AEGON.
Quidnam solivagus, Bucule, tristia,
Demissis graviter luminibus, gemis ?
Cur manant lacrymis largifluis genae ?
Fac, ut norit amans tui.
BUCULUS.
Aegon, quaeso, sinas alta silentia
Aegris me penitus condere sensibus :
Nam vulnus reserat qui mala publicat ;
Claudit, qui tacitum premit.
AEGON.
Contra est, quam loqueris; recta nec
autumas.
Nam divisa minus sarcina fit gravis ;
Et quidquid tegitur, saevius incoquit.
Prodest sermo doloribus.
BUCULUS.
Scis, Aegon, gregibus quam fuerim potens ;
Ut totis pecudes fluminibus vagae
Complerint etiam concava vallium,
Campos, et juga montium.
Nunc lapsa at penitus spes opis est meae,
Et, longus peperit quae labor omnibus
Vitae temporibus, perdita biduo :
Cursus tam citus est malis.
AEGON.
Haec jam dira lues serpere dicitur.
Pridem Pannonios, Illyricos quoque
Et Belgas graviter stravit, et impio
Cursu nos quoque nunc petit.
Sed tu, qui solitus nosse salubribus
Succis perniciem pellere noxiam,
Cur non anticipans, quae metuenda sunt,
Ammosti medicas manus ?
BUCULUS.
Tanti nulla metus pervia signa sunt,
Sed quod corripit, id morbus et opprimit ;
Nec languere sinit, nec patitur moras :
Sic mors ante luem venit.
Plaustris subdideram fortia corpora
Lectorum, studioguo potui, boum;
Queis mentes geminae, consona tinnulo
Concentu crepitacula ;
Aetas consimilis, setaque concolor,
Mansuetudo eadem, robur idem fuit,
Et fatum : medio nam ruit aggere
Par victum parili nece.
Mollito penitus farra dabam solo :
Largis putris erat gleba liquoribus :
Sulcos perfacilis stiva tetenderat ;
Nusquam vomer inhaeserat.
Laevus bos subito labitur impetu,
Aestas quem domitum viderat altera.
Tristem continuo disjugo conjugem,
Nihil jam plus metuens mali.
Dicto sed citius consequitur necem,
Semper qui fuerat sanus et integer ;
Tunc longis quatiens ilia pulsibus,
Victum deposuit caput.
AEGON.
Angor, discrucior, mœreo, lugeo.
Damnis quippe tuis, non secus ac meis,
Pectus conficitur. Sed tamen arbitror
Salvos esse greges tibi.
BUCULUS.
Illuc tendo miser, quo gravor acrius :
Nam solamen erat vel minimum mali,
Si fetura daret posterior mihi,
Quod praesens rapuit lues.
Sed quis vera putet, progeniem quoque
Extinctam pariter ? vidi ego cernuam
Junicem gravidam, vidi animas duas
Uno in corpore perditas.
Hic fontis renuens, graminis immemor,
Errat succiduo bucula poplite,
Nec longum refugit; sed graviter ruit
Leti compede claudicans.
At parte ex alia, qui vitulus modo
Lascivas saliens texuerat vias,
Ut matrem subiit, mox sibi morbido
Pestem traxit ab ubere.
Mater tristifico vulnere saucia,
Ut vidit vituli condita lumina,
Mugitus iterans, ac misere gemens,
Lapsa est, et voluit mori.
Tunc tanquam metuens, ne sitis aridas
Fauces opprimeret, sic quoque dum jacet,
Ammovit moriens ubera mortuo.
Post mortem pietas viget !
Hinc taurus, solidi vir gregis et pater,
Cervicis validae, frontis et arduae,
Laetus dum sibimet plus nimio placet,
Prato concidit herbido.
Quam multis foliis silva cadentibus
Nudatur, gelidis tacta aquilonibus :
Quam densis fluitant velleribusnives;
Tam crebrae pecudum neces.
Nunc totum tegitur funeribus solum :
Inflantur tumidis corpora ventribus :
Albent lividulis lumina nubibus :
Tenso crura rigent pede.
Jam circum volitant agmina tristium
Dirarumque avium ; jamque canum greges
Insistunt laceris visceribus frui ;
Heu ! cur non etiam meis ?
AEGON.
Quidnam, quaeso, quid est, quod vario modo
Fatum triste necis transilit alteros,
Affligitque alios ? En tibi Tityrus
Salvo laetus agit grege !
BUCULUS.
Ipsum contueor. Die age, Tityre,
Quis te surripuit cladibus his Deus ?
Ut pestis pecudum, quae populata sit
Vicinos, tibi milla sit.
TITYRUS.
Signum, quod perhibent esse crucis Dei,
Magnis qui colitur solus in urbibus,
Christus, perpetui gloria numinis,
Cujus filius unicus.
Hoc signum, mediis frontibus additum,
Cunctarum pecudum certa salus fuit :
Sic vero Deus hoc nomine praepotens
Salvator vocitatus est.
Fugit continuo saeva lues greges :
Morbis nil licuit. Si tamen hunc Deum
Exorare velis, credere sufficit ;
Votum sola fides juvat.
Non ullis madida est ara cruoribus ;
Nec morbus pecudum caede repellitur
Sed simplex animi purificatio
Optalis fruitur bonis.
BUCULUS.
Haec si certa probas, Tityre, nil moror,
Quin veris famuler relligionibus;
Errorem veterem diffugiam libens ;
Nam fallax et inanis est.
TITYRUS.
Atqui jam properat mens mea visere
Summi templa Dei ; quin age, Bucule
Non longam pariter congredimur viam
Chnsli et numen agnoscimus.
AEGON.
Et me consiliis jungite prosperte.
Nam cur addubitem, quin homini quoque
Signum prositidem perpete seculo,
Quo vis morbida vincitur ?
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AEGON.
D'où
vient que solitaire et morose, ô Buculus, tu gémis en
baissant tristement les yeux ? pourquoi ces ruisseaux de
pleurs qui coulent sur tes joues ? Fais-en connaître la
cause à celui qui t'aime.
BUCULUS.
Aegon,
je t'en prie, laisse-moi, dans un profond silence,
ensevelir les douleurs de mon âme. Il rouvre sa blessure,
celui qui parle de ses maux ; il la ferme, celui qui les
tient cachés.
AEGON.
C'est
le contraire de ce que tu dis, et je n'approuve pas ton
discours. Plus un fardeau est divisé, moins il est lourd, et
ce qui est tenu enfermé s'imprègne plus profondément. Oui,
la parole allège nos douleurs.
BUCULUS.
Tu
sais, Aegon, comme j'étais riche en bétail : mes troupeaux
non seulement erraient tout le long du fleuve, mais
couvraient aussi le fond des vallées, les plaines et les
crêtes des montagnes.
Hélas ! c'en est fait maintenant de toutes mes espérances de
fortune, et ce que m'avaient acquis les travaux assidus de
ma vie entière, deux jours me l'ont fait perdre, tant est
rapide la marche du mal.
AEGON.
L'horrible fléau s'étend, dit-on, de proche en proche. Né
dans la Pannonie, il a ensuite douloureusement frappé les
Illyriens et les Belges, et nous gagne aujourd'hui dans sa
course désastreuse. Mais toi qui, par de salutaires remèdes,
avais toujours su repousser ces contagions funestes,
pourquoi n'as-tu pas prévenu le mal que tu craignais, en
employant le secours de l'art.
BUCULUS.
Aucun
symptôme, hélas! n'annonce le fléau ; mais tout ce qui est
atteint, succombe; le mal ne fait pas languir et ne souffre
pas de retards : la mort semble venir avant la contagion.
J'avais attaché à mes chariots deux bœufs vigoureux, choisis
avec tout le soin possible ; ils avaient le même caractère
et les tintements de leurs clochettes s'accordaient
harmonieusement.
Leur
âge était le même, leur pelage uniforme, leur douceur et
leur force pareilles : pareil fut leur destin ! au milieu de
la route, le couple est tombé sous les coups de la même mort
Dans
le sein de la terre amollie, je répandais le blé, et la
glèbe trempée par les pluies abondantes s'ouvrait à la
charrue en faciles sillons : nulle part le soc ne s'était
arrêté.
Le
bœuf de gauche est frappé subitement, et tombe : l'été
précédent l'avait vu mettre au joug. Je détache sur le champ
son compagnon attristé, me croyant au bout de mes malheurs.
Mais,
plus prompte que la parole, la mort atteint le second, qui
avait toujours été robuste et solide : un râle prolongé fait
battre ses flancs, et vaincu, il laisse enfin tomber sa
tête.
AEGON.
L'angoisse, la douleur, le chagrin, le deuil envahissent mon
âme; car tes pertes me touchent comme si c'étaient les
miennes. Cependant je pense que tes troupeaux ont été
préservés.
BUCULUS.
J'y
cours le cœur navré, et là mon affliction redouble : car
j'espérais (faible consolation en un tel malheur !) que la
portée prochaine me remplacerait ce que le fléau venait de
m'enlever.
Mais
qui pourrait-le croire ? la progéniture elle-même a été
frappée : j’ai vu une génisse déjà pleine tomber la tête en
avant, j'ai vu deux existences se perdre dans un seul corps.
Oubliant les fontaines, négligeant le gazon, la pauvre
génisse erre çà et là ; mais ses jarrets chancelants ne
peuvent la porter loin : elle tombe lourdement, saisie des
liens de la mort.
Dans
un autre endroit, ce jeune veau, qui naguère bondissait
joyeux à travers champs, se glisse sous
le ventre de sa mère et suce à une mamelle malade un
venin mortel.
La
mère, déchirée par une épouvantable blessure, dès qu'elle
voit fermés les yeux de son petit, redouble ses
mugissements, et, avec de lamentables plaintes, tombe, et
veut mourir.
Mais
comme si elle craignait que la soif ne fit souffrir le
gosier desséché, étendue à terre et mourante, elle approche
encore sa mamelle des lèvres du mort. L'amour maternel
survit an trépas !
Ailleurs un taureau, le père et le chef de tout le troupeau,
à l'encolure superbe et au front élevé, pendant que tout
joyeux il se complaît dans sa force, tombe sur l'herbe de la
prairie.
Aussi
nombreuses que les feuilles dont la chute dégarnit les
forêts sous le souffle glacial de l'Aquilon; aussi
nombreuses que les flocons pressés de la neige, tombent les
bêtes de mon troupeau.
Le sol
est tout couvert de cadavres : les entrailles tuméfiées
gonflent les corps, un nuage livide s'étend sur les yeux,
les membres se contractent et se rendissent.
Déjà
accourent de toutes, parts de sinistres nuées d'oiseaux de
proie ; déjà des bandes de chiens s'acharnent à déchirer, à
dévorer ces entrailles: hélas! que ne déchirent-ils aussi
mon cœur !
AEGON.
Explique-moi, je t'en prie, par quelle bizarrerie du destin,
les tristes coups de la mort épargnent les uns et frappent
les autres... Vois Tityre : il est joyeux, et son troupeau
est sain et sauf.
BUCULUS.
Je
l'aperçois lui-même. Dis-moi, Tityre, quel Dieu a pu te
soustraire à ce fléau ? D'où vient que ce mal, qui a ravagé
tant de troupeaux voisins, épargne les tiens ?
TITYRE.
C’est
le signe qu'on dit être la croix du Dieu qui est seul adoré
dans les grandes villes, le Christ, la gloire du Père
éternel, dont il est le fils unique.
Ce
signe, placé au milieu du front, a été un gage certain de
salut pour tous mes troupeaux : c'est pour cette raison que
le Dieu tout-puissant a été nommé Sauveur.
La
cruelle contagion disparaît sur le champ du milieu des
troupeaux, et la mort est désarmée. Si tu veux implorer ce
Dieu, il te suffit de croire : la foi seule peut faire
exaucer tes vœux.
Le
sang des victimes ne souille pas son autel, on ne cherche
pas dans le carnage un remède à la maladie ; mais une simple
purification de l'âme suffit pour obtenir les biens désirés.
BUCULUS.
Tityre, si tu dis la vérité, sans retard, j'embrasse la
véritable religion. Avec quel plaisir je vais renoncer à mes
vieilles erreurs, qui ne sont que de vains mensonges !
TITYRE.
Eh
bien ! mon dessein est d'aller, de ce pas, visiter le temple
du Dieu souverain : allons, Buculus; la route n'est pas
longue, nous la ferons ensemble et nous reconnaîtrons la
divinité du Christ.
AEGON.
Laissez-moi partager aussi votre heureux dessein. Peut-on
douter qu'il ne donne à l'homme la vie éternelle, ce signe
qui triomphe des efforts de la maladie ?
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