Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
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érôme de MoravieJérôme de Moravie, ou le Morave est un dominicain actif à Paris à la fin du XIIIe siècle, auteur d'un important traité sur la musique.
Le Tractatus de musica
Dominicain, il séjournait au couvent des frères prêcheurs de la rue Saint-Jacques à Paris. Jérôme de Moravie y est probablement enseignant. Il réalisa une synthèse des connaissances de son temps, non pas en théorisant, mais en juxtaposant tous les auteurs contemporains qu'il peut et la somme de toutes les musiques : spéculative, pratique, religieuse, profane, plein chant, musique « mesurable », règles de psalmodie et du discantus. L'auteur, résumant lui-même le projet, destine le traité aux novices, nécessaire à l'enseignement des chantres :
« En sorte que qu'il ne soit pas nécessaire à celui qui cherche un enseignement de parcourir un grand nombre de livres, la brièveté synthétique lui offre ce qu'il cherche sans peine. »
— Tractatus de musica
Ce projet correspond bien à l'effort dominicain de divulgation du savoir. Mais il ne s'agit en aucun cas d'une encyclopédie car il manque de grands textes du XIe et des théoriciens, on parlera plutôt d'une compilation.
Le Tractatus de musica est conservé à Paris B. N, Ms. lat. 16663. C'est l'unique manuscrit connu, peut-être une copie réalisée « par des maîtres ou des étudiants pour leur propre compte ». Il est composé de 94 feuillets de format 24,5 x 18 cm. La date de rédaction est postérieure à 1274 et antérieure à 1306. En effet son premier possesseur connu, Pierre de Limoges, en fait don à la Sorbonne à son décès. Ensuite le manuscrit figura parmi les livres publics de consultation usuelle, dans la chapelle du collège jusqu'en 1615, parmi les œuvres d'astronomie, de mathématique, beaucoup traduits de l'arabe.
Structure et contenu
Le traité est composé de trois parties réparties, en vingt-huit chapitres.
· Enseignement fondamental (théorie, classification...) : ch. 1-9
· Une musica plana (théorie des intervalles, modes, tonaire, nuances...) : ch. 10-25
· Une musica mensurabilis : ch. 26
Outre des éléments structurants du traité (ch. 2 à 9) on retrouve des citations et paraphrases nombreuses du De musica cum Tanario (v. 1100) de Jean d'Afflighem (appelé aussi John Cotton [2]), mais souvent approximatives ou fragmentaires ; la reproduction intégrale de la Musica mensurabilis de Pierre le Picard ; des citations de Jean de Garlande pour sa définition de la musique.
Jérôme emprunte aussi beaucoup à Boèce (v. 480-524/5), bien que l'ouvrage ne soit pas au programme de la faculté des arts de Paris. Il reproduit notamment les livres deux à quatre du De institutione musica, et le cite abondamment en ce qui concerne les livres un et cinq (la Sorbonne en possédait deux copies). Le texte de Boèce a été composé « pour transmettre aux Latins l'essentiel de la "philosophie" grecque ».
Jérôme tire aussi parti d'autres traités plus modestes en taille, tel le Speculum doctrinale de Vincent de Beauvais, mais essentielle en référence (elle aussi Boécienne). Au chapitre VII, Subdivisiones musicæ Ricardum, il cite Hugues de Saint-Victor, ainsi que les Étymologies d'Isidore de Séville (VIe-VIIe siècles), le livre III (ch. 15-23), étant consacré entièrement à la musique (et déjà cité par Vincent de Beauvais).
D'un point de vue plus doctrinal, on reconnaîtra l'influence d'Aristote dont les traités sont l'essentiel de l'enseignement de la philosophia naturalis de la faculté. Il le cite trois fois précisément : De caelo et mundo, De anima et le livre des Physiques. Il emprunte en outre à Thomas d'Aquin un long commentaire du De caelo qui refuse toute idée d'harmonie des sphères (ch. 7).
(commencement du XIIIe siècle)
« Jérôme de Moravie, ainsi désigné, parce qu’il était né dans la contrée qui porte ce nom, vécut au commencement du XIIIe siècle, dans le couvent des Frères Prêcheurs de la rue Saint-Jacques, à Paris. Il est auteur d’un Traité de Musique, resté inédit jusqu’à présent[1] et que l’on peut considérer comme une sorte d’encyclopédie musicale de ce temps. Le manuscrit unique, qui contient ce traité, aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de Paris, sous le numéro 1817,[2] était autrefois à la Sorbonne. Il est intitulé: Incipit tractatus a Fr. Hieronimo Moravo, Ordinis fr. Praedicatorum.[3] »
De Coussemaker ajoute plus loin, au sujet de la doctrine rythmique contenue dans l’ouvrage de Jérôme de Moravie : « Ce qui concerne la valeur temporaire des notes dans le plain-chant pur paraît avoir été en grande partie abandonné, pendant le moyen âge, à. l’enseignement pratique et traditionnel, car aucun des écrivains sur la musique antérieure au XIIIe siècle n’en parle d’une manière ni assez complète ni assez détaillée pour qu’il soit possible d’en avoir une idée bien nette, bien précise.[4] Jérôme de Moravie est le premier, à notre connaissance, qui ait traité cette matière avec l’importance qu’elle comporte, dans le chapitre xxv de son Traité de Musique. On y trouve des renseignements abondants et détaillés sur la durée des notes simples, liées et détachées; sur les groupes de notes liées et détachées, tant en montant qu’en descendant, selon les positions qu’elles occupaient dans les périodes musicales; à la fin, au milieu ou au commencement d’une période complète ou incomplète. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que toutes ces modifications n’y sont marquées par aucun signe séméiologique. Cette doctrine de la durée des notes est ensuite complétée par celle non moins importante des ornements usités dans le plain-chant au XIIe siècle. Ces ornements, qui ne sont non plus indiqués par aucun signe de notation, la plique exceptée, se composaient de la plique, de la réverbération et de ses diverses espèces, des fleurs longues, ouvertes et subites, du trille, appelé nota procellaris. Jérôme de Moravie explique avec le plus grand soin dans quelles circonstances et sur quelles notes se pratiquaient tous ces ornements.
Cet important chapitre est à lui seul un véritable traité sur le rythme et l’ornementation du chant ecclésiastique au moyen âge. Il serait impossible d’en faire apprécier toute la valeur dans la faible et brève analyse que nous pourrions en donner. Aussi ne l’essaierons-nous pas, dans la crainte de déflorer ce sujet, qui demande un travail spécial et complet. Quand il sera connu dans toute son étendue et avec les explications dont il a besoin d’être accompagné, alors seulement on pourra avoir une idée des immenses ressources d’exécution, dont le plain-chant disposait au moyen âge pour émouvoir ses auditeurs et faire pénétrer dans leur cœur les sentiments les plus nobles et les plus élevés. Quand on connaîtra la prodigieuse variété de rythmes, les nombreux ornements dont le plain- chant était pourvu, alors aussi on se figurera ce qu’il a pu être, pendant que ces traditions étaient en pleine vigueur et à leur apogée. Le traité de Jérôme de Moravie nous révèle en grande partie tous ces mystères. Quand on se transporte un instant par l’idée au temps où tout cela existait dans son éclat, l’imagination reste éblouie du degré de grandeur, de noblesse et de sublime auquel avait atteint cet art véritablement divin. »
J’ai voulu reproduire tout entier ce long passage dithyrambique du savant auteur de l’Histoire de l’Harmonie au moyen âge, non comme l’expression de la vérité (hélas! qu’il en est loin !), mais parce qu’il est comme le cri du cœur, chez l’un des partisans les plus déclarés du rythme égal dans le plain-chant, en présence d’une doctrine déjà ancienne qui suppose, dans l’exécution des mélodies grégoriennes, tout autre chose que la plate et insipide égalité des notes, sans variété de durées, sans ornements du chant, sans rien de ce qui est couleur, mouvement et vie en musique. Cela prouve quel besoin nous avons instinctivement de sentir le rythme dans les mélodies, mais un rythme qui soit l’expression vraie de nos affections et de nos sentiments intimes, non une suite monochrome de sons qui nous endorment.
Ce fameux chapitre xxv, je vais le transcrire en entier, avec les explications nécessaires pour le bien comprendre. Après ce que nous savons de la vraie doctrine des anciens sur le rythme, on reconnaitra facilement dans Jérôme de Moravie, non le fidèle interprète de cette doctrine qu’il n’a même pas connue, mais plutôt le témoin inconscient de l’état de décadence et de corruption où était tombée dès lors la musique ecclésiastique. Son traité n’en prouvera pas moins qu’au XIIIe siècle on n’avait point complètement perdu les traditions du IXe et du Xe en fait de rythme dans les mélodies grégoriennes, mais que, sous l’in fluence d’habitudes nouvelles nées du contre-point, on s’ingéniait à donner au plain-chant une variété et des agréments qui lui faisaient défaut, depuis qu’il avait perdu son rythme primitif. Jérôme de Moravie nous fait connaître sur ce point les usages d’un certain nombre d’églises, en France et dans les contrées adjacentes ; ailleurs, on faisait autrement, et nous verrons Simon Tunstede, au siècle suivant, exposer une manière différente de diversifier et d’orner le chant. Hors de la seule vraie tradition rythmique, que pouvait-il y avoir, sinon caprice et bigarrure ?
HIERONYMO DE MORAVIADE MUSICACAPUT XXV
Quoniam autem sic cantus, ut jam diximus, firmus sive planus, precipue ecclesiasticus cantus potest considerari dupliciter : primo scilicet in quantum per se, id est, sine discantu, ab uno, duobus aut a pluribus, vel etiam a toto choro canitur ; secundo in quantum discantui subjicitur; ideo de primo , id est, de modo cantandi et formandi notas et pausas ecclesiastici cantus principaliter hic intendimus. Cum autem modus cantandi omnem cantum ad musicam mensurabilem pertineat, primo quid ipsa sit, est dicendum. Musica igitur mensurabilis est que mensuram notarum omnium probabili ratione cognoscit; vel sic: musica mensurabilis est peritia modulationis sono cantuque consistens, armonico tempore mensurata. Tempus autem, prout hic sumitur, est distinctus sonus resolubilis in tres instantias. Instans vero hic sumptus est illud minimum et indivisibile, quod in sono auditus clare et distincte potest percipere. Quod etiam, apud veteres, dicebatur esse tempus. Sed modernorum, ut videtur, melior est opinio, qui scilicet in tempore armonico motui subjecto successionem ponunt; nam omnes transferentes secundum aliquam similitudinem transferunt. Tempus igitur annonicum tempori naturali debet aliqualiter assimilari; sed loquendo naturaliter, successio non invenitur, nisi in illis que sunt aliqualiter motui subjecta ; prius enim et posterius causant temporis successionem. Ex hoc enim quod numeramus prius et posterius in motu, apprehendimus tempus, quod nihil aliud est quam numerus prioris et posterioris in motu. Cum igitur tempus armonicum motui progressivo sit subjectum, oportet omnino in ipso ponere successionem trium scilicet instantiarum, quam veteres tollunt, ponentes aliquid indivisibile tempus, unam scilicet solam instantiam. Potesti amen, licet improprie , instantia dici tempus , sicut et vulgariter dicitur, nunc temporis esse quoddam tempus brevissimum; et secundum hoc quantum ad aliquid antiquorum salvatur opinio. Unde a modernis quidem utitur, sed res ipsa non abjicitur. Sed interdum recipitur, ut postea ostendetur. Hoc igitur tempus armonicum est mensura omnium notarum qua scilicet unaqueque mensuratur nola. Notarum autem alie longe, alic breves. Longe : alie longiores, alie longissime. Breves vero : alie breviores, alie brevissime. Figura note longe est quadrata et ex dextra parte caudala, ut hec : . Figura brevis note est quidem quadrata, sed non caudata, ut hec : ■. Figura semibrevis note nec est quadrata, nec caudata; habet enim expansos angulos, que et tesseronnata apud quosdam dicitur, ut hec : ♦. Nota longa, in cantu ecclesiastico sumpla, habet et habere debet duo tempora modernorum, resolvendo vero vi tempora antiquorum; longior, tria tempora modernorum, sed ix tempora antiquorum; longissima vero quatuor tempora modernorum, sed xii tempora antiquorum. Item nota brevis, sumpta in cantu ecclcsiastico, habet et habere debet unum tempus modernorum, resolvendo vero tria tempora antiquorum; brevior duas instantias modernorum vel duo tempora antiquorum ; brevissima vero unara instantiam modernorum, que quidem, secundum modernos et antiquos, indivisibilis est, vel unum tempus antiquorum. De quibus omnibus tales dantur regule : omnis cantus planus et ecclesiasticus (1) notas primo et principaliter equales habet unius scilicet temporis modernorum, sed trium temporum antiquorum , id est, breves, exceplis quinque. Prima omnium est a qua unusquisque cantus incipit, que et principaliter dicitur , que semper est longa. Si tamen in finali cantus existit, alias brevis est, ut cetere. Secunda est que etiam secunda sillaba dicitur, quando videlicet aliqua sillaba plures habet notas quam unam; tunc enim secunda post primam est longa. Si tamen aliqua ex predictis v notis ipsam non precedit, vel non subsequitur immediate , alias brevis est, ut cetere. Tertia nota est quadrata quidem, sed utraque parte caudata, et est duplex : quando enim cauda dextra longior est sinistra, sive ascendendo, sive descendendo, plica longa dicitur, ut hic: . Hec autem est duplex, scilicet simplexet ligata. De simplicibus jam patuit. Ligate vero sunt cum dictis longioribus caudulis, sive in ascendendo, sive in descendendo, tamen de tertia in tertiam ad minus, et etiam ultraque longe plice et ligate dicuntur ut hic : . Quando vero e converso cauda sinistra longior est dextra, plica brevis dicitur, et hoc sive ascendendo , sive etiam descendendo , ut hic : . Quare brevis est ut cetere, hec similiter duplex: scilicet simplex, utjam patuit, et ligata, cum scilicet, due note descendentes, tamen et non plus quam ad tonum et semitonium in ecclesiastico cantu ligatur, ut hic : . Nam prima brevis est, ut cetere, secunda longa; si tamen locum obtinet dictarura quinque notarum, alias est brevis ut cetere. Quarta nota de quinque notis est penultima. Quinta est ultima uniuscujusque pause que est longa, non semper; nam solum in pausa imperfecte dictionis, que brevis est, ultima nota est longa, id est duorum temporum ; in pausa vero perfecte dictionis, que est longa, duorum scilicet temporum est longior, scilicet trium temporum; in pausa autem orationis perfecte , que longior est, trium scilicet temporum, est longissima temporum scilicet quatuor. In quibus vero clavibus libere raro, rarissime vel nunquam in unoquoque cantu tam imparis quam etiam toni paris pausari liceat, sequens figura demonstrat (2). (Nihil deficit hic (3).) Ita tamen quod pause per pausas et note pausationum per notas immediate antecedentes perficiantur, cum raro vel autem rarissime pausari contigerit per tertias antecedentes. Omnes autem note ecclesiastici cantus talibus regulis astringuntur. Primo quidem quod, quandocunque extra sillabas et dictiones, metro scilicet interrupto, sunt quatuor note sive descendentes, sive etiam ascendentes, solute vel ligate, tunc prima est longa, secunda brevis, tertia, id est penultima pause, et quarta, id est ultima, sunt longiores. Si vero iterato geminentur, prima erit brevis, secunda longa, tertia et quarta, sicut prius, eo scilicet quod varialio modi fastidium tollit, et ornatum inducit. Si vero fuerint quinque note, tunc similiter variantur, eo quod semper prima est longa, secunda brevis, terlia semibrevis, quarta et quinta, sicut prius. Si autem sex note fuerint, tunc prima, secunda, tertia et quarla sunt semibreves sicut prius, quinta et sexta, sicut antea. Si vero plures fuerint in descensu trium, tunc prima, secunda, penultima et ultima sicut prius, cetere existunt brevissime. Secundo, quod note in figura conjuncte conjungantur in cantu , sed disjuncte solvantur; que quidem disjunctio non pausa, sed suspirium dicitur, et nihil aliud est quam apparentia pausationis, sive existentia unius scilicet instantis. Tertio, quod nulla nota brevis cum reverberatione sumatur, nisi dicte quinque note que singulariter mensurantur; que tum diversi mode sumuntur. Nam alique ex eis cum reverberatione sub specie scmitonii, alique sub specie toni, alique vero cum reverberatione omnium aliorum modorum. Est autem reverberatio brevissime note ante canendam notam cclerrima anticipatio, qua scilicet mediante sequens assumitur. Quarto, quod nulla nota brevis floreatur, sed solum note singulariter mensurate; aliquando tamen in tres instantias nota brevis resolvitur. Est autem flos armonicus decora vocis sive soni celerrima procellarisque vibratio. Florum autem alii longi, alii aperti, alii vero existunt subiti. Longi flores sunt quorum vibratio est morosa, metasque semitonii non excedit. Aperti autem sunt quorum vibratio est morosa, metasque toni non excedit. Subiti vero sunt quorum quidem vibratio in principio est morosa, in medio autem et in fine est celerrima, metasque semitonii non excedit. Horum autem florum qualitas simul et diversitas in organis ostenditur, hoc modo. Quando enim aliquem cantum tegimus in organis, si aliquam notam ejusdem cantus florizare volumus, pula G in gravibus, tunc ipsa aperta immobiliterque detenta, non sui inferiorem inmedietate, puta F grave, sed potius superiorem a, scilicet acutum, vibramus: ex quo pulcherrima armonia decoraque consurgit, quam quidem florem armonicum appellamus. Quando igitur claves immobiles cum vibratione semitonium constituunt, et ipsa vibratio est morosa, tunc est flos qui dicitur longus. Quando autem includunt tonum, et vibratio nec est morosa, nec subita, sed media inter ista, est flos apertus. Quando vero constituunt quidem semitonium, scd vibratio in agressu sit morosa , in progressu autem et egressu sit celerrima, tunc est flos qui subitus appellatur. Quinto igitur est notandum, quod dicti flores non debent fieri in aliis notis, preterquam in v singulariter mensuratis, sed differenter. Nam longi flores fieri debent in prima, penultima et ultima nota, in ascensu semitonium intendente ; si vero aliquem aliorum modorum in descensu, constituunt flores apertos quos et nota secunda sillabe debet habere; sed flores subitos, non alia quam plica longa. Inter quam et immediate sequentem note brevissime ponuntur ob armonie decorem. Sexto, quod ipsos flores reverberatio precedere debet sub specie toni vel semitonii, sive cujuscunque modi in omnibus quidem v nolis, excepta ultima que sub specie semitonii reverberatione assumit; sed in nota procellari finitur, que quidem nihil aliud est quam vocis sive soni sub specie semitonii lenta vibratio, quare manat de longarum genere florura. Procellaris autem dicitur, eo quod sicut procella fluminis aura levi agitata movetur sine aque interruptione. Sic nota procellaris in cantu fieri debet cum apparentia quidem motus, absque tamen soni vei vocis interruptione. Hunc cantandi modum non quidem in omnibus, sed in aliquibus quidam gallicorum observant, in quo quidem cum plures delectentur nationes (4), eoquod solidus sit, de eodem quedam substantiatiora non piget exprimere. Non videtur autem alias bene nec sufficienter fore dictum, nisi de modis omoibus ex quibus omnis cantilena contexitur singulariter specialiterque diceretur. De unisono igitur primo et principaliter est dicendum: unisonus si plures quam duas habeat notas, omnes sunt semibreves, excepta penultima et ultima que cum reverberatione sumitur ab ipsis; quod etiam cum due note sunt unisone, servatur unius syllabe vel plurium, unius vel plurium dictionum. Item cum per semitonium vel tonum due note distant, sive ligate , sive sint solute , mediante tertia secunde conjuncta , junguntur ; que etiam nota dicitur mediata, semibrevis est ut frequenter, primaque unisona aliquando tamen est brevis, scilicet cum resolvitur in tres instantias ex quo quidam descensus sensui apparet inter dictas duas notas celerius. Aliquando etiam de prima nota solutarum descendentium tamen faciunt plicam longam sursum, mediatis interjectis, ut prius. In ascensu vero reverberationem faciunt supra secundam. Item cum per semiditonum vel ditonum distant ligate vel solute due note, secunda, mediante semibrevi vel etiam brevi, cum in tres resolvitur instantias, conjunguntur in cantu. Aliquando tamen in descensu de prima fit plica longa deorsum usque ad mediam a qua reverberatio sumitur ad tertiam, ut prius; et e converso in ascensu. Vel quod comraunius est, fit reverberatio supra tertiam. Item cum distant per diatessaron in descensu, de prima fit plica longa deorsum usque ad secundam; a tertia vero reverberatio fit ad quartam; in ascensu vero fit reverberatio supra quartam. De diapente apud quosdam idem fit, quod et diatessaron tam scilicet in ascensu quam in descensu, sed coramunius in descensu fit reverberatio toni supra quintam. Nulla vero fit in ascensu quod et de omnibus fit modis (5) qui sequuntur. Floribus omnibus et indifferenter utuntur (6) pausis omnibus equalibus vel longis vel brevibus. Notas ligatas pausis distinguunt; similiter prepositiones et conjunctiones a dictionibus. Una sola nola dictioni monosillabe, vel alteri sillabe, inter duas pausas, vel inter notas moderatas seu variatas correspondens, semper est longa. Due, sive sint ligate, sive non, similiter; et etiam tres directe descendentes, vel etiam circumflexe. Ascendentes vero , prima semibrevis, cetere sunt longe. Item si tres fuerint descendentes et tertie quarta fuerit unisona, tertia est semibrevis et etiam prima, secundum aliquos. Secunda vero et quarta, ambe sunt longe. Item cum quatuor nole directe ascendunt sive descendunt, semper prima, tertia et quarta sunt longe ; secunda brevis vel etiam semibrevis. Quod etiam de quatuor et quatuor notis faciunt, cum octo note dicto modo in cantu existunt. Quando quinque prima longa, alie modo quo diximus. Quando sex, prime due sunt longe cum pausa, vel secunda brevis, vel semibrevis sine pausa , cetere ut prius. Quando vero sunt septem , prima , tertia , quarta, sexta et septima sunt longe, cetere ut prius. Gaudent insuper cum modum organicum notis ecclesiasticis admiscent quod etiam non abjicit primus modus , necnon et de admixtione modorum duorum generum relictorum. Nam diesim enarmonicam (7) et triemitonium chromaticum genus diatonico associant. Semitonium loco toni et e converso commutant, in quo quidem et a cunctis nationibus in cantu discordant. Notas procellares communiter abjiciunt (8), unde et omnes nationes eisdem utentes voces tremulas dicuntur habere. In quibus quidcm dictis finaliter dictorum modus cantandi et formandi notas et pausas cantus ecclesiastici concluditur. Hic autem uterque modus cantandi scilicet et formandi notas et pausas ecclesiastici cantus magis et minus pro tempore observatur. Si quis enim indifferenter utitur ipso, non discernens vocum imbecillitates et ipsos dies feriales, non uti sed potius abuti dictis modis diceretur. Solum enim in dominicis diebus et festis precipuis, modi, quos diximus, sunt tenendi. In pro festis vero diebus modus quidem omnino idem quantum, scilicet ad V notas speciales (9) formaliter commutatis tamen longis notis in semibreves et semibrevibus in brevissimas, necnon et commutatis temporibus modernorum in tempora antiquorum est tenendus. Ut igitur tam ordinate simul et debite a duobus vel etiam a pluribus cantetur cantus ecclesiasticus, quinque sunt cantantibus necessaria. Primum est, ut cantus cantandus diligenter simul ab omnibus prevideatur, et in ipsa qualitate sive quantilate armonici temporis, vel secundum antiquos, vel etiam secundum modernos, unanimiter conveniant. Secundum est, ut quantumcunque sint omnes equaliter boni cantores, unum tamen precentorem et directorem sui constituant ad quem diligentissime attendant; et non aliud quam ipse, sive in notis, sive etiam in pausis, dicant. Hoc enim est pulcherrimum. Tertium est, ut voces dissimiles in tali cantu non misceant, cum non naturaliter, sed vulgariter loquendo , quedam voces sint pectoris , qucdam gutluris, quedam vero sint ipsius capitis. Voces dicimus pectoris que formant notas in pectore ; gulturis que in gulture ; capitis autem que formant notas in capite. Voces pectoris valent in gravibus ; gutturis in acutis; capitis autem in superacutis. Nam communiter voces grosse et basse sunt pectoris; voces subtiles et altissime sunt capitis; voces vero inter has medie sunt ipsius gutturis. Nulla igitur ex his alteri ligatur in cantu, sed vox pectoris pectorali, gutturis gutturali, capitis autem capitali. Quoniam autem omnes voces vigorem consequuntur ex pectore, ideo quarto necessarium est ut nunquam adeo cantus alte incipiatur, precipue ab habentibus voces capitis, quin ad minus unam notam ceteris bassiorem pro fundamento sue vocis statuant in pectore, et nec nimis basse, quod est ululare, nec nimis alte, quod est clamare , sed mediocriter quod est cantare, ita scilicet ut non cantus voci, sed vox cantui ducetur, semper incipiant. Alias pulchre note formari non possunt. Si quis autem plures pulchras notas scire desiderat, hoc pro regula teneat, ut nullius etiam rudissimi cantum despiciat, sed ad cantum omnem diligenter attendat, quia cum molaris rota discretum aliquando reddat stridorem, ipsa quid agat nesciens, impossibile est quod aliud rationale cupiens omnes suos actus in debitum finem dirigere, quin aliquando saltem a casu et a fortuna debitam et pulchram notam faciat. Cumque sibi placentem notam audierit, ut ipsam in habitu habeat, diligenter retineat. Precipuum autem impedimentum faciendi pulchras notas est cordis tristitia, eo quod nulla nota valet nec valere potest; que vero procedit ex cordis hilaritate propter quod melancolici pulchras quidem voces habere possunt, pulchre vero cantare non possunt.
[1] In margine codicis : Quod hic dicitur non est contrarium ei quod dicitur infra, sicut ibi notatur in margine (Videatur p. 95, nota 1). (2) In margine codicis : Que habetur in magna scedula in parte superiori ipsius scedule , scilicet specialiter in figura rotunda octo tonorum que est in quadam parva scedula. (3) Uncinis clausa scripta sunt ab alia manu. (4) In margine codicis : Secundus motus cantandi. (5) In margine codicis : Scilicet diapason et aliis. (6) Item : Scilicet predicti Gallici. (7) In margine codicis . De quibus supra cap. ix. (8) Item : Predicti Gallici. (9) In margine codicis: De quibus supra, in pag. 99, col. 1, patet.
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Jérôme de MoravieTraité de MusiqueDe Musica, a fr. HIERONYMO DE MORAVIA, Ch. XXV. CHAPITRE XXV« Entendu comme nous venons de le dire, le plain-chant ecclésiastique peut être considéré sous deux aspects distincts : 1° en tant qu’il subsiste par lui-même, c’est-à-dire qu’il est exécuté sans aucun dédiant par un, deux, trois chanteurs ou davantage, ou même par tout le chœur ; 2° en tant qu’il est soumis au déchant. Nous parlerons donc d’abord du plain-chant en lui-même, de la manière de le chanter et d’y former les notes et les pauses. Mais toute manière de chanter, quelle qu’elle soit, se rapportant nécessairement à la musique mesurée, nous devons auparavant expliquer ce qu’est cette dernière. « La musique mesurée est donc celle qui détermine, selon de justes proportions, la durée de toutes les notes, ou encore : la musique mesurée est la science du chant auquel le temps harmonique sert de mesure. Le temps, comme nous l’entendons ici, est un son distinct pouvant être divisé en trois instants. L’instant est cette durée très petite et indivisible, qui est requise pour qu’un son puisse être entendu clairement et distinctement. Les anciens l’appelaient temps premier ; mais les modernes, ce semble, ont raison de mettre une succession dans le temps harmonique, sujet au mouvement ; car tout mouvement est produit selon une certaine ressemblance.[5] « Le temps harmonique doit donc avoir quelque similitude avec le temps naturel. Or, naturellement parlant, il n’y a de succession que là où existe quelque mouvement, et il y a succession dans le temps, parce qu’on y trouve un avant et un après, un passé et un présent. Nous ne percevons le temps, en effet, qu’en comptant dans le mouvement une durée qui a précédé et une autre qui suit ; et ainsi le temps n’est autre chose que le nombre des avant et des après dans le mouvement. « Puis donc que le temps harmonique est soumis à un mouvement progressif, il faut nécessairement qu’il renferme une succession, à savoir celle des trois instants, que les anciens ne lui reconnaissaient pas, lorsqu’ils faisaient de leur temps premier quelque chose d’indivisible, c’est-à-dire un seul instant. En un certain sens pourtant, l’instant lui-même peut être appelé temps ; c’est ainsi qu’on dit vulgairement que le moment présent est un temps très court. Suivant cette manière de parler, l’opinion des anciens peut être admise, et quelquefois les modernes eux-mêmes en font usage, comme nous le verrons plus loin. « C’est donc le temps harmonique (divisible en trois instants) qui est la commune mesure de toutes les notes en musique. Elles se divisent en longues et brèves. Mais il y a trois sortes de longues : les premières simplement longues, les deuxièmes plus longues, et les troisièmes très longues. Il y a de même trois sortes de brèves : les brèves simples, les plus brèves ou semi-brèves, et les très brèves ou minimes. « Les notes longues ont une figure carrée avec une queue à droite les brèves, une figure carrée sans queue ■ ; les semi-brèves ne sont ni queutées, ni carrées, mais en forme de losanges . « Dans le chant ecclésiastique, la note longue vaut et doit valoir deux temps des modernes ou six des anciens (c’est-à-dire la valeur d’une thésis et d’une arsis réunies[6]) ; la plus longue vaut trois temps des modernes et neuf temps des anciens ; la très longue, quatre temps des modernes ou douze temps des anciens. « De même, la note brève, dans le chant ecclésiastique, vaut et doit valoir un temps des modernes ou trois temps des anciens (une arsis ou une thésis) ; la semi-brève vaut deux instants des modernes ou deux temps des anciens ; la très brève ne vaut qu’un instant des modernes, un temps des anciens. « Cela supposé, voici les règles par rapport à ces différentes notes Tout plain-chant ecclésiastique est composé premièrement et principalement de notes égales, c’est-à-dire valant un temps des modernes ou trois temps des anciens ; en d’autres termes, toutes les notes du plain-chant sont brèves de leur nature, excepté cinq cas. « Première exception. — La première note d’un chant, celle qui le commence et qu’on appelle principale, est toujours longue. Mais il faut pour cela que le chant commence par la finale du mode, sinon la première note est brève comme les autres. « Deuxième exception. — Lorsqu’une syllabe porte plus d’une note, la deuxième de ces notes, appelée seconde de syllabe, est longue. A moins que cette seconde de syllabe ne soit précédée ou suivie immédiatement d’une autre longue, car alors elle est brève comme les autres. « Troisième exception. — Elle concerne les pliques, noies carrées avec une queue de chaque côté. Il y en a de deux sortes, les longues et les brèves. Quand la queue de droite est plus longue que celle de gauche, soit en montant, soit en descendant, v. g. , la plique est longue. Elle peut être simple ou liée. Nous venons de dire quelles sont la figure et la valeur de la plique simple. Les pliques liées avec ces mêmes queues longues, soit en montant, soit en descendant, à intervalle de tierce au moins et au-delà, sont dites pliques longues et liées, v. g. . Mais quand, au contraire, c’est la queue de gauche qui est la plus longue, la plique est brève, soit en montant, soit en descendant : . Sa valeur est donc celle des brèves ordinaires. Elle est également simple ou liée. Cette dernière, dans le chant ecclésiastique, est formée de deux notes descendantes reliées l’une à l’autre à un intervalle de ton ou de demi-ton, mais pas au-delà, v. g. . La première note est brève comme les autres ; la deuxième est longue, si elle rentre dans l’un des cinq cas exceptionnels ; sinon elle est brève, également comme les autres. « Quatrième exception. — L’avant-dernière note en toute distinction est longue. « Cinquième exception. — La dernière note avant une pose est longue, plus longue ou très longue. Elle est simplement longue, c’est-à-dire de deux temps, avant une demi-pause ou pause brève d’un temps ; elle est plus longue, c’est-à-dire de trois temps, avant une pause entière ou longue qui vaut deux temps ; elle est très longue, c’est-à-dire de quatre temps, avant la pause finale qui vaut trois temps. « Quelles sont les clefs[7] en chaque ton, pair ou impair, où il est permis de faire les pauses, soit librement, soit rarement, soit très rarement, et quelles sont celles où la mélodie ne fait jamais de repos, on peut le voir dans la figure suivante.[8] Mais il faut avoir soin que les pauses imparfaites soient complétées par d’autres pauses, et que les notes de repos le soient aussi par les notes qui précèdent immédiatement (à intervalle de seconde), car rarement et même très rarement la mélodie arrive à une pause par intervalle de tierce.[9] « Or, voici les règles auxquelles sont soumises toutes les notes du chant ecclésiastique : « 1° Lorsque, en dehors du texte, la suite des paroles étant interrompue (c’est-à-dire dans les mélismes ou vocalises), il se rencontre quatre notes, soit en montant, soit en descendant, liées ou divisées, alors la première est longue, la deuxième brève, la troisième, c’est-à-dire la pénultième de pause, et la quatrième ou dernière de pause sont plus longues (chacune valant trois temps). Si les quatre notes se répètent, c’est alors la première qui est brève, la seconde est longue, la troisième et la quatrième comme ci-dessus. Ce changement de mode[10] rompt la monotonie et ajoute au chant un certain ornement. « S’il se trouve cinq notes, on les variera de même, la première étant toujours longue, la deuxième brève, la troisième semi-brève, la quatrième et la cinquième comme ci-dessus. « S’il y en a six, alors la première comme auparavant, la deuxième, la troisième et la quatrième seront semi-brèves, la cinquième et la sixième comme ci-dessus. « Quant aux notes descendantes, s’il s’en trouve plus de trois, alors la première, la deuxième, l’avant-dernière et la dernière se conforment à ce qui a été ci-dessus ; les autres seront très brèves. « 2° Les notes liées dans la figure le doivent être aussi dans le chant, mais on séparera celles qui sont désunies. Cette séparation des notes n’est pas une pause, c’est simplement un soupir, c’est-à-dire une apparence de pause de la valeur d’un instant (ou tiers de temps). « 3° Aucune brève ne se fait avec réverbération, mais seulement celles qui se trouvent dans l’un des cinq cas exceptionnels, et cela de diverses manières. Quelques-unes sont répercutées à intervalle de demi-ton, d’autres à intervalle de ton, d’autres enfin de toutes les manières usitées. Or, la réverbération consiste à attaquer la note au moyen d’une autre note très brève qui la précède immédiatement.[11] « 4° Aucune note brève n’est florie, mais seulement les cinq notes exceptionnelles. Quelquefois cependant une note brève se résout en ses trois instants. « Or, la fioriture harmonique consiste dans une vibration de la voix gracieuse, rapide et ondulée. Il y a trois espèces de fioritures les longues, les ouvertes et les subites. On appelle fioritures longues celles dont les vibrations sont lentes ; elles se font toujours à un intervalle de demi-ton. Les fioritures ouvertes sont également des vibrations lentes (ou plutôt moyennes, V. infra), mais à. l’intervalle de ton. Les fioritures subites commencent par des vibrations lentes, elles se continuent et se terminent par des vibrations de plus en plus rapides à intervalle de demi-ton. « On se rend très bien compte de ce que sont les fioritures et de leur différence sur les orgues. Lorsque nous jouons une mélodie sur l’orgue et qu’il s’agit de fiorir une note, par exemple G grave (SOL), nous tenons cette note ouverte pour qu’elle continue à résonner, et en même temps nous faisons vibrer avec elle non la note qui est placée au dessous, c’est-à-dire le F (FA), mais la note supérieure, le a (la). Il en résulte une harmonie très belle et très douce, que nous appelons fioriture harmonique.[12] « Lors donc que la clef (note) immobile et celle qui doit vibrer sont distantes d’un demi-ton et que la vibration se fait lentement, c’est la fioriture longue. Si l’intervalle entre les deux clefs est d’un ton, et que la vibration ne soit ni lente ni rapide, mais moyenne, c’est la fioriture ouverte. Si enfin l’intervalle est d’un demi-ton, mais que la vibration d’abord lente, devienne progressivement plus rapide, c’est alors la fioriture subite. « 5° Sur quoi il faut observer que ces fioritures ne se font que sur les cinq notes exceptionnelles, et cela de plusieurs manières. Les fioritures longues ne se font que sur la première, l’avant-dernière et la dernière note, lorsqu’il se trouve en montant un intervalle de demi-ton. La seconde de syllabe peut recevoir la fioriture ouverte, si on y arrive en descendant par un intervalle autre que le demi-ton. Mais les fioritures subites ne se font que sur les pliques longues, et l’on place entre elles et la note qui suit immédiatement d’autres notes très brèves, pour la beauté de l’harmonie. « 6° La réverbération doit précéder les fioritures à l’intervalle de ton ou de demi-ton, ou de toute autre manière ; excepté seulement la dernière note de pause, qui est toujours répercutée à un intervalle de demi-ton et se termine par une note procellaire, c’est-à-dire par une vibration lente à intervalle de demi-ton, du genre des fioritures longues.[13] « Or la note procellaire est ainsi appelée parce que, de même que l’eau d’une rivière agitée par un vent léger ondule sans interruption du courant, ainsi la note procellaire doit se faire dans le chant par une sorte de mouvement apparent de la voix, mais sans interruption du son. « Voici maintenant la manière de chanter, usitée dans plusieurs églises des Gaules, non pour toutes sortes de chants, mais pour un certain nombre. Quelques autres nations l’ont aussi adoptée, comme vraiment bonne. Il ne nous déplait donc pas de nous y arrêter et d’en exposer les points principaux. Nous n’aurions, d’ailleurs, ni bien ni suffisamment traité ce sujet, si nous ne disions quelque chose de particulier sur les diverses manières dont une mélodie peut être exécutée. « 1° Unisson. — Lorsque l’unisson renferme plus de deux notes, elles sont toutes brèves, excepté l’avant-dernière et la dernière qui sont longues, et celle-ci avec réverbération. Il en est de même, quand l’unisson est de deux notes seulement, sur une syllabe ou sur plusieurs, dans le même mot ou dans des mots différents. « 2° Seconde. — Lorsque deux notes, unies ou séparées, forment un intervalle de ton ou de demi-ton, on les unit en intercalant une troisième note qui se joint à la seconde et qui est appelée note médiane. La note médiane est le plus souvent une semi-brève l’unisson de la première.[14] Quelquefois cependant on la fait brève ; elle se résout alors en trois instants et il semble qu’il y ait entre les deux notes principales comme un mouvement descendant très rapide. Quelquefois aussi, lorsque les deux notes sont séparées et descendantes, ils font de la première une plique longue supérieure, en ajoutant comme ci-dessus la médiane. Mais si les notes montent, ils font la réverbération sur la seconde. « 3° Tierce. — Lorsque deux notes liées ou séparées sont distantes d’un intervalle de tierce mineure ou majeure, la seconde s’unit à la première par l’intermédiaire de la note médiane, qui est une semi-brève ou même une brève se résolvant en trois instants. Parfois cependant, de deux notes descendantes, la première devient plique longue inférieure sur le même degré que la médiane et de celle-ci on fait la réverbération sur la seconde, comme auparavant. C’est le contraire, si les notes sont ascendantes ; ou bien, ce qui est le plus ordinaire, on se contente de la réverbération sur la seconde. « 4° Quarte et quinte. — De deux notes descendantes à intervalle de quarte, la première est une plique longue inférieure, à l’intervalle de seconde ; la note médiane est sur la tierce et elle amène la réverbération sur la quarte. En montant, on ne fait que la réverbération sur la quarte. Pour l’intervalle de quinte, quelques-uns font la même chose que pour la quarte ; mais plus communément, en descendant, on fait la réverbération d’un ton plein au-dessus de la quinte. Elle n’a pas lieu en montant, ni pour l’intervalle de quinte ni pour aucun des autres intervalles usités (sixte et octave). « Quant aux fioritures, les Français les emploient toutes indifféremment et aussi les pauses, qu’ils font égales, soit longues, soit brèves. Les groupes de notes sont séparés par des pauses ; ils séparent de même les prépositions et les conjonctions du reste de la phrase. « Une note seule, correspondant à un monosyllabe ou à une syllabe d’un mot est toujours longue, lorsqu’elle se trouve entre deux pauses ou entre deux notes de modes rythmiques différents (inter notas moderatas seu variatas). « Deux ou trois notes seules sont également longues, lorsqu’elles descendent directement et même avec circonflexion. Mais dans les notes montantes, la première est semi-brève, les autres sont longues. « Lorsque trois notes descendent et qu’à la troisième est jointe une quatrième note à l’unisson, la troisième est semi-brève et aussi la première, d’après quelques-uns. La seconde et la quatrième sont longues. « Lorsque quatre notes montent ou descendent directement, la première, la troisième et la quatrième sont toujours longues ; la seconde est brève ou semi-brève. Ils observent la même chose, si les quatre notes sont suivies de quatre autres, ce qui fait huit notes dans le chant. « S’il y a cinq notes qui se suivent, la première est longue, les autres comme nous venons de le dire. S’il y en a six, les deux premières sont longues et l’on fait une pause, ou bien la seconde est brève ou semi-brève, et les autres comme ci-dessus. S’il y a sept notes, la première, la troisième, la quatrième, la sixième et la septième sont longues, les autres à l’ordinaire. « Ils aiment en outre à joindre aux notes ecclésiastiques le mode organique, ce qui est praticable avec le premier mode.[15] Ils se plaisent également au mélange du genre diatonique et des deux autres genres, par l’usage qu’ils font du dièse enharmonique et du trihémiton chromatique.[16] « Ils remplacent souvent les demi-tons par des tous et les tous par des demi-tons ; en quoi ils ne sont pas d’accord avec le reste des nations chrétiennes. Ils rejettent communément les notes procellaires, prétendant que les autres peuples qui en usent ont tous des voix chevrotantes. « Mais en voilà assez sur la manière dont les Français ont coutume de chanter les notes et de faire les pauses dans le plain-chant ecclésiastique. « Observons, d’ailleurs, que l’une et l’autre manières de chanter le plain-chant doivent être employées avec une certaine discrétion. Car de s’en servir à tout propos, sans faire attention ni à la qualité des voix, ni au degré des féries, c’est un abus, non un usage raisonnable. On ne doit s’en servir qu’aux dimanches et aux jours de fêtes principales. Dans toute autre circonstance, il faut sans doute garder la même méthode, mais en changeant les notes longues en semi-brèves et les semi-brèves en très brèves, c’est-à-dire en remplaçant les temps des modernes par les temps des anciens. « Ainsi, pour chanter convenablement le plain-chant à deux, à trois ou à plusieurs, cinq choses sont surtout nécessaires aux chanteurs. « 1° Qu’ensemble ils prévoient ce qu’ils devront chanter, et qu’ils conviennent entre eux quelle sera la valeur du temps harmonique, celle des anciens ou celle des modernes. « 2° Quelque bons chanteurs qu’ils soient tous, il faut néanmoins qu’ils choisissent parmi eux un préchantre, directeur du chant, auquel ils s’accordent tous avec le plus grand soin, ne faisant rien que comma lui, soit dans les notes, soit dans les pauses. Cela est d’un très bel effet. « 3° Pour le plain-chant, on ne doit pas mélanger les voix dissemblables, c’est-.-dire celles que l’on appelle vulgairement voix de poitrine, voix de gosier et voix de tête, parce que les premiers forment leurs notes dans la poitrine, les deuxièmes dans le gosier, les troisièmes dans la tête. D’ordinaire, les voix basses et fortes sont de poitrine ; les voix légères et élevées sont de tête ; celles du gosier sont moyennes entre les deux. On ne mêlera donc pas ces trois sortes de voix dans le chant, mais il faut joindre ensemble celles qui sont de même espèce, les voix de poitrine aux voix de poitrine, celles de gosier aux voix de gosier, et celles de tête aux voix de tête. — Mais comme c’est de la poitrine que les voix tirent surtout leur force, il est nécessaire : « 4° De ne commencer jamais à chanter sur un ton tellement élevé — surtout quand ce sont des voix de tête qui chantent — qu’au moins la note la plus basse du chant n’appartienne à la voix de poitrine. On évitera donc de chanter ou trop bas, ce serait mugir, ou trop haut, ce serait crier, mais sur un ton moyen, ce qui est vraiment chanter, en sorte que la voix se puisse conformer au chant, et non le chant à la voix. Autrement, il est impossible de bien former les notes. « 5° Si quelqu’un désire apprendre beaucoup de belles notes, il se fera une règle de ne mépriser aucun chant, fût-ce le plus rustique, mais de les écouter tous avec attention. Car, de même que la roue d’un moulin rend parfois un son parfaitement distinct, bien qu’elle ignore ce qu’elle fait ; ainsi il est impossible qu’un être raisonnable, qui s’efforce de rendre bons tous ses actes, n’arrive pas une fois ou l’autre à former une note juste et belle. Lors donc qu’on aura entendu une de ces notes agréables, on s’efforcera de la reproduire fréquemment, jusqu’à s’en faire une habitude et l’avoir toujours à sa disposition. « Le plus grand obstacle aux belles notes, c’est la tristesse du cœur ; il n’y a qu’un cœur joyeux à pouvoir bien chanter. Les caractères mélancoliques possèdent souvent des voix belles et sonores, mais il ne leur est guère possible de s’en servir pour chanter agréablement. » *******************************
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Tel est le chapitre xxv du traité de Jérôme de Moravie. Il est intéressant à plus d’un titre, et c’est pourquoi j’ai tenu à le transcrire d’abord tout entier, sans interruption. Il faut y revenir cependant et noter un certain nombre de points qui ont leur importance dans l’histoire du rythme grégorien. On aura remarqué que ce chapitre renferme : 1° une sorte d’introduction sur les rapports entre la musique figurée et le plain-chant ecclésiastique, au point de vue du rythme et de la valeur des notes ; 2° un corps de doctrine, ou exposition des systèmes adoptés au xiiie siècle pour l’exécution du plain-chant ; 3° quelques observations et conseils, en forme de conclusion, sur les conditions que doivent remplir tous bons chanteurs, s’ils veulent réussir à bien chanter. Un mot sur chacune de ces trois parties ne sera pas sans utilité. …………………………………………………………………………………………………………..
[1] De Coussemaker l’a publié depuis dans le tome I des Script. de Musica, etc., 1865. [2] Actuellement, il est inscrit: fonds latin, numéro 16663 de Musica tractatus fr. Hieronymi de Moravia. [3] De Coussemaker, Hist. de l’Harm., 1ère p., ch. VIII. [4] Le lecteur sait que penser de cette assertion de Coussemaker. Mais il est vrai qu’à cette époque (1852) on connaissait fort peu la doctrine des anciens sur le rythme musical et qu’ainsi les auteurs du moyen âge avant le xiie siècle restaient obscurs. [5] AXIOME SCOLASTIQUE : Omnes tranferentes secundum quamdam similitudinem transferunt. [6] Voir en fin de texte, le tableau où sont représentées ces valeurs des notes, d’après J. de Moravie. [7] Les clefs, c’est-à-dire les lignes où sont placées les lettres indicatrices des sons : clef de F, ligne du Fa ; clef de C, ligne de l’ut, etc… Les clefs, dont il est question ici, sont donc les degrés de la gamme modale, sur lesquelles la mélodie fait régulièrement ses repos. Cette phrase et la suivante, qui la complète, sont insérées ici comme une note, à propos des pauses du chant. [8] La figure fait défaut dans le manuscrit ; mais ce point des repos mélodiques est assez connu par les auteurs qui ont écrit avant Jérôme de Moravie. [9] Ce passage n’est pas très compréhensible. A moins que l’auteur ne veuille dire qu’il faut dans le chant conserver toujours la régularité de la mesure, en sorte que les temps qui manquent d’un côté, soit dans les notes, soit dans les pauses, se retrouvent ailleurs et qu’ainsi les pauses se complètent par les pauses et les notes par les notes. Mais comment cela se faisait-il ? Il ne le dit nulle part et je ne le vois pas bien. [10] Il s’agit du mode rythmique, l’un des cinq ou des six usités alors en musique. Cf., plus loin, le traité de J. Hothby. [11] Voir plus loin, le tableau des valeurs de notes, d’après J. de Moravie. [12] C’est le trille de notre musique moderne. [13] Bien qu’assez semblable aux fioritures longues, la nota procellaris n’était cependant pas considérée comme fioriture et tous ne l’admettaient pas dans le plain-chant, comme Jérôme de Moravie le dira plus loin. [14] Voir le tableau des valeurs de note, deuxième manière. [15] Mode rythmique composé tout de longues. [16] « Voilà une observation qui eût singulièrement, s’il l’avait connue, confirmé feu Vincent dans la supposition qu’il avait faite de l’usage du quart de ton dans le plain-chant. Il se fondait alors sur un passage du manuscrit de Montpellier inexactement reproduit dans la copie de Th. Nisard, opinion qu’il a dû abandonner lorsque, à vue de l’original, je l’ai averti de sa méprise. L’abbé Raillard, qui l’avait adoptée, fut plus tenace que lui. (Voir à ce sujet une note de mon travail sur le chant byzantin.) « Des observations et recommandations qui suivent, on doit conclure que c’est une illusion complète de s’imaginer que le peuple, au moyen âge, prenait part à l’exécution du chant, et que c’est l’introduction de la musique qui le réduisit au silence. » (St.-M.)
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