Marbode

MARBODE, EVÊQUE DE RENNES

 

CARMINA VARIA / POÉSIES DIVERSES

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 

MARBODE DE RENNES.

 

INTRODUCTION

Dans les derniers mois de l'année 1123, un messager envoyé par l'abbé et les moines de Saint-Aubin d'Angers parcourait les villes épiscopales, les abbayes, les grands prieurés de Bretagne. Il portait au cou un grand rouleau écrit, et pendant qu'il se reposait et réparait ses forces,[1] les évêques, les chanoines et les moines lisaient avec attention le parchemin et y inscrivaient à leur tour quelques lignes.[2] Or, voici ce qu'on lisait sur la lettre du messager angevin :

« A tous les fils de l'Église une et sainte, l'humble congrégation du bienheureux Aubin, évêque d'Angers : pleine victoire sur l'ennemi, et pour cette victoire, la couronne.

« L'autorité apostolique nous enseigne que prier les uns pour les autres, porter les fardeaux l'un de l'autre, c'est accomplir la loi du Christ.

« C'est pourquoi, nous, serviteurs du Christ, nous efforçant avec une pieuse sollicitude d'accomplir cette loi chrétienne, nous vous annonçons la mort du seigneur Marbode, vénérable évêque dont la mémoire sera toujours honorée : sa parole était charmante, sa religion éclatante, ses mœurs pleines d'honnêteté et de distinction; il était profondément érudit dans la science des belles-lettres, sa conversation était remplie de sel, et ses discours coulaient de ses lèvres plus doux que le miel ; et bien que de son temps il ne fut bruit, en Gaule, que d'études et de travaux de toutes sortes, il était sans conteste au sommet et proclamé par tous roi des lettres et de l'éloquence gallicanes. Or, le trois des ides de septembre, malade de corps, mais l'esprit plein de force, mourant à ce monde, pour vivre dans Jésus-Christ, il nous a quittés, il nous a laissés accablés d'une intolérable douleur, nous qu'il avait habitués à l'aimer par dessus tout.

« Après s'être longtemps adonné à l'étude et à la pratique des belles-lettres, qui florissaient de tout côté; après s'être rendu célèbre à juste litre et s'être acquis une immense renommée comme maître des écoles de la ville d'Angers, il fut élu évêque du siège de Rennes et sacré par le très révérend pape Urbain, durant le concile de Tours. Armé du glaive de l'Esprit-Saint, il porta pendant vingt-huit années cette dignité ou plutôt ce fardeau, au milieu d'un peuple barbare, dont la férocité ne connaissait que les armes. Gouverneur fidèle et prudent, il courba des fronts orgueilleux sous ses justes censures, et à force de raisons, de prières, de sollicitations, il rétablit la paix. Enfin, arrivé au terme de la vieillesse, plein de jours consommés dans la sainte vie que nous avons racontée, il se reposa dans le Seigneur. Entré dans la voie où toute chair aboutit, pressentant sa mort prochaine, il déposa le fardeau de l'épiscopat, fit les vœux monastiques et revêtit l'habit de saint. Benoît, en se donnant à Saint-Aubin. Ainsi lui aussi, dépouillé de tout, il se fit pauvre pour mieux suivre le Christ pauvre. Autrefois, comme Marthe, il avait pris souci-et peine de beaucoup de choses, désormais, comme une autre Marie, reconnaissant qu'une seule chose est nécessaire, il avait choisi la meilleure part, et elle ne lui sera point ôtée. »

C'est dans ces termes que les moines d'Angers annonçaient au monde religieux et lettré la mort d'un homme qui fut à la fois un pieux et saint évêque, un littérateur illustre, et sans contestation possible le plus grand poète du xie siècle.

Ses contemporains furent unanimes à lui décerner ce titre, et il le méritait.

Cela prouve peu en faveur de son mérite, pensera quelqu'un, qui ne connaît les siècles réputés barbares que par les abrégés et manuels soi-disant classiques d'histoire littéraire. Je reconnais que le xie siècle brille peu, mais c'était cependant un siècle de renaissance, et l'homme qui se met à la tête dans un pareil siècle ne peut pas être sans valeur.

Et ce qui constitue la valeur supérieure de Marbode, c'est qu'il ne se contenta pas, comme ses contemporains, d'employer la forme du vers a des épitaphes, à de pieuses chroniques, à des imitations plus ou moins heureuses des récits bibliques ou évangéliques, il accueillit souvent la muse profane. Il ne se contenta pas, a un autre point de vue, du vers carlovingien, où la rime, doublée, triplée, quintuplée, embrouillée, enchevêtre, coupe, et rompt à chaque pas et la période et la pensée elle-même ; il employa, et employa en maître, le vieux vers latin, le vers classique de Virgile et d'Ovide. Non pas que, suivant le goût et dans la forme de ses contemporains, il n'ait écrit de longs poèmes, ou plutôt de longues chroniques rimées, sur le miracle de Théophile, auquel la Sainte Vierge rendit le traité par lequel il s'était vendu à Satan, sur les sept Machabées, sur le martyre de saint Laurent, de saint Victor, de saint Maurice, de sainte Thaïs, des saints Félix et Adaucte, et sur la vie pleine de miracles de saint Maurille, l'un des plus, illustres évêques d'Angers. Non pas même que ces poèmes ne soient, et de beaucoup, la part la plus volumineuse de son œuvre ; mais il est manifeste qu’il a, dans ces rimes, donné beaucoup plutôt satisfaction à sa piété, au dessein d'édifier ses lecteurs, qu'à sa verve poétique. Bien plus, il confesse lui-même que c'est une sorte d'expiation des poèmes profanes, œuvres de sa jeunesse, qu'il eût voulu n'avoir pas publiés, et qui constituent, sinon aux yeux de ses contemporains, au moins aux yeux de la postérité, son litre réel à la primauté poétique de son siècle.

Pour peu qu'un poète soit personnel, le meilleur commentaire de son œuvre est la notice de sa vie.

Marbode naquit vers l'année 1040, à Angers.[3] Sa famille y tenait un rang fort élevé à tout le moins comme fortune, et figure au nombre des plus insignes bienfaiteurs de l'abbaye de Saint-Aubin. C'est par le Cartulaire de cette abbaye qu'on sait que son père s'appelait Robert Le Pelletier, et qu'il avait au moins trois frères, Hugues, Salomon et Paganel. Dupaz et Albert Le Grand nomment sa mère Hildeburge. Quelques-uns veulent que ce fut une famille de grande noblesse ; le surnom du père ne l'indique pas. D'autres ont prétendu rattacher Marbode à la famille parlementaire de Marbœuf; c'est une flatterie qui ne tiendrait pas au plus léger examen, uniquement fondée sur la consonance du nom.

Quoi qu'il en soit, Marbode, destiné à l'Église, reçut une éducation aussi complète qu'il se pouvait, et il en profita si bien, que ses talents littéraires le mirent en relief dès sa première jeunesse.

L'école épiscopale d'Angers, qui datait du ve siècle et de saint Maurille, était alors la plus célèbre de la France occidentale. On y voyait accourir, comme à Paris, a Chartres, à Reims, non-seulement tous les jeunes hommes des pays voisins, mais encore des Allemands, des Anglais, etc.

Marbode fut d'abord chargé d'enseigner l'éloquence sacrée, et cet enseignement eut bientôt tant d'éclat que Eusèbe Brunon, évêque d'Angers, l'éleva à la dignité de maître-école, c'est-à-dire à la dignité de chef suprême et de directeur de tout l'enseignement. Jamais la réputation des écoles angevines ne fut telle : tous les contemporains le constatent, et leurs éloges sont si unanimes que beaucoup, parmi les historiens postérieurs, pensent que ce fut sous, la maîtrise de Marbode que les écoles d'Angers prirent le titré et le rang d'Université. Marbode eut surtout le talent d'exciter et d'entretenir une grande émulation entre ses élèves en leur proposant a traiter, dans une sorte de concours, une thèse commune, scientifique ou littéraire. Il y a dans le recueil de ses poésies un certain nombre de lieux-communs poétiques qui pourraient bien être un souvenir de ces concours : le thème de l'écolier revu et corrigé par le maître. C'est sans doute encore de cette époque qu'il faut dater ces jolies épigrammes, ces petits poèmes qui ne dépareraient pas une anthologie classique : le Forgeron, le Vase brisé, vrais camées antiques d'autant plus séduisants qu'on s'attendait moins à les trouver dans un écrin du xie siècle.

Mais c'est très certainement le zèle pédagogique qui lui dicta ses traités de rhétorique, et notamment l'Art Poétique, qu'il a dédié à l'un de ses disciples sous le titre : De ornamentis verborum. Je n'oserais pas être aussi affirmatif sur le poème le plus important de Marbode, celui qui a, le mieux conservé sa renommée, puisqu'il fut traduit en vers français dès le xiie siècle, et qu'il était encore classique dans les écoles de pharmacie à la fin du xvie siècle : je veux parler du Lapidaire. Ce n'est point là, je le crois, un manuel auquel on ait donné la forme du vers comme pure mnémotechnie; c'est un poème écrit avec amour pour résumer et célébrer une science véritablement aimée, et c'est pour cela que ce poème descriptif est resté un des chefs-d'œuvre de la poésie didactique au moyen âge; c'est une œuvré d'âge mûr, peut-être de première vieillesse. Du reste, le poète ne le dit-il pas dans son prologue?

Ce livre est réservé pour mes amis d'élite.

Ce que sait le vulgaire a perdu son mérite.

N'allons point profaner les mystères trahis !

Marbode aimait ces curiosités. Nous avons de lui un autre poème écrit lorsqu'il avait atteint l'âge de soixante ans, dans lequel il combat les erreurs de l'astrologie, et qui montre jusqu'à quel point il avait étudié les grimoires cabalistiques.

Brunon, le vieil évêque d'Angers, lui-même fort instruit, élève des écoles de Chartres, où il avait eu pour maîtres et le vénérable Fulbert et l'hérésiarque Béranger, admirait avec une affection vraiment paternelle les succès de Marbode. Il ajouta à son titre d'écolâtre celui d'archidiacre, et s’éleva ainsi aux plus hautes dignités ecclésiastiques.

Marbode conserva sa double charge jusqu'à la mort de Brunon (1081). Mais après avoir perdu cet excellent homme, dont il a célébré, dans une épitaphe qui nous a été conservée, les rares venus, et principalement la bonté et la mansuétude, il se démit de son titre d'écolâtre. On ignore le motif de cette démarche. Craignait-il — car, malgré son esprit satirique, il était véritablement amoureux de la paix — craignait-il d'exciter la jalousie des autres chanoines? Était-ce, au contraire, le désir de se soustraire lui-même aux applaudissements et d'obéir pleinement aux entraînements de sa piété et de sa modestie? Il n'avait pas eu de jeunesse. Dès ses plus tendres années, il s'était tellement distingué de ses condisciples par la gravité religieuse de sa vie, qu'il avait été parfois l'objet de leurs sarcasmes.

Quoi qu'il en soit, en quittant l'école, il y laissa son cœur, et la preuve s'en rencontre dans ses relations ultérieures avec les plus célèbres de ses élèves : Samson, devenu plus tard évoque de Winchester; Ulger, qui monta sur le siège episcopal d'Angers; Geoffroy, abbé de Vendôme, etc.

L'archidiaconat, que Marbode conserva, n'était pas un titre simplement honorifique; au moyen âge, l'archidiacre était, disent les vieux canonistes, l'œil et la main de l'évêque, son ministre et son vicaire-général pour toute la juridiction contentieuse et pour l'administration du temporel.

C'est pour cela que les Chartres contemporaines, analysées par D. Chamard dans la notice excellente qu'il a consacrée à Marbode dans son livre des Vies des saints personnages de l’Anjou, nous montrent qu'il « était sans cesse consulté sur des causes litigieuses, assistait à des assemblées ecclésiastiques, à des fondations de monastères, par exemple celui de la Roë; confirmait des contrats de donations importantes, comme celles de l'église de Saint-Martin de Verlou, du Lion-d'Angers, à l'abbaye de Saint-Aubin; siégeait comme juge dans tous les graves procès qui surgirent a cette époque en Anjou. »

Les lettres n'étaient pas délaissées; mais c'est surtout à des œuvres de piété et d'édification que le dévot archidiacre consacra désormais sa plume. Les nombreuses biographies de saints dont il fut l'auteur, datent pour la plupart de cette époque. Les invasions normandes, la destruction des monastères avaient anéanti un trop grand nombre de légendes contemporaines des premiers évangélisateurs et des premiers civilisateurs de nos contrées. De retour dans leurs cloîtres, profanés et ruinés, les plus vieux moines, même avant de réparer les ruines matérielles, refirent de mémoire l'histoire des saints patrons; mais trop souvent ces pieux souvenirs avaient pour interprète des plumes malhabiles et peu exercées, et quand vint la renaissance littéraire qui fut la fleur du pontificat de saint Grégoire VII, comme la renaissance sociale en fut le fruit, les abbés voulurent avoir des Vies des fondateurs de leurs monastères écrites en latin plus élégant et plus correct. C'est ainsi que plusieurs abbés, je dirais mieux, plusieurs abbayes, plusieurs chapitrés et plusieurs collégiales, s'adressèrent a Marbode comme a l'écrivain le plus capable de bien répondre à leurs désirs. Il lui vint d'instantes prières jusque du fond du Limousin, ainsi qu'il nous l'apprend dans la préface de la Vie de saint Gauthier.

Quant au salaire qu'il stipulait pour ce genre de travail, il paraîtrait maigre pour un homme de lettres de nos jours.

« Moi, Marbode, est-il écrit à la, fin de la Vie de saint Lezin, moi, Marbode, archidiacre indigne de l'église d'Angers, j'ai rédigé et collationné cette Vie du bienheureux Lezin à la prière des chanoines de l'église dédiée à ce saint pontife, lesquels m'ont formellement promis qu'en récompense de mon travail ils me feraient entrer en participation et en communion de toutes les prières et de toutes les bonnes œuvres qu'ils accomplissent dans leur église, en tout temps et chaque jour, que de plus, ma vie durant, à la messe du malin, ils réciteraient pour moi l'oraison Deus, qui justificat impium, etc.; qu'après ma mort, ils célébreraient l'office complet des fidèles défunts avec les oraisons et messes accoutumées, ainsi que le service anniversaire comme pour l'un des leurs; enfin qu'à perpétuité, tous les jours, excepté les jours de fête, après prime, en se rendant au chapitre, ils chante raient pour moi, le psaume De Profundis avec le capitule Requiem œternam et la collecte Absolve, Domine, etc. Que monseigneur saint Lezin soit le témoin, le médiateur et le garant de cette convention entre les susdits chanoines et moi. »

Cette même formule, identiquement reproduite, termine la Vie de saint Magnobode, qu'il écrivit, étant évêque de Rennes, a la prière des chanoines de Saint-Magnobode.

Ce n'était pas seulement sa plume, c'était aussi sa parole qu'il consacrait à la glorification des saints de son pays. Nous avons encore le texte d'un grand panégyrique en l'honneur de l'illustre thaumaturge angevin, saint Florent Le Vieil.

Dom Chamard analyse fort bien ce curieux monument : « L'orateur, dit-il, y montre un amour si tendre, une confiance si filiale envers saint Florent, que l'on dirait un enfant faisant l'éloge de son père. Le fondateur de l'abbaye du Mont-Glonne est à ses yeux le protecteur et le père de la patrie. Tous les ressorts de l'éloquence sont mis en jeu pour faire ressortir l'éclat des vertus et Je nombre des miracles du grand serviteur de Dieu. »

Au commencement de l'année 1096, Marbode fut enlevé à ses graves et calmes fonctions d'archidiacre, à son pays d'Anjou, à ses amis et à ses proches, pour être porté au dernier sommet de la hiérarchie ecclésiastique, où l'appelaient sa haute réputation littéraire, la sainteté de sa vie, l'orthodoxie de sa doctrine et sa grande expérience des affaires.

Sylvestre de La Guerche, évêque de Rennes, auquel il succédait, était mort en 1093. Soit qu'il ne fut pas procédé immédiatement aux élections qui, a cette époque, étaient faites par les évêques, de la province et par le clergé et le peuple de l'église qu'il s'agissait de pourvoir d'un premier pasteur, soit, comme le disent d'autres historiens, qu'une partie du clergé rennais se soit évertué a multiplier les obstacles pour empêcher l'accès d'un étranger dont l'austérité égalait la douceur, et dont il n'avait a attendre aucune faiblesse, toujours est-il que trois années s'écoulèrent entre la mont de Sylvestre et l'intronisation de Marbode, qui ne fut sacré qu'au mois de février 1096, par le pape Urbain II lui-même, au milieu du concile de Tours.

L'élection de Marbode à l'évêché de Rennes eût été impossible quelques années plus tôt; alors l'Anjou et la Bretagne étaient en guerre continuelle. Alors, Marbode était amené, par les passions générales de son pays, à écrire de sa main, et contre ses futures ouailles, cette chanson sanglante et bizarre, qui a eu le singulier privilège de rester la plus populaire comme la plus médiocre de ses poésies, et qui est trop souvent offerte comme un spécimen assez peu flatteur de son talent. Mais, en 1092, la paix s'était faite entre les deux nations par le mariage de la bienheureuse Ermengarde, fille de Foulques, avec Alain Fergent, et c'est manifestement par l'influence de cette princesse, pieuse, sage, lettrée, l'amie de Robert d'Arbrissel et de saint Bernard, que Marbode fut élevé sur le siège de Rennes.

Ce fut, certes, par des motifs de foi et de soumission que Marbode accepta ce poste, et non par des motifs d'ambition personnelle et toute humaine. Il était jeté au milieu d'un pays qu'un autre prélat angevin, son contemporain, lettré comme lui, Baldric, évêque de Dol, n'hésitait pas[4] à qualifier de « nid de scorpions et de repaire de bêtes doublement féroces. » Et de fait, la Bretagne était en retard de se lever au réveil de la civilisation dont Grégoire VII avait donné le signal. Après les invasions normandes, elle n'avait trouvé que ruines, tout un siècle s'usa en guerres, en luttes entre les barons descendants des anciens petits rois émigrants, parmi lesquels la maison des comtes de Rennes acquérant une prépondérance chaque jour moins contestée, assurait les bases du prochain établissement de la monarchie ducale de Bretagne. Tout Breton vivait de la guerre et par la guerre. Guerre au dedans, entre le duc et les grands vassaux, quand ce n'est pas des grands vassaux entre eux : au dehors, guerre sans trêve contre l'Anjou et la Normandie jusqu'au jour où l'immense puissance des Plantagenet, maîtres à la fois de l'Anjou et de la Normandie, rendit toute résistance impossible. Tels sont les seuls actes de la politique bretonne durant le xie siècle. L'abus de la force et du fer, l'anarchie féodale dominaient également l'Église. Sur les ruines des sanctuaires et des cloîtres, amoncelées par les Normands, vivait scandaleusement un clergé ignorant et simoniaque; les seigneurs laïques s'étaient emparés des paroisses et des dîmes et en trafiquaient; les prêtres, les évêques eux-mêmes se mariaient publiquement afin de transmettre héréditairement à leurs enfants les bénéfices dont ils faisaient un fief de famille. C'est ainsi qu'on vit une dynastie épiscopale de plusieurs générations sur le siège episcopal de Quimper et sur celui de Dol. Le grand homme et le grand saint qui s'éleva le premier et le plus énergique pour lutter contre ces désordres sacrilèges, Robert d'Arbrissel, était lui-même fils d'un prêtre.

Mais tout le monde sait que c'est à Rennes même que Robert exerça d'abord son zèle de réformateur; archidiacre de son diocèse natal sous le pontificat du prédécesseur immédiat de Marbode, il laissait à celui-ci le soin de recueillir les premiers fruits de ses ardents travaux. Marbode trouvait donc tout vivant l'écho de la parole incomparable de Robert, il pouvait suivre la trace toute fraîche de ses pas apostoliques; et pour moi, je suis de ceux qui répugnent absolument à admettre que la lettre anonyme de reproches, quelque dubitative qu'elle soit, adressée par le dernier des évêques à Robert, et qui a été l'objet de tant de controverses au xviie siècle, soit réellement tombée de la plume de Marbode. Il me paraît impossible que dans l'âme si bienveillante de l'évêque le soupçon ait pu trouver place contre l'archidiacre, dont il avait dû mieux que tout autre apprécier les œuvres.[5]

Marbode eut la fortune de prendre le bâton pastoral au début d'une période de renaissance et de réparation. Il eut un épiscopat laborieux, mais fructueux. Il vit sans doute les choses saintes dans des mains profanes, et il put écrire la sanglante satire Des Prévôts; mais il vit plus d'une fois des seigneurs repentants remettre entre ses mains les bénéfices par eux usurpés, afin qu'il en opérât la restitution canonique aux monastères; sans doute il vit chez plus d'un bandit féodal des repentirs hypocrites trop tôt suivis de retours scandaleux à des habitudes de forban, et il put écrire son chef-d'œuvre, le fabliau Du Loup qui se fait Moine; mais, d'un autre côté, il vit aussi le zèle de l’aristocratie bretonne à suivre son duc aux croisades, et l'émulation de tous dans la fondation des prieurés et des monastères ; il vit la Bretagne se couvrir d'abbayes et de prieurés, et le clergé régulier réparer en tout lieu les scandales d'un clergé simoniaque et honteusement ignorant. Lui-même, quand il fut obligé de sévir contre les chanoines indignes de la collégiale de Vitré, il trouva dans les seigneurs du lieu un appui énergique pour substituer à ces misérables les édifiants religieux de Saint-Melaine. L'influence que le prélat devait à son caractère, a ses talents, à ses vertus, se doublait de celle que lui donna sur le duc Alain Fergent, et plus tard sur le duc Conan, la haute estime et la confiance sans limites de la bienheureuse Ermengarde, dont il fut toujours le conseiller fidèle et dévoué.

L'épiscopat de Marbode ne fut donc ni stérile pour son diocèse, ni sans consolations pour lui, et à vrai dire, le grand déboire de sa vie lui vint, non de Rennes, mais d'Angers. Il nous l'a raconté lui-même dans une lettre vraiment éloquente de tristesse et d'amertume.

Geoffroy de Mayenne, déposé par le Souverain-Pontife, était docilement descendu du siège episcopal d'Angers, et s'était retiré dans le cloître de Cluny. On procéda au choix de son successeur, et durant ces élections, où les influences diverses se combattaient, le peuple, sans attendre les résultats du vote ecclésiastique, proclama tumultueusement un jeune seigneur angevin, qui n'était pas encore entré dans le clergé, mais d'ont la famille était influente et bien posée, et qui passait lui-même et a bon droit, il le prouva plus tard, pour un homme de haute valeur; il se nommait Rainaud de Martigné. Ce choix fut vivement combattu par le chapitre, et surtout par le doyen Guillaume et l'archidiacre Etienne, qui paraissent avoir été mus par des sentiments moins avouables que le pur zèle de la discipline ecclésiastique. Mais ce zèle seul animait des adversaires bien autrement redoutables de Rainaud. C'étaient les évoques et les abbés de la province de Tours, véritables électeurs au point de vue canonique, et parmi lesquels on comptait des hommes tels qu'Hildebert, évêque du Mans, Guillaume, abbé de Saint-Florent, et Geoffroy, abbé de Vendôme.

En face de cette opposition redoutable, Rainaud sut profiter des circonstances et se fit agréer par le duc et par la noblesse d'Anjou, et surtout il gagna un patron dont l'influence devait aplanir tous les obstacles. C'était Marbode. Rainaud avait été son élève. Marbode se jeta dans la lutte avec l'ardeur d'un père. Il part pour Tours, change les dispositions hostiles de l'archevêque Raoul (1101); il se rend de là à Rome, et, après avoir triomphé de tous les obstacles, il revenait à Angers, nanti de la confirmation régulière de l'élection de Rainaud par le Souverain-Pontife.

Mais, pendant son voyage, une réaction, dont l'histoire politique et l'histoire ecclésiastique elle-même n'offrent que trop et de trop scandaleux exemples, s'était opérée à Angers. L'opposition, convaincue de son échec, s'était rapprochée de l'élu, et l'élu, flatté outre mesure de ce retour, s'était livré tout entier a ses adversaires de la veille, devenus ses adulateurs du jour. La victime de cette transaction, ce fut le vieil ami qui n'avait pas reculé devant les fatigues et les ennuis d'une négociation délicate et d'un long voyage. A son retour à Angers, Marbode se vit dépouillé par Rainaud de Martigné de tous les bénéfices qui lui avaient été concédés dans ce diocèse, dont il avait été la gloire la moins contestable, bien plus, il se vit ignominieusement chassé de la ville où s'étaient écoulées les premières années de sa vie studieuse et où il avait conquis ses titres à la renommée littéraire, et obligé de repartir pour Rome, pour se défendre lui-même contre les accusations de ce nouvel évêque dont il avait Seul obtenu la difficile intronisation. C'est alors que l'évêque de Rennes écrivit et publia sans aucun doute sa lettre à Raynaud, dans laquelle il énumère, avec une éloquente et juste indignation, tout ce qu'il a fait et tout ce qu'il a souffert pour cet ingrat pupille. Cette lettre, nous dirions aujourd'hui cette brochure, est pleine de valeur littéraire en même temps que de curiosité historique, et obtint à l'heure même, un résultat trop peu souvent constaté en pareille matière ; elle fit reconnaître au jeune évêque d'Angers l'indignité de sa conduite. Il voulut aller lui-même a Rome pour solliciter l'absolution de sa double infraction à la discipline ecclésiastique ; et pour que nul ne se méprît sur la sincérité et la portée de soft repentir, il supplia Marbode de prendre en mains l'administration du diocèse d'Angers pendant son absence.

C'est pendant cette administration intérimaire que Marbode approuva la fondation de l'abbaye de Nyoiseau, témoignage indiscutable de ses relations avec Robert d'Arbrissel et ses disciples. Un autre témoignage non moins irrécusable, c'est la lettre écrite par lui au B. Vital, pour solliciter l'admission, à l'abbaye de Savigny d'une pauvre jeune fille dont les parents ne pouvaient pas payer la dot : « Faites droit à ma demande, très doux frère, écrit-il à Vital, je vous en supplie, je ne dirai point pour l'amour de moi, mais pour l'amour de Celui qui est le père des orphelins et le juge des veuves, à la condition que si jamais vous avez besoin de mes services, je vous rendrai celui-ci avec le zèle qui sera en mon pouvoir. » Quand on rapproche cette lettre de celle écrite à Robert d'Arbrissel lui-même, et dont nous ayons déjà parlé, est-il possible d'admettre que les deux soient écrites par la même main et par le même cœur? Un troisième témoignage peut être joint aux deux premiers. Ce fut Marbode qui bénit et consacra la première abbesse de Saint-Sulpice.

Nous avons dit comment, à propos de Raynaud de Marligné, Marbode s'était trouvé en contradiction avec Geoffroi de Vendôme et avec le vénérable Hildebert, évêque du Mans. Entre ces âmes élevées et ces nobles cœurs, un dissentiment de principes ne pouvait pas dégénérer en une querelle de personnes. L'abbé de Vendôme se rapprocha sans arrière-pensée de l'évêque de Rennes; et comme Hubert, grand chantre de la cathédrale d'Angers, en témoignait son étonnement : « Vous me reprochez, dit Geoffroy dans la sixième lettre du livre V de ses Epîtres, vous me reprochez la bonne intelligence qui règne publiquement entre l'évêque de Rennes et moi. Certes, un fait de cette nature, pour quiconque n'est pas privé de l'amour de Dieu, ne doit pas être un objet de scandale, et si votre cœur éprouvait quelque émotion à ce sujet, ce devrait être un sentiment de joie, et non de regret. »

Quant à Hildebert du Mans, il renoua bien vite aussi les liens d'une amitié fondée sur une mutuelle estime, et qui dura autant que la vie des deux illustres prélats.

C'est à Hildebert que Marbode dédia son poème philosophique Des dix Chapitres, écrit, nous apprend-il lui-même, alors que le poète avait atteint sa soixante-septième année. Et Hildebert répondait à Marbode : « O vous, mon cœur, ma gloire, les délices des rois, la grâce des princes, l’ornement du clergé, l'amour des peuples, le modèle de la vertu, le miroir de la grâce divine, le type de la foi ferme et sincère, l'Orphée de notre temps, prenez votre lyre et faites résonner les plus doux accords. »

Telle fut, en réalité, la vie toute pieuse et toute littéraire de Marbode. Si les chartes contemporaines nous le montrent, comme évêque, mêlé à toutes les grandes affaires de son temps, le lettré prédomine toujours, et c'est le lettré qui nous attire et qui nous retient. Lui-même, il voulut mourir dans un sanctuaire où la piété et les lettres occuperaient seules toutes ses pensées, et déposant volontairement la charge de l'épiscopat, il vint se retirer dans le monastère de Saint-Aubin d'Angers, où il vécut pendant trois ans, sous le froc bénédictin.

Le 11 septembre 1123, il expirait sur un lit de cendres, au milieu du chœur de la basilique abbatiale. Il fut inhumé dans cette dévote église, qu'un artiste nommé Foulques venait de décorer de magnifiques fresques, dont oh peut encore admirer aujourd'hui quelques débris. Ainsi, la peinture entourait de splendeurs la tombe du poète qui passait à bon droit pour le premier de son temps et de son pays.

La gloire littéraire de Marbode ne fut pas ensevelie avec lui. Son succès était si incontesté, que moins d'un siècle après sa mort, un poète français traduisait en cette langue le poème populaire des Pierres Précieuses. Les manuscrits de ses œuvres se multipliaient au point que la seule bibliothèque du roi, à Paris, en compte sept : trois du xiiie siècle, trois du xive, et un de l'an 1467.[6]

La première édition imprimée est de Rennes, 1524, chez Jean Macé. Yves Mayeuc, évêque de Rennes et confesseur de la duchesse Anne, l'une des plus grandes gloires du clergé breton par sa science et par sa vertu, fut lui-même l'éditeur des œuvres de son illustre prédécesseur. Cette édition est à peu près introuvable aujourd'hui, Dom Beaugendre en publia une plus ample et plus correcte à la suite des œuvres d'Hildebert; Paris, 1708, in-folio. Enfin, l'abbé Migne a reproduit l'édition de D. Beaugendre, revue et augmentée de plusieurs pièces inédites par M. l'abbé Bornasse, dans le tome 171 de la Patrologie. Je ne parle pas des éditions fort nombreuses du poème des Pierres Précieuses, publié séparément.

J'ai dit que ce poème avait été traduit en vers français au xiie siècle. C'est, je crois, la seule des œuvres de Marbode qui ait été jusqu'ici interprétée dans notre langue.

J'ai voulu aller plus loin. J'ai trié dans les in-folios qui renferment les œuvres du poète ceux de ses poèmes qui me paraissaient de nature à faire comprendre à des lecteurs français la gloire dont leurs aïeux avaient entouré l'auteur. Le latin, il faut bien le reconnaître, est véritablement pour nous une langue morte. J'ai essayé, par une traduction qui ne fût pas une trahison, de ressusciter au milieu des Bretons cette grande figure littéraire, de laquelle je me suis personnellement épris; et si mes vers ne sont pas trop infidèles, on connaîtra désormais, autrement que de nom seulement, le poète le plus justement célèbre de la Bretagne et de l'Anjou au xie siècle.

S. ROPARTZ.


 

CARMINA VARIA / POÉSIES DIVERSES

Traduction en vers de Sigismond ROPARTZ

 

 

 



 

 

 

 

 

LIVRE PREMIER

 

EPITRES

I. M. episcopus E. comitissae.

I. A la duchesse Ermengarde.

Filia Fulconis, decus Armoricae regionis,
Pulchra, pudica, decens, candida, clara, recens,
Si non passa fores thalamos, partusque labores,
Posses esse meo Cynthia judicio.
Sed quia juncta mari castae nequit aequiparari,
Est etiam potior virginitatis honor.
In grege nuptarum credi potes una dearum,
Prima vel in primis, o speciosa nimis!
Sed tuus iste decor, sata principe, principis uxor,
Transiet ut fumus, et cito fiet humus.
Aut si dilato current tua tempora fato,
Heu dirum facinus! efficieris anus.
Vultus formosus laudatur, et est pretiosus,
Sed mors vel senium destruet hoc pretium.
Luce micans acies, quae vulnerat aspicientes,
Et flavus crinis, fiet utrumque cinis.
Fama refert de te quod non sit femina prae te
Pollens eloquio, callida consilio.
Haec quoque deficient, et tantum fabula fient.
Narrat et antiquos fabula doctiloquos.
Stragula blattarum vestis cibus ac tinearum,
Et metuens fures aurea congeries,
Omni prudenti sic sunt quasi flamina venti,
Flamina praetereunt, nec minus hoc pereunt.
Mollities lecti quid confert murice tecti?
Aufert quippe tori gaudia posse mori.
Delicias mensae quasi vilia fercula cense,
Charum cum vili vertitur in nihili.
Servos, ancillas, cum turribus, oppida, villas
Quisquis habet vivens, deseret et moriens
Arminiae pelles, exornatusque satelles
Quem laudis titulum dant tibi post tumulum?
Quid maris et terrae properem bona cuncta referre,
Quae quasi te ditant, et tibi suppeditant?
Divitiae tales sunt nulli perpetuales,
Cum mundo vadunt, cumque cadente cadunt.
At quod amas Christum, quod mundum despicis istum
Et quod pauperibus vestis es atque cibus,
Hoc te formosam facit et Domino pretiosam;
Nec mors, nec senium destruet hoc pretium.

Fille de Foulque, honneur du pays Armorique,
Belle, candide, illustre, ingénue et pudique,
Si vous n'aviez pas pris le fardeau de l'hymen,
Si des fils n'étaient pas sortis de votre sein,
J'aurais cru voir en vous la déesse du Cynthe.
Mais, rien ne remplaçant la virginité sainte,
Princesse par l'hymen, princesse par le sang,
Je puis, à tout le moins, vous mettre au premier rang
Des déesses qu'on vit unir leurs destinées
Aux dieux, et contracter d'immortels hyménées.
Parlant d'elles ici, et peignant leur beauté,
Je tracerais de vous un portrait non flatté.
Mais toutes ces splendeurs, dont la femme est si fière,
Passeront comme l'ombre et deviendront poussière,
Ou si votre destin doit prolonger son cours,
Si vous devez compter sur d'innombrables jours,
Subissant des horreurs, presqu'à la mort pareilles,
Vous-même vous serez mise au nombre des vieilles.
Ce visage royal, qu'on vante avec transport,
Qu'on vante, avec raison, la vieillesse ou la mort
Le flétriront; ces yeux, au regard vif et tendre,
Et ces longs cheveux blonds se réduiront en cendre.
On dit que votre esprit, éloquent et subtil,
Ne connaît point d'égal. Et qu'en restera-t-il?
Ce qui peut en rester de mieux : la renommée ;
C'est-à-dire, du son, du vent, de la fumée.
La mite sait ronger les tissus de drap d'or
Et le voleur ravir diamants, et trésor ;
Le sage prise peu ces choses périssables."
Vos rideaux empourprés font-ils plus délectables
Des nuits que vient troubler la crainte dû trépas?
Les vers prennent leur part de vos riches repas.
Valets, femmes, châteaux, donjons et forteresses,
A la mort il faudra, de toutes ces richesses,
Se séparer. Comtesse, au-delà du tombeau
Que vaudront votre titre, et le royal bandeau,
Et le manteau ducal, fourré de blanche hermine,
Et vos gardes d'honneur, gens de si haute mine?
Faut-il énumérer tous les trésors divers
Qu'accumulent, pour vous, et la terre et les mors?
A tous ces biens, Madame, il manque la durée.
Mais votre âme dévote, à Jésus consacrée,
Des pauvres vous faisant le-pain, le vêtement,
Voilà, pour l'œil de Dieu, votre bel ornement;
Voilà votre trésor, voilà votre richesse,
Que ne détruiront point la mort, ni la vieillesse.

 

II. Ad reginam Anglorum.

II. A la reine d'Angleterre!

 

Est operae pretium tentasse pericula Ponti,
Et dubiae sortis pertimuisse minas.
Reginam vidisse juvat, quam nulla decore
Corporis ac vultus aequiparare queat.
Quem tamen occultans laxae velamine vestis
Sola pudore novo dissimulare cupit
Sed nequit abscondi propria quod luce coruscat,
Et vibrat radios nubila sol penetrans.
Egregios mores, ac melle fluentia verba.
Plus reticere juvat, quam minus inde loqui.
Affectant aliae quod eis natura negavit,
Purpureas niveo pingere lacte genas;
Fucatosque trahit facies medicata colores,
Distinguendo notas artis adulterio.
Comprimit exstantes quarumdam fascia mammas,
Et longum fingit vestis adacta latus.
Hae partim retegunt laxosa fronte capillos,
Et calamistrato crine placere volunt.
Tu, regina, quod es, metuis formosa videri,
Quae coemunt aliae munera gratis habens.
Praestat habere palam quo te natura beavit,
Sis ingrata Deo si sua dona neges.
Accensam modio vis occultare lucernam,
Non tua, sed Domini munera dantis habes.
Virgo, pudica licet, tamen optat pulchra videri,
Et castam mentem candida forma decet.
O regis conjux proavis ex regibus orta!
Magna tegi nequeunt, parva latere solent.
Vivet fama tui quantum mea carmina vivent,
Et te cantabit, qui mea scripta leget.

Me voilà bien récompensé
D'avoir bravement traversé
La mer menaçante et fatale ;
Car mon courage a mérité
De voir la Reine de beauté,
Qu'aucune autre femme n'égale.
Les plis onduleux et flottants
Des longs et larges vêtements
Dont, par une pudeur nouvelle,
Elle veut toute se voiler,
Ne peuvent pas dissimuler
A quel point Dieu l'a faite belle.
Tel le rayon, doux et vermeil,
Émané du brillant soleil,
Apparaît vibrant sous la nue.
Je devrais parler encor mieux
De son esprit ingénieux,
De son âme pure, ingénue ;
Mais de tout cela je me tais,
Car je n'en pourrais dire assez.
Le silence est chose plus sûre.
Tant d'autres, à pétrir le fard
Habiles, demandent à l'art
De refaire en mieux la nature!
On a des crèmes pour le teint,
Le visage peint et repeint
Est un arsenal de mensonge.
Un embonpoint trop indiscret
S'enferme en un étroit corset ;
Le flanc court se cambre et s'allonge,
Comme les plis du vêtement,
Qui se prolonge habilement.
En rejetant la chevelure,
On semble avoir un large front,
Où des mains adroites feront
De vrais miracles de frisure.
Que votre cœur est différent!
Madame, vous avez vraiment
Les beautés que d'autres simulent ;
Et, bien loin de les étaler,
Vous voulez à tous les celer
Et tous vos soins les dissimulent !
Laissez, laissez paraître aux yeux
Les dons que vous tenez des cieux ;
Pour Dieu, ne soyez pas ingrate.
Sans altérer la chasteté,
Les vierges aiment leur beauté
Et soignent sa fleur délicate.
Et vous, en qui tout est grandeur,
Vous l'enfant, l'épouse et la sœur
Des plus grands rois, reine vous-même,
Vous voulez voiler votre front!
Non, ces voiles sont un affront,
Pour un front ceint du diadème.
Et puis, vous cacheriez en vain,
Madame, ce trésor divin
Qui, de toute part, se révèle :
Désormais, dans tout l'univers,
Partout où l'on lira mes vers,
On saura que vous êtes belle.

 

III. — Ad Odonem episcopum simul et comitem.

III. A Odon, évêque et comte.

 

Veri lucra boni Domino Marbodus Odoni.
Praesulis et comitis gemino cum nomine sitis,
Insignis cumque te perficiaris utrumque,
Praebentes aeque vos clero militiaeque,
Cum communi, sed utrique tamen velut uni,
Nam se quisque coli tantum putat, ut sibi soli
Munera praestari, nec quae velit ulla negari,
Cum vobis dederit sors quidquid homo sibi quaerit,
Gazas, aetatem, personaque nobilitatem,
Linguam quae fari, mentem quae scit meditari,
Morum candorem, plebis patrumque favorem,
Audeo pauca tamen vobis, velut ad renovamen,
Scribere, ne sitis qui non meminisse velitis,
Si fas est dici, nostri specialis amici;
Non quia sim talis, qui vobis sim specialis,
Sed quia vos talem scio, quem faciam specialem.
Nec mihi quid detis, plus vos amo quam quod habetis.
Et quod habetis amo, sed non ea bona reclamo.
Munera nolo dari mihi, sed volo pauper amari.
Sufficit ad munus, si nos amor alliget unus.

A Monseigneur Odon, je souhaite tout bien.
Et d'évêque et de comte ayant le double titre,
A votre double emploi vous convenez si bien,
Que l'on vous obéit au camp comme au chapitre.
A chaque fonction vous êtes tout entier,
Et vos subordonnés, en vous voyant paraître,
Trouvent en vous le chef qui marche le premier,
Comte pour le soldat, et prélat pour le prêtre.
Le sort vous a donne ce qu'on peut souhaiter,
La jeunesse, un grand nom et l'immense richesse,
L'éloquence, un esprit propre à tout méditer,
Des mœurs, et la faveur de peuple et de noblesse.
Je vous écris ces mots, c'est comme un cri du cœur,
Pour empêcher aussi que votre cœur n'oublie
Un ami spécial. Non pas, mon cher Seigneur,
Que j'attende pour moi la fortune inouïe
D'un rang tout spécial entre tous vos amis ;
C'est moi qui, plus que tous, vous estime et vous aime;
Non pas pour les trésors qui vous sont départis,
Et dont je ne veux rien ; mais pour vous, pour vous-même.
Je suis et serai pauvre, et pour tout don je veux
Qu'une même amitié nous unisse tous deux.

 

IV. — M. Redonensis episcopus H. Cenoman. episcopo.

IV. A Hildebert, évêque du Mans.

 

Dum tua scripta regens oculos ad nostra reduco,
E coelo terras videor spectare jacentes;
Sublimi nubes excedunt illa volatu,
Nec terris haerent humili reptantia gressu.
Saepe relecta patent solis sapientibus illa,
Arcanos sensus brevibus stringentia verbis.
Gemma velut modico vix maxima clauditur auro,
Haec aditu facili rudibus doctisque patescunt,
Scilicet artificis minus accurata paratu,
Et de communi leviter manantia vena.
Vestra per antithesim flectit se musa frequenter
Exercens refluos sinuoso schemate gyros;
 Nobis directo satis est procedere calle,
Quamlibet et crassa contexere verba minerva,
Ne cum subtili radio feriamur Aragne.

Lorsque, ayant lu vos vers, je repasse les miens,
Il semble, en vérité, que, du ciel, je reviens
Aux humbles plaines de la terre.
Vous planez dans la nue, et, soutenant son vol,
Votre Muse jamais ne vient toucher le sol.
Souvent, sous votre phrase austère,
Se cache un sens subtil, aux seuls doctes s'ouvrant,
Comme, en un anneau d'or, se cache un diamant.
Coulant d'une veine vulgaire,
Au contraire, mes vers, à peine dégrossis,
Du peuple et des savants, facilement compris,
Dans leur cours ne s'élèvent guère.
Votre style sachant d'antithèses s'orner,
On vous voit savamment tourner et retourner
Comme en un cercle sans issue.
Moi, je suis trop heureux d'aller au but tout droit,
Et je n'imite point la toile qu'à mon toit
L'habile araignée a tissue.

 

V. — Marbodus Samsoni episcopo.

V. A Samson, évêque de Wincester.

 

Invidet antiquum pelagi mihi fluctus amicum;
Oceani limes separat unanimes.
Nec pons in ponto, nec sunt vada pervia conto,
Ut solet in Ligeri navis adacta geri.
Sed neque prudentis reor aut se tradere ventis,
 Aut sua, se spreto, credere fata freto.
Aequora sunt tantum generi concessa natantum,
Tellus gressilibus, aura volatilibus.
Ut chorus astrorum servat convexa polorum,
Quadrupla materies fert totidem species.
Regnum Neptuni generi sic competit uni,
Nostra sed improbitas res it in illicitas.
Inde fit ut dubitem cautus ne pericula vitem,
An stultus fiam propter amicitiam.
Opto tuum vultum, mi praesul, cernere multum,
Amplectique senem quem colui juvenem.
Sacratasque manus cano conjungere canus,
Colloquiumque tui, dulcis amice, frui.
Hospitiique fidem, collataque munera pridem,
Quae labor est scribi commemorare tibi
Ne pater ingratus cui sum servire paratus,
Cui si me dedero, non tamen aequus ero.
Sed gelidum pectus, sed fessa labore senectus
Obstat ne faciam per maris alta viam.
Si fines vestri peterentur calle pedestri,
Ad charas aedes ferret, amice, pedes.
At tu qui vegetus, qui ventos spernere suetus,
Undis circumagi non metuis pelagi,
More tuae gentis grave quidlibet aggredientis,
Visere, quando voles, littora nostra vales.
Hac tu parte salus, tuus est pater hinc generatus,
Ad natale solum fas sit inire salum.
Hic domus, hic fundus; prior hic locus, ille secundus;
Te locus hic docuit, quo locus ille cluit.
Ut patriam repetas, maris aude rumpere metas;
Illis namque plagis praesul et exsul agis.
Est et in his oris aequum tibi culmen honoris,
Urbem, quae genuit te, tuus obtinuit.
Hic stas antistes, licet istinc corpore distes,
Urbem quippe rego, quam regit alter ego.
Huc igitur poteris, nisi nos non visere quaeris,
Moliri reditum, cum fuerit libitum.
Quo si forte vocas citus occurram Bajocas,
Sedes praesulibus sufficit illa tribus.
Aut si displicet hoc, si currere despicis istoc,
Dic quo jussus eam, sed cave ne peream.

De mon antique ami, le flot, un flot jaloux,
Me sépare, et la mer se fait large entre nous.
Ce Pont n'a point de pont ; point de radeau tranquille
Qu'aux rives du Liger hale un cheval docile.
Moi, je trouve imprudence à confier aux vents,
Aux flots souvent trompeurs, mes destins chancelants:
Dieu, pour chaque élément, a fait diverses races :
A la mer, les poissons ; aux immenses espaces
De l'air, l'oiseau léger; nous, au sol montueux;
Les étoiles, la lune et le soleil, aux cieux.
Neptune règne en roi sur une face unique ;
Envahir son royaume est une chose inique
Pour nous. J'hésite donc, et vraiment je ne sais
Si je dois rester coi, comme les gens sensés,
Ou par vive amitié prendre un parti moins sage.
Je désire pourtant voir votre cher visage,
Embrasser le vieillard que jeune j'aimais tarit,
A votre front blanchi coller mon front tout blanc,
Serrer dans mes deux mains vos deux mains consacrées,
Et goûter, doux ami, vos paroles sacrées.
Pour vous remercier de vos charmants présents,
Ma plume ne peut pas rendre ce que je sens :
Maître, ne doutez point de ma reconnaissance;
Je sais trop bien sur moi quelle est votre créance;
Me donnant tout entier, je ne la paierais pas.
Mais mon cœur est glacé, mon corps est vieux et las,
Je ne puis de la mer affronter les tempêtes.
Si je pouvais me rendre en ces lieux où vous êtes,
Par un sentier ouvert aux simples piétons,
Tout aussitôt j'irais à vos chères maisons.
Mais vous, ami chéri, vous avez l'habitude
De la mer et des vents; et, sans inquiétude,
Vous savez naviguer sur les flots indomptés,
Dont est votre pays cerné de tous côtés :
Vous pouvez aisément visiter notre terre,
Si vous le voulez bien. Autrefois, votre père
Vécut dans ce pays ; et vous-même êtes né
Tout près d'ici. Voici ce berceau fortuné,
Voici votre manoir, vos champs, votre prairie !
Là-bas, c'est seulement la seconde patrie;
Ici, c'est la première. Ici, vous avez pris
Le savoir dont là-bas vous recueillez le prix.
Pour revenir chez vous, bravez l'Océan même.
Vous êtes exilé dans votre poste extrême ;
Revenez, vous aurez ici mêmes honneurs.
Un des vôtres régit, au siège des pasteurs,
Votre ville natale, et cet autre moi-même
Vous placera toujours, évêque, au rang suprême ;
Et, maître souverain de votre cher séjour,
Vous-même fixerez le moment du retour.
Voulez-vous qu'à Bayeux nous nous trouvions ensemble?
Ce banc porterait bien trois prélats, ce me semble.
Préférez-vous quand même un autre rendez-vous?
Vous me verrez de suite accourir près de vous.
Mais, en me déclarant votre ordre indiscutable,
Songez que de mes jours vous êtes responsable.

 

VI. — M. episcopus R. archidiacono.

VI. A Rivallon, archidiacre de Nantes.

 

Amplector missos a te, charissime fili,
Versus ingenii signa benigna tui.
Amplector laudes fama vulgante relatas,
Indolis acquirunt quas documenta tuae.
Gratulor auspiciis vitae morumque bonorum,
Quos in te Christus, qui dederat, recipit.
Ecclesiae castris te gratulor associatum,
Qui modo sub mundi principe miles eras
Nec te poeniteat, quasi sis pejora secutus,
Cito rudis factus milite de veteri.
Scilicet abjectus magis eligis esse propheta
Quam peccatorum castra nefanda sequi.
Passa tamen non est de te dignatio Christi
Ut vilis fieres inferiore loco.
Archidiaconii mox sublimatus honore
Absque labore capis quod labor assequitur.
Sed non displiceat rectoribus Ecclesiarum
Accepisse rudem, quod foret emeriti.
Censurae canonum res non praejudicat ista,
Quandoquidem, claudi lege, nequit probitas.
Consummata brevi compensat tempora multa
Virtus, et merito quod petit anticipat.
Altum quippe locum datis tu dotibus imples
Ornas susceptum moribus officium.
Te perhibet justum, perhibet te fama pudicum;
Tu bonus alloquio, promptus et obsequio,
Ut non sit dubium generosi germinis esse,
 Quem sic commendat nobilitas animi.
Rex te concupiit, mi dilectissime fili,
Ut David Uriae conjugis obsequium.
Daemone prostrato, sociavit te sibi Christus,
Ut per te crescat regia progenies.
Saulus eras, nunc Paulus eris, Christoque jubente
Postmodo pontificis suscipies apicem.
Haec nobis de te spes, generose Riallon,
Hac ne frustremur, nocte dieque stude.
Me vero facilem, me promptum semper habebis,
Ut tibi non desit quidquid habere queam.
Conservus Domini tibi sim, patronus, amicus,
Et quidquid juste plusve minusve petes.

Oui, j'embrasse de cœur, ô mon fils bien-aimé,
Ce poème charmant que vous avez rimé ;
J'embrasse votre Muse, en tous lieux acclamée,
Dont le jeune talent fixe la renommée.
Vous allez répandant l'odeur des bonnes mœurs :
Le Christ, qui les sema, cueille ces chères fleurs.
Vous voilà bien entré dans le camp de l'Église :
Vous ne pleurerez pas cette sainte entreprise.
Naguères vous portiez et casqué et bouclier,
Du prince, notre duc, vous étiez chevalier :
Mais craignant du péché l'influence fatale,
Vous courbâtes le front sous la main pastorale,
Vous vous fîtes petit; et le Christ, satisfait
De votre sacrifice, en a hâté l'effet.
Sans travail, et d'un bond vous atteignez les cimes.
L'archidiaconat aux fonctions sublimes
Vous est d'abord donné par le choix des pasteurs,
Qui, d'usage, n'appelle à ce comble d'honneurs
Que les prêtres mûris par un labeur intense.
Non pas que les canons en portent la défense ;
A leurs yeux, la vertu peut suppléer au temps,
Et permet de cueillir des fruits mûrs au printemps.
Vous en êtes vraiment un exemple suprême,
Et vos mœurs font briller votre fonction même.
Juste, chaste, disert, toujours obséquieux,
Vous montrez clairement à quel sang précieux
Votre âme généreuse emprunta sa noblesse.
O mon fils bien-aimé, le Roi, dans sa tendresse,
Triomphant du démon, prend votre âme pour lui.
Le Christ, divin époux, la caresse aujourd'hui,
Et veut créer en elle une race bénie :
Ainsi David ravit la compagne d'Urie.
Saül, devenu saint Paul, au chemin de Damas,
La mitre vous attend. Je ne me trompe pas,
Généreux Rivallon ; c'est là mon espérance.
Pour ne la point frustrer, acquérez la science.
Moi, vous me trouverez toujours là, toujours prêt
A vous aider en tout, selon votre souhait.
Je suis, dans le Seigneur, votre ami, votre frère,
Donc, demandez de moi tout ce que je puis faire.

 

VII. — M. Gaulterio suo salutem.

VII. A son ami Gaultier.

 

Assuetam turbis et luxu divitis urbis,
Et sic obtusam cum rus volo mittere musam,
Illa retrocedit, sibi nec tutum fore credit
A te, Gauteri, metuende poeta, videri.
Quippe loco frueris, quo, sicut et ipse fateris,
Te vacuum curis invitat gratia ruris,
Respondente lyra, cantante poemata mira.
Hoc illam terret, ne si male jussa referret,
Aut sibi flagra dares, aut se ferus igne cremares,
Aut tunica scissa, turpis foret inde remissa.
Est, inquit, villae nequaquam deditus ille,
Ad quem nesciolam me vis modo mittere solam:
Quamvis rus habitat, tamen omnia rustica vitat.
Nam liber adstat ei magna pro parte diei,
Quin et post coenam solet ipse vocare camoenam,
Et vacuus curis, dictare legenda futuris.
Si quid inurbane, si quid non dixero plane,
Judicio vatis fiam rea rusticitatis.
Ejus censura dabitur mihi multa litura,
Quem mea non temere potuerunt errata latere.
Aut etiam certe si dixero plura diserte,
Propter pauca tamen faciet mihi grande foramen.
Mitte Coturnicum qui voce salutet amicum,
Unum de vernis, non est via longa paternis.
His verbis usae respondi talia musae:
Ne timeas, inquam, nec enim te, musa, relinquam,
Si tibi quid triste (quod non puto), fecerit iste.
Imo libenter eas, ruris visura napaeas,
Et visura chorum (quod debes velle) sororum,
Causa voluptatis fiet tibi visio natis,
Quem dignum laudis, cum nunquam videris, audis.
Paruit imperio mihi non incredula Clio,
Et quidquid mittat, sic te tamen ecce salutat:
Tot vivas annis, quot minis labitur annis.

Quand je veux envoyer vers vous, à la campagne,
Ma Muse accoutumée aux bruits de la cité,
Elle regimbe fort, et ma chère compagne
Ne croirait pas chez vous être en sécurité.
Vous habitez là-bas un séjour délectable ;
Votre lyre a trouvé de l’écho dans vos bois,
Et quand vous récitez un poème admirable,
La verdure tressaille au son de votre voix.
Elle a vraiment grand peur, ma Muse épouvantée,
Si mal elle traduit pour vous mes mandements,
D'être dans votre feu toute vive jetée,
Ou de voir déchirés par vous ses vêtements.
« Ce n'est point un vilain, me dit-elle bien vite,
Ce poète vers qui vous voulez m'envoyer.
Il n'a point pris pour lui, dans ces champs qu'il habite,
Ce qu'ils peuvent avoir de simple et de grossier.
Sous ses yeux, tout le jour, il tient ouvert un livre;
Et quand, après souper, les autres vont dormir,
Sans souci, tout entier à sa Muse, il se livre,
Et dicte ces beaux vers que lira l'avenir.
Si je ne parle pas comme on parle à la ville,
Mes rustiques discours seront bien censurés ;
Et si je n'use pas du plus élégant style,
Mes pauvres parchemins seront tous raturés.
Eussé-je été longtemps presque irrépréhensible,
Pour une simple faute, il me déchirera.
Envoyez avec moi, vers ce juge terrible,
Le voisin, son ami, qui pour vous saluera. »
Et moi je répondais au discours de ma Muse :
« Déesse, ne crains rien : je ne te trahis pas;
Rien ne t'arrivera de triste, ou je m'abuse,
Les Nymphes de ces lieux, Muse, tu tes verras;
Dans leur chœur fraternel tu seras bien venue :
Tu verras leur enfant et l'entendras parler. »
Ma Muse obéissante arrive et vous salue:
« Vivez aussi longtemps que l'on verra couler
De la Maine les lots dans l'herbe fine et drue. »

 

VIII. Sermo de vitiis et virtutibus. Petendam esse solitudinem.

VIII. Méditation.

 

Rus habet in silva patruus meus; huc mihi saepe
Mos est abjectis curarum sordibus, et quae
Excruciant hominem, secedere ruris amoena;
Herba virens, et silva silens, et spiritus aurae
Lenis et festivus, et fons in gramine vivus
Defessam mentem recreant, et me mihi reddunt,
Et faciunt in me consistere: nam quis in urbe
Sollicita, et variis fervente tumultibus exstat,
Qui non extra se rapiatur, et expers
Ipse sui vanis impendat tempora rebus?
Hinc amor, inde odium, timor hinc premit, inde cupido;
Inter se diversa quidem, sed lege sub una
Ignaras veri falso subdentia mentes.
Quatuor haec sequitur vitiorum exercitus omnis;
Vix adeo est aliquis qui non putet ista sequenda,
Vel fugienda putans, qui non tamen ista sequatur;
Quippe renitentem trahit impetus ipse ruentum.
Et premit a tergo velut indevexa malorum.
Est igitur primum, turbis elabier, et sic
Praecipitem fixisse gradum, cursumque tenere.
Tum demum reditum festinet ad alta relictae
Praemia virtutis, cui cura est ulla salutis;
Sed grave forte putat, quoniam praerupta secutus
Ardua moliri rursum nequit absque labore;
Esse putet gravius in praeruptissima mergi
Unde referre pedem, vel ibi sine fine manere,
Maximus hoc labor; illud sors pessima rerum.
Ergo quod levius prius aggrediamur oportet,
Si leve nil restat, quod restat id aggrediamur.
Si malus es, noli pejor, vel pessimus esse;
Quod si sis etiam deterrimus, ad meliorem
Paulatim cor rape statum: nam maxima laus est
Rem perdifficilem summo superare labore.
Si te contemnis, potes hanc contemnere laudem.
Sed nimis impius est et homo praeposterus ille
Qui sua sollicitus curat, se despicit ipsum.
Frustra quippe lucris inhias, frustra colis agrum
Incultae mentis damno si deficis ipse.
Nam si non sentis lucra vel dispendia mentis
Deditus his solis quae corporis indicat usus;
Cum sensu careas desperatissimus aeger,
Non homo jam, sed humus vel bestia jure vocaris.
Hic de pestifera fit consuetudine morbus
Lethargo similis; sed et hinc evadere quosdam
Contigit exceptos mortis de faucibus ipsis;
Suscitat hos aliquando quidem fortuna sinistra
Pulsans atque movens socordia pectora; quippe
Casibus adversis patet inconstantia rerum,
Nec fieri quemquam fugitivus posse beatum
Indicat ipse dolor qui de fugientibus exstat.
Nunc uno prosper rerum successus, et ipsa
De non perdendis jam perdita sollicitudo
Suscitat ostendens etiam hanc, impense laborem
Excitat, ut videant quanto languore graventur,
Sed non ut valeant languoris pellere causas.
Qui dolet, aut metuit, patet hunc non esse beatum;
Qui perdit quod amat, vel amat quod perdere possit,
Hic dolet aut metuit; sed non est ulla voluptas
Rebus in extremis, quam non cito perdere possis.
Ergo voluptatum nullum facit ulla beatum,
Indicat hoc ipsi duplex fortuna fruenti,
Tristis in amissis, aut anxia de retinendis.
Sors eadem cupidos omnes infestat, et illum
Qui cum nil habeat, multum tamen optat habere;
Et qui plura cupit, cum jam sibi multa supersint.
His ita compertis, mentisque sopore fugato,
Morbi quaere fugam: nam sponte sua febrientem
Damnat apud medicum pereundi prava voluntas,
Nec tibi differ opem, quoniam dilatio curae
Morte repentina nonnunquam interficit aegrum.
Ad resipiscendum praesens est aptior hora,
Intra tot curas infinitosque labores.
Aspice quam breve sit quod vivimus; omnia vitae
Tempora praeteritae mortis consumpsit imago.
Mortis imago tenet nihilominus omne futurum.
Illud tantillum spatii brevis, atque pusillum
Quod vivis praesens, jam praeteritum fit et absens.
Haec et plura mihi licet, atque libet meditari,
Fronde sub agresti dum rure moror patrueli.

Au fond de la forêt mon oncle a son manoir ;
J'y cours aussi souvent que j'en ai le pouvoir,
Pour tâcher d'oublier des intérêts sordides,
Des travaux écœurants, des soucis homicides.
Prés toujours verdoyants, silencieux bosquet,
Doux zéphir, tour-à-tour babillard ou discret,
Ruisselet enchanteur, qui chante et qui murmure
Dans son lit tout rempli de fleurs et de verdure,
Tout cela qui respire et qui peint le bonheur,
Tout me rend à moi-même et me refait le cœur.
Qui pourrait vivre en soi, patient et tranquille
Au milieu du tumulte enivrant de la ville?
Entraîné hors de soi, qui ne remplirait pas
Le vain écho du bruit de ses propres ébats ?
C'est la haine, l'amour, l'ambition, la crainte,
Dont sans cesse on subit la trompeuse contrainte;
Les vices à leur suite accourent se grouper,
A peine un homme est-il qui voudrait échapper.
Il veut fuir, et la foule aussitôt le ramène
Dans le flot vicieux, qui le couvre et l'entraîne.
Il faut, fuyant toujours et la foule et le flot,
Trouver, pour prendre pied, un solitaire îlot,
Il faut, si le salut occupe la pensée,
Chercher, sur les hauteurs la vertu délaissée.
Peut-être dites-vous : Quelle difficulté
De remonter ce fleuve où le sort m'a jeté!
Dites-vous qu'il serait plus difficile encore,
Si vous vous rapprochez du gouffre qui dévore,
Si vous allez vous-même à l'abîme profond,
De regagner le bord, ayant touché le fond.
Tentons donc le salut, si la fuite est facile.
Tentons-le, quand bien même elle est plus difficile.
Si vous êtes mauvais, pour Dieu! n'empirez pas;
Relevez-vous un peu, si vous êtes à bas.
Même le cœur gâté peut se guérir encore.
Plus le combat est dur, et plus il nous honore :
Et si vous méprisez la victoire et son prix,
C'est vous qu'en ce moment vous avez en mépris.
Or, comprenez-vous bien l'impiété suprême
De cet insensé qui se méprise soi-même,
Pour donner tous ses soins aux biens extérieurs?
Gagnez tous les trésors par de si durs labeurs,
Que sera-ce vraiment, si votre âme est perdue?
Celui qui, poursuivant cette recherche ardue
Des seuls biens corporels, met son âme en oubli,
Et pour elle, ici-bas, ne prend aucun souci,
Ressemble au moribond à son heure dernière :
Il n'a plus rien d'humain, c'est un peu de poussière;
Ou mieux, c'est une brute engourdie au soleil
Dans les rêves malsains d'un morbide sommeil.
Et pourtant, quelques-uns par un effort suprême
Échappent à l'effort de la mort elle-même :
C'est souvent le malheur qui les a réveillés,
Car rien ne frappe plus nos regards dessillés ;
Rien ne démontre mieux à notre indifférence
Du terrestre bonheur la fatale inconstance.
La douleur que nous fait la perte de ces biens
Prouve que le bonheur ne gît pas dans ces riens.
N'est-ce pas être heureux, n'avoir plus rien à craindre?
Et ne voyez-vous pas combien ils sont à plaindre
Ceux qui ne savent point secouer leur langueur,
Et dans de tels soucis emprisonnent leur cœur?
Aimer ce qu'on peut perdre, ou perdre ce qu'on aime,
C'est craindre ou c'est pleurer; et c'est le malheur même.
Jamais la volupté ne nous rendit heureux.
Si nous avons beaucoup, nous sommes anxieux
Riches, nous souhaitons nous enrichir encore;
Pauvres, la jalousie amère nous, dévore.
Comprends cela, mon âme, éveille ta torpeur;
Pour guérir, prends la fuite. A coup sûr, un docteur
Ne guérira jamais un fiévreux volontaire.
Hâte-toi d'appliquer la cure salutaire;
Si le mal se prolonge, il entraîne la mort.
L'heure ne fut jamais plus propre à cet effort :
Au milieu des soucis et des labeurs sans trêve,
Contemple et réfléchis combien la vie est brève !
Le passé, n'est-ce pas l'image de la mort ?
L'avenir est rempli de cette image encor.
Le présent seul nous reste, et ce moment à peine
Est né, que le passé s'en empare et l'entraîne.
Et voilà les pensées qui m'absorbent le soir,
Lorsque de mon parent j'habite le manoir.

 

IX. — Laus vitAE monasticAE.

IX. Éloge de la vie monastique.

 

Felix grex hominum, qui Christi dogma sequentes
Contemptis opibus, nil proprium retinent.
Unius arbitrio quos regula sancta coercet,
Quorum quisque suo nil agit arbitrio.
Cor quibus est unum, quibus indiscreta voluntas,
Par cunctis habitus, et cibus est similis;
Sic tamen ut capiat quo quisque videtur egere,
Aetas ut fragilis debilitasve jubet.
Luxus abest omnis, peccandi rara facultas,
Cuncti cunctorum cum timeant oculos.
Lex communis habet visas mox prodere culpas,
Ut nascens vitium poena sequens resecet.
Desidiam fugiunt, labor utilis occupat omnes,
Noxia torpentes ne subeant animos.
Confusum nihil est ubi fiunt ordine cuncta,
Curatur totum negligiturque nihil.
Nec solum vitae, sed constat et ordo loquendi,
Dispensant aeque maxima cum minimis.
Nonnisi praescripto quisquam loquiturve, siletve,
Stat, sedet, incedit ordine quisque suo.
Ecclesiae limen noctesque diesque frequentant,
Et sanctis precibus seque suosque juvant.
Quid moror, et verbis evolvere singula tento?
Quidquid agunt opus est corporis aut animae.
Quidquod sic habitant ut sit sacer ipse domorum,
Et situs et numerus, sufficiensque sibi.
Quadratam speciem structura domestica praefert
Atria bis binis inclyta porticibus.
Quae tribus inclusae domibus, quas corporis usus
Postulat, et quarta quae domus est Domini,
Discursum monachis, vitam dant, et stationem,
Qua velut in caulis contineantur oves.
Quarum prima domus servat potumque cibumque,
Ex quibus hos reficit juncta secunda domus;
Tertia membra fovet lassata labore diurno;
Quarta Dei laudes assidue resonat.
Plurima praetereo simili condigna relatu,
Sed breviter dicam, nil superest, vel abest.
Hos igitur proceres, hunc dignum laude senatum
Exiguum specie, moribus eximium,
Comparo formicis quarum studiosa laborum
Turmula convectat corpore majus onus;
Quae ne non possint communem ducere vitam
Iisdem sub laribus horrea parva locant.
Comparo divinis apibus, quae corpore parvo
Ingentes animas egregiasque gerunt.
Hexagonis cellis, quae mella liquentia condunt,
Utile mirificum quod fabricantur opus.
Quae disciplinam, quae jura domestica servant,
Quasque simul reficit ingeniosa domus.
Comparo sideribus quibus aula superna refulget,
Aera quae furvum noctibus irradiant.
Quae semel impositam servant per saecula legem,
Quae solitos cursus et numeros peragunt.
Comparo gyranti solemniter omnia coelo;
Insuper angelicis comparo virtutibus.
Qui semper sanctus replicata voce resultant
In terris monachi quod modulantur idem,
Sic cherubim coelo, monachi tellure manentes,
Uni dant unum servitium Domino.

Bienheureux sectateurs du pur dogme chrétien,
De propre à chacun d'eux, ils rie réservent rien.
Soumis à leur abbé, dont la règle est le titre,
Nul ne voudrait agir suivant son propre arbitre.
Tous n'ont qu'un cœur, tous ont le même sentiment,
Pareille nourriture et pareil vêtement ;
A moins-que le besoin, ou d'âge ou de faiblesse,
N'entraîne à concéder une dispense expresse.
Le luxe est inconnu : rarement du péché
L'occasion peut naître. A tous rien n'est caché.
Chacun, s'il voit le mal, doit le faire connaître;
Et le mal est détruit même avant que de naître.
Fuyant l'oisiveté qui nous corrompt le cœur,
Tous poursuivent gaiement quelqu'une labeur.
Pas de confusion. Tout est réglé d'avance :
Le lever, le coucher, le travail, le silence,
La conversation. Pas un détail menu
Qu'à côté des grands faits la règle n'ait prévu.
La nuit comme le jour, ils versent leurs prières
Dans le temple sacré pour eux et pour leurs frères.
Mais pourquoi ce détail? Tout est gain et profit
Dans chaque acte ordonné du corps ou de l'esprit.
Le monastère est seul un vaste sanctuaire.
Si l'on a pu bâtir en la forme ordinaire,
Autour d'un grand préau, quatre corps de logis
Ouvrent un porche égal sur le même parvis.
Trois sont prédestinés aux usages Vulgaires,
Le dernier est le temple, asile des prières.
Les moines réunis vivent en cet enclos,
Comme dans leur bercail s'abritent les troupeaux.
C'est d'abord la cuisiné, avec le réfectoire ;
Puis le dortoir commun, puis le laboratoire ;
Enfin, le temple saint, au vrai Dieu consacré,
Dont le flanc se prolonge et ferme le carré.
Tel est l'asile chaste et digne de louanges,
Ou ces humbles d'esprit vivent comme des anges.
Je les, comparerais aux soigneuses fourmis,
Qui, pour édifier leur merveilleux logis,
Entraînent des fardeaux quatre fois plus gros qu'elles,
Et remplissent de grain ces cellules nouvelles,
Pour manger en commun durant l'hiver brumeux.
Je les comparerais, tout aussi bien et mieux,
Aux abeilles du ciel qui, de corps si chétives,
Sont pour le saint travail si constamment actives.
Leur cellule à six pans s'emplit d'un miel épais;
Elles-mêmes ont fait l'admirable palais
Où toutes vont, suivant les mêmes disciplines.
Je les comparerais aux astres, fleurs divines,
Qui brillent chaque nuit à la voûte des cieux,
Et décrivent sans fin leur cercle harmonieux.
Mais j'ai parlé des cieux : n'est-ce pas aux archanges
Qu'il faudrait comparer ces modestes phalanges?
Lés moines sur la terre, et les anges aux cieux,
Disent le même chant, simple et mélodieux ;
Les chérubins là-haut, les moines ici même,
Servent du même Dieu la majesté suprême.

 

X. — Commendatio castitatis.

X. Éloge de La CHàfeité'téi

 

Ut flos in pratis, sic gratia virginitatis
In muliere bona, maribus quoque prima corona.
Ad res corruptas quos non trahit ulla voluptas,
Proxima castorum laus est virtutis eorum
Qui semel experti nolunt ad foeda reverti.
Tertia non talis, prior est et proxima qualis,
Sed pars virtutis tamen est, et causa salutis
Scilicet illorum qui post grave flagitiorum
Assuetumque malum retrahunt a crimine talum.
O bone Messia, de virgine nate Maria!
Quam sunt felices quibus hoc mitissime dices
Inter virgineas sit portio vestra choraeas,
Cum quibus est aequum me, quas et pergere mecum;
Hos quoque mercedis ratio secernet ab haedis
Quorum vita munda decor est in sorte secunda.

Ultimus o utinam nostram regat ordo carinam
Ad vitae portum, paradisi scilicet hortum!
Quem colit aeterno gaudens per gramina verno
Gens felix, cum qua, si non rosa, sim saliunca.

Comme une fleur dans la prairie,
La grâce de virginité
Brille en cette fille aguerrie
Contre l'infâme volupté.

Tout près de la vierge est la veuve
Qui, cherchant un suprême bien,
Après une première épreuve
N'a pas voulu d'autre lien.

Bien loin, sans doute, bien loin d'elles,
Mais au chemin du Paradis,
Marchent encore à pas fidèles
Les voluptueux convertis.

Ô fils de la Vierge Marie,
Quel bonheur d'entendre ta voix,
Ta douce voix, toujours chérie,
Dire à ces vierges de ton choix :

« Vous avez suivi mon exemple.
O vous, qui m'avez imité,
Venez vous asseoir dans le temple
De la sainte virginité. »

Puis séparant des boucs infâmes,
Voués au brasier éternel,
Les chastes veuves, nobles âmes,
Tu leur fais place dans le ciel.

O Christ, que ta miséricorde,
Vers nous, pécheurs, s'incline enfin,
Et que notre humble nef aborde
Au port, au céleste jardin !

Si dans ce gazon diaphane
Je ne suis pas la rose d'or,
Que je sois la valériane
Dont le parfum te plaît encor !

 

XI. — De Voluptate.

XI. La Volupté.

 

Graecia philosophos habuit diversa sequentes,
Dum sibi quisque placens aliorum dogmata damnat,
Ut semel assumptam pudor est deponere partem.
Hi de principiis mundi vitaque beata
Millia verborum studuerunt texere multa,
In quibus ingenio, non re, subtiliter usi
Plura probabilius quam vere composuerunt,
Errorisque sui multos habuere sequaces
Artifici captos dicendi commoditate,
Inter quos habitus non ultimus est Epicurus
Ex atomis perhibens mundi consistere molem.
Iste voluptatem summum determinat esse
Perfectumque bonum, quo quisque fruendo beatus,
Congaudensque sibi sine sollicitudine vivat,
Scilicet aut animas cum corporibus perituras,
Aut nullum credens meritum post fata manere.
Hujus discipuli plures sunt Pythagoreis,
Socraticis plures, nec quisquam philosophorum
Tot propriae sectae potuit reperire sequaces.
Quis numerare queat regiones, oppida, vicos,
Urbes atque domos Epicuri dogma sequentes?
Sed nec ego dubitem si corporis ulla voluptas
Hoc praestare potest, ut sollicitudine pulsa
Perpetuo gaudens aetatem ducere possim,
Inter delicias praebere manus Epicuro.
At si constiterit quod perniciosa libido
Corpus debilitet, mentisque retundat acumen,
Obtineat ratio quod sit fugienda voluptas.
Primum delicias Epicuro sufficientes
Nonnisi sollicitus queat ipse parare magister.
Sed, verbi causa, nos illi cuncta paremus
Commoda solliciti, gratis quibus ipse fruatur,
Et videamus utrum sit luxuriando beatus;
Nec vero tantum demus sibi dulcia gustu,
Sed pascant oculos etiam pulcherrima visu,
Sensibus et ceteris adsit sua cuique voluptas:
Sterne, puer, lectos, loca terna parato quaternis,
Hunc poscit numerum genialis forma triclinum,
Cortinisque domum pictisque tapetibus orna,
Perque pavimentum redolentes spargite flores.
Ipse micans gemmis princeps, ostroque superbus
Accubet in lecto pretioso murice tecto,
Stragula convivas, seu byssina vestis adornet,
Turba ministrorum cultu sit amicta decenti;
Pone dehinc mensas, mantilia candida, mappas,
Confectum nivea profer similagine panem,
Mellitas etiam solemniter adde placentas,
Fulgentes calices, nitidos appone catinos,
Fercula diversis condita saporibus infer;
Quadrupedum carnes quas cura domestica nutrit,
Quasque canum silvis solet exagitare latratus,
Omne genus volucrum quod regia mensa frequentat,
Aequoreos pisces et de fluvialibus undis
Affer, et electos de qualibet arbore fructus,
Et quidquid tellus homini producit edile,
De vilis ut stomachi dapibus fastidia vincas;
Utque voluptatem capiat subtile palatum,
Nec minus et variis distendito potibus utres,
Caecuba non desint, nec desint vina Falerna,
Pocula pigmentis et melle sapora propina.
His pistor, pincerna, coquus, dapiferque parandus
Insistent opus est, et turba minor famulorum,
Ne si forte moras protraxerit actio segnis
Sit miser ante fame rex quam comedendo beatus.
Interea ne qua fraudetur parte voluptas,
Tibicen, tubicen, citharistria, saltria, mima,
Cymbala, psalterium, lyra, tympana, fistula, voces,
Et si quod genus est quod musica dulcius aptet,
Singula delectent festivis cantibus aures.
Nardi laeta domus pretiosi fragret odore,
Balsama respirent, nec desint galbana, nec thus.
Post haec cum fuerint jam viscera plena beati,
Balnea, tonsores, strigiles, unguenta, silotrum,
Queis niteat curata cutis, sint rite parata.
Sic color atque sonus, sic et sapor omnis, odorque,
Sensus corporei quibus ad momenta fruuntur,
Si quos objectant usu praesente beatos
Efficiunt, miseros cito discedendo relinquunt;
Sed neque qui fruitur re quam cito scit perituram
Securus gaudet, nec sollicitudo beatum
Ulla decet, sine qua nemo fruitur perituris,
Nam cum defuerint, cupit insistitque fruendis;
Dum fruitur metuit ne se fugitiva relinquant,
Inque vices miserum carpunt timor atque cupido.
Ergo nequit vigilans non sollicitudine pungi,
Ansatur, et multo vino somnoque sepultus
Nil cupiens et nil metuens fortasse beatus
Esse potest, cum se non sentiat esse beatum.
An siquidem miser est, nisi tempore dormiat omni,
Dormiet aeternum, ne sit miser evigilando.
Ridiculum nimis hoc, illudque videtur ineptum
Quid quod et ebrietas et crapula corpus onustum
Interius vexant, inflataque viscera rumpunt,
Dum gravis immodicas stomachus non digerit escas,
Et male fetentes exhalat copia ructus,
Vixque sub hac massa pulmo respirat anhelus,
Lymphatumque mero cerebrum cava tempora pulsat.
Quae poterit, precor, esse quies in turbine tanto?
Quin etiam morbos parit immoderata voluptas
Nervos dissolvit, venarum cursibus obstat,
Et generat nimias vitiato sanguine febres,
Ac reddit tremulos consumptis viribus artus.
Denique praecipitat brevioris tempora vitae;
Postremo nihil est quod sic exstinguere mentis
Scintillam queat et vigiles demergere sensus.
Contra sobrietas, mensuraque parca ciborum,
Luxuriaeque modus sensus conservat alacres,
Et naturali confirmat robore corpus.
Et somnos dulces, et cuncta salubria praestat,
Excitat ingenium, mentis custodit acumen,
Multiplicatque dies, ac vitae prorogat annos.
Quis, rogo, virtuti locus est, ubi tetra voluptas
Regnat? Num quisquam dominante libidine prudens,
Aut justus moderansve potest, seu fortis haberi?
Cur hominem jugulat manus importuna latronum?
Scilicet ut spoliis redimatur iniqua voluptas.
Cur frater fratrem, cur nomina sancta parentes
In mortem nati votis properantibus urgent?
Ut successuris contingat iniqua voluptas.
Denique cunctorum scelerum fit causa voluptas.
Ergo voluptatem nec summum constat habendam
Nec mediocre bonum, minimum negat ipse sophista
Qui summum prohibet; sed nos utrumque negamus,
Quippe bonum natura boni nequit esse repugnans,
Ut vitium vitio confligere saepe videmus,
At cunctis inimica bonis solet esse voluptas,
Quam summum patet esse malum, quia destruit omnem
Virtutis speciem; vitium parit et fovet omne.
Quapropter stultos Epicuri respue sensus,
Qui cupis ad vitam quandoque venire beatam;
Sperne voluptates inimicas philosophiae,
In grege porcorum nisi mavis pinguis haberi
Illisa rigidam passurus fronte securim.

Les philosophes grecs ont chacun leur système,
Et chacun, obstiné, tout épris de soi-même,
Condamne sans pitié les dogmes du voisin.
Les principes du monde et le bonheur humain
Ont été le sujet de mille commentaires
Plus habiles que vrais. La foule, des sectaires,
Pipée aux mots subtils, a suivi les erreurs.
Épicure n'est pas le dernier des docteurs
Aux yeux de bien des gens. Le système atomique
À du bon, et surtout le système pratique,
Qui pour bien souverain prêche la volupté,
Tuant l'âme et niant son immortalité,
Disant que rien ne reste au-delà de la vie.
D'Épicure en ce point la doctrine est suivie
Plus que celle, à coup sûr, d'aucun autre docteur;
Pythagore et Socrate ont-ils un sectateur?
Mais qui pourrait compter les régions, les villes,
Les gros bourgs, les hameaux et les maisons, dociles,
En morale surtout, au dogme épicurien?
Et moi-même, à mon tour, je le confesse bien,
Je serais du troupeau, si la volupté même,
Chassant tout noir souci, jouissance suprême,
Pouvait durer toujours. Par contre, s'il est dit
Que le plaisir fatigue et le corps et l'esprit,
Ma raison me fait fuir la volupté, qui tue.
Tout d'abord, il faut bien que l'homme s'évertue
A trouver le plaisir, qui tout seul ne vient pas;
Mais supposons qu'un autre ait pris tout l'embarras
De ces préparatifs, et voyons, dans l'espèce,
Si le bonheur gît bien parmi cette liesse.
N'ayons pas seulement des mets délicieux,
Que la peinture et l’or réjouissent les yeux,
Que tous les autres sens trouvent aussi, pâture.
Dans ce salon, garni d'une riche tenture,
Dresse les lits, esclave, et fais-les assez mous
Pour qu'on s'étende à trois pu seraient quatre époux;
C'est la largeur qu'il faut à de bons lits de table ;
Recouvre bien de fleurs ce parquet délectable :
Puis que vienne le Roi, de perles couronné,
Et tout vêtu de pourpre, au lit de pourpre orné.
Que la laine, et le lin mêlent leurs couleurs vives,
Au manteau comme au lit de chacun des convives;
Qu'un vêtement pareil couvre les serviteurs;
Que serviettes et nappe étalent leurs blancheurs.
Donne le pain léger, brillant comme la neige ;
Des galettes au miel, aligne le cortège.
Les coupes de cristal, les bassins éclatants,
Les plats divers remplis de mets appétissants,
Range-les. Le bétail, qu'à l'étable on engraisse ;
Le gibier, qu'en forêt la meute ardente presse ;
Les oiseaux, réservés pour les banquets royaux;
Les poissons délicats que nourrit en ses eaux
Le fleuve ou l'Océan ; les fruits de toute sorte
Qu'un jardin cultivé pendant l'automne apporte,
Tout ce que ce bas monde à notre goût fournit,
Offre-le : des blasés réveille l'appétit.
Use bien tout ainsi de chacun des liquides ;
D'un Falerne de choix laisse les outres vides ;
Mélange à la liqueur le miel et le parfum.
Au poste des valets qu'il ne manque pas un ;
Pannetier, échanson, cuisinier, majordome,
Du même pas que tous marchent comme un seul homme ;
Car si quelqu'un tardait seulement d'un moment,
Le roi souffrirait plus de la faim, que vraiment
Il n'aurait de plaisir à manger. Pas de trêve,
Et que chacun des sens par le plaisir s'enlève,
Flûte, clairon, guitare, histrions et danseurs.
Cymbales, tambourin, lyre, flûte, chanteurs,
Et s'il est d'autre engin que la musique emploie,
A l'œuvre! remplissez les oreilles de joie!
Que le nard précieux parfume la maison ;
Qu'on répande le baume et l'encens à foison!
Et puis quand; l'estomac rassasié digère,
Barbier, tiens prêt le bain où l'on va se refaire ;
Brosses, peignes, onguent, que tout soit sous la main !
Ainsi tout est flatté dans ce royal festin.
Les couleurs et les sons, et les senteurs choisies,
Avec les mets divers, charmantes ambroisies,
Tout enivre les sens. Est-ce là le bonheur?
— Non, car tout cela passe, et voilà le malheur.
Le bonheur n'o gît point aux choses périssables;
La crainte et le regret nous rendent misérables,
Et nous ne pouvons pas un seul moment jouir,
Sans penser qu'à l'instant ce plaisir va finir.
Ainsi, si nous veillons, le noir souci nous presse.
Trouverons-nous au moins le bonheur dans l'ivresse?
Le souci, le désir en nous s'est endormi,
C'est vrai; mais le bonheur ne dort-il pas aussi?
Si le réveil nous rend tout aussi misérable,
Le sommeil éternel serait seul enviable.
Mais contemplez ce corps immobile et honteux,
Dont les mets et le vin ont rempli tout le creux ;
L'estomac ne les peut digérer qu'à grand peine ;
Le poumon oppressé semble être hors d'haleine ;
Le front ne contient plus le cerveau palpitant ;
L'ivrogne rote et ronfle. Est-il heureux pourtant?
— Et de combien de maux tous ces excès sont cause !
Énervé, les canaux remplis d'un sang morose,
Notre ivrogne est en proie à des fièvres sans fin.
Les membres agités d'un tremblement soudain,
A pas précipités il roule vers la tombe.
Rien ne peut relever ni son esprit qui tombe,
Ni ses sens engourdis. Combien est différent
Le sort toujours promis à l'homme tempérant
H est sobre, et son corps garde son énergie,
Son sommeil est léger, son réveil plein de vie,
Son esprit excité garde bien son entrain,
Et ses jours prolongés sont sûrs d'un lendemain.
— Où placer la vertu, quand la volupté prime?
Quand de la passion nous sommes la victime,
Que deviennent prudence, ordre, justice, honneur?
Cet homme est étranglé par les mains d'un voleur ;  
C'est que la volupté réclame sa dépouille !
C'est la volupté même, infâme, qui se pouille
Dans la succession d'un père, dont les vœux
D'un enfant ont hâté le trépas monstrueux!
Infâme volupté, de tous les maux artiste,
Non, tu n'es pas, ainsi que le dit le sophiste,
Un bien, le plus grand bien; mais contraire à tout bien,
Détruisant la vertu, tu ne nous donnes rien,
Rien, si ce n'est le vice et sa séquelle impure !
Rejetez donc le dogme insensé d'Épicure,
Si vous voulez vraiment arriver au bonheur;
Rejetez du plaisir le système menteur.
Si vous ne voulez pas aller aux porcheries
Que dîment de Satan les grandes boucheries !

 

 

LIVRE II

 

 

FABLIAUX ET SATIRES

 

II. — Versus canoniales.

II. Rimes canoniales.

 

Res monet et tempus fratrum describere quaestus.
Ecclesiae proceres, praesul clerique priores,
Qui sapitis recte, qui vivere vultis honeste,
Huc oculos cordis, huc aures flectite mentis.
Audiat omnis homo, juvenis puer, innuba virgo,
Atque senes tremuli, quae sit querimonia cleri.
Quidquid penna notat, veri de flumine manat.
Qui dubitat verum, sciat actus praepositorum.
Ex fructu poterit cognoscere vipera quid sit.
Inter praepositos et nos fit regula discors.
Res male pensatur, dum lanx non aequa tenetur.
Altera praepositis, est altera regula nobis.
His licet impune facimus quodcunque patrare.
Excoriant aras, placet exsecranda potestas;
Et spoliant sanctos, mutus tacet omnia custos.
Si calices frangant, cortinas, pallia vendant,
Non mutire licet. Quis demens talia culpet?
Quis temeret tales nunc diffamare latrones?
Qui reus est furti, donetur munere grandi.
Ne reprobes furtum, metuis si verberis ictum.
Qui culpant fures, hos damnat regula vindex.
Non modicum peccat, qui publica crimina narrat.
Omne genus scelerum sine judice vivet inultum.
Vivere vis dives? laudare memento latrones.
Est mihi pauperies, quia saepe redarguo fures
In re. Sed melius volo vivere semper egenus,
Quam socius furum sim, servus divitiarum.
Optima paupertas quam ditat mentis honestas.
Non mihi sunt gazae, quas augent furta, rapinae,
Fraus, praejudicinm, perjuria, factio, lucrum.
Altera praepositis, est altera regula nobis.
Nos vilis populus, et non memorabile vulgus,
Mercenaria plebs, cui victus tota supellex,
Si querimur rite cur sic vivamus inepte;
Quo bona nostra ruant, cur non communia fiant?
Prosilit in medio larvae deformis imago,
Hostis honestatis, fraudator religionis,
Fons et origo mali, sancti violator asyli,
Legum destructor, fraudis non fictus amator,
Testis nequitiae, cui sunt perjuria curae,
Qui subito mille mendacia ructat ab ore,
Dux homicidarum, spes et protectio furum.
Vox asini dulcis haec rudit cantica nobis.
Dicite, rectores, cleri censere priores.
Quis furor hic subitus? Quis tam temerarius ausus
Hac in plebe venit? Quaenam vesania surgit?
Quo strepitu saevit? Cur sic furibunda superbit?
Non impunitus erit auctor murmuris hujus.
Vivet in exemplo multis pro crimine tanto.
Prosequitur totus doctoris dicta maniplus.
Imperio larvae sua stat sententia cuique.
Burburus immitis, sphynx semper amica cruoris,
Bestia crudelis, ferus arbiter, impia pestis,
Quem nobis Stygiis Pluto transmisit ab undis,
His primum verbis ructat documenta furoris:
Est stulto similis qui vult contendere dictis.
Nos leges regimus, nos jura tenenda docemus,
Si facimus furtum, volumus sit semper inultum.
Pro voto regis pendet sententia legis.
Incassum latrat, qui furum crimina culpat.
Pro merito furti petiit fur ardua coeli.
Fas est praepositis propriis ignoscere culpis,
Nec quamvis vere, licet norum furta notare.
Rex et praepositi nulla sunt lege premendi.
Si rex furatur, lex indiscussa tenetur.
Pro culpa regis dormitat pagina legis.
Quamvis sint fures, venerantur ubique potentes.
Palliat infamem sua praepositura latronem.
Scutum nequitiae mihi fit fallacia linguae.
Qui loquitur verum, fiet hostis praepositorum.
Sic censura petit, sic lex et regula promit.
Qui contradicit, ferularum flagra subibit.
Burbureis dictis favet excoriator herilis,
Sanctorum costas qui denudavit et aras.
Qui morbum patitur, aegris persaepe medetur.
Sacrilego furi licet optime testificari.
Fur foveat furem, fovet ut meretrix meretricem.
Laudando furem, propriam sic augeo laudem.
Si furem reprobo, simili me polluo furto.
Prosilit in medio Radamantus gutture crasso:
Censes egregie; numerus facit arma timere.
Stare simul liceat, facinus quos inquinat, aequat.
Laudat et hoc Catulus, Clodos simul et Manichaeus.
Hic numerus furum bis ternos complet et unum.
Sed quia de Catulo nunc coepit surgere sermo,
Quis fuit in puero, quis venit et unde notabo.
Hunc mendicantem, nudum, victumque petentem,
Solibus aestivis cessit rota fervida solis.
Hinc tremefacta cutis, et nigri plena cruoris
Rumpitur, et foedo deturpat membra veneno.
Aethiopi similis, venit sine tegmine pellis,
Pauper, inops, nudus, tiliarum cortice cinctus.
Talis erat primo qui nunc se proluit auro.
Quem rota fortunae transvexit ad astra repente,
Nunc rigidus Cato, dat nobis jura tonando.
Mirantur proceres, morum probitate vigentes.
Nunc asinus pardis, nunc imperat upupa cygnis.
Si tamen in praeceps volvatur cutinus anceps,
Tunc licet invitus, pardis se subdet asellus
Et nimis elatus saliet de rupe Catellus.
Qui stat saepe cadit, currens vestigia laedit.
Motibus incertis sic sic, fortuna, jocaris.
Altera praepositis, est altera regula nobis.
Res vilis populus, ad pulpita saepe legamus.
Praepositi sedeant, non stantes psallere cogant.
Hos risus pascet, nos cantio longa fatiget.
Grex solito more cantat Alleluia Graduale.
Praepositi verbis contendant atque cachinnis.
Hoc illis studium, haec utilitas seniorum.
Ac velut oppansos teneat si caecus ocellos,
Nil de luce videns, sed aperto lumine vivens.
Haud aliter tales, vultu, non mente nitentes,
Stare choro pulchrum, sed non est utile multum.
Altera praepositis est altera regula nobis.
Non est fas aeque partiri fercula mensae.
Sufficiat victus nobis sine murmure parvus
Praepositis pullula, mihi sit tenuissima costa.
Os dabitur nudum, si costae respuo donum.
Si mutire volo, depascar verbere crebro.
Praepositis triplex, nobis sit portio simplex.
Post tenuem costam carnem non sumimus assam.
Praepositi teneris triplicant sua fercula pullis.
Si jejunamus paucis quandoque diebus,
Sufficiat nobis permistis caseus ovis,
Aut faba, quae calidos cogit revirescere ficus.
Si semel in mense pisces contingat habere,
Gammarus, anguillae, tiberinus, verna, cloacae
Commaculant mensas, quos trivit longa vetustas.
Praepositi soli satientur pisce receti.
Altera praepositis, datur altera portio nobis.
Nos infelices vini nesciinus odores.
Praepositi vinum, nos degustamus acetum.
Surgimus a mensa, sed non sine murmuris ira.
Hunc quatit aegra sitis, illum molestia ventris.
Longa fames stomachi raro fit amica quieti.
Hoc Domini culpant, qui tenso gutture ructant.
Altera praepositis, est altera regula nobis.
Nos extra claustrum prohibemur figere gressum:
At dominis camerae licet ad sua tecta redire.
Fit rogus in medio, celebrantur et orgia Baccho.
Siccantur cuppae spumanti nectare plenae.
Tunc recitant leges, illic proscribimur omnes.
Sub cauda vilis titubat sententia legis.
Altera praepositis, est altera regula nobis.
Ille molendinos, hic nostros subripit agros.
Hic villas decimat, hic vectigalia fraudat.
Hic silvas vendit, hic prata virentia tollit.
Nec totus census nostros transfertur ad usus.
Insuper ecclesias cogunt sibi vendere nostras.
Hoc facit improbitas, non paupertatis honestas.
Burburus hoc donum fecit sine laude bonorum.
Extranei mures sic sic bona nostra furantes
Ut sorex granum, corrodunt omnia fratrum.
Dant paleas nobis, complent sua tecta medullis.
Nec pudor est decimas, cum quartis tollere quartas.
Gallinae, pulli, teneri cum matribus agni,
Vellera vervecum, faba, lentes, cannuba, linum,
Et decimae pecudum sunt omnes praepositorum.
Stulta nimis res est, si clament talia Fratres.
Ad respondendum surgit grex praepositorum.
Carpere nec lanam, tenuem nec texere telam,
Aut fuso tortum sapitis devolvere linum.
Talia praepositi faciant, operumve magistri
Pro mercede sua sit eis decimatio nostra.
Dicite: Quid pecco, mihi si mea commoda quaero?
Qui sibimet nequam, cui fiet, dic, bonus unquam?
Si teneo placitum pro quaestu denariorum,
Pars mea sit totum, partiri nescio nummum.
Sufficiat victus vobis et portio census.
Omne quod est reliquum fit fiscus praepositorum.
Sic censent canones, sic tractavere priores.
Sic volumus, sic laudamus, sic esse jubemus.
Heu dolor! heu luctus! o detestabile tempus?
Heu facinus mirum! cur tanta potentia furum?
Dic ubi rex, ubi lex, ubi jus, ubi regula vindex?
Fraus superat leges, excaecant munera reges.
Regula cum jure dormitat, judice fure
Pro capitis vitio membrorum pallet imago.
Principe funesto ruit ecclesiasticus ordo.
Is finem fecit; sed cur sua larva remansit?
Crudelis Verres, fraterque Simonis Ulixes,
Infamis cleptes, quid vivit in orbe superstes?
Proh Dee! quid cessas? cur non hunc fulmine quassas?
Omne decus templi periit sub judice tali.
Quod fuerat firmum ruit hoc luctante revulsum.
Omnia turbavit, nec adhuc purgare quiescit.
Cur tenet imperium? cur se vult esse magistrum?
Et cur doctores sub se premit atque priores,
Quem decet ex atavis asinum deducere silvis
Pegaseo monte si suxit mella sophiae.
Permistus musis dicat mihi littera quid sit?
Vel quid praepositus, quid clericus, aut vicedomnus?
Haec mihi non solvet, nisi quis mussando susurret;
Tale decus vitae, tam splendida gemma sophiae,
Ecclesiae lampas, quae dat pro luce tenebras,
Insulsus doctor, fatuorum stultus amator
Imperat hic breviter, rapiet quem Pluto patenter,
Et sibi praepositum faciet super agmina furum.
Illic sceptra regat, sic et hic perjuria frangat.

Oui, le temps est venu de dire en vers sévères
De quoi souffrent, de quoi se lamentent mes frères.
Saints pasteurs de l’Eglise et du peuple chrétien,
Pontife juste et droit, et qui voûtez le bien,
Et vous, ses conseillers, princes de la clergie,
Ouvrez l'âme et les yeux, oyez ce que je crie.
Les fidèles aussi, qu'ils soient jeunes ou vieux,
Boivent prêter l'oreille à ma voix quand je veux
Du malheureux clergé traduire ici la plainte.
Je jure de parler sans mensonge et sans crainte ;
Et si quelqu'un pouvait douter de mes propos,
Qu'il voie autour de lui les actes des prévôts!
Par le venin l'on peut connaître la vipère.
Nos règles, Messeigneurs, ne se ressemblent guère ;
La balance n'est pas équitable pour tous ;
Autre pour les prévôts, autre est la loi pour nous.
Ils peuvent sans danger commettre tous les crimes ;
Pour complices ils ont les témoins, leurs victimes.
Qu'ils pillent les autels, chacun de nous se tait ;
Qu'ils dépouillent les saints, le gardien est muet;
Qu'ils brisent un calice et vendent une chappe,
Ou tout autre ornement, aucun mot ne s'échappe
De notre bouche. Et qui serait donc insensé
Au point de dénoncer ce voleur haut placé?
Enrichis par le vol, ils sont une puissance
Qu'aucun homme prudent, craintif des coups, n'offense.
Évitant le scandale, il faut taire le mal ;
C'est péché que parler même d'un fait banal,
Si ce fait est honteux. Cette règle bénie
Laisse l’iniquité désormais impunie.
Voulez-vous être riche? Honorez les bandits ;
Si je suis pauvre, c'est que je les ai honnis.
Mais être pauvre, avec la conscience pure,
Vaut mieux qu'être enrichi par le vol, le parjure,
La fraude et les moyens dont usent les filous.
Autre pour les prévôts, autre est la loi pour nous.
Nous, peuple pauvre et vil, obscure populace,
Digne au plus de manger, si nous avons l'audace
De demander où va la grosse part du bien
Consacré de tout temps au commun entretien
Des clercs; on voit surgir un fantôme effroyable
De fraude et de mensonge, artisan détestable,
Maître de l'homicide et du vol protecteur;
Il pousse un beuglement d'hypocrite douceur :
— « Directeurs du clergé, voyez-vous ce scandale ?
Quel orgueil ! quelle audace ! et quelle est la cabale
Que veut ourdir enfin ce téméraire auteur?
Punissez, punissez le turbulent docteur,
Il faut faire un exemple et garder qu'on n'imite
Ce fol. » Tout un troupeau, que ce discours excite,
Applaudit l'orateur. Ces valets du démon
Tiennent de lui chacun et son rôle et son nom.
Burburus, sphynx sanglant, monstre aux instincts immondes,
Que le Styx a vomi de ses infectes ondes,
D'un ivrogne imitant les ignobles hoquets,
Exhale sa fureur en ces termes coquets :
« — Bien fol serait celui qui voudrait tenir tête
A qui fait les décrets, à qui les interprète!
Si je vole, je veux qu'on se taise. Le Roi
De chaque désir fait un article de loi.
Les prévôts, tous les jours, valent le Roi lui-même,
Et leurs désirs aussi sont la règle suprême.
Puisqu'eux seuls sont chargés entre eux de se juger,
Dénoncer leurs larcins c'est en l'air aboyer.
Devant un vol royal, la loi reste muette;
Elle est pour les prévôts encore plus discrète.
Voleurs ou non, il faut honorer les puissants,
Et qui les contredit est trop digne, à mon sens,
Du bâton. » Burburus arrête là sa langue.
Son plus proche voisin trouve que la harangue
Est admirable. C'est un maître fort connu
Pour mettre de nos saints les reliques à nu.
—« Les malades entre eux font de la médecine ;
Un sacrilège doit applaudir la rapine;
Il faut que les voleurs se soutiennent entre eux
Comme la proxénète, en ses marchés honteux,
Soutient la courtisane. En vous louant, je loue
Mon fait; en vous blâmant, je me couvre de boue. »
—« Voilà, dit Radamante, un fort sage propos.
Le nombre nous rend forts. Nous sommes tous égaux
Dans le crime. Gardons la puissance attachée
A l'union. » Catulle, et Clode, et Manichée,
Adhèrent à l'envi. Voilà, de compte fait,
Que de ces gros bandits, j'ai dépeint jusqu'à sept.
Mais, puisqu'en les comptant, j'ai parlé de Catulle,
Je veux conter ici, sans fraude et sans scrupule,
Ce qu'était autrefois cet illustre brigand.
Vous souvient-il encor d'un petit mendiant
Qui demandait du pain au coin de chaque rue?
A travers les haillons, ulcérant sa peau nue,
Le soleil le brûlait, et, sous Fardent rayon,
jl était devenu noir comme un négrillon.
Eh bien! ce vagabond, dont s'écartait la foule,
C'était Catulle, alors ; ce Catulle qui roule
Sur l'or, et qui rigide et fier comme un Caton
Tonnant au tribunal, gouverne ce canton.
Le sort a quelquefois des caprices insignes !
C'est l'âne qui commande aux lions, l'oie aux cygnes!
Et peut-être demain, par un brusque retour,
Il faudra que notre âne obéisse à son tour.
De ces revirements, la fortune est peu chiche :
Catulle peut encor redevenir Caniche,
Pour les honnêtes gens de ses succès jaloux.
Autre pour les prévôts, autre est la-loi pour nous.
Dès que sonne au clocher la, cloche du chapitre,
Nous devons accourir, simple plèbe, au pupitre. ,
Les prévôts sont assis et les chantres debout.,
Ils badinent entre eux ; nous chantons jusqu'au bout
L’alluia qui clôt un graduel énorme.
Ils descendent au chœur, ce n'est que pour la forme;
Ils sont comme un aveugle, ouvrant un œil vermeil,
Et ne percevant pas un rayon du soleil.
De la religion, ils n'ont pas même l'ombre ;
Dans leurs stalles couchés, souriant, ils font nombre
Et sont charmants à voir, plus dodus que dévots.
Autre est la loi pour nous, autre pour les prévôts.
Nous n'avons certes pas une même cuisine.
Il faut nous contenter d'un plat de triste mine ;
Les autres en ont trois, tous des plus délicats.
On voit les petits pieds s'étaler sur leurs plats;
On nous sert seulement une côte bien maigre,
Et si nous réclamons, avec un reproche aigre,
On nous envoie un os, de tous points décharné.
Si quelquefois pour nous le jeûne est ordonné,
Nous avons pour menu des œufs et du fromage,
Ou des fèves : des fruits, nous ignorons l'usage.
Une fois chaque mois, si l'on sert du poisson,
Le crabe que fournit le rivage, à foison
L'anguille que nourrit notre mare bourbeuse,
Chargent insolemment notre table boiteuse :
La mer donne aux prévôts ses poissons ronds ou plats.
Pour les prévôts, pour nous, tout autres sont les plats.
Si nous sentons le vin, c'est quand il tourne à l'aigre.
Aux uns le pur nectar, aux autres le vinaigre !
Aussi, quand nous disons le Deo grattas,
Tous les cœurs sont aigris, et Dieu n'y gagne pas.
Les uns souffrent de soif, les autres de coliques ;
La faim n'a pas pour tous des conseils pacifiques,
Quand elle entend un goinfre accumuler les rots.
Autre est la loi pour nous, autre pour les prévôts.
Nous ne pouvons franchir l'enclos du monastère ;
Hors des murs, nos seigneurs ont leur maison austère,
Le feu brille toujours dans leurs foyers joyeux,
Dans les coupes toujours fume un vin écumeux.
Au choc strident du verre, un docteur qui chancelle,
Dicte à l'aréopage une règle nouvelle.
Loi de proscription, qui nous opprime tous.
Autre pour les prévôts, autre est la loi pour nous.
Celui-ci vend nos bois, ou fauche nos prairies ;
Cet autre, à son profit, dîme nos métairies ;
Ce troisième, en son lot, a pris tous nos moulins,
L'autre fraude les droits que doivent les vilains.
Tous de nos revenus nous enlèvent l'usage,
Pour en faire, sans doute, un plus juste partage;
Enfin, tant ils sont forts, tant ils peuvent oser,
De nos églises même, on les voit disposer!
Ces rongeurs étrangers grugent les monastères,
Comme les rats, le grain. On donne aux pauvres frères,
La paille, et le froment fait crever leurs greniers.
En percevant la dime, ils gardent, les premiers,
La moitié pour le quart : les agneaux et leurs mères,
Les poules, les poussins, trésor des ménagères,
La laine des brebis, et le chanvre, et le lin,
Les fèves et les pois, tout grossit leur butin.
Et contre ces abus, si les frères réclament,
Tous les prévôts en chœur ripostent et s'exclament :
« Quoi donc! Savez-vous tondre et savez-vous filer?
Ne faut-il pas pour vous de ces soins se mêler?
C'est nous qui le faisons ou qui-le faisons faire,
Et nous prenons la dîme en guise de salaire.
Si nous allons aux plaids, pour ce qui vous est dû,
Nous gardons tout : comment partager un écu ?
Que vous faut-il de plus que votre nourriture?
Le superflu rendrait votre vertu moins pure.
Ce reste est aux prévôts, suivant les saints canons
Et selon les vieux us. D'ailleurs, nous le voulons;
Notre volonté fait la règle irrévocable. »
O misère! O douleur! et quel temps détestable!
C'est le temps des voleurs! Et que fait donc le Roi,
Et les juges vengeurs, et le droit, et la loi?
La fraude a triomphé de la loi qui sommeille ;
D'adroits et gros présents du Roi ferment l'oreille,
Et les magistrats sont les premiers à voler.
Dans l'abîme, à coup sûr, l'Église va crouler.
Nous voyons revenir les grands brigands antiques,
Et Verres, et Simon, et leurs frères cyniques.
Pour lancer votre foudre, ô Dieu, qu'attendez-vous?
Vos temples ravagés par d'infâmes filous,
Des bandits investis de la toute-puissance,
Les bons persécutés; tout réclame vengeance.
C'est l'ignorant neveu d'un conducteur d'ânon
Qui régente aujourd'hui les docteurs de renom.
O toi, qui d'un seul bond as gravi le Parnasse,
Que des Muses le chœur accueillit avec grâce,
Devant qui nous courbons notre front abaissé,
Savant fils de l'ânier, sais-tu ton A B C?
Sais-tu ce qu'est un clerc, un prévôt, un vidame?
La réponse est aisée; en vain je la réclame,
Et je n'obtiens qu'un sourd et grossier grognement.
Et c'est là le docteur qu'on porte au firmament,
Que l'on met au-dessus de nos docteurs célèbres !
Sa lanterne vraiment ne produit que ténèbres ;
S'il est docteur, ce n'est que pour les ignorants.
Cependant il commande aux prieurs, aux savants.
Il règne. Ce n'est pas pour longtemps, que je pense.
Satan le veut. Sa place est choisie à l'avance :
Bien digne assurément de cet excès d'honneurs,
En enfer il sera le prévôt des voleurs !

 

III. — Ad nuntium mortis.

III. Le Messager de Mort.

 

Bubo ferum nomen, dirum mortalibus omen,
Ut Maro testatur, dum cantat, fata minatur.
Illius cantum damnat genus omne volantum,
Atque pari voto scelus hoc fugat aere toto.
Noctes ergo colit, cum lucis tempora nolit;
Noctibus apparet, quoniam si luce volaret,
Jam caput invisum multo foret ungue recisum
Membraque cum plumis divisaque sparsaque dumis,
Carpere pennatis cupientibus omnia vatis,
Vatis tam dirae, dignae mala fata subire.
Huic volucri foedae simul, procul ergo recede,
Chartae funebris lator , damnande tenebris,
Qui vice bubonis non unquam laeta reponis,
Semper moesta canis non discessurus inanis;
Nam cum nil portes, nisi tristitiam, nisi mortes,
Ceu bene regesta petis es cum voce molesta,
Et ne lacescas soccos petis, exigis escas,
Propter defunctum soleas damus, addimus unctum.
Bis nos contristas, mala dans res accipis istas;
Sic importunus vendis mihi munere funus.
Improbe, vade foras, superas quid polluis oras?
Quid tibi cum vivis, barathri teterrime civis,
Vernula Plutonis, legatio perditionis?
Quid nos infestas voces iterando molestas?
Conveniat coetus, gemitus date, fundite fletus,
Aeraque pulsantes clamate velut Corybantes,
Cantica funereis lugubria ferte choraeis,
Carmina moesta date, loca vestra diemque notate,
Dantes expensam, largam mihi ponite mensam.
Escarum gurges, quid nos tot talibus urges?
Fle qui flere jubes, plue distillans quasi nubes,
Potum moeroris bibe, vescere pane doloris,
Quem mala delectant, mala te simul omnia plectant;
Nos sine laetari, Christumque Patremque precari
Ut vitae munus det nobis trinus et unus.
His nisi parueris, dum ventris commoda quaeris,
Fustibus et ferro saturabere, pessime gerro.

Les hiboux, nom hideux et d'augure funeste,
N'ont jamais fait leur cri, Virgile nous l'atteste,
Que pour prophétiser des malheurs et des maux.
Abominant ce cri, tous les autres oiseaux
Ont proscrit pour toujours ces prophètes funèbres,
Et c'est là, la raison qu'ils hantent les ténèbres
Et qu'ils n'osent bouger qu'à la faveur des nuits.
S'ils voyaient en plein jour un seul de ces maudits,
Les habitants de l'air, du bec et de la serre,
Le déchirant, bientôt auraient jonché la terre
Des restes mutilés de l'augure fatal,
Justement condamné pour n'aimer que le mal.
Tu mérites trop bien aussi qu'où te bannisse,
0 toi qui du hibou remplis le triste office,
Exécrable porteur des messages de deuil,
Funèbre visiteur, qui ne franchis un seuil
Que pour jeter partout l'alarme et la tristesse.
Et pourtant, comme si, messager de liesse,
Tu portais le bonheur, tu demandes paiement ;
Ton importune voix réclame insolemment,
Ici des souliers neufs, partout ta nourriture.
—Ami du mort, je veux remplacer ta chaussure.
Tiens ces bottes, et tiens encore ce saindoux
Pour les graisser. Mais pars, maintenant laisse-nous,
Scélérat, trafiquant de ce commerce infâme,
Qui pilles notre bien et désoles notre âme.
Tu souilles l'air, enfant adoptif de Pluton ;
Rentre dans les enfers, rentre dans ta maison.
— Mais toi, sans t'émouvoir de mon amère plainte,
Tu répètes toujours ta lugubre complainte :
« Venez à mon appel, pleurez et gémissez,
Tous ensemble entonnez le chant des trépassés ;
Dans les airs attristés que l'airain retentisse !
Notez l'heure et le lieu du funèbre service
Mais si les morts sont morts, les survivants ont faim;
Faites-moi préparer un plantureux festin. »
— Gouffre toujours béant, gourmand insatiable,
Entendrons-nous toujours cette voix détestable?
Pleure donc, toi qui viens pour exciter nos pleurs,
Et tes larmes, bois-les ; l'amer pain des douleurs,
Mange-le; ce paiement convient à ton office.
Le mal te réjouit; que le mal te punisse!
Cependant laisse-nous, tout à notre chagrin,
Prier le Père Dieu, le Christ, son Fils divin,
L'Esprit, qui les unit, de nous donner la vie.....
Si tu ne t'en vas pas, j'ai vraiment trop envie
De te faire dîner à grands coups de bâton,
Esclave de ton ventre, insipide bouffon.

 

IV. De civitate Redonis.

IV. La ville de Rennes.

 

Urbs Redonis,
Spoliata bonis,
Viduata colonis,

Plena dolis,
Odiosa polis,
Sine lumine solis,

In tenebris
Vacat illecebris,
Gaudetque latebris.

Desidiam
Putat egregiam
Spernitque sophiam.

Jus atrum
Vocat omne patrum,
Meritura barathrum.

Causidicos
Per falsidicos
Absolvit iniquos.

Veridicos
Et pacificos
Condemnat amicos.

Quisque bonus
Reputatur onus,
Nequit esse patronus.

Bella ciet,
Neque deficiet,
Quia pessima fiet.

Nemo quidem
Scit habere fidem
Nutritus ibidem.

Quid referam,
Gentemque feram,
saevamque Megaeram?

Ruricolis
Fit ab armicolis
Oppressio solis.

Mors currit,
Quia praedo furit,
Villasque perurit.

Ira Dei
Non obstat ei
Plena rabiei.

Qui graditur
Miser exuitur,
Pugnisque feritur.

Pauperibus
Deest inde cibus,
Sunt vulnera gibbus.

La ville des Redons,
Que désertent les bons,
Est pleine de fripons.

Ville chère à l'enfer,
Où la fraude est dans l'air ;
On n'y voit jamais clair.

Amante de la nuit,
Dans l'ombre elle poursuit
Quelque infâme déduit.

Là, le plus insensé
Du peuple est encensé ;
Le sage est méprisé.

O damnable cité
Où le droit est traité
Comme une iniquité.

Des avocats menteurs,
Et retors et rhéteurs,
Défendent les voleurs.

Les hommes droits et vrais,
Amoureux de la paix,
Perdent tous leurs procès.

Là, le bon citoyen
N'est jugé propre à rien :
On le lui montre bien.

Là, toujours des débats,
Des guerres, des combats,
Qui ne finissent pas.

Oh ! que voir je voudrais
Ce qu'on ne vit jamais,
Un honnête Rennais !

En quels traits plus hideux
Te dépeindrais-je mieux,
Mégère aux traits affreux ?

Tes soldats, vrais brigands,
Pillent les paysans
Et sèment dans leurs champs

La mort et ses horreurs,
Le vol et ses fureurs,
L'incendie et les pleurs.

Brigandage sans frein,
Qui brave avec dédain
Le châtiment divin !

L'étranger mal venu,
Est bientôt reconnu,
Dépouillé, puis battu.

Aux mendiants, enfin,
Qui périssent de faim,
Les coups servent de pain.

 

 

LIVRE III

 

 

EPIGRAMMES

 

I. Vas fractum.

I. Le Vase brisé.

 

Porticus est Roma, quo dum spatiando fero me
Res quaerendo novas, inveni de saphyro vas
Institor ignotus, vendebat cum saphyro thus,
Thus socius noster tres emit denatorios ter
Vas tribus et semi-solidis ego prodigus emi,
Hoc inconcussum dum tollere sollicitus sum
Pro cofino mundo de viminibus pretium do
Ponitur introrsum sanum vas inde memor sum,
Extrahitur fissum, tristis, miser inde nimis sum.
Inter convivas magni foret hoc pretii vas
Si foret allatum, sicut positum fuerat tum
Lator at hoc pressit, cui prospera nulla dies sit.

A Rome, un jour, je m'en allais cherchant
Des curiosités, lorsque, sous un portique,
A l'étal d'un petit marchand,
Je découvris un vase magnifique.
Il était de saphir ; on l'avait tout rempli
D'encens. Le brocanteur en vendait. Mon ami
Acquit le contenu pour neuf deniers de France,
Et moi, comme un prodigue en veine de dépense,
J'acquis le contenant pour trois sols et demi.
Il fallait, sans encombre, emporter la merveille;
J'achetai tout exprès, fort cher, une corbeille.
Pour l'emballage, on ne négligea rien.
Le vase était intact, je m'en souviens trop bien !
Et voilà qu'on l'extrait brisé... Sort lamentable!
Comme cette belle urne eût bien orné ma table !
C'est la faute du messager,
Qui, sous quelque ballot, écrasa ma patère.
Puisse-t-il ne jamais compter un jour prospère;
Et puisse son guignon, à la fin, me venger!

 

II. Ad inquietum fabrum

II. Le Forgeron.

 

Cyclopum Liparis memoratur habere tabernas,
Quos labor exercet nocte dieque gravis;
Sic tamen ut capiant partem somnique cibique,
Et recreet fessas tantula pausa manus.
Te, fugiende faber, nec opus, nec flamma fatigat,
Quominus incudem fervida massa premat.
Nulla tibi requies, nullam vicinia sentit,
Cum tuus infestet proxima quaeque labor.
Communis paries utinam par Alpibus esset,
Aut fieret fornax ignibus Aetna tuis!
Non reor humana qui sis de stirpe creatus,
Insopor ac potuit te genuisse draco.
Tu tamen ad ferrum, cum sis demissus ab auro,
Pejori studio degener invigilas.
Aurea pompa patrem, te ferrea massa retentat.
Huic oculos somnus, mors premat atra tuos.

Le jour et même la nuit,
Le Cyclope bat l'enclume :
La Sicile en retentit.
Toujours l'ardent fourneau fumé.
Mais le monstre cède enfin ;
Quelquefois il fait relâche,
Et le sommeil ou la faim
Lui font déserter sa tâche.
J'ai maintenant pour voisin
Un forgeron plus étrange :
Son travail n'a pas de fin.
L'homme ne dort, ni ne mange;
Les retentissants marteaux
Jour et nuit sont sans repos :
Et partant, misère extrême !
Tous ses voisins sont de même.
Mon Dieu! que je voudrais bien,
Tant devient grande ma gêne !
Que notre mur mitoyen
Ne fût autre que la chaîne
Des Alpes ! Ou si l'Etna,
Inextinguible fournaise,
Était sa forge ; voilà
Ce dont je serais trop aise !
Détestable forgeron,
Tu n'es pas né d'une femme ;
J'imagine qu'un dragon
A fécondé l'œuf infâme :
Dont tu sors pour mon tourment.
Cependant tout dégénère ;
Car le vigilant serpent
Que je suppose ton père
Était gardien d'un trésor
Où l'on ne voyait rien qu'or;
Diamants, riches merveilles ;
Toi, son fils, d'un cœur moins fier,
Tu travailles et tu veilles,
Pour un vil morceau de fer.
Un lourd sommeil a du père
Autrefois clos les cent yeux ;
Que la mort, encore mieux,
Du fils ferme là paupière.

 

III. AD FAUSTINUM.

III. A Faustin.

 

Dum partem, Faustine, tui perpendo libelli,
Qua vacuae pellis pagina muta jacet,
Partem quae loquitur vacuam magis aestimo, quam te;
Plena supervacuis pagina namque vacat.
Unde librum totum vacuum sic colligo, cujus
Altera pars nugas, altera nil retinet.

Ton livre, que je feuillette,
Présente souvent, Faustin,
Plus d'une page muette,
Dont l'éclatant parchemin
Est vierge. Or, pour moi, j'estime
Ces pages-là tout autant
Que les pages où ta rime
Étale complaisamment
Son bavardage insipide.
Car, bien franchement, je tiens
Tout un livre pour tout vide,
Qui n'offre que rien ou riens.

 

IV. M. Redonensis episcopus, R. Lincolniensi episcopo.

IV. A Robert, évêque de Lincoln.

 

Nec mihi verba dari, nec te dare verba decebat;
Turpe mihi falli, sed plus tibi fallere turpe:
Nam sicut qui dat, magis accipiente probatur,
Sic qui promittit, nisi det, plus vilis habetur.

Non, il ne fallait pas, ni pour moi, ni pour vous,
Donner ainsi votre grave parole.
Tromper, être trompé, c'est honteux entre nous.
Mais le trompeur a le plus mauvais rôle.
Celui-là qui reçoit, vous le savez fort bien,
Est au-dessous de celui-là qui donne ;
Mais celui qui promet, et qui ne donne rien,
Ne saurait être excusé par personne.

 

V. Ad amicum hospitem.

V. A mon Hôte.

 

In partes istas post quinque reversus aristas,
Vis a me scribi carmina pauca tibi.
Carmina pauca quidem, sed dulcia concupis idem.
Misti more cibi poscis utrumque tibi.
Quod petis ecce damus, quia quod petis hoc et amamus,
Ut carmen breviter per leve currat iter.
Quod vis cunque volo, quod non vis, hoc quoque nolo
Et quod ego nolo, te quoque nolle volo.
Dilato letho, per tempora longa valeto,
Concedantque citum fata tibi reditum.

En revenant céans, après cinq longs hivers.
Vous voulez que pour vous j'écrive quelques vers ;
Sur un sujet bien doux, un tout petit poème,
Comme en un vase étroit se sert la bonne crème.
Or, je veux vous servir selon votre souhait,
Car j'aime autant que vous un poème discret,
Courant à pas pressés dans une étroite voie.
Ce qui vous réjouit me donne aussi la joie.
Donc, que votre santé chasse bien loin la mort,
Et vous permette ici de revenir encor.

 

VI. De abbate usurpante pontificalia.

VI. Des Abbés portant les insignes de l'Épiscopat.

 

Abbas sola gerens insignia pontificatus,
Scilicet annellum, guantos, sandalia, mitram;
Cum super abbatem sit et infra pontificatum,
Esse potest neutrum, vel si dicatur utrumque,
Centauro simile monstrum reor esse biforme;
Quod si pontificem simulat, sed permanet abbas,
Permanet ergo latens sub pelle leonis asellus,
Aut velut in scena personam fert alienam.

Un simple abbé, portant les insignes sacrés
Qu'aux seuls prélats l'Église a consacrés.
L'anneau, les gants, les sandales, la mitre,
Se met plus bas et plus haut que son titre.
D'un double personnage, assemblage confus,
Evêque, il ne l'est pas; abbé, ne l'est-il plus?
Je le comparerais volontiers au Centaure,
Monstre difforme, homme et cheval. Encore,
C'est l'âne revêtu de la peau du lion.
Sur les tréteaux, c'est le vil histrion
Des empereurs qui ceint le diadème,
Et l'empereur reste histrion quand même.

 

VII. Contra invidum.

VII. Contre un Jaloux.

 

Rumpitur invidia quidam, charissime Juli.
Quod me Roma legit, rumpitur invidia.
Rumpitur invidia, quod sim jocosus amicus.
Quod conviva frequens, rumpitur invidia.
Rumpitur invidia, quod rus mihi dulce sub urbe est.
Parvaque in urbe domus, rumpitur invidia
Rumpitur invidia, quod turba semper in omni
Monstramur digito, rumpitur invidia.
Rumpitur invidia, quod amemur atque probamur.
Rumpatur quisquis rumpitur invidia.

Je connais un homme
Qui, parce qu'à Rome
Le Pape me lit,
Crève de dépit ;
Il crève d'envie,
Parce qu'aux repas
Où l'on me convie
On ne le voit pas.
Que j'aie en la ville
Une humble maison,
J'échauffe sa bile ;
Et qu'à la saison,
Tous les ans j'habite
Ma villa des champs,
J'éveille et j'irrite
Ses instincts méchants.
Mais si, dans la rue,
Chacun me salue ;
Si j'ai mérité
La célébrité ;
Si je suis un homme »
Qu'on aime et renomme,
C'est pour l'achever !
S'il faut qu'il en crève,
Ma foi, qu'il achève
Vite d'en crever !

 

VIII. Versus in Flabello inscripti.

VIII. Pour un Éventail.

 

Improba terretur muscarum turba flabello,
Quae gratis mensis esse molesta solet.
Esse molesta solet, cum dantur membra quieti,
Et quando legimus, esse molesta solet.
Esse molesta solet, cum scribimus, aut meditamur,
Atque modis aliis esse molesta solet.

Bel éventail, chasse l'essaim maudit,
Chasse la mouche bourdonnante
Qui pendant le repas bruit,
Qui trouble le repos du lit,
Qui persécute quand on lit,
Quand on pense ou quand on écrit,
Et de toute façon tourmente.

 

IX. Epigramma de domo lignea.

IX. Sur une Maison en bois.

 

Condita de lignis domus esse potest cibus ignis,
Quem si non pascit, tamen it cito: nam veterascit.
Sed quid prodesset, si murus ferreus esset,
Cui mors dura tamen foret inventura foramen?
Ergo non curet quantum sua mansio duret,
Qui modicum durat, etiam si talia curat.

La maison, en bois construite,
Peut être du feu détruite ;
Et si, par l'aide de Dieu,
Elle se garde du feu,
Le temps seul ne tarde guère
A la réduire en poussière.
Si de fer étaient les murs,
En seraient-ils bien plus sûrs ?
Non. La mort, plus forte encore,
Ronge, mord, use et perfore
Même le fer. En ceci,
L'homme prend un fol souci.
Qu'importe, s'il faut qu'il meure,
Combien dure sa demeure?
Malgré sa peine et ses soins,
Lui-même il durera moins.

 

X. Domus paterna.

X. La maison paternelle.

 

Areta domus gaude
Per avos parta tibi laude.

La maisonnette où j'habite,
Qui me vient de mon aïeul,
Est modeste et si petite,
Que je la remplis tout seul.
Et pourtant on la renomme,
On la montre, au loin, du doigt,
En disant : Voilà le toit
Où vécut un honnête homme.

 

XI. Contra seditiosum vulgus.

XI. Tumultes Populaires.

 

Ex quo coelestem meruit sapientia sedem,
Juncta Jovis lari pax summo nata parenti,
Invidia motus pugnat cum Pallade Bacchus.
Decidit in terras a coelo coepta simultas,
Nec nato Semele, nec desunt castra Minervae:
Quae diversa sequi res est non ponderis aequi.
Altera quisque probus; attiners petit altera vulgus:
Illa voluptati; sunt ista dicata labori.
Plures sunt igitur qui Bacchica castra tuentur;
Hoc est, vina liquant, quam qui pro Pallade pugnant.
Unde non est mirum si plebs fremit ebria dirum
In sibi dissimiles, rata nos vilissima viles.

Dès le jour qu'à Pallas, notre austère déesse,
Symbole non créé de paix et de sagesse,
Divinement conçu dans un divin cerveau,
Jupiter a donné le céleste escabeau :
Bacchus, tout transporté d'envie et de colère,
A la sage Minerve a déclaré la guerre.
Dans l'Olympe entrepris, ces éclatants débats
Ont aisément trouvé des échos ici-bas.
Les uns sont à Bacchus, les autres à Minerve :
Mais quelle différence entre les camps s'observe!
Ici la plèbe inepte, et là les gens d'honneur;
Ici la volupté, là l'austère labeur.
Et certes, les soldats autour du camp bachique
Sont beaucoup plus nombreux qu'au bivouac pacifique
De Pallas. Au premier courent tous les buveurs,
Et, le vin contre nous allumant leurs fureurs,
Ils nous voient différents d'eux, et, dans sa méprise,
Leur foule méprisable à son tour nous méprise.

 

XII. Galli furtum a gallo probatum.

XII. Le Coq volé.

 

Gallus erat cuidam viduae, gallumque comedit
Fur. Furi furtum haec obicit, ille negat.
Dum sacramento se purgat, gallus in alvo
Perjuri cecinit, resque probata fuit.

Une veuve avait un coq :
C'était toute sa richesse.
La nuit, un habile escroc
Le soustrait avec adresse,
Et le mange. Au magistrat,
Dénoncé par notre veuve,
Hardiment le scélérat Nie :
et l'on n'a pas de preuve.
Le juge met à serment
Le damnable garnement.
Celui-ci, sans épouvante,
Levait sa parjure main,
O prodige! quand, soudain,
Dans son ventre, le coq chante !

 

XIII. Institutio pueri discipuli.

XIII. Règlement pour un Écolier.

 

Si praeceptorum superest tibi cura meorum,
Parce puer nugis, dum rus colo tempore frugis,
Praefigam metas, quales tua postulat aetas:
Quas si transgrederis, male de monitore mereris.
Contempto strato, summo te mane levato,
Facque legendo moram, quartam dum tardat ad horam.
Quinta sume cibum, vinum bibe, sed moderatum,
Et pransus, breviter dormi, vel lude parumper.
Postquam dormieris, sit mos tuus ut mediteris.
Quae meditatus eris tabulis dare ne pigriteris.
Quae dediscere spero quandoque videre.
Miseris huc quaedam facies, ut caetera credam.
Post haec, i lectum: cum legeris, ito comestum.
Post sumptas escas, si jam monet hora, quiescas.
Si tempus superest, post coenam ludere prodest.
Sub tali meta constat tibi tota diaeta.

Si vous gardez, mon fils, souci de mes leçons,
Tant que je passe aux champs la saison des moissons,
Ne vous dissipez pas. Voici la règle sage
Que je veux vous tracer, qui convient à votre âge.
Si vous la transgressez, vous aurez, au retour,
Affaire à moi. Levez-vous dès le point du jour;
Qu'à la quatrième heure atteigne la lecture.
Une heure après, allez prendre la nourriture
Et buvez peu de vin. Ensuite, allez dormir,
Ou, si vous l'aimez mieux, allez vous divertir
Un temps très court. Et puis, que votre esprit médite,
Et que chaque pensée à l'instant soit écrite.
Je veux, sur ce carnet, juger de vos progrès,
Et vous me l'enverrez par fidèles extraits.
Lisez encor, jusqu'à la fin de la journée.
Allez souper gaiement. Et si l'heure est sonnée,
Regagnez votre lit; sinon jouez un peu.
Et voilà tout le jour réglé, sous l'œil de Dieu.

 

XIV. Epitaphium.

XIV. Épitaphe de Brunon, évêque d'Angers.

 

Bruno Pater, jucunde senex, mitissime praesul,
Cujus cor pietas, lingua mel et lac erat;
Se tibi culpa fuit, quod nullum laedere velles,
Quale tuum meritum cum bona culpa fuit.
Quid tibi, chare Pater, clerus, populusque precemur?
Ut quod tu nobis, hoc tibi sit Dominus.

Brunon, charmant vieillard, doux prélat, tendre père,
Ton cœur était pieux et ta langue de miel.
Si jamais tu péchas, juge trop débonnaire,
Ce fut pour ménager l'intérêt fraternel,
Pour ne blesser en rien l'amour-propre d'un frère.
Pèche-t-on gravement en se montrant trop doux?
Ton peuple et ton clergé disent dans leur prière :
« Le Seigneur soit pour toi ce que tu fus pour nous. »

 

 

[1] Voyez ci-après la satire de Marbode sur la rapacité des porte-rouleaux.

[2] Cette sorte de réponse à la lettre, encyclique, était tantôt en prose, tantôt en vers ; elle enchérissait sur les louanges données au défunt et contenait des expressions de condoléance. L'œuvre poétique de Baldric, évêque de Dol, est presque exclusivement composée de ces réponses aux rotuli. Voyez sur cet usage le travail spécial et complet de M. L. Delisle, de l'Institut. (Bibliothèque de l'École des Chartes, 2° série, t. III.)

[3] D'autres disent au bourg de Sorges. Du moins, les biens dont sa famille dota l'abbaye de Saint-Aubin étaient situés à Sorges.

[4] Préface de la Vie de Robert d'Arbrissel.

[5] Voir Dissertation apologétique pour le bienheureux Robert d'Arbrissel. — Anvers, 1701, in-12.

[6] Voyez le très intéressant article que M. Douèt d'Arcq a bien voulu consacrer à notre traduction du Lapidaire, dans la Revue des Sociétés savantes, tome II, p. 336 et suiv.