime en cachant sa mort. Et celui que les Macédoniens se laissèrent follement persuader d'adorer, c'est Cabire tout sanglant que les habitants de Thessalonique priaient autrefois, ayant eux-mêmes les mains toutes sanglantes. Considérons un peu quelle peut être une divinité qui n'a été inventée que pour autoriser la fureur des parricides. C'est pourquoi ceux qui approuvent ces superstitions et qui observent ces fêtes ne cherchent qu'à soutenir leurs dérèglements, et ne souhaitent rien avec une ardeur si excessive que d'avoir une licence égale à celle que leurs dieux ont prise et de jouir des mêmes plaisirs. Ceux qui se plaisent à attenter à la pudicité des femmes mariées se proposent Jupiter pour leur modèle, et trouvent dans ses actions de quoi justifier leurs débordements. Ils le louent et l'admirent d'avoir trompé Léda sous la forme d'un cygne, d'avoir enlevé Europe sous la forme d'un taureau, d'avoir séduit Antiope sous celle d'un satyre, d'avoir corrompu Danaé par la quantité de l'or qu'il lui versa dans le sein. Ceux qui sont frappés de cette passion abominable, qui fait outrage et horreur à la nature, regardent avec une joie incroyable Jupiter tenant Ganymède entre ses bras, Hercule brûlant pour Hylas, et Apollon languissant pour Hyacinthe. D'autres étudient la vie de Chrysippe et de Pélops à dessein de procurer par leur moyen l'impunité à des crimes contre lesquels les lois romaines ont établi des supplices. Il est malaisé de faire le dénombrement de toutes les débauches des dieux. Qui a corrompu Amymome, Alope, Ménalippe, Chione, Hippothoé? On dit que ç'a été votre dieu. Ce dieu, qui oppose comme une forte digue la sainteté de ses oracles et la sévérité de ses préceptes au cours impétueux des crimes des hommes, est le même qui aime Stérope, qui enlève Éthuse, qui viole Zeuxippe, qui poursuit Prothée, et qui tend des pièges à la vertu d'Arsinoé. Mais, parmi tant de femmes qui servirent de victimes à son incontinence, il y eut une fille qui lui échappa. Ce fut Daphné, qui se cacha si bien que ce dieu, qui sait tout et qui prédit l'avenir, ne la put trouver.

Ceux qui sont assez infâmes pour se prostituer à l'incontinence d'autrui, et qui trouvent dans cette prostitution une honteuse consolation à la faiblesse où leurs débauches les ont réduits, n'ont qu'à regarder Bacchus qui, pour ne pas manquer à la promesse qu'il avait faite à son amant durant sa vie, lui donna après sa mort l'ombre d'une jouissance sur son tombeau.[4] S'il y a quelqu'un assez désespéré pour vouloir ôter la vie à celui de qui il l'a reçue, il n'a qu'à suivre l'exemple que Jupiter lui en donne. Ceux qui veulent répandre le sang de leurs frères n'ont qu'à imiter les corybantes. Ceux qui méditent des incestes en trouvent encore l'exemple dans Jupiter, puisqu'il connut sa mère, qu'il épousa sa sœur et qu'il tenta la pudicité de sa fille. Ceux qui ont dessein d'opprimer les faibles trouveront dans le traitement qu'Apollon fit à Marsyas l'image de leur injustice. Ceux qui brûlent d'envie de s'enrichir du bien d'autrui, et qui ôtent la vie aux riches pour prendre après cela leur bien, n'ont qu'à s'informer de quelle manière Hercule tua Géryon et emmena ses bœufs. Ceux qu'une fureur aveugle porte à répandre le sang n'ont qu'à voir les sanglants exploits du dieu de la guerre. Enfin il n'y a presque point de crime où l'exemple et l'autorité des dieux ne puissent engager les hommes. Si quelqu'un souhaite d'apprendre ce qu'il y a de plus fort pour vaincre la résistance d'une fille et pour l'engager à aimer, il n'a qu'à songer à l'or que Jupiter jeta dans le sein de Danaé. Les traîtres apprennent à livrer les places qu'on leur a confiées de ceux qui mirent Saturne entre les mains de son nid. L'histoire des aventures de Tantale est une leçon qui enseigne à violer les droits de l'hospitalité, et à rompre le nœud de l'amitié la plus sainte. Triste consolation des injustes passions! malheureuse étude des pernicieux exemples! déplorable passion des faibles esprits! Vous avez fait du ciel un théâtre où se jouent de cruelles tragédies, et où la représentation des exploits héroïques des dieux précipite les hommes dans les crimes les plus atroces. Mais cependant, dans un aveu si public des plus horribles débordements, et dans une licence si absolue et si puissamment établie, nous sommes fort obligés à ceux qui nous ont raconté les amertumes et les disgrâces des dieux, et qui nous ont appris des vérités si désavantageuses au parti qu'ils soutenaient. On a trouvé parmi les anciens, et avant que le Sauveur eût éclairé le monde de sa lumière, quelques traces de vertu. On y a vu un Diomède qui, étant sage et modéré, a blessé Vénus et dompté Mars. Ce Mars, si redoutable par sa valeur, y a paru condamné au bannissement et chargé de chaînes, par l'ordre d'Otus et d'Ephialte. Jupiter y pleure la mort de Sarpédon, son fils, tué au siège de Troie. Neptune y est privé, par l'orgueil injuste d'un roi, de la récompense qui lui était due pour avoir fermé une ville de murailles. Apollon y est réduit à mener paître les troupeaux d'un autre roi. Le Soleil, qui voit tout, ne voit pas qu'on lui tue ses bœufs, et ne l'apprend que par le rapport d'autrui. Sparte donne la sépulture à Castor et à Pollux. Le mont Œta porte le bûcher d'Hercule. Esculape est frappé de la foudre. Vulcain est précipité par son père et se démet le pied par sa chute. Bacchus est mis en fuite par Lycurgue. Vénus est surprise en adultère, et après avoir eu un dieu pour époux, elle oublie assez sa dignité pour se marier à Anchise, qui n'était qu'un homme. Saturne mange ses propres enfants, de peur qu'ils n'usurpent sa puissance. L'un d'eux s'étant enfui de Crète, est reçu et caché en Italie. Junon est dédaignée pour l'amour d’un bel adolescent. La Lune recherche Endymion. Jupiter, qui, contre la volonté de sa femme et de sa fille, voulait aller au secours des Troyens, est trompé et endormi. Que la confession de tant de misères est honteuse, et que le service que l'on rend à des divinités faites de la sorte, est dur et cruel! Cependant ce culte est commandé, sous peine du dernier supplice, par des édits sacrilèges et tyranniques, à des personnes dont la piété n'adore que le vrai Dieu. Changez vos temples en théâtres pour y publier vos mystères : et afin qu'il ne manque rien à votre impiété, faites que les acteurs en soient les prêtres. Jamais il n'y eut de lieu si propre aux cérémonies de votre religion. Qu'une vile populace y chante les amours, les infortunes et la mort de vos dieux. C'est là où des femmes perdues apprendront, bien mieux qu'ailleurs, de la bouche de leurs docteurs impies, à renoncer à toute sorte d'honnêteté et de pudeur.

IX. Permettez-moi maintenant, très saints empereurs, de vous montrer l'origine du culte que l'on rend au dieu de la ville d'Alexandrie, et souffrez qu'une voix aussi faible que la mienne rappelle les hommes de leur égarement et leur découvre la vérité. Joseph, fils du patriarche Jacob, ayant expliqué le songe du roi d'Egypte et prédit la stérilité et la famine dont ce royaume devait être affligé, fut non seulement tiré de la prison où il n'avait été mis que par l'effet d'une calomnieuse accusation et en haine de sa vertu, mais il fut encore associé au gouvernement de l'État. Il servit comme de main à la Providence pour recueillir les grains de sept années abondantes, pour les serrer et pour les destiner à subvenir à la stérilité des sept autres qui les suivirent Après sa mort, les Égyptiens lui élevèrent des temples à la façon de leur pays, et pour faire connaître à leurs descendais l'équité avec laquelle il avait distribué le blé à ceux qui en avaient besoin, ils mirent une mesure sur sa tête. Pour rendre sa mémoire plus vénérable à la postérité, ils l'appelèrent Sérapis, du nom de Sara sa bisaïeule, qui, par une faveur singulière, avait eu Isaac à l'âge de quatre-vingt dix ans. Mais ce culte-là ne lui fut rendu que contre son inclination et après sa mort, car un homme, rempli d'une piété aussi solide et aussi absolument dévoué au service du vrai Dieu, n'aurait eu garde d'entretenir dans l'esprit des peuples la superstition, qu'il savait être si rigoureusement condamnée par les lois divines. Cependant son nom est révéré et adoré en Egypte, son image est soigneusement conservée par les ministres des temples, les honneurs que l'antiquité lui a décernés pour reconnaître son intégrité et sa prudence, lui sont rendus avec un empressement extraordinaire par les peuples. Les démons sont attirés vers son image par les sacrifices que l'on offre continuellement devant elle, comme ils sont attirés vers les autres; car le sang et l'âme des victimes ne sert à rien autre chose qu'à nourrir les démons, qui sont les enfants du diable. Porphyre, qui a défendu la philosophie des stoïciens, et qui en plusieurs endroits de ses ouvrages s'est déclaré ennemi de Dieu et de la vérité, nous a découvert le secret de l'impiété païenne. En publiant, dans le livre qu'il a écrit sur la Philosophe des bénédictions, la grandeur et la puissance de Sérapis, il reconnaît sa petitesse et sa faiblesse ; car, dès le commencement, il confesse franchement que ce dieu, ayant été évoqué et attiré dans le corps d'un homme, y répondit sur ce que l'on lui demandait. Je demanderais volontiers à ces hommes qui s'égarent et qui se perdent hors du chemin du salut, qui est le plus grand, ou celui qui est évoqué et appelé, ou celui qui l'appelle et qui le contraint d'obéir, et qui l'enferme dans un corps. Porphyre, nous vous sommes fort obligés de ce que vous nous avez expliqué quelle est la nature, de vos dieux, et de ce que vous nous avez appris la manière par laquelle ils sont assujettis à la voix et à l'empire des hommes. Un homme commande à Sérapis de le venir trouver, Sérapis défère à ce commandement. Quand il est venu, on renferme dans un corps et on l'oblige de déclarer ce qu'il voudrait peut-être bien tenir secret. C’est à peu près ainsi que, dans notre religion, vos dieux sont punis par la force de nos paroles, lorsqu'ils ont commencé à tourmenter les corps qu'ils possèdent. La parole de Dieu, qui sort de la bouche d'un chrétien, est comme un feu qui les brûle ; et au temps même que vous leur rendez un souverain culte, nous leur faisons souffrir les derniers supplices.

X. J'expliquerai maintenant ce que c'est que les pénates, de peur que l'on ne m'accuse d'avoir oublié quelque chose. Ceux qui sont persuadés que la vie consiste dans le plaisir du boire et du manger ont choisi des dieux conformes à une passion aussi grossière et aussi basse que celle-là, et ces dieux sont les mets qu'ils préparent et qu'ils prennent chaque jour, et d'où ils s'imaginent que dépend la conservation de leur santé et de leurs forces. Mais en cela ils montrent bien qu'ils ne sont point instruits de la vérité et qu'ils n'ont point entendu parler de l'oracle que le Sauveur prononça contre le démon, au temps du combat qu'il lui donna pour arracher les hommes d'entre ses mains et pour les mettre en liberté. Car cet esprit impur lui ayant dit : « Si vous êtes le fils de Dieu, commandez que ces pierres deviennent des pains, » le Seigneur lui répondit : « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.[5] » C’est donc pour n'avoir pas su quelle est la véritable nourriture de l'homme que les païens ont fait des dieux une nourriture ordinaire. Car on appelle en latin penus toutes les provisions que l'on serre et que l'on garde pour s'en nourrir dans la saison, et c'est de cette misérable nécessité où nous sommes de chercher des aliments pour soutenir notre santé et nos forces, que l'aveuglement et l'impiété des païens ont pris occasion de faire leurs dieux pénates.

XI. Permettez-moi, s'il vous plaît, de vous dire aussi ce que c'est que Vesta, de peur que vous ne croyiez que ce soit quelque chose de fort ancien et de fort terrible. Ce n'est rien autre chose que le feu de nos maisons et qui nous sert chaque jour à divers usages. Il ne doit donc avoir que les cuisiniers pour prêtres, et non de pauvres filles, qui, ou en négligeant de l'entretenir succombent à leur propre faiblesse, ou en persévérant dans leur profession, renoncent au plus grand honneur de leur sexe, qui est celui d'être mère.

Voulez-vous apprendre après cela ce que c'est que le Palladium? C’est une image faite des ossements de Pélops, et fabriqué, à ce que l'on dit, par un Scythe. Considérez, je vous prie, si une nation aussi farouche, aussi cruelle, aussi barbare et aussi inhumaine que celle-là, a été capable d'inventer quelque chose de raisonnable en matière de religion. Ce Scythe grossier et avare vendit cette image aux Troyens, qui furent assez simples et assez imprudents pour ajouter foi à ses paroles. Ils rachetèrent par intérêt et par l'espérance du profit, et après l'avoir vue exposée en vente et mise à l'enchère, ils lui rendirent un souverain culte et lui adressèrent des prières. Si vous regardez la matière de cette image, ce n'est qu'un os de Pélops. Si l'on voulait que les hommes s'abaissassent jusqu'à adorer ces misérables dépouilles que la mort semble épargner dans les hommes, il en fallait au moins choisir un dont la vie eût été honnête et sainte, et dont les vertus eussent donné quelque recommandation au dieu que l'on avait fait avec ses reliques. Mais Pélops avait été longtemps prostitué dans sa jeunesse à l'incontinence d'autrui, et dans un âge mûr n'avait pas mené une vie moins infâme ni moins criminelle. Il tua par trahison celui dont il recherchait la fille en mariage, et, pour ne pas donner au traître dont il s'était servi la récompense qu'il lui avait promise, il le jeta dans un précipice. Voilà quel fut, durant sa vie, celui dont, après sa mort, on choisit les ossements pour en faire une divinité, de laquelle dépendit la conservation et le salut des villes et des provinces, des royaumes et des États. Cette divinité n'a de rien servi aux villes qui ont attendu sa protection, et leur désolation et leur ruine sont un préjugé certain de ce qu'elle doit attendre elle-même. Troie a été brûlée par les Grecs et Rome par les Gaulois. L'image de Pallas a été sauvée de ces deux embrasements, et l'a été non par sa propre puissance, mais par le secours des hommes ; sans eux elle aurait été réduite en cendres. Mais, si elle a été garantie du feu, elle ne l'a été que pour un temps ; elle y est condamnée, c'est un supplice qu'elle ne saurait éviter. Ce feu de la colère de Dieu s'allume et menace les pécheurs d'une terrible vengeance. Ce feu n'épargnera pas l'image de Pallas, puisqu'il pénétrera tout ce qu'il y a de plus caché, et qu'il consumera toutes les idoles que les fausses opinions et les vaines erreurs auront élevées, « Le jour du Seigneur, dit un prophète, viendra comme un four ardent.[6] » Je viens de dire ce qui sera brûlé par la chaleur de ce jour. Il n'y a rien dans vous qui en puisse échapper ni qui puisse être gardé dans les greniers du Seigneur. Vous serez emportés comme une paille sèche et légère que la flamme réduit en flammèches. Voila quelle sera la fin de votre vie et le châtiment que Dieu vous a préparé, pour avoir, contre ses intentions et contre ses ordres, abusé de la crédulité des peuples.

Je suis bien aise d'examiner avec soin de quelle Pallas était l'image qui avait été faite des ossements de Pélops. Il est certain qu'il y a eu plusieurs Pallas ou plusieurs Minerves, et personne ne le révoque en doute. Parlons donc de la race, de la naissance, de l'éducation, de la condition de chacune en particulier, afin de pouvoir discerner celle au nom de laquelle fut consacrée l'image dont il est question. L'antiquité fait mention de cinq Minerves. La première fut fille de Vulcain, et ce fut celle qui fonda Athènes, et qui, ayant assemblé une troupe de paysans, les accoutuma à une manière de vivre plus polie et plus civile. La seconde fut d'Egypte, fille du roi Nilus, et ce fut elle qui inventa l'art de faire des étoffes. La troisième fut fille de Saturne ; mais ce fut une fille qui avait quelque chose de mâle, et qui, au lieu de se contenir dans les bornes que la pudeur a prescrites a son sexe, ne se plaisait qu'au milieu du brait des armes et des périls des combats. La quatrième fut fille de Jupiter, roi de Crète, et ce fut elle qui lui découvrit de quelle sorte Bacchus avait été tué. La cinquième fut fille de Pallante et de Tritonis. On lui donna le nom de son père; mais elle le tua par le transport d'une fureur parricide, et, non contente de l'avoir tué, elle se para de ses dépouilles, comme à dessein de jouir longtemps du fruit de son crime, et d'en faire un sujet de vanité et de triomphe ; c’est celle-là qui a donné son nom au Palladium ; c'est celle-là dont l'image est consacrée ; c'est elle qui, au lieu de recevoir par l'autorité du juge le châtiment du à l'éternité de ses crimes, reçoit par les lois du souverain pontife un culte divin. Ayez soin d'apporter du bois pour entretenir le feu qui brûle sur son autel, et ne cessez jamais de lui offrir vos sacrifiées; mais que ce feu, au lieu de consacrer sa gloire, fasse son supplice, et qu'il précède celui auquel elle sera un jour condamnée par l'arrêt irrévocable de la justice divine.

XII. Ce que je viens de dire fait voir clairement, si je ne me trompe, très saints empereurs, que tes édifices que les peuples réduits sous la servitude de la superstition ont bâtis, ne sont point des temples consacrés à la gloire du vrai Dieu, mais que ce sont des tombeaux dressés pour honorer la mémoire de certains hommes noircis de crimes. C'est là où l'erreur et l'impiété conservent les misérables restes de leurs corps, où la cruauté de leur mort est renouvelée par l'immolation des victimes, où la douleur que le temps avait assoupie est réveillée par les cérémonies qui s'observent tous les ans, et où un culte qui a quelque apparence de religion est une leçon publique d'inceste et de parricide.

Je vous supplie très humblement, très saints empereurs, de me permettre de vous représenter l'obligation indispensable où vous êtes d'abolir entièrement ces abominations et d'employer pour cet effet toute la rigueur des lois. Ne permettez pas que ces erreurs si pernicieuses et si funestes se répandent plus longtemps dans l'étendue de l'empire, ni qu'elles soient cause de la perte d'un si grand nombre de vos sujets. Je sais bien qu'il y eu a quelques-uns qui sont assez aveuglés et assez endurcis pour vouloir périr et pour ne vouloir souffrir que l'on les sauve. Mais ne laissez pas de les assister malgré qu'ils en aient, et soyez persuadés que le meilleur usage que vous puissiez faire de la puissance que Dieu vous a mise entre les mains est de tâcher de guérir ces désespérés qui refusent les remèdes qu'on leur présente. Comme nous savons combien leur opiniâtreté leur serait funeste et combien le châtiment qu'ils en souffriraient est sévère, il vaut mieux les en garantir contre leur propre inclination que de leur laisser la liberté de se perdre. Il y a des malades qui souhaitent tout ce qui est le plus contraire à la santé et qui fiant tout ce qui est le plus capable de les empêcher de la recouvrer. C’est pour eux qu'il n'est pas permis d'avoir de la douceur. Il faut les contraindre de prendre les remèdes les plus amers, et si leur mal s'aigrit contre ces remèdes, il faut employer le fer et le feu. Quand ils auront été guéris et qu'ils auront la liberté de leur jugement, ils reconnaîtront combien la rigueur dont on aura usé envers eux leur aura été salutaire.

XIII. Permettez-moi, très saints empereurs, de vous expliquer les raisons des noms que les païens ont donnés à quelques-uns de leurs dieux. Ils ont appelé soleil l'astre qui, par l'ordre de Dieu, ramène le jour sur chaque hémisphère. Ce n'est pas parce qu'il est seul qu'ils l'ont ainsi appelé, car en effet il n'est pas seul dans le ciel. La lune y est aussi bien que lui, les étoiles fixes et les planètes. Mais c'est à cause que, quand il se lève, il efface la lumière des autres astres et éclaire seul la terre. Ils ont appelé la lune Lucine, à cause de la lumière qu'elle répand durant la nuit. D'autres l'ont aussi appelée Diane, à cause que cette lumière semble faire de la nuit un jour, Le nom de Neptune, qu'ils ont donné au dieu des eaux, est un nom qui marque qu'il nage. Ils ont cru que le mot de Dis, qui signifie les richesses, était un mot fort propre pour exprimer la nature de la terre, parce qu'elle reçoit dans son sein toutes sortes de biens et qu'elle les en fait ensuite sortir, ce qui montre, plus qu'aucune autre chose, ses richesses et son abondance. Ou a appelé la substance des biens et des fruits de la terre Proserpine, à cause qu'ils servent aux hommes aussitôt qu'ils ont été serrés. La terre même a été nommée Cérès, parce que l'on y sème les grains. Le dieu de la guerre a été appelé Mavors, à cause qu'il renverse les plus grandes choses. Le nom de Minerve, est un autre nom de guerre, et il signifie ou qu'elle diminue les forces, ou qu'elle menace. Le nom de Vénus marque l'agrément et la beauté des personnes. Le nom d'Apollon vient de ce qu'il perd tout ce qu'il a, car ἀπολλεῖν en grec signifie perdre. Quelques-uns ont donné le même nom au soleil à cause qu'il perd sa lumière quand il approche de son couchant.

Vous voyez par là que vos dieux ne sont que des ouvrages et des inventions de mensonge et de l'imposture, et que leurs noms et leurs figures ne leur viennent que de la superstition et de l’ignorance des peuples. La vérité commence à paraître et à dissiper l'erreur. Ces fictions mal digérées imprimèrent d'abord de la terreur dans les âmes faibles. Mais, quand elles eurent perdu la grâce qui accompagne presque toujours la nouveauté, elles n'imposèrent plus si fort qu'auparavant, et l'admiration qu'on avait eue pour elles se changea peu à peu en mépris. On eut la hardiesse d'examiner des mystères que l'on avait reçus sans les connaître, et en les examinant on en découvrit la fausseté. On s'aperçut d'abord de la vanité de la religion païenne, puis on la méprisa, et enfin on la rejeta absolument.

XIV. Je ne crois pas devoir omettre les signes et les marques extérieures qui sont reçues dans ces misérables sectes peur discerner ceux qui font profession d'une même superstition. Ils ont leurs mots et leurs réponses qui leur sont enseignées par le démon. Il y a un temple où ceux qui veulent être admis disent : « J'ai mangé sur un tambour, j'ai bu dans une cymbale, et j'ai appris le secret de la religion. » Misérables que vous êtes, quand vous parlez de la sorte, vous confessez que vous avez commis un grand crime, que vous avez pris un poison qui portera la mort dans vos entrailles. Il y a une autre nourriture qui répare les forces, qui guérit les langueurs, qui détourne de l'égarement, qui met dans le bon chemin, qui relève de la chute, qui donne le salut et la vie, et qui réconcilie avec Dieu. Cherchez le pain et le vin du Sauveur. Cette nourriture céleste vous communiquera l’immortalité et vous donnera du dégoût pour toutes les nourritures de la terre. C’est à prendre cette nourriture que la sagesse invite les hommes, quand elle leur crie par la bouche de Salomon: «Venez, manger de mon pain et buvez du vin que je vous ai préparé[7] ». Ce fut la même que Melchisédech, roi de Salem et grand prêtre, présenta autrefois à Abraham. Ce fut la même qu'Isaac promit à Jacob lorsqu'il lui donna sa bénédiction. Comme Esaü suppliait son père de lui faire la même grâce, il lui répondit en ces termes ; « J'ai établi Jacob votre frère comme votre seigneur au-dessus de vous, pour vous commander, et j'ai assujetti tous ses frères à son obéissance. Je l'ai affermi par le pain et par le vin?[8] » Et Esaü, voyant qu'il avait été privé de la grâce du pain et du vin, commença à déplorer son malheur.

L'Esprit-Saint déclare par la bouche d'Isaïe que ce pain céleste sera donné à ceux qui seront consacrés au service de Dieu : « Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Mes serviteurs mangeront, et vous serez dans la faim. Mes serviteurs se réjouiront, et vous serez couverts de confusion. Le Seigneur Dieu vous fera périr. »

Les impies et les sacrilèges ne seront pas seulement privés de ce pain céleste, mais ils seront condamnés à une mort et à une peine éternelles. Voici comment l'Esprit-Saint en parle dans les psaumes : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux[9] » Le pain céleste est doux, apaise la faim et chasse toutes sortes de poisons. Les paroles qui suivent expliquent encore plus clairement celte vérité. « Vous, ô saints du Seigneur, vivez dans la crainte, car rien ne manque à ceux qui le craignent. Les riches sont tombés dans la nécessité et dans la faim; mais ceux qui cherchent le Seigneur ne manqueront d'aucun bien. »

Vous qui paraissez superbement vêtus dans vos temples, qui brillez de l'éclat de la pourpre et qui avez la couronne sur la tête, vous êtes menacés d'une pauvreté dont la honte et la misère sera la juste punition de vos égarements et de vos erreurs. Celui au contraire que vous méprisez sera dans l'abondance et dans le repos qu'Abraham lui prépare. Vous lui demanderez une goutte d'eau pour tempérer tant soit peu l'ardeur de la flamme dont votre conscience criminelle et malheureuse sera tourmentée, et il ne pourra vous accorder ni vous obtenir ce léger soulagement. Alors les récompenses et les châtiments seront dispensés à l'un et à l'autre avec une parfaite équité. La vie éternelle sera donnée à l'un pour couronner la patience avec laquelle il aura supporté les afflictions qui lui seront survenues, et un supplice éternel sera préparé à l'autre pour punir l'avidité avec laquelle il aura recherché les plaisirs empoisonnés du siècle.

Au reste, le Seigneur a eu la bonté de déclarer en termes précis quel est ce pain qui délivre de la mort, de peur que notre espérance ne fit trompée par des interprétations peu fidèles. Voici donc ce qu'il dit dans l'Évangile de saint Jean : « Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura point de faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais de soif. » Il explique la même vérité dans la suite par ces autres paroles : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et qu'il boive. Celui qui croit en moi a la vie éternelle. » Et, pour montrer après cela qu'il donnerait son propre corps à ses fidèles, il dit : « Si vous ne mangez la chair du fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous. » N’ayez donc aucune part à l'aliment que l'on mange sur un tambour, ni au breuvage que l’on boit dans une cymbale ; mais cherchez le pain de la grâce et la coupe de l'immortalité. Le Seigneur vous invite à un banquet dont les mets célestes chassent le poison mortel qui vous avait infectés et corrompus. Faites-vous un nouvel homme par cette nouvelle nourriture. Réparez par elle ce que vous avez perdu et recouvrez les grâces dont vous avez été privés. Maintenant que vous êtes instruits, choisissez celle que vous voudrez de ces deux viandes, ou celle qui donne la mort ou celle qui donne la vie.

XV. Vous dites dans vos cérémonies profanes : « Je vous salue, nouvel époux ; je vous salue, nouvelle lumière. » Fausses opinions, pernicieuses erreurs, pourquoi précipitez-vous ainsi les hommes dans l'abîme d'une damnation irrévocable! Pourquoi les flattez-vous en vain de l'espérance de le rendre heureux! Il n'y a parmi vous ni lumière ni époux. L'unique lumière et l'unique époux, c'est Jésus-Christ. Vous ne lui sauriez ravir ce bonheur et cette gloire pour vous les attribuer. Vous êtes tombés dans des ténèbres où la saleté, la misère, le tremblement et l'horreur font un perpétuel séjour. Que si vous voulez être éclairés de quelque rayon de la splendeur céleste, ouvrez les yeux, et, renonçant à la lumière sensible et à l'époux profane, tournez vos vues vers celui qui a dit qu'il est la lumière du monde, et qui nous a commandé de faire reluire dans notre conversation et dans nos mœurs l'éclat des vertus chrétiennes et des bons exemples. Nous ne saurions nous acquitter de ce devoir que nous n'ayons fait en sorte que notre conscience pure et notre vie sainte. Alors la lumière de la grâce se répandra sur nous, l'auteur de la lumière se communiquera à nous, et la lumière même éternelle et divine se laissera voir à notre esprit.

Maintenant, pour réprimer l'insolence de ces paroles sacrilèges dont les cérémonies profanes ont consacré l'usage parmi les païens, je ferai voir, par l'autorité des livres sacrés, que le véritable époux est Jésus-Christ, que l'épouse est l'Église, et que c'est de leur union mystérieuse que naissent incessamment des enfants spirituels. Pour établir solidement cette vérité, nous n'avons qu'à révéler le secret des prophéties et à expliquer les termes des divins oracles. Voici les paroles que l'Esprit-Saint met dans la bouche de Joël : « Chantez de la trompette sur la montagne de Sion, sanctifiez le jeûne, annoncez la guérison aux malades, assemblez le peuple, purifiez l'Église, révérez honorablement les vieillards, rangez les enfants en bel ordre, et après cela que l'époux sorte de sa chambre et que l'épouse sorte de son lit.[10] » Jérémie exprime la même chose par cette menace : « J'ôterai aux villes de Juda et aux villes de Jérusalem les cris de joie, je leur ôterai la voix de l'époux et la voix de l'épouse.[11] « L'Esprit-Saint décrit encore la démarche de l'époux quand il dit dans les psaumes : « Il sort comme un époux de sa chambre nuptiale. Il va plein d'ardeur comme un géant commence sa course : il part d'un bout du ciel et continue son tour jusqu'à l'autre sans qu'il y ait rien qui se cache à sa chaleur.[12] » Que si nous voulons approfondir encore davantage ce mystère, nous trouverons dans l'Apocalypse quel est cet époux. » Je vis la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, qui, venant de Dieu, descendait du ciel, étant parée comme une épouse qui se pare pour son époux.[13] » Si nous voulons encore voir ce que les évangélistes ont décrit sur ce sujet, nous apprendrons que saint Jean en a parlé en ces termes : « Vous m'êtes vous-mêmes témoins que je vous ai dit que je ne suis point le Christ, mais que j'ai été envoyé devant lui. L'époux est celui à qui est l'épouse ; mais l'ami de l'époux, qui se tient debout et qui l'écoute, est ravi de joie, à cause qu'il entend la voix de l’époux.[14] »

Une troupe de sages vierges attendent cet époux et tiennent leurs lampes allumées pour l'éclairer. Les serviteurs qui l'attendent recevront la récompense due à leur fidélité et à leur persévérance. Voici de quelle manière il en est parlé dans l'évangile de saint Luc : « Que vos reins soient ceints, et ayez toujours dans vos mains des lampes ardentes, et soyez semblables à ceux qui attendent que leur maître retourne des noces, afin que, lorsqu'il sera venu et qu'il aura frappé à la porte, ils lui ouvrent aussitôt. Bienheureux seront les serviteurs que leur maître à son arrivée trouvera veillant.[15] »

Voilà celui qui est appelé époux par la bouche de la vérité. Pourquoi donc, dans le dangereux état où vous êtes, avez-vous l'insolence d'usurper un si beau nom? Si vous voulez suivre la lumière que l'on porte devant l'époux, renoncez à vos erreurs et expiez vos péchés par les exercices d'une solide piété. Si l'époux vous trouve veillants, il récompensera libéralement votre fidélité, en vous ouvrant son palais, en vous découvrant la gloire de son royaume, en vous communiquant l'immortalité.

XVI. Il y a une autre cérémonie où ceux d'entre les païens qui l'observent se distinguent en prononçant ces mots : « Le Dieu issu de la pierre.[16] » Pourquoi profanez-vous un nom si saint? Il y a une autre pierre dont Dieu a promis d'affermir les fondements de la céleste Jérusalem, et cette pierre, c'est Jésus-Christ. Votre pierre n'a rien de solide, tout ce que l'on met dessus tombe en ruines. La notre au contraire est placée par la main de Dieu, affermie sur un fondement inébranlable, et elle soutient un édifice dont elle fait la force et la beauté. Isaïe, rempli de l'esprit de Dieu, en parle en cette sorte : « C'est pourquoi, dit le Seigneur Dieu : Je m'en vais mettre pour fondement de Sion une pierre éprouvée, une pierre angulaire, précieuse, qui sera un ferme fondement. Celui qui croira en elle ne sera point confondu.[17] Le roi auteur des psaumes, rempli du même esprit, dit aussi : « La pierre que les architectes avaient rejetée a été faite la tête de l'angle. C’est là l'ouvrage du Seigneur, et nos yeux le regardent comme un miracle.[18] » Dieu a voulu que plusieurs autres prophètes aient révélé le même mystère, et c'est par son ordre que Zacharie a dit : « J'amènerai mon serviteur, qui s'appelle Orient. La pierre que j'ai mise devant Jésus, est une pierre sur laquelle il y a sept y eux.[19] » Pour éclaircir de plus en plus cette vérité, nous pouvons produire un témoignage plus ancien et contenu dans ces paroles du Deutéronome : « Vous écrirez toute la loi sur cette pierre.[20] » Nous en avons encore un autre tiré du livre de Josué, où il est dit « qu'il prit une grande pierre, et que l'ayant mise sous le chêne qui était proche du sanctuaire, il dit au peuple : Cette pierre me servira de témoin, parce qu'elle a entendu toutes les paroles que Dieu vous a dites. Elle me servira de témoin au dernier jour, lorsque vous vous serez éloignés de votre Dieu.[21] »

Daniel a déclaré très expressément, dans l'explication qu'il a faite du songe de Nabuchodonosor, que cette pierre, qui n'est autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ, brisera les idoles et détruira les temples. « Cette statue, dit-il, d'une grandeur extraordinaire et d'un aspect terrible, était debout devant vos yeux. Sa tête était de pur or, son estomac et ses bras étaient d'argent, son ventre et ses cuisses étaient d'airain, ses pieds étaient en partie de fer et en partie de terre. Une pierre, qui s'est détachée d'elle-même de la montagne est tombée sur ces pieds de fer et de terre, les a écrasés et réduits en poudre. Le fer, la terre, l'airain, l'argent et l'or ont été brisés menu comme la paille et comme la poussière pendant la chaleur de l'été. Le vent les a emportés de sorte qu'il n'en est rien demeuré. La pierre qui avait frappé la statue est devenue une grande montagne et a rempli toute la terre. »

Y a-t-il quelque lieu où le nom du Sauveur n'ait point été porté? Y a-t-il, en Orient ou en Occident, au Septentrion ou au Midi, quelque pays qui n'ait point été rempli de l'éclat de sa majesté? Que si l'idolâtrie a encore quelque reste de vie et de mouvement, ce n'est plus que hors de l'étendue de l'empire. La pierre dont les païens parlent dans leurs cérémonies n'est point celle dont parlent les prophètes. Ce n'est point notre pierre, qui est Jésus-Christ, qui est le fondement de la foi, qui est posée dans l'angle pour joindre les deux murailles de l'Ancien et du Nouveau Testament, pour assembler tous les peuples, ou pour réunir au moins le corps et l’âme par le nœud de l'immortalité. Cette pierre sert ou de table pour écrire les commandements de la loi, ou de témoignage pour convaincre ceux qui les violent. Mais ce qu'il y a de plus considérable, c'est qu'elle frappe l'image du diable, qu'elle le renverse et le réduit en poudre, qu'elle s'élève comme une montagne qui porte sa cime dans les nues, et qu'elle établit une domination toute juste et toute sainte.

C'est ici, très saints empereurs Constance et Constant, que nous sommes obligés d’implorer le secours de votre foi, qui vous élève si fort au-dessus de la terre, qui vous approche de si près du ciel, et qui vous fait suivre en toutes choses les ordres de Dieu. Il reste peu à faire par l'autorité de vos édits pour achever d'abattre le démon et d'abolir l'idolâtrie; ce poison mortel est presque entièrement dissipé. Levez donc l'étendard de la fol, à la faveur duquel vous ares surmonté tous les ennemis qui s'opposaient à votre puissance. Faites publier la loi de Dieu et commandez qu'elle soit inviolablement observée dans tous les lieux qui relèvent de votre empire. Que l'affermissement de la religion chrétienne et la ruine des superstitions profanes soient le fruit de vos victoires. En cela vous aurez le bonheur et la gloire d'être les ministres et les exécuteurs des volontés de Dieu. Vous démolirez le temple par les mains des hommes, comme il en a chassé les démons en étendant paisiblement sa main puissante. Élevez des trophées qui soient un monument éternel de la défaite de l'erreur. Il n'y a point de triomphe si juste que celui qui est décerné après une guerre aussi sainte que celle-là. La joie que cette victoire apporte est une joie toute pure et qui n'est point mêlée de larmes; elle ne contribue qu'à l'honneur de Dieu et au salut des hommes.

XVII. Continuons à rapporter les marques particulières dont les sectes profanes se servent pour se distinguer, et voyons l'abus sacrilège que l'esprit impur a fait en ce point des paroles sacrées des prophètes. Nous trouvons un oracle conçu de cette sorte : « Soleil à double corne et à double forme. » Ce dieu-là n'a pas seulement double forme, il en a plusieurs; il prend toutes sortes de figures pour tromper. C’est le basilic et le scorpion qui est écrasé par les pieds des fidèles; c'est le dragon qui est pris à l’hameçon, qui est paré des écailles du serpent de Lerne, et qui voit renaître les têtes de l'hydre. C’est en vain que tu te reproduis de la sorte. Nous savons le moyen d'assurer ta mort et d'arrêter les progrès de ton venin. Nous avons bu le sang de notre Sauveur, et ce sang immortel s'est mêlé avec le notre. C'est le remède salutaire par lequel ton poison est chassé.

Mais qui a jamais vu avec des cornes ce dieu que les païens pleurent dans leurs fêtes? Quelles sont ces cornes qu'il se glorifie d'avoir? Il y en a d'antres dont le prophète rempli de l'Esprit-Saint fait mention, et le diable s'efforce de les attacher à son front. Ces cornes sont les parties de la croix; un des bouts soutient le ciel, et l'autre affermit la terre. Un des bras s'étend vers l'orient et l'autre vers l'occident, et tous ensemble servent comme de base et d'appui à l'univers. Un prophète nous a expliqué ce mystère, quand il a dit : « Sa puissance a couvert les cieux, et la terre a retenti du bruit de ses louanges. Son visage est éclatant comme un astre, et ses cornes sont dans ses mains ; c'est là que réside sa force et son honneur. C’est le trône où il fait paraître son amour; c'est le chemin que le Verbe a voulu tenir.[22] »

Voilà la croix immortelle à laquelle le Seigneur étant attaché soutient tout l'univers, qu'il a fait le signe et l'instrument de notre salut, et qu'il porte comme l'étendard de la vie éternelle, ainsi que le prophète nous en a avertis, quand il a dit : « Il portera sur son épaule sa principauté, et il sera appelé le conseiller.[23] » Dans le combat qui fut donné à Amalec, Moïse étendit ses bras en forme de croix pour obtenir la victoire. Courez vers cette croix. Que la justice, la chasteté, la miséricorde, la patience et la foi vous y attachent, afin que le signe salutaire que vous avez reçu au baptême vous fasse participer au mérite de la mort du Sauveur.

XVIII. Proposons encore une autre marque par où les païens se distinguent, et tachons de découvrir l'artifice dont le démon se sert pour corrompre, par une fausse imitation, la vérité de nos mystères. Ils couchent une image dans une chaise, et la pleurent avec mesure et avec nombre. Lorsqu'ils sont las de pleurer, Ils allument des flambeaux. Alors le prêtre frotte d'un baume la gorge de ceux qui ont pleuré, et leur dit ces paroles : « Ayez bon courage, vous qui avez été instruits des mystères, et vous serez soulagés dans vos travaux. » Pourquoi excitez-vous ces misérables à prendre courage? Pourquoi les trompez-vous, en les exhortant à se réjouir? Quelle assurance leur donnez-vous, ou même quelle espérance de leur salut? Ne savez-vous pas que vos promesses sont vaines? Il est certain que votre dieu est mort. On ne remarque plus en lui aucun signe de vie. Il n'y a point d'oracle qui ait promis qu'il ressuscitera. Aussi n'est-il point ressuscité, et n'a point donné de preuve de sa résurrection en se faisant voir à ses disciples. Vous mettez une idole dans le tombeau, vous la pleurez; vous la retirez du tombeau, et vous vous réjouissez. Vous êtes vous-mêmes les défenseurs et les protecteurs de votre dieu. Ce n'est qu'une pierre insensible que vous placez et que vous ajustez de telle manière qu'il vous plaît, et dont vous corrigez les défauts. Ce dieu vous est sans doute fort obligé, et vous témoigne sa reconnaissance, en vous rendant des devoirs semblables à ceux qu'il a reçus de vous, et en vous faisant vivre et mourir de la même sorte qu'il vit et qu'il meurt. Pour ce qui est de la cérémonie de frotter d'un baume la gorge de ceux qui ont pleuré, qui est-ce qui ne voit pas que c'est une cérémonie vaine et inutile, et que l'on doit mépriser. Le diable a donc des personnes qu'il marque de ce baume, et qui sont en quelque sorte ses Christs, parce qu'il est l'Antéchrist. Il communique l'infamie de son nom à ceux qu'il a rendus complices de ses crimes. Gardez ce parfum-là pour ceux qui sont morts, et pour ceux qui doivent mourir. Gardez ce poison pour ceux que vous avez pris dans vos filets, et que vous destinez à une mort éternelle. Il y a un autre parfum, que le père a donné au fils, et que le fils communique aux fidèles. C'est un parfum composé par un si merveilleux secret, qu'il se conserve sans se corrompre jamais et sans rien perdre de son odeur. Les effets sont encore plus surprenants, puisqu'il chasse toute la corruption que la mort avait jetée dans nos veines, et qu'il tire un homme nouveau du tombeau et des cendres du vieil homme. Ce grand mystère est expliqué d'une excellente manière par ces paroles de David : « Votre beauté surpasse celle de tous les enfants des hommes. La grâce s'est répandue sur vos lèvres; c'est pourquoi Dieu vous comblera de bénédictions pour toute l'éternité. O très puissant! ceignez-vous de votre épée, armez-en votre côté. Étant tout brillant de beauté et de gloire, comme vous êtes, entrez dans les grands succès où votre magnificence vous doit conduire, à cause de votre vérité, de votre douceur et ne votre justice; et la puissance de votre droit vous fera faire des actions miraculeuses. Vos flèches sont pénétrantes, elles transperceront, ô roi! le cœur de vos ennemis. Les peuples tomberont à vos pieds. Votre trône, ô Dieu! sera un trône éternel. Le sceptre de votre empire sera un sceptre de droiture et de justice. Vous avez aimé la justice, et vous avez haï l'iniquité. C'est pourquoi votre dieu vous a oint d'une huile de joie, en une manière plus excellente que tous ceux qui participeront à voire gloire. Vos habillements, tirés de vos palais d'ivoire, seront parfumés de myrrhe, d'aloès et d'ambre, et vous donneront de la joie. Celles qui sont en honneur auprès des bons, sont des filles des rois.[24] »

Voilà quelle est la force de ce parfum immortel, auquel est attachée la puissance de commander à toute la terre. Il y a un autre oracle de l'Écriture, qui marque clairement le nom de celui qui a été honoré de cette puissance. « Pourquoi les nations s'assemblent-elles en tumulte, et pourquoi les peuples forment-ils de vains projets? Les rois de la terre se sont élevés; et les princes ont conspiré contre le Seigneur et contre son Christ. »

Prévention sacrilège, pourquoi t'empares-tu aussi des esprits des hommes? Le parfum du Sauveur donne un empire qui n'aura point de fin, et le parfum des idoles prépare un feu qui ne s'éteindra jamais. Ferai-je ici un examen plus particulier des paroles que ce prêtre des faux dieux prononce avec sa bouche impie? Après avoir tiré son dieu d'entre les bras de la mort, il exhorte ses compagnons à prendre courage et à concevoir de bonnes espérances. Ces espérances-là sont trompeuses; ce sont des promesses fausses et des pièges dangereux. Comment ce Dieu a-t-il été tiré d'entre les bras de la mort? Apprenez ce que vous ignorez. C'est Jésus-Christ, fils unique de Dieu, qui est mort pour le salut du genre humain; il a souffert les plus cruels supplices pour nous délivrer de la servitude dans laquelle nous gémissions, pour apaiser la colère de son père et le réconcilier avec nous, pour nous faire voir dans la résurrection une image de celle qu'il nous promet. Durant les trois jours qu'il fut aux enfers, il y assembla une troupe d'âmes saintes et les affranchit de la puissance de la mort, brisa leurs fers et ouvrit les portes qui les tenaient enfermées. Il a par ce miracle fait trembler la terre et ébranlé les fondements de l'univers. Les globes du ciel précipitèrent leur mouvement, et le soleil se hâta de se cacher. La nuit obscurcit l'air, et le voile du temple se brisa. Tous les éléments sentirent les douleurs de Jésus-Christ et combattirent avec lui contre la tyrannie de la mort. Ce combat dura trois jours, et se termina heureusement par la défaite de cette cruelle ennemie des hommes. Ames saintes, ne perdez pas courage et ne vous abandonnez pas à l’impatience ni au désespoir. Attendez trois jours; c'est le terme que l'Esprit-Saint a prescrit, par la bouche de David, au triomphe du Sauveur. » On nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. Levez-vous, Seigneur. Pourquoi dormez-vous? Réveillez-vous et ne vous éloignez pas de nous pour jamais. Pourquoi nous cachez-vous votre visage? pourquoi oubliez-vous nos maux et l'oppression que nous souffrons? Notre âme est abaissée jusqu'à la poussière de notre ventre et attachée à la terre. Levez-vous et venez nous secourir. Délivrez-nous par votre miséricorde.[25] »

Le troisième jour est plus éclatant qu'aucun autre, et le soleil y répand une lumière extraordinaire, comme à dessein d'honorer le triomphe du divin Sauveur. Une foule d'âmes saintes suivent son char et s'écrient, dans le transport de leur joie: « O mort! où est ton aiguillon?[26] » Il commande que le ciel s'ouvre pour y retablir l'homme qu'il a racheté. Le prophète rapporte les propres termes auxquels il fait ce commandement : « Portes grandes et élevées, ouvrez-vous ; portes éternelles, ouvrez-vous, afin que le roi de gloire fasse son entrée. » Les anges reçoivent ce commandement, et qui ne savaient point encore que le Verbe de Dieu était descendu sur la terre, s'informent avec soin et demandent : « Qui est le roi de gloire? » C'est pourquoi Jésus-Christ leur répond clairement : « C’est le Dieu fort et puissant, c'est le Dieu invincible dans les combats. »

Ces gardes vigilants des fidèles reconnaissent à l'heure même le Fils de Dieu et apprennent ce qu'ils avaient ignoré. Ils voient les dépouilles de l'ennemi vaincu, et, se souvenant de l'ordre que Dieu avait établi au commencement dans le monde, ils joignent leurs voix à celles de la troupe bienheureuse qui entre dans le ciel, et disent avec elles : « Portes grandes et élevées, ouvrez-vous; portes éternelles, ouvrez-vous, afin que le roi de gloire fasse son entrée. » Le père met le sceptre dans la main de son fils et le fait asseoir sur son trône, afin qu'il y règne et qu'il y commande éternellement avec un pouvoir égal au sien. Je vous rapporterai, si vous l'avez pour agréable, les paroles que Dieu même dicta autrefois à Daniel sur ce sujet. « J'eus, dit-il, une vision pendant la nuit, et tout d'un coup le fils de l'homme parut marchant sur les nues. Il s'avança jusqu'à l'Ancien des jours et se tint debout en sa présence. Ceux qui l'avaient accompagné le lui présentèrent. La puissance royale lui fut donnée. Tous les princes de la terre, tout ce qu'il y a de plus relevé et de plus éminent lui obéira. Sa puissance est une puissance qui ne lui sera point ôtée, et son règne n'aura point de fin.[27] »

La magnificence du même triomphe est décrite dans l'Apocalypse, a Je me tourne pour voir celui de qui j'entendais la voix, et, regardant derrière moi, je vis sept chandeliers d'or ; et au milieu de ces sept chandeliers d'or j'aperçus un homme qui ressemblait au Fils de l'homme, vêtu d'une longue robe, et ceint au-dessous des mamelles d'une ceinture d'or. Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme la laine la plus blanche et comme la neige ; ses yeux ressemblaient à une flamme de feu ; ses pieds étaient semblables à l'airain le plus pur et le plus luisant, et étaient aussi ardents que s'ils eussent été dans une fournaise, et sa voix retentissait comme le bruit des plus grandes eaux. Il avait en sa main droite sept étoiles, et de sa bouche sortait une épée tranchante qui coupait des deux côtés, et son visage était aussi brillant que le soleil dans sa plus vive lumière. Au moment où je l'aperçus, je tombai à ses pieds comme mort ; mais il mit sur moi sa main droite et me dit : Ne craignez point ; je suis le premier et le dernier ; je suis celui qui vis ; j'ai été mort, et je vis maintenant dans les siècles des siècles, et je tiens dans mes mains les clefs de la mort et de l'enfer.[28] »

Lorsqu’après sa résurrection il déclara ses intentions à ses apôtres, et qu'il leur fit les commandements qu'il voulait qu'ils observassent, il termina son discours par les paroles qui suivent : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc et instruisez les peuples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai commandées.[29] »

La communication que le Père lui a faite de son trône et de sa puissance est contenue précisément dans cette prophétie : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à être foulés sous vos pieds. Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre règne. Vous dominerez au milieu de vos ennemis. On reconnaîtra que vous êtes roi au jour de votre force, lorsque vous serez environné de l'éclat et de la splendeur des saints. Je vous ai engendré de mon sein devant l'étoile du matin. Le Seigneur a juré, et il ne rétractera point son serment.[30] »

Quelque ferme que soit le fondement sur lequel ces vérités sont établies, elles ne laissent pas d'être en quelque sorte ébranlées par les ennemis de Dieu, qui, étant agités par le mouvement déréglé de leurs passions, conçoivent des vœux impies, et qui, étant transportés par la fureur de la superstition, adorent continuellement le bois et les pierres.

XIX. Pour ruiner entièrement les fictions qui ont été inventées par les défenseurs de la superstition païenne, je crois devoir représenter fidèlement en cet endroit ce que la parole de Dieu nous a appris, par le ministère des prophètes, touchant l'ordre qu'il a tenu dans la réparation et dans la rédemption du genre humain. Et pour cet effet, je vous supplie, très saints empereurs, de me permettre une petite digression, et de me prêter cependant une attention favorable. J'expliquerai d'abord les raisons pour lesquelles Dieu, c'est-à-dire le Fils de Dieu, a bien voulu se faire homme. Lorsque Dieu fit le premier homme à son image, il lui donna des préceptes et des lois. Mais ayant été trompé par sa femme et corrompu par les discours empoisonnés du démon, l'homme perdit l'espérance de la gloire qui lui avait été promise. Ce fut en mangeant les fruits d'un arbre qui était dans le paradis qu'il fit cette perte. Son corps avait été formé d'une terre vierge ; car, selon le témoignage de l'Écriture, il n'avait point encore plu sur la terre. En violant le commandement de Dieu, il rendit ses descendants sujets à la mort. Pour réparer cette faute, il fallait remonter jusqu'à l'origine; et comme Adam, qui avait perdu la vie par son péché, avait un corps formé d'une terre vierge, il était à propos que Jésus-Christ, qui devait jouir de l'immortalité et de la gloire, naquit d'une vierge par l'opération du Saint-Esprit. Ainsi l'un a regagné par son obéissance ce que l'autre avait perdu par son péché. Après une longue suite d'années, et dans les derniers temps, le Verbe de Dieu a pris un corps pour racheter les hommes et pour les rendre immortels. Sans cela qu'eussent pu faire les saints de l'Ancien Testament? Où aurait été l'espérance de leur salut et la récompense de leurs bonnes œuvres, puisqu'ils seraient toujours demeurés assujettis à la loi de la mort? Abel, Enoch, Noé, Sem, Abraham, Isaac, Jacob, n'auraient rien eu à attendre de la bonté ni de la miséricorde de Dieu. Avec tout le mérite de leur foi, ils auraient été enveloppés dans la condamnation générale, et leur piété ne les aurait point exemptés de la loi commune des autres. Mais parce que Dieu avait promis à Abraham du haut du ciel que sa postérité posséderait un empire absolu, Marie, vierge issue de la race d'Abraham, conçut un Dieu, afin que les descendants et les imitateurs de ce patriarche, étant réconciliés avec Dieu par l'accomplissement de ce grand mystère, pussent obtenir par le mérite de leur foi le royaume de la gloire.

XX. Après que je me suis acquitté de ma promesse, très saints empereurs, et que j'ai satisfait, autant qu'il m'a été possible, au désir louable que vous aviez d'entendre ces vérités de notre religion, permettez-moi, s'il vous plaît, de rapporter le reste des mots qui servent comme de marque pour distinguer les sectes particulières des païens. Quand je n'aurais aucun autre fruit de mon travail, je tâcherais au moins de purifier les oreilles de la corruption dont ces superstitions profanes les remplissent.

Un des mots les plus dangereux que les païens aient enseignés à ceux qui sont assez aveugles et assez misérables pour les croire, est celui-ci: « Le taureau est père du serpent, et le serpent est père du taureau. » Vous nous avez enfin démon! découvert votre nom, vous nous avez enfin confessé ce nom détestable. Je sais qui vous êtes, je sais jusqu'où va votre insolence et jusqu'où monte l'excès de vos crimes; c'est ce que vous promettiez à Eve, lorsque, pour la corrompre et pour la perdre, vous lui disiez: « Vous serez comme des dieux.[31] » Vous posiez dès lors les fondements des temples où vous souhaitiez d'être adoré avec vos compagnons. Vous rampez dans ces temples, et vous vous y repaissez du sang des victimes que l'on y immole. Vous n'y épargnez pas même celui des hommes et vous en buvez souvent pour apaiser la soif cruelle qui vous dévore. L'autel de Carthage est tout trempé et fournit de quoi rassasier votre rage et de quoi tempérer l'ardeur de votre venin. En cela même, et dans le temple que vous flattez les hommes par vos promesses, que vous les trompez par vos ruses, que vous les tuez par votre cruauté, vous avez l'insolence de vous vanter de vouloir leurs avantages. Est-ce ainsi, ô parricide, que vous leur faites du bien? Fuyez ô hommes! dont on ne saurait assez déplorer l'aveuglement, fuyez le poison mortel de ces superstitions. C'est un serpent que vous adorez. Il ne peut plus se cacher depuis qu'il s'est trahi lui-même. Il n'a pas plutôt été découvert et convaincu qu'il a été aussi condamné. Écoutez l’arrêt de condamnation qu'Isaïe a prononcé par l'ordre de Dieu. « En ce temps-là, le Seigneur viendra avec sa grande épée, son épée pénétrante et invincible pour punir ce serpent immense, et il fera mourir ce serpent.[32] » La volonté de Dieu ne manque jamais d'avoir son effet : ce qu'il ordonne est exécuté, et toute la consolation qui peut rester au serpent après sa condamnation, c'est d'être suivi d'un grand nombre de personnes qui périssent avec lui. Que si quelqu'un désire savoir quel a été le jour de sa mort, qu'il apprenne qu'il a reçu le coup mortel au moment où Dieu s'est fait homme et où le Verbe a commencé à paraître parmi nous. Quiconque imitera le serpent mourra avec lui. C'est lui qui a inventé et qui a formé tous les dieux que vous adorez. Que si vous vous opiniâtrez à demeurer dans l'erreur qui vous tient attachés à leur culte, vous brûlerez du même feu qui fait leur supplice.

XXI. Le diable n'a rien oublié pour perdre l'homme. Il a pris pour cela toutes sortes de formes. Mais parce qu'il savait que les hommes devaient retrouver dans la croix l'immortalité qu'ils avaient perdue par leur péché, il a voulu les tromper par quelque sorte de ressemblance de la croix, en se servant du bois de plusieurs arbres dans la célébration de ses mystères impies. Dans les fêtes que l'on solennise tous les ans en Phrygie en l'honneur de la mère des dieux, on coupe on pin et on attache un jeune homme au tronc. Dans celles que l'on célèbre en l'honneur d'Isis, on coupe pareillement un pin, on en creuse le tronc, et on y enferme comme dans un tombeau l'image d'Osiris, qui est faite des branches du même pin. Dans les fêtes de Proserpine, on coupe un arbre et on en taille le tronc en forme d'une fille ; on porte en suite cette image dans la ville, où, après l'avoir pleurée pendant quarante nuits, on la brûle. Tous les autres arbres dont j'ai parlé, ont le même sort et servent à la fin de l'année à faire un bûcher. Le feu que vous allumez pour célébrer ces sacrifices impies ne vous servira de rien. Mais celui que la justice de Dieu allumera pour vous punir, ne s'éteindra jamais. Apprenez quelle est la puissance de l'arbre qui a servi à la rédemption du genre humain, et sachez que les autres que vous employez dans vos mystères profanes ne vous apporteront aucun secours. L'arche a préservé une famille des eaux du déluge. Abraham a mis sur les épaules de son fils unique le bois dont il voulait entretenir le feu de son sacrifice. La verge de Moïse lui servit à tirer le peuple de Dieu de la servitude d'Egypte et à le conduire dans le désert. Le bois que Moïse jeta dans l'eau en changea l'amertume en douceur. Sa verge fit sortir d'une pierre une source d'eau vive ; elle lui servit à étendre ses mains pour demander et pour obtenir la victoire contre Amalec. Le patriarche Jacob vit les anges monter et descendre par une échelle mystérieuse. La loi de Dieu fut enfermée dans l'arche. Ces divers usages auxquels Dieu permit que tous ces bois dont je viens de parler aient été employés dans l’Ancien Testament, sont autant de figures qui représentent le mystère de la rédemption, qui devait être accompli sur l'arbre de la croix. Cet arbre de la croix soutient le ciel, affermit la terre et donne la vie à tous ceux qui sont attachés à lui. L'arbre du diable au contraire sert de pâture au feu, et entraîne jusqu'au fond de l'enfer avec ses flammèches et ses charbons ceux qui mettent en lui leur confiance.

Remarquez encore une cérémonie que le diable veut que les païens observent : c'est que, en lui consacrant un arbre, ils immolent vers minuit un bélier au pied de cet arbre. Esprit impur, où as-tu appris ce mystère, et jusques à quand contreferas-tu les œuvres de Dieu? C'est avec justice que ton châtiment n'aura point de fin, puisque tu n'en mets point à tes crimes et que tu inventes incessamment de nouveaux artifices pour perdre les hommes. Je dirai ce que cet ennemi dangereux de notre salut avait choisi pour servir de modèle à son imposture. Lorsque Dieu eut éprouvé la fidélité d'Abraham, il lui commanda d'immoler un bélier au lieu d'immoler son fils, et ce bélier fut lié au pied d'un arbre. Lorsque Dieu voulut délivrer son peuple de la servitude des Égyptiens; il lui commanda d'égorger un bélier pendant la nuit et de marquer de son sang la porte de chaque maison ; il ordonna qu'il serait mangé pendant la nuit, et donna à ce sacrifice le nom de pâque. Cette cérémonie n'avait été instituée dans l'ancienne loi, par un ordre particulier de la Providence, que pour être une figure et un signe de la pâque que nous célébrons. C'est pour cela que le prophète qui, étant rempli de l'esprit de Dieu, a prédit la passion de Notre-Seigneur, s'est servi des paroles qui suivent. « Il sera mené à la mort comme une brebis que l'on va égorger ; il demeurera dans le silence, sans ouvrir la bouche, comme un agneau devant celui qui le tond. Il est mort au milieu des douleurs, ayant été condamné des juges. Qui racontera sa génération? car il a été retranché de la terre des vivants.[33] » Un autre prophète a exprimé le même mystère en ces termes ; « Seigneur, découvrez-moi leurs intentions et j'en aurai connaissance. J'ai été mené à la boucherie comme un agneau qui est sans malice. Ils ont formé de mauvais desseins contre moi en disant: Venez, mettons de la sciure de bois dans son pain, exterminons-le de dessus la terre.[34] » C’est Notre-Seigneur qui est désigné par le nom d'agneau, comme il parait très clairement par ces paroles de l'Apocalypse : « Je vis au milieu du trône et des quatre animaux, au milieu des vieillards, l'agneau qui était comme une victime égorgée, ayant sept cornes et sept yeux, qui sont les sept esprits de Dieu, envoyés par toute la terre. Et il vint prendre le livre de la main droite de celui qui était assis sur le trône, et l'ayant pris, les quatre animaux et les vingt-quatre vieillards se prosternèrent devant l'agneau, ayant chacun des harpes et des coupes d'or pleines de parfums, qui sont les prières des saints, et ils chantaient des cantiques nouveaux, en disant : Vous êtes digne, Seigneur, de prendre le livre et d'en briser les sceaux, parce que vous avez été mis à mort et que vous nous avez rachetés pour Dieu par votre sang en nous tirant de toutes les tribus, de toutes les langues, de tous les peuples et de toutes les nations du monde. Vous nous avez rendus rois et prêtres pour la gloire de notre Dieu, et nous régnerons sur la terre.[35] »

Saint Jean s'accorde parfaitement avec les prophètes, en appelant le fils de Dieu agneau, car voici comme il en parle dans son évangile : « Le lendemain Jean était encore là, et deux de ses disciples avec lui ; et, jetant la vue sur Jésus, qui marchait, il dit : Voilà l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde.[36] »

Le sang adorable de cet agneau de Dieu est répandu pour le salut des hommes, et il marque ceux qu'il doit racheter. Le sang qui est répandu devant les idoles ne sert de rien; et de peur que les païens ne continuent toujours à être trompés, je les avertis que ce sang des victimes souille ceux qui le répandent, bien loin de les purifier. Ce sang des taureaux et des béliers imprime des taches honteuses et criminelles. Il faut une eau claire et tirée d'une source pure, pour effacer ces taches de l'âme et pour la disposer à être sanctifiée par le sang de Jésus-Christ.

Mais, pour achever de convaincre les esprits et pour ne leur pas laisser la moindre impression de leurs anciennes erreurs, il est à propos d'employer la plus forte de toutes les autorités et de faire voir par les réponses des prophètes, par les paroles de Dieu même, ce que sont les idoles. En suivant cette méthode, nous montrons encore, que ce que nous disons n'a point été avancé en l'air ni inventé à plaisir, mais qu'il est contenu dans les saintes Écritures et enseigné par la bouche de Dieu même. Voici donc ce que la Sagesse a écrit touchant les idoles dans les livres de Salomon: « Ils prennent pour des dieux toutes les idoles des nations, qui ne peuvent se servir ni de leurs yeux pour voir, ni de leurs narines pour respirer, ni de leurs oreilles pour entendre, ni des doigts de leurs mains pour toucher, ni de leurs pieds pour marcher, car c'est un homme qui les a faites, et celui qui a reçu de Dieu l'esprit de vice les a formées. Nul homme n'a le pouvoir de faire un dieu qui lui soit semblable, car étant mortel lui-même, Une forme de ses mains criminelles qu'un ouvrage mort Ainsi il vaut mieux que ceux qu'il adore, parce qu'il vit quelque temps et qu'il doit mourir après, au lieu que ces idoles n'ont jamais vécu.[37] »

Que pouvons nous désirer davantage? La Sagesse nous parle au nom de Dieu, nous révèle les secrets qu'elle a appris, et nous enseigne ce qui nous est le plus utile pour nous garantir de la mort. L'Esprit-Saint nous donne encore la même instruction dans les psaumes en disant : « Les idoles des nations ne sont que de l'or et de l'argent, et l'ouvrage des mains des hommes; elles ont une bouche, et elles ne parlent point; elles ont des yeux, et elles ne voient point; elles ont des oreilles, et elles n'entendent rien, et leur bouche ne respire point. Que ceux qui les font deviennent semblables à elles.[38] »

Si un artisan qui, pour faire paraître son habileté dans son art, a taillé ou jeté en mou une image, est frappé de la malédiction de Dire, je vous supplie de considérer attentivement ce que doit attendre celui qui donne le nom de Dieu à cette image que l'artisan a vendue.

Jérémie, enseignant le peuple de la part de Dieu, lui parle en cette sorte : « Dites dans votre cœur : Seigneur, nous devons vous adorer. Mon ange est avec vous, et je vous demanderai compte du soin que vous aurez pris d'accomplir ma loi. Les idoles ont des langues que l'ouvrier a polies; elles sont elles-mêmes couvertes de feuilles d'or et d'argent, mais elles ne peuvent parler, ils ont fait des couronnes pour les mettre sur la tête de leurs dieux, de la même sorte qu'un ouvrier fait des ornements, par le commandement d'un amant, pour en parer sa maîtresse. Il y aura un temps où les prêtres ôteront l'or et l'argent à leurs dieux et les prendront pour eux-mêmes. Ils en donneront aussi une partie à des courtisanes. Ils donneront à ces dieux, qui ne sont que d'or, d'argent ou de bois, des habillements comme à des hommes. » Le même prophète, pour ne laisser aucun doute, ajoute dans la suite ces autres paroles : « Les chauves-souris, les hirondelles et les autres oiseaux volent sur leurs corps et sur leurs têtes, ce qui vous montre bien que ce ne sont pas des dieux. Ne les craignez point. On les a embellis d'or pour les rendre plus agréables, mais cet or n'a aucun éclat, à moins que l'on n'ait soin de le nettoyer. Quand on les fond et qu'on les jette en moule, ils n'en sentent rien. Ils ont été achetés à prix d'argent et n'ont point de vie. Ils n'ont point de pieds, et on les porte sur les épaules. » Ce saint prophète, pour fortifier de plus en plus notre foi, ajoute ce qui suit : « Sachant donc qu'ils ne sont point dieux, ne les craignez point. » Il déclare encore le malheur de la condition de leurs prêtres quand il dit : « Leurs prêtres sont assis dans leurs maisons ayant leurs tuniques déchirées, leur tête et leur barbe rases, et leur tête nue. Ils rugissent contre leurs dieux, comme ceux qui meurent par la violence des tourments. » Enfin ce prophète prédit que les rois et les peuples porteront le même jugement sur ces dieux. « Tous les peuples et tous les rois sauront qu'ils ne sont que de faux dieux. Car il est manifeste qu'ils ne sont point dieux et qu'il n'y a en eux aucune œuvre de Dieu, lis n'établissent point de rois pour gouverner les nations ; ils ne versent point de pluie ; ils ne rendent point la justice et ne garantissent point le pays de violence, parce qu'ils n'en ont aucun pouvoir. Lorsque le feu tombera sur la maison de ces dieux de bois, de ces dieux couverts de feuilles d'or et d'argent, leurs prêtres se sauveront, mais les dieux seront brûlés comme des pièces de bois. Ils ne résisteront ni à la guerre ni au roi. Comment donc pourrait-on croire qu'ils fussent des dieux! Ces dieux de bois, couverts d'or et d'argent, ne se défendront point contre les violences de ceux qui seront les plus forts, et qui leur ôteront l'or et l'argent dont ils sont couverts. »

Dépouillez, très saints empereurs, les temples de leurs ornements. Commandez que les dieux soient fondus, ou dans vos monnaies, ou dans les boutiques des ouvriers. Confisquez tous les présents qu'on leur a offerts. Depuis que vous avez abattu les temples, Dieu a accru votre puissance, abaissé vos ennemis et étendu les bornes de votre empire. L'ordre des saisons semble avoir été changé pour donner un plus grand éclat à votre gloire. Les ondes irritées de l'Océan ont été brisées par vos rames durant la plus grande rigueur de l'hiver, ce qui n'avait jamais été fait et qui ne le sera jamais, Des mers qui nous étaient inconnues ont tremblé sous vos vaisseaux, et les habitants de la Grande Bretagne ont été saisis de frayeur quand vous avez paru sur leurs cotes. Que pouvez-vous désirer davantage? les éléments ont cédé à votre valeur.

XXII. L'Écriture sainte témoigne que Dieu a défendu de faire des idoles, car il est écrit dans l'Exode : « Vous ne vous ferez point de dieux d'or ni d'argent.[39] » Et dans un autre endroit : « Vous ne ferez point d'idole ni aucun portrait. » L'Esprit-Saint, qui désire sauver ceux qui s'égarent, et non les perdre, les rappelle à soi en leur imprimant le sentiment d'une honte salutaire. Voici comme il parle par la bouche d’Isaïe : « Ceux qui mettent leur confiance dans des images taillées retourneront en arrière ; ils seront couverts de confusion, eux qui disent à des images de fonte : Vous êtes nos dieux.[40] » Il donne aussi au peuple une loi pour la garder en tout temps: « Vous adorerez votre Dieu et ne servirez que lui. » Dieu donne un précepte tout semblable dans le Deutéronome : « Vous n'aurez point d'autres dieux que moi.[41] » Et pour leur donner une haute idée de sa majesté, il ajoute : « Voyez, voyez que je suis; et il n'y a point d'autre Dieu que moi. Je ferai mourir et je ferai vivre ; je frapperai et je guérirai, et nul ne vous arrachera d'entre mes mains. » Le même commandement est publié dans l'Apocalypse : « Je vis un ange qui volait par le milieu du ciel, portant l'Évangile éternel pour l'annoncer à tous ceux qui sont sur la terre, à toutes les nations, à toutes les tribus, à toutes les langues et à tous les peuples ; et il disait à haute voix : Craignez Dieu et rendez-lui gloire, parce que l'heure de son jugement est venue; et adorez celui qui a faille ciel et la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment.[42] »

Notre-Seigneur Jésus-Christ, suivant l'intention de son père, publie la même loi dans son Évangile. « Écoutez, Israël! le Seigneur votre Dieu est le seul Dieu. Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. C'est le premier et le grand commandement. Et voici le second, qui est semblable à celui-là : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux commandements.[43] »

Ce commandement si saint et si inviolable est suivi d'une meilleure conclusion, que tire le Sauveur pour nous montrer encore plus clairement le chemin par où nous devons marcher. « La vie éternelle, dit-il, est de vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu, et de connaître Jésus-Christ, que vous avez envoyé. »

XXIII. Ces lois, prononcées par la bouche de Dieu même, vous font connaître manifestement ce que vous devez rechercher et ce que vous devez fuir. Il ne reste plus rien à vous dire, si ce n'est de vous avertir de la rigueur redoutable des châtiments qui sont préparés à ceux qui violeront cette loi, car voici l'es paroles qui se trouvent à la un de ces préceptes. « Celui qui sacrifiera aux idoles sera exterminé, et son nom sera entièrement effacé de dessus la terre.[44] » Si la loi ne menaçait que les coupables et que la peine ne tombât que sur l'auteur du sacrilège, il pourrait y avoir des désespérés qui s'exposeraient aveuglément à en subir la rigueur. Mais elle s'étend jusques aux descendants et jusques à la postérité la plus éloignée, et retranche jusqu’à la dernière branche de la famille idolâtre. Elle dit que celui qui sacrifiera aux idoles sera arraché et comme déraciné de dessus la terre.

Prévention pernicieuse et funeste, considère le mal que tu fais aux hommes! Tu attires sur eux un châtiment dont la honte et la douleur se répandent sur tous les membres de la race sacrilège. La raison de cette rigueur est expliquée dans le Deutéronome en ces termes: « C'est que, au lieu de sacrifier à Dieu, ils ont sacrifié aux démons.[45] » N'ayez point recours à ces esprits impurs et abominables. N'attendez point de secours des créatures que Dieu a mises au-dessous de vous. Ne priez point ceux auxquels, par la grâce de Dieu vous avez droit de commander. C'est le démon que vous honorez par ces sacrifices, le démon, qui ne saurait entendre le nom de Dieu ni le nom de Jésus-Christ sans trembler, sans montrer sa perplexité et son trouble par l'obscurité et par l'imperfection de ses réponses entrecoupées et ambiguës, nos avouer, qu'il se sent déchiré et brûlé, et sans confesser ses crimes. La loi de Dieu, qui vous doit être inviolable, vous défend de rendre aucun honneur au démon, de lui faire des prières, de vous prosterner ni de fléchir le genou devant lui. L’énormité du crime de l'idolâtrie est le juste fondement sur lequel est établi la sévérité de la loi. Pourquoi vous imposez-vous un joug dont Dieu a la bonté de vous délivrer? Sa voix ne cesse jamais de vous avertir et de vous rappeler d'un si déplorable égarement. Ecoutez ce qu’elle vous dit par la bouche d’Isaïe : « Il s'est fait un dieu et une idole devant laquelle il se prosterne, qu'il adore et qu'il prie, en lui disant : Vous êtes mon dieu.[46] » Il élève encore la voix en un autre endroit pour faire entendre ses menaces aux idolâtres.[47] « Vous avez répandu des liqueurs pour les honorer. Vous leur avez offert des sacrifices. Après cela mon indignation ne s'allumera-t-elle pas? » Il réprime pourtant son indignation et suspend les châtiments de sa justice pour vous laisser le temps de vous repentir. Il semble même oublier ses menaces pour vous exhorter avec tendresse, et pour vous dire par la bouche de Jérémie : « Ne suivez point les dieux étrangers pour les adorer. Ne m'obligez point par les ouvrages de vos mains à vous exterminer et à vous perdre. » Ne bouchez point vos oreilles et ne vous opiniâtrez point à courir à la mort. Dieu vous a faits libres et a mis en votre choix, on de mourir ou de vivre. Au lieu de vous jeter dans le précipice, retenez-vous sur le penchant. Il y a longtemps que Dieu dissimule votre insolence et qu'il modère sa colère. Mais maintenant votre obstination vous a mis à un point où les prières deviennent inutiles et où l'espérance du pardon commence à être terminée. L'arrêt est résolu et va être prononcé. Voici les termes dans lesquels il a été conçu dans l'Apocalypse : « Si quelqu'un adore la bête et son image, et s'il en reçoit le caractère sur son front ou dans sa main, il boira du vin de la fureur de Dieu, de ce vin tout pur préparé dans le calice de sa colère, et il sera tourmenté dans le feu et dans le soufre devant les saints anges et devant l'agneau ; et la fumée de leurs tourments s'élèvera dans les siècles des siècles, sans qu'il reste aucun repos ni jour ni nuit à ceux qui auront adoré la bête et son image.[48] »

XXIV. La loi de Dieu, très saints empereurs, vous impose une obligation étroite et indispensable de réprimer et de punir l'idolâtrie. Permettes moi, s'il vous plaît, de vous rapporter les paroles qu'elle emploie dans le Deutéronome pour cet effet : « Si votre frère, si votre fils, si votre femme, qui est à côté de vous, si votre ami, qui est un autre vous-même, vous dit en secret: Allons adorer les dieux des nations étrangères! vous n'y consentirez point, vous ne prêterez point l'oreille à ses discours; vous ne l'épargnerez point et n'userez point de dissimulation ni d'indulgence envers lui ; vous le dénoncerez et lèverez le premier la main pour le faire mourir, et tout le peuple la lèvera ensuite. Il sera lapidé et mourra pour avoir voulu vous détourner du culte de Dieu.[49] »

La loi défend de pardonner ni au fils ni au frère. Elle oblige à punir la femme que l’on aime tendrement et à lui enfoncer le fer dans le sein. Elle met les armes en main et commande de les tourner contre les amis les plus intimes, et elle anime tout le peuple à venger Dieu et à exterminer l'idolâtre. Elle menace même les communautés et les villes d'une ruiné entière.

Et afin que votre religion en soit instruite et que vous n'en puissiez plus douter, je rapporterai les paroles dans lesquelles cette terrible disposition est conçue : « Si vous apprenez que quelque habitant des villes que Dieu vous a données dise : Allons servir les autres dieux! vous les ferez mourir par l'épée; vous mettrez le feu à la ville et vous n'y laisserez aucun habitant. On ne retirera jamais cette ville-là de ses ruines. Alors le Seigneur apaisera sa colère et vous fera miséricorde. Il vous comblera de biens si vous obéissez à sa voix et que vous accomplissiez ses préceptes.[50] » Dieu vous promet, très saints empereurs, de verser ses trésors sur vos personnes sacrées et de vous combler de biens. Suivez donc sa voix et exécutez ses ordres. Les heureux succès que vos entreprises ont eus dès le commencement de votre règne sont la récompense de votre piété. La main de Dieu ne vous a jamais abandonnés ; elle ne vous a jamais refusé son secours. Vos ennemis ont été renversés, et les armes leur sont tombées des mains en votre présence. Les peuples les plus fiers ont subi le joug. L'orgueil des Perses a été dompté et leurs espérances dissipées. L'injustice ni la violence n'ont pu se maintenir contre vous. Vous avez tous deux reçu en différentes rencontres de sensibles effets de la protection de Dieu. Le ciel vous a départi la victoire, et la prospérité de vos armes nous relève de vos disgrâces. Ces rares avantages vous ont été accordés en considération de votre foi ; et des récompenses aussi glorieuses que celle-là vous doivent exciter puissamment à une observation exacte de la loi de Dieu. Que votre clémence se tourne sans cesse vers le ciel avec un esprit religieux et une conscience pure. Mettez en Dieu votre confiance ; implorez la grâce du Sauveur; offrez-lui un sacrifice spirituel pour votre salut et pour celui de tout l'Empire. Par ce moyen tout vous réussira selon vos souhaits. Vous jouirez de la santé, de la victoire, de la paix, de l'abondance, du triomphe, et vous gouvernerez heureusement vos États sous la protection toute puissante de la majesté divine.

 

FIN

 

 


 

[1] Ici se trouve dans l'ouvrage de Maternus une préface qui ne s'est pas retrouvée dans le manuscrit et dont il ne reste que deux phrases imparfaites.

[2] Lacune dam le texte.

[3] Autre lacune.

[4] Arnobe, liv. v, p. 408, de l'édition de Besançon, ne craint pas de présenter ces sales tableaux dans tous leurs deuils.

[5] S. Matthieu, chap. iv.

[6] Malachie, chap. iv.

[7] Proverbes, ii.

[8] Genèse, 14, 27.

[9] Psaume 33.

[10] Joël, chap. i.

[11] Jérémie, chap. 16.

[12] Psaume 18.

[13] Apocalypse, chap. 21.

[14] S Jean, chap. 3.

[15] S. Luc, chap. 12.

[16] « Il s'agit ici de Mithra. »

[17] Isaïe, chap. 28.

[18] Psaume 117.

[19] Zach., chap. 3.

[20] Deutéronome, chap. 27.

[21] Josué, chap. 24.

[22] Habacuc, chap. 3.

[23] Isaïe, chap. 91.

[24] Psaume 44.

[25] Psaume 43.

[26] Epître aux Corinthiens, chap. 25.

[27] Daniel, chap. 7.

[28] Apocal., chap. 1.

[29] S. Matth., chap. 28.

[30] Psaume 109.

[31] Genèse, chap. 3.

[32] Isaïe. Chap. 27.

[33] Isaïe, chap. 53.

[34] Jérémie, chap. 1I.

[35] Apocalypse, chap. 5.

[36] S. Jean, chap. 1.

[37] Sagesse, chap. 15.

[38] Psaume 131.

[39] Exode, chap. 20.

[40] Isaïe; chap. 42.

[41] Deutéronome, chap. 5.

[42] Apocalypse, chap. 14.

[43] Matthieu, chap. 22.

[44] Exode, chap. 22.

[45] Deutéronome, chap. 32.

[46] Isaïe, chap. 44.

[47] Isaïe, chap. 57.

[48] Apocalypse, chap. 14.

[49] Deutéronome, chap. 15.

[50] Deutéronome, chap. 13.